Villes de France...culminant avec le célèbre rapport de Joseph Lajugie de 19736. Les fées...

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Photo couverture: Cluster d’étoiles NGC 3603 © NASA and The Hubble Heritage Team

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« J’ai besoin d’elles (les villes). D’elles toutes. Les proches et les exotiques, les naines et les géantes, les calmes et les tonitruantes, les touristiques et les délaissées, les ingrates, les magnifiques, les oubliées, les glorieuses, les cachées, les violentes, les timides ».

ALAIN CLUZET « Au bonheur des villes » - Editions de l’Aube - 2003

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Après trente ans de silence relatif, les villes moyennes sont à l’ordre du jour de l’agenda de l’aménagement du territoire. Cette remise en lumière des villes moyennes n’est pas fortuite. Mais avant d’en dresser le portrait et de dévoiler leurs enjeux contemporains, on voudrait proposer quelques précautions d’usage. Les villes moyennes sont peu visibles. Elles sont en quelque sorte effacées par la problématique métropolitaine qui domine depuis une vingtaine d’années la recherche urbaine comme les politiques d’aménagement. Les palmarès des villes qui se succèdent dans la presse grand public retiennent souvent les cinquante ou cent premières villes françaises. Les villes moyennes pâtissent donc de leur position « moyenne » et d’une réputation de banalité: elles sont souvent animées par un sentiment d’infériorité relative et les projets portés par les acteurs de ces villes se situent en partie en réaction à la métropole, symbole de domination. Mais les habitants « votent avec leurs pieds » et déploient des stratégies migratoires et résidentielles à bas bruit qui bouleversent la morphologie du territoire. Dans ce contexte de véritable transition territoriale, les deux extrêmes du spectre, les grandes villes et l’espace rural ont fait l’objet de toutes les sollicitudes : les villes moyennes sont restées « en creux ». On souhaite ici sortir de cette approche duale et proposer d’analyser la place stratégique des villes moyennes dans la nouvelle donne territoriale. Les remarques et réflexions qui suivent se veulent être une amorce de problématique. Cette entrée en matière est indispensable pour planter le décor et expliciter les partis pris de ce rapport. La ville moyenne : une catégorie d’action publique avant tout La première remarque concerne la genèse des villes moyennes. Au départ, comme l’a dit Roger Brunet, les villes moyennes sont un objet réel non identifié1, malcommode à cerner. La notion est floue, flasque même disent certains géographes2. Pour pallier à cet inconvénient, la systématique ternaire est la plus facile à appliquer, la mieux servie par le vocabulaire courant : il existe des grandes villes et des métropoles, des petites villes en lien organique avec le milieu rural et, dans l’entre-deux, des villes moyennes. Mais celles-ci ne semblent définies que comme un résidu pour remplir les interstices des deux classes extrêmes qui, elles, sont signifiantes. Pierre Georges résumait ainsi en 1961 la morphologie de la France urbaine : « Paris, une douzaine de capitales régionales, le réseau des agents de transmission : les petites

1 Roger Brunet. « Villes moyennes : point de vue de géographe ». Les villes moyennes, espace, société, patrimoine. PUL. Lyon. 1997. 2 Mangazol Claude, Charbonneau François, Lewis Paul, introduction à l’ouvrage Villes moyennes et mondialisation,renouvellement de l’analyse et des stratégies, Université de Montréal, Editions Trames, Montréal, 2003.

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villes ».3 Pas de trace des villes moyennes. On sait pourtant instinctivement qu’elles existent, mais on a de la peine à définir précisément leurs caractères, comme on a de la peine à définir le contour des « classes moyennes ». Dans l’imaginaire collectif, elles symbolisent la vie de province, la douce torpeur qui sourd des romans du 19ème siècle. L’invention de la ville moyenne C’est l’Etat modernisateur gaullien, fondateur de l’aménagement du territoire, qui invente la ville moyenne comme catégorie d’action publique dans les années soixante-dix, lui donne corps et fait d’elle une cible repérable. En 1960, les travaux universitaires de Michel Rochefort sur l’organisation urbaine de l’Alsace4 ouvrent la voie à l’identification des villes moyennes : elles sont pour la première fois envisagées comme une catégorie en soi, participant avec une place bien particulière au fonctionnement du réseau urbain alsacien, celle de centre intermédiaire. Mais c’est le VIème Plan (1971-1975) qui insuffle aux villes moyennes leur personnalité politique et donc leur réalité. La tradition française du juste milieu donne à cette époque lieu à un véritable volontarisme politique. La « filière » villes moyennes est explorée depuis l’amont jusqu’à l’aval. Pour la conception, de nombreux travaux des cellules de réflexion ministérielles (SESAME-DATAR, Groupe d’études et de recherches du ministère de l’équipement5) sont commandés; pour la décision, des rapports préparatoires de la Commission aménagement du territoire du Plan sont élaborés; pour la consultation des « forces vives de la nation », des rapports du Conseil économique et social sont produits, culminant avec le célèbre rapport de Joseph Lajugie de 19736. Les fées penchées sur la berceau de la nouvelle née lui prédisent trois fonctions : une fonction de régulation pour contenir la « vague urbaine », une fonction économique pour diffuser les foyers d’industrialisation, une fonction de régionalisation pour construire les relais du développement régional. La ville moyenne est une ville moyen7, un nouveau levier d’action publique territoriale. Un maillon intermédiaire dans l’armature urbaine Cette irruption des villes moyennes sur la scène politique répond à des circonstances historiques exceptionnelles, à l’urbanisation galopante, en fait, à l’ébranlement des populations sur le territoire. Elle est également directement héritée du concept d’armature urbaine, avec ses niveaux hiérarchisés et emboîtés. La DATAR avait commencé à matérialiser le concept par le haut de la pyramide, les « métropoles d’équilibre ». Mise en cause par les élus locaux qui contestent les effets de polarisation induits, elle opère en 1973 une démultiplication de son objectif d’équilibre en proposant des « contrats de villes moyennes », puis des « contrats de petites villes et de leur pays ». La démultiplication de la politique d’armature urbaine ne s’appuie pas uniquement sur la taille des villes mais également sur leur

3 Christine Lamarre. « La ville moyenne, naissance d’un concept ». Les villes moyennes, espace, société, patrimoine. Op.cit. 4 Rochefort Michel, L’organisation urbaine de l’Alsace, Les Belles Lettres, Paris, 1960. 5 Eléments d’analyse et de prospective sur les villes moyennes, SESAME-DATAR, 1971. Éléments de réflexion sur les villes moyennes, GER-Ministère de l’Equipement, Paris, 1972. Les villes moyennes, dossiers d’étude, Études de prospective, DATAR-SESAME, La Documentation Française, Paris, 1973. Scénarios pour les villes moyennes, deux avenirs possibles, SESAME-DATAR, Travaux et recherches de prospective, n° 48, La Documentation Française, Paris, 1974. 6 Lajugie Joseph, Les villes moyennes, Collection Connaissances économiques, Editions Cujas, Paris, 1973. 7 Michel Marc, « Villes moyennes, villes moyen », Annales de Géographie, n° 478, Paris, 1977.

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rayonnement8. Dans le registre économique, la ville moyenne est le principal coagulateur du redéploiement industriel. Elle symbolise le régime de croissance fordiste dont le fer de lance sont les industries de biens de consommation de masse à faible qualification. La ville moyenne connaît pendant dix ans son âge d’or. Elle refera une brève réapparition à travers le concept de « réseau de villes » dans les années quatre-vingt dix au moment du Débat national pour l’aménagement du territoire9 pour contrebalancer timidement l’euphorie métropolitaine. Fin du premier tome. Archives de la fabrication d’un objet d’aménagement Le Vème Plan, à la suite des travaux de Hautreux et Rochefort sur l’armature urbaine consacrant trois niveaux, le niveau supérieur des métropoles régionales, le niveau intermédiaire des villes à rayonnement moins étendu et le niveau de base en contact direct avec le milieu rural, lance la politique des métropoles d’équilibre sur huit grands ensembles urbains, de manière à offrir à leurs habitants les équipements et « services supérieurs » jusque là réservés à la capitale. Les métropoles d’équilibre jouent également le rôle de pôles de croissance et de chefs de file des grandes industries nationales (aéronautique, espace, sidérurgie, télécommunications). Dans le même temps, au niveau des régions, sont élaborés des schémas régionaux d’armature urbaine visant à préciser la place et les fonctions des centres urbains moyens susceptibles d’épauler l’action d’animation des métropoles régionales. Ces schémas doivent servir de cadre à la régionalisation des programmes et des investissements du Plan sous forme de « tranches régionales ». Les résultats du recensement de 1968 opèrent une accélération de la mise en œuvre des préconisations sur l’armature urbaine. Celui-ci fait en effet apparaître la forte dynamique démographique des villes moyennes comme absorbeurs de l’exode rural et réceptacles de l’industrialisation fordiste : elles croissent notablement en nombre et en habitants, elles accueillent (les villes de 20 000 à 50 000 habitants) de 1962 à 1968 autant d’habitants que les villes de plus de 200 000 habitants et l’agglomération parisienne réunies. Les équipements urbains des villes moyennes sont donc totalement inadaptés à cette expansion brutale et il faut donc investir pour équiper. Au moment du VIème Plan, la politique d’armature urbaine passe donc à la vitesse inférieure (augmentation de régime, mais sur des cibles plus petites). Une politique de « contrats de ville moyenne » est lancée en février 1973 par le ministre de l’aménagement du territoire avec des crédits d’investissement importants. Un Groupe opérationnel des villes moyennes est créé pour mettre en œuvre cette politique : sa fonction est de monter avec les villes des dossiers d’intention d’aménagement et de sélectionner les investissements à retenir. La politique des villes moyennes résulte d’un cocktail particulier : une volonté nationale, la mise à disposition d’une ingénierie technique et le fléchage d’investissements importants de l’Etat sur certains types d’opérations, en concertation avec les élus. Les contrats de ville moyenne ne sont pas à proprement parler de « contrats », mais de subventions négociées en direction d’investissements définis comme prioritaires. L’objectif n’est alors pas prioritairement de favoriser la croissance des villes moyennes, mais de promouvoir un certain style de vie dans des villes « à la française ». Dans une phase de gigantesque mutation urbaine, l’obsession est d’éviter la trop forte concentration de population dans les villes, de contenir la production de grands ensembles inhumains. La ville moyenne doit être à taille humaine : paisible, avec un centre animé, des espaces verts, des trajets courts entre le domicile et le travail, une sociabilité riche. Sans doute une ville plus nostalgique et rêvée que réelle…Cette politique est donc résolument qualitative. Elle fait de l’urbanisme, en particulier dans les centres ville (aménagement des places et rues piétonnes, politique des parkings, embellissement du centre historique, rénovation de l’appareil commercial de proximité) le fer de lance de la nouvelle attractivité des villes moyennes, en pariant sur le fait que le renforcement de la centralité urbaine joue en faveur de la diversification des fonctions de la ville et consolide son rayonnement au bénéfice de l’arrière-pays. On peut dire aujourd’hui que cette politique a atteint ses principaux objectifs, même si la monotonie d’un même modèle d’urbanisme a eu tendance à gommer les identités propres à chaque ville moyenne. 8 Etait ainsi conçue comme ville moyenne « toute agglomération d’un poids démographique déjà notable dans la population d’une région, exerçant des fonctions diversifiées au bénéfice d’un arrière-pays suffisamment important, et dotée d’une qualité urbaine qui lui assure un rayonnement reconnu ». Instruction ministérielle d’Olivier Guichard, ministre de l’aménagement du territoire, de l’équipement, du logement et du tourisme envoyée aux préfets le 7 février 1973. 9 Débat national pour l’aménagement du territoire, document introductif, La Documentation française, Paris, 1993.

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La taille pertinente : une question toute relative La seconde réflexion a trait à la définition de la ville moyenne. La question des seuils pertinents a suscité à l’époque du VIème Plan des débats techniques et passionnés justement en raison de l’enfermement de la catégorie dans le concept unique d’armature urbaine dont la ville moyenne devait être le maillon intermédiaire. Aujourd’hui, la question se pose en d’autres termes : la périurbanisation et la logique des réseaux dissolvent les frontières des villes. On aurait donc tendance dans une premier temps à proposer d’évacuer la question. La dilatation résidentielle touche toutes les strates de villes Car que se passe-t-il depuis le recensement de 198210? La dilatation territoriale, le phénomène d’étalement urbain emporte dans sa tourmente et sans distinction toutes les strates de villes, de la plus grande à la plus petite, et dans le même mouvement, les communes rurales. Le grignotage urbain du territoire11 dominé par l’hégémonie des flux de migrations résidentielles se fait de proche en proche, par contact et cristallisation autour de bourgeonnements diffus de plus en plus éloignés du centre. C’est cette figure de contagion à toutes les échelles que le démographe Hervé Le Bras a dénommée « fractale »12. Dans ce treillis territorial, la représentation traditionnelle de la ville, avec ses frontières et ses auréoles de croissance redélimitées à chaque recensement explose. La ville n’a plus de limites précises, c’est la pression migratoire qui s’impose, avec ses couloirs de croissance le long des fleuves et son liseré côtier, ses filaments se déployant à partir des zones de haute tension, ses granulations plus ou moins denses. La ville moyenne mesurée par sa taille intermédiaire devient donc un objet artificiel en soi, elle n’a de pertinence qu’en tant qu’objet de l’action publique et c’est en tant que telle que l’on a pris le parti de l’observer dans un premier temps. L’actualisation de la définition de la ville moyenne On en revient donc à la ville moyenne comme catégorie porteuse d’enjeux et de choix publics. On s’obligera à la définir tout en étant conscient de la difficulté à fixer des seuils sur des critères forcément partiels et partiaux. La ville moyenne ne peut plus être définie par la population de sa commune centre, mais, au minimum, par le contour de son aire urbaine. Encore la définition INSEE de l’aire urbaine ne prend-elle en compte que les migrations quotidiennes entre le domicile et le travail, sans considération pour le « butinage territorial » permanent qu’exercent les habitants pour rejoindre leurs lieux de consommation, de loisirs, les lieux de scolarisation de leurs enfants et qui peuvent être proches, plus lointains ou même mondiaux selon la fréquence des déplacements. Cette complexité territoriale doit cependant être ordonnée et simplifiée si l’on veut faciliter l’analyse et permettre un diagnostic partagé avec les collectivités locales. On a choisi par convention de définir comme villes moyennes les aires urbaines de 30 000 à 200 000

10 Boudoul Jacques, Faur Jean-Paul, « Renaissance des communes rurales ou nouvelles formes d’urbanisation ? », Economie et statistiques, n° 145, INSEE, Paris, 1982. 11 Récemment confirmé par une étude de l’IFEN présentée le 13 avril 2005 à la presse à partir des observations satellitaires de Corine Land Cover, Le Monde, 14 avril 2005; et par les résultats des enquêtes annuelles de recensement 2004 et 2005, Morel Bernard, Redor Patrick, « La croissance démographique s’étend toujours plus loin des villes », INSEE Première, n° 1058, janvier 2006. 12 Le Bras Hervé, La planète au village, Datar/Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 1993.

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habitants. Ce choix prend en compte la fourchette communale définissant l’appartenance à la fédération des maires des villes moyennes (FMVM)13 : maires des communes de 20 000 à 100 000 habitants. On y a appliqué l’effet de dilatation territoriale : par convention, on a considéré qu’au recensement de 1999, une commune de 20 000 habitants disposait d’une aire urbaine de 30 000 habitants et une commune de 100 000 habitants une aire urbaine de 150 000 habitants. On a cependant relevé le seuil supérieur des villes moyennes à 200 000 habitants qui est généralement le plancher des grandes villes, de manière à pouvoir disposer de séries statistiques homogènes sur l’ensemble des strates d’aires urbaines et effectuer des analyses de positionnement des villes moyennes dans le système urbain tout entier. Dans le deuxième chapitre du présent rapport qui porte sur l’observation des villes moyennes, on a voulu affiner l’analyse en découpant les villes moyennes en trois sous tranches : les aires urbaines de 30 000 à 50 000 habitants, les aires urbaines de 50 000 à 100 000 habitants, les aires urbaines de 100 000 à 200 000 habitants. On constate alors que la convention choisie se révèle assez parlante : les villes moyennes forment un groupe médian aux dynamiques relativement homogènes, au contraire des grandes aires urbaines qui connaissent des trajectoires contrastées selon leur taille. Le rapport identifie également dans sa troisième partie les principaux enjeux d’action publique qui spécifient les villes moyennes. La dimension de la stratégie des acteurs et de leur mode de gouvernance y est particulièrement importante. On s’est alors efforcé, dans toute le mesure du possible, de considérer les intercommunalités urbaines inscrites au sein de ces aires urbaines « moyennes ». Finalement, la taille pertinente de la ville moyenne est à relativiser. On verra que la dynamique des villes moyennes n’est pas fondamentalement liée à leur taille, ni même à la proximité d’une grande ville. Les positions des villes moyennes et leurs performances relatives sont principalement influencées par leur environnement territorial. Le débat sur la taille des villes moyennes au moment du VIème Plan (1971-1975) Les villes moyennes font au cours des années 1972 et 1973 l’objet de nombreuses réflexions ministérielles dans le cadre de la préparation du VIème Plan. Elles doivent contenir la déferlante urbaine dont les coûts en équipements et services sont de plus en plus difficiles à supporter par les budgets locaux. Toutes les administrations concernées donnent leur avis sur les fourchettes de population les plus pertinentes pour les cataloguer. Le SESAME (Système d’étude du schéma d’aménagement de le France)-DATAR propose de ranger dans la nouvelle catégorie les villes de 30 000 à 200 000 habitants. Forte de son avantage prospectif, la DATAR s’appuie sur le prolongement des tendances en cours et refuse de s’enfermer dans des chiffres destinés à devenir rapidement trop faibles pour décrire la réalité sur le long terme. Le Ministère de l’équipement propose les villes de 20 000 à 100 000 habitants, refusant ainsi la fourchette haute de la DATAR. Finalement, pour mettre en œuvre les contrats de ville moyennes, le choix est fait d’ouvrir largement le spectre : les villes de 20 000 à 200 000 habitants sont concernées, mais uniquement celles capables d’organiser leur arrière-pays, les villes moyennes déjà « métropolisées » étant exclues. Déjà conscient de la difficulté de définir la ville moyenne, le législateur précisera qu’il n’a pas voulu délimiter une catégorie de villes, ni des fonctions particulières (on oublie la fonction théorique de premier échelon d’animation régionale), mais un champ d’action. Ce champ privilégié d’action se révèlera être exclusivement le champ de l’urbanisme pour servir de cadre à un style de vie « à la française ». On constate que la fourchette proposée par la DATAR en 1971 est exactement celle que l’on propose aujourd’hui dans ce rapport, à ceci près qu’il s’agissait alors de villes, donc de communes et qu’il s’agit maintenant d’aires

13 Fédération créée en 1988 pour relancer l’attention des pouvoirs publics sur cette catégorie de villes dans un contexte d’oubli relatif. Elle est actuellement présidée par Bruno Bourg-Broc, député-maire de Châlons-en-Champagne.

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urbaines. C’est dire le basculement territorial qui s’est opéré en trente ans : on est passé du noyau urbain à la nappe urbaine et de la croissance des centres à la croissance des « périphéries ». Source : Lamarre Christine, « Villes moyennes, naissance d’un concept », op.cit. Le pavage de base du territoire Troisième remarque. On est frappé de constater la régularité de la disposition des villes moyennes sur le territoire français et ceci, depuis deux siècles. Les seules zones qui en sont moins pourvues sont logiquement celles où l’urbanisation s’est historiquement organisée autour de grandes places d’échanges (le midi méditerranéen) ainsi que les territoires de faible densité et de montagne. Denise Pumain et Thérèse Saint Julien14 avaient déjà observé dans les années quatre-vingt la grande inertie de la morphologie du système urbain. Malgré les multiples redéploiements de la population sur l’espace au cours de l’histoire, les positions hiérarchiques des villes les unes par rapport aux autres n’ont pratiquement pas changé, même si leur contour, leurs fonctions et leur composition sociale ont été bouleversés à l’intérieur. L’élargissement de la maille territoriale fait dorénavant des villes moyennes le premier niveau de recours Cette viscosité est particulièrement apparente pour les villes moyennes. Elles forment dorénavant le pavage de base du territoire, la première résille urbaine apparente. Toute ville est une machine à fabriquer des interactions. Mais les formes d’interaction des différentes catégories de villes se recomposent. D’un côté, les bourgs et petites villes se fondent dans l’espace rural, lui-même totalement transformé en « nouvelles campagnes »15 et entrent en fusion avec lui dans le registre des relations de proximité facilitées par l’automobile. De l’autre, les grandes villes, placées sur les nœuds des réseaux de circulation à grande vitesse (lignes TGV et aériennes), fonctionnent dans une logique d’archipel en contact direct avec les grandes villes mondiales. Ces recompositions par le bas et par le haut assignent aux villes moyennes une nouvelle position : celle de trame urbaine de fond, de maille permettant le passage du local au global, du rural au métropolitain et inversement. Ainsi, l’élargissement des mailles du territoire et l’espacement des réseaux de transport fait que le treillis des villes moyennes devient le premier niveau de recours pour les services non quotidiens pour de vastes « plaques territoriales », alors que jusqu’à présent, c’étaient les petites villes qui constituaient ce recours pour l’espace agricole et rural. En ce sens, il constitue un véritable filet de sécurité pour contenir la fracture territoriale. On verra que cette fonction de premier recours est souvent malmenée par le « zapping » des populations et que l’un des enjeux des grands services publics comme la santé ou l’enseignement supérieur est de la conforter. La résistance du gabarit des villes moyennes et du niveau départemental On observe également que le réseau des villes moyennes est placé à une croisée historique entre le passé et l’avenir. Ce pavage semble épouser celui du 18ème siècle qui s’organisait

14 Pumain Denise, Saint-Julien Thérèse, Les dimensions du changement urbain, CNRS, Paris, 1978. 15 Quelle France rurale pour 2020 ? DATAR-La Documentation française, Paris, 2003.

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autour de la délégation provinciale du pouvoir royal16 et qui a été redessiné par les conventionnels pour former les départements de la République sur la base d’isochrones correspondants à une journée de parcours à cheval. Autrement dit, la France des villes moyennes est toujours la France des départements et force est de constater que cette résille urbaine comme ce niveau institutionnel résistent relativement bien à la globalisation et à la métropolisation. Rien ne serait plus dangereux que d’interpréter cette permanence comme du passéisme. Au contraire, les villes moyennes sont placées, on le verra, au cœur de la transition territoriale. Simplement, elles demeurent peu visibles et largement niées par le primat intellectuel et politique de la problématique métropolitaine. Un semis régulier de villes unique en Europe Par souci d’ouverture, on a recherché ce qui se passait en Europe en matière de maillage urbain. On observe alors que cette figure française d’un gabarit urbain régulièrement espacé représente un cas pratiquement unique. La carte 1 montre l’espacement actuel des aires urbaines pour leur fonction d’offre de services dans le territoire européen à 29 (les 25 membres actuels de l’Union européenne, auxquels on ajoute la Roumanie et la Bulgarie candidates, ainsi que deux pays voisins, la Suisse et la Norvège). Ces aires de chalandise sont, il est vrai, calculées sur la base des distances géographiques sans tenir compte des temps d’accès. On retrouve en France la ressemblance frappante avec le dessin des départements. On remarque également la particularité du modèle d’équité territoriale à la française, à l’inverse d’autres grands pays comme le Royaume-Uni, l’Italie ou même l’Allemagne christallérienne17, où les disparités territoriales des espacements urbains sont importants. Seules la Pologne et la Roumanie connaissent un semis de villes aussi régulier, mais sur des territoires plus petits et avec une maille plus lâche. L’équilibre, du moins physique, du territoire français en matière de services urbains est encore à l’œuvre et les villes moyennes en sont le principal agent.

16 Lequin Yves, « Entre le local et le global, un futur à réinventer », Villes moyennes, espace, société, patrimoine, op.cit. et Ozouf-Marinier Marie Vic, La formation des départements, la représentation du territoire français à la fin du XVIIIème siècle, Editions de l’EHESS, Paris, 1989. 17 Du nom du géographe allemand Walter Christaller qui a conçu en 1933 le modèle des « lieux centraux » visant à calibrer et à hiérarchiser les villes et leurs fonctions de services pour la meilleure desserte possible de la population. L’Allemagne, avec son organisation urbaine hiérarchisée à l’échelle du Land, symbolise la mise en application de ce modèle.

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Carte 1 : Espacements de la maille des aires urbaines en Europe. 2003.

Le retour des villes moyennes sur la scène publique La quatrième remarque porte sur les circonstances du retour des villes moyennes sous les feux de l’actualité. On parle de villes moyennes lorsque la concentration urbaine semble s’accroître et que l’aménagement du territoire ne peut se satisfaire de laisser le territoire suivre le droit fil de la polarisation excessive. Ce retour tient donc à de nouvelles circonstances exceptionnelles, mais elles sont aujourd’hui d’une tout autre nature : après l’urbanisation, on assiste à une désurbanisation (ou « contre urbanisation » en traduction littérale de l’anglais) du territoire, dans le sens d’une dé densification et d’un étalement urbain généralisés. Si métropolisation il y a, elle va de pair avec le desserrement urbain et l’apparition de nébuleuses résidentielles que l’on rattache systématiquement à un espace métropolitain. Le territoire connait un nouveau cycle, que l’on peut qualifier de « deuxième révolution silencieuse » (après celle de la restructuration agricole et de l’industrialisation de l’après-guerre) et c’est dans cette réalité que s’inscrivent les villes moyennes. Mais leur retour sur la scène publique tient également aux diverses représentations dont elles sont l’objet.

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Au niveau macro spatiale, une mutation vers la fonction de charnière territoriale A l’échelon central, en 2003, deux comités interministériels d’aménagement et de développement du territoire (CIADT) ont focalisé l’attention sur le monde rural (3 septembre 2003), puis sur le rayonnement européen des métropoles françaises (18 décembre 2003). A première vue, la question des villes moyennes se pose à nouveau pour l’action centrale d’aménagement en termes d’équilibre territorial. Alors, s’agit-il d’un retour aux concepts des années soixante ? D’une réaction face à la prédominance des métropoles et des pôles de compétitivité dans l’imagerie administrative ? Plus fondamentalement, on considère que la ville moyenne doit revenir au centre du regard sur l’aménagement, non plus parce qu’elle représente un échelon intermédiaire, mais une fonction d’intermédiation, une charnière territoriale tout à fait moderne et projective dans le contexte actuel de la recomposition du peuplement sur l’espace, des nouvelles sociabilités locales, de l’économie résidentielle, de l’économie de la connaissance, de l’économie des échanges. Encore faut-il réinventer cette fonction de « passeur ». Au niveau local, des recompositions financières, économiques, sociales A l’échelon local, le mouvement de décentralisation de 1982 place les villes moyennes dans une position « en creux » : par rapport aux budgets des départements et régions qui se dirigent en priorité vers le monde rural, par rapport aux budgets des grandes villes qui sont sans commune mesure avec les leurs alors qu’elles ont à gérer la même complexité de problèmes, en particulier la qualification des équipements de services pour une population périurbaine et rurale aux styles de vie urbains. Le développement de la coopération intercommunale à partir de 1999 n’a pu dans un premier temps résoudre cette contradiction. Le paradoxe veut que les anciennes charges de centralité restent du ressort des communes-centres des villes moyennes, alors que les ressources nouvelles de la communauté se dirigent en priorité vers leur pourtour à forte dynamique migratoire. Une autre raison de ce déséquilibre financier entre le centre et la périphérie des villes moyennes tient au ciment politique des jeunes structures d’agglomération : le principe de répartition équitable entre les communes. Cette situation de déséquilibre plaide pour une valorisation de la centralité urbaine des villes moyennes afin de reconstituer leur attraction. Les bases sur lesquelles reposait le modèle de la ville moyenne sont également ébranlées : leur base économique se modifie, leur base sociale constituée d’ouvriers, de commerçants et de classes moyennes est en pleine recomposition, leur base de services est contournée par les polarités périurbaines. Du point de vue économique, les villes moyennes se transforment. Elles ont permis pendant vingt ans la mise en phase du territoire avec les entreprises : principaux vecteurs de l’industrialisation fordiste, elles ont accueilli de nombreux établissement de production de biens et services standardisés. Avec l’abaissement des frontières et la concurrence sur les coûts de la main d’œuvre, ces secteurs d’activité sont touchés de plein fouet. Les villes moyennes sont ainsi directement concernées par les restructurations industrielles et l’apparition de friches foncières sans disposer des mêmes capacités de d’adaptation et de recyclage que les grandes villes. Celles-ci, du fait de leur taille, connaissent par nature une plus grande diversité sociale et fonctionnelle et donc, une plus grande flexibilité. On a pu cependant constater que beaucoup d’élus locaux reconsidéraient leur portefeuille d’activités et s’engageaient volontairement dans une stratégie de

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développement diversifié faite de politiques d’enracinement productif mais aussi de captation d’activités liées au tourisme, aux loisirs, à la présence de résidents temporaires ou définitifs. Du point de vue social, la ville moyenne a joué une fonction clé de diffuseur des modes de vie et de consommation du modèle fordiste, dont la figure emblématique est l’hypermarché. Nicole Commerçon souligne qu’elle a également joué un rôle de « convertisseur social », fixant les populations modestes et les classes moyennes tandis que les grandes villes attiraient les élites directionnelles et intellectuelles18. Elle a ainsi constitué le creuset de la mobilité sociale ascendante qui caractérise la France des Trente Glorieuses. Cette mobilité ascendante étant aujourd’hui en panne, le risque existe pour les villes moyennes de devenir des nasses piégeant les enfants de ces ouvriers, employés et cadres moyens. La prise de conscience de ce danger par les élus des villes moyennes explique largement leur volonté de qualifier leur offre d’enseignement supérieur. Les villes moyennes se sentent également doublement déstabilisées dans leur fonction de services à la population : de l’intérieur, par le butinage des habitants dans leurs pratiques de consommation de services qui avive la concurrence entre territoires de proximité; de l’extérieur par l’effet de captation des grandes villes pour les services stratégiques. D’un côté, la ville moyenne ne peut plus se reposer, comme il y a trente ans, sur une rente de situation dans sa relation aux petites villes et au territoire rural qui l’entoure. De l’autre, elle peut ressentir que ses forces vives lui échappent et que les grandes villes jouent vis-à-vis d’elles le rôle de pompe aspirante de jeunes populations qualifiées et refoulante de retraités que Paris joue traditionnellement vis-à-vis du territoire national. On sait en effet que le rapport de pouvoir d’une ville dominante sur une ville dominée ne se fait pas par le strict rapport de « commandement », mais par la captation des forces vives et l’assimilation de ces forces vives par la ville dominante. On verra que la réalité de cette « domination » est à nuancer et que les flux migratoires entre villes ainsi que les flux d’échanges d’actifs entre villes moyennes et grandes villes mesurés par les navettes domicile-travail, sont pratiquement équilibrés. Abandonner la vision de la hiérarchie urbaine pour celle du système territorial On propose d’effectuer à ce stade un arrêt sur l’image du déséquilibre entre villes moyennes et métropoles. Il suggère le cinquième point que l’on veut mettre en exergue. Le modèle métropolitain repose sur des bases fragiles Le concept de métropole semble dominant : dans la recherche urbaine, dans la construction d’indicateurs statistiques, dans les politiques publiques d’aménagement, dans le marketing territorial. Mais il y a souvent confusion dans l’acception du terme. La métropolité19 est une qualité (étymologiquement, la mère des pôles, la tête de réseau) dont beaucoup de grandes villes françaises ne peuvent se prévaloir, à la différence de Paris. La métropolisation sert de vocable général pour désigner le processus de desserrement urbain en suggérant que celui-ci

18 Commerçon Nicole, audition du 3 décembre 2002 par la Délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire du Sénat. 19 De Roo Priscilla, « La métropolité », Actions et recherches sociales n° 4/décembre 1992-n°1/janvier 1993. ERES. Paris.

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se déploie principalement dans les grandes agglomérations alors que toutes les strates de villes, y compris les plus petites, sont concernées. Enfin, la concentration du peuplement prend aussi la forme d’un continuum urbain et pas seulement celle de cercles concentriques autour de grands pôles denses. Les seuls indicateurs qui révèlent la polarisation du territoire dans de grandes conurbations sont ceux qui ont été précisément construits pour la mettre en œuvre : les nœuds de transports internationaux ou « hubs »20 (gares, aéroports, plateformes logistiques) ainsi que les « emplois métropolitains supérieurs », les bien nommés. Bref, « les villes sont évaluées en fonction des rapports hiérarchiques et en référence au modèle métropolitain qui fixe la valeur des sites »21. La mesure scientifique de la métropolité, de son fonctionnement en archipel mondial et du décrochage territorial qu’elle induit, est en fait bien fragile : elle repose principalement sur l’accumulation d’indicateurs de stocks, ceux-ci étant choisis pour suggérer des potentiels de relations qui sont encore très imparfaitement mesurés22. Les difficultés de convergence internationale des indicateurs et des appareils statistiques est ici en cause, mais également une certaine représentation de l’urbain qui donne la primauté aux mégapoles. C’est depuis peu que l’ORATE (Observatoire en réseau de l’aménagement du territoire européen), émanation de l’Union européenne, s’attelle à la question du rôle des villes petites et moyennes dans le système territorial de l’Europe élargie. L’élargissement a obligé de changer d’angle de vue pour prendre en compte les caractères des nouveaux pays membres peu dotés en métropoles internationales. Construire la place des villes moyennes dans un réseau urbain La prime à la grande ville permise par la concentration des réseaux techniques de transport en fait une véritable place d’échanges économique, sociale et intellectuelle, mais cette réalité est largement construite par les politiques publiques. La ville moyenne doit également pouvoir se doter de fonctionnalités qui consolident sa place dans le phénomène général de la circulation économique et des migrations résidentielles touchant l’ensemble du système territorial. Il ne faut plus y voir une seule différence de nature, donc une hiérarchie, mais de degré. La place de la ville moyenne est à définir dans une mise en relation avec les autres nodules de la trame urbaine française, grands mais également petits, et pourquoi pas dans des réseaux ordonnés, ce qui ne signifie pas automatiquement des réseaux hiérarchisés. Diversifier les représentations du réseau urbain : quelques partis-pris Le sixième point porte donc sur la nécessité de diversifier les représentations du réseau urbain et explique les partis pris analytiques et cartographiques de ce rapport. Dans le système d’analyse dominant, la « mésopolis » ou ville intermédiaire entre la grande et la petite, est une matière première volatile, difficile à cerner. On s’efforcera dans l’analyse de la situation des 20 Terme anglais désignant le moyeu d’une roue. 21 Fourny Marie-Christine, « De l’image de la ville à l’identité en réseau », Villes moyennes, espace, société, patrimoine, op.cit. 22 Les travaux statistiques les plus aboutis à l’échelle européenne sont ceux de l’équipe ParisGéo et de la Maison de la géographie, membres de l’ORATE . Voir notamment Cattan Nadine, Pumain Denise et Rozemblat Céline, Le système des villes européennes, Economica-Anthropos, collection Villes, Paris, 1999; plus récemment, Cicille Patricia et Rozemblat Céline, Les villes européennes, une analyse comparative, DATAR-La Documentation Française, Paris, 2003; ainsi que les travaux de Vandermotten Christian, de l’Université Libre de Bruxelles, Atlas des villes européennes, en préparation. Au niveau mondial, les deux grandes références sont Moriconi-Ebrard François, GEOPOLIS, pour comparer les villes du monde, Economica-Anthropos, Paris, 1994 et Sassen Saskia, La ville globale, Descartes & Cie, Paris, 1996.

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villes moyennes de se déprendre de la seule vision hiérarchique et de multiplier les angles de vue : stocks de population et d’emplois, revenus, spécialisations fonctionnelles, flux d’échanges, fonctionnement du système territorial. Généraliser la méthode comparative On visualisera au moyen de la représentation cartographique la dynamique des villes moyennes au regard de celle de l’ensemble des autres aires urbaines françaises pour ne pas isoler la catégorie, ni lui donner un poids et une visibilité artificiels. On suggère par là que la dynamique et l’avenir des villes moyennes n’est pas uniquement située « à l’ombre » des métropoles, mais également en symbiose avec le système territorial environnant ou en réseau discontinu mais proche. On observera les fonctions stratégiques présentes dans les villes moyennes pour suggérer leurs potentiels d’intermédiation, mais en étant parfaitement conscient de leur dimension discriminante. On introduira dans l’analyse de leur évolution économique des facteurs de dynamique résidentielle et pas seulement productive. Enfin, on attachera une grande importance aux flux de population permettant de situer les villes moyennes dans un « système territorial » complexe : relations avec les grandes aires urbaines comme avec les petites sans oublier celles avec les communes rurales. Pour spécifier le fonctionnement des villes moyennes, l’analyse des flux entre villes n’omettra donc pas d’introduire une entrée « par le bas » qui complètera et diversifiera l’entrée habituelle par le haut. L’effet dominant du contexte territorial Septième remarque. Ce n’est pas parce que les villes moyennes sont emportées dans le même flot de mutations démographiques et urbaines que l’ensemble du territoire national qu’elles ne posent pas à l’action d’aménagement un problème spécifique. Une caractéristique commune : des centres concurrencés par leurs périphéries On a noté que les villes moyennes étaient aujourd’hui déstabilisées par la mutation des formes du peuplement et la nouvelle économie. De ce point de vue, elles gardent une singularité incontestable historiquement déterminée par un effet de taille. On verra par exemple que ce sont les villes les plus affectées par une figure particulière de la périurbanisation : l’extension urbaine périphérique qui se réalise au détriment du centre23. Dans les villes moyennes, la dilatation territoriale se fait sur le mode de vases communicants interne à l’aire urbaine, provoquant une concurrence entre les communes pour la captation de nouveaux résidents et d’emplois, alors que dans les grandes villes, qui sont largement plus massives et diverses, on assiste à un double mouvement de périurbanisation et de retour au centre, phénomène récent. La reconstitution de la centralité urbaine prend ainsi pour les villes moyennes une importance toute particulière. … mais une grande diversité due au contexte territorial Les villes moyennes gardent donc une singularité qui peut justifier un traitement préférentiel de la part des pouvoirs publics, une sorte de « discrimination positive ». Mais la catégorie

23 Béhar Daniel, Les villes moyennes, enjeux d’action publique, ACADIE, rapport pour la DATAR, février 2005.

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singulière recouvre une très forte diversité. Quelques éléments peuvent expliquer cette différenciation. D’abord, dans le registre de la perception. Selon l’histoire des systèmes urbains régionaux et leur morphologie, la notion de ville moyenne ne prend pas le même sens : une ville peut être moyenne en Bretagne et petite dans le Nord Pas de Calais. Ensuite, dans le registre de leurs capacités de résistance ou de performance dans les mutations en cours. Les villes moyennes se sont vues assigner dans les années soixante-dix des fonctions économiques et urbaines calibrées sur leur taille, mais leurs fonctions administratives n’ont pas été retouchées ni harmonisées avec la nouvelle armature urbaine : les villes moyennes chefs-lieux de département ou d’arrondissements ont donc hérité d’un avantage comparatif par rapport aux autres, qui reste paradoxalement toujours un avantage, mais encore une fois indépendant de leur taille. Enfin, dans le registre de la « métropolisation ». Ce ne sont pas toujours les villes moyennes proches des grandes villes qui connaissent les dynamiques les plus fortes, selon la théorie qui voudrait qu’elles soient « tirées » par les métropoles. Selon leur position géographique, leur branchement aux réseaux de transports, les flux de navettes quotidiennes entre domicile et travail, leur attractivité résidentielle, les fonctions de leur emploi, la dynamique des villes moyennes est soit indépendante de celle de la métropole voisine, soit absorbée dans son nuage urbain, soit complémentaire avec elle. Cette identité de chaque ville moyenne plaiderait pour des politiques publiques « sur mesure », des actions « cousues main » respectant la mosaïque de leurs situations. Privilégier une approche par « grands territoires » : trois types de situations On verra tout au long de ce rapport que, contrairement à une approche catégorielle ou à une approche mosaïque des politiques publiques, une approche territoriale faite de grandes « plaques tectoniques» est à privilégier. Comme le constatent Thérèse Saint Julien et Nadine Cattan24, « d’une manière générale, tant vont les régions, tant vont leurs villes petites et moyennes ». Ce qui différencie le plus la situation actuelle des villes moyennes et donc, leurs perspectives de développement, est leur insertion dans des dynamiques démographiques et économiques plus larges qui prennent la forme de grandes régions, de nappes urbaines ou de grands axes territoriaux. Dans cette optique, trois types de situations émergent grossièrement : en creux, celle des villes moyennes de la « diagonale des faibles densités »25 qui court des Ardennes au sud du Massif Central en passant par le Bassin Parisien; en lumière, celle des villes moyennes des arcs et hinterlands littoraux de l’ouest et du sud-est méditerranéen; dans l’entre deux, celle des villes moyennes « moyennes », plus hétérogène26. Ces positionnements engendrent chacun des enjeux particuliers et appellent des interventions adaptées tant sur les villes moyennes elles-mêmes qu’en cohérence avec leur contexte territorial. Villes en transition, villes de transaction La huitième remarque se situe au cœur de la thèse principale de ce rapport. On a vu que la notion de ville moyenne était trop statique et catégorielle. Elle a souvent été considérée 24 Cattan Nadine, Saint-Julien Thérèse, « Quels atouts pour les villes petites et moyennes d’Europe occidentale ? », L’information géographique, n° 4, 1999, Sedes, Paris. 25 Terme inventé par Brunet Roger en même temps que celui de « banane bleue » dans son étude, Les villes européennes, DATAR – La Documentation Française, Paris, 1989. 26 Béhar Daniel, Les villes moyennes, enjeux d’action publique, op.cit.

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comme un état transitoire, éphémère : la ville moyenne était appelée soit à devenir petite en se vidant de sa population, soit à devenir grande en captant de nouveaux habitants. Pourtant, on a déjà remarqué son étonnante stabilité dans le temps et dans l’espace : les villes moyennes représentent toujours, malgré la métropolisation, 20% de la population française et environ 30% des citadins. La ville moyenne a été également considérée comme une ville de transit, un lieu de passage, une ville relais vers la métropole27. Or, en tant qu’acteur majeur de la politique d’équilibre et d’industrialisation du territoire, elle a accueilli pendant vingt ans une nouvelle population active, des fonctions modernes de production et de service et a connu un solde migratoire positif, surtout de population jeune. En réalité, elle a été une ville d’arrivée, même si on peut considérer qu’elle a joué un rôle de transit pour des catégories sociales en quête de mobilité ascendante. Villes en transition Aujourd’hui la ville moyenne est en transition. De ville d’arrivée, elle tend à devenir ville de départ, connaissant un solde migratoire négatif qui se situe autour de la moyenne des aires urbaines françaises, sans commune mesure cependant avec l’hémorragie que connaissent les très grandes villes. Ce sont les plus petites aires urbaines moyennes qui résistent le mieux, celles dont la dilatation résidentielle est contenue dans le périmètre de l’aire urbaine. On peut rapprocher cette situation du phénomène de vases communicants qui touche particulièrement les centres des villes moyennes. Dans les villes moyennes « grandes », celles de 100 000 à 200 000 habitants, l’extension périphérique semble déborder les limites de l’aire urbaine et se propager à l’ « arrière-pays » rural, mettant l’aire urbaine toute entière en situation d’évitement, comme en écho au contournement de la commune centre. C’est dans ce type de ville moyenne « grande » que les concurrences sont les plus vives, que les arbitrages résidentiels entre les aménités offertes par les fonctions de centralité et les aménités offertes par un cadre de vie à la campagne sont les plus tendus. La ville moyenne est donc placée au cœur des arbitrages résidentiels et de la transition territoriale28. Cette transition résidentielle et migratoire emporte bien l’ensemble du territoire et des strates urbaines mais met structurellement en défaut son maillon intermédiaire et fonctionnellement spécialisé, qui devient le plus paradoxal. La ville moyenne est également placée au cœur de la transition économique qui transmute le régime productif fordiste en économie de l’information et de la connaissance. Les conditions de négociation de ce virage économique constituent donc pour elles un défi majeur. Enfin, du fait même de la transition territoriale, la ville moyenne se trouve située au cœur de la transition sociale dans le sens où sa relative spécialisation dans les catégories ouvrières et moyennes est bouleversée par l’arrivée de nouveaux habitants aux profils sociaux plus diversifiés et souvent plus élevés. Elle n’est donc pas à l’abri des pièges de la segmentation sociale qui est la marque de la grande ville. Villes de transaction territoriale C’est pourquoi la ville moyenne doit être considérée par l’action publique comme une ville de transaction, une charnière à consolider pour apprivoiser la transition territoriale et réduire la fracture qu’elle provoque. De ville intermédiaire, elle peut devenir ville d’intermédiation. Il ne 27 Lequin Yves, « Entre le local et le global, un futur à réinventer », Les villes moyennes, espace, société, patrimoine, op.cit. 28 Beaucire Francis, Chalonge Ludovic, La transition urbaine en France, rapport pour la DAEI-SES, Ministère de l’Equipement, 2004.

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s’agit plus simplement de la mettre au service de l’ « équilibre » du territoire, mais plus fondamentalement, au service de sa diversité. Elle a vocation à devenir une passerelle : entre les différents degrés urbains, entre le rural et l’urbain, entre la sociabilité de voisinage et l’ouverture au global, entre le patrimoine et les nouvelles technologies, entre l’économie résidentielle et l’économie productive et au sein de l’appareil productif, entre le savoir-faire, la production et le marché. Toutes les ressources du territoire sont à mobiliser et parmi elles, celles des villes moyennes ne doivent pas être éclipsées au profit des ressources localistes d’un côté et compétitives de l’autre. Les villes moyennes disposent de certaines rentes différentielles qui les positionnent en bonne place dans la division mondiale du travail malgré sa recomposition intense29. Elles ont accueilli des industries fordistes, mais elles ont également formé le « biotope » des districts industriels locaux. Ceux-ci opèrent, comme ceux des autres villes moyennes d’Europe, cette synthèse entre la coagulation des ressources productives et sociales locales et l’insertion dans les réseaux commerciaux mondiaux. Le territoire français dispose également de ressources en espace incomparables avec celles des autres pays d’Europe. Il constitue enfin la première destination touristique mondiale. Les villes moyennes, par le cadre patrimonial qu’elles offrent, peuvent ainsi valoriser des niches économiques dans l’économie résidentielle et par leur effet attracteur, dans l’économie productive. La diversification des modèles de développement urbain La France a besoin de toutes ses villes. Ses habitants attendent qu’on leur offre une pluralité de perspectives, en matière de parcours résidentiel certes, mais également en matière de mobilité sociale, de qualification de leur emploi, d’investissement scolaire pour leurs enfants. Les stratégies résidentielles des ménages ainsi que les stratégies de localisation de certaines entreprises qui se rapprochent des bassins d’habitat montrent que rien ne serait plus appauvrissant qu’un modèle unique de développement urbain dessiné par les nœuds de circulation rapide et soumettant de larges pans du territoire aux zones d’ombre des métropoles. Pour une approche politique En guise de conclusion, le neuvième point prend la forme d’un plaidoyer. L’invention du devenir des villes moyennes est d’abord une question politique. Un diagnostic actualisé Bien sûr, la réalité de leur fonctionnement contemporain et le rôle de trait d’union qu’elles jouent concrètement dans la transition territoriale sont difficiles à cerner compte tenu du mode de construction des indicateurs territoriaux encore largement centrés sur les grandes villes ou les « fonctions supérieures » d’un côté et les cantons ou bassins de vie ruraux de l’autre. Le premier chantier de l’action publique, dans l’ordre technique, consiste donc à lancer un programme d’observation des flux sur lesquels se positionnent les villes moyennes en situation territoriale, c’est-à-dire, entre les villes moyennes et les grandes villes, mais aussi entre les villes moyennes et le monde rural et les petites villes. Les flux à identifier sont les

29 Cattan Nadine, Saint Julien Thérèse, « Quels atouts pour les villes petites et moyennes en Europe occidentale ? », op. cit.

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flux de population, mais également les flux d’entreprises, les flux d’étudiants, les flux d’information, les flux commerciaux. L’approfondissement de la problématique de la ville moyenne comme lieu d’intermédiation est donc indissociable d’un saut qualitatif indispensable de l’analyse urbaine autour de la notion de flux. Sur ce chantier, l’Etat est le maître d’œuvre responsable au premier chef. On a cruellement souffert tout au long de l’élaboration de ce rapport de l’absence de données comparatives sur la situation des villes moyennes en Europe, ce qui peut donner la désagréable impression que cette frontière territoriale a été oubliée. On pourrait l’interpréter comme un signe bien français de repli sur l’échelle nationale. Au contraire, on émet l’hypothèse que la transition territoriale décrite pour la France transforme également les formes de peuplement de beaucoup de pays d’Europe et que cette transformation prend des couleurs différentes selon l’histoire de leurs maillages urbains respectifs. Raison de plus pour promouvoir le thème des villes moyennes et des flux urbains au niveau des observatoires européens, en cohérence avec un programme national. Une responsabilité partagée Si la connaissance de la réalité des villes moyennes et leur prospective participent de l’aide à la décision publique, elles ne forgent pas seules une volonté politique. De ce point de vue, le plus grand changement institutionnel intervenu depuis la fondation de la politique des villes moyennes en 1973 est la décentralisation. La politique des villes moyennes n’est plus aujourd’hui une seule affaire d’Etat, mais une responsabilité partagée avec les collectivités territoriales. On a vu que la France des villes moyennes est toujours celle des départements. Cette réalité met automatiquement les conseils généraux au cœur de cette responsabilité partagée. Encore faut-il que ceux-ci s’approprient cette responsabilité et accordent une plus grande place au fait urbain. Cette mutation devrait être facilitée par la nouvelle fonction de recours que sont aujourd’hui amenées à jouer les villes moyennes envers l’espace rural et périurbain. On rappelle que celui-ci est devenu largement résidentiel et qu’il est directement affecté par l’élargissement des mailles des réseaux de transport et des services publics. La région en tant que coresponsable de l’aménagement du territoire est également interpellée. On a observé que les inégalités de dynamique des villes moyennes trouvaient leur principale explication dans les différences de comportement de grandes plaques régionales. Les régions, si ce n’est des groupes de régions, sont donc fortement concernées par l’avenir de leurs villes moyennes en tant que nœuds particuliers du maillage régional et rotules de leur système urbain. La question du treillis urbain régional ne peut donc se limiter à l’unique problématique de la capitale ou de la métropole régionale. Les régions sont alors potentiellement les mieux placées pour promouvoir la coopération urbaine qui ne peut se déployer efficacement que dans le cadre de la proximité relative et sur la base de relations de confiance. Les coopérations politiques entre villes moyennes ou entre villes moyennes et grandes villes régionales, que la DATAR a lancées dans les années quatre-vingt sous le vocable de « réseaux de villes », ne peuvent plus se satisfaire d’un « parrainage » national. Elles sont devenues la substance même de la légitimité régionale dans le registre de l’organisation de son territoire. Une nouvelle gouvernance L’émergence des conditions d’un diagnostic partagé et d’une « gouvernance verticale » faisant converger sur les villes moyennes les stratégies des intercommunalités, des départements, des

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régions, de Etat et dans l’avenir, de l’Europe, apparaissent donc cruciales pour refonder une politique des villes moyennes qui ne soit pas strictement compensatrice ou catégorielle mais dynamique et enracinée dans le système territorial. En ce sens, les villes moyennes sont des villes de négociation. Des outils adaptés d’intervention, de type programmatique ou conventionnel et mêlant différents niveaux de participation devront être inventés. C’est à ce prix que les villes moyennes pourront jouer leur rôle irremplaçable de passages et non plus celui d’accélérateurs des fractures territoriales. La responsabilité de l’Etat demeure toutefois pleine et entière dans les domaines les plus discriminants pour la structuration du territoire : la morphologie des réseaux de transport et les grands services publics nationaux que sont, par exemple, la santé ou l’enseignement supérieur. Du discours politique aux enjeux stratégiques en passant par l’observation Ce premier chapitre constitue l’ouverture indispensable pour repenser les villes moyennes, inverser le regard que l’on porte sur elles et élaborer les fragments d’un discours politique. Le chapitre deux s’efforcera de multiplier les angles d’approche pour cerner cet objet territorial particulièrement volatile. Il a pour but de rendre visible une nouvelle ville moyenne faite de transactions territoriales et tentera de démontrer cette hypothèse, indicateurs de stocks et de flux à l’appui. Il constitue également la première marche d’une gouvernance des villes moyennes en permettant la mise en débat et le diagnostic partagé. Le troisième chapitre a pour fonction de proposer, à partir de l’observation argumentée des villes moyennes, les enjeux stratégiques d’action publique dont elles sont porteuses. Il permettra de déboucher sur des recommandations et des priorités d’action publique.

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Cinq angles d’approche Les villes moyennes étant un objet territorial difficilement identifiable car peu apparent dans les conventions statistiques qui privilégient la grande ville et les fonctions « supérieures », on a tenté de reconstituer l’identité de la ville moyenne à partir des études et des indicateurs les plus récents disponibles. On a multiplié les angles d’approche et les méthodes d’analyse pour situer leur positionnement et leur rôle dans le système territorial national. On est conscient de la limite de cette approche catégorielle, mais sa construction était nécessaire pour comparer la dynamique récente des villes moyennes à celles des autres niveaux d’aires urbaines. Les premiers indicateurs de stock, population, emplois, revenus, qui sont assez simples et parlants, donnent déjà une image globale des villes moyennes qui contredit le discours habituel de leur effacement par la vague métropolitaine. La deuxième approche permet une vision novatrice des facteurs de développement des villes moyennes et plus généralement, de l’économie territoriale. Elle analyse les sources de création des revenus sur les territoires des différentes aires urbaines, montre la place respective du revenu productif, résidentiel, public et social dans l’économie des villes moyennes et souligne globalement la place éminente des revenus résidentiels dans le développement économique local, c’est-à-dire, ceux générés par la présence de résidents définitifs ou de passage. On verra que les villes moyennes sont largement concernées par ce type de développement, ce qui peut constituer un atout comme une faiblesse pour leur devenir. On réalisera un coup de projecteur sur les activités et les fonctions de l’emploi les plus présentes dans les villes moyennes, ce que l’on pourrait appeler leurs « spécialisations ». On verra à cette occasion, à travers l’analyse des stocks d’ « emplois stratégiques », le gouffre qui sépare Paris de toutes les autres villes du territoire et, à un deuxième niveau, la fracture fonctionnelle qui sépare les grandes villes des villes moyennes. On plaidera donc pour la reconstitution de ces fonctions de centralité dans les villes moyennes par les politiques publiques, car leur polarisation est le fait des stratégies des entreprises, mais également des stratégies de l’Etat. Les emplois intellectuels et ceux du domaine de la culture sont largement tributaires de la concentration des équipements d’enseignement supérieur, de la recherche et de la culture. Puis, pour prolonger l’analyse en termes de revenus qui s’explique largement par les migrations, on développera une approche en termes de flux de population qui permet de situer le degré d’échanges des villes moyennes avec les grandes villes, les petites villes et les communes rurales. On verra que les villes moyennes ne sont pas toujours tributaires de l’emploi dans la grande ville, que cette relation est plus complexe qu’il n’y parait. Ces flux montrent également que les villes moyennes sont à présent organiquement liées au monde

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rural et aux petites villes, remontant à leur niveau les fonctions de recours pour les services. A partir des flux d’échanges, on verra se profiler les contours d’un système urbain et non plus seulement d’une armature urbaine. Dans ce système, les villes moyennes ont une fonction naturelle d’intermédiation à jouer. La cinquième et dernière approche veut donc privilégier la notion de système territorial et tente d’expliquer la situation des villes moyennes en porosité avec celle de leur contexte territorial à toutes les échelles, du local à l’Europe. 2. 1. UNE APPROCHE EN TERMES DE STOCKS Les villes moyennes : permanences, résistances et fragilités Une grande viscosité démographique Par convention, on définit comme « villes moyennes » les aires urbaines de 30 000 à 200 000 habitants au recensement général de la population de 1999. Sur un total de 354 aires urbaines, elles en représentent 156, regroupant 11 306 814 habitants soit 20% de la population française et 25% de celle de l’ensemble des aires urbaines. Depuis un quart de siècle, alors que le territoire français a connu des bouleversements territoriaux, économiques et technologiques intenses, que la globalisation et la métropolisation recomposent la morphologie des réseaux urbains, il est étonnant de constater la profonde stabilité de leur poids démographique. Cette particularité française est visible à l’échelle européenne. La carte 2 montre que le semis régulier des villes moyennes constitue la trame de fond de l’organisation territoriale française, si on la mesure cette fois par le poids de la population des agglomérations en 1994 et non plus par l’aire d’influence des services (carte 1). Se surimpose à cette trame de base quelques grandes villes et surtout l’agglomération parisienne. Les seuls pays d’Europe présentant un dessin ressemblant sont comme on l’a déjà dit les pays d’Europe centrale et orientale. Dans les autres grands pays industriels, l’opposition est forte entre d’un côté de grandes régions urbaines denses et de l’autre, un territoire du vide. Au centre de l’Europe, la « banane bleue » de Roger Brunet est particulièrement apparente sur cette carte élémentaire de l’urbain.

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Carte 2 : Le poids des agglomérations30 en France et en Europe. 1994.

30 Il s’agit ici des « agglomérations » ou unités urbaines (établissements, équipements ou logements distants de moins de 200 m) et non des « aires urbaines » définies par les navettes quotidiennes entre le lieu de résidence et le lieu d’emploi.

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La dynamique de la population de la « strate » ville moyenne : stable Pour analyser en détail le comportement spécifique des villes moyennes dans l’ensemble urbain français, on a été amené dans un premier temps à retenir le découpage par strates. Les aires urbaines ont donc été ventilées en huit strates et les villes moyennes en trois. On voit que l’évolution de la population des villes moyennes entre 1990 et 1999 n’est pas particulièrement positive (tableau 1), mais on pouvait s’attendre à bien pire compte tenu de la pénalisation induite par la polarisation métropolitaine31. Les villes moyennes ont clairement des performances inférieures à celles de la moyenne des aires urbaines. On ne peut pas vraiment parler de récession mais de stagnation compte tenu des scores positifs. Comme les petites villes (aires urbaines de moins de 30 000 habitants), leur profil d’évolution de population ressemble étrangement à celui de la métropole internationale, Paris. On voit là clairement apparaître un bloc de villes moyennes stagnantes opposé à un bloc de grandes villes dynamiques. On peut donc dire sur cette première indication qu’il y existe un lien entre la dynamique de la population totale et la taille des villes en excluant toutefois le cas tout à fait particulier de Paris. Tableau 1 : Dynamique comparée de la population des villes moyennes et des autres aires urbaines (1990 -1999) Strate de population en 1999

Population 1999

Var pop 90-99 (%)

Var solde migratoire 90-99 (%)

Var part + 60 ans 90-99 (%)

Paris 11 174 743 2,9 - 4,4 8,5 Plus d’un million 500 000 à 1 million 200 000 à 500 000

4 307 681 6 817 922 8 538 244

4,6 7,2 4,6

- 0,7 3,1 0,6

9,7 11,9 12,9

100 000 à 200 000 50 000 à 100 000 30 000 à 50 000

4 677 514 4 252 933 2 376 367

2,8 2,4 1,9

- 1,0 - 0,2 - 0,7

15,2 12,0 13,0

Moins de 30 000 2 907 517 2,2 0,2 12,6 Total aires urbaines 45 052 901 3,9 - 0,8 11,6 Source : Recensements de la population et traitements de Laurent Davezies Trame grise lorsque les performances des villes moyennes sont supérieures à celles de l’ensemble des aires urbaines Les données sur longue période 1975-1999 montrent par contre une performance supérieure des villes moyennes en comparaison des grandes villes, à l’exception des villes de 500 000 à 1 million d’habitants qui apparaissent très dynamiques. L’évolution démographique des villes

31 Les principales données sur les aires urbaines et leur évolution 1990-1999 découpées par strates ont été fournies par Laurent Davezies du Laboratoire l’Oeil à l’Université de Paris XII-Créteil. Les cartes et les données sur plus longue période sont tirées de l’étude La diversité des formes de développement local dans les villes françaises réalisée par Laurent Davezies pour la DATAR en septembre 2003. Les cartes ont été retravaillées par Anne Bailly (AEBK) pour isoler les villes moyennes. Qu’ils en soient ici chaudement remerciés.

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moyennes qui, depuis la crise du régime de croissance de l’après guerre, constitue véritablement une performance, a donc eu tendance à se tasser au cours de ces dernières années. La carte 3 montre qu’au sein d’une même strate urbaine, les évolutions démographiques sur moyenne période sont très disparates, pour les villes moyennes comme pour les autres. On remarque la dynamique particulièrement positive des villes moyennes de l’arc alpin, du littoral atlantique et du grand sud-ouest, ainsi que celles du pourtour de l’aire urbaine parisienne. Cette situation est en fort contraste avec celle du centre parisien. L’ensemble des évolutions s’explique en grande partie par le contexte territorial : négatives dans l’arc nord-est et la diagonale qui court de la Champagne au nord du Massif Central, positives dans les zones frontalières de l’arc alpin et les zones du littoral atlantique. Historiquement, on observe que l’arc méditerranéen est peu doté en villes moyennes et qu’y dominent de grandes villes dont l’évolution est très positive hors Marseille et l’Etang de Berre. Carte 3 : Evolution de la population des aires urbaines 1975-1999

L’évolution du solde migratoire : négatif mais supérieure à la moyenne L’analyse de l’évolution du solde migratoire entre 1990 et 1999 selon les strates d’aires urbaines (tableau 1) montre encore qu’il n’y pas de lien clair entre l’attractivité des villes et leur taille. Les très grandes villes, Paris et les villes millionnaires, connaissent un solde migratoire négatif, inférieur à la moyenne des aires urbaines. Les villes moyennes résistent assez bien en ayant des soldes migratoires négatifs, certes, mais supérieurs à la moyenne. Elles deviennent effectivement des villes de départ, ce qui est nouveau pour elles. L’hémorragie parisienne est particulièrement visible : son évolution migratoire est presque six fois inférieure à celle de la moyenne urbaine. Les seules villes qui tirent leur épingle du jeu sont les villes de 200 000 à 1 million d’habitant ainsi que les petites villes inférieures à 30 000 habitants. La croissance démographique des grandes villes est en fait principalement portée par leur solde

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naturel, qui résulte en grande partie de leur attractivité migratoire passée pour les population jeunes en âge de procréer. Pour les grandes villes de la strate inférieure et les petites villes, c’est la dynamique résidentielle périurbaine et le modèle de la ville à la campagne qui expliquent leur attractivité. Les données sur l’évolution des soldes naturels et migratoires sur plus longue période (1982-1999) montrent une évolution proportionnelle à la taille des villes de leur solde naturel et une évolution erratique de leur solde migratoire. Tout se passe en effet comme si jusqu’en 1982, date du premier recensement qui a mis en lumière la « renaissance des communes rurales », l’urbanisation était ascendante : il y avait un lien direct entre la croissance des villes, leur attractivité migratoire et leur taille. Aujourd’hui, en pleine transition territoriale provoquée par la désurbanisation, seul le solde naturel, résultat de la dynamique d’urbanisation passée, garde un ordonnancement hiérarchique qui bénéficie aux plus grandes villes. L’évolution des soldes migratoires montre, lui, d’énormes disparités entre strates de villes : les très grandes villes sont pénalisées avec des soldes migratoires fortement négatifs (à la toujours notable exception des villes de 500 000 à 1 million d’habitants), alors que les villes moyennes sont avantagées par une dynamique des soldes migratoires positifs. C’est au dessous du seuil de 50 000 habitants que le retournement en faveur des villes moyennes semble s’opérer entre 1982 et 1999. Sur la dernière période 1990-1999 cependant, le tassement de l’attractivité des villes moyennes est palpable alors que celui des petites villes devient positif. C’est le phénomène de contournement des villes moyennes par les nouvelles campagnes qui semble ici se mettre en place. Carte 4 : Evolution des soldes migratoires 1990-1999

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Le vieillissement des aires urbaines moyennes Alors que les villes moyennes ont été pendant trente ans des villes jeunes par un effet d’absorption des migrations rurales et pour les besoins de constitution d’une industrie de main d’œuvre, leur solde naturel est dépassé depuis 1990 par celui du reste de la France. Elles deviennent aujourd’hui vieillissantes, reflétant les grandes évolutions nationales, ce qui représente pour elles une véritable transition démographique. L’évolution de la part des plus de soixante ans dans la population urbaine par strates de villes est parlante (tableau 1). Toutes les aires urbaines, à l’exception de Paris et des villes millionnaires, connaissent une croissance supérieure à la moyenne de la part de leur population âgée. Les villes millionnaires semblent donc avoir tendance à rejoindre Paris dans la fonction de pompe aspirante de population jeune et refoulante de population plus âgée. Si les villes moyennes vieillissent sur toutes leurs strates à un rythme accéléré, elles ne présentent pas de spécificité particulière par rapport aux petites et grandes villes, sauf pour celles de 100 000 à 200 000 habitants, qui sont les grandes villes moyennes et qui connaissent un vieillissement encore plus fort. On peut imaginer que l’évolution du vieillissement d’un territoire, mesuré par la part des plus de 60 ans, est largement déterminée par la migration des retraités, ce qui génère d’ailleurs, on le verra, une part non négligeable de ses revenus. De ce point de vue, les villes moyennes sont très attractives, et paradoxalement, surtout les « grandes » villes moyennes. Cette constatation est à première vue surprenante : on aurait pu s’attendre à ce que les retraités se dirigent préférentiellement vers les villes petites ou les espaces ruraux, pour des raisons de tranquillité du cadre de vie. Il semble au contraire que les grandes villes moyennes soient les plus attractives, peut-être en raison de la qualité de l’offre de soins qu’elles sont susceptibles d’offrir. On peut déjà ici suggérer l’importance de l’offre de services publics et notamment celle des équipements de santé dans l’attractivité des territoires pour ce type de population.

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Carte 5 : Part des plus de 60 ans dans la population 1999

Carte 6 : Évolution de la part des plus de 60 ans dans la population 1990-1999

Les projections du vieillissement des aires urbaines réalisées à l’horizon 201532 montrent que les villes moyennes connaîtront une augmentation de la part de leur population âgée de plus de soixante ans, et ce, quelque soit leur localisation régionale. Cette projection du vieillissement suggère deux types de perspectives pour le développement de ces villes : soit la

32 Omalek Laure, Royer Jean-François, « Le vieillissement des aires urbaines en 2015 », Données urbaines 4, op.cit.

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prolongation des tendances actuelles et la transformation de la présence de retraités en rente économique, soit un effort d’attraction de nouvelles populations jeunes, soit la combinaison des deux. La dynamique de l’emploi : performances égales à la moyenne urbaine Comme pour l’évolution démographique, « l’évolution de l’emploi entre le deux derniers recensements n’a pas confirmé ce qu’avait été la grande peur de la décennie précédente : le rapt de la croissance par les grandes villes »33. Globalement, l’emploi dans les villes moyennes s’est développé plus rapidement que la moyenne urbaine : avec 22,2% de l’emploi national en 1990, elles contribuent à 30,4% de la création nette d’emploi entre 1990 et 199934. Encore une fois, il n’y pas de relation apparente entre la taille des villes ou leur caractère « métropolitain » et la dynamique de leur emploi. C’est toujours le contexte territorial qui fournit la relation la plus pertinente. L’aire urbaine de Paris connaît une chute de son emploi, la strate de 200 000 à 1 million d’habitants vit la dynamique la plus forte, la dynamique d’évolution de l’emploi de l’ensemble du groupe des villes moyennes connaît la même évolution positive et largement au dessus de la moyenne urbaine que celle des grandes villes. Tableau 2 : Dynamique comparée de l’emploi des villes moyennes et des autres aires urbaines Strate de population de l’aire urbaine en 1999

Var emploi total 90-99 (%)

Var emploi UNEDIC 93-2001 (%)

Var emploi public 90-99 (%)

Var pop active féminine 90-99 (%)

Var chômeurs 90-99 (%)

Var emplois cadres 90-99 (%)

Taux cadres dans l’emploi (%)

Paris - 0,6 13 - 10,7 4 34 12 22 Plus d’un million 500 000 à 1 million 200 000 à 500 000

4,2 7,5 6,2

19 24 20

- 8,5 - 4,2 - 3,4

9 14 12

27 26 20

17 22 19

15 15 12

100 000 à 200 000 50 000 à 100 000 30 000 à 50 000

4,0 4,2 4,4

18 17 18

- 5,4 - 0,3 - 3,0

10 8 8

16 17 17

18 14 12

10 10 9

Moins de 30 000 6,3 20 - 3,4 8 16 13 8 Total aires urbaines 3,8 18 - 5,9 9 24 16 15 Trame grise lorsque les performances des villes moyennes sont supérieures à celles de l’ensemble des aires urbaines Source : Traitements de Laurent Davezies 33 Davezies Laurent, La diversité des formes de développement local dans les villes françaises, Laboratoire l’Oeil, Université de Paris XII-Val de Marne, rapport pour la DATAR, septembre 2003. 34 Ces données ont été calculées sur la strate des aires urbaines de 20 000 à 150 000 habitants, différente donc de celle de ce rapport. Cependant, elles donnent une indication globale intéressante. Voir Béhar Daniel, Les politiques régionales en direction des villes moyennes, rapport pour la Caisse des Dépôts et Consignations, juillet 2003.

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La carte 7 montre que la loi territoriale est toujours la plus forte. Les grandes zones d’attraction et de dépression se retrouvent, avec quelques points de crise dans des bassins en mutation industrielle qui épousent largement la carte des conversions et des contrats de site. Carte 7 : Evolution de l’emploi total 1990-1999

La dynamique de l’emploi privé : amortisseur de crise L’analyse de la dynamique de l’emploi peut trouver d’autres éléments explicatifs par la composition sectorielle de l’activité ou par la décomposition de l’emploi entre emplois privés et emplois publics. On s’attache ici d’abord à analyser la dynamique de l’emploi privé. Entre 1993 et 2000, l’évolution de l’emploi salarié privé mesuré par l’emploi UNEDIC est uniforme pour le bloc des trois strates de villes moyennes et exactement égal à la moyenne des aires urbaines. Encore une fois, les villes de 500 000 à 1 million d’habitants sortent du lot et Paris connaît une forte récession, mais l’ensemble du territoire urbain, grandes villes, villes moyennes et petites villes connaissent des performances « dans la moyenne ». La métropole n’est donc pas la seule forme de localisation spatiale choisie par les entreprises. Toutes les strates de villes, aussi petites soient-elles, semblent rester dans la course. Seule la strate des « métropoles d’équilibre » connaît des avantages comparatifs particulièrement positifs. Est-ce le résultat engrangé par le fort investissent de l’Etat dans ces villes qui semble tirer l’investissement privé ?

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Carte 8 : Évolution de l’emploi salarié privé (UNEDIC) 1993-2001

Les données sur plus longue période montrent l’effet d’amortisseur de crise que jouent clairement les villes moyennes. Elles offrent une meilleure résistance aux fluctuations de la conjoncture nationale. L’évolution de l’emploi salarié privé sur une plage de vingt années (1982-2002), qui a connu une succession de phases de croissance (1985-1990, 1995-2000) et de récession (1982-1985, 1990-1995, 2001-2002) sont révélatrices des capacités diverses de réaction des villes aux turbulences macro-économiques35. Plus fortement récessives que l’ensemble des villes françaises, qu’elles soient grandes ou petites, en début de période, on voit les villes moyennes améliorer leur performance au fil du temps dans les périodes de récession pour atteindre des scores nettement supérieurs à ceux des grandes villes en fin de période. A l’inverse, en phase de croissance générale de l’emploi, les villes moyennes et petites connaissent des performances dans la moyenne à l’exception des villes de 500 000 à 1 million d’habitants qui engrangent la plus forte croissance et de Paris qui continue à décroître quelque soit la conjoncture. Ce découpage par strate donne des indications qu’il faut croiser avec l’insertion des villes moyennes dans des contextes territoriaux particuliers. Mais, d’ores et déjà, plusieurs interprétations peuvent être données. La première. Les villes moyennes sont des amortisseurs de conjoncture du fait leur inertie relative et de la plus faible flexibilité de leur appareil productif. Leur appareil productif est donc moins exposé à la concurrence mais moins adaptable que celui des grandes villes. C’est alors une indication de résistance mais aussi de fragilité lorsqu’on les projette dans la transition économique. La seconde. Les villes moyennes voient dans un premier temps leurs industries fordistes et traditionnelles dépérir, puis être remplacées par des emplois privés de services à la population produits par l’installation de

35 L’analyse présentée ici se base sur des données calculées sur la strate des villes moyennes de 25 000 à 250 000 habitants. Ce n’est encore une fois pas la même que celle retenue dans ce rapport, mais elle donne une indication particulièrement précieuse des réactions aux turbulences économiques. Pour plus de détails par période, voir Davezies Laurent, La diversité des formes de développement local dans les villes françaises, op.cit.

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résidents nouveaux dans leur espace périurbain. C’est une indication de dynamisme économique, mais elle peut également être fragile en ce qu’elle spécialise à nouveau les villes moyennes : de villes productives fordistes, elles deviennent villes de consommation et de résidence ou pis, « villes dortoirs », projection qui constitue l’une des grandes angoisses des élus concernés. Tableau 3 : Évolution de l'emploi salarié privé des strates d’aires urbaines selon les phases de croissance ou de récession entre 1982 et 2002

Source : Traitements de Laurent Davezies Pour ce qui est de la mutation de l’économie des villes moyennes, le tableau 3 donne des indications sur les secteurs d’activité les plus actifs et les plus dépressifs pour l’emploi privé entre 1993 et 2001. On y voit clairement que ce sont les secteurs de production de biens de consommation, anciens (textile, chaussures) ou fordistes (fabrication d’appareils domestiques, équipements automobiles) ainsi que les secteurs des biens d’équipement traditionnels et à savoir-faire (mécanique, caoutchouc, sidérurgie, électricité) qui sont les plus destructeurs d’emplois. A l’inverse, les secteurs les plus présents sont le commerce, le BTP et les services, qui sont largement liés à la résidence des populations. L’agro-alimentaire subsiste encore et gagnerait à être renforcé dans l’hypothèse d’un meilleur arrimage des villes moyennes avec l’espace productif agricole, dans le cadre de pôles d’excellence productifs ruraux, par exemple36.

36 Appel à candidatures pour le label « pôles d’excellence rurale » lancé par la DATAR le 15 décembre 2005.

Récession Croissance Récession Croissance Récession ² 1982-85 ²1985-1990 ² 1990-95 ² 1995-2000 ²2001-2002

Paris -1,8% 7,7% -2,7% 11,5% -0,2% plus d'un million -7,6% 8,3% -2,2% 13,4% 0,5% 500 000 à 1 million -3,8% 13,0% 0,6% 16,5% 1,9% 250 à 500 000 -6,2% 7,6% 1,0% 13,4% 1,2% 100 à 250 000 -6,3% 9,3% 0,7% 12,7% 0,9% 50 à 100 000 -5,6% 8,8% 4,0% 12,1% 0,9% 25 à 50 000 -5,9% 8,1% 0,0% 13,3% 0,8% moins de 25 000 -4,2% 8,3% 2,8% 13,1% 1,4% Total AU -4,5% 8,8% -0,3% 13,0% 0,7%

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Tableau 3 : Les secteurs les plus créateurs et destructeurs d’emploi dans les villes moyennes entre 1993 et 2001 Source : Béhar Daniel, op.cit. La dynamique de l’emploi public : une résistance dans un contexte de baisse générale L’évolution de l’emploi public dans les différentes villes participe à la dynamique de leur emploi au même titre que l’emploi privé. Dans le contexte national de chute de l’emploi public dans l’ensemble des aires urbaines (baisse de 6% en moyenne entre 1990 et 1999), il est frappant de constater que pour l’ensemble du bloc des villes moyennes, le reflux a été plus fortement jugulé que dans les très grandes aires urbaines. Plus les villes sont petites, plus la

Les 25 plus gros secteurs en 2001 ΔΔΔΔ93-01 Unedic

Les 25 secteurs qui ont détruit le plus d’emploi

ΔΔΔΔ93-01 Unedic

Sélection et fourniture de personnel 191826 Fabrication de vêtements en textile -17272 Action sociale 162253 Fabrication d’articles à maille -4461 Commerce de détail en magasin non spécialisé

162224 Fabrication d’appareils domestiques -4319

Autres commerces de détail en magasin spécialisé

153636 Intermédiation monétaire -3252

Activités pour la santé humaine 115489 Industrie chimique de base -3077 Construction d’ouvrages de bâtiments ou de génie civil

114862 Sidérurgie ( CECA ) -2906

Transports urbains et routiers 105143 Services domestiques -2848 Activités juridiques, comptables et de conseil de gestion

77662 Commerce de gros de produits alimentaires

-2697

Travaux de finition 76642 Fabrication de chaussures -2655 Restaurants 70802 Préparation des sites -2469 Commerce de véhicules automobiles 69174 Filature -2445 Travaux d’installation 66288 Fabrication d’autres ouvrages en

métaux -2393

Activités de nettoyage 60652 Tissage -2115 Autres industries alimentaires 59001 Locations de biens immobiliers -2087 Commerce de gros de produits intermédiaires

51106 Fabrication d’instruments de mesure et de contrôle

-2008

Autres organisations associatives 50443 Industrie laitière -1542 Traitement de métaux ; mécanique générale

49835 Fabrication d’équipements mécaniques

-1511

Commerce de gros d’équipements industriels

48568 Fabrication d’accumulateurs et de piles électriques

-1372

Sécurité sociale obligatoire 48303 Fabrication d’équipements automobiles

-1252

Transformation des matières plastiques

46545 Première transformation de l’acier ( non CECA )

-1054

Intermédiation monétaire 43421 Fabrication de produits agrochimiques -1017 Fabrication d’équipements automobiles

42596 Industrie du caoutchouc -1008

Services personnels 42170 Autres industries textiles -910 Commerce de gros de produits alimentaires

39139 Fabrication de machines-outils -812

Services divers 35791 Fabrication de fils et câbles isolés -774 Total Unedic 1993-2001 515501

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régulation de la dynamique locale par l’emploi public est forte. Il faut rapprocher cette résistance de la présence des fonctions administratives dans les chefs-lieux de département ou d’arrondissement mais pas seulement. L’emploi public et les services publics suivent par définition les basculements de population et sont calibrés sur leurs nouvelles localisations, ce qui donne par nature un handicap aux très grandes villes. Mais la forte composante de l’emploi public dans l’emploi de villes moyennes, combinée à un taux de qualification plus bas dans les villes moyennes que dans les grandes, peut être interprété comme un indice de fragilité dans le contexte de l’avivement de la compétition des territoires. Carte 9 : Evolution de l’emploi public 1990-1999

La dynamique de l’emploi féminin : pas de spécificité Les villes moyennes constituant par excellence le modèle de l’industrie fordiste, on a voulu observer l’évolution de l’emploi féminin, très présent dans ce type d’industrie, comme indication de la dynamique générale de l’emploi. Les villes moyennes connaissent une évolution de leur emploi féminin entre 1990 et 1999 proche de la moyenne des aires urbaines, sans avantage comparatif particulier. Il semble que la crise des industries fordistes soit contrebalancée par l’apparition d’emplois de services à la population, sans que pour autant l’emploi féminin connaisse une avancée spectaculaire. Cette constatation contredit d’idée générale selon laquelle ce type d’emplois de services à la population fait appel à une main d’œuvre déqualifiée, donc féminine. Depuis trente ans, le hausse du niveau de diplôme des femmes les placerait plutôt sur une trajectoire ascendante, en particulier dans le secteur tertiaire. Cette mobilité ascendante n’irait pas toutefois jusqu’à atteindre les « emplois métropolitains supérieurs », ce qui expliquerait l’évolution très positive de l’emploi féminin dans les grandes villes, mais pas dans les très grandes.

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Carte 10 : Evolution de l’emploi féminin 1990-1999

La stabilisation du chômage : une véritable performance C’est avec l’indicateur de l’évolution du chômage entre 1990 et 1999 que le comportement des villes moyennes n’est pas simplement fait de permanence mais de véritable résistance. Il faut souligner que cette donnée est particulièrement sensible, non seulement politiquement, mais également pour appréhender les plus ou moins bonnes performances des économies locales et dans une certaine mesure, des politiques publiques locales. Paradoxalement, alors que l’on a vu que la taille des aires urbaines était de peu d’effet sur leur santé socio-économique, c’est l’inverse pour le chômage : les grandes villes sont systématiquement défavorisées alors que les villes moyennes et petites connaissent une évolution de leur chômage bien plus positive que la moyenne des aires urbaines et largement meilleure que celle des grandes villes. Il est toujours difficile d’apparier l’évolution du chômage et celle de l’emploi qui connaissent des évolutions contradictoires, en particulier parce que les trajectoires migratoires de la population active viennent troubler la corrélation. Cependant, les effets de résistance de l’emploi public, la relative permanence des emplois totaux et de l’emploi féminin, l’arrivée de nouvelles populations périurbaines, la migration de retraités, constituent un gisement d’emplois divers pour une régulation du chômage dans les villes moyennes. Les sociabilités de proximité semblent aussi jouer leur rôle. On sait que la concrétisation d’une recherche d’emploi est facilitée non seulement par le niveau du diplôme, mais également par l’activation des réseaux familiaux et de connaissances. La grande ville offre donc plus de mobilité et un plus grand portefeuille d’offres d’emplois, mais qui ne se concrétisent pas toujours, à la différence des bassins d’emplois plus petits. En période de récession nationale, ce caractère de la ville moyenne pourrait se transformer en atout, pour peu que les politiques publiques de formation et de renouvellement industriel convergent pour refonder les bases économiques des villes moyennes.

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Carte 11 : Evolution du chômage 1990-1999

La dynamique de l’emploi des cadres : un désavantage structurel mais une évolution positive Pour terminer sur les profils et caractères de l’emploi dans les villes moyennes, on a voulu jeter un pont avec un indicateur qui spécifie généralement les métropoles en examinant le taux de cadres dans l’emploi. Cet indicateur montre clairement le désavantage structurel des villes moyennes. D’abord, l’aire urbaine de Paris capte 42% des cadres de l’ensemble des aires urbaines françaises en 1999. On peut effectivement parler ici d’ « emploi métropolitain » si l’on considère que Paris est, étymologiquement, la seule métropole française. Ensuite, les grandes villes en concentrent le quart, le quart restant se distribuant entre les villes millionnaires et les villes petites et moyennes. Ce caractère de densité de cadres n’est donc pas automatiquement « métropolitain » puisque les villes millionnaires ont autant ou selon l’optique, aussi peu de cadres que les grandes villes moyennes (100 à 200 000 habitants) : 10%. Enfin, l’évolution du nombre de cadres entre 1990 et 1999 modifie quelque peu ce désavantage structurel des villes de province au profit des moyennes grandes villes et des grandes villes moyennes, en particulier la large strate qui va de 100 000 à 1 million d’habitants. Une relative inflexion du mécanisme de concentration des emplois de cadres à Paris est donc à l’œuvre et elle s’expliquerait par l’hémorragie d’emplois hors de l’aire urbaine qui concernerait également les cadres. Des stratégies résidentielles de captation de ces cadres mobiles pourraient alors être déployées par les villes moyennes pour les rendre attractives en dessous du seuil actuel de 100 000 habitants. Ces différentes évolutions démographiques et d’emploi ne nous ont permis d’avancer que des bribes d’hypothèses, en particulier en ce qui concerne l’attractivité résidentielle des villes moyennes ou la substitution du modèle industriel fordiste qui les caractérisait par des nouveaux emplois de services à la population résidente. L’analyse de la dynamique

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économique des villes moyennes à travers l’approche de leurs sources de revenus permet un autre angle d’attaque. Carte12 : Part des cadres dans l’emploi en 1999

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Carte 13 : Evolution des emplois de cadres 1990-1999

La dynamique des revenus : un rattrapage Le revenu par habitant constitue un bon indicateur synthétique du développement des villes et territoires français. Transcendant les cycles erratiques de croissance ou de récession, les disparités de revenu par habitant des villes ont eu tendance à se réduire entre 1984 et 200037. Tableau 4 : Dynamique comparée du revenu des villes moyennes et des autres aires urbaines (1990 -2000)

Strate de population en

1999 Revenu annuel

par habitant 2000

(en euros base 2000)

Var rev /hab 90-2000 (%)

Euros base 2000

Paris 11 431 12,1 Plus d’un million

500 000 à 1 million 8 216 8 314

11,5 12,9

37 Davezies Laurent, La diversité des formes du développement local dans les villes françaises, op.cit

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200 000 à 500 000 7 712 14,7 100 000 à 200 000 50 000 à 100 000 30 000 à 50 000

7 760 7 751 7 704

13,8 15,1 13,4

Moins de 30 000 7 472 14,0 Total aires urbaines 8 766 13,1

Source : Recensements de la population et traitements de Laurent Davezies Trame grise lorsque les performances des villes moyennes sont supérieures à celles de l’ensemble des aires urbaines

Dans ce contexte, comme pour l’emploi des cadres, les villes moyennes souffrent d’un handicap structurel, lié à leur taille, à leurs spécialisations économiques dans les industries fordiste à salaires plus faibles ainsi qu’à leur composante sociale principalement faite de catégories ouvrières et moyennes. Mais elles connaissent aussi un effet de rattrapage dû en particulier à l’arrivée de nouvelles populations retraitées à revenus significatifs et à leurs bonnes performances en matière de chômage. Toutes les villes moyennes voient leurs revenus par habitant croître plus vite que ceux de la moyenne des aires urbaines. Il en est de même d’ailleurs pour les petites villes. Les très grandes villes connaissent une évolution inverse et un émoussement de la croissance de leur revenu par habitant. Cet indicateur, couplé à celui de l’évolution de la population totale et à celle de l’emploi dans les villes moyennes, illustre l’une des formes de leur transition économique et suggère qu’une économie résidentielle liée à la migration de populations nouvelles, en particulier de retraités, se substitue progressivement à une économie traditionnellement productive (schéma 1)38. Schéma 1 : La transition économique des villes moyennes Source : Béhar Daniel, op.cit 38 Ce schéma utilise des données calculées sur la strate des villes moyennes de 20 000 à 150 000 habitants. Voir Béhar Daniel, Les politiques régionales en direction des villes moyennes, op.cit

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2. 2. UNE APPROCHE EN TERMES DE REVENUS Les bases du développement local On a jusqu’à présent, à travers une série d’indicateurs simples, brossé en touches impressionnistes un premier tableau de la dynamique des villes moyennes mises en perspective dans l’ensemble du système urbain. Cette approche en termes de stocks et de strates urbaines révèle une régularité de la résistance des villes moyenne dans le temps, avec une relative amélioration de leur situation, mais également, une irrégularité de leurs comportements selon les plaques territoriales. Il faut en retenir globalement la convergence des fortes disparités entre strates de villes héritées des Trente Glorieuses, ce qui remet en cause certaines idées reçues sur la hiérarchie urbaine. La composition des bases territoriales des revenus Laurent Davezies propose, à partir de l’analyse de la composition des bases de revenus dans les villes, un modèle d’interprétation novateur de développement territorial qui permet de resituer ces grands indicateurs pour mieux comprendre les mécanismes de formation de la richesse locale39. Le point de départ de son analyse est simple : les ingrédients du développement territorial ne sont pas les mêmes selon la focale avec laquelle on les examine. Les bases économiques du développement national, mesuré généralement par le PIB sont de nature différente des bases de développement d’un territoire local. En effet, la base économique d’un territoire est définie par les revenus qu’il capte de l’ « extérieur ». La base nationale est donc déterminée par les revenus qu’elle retire de ses échanges extérieurs, à travers le solde des importations et exportations des biens et services, converti en valeurs monétaires. Pour un territoire local, en l’occurrence, une aire urbaine, l’extérieur se situe à la limite de l’aire urbaine. Le mode de formation de ses revenus est donc composé de tous les revenus « entrants » dans l’aire urbaine, qu’ils viennent de l’espace rural et périurbain qui l’entoure, de la ville voisine, d’une grande métropole, de Paris ou de l’étranger. Ces revenus venant de l’extérieur sont multiples et déterminés par la « présence » dans l’aire urbaine de porteurs de revenus : salaires des résidents de l’aire urbaine n’y travaillant pas, revenus de transferts sociaux des résidents, retraites des résidents, salaires des résidents y travaillant, revenus dépensés pendant leur temps de présence dans l’aire urbaine des français ou étrangers possédant une résidence secondaire, revenus dépensés au prorata de leur temps présence des touristes venant d’autres parties de l’hexagone ou de l’étranger. On comprend bien que cette base du revenu local se partage en deux grandes familles : celle liée à la présence d’entreprises, comme les revenus des salariés du privé vivant et travaillant dans l’aire urbaine, et celle liée à la présence d’habitants n’y travaillant pas, qu’ils soient de passage, temporaires ou définitifs. L’une sera appelée « base productive ». Elle est déterminée par l’attractivité de la ville pour les entreprises, sa compétitivité, les compétences de l’emploi. L’autre sera appelée « base résidentielle ». Elle est déterminée par l’attractivité de la ville pour les résidents, son cadre de vie, son patrimoine, la qualité de l’offre de services, culture, santé, école. Les deux formes de base injectent en sus dans l’économie locale des revenus de 39 Davezies Laurent, La diversité des formes de développement local dans les villes françaises, Laboratoire l’Oeil-Université de Paris XII-Créteil, rapport pour la DATAR, septembre 2003. L’annexe 2 du présent rapport explique en détail les partis pris de construction de la méthode.

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consommation liées aux dépenses effectuées sur place par les détenteurs de revenus et produisant un effet multiplicateur d’emplois et d’autre revenus. Ces revenus relèvent de l’ « économie domestique », ils tournent en circuit court local et ne sont pas de même nature que les revenus captés de l’extérieur. Développement par l’offre compétitive et développement par la demande locale On voit donc que la richesse locale, à la différence de la richesse nationale, n’est pas seulement déterminée par la production locale et sa compétitivité, mais également par des facteurs de localisation des ménages qui diffèrent des facteurs de localisation des entreprises. Deux autres éléments fondamentaux doivent être pris en compte pour comprendre les ressorts du développement local tels qu’ils sont appréhendés par cette méthode. D’abord, le rôle important des dépenses publiques (dépenses de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics) et des transferts sociaux (Sécurité sociale, prestations de chômage, aides sociales et familiales) dans la dépense nationale : ils représentent aujourd’hui 53 % du PIB. Ce sont ces deux sources de revenus locaux qui seront appelés « base publique » et « base sociale ». La géographie des lieux de ces dépenses est presque totalement déconnectée des lieux des prélèvements obligatoires qui les financent. C’est le propre même du mécanisme de la redistribution territoriale. Les territoires les plus productifs contribuent par habitant bien plus que ceux qui ne le sont pas. Les dépenses, elles, sont fonction de la résidence de la population, d’où les importants transferts entre territoires. C’est cette redistribution qui peut expliquer que les régions peu productrices de valeur ajoutée, celles « qui perdent »40 dans la compétition productive ne connaissent pas toujours une baisse corrélative de leurs revenus. Or, vu d’ « en bas », d’un territoire, et en particulier d’un élu local, l’indice de développement est plus souvent le bien être de la population, le niveau de revenu et d’emploi et pas seulement la compétitivité productive. Autrement dit, le modèle macro-économique national est un modèle d’offre compétitive, par les entreprises ou par la compétitivité des territoires41, alors que le modèle macro-économique local est un modèle de demande locale. L’autre grand facteur de séparation entre ces deux types de développement territorial repose sur le découplage de plus en plus important entre les temps et les lieux du travail et les temps et les lieux des loisirs. Les habitants du territoire français passent aujourd’hui 7% de leur temps de vie à travailler. L’allongement de la durée des études, la contraction tout à fait spécifique à la France de la période de vie active (entre 25 et 55 ans en moyenne), la baisse continue de la durée du travail et l’élargissement des périodes de loisirs, l’allongement spectaculaire de l’espérance de vie expliquent cette nouvelle donne temporelle fondamentale pour le territoire. Car, développement de la mobilité aidant, ce découplage des temps se traduit par un découplage des lieux42. Avant, on naissait, vivait et travaillait « au pays ». Aujourd’hui, le nomadisme et le butinage territorial deviennent la norme. Une géographie de la consommation se surimpose donc à une géographie de la production. 40 Benko Georges, Lipietz Alain, Les régions qui gagnent, collection Economie en liberté. PUF. Paris. 1992. 41 Darmon Daniel, La France, puissance industrielle : une nouvelle politique industrielle par les territoires, DATAR-La Documentation Française, Paris, 2004. 42 Davezies Laurent, op.cit.

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Une typologie des trajectoires de développement des villes moyennes selon leur source de revenus Partant de ces hypothèses, le calcul des éléments monétaires des bases économiques des villes françaises en 1999 conduit à proposer une typologie des villes moyennes, toujours en comparaison avec l’ensemble des aires urbaines, sur la base de quatre piliers de l’économie locale : la base productive (qui représente 24,2% des revenus des aires urbaines, dont les salaires du privé qui n’en représentent que 14,7%), la base publique (qui représente 20,9% des revenus totaux), la base résidentielle (qui représente 42,3% des revenus) et la base sociale (qui en représente 12,7%). Le tableau indiquant la composition nationale des bases des revenus de toutes les aires urbaines est donnée en annexe II - tableau 1). Cette typologie fait émerger des « spécialités » de revenus dans les villes, et donc, des types de trajectoires de développement. Ces spécialités sont définies par le fait que le poids de l’une des quatre bases dans les revenus de la ville est supérieur à celui de la moyenne des aires urbaines. Le zoom sur les villes moyennes permet de visualiser leurs situations respectives. Elle est à mettre en relation avec les spécialités de l’ensemble des aires urbaines françaises qui a été affinée et divisée en sept classes qui résultent de la combinaison des quatre classes de base. La composition des revenus des 156 aires urbaines moyennes à partir des quatre bases en 1999 est donnée en annexe III. Carte 14 : Typologie des villes moyennes selon les quatre bases de leurs revenus. 1999.

Source : calculs de Laurent Davezies

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On observe que les villes moyennes productives sont principalement situées dans la moitié nord du territoire, en particulier dans la grande zone de délocalisation industrielle et de localisation des industries fordistes des années soixante autour du bassin parisien. Mais les régions de savoir-faire industriel du nord de la Franche-Comté et de Rhône-Alpes ne sont pas en reste. Elles résultent d’un mélange dû à la présence d’industries de montage automobile comme à Montbéliard et à l’émergence de systèmes productifs locaux comme en Haute Savoie, autour du décolletage en particulier. Dans la moitié sud, seules Rodez et Annonay connaissent une spécialisation productive. Les villes publiques sont principalement les chefs-lieux situées le long de la « diagonale du vide » et dans les départements peu denses du sud-ouest comme si les services publics constituaient le dernier rempart contre la désertification. Cependant, on constate que les villes moyennes, presque toujours chefs-lieux de département ou d’arrondissement, ne sont pas toujours publiques et voient leur économie se diversifier en mutant vers l’économie résidentielle. C’est le cas des zones de haute tension migratoire le long des fleuves et des littoraux, la vallée du Rhône, l’arc méditerranéen, le liseré du littoral breton, mais aussi des zones frontalières du nord, de l’est et de Rhône-Alpes, où les travailleurs transfrontaliers résident et dépensent leurs revenus. Là encore, la loi territoriale s’impose à l’effet de taille. Les villes dont les revenus sont plus puissamment composés de transferts sociaux que la moyenne urbaine sont plus dispersées, mais se trouvent dans un grand arc nord-est qui court de Cherbourg à Epinal, ainsi que dans le centre de la France et en Midi-Pyrénées : elles sont le reflet de la crise des industries traditionnelles et dans certains bassins d’emplois (Basse-Normandie, Centre), de la crise des industries fordistes. Les performances des villes moyennes selon leur type de développement Le tableau 5 reprend les grands indicateurs de stock qui ont permis de dresser un premier bilan de la situation des villes moyennes et permet de les revisiter en fonction de la typologie des bases de leur revenu, donc en fonction de leur type de développement.

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Tableau 5 : Performances des villes moyennes selon leur type de développement Type de ville moyenne

Pop 1999 Var Pop 90-99 (%)

Var Solde migrat 90-99 (%)

Var emplois 90-99 (%)

Var emplois Unedic 90-99 (%)

Var emploi public 90-99 (%)

Var emploi féminin 90-99 (%)

Var chômeurs 90-99(%)

Var emplois cadres 90-99 (%)

Taux cadres dans emplois 1999

Rev/hab 2000

Var rev/hab 1990-2000 (%)

Productif Public Résidentiel Social

2 285 246 666 013 4 597 452 3 758 103

2,7 0,6 3,8 1,1

- 2,1 - 1,4 1,3 - 1,9

5,0 2,8 5,0 3,0

18 19 20 15

- 1 4 - 5 - 3

8 7

12 7

22 12 16 15

19 9 17 14

9,6 10,4

9,9 9,7

8 032 7 896 7 829 7 440

14 15 15 13

Trame en grisé lorsque les villes moyennes connaissent une évolution supérieure à celle de l’ensemble des aires urbaines Source : RGP 1990 et 1999, Direction des Impôts - Traitements de Laurent Davezies

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On retrouve ici le fait que, sur la plupart des indicateurs d’emploi (et surtout de chômage), les villes moyennes connaissent des performances supérieures à celles de la moyenne des aires urbaines françaises, alors qu’en termes de population ou de solde migratoire, leur situation tend à stagner, bien qu’elle soit plus positive que celle des grandes villes. En termes de croissance de la population et d’attractivité migratoire, ce sont seulement les villes résidentielles qui connaissent des croissances fortes, mais inférieures à la moyenne des aires urbaines. On savait que l’emploi productif « tirait » le développement économique urbain, mais on voit ici la confirmation d’une nouvelle dynamique. Les villes résidentielles et même publiques ont des performances supérieures aux villes productives en matière de création d’emplois privés, ce qui signifie que les revenus qu’elles attirent sont producteurs d’autres emplois privés, en particulier de services à la population. La résistance de tous les types de villes moyennes dans l’évolution de l’emploi public n’est pas une découverte, non plus que leur véritable exploit dans le domaine de la résorption du chômage. Ce qui est moins attendu en revanche, c’est la capacité d’attraction des cadres pour les villes moyennes de type productif et résidentiel. Pour ce qui est des villes productives, il semble que leur appareil productif suive la mutation générale vers l’intellectualisation des tâches. Pour ce que est des villes résidentielles, il semble que les villes moyennes attirent désormais des cadres non seulement pour des raisons d’employabilité mais également pour des raisons de qualité de vie. Tous ces changements structurels que connaît l’économie des villes moyennes ont des effets sur l’évolution de leurs revenus. Comme on l’a déjà vu, quelque soit leur type de développement, toutes les villes moyennes connaissent entre 1990 et 1999 une évolution de leur revenu supérieur à celle de l’ensemble des aires urbaines, amorçant ainsi un processus de rattrapage. Autrement dit, les villes moyennes, historiquement sièges de fonctions administratives ou berceaux de l’industrie traditionnelle, puis dotées de fonctions productives de type fordiste, sont en passe de connaître une deuxième mutation économique : leur fonction résidentielle devient productive d’emplois et de revenus. Elle se sédimente à leurs autres fonctions pour offrir un tableau économique du système urbain beaucoup plus complexe que celui de la hiérarchie urbaine et de la métropolisation voudrait le laisser croire. Des combinaisons de trajectoires de développement multiples et variées La carte 15 donne un aperçu exhaustif de toutes les aires urbaines et les classe en sept types construits à partir des quatre types de base. On peut y voir la sédimentation historique des différents modes de développement qui s’opère dans les villes en général et les villes moyennes en particulier, selon les grandes plaques territoriales dans lesquelles elles s’inscrivent.

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Carte 15 : Typologie des composantes du revenu de toutes les aires urbaines en sept classes combinant les quatre classes de base.

Sans couleur : bases équilibrées sans dominantes (Angoulême, Epinal, Montauban, Niort) Source : Traitements de Laurent Davezies Les villes strictement productives se retrouvent dans l’arc nord-est avec Saint Omer ou Montbéliard ou dans les districts industriels locaux (Oyonnax). Une combinaison du productif et du résidentiel s’opère dans les villes moyennes comme Annecy qui associe production compétitive et attraction touristique, ainsi qu’à Compiègne qui joue les fonctions de « back office » industriel de la région parisienne tout en assurant des fonctions de résidence pour des actifs travaillant dans cette même région parisienne ou pour des étudiants (présence d’une université technologique). Le type public-résidentiel concerne très largement les villes moyennes : les villes de ce type sont plutôt situées dans le sud ou le long de la diagonale des faibles densités. On constate (annexe III) que le type de développement le plus fréquent est celui du modèle résidentiel. Celui-ci, pour une meilleure compréhension des processus de développement local, a été subdivisé en modèle « résidentiel-actifs » et modèle « résidentiel » pur : le premier s’appuie principalement sur la fonction de résidence ou de « dortoir » pour les actifs travaillant hors de l’aire urbaine, le second est attractif pour des résidents non actifs, résidents secondaires, retraités ou touristes. On veut souligner ici que cette décomposition du modèle résidentiel n’implique aucun jugement de valeur sur ce que seraient les « meilleurs » ingrédients du développement local. Les résidents travaillant hors de l’aire urbaine peuvent

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constituer d’énormes sources de revenus pour une ville, ce qui est le cas par exemple pour les zones transfrontalières (Nord, Lorraine, Alsace) ou pour les villes accueillant des cadres dotés de hauts revenus. La fonction de dortoir n’est donc pas toujours négative. Ces villes moyennes se retrouvent aussi bien dans des régions de tradition industrielle ancienne (Thionville, Colmar) que proches de grands pôles d’emplois comme Lyon. A l’inverse, les villes moyennes purement résidentielles tirent l’essentiel de leurs revenus des pensions de retraite et des dépenses touristiques. Elles se situent plutôt sur le littoral ou dans les zones de montagne et plutôt au sud qu’au nord du territoire. 2. 3. UNE APPROCHE EN TERMES DE FONCTIONS Spécialisations des emplois : la transition fonctionnelle Nous avons vu que l’économie des villes moyennes connaissait une transition importante et que l’économie résidentielle activée par l’arrivée de populations nouvelles est devenue un moteur de leur développement au même titre, sinon plus, que l’économie productive que l’on a classiquement l’habitude d’analyser dans la tradition de la géographie économique43. Toutefois, avant d’analyser les flux entre villes qui permettront de voir le mode d’insertion des villes moyennes dans le système urbain, puis le système territorial, on voudrait compléter le tableau des voies de développement possibles pour les ville moyennes en adoptant une autre méthode, celle des spécialisations sectorielles et fonctionnelles de leur emploi. Ainsi, le diagnostic sera complet et les acteurs locaux pourront disposer d’informations qui leur permettent de situer leur ville dans toutes ses composantes, résidentielle et productive, industrielle et servicielle, fonctions, qualifications et emplois stratégiques. Les politiques publiques locales de développement seront alors en mesure de disposer des éléments d’analyse les plus complets et d’opérer les combinaisons les plus adéquates. Les spécialisations en termes de secteurs d’activités : trois coupures Une approche classique de l’économie urbaine consiste à identifier les portefeuilles d’activités des villes par secteur, autrement dit, les spécialisations sectorielles de leur emploi. Les emplois étudiés sont en général ceux des actifs occupés repérés sur leur lieu de résidence et non sur leur lieu de travail. Cette analyse privilégie donc les secteurs d’emploi observés dans les bassins de résidence et non dans les bassins d’emplois. Ceci présente l’avantage d’intégrer l’économie résidentielle dans la dynamique économique d’une aire urbaine, mais non de détecter précisément les lieux d’emploi des actifs. La composition des secteurs d’activités retenus44 intègre d’ailleurs des secteurs comme les « activités récréatives, culturelles et sportives » qui rendent compte de la dimension non productive du développement. Cette analyse de la composition sectorielle de l’emploi a été réalisée sur l’ensemble des 354 aires

43 Benko Georges, Lipietz Alain, La richesse des régions, la nouvelle géographie socio-économique, collection Economie en liberté. PUF. Paris. 2000. 44 en 36 postes de la Nomenclature économique de synthèse – NES –constituant l’un des regroupements des 700 postes de la NAF – Nomenclature des activités françaises – dont il a été par convention exclu le secteur « agriculture, sylviculture et pêche » étant donné son caractère non spécifiquement urbain. Cela étant dit, les aires urbaines intégrant une partie périurbaine peuvent abriter un ncertain nombre d’emplois de l’agriculture périurbaines (maraîchage en particulier), mais ceux-ci sont exclus de cette analyse.

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urbaines en 199945. Elle permet de mettre en lumière une première forme simple de spécialisation des villes moyennes. La principale coupure entre villes françaises oppose les villes industrielles aux villes de services et de commerces. Les villes moyennes sont prises dans le même mouvement et la loi territoriale joue ici toujours. Les villes moyennes industrielles se concentrent dans les régions d’industrie ancienne du nord-est, de savoir-faire industriel d’Alsace et de Rhône-Alpes, dans les franges des auréoles du bassin parisien et dans ses marches de l’ouest, avec les industries fordistes et leurs sous-traitants. On y voit émerger dans l’industrie un secteur dit de « services opérationnels » constitués de travailleurs temporaires, d’agents de sécurité et de nettoyage. A l’opposé, les villes moyennes tertiaires voient le plus gros de leurs emplois regroupés dans les secteurs de services à la population, avec l’administration, le commerce de détail, les services personnels, l’éducation et la santé (y compris l’aide sociale). Elles se situent davantage dans la moitié sud du pays et elles sont bien réparties du fait de leur fonction de chefs-lieux. Une deuxième dimension oppose, au sein des fonctions tertiaires, les villes (y compris les villes moyennes) ludiques et culturelles aux villes animatrices de services et administratives, autrement dit, les villes touristiques et les villes d’Etat. Les premières se trouvent concentrées dans la France des frontières de l’est et sur les littoraux. L’attraction touristique des villes moyennes du sud de l’Alsace et des vallées de la Savoie est à cet égard très frappante. Celles des villes méditerranéennes ne sont plus à démontrer. A l’opposé, les villes administratives et d’activités para publiques sont toujours bien réparties sur le territoire et se situent au cœur des départements. Enfin, une troisième dimension, moins significative, oppose les villes à forte composante de services aux entreprises et de recherche-développement aux villes d’activités plus « traditionnelles » de commerce et de services aux particuliers. Là, l’effet de taille joue à plein : les plus grandes villes sont privilégiées dans les services spécialisés aux entreprises, qui sont alors qualifiés de « services métropolitains ». Les seules villes moyennes qui émergent dans ces services innovants sont celles tirées par leur attractivité résidentielle : pourtour du Bassin parisien, villes de la façade méditerranéenne et des vallées alpines. Il n’est pas étonnant que par construction (actifs au lieu de résidence), certaines villes moyennes connaissent une spécialisation pointue dans les nouveaux services aux entreprises. Cela peut vouloir dire que dans certains cas, ces emplois sont exercés sur place (systèmes productifs des vallées de Savoie), mais que dans d’autres, ils sont exercés à l’extérieur de l’aire urbaine, même si les cadres et chercheurs concernés habitent dans l’aire urbaine : s’ils y résident, leurs revenus élevés sont largement dépensés sur place, ce qui produit un effet multiplicateur d’autres types d’emplois. Par ailleurs, la notion « d’activités traditionnelles » est à relativiser : si effectivement, les villes moyennes jouent traditionnellement une fonction de services à la population, on sait que dans le cadre de la dilatation périurbaine, les profils de ces populations ont changé et qu’elles demandent des types de services nouveaux. La transition économique touche donc autant les services aux publics que les services aux entreprises. L’approche des villes en termes de secteurs d’activités les plus représentés doit donc être combinée avec une approche par les revenus si l’on veut bien comprendre les mécanismes locaux du développement. De même, la faiblesse des villes moyennes dans les nouveaux services aux entreprises doit être prise en compte de manière réaliste pour définir leurs marges

45 Paulus Fabien, « La structure économique du système des villes en 1999 », Données urbaines 4, op.cit

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de manœuvre économiques possibles, mais sans rester uniquement attaché au système productif pur et sans oublier l’effet de l’attraction résidentielle des emplois qualifiés du système productif sur l’économie locale. Les spécialisations fonctionnelles des villes et des villes moyennes en particulier Une approche moins classique de la composition des emplois d’une aire urbaine permet de les définir non plus par leur secteur d’activité, dont la grande division ternaire (agriculture-industrie-services) est à présent largement obsolète, mais par un croisement entre secteur d’activité et qualification individuelle ou métier : on les dénomme « fonctions » car elles rendent comptent de la fonction exercée par le détenteur d’emploi dans le système d’activités, qui est largement déterminée en France par son niveau de diplôme et sa qualification. Une seconde lecture, plus qualitative, de la spécialisation des villes moyennes est donc introduite par cette notion de portefeuille de fonctions détenu par les villes. Cette approche conceptuelle et la classification des emplois par fonctions a été mise au point par le géographe Félix Damette dans les années quatre-vingt dix pour appréhender la division du travail sur l’espace, autrement dit, les spécialisations fonctionnelles des territoires46. Cette grille d’analyse a été reprise, appliquée aux aires urbaines en 1999 et rétroactivée sur la base du découpage des aires urbaines pour les recensements de 1982 et 1990, de manière à suivre de près les transformations des spécialisations territoriales de l’emploi47. On peut remarquer que, bien que les emplois et activités de la classification concernent le secteur privé et public, la plupart des conclusions et analyses focalisent sur les mutations de l’appareil productif et laissent dans l’ombre les fonctions collectives ou de « développement humain » dont on a vu qu’elles constituaient souvent un moteur de l’économie résidentielle et du développement local. Or, quelles sont les principales mutations des fonctions de l’emploi intervenues depuis 1982 dans les villes ? On constate tout d’abord que la distribution des emplois des aires urbaines selon 14 fonctions reste assez équilibrée, la fonction la plus importante, la fonction « gestion »48, ne dépassant pas 20 % des emplois de l’ensemble des aires urbaines étudiées en 1999. Les villes ne sont donc plus condamnées à se spécialiser dans une fonction, à la différence de leur ancienne spécialisation sectorielle. C’est une bonne nouvelle pour leurs stratégies de développement futures, car elles ont souvent eu ou ont encore à gérer les contre coups d’une mono activité industrielle, militaire ou tertiaire (fermeture d’un service public gros employeur local). Cependant, depuis 1982, ces fonctions urbaines ont vu leur poids respectif se modifier sensiblement. On peut remarquer le déclin inexorable des fonctions de production concrète, qui se traduit par un chute des emplois de fabrication de près de 1,4 millions.

46 Damette Félix, La division spatiale du travail, DATAR, 1991 et La France en villes, DATAR-La Documentation Française, Paris, 1994. Voir aussi Beckouche Pierre, Damette Félix, « Une grille d’analyse globale de l’emploi », Economie et Statistique, n° 270, INSEE, Paris, 1993. 47 Halbert Ludovic, La spécialisation économique des villes françaises, document établi à partir de sa thèse par Garreau Pascal, DATAR, juin 2004. Il est à préciser que les aires urbaines considérées sont uniquement les aires urbaines disposant de plus de 10 000 emplois, c’est-à-dire 227 aire urbaines sur les 354 du recensement de 1999. 48 Voir le tableau des 14 fonctions et des 4 grandes fonctions de regroupement en annexe IV.

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Schéma 2 : Variation des emplois urbains selon les 14 fonctions (1982-1990 et 1990-1999)

Ces constats sont dorénavant bien connus et confirment la véritable transition fonctionnelle qui touche l’emploi des villes françaises : réhaussement des diplômes et de la qualification, glissement d’une économie de fabrication vers une économie de conception, rôle stratégique de l’organisation des firmes. La fonction de gestion et d’organisation de la production est non seulement devenue stratégique, mais elle constitue la fonction la plus lourde d’emplois, entraînant avec elle des fonctions comme le marketing et la logistique. Ce n’est pourtant pas celle qui a crû le plus dans les quinze dernières années. On veut souligner ici un fait qui est bien moins connu et qui ne concerne pas l’appareil productif : ce sont les fonctions de la culture, de la justice, de la santé, de l’éducation et de l’administration publique qui ont le plus augmenté leurs effectifs dans les aires urbaines, en particulier les métiers de la culture qui connaissent un véritable boom. On voit là apparaître les effets structurels du vieillissement, de la mobilité et de l’augmentation des temps de loisirs, tous facteurs favorables au développement de l’économie résidentielle et tous facteurs largement favorables aux villes moyennes. Le profil fonctionnel des villes moyennes : fabrication, fonctions de circulation, fonctions collectives et …culture La carte 16 fait apparaître le nombre d’emplois et le profil fonctionnel dominant des villes moyennes. On y observe que les fonctions de production concrète y sont encore, contrairement à la tendance nationale, très largement représentées, en particulier dans les trois-quarts nord du territoire. La présence récurrente de cette fonction manufacturière résulte du poids de l’histoire et de la permanence des industries traditionnelles, mais également des fabrications fordistes. Il est intéressant à cet égard de constater que globalement, plus les villes

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moyennes sont éloignées des grandes villes, plus la présence de leur fonctions de fabrication s’étiole49, montrant bien la complémentarité entre les fonctions de conception et d’organisation de la production dans les grandes villes avec les fonctions concrètes dans les villes moyennes et petites, ce qui illustre la division spatiale du travail héritée du fordisme. Mais dans l’arc nord-est et les lisérés littoraux de la Normandie et de la Bretagne, régions pourtant de forte délocalisation industrielle, s’y substituent peu à peu des emplois tournés vers les fonctions collectives : des fonctions de santé, d’action sociale et d’éducations liées à la densité de population, mais également des fonctions culturelles liées à la volonté de valorisation du patrimoine local. Il semble bien que cet appétit pour la consommation culturelle touche tout les territoires : le secteur de la culture et les industries culturelles deviennent un moteur non négligeable du développement économique local50. Carte 16 : Le profil fonctionnel dominant de l’emploi des villes moyennes en 1999

49 Halbert Ludovic, Densité, desserrement, polycentrisme et transformation des aires métropolitaines, thèse de doctorat de l’université de Paris I, Paris, 2004. 50 Greffe Xavier, La place des industries culturelles et de la créativité en France, Rapport pour la DATAR, avril 2004.

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Les cartes 17, 18, 19, 20 et 21 montrent les grandes spécialisations fonctionnelles des villes moyennes calculées à partir de leur indice de présence51. Les fonctions de fabrication sont très présentes puisqu’elles correspondent à la vocation qu’on leur avait assignées dans la période fordiste. Les fonctions de distribution et de logistique qui révèlent la manière dont les entreprises accèdent aux marchés de consommation a été retenue pour suggérer les potentialités de villes moyennes dans cette fonction de la circulation économique. Elles sont placées au cœur de l’économie de la consommation et ne font pas obligatoirement appel à des emplois très qualifiés. Elles représentent donc un premier gisement d’emplois pour les villes moyennes dans le domaine de l’économie productive. Les fonctions collectives ont également été visualisées (éducation, culture, action sociale, administration). Au sein de ces fonctions, on remarque le paradoxe culturel français : la fonction culturelle est largement représentée dans les villes moyennes et sur l’ensemble du territoire; ses emplois sont relativement importants, mais la spécialisation des villes moyennes (et de toutes les autres strates de villes) dans cette fonction est faible du fait de son accaparement quasi intégral par Paris. L’ensemble de ces fonctions sociales et résidentielles correspondent aux nouvelles localisations des populations et à l’expression de leurs besoins et exigences de services. Cartes 17 et 18 : Les emplois de fabrication et de logistique dans les villes moyennes en 1999

51 L’ « indice de présence » définit l’importance respective des 14 fonctions dans les emplois de chaque aire urbaine relativisée par le poids de chaque fonction au niveau national. Il est calculé comme le rapport entre le poids de la fonction dans l’emploi de l’aire urbaine et le poids de cette même fonction dans l’emploi total de l’ensemble des aires urbaines étudiées (227 de plus de 10 000 emplois). Une valeur 100 indique un poids de la fonction dans l’aire urbaine identique à la moyenne, une valeur supérieure indique une sur représentation, une valeur inférieure une sous représentation. Halbert Ludovic, Garreau Pascal, Les spécialisations économiques des villes françaises, op.cit.

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Cartes 19 et 20 : Les emplois de santé-action sociale et d’éducation dans les villes moyennes en 1999

Carte 22 : Les emplois de la culture dans les villes moyennes en 1999

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Les emplois « stratégiques » : un indicateur du potentiel d’intermédiation et de coopération Ce sont les fonctions de conception qui génèrent la fracture la plus profonde entre grandes villes et villes moyennes. Ces fonctions semblent être les plus discriminantes et suivre une logique de polarisation. On observe dans ce domaine une coupure entre d’un côté la métropole parisienne et le reste du territoire, et de l’autre, les grandes villes, celles supérieurs à 200 000 habitants et les villes moyennes et petites, qui n’abritent respectivement pas le même poids de fonctions de conception, mais dont les taux d’évolution depuis 1982 sont du même ordre. Le glissement de l’emploi vers l’économie cognitive est donc général même si Paris en premier lieu, puis les grandes villes, détiennent un avantage comparatif certain. On a donc voulu regarder de plus près le poids de ces fonctions considérées comme « stratégiques »52 dans les villes moyennes, leurs spécificités et leur évolution. Elles peuvent rendre compte du développement de l’économie de la connaissance en amont (dans le secteur public comme privé) et des fonctions directionnelles d’organisation de la production ou d’organisation des échanges en aval. S’y ajoutent les fonctions artistiques et de création qui constituent également l’un des éléments fondateurs de la transition fonctionnelle de l’emploi : elles illustrent le passage d’une ère où le travail était dominant vers une ère où le travail est concilié avec le temps hors travail et les loisirs. Ce coup de projecteur sur les fonctions stratégiques de l’emploi est intéressant à plus d’un titre. D’abord pour construire des trajectoires de développement pour les villes moyennes, dans la mesure où le rôle d’intermédiation que l’on souhaite leur voir jouer sont largement tributaires de la présence ou du développement de ces fonctions. Ensuite, pour évaluer le degré de « polycentrisme » des systèmes urbains régionaux. Cet indicateur d’emplois stratégiques rend en effet particulièrement bien compte de la morphologie du système urbain et de sa déformation possible : il y a des régions où ces emplois sont concentrés dans la grande ville « dominante », d’autres où ils sont plus dispersés dans le réseau des villes moyennes. La connaissance de ces « grappes de villes » disposant conjointement d’emplois stratégiques est donc précieuse pour faire émerger des « réseaux de villes » proches et suggérer des coopérations possibles entre grandes villes et villes moyennes. Il faut cependant garder à l’esprit que cet indicateur a été construit dans une optique d’emplois dits « supérieurs », donc par essence polarisés dans les grandes villes. 52 Le tableau des 12 fonctions qui constituent l’emploi stratégique est donné en annexe V. Il a été défini pour le recensement de 1990 par Philippe Julien, actuellement à la direction régionale de l’INSEE PACA. Voir Julien Philippe, « Les fonctions stratégiques dans cinquante villes de France », INSEE Première, n° 300, 1994 et « Spécificité des grandes villes de province », Economie et Statistiques, n° 294-295, 1996. Voir également Julien Philippe et Pumain Denise, « Fonctions stratégiques et images des villes », Economie et Statistiques, n° 294-295, 1996, qui ont construit des corrélations entre la présence d’emplois stratégiques dans les villes et d’autres indicateurs urbains comme les salaires et les revenus, le chômage, le solde migratoire, les prix des logements et des bureaux. Par la suite, la fonction de recherche qui était décomposée en recherche publique et recherche privée n’a plus constitué qu’une seule catégorie. Les cartes et tableaux des emplois stratégiques en 1999 sont donc calculés sur 11 fonctions stratégiques.

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La concentration parisienne, la place ténue des villes moyennes En vue de cerner la place des emplois stratégiques dans les villes et pour comparer la situation des villes moyennes à celle des grandes villes, on a par convention retenu dans l’échantillon d’analyse toutes les aires urbaines de plus de 30 000 habitants disposant de plus de 10 000 emplois53 et abritant plus de 1 000 emplois stratégiques. Pour prendre en compte la spécificité fonctionnelle de la plupart des villes moyennes qui sont des chefs lieux administratifs, on y a rajouté toutes les préfectures de département même si elles ne disposaient pas de l’ensemble de ces trois critères. L’objectif est ici de voir la place des fonctions directionnelles et d’intermédiation dans les villes, mais également de voir si se dégagent des proximités régionales ou des grappes de villes permettant de bâtir des coopérations futures. La localisation des emplois stratégiques des aires urbaines en 1999 consacre la suprématie parisienne et le haut degré de primatie de la capitale sur l’ensemble du territoire national. Entre l’aire urbaine de Paris et la deuxième aire urbaine qui abrite le plus d’emplois stratégiques, le rapport varie de 1 à 10 (environ 820 000 emplois stratégiques à Paris et 82 000 à Lyon). Ce fait confirme que la seule métropole française est encore pour le moment Paris et que ce type d’emploi est encore plus « parisien » que « métropolitain », même si au deuxième niveau, ce sont les grandes villes qui émergent, en particulier les métropoles d’équilibre. On voit en complément surgir au sud des grandes villes comme Montpellier et Nice (carte 23). En comparaison, les villes moyennes sont très effacées, aussi bien en nombre d’emplois stratégiques qu’en pourcentage de ce type d’emploi dans leur emploi total. L’effet de taille joue ici à plein comme on l’a déjà vu pour les fonctions de conception. L’emploi stratégique, tout comme les nœuds de transport, constitue l’un des deux seuls facteurs discriminants les villes par leur taille. Les villes moyennes représentent en effet 25,4 % de la population des aires urbaines, 24,9 % de leur emploi, mais 12,7 % des emplois stratégiques, alors que les grandes villes (Paris et les plus de 200 000) en condensent 84,9 %. Les villes moyennes les mieux dotées se situent dans le sud Alsace et en Franche-Comté, dans les vallées alpines, dans la vallée du Rhône et la façade méditerranéenne ainsi que dans les villes du grand ouest et du Centre largement bénéficiaires des politiques publiques de délocalisation (Lannion, Bourges). Il s’agit donc d’un mélange de dynamiques privées et publiques, de déterminants productifs et résidentiels. 53Au lieu de travail puisque l’analyse des emplois stratégiques dérive de l’analyse de l’emploi par fonctions. Les calculs sur cet échantillon ont été effectués par Olivier Marouteix, chargé de mission à la DATAR.

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Carte 23 : Les emplois stratégiques dans les villes moyennes et grandes en 1999

Le rattrapage relatif des villes moyennes En termes d’évolution entre 1990 et 1999, on constate un léger rattrapage des villes moyennes par rapport aux grandes, et ceci dans les villes moyennes qui disposent déjà d’un nombre significatif d’emplois stratégiques.

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Carte 24 : L’évolution 1990-1999 des emplois stratégiques dans les villes moyenne et grandes

Une double loi territoriale se fait ici jour : la situation de l’emploi stratégique dans les villes moyennes est principalement déterminée par leur appartenance à des zones dynamiques et au sein de ces zones, il semble apparaître de manière ténue un phénomène de vases communicants : en général, ce sont dans les villes moyennes situées dans le pourtour des grandes villes que le rattrapage est le plus évident, au détriment parfois des emplois stratégiques de la grande ville. Il faut cependant prendre garde à un effet statistique qui peut être trompeur : sur des petits chiffres d’emplois stratégiques, une légère augmentation donne des taux d’évolution élevés. Le schéma 3 montre les régions où ce rattrapage est le plus visible : Franche-Comté, Midi-Pyrénées et les régions de délocalisation industrielle de l’ouest.

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Schéma 3 : Le rattrapage des villes moyennes selon les régions

Evolution comparée des EMS entre 1990 et 1999 (%)

Île-de-France

Champagne-Ardenne

Picardie

Haute-Normandie

Centre

Basse-Normandie

BourgogneNord-Pas-de-Calais

Lorraine

Alsace

Franche-Comté

Pays de la Loire

Bretagne

Poitou-Charentes

Aquitaine

Midi-Pyrénées

Limousin Rhône-Alpes

Auvergne

Languedoc-RoussillonPACA

Corse

0,0

5,0

10,0

15,0

20,0

25,0

30,0

35,0

0,0 5,0 10,0 15,0 20,0 25,0 30,0 35,0 40,0Grandes AU

AU

moy

enne

s

Source : RGP 1990 et 19999 – Traitements d’Olivier Marouteix Des villes moyennes aux fonctions spécialisées On se souvient qu’en termes de fonctions de leur emploi, les villes moyennes sont plutôt spécialisées dans la fabrication et les fonctions collectives. Au sein des emplois stratégiques qu’elles détiennent et dont le stock est relativement faible bien qu’en croissance, c’est la fonction de gestion qui spécifie le plus les villes moyennes : elles détiennent 21,3 % des emplois de cette fonction pour l’ensemble des aires urbaines. Elles sont donc relativement spécialisées dans la gestion, ce qui n’est pas étonnant compte tenu du fait que les fonctions concrètes nécessitent des fonctions d’organisation de la production. Suivent de près et logiquement les fonctions de télécommunications et de marketing inhérentes à l’organisation des entreprises manufacturières dans l’économie moderne. On observe ensuite la place de recours commercial des villes moyennes pour leur environnement résidentiel et rural, ainsi que le poids de la création artistique. Les emplois stratégiques de services productifs sont peu présents, ce qui accrédite deux hypothèses : d’un côté, les services pointus aux entreprises sont plutôt exercés dans les grandes villes, de l’autre, les services à la population, qui sont nombreux dans les villes moyennes, connaissent de faibles qualifications. Alors que les grandes villes abritent des emplois stratégiques dans toutes les fonctions et sont plutôt généralistes, les trajectoires de développement des villes moyennes doivent s’appuyer, elles, sur des fonctions plus spécialisées. Le rehaussement des

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qualifications et de la qualité des nouveaux services à la population et aux entreprises constituent donc un champ d’investissement et un défi à relever pour elles. Tableau 6 : Part des villes moyennes dans les 11 fonctions stratégiques des aires urbaines étudiées (AU moyennes et grandes en 1999)

Fonction stratégique

En % Gestion 21,3 Télécommunication 16,0 Commercial-industrie 15,3 Commerce 15,2 Transport 14,2 Art 13,8 Banque -assurance 13,4 Recherche (industrielle et publique) 10,2 Services 10,2 Informatique 9,6 Information 9,3

Source : RGP 1999 – Traitements d’Olivier Marouteix

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Carte 26 : Les emplois stratégiques et leurs fonctions dominantes

Les emplois stratégiques pour dessiner la morphologie des systèmes urbains régionaux On a vu que les emplois stratégiques illustrent parfaitement le degré de primatie de la métropole parisienne sur l’ensemble du territoire. Ils peuvent donc illustrer de la même manière le degré de polarisation ou de polycentrisme des systèmes urbains régionaux54. Plus ces fonctions sont réparties entre grandes villes et villes moyennes d’une région, mieux des réseaux de coopération politique entre ces deux types de villes pourront s’appuyer sur des bases réalistes et des intérêts partagés. Ce parti pris d’analyse des systèmes urbains à l’échelle régionale connaît cependant une limite importante : il part du postulat que les villes moyennes et les grandes villes s’organisent et échangent à l’intérieur des frontières régionales, ce qui constitue évidemment une abstraction. On verra que les flux entre villes privilégient les échanges de proximité et contournent aussi bien les grandes villes que les frontières régionales : on échange souvent 54 Bessy Pascale, Marouteix Olivier, Approche des systèmes urbains par les emplois métropolitains supérieurs, quelques éléments de cadrage et de réflexion, note de travail, DATAR, février 2003.

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entre villes proches de part et d’autre de la frontière régionale : c’est le cas typique de Pau et Tarbes pour les relations universitaires par exemple. Cependant, on a considéré que même avec cette restriction, l’observation de la distribution des emplois stratégiques entre villes moyennes et grandes villes d’une région donnait des indications intéressantes. Tableau 7 : Partage des emplois stratégiques entre la/les grandes villes et les villes moyennes par région

Région Nombre de grandes

villes Part Nombre de

villes Part villes

(>200 000 hab) Grande(s)

ville(s) (en %) moyennes moyennes

(%) PACA 4 92 11 8 Nord-Pas-de-Calais 5 84 8 16 Alsace 2 84 5 16 Aquitaine 3 84 8 16 Midi-Pyrénées 1 82 8 18 Pays de la Loire 3 80 6 20 Languedoc-Roussillon 3 80 6 20 Rhône-Alpes 4 76 23 24 Lorraine 2 74 10 26 Haute-Normandie 2 73 7 27 Auvergne 1 71 5 29 Limousin 1 69 3 31 Basse-Normandie 1 66 5 34 Centre 2 63 8 37 Bretagne 2 61 9 39 Bourgogne 1 49 8 51 Champagne-Ardenne 1 48 8 52 Franche-Comté 1 39 5 61 Picardie 1 32 9 68 Poitou-Charentes 1 29 8 71 Corse 0 0 2 100

Source : RGP 1999 - Traitements d’Olivier Marouteix On observe sur le tableau 7 que les régions les plus polarisées par leurs grandes villes au sens de la captation d’emplois stratégiques sont généralement situées au sud ainsi que dans les régions du nord-est : au sud, la vieille tradition latine de polarisation urbaine et de fonctions tertiaires semble se renouveler avec les nouvelles fonctions productives et résidentielles. Sur l’arc nord-est, c’est au contraire une nouvelle forme urbaine tertiaire et polarisante qui se substitue à la tradition industrielle de dissémination territoriale. Pour le Nord-Pas-de-Calais, la densité et l’étalement urbains induisent en sus un effet mécanique de constitution de grandes nébuleuses urbaines, avec une faible présence de villes moyennes. A l’inverse, les régions du pourtour du Bassin parisien (Picardie, Champagne-Ardenne) sont peu polarisées par leur

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unique grande ville et laissent une place à leurs villes moyennes : mais le nombre d’emplois stratégiques y est faible, du fait de l’effet d’ « éclipse » provoqué par la polarisation de la métropole parisienne. Seules les régions du Grand ouest, Bretagne, Poitou-Charentes, Centre (hors les Pays de la Loire polarisés par Nantes) et la Bourgogne connaissent une place forte de leurs villes moyennes pour les fonctions directionnelles, en complément de leur grande ville. (tableau 8). Tableau 8 : Nombre d’aires urbaines concentrant environ 80 % des emplois stratégiques de la région Nombre total Dont

d'aires

urbaines Nombre de

grandes villes Nombre de villes (>200 000 hab) moyennes Picardie 5 1 4 Champagne-Ardenne 4 1 3 Bourgogne 4 1 3 Bretagne 5 2 3 Poitou-Charentes 4 1 3 Centre 4 2 2 Franche-Comté 3 1 2 Corse 2 0 2 Haute-Normandie 3 2 1 Basse-Normandie 2 1 1 Lorraine 3 2 1 Limousin 2 1 1 Rhône-Alpes 5 4 1 Auvergne 2 1 1 Nord-Pas-de-Calais 4 4 0 Alsace 2 2 0 Pays de la Loire 3 3 0 Aquitaine 3 3 0 Midi-Pyrénées 1 1 0 Languedoc-Roussillon 3 3 0 Provence-Alpes-Côte d'Azur 2 2 0

Source : RGP 1999 – Traitements d’Olivier Marouteix L’analyse des emplois stratégiques, ceux qui rendent compte du développement des fonctions cognitives, d’organisation, d’information et de création ouvre pour les villes moyennes des perspectives intéressantes, même si elles ne doivent pas se focaliser uniquement sur ce type d’emplois qui, par construction, est polarisateur. Leur présence permet d’avoir une indication sur les potentiels d’intermédiation territoriale des villes moyennes, de mesurer les fonctions qu’elles ont l’obligation de d’exercer ou de rehausser si elles veulent conforter leur fonction

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de recours en services rares pour les nouveaux habitants et entreprises de leur pourtour périurbain et rural. Ils donnent également une image réaliste des potentiels de coopération entre grandes villes et villes moyennes et dessinent les contours de système urbains régionaux en devenir. L’approche de la position des villes moyennes selon les fonctions exercées par leur emploi apporte ainsi un complément qualitatif et stratégique au diagnostic de leur portefeuille sectoriel d’activités. 2. 4. UNE APPROCHE EN TERMES DE FLUX L’équilibre du système territorial On a déjà évoqué le processus de transition démographique qui oblige à abandonner la vision hiérarchique du système urbain pour envisager son remodelage en grandes « plaques territoriales » dont la dynamique, qu’elle soit de haute tension ou de basse tension migratoire, concerne tous les espaces qui les composent, milieu rural, petites villes, villes moyennes et grandes. Les hypothèses qui viennent d’être proposées à l’occasion de l’analyse de la composition des revenus ou des transformations fonctionnelles des villes sont largement appuyées sur l’observation de l’étalement urbain et des échanges entre espace urbain et espace rural. Les échanges de population à l’intérieur du système urbain proprement dit, c'est-à-dire, entre aires urbaines à l’exclusion des espaces ruraux, n’en sont pas moins importants. Ils peuvent également conforter l’idée selon laquelle le concept de hiérarchie urbaine est de moins en moins opératoire. On s’efforcera donc de situer la place des villes moyennes dans le tourbillon des échanges de population entre territoires selon deux angles principaux : un premier angle circonscrit au système de villes qui analyse les migrations de résidence définitives entre aires urbaines et un deuxième angle, plus territorial, qui analyse les déplacements quotidiens entre domicile et travail se déployant entre villes et entre villes et espace rural. Des flux volatils, des indicateurs de flux à inventer Il est à remarquer que les indicateurs statistiques de stocks sont toujours plus facilement disponibles que les indicateurs de flux, bien que les théories économiques et de géographie urbaine fassent largement appel aux notions de flux, de réseaux et de système. C’est le cas tout particulier des flux entre territoires. Ceux-ci sont par essence volatiles. Or, les flux de population observés le sont en coupe à une certaine date en comparaison à une autre (migrations entre deux recensements) et laissent dans l’ombre les déplacements de populations intervenus dans l’intervalle. Les « enquêtes cordon » pour observer les flux de transport par route constituent également une mesure instantanée. Ensuite, le choix de l’aire urbaine pour observer ces flux donne la primauté aux navettes quotidiennes entre le domicile et le travail et passe sous silence les autres innombrables déplacements (scolaires, fréquentation des services et équipements publics, de consommation, de loisirs) qui peuvent largement dépasser cette échelle. Enfin, l’observation de ces flux peut être rapidement rendue obsolète par les transformations des comportements sociétaux et les nouvelles techniques de communication. Ainsi, la grande avancée méthodologique opérée par Félix Damette lorsqu’il

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a mis en chantier l’analyse des flux téléphoniques entre villes55 en 1994 n’a plus le même impact aujourd’hui pour évaluer les configurations des systèmes urbains à l’heure du développement du téléphone mobile et de l’internet à haut débit. Les deux types de flux que l’on va observer concernent uniquement des flux de population, observés soit au lieu de résidence d’arrivée (migrations définitives interurbaines), soit dans la relation entre lieu de résidence et lieu de travail (navettes). Le parti pris de positionner les villes moyennes dans le jeu des flux gagnerait à être complété par des données supplémentaires : transferts d’entreprises, flux d’étudiants, déplacements vers des équipements publics, commerciaux ou de loisirs. Les rares études qui ont tenté d’explorer le bouquet le plus complet de flux s’échangeant entre villes l’ont été à un niveau régional ou interrégional mais jamais systématisées au niveau national56. Un chantier global de recherche et de construction de données de flux territoriaux devrait pouvoir être ouvert, il concerne en particulier les villes moyennes mais pas seulement. Les villes perdent au jeu des migrations résidentielles Les échanges de population entre les aires urbaines57 se sont traduits entre 1990 et 1999 par une perte générale de population pour les villes : les départs sont plus nombreux que les arrivées, le solde est négatif et s’élève à 415 200 personnes. Il est à noter que les échanges résidentiels interurbains représentent 20 % des personnes ayant changé de commune, ce qui veut dire que les 80 % restants bougent à l’extérieur du système urbain considéré, dans le système territorial constitué des aires urbaines de moins de 50 000 habitants et de l’espace rural. Les petites entités urbaines et le monde rural tirent beaucoup plus d’avantages de la mobilité résidentielle que les grandes et les moyennes. On voit également (tableau 9) que, en proportion de leur population, les villes moyennes connaissent une intensité des mouvement migratoires (somme des départs et des arrivées rapporté à la population de la strate) plus importante que celle des grandes villes et que cette intensité croît lorsque la taille de la ville diminue. Les villes moyennes sont donc productrices de mobilité, contrairement à une idée répandue qui donne aux seules métropoles un caractère de flexibilité, mais cette intensité de mouvements entrants et sortants ne se solde pas toujours positivement. Enfin, parmi les entrants dans les aires urbaines, 37 % résidaient en 1990 à l’extérieur du système urbain analysé, alors que parmi les sortants, 41,5 quittent le système urbain pour se diriger à l’extérieur. Les petites villes, petites villes moyennes et l’espace rural sont donc relativement plus attractifs pour les habitants de ces aires urbaines que les autres aires urbaines. Les redistributions de population se faisant principalement à l’extérieur du système urbain étudié, il est logique que les migrations résidentielles à l’intérieur du système urbain soient de relative faible portée démographique.

55 Damette Félix, La France en villes, op.cit. 56 Davezies Laurent, Nicot Bernard-Henri, Y a-t-il une vie pour les villes moyennes du Grand sud-ouest après Toulouse et Bordeaux ? Etude pour la Préfecture de région Midi-Pyrénées dans le cadre de la MIIAT Grand sud-ouest. Février 2001. 57 Les aires urbaines qui sont à la base de cette analyse sont uniquement les 137 de plus de 50 000 habitants. La tranche 30 000 – 50 000 habitants n’est donc pas couverte. Mais les résultats sont suffisamment instructifs pour que l’on intègre cette analyse dans le panorama des villes moyennes. Cette partie s’inspire largement des travaux de Baccaïni Brigitte, « Les migrations interurbaines entre 1990 et 1999 », Données urbaines 4, op.cit.

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Tableau 9 : Migrations résidentielles entre aires urbaines selon leur taille Strate de population en 1999

Population 1999

Migrants entrants

Migrants sortants

Solde migratoir

e

Var an solde 90-

99 (en 0/00)

Intensité des

mouvements

Plus de 1 million

15 482 424 996 402 1 154 879 - 158 477 - 1,14 13,9

500 000 à 1 million

6 817 922 758 202 592 024 166 178 2,76 19,8

200 000 à 500 000

8 538 224 845 370 823 863 21 507 0,28 19,5

100 000 à 200 000

4 677 514 461 729 492 696 - 30 967 - 0,73 20,4

50 000 à 100 000

4 252 933 471 262 469 503 1 759 0,05 22,1

Source : Recensements de 1990 et 1999, Brigitte Baccaïni, op.cit. Cependant, on observe dans le tableau 9 qu’à l’intérieur du système urbain, les villes millionnaires ont les soldes les plus négatifs, les chiffres moyens de cette strate étant fortement tirés vers le bas par l’aire urbaine de Paris. Les grandes villes moyennes, celles de 100 000 à 200 000 habitants sont également les seules autres aires urbaines dont le solde migratoire est négatif avec les autres villes. Ces évolutions corroborent les données migratoires générales que nous avons déjà observées (tableau 1). Les villes moyennes, quelque soient les espaces avec lesquelles elles échangent, connaissent depuis peu un solde migratoire négatif. Deux grandes constantes apparaissent : les villes dont les soldes sont les plus élevés, ce qui ne veut pas dire qu’elles sont les plus attractives (les villes ont tendance dans le même mouvement à attirer et à rejeter des migrants dans des proportions souvent identiques, ce qui explique les faibles scores des soldes migratoires et la nécessité de travailler au millième), sont celles de 500 000 à 1 million d’habitants. A l’inverse, les villes qui connaissent les soldes interurbains les plus faibles sont les grandes villes moyennes de 100 000 à 200 000 habitants. La localisation géographique des ces soldes migratoires interurbains est classique : soldes positifs dans toute la moitié sud du territoire et le grand ouest, soldes négatifs dans l’arc nord-est et la diagonale des faibles densités, avec des scores négatifs particulièrement marqués à Paris (carte 27) . La combinaison de la géographie des flux interurbains et des scores par taille permet de constater le renforcement des grandes villes (celles de 500 000 à 1 million d’habitants) du sud et de l’ouest du pays qui en sont les principales bénéficiaires ainsi que la lente redistribution, quelque soit la taille, du nord vers le sud.

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Les catégories de population sélectionnées par les villes moyennes Toutes les aires urbaines n’attirent pas les mêmes catégories de population. Pour ce qui est des actifs, ce sont les grandes villes qui attirent en priorité. Mais cet effet général est inversé lorsque l’on retire l’aire urbaine de Paris de l’analyse : on sait en effet que Paris joue un rôle historique et massif de pompe aspirante de la population jeune et active du pays. Hors Paris, plus la taille de l’aire urbaine diminue, plus elle est attractive pour la résidence de population active. Les villes moyennes sont globalement dans ce cas. Cette sélectivité particulière montre que les villes moyennes sont vues comme des cadres de vie agréables mais également comme des lieux à potentiel d’emplois. On verra quels types d’emplois elles attirent en particulier et quelles relations s’instaurent entre lieux de résidence et de travail. Les aires urbaines moyennes du sud de l’Alsace, de l’arc alpin et du sud du couloir rhodanien sont, après Paris, celles qui sont les plus sélectives pour les actifs, c'est-à-dire, plus attractives pour les actifs que pour la population en général. Pour les étudiants, en excluant également Paris, l’effet de sélection est exactement inverse : les grandes villes sièges d’universités attirent plus que les villes moyennes. Les villes moyennes se retrouvent à nouveau en situation de sélectivité forte pour la catégorie des retraités. Il y a là véritablement une prime aux villes petites et moyennes comme on l’a déjà souligné en observant la part de la population de plus de soixante ans. Elles sont toutes concernées, à l’exception de l’arc nord-est. Les quelques villes du nord qui sélectionnent des retraités reflètent simplement une moindre déperdition de cette catégorie par rapport à celle des actifs. Le rééquilibrage du système urbain sous l’effet des migrations résidentielles des cadres Comme pour les actifs, l’effet de sélection de Paris pour les cadres et professions intellectuelles supérieures est massif. Et toujours, en excluant Paris, la captation des cadres relativement aux autres catégories est plus importante pour les villes moyennes que pour les grandes villes. Contrairement à l’image habituelle, toutes les grandes métropoles régionales exercent un effet de rejet relatif sur ces catégories supérieures. On observe donc qu’en termes de stocks d’emplois au lieu de travail (voir chapitre précédent sur les fonctions de l’emploi), les grandes villes concentrent les cadres, mais qu’en termes de flux de population récents, les résidences des cadres ont tendance à glisser inexorablement vers les villes plus petites. Les effets de sélection les plus nets s’observent dans des territoires à forte dynamique générale, sud Alsace, région Rhône-Alpes, mais également dans des zones moins dynamiques, arc nord-est, sud du Bassin Parisien et du Massif Central (carte 28). La migration résidentielle des cadres tend donc à rééquilibrer fortement le système urbain mais également la grande coupure territoriale traditionnelle qui va du Havre à Marseille. Tout se passe comme si les grandes villes, sélectives pour les étudiants, assuraient la formation des cadres, puis assistaient, impuissantes, à leur dispersion vers les villes les plus petites du système urbain. Les migrations interurbaines ont pour effet, dans certains cas (Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Nancy) de réduire de 10 % le poids des cadres dans la population active ! Les échanges domicile-travail des villes moyennes selon les types de territoires Une seconde façon d’appréhender le mode d’insertion des villes moyennes dans le système urbain, et plus largement, dans le système territorial, consiste à observer les échanges

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quotidiens d’actifs qui partent des villes moyennes ou se dirigent vers elles, et d’identifier les territoires avec lesquels elles échangent préférentiellement. Cette observation résulte d’un traitement du fichier Mirabelle qui est une matrice des flux intercommunaux entre le lieu de domicile et de travail58. Il faut cependant souligner que ces flux ne précisent pas le sens des mouvements : quelle proportion d’actifs résidant dans une commune va travailler dans une autre et quelle proportion d’actifs travaillant dans une commune va résider dans une autre. Les villes moyennes disposent au recensement de 1999 d’environ 4 205 000 actifs et de 4 370 000 emplois. Les aires urbaines ont, par construction59, plus tendance à concentrer les emplois, alors que les résidences, elles, connaissent un mouvement très net d’éparpillement à l’extérieur de celles-ci, dans des périmètres qui en sont de plus en plus éloignés. On a déjà évoqué ce phénomène de désurbanisation qui touche inexorablement le territoire depuis vingt ans. Dans le cas des aires urbaines moyennes, la différence d’environ 165 000 entre les emplois et les actifs montre qu’elles sont des pôles d’emplois naturels comme les autres aires urbaines. Elles importent donc des actifs de toutes les catégories d’espaces. La matrice d’échanges domicile-travail des actifs des villes moyennes avec les autres types de territoires, autres aires urbaines, espace rural et communes multipolarisées60, montre que les villes moyennes échangent d’abord massivement entre elles : 3 600 000 actifs environ, sur les 4 300 000 actifs qu’elles échangent en tout. 83 % de leurs actifs vont travailler dans les villes moyennes et 80 % de leurs emplois proviennent des migrations quotidiennes d’actifs des villes moyennes. Ce mouvement qui porte les villes à échanger préférentiellement avec les villes qui leur ressemblent va jusqu’à se nicher dans la finesse des stratifications urbaines : les petites villes moyennes, celles de 30 000 à 50 000 habitants échangent leurs actifs d’abord avec cette catégorie-là et ainsi de suite jusqu’aux villes moyennes grandes, la masse des actifs concernés allant crescendo. Face à cette réalité, la question de la « domination » des villes moyennes par les grandes, qui « pomperaient » leurs forces de travail, devient toute relative.

58 Les données Mirabelle ont été traitées par Laurent Davezies spécialement dans le cadre de ce rapport. 59 On rappelle que les aires urbaines sont des ensembles de communes constitués d’un pôle urbain d’au moins 5 000 emplois et de communes périurbaines dont 40 % ou plus des actifs résidents travaillent hors de la commune, mais dans l’aire urbaine. Leurs périmètres sont redéfinis à chaque recensement selon la nouvelle configuration des migrations alternantes domicile-travail. 60 Communes dont 40 % ou plus des actifs résidents travaillent dans plusieurs aires urbaines sans atteindre ce seuil avec une seule d’entre elles.

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Tableau 10 : Matrice d’échanges domicile-travail d’actifs des villes moyennes avec les autres aires urbaines, les communes rurales et les communes multipolarisées

Vers 1990 - 1999 Venant de

Rural Multipolarisées

Moins de 30 000

30 à 50 000 50 à 100 000 100 à 200 000 Plus de 200 000

Villes moyennes

Rural Multipolarisées Moins de 30 000 30 à 50 000 50 à 100 000 100 à 200 000 Plus de 200 000

66 831 86 412 81 171

33 498 33 574 36 779

17 490 21 542 30 028

109 837 77 330 15 215

683 431 15 598 16 956 50 696

145 404 87 692 22 699 19 635

1 311 126 12 643 90 163

123 014 86 433 32 342 18 759 12 515

1 540 829 63 259

84 745 168 517

78 240

378 255° 251 455° 70 256°

924 389 1 649 284 1 796 646 204 118°

Villes Moyennes 234 414°° 103 851°° 69 060 °° 715 985ª 1 343 404ª 1 572 103ª 331 502°° 4 370 319 ª Echanges d’actifs des villes moyennes avec les villes les villes moyennes : 3 631 492 ° Les villes moyennes font travailler environ 700 000 actifs (soit 16 % de leurs actifs) provenant des communes rurales, des communes multipolarisées et des petites villes ; et environ 200 00 actifs (soit 5 % de leurs actifs) provenant des grandes villes. °° Les actifs des villes moyennes sont environ 407 000 (soit 9 % de leurs actifs) à aller travailler dans les communes rurales, les communes multipolarisées et les petites villes ; et environ 331 000 ( soit 8 % de leurs actifs) à aller travailler dans les grandes villes. Source : RGP 1999 – Traitements de Laurent Davezies

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Une relation forte avec les petits territoires et des liens plus distendus avec les grandes villes On est parti de l’hypothèse que les villes moyennes constituaient des charnières incontournables entre les grandes villes et l’espace rural. Qu’en est-il de cette fonction à la lumière des échanges quotidiens entre le domicile et le travail ? Loin derrière les échanges entre elles, les villes moyennes échangent préférentiellement leurs actifs avec le bloc territorial constitué des communes rurales, des communes multipolarisées61 et des petites villes : elles font travailler environ 700 000 actifs, soit 16 % de leurs actifs, en provenance de ces espaces, contre 200 000 actifs, soit 5 % de leurs actifs, en provenance des grandes villes. A l’inverse, les actifs des villes moyennes sont environ 407 000, soit 9 %, à aller travailler dans les communes rurales, les communes multipolarisées et les petites aires urbaines, et 331 000 actifs, soit 8 %, à aller travailler dans les grandes villes. La relation qui s’instaure quotidiennement entre les villes moyennes et les petites villes et l’espace rural est donc particulièrement forte et se fait au profit des emplois des villes moyennes (+ 292 000 actifs environ). Les villes moyennes ont des relations beaucoup plus lâches avec les grandes villes, mais elles se font à leur détriment : - 127 000 actifs environ. Les tableaux 11, 12 et 13 détaillent finement les parts des actifs des villes moyennes allant travailler dans tous les types de territoires et les parts des emplois des villes moyennes occupés par des actifs provenant de tous les types de territoires ainsi que les soldes de ces échanges quotidiens en proportion des actifs.

61 Pour inclure les communes multipolarisées dans ce bloc de territoires plus petits, on est parti du constat que les communes multipolariées partageaient préférentiellement leurs actifs entre petites et moyennes structures territoriales. Voici le détail de leurs tropismes : 37 % vont travailler dans d’autres communes multipolarisées, 19 % dans les petites aires urbaines et les communes rurales, 22 % dans les villes moyennes et 22 % dans les grandes.

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Tableau 11 : Part des actifs des villes moyennes allant travailler vers (en %) - 1999 :

Rural Multipolarisées Moins de 30 000 30 à 50 000 50 à 100 000 100 à 200 000 Plus de 200 000

30 à 50 000 50 à 100 000 100 à 200 000

7,2 5,2 4,5

3,6 2,0 2,0

1,9 1,3 1,7

73,9 0,9 0,9

2,1 79,5

0,7

2,0 0,8 85,8

9,2 10,2

4,4

Rural Multipolarisées Moins de 30 000 Villes

moyennes Plus de 200 000 Actifs totaux

Villes moyennes 5 2 2 83 8 100 Tableau 12 : Part des emplois des villes moyennes occupés par des actifs provenant de (en %) – 1999 :

Rural Multipolarisées

Moins de 30 000

30 à 50 000 50 à 100 000 100 à 200 000 Plus de 200 000

30 à 50 000 50 à 100 000 100 à 200 000

11,3 8,6 6,6

8,0 5,2 4,6

1,6 1,3 1,7

70,5 1,2 1,0

1,6 77,6

0,7

1,7 0,7

82,1

5,2 5,3 3,4

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Rural Multipolarisées Moins de 30 000 Villes moyennes

Plus de 200 000 Actifs totaux

Villes moyennes 8 6 2 80 5 100 Tableau 13 : Solde des entrants – sortants dans et des villes moyennes (1999)

Rural Multipolarisées

Moins de 30 000 30 à 50 000 50 à 100 000 100 à 200 000 Plus de 200 000

30 à 50 000 50 à 100 000 100 à 200 000

43 006 58 992 41 843

43 832 54 118 49 654

- 2 275 1 157 2 314

0 4 037 1 803

- 4 037 0 - 128

- 1 803 128

0

- 34 049 - 78 354 - 14 981

Rural Multipolarisées Moins de 30 000 Villes

moyennes Plus de 200 000 Emplois- Actifs

Villes moyennes En % actifs En % emplois

143 841 3,3 3,2

147 604 3,4 3,3

1 196 0,03 0,03

0 0 0

- 127 384 - 2,9 - 2,8

165 257 3,8 3,6

Les villes moyennes ont 165 000 emplois de plus que leurs actifs, ils les importent de toutes les autres catégories d’espaces. Le solde de leurs échanges d’actifs avec les communes rurales, les communes multipolarisées et les petites villes est de 292 000 actifs, il correspond à une importation par les villes moyennes de 7 % de leurs actifs. Le solde de leurs échanges avec les grandes villes est de - 128 000 actifs, il correspond à une exportation par les villes moyennes de 2,9 % de leurs actifs. Source : Calculs de Laurent Davezies et SIRIUS-Œil

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Les échanges quotidiens d’actifs entre villes moyennes et grandes villes L’image des grandes villes comme marchés du travail particulièrement actifs captant les emplois des territoires qui les entourent et spécialisant ceux-ci, à leur corps défendant, dans des fonctions résidentielles, mérite d’être révisée à la lumière de l’analyse de navettes. Il faut préciser ici qu’il s’agit dans un premier temps d’observer les migrations alternantes d’actifs sans précision des qualifications et des fonctions exercées par ces emplois. On peut en effet supposer, au vu des indicateurs de division fonctionnelle de l’emploi, que la grande ville joue malgré tout un rôle de filtre pour sélectionner les actifs qualifiés. Au jeu des échanges d’actifs avec les grandes villes, les villes moyennes sont globalement perdantes : le solde est négatif et s’élève à environ 127 000 actifs, ce qui représente 2,9 % de leurs actifs. Mais ce déficit est très faible et ne correspond en rien à l’idée que l’on se fait de la polarisation de l’emploi sur le territoire. Toutes les strates de villes moyennes sont déficitaires et en particulier les villes inférieures à 100 000 habitants (tableau 13). Une autre méthode d’approche a permis de territorialiser ces flux quotidiens sur l’ensemble des aires urbaines moyennes62. La carte 27 représente les soldes des villes moyennes avec les grandes villes. Lorsqu’il est positif, celle-ci reçoit plus d’actifs de la grande ville voisine qu’elle n’en émet, lorsqu’il est négatif, la ville moyenne envoie plus d’actifs qu’elle n’en accueille. Carte 27 : Les échanges quotidiens d’actifs entre villes moyennes et grandes villes

Source : Laurent Davezies, La diversité des formes de développement dans les villes françaises, op.cit.

62 Il s’agit d’une méthode mise au point par Laurent Davezies avant l’exploitation systématique des navettes au recensement de 1999 et qui inclut les 214 aires urbaines de 20 000 à 200 000 habitants : les échanges d’actifs avec les grandes villes mesurés pour chaque villes moyenne sont ceux, et seulement ceux, qu’elle entretient avec la grande ville la plus proche (aire urbaine supérieure à 200 000 habitants), en distance à vol d’oiseau de centre à centre d’aire urbaine, sans prendre en considération les réseaux de transport ni à fortiori les temps de parcours.

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On y observe une relative autonomie des villes moyennes par rapport aux grandes villes et même, une attraction exercée sur elles en matière d’emploi. Les villes moyennes les plus perdantes au jeu des navettes quotidiennes avec les grandes aires urbaines se situent principalement autour de Lille, de Lyon et dans le pourtour de l’aire urbaine de Paris. Le grand ouest, le sud ouest et même l’arc nord-est (à l’exception de Lille et de l’Alsace) sont au contraire relativement attractifs pour l’emploi vis-à-vis des actifs des grandes villes. Cela tient à l’histoire des systèmes urbains de ces régions qui sont plutôt polycentriques, mais également à leurs bonnes performances en matière d’emploi, qu’il soit privé ou public. On peut également, au vu de la configuration des ces migrations alternantes émettre l’hypothèse d’un convergence des systèmes urbains régionaux : la Bretagne et Rhône-Alpes, qui sont considérées comme des régions à système urbain équilibré sont de plus en plus polarisés par leurs grandes villes, à l’inverse Toulouse laisse une relative respiration aux villes moyennes de sa région et ne provoque pas le désert midi-pyrénéen si souvent invoqué. Si l’on peut parler d’un processus de polarisation de l’emploi sur l’axe Paris-Lyon-Marseille et Rhin-Rhône, celui-ci n’est pas univoque et s’accompagne d’un polycentrisme résidentiel dans de nombreuses régions, y compris les régions vues comme traditionnellement polarisées. Qui perd et qui gagne au jeu des échanges d’actifs entre grandes villes et villes moyennes? Il convient ici de mettre en perspective ce qui signifie pour le développement économique local d’une ville moyenne son « déficit » d’actifs par rapport à la grande ville et, à contrario, l’ «excédent» d’emplois qu’elle capte lorsque son solde de migrations alternantes est positif. Un point de vue classique assimile ce déficit à une sorte d’exploitation par la grande ville. Or, il signifie seulement que la ville moyenne est plus attractive du point de vue de la résidence que du marché du travail : elle dispose de plus de population active résidant sur place que d’emplois. Et on a déjà vu que grâce à ce mécanisme d’attractivité résidentielle, le territoire de la ville moyenne disposait de revenus supplémentaires et à terme, pouvait susciter sur place des effets multiplicateurs d’emplois plus importants que ses seuls avantages compétitifs ne l’auraient permis, en particulier des emplois de services. De plus, pour les finances des collectivités locales, le gain est non négligeable : la suppression de la masse salariale de la base de taxe professionnelle déplace dorénavant l’enjeu fiscal de la captation d’actifs de leur lieu de travail à leur lieu de résidence. Ce double avantage en faveur des villes « déficitaires » conduit à parler d’une manière plus neutre d’ « échange » plutôt que d’échange inégal au profit de la grande ville63. L’inverse est également vrai. Une ville moyenne excédentaire au jeu des migrations alternantes dispose de plus d’emplois que d’actifs. Cela signifie que les actifs attirés par l’offre d’emploi de ses entreprises ou de ses administrations ne résident pas sur place, mais continuent de résider dans l’aire urbaine de la grande ville. D’un côté, ce type d’échanges suggère un marché du travail actif de la ville moyenne, mais de l’autre, il induit un déficit de revenus qui ne sont pas injectés dans l’économie locale mais toujours dépensés dans la grande ville. Les leçons que l’on peut tirer des échanges quotidiens entre villes moyennes et grandes villes en matière de mécanismes de développement local sont donc plus complexes que celles suggérées au premier abord. 63 Davezies Laurent, La diversité des formes de développement dans les villes françaises, op.cit.

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Les échanges de cadres entre villes moyennes et grandes villes sont équilibrés Ce constat à double face se renforce lorsque l’on observe avec le même méthode les flux des cadres et professions intellectuelles supérieures entre villes moyennes et grandes villes, car, contrairement aux flux de l’ensemble des actifs, ceux de cette catégorie sont très faiblement excédentaires (+ 2 700) mais excédentaires tout de même au bénéfice des villes moyennes. On peut considérer que cet infime excédent n’est pas significatif du fait de la méthode adoptée : il faut donc retenir que les échanges de cadres entre grandes villes et villes moyennes sont équilibrés, alors que l’on pouvait s’attendre, plus que pour l’ensemble des actifs et compte tenu du rôle de « filtre » des métropoles sur les catégories sociales supérieures, à des résultats exactement inverses. Tableau 14 : Échanges de cadres entre villes moyennes et grandes villes – 1999 Grandes villes Villes moyennes envoient vers…. en % des actifs locaux cadres

37 381 7,5

Villes moyennes reçoivent des…. en % des emplois de cadres locaux

40 089 8,2

Solde d’actifs cadres reçus – envoyés en % des actifs cadres locaux en % des emplois de cadres locaux

2 708 0,54 0,55

Source : Calculs de Laurent Davezies et SIRIUS-Œil La leçon que l’on peut en tirer est particulièrement ambivalente : d’un côté, cet excédent ou à tout le moins cet équilibre est le signe d’un rehaussement de la qualification de l’emploi dans les villes moyennes. De l’autre, il marque une relative plus forte concentration des lieux de résidence des cadres dans les grandes villes. Cette deuxième interprétation emporte des conséquences et suggère des politiques publiques adaptées : les cadres des grandes villes trouvent à s’employer dans les villes moyennes mais ils ne sont pas encore prêts à y résider, à y dépenser leurs revenus élevés et à y payer leurs impôts. Le manque à gagner pour les villes moyennes se mesure en revenus mais également en diversité sociale : la population résidente a un profil social inférieur à ce que la nature de leur emploi permettrait d’attendre64. L’enjeu pour les villes moyennes consiste alors à captiver ce type de population pour l’enraciner durablement et ce sont les nouveaux services offerts qui le permettront : services de gardes d’enfants pour des couples biactifs, qualité de l’enseignement secondaire et supérieur, équipements culturels, accessibilité à d’autres villes. On retrouve là l’enjeu de l’adaptation et de la qualification des services à la population que l’on a souvent évoqué tout au long de ce rapport mais qui trouve là une démonstration éclatante.

64 Davezies Laurent, La diversité des formes de développement des villes françaises, op.cit, pages 23-25.

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Carte 28 : Les échanges quotidiens de cadres entre villes moyennes et grandes villes -1999

Source : Laurent Davezies, La diversité des formes de développement dans les villes françaises, op.cit. La carte du solde des échanges de cadres entre villes moyennes et grandes villes (carte 28) diffère peu de celle des échanges de l’ensemble des actifs. Simplement, les grandes villes apparaissent encore moins polarisatrices pour l’emploi des cadres. Le cas de l’arc nord-est et de la région Midi-Pyrénées sont frappants : il semble y avoir une autonomie relative dans les stratégies de localisation résidentielle des cadres par rapport aux ressources productives du territoire, cette catégorie de population étant particulièrement sensible aux aménités du cadre de vie et entraînant les localisations des entreprises là où elle souhaite vivre. De ce point de vue, même si les villes moyennes ont encore des efforts à fournir en termes d’offre de services adaptés, on se rend compte que les cadres n’hésitent pas à venir y travailler : le retournement de la situation des villes moyennes de l’arc nord-est est frappant. A l’inverse, pour les actifs moins qualifiés, l’emploi dans la grande ville et la migration alternante s’impose avec plus d’acuité car les emplois moins qualifiés sont plus dépendants et liés aux emplois d’organisation de la production encore présents dans les grandes villes. Vers des systèmes territoriaux Ce tableau général des flux donne une image plus nuancée de la pyramide urbaine et relativise largement le processus de polarisation territoriale, y compris du point de vue de la qualification des emplois échangés. On a tenté ici de mesurer la fonction de « point de contact » que jouent les villes moyennes entre grandes villes et monde rural. D’un côté, il apparaît que celles-ci sont en relation étroite avec la « base » territoriale constitué des petites villes et des communes rurales, de l’autre, que leurs relations avec les grandes villes sont quasiment équilibrées, notamment pour les cadres. Le processus de « rapt » exercé par les métropoles, qui transparaît souvent dans le discours sur la polarisation n’est donc pas vérifié.

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Le parti pris d’observer systématiquement les relations des villes moyennes avec le « bas » et pas seulement avec le « haut » montre bien la complexité du positionnement « charnière » des villes moyennes et le besoin d’analyser leur situation, leurs potentiels et leurs fragilités dans une vision non sélective du territoire. Il montre également qu’une approche en termes d’armature urbaine où les villes moyennes constitueraient une catégorie urbaine intermédiaire ne suffit plus pour diagnostiquer leurs dynamiques : elles sont intégrées dans de grands ensembles territoriaux qui fonctionnent en système. Mais est-ce un fait tellement nouveau ? Les villes et leurs territoires, les villes dans le territoire, ont toujours fonctionné en système, mais le primat du point et du pôle a souvent nié le flux et le réseau. Si transition territoriale il y a, c’est beaucoup moins celle du passage de l’armature urbaine au système territorial que la recomposition des formes des divers systèmes territoriaux sous la pression des migrations de population hors des limites urbaines traditionnelles. 2. 5. UNE APPROCHE EN TERMES DE SYSTEMES Une typologie des villes moyennes et de leurs stratégies de développement On tentera donc de privilégier une analyse en termes de systèmes pour clore ce chapitre sur le diagnostic de fonctionnement des villes moyennes. On peut donner à la notion de « système » territorial de multiples acceptions : le terme est par nature polysémique et peut fonctionner à plusieurs échelles qui, loin de s’emboîter, se superposent, interagissent et modèlent la matière première territoriale. Les villes moyennes tiennent une place particulière à la confluence de plusieurs de ces systèmes. A la confluence de plusieurs systèmes territoriaux A la base, il y a le système géographique du plus petit des continents qu’est l’Europe. Historiquement, il s’est constitué d’unités morphologiques de moyenne dimension65 qui, sur certains axes de communication, se sont dilatées sous l’influence d’une capitale ou d’une place marchande, pôles attracteurs de population. Ce mouvement tectonique a lentement produit la « banane bleue » chère au géographe Roger Brunet. Mais en dehors de ces grandes zones de haute tension, le territoire européen reste « le conservatoire exceptionnel des villes moyennes ». On a déjà évoqué cette morphologie particulière de l’Europe (carte 1) qui semble rester d’actualité même si ce gabarit de mailles moyennes se dilate et se redéfinit, en France tout du moins, par un rapport inversé à la capitale et aux grandes agglomérations provoqué par les nouvelles trajectoires migratoires. Les villes moyennes françaises se situent donc dans un contexte européen particulier en comparaison avec le système urbain mondial : pas de mégapoles, peu de métropoles hors Paris et Londres, des grandes villes moins peuplées et une grande diversité de villes, « moyennes » justement. A cette échelle d’un système européen, l’inconnue réside dans la résolution de la tension qui s’instaure entre l’archipel « des morceaux de villes » insérées dans les échanges mondiaux (rarement en effet des villes dans leur globalité), bien reliées entre elles par les flux de communication matériels et immatériels, souvent renforcées par des politiques publiques volontaristes de « mise en réseau » (le programme de grands travaux d’infrastructures de 65 George Pierre, « Les villes moyennes, géographie des témoins de l’histoire », in Commerçon Nicole et George Pierre, Villes de transition, op.cit.

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transport européen - RTE, par exemple) et les territoires résidentiels qui ont une autre morphologie et qui attirent peu l’attention des pouvoirs publics. La recomposition verticale et horizontale du système territorial national Ensuite, il y a le système territorial national. On a vu que celui-ci se recompose verticalement et horizontalement. Verticalement, la notion de hiérarchie urbaine et la politique d’armature urbaine perdent largement de leur sens dans un contexte où l’opposition principale des années soixante entre « Paris et le désert français » n’a plus de réalité globale, du point de vue démographique d’abord et en prospective, du point de vue économique. La situation de crise que connaît la capitale est telle que les seuls avantages comparatifs qui lui restent sont ceux qui découlent des politiques publiques visant à renforcer sa primatie administrative (attraction des jeunes, captation de la plus grande partie de l’offre universitaire sélective et des emplois de recherche, renforcement du « hub » de transports, polarisation des emplois de conception et d’organisation économique). Or, ils risquent d’être à terme battus en brèche par les nouveaux comportements migratoires. L’aire urbaine de Paris connaît ainsi moins une crise de compétitivité qu’une crise d’attractivité résidentielle qui emporte des conséquences sur sa compétitivité future, sauf à devenir un hôtel de luxe pour des cadres mondiaux ou un grand musée à ciel ouvert pour les touristes de passage, ce qui est impossible à imaginer politiquement et socialement. Les trajectoires migratoires à bas bruit qui bouleversent la morphologie du territoire français rebattent donc les cartes d’un système urbain pyramidal dominé par la capitale. Au niveau des « métropoles d’équilibre » qui sont aujourd’hui devenues de grandes agglomérations, la notion de pyramide urbaine est également mise à mal lorsque l’on raisonne à l’échelle des aires urbaines. Du point de vue des dynamiques démographiques et de l’emploi, ce ne sont pas les villes millionnaires, objet de toutes les sollicitudes des pouvoirs publics dans l’objectif de rééquilibrer le poids de la capitale, qui tirent le mieux leur épingle du jeu. Ce sont principalement les villes de 200 000 à 1 million d’habitants, suivies de plus loin par les villes moyennes. C’est donc le gabarit de villes que l’on peut considérer grossièrement comme « intermédiaires » qui connaissent la préférence des entreprises et des habitants, contredisant ainsi le discours sur la nécessité de faire « grossir » les villes françaises pour leur permettre d’atteindre un « niveau européen ». Dans ce contexte, les villes moyennes, les aires urbaines de 30 000 à 200 000 habitants, connaissent une situation en demi teinte : elles n’atteignent pas des performances notables mais résistent relativement mieux qu’attendu à la supposée déferlante métropolitaine et nombre d’actifs et de cadres n’hésitent plus à quitter les grandes villes pour venir y travailler même s’ils ne sont pas encore prêts à y résider du fait de l’inadaptation de l’offre de services publics et résidentiels. Mais le système territorial national se recompose aussi horizontalement, ce qui vient d’ailleurs interagir avec la translation vers le bas de la pyramide urbaine qui vient d’être évoquée. Il s’agit ici de la nouvelle relation qui s’instaure entre ces deux catégories mythiques qui ont longtemps opposé l’analyse géographique et les politiques d’aménagement du territoire, l’urbain et le rural. On a déjà largement souligné la révolution silencieuse du peuplement sur le territoire qui se traduit par la dilatation des mailles territoriales même petites sous l’effet de la recherche des aménités résidentielles; elle est facilitée par la mobilité ou les systèmes immatériels de communication et provoque l’explosion de l’espace périurbain. On est ici face à un mouvement de translation horizontale des populations. Une nouvelle catégorie spatiale émerge donc, à mi chemin entre l’urbain et le rural, qui se caractérise par le transfert de modes

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de vie et de travailler urbains dans des communes traditionnellement estampillées « rurales ». La statistique est condamnée à courir en permanence derrière cette nouvelle sociologie territoriale pour tenter de la capter, en redélimitant régulièrement le contour des « aires urbaines ». Les politiques publiques n’ont pas encore pris, elles, le mesure exacte de ce véritable redéploiement résidentiel, en particulier dans le domaine de la prospective du maillage des services à la personne. La frontière entre l’urbain et le rural qui caractérisait le système national devient donc de plus en plus floue. Le rôle clé des villes moyennes Dans ce double paysage de recomposition territoriale à l’échelle française, les villes moyennes sont dans une position tout à fait particulière. On est en effet parti d’une hypothèse à la fois théorique et politique : pour répondre aux aspirations concrètes de localisation résidentielle des français, les villes moyennes, de villes intermédiaires et d’équilibre entre les métropoles et l’espace rural, ont à présent à jouer un rôle d’intermédiation entre les fonctions productives traditionnelles de l’urbain, y compris les fonctions à forte composante intellectuelle, et les fonctions nouvelles de résidence du « rural ». A défaut, une fracture de plus en plus forte s’instaurera entre les pratiques migratoires des habitants et la compétitivité du système productif français dont la composante territoriale66, notamment en matière de disponibilité d’actifs et de mobilisation des ressources humaines là où elles sont présentes, n’est plus à démontrer. En clair, les deux espaces clé pour assurer cette cohérence apparaissent être l’espace périurbain et les villes moyennes qui gagnent en fonctions résidentielles mais pas encore suffisamment en fonctions productives. L’ancienne division nationale du travail construite par le fordisme qui assurait la complémentarité productive entre des régions de conception (essentiellement Paris), des régions d’exécution (l’ouest et le nord-est à reconvertir, largement composés de villes moyennes et d’espaces ruraux) et des régions de savoir-faire (la frontière est de l’Alsace à Rhône-Alpes) vole en éclats, essentiellement parce que les comportements migratoires ne se coulent plus dans ce moule et ont acquis des déterminants résidentiels presque autonomes des déterminants de la compétitivité dans un contexte productif redéfini par la mondialisation. On observe donc une disjonction entre une morphologie nationale de localisation résidentielle (mais peut-être est-ce la forme nationale d’un modèle de périurbanisation anglo-saxon qui touche l’ensemble des pays développés) et un modèle économique mondial de plus en plus disséminé spatialement mais encore décalé en France par le primat de l’approche métropolitaine. Nouveaux systèmes et retours historiques Les villes moyennes sont donc insérées dans des systèmes territoriaux à géométrie variable qui se superposent comme des voiles dans le millefeuille du territoire. L’épaisseur de ces voiles est également déterminée par une dimension temporelle, par l’évolution historique. De nouveaux systèmes territoriaux émergent qui rajoutent une épaisseur supplémentaire, d’autres s’effacent qui rendent un voile plus transparent, d’autres enfin se maintiennent comme une trame de fond. 66 La France, puissance industrielle, une nouvelle politique industrielle par les territoires, étude prospective de la DATAR, La Documentation française, Pais, 2004 et Blanc Christian, Pour un éco système de la croissance, Rapport au premier Ministre, 2004.

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Une nouvelle maille « moyenne » pourra par exemple redéfinir la morphologie de l’espace européen avec l’ouverture à l’est et la composition peu métropolitaine des nouveaux pays membres. Le système fordiste national et hiérarchisé aura tendance à s’effacer devant la gouvernance productive mondiale en « clusters » où les avantages de l’organisation des ressources locales et de l’économie d’archipel se substitueront à la division spatiale du travail. Les villes moyennes, héritières privilégiées des industries manufacturières et fordistes, sont donc particulièrement affectées par les enjeux de reconversion productive. Mais elles sont également au cœur de la transition territoriale provoquée par les nouveaux comportements migratoires et détiennent des avantages résidentiels indéniables : un voile devient plus transparent alors que l’autre s’épaissit. Enfin, dans le cas français comme on l’a vu, la trame départementale constituée pour assurer l’unité territoriale républicaine semble résister à tous les assauts historiques : la fonction de chef lieu et la morphologie des services publics donne toujours aux villes moyennes un avantage comparatif certain. Ce n’est plus là un retour historique mais une permanence. On observe dans le même temps une résistance de l’emploi privé due à la mobilisation des actifs là où ils résident mais également au développement des services à la personne : là encore deux voiles de nature différente se superposent et interagissent. Les villes moyennes peuvent en ce sens apparaître comme le laboratoire privilégié de « partenariats public-privé » à construire, en particulier dans le domaine des services résidentiels. On voit là émerger pour elles une nouvelle fonction d’intermédiation. La force des systèmes régionaux/territoriaux On a déjà maintes fois constaté que la dynamique des villes moyennes était beaucoup moins déterminée par un effet de taille ou par son rapport à la grande ville qu’à sa situation territoriale au sein de grandes plaques géographiques. Cette anthropologie territoriale/régionale qui a largement contribué à forger l’identité de la France67 a toujours constitué le substrat des dynamiques économiques et sociales et explique largement la morphologie des systèmes urbains au pluriel, qui s’imposent dans leur diversité à un système urbain national finalement peu explicatif. Les systèmes régionaux constituent donc pour les villes moyennes l’un des voiles les plus apparents de l’empilement dans lequel elles fonctionnent. Mais leurs contours historiques se sont largement déformés dans le temps. Plusieurs facteurs contribuent à cette déformation : l’ouverture européenne qui tend à vivifier les relations transfrontalières, la porosité des frontières administratives régionales qui sont largement franchies par les flux d’échanges économiques ou sociétaux, l’élargissement des mailles territoriales avec le développement de la mobilité. La carte 29 donne un aperçu des orientations préférentielles des flux téléphoniques entre les villes en 1993 et du tracé des systèmes territoriaux qui en découlent. On y voit clairement apparaître dix grands ensembles territoriaux qui rendent compte de la réalité des pratiques d’échange. Elles dessinent à la fois des sociabilités et des relations professionnelles concrètes et peuvent servir de support à une connaissance supplémentaire des relations entre villes moyennes et grandes villes. Le développement de programmes d’observation des flux territoriaux semble de ce point de vue

67 Voir les travaux précurseurs de Hervé Le Bras et notamment L’invention de la France, Poche Pluriel, Paris, 1983 et La planète au village, DATAR-Éditions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 1993.

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l’un des plus prometteurs pour situer les villes moyennes dans leur système territorial qui constitue pour elles une dimension particulièrement importante. Carte 29 : Les systèmes territoriaux d’après les échanges téléphoniques - 1993

Cependant, la définition de la morphologie des systèmes territoriaux ne peut plus se limiter à l’analyse des systèmes urbains qui en constituent traditionnellement le squelette. En leur sein, le basculement des comportements migratoires et l’explosion de la périurbanisation provoquent une nouvelle configuration de la relation ville-campagne qui devient de plus en plus organique et interdépendante. On a déjà souligné le fait que la brique de base des dynamiques locales n’est plus ni la ville, même élargie à l’aire urbaine, ni la campagne, même élargie au « canton rural », mais une imbrication des deux. C’est cette nouvelle imbrication qui constitue dorénavant la « chair » des systèmes territoriaux, leur force motrice principale et la variable d’explication stratégique de la situation des villes moyennes.

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Une variable stratégique : le positionnement des villes moyennes dans la dynamique de leur environnement résidentiel et rural Le point de départ de ce rapport était construit sur une idée simple : les villes moyennes doivent jouer aujourd’hui une fonction d’intermédiation indispensable entre les grandes villes et l’espace rural et assurer un rôle de passeur et de « percolation » entre deux systèmes territoriaux généralement observés d’une manière étanche. Le relation des villes moyennes avec le « haut », les métropoles, et avec le « bas », l’espace rural, a donc été observée conjointement. On s’est efforcé, à l’aide d’indicateurs traditionnels de stocks, ou plus novateurs, de flux, d’analyser précisément cette double relation. On a vu que, contrairement à une vision dominante, les villes moyennes ne se développent pas obligatoirement « à l’ombre » des grandes villes, que leurs échanges domicile-travail avec elles sont quasiment équilibrés et que les migrations domicile-travail, y compris des cadres, changent la donne de la hiérarchie urbaine et à terme, de la répartition des emplois stratégiques. Ce n’est donc pas dans leurs relations avec la grande ville qu’il faut rechercher uniquement les chemins de l’évolution des villes moyennes. Si « métropolisation » il y a du territoire, c’est dans le sens d’une dilatation résidentielle de l’occupation de l’espace plus que d’une polarisation générale des fonctions urbaines. Cela emporte des conséquences spécifiques pour les villes moyennes : elles sont plus tributaires du mouvement général d’extension horizontale que d’une absorption verticale par le haut de la hiérarchie urbaine. Elles disposent donc d’une certaine autonomie par rapport aux grandes villes selon les configurations régionales et leur degré d’insertion ou non dans les auréoles métropolitaines. Ceci ne veut pas dire évidemment que toutes les villes moyennes ont les moyens de s’affranchir de l’influence de la grande ville voisine : des effets de proximité jouent fortement dans certains cas et en particulier dans le cas d’aires métropolitaines de plus en plus étales. Le soutien à l’organisation de ces zones métropolisées dans lesquelles les villes moyennes et les grandes villes sont intégrées dans une même dynamique de croissance fait d’ailleurs l’objet de l’appel à coopération métropolitaine lancé en 2004 par la DATAR. On a observé parallèlement que les villes moyennes connaissaient une particularité par rapport aux grandes villes : dans le mouvement général d’extension résidentielle, la dynamique démographique du pourtour périurbain et rural se fait au détriment du centre, selon un principe de vases communicants. Cette dynamique démographique « extérieure » les oblige à repenser leurs fonctions de centralité et à requalifier l’offre des services à la population pour capter et captiver ces nouveaux habitants dans un contexte de concurrence résidentielle exacerbée où l’avantage comparatif du centre doit être réinventé et reconstruit. L’avenir des villes moyennes et des fonctions qu’elles sont amenées à exercer est donc largement plus conditionné par la dynamique démographique de son pourtour rural, et plus largement, par celle de l’environnement territorial dans lequel elle se situe que par son rapport à la grande ville. L’influence des arrières pays ruraux dans les dynamiques démographiques urbaines Ce renversement de problématique conduit à examiner la position des villes moyennes dans un rapport conjoint et privilégié à la dynamique résidentielle et rurale. La carte 30 réalise cette connexion pour les villes de plus de 50 000 habitants.

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Carte 30 : Position des aires urbaines (de plus de 50 000 habitants) et de leur « arrière - pays » rural selon leurs dynamiques démographiques respectives68

Entre parenthèses (nombre de communes concernées) Copyright : Inra/Insee/Datar, 2002

68 Lecture de la carte : les communes multipolarisées et les communes de l’espace à dominante rurale sont regroupées autour de l’aire urbaine dont la ville centre du pôle urbain est la plus proche, selon une distance temps routier. Elles forment ainsi l’ « arrière-pays » de l’aire urbaine concernée. Une typologie des évolutions globales de population 1990-1999 de ces ensembles, aires urbaines et arrière-pays pris respectivement, est dressée, soit les 4 premières catégories de la légende. Certaines aires urbaines n’ont pas d’arrière-pays, en rouge foncé (dans les espaces urbanisés de façon continue). Sur la carte seules les aires urbaines de 50 000 habitants ou plus sont représentées (en gris). Ainsi, si l’on prend l’exemple de la Corrèze, on y dénombre trois aires urbaines, Ussel (14 259 habitants), Tulle (30 686) et Brive-la-Gaillarde (89 260) : seule cette dernière est représentée en gris. Les arrière-pays respectifs de Ussel et Tulle ont connu des évolutions de population négatives entre 1990 et 1999 comme les deux aires urbaines concernées (en bleu soutenu), alors que l’arrière-pays de Brive a connu une évolution globale positive comme son aire urbaine (en rouge).

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ARP : arrière-pays AU : aire urbaine Copyright : Inra/Insee/Datar, 2002

On y voit apparaître plusieurs cas de figure. Dans l’ouest et la façade atlantique (à l’exception de la Bretagne finistérienne), sur les frontières de l’est et le littoral méditerranéen, l’évolution démographique des villes et celle de leur « arrière pays » est corrélée positivement dans le sens d’une croissance démographique conjointe (rouge) : ce sont également les plaques territoriales où l’on a observé les meilleures performantes économiques et sociales pour les villes moyennes. Cette corrélation est également vérifiée, mais dans un sens négatif, sur la diagonale des faibles densités qui court de la Champagne aux Pyrénées (bleu) : les villes et les campagnes connaissent une croissance négative, avec toutefois un redressement dans les aires urbaines du sud et de l’ouest du Massif central, de la Bretagne finistérienne et de la Lorraine, comme si les villes constituaient un bastion de résistance à la faible attractivité rurale. Les territoires où la dynamique résidentielle rurale se fait au détriment des aires urbaines sont plus épars et distribués indistinctement dans la géographie, ce qui montre qu’ici, l’effet urbain prime sur l’effet territorial, dans un système de vases communicants qui se fait au détriment de la ville. Quelques zones (rose) illustrent ce « décrochage » de la ville moyenne par rapport à sa campagne résidentielle : Cotentin, Bassin Parisien, Marne, Lorraine, Franche-Comté. Cette influence primordiale des dynamiques démographiques rurales sur l’évolution urbaine est confirmée par la carte 31 qui règle plus précisément la focale sur les villes moyennes et petites dans leur « prise » avec l’environnement résidentiel et rural. Les cantons ruraux sont ici classés selon les fonctions qu’ils offrent : nouvelles fonction résidentielles de proximité pour les aires urbaines, fonctions touristiques, fonctions traditionnelles agricoles ou de résidence ouvrière. On peut y projeter les dynamiques démographiques mises en lumière dans la carte précédente : les plaques territoriales les plus dynamiques pour les villes moyennes, dans leur cohérence à la fois urbaine et rurale, sont principalement les territoires résidentiels. La dynamique de l’attractivité résidentielle devient dorénavant un élément de construction incontournable de la morphologie des systèmes territoriaux, qui, on l’a vu, constituent la variable explicative principale de la dynamique des villes moyennes.

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Carte 31 : Les villes moyennes et les fonctions de leur environnement rural

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CONCLUSION LA PASSERELLE ENTRE OBSERVATION ET ACTION : UNE TYPOLOGIE DES VILLES MOYENNES ET DE LEURS STRATÉGIES POTENTIELLES Pour clore ce chapitre sur l’observation de la dynamique des villes moyennes, on veut ici jeter un pont entre l’observation de leur inscription dans des systèmes territoriaux (qui intègrent les grandes villes et l’espace rural) et les enjeux de politique publique qui en découlent. Le chapitre 3 se donne en effet pour objectif de sélectionner les enjeux les plus stratégiques pour les villes moyennes de manière à en extraire des principes d’action publique. Si l’on observe finalement les villes moyennes sous l’angle de leur insertion dans des systèmes territoriaux, en couplant la relation à la grande ville (cartes 27 et 28) avec la relation à l’espace rural (cartes 30 et 31), trois grands types de situation se dégagent grossièrement69 :

1. les villes moyennes relativement « autonomes » dont la situation démographique et économique est peu influencée par leur environnement territorial, que ce soit la dynamique fonctionnelle de la grande ville proche ou la dynamique résidentielle des campagnes qui l’entourent

2. les villes moyennes dont la situation est d’abord déterminée par l’évolution de leurs relations avec la grande ville proche

3. enfin, les villes moyennes qui sont principalement confrontées à une forte dynamique de transformation de leur environnement rural, en particulier du fait de leur forte attractivité résidentielle.

A chacune de ces situations correspondent des enjeux différenciés d’action publique et d’organisation de la gouvernance territoriale. Les villes moyennes incontournables pour leur territoire On considère ainsi les villes moyennes qui connaissent une sorte de « rente de situation » sur leur territoire environnant, une autonomie de fonctionnement par rapport à la grande ville voisine couplée à une faible concurrence résidentielle du milieu rural qui en constitue la toile de fond. Ces villes souffrent moins que d’autres du butinage territorial qui caractérise les comportements de mobilité spatiale des habitants. Elles offrent des services publics incontournables pour leur territoire et leur centralité urbaine n’est pas fondamentalement remise en cause par les nouvelles dynamiques migratoires. Leur évolution démographique est positive alors qu’à l’inverse, celle de leur environnement rural est négative. Ce type de villes est particulièrement visible dans deux grands foyers à l’ouest et au sud est du Massif Central ainsi que dans la Bretagne finistérienne, avec quelques redressements dans l’arc nord-est faiblement attractif (Nord Pas de Calais, Champagne Ardennes, Lorraine). Il semble donc que du point de vue de la déformation des systèmes territoriaux, l’ancienne « diagonale des faibles densités » soit interrompue en son sud par la dynamique urbaine et que quelques pôles urbains résistent également dans l’arc nord-est. Il faut rapprocher ces résultats du glissement vers le sud des trajectoires migratoires, les villes moyennes du sud du Massif Central, même isolées, constituant des îlots de résistance à la déprise démographique latente.

69 Cette typologie est inspirée de Béhar Daniel. Les villes moyennes, enjeux d’action publique. Rapport pour la DATAR. ACADIE. Février 2005.

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Pour l’arc nord-est, la fonction de chef-lieu des ces villes moyennes leur donnent un avantage comparatif de localisation résidentielle que ne détient pas le territoire rural faiblement attractif. Le phénomène est le même pour la Bretagne finistérienne, à la différence que l’on s’attendait à une plus forte attractivité migratoire dans les campagnes atlantiques. Moderniser la polyvalence des services La responsabilité majeure de ce type de villes consiste à pérenniser leur fonction de centralité en matière d’offre de services à la population. Dans ces villes, il s’agit en effet de « fixer » une population qui pourrait tendre à quitter le territoire : la qualité de l’offre de services est donc un facteur d’attractivité d’autant plus stratégique que la polyvalence des services constitue historiquement l’image de marque de ces villes pour leur territoire environnant. Dans cette perspective, l’enjeu premier a trait à la modernisation de la polyvalence des services pour les adapter aux nouveaux modes de vie : services culturels, de loisirs, de transport, de santé. Cette modernisation signifie donc l’amélioration de la qualité des services mais également la mise en place d’une fonction de relais de la grande ville, la polyvalence n’allant pas jusqu’à l’offre de fonctions « rares ». Ici, la fonction médiatrice de la ville moyenne prend la forme d’une mise en réseau. Ainsi, dans le domaine de l’enseignement supérieur, l’offre locale doit assurer une fonction de formation mais également une fonction sociale : c’est un moyen de retenir les jeunes pendant un laps de temps, notamment ceux issus de familles défavorisées. Mais cette fonction de « rétention » ne pourra donner sa pleine mesure que si elle s’inscrit dans un parcours de formation véritablement articulé avec l’offre de la grande ville. Il en est de même dans le domaine de la santé : l’appareil sanitaire diversifié qu’offrent ces villes (hôpital, cliniques privées) doit pouvoir servir de relais entre l’hôpital local situé en milieu rural et le CHU. Répondre pour ce type de villes moyennes à l’enjeu premier de la modernisation de la polyvalence des services implique en filigrane une nouvelle gouvernance territoriale. Leur autonomie relative de développement ne peut ignorer l’espace rural environnant, justement pour offrir le dernier rempart à leur déprise. Il s’agit donc pour elles d’organiser la polyvalence de leur gouvernance institutionnelle en cercles concentriques : identifier à la fois un niveau de gouvernement local, celui de l’agglomération et de l’intercommunalité politique, et un niveau de gouvernance territoriale, par exemple le « pays » ou toute autre formule coopérative. Les villes moyennes « prises » dans la métropolisation Il s’agit ici des villes moyennes qui sont largement insérés dans les dynamiques métropolitaines, avec une imbrication territoriale des trajectoires professionnelles et résidentielles à une large échelle. On a vu que cette imbrication, que l’on peut mesurer par les migrations quotidiennes domicile-travail entre les grandes villes et les villes moyennes, se fait soit à l’avantage soit au détriment de ces dernières, lorsque par exemple, elles voient leur solde de migrations alternantes d’actifs se révéler négatif (carte 27)70. On identifiera ici ce

70 On a déjà souligné le fait qu’il fallait relativiser ce solde négatif, en ce sens où les actifs qui travaillent dans la grande ville mais qui résident sur place participent au développement de l’économie résidentielle en faveur de la ville moyenne. A l’inverse, un solde positif de migrations alternantes signifie une attractivité en termes d’emplois mais pas de résidences, ce qui peut produire un manque à gagner en matière de revenus résidentiels. Cependant, pour les besoins de simplification typologique, on se limitera à considérer un solde de migrations alternantes négatif comme constituant un désavantage pour les villes moyennes.

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deuxième cas de figure, le cas des villes moyennes « déstabilisées » par leur insertion dans la dynamique métropolitaine. On trouve ce type de villes dans les principales zones métropolisées du territoire : le vaste continuum urbain qui regroupe le Bassin Parisien et lance ses filaments sur la moitié est de la France, en s’élargissant autour de Lyon et des vallées alpines et en descendant la vallée du Rhône. Dans cette zone, les villes moyennes situées dans le pourtour immédiat des aires urbaines de Paris, Lyon et Marseille sont les plus touchées. Quelques autres zones abritent des villes moyennes de ce type, mais elles sont plus éloignées de la grande ville et subissent moins directement son influence : sud-ouest, zones littorales de Bretagne, Haute-Normandie et Nord- Pas-de-Calais, Alsace. Les systèmes urbains de ces régions sont polarisés par la capitale régionale. Le cas des relations entre Toulouse et les villes moyennes de Midi-Pyrénées est ici à relever : elles apparaissent relativement autonomes (Auch, Agen, Castres) dans leur fonctionnement, contrairement à l’image classique de polarisation de cette région. L’incidence majeure de la métropolisation sur ce type de villes relève d’un phénomène de spécialisation fonctionnelle, une sorte de complémentarité des profils, aussi bien du point de vue économique que social. Ainsi, sur le plan économique, certaines de ces villes tendent à assurer une fonction de « back office » ou de sous-traitance productive et logistique pour leur métropole de référence, en raison notamment de leur accessibilité routière et de leur attractivité foncière pour la résidence. Elles peuvent dans certains cas assurer une fonction d’accueil pour des classes moyennes qui ne peuvent accéder au marché immobilier métropolitain ou pour des cadres ne souhaitant plus y résider (carte 28). Cette spécialisation de fait peut également toucher l’organisation des services aux publics, par exemple en spécialisant l’offre hospitalière sur la gérontologie. Accueillir des fonctions considérées comme « métropolitaines » Tout l’enjeu pour ce type de villes moyennes consiste donc à « retourner » la situation de complémentarité métropolitaine en leur faveur, à tirer profit du processus d’intégration spatiale, en accueillant de façon volontariste certaines des fonctions considérées comme « métropolitaines ». Dans cette optique, la fonction métropolitaine ne fonctionne pas obligatoirement sur le modèle de la concentration dans la grande ville, mais à l’échelle de la zone métropolisée. Ainsi, en matière de services, on peut envisager la « délocalisation » dans la ville moyenne de certaines fonctions jusqu’à présent polarisées : implantation d’une chaire d’enseignement du CHU, mise en place d’un 3ème cycle spécialisé de l’université. Dans le domaine de l’habitat, il peut s’agir de construire une stratégie de fixation résidentielle d’une partie des actifs métropolitains mobiles, par une offre foncière ciblée couplée avec une offre de services redéfinie. Pour ce type de villes moyennes « prises » dans le ciment métropolitain, le rehaussement des fonctions de complémentarité avec la grande ville et l’accueil de nouvelles fonctions métropolitaines impliquent également une nouvelle forme de gouvernance. A la différence du type précédent, celui-ci ne prend pas la forme de cercles concentriques, puisque le développement métropolitain concerné n’est pas auréolaire mais étale. Il prend plutôt la forme de « quadrants territoriaux » regroupant dans une même logique de complémentarité de fonctions un certain morceau de la grande ville, les villes moyennes et l’espace périurbain et rural situés dans le même « cône de lumière ». Inscrit dans des systèmes métropolitains complexes, ce type de villes moyennes doit donc pouvoir multiplier des formes de coopération

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en réseau et à géométrie variable selon les enjeux : ce peut être l’échelle du quadrant que l’on vient d’invoquer, mais également la coopération bilatérale avec la grande ville ou le réseau de villes moyennes prises dans le même espace métropolisé. Les villes moyennes concurrencées par leurs « nouvelles campagnes » C’est ici sans doute le phénomène le plus émergeant et le plus déstabilisant pour les villes moyennes qui constituent ce troisième type. Ces villes ne sont pas insérés dans la métropolisation ou étouffées par la proximité d’une grande ville venant limiter leur fonctions de commandement territorial, c’est leur territoire lui-même, leur bassin de vie jusque là « naturel » qui tend à leur échapper en s’autonomisant. Ce type d’aire urbaine moyenne connaît un décrochage démographique patent par rapport à celui de son environnement rural : les habitants de son pourtour pratiquent le butinage territorial et ne s’adressent plus obligatoirement à elle pour assurer les services dont ils sont demandeurs. Ils trouvent dans leur espace résidentiel local les services quotidiens et s’orientent vers la grande ville pour les services plus rares. Ces villes moyennes se trouvent également quelquefois prises en étau entre la dynamique d’une grande ville en matière économique et de services (hubs de transports, enseignement supérieur, offre hospitalière) et la dynamique résidentielle de l’espace rural. Dans d’autres cas, elles subissent de plein fouet les effets de restructurations industrielles localisées qui ne touchent pas leur environnement rural situé dans des zones d’attraction résidentielle. On trouve ce type de villes moyennes au sein d’une géographie en peu de léopard pour laquelle il est encore difficile d’avancer des éléments explicatifs généraux : Cotentin, quelques départements du pourtour immédiat du Bassin parisien, de la Lorraine, de la Franche-Comté (carte 30 – rose). Redéfinir des fonctions de centralité Dans le contexte de développement de l’attractivité résidentielle de l’espace rural qui les entoure, ce type de villes en émergence est confronté à une double crise de centralité. Leur fonction économique peut être mise en cause par un environnement marqué par une forte accessibilité générale et un glissement des activités productives et logistiques le long des axes de communication : c’est le cas des villes situés dans les départements de la frontière est et situées dans une zone de forte turbulence européenne. Leur fonction de centralité pour l’offre de services aux ménages sont contournées par les résidents des nouvelles campagnes et se limitent bien souvent aux périphéries commerciales de la ville moyenne. L’enjeu pour ces villes moyennes est donc considérable : il leur faut réinventer des fonctions d’animation territoriale et de centralité dans un contexte où leur environnement n’est plus « captif » mais doit être reconquis. Dans ce type de situation, c’est la ville-centre proprement dite qui apparaît la plus fragilisée. C’est elle qui doit être en mesure d’offrir des effets de barrière à la fuite de fréquentation de ses services en adaptant sa polyvalence aux nouvelles exigences des habitants qui ont intégré un style de vie urbain voire métropolitain. L’avenir de ces centres-villes des villes moyennes passe également par une politique urbaine tendant à recréer de la rareté, qu’elle soit foncière ou immobilière, pour redonner une nouvelle image et une nouvelle attractivité à ces centres.

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En termes de gouvernance institutionnelle, le développement de l’intercommunalité ou d’autres formes de coopération territoriale (« pays » par exemple) n’a pas toujours donné les résultats escomptés. La dynamique des « pays » se caractérise souvent, dans ce type de villes « décrochées » de leur territoire, par une organisation ignorant l’agglomération ou même, construite « contre » elle. Une nouvelle gouvernance institutionnelle exigerait donc dans ce cas de penser des modes d’intégration ou de coopération inédits entre agglomération et pays qui soient plus intégrateurs et complémentaires qu’une simple approche en termes de périphérie contre centre. L’avenir des villes moyennes est donc à calibrer et à réinventer selon leur inscription dans des plaques géographiques à dynamique différenciée et selon les enjeux qui découlent de leur positionnement dans un faisceau de relations qui les apparie doublement avec les grandes villes et l’espace rural. En ce sens, si les villes moyennes se situent bien au cœur de la transition territoriale française, les politiques publiques qui les concernent, celles de l’Etat comme celles des collectivités territoriales, sont également amenées à opérer une véritable transition.

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La mise en perspective des villes moyennes dans l’agenda politique de l’aménagement du territoire (chapitre 1) ainsi que le diagnostic porté sur leur dynamiques socio-économiques et territoriales récentes (chapitre 2) débouche tout naturellement sur l’identification des politiques à conduire pour réinventer l’avenir des villes moyennes. De ce point de vue et en référence à la problématique des années soixante, une large révision reste à opérer, qui concerne aussi bien le regard porté sur « l’objet » villes moyennes que sur la conception même des politiques publiques. On rappelle ici que dans le contexte de véritable basculement des trajectoires migratoires des habitants, les modes d’ « accroche » sur le territoire des activités et des fonctions économiques, y compris les plus globalisées, les formes d’habitat, les morphologies territoriales issues des comportements de gestion du temps et de consommation, se sont profondément transformés. De la « discrimination positive » à des stratégies territoriales différenciées L’action publique s’était donné pour objectif de faire des villes moyennes des points d’équilibre du territoire national, des villes intermédiaires d’une hiérarchie urbaine, pour répondre au double risque de grossissement inconsidéré des métropoles et de désertification des campagnes. Elles constituaient également une « division » urbaine privilégiée pour le déploiement de l’industrie fordiste. Aujourd’hui, les interdépendances territoriales provoquées par la généralisation des flux résidentiels et la globalisation des flux économiques tendent à positionner les villes moyennes de toute autre manière : elles sont inscrites, « plantées », dans des systèmes territoriaux différenciés et ceci, depuis l’échelle locale jusqu’à l’échelle européenne. C’est au sein de ces systèmes pluriels qu’il s’agit de reconsidérer la fonction « charnière » des villes moyennes. Car fonction charnière il y a bien : on a vu l’imbrication désormais organique entre les villes moyennes et l’espace rural, entre les villes moyennes et les grandes villes. Elles y entretiennent avec leur voisinage territorial des relations « horizontales » et relativement équilibrées, alors que l’on s’attendait à des relations verticales et plus déséquilibrées. Cette nouvelle fonction de « passeur » entre systèmes territoriaux justifie à elle seule l’inscription des villes moyennes à l’agenda de l’aménagement du territoire. Mais quel type d’action publique reste à construire pour répondre à cette ambition ? On peut considérer en première lecture que la visibilité des grandes villes et la forte attention qui leur est portée sous le vocable de «métropole » tend à occulter l’existence de villes de taille plus modeste qui participent pourtant de manière efficace à la diversification sociale et économique du territoire, ainsi qu’à sa richesse et même, à sa compétitivité. Ceci justifierait donc un traitement compensatoire, une sorte de « discrimination positive » à l’égard de cette strate catégorielle négligée.

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Pourtant, on a vu que derrière cette première approche « catégorielle », en surgissait clairement une autre, davantage géographique. Lorsque l’on observe les dynamiques des villes moyennes, on remarque que les plus fragilisées se situent dans des plaques territoriales elles aussi les plus fragiles de la France contemporaine : espaces de la diagonale des faibles densités qui court de la Champagne au sud du Massif Central, arc nord-est de reconversion productive et de plus faible attractivité, et plus récemment, contour sud du bassin Parisien. La géographie contrastée des positions des villes moyennes inciterait donc à construire des dispositifs d’action publique « au cas par cas », soucieux de la situation spécifique de chacune d’elles. On veut ici privilégier une troisième approche pour orienter l’action publique en direction des villes moyennes, une approche proprement territoriale et pas seulement géographique. La dynamique des villes moyennes est finalement déterminée par leur position dans les flux migratoires, dans une relation double et conjointe avec le renouveau de l’espace rural et la dynamique des grandes villes. Cette double relation prend une couleur particulière selon des ensembles territoriaux dont les contours sont justement redessinés par ces nouvelles morphologies migratoires. Il s’agit alors, entre traitement catégoriel et intervention au cas par cas, de construire des stratégies différenciées selon les types d’insertion territoriale des villes moyennes dans ces flux. La territorialisation des politiques sectorielles On prendra ici le parti de relire les enjeux dont les villes moyennes sont porteuses à la lumière de quelques politiques publiques qui affichent un principe d’équité nationale, en particulier les grands services publics qui sont et restent de la responsabilité et de la compétence de l’Etat dans le nouveau paysage de la décentralisation, ou encore, les politiques traditionnelles de péréquation. Cette priorité n’implique pas que la gouvernance des villes moyennes fasse abstraction d’une combinaison de l’action publique nationale avec celle des collectivités territoriales, au contraire. Le succès des contrats territoriaux (agglomérations et pays) démontre l’intérêt d’une telle convergence subsidiaire, verticale (entre collectivités territoriales) comme horizontale (intercommunalité, pays). Simplement, il apparaît indispensable que l’Etat soit à même de repenser ses responsabilités et d’adapter son action en direction des villes moyennes dans un contexte territorial fondamentalement modifié. Parmi les responsabilités qui incombent à l’Etat, on prendra un deuxième parti : celui de privilégier une entrée sectorielle des politiques publiques à conduire. Ce choix peut paraître paradoxal : le diagnostic a montré la force des systèmes territoriaux pour interpréter les performances des villes moyennes. Mais il s’explique par une volonté de pragmatisme. Point n’est besoin d’insister sur la prégnance de l’approche sectorielle et verticale dans la conduite de l’action publique de l’Etat. De ce point de vue, l’efficacité de la politique d’aménagement du territoire repose tout autant sur la territorialisation des politiques sectorielles que sur la transversalité des politiques d’organisation du territoire proprement dites. La manière d’aborder l’offre de services publics dans les villes moyennes ne se pose pas dans les mêmes termes que dans les espaces ruraux ou les petites villes. On y observe moins une tendance au retrait des services qu’un mouvement de rationalisation à l’échelle de mailles territoriales élargies, souvent dénommées « bassins de vie » ou « aires de chalandise ». On a donc choisi d’observer ces mouvements pour certains grands services publics qui sont stratégiques dans les mutations en cours. Cette entrée en matière par deux grands services

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publics, la santé et l’enseignement supérieur, illustre particulièrement bien les enjeux des villes moyennes, mais ne les couvre pas tous. Les politiques de transport et d’accessibilité, la localisation des autres services aux ménages, les politiques économiques visant à favoriser l’environnement des entreprises et la qualification des actifs, celles tendant à la valorisation économique des aménités du paysage (tourisme, par exemple), bref, l’ensemble des politiques d’attractivité et de bien-être mettent en mouvement des politiques partagées entre l’Etat et les collectivités locales, non seulement du seul fait mécanique de la répartition des compétences, mais parce que le territoire représente à la fois un bien commun et une diversité intrinsèque. Il faut ainsi souligner que le traitement dans ce rapport de quelques politiques publiques n’épuise pas la question des nouveaux services productifs et résidentiels, qu’ils soient publics, privés ou associatifs, que doivent offrir les villes moyennes pour répondre d’une part à la mutation des comportements et des profils sociaux de leurs habitants ou de leurs visiteurs et d’autre part, aux critères de localisation des entreprises qui s’installent au plus près des bassins résidentiels. De ce point de vue, les services visant à améliorer la gestion du temps des couples bi actifs (gardes d’enfants par exemple), les services culturels, de loisirs, les services touristiques et événementiels participent de l’attractivité des villes moyennes et contribuent largement à leur développement économique. De même, les fonctions des services aux entreprises, qu’ils soient de back office ou valorisant la sous-traitance de capacité, restent largement à explorer dans une logique de pôles d’excellence locaux. Quelques politiques clé pour répondre aux enjeux des villes moyennes La qualité de l’offre de soins apparaît déterminante pour l’évolution du territoire et des villes moyennes en particulier, par un double effet : celui, mécanique, du vieillissement de la population, celui, plus comportemental, de l’augmentation de l’exigence de qualité, élément qui fait de l’offre de soin un facteur de localisation résidentielle et d’attractivité territoriale à part entière. On sait également que l’exigence pour la qualité des soins augmente avec le niveau d’éducation de la population. Du côté de l’offre éducative, on centrera l’analyse des enjeux sur l’enseignement supérieur. Avec le développement de l’économie de la connaissance, cet enjeu apparaît tout autant comme étant un investissement productif qu’un investissement résidentiel pour l’économie des villes moyennes. On abordera la question de la recherche principalement sous l’angle de l’intensification des relations entre les structures d’enseignement supérieur des villes moyennes et les pôle de recherche des grandes villes. Cependant, pour ces deux politiques particulièrement structurantes que sont la santé et l’enseignement supérieur, on tentera de faire se confronter l’offre et la demande, abandonnant ainsi la vision dominante selon laquelle l’offre et de plus, une offre hiérarchisée territorialement, crée tout naturellement la demande. Certaines des villes moyennes les plus fragilisées sont aussi les plus enclavées. Les politiques publiques de transport sont ainsi les premières auxquelles l’on pense pour dynamiser leur attractivité. On verra que cette corrélation n’est pas toujours pertinente. Dans un souci de réinventer des marges de manœuvre économiques nouvelles, indépendantes d’un effet structurel de proximité des réseaux de transport, on tentera de brosser un tableau de l’accessibilité des villes moyennes, mesurées en temps. Mais cette observation se cantonnera à quelques données de temps d’accès et de parcours : la politique de transport pour les villes moyennes résulte d’une combinaison de besoins de desserte locale et de rabattement sur des grands « hubs » et axes de transport que l’on n’a pas pu explorer ici dans toute leur

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complexité. On en restera donc à un niveau de grands principes pour spécifier la fonction des villes moyennes dans ce domaine. Mais les politiques publiques d’offre de transport font l’objet d’un partage de compétence entre l’Etat et les collectivités territoriales organisatrices. Un certain nombre d’orientations seront évoquées pour promouvoir une meilleure gouvernance à même de satisfaire la demande de mobilité des habitants, en respectant les morphologies territoriales et les principes du développement durable. Un coup de projecteur sera mis sur les enjeux de développement économique des villes moyennes. Villes productives et résidentielles, on a vu que les fonctions résidentielles constituaient, en l’absence de politique publique ciblée sur elles depuis trente ans, un avantage comparatif « naturel » pour les villes moyennes. Les modes de production et d’organisation post-fordiste des firmes, le développement de l’économie de la connaissance et de l’économie de réseaux (économie d’archipel71) mettent en cause le modèle fordiste sur lequel s’était appuyé le développement des villes moyennes dans les années soixante-dix. C’est pourquoi, pour diversifier leur portefeuille de fonctions économiques, la redéfinition des fonctions productives, depuis la conception jusqu’à la commercialisation en passant par l’innovation et la technologie, deviennent stratégiques pour la vivification de leurs économies. Une dialectique entre économie résidentielle et économie productive sera ainsi proposée dans le cas particulier des villes moyennes. Ces orientations ne relèvent plus seulement de politiques publiques volontariste mais incitatives : la prise d’autonomie des entreprises dans le cadre de la mondialisation, celle des habitants dans le cadre de leurs trajectoires résidentielles imposent de concevoir autrement l’action économique territoriale, dans un souci d’influence plutôt que de pouvoir, que ce soient celle de l’Etat ou des collectivités territoriales. Enfin, last but not least, on réalisera un zoom sur les enjeux d’organisation urbaine et de reconquête de la centralité territoriale des villes moyennes. On a vu que nombre d’entre elles connaissaient des dynamiques démographiques négatives inverses de celles de leur environnement rural. L’enjeu de la qualité de services urbains, dans les communes-centres en particulier, apparaît donc particulièrement stratégique. Ces éléments de politique publique seront situés dans une gouvernance plus globale des villes moyennes incluant la disponibilité des ressources en ingénierie de projet et de développement dont les villes moyennes sont peu dotées. Dans ce domaine de la reconstruction de la centralité, on explorera donc les enjeux de gouvernance interne, mais aussi ceux qui impliquent des partenariats à construire avec l’Etat, ses établissements publics spécialisés et les collectivités territoriales, selon leurs compétences.

71 Veltz Pierre. Mondialisation, villes et territoires : l’économie d’archipel. Collection Economie en liberté. PUF. Paris. Juin 1997.

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3.1. L’OFFRE DE SOINS DANS LES VILLES MOYENNES Constituer des sites charnière entre la proximité et les hôpitaux de référence Le thème de la qualité de l’offre de soins dans les établissements hospitaliers a surgi comme un thème particulièrement sensible pour les élus des villes moyennes. Ceci parce que, en tant que présidents des conseils d’administration, la structure hospitalière publique leur apparaît plus visible que la partie immergée de l’iceberg constituée par la présence des professions de santé. Également, parce qu’il leur semble que le souci d’équité territoriale pour l’accès de tous au bien-être peut être remis en cause par la politique de rationalisation budgétaire et de restructuration des établissements de santé mise en place dans le cadre de la résorption du déficit de l’assurance maladie. Cette impression ne se révèle pas complètement exacte à la lumière des recompositions hospitalière en cours (en particulier la planification réalisée dans les schémas régionaux d’organisation sanitaire – SROS) et suivies au jour le jour par l’Observatoire des recompositions hospitalières du Ministère de la Santé72. Les sites les plus touchés par les regroupements, fermetures ou coopérations d’établissements de soins (hôpitaux publics comme cliniques privées) sont principalement les petites villes situées en milieu rural peu dense. De ce point de vue, les villes moyennes atteignent un effet de masse suffisant en matière de lits et de « clientèle » qui assure jusqu’à nouvel ordre leur pérennité. L’enjeu relève plus pour elles de l’amélioration de la qualité du service offert pour prendre en compte la mutation des comportements des habitants qui y résident que d’un véritable risque de suppression du service. L’insertion des villes moyennes dans des systèmes sanitaires différenciés Une typologie combinant offre de soins et état de santé Le territoire français se caractérise, malgré l’explosion générale de la consommation de santé et l’augmentation continue de l’espérance de vie, par la permanence d’une ligne de démarcation profonde séparant les lieux où se situent l’offre de soins et ceux où se situent la demande, celle-ci étant mesurée par l’état de santé de la population. Tout se passe en effet comme si l’on assistait à la calcification d’une coupure entre le nord et le sud du territoire qui perdure depuis le 19ème siècle, alors que le nombre de médecins était multiplié par douze entre 1910 et 200073. Cette première donne géographique est donc à prendre en compte pour situer les villes moyennes. Le sud regroupe des territoires où l’offre de soins est abondante, diverse, de bonne qualité et où l’état de santé des habitants est très satisfaisant. Le nord rassemble au contraire des territoires où l’offre de soins est moins dense et où l’état de santé des habitants est médiocre. Au-delà de cette fracture territoriale première, on peut plus précisément situer les villes moyennes dans une typologie des territoires de santé qui confirme la force des clivages spatiaux et de l’anthropologie territoriale pour comprendre la situation de ces villes. Cette typologie combine les zones d’emploi sur la base de nombreux critères économiques, 72 « Observatoire des recompositions des activités des établissements de santé » accessible sur le site www.recomposition-hospitaliere.sante.gouv.fr 73 Tonnelier François, « Médecine de ville : retour à la démographie » in de Kervasdoué Jean, Picheral Henri, Santé et territoire, carnet de santé de la France 2004, Dunod-Mutualité Française, Paris, octobre 2004.

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démographiques, de composition sociale, d’état de santé, d’offre et de consommation de soins74. Si elle reste encore enfermée dans une classification opposant l’urbain et le rural, la carte 35 révèle la double sédimentation des comportements : celle de l’offre de soins (localisation hiérarchique des établissements hospitaliers, localisation des médecins de ville) d’un côté, celle des modes de vie et de travail de l’autre. Cette sédimentation temporelle des comportements d’offre et de demande de soins creusent les inégalités spatiales. Six grandes plaques pour caractériser les systèmes de santé On y retrouve trois grands types : Paris, quelques pôles régionaux et les vallées alpines qui cumulent une bonne santé et une bonne qualité des soins, un Nord-est urbanisé et industriel en mauvaise santé et à l’offre de soins déficiente et un Sud composé de villes et d’espaces ruraux en bonne santé et bien desservis par les structures de soins. Mais ce sont les sous-types qui sont les plus éclairants. Sur un arc nord, les bassins d’emploi cumulent les handicaps, l’est connaît la mortalité élevée de toute région industrielle, la Bretagne une surmortalité traditionnelle caractéristique des espaces ruraux. Au sud, la Provence tertiaire connaît un bon niveau de santé, le sud-ouest une bonne qualité de vie, le Massif Central rural et ses pôles urbains, un bon état de santé malgré une offre médiocre de soins du fait de sa faible densité et de son isolement. Les villes moyennes connaissent donc des qualités d’offre de soins et des besoins différents selon leur inscription territoriale. Encore une fois, l’effet de taille des villes semble peu explicatif. Carte 35 : Une typologie des paysages socio-sanitaires (par zones d’emploi) - 2000

74 Lucas Gabrielli Véronique, Tonnellier François, Vigneron Emmanuel, Une typologie des paysages socio-sanitaires en France, CREDES, Série analyses, Paris, 1998.

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Source : Lucas-Gabrielli Véronique, Tonnellier François, Vigneron Emmanuel. Une typologie des paysages socio-sanitaires en France, op.cit, page 22, et Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, DATAR, CREDES, Quel système de santé à l’horizon 2020 ? Rapport préparatoire au schéma de services collectifs sanitaires, La Documentation Française, Paris, Décembre 2000, Page 27.

La leçon principale que l’on doit retenir des disparités territoriales de santé est la prégnance de la dimension sociale comme variable explicative principale. Ainsi, l’offre de soins, le nombre de médecins généralistes ou spécialistes, le nombre de lits d’hôpitaux et de cliniques est clairement corrélé avec la composition sociale de la population. Les médecins et les structures hospitalières se localisent là où la population est le plus instruite (part des bacheliers), occupe les emplois les plus qualifiés, rassemble les catégories socio professionnelles « supérieures » (pourcentage de cadres dans l’emploi) et bénéficie de bonnes conditions de logement. A l’inverse, ils sont beaucoup moins présents dans les zones où la population est peu diplômée, où elle est plutôt ouvrière, où les conditions de travail et de logement sont plus précaires. Le « capital social » que détient un territoire est donc un facteur déterminant pour expliquer ces disparités Globalement, la structuration du territoire en matière de santé risque de demeurer relativement inerte à moins que des politiques volontaristes de meilleure distribution territoriale soient mises en place. Des villes moyennes relativement désavantagées Il a été impossible d’isoler la situation socio-sanitaire des villes moyennes de celle de leurs contextes territoriaux, en raison de l’absence de données exploitées à cette échelle. Cependant, en comparant les grandes structures qui les caractérisent (chapitre 2) avec les indicateurs spécifiques de santé, on peut objectiver un certain nombre de constats. D’abord, les villes moyennes ne disposent généralement pas de CHU, donc de structures d’enseignement universitaire de médecine. Leur attraction pour les médecins, de ville ou hospitaliers, est donc limitée lorsque l’on sait que les médecins ont tendance à s’installer près de leurs lieux d’études. Les politiques de coopération entre leurs centres hospitaliers et les CHU de la grande ville proche sont alors stratégiques pour « fixer » les étudiants en médecine sur place et concrétiser leur installation définitive. Globalement d’ailleurs, toute politique d’offre de formation dans le domaine socio-sanitaire (écoles d’infirmières par exemple) peut améliorer non seulement l’état de santé de la population mais également participer d’une nouvelle attractivité. Ensuite, on a vu que les villes moyennes connaissaient, alors qu’elles étaient jusqu’à présent des villes jeunes, un phénomène nouveau de vieillissement du fait de la migration de retraités. Cette nouvelle donne provoque mécaniquement une augmentation de la consommation de santé. Les villes moyennes, comme les autres territoires où s’installent préférentiellement les plus de soixante ans, doivent donc être particulièrement prises en compte pour imaginer des stratégies publiques visant à favoriser des installations plus nombreuses de médecins. Le paradoxe français en matière de santé resurgit ici sous une autre forme : alors que l’ouverture des officines pharmaceutiques est soumise à des autorisations administratives qui calibrent les besoins en fonction des territoires, tel n’est pas le cas pour les médecins qui disposent d’une entière liberté d’installation. Faut-il alors s’orienter vers une planification territoriale de l’installation médicale ? La question est souvent déformée et posée en termes caricaturaux :

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est-ce aux comptes de la Sécurité Sociale de financer l’aménagement du territoire ? Quoiqu’il en soit, la lecture territoriale des systèmes de santé fait apparaître une injustice sociale et territoriale majeure à laquelle il apparaît urgent de remédier. Dans ce même registre d’idées, on a pu constater que le profil social des villes moyennes est principalement composé de catégories sociales ouvrières ou moyennes, du fait de la place qu’on leur a assigné dans la division spatiale du travail héritée de la période fordiste. De ce point de vue, elles disposent d’un désavantage structurel en matière de santé, puisque l’on a observé que les phénomènes de coagulation dans des zones à forts revenus déterminaient largement la structuration territoriale de l’offre de soins. Ces catégories sociales sont également celles qui souffrent des pathologies les plus lourdes. Doit-on en conclure qu’en matière de santé, les villes moyennes doivent bénéficier d’une « discrimination positive » et sous quelle forme ? Doit-on délimiter des « zones prioritaires de santé » à l’instar des dispositifs mis en place en matière d’éducation ? La question reste posée… En perspective, ce constat est toutefois à tempérer pour les villes moyennes : elles peuvent devenir attractives pour les médecins dans la mesure où elles bénéficient d’une attraction résidentielle nouvelle pour les retraités qui disposent proportionnellement de revenus plus élevés que les actifs. L’offre hospitalière mise en perspective La distribution des équipements hospitaliers (au sens large, hôpitaux publics et cliniques privées) n’est donc pas la seule clé d’entrée pour formuler des orientations de politique de santé en direction des villes moyennes. Cependant, elle représente une préoccupation majeure des élus concernés : il est donc nécessaire d’en réaliser un panorama succinct. La présence hospitalière sur le territoire, hiérarchie et capillarité Le tableau 15 donne un aperçu du volume de lits présents sur le territoire en distinguant sa distribution entre les aires urbaines et les pôles ruraux75. On peut constater, en mettant en regard le volume de lits par tranches et le nombre d’aires urbaines concernées, que l’offre hospitalière est particulièrement hiérarchisée et polarisée, et largement plus que l’organisation urbaine. Cinq aires urbaines, Paris et quatre grandes villes, disposent d’un réseau de structures offrant plus de 5000 lits. Dix-huit aires urbaines regroupent la moitié de l’offre urbaine totale, alors qu’il faut atteindre le chiffre de cent quarante sept aires urbaines pour regrouper la moitié de la population urbaine. Des mouvements de concentration et de regroupement de l’offre de soins sont donc à l’œuvre, sans que l’on puisse déterminer exactement si cette polarisation s’est accrue dans les dernières années sous l’effet de la politique de « recomposition » de l’offre hospitalière.

75 Les « pôles ruraux » sont ici ceux définis par l’INSEE sous le vocable « pôles d’emploi de l’espace rural » et construits dans le cadre de la délimitation des aires urbaines : communes ou unités urbains n’appartenant pas à l’espace à dominante urbaine et comptant 1500 emplois ou plus.

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Tableau 15 : L’urbain et le rural. Ensemble des lits de court séjour. 2003. Volume de l’offre (en nombre de lits)

Nombre de lits Nombre de territoires

Aires urbaines Pôles ruraux Aires urbaines Pôles ruraux Paris Plus de 5 000 2 000 à 5 000 1 000 à 2 000 500 à 1 000 250 à 500 100 à 250 50 à 100 Moins de 50

45 053 25 984 32 987 35 883 38 312 32 898 15 720 2 486 387

724 4 511 4 927 4 835

1 4

12 24 56 92 93 34 16

2 34 68

295

Total 229 710 14 997 332 399 Source : Fichier national des établissements sanitaires et sociaux (FINESS) du Ministère de la Santé – Calculs d’Emmanuel Vigneron. Mais on peut remarquer dans le même temps l’extrême capillarité territoriale de l’offre hospitalière. Elle constitue, au dire d’experts qui ont comparé les systèmes de soins dans divers pays européens, une autre véritable « exception française »76. En dessous de 1000 lits et en particulier, entre 100 et 500 lits, 185 aires urbaines et 102 pôles ruraux bénéficient de cette tranche d’offre hospitalière. Si la pyramide hospitalière existe bien, elle est assise sur une base très large qui se ramifie dans les plus petits territoires. L’observation de cette même distribution territoriale pour des catégories plus spécialisées de lits de court séjour, lits de chirurgie ou lits de gynéco-obstétrique par exemple, ne modifie pas fondamentalement la donne : les plus petits établissements hospitaliers, ceux qui disposent de 100 à 500 lits, sont toujours les plus nombreux dans ces spécialités. 76 Lucas-Gabrielli Véronique, Naber Norbert, Tonnellier François, « Les soins de proximité : une exception française ? « , Bulletin d’information en économie de la santé, Questions d’économie de la santé, Analyses, N° 39, Juillet 2001.

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Carte 38 : L’offre de lits de court séjour. 1999.

La répartition géographique des lits de court séjour, bien que de moins en moins pertinente pour retracer la diversité des activités hospitalières (développement des soins ambulatoires, par exemple), révèle des caractères territoriaux complémentaires : le phénomène d’aspiration parisien sur les régions limitrophes, la forte densité dans les régions de l’est et de la façade méditerranéenne, une plus grande homogénéité de la taille des établissements dans l’ouest et une forte polarisation sur la capitale régionale dans les régions du Massif Central et du sud-ouest77. Le dilemme concentration/proximité pour améliorer la qualité de l’offre de soins Le contexte général dans lequel les villes moyennes s’inscrivent aujourd’hui est celui de la rationalisation de l’offre de soins hospitaliers sur le territoire. La territorialisation de la politique de soins autour de la notion de « bassins de santé78 » est devenu au fil des temps un axe majeur de la politique du Ministère de la Santé. Au sein du vaste champ de la santé, qui ne touche pas seulement au curatif mais également au préventif, l’échelon régional est apparu comme le plus pertinent pour réorganiser l’offre hospitalière : création des Agences régionales d’hospitalisation (ARH) qui ont la responsabilité d’élaborer un schéma régional de l’organisation des soins (SROS). La concentration des équipements hospitaliers n’est pas seulement invoquée pour des questions de contrainte budgétaire, mais également au nom de l’amélioration de la qualité de l’offre de soins. L’interprétation de ce souci de qualité débouche sur deux conceptions de 77 Vigneron Emmanuel, Territoires de l’hôpital et territoires de projets de santé, publication de la DATAR. Paris. 2004. 78 Les bassins de santé sont définis sur la base des flux de patients vers les établissements hospitaliers.

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l’échelle pertinente. La première met en avant les avantages de la concentration comme facteur d’efficacité pour améliorer le rapport coût/qualité en veillant à une sécurité technique renforcée, la seconde, les avantages de la proximité comme facteur d’équité et d’accès aux soins de tous. La première suggère que l’efficacité du service rendu serait proportionnelle à la taille de l’établissement (nombre de lits, nombre d’actes ou maintenant d’ « activités ») et à son large rayon de chalandise, l’autre met l’accent sur les risques induits par une concentration uniquement dictée par des critères financiers (difficultés d’accès, déséconomies d’échelle, risques nosocomiaux) et prône un maillage plus étroit. La notion de « territorialisation » de l’offre de soins pour mieux répondre aux besoins n’est donc pas unique et peut recouvrir des acceptions opposées, qui peuvent également être complémentaires. Les comportements d’accès aux soins : proximité et contournement On ne peut pas dire globalement que les difficultés d’accessibilité géographique aux équipements hospitaliers soient en France rédhibitoires. On a déjà évoqué la capillarité spatiale des établissements de soins. Ensuite, la proximité est inégale et ne prend pas le même relief dans les régions où l’on observe une forte distorsion entre l’offre et la demande de soins et dans celles où il y a équivalence ou sur offre. Enfin, les comportements d’accès aux soins des malades sont souvent plus affectés par des facteurs de distance sociale que de distance spatiale. Contrairement à une idée reçue, les « consommateurs » de santé développent des comportements de « contournement de la carte » de l’offre de soins. Ainsi, « en cas d’hospitalisation, l’établissement le plus proche n’est pas toujours choisi et la distance parcourue par les patients augmente avec le niveau d’instruction quelque soit le degré d’urbanisation »79. Ce constat ne concerne bien évidemment pas les situations d’urgence ou les personnes ayant des difficultés de mobilité, personnes âgées ou handicapées. L’effet de la distance touche également les espaces ruraux les moins biens desservis, et par l’offre hospitalière et par l’offre de transports. Mais dans ces zones, l’offre hospitalière n’est pas seule en cause : la plus faible densité de médecins fait que l’effet de l’accessibilité géographique est encore plus marqué sur le plan du dépistage que sur le plan curatif (diagnostic tardif d’une maladie, par exemple). Trois mailles d’accès aux soins hospitaliers Le développement du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) permet justement de saisir l’organisation spatiale des systèmes de santé à travers les flux de patients et la fréquentation de chaque établissement hospitalier80. Au sein de chacune d’elles, on peut aussi distinguer le type d’activités et de soins prodigués. Cette base de données présente l’avantage de ne pas donner une image figée de l’offre hospitalière, mais d’y intégrer le niveau d’attractivité de chaque hôpital, en mesurant les pratiques réelles de fréquentation des patients et leurs trajectoires domicile/hôpital. Il intègre donc les flux de patients venant de l’étranger.

79 Lucas-Gabrielli Véronique, Nabet Norbert, Tonnellier François, « Les soins de proximité, une exception française ? », op. cit. 80 Le PMSI a pour caractéristique d’identifier pour chaque établissement la provenance des patients en répertoriant leur adresse.

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Le traitement territorial de ces données réalisé en 1999 au niveau national fait apparaître trois grands niveaux de flux qui dessinent des mailles différentes de fréquentation des établissements de soins81. Un premier niveau relève de la proximité. Il regroupe une catégorie de soins que l’on peut considérer comme « banaux » et fréquents : appendicectomies non compliquées, traitement de l’hypertension artérielle ou accouchements normaux. Il révèle une forte dispersion des lieux de soins et des courts trajets d’accès. La distribution des séjours est alors influencée par la densité de population du bassin de santé : les pratiques de fréquentation rejoignent le principe d’équité territoriale de l’accès aux soins (carte 39). Il regroupe 36 % des séjours. Carte 39 : Un exemple de flux de niveau de proximité : l’appendicectomie

Un deuxième niveau, qui concerne 58 % des séjours, relève de la notion de « recours ». On y a recours soit parce que l’offre de proximité pour la pathologie considérée est inexistante, soit parce que la recherche par le malade d’une qualité subjective de soins le pousse à se déplacer sur un site plus lointain. Il regroupe des soins que l’on peut considérer comme relativement banaux avec le développement de certaines maladies chroniques comme l’arthrose, le cancer ou les maladies cardio-vasculaires : arthroscopies, chimiothérapie, pose de stimulateurs cardiaques. Il opère une sélection en faveur des villes moyennes et grandes ainsi qu’en faveur des capitales régionales. Il fait émerger indistinctement des CHU et des centres hospitaliers de villes non universitaires, dont les villes moyennes. On y voit apparaître beaucoup de flux interrégionaux. Il met en relief des systèmes urbains différenciés selon de grandes plaques territoriales (très polarisées au sud et à l’est, plus équilibrées à l’ouest), qui révèlent en fait la

81 Vigneron Emmanuel (dir), Territoires de l’hôpital et territoires de projets de santé, Publication de la DATAR dans le cadre des travaux du groupe de prospective « Santé et territoires », Paris, 2004.

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hiérarchie de l’attractivité hospitalière permise par le développement de la mobilité et la bonne organisation des transports sanitaires. Ici, le principe de liberté d’accès aux soins pour le patient fait apparaître une première gradation de polarités territoriales. On y remarque clairement en haut de la hiérarchie la très forte attractivité de Paris sur les patients de toutes les autres régions, ce qui montre bien qu’une part importante de la demande de soins est déconnectée de la présence d’une offre à proximité raisonnable (carte 40). Cette constatation est confirmée par une étude des « fuites » pour les séances de chimiothérapie et de dialyse observées au niveau départemental : elles s’orientent vers des pôles qui deviennent les centres de grandes zones de chalandise et s’affranchissent de la proximité, alors que des protocoles de soins sont réalisables au niveau local. Carte 40 : Un exemple de flux de niveau de recours : chimio et radiothérapies

Un troisième niveau, dit « de référence », regroupe des pathologies et des catégories de soins très pointues et spécialisées : nouveaux nés grands prématurés, opérations du cœur, transplantation d’organes. Il concerne 6 % des patients et des flux beaucoup plus sélectifs : ils sont dix fois moins nombreux que pour le niveau de recours. Logiquement, on y observe la forte polarisation sur les métropoles régionales dotées de CHU. Cependant, ce modèle général est tempéré par les formes polycentriques des régions Rhône-Alpes, Bretagne, Pays de Loire, Centre (carte 41). Ici, la hiérarchie des « fonctions supérieurs hospitalières » est souvent différente des hiérarchies urbaines. Elle résulte d’une mobilité contrainte par la présence de plateaux techniques très spécialisés et non de la simple attractivité hospitalière.

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Carte 41 : Un exemple de flux de niveau de référence : les transplantations rénales (ou les transplantations d’organes)

Orientations pour les villes moyennes La position des villes moyennes face à l’enjeu de la santé est donc à prendre dans une double dimension : celle de leur situation dans le déséquilibre territorial entre l’offre et la demande de santé et celle de leur place particulière dans le système de l’offre de soins hospitaliers. Toutefois, au sein du système hospitalier, les comportements des patients façonnent les contours territoriaux de l’accès aux soins et s’affranchissent souvent de la distance géographique. Pour les villes moyennes, qui constituent un niveau de recours important en termes hospitaliers, l’attractivité de leurs d’établissements est donc autant déterminée par la capacité d’organisation et de coopération que par la proximité. Ne pas limiter les villes moyennes à une fonction locale de « place centrale » des territoires de santé La notion de « projet de territoire » a pénétré tous les segments de l’action publique et également les politiques de santé. Mais la notion de territoire est trop souvent cantonnée à une approche locale au détriment d’une politique de mise en réseau des établissements de santé, articulant les plateaux techniques les plus performants avec les fonctionnalités propres à la

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proximité. « Les SROS de troisième génération82 doivent organiser un dispositif gradué de l’offre de soins hospitalière assurant accessibilité et qualité des prises en charge, articulé avec les secteurs ambulatoires et médico-social ou social. Les premiers SROS, strictement hospitaliers, avaient été construits sur les bassins d’attraction des établissements. Les notions de territoires, de proximité et d’articulation avec les autres dispositifs, nécessitent, en plus de l’approche technique hospitalière de type attraction/fuite, une approche pragmatique de concertation avec ces « partenaires » pour définir des territoires partagés d’intervention »83. Cette gradation des soins, de l’hôpital local au CHU, en incluant les cliniques privées, n’a pas encore véritablement eu lieu. Les SROS ont privilégié des recompositions « horizontales » de l’offre hospitalière sur des bassins sanitaires de proximité sans véritablement toucher à des réorganisation « verticales » par la mise en réseau entre niveaux hospitaliers (entre CHU et centre hospitalier, par exemple), car celles-ci impliquaient de s’attaquer dans le même temps à la régulation de la concurrence entre établissements au sein des grands pôles hospitaliers. Toutes les agences régionales d’hospitalisation se sont ainsi livrées à l’exercice de découpage de leur territoire en bassins locaux d’attraction des établissements de santé. Selon la taille des bassins de santé ainsi obtenus, leur proximité avec des zones plus attractives ou la présence d’établissements publics et privés assurant les mêmes prestations, des fermetures, regroupements, fusions ou mises en réseau (par exemple, des syndicats inter hospitaliers) sont mis en place. De même, des connections sont établies entre le secteur hospitalier proprement dit et les secteurs socio-sanitaire de manière à intégrer l’ensemble de la filière de santé, du préventif jusqu’au curatif, en passant par le palliatif. Toutes ces mesures illustrent la prééminence de l’approche locale. La recomposition hospitalière aujourd’hui revêt donc deux caractéristiques : elle est basée sur le découpage régional et a pour vocation de rationaliser l’offre de soins à une échelle locale, la plus proche des patients. De ce fait, elle n’a pu prendre en compte ni l’articulation entre les différentes niveaux de l’accès aux soins, ni des coopérations entre établissements dont les bassins de santé peuvent s’affranchir de la frontière régionale. Promouvoir une offre graduée de soins « verticale » entre villes moyennes et CHU La position des villes moyennes dans la recomposition hospitalière est donc particulièrement ambiguë : de par le type de leur offre hospitalière qui est assez diversifié et qui connaît un certain effet de masse, elles se trouvent situées au cœur des bassins locaux de santé, qu’elles se doivent donc d’animer. Elles semblent bien assises sur leurs acquis hospitaliers pour assurer une fonction de « pivot » et de recours sur des bassins certes élargis, mais elles sont peu appréhendées dans leur fonction de charnière entre le niveau local et le niveau de référence qui est situé dans la grande ville dotée de CHU et de plateaux techniques très spécialisés. Autrement dit, pour garantir l’amélioration de la qualité des soins sans rester arque boutée sur des rentes de situation, qui à terme, risquent de se révéler fragiles, la notion d’offre graduée de soins doit être conçue, dans les villes moyennes, comme une offre graduée dans la distance et pas seulement dans la proximité. 82 Voir l’annexe à la circulaire du 5 mars 2004 relative à l’élaboration des SROS de troisième génération et portant sur la graduation des soins en annexe VI du présent rapport. 83 Beuf Pierre, directeur adjoint de l’agence régionale d’hospitalisation de Languedoc-Roussillon, « Une approche de concertation pour des territoires partagés d’intervention », Revue hospitalière de France, n° 497, Mars-Avril 2004.

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Les fonctions hospitalières des villes moyennes en attente de définition entre grand pôle et proximité : l’exemple de la Champagne-Ardenne Région peu dense en habitants et en médecins, région connaissant un relatif mauvais état de santé, région abritant un grand nombre de villes moyennes, l’adaptation de l’offre de soins en Champagne-Ardenne est donc intéressante à observer. Le SROS est resté muet sur l’organisation de l’offre de soins dans les sites importants pour focaliser l’attention sur l’offre de proximité. Ainsi, dans le plus grand pôle hospitalier, Reims, les concurrences restent vives entre le CRHU – Centre régional hospitalo-universitaire - et les cliniques privées et entre les cliniques privées. Si les établissements du pôle rémois exercent une forte attraction sur les départements de la Marne et des Ardennes ainsi que sur l’Aisne picarde, ils ne peuvent en revanche, du fait de leurs concurrences internes, se positionner comme têtes de réseaux régionaux. A l’autre extrémité, l’offre de soins a été organisée au niveau local à partir d’un découpage de la région en zones d’attractivité hospitalière (carte 42). Presque toutes ces zones, ou bassins de santé, sont centrées sur une ville moyenne. Carte 42 : Aires d’attractivité des établissements de santé en Champagne-Ardenne

Le premier axe consiste à mailler le territoire pour la prise en charge des urgences, sur la base d’un temps maximal d’intervention d’une équipe de SMUR de trente minutes, ce qui a conduit à la mise en place d’antennes dans quatre localités isolées. Le second axe consiste à favoriser les rapprochements entre secteur public et privé dans des villes desservant des bassins de population de 100 000 habitants. La structuration de l’offre locale passe également par des regroupements sur une base géographique. Des groupements hospitaliers « Sud Ardennes » et « Aube-Marne » s’organisent avec des perspectives de fusion entre centres hospitaliers ou hôpitaux locaux de plusieurs petites villes. La couverture sanitaire du sud Haute Marne sera assurée par un projet d’organisation commune de l’offre de soins entre Chaumont, ville moyenne, Langres et Bourbonne-les-Bains. Ainsi, si des recompositions locales ont eu lieu, restent en suspens le pôle rémois, mais également, les « concurrences » entre villes moyennes : Sedan et Charleville-Mézières distantes de 20 km et reliées par autoroute, Vitry-le-François, Saint-Dizier et Chalons en Champagne distantes de 20 mn l’une de l’autre. Le fait que le SROS soit muet aussi bien sur leur devenir que sur celui de Reims montre le danger qui attend le futur hospitalier des villes moyennes si celles-ci ne sont appréhendées que du point de vue des concurrences spatiales qu’elles se livrent au niveau local sans, parallèlement, envisager leur insertion verticale dans des réseaux de coopération hospitalière avec les grandes villes.

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Ainsi, par exemple, le SROS devra prendre en compte le décret de 2002 sur la réanimation et jouer le rôle d’arbitre pour la qualification des sites « service d’accueil d’urgence – SAU » en ne retenant que ceux qui disposent d’une unité de réanimation, ce qui devrait conduire à la suppression de l’habilitation SAU de ceux ne répondant pas à ce critère. De même, la qualification des niveaux de maternité devra correspondre à un niveau de fréquentation correspondant sur le bassin de santé : il en va ainsi de Troyes, qualifiée niveau III (très haute technicité) mais dont le rôle dans son environnement est, semble-t-il, peu affirmé. Source :Broudic Patrick, directeur de l’agence régionale d’hospitalisation de Champagne-Ardenne : « 1999-2004, cinq années d’adaptation de l’offre de soins en Champagne-Ardenne ». Revue hospitalière de France. N° 497. Mars-Avril 2004. Concevoir la ville moyenne comme une plaque tournante entre le territoire et le réseau La requalification des soins dans les villes moyennes ne peut donc s’arrêter au constat de leur place centrale dans des bassins sanitaires de proximité où on leur reconnaît une fonction de pivot aussi bien du point de vue technique de l’offre de soins que du point de vue organisationnel de la coopération entre acteurs. L’enjeu principal pour elles consiste non seulement à remplir une fonction de site-pivot mais aussi de site-charnière entre le niveau de proximité et le niveau de référence. Le développement de réseaux de coopération hospitalière entre villes moyennes et grandes villes apparaît donc, dans le domaine de la santé, particulièrement stratégique. De ce point de vue, l’examen du SROS Bourgogne est éclairant : outre qu’il est actualisé en continu, c’est le premier qui désigne sous le vocable de « sites-pivots » les six « capitales des territoires sanitaires et de coopération » de la région. Cinq d’entre eux, en dehors de la capitale régionale Dijon, qui empile les fonctions de proximité, de recours et de référence, sont des villes moyennes. Elles sont donc amenées à remplir un rôle de tête de réseau sur leurs bassins de proximité respectifs. Il est également à remarquer que la taille de ces bassins s’est dilatée au fil des SROS : est-ce un signe de la volonté de rationaliser l’offre ou le constat d’une plus forte dispersion de l’habitat et d’une accélération de la mobilité pour l’accès aux établissements ?

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Carte 43 : Les six territoires sanitaires et de coopération en Bourgogne

Source : Agence régionale d’hospitalisation de Bourgogne. Projet pour le SROS de 3ème génération La carte 43 dessine non seulement des bassins de santé et de coopération et leurs sites-pivots, mais indique également par des flèches les coopérations mises en œuvre. Elles se déploient localement à l’intérieur du territoire de santé et au sein de la région mais également en dehors des frontières régionales. Dans ce cas, elle relient généralement des régions limitrophes et des établissements de même niveau : ainsi, les CHU de Dijon et de Besançon développent des coopérations dans le domaine de la recherche, de l’enseignement et prennent respectivement en charge des spécialités pointues ne nécessitant pas, « tant pour des raisons médicales qu’économiques », d’être développées sur les deux régions (transplantations d’organes, cancérologie, thérapie cellulaire en partenariat avec l’établissement de transfusion sanguine interrégional). De même, deux villes moyennes comme Nevers en Bourgogne et Bourges dans la région Centre, coopèrent à l’intérieur de la même « division ». Seuls les établissements de Sens au nord et de Mâcon au sud développent des relations avec les pôles parisien et lyonnais dans une relation nécessairement déséquilibrée, mais enrichissante pour les sites des deux villes moyennes.

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La mise en réseau d’établissements hospitaliers de villes moyennes avec des pôles de référence est donc possible, dans une logique de réseaux verticaux où les effets de coopération jouent dans les deux sens. Dans cette conception, la ville moyenne et son bassin sanitaire ne sont donc plus seulement vus comme constituant un gisement potentiel de pathologies spécifiques dont il faut organiser le rabattement sur des pôles de référence, mais également comme un lieu bénéficiant de « transferts technologiques » de la part du CHU ou de la clinique spécialisée. Ce flux bidirectionnel permettrait de soulager l’hôpital de référence d’un certain encombrement qui se révèle coûteux et néfaste pour le confort du patient et de rehausser la qualité du service offert par la ville moyenne. De ce point de vue, la ville moyenne n’est pas seulement le pivot d’un territoire sanitaire local fermé sur sa cohérence interne, mais elle assure également une fonction de plaque tournante entre le réseau et le territoire. Requalifier le niveau de proximité pour consolider le rôle local des villes moyennes Valoriser la fonction de pivot des villes moyennes sur « leur » territoire sanitaire suppose que ce bassin de proximité soit requalifié de manière à assurer un niveau de garantie équitable en matière de services d’offre de soins. L’organisation de ce premier niveau de proximité doit donc répondre à un certain nombre de principes. Il ne s’agit plus simplement de définir ex nihilo un calibrage de l’offre, mais plus fondamentalement, de faire correspondre l’offre aux besoins, c'est-à-dire de prendre en considération les caractères particuliers de l’état de santé de la population du bassin. On dispose aujourd’hui d’une batterie d’indicateurs permettant d’observer les pathologies au niveau local et d’esquisser des corrélations entre l’état de santé et d’autres caractères économiques et sociaux. S’il y a un avantage à une approche locale de l’offre de soins, c’est bien celui de tendre vers une traitement différencié de cet équilibre offre/demande selon les territoires. C’est également de tenter de réduire les inégalités territoriales par une « discrimination positive » en directions de certains territoires de santé prioritaires. A cette restriction fondamentale près, le premier niveau de proximité doit répondre à des enjeux de base : - la permanence des soins : permanence dans le temps (horaires d’accueil des services) et

permanence dans l’espace (accessibilité mesurée en temps d’accès et pas seulement en distance euclidienne),

- l’accueil des consultations avancées, - la sécurité des urgences, - la polyvalence des soins, - la prévention et l’éducation à la santé, dans un contexte de développement de certaines

pathologies liées à des comportements individuels à risque : ceci suppose une nouvelle collaboration entre les acteurs de l’offre de santé et ceux de l’offre sanitaire et sociale (dont les collectivités territoriales sont les principaux maîtres d’ouvrage) pour mettre en place des réseaux de santé publique locaux.

- le suivi dans la durée des patients avec le développement des maladies chroniques liées au vieillissement.

Structuré autour des hôpitaux locaux et des maisons médicales, ce premier niveau doit également être repensé avec le développement de l’hospitalisation à domicile, ce qui pose la

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question de la disponibilité et de la mobilité des professions médicales et de santé (infirmières) dans chaque bassin de santé. Si le bon fonctionnement technique et la gouvernance de ce niveau de proximité constituent un avantage comparatif pour les villes moyennes qui en sont la tête de réseau, les principaux enjeux hospitaliers pour elles se situent davantage à un niveau intermédiaire et sur une fonction d’intermédiation. Composer des plateaux techniques diversifiés et de qualité par l’articulation public-privé et l’amélioration de l’accessibilité On a vu que la ville moyenne constituait clairement un niveau de recours encore incontesté aussi bien à travers les comportements d’accès aux soins des patients (flux vers les établissements) qu’à travers sa reconnaissance comme niveau de recours dans la hiérarchie hospitalière (sites-pivots identifiés dans les SROS). L’organisation de ce niveau de recours vise à aboutir à la constitution de plateaux techniques diversifiés et généralistes assurant la meilleure qualité de prestations dans une relative proximité (moins de 20 mn). C’est donc à cet échelon des villes moyennes que le rehaussement de la qualité technique de l’offre de soins apparaît la plus stratégique. Elle implique souvent des recompositions internes sur lesquelles les SROS sont en général peu diserts. Pourtant, la construction d’un plateau technique diversifié et de qualité au sein des villes moyennes suggère une série d’orientations, et en particulier, des orientations en matière d’organisation : - Renforcer la synergie au sein du potentiel hospitalier. C’est en effet au niveau des villes

moyennes que l’on voit apparaître de la manière la plus cruciale l’enjeu d’une articulation entre les secteurs public et privé. La qualification du plateau technique offert dans la ville moyenne passe donc par une collaboration effective ou une mise en commun des activités des hôpitaux publics et des cliniques privées : répartition du temps des praticiens, utilisation commune d’équipements coûteux de haute technologie, dossier médicaux partagés.

- Faciliter l’accessibilité à ce plateau diversifié par l’amélioration de l’offre de transports en commun et la rationalisation des moyens de transport d’urgence (taxis, véhicules sanitaires légers, ambulances, hélicoptères) de différents statuts.

Un exemple de rapprochement public-privé et de mise en réseau entre villes moyennes : Carcassonne Le transfert du centre hospitalier de Carcassonne se réalisera à l’horizon 2010 dans un nouvel établissement distant de 5 km situé en pleine zone d’urbanisation. L’hôpital et son pôle logistique se placeront au côté de la future clinique du Sud (privée) : les deux établissements seront amenés à développer des collaborations, notamment au sein du groupe de coopération sanitaire institué pour les soins palliatifs. L’établissement dispose également de réserves foncières qui devraient être consacrées au secteur des personnes âgées, avec le regroupement de deux établissements hospitaliers pour personnes âgées. Par ailleurs, les établissements de Béziers, Carcassonne et Narbonne ont constitué un groupement d’intérêt économique pour l’imagerie lourde de l’Aude dans le but de se doter d’une IRM mobile entre les trois villes. L’autorisation d’achat a été donnée en 1998. Source : www. recomposition-hospitaliere.sante.gouv.fr/carto/

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Faciliter la coopération entre villes moyennes Mais la consolidation de plateaux techniques diversifiés et de qualité dans les villes moyennes nécessite quelquefois d’atteindre un effet de masse, en particulier pour des questions de rationalisation budgétaire. Elle pourrait donner lieu à une première mise en réseau entre structures hospitalières aux caractéristiques et fonctions proches. Quelques orientations :

- Promouvoir la mise en réseau des établissements hospitaliers de plusieurs villes moyennes proches pour mettre en commun un équipement lourd,

- Favoriser la coopération interrégionale entre villes moyennes proches et plus largement, la coopération transfrontalière, pour coller aux pratiques réelles de fréquentation des patients qui s’affranchissent des frontières.

Un exemple de coopération transfrontalière : Menton En 2003, le premier centre périnatal transfrontalier d’Europe a ouvert ses portes à Menton. Il est le résultat d’une coopération sanitaire intense entre le centre hospitalier de Menton et l’agence sanitaire de la province italienne d’Imperia. Le centre prend en charge, de la naissance à la fin de la première année, les mères et leurs bébés dans une zone franco-italienne qui s’étend du bassin de santé mentonnais à la province d’Imperia. Environ 2/3 des parturientes résident en France et 1/3 en Italie. La pris en charge financière est assurée pour toutes. Par ailleurs, un pédiatre italien, mis à disposition par l’agence sanitaire d’Imperia, vient au centre de Menton une journée par semaine pour les consultations pédiatriques. Le centre de périnatalité transfrontalier, financé en partie par des fonds Interreg, constitue la première réalisation d’un projet plus vaste de « communauté transfrontalière » entre l’hôpital de Menton et l’agence sanitaire d’Imperia. Un accord de coopération signé en 2002 a permis de définir des objectifs communs : améliorer le libre accès aux soins, développer la complémentarité de l’offre, assurer une meilleure intégration des ressources sanitaires. Source : L’actualité transfrontalière – Revue de la Mission opérationnelle transfrontalière. N° 7. Septembre 2004. Définir la subsidiarité avec les fonctions de proximité A l’échelle du bassin de santé dont la ville moyenne constitue souvent le site-pivot, une nouvelle subsidiarité fonctionnelle pourrait être définie, qui jouerait à la fois sur la déconcentration et la fonction de tête de réseau pour de nouveaux dispositifs de santé intégrant la prévention. Quelques orientations :

- Jouer la déconcentration volontaire de certains types de soins actuellement assurés par les villes moyennes (chirurgie ambulatoire, chimiothérapie, traitement coronarien) vers le niveau de proximité et au plus près des besoins du patient.

- Élargir la fonction de tête de réseau de la ville moyenne pour assurer la cohérence des dispositifs de soins avec ceux de la prévention qui se déploient à l’échelle du bassin de santé. Les villes moyennes sont en effet souvent des chefs lieux de département, les compétences sanitaires et sociales revenant aux conseils généraux, ce qui pourrait favoriser la gouvernance de la ville moyenne sur ces fonctions.

Enfin, les perspectives de qualification de l’offre de soins dans les villes moyennes ne peuvent être dissociées de l’enjeu de la formation professionnelle dans le domaine de la santé. De ce

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point de vue, elles disposent d’un avantage comparatif « historique » : celui de la localisation privilégiée des écoles d’infirmières. Cet atout gagnerait à être valorisé et renforcé. Consolider la ville moyenne comme charnière entre la proximité et le niveau de référence : quelques perspectives On a pu observer que les perspectives de restructuration territoriale de l’offre de soins se calaient sur une organisation hiérarchique des différents niveaux hospitaliers par région, avec la mise en place de recompositions à l’intérieur de chaque niveau, mais peu de passerelles entre les niveaux et une faible coopération interrégionale. Tout l’enjeu consiste donc pour les villes moyennes, au-delà de leurs réorganisations internes, à intensifier les relations avec les autres niveaux et en particulier, le niveau de référence offert par la grande ville dotée d’un CHU, puisque sa fonction de pivot dans le bassin de proximité est garantie. Cette ouverture « extérieure » du potentiel hospitalier des villes moyennes en direction des grandes villes pourrait prendre plusieurs formes : - Développer de la formation professionnelle des praticiens : fléchage de postes d’internes

dans les établissements des villes moyennes, fléchage de postes d’internes en médecine générale dans les cabinets de médecins de ville, postes partagés de praticiens universitaires entre le CHU proche et le plateau technique de la ville moyenne, développement du télé-enseignement, développement de la formation permanente. Ce point est particulièrement crucial dans la mesure où les médecins de ville ont tendance à s’installer près de leur lieu d’études. Il aura donc une forte incidence sur l’attractivité globale de la ville moyenne et l’amélioration de sa démographie médicale : il a été en effet constaté que la densité médicale de spécialistes en ville moyenne est inférieure de 40 % à la moyenne nationale. Ce chiffre est toutefois à relativiser selon les régions.

- Mettre au point de dispositifs de diagnostic à distance au moyen de la télémédecine. - Mettre au point des protocoles de soins déconcentrés dans les établissements ou les

cabinets médicaux des villes moyennes à la suite d’une intervention rare et spécialisée réalisée dans un établissement de référence.

C’est donc sur le segment de la vivification des relations entre l’offre hospitalière des villes moyennes et celles des grandes villes ou sites de référence que l’effort d’expérimentation devra préférentiellement porter pour mettre en pratique dans le domaine de l’offre de soins la vocation irremplaçable des villes moyennes : celle de charnière territoriale.

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3.2. L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR DANS LES VILLES MOYENNES Vers des contrats de qualification de systèmes universitaires locaux Le thème de l’offre d’enseignement supérieur, à l’instar de celui de l’offre de soins, est également apparu particulièrement sensible pour les élus des villes moyennes. D’abord, parce que les orientations des Ministères chargés de l’enseignement supérieur et de la recherche sont en phase de redéfinition. Pour répondre aux défis de la concurrence européenne et mondiale sur leurs secteurs d’intervention publique (États-Unis, Japon, pays émergents – Inde, Chine), ces administrations mettent l’accent sur l’excellence pour orienter les financements prioritaires. « La France est rentrée, dans le domaine de l’offre d’enseignement supérieur, dans l’ère de la compétition mondiale, et avec elle, l’Europe toute entière. L’attractivité du territoire, qu’il soit français ou européen, ne se mesure pas seulement à l’aune de ses capacités à attirer les entreprises, mais également, les meilleurs étudiants ou chercheurs étrangers. Dans ce domaine, l’Europe est en compétition ouverte avec les États-Unis. Il en va également du rayonnement du modèle culturel européen, aujourd’hui mis à mal par la prééminence anglo-saxonne »84. Ensuite, parce que la démographie étudiante s’est modifiée depuis le début des années quatre-vingt : alors qu’elle était en croissance permanente, on observe aujourd’hui une décrue. Les grandes villes universitaires, en particulier les plus jeunes et les moins traditionnelles, voyant les conditions d’accueil de leurs étudiants se dégrader face à l’afflux massif de jeunes bacheliers né du contexte d’ouverture de l’accès à l’enseignement supérieur des années quatre-vingt, ont été relativement enclines à « essaimer » des morceaux de leur université (couramment dénommées « antennes universitaires ») dans les villes moyennes ou petites. Lorsque la pression de cet afflux diminue, ce sont les grandes universités qui sont les plus touchées, alors que les sites universitaires localisés dans les villes moyennes connaissent toujours un grand succès et voient leurs effectifs augmenter (en partie sous l’effet mécanique de l’ouverture de nouvelles formations). Une concurrence de fait s’instaure alors entre les grands centres universitaires et les villes moyennes pour capter les nouveaux bacheliers, concurrence avivée par le principe selon lequel les crédits de fonctionnement alloués aux universités se font en proportion du nombre d’étudiants. Enfin, les élus des villes moyennes ont pris pleinement conscience que l’offre d’enseignement supérieur leur est indispensable pour rester dans la course de l’économie de la connaissance, qu’elle ouvre à leurs villes des perspectives de développement économique non négligeables (les études de l’IREDU85 de Dijon indiquent que l’enseignement supérieur crée environ 130 emplois par tranche de 1 000 étudiants à l’université), qu’elle renforce leur attractivité pour les entreprises et les résidents (étudiants, professeurs et leurs familles, personnel administratif), qu’elle présente une opportunité de revivification de leurs centres-villes par une populations jeune constamment renouvelée, ceci dans un contexte particulier aux villes moyennes de plus faible attractivité des centres et de vieillissement. Ils sont donc d’autant 84 Monteil Jean-Marc, directeur de l’enseignement supérieur. Intervention du 28 septembre 2004 au groupe de travail « villes moyennes « de la DATAR. 85 Bilan du plan Université 2000. DATAR.

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plus sensibilisés à la question universitaire qu’ils sont passés d’une situation de privilège où les villes moyennes offraient des opportunités de desserrement à une situation de concurrence qui pourrait faire perdre à leur ville certains de leurs avantages comparatifs. Les villes moyennes dans le paysage de l’enseignement supérieur Pour situer les enjeux des villes moyennes dans le domaine de l’enseignement supérieur et déterminer des orientations possibles, un bref détour par les positionnements des villes moyennes dans le système national et territorial s’avère indispensable. La plupart des éléments de description qui suivent sont tirés des données du Ministère de l’enseignement supérieur en 2003-2004 (en particulier les cartes extraites de l’Atlas régional de l’enseignement supérieur86), ou des traitements de ces mêmes données effectués par Daniel Filâtre pour l’année 2002-2003 dans le cadre d’une étude pour la DATAR87. Quelques éléments de cadrage national Quelques éléments de cadrage en ressortent tout d’abord. Le système d’offre d’enseignement supérieur national est marqué, comme le système d’offre sanitaire, par un double phénomène de polarisation et de capillarité. Paris et la petite couronne regroupent en effet 1 étudiant sur 4, la métropole détient une position dominante en matière d’effectifs. Cette domination est encore plus marquée dans les filières sélectives que constituent les 3èmecycles : l’Île de France pèse 34,3 % des effectifs de cette filière. A l’inverse, il existe en France 581 implantations géographiques ou « sites » d’enseignement supérieur (incluant toutes les formations post-bac, dont les classes de STS, les classes préparatoires aux grandes écoles, les écoles consulaires), dont certains ont quelques dizaines d’étudiants. C’est dire le maillage fin de l’enseignement supérieur sur le territoire, unique en Europe. La polarisation métropolitaine ou régionale (4 régions dont l’Ile de France concentrent 50 % des effectifs nationaux, 9 en concentrent 75 %) va donc de pair avec une extrême capillarité, qui résulte d’une période où l’enseignement supérieur était conçu comme un « service public de proximité » favorisant la démocratisation de l’enseignement supérieur et le développement local. Dans cette logique, les besoins de délocalisation des universités convergeaient avec les demandes des élus des villes moyennes et petites. On a assisté durant les années de forte croissance démographique étudiante (1987-1995) à un foisonnement d’initiatives locales qui se sont accompagnées par des ouvertures de formations sur tout le territoire.

86 Atlas régional de l’enseignement supérieur. Année 2003-2004. Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Paris. 2004. 87 Filâtre Daniel et Tricoire Aurélie, « Analyse de la structuration territoriale des établissements d’enseignement supérieur en France métropolitaine ». Rapport pour la DATAR. Juillet 2004. Et Filâtre Daniel, « Comment considérer le devenir des sites universitaires périphériques ? ». Note de recherche pour la DATAR. Août 2004.

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Carte 43 : Le paysage actuel de l’enseignement universitaire en France. (Année 2003-2004).

Il est à noter que parmi ces 581 implantations, 177 sont des sites d’enseignement supérieur qui abritent également une ou plusieurs offres universitaires, les autres étant uniquement composés de formations post-bac non universitaires. Parmi ceux-ci, 50 sont sièges d’universités, dotées d’une autonomie de décision, à la différence des 127 sites universitaires restants (carte 43). Par souci de simplicité, on appuiera dorénavant l’observation uniquement sur ces 177 sites offrant des formations composites à la fois dans le domaine universitaires et dans le domaine non universitaire de l’enseignement supérieur. La répartition territoriale de l’offre d’enseignement supérieur : hiérarchie et capillarité Le double caractère hiérarchisé et capillaire de la carte de l’enseignement supérieur est également rendue visible par la distribution de l’offre de formation universitaire selon la taille des sites, appréhendé par l’effectif étudiant.

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Tableau 16 : Distribution des sites d’enseignement supérieur par taille – Année 2002-2003

Nombre de sites Nombre d’étudiants Poids des sites dans l’effectif d’enseignement supérieur total (en %)88

12 (dont Paris et petite couronne : 1 site)

Plus de 30 000 60,7 dont 21,5 % pour Paris et petite couronne

7 20 000 à 30 000 11,7 11 10 000 à 20 000 11,4 18 5 000 à 10 000 8,6 34 1 000 à 5 000 4,8 95 Moins de 1 000 2,5 Source : Filâtre Daniel et Tricoire Aurélie, op. cit. Calculs de Priscilla De Roo. Ainsi, l’on observe que le seul site de Paris (et petite couronne) concentre plus d’un étudiant sur cinq, que onze métropoles universitaires abritant plus de 30 000 étudiants chacune concentrent 40 % des effectifs étudiants métropolitains. A partir de ce seuil, le rapport entre le nombre de sites d’enseignement supérieur, leur taille et leur poids dans les effectifs nationaux s’inverse : plus les sites sont nombreux, plus ils sont dispersés, plus leur nombre d’étudiants diminue et plus ils représentent un infime partie de l’offre d’enseignement supérieure nationale : ainsi, les 95 sites de moins de 1 000 étudiants sur les 177 sites observés représentent une goutte d’eau dans l’océan de l’enseignement supérieur. Parmi eux, 30 en abritent plus de 500 et 65 moins de 500, dont un peu moins de la moitié, 200 étudiants. C’est dire l’extrême capillarité de l’offre d’enseignement supérieur sur le territoire, mais en même temps, la fragilité des plus petits sites dans la concurrence territoriale ! La distribution territoriale des sites d’enseignement supérieur est également tributaire du contexte de chaque région et de la morphologie de son « armature universitaires ». On a déjà souligné le rôle déterminant du contexte territorial pour situer les dynamiques des villes moyennes, ceci se confirme pour la dynamique universitaire et à fortiori pour la dynamique universitaire des villes moyennes. Mais la logique universitaire possède une certaine autonomie et ne se calque pas toujours sur la configuration des systèmes urbains régionaux, révélée par le tableau 7 (infra) du partage des emplois stratégiques. Des régions relativement isolées comme le Limousin, l’Auvergne ou la Champagne-Ardenne connaissent un fort effet de primatie universitaire (poids du site le plus important de la région dans les effectifs régionaux totaux) alors que leurs systèmes urbains sont relativement polycentriques. A l’inverse, pour les régions Midi-Pyrénées et Bretagne (respectivement centralisée et équilibrée), la structure territoriale de l’offre universitaire retrouve le canevas du système urbain. Le poids modeste des villes moyennes Les villes moyennes ne se trouvent pas toutes dans le cas de figure de fragilité de leur site d’enseignement supérieur ou de leur écrasement par l’université-mère. Daniel Filâtre89 a 88 Le poids en enseignement supérieur (ES) des sites universitaires n’atteint pas 100 % puisque les sites d’ES non dotés d’enseignement universitaire ne sont dorénavant plus pris en compte dans l’observation. 89 Filâtre Daniel, Tricoire Aurélie, op.cit.

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défini une typologie des différents sites d’enseignement supérieur sur la base de trois critères : l’effectif étudiant, la présence ou non d’une université de plein exercice, donc autonome et « mère » des antennes universitaires qui en dépendent pour leur fonctionnement pédagogique et leur gestion, l’organisation du site d’enseignement supérieur par filières et par niveau. Cinq types de sites universitaires ont été ainsi définis : le type 1 correspond aux très grands sites des métropoles universitaires, le type 2 aux villes universitaires de plein exercice moins importantes, les types 3, 4 et 5 aux sites d’enseignement supérieur dépendant d’une université-mère et souvent situés dans les villes moyennes et petites : le type 3 regroupe les antennes universitaires multi filières et donc, généralistes, le type 4 les sites dépendants spécialisés dans l’enseignement technologique (présence d’instituts universitaires de technologie ou IUT), les type 5 tous les petits sites dépendants restants et principalement structurés par l’offre de sections de techniciens supérieurs (STS) en lycée. A l’exception du type 2 présent dans quelques villes moyennes, l’archétype du profil universitaire des villes moyennes est constitué par le type 3 : sites dépendants d’une université-mère mais relativement généralistes. En incluant certains sites de type 2 (universités de plein exercice), comme les universités technologiques (Compiègne, Belfort et Troyes), Chambéry, La Rochelle et les universités multipolaires (Université d’Artois, Université de Bretagne Sud et Université du Littoral), les sites d’enseignement supérieur des villes moyennes, principalement regroupées dans les types 3 et 4, représentent environ 10 % des effectifs totaux d’enseignement supérieur. En incluant l’Ile de France, ils en représentent 7 %. Ces chiffres sont très modeste par rapport à leur poids dans la population totale (environ 20 %). Les villes moyennes pèsent donc, en termes d’enseignement supérieur, la moitié de ce qu’elles pourraient attendre compte tenu de leur population : ce calcul donne juste une indication, car ce n’est pas uniquement l’effet de taille de la population qui détermine les implantations universitaires, mais des facteurs beaucoup plus complexes comme les stratégies du milieu universitaire et des acteurs locaux ou les trajectoires de mobilité et les pratiques de filière des étudiants.

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Carte 44 : Typologie des sites universitaires dans l’ensemble des villes et dans les villes moyennes. Année 2002-2003.

La spécialisation des villes moyennes dans les enseignements professionnalisés à quelque niveau qu’ils soient Voici la caractérisation des filières d’enseignement supérieur et d’enseignement universitaire dans les différents types, en excluant l’Ile de France qui comporte des caractères trop particuliers. L’addition horizontale des filières pour chaque type correspond à 100 % des effectifs. Tableau 17 : Poids des filières d’enseignement supérieur hors Ile de France par type de villes universitaires (en % des effectifs d’enseignement supérieur) – Année 2002-2003

Types STS CPGE90 Université Autres formations ES

1 6,8 2,9 74,5 16,0 2 11,4 3,1 68,5 17,2 3 20,5 5,1 49,6 23,7 4 39,3 1,0 29,6 30,1 5 40,3 0 29,5 30,1

90 CPGE : Classes préparatoires aux grandes écoles.

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Tableau 18 : Poids des filières universitaires hors Ile de France par type (en % des effectifs d’enseignement universitaire) – Année 2002-2003

Types Ingénieurs IUT 1er et 2ème cycles 3ème cycle

1 2,1 5,7 74,5 17,7 2 5,9 12,1 70,8 10,8 3 3,5 52,0 43,3 1,1

491 0 100 0 0 592 0 0 73,7 26,3

Source des deux tableaux : Ministère de l’enseignement supérieur. Traitements de Daniel Filâtre et Aurélie Tricoire. Carte 45 : La répartition par filières de l’enseignement universitaire dans les villes moyennes. Année 2002-2003.

Si l’on considère que l’on peut extraire de cette typification des sites d’enseignement supérieur les types 3 et 4 qui se retrouveraient préférentiellement dans les villes moyennes (tout en étant conscient que certaines d’entre elles se rattachent au type 2 et d’autres au type 5), un certain nombre de caractères communs aux villes moyennes se font jour :

91 Le type 4 regroupe les sites universitaires n’offrant que des formations en IUT. Cela explique que le poids des effectifs d’IUT représente 100% de l’effectif universitaire. 92 Le type 5 est constitué de sites universitaires n’offrant pas de formation d’IUT.

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- D’abord, la place des enseignements non universitaires et professionnels (STS dans les lycées et autres formations offertes par exemple par les écoles consulaires) est très importante : elle varie de 20 à 40 % de leurs effectifs d’enseignement supérieur.

- La proportion des classes préparatoires aux grandes écoles est proportionnellement bien supérieure dans les villes moyennes que dans les grandes villes. Il faut y voir là la qualité de l’encadrement, le plus faible effectif des classes et le goût des étudiants pour des filières sélectives de plus en plus proches du domicile familial. Il est ainsi frappant de constater que les filières sélectives ne sont plus cantonnées aux grands lycées des métropoles universitaires et que les villes moyennes participent pleinement de cette logique puisque les STS sont dorénavant considérés également comme des filières sélectives.

- A l’inverse, la part des effectifs universitaires dans les effectifs totaux de l’enseignement supérieur décroît nettement avec le statut de dépendance des sites universitaires qui caractérise les villes moyennes. On peut y trouver la cause dans la frilosité des équipes universitaires des grands sites à promouvoir des délocalisations de filières dans les villes moyennes.

Pour ce qui est de l’enseignement universitaire proprement dit, on observe un renforcement des caractères des villes moyennes repérés précédemment : - Les formations d’ingénieurs universitaires y sont plus importantes proportionnellement

que dans les métropoles universitaires, sans compter les universités technologiques accueillies dans les villes moyennes qui forment presque exclusivement des ingénieurs.

- Les IUT sont largement majoritaires dans les villes moyennes et constituent, par construction, la totalité des effectifs du type 4. Offrant une palette large de formations, pratiqués aujourd’hui comme des filières clairement sélectives, ils constituent un moteur fondamental pour le développement universitaire et l’attractivité des villes moyennes.

- La surprise vient de la place des 3ème cycles universitaires (DESS spécialisés) dans les effectifs des villes moyennes et ceci, du fait exclusif du type 5, c'est-à-dire des petits sites universitaires. Il semble que des logiques de « niches » aient présidé à l’implantation de ces formations pointues et spécialisées dans des petits sites. Cela démontre, si besoin il en était, que l’excellence universitaire ne se définit pas principalement par des effets de masse. Encore faut-il que ces formations spécialisées soient intégrées dans un réseau de recherche avec la grande ville proche…

- Enfin, les villes moyennes et les antennes universitaires, contrairement à une idée répandue, ne connaissent pas plus d’implantations de 1er et 2ème cycles que les universités de plein exercice. Au contraire, les villes moyennes, caractérisées par le type 3, en accueillent, proportionnellement à leurs effectifs, presque moitié moins.

Cette grille d’analyse peut trouver une possibilité d’application pour chaque villes moyenne (aire urbaine de 30 000 à 200 000 habitants), que le tableau ci-dessous classe exhaustivement dans l’un des cinq types définis.

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Tableau 20 : Villes moyennes selon les effectifs et le type universitaires. Année 2002-2003.

Type 2

Villes moyennes à universités de plein exercice

3 Sites dépendants multi

filières

4 Sites dépendants à

spécialisation technologique

5 Sites dépendants autres

Moins de 100 étudiants

(11 sites)

Forbach, Morlaix, Sète, Verdun.

Bar-le-Duc, Cahors, Dax, Fougères, Lons-le-Saunier, Mâcon, Rochefort.

de 100 à 500 étudiants

(40 sites)

Saint Omer UL Alençon, Auch, Aurillac, Auxerre, Béziers, Carcassonne, Castres, Chalon-sur-Saône, Charleville-Mézières, Cholet, Creil, Draguignan, Gap, Le Puy en Velay, Maubeuge, Menton-Monaco, Mont-de-Marsan, Nevers, Saint-Dié, Salon-de-Provence, Sarreguemines, Soissons, Vesoul, Vichy, Vienne

Châlons-en-Champagne, Châtellerault, Elbeuf, Fréjus, Haguenau, Laon, Lisieux, Moulins, Saint-Avold, Saint-Lô, Saint-Malo, Thionville, Tulle

Montauban.

de 500 à 1000 étudiants

(18 sites)

Agen, Beauvais, Brive-la-Gaillarde, Bourg-en-Bresse, Cambrai, Chartres, Châteauroux, Cherbourg, Laval, La Roche-sur-Yon, Longwy, Montbéliard, Montluçon, Narbonne, Niort, Périgueux, Roanne, Saint-Quentin

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Type 2

Villes moyennes à universités de plein exercice

3 Sites dépendants multi

filières

4 Sites dépendants à

spécialisation technologique

5 Sites dépendants autres

de 1000 à 2000 étudiants

(14 sites)

Albi, Angoulême, Arles, Blois, Bourges, Colmar, Épinal, Évreux, Lannion, Le Creusot, Rodez, Saint-Brieuc, Saint-Nazaire, Tarbes

de 2000 à 8000 étudiants

(14 sites)

Arras UBS, Belfort UT, Boulogne-sur-Mer UL, Calais UL, Chambéry, Compiègne UT, La Rochelle, Lorient UBS, Troyes UT, Vannes UBS

Annecy, Quimper, Valence

Source : Ministère de l’enseignement supérieur. Typologie de Daniel Filâtre et Aurélie Tricoire. Calculs de P De Roo.

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La carte 46 explicite globalement la place des villes moyennes dans l’armature universitaire nationale sur certaines de leurs spécialisations professionnalisées (IUT, licences professionnelles, formations d’ingénieurs, IUFM). Carte 46 : La place des villes moyennes dans les formations professionnalisées. Année 2003-2004

Perspectives d’évolution pour les villes moyennes Ainsi, les villes moyennes se caractérisent principalement par la place éminente de leur offre de formations professionnalisées sur toute la palette de niveaux, qu’ils soient à bac + 2 (STS et IUT) ou bac + 5 (filières d’ingénieurs et DESS). Dans une perspective de revalorisation de ces types de formations en France (à l’instar d’autres pays européens), les villes moyennes

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détiennent un avantage comparatif certain, qu’elles se doivent de consolider. L’évolution entre 1997 et 2002 de l’offre d’enseignement supérieur ouvre des perspectives tout aussi positives pour les villes moyennes : la part de l’enseignement universitaire et non universitaire dans leurs effectifs croît de façon très importante, en particulier les enseignements universitaires et les IUT et ceci, contrairement aux métropoles universitaires. Une tendance au rapprochement des profils des grandes villes universitaires et des villes moyennes a également lieu avec le développement des formations non universitaires dans les métropoles. Tableau 19 : Évolution des effectifs étudiants hors Ile de France par type. 1997-2002

Types

Évolution STS

Évolution ES Évolution Université

Évolution autres

formations ES 1- Métropoles universitaires

10,1 3,51 -2,59 30,04

2- Villes universitaires de plein exercice

5,7 5,01 5,49 18,29

sites multipolaires et UT uniquement

- 0,4 18,04 33,42 23,30

hors sites multipolaires et UT

7,4 1,10 -2,89 16,74

3- Sites dépendants multi filières

- 3,8 16,63 27,99 12,78

4- Sites dépendants à spécialisation technologique

13,5 23,86 59,03 11,02

5- Sites dépendants autres

19,3 53,98 44,31 91,88

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Carte 47 : Évolution des effectifs de l’enseignement supérieur et de l’enseignement universitaire dans les villes moyennes. 1998-2003

Orientations pour les villes moyennes Les villes moyennes se trouvent donc, du point de vue de l’enseignement supérieur, prises en étau entre deux mouvements contradictoires. D’un côté, elles connaissent un succès certain du fait de l’ouverture de formations nouvelles dans leurs sites pendant une quinzaine d’années (plan Université 2000). Ceci démontre que la logique de proximité constitue une attente réelle de la part d’étudiants qui jusqu’alors n’avaient pas accès à l’enseignement supérieur. De l’autre, la raréfaction de la démographie étudiante et la logique de concurrence européenne (stratégie de Lisbonne) et mondiale dans un contexte d’économie de la connaissance pousse les pouvoirs publics à privilégier la notion d’excellence. Celle-ci peut conduire, par une interprétation trop univoque, à privilégier la logique de masse critique, donc de polarisation spatiale, ce qui peut mettre en difficulté certains sites de villes moyennes à faible effectifs étudiants. Le principal enjeu des villes moyennes consiste alors à répondre à la logique d’excellence par un saut qualitatif en termes d’organisation de leurs filières d’enseignement plutôt que par un simple grossissement mécanique de leurs sites. Construire et organiser des systèmes universitaires locaux (SUL) Les villes moyennes constituent l’archétype du site d’enseignement supérieur mêlant formations universitaires et non universitaires. La palette y est large pour des sites considérés comme trop petits : STS et CPGE dispensés dans les lycées et relevant de la Direction de l’enseignement scolaire93, 1ers, 2èmes et 3èmes cycles relevant de la Direction de

93 Ministère de l’éducation nationale

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l’enseignement supérieur94, écoles consulaires et écoles relevant d’autres ministères comme les écoles des Mines95. Sans parler des laboratoires de recherche appliquée présents dans certains technopôles situés dans des villes moyennes et relevant du Ministère de la recherche. Le premier défi pour les villes moyennes consiste donc à ramasser dans un même projet de territoire universitaire96 les formations éparses qui relèvent de gouvernances différentes. L’enjeu est stratégique. A la différence des territoires de santé qui privilégient l’organisation locale et horizontale de l’offre de soins au détriment de l’articulation verticale avec les CHU, les sites universitaires des villes moyennes vivent une situation inverse. Ils sont par construction dépendants d’une université-mère et privilégient naturellement les relations verticales avec l’université de plein exercice de la grande villes dont ils dépendent. L’organisation et la rationalisation de l’ensemble des filières d’enseignement supérieur présentes dans le territoire local constitue donc pour les villes moyennes la première pierre pour la construction de « systèmes universitaires locaux », de manière à atteindre l’efficacité et l’excellence. Cette orientation générale de « territorialisation » des filières d’enseignement est cependant bouleversée par de nouveaux enjeux qui touchent l’organisation universitaire elle-même. Mettre à profit l’harmonisation des diplômes européens A ce stade, il faut évoquer le défi pour les villes moyennes de la réforme d’harmonisation européenne des diplômes dite « LMD » (pour licence-master-doctorat). Les nouveaux diplômes reconnus à l’échelle européenne remontent d’un degré la marche de ceux délivrés nationalement, en normalisant les niveaux à bac + 3, bac + 5 et bac + 8. Or, dans les villes moyennes, un grand nombre d’enseignements délivrent des diplômes à bac + 2 (STS, IUT) par exemple. De même, certains diplômes de filières technologiques sélectives (Instituts universitaires professionnalisés, certaines écoles d’ingénieurs) délivrent des diplômes à bac + 3 ou bac + 4. L’harmonisation des diplômes est largement engagée par les universités françaises, elle est actuellement réalisée à 70 %. Restent cependant les 30 % restants souvent localisés en ville moyenne97. Cette réforme constitue une occasion unique pour les villes moyennes de repenser et de rationaliser leur offre d’enseignement supérieur. Les nombreux STS dispensés dans les lycées vont-ils se transformer en licences ou vont-ils rester des diplômes uniquement reconnus nationalement ? La même question se pose pour les IUT, ceux-ci étant dispensés par les universités. Dans l’affirmative, comment les nouvelles licences universitaires de technologie se différencieront-elles des licences professionnelles ? Certaines villes moyennes proposent également des diplômes universitaires de technologie à bac + 4. Vont-elles se transformer en masters et quelle cohérence organiser avec les DESS pointus déjà largement présents dans les villes moyennes ou petites ? Quelle part respective accorder aux formations technologiques et aux formations plus généralistes à bac + 5 ? Pour ce qui est des premiers et deuxièmes cycles, également présents dans les villes moyennes, le nouveau référencement est le même : quel

94 Ministère délégué à l’enseignement supérieur 95 Ministère de l’industrie 96 Dorénavant et pour faire simple, on dénommera « territoires universitaires » ou « systèmes universitaires locaux » l’ensemble des formations d’enseignement supérieur, universitaires ou non universitaires, présent dans un site. 97 Monteil Jean-Marc. Op.cit.

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avenir pour les DEUG à bac + 2 et les maîtrises à bac + 4 ? Toutes ces questions touchant à la mutation des diplômes, donc à l’offre d’enseignement supérieur, demeurent encore en suspens et ne concernent évidemment pas les villes moyennes seules. Mettre en mouvement le carré magique du développement universitaire territorialisé Cependant, la construction d’un système universitaire local ne reste pas confinée à la seule sphère universitaire. Son ancrage territorial, son insertion dans le système d’acteurs local (responsables universitaires, enseignants, chercheurs, entreprises, chambres consulaires, étudiants) est, par construction, particulièrement important. De ce point de vue, quatre moteurs principaux participent de la mise en mouvement du territoire universitaire local pour construire des fertilisations croisées et l’émergence d’un vrai système : la qualité et la rationalisation de l’offre de formation, le dynamisme et l’excellence de la recherche fondamentale ou appliquée, les processus d’innovation et de transfert technologique vers les entreprises, la qualité de la vie étudiante98. C’est ce véritable « carré magique » qui constitue le socle de l’action des villes moyennes pour construire leur système universitaire local. Il est clair que les différents côtés de ce carré magique ne peuvent être articulés uniformément sur l’ensemble des villes moyennes, mais déclinés pour chacune d’elles selon leurs atouts et caractéristiques locales. On a déjà évoqué les enjeux de réorganisation du système universitaire lui-même. Pour ce qui est de la recherche, s’il est difficile d’imaginer la localisation dans les villes moyennes de grands laboratoires, il n’est pas impossible qu’elles puissent accueillir des laboratoires d’excellence spécialisés sur certaines « niches » de recherche fondamentale ou appliquée. Mais surtout, il apparaît stratégique de penser et d’organiser l’adossement du site de la ville moyenne sur le système de recherche de la grande ville universitaire dont elle dépend. Cela est particulièrement vrai pour les formations masters qu’elles dispensent (DESS ou écoles d’ingénieurs par exemple) qui sont peu dissociables des activités de recherche. Cela vaut également pour toutes les actions d’innovation et de transfert de technologie qui par définition, fonctionnent en réseau, dans une économie du savoir qui devient une économie d’archipel. Ici, une logique de territoire local va de pair avec une logique de réseau. En ce sens, les villes moyennes ne doivent pas être considérées uniquement comme des territoires arque boutés sur leurs rentes de situation (une forte attractivité pour des étudiants de proximité) ou des sites « secondaires », mais comme les pièces d’un véritable système de recherche et d’innovation national. De même, l’engagement des entreprises et des acteurs économiques locaux est fondamental pour le système universitaire des villes moyennes, autant comme dispensateurs de formations (les formations dépendantes des chambres consulaires sont nombreuses) que comme prescripteurs de transferts technologiques et d’emplois. Une université technologique, un IUT ou une école d’ingénieurs peuvent mettre à disposition du territoire local et de son développement économique une expertise publique irremplaçable. De ce point de vue, l’enseignement supérieur doit être considéré comme un service public pour le tissu économique local99. Une logique de filières économiques pourrait être ainsi structurée, qui irait de l’offre d’enseignement supérieur jusqu’à l’emploi dans les entreprises locales ou nationales, en fonction des ressources économiques, des stratégies de développement mises en œuvre et des caractéristiques du système productif. Là encore, le territoire et le réseau sont à 98 Filâtre Daniel. « Comment considérer le devenir des sites universitaires périphériques ? ». Note de recherche pour la DATAR. Août 2004. 99 Monteil Jean-Marc. Op.cit.

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construire concomitamment : répondre aux besoins de formation exprimé par le socle économique local des PME/PMI, voire des quelques grandes firmes installés dans les villes moyennes, doit aller de pair avec le développement de filières spécialisées et lisibles qui permettent de renforcer l’ouverture du territoire local à des échanges nationaux ou mondiaux. On doit notamment garder à l’esprit que le marché du travail qualifié n’est plus local et que l’attractivité d’une ville moyenne en matière d’enseignement supérieur et de recherche concerne autant les étudiants de tout le territoire que les étudiants vivant à proximité. La valorisation des ressources économiques du local est ainsi un moyen de participer au développement national : la ville moyenne n’est plus seulement une catégorie économique particulière mais un incubateur de compétences économiques mises au service du territoire tout entier, inscrites dans la même logique de gouvernance économique tripartite (enseignement, recherche, entreprises) que les pôles de compétitivité situés dans les grandes villes. Enfin, la qualité de la vie étudiante et les services qui y contribuent ont constitué un facteur déterminant de l’attractivité des villes moyennes. Cette qualité recouvre plusieurs aspects : meilleur encadrement des étudiants et meilleur taux de réussite aux examens, effectifs moins chargés, plus grande centralité des sites universitaires dans la ville, offre de logements étudiants plus nombreuse de par la moindre rareté foncière, coût de la vie plus faible et, last but non least, accès de proximité, ce qui a permis à de nombreux étudiants issus de couches sociales défavorisées, nombreuses dans les villes moyennes, d’accéder à l’enseignement supérieur. C’est sur ce créneau de la qualité de la vie étudiante en général que les collectivités locales des villes moyennes ont intérêt à investir massivement, car il est le gage de la pérennité et de la compétitivité de leur système local d’enseignement supérieur dans un contexte de concurrence entre sites. Cet investissement, qui aura autant d’effets productifs que d’effets résidentiels, rejoint d’ailleurs un des enjeux majeurs des villes moyennes : la revivification de leurs centre ville et l’amélioration de la qualité des services aux publics. Il concerne autant les services immatériels rendus aux étudiants (offre culturelle et de loisirs par exemple) que la construction d’infrastructures (transports, logements, restaurants, bibliothèques) proprement dite. Promouvoir la rationalisation et la spécialisation des sites existants Les villes moyennes sont, plus que les grandes villes universitaires, confrontées à un effet de compétition et de « masse critique », du fait du moindre nombre de leurs étudiants, de leur manque d’autonomie et du portefeuille moins large de formations supérieures qu’elles offrent. Elles sont souvent vues comme adoptant une position défensive pour maintenir coûte que coûte leurs formations ou même, comme développant des stratégies de fuite en avant : demandes d’ouverture de nouvelles formations, demandes de transformation du statut d’ « antenne universitaire » au statut d’université de plein exercice, en faisant jouer leurs localisations multipolaires. Face à ce conflit de logiques entre l’échelle nationale et locale, une chose semble sûre : le maillage universitaire du territoire français, après une quinzaine d’années de délocalisations, est aujourd’hui achevé100. Mais, « entre la trop forte concentration sur certains pôles universitaires et l’extension systématique des petits sites, il y a à rechercher une troisième voie, plus raisonnable. Il s’agit alors de fonder cette politique raisonnable sur un principe

100 Monteil Jean-Marc. Op. cit.

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organisateur : tous les sites d’enseignement supérieur existants sont légitimes. A partir de là, il s’agit de multiplier les efforts de qualification, de spécialisation et de complémentarité en fonction du contexte local, national et/ou international. Ceci suppose d’avoir le courage de fermer des formations, si ce n’est de les remplacer. Les tous petits sites (il y en a même un à 29 étudiants!) sont à repenser dans cette perspective. Mais également les très grands sites ! »101. Le directeur de l’enseignement supérieur place ainsi directement l’enjeu sur le développement de la qualification des sites universitaires des villes moyennes et souhaite qu’elles privilégient un développement intensif plutôt qu’extensif par multiplication des filières et segments de diplômes. Cette spécialisation de l’offre d’enseignement supérieur ne constitue pas une visée nouvelle : elle a été souvent consubstantielle aux villes moyennes, on l’a constaté dans le développement privilégié des formations professionnalisées à l’échelle nationale : une sorte de « division spatiale » s’est construite. De plus, depuis quelques années, les villes moyennes tentent également de rationaliser leur offre interne. Dans les sites plutôt généralistes (universités technologiques ou multipolaires, sites multi filières) par exemple, on constate un recul des formations STS (tableau 19). De même, on observe une spécialisation en IUT de certaines villes moyennes qui abandonnent leurs premiers cycles universitaires pour cause de fuite des étudiants vers l’université-mère après leurs deux premières années d’études, au profit de formations plus sélectives, plus spécialisées et plus enracinées localement. On constate donc déjà une spécialisation des villes moyennes sur certaines filières et une rationalisation de leur offre. Rationalisation, spécialisation et développement intensif en faveur de la qualité universitaire des villes moyennes doivent cependant s’appuyer dans le même temps sur l’organisation de la mise en réseau des villes moyennes avec les universités dont elles dépendent, que ce soit au niveau de l’enseignement ou de la recherche. Rien ne serait plus dangereux que de maintenir les villes moyennes dans une simple fonction de spécialisation de second ordre. La notion de spécialisation rime automatiquement avec celle de complémentarité. La construction d’un système universitaire local implique de faire correspondre une offre de formation avec une stratégie locale, mais également d’intégrer des actions concrètes de mise en complémentarité et de réseau avec l’université mère ou pourquoi pas, d’autres universités voisines, même si elles ne se situent pas dans les limites académiques (cas de la collaboration entre Pau en Aquitaine et de Tarbes en Midi-Pyrénées, par exemple). Les acteurs universitaires sont concernés au premier chef, mais aussi les collectivités locales. Dans une logique de subsidiarité, leur rôle pourrait être de financer le surcoût de la mise en réseau : transport des étudiants pour accéder aux laboratoires de recherche, mobilité des étudiants entre divers sites multipolaires. Un exemple de mise en réseau des sites universitaires de villes moyennes : le centre universitaire de formation et de recherche Jean-François Champollion dans le nord-est de Midi-Pyrénées Depuis 1990, date où l’université de Toulouse I implante un DEUG de droit à Albi, l’idée d’une mise en réseau des sites de Albi (création d’un campus autour de l’École des Mines dans une caserne désaffectée), Castres, Figeac et Rodez prend de la consistance. Il regroupe des 1ercycles « délocalisés » de Toulouse, en sciences sociales ou en techniques (DEUG, licences, IUT), ainsi que des formations classiques, par alternance ou par télé enseignement. 101 Idem.

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Des formations à Bac + 4 ou 5 sont également dispensées (DUT techniques de communication par alternance et École des Mines à Albi. La complémentarité des sites universitaires plus généralistes (1er cycles) ou plus spécialisés devrait être organisée autour d’un projet de centre universitaire du nord-est de Midi-Pyrénées. Ses « niches » touchent à l’innovation pédagogique (100 % de réussite dans les expériences de télé enseignement), à l’orientation des lycéens (STS) ou à la réorientation des étudiants, enfin, au développement d’un pôle de compétence sur les enjeux éthiques des sciences. En 2000, le CPER, dans le cadre du Plan Université du Troisième Millénaire (U3M), attribue au réseau 270,5 MF pour l’organisation des enseignements et 29 MF pour la recherche. En 2002, l’État décide de créer un établissement public administratif pour concrétiser l’objectif de mise en réseau entre les sites et d’adossement aux plus grandes universités fixé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. En 2003, le projet d’établissement est lancé (formations, recherche, vie étudiante). Il s’inscrit dans un contrat quadriennal 2003-2006 et la perspective de transformation de l’établissement public en université de plein exercice est évoquée, sous réserve de la montée en puissance des effectifs et de la recherche. L’exemple du centre universitaire de formation et de recherche Jean-François Champollion en Midi-Pyrénées qui est adossée à l’Université Paul Sabatier de Toulouse montre qu’une structure universitaire (en l’occurrence, l’Établissement public à caractère administratif récemment créé) peut fonctionner sur la base d’une mise en réseau de l’offre d’enseignement supérieur dans des villes moyennes. En effet, Champollion met en commun l’offre d’Albi (École des Mines), de Castres (projet d’ENI), de Rodez, et de Figeac (Mecanic Valley). Dans ce cas, on constate une démultiplication des réseaux de relations entre Toulouse, les centres universitaires de villes moyennes qui pèsent relativement lourd (Albi, Rodez et Tarbes), les centres universitaires abritant des ENI (Tarbes et Castres) et des petites structures. Prendre en compte à la fois l’équité sociale et l’excellence La construction d’un système universitaire local dans les villes moyennes gagnerait également à prendre en compte le profil social des étudiants. Cet aspect fondamental constitue en quelque sorte le cinquième moteur de développement du territoire universitaire des villes moyennes. On a déjà constaté que la proximité ainsi que le meilleur encadrement et le plus faible coût de la vie permettaient à des étudiants issus de couches sociales plutôt défavorisées (ouvriers, employés, couches moyennes) d’accéder à l’enseignement supérieur. On sait que les catégories sociales les moins qualifiées sont également les moins mobiles : l’offre de proximité joue donc ici un rôle social primordial. On sait également que la réussite des étudiants dans le premier cycle est largement tributaire des conditions matérielles d’enseignement et du taux d’encadrement par les professeurs. Ce rôle de « fixation » de l’enseignement supérieur dans les villes moyennes contribue donc à la promotion de l’égalité des chances et participe de l’équité sociale pour la nation toute entière. Il serait inacceptable de spécialiser les villes moyennes dans l’accueil des étudiants les plus pauvre. En revanche, il est indispensable de prendre ce facteur social en considération pour définir des politiques publiques d’accueil sur mesure : développement de bourses nationales ou locales fléchées sur les villes moyennes, développement de logements sociaux étudiants en ville ou en cité universitaire, articulation des collectivités locales avec les CROUS. Cette prise en considération de la dimension sociale de l’enseignement supérieur dans les villes moyennes participe pleinement à la politique de qualification et d’excellence qu’il s’agit d’y promouvoir. L’excellence ne peut pas uniquement se définir par le rehaussement des compétences, mais par l’accès du plus grand nombre à l’excellence. Le social doit être alors considéré comme un ingrédient fondamental du développement intensif de l’enseignement supérieur dans les villes moyennes et pas seulement dans ce type de villes.

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Faciliter l’enracinement local des équipes enseignantes et la mobilité des étudiants pour l’accès à la recherche Pour construire un système universitaire local, il semble également nécessaire de prendre en compte la mobilité des équipes universitaires et des étudiants. Beaucoup de localisations universitaires « périphériques » bénéficient d’enseignements « hachés » dispensés par des « turbo profs » dont la résidence est localisée dans la ville qui abrite l’université mère. Il s’agit alors de favoriser l’ancrage local des équipes enseignantes et leur stabilisation par une résidence définitive en ville moyenne, ce qui produit par ailleurs des effets multiplicateurs d’emplois non négligeables. Quelques outils pourraient aider à y parvenir : meilleur partage des services des enseignants entre université mère et antennes universitaires, accélération des carrières des enseignants, bourses d’emplois locales ou groupements d’employeurs pour faciliter l’accès à l’emploi du conjoint, recrutement plus systématique de PRAG, le professeur d’université se sentant d’abord lié à son université de rattachement. Les ENI, un modèle pour les villes moyennes. L’exemple de l’ENI de Tarbes Le Centre universitaire Tarbes-Pyrénées fonctionne autour du noyau dur de l’École Nationale d’Ingénieurs de Tarbes (ENIT). Celle-ci fait partie du réseau des ENI, fondées à l’origine sur les sites des arsenaux du ministère de la défense. A la différence des INSA qui sont localisées dans les grandes villes universitaires, le fonctionnement et la morphologie de ces écoles fait qu’elles sont typiquement localisées dans des villes moyennes. Leur fonctionnement est particulièrement bien adapté à leurs enjeux : ce sont des écoles à prépas intégrées, elles recrutent les étudiants à bac + 0 (de même que les INSA), ce qui assure leur succès et permet d’éviter qu’elles ne se localisent uniquement dans des villes offrant des CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles). Pour ce qui est de l’École nationale d’ingénieurs de Tarbes, l’impulsion de l’équipe de direction a façonné les caractéristiques suivantes : - La moitié de ses enseignants sont des PRAG (professeurs agrégés), le reste étant des professeurs d’université : cette stratégie permet la stabilité des équipes enseignantes et leur enracinement local. Les professeurs vivent sur place et ce sont eux qui assurent la montée en puissance de l’école (ils effectuent beaucoup plus d’heures que leur service ne le leur impose). L’investissement local des équipes enseignantes est d’ailleurs directement liée à leur statut : les professeurs d’université sont beaucoup plus enclins à fuir vers les grands centres universitaires et leurs stratégies participent de la polarisation universitaire du territoire. - Le statut de l’École lui permet de fonctionner avec une grande autonomie, notamment en termes de fonctionnement administratif et de mode de décision. C’est moins le cas de IUT qui sont dépendants pour leur fonctionnement quotidien de leur université de rattachement. - L’école offre des diplômes à bac + 5 (master dans le cadre de la réforme LMD). Le premier cycle (3 premières années) ne nécessitant pas de grandes relations avec les équipes de recherche est entièrement assuré sur place. Pour les 2ème et surtout les 3ème cycles, l’ENIT fonctionne adossée aux équipes de recherche de l’université de Toulouse. - Ce double fonctionnement, enraciné dans le territoire local et en réseau avec la grande ville universitaire proche, gage de la qualité de l’enseignement et de la notoriété de l’école, génère des surcoûts : c’est là que peuvent intervenir les collectivités territoriales. Par exemple à Tarbes, une flotte de 10 véhicules est mise à la disposition des étudiants pour se rendre régulièrement dans les laboratoires toulousains. Ces surcoûts sont pris en charge par les collectivités locales. Sur 12 M€ de fonctionnement de l’école, 1 à 2 M€ sont assurés par elles. - L’ENIT développe des accords de partenariat et de recherche appliquée avec les entreprises, Alsthom et Giat Industries. Le profil de ce genre d’école peut donc se définir en fonction des particularités industrielles locales. Par exemple, à Castres, où le laboratoire Fabre est implanté, l’ENI (en projet) pourrait développer une spécialisation dans le domaine de la pharmacologie et définir par là une « niche » qui capterait des élèves à un niveau national. Source : P. De Roo et Germain Lacoste, directeur de l’ENIT et du centre universitaire Tarbes-Pyrénées

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Favoriser la mobilité des étudiants, en particulier, leur accès aux laboratoires de recherche situés dans les grandes métropoles, constitue également un enjeu de taille pour parvenir à la construction de systèmes universitaires locaux plus flexibles et ouverts. La ville moyenne n’est en effet pas condamnée à l’immobilité ni à une sorte de « rente » en matière de qualité de la vie étudiante. Promouvoir la gouvernance des systèmes universitaires locaux : vers des contrats de qualification universitaire des villes moyennes La construction d’un système universitaire local, assurant d’abord une cohérence entre offre non universitaire et offre universitaire, puis l’engagement de partenariats avec les collectivités locales, les entreprises et les milieux innovateurs, pour permettre une mise en réseau des sites universitaires moyens (transcendant éventuellement les découpages des académies) et/ou un adossement plus organisé sur l’université de rattachement, constitue donc la dimension fondatrice d’une stratégie universitaire pour les villes moyennes. On veut ici insister sur le fait qu’un projet de territoire universitaire ne ramasse pas seulement les éléments épars d’une offre d’enseignement supérieur mais inclut également la mise ne réseau avec les villes plus grandes, en particulier dans le domaine de la recherche. S’il y projet, il doit également y avoir incitation à ce que le projet fonctionne en système. De ce point de vue, l’engagement financier des différents partenaires potentiels est indispensable, et au premier chef, celui de l’État, dont la compétence universitaire reste pleine et entière dans le processus de décentralisation. Il lui revient naturellement le rôle de coordination nationale, dans le respect de l’autonomie des universités, et ceci, sur la base de critères d’évaluation des compétences nationaux, voir internationaux, intégrant par exemple la validation des acquis de l’expérience professionnelle102. La mise en cohérence de systèmes universitaires locaux gagnerait également à être stabilisée par l’élaboration de contrats de qualification des systèmes universitaires des villes moyennes, précisant clairement les objectifs et les investissements financiers de chacun des partenaires. Ces contrats de qualification pourraient prendre place dans la nouvelle génération 2007-2013 des contrats de plan. Ils correspondent en effet parfaitement à leur objectif de territorialisation des politiques publiques. Ces contrats de qualification pourraient également prendre appui sur les contrats quadriennaux d’objectifs signés entre l’État et les universités de plein exercice, qui prennent déjà en compte l’ensemble de leur réseau, donc les antennes universitaires des villes moyennes. Pour le moment, ils relèvent d’une logique universitaire verticale et sectorielle plus que d’une logique territoriale proprement dite et n’intègrent pas l’aspect de gouvernance du système d’acteurs local dans toutes ses composantes (le carré magique). La piste de contrats d’enseignement supérieur dans les villes moyennes paraît, de ce point de vue, beaucoup plus prometteuse. En conclusion, quelques pistes d’action Pour nourrir de futurs contrats de qualification universitaire, quelques pistes d’action peuvent être évoquées, qui correspondent aux enjeux particuliers de l’offre d’enseignement supérieur dans les villes moyennes. Il pourrait alors s’agir en activant l’outil de ces contrats de :

102 Monteil Jean-Marc. Op.cit.

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Garantir la qualité de l’enseignement supérieur et en conséquence l’attractivité de la

ville moyenne en combinant l’enracinement local et l’adossement à l’offre de recherche dans la grande ville universitaire proche.

Favoriser l’installation des équipes enseignantes et l’affectation des PRAG (professeurs agrégés) dans les systèmes universitaires des villes moyennes, en leur procurant des avantages d’installation (accélération de carrière, emploi du conjoint, logement).

Faciliter l’accessibilité des étudiants (transports régionaux) vers la ville moyenne et entre la ville moyenne et la grande ville universitaire proche.

Faire jouer la subsidiarité entre l’Etat et les collectivités locales pour rehausser la qualité de l’offre universitaire dans les villes moyennes, l’Etat assurant le fonctionnement et la cohérence du site universitaire local et les collectivités locales le surcoût de la mise en réseau.

Permettre à plus de jeunes filles d’intégrer les cursus professionnalisés offrant des diplômes élevés et donc, féminiser les formations industrielles, en particulier pour les formations d’ingénieurs.

Permettre aux formations professionnalisées à bac + 2 de rehausser à terme leur offre de diplôme à bac + 3 ou 5 en développant la poursuite des études par la formation en alternance dans les entreprises. Développer également les services d’apprentissage universitaires.

Développer des partenariats public/privé avec les entreprises implantées localement, notamment celles développant de la recherche industrielle. Compléter et façonner le profil de l’offre du système universitaire également en fonction de ces partenariats.

Favoriser la mise en réseau : - en matière de recherche entre grandes villes universitaires et les systèmes

universitaires offrant des diplômes à bac + 5, - en matière d’enseignement professionnalisé entre villes moyennes disposant

d’écoles d’ingénieurs et IUT/STS plus disséminés dans des villes moyennes à faible effectif d’enseignement supérieur.

Faire que cette mise en réseau soit d’abord basée sur le voisinage territorial et ne s’appuie pas uniquement sur le découpage du territoire des académies.

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3.3. L’ACCESSIBILITÉ DES VILLES MOYENNES Promouvoir les transversales, l’inter modalité et la gouvernance Le thème de l’accessibilité, à la différence de la santé ou de l’enseignement supérieur est un sujet très ancien et bien connu des élus des villes moyennes. Le « désenclavement » territorial a traditionnellement été considéré comme un élément de base du développement économique local. Mais, depuis le développement de l’économie du savoir et la prise de conscience de l’impact de l’attractivité résidentielle sur le développement des territoires, l’accessibilité n’apparaît plus comme la condition unique du développement local, en particulier dans les villes moyennes. Il apparaît, après des décennies d’investissement dans les réseaux techniques de transport, que l’accessibilité d’une ville moyenne n’offre pas, à elle seule, de garantie mécanique de développement. Au contraire, certaines villes moyennes jouent à présent de leur avantage comparatif d’isolement pour mettre en avant des stratégies de développement culturel ou touristiques qui les préservent des grands afflux saisonniers. La question de l’identification locale sur des « niches » de développement, notamment résidentielles, ouvertes certes sur l’extérieur mais régulées, prend alors le pas sur la notion de « mobilité généralisée », trop souvent considérée comme un « droit » par les entreprises et les populations les plus mobiles. C’est pourquoi l’accessibilité n’est plus considérée comme un secteur autonome d’intervention publique, mais comme une dimension transversale, mise au service des choix de stratégie locale : mobilité des étudiants dans la définition d’une politique d’enseignement supérieur, mobilité pour l’accès aux soins, mobilité des chômeurs, mobilité des actifs et des cadres, mobilité des familles, mobilité des personnes âgées. La gestion des temps de la ville vient d’ailleurs souvent interférer avec la question de la mobilité, comme par exemple à Belfort (création d’une Maison du temps et de la mobilité103). Les villes moyennes dans le paysage de l’accessibilité nationale Mais, avant de proposer des orientations pour améliorer l’accessibilité des villes moyennes, proposition que ne touchent pas principalement aux infrastructures physiques de transport, mais principalement aux modes de gouvernance et aux services offerts, il convient de situer les villes moyennes dans le paysage national de l’accessibilité. L’accessibilité modale des villes moyennes Mesurée de façon globale, on peut constater que l’accessibilité des villes moyennes est moins bonne que celle des grandes villes et métropoles, sans parler de Paris, essentiellement du fait des difficultés de « rabattement » aux grands axes de transport rapides nationaux et européens, qui sont, eux, privilégiés à la fois par la route (autoroute), le ferroviaire (TGV) et l’aérien, à cause des masses démographiques et économiques en jeu (la « banane bleue » de Roger Brunet). Il est à noter que la notion même d’ « accessibilité » privilégie la mesure de la distance en temps entre territoires, dans un contexte d’accélération des temps de transport et de compression parallèle de la distance euclidienne. De ce point de vue, les modes routiers de transport (voiture individuelle, camion) devraient connaître théoriquement un désavantage structurel par rapport aux autres modes de transport offerts actuellement et conçus à la base 103 Pour une description des actions de la MTM de Belfort, consulter le site www.maisondutemps.asso.fr

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comme rapides (TGV, avion). Pourtant, le transport routier est hégémonique : la voiture représente 85 % des voyageurs-kilomètres transportés en 2000, le camion, plus des deux tiers des tonnes-kilomètres transportés par voie terrestre104. Sa performance tient donc principalement à la flexibilité de desserte pour les territoires les plus fins et éloignés, dépourvus de réseaux publics de transport, ainsi qu’à la possibilité qu’il offre de transport de porte à porte sans rupture de charge. Il existe donc une contradiction inhérente entre la notion d’accessibilité (distance-temps) et la notion de desserte du territoire. L’accessibilité routière des villes moyennes : le modèle radial L’accessibilité globale des villes françaises, mesurée par le temps de transport, ne mesure donc que l’accessibilité potentielle d’un territoire. Les données intégrant l’ensemble des modes de transport pour présenter une figure générale de l’accessibilité du territoire français étant trop anciennes (1994), on présentera donc une image mode par mode. La loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire (LOADT dite Loi Pasqua) de 1995 ayant acté le principe selon lequel aucun territoire ne devait se trouver à moins de 30 minutes d’un échanger autoroutier, la carte 48 montre l’état des choses en 1999. Elle révèle un territoire relativement isochrone de ce point de vue. Seules quelques villes du massif Central et des Alpes du sud sont encore à une distance-temps supérieure à trente minutes, et ce ne sont jamais des villes moyennes, mais de petites villes. On peut donc dire que du point de vue du rabattement autoroutier, la desserte des villes moyennes est largement assurée.

104 Chapelon Laurent (dir). Transport et énergie. Atlas de France – RECLUS. N° 11. La Documentation Française. Paris. Novembre 2000.

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Carte 48 : L’accessibilité routière à l’échangeur le plus proche. 1999.

Carte 49 : L’accessibilité globale105 routière en 1994 et à l’horizon 2015. Source : Laurent Chapelon (dir). Transports et énergie. Atlas de France n° 11.

105 Temps moyen de parcours nécessaire pour accéder, à partir d’un lieu, à l’ensemble des autres lieux du territoire.

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Pour ce qui est de l’accessibilité à l’ensemble du réseau routier (et pas seulement aux autoroutes) – carte 49, on voit apparaître une forte capillarité du réseau routier couplée avec une prégnance du modèle d’organisation radial (l’étoile de Legrand) à partir de Paris : le cœur de la France est le plus accessible, ses extrémités le sont peu, en particulier les Alpes du sud, les Pyrénées, la Bretagne, le Cotentin. L’effet de distance à la capitale se conjugue ici avec la barrière naturelle des massifs et la position « périphérique ». La situation des villes moyennes est donc, dans un contexte de forte densité du réseau routier, principalement fonction du contexte régional où elles se situent : les villes moyennes des régions les moins denses, celles de la « diagonale aride » par exemple, ne sont pas les moins bien desservies. Tout dépend en fait de leur distance à Paris. L’accessibilité ferroviaire des villes moyennes : l’effet TGV La desserte ferroviaire du territoire, de plus en plus maillée depuis 1830 avec l’ouverture incessante de lignes nouvelles, connaît depuis 1990 une nouvelle redistribution spatiale. L’effet TGV provoque un rétrécissement saisissant de l’espace-temps pour des villes moyennes situées à proximité des axes à grande vitesse. Mais cette compression de l’espace ferroviaire comporte une deuxième face qui concerne directement les villes moyennes. Il induit souvent la fermeture de lignes nationales pour des villes plus éloignées mais situées dans la zone de chalandise des ces grands couloirs, qui deviennent obsolètes. Les villes moyennes sont donc potentiellement plus accessibles, mais la qualité de la desserte de leurs gares diminue. De même, les logiques de rentabilité et de non distorsion de la concurrence européenne provoquent la remise en cause de certaines liaisons nationales transversales qui desservent plusieurs régions et dont les villes moyennes bénéficient du « cabotage ». Les cartes 50106 et 51 montrent cette nouvelle distribution spatiale de l’accessibilité ferroviaire. Carte 50 : Accessibilité globale ferroviaire en 1994 et à l’horizon 2015.

106 Les cartes 50 retiennent la même visualisation que les cartes d’accessibilité routière (isochrones). Il s’agit des temps de parcours moyens pour accéder par fer d’un lieu du territoire à tous les autres lieux du territoire.

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Carte 51 : Nombre de trains nationaux et part du TGV (165 gares)

Nombre de trains nationaux (165 gares)

La carte 50 illustre bien cette augmentation du potentiel de desserte des villes moyennes avec l’ouverture graduelle de nouvelles lignes à grande vitesse. En 1994, les zones les moins accessibles du territoire du point de vue ferroviaire sont les mêmes que celles du point de vue routier, avec des particularités toutefois : le Massif Central et l’est de la France apparaissent bien moins accessibles par le train que par la route. A l’horizon 2020, la contraction des zones inaccessibles est évidente et il ne reste dans les zones d’ombre que quelques portions du territoire à caractères géographiques particuliers : Finistère (Morlaix, Quimper), Massif Central (Aurillac, Rodez, Mende), Alpes du sud (Gap), Pyrénées (Tarbes, Mont de Marsan). L’est de la France rattrape son retard avec l’arrivée du TGV Est, sauf la zone de Verdun qui reste très mal desservie, ce qui ne s’explique par aucun critère géographique. La carte 51 illustre la baisse de la qualité de service induite par le TGV dans certaines villes moyennes. Elle met en relation le nombre de trains nationaux qui s’arrêtent dans les 165 gares de l’hexagone avec la part des TGV dans les lignes nationales en 2004. Il ne s’agit donc pas ici d’accessibilité apparente mais de desserte réelle. On y observe l’émergence de gares situés sur les grands couloirs sud-est, nord et ouest du territoire, avec corrélativement, un faible fréquentation des gares du Massif Central et des Alpes du sud. L’amélioration de la desserte du grand ouest est frappante. Lorsque l’on compare cette carte avec la précédente, on constate que, avec l’ouverture du TGV Est, la portion est du territoire est potentiellement mieux desservie, mais que la Meuse perd des arrêts. L’amélioration de accessibilité globale potentielle des villes moyennes et la diminution de la qualité de desserte de leurs gares peuvent donc aller de pair.

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Les cartes 52 et 53 illustrent par contre, pour le cas de deux villes moyennes, Colmar et Laval, l’amélioration globale de leur accessibilité ferroviaire entre 1989 et 2007 (prévue). Carte 52 : L’accessibilité de Colmar entre 1989 et 2007

Source : SNCF

Carte 53 : Accessibilité de Laval entre 1989 et 2007

Source : SNCF

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L’accroissement des inégalités d’accessibilité ferroviaire au profit des plus grandes villes Une étude réalisée en 1998107 qui compare les gains d’accessibilité que procure le train par rapport à la route, démontre clairement que les liaisons ferroviaires accroissent considérablement les différentiels d’accessibilité entre les grandes métropoles et les villes moyennes. Le TGV a épousé le modèle radial et a au premier chef bénéficié à la capitale, mais les métropoles régionales en ont également tiré avantage, d’abord pour leur mise en réseau avec Paris, puis, avec la rocade TGV de contournement de Paris, pour leur mise en réseau entre elles (Lyon, Lille ou Rennes, demain Bordeaux, Metz-Nancy), formant ainsi un nouvel « archipel ». Si les villes moyennes sont désormais potentiellement mieux reliées à Paris par le fer que par la route, elles bénéficient plus rarement de bonnes liaisons ferroviaires avec les grandes villes régionales et a fortiori, entre elles. Ainsi, « toutes choses égales quant à la distance, la route représente dans la majorité des cas le moyen de transport optimal pour se rendre d’une ville moyenne à une autre tandis que le fer est généralement la solution optimale pour relier les grandes villes entre elles »108. L’accessibilité aérienne des villes moyennes : des potentiels à valoriser On ne dispose pas de chiffres récents sur l’accessibilité aérienne mesurée en temps de parcours mais de données sur les équipements aéroportuaires, les liaisons offertes et les trafics aériens. De plus, la question de l’accessibilité aérienne des villes est difficile à poser sereinement compte tenu de la concurrence impitoyable que se livrent le mode ferré et le mode aérien (en particulier depuis l’ouverture des TGV), concurrence préjudiciable à certaines villes moyennes qui risquent à terme de ne bénéficier ni du train ni de l’avion. Cette situation pousserait leurs habitants à privilégier plus encore le mode de transport par route, ce qui va à l’encontre des principes de préservation de l’environnement et de diminution de l’effet de serre. Le paysage de l’infrastructure aéroportuaire est relativement dense sur le territoire et les villes moyennes sont souvent dotées d’un équipement aéroportuaire (carte 52) qu’il soit destiné aux passagers ou aux marchandises, et ceci, essentiellement du fait de l’investissement des chambres de commerce et d’industrie. L’image que l’on a d’une polarisation forte du territoire sur le « hub » parisien est donc fausse à première vue, du moins si on privilégie les pistes aéroportuaires disponibles. La carte des équipements aéroportuaires indique également les services assurés, de grande, moyenne ou courte distance. Le paysage aéroportuaire change alors de couleur : on y observe une dualité importante entre d’un côté, Paris et quelques grandes métropoles qui sont aussi bénéficiaires du TGV (Lille, Lyon, Marseille, Montpellier et bientôt, Bordeaux et Nice) et de l’autre les villes grandes et moyennes du reste du territoire. 107 Cattan Nadine, Grasland Claude. Une approche multimodale des différentiels d’accessibilité des villes moyennes en France. Etude pour le PREDIT/DRAST (Ministère de l’Equipement). Paris. Septembre 1998. 108 Cattan Nadine, Grasland Claude. Op.cit.

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Carte 52 : Le niveau d’équipement des aéroports. 1999.

On sait que l’offre technique potentielle due à la présence d’un aéroport ne suffit pas pour attire les trafics et que la compétitivité aéroportuaire dépend de la présence de compagnies et de la qualité des liaison offertes sur chaque site. Néanmoins, pour les villes moyennes, une stratégie visant à valoriser leurs infrastructures en attirant des compagnies et en leur offrant des possibilités de marché sur des « niches » particulières (marchandises, liaisons spécialisées sur certaines destinations, tourisme) serait profitable. Orientations pour les villes moyennes Consolider les lignes transversales On a vu que l’accessibilité du territoire est, quelque soit le mode de transport observé, largement déterminé par la relation préférentielle à Paris. C’est d’ailleurs par l’intermédiation parisienne que les villes françaises ont accès aux autres villes du territoire européen et mondial. La convergence des réseaux de transports sur la métropole parisienne constitue d’ailleurs l’un des principaux indicateurs de sa suprématie. Lorsqu’émerge une nouvelle technologie de transport (TGV, organisation des plateformes aériennes en hub), le modèle radial a tendance à dominer dans un premier temps, puis se développent des filaments vers les grandes villes, enfin des transversales peuvent surgir. C’est ce mouvement cyclique qui a caractérisé le développement des lignes ferrées nationales avant le TGV, c’est ce qui

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commence à poindre relativement avec le contournement TGV de Paris, c’est qu’il adviendra globalement, on peut l’espérer, avec le développement du réseau TGV. L’enjeu pour les villes moyennes de la consolidation des lignes ferrées transversales d’intérêt national109 est donc particulièrement important, dans la mesure où elles se situent sur le trajet et les arrêts de ces lignes qui relient deux grandes villes en traversant plusieurs régions. Le débat sur la fermeture de certaines de ces lignes ou le transfert de leur prise en charge aux Régions est actuellement clôt, car ces transversales sont par essence interrégionales : non seulement, elles demeurent d’intérêt national, en particulier dans la perspective de la constitution de grandes régions européennes fortes, mais de plus, la compétence ferrée des régions se limite à leur seul territoire. Enfin, dans la perspective du renforcement du rôle des villes moyennes comme charnières du territoire, le maintien de leur niveau d’accessibilité actuel et à partir de là, le développement de l’intermodalité avec les transports régionaux est crucial. La même question se pose pour le développement de lignes aériennes transversales entre villes françaises ou entre villes françaises et européennes. Valoriser l’effet TGV : l’enjeu des fréquences

On a vu que l’ouverture de lignes à grande vitesse donnait une nouvelle accessibilité apparente aux villes moyennes, mais que seules certaines d’entre elles, situés directement sur la ligne (Valence, Le Creusot, Arras) ou dans les « quadrants » proches du TGV en bénéficiaient largement. Il convient d’évoquer ici la place stratégique de la fréquence des arrêts pour pondérer l’accessibilité globale d’une gare. Une gare peu desservie, même si elle existe et a été conçue comme une « gare nouvelle », améliore de peu l’accessibilité réelle du territoire alentour. De ce point de vue, on peut constater que le « schéma de desserte » d’une nouvelle ligne à grande vitesse, définissant la fréquence des arrêts sur chacune des gares du parcours est défini par les services de la SNCF sur la base d’isochrones de population, sans prise en compte réelle des pratiques modales des habitants ni des politiques de développement des collectivités locales. Les villes moyennes sont directement concernées, au même titre que les grandes villes, à la perspective d’ouverture de lignes nouvelles (TGV Est, TGV Rhin-Rhône, LGV PACA, prolongement du TGV Ouest jusqu’à Bordeaux). Il serait donc intéressant, pour la prise en compte des spécificité de leur desserte, qu’elles puissent être informées le plus en amont possible des projets de schéma de desserte des nouvelles lignes, de manière à pouvoir peser sur la fréquence des arrêts dans les gares de leurs villes ou celles des grandes villes proches. Organiser l’intermodalité et la gouvernance des réseaux de transport

La question de l’organisation de l’intermodalité est importante pour les villes moyennes : face à la polarisation du territoire par le fer et selon les configurations de leurs systèmes urbains régionaux, ont-elles intérêt à mieux organiser l’intermodalité, c'est-à-dire, le rabattement sur 109 On ne prend pas ici en compte la nouvelle dénomination par la SNCF de certaines lignes nationales déficitaires, nouvellement baptisées TIR (pour transports inter régionaux). Elles font toujours partie des lignes à grande vitesse (hors TGV) d’intérêt national.

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les gares des grandes villes bien desservies, ou à développer un réseau routier bien maillé, qui relève à présent de la compétence des départements ? On sait que l’intermodalité entre la route et le fer procure un gain d’accessibilité pour les villes moyennes par rapport au transport unimodal (route ou fer) de 10 à 15 %110, ce qui est relativement peu tout compte fait. La cause principale de cette faible valeur ajoutée est la pénalisation des temps de parcours par la rupture de charge de l’interconnexion. Ce gain relatif, spécifique d’ailleurs aux villes moyennes, est en fait surestimé si l’on prend en compte la réduction des interactions entre villes avec la distance : ce n’est que pour les trajets supérieurs à 500 km que l’apport du multimodal est optimal et atteint 10 % à 15 %. Les collectivités locales des villes moyennes sont donc confrontées à des contradictions inhérentes aux systèmes de transport : - Elles doivent développer l’intermodalité entre la route et le fer et organiser des

rabattements pour atteindre Paris et l’ensemble des métropoles si elles veulent accéder à des échanges économiques et aux services stratégiques. Cette approche les situe d’emblée à une échelle nationale et améliorerait l’accessibilité de toutes les villes moyennes à toutes les grandes villes, quelque soit la localisation de la ville moyenne sur le territoire.

- Une autre approche, plus cohérente avec l’idée de consolider des systèmes territoriaux différenciés, consisterait pour les villes moyennes à améliorer leurs liaisons avec la grande ville proche. Il s’agit là de concrétiser, au moyen du support technique de transport, les complémentarités et échanges entre villes moyennes et grandes villes d’une même grande région, pour permettre à la ville moyenne d’améliorer l’offre de services à ses habitants par l’accès à des services plus rares et pointus. Il s’agit là de mettre en œuvre les collaborations verticales que l’on a déjà évoqué pour la santé avec l’accès aux CHU, par exemple. Ces complémentarités verticales concernent également les relations inter firmes, les échanges commerciaux et les services aux entreprises. Mais le gain d’accessibilité permis par l’intermodalité n’est substantiel qu’à partir de 500 km de distance. Les villes moyennes gagneraient donc à mettre dans la balance les surcoûts de l’accessibilité et la mesure du gain en temps réel d’accès, et ceci, à l’échelle de chaque ville moyenne, selon la stratégie de développement choisie et la position attendue de la ville dans le système urbain régional. C’est cette option qui illustre le mieux la fonction de charnière potentielle des villes moyennes. Mais elle n’est pas exclusive de la combinaison de plusieurs options.

- Une troisième dimension concerne la vivification des relations des villes moyennes entre elles, en particulier entre celles d’un même système territorial. Il s’agit là d’œuvrer en faveur de leur intégration horizontale, comme on l’a suggéré pour l’enseignement supérieur. Ici, l’intermodalité se situe entre la route (voiture, bus) et le fer. Elle met relation des stratégies individuelles et des autorités organisatrices de transport (département pour les liaisons interurbaines par bus, régions pour les transports ferrés).

- Un quatrième aspect ne relève pas de l’intermodalité à proprement dit, mais de l’interopérabilité au sein du système ferré entre lignes d’intérêt national et régional, entre l’opérateur de transport national (la SNCF) et les autorités organisatrices de transport. L’enjeu de l’organisation de cette interopérabilité n’est intermodale que dans le cas d’une intégration plus forte entre les services interurbains par bus (Départements) et les autorités organisatrices de transport ferré (SNCF, Régions).

110 Op.cit

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Tableau 20 : Desserte intermodale des villes moyennes. Quelques exemples.

Ville moyenne 1=train 2=train ou avion 3=avion 4=pas de desserte

Ajaccio 3 Albi 4 Alençon 1 Angoulême 1 Annecy 2 Arras 1 Auch 1 Aurillac 3 Bar-le-Duc 1 Bastia 3 Beauvais 1 Belfort 1 Blois 1 Bourg-en-Bresse 1 Bourges 1 Cahors 1 Carcassonne 3 Châlons-en-Champagne 1 Chambéry 2 Charleville-Mézières 1 Chartres 1 Châteauroux 1 Colmar 2 Epinal 4 Evreux 1 Gap 4 La Rochelle 2 La Roche-sur-Yon 1 Laon 1 Laval 1 Le Puy-en-Velay 2 Lons-le-Saunier 1 Macon 1 Montauban 1 Mont-de-Marsan 4 Moulins 1 Nevers 1 Niort 1 Périgueux 2 Quimper 2 Rodez 3 Saint-Brieuc 2 Tarbes 4 Troyes 1 Tulle 1

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Valence 1 Vannes 1 Vesoul 1

L’amélioration de l’accessibilité des villes moyennes, globale d’un côté, et de l’autre, plus particulièrement fléchée sur les relations avec la grande villes proche ou les autres villes moyennes d’un même système territorial ne repose donc pas uniquement sur l’aspect technique des réseaux de transport, mais beaucoup plus, sur la gouvernance de ces mêmes réseaux. En ce sens, il est nécessaire que les villes moyennes intègrent dans leur schéma de transport ou PDU toutes leurs échelles de connexion et identifient clairement les acteurs impliqués dans la gouvernance horizontale et verticale de l’accessibilité de leur ville, qu’ils soient locaux ou non, pour être en mesure de peser les impacts locaux de leurs politiques respectives. Améliorer les services d’intermodalité A la réserve près de la mesure de l’impact de l’intermodalité en termes de coûts/avantages pour les villes moyennes, quelques mesures relevant des services aux usagers permettant d’améliorer l’intermodalité peuvent être citées : - la réduction de la rupture de charge opérée par l’intermodalité : parkings de dissuasion près des gares routières et ferroviaires, prise en charge des bagages de bout en bout, guichet unique pour l’achat de titres de transport sur l’ensemble du parcours. - la diversification des transports intermodaux, qui ne concerne pas uniquement les passagers mais aussi les marchandises. - et, pour mémoire, prendre en considération la gouvernance des transports comme une amélioration du service d’intermodalité rendu aux utilisateurs. Diversifier le transport aérien et développer des « niches » Les lignes aériennes desservant les villes moyennes (compagnies régionales essentiellement) ont pour objectif principal d’améliorer leur accessibilité à Paris et de se positionner sur le « vide » instauré par le retrait des lignes ferroviaires. Cette stratégie, principalement portée par les chambres de commerce et d’industrie, gagnerait à être élargie pour prendre en compte les ressources particulières des villes moyennes, en matière productive comme résidentielle. Elle implique également de sortir de la seule échelle nationale pour se porter d’emblée au niveau européen ou mondial : certaines villes moyennes détiennent en effet des avantages comparatifs de site qui les ouvre largement à l’international (tourisme patrimonial ou paysager, résidences secondaires acquises par les étrangers). Certaines propositions pour les villes moyennes peuvent y contribuer : - Développer le transport de marchandises sur certains aéroports, dans le cadre d’une

stratégie économique de la ville moyenne intégrant la fonction logistique. - Diversifier les clientèles potentielles en ne visant pas uniquement la clientèle d’affaires

voulant se rendre à Paris, mais également la clientèle de loisirs provenant de toute l’Europe. Certains aéroports pourraient d’ailleurs se spécialiser dans l’accueil de compagnies « low cost ». Dans ce cas, la question de l’intermodalité pour des touristes ne disposant pas de voitures, est à repenser selon leurs besoins.

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- Diversifier l’accès des villes moyennes à des hubs de correspondance autres que Paris (Nice, Marseille, Lyon) pour permettre aux villes moyennes d’accéder à de nouvelles destinations européennes.

3.4. LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE DES VILLES MOYENNES Combiner la fonction productive et la fonction résidentielle Le diagnostic du fonctionnement économique des villes moyennes ayant été précisément établi dans la seconde partie de ce rapport, on se bornera dans ce chapitre à rappeler les dynamiques les plus marquantes qui spécifient l’économie de ces villes pour les mettre en concordance avec des orientations de politique publique. Il est à rappeler ici que les dynamiques productives des villes moyennes sont largement tributaires des stratégies des entreprises, même si celles-ci ne sont pas insensibles au contexte territorial modelé par les pratiques sociales et l’intervention des collectivités locales. Les formes de la mobilisation des ressources productives des territoires De plus, les stratégies de localisation et de mobilisation des ressources productives territoriales des firmes sont particulières à chacune d’elles, à leur statut, à leur degré d’ancrage local : il est souvent considéré, par exemple, que les PME/PMI sont plus enracinées dans le territoire, alors que les grands groupes déploient des stratégies mondiales de marché et participent de la « déterritorialisation » de l’économie. Pour ce qui est des villes moyennes, cette dichotomie n’est pas en soi opérante. On a ainsi pu voir qu’elles ont représenté pendant une vingtaine d’années l’archétype du territoire fordiste et l’espace de prédilection des grandes entreprises de biens d’équipement intéressées par leur disponibilité en main d’œuvre d’origine rurale et peu qualifiée. A l’inverse, l’économie de l’innovation secrète de nouvelles configurations de firmes, plus petites et mieux à même de développer la flexibilité pour attirer de la « matière grise » et promouvoir des stratégies de commercialisation sur de « niches ». Il n’y a donc aucune fatalité au déclin économique pour les villes moyennes, que ce soit pour capter de nouvelles entreprises ou captiver leurs dirigeants ou cadres, y compris dans un contexte de course à la polarisation et de mise en avant des externalités positives liées à la masse urbaine. Les villes moyennes ne sont pas condamnées à devenir des « réserves patrimoniales » pour des populations de passage, ni la France à devenir un gigantesque musée à ciel ouvert. Combiner la fonction productive et la fonction résidentielle La France a en effet une vieille tradition d’économie régulée : le modèle keynésien de la redistribution induit un effet territorial considérable. Selon la focale que l’on privilégie, nationale ou locale, le principe de redistribution de la richesse produite par des pôles à forte productivité peuvent être considérés comme un frein à la compétitivité nationale ou comme un moteur essentiel du développement économique d’un territoire local. On a vu que l’économie résidentielle, liée la dépense de revenus des résidents attirés par les aménités de tel ou tel territoire (ceux à solde migratoire positif : espaces périurbains et ruraux, grandes villes de taille moyennes, villes moyennes), devrait dorénavant être considérée comme un moteur à

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part entière du développement local, au même titre que l’économie productive générée par le tissu productif et la valeur joutée des entreprises. Il ne s’agit cependant pas, dans le cas des aires urbaines moyennes qui sont relativement attractives pour la population et l’emploi, de privilégier la fonction résidentielle et de fonder toute la stratégie économique sur ce seul pilier. Il est en fait nécessaire de combiner, selon les villes et leur histoire économique, l’économie productive pour la projeter dans le futur, et l’économie résidentielle pour répondre aux exigences, en particulier en matière de services, des nouvelles populations résidentes. Cet impératif est d’autant plus évident que nombre de villes moyennes subissent de plein fouet les effets de la reconversion des industries fordiste installées sur leur territoire dans les années soixante dix. Opérer cette restructuration productive peut alors prendre deux formes : remplacer chaque emploi productif par un autre emploi productif ou remplacer une partie des emplois productifs par des emplois de services résidentiels. Orientations pour les villes moyennes Même si les villes moyennes ont été durablement marquées par leur spécialisation productive de l’époque fordiste, elles s’inscrivent, mais de façon décalée dans le temps, dans le processus général de tertiarisation de l’économie. D’un point de vue géographique, on a vu que la résistance de leur économie productive (mesurée par l’emploi privé) était paradoxalement d’autant plus forte qu’elles étaient situées à proximité d’une grande ville et inscrites dans leur zone d’influence. Une division spatiale du travail semble s’instaurer entre les grandes villes et les villes moyennes proches, les unes assurant des fonctions de conception et d’organisation, les autres plutôt des fonctions de « back office » (fonctions de fabrication, gestion, commerciale et logistique). A l’inverse, les villes moyennes plus isolées et plus « autonomes » voient leur emploi public mieux résister : elles sont davantage animées par le moteur de l’économie résidentielle, les services aux ménages (santé, action sociale, éducation, culture). Ainsi, pour consolider les activités productives des villes moyennes, trois orientations sectorielles et/ou fonctionnelles peuvent être proposées. Développer les emplois et la fonction logistiques La logistique constitue aujourd’hui un secteur en pleine expansion dans le cadre de l’économie de la circulation. Elle doit être considérée à la fois comme un secteur économique créateur d’emplois et comme une fonction permettant d’organiser le lien entre la production et la distribution des marchandises. On observe en effet un décalage territorial de plus en plus profond entre les lieux de la production et les lieux de la consommation. Même si la localisation territoriale des fonctions logistiques est pour certaines grandes firmes de distribution dictée par la logique de polarisation sur de grands hubs, ce qui en constitue le facteur de localisation principal est l’existence d’un marché de consommation : la logistique a pour fonction principale d’amener les biens produits ailleurs sur leurs lieux de consommation. Le développement actuel des activités logistiques peut ainsi prendre plusieurs formes spatiales. La diffusion territoriale de l’emploi productif d’une part et l’élargissement des

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marchés de consommation, d’autre part, constituent de nouvelles opportunités géographiques pour le développement logistique à la recherche d’un barycentre de consommation le plus efficace possible. Les aires urbaines des villes moyennes, qui voient leur bassin de résidence croître et s’élargir, en particulier sur la façade atlantique et le sud-est, constituent donc des marchés de consommation réels et pourraient, compte tenu de cet avantage comparatif, développer des fonctions logistiques. Les activités logistiques présentent de plus l’avantage de faire appel à toute une gamme de qualifications, de l’emploi le moins déqualifié (magasinier) à l’emploi de gestion. Elles abritent également une part d’emplois productifs (transformation de la marchandise avant transport, étiquetage, conditionnement) qui participe de la création de valeur ajoutée et d’emploi. Elles sont donc particulièrement bien adaptées aux bassins d’emploi des villes moyennes, ce qui n’implique pas que des politiques de formation ne doivent pas être conduites parallèlement et sur le long terme. Il est enfin à souligner que, dans cette perspective, chaque ville moyenne a intérêt à spécifier son avantage comparatif logistique et à se situer dans la concurrence entre sites. Selon leur inscription territoriale, leur dynamique démographique, le niveau de revenus de leur population « présente » et leurs pratiques sociales de consommation, la fonction logistique doit pouvoir offrir soit des activités généralistes, soit des spécialisations sur des « niches » particulières. Enfin, l’amélioration de l’offre intermodale de transport peut offrir un gain d’opportunités logistiques appréciable et favoriser l’attractivité économique de certaines villes moyennes. Constituer des pôles de compétence industrielle On pense ici aux ingrédients qui ont conduit au succès des « districts industriels » italiens ou des systèmes productifs locaux français 111 : articulation entre savoir-faire collectif de la main d’œuvre et esprit entrepreneurial, entre production et social, entre production locale et stratégie commerciale à l’échelle mondiale, spécialisation sur un produit mais contrôle de la chaîne productive (de la conception à la commercialisation), articulation entre lieu de production et grande ville de marché (foires, expositions). Ce modèle n’est évidemment pas transposable tel quel aux villes moyennes françaises. Mais le modèle imaginé pour les récents « pôles de compétitivité », qui consiste à articuler la recherche, l’enseignement supérieur et les entreprises serait intéressant à décliner. Les villes moyennes pourraient ainsi constituer des « pôles de compétence industrielle » sur une spécialisation productive porteuse en termes de niches de marché et mener en parallèle la réflexion sur les spécialisations de leur système universitaire local. Il serait alors judicieux d’y intégrer les ressources locales en recherche appliquée pour certaines d’entre elles ainsi que l’adossement aux laboratoires de recherche fondamentale de la grande ville proche pour d’autres. La fonction commerciale et les capacités d’échanges et d’exportation revêtent également une importance primordiale pour ces pôles de compétence industrielle. Les villes moyennes sont insérées dans un territoire national dont la culture conduit à jouer sur les avantages comparatifs en amont de la production (conception, innovation, recherche) 111 Bougnoux B, Nguyen A.L, Reverdy B. Annuaire des systèmes productifs locaux. Rapport pour la DATAR. Septembre 2004. Voir également Leduc Michel, Reverdy Bernard. SPL, 28 études de cas. Rapport pour la DATAR. Octobre 2001. Disponibles sur www.datar.gouv.fr , rubrique « Aménagement du Territoire» puis « systèmes productifs locaux ».

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davantage que sur l’aval (techniques de commercialisation, intelligence économique, logistique et accès aux marchés). Il revient donc aux villes moyennes, qui ont une tradition commerciale ancienne, d’ouvrir la voie pour diversifier vers l’innovation de marché la notion de compétence industrielle et d’initier des actions dans ce domaine… La dynamisation de la gouvernance économique pour construire ces pôles apparaît ici fondamentale. Elle ne concerne pas uniquement les acteurs locaux (PME/PMI, syndicats, chambres de commerce et d’industrie, collectivités locales, universités) mais également les acteurs régionaux qui n’ont pas de tradition d’intervention sur les villes moyennes (Région, DRIRE, délégués régionaux à la recherche). Enfin, les acteurs extérieurs au territoire de la ville moyenne, dans la mesure où leurs décisions comportent un impact sur l’économie locale, par exemple, les grands distributeurs logistiques, les groupes intéressées par les ressources productives locales, les compagnies aériennes, doivent être considérés comme étant parties prenantes de cette gouvernance économique locale. On a déjà souligné que la notion de pôle de compétence industrielle ne se limite pas seulement à l’industrie mais intègre les services situés en amont (innovation, transferts de technologie) et en aval du processus productif (gestion, marketing, commerce). C’est pourquoi, l’amélioration de la qualité des services rendus aux entreprises est aussi importante pour les villes moyennes. Promouvoir la valorisation industrielle et environnementale des ressources agricoles Exploiter les potentiels en matière de services aux entreprises On a pu constater que les villes moyennes disposaient d’une bonne couverture en services opérationnels de base aux entreprises (gestion, nettoyage, gardiennage, intérim). Pour des services plus stratégiques (conseil, conception de la gestion, logistique, informatique), des parts de marché sont à gagner sur les grandes villes. Les villes moyennes doivent alors mettre en œuvre des stratégies offensives d’amélioration de la qualité de l’offre de services aux entreprises en mettant à profit deux processus nouveaux : - D’une part, l’externalisation de certains services de conseil et d’études hors de

l’entreprise. Avec le développement de nouvelles technologies de communication, la proximité des services immatériels peut jouer un rôle moins important.

- D’autre part, les trajectoires d’emploi des cadres moyens ou supérieurs hors des grandes villes.

Dans ce cas, on a vu que les cadres, s’ils étaient de plus en plus enclins à travailler dans une ville moyenne, ne sont pas encore prêts à y résider, du fait de leur exigence en matière de services à la personne. Ce domaine de la qualité des services à la personne est donc à promouvoir en même temps que la qualité des services aux entreprises. Valoriser les facteurs de l’économie résidentielle Le poids de l’économie résidentielle dans l’économie locale se vérifie pour une grande partie des villes moyennes. On note toutefois sa prédominance dans les territoires les plus attractifs pour la population, situés à l’ouest d’une diagonale Cherbourg/Marseille.

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Cependant, le rôle moteur de l’économie résidentielle ne permet pas de contrecarrer mécaniquement la fuite de la population active dans certaines villes moyennes (en particulier celle des jeunes) ou ailleurs, l’affaiblissement de leurs fonctions de centralité urbaine. Ainsi, au-delà de l’augmentation tendancielle de son poids relatif dans l’économie locale, la consolidation de l’économie résidentielle nécessite la mise en œuvre de stratégies publiques de développement. Il s’agit alors de transformer une économie résidentielle de simple « cueillette » assise sur des trajectoires individuelles de mobilité et de résidence à une valorisation intensive et collective de cette économie. Cette valorisation passe par des politiques publiques locales qui peuvent jouer sur plusieurs leviers. Il est à souligner que les leviers proposés ne se cantonnent pas à l’offre d’équipements, mais au développement de la qualité des services l’accompagnant. Il s’agit donc pour les collectivités locales de mettre à disposition des crédits d’investissement comme de fonctionnement. Ainsi, ce ne sont pas les seuls équipements de centralité, essentiellement pris en charge par les intercommunalités, qui concourent à une meilleure attractivité de l’aire urbaine, mais également les services de centralité. On peut noter à ce sujet que la source fiscale des intercommunalité repose exclusivement sur la taxe professionnelle unique qui est un impôt économique sur les entreprises, alors que la taxe d’habitation revient aux communes. Or, elle pourrait également avoir pour vocation de participer au financement des services aux ménages, qui sont directement liés au lieu de leur résidence. Actionner les leviers de la culture et des loisirs La culture (ainsi que le patrimoine, pris au sens large) constitue le socle de la dynamisation de l’économie résidentielle pour les villes moyennes. Non seulement les fonctions culturelles y sont déjà largement présentes, mais leur dynamisation peut concourir au renforcement de leurs fonctions de centralité vis-à-vis du bassin de vie. Elles peuvent également participer, par un effet d’image, à stabiliser l’attractivité des villes moyennes pour les nouvelles populations qui expriment des besoins pour certaines formes d’expression culturelle, ou pour les étudiants. Elles sont enfin à la base d’une diversification économique possible par le tourisme, pour peu que des services touristiques se développent en appui de l’offre culturelle et patrimoniale. Le développement résidentiel par la culture nécessite également d’aller au-delà de l’aménagement d’équipements de prestige (musée, théâtre, bibliothèque, salle de musique). La facilitation de l’accès pour les habitants de l’ensemble de l’aire urbaine est primordiale pour conforter leur centralité. La mise en réseau, par exemple, d’une médiathèque centrale (souvent départementale) avec les multiples médiathèques de proximité est également un gage de réussite et d’acceptation de la centralité de l’équipement : cette facilité d’accès, les tarifs pratiqués et la mise en réseau constituent à ce titre des services indispensables à la territorialisation des politiques culturelles. Il en va de même pour l’organisation d’évènements de prestige (festivals), mais souvent concentrés sur certaines périodes de l’année. L’enjeu consiste alors à raisonner en termes d’animation culturelle permanente : là encore une logique de services et de mise en réseau, une réflexion sur le positionnement de la ville moyennes par rapport aux villes concurrentes situées sur la même « niche », s’avère primordiale.

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La valorisation économique du patrimoine consiste à développer le tourisme et à professionnaliser les emplois de services touristiques. Le territoire français connaît dans ce secteur économique une rente de situation qui risque de se retourner si la qualité des services aux touristes se dégrade. Ici encore, la spécificité géographique du territoire d’inscription de la ville moyenne est à prendre en compte : il n’est pas concevable de normaliser l’offre touristique, mais de valoriser les ressources locales et de promouvoir de nouveaux créneaux. Existe-t-il par exemple la possibilité de développer un tourisme urbain au-delà des grandes villes et des métropoles ? Comment profiter du tourisme littoral, avec quels services urbains particuliers : branchement sur des centrales de réservation internationales, relation avec les aéroports et la stratégie d’installation de compagnies « low cost » ? Situées en position de charnière territoriale, quel rôle les villes moyennes peuvent-elles jouer dans l’accompagnement du « tourisme vert » des espaces ruraux qui les environnent ? Autant de questions qui permettent l’illustrer les enjeux du tourisme dans le développement économique des villes moyennes par le résidentiel. Les investissements (au sens large, équipements et services) culturels et touristiques nécessitent donc de réaliser une prospective du développement résidentiel des villes moyennes pour évaluer précisément leurs effets économiques induits. Il est en effet souvent difficile de programmer des politiques dont le retour sur investissement s’inscrit sur le long terme. 3.5. L’URBANITE DES VILLES MOYENNES112 Reconquérir les fonctions de centralité territoriale On préfère aborder la question de l’urbanisme des villes moyennes et de ses déterminants (politiques de planification territoriale – PLU, SCOT -, politiques de transport –PDU – politiques de logement –PLH) non seulement comme une question technique de morphologie urbaine, mais également comme une question d’ « ambiance de ville », d’urbanité. Cette essence urbaine est tout autant sensible pour les résidents des centres ville que pour ceux de l’ensemble de l’aire urbaine. Faire urbanité dans une ville moyenne constitue certainement un de ses atouts majeurs pour attirer puis fixer durablement les habitants d’une grande ville ou les étrangers (jeunes ménages actifs, cadres, retraités, résidents secondaires, touristes). La notoriété d’une ville ne se mesure donc pas uniquement par ses équipements physiques, mais par son animation ainsi que par la qualité des services quotidiens qu’elle offre. Mais pour y parvenir, le repérage des principaux enjeux de l’urbanité des villes moyennes est à identifier. Le déséquilibre territorial des villes moyennes On peut observer globalement une différence d’évolution territoriale entre les villes moyennes et les grandes villes. On a vu que les aires urbaines des grandes agglomérations (à l’exception des grandes agglomérations moyennes, celles de 200 000 à 500 000 habitants) connaissaient 112 Ce chapitre est largement inspiré de la synthèse des travaux du groupe de travail « villes moyennes » de la DATAR, réalisée par Daniel Béhar (Acadie) et disponible sur le site www.datar.gouv.fr , entrée Aménagement du Territoire, puis Villes moyennes.

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une baisse importante de leur potentiel d’attraction démographique. Cependant, leur attractivité résidentielle et donc, la pression spatiale qui en résulte, tant foncière qu’immobilière, concerne l’ensemble du territoire de l’aire urbaine. On fait là référence au processus simultané de « retour au centre » de certaines catégories sociales (pour lequel le vocable de « gentrification » est souvent utilisé) et d’étalement urbain constitutif de la dilatation générale des aires urbaines. La grande ville vit donc actuellement un processus de double dynamique spatiale essentiellement due à sa taille, à sa diversité économique et sociale, à sa capacité permanente de renouvellement (« l’assurance tous risques » de Pierre Veltz), enfin à l’insertion des divisions économiques et sociales dans un fonctionnement unifié, comme Pierre Beckouche et Félix Damette l’on observé pour la région Ile de France (« ségrégation associée »)113. Dans les grandes agglomérations, on assiste donc à une dynamique globalement intégrée, qu’elle soit positive ou négative. Cette situation double ne se retrouve généralement pas dans les villes moyennes. Le plus souvent, celles-ci connaissent un dynamisme de l’extension urbaine périphérique qui se fait au détriment des centres. Ainsi, si le phénomène de dilatation urbaine qui intègre dorénavant des communes périurbaines et rurales touche encore tout autant les grandes villes que les villes moyennes, pour ces dernières, la dynamique résidentielle fonctionne dans une logique de « vases communicants » interne à l’agglomération et de concurrence entre ses différentes composantes. Les communes-centre concurrencées par leur pourtour Quelques données peuvent en rendre compte. Elles concernent l’évolution démographique comparée de la commune centre de l’aire urbaine, de l’aire urbaine dans sa totalité et de la population de l’aire urbaine hors la commune-centre (aire urbaine – commune centre) et mettent un coup de projecteur sur les villes moyennes en particulier. Tableau 21 : Poids démographique des communes centres dans leurs aires urbaines respectives (AU). 1999 Poids de la commune centre dans la population de l’AU (en %)

42 grandes AU* (12% des AU) Nombre d’AU concernées ( % des Grandes AU concernées)

161 AU moyennes * (45,5% des AU) Nombre d’AU concernées (% dans le total des AU moyennes)

151 petites AU (42,5% des AU) Nombre d’AU concernées (% dans le total des petites AU)

75 et plus 0 (0) 5 (3) 40 (26.5 ) De 50 à 75 8 (19) 66 (41) 81 (54) De 25 à 50 25 (59.5) 80 (50) 29 (19) Moins de 25 9 (21.5) 10 (6) 1 (0.6)

113 Damette Félix, Beckouche Pierre. La métropole parisienne, système productif et organisation spatiale. Rapport pour le Commissariat au Plan, la DATAR et le Plan urbain. Paris. Mai 1990. Les auteurs soulignent que la métropole parisienne fonctionnait jusque là dans cette logique de ségrégation associée, mais qu’elle tend de plus en plus vers une ségrégation dissociée. Nous partons de l’hypothèse que les grandes villes fonctionnent en revanche toujours sur l’ancien modèle parisien de la ségrégation associée du fait d’un phénomène de décalage dans le temps et de l’exception parisienne.

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* On cumule ici les populations des communes de Marseille et Aix d’une part et de Douai et Lens d’autre part pour les grandes AU, ainsi que celles de Thann et Cernay pour les AU moyennes. Source : RGP 1999. Calculs d’Olivier Marouteix. On y constate que les communes centre des villes moyennes concentrent beaucoup plus la population de leur aire urbaine que celles des grandes villes : sur 161 aires urbaines moyennes considérées, 66 d’entre elles (soit 41 % de leur catégorie) concentrent de 50 à 75 % de la population de l’aire urbaine et 80 (soit 50 % d’entre elles) en concentrent de 25 à 50 %. Dans les grandes aires urbaines, le palier le plus fréquent (60 % d’entre elles) est celui qui ne rassemble dans les communes-centre que de 25 à 50 % de la population et cela, sans prise en compte de la grande diversité de taille des grandes villes, qui incluent ici Paris. Ainsi, l’essentiel des ville moyennes ont des communes-centre qui se situent dans les deux tranches centrales et rassemblent de 25 à 75 % de la population de leurs aires urbaines. Cela n’est vrai que pour 79 % des grandes AU et pour 73 % des petites AU. On constate enfin que les centres des grandes villes ont tendance à résister relativement dans la mesure où 60 % d’entre eux rassemblent de 25 à 50 % de la population de l’aire urbaine, ce qui peut être considéré comme une performance pour les très grandes villes. Le phénomène de retour au centre se vérifier donc. L’évolution de poids de la commune-centre dans les aires urbaines des villes moyennes est encore plus parlante. Tableau 22 : Évolution du poids de la commune-centre dans l’aire urbaine des villes moyennes. 1990-1999. Poids dans l’AU Hausse Stabilité Baisse Baisse importante

14 22 99 26 Baisse

Nombre d’AU moyennes 125 En % 8.7% 13.7% 77.6% Hausse = de + 0,4 à + 2,5 points de % Stable = de – 0,3 à + 0,3 points de % Baisse = de - 0,4 à – 2,4 points de % Baisse importante = de – 2,5 à – 6,2 points de % Source : RGP. Calculs d’Olivier Marouteix On y constate que pour plus des trois-quarts des aires urbaines moyennes (77,6 %), le poids relatif de la commune-centre dans l’aire urbaine décroît de 1990 à 1999 et que pour 26 d’entre elles (16 %) cette baisse est considérable. Une typologie des dynamiques comparées des communes-centre et du reste du territoire de l’aire urbaine (AU – commune-centre) montre que, même parmi les communes centre des villes moyennes en croissance et dont le reste de l’aire urbaine (AU – commune centre) est également en croissance, 45 communes ont un taux d’évolution de leur population plus faible que celui du reste de l’aire urbaine. Globalement, parmi les aires urbaines moyennes qui évoluent de façon opposée à leur commune centre, 90% sont dans la configuration suivante :

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baisse de la population de la commune centre allant de pair avec la hausse de la population du rester de l’AU114. Quelques hypothèses d’explication Quelques hypothèses d’explication peuvent être apportées à ce constat de déséquilibre territorial des aires urbaines des villes moyennes. D’abord, du point de vue de la proximité géographique, l’accessibilité du pourtour périurbain et rural est, par un effet mécanique de taille, plus facile dans les villes moyennes que dans les grandes villes, la plupart des trajets étant toutefois monopolisés par le recours à la voiture individuelle. Cette accessibilité « naturelle » joue donc au détriment des centre-villes dans les trajectoires migratoires et les stratégies résidentielles des ménages. La « campagne inventée »115 est ainsi plus proche, elle correspond parfaitement au désir d’accès à la propriété d’une maison individuelle qui est l’un des « passions françaises », celle des citadins voulant quitter l’air des villes en particulier. Ensuite, d’un point de vue sociologique, la diversité sociale et l’expression des demandes en matière de « modes d’habiter », bref, l’offre de produits de logements, est moins étendue et ne favorise pas encore le processus de « retour au centre » que l’on a pu observer dans les grandes villes : elles concernent d’ailleurs principalement les catégories sociales dites « supérieures ». Enfin, dans de nombreuses villes moyennes, des politiques de salubrité de l’habitat et de valorisation architecturale des centres historiques ont été mises en place par les collectivités locales pour permettre une attractivité nouvelle des centres-villes. Cependant, les contraintes règlementaires de protection du patrimoine ne facilitent pas l’adaptation et la mise sur le marché de cette offre de logements potentielle. Elles ne facilitent pas non plus l’installation dans les centres historiques de services marchands ou non marchands (commerces, équipements publics) aux ménages, qui sont de ce fait reportés à la périphérie, avivant ainsi la concurrence territoriale interne aux villes moyennes. On a pourtant maintes fois souligné l’enjeu stratégique de ces services pour fixer une nouvelle population résidente venant des grandes villes et exprimant des besoins particuliers à leur ancienne citadinité. Le renouvellement urbain, un enjeu fondamental Compte tenu de la dualité résidentielle des villes moyennes, de la concurrence du périurbain et de la taille relativement faible de leurs centre ville, il convient d’appréhender la notion de « renouvellement urbain » d’une manière beaucoup plus large que dans les grandes villes. Plus particulièrement, cette question ne s’y limite pas aux grands ensembles d’habitat social hérités de la période fordiste. Les politiques dites de renouvellement urbain concernent ici également les quartiers centraux, les communes-centre et les faubourgs des villes moyennes. Autrement dit, l’urbanité des villes moyennes est à appréhender dans sa globalité territoriale. Pour ce qui est des quartiers d’habitat social, au-delà de la question de leur poids relatif dans l’offre de logements de la ville centre, qui peut concerner également quelques grandes villes 114 Marouteix Olivier. « Evolution comparée de la population dans les communes-centre des villes moyennes et de leurs aires urbaines respectives ». Note interne de la DATAR. Septembre 2005. 115 Marié Michel et Viard Jean. La campagne inventéé. Editions Actes Sud. Arles. 1985.

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comme Marseille, la particularité des villes moyennes réside dans leur déficit de valeur potentielle. La perspective de renouvellement urbain de ces quartiers est bien souvent contrariée par le fait qu’ils restent « hors marché ». En effet, ce qui, dans les grandes villes, peut devenir un atout pour ces quartiers, c’est à dire, leur proximité physique à un centre qui se dilate et qui pourrait les englober, ne constitue guère un avantage comparatif pour les villes moyennes, dans la mesure où l’accessibilité de l’ensemble du territoire de l’aire urbaine est générale et facilitée par l’automobile. Enfin, dernière singularité des villes moyennes, ces opérations de renouvellement urbain à une échelle élargie nécessitent une réflexion en amont, puis une ingénierie de montage de projets complexes (aussi complexes que dans les grandes villes, surtout lorsque l’on élargit la notion de renouvellement urbain à l’ensembles des modes d’habitat) pour lesquels les collectivités locales et les opérateurs publics locaux ne sont guère équipés du fait de leur plus faible taille et de leurs plus faibles disponibilités financières. Les villes moyennes insérées dans la métropolisation Dans le cas des villes moyennes insérées dans la zone de métropolisation d’une grande ville proche ou dans le « halo urbain » continu des zones littorales, on observe malgré tout une tendance au redressement des marchés immobiliers et fonciers, sous l’effet d’une conjonction entre l’attraction migratoire et investissement immobiliers facilités par les incitations fiscales successives. La ville moyenne doit veiller dans ce domaine à diversifier son offre pour des populations halogènes mais aussi pour la population résidente. Or, ces produits immobiliers sont pré formatés, ils ne sont souvent pas adaptés à la demande locale et courent le risque soit de se solder par un échec, soit de déstabiliser les marchés locaux du logement en y superposant un marché immobilier « hors sol » et déconnecté des stratégies des collectivités locales. Orientations pour les villes moyennes Développer la maîtrise d’ouvrage par les intercommunalités Dans un objectif de résorption de la dualité territoriale des villes moyennes ainsi que dans celui de la diversification du marché des logements et des services, le rôle des politiques publiques menées à l’échelle de l’intercommunalité apparaît stratégique pour les villes moyennes. De ce point de vue, les villes moyennes disposent, sur le plan de l’organisation institutionnelle, d’un avantage comparatif essentiel par rapport aux grandes villes. En effet, même si la coïncidence des périmètres n’est pas toujours systématique, c’est parmi les villes moyennes que l’on trouve, au niveau national, le plus grand recouvrement de la superficie de l’aire urbaine par celle de l’intercommunalité (communauté de communes, communautés d’agglomération, communautés urbaines). Le plus souvent l’agglomération politique englobe à la fois l’urbain et une bonne partie du périurbain et du rural, alors que dans les grandes villes, l’intercommunalité centrale recouvre plutôt l’agglomération (habitations, équipements ou établissements situés dans un continuum spatial de moins de 200 m).

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Cette situation offre aux villes moyennes des marges de manœuvre pour construire des politiques publiques de renouvellement urbain à la bonne échelle et permet de remédier plus efficacement aux processus de déséquilibre territoriaux évoqués. Ainsi, l’élaboration, d’emblée à l’échelle intercommunale, de certaines politiques publiques revêtent une importance toute particulière pour les villes moyennes : - Un programme local de l’habitat (PLH) permet de répartir les logements sociaux y

compris dans les centre anciens, de diversifier les produits immobiliers en fonction des populations cibles à attirer préférentiellement (jeunes couples avec enfants, retraités) et en fonction des besoins locaux.

- Un schéma de l’offre de services au public, mêlant offre publique et offre privée, de manière à renouveler l’attractivité de la commune centre vis-à-vis de son pourtour et à déterminer la part respective d’une logique de centralité et d’une logique de proximité. Cela peut concerner les commerces, les services publics (d’emploi, de santé, d’enseignement supérieur, les services culturels (cinémas, animations culturelles) et de loisirs (sport, tourisme).

- Un plan de déplacements urbains (PDU) qui ne se limite pas aux des opérateurs de transport présents dans l’aire urbaine mais qui implique également les autorités organisatrices « extérieures » dont l’action comporte un impact sur l’accessibilité « externe » de l’aire urbaine. La desserte des espaces publics où il serait juste et efficace de concentrer certains services est également primordiale.

Mettre en concordance les ressources fiscales et l’enjeu de centralité urbaine L’importance de la dynamique périurbaine qui touche plus particulièrement les villes moyennes comporte des conséquences sur leurs finances locales. Les communes périurbaines et rurales peuvent tirer parti de la croissance continue des produits de la taxe d’habitation, compte tenu de leur attractivité résidentielle. Dans le même temps, elles expriment, en raison de la croissance de leur population, des besoins en services et équipements collectifs qui sont pris en charge par l’intercommunalité disposant, elle, des revenus de la TPU. Elles bénéficient donc d’une double dynamique de leurs ressources financières. A l’inverse, ce mécanisme pénalise les villes centre : d’une part, leurs ressources propres en matière de taxe d’habitation diminuent du fait de leur moindre attractivité résidentielle, et d’autre part, elles sont moins dotées par la redistribution intercommunale car elles expriment structurellement moins de besoins d’équipements collectifs. Les villes moyennes sont donc enfermées dans un paradoxe : même si les charges de centralité pour certains équipements « d’intérêt communautaire » sont dorénavant prises en charge par la structure intercommunale, les villes centre, du fait de la baisse de leurs ressources financières propres, se voient pénalisées pour financer leurs équipements de proximité, de qui obère d’autant leur attractivité résidentielle. Ce phénomène est accentué par d’autres mécanismes : ainsi, le poids du logement social de fait dans les centres des villes moyennes réduit les produits de la taxe d’habitation. Par ailleurs, les mécanismes d’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties, imaginées pour renforcer la cohésion sociale urbaine, peuvent jouer paradoxalement au détriment des ressources de ces villes centre.

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Une réflexion d’ensemble sur les incidences, en matière de finances locales, des dynamiques résidentielles dans les aires urbaines moyennes semble donc opportune. Élargir l’intervention publique en faveur du renouvellement urbain Compte tenu du changement d’échelle et de la diversification des produits immobiliers à opérer, on peut considérer que, dans les villes moyennes, le marché est moins à même de générer par lui-même du renouvellement urbain que dans les grandes villes. Les politiques de renouvellement urbain exigent donc une intervention publique beaucoup plus volontariste. Cela signifie en premier lieu que l’argent public « supra local » a, dans les villes moyennes, un effet levier mécaniquement très significatif sur le marché. L’effort d’investissement des grandes agences nationales participant au renouvellement urbain (ANRU, ANAH) doit donc pouvoir être orienté en conséquence. Simultanément, la politique urbaine (au sens large) des intercommunalités occupe, on l’a dit, une place centrale dans le devenir des villes moyennes. Dans les grandes villes, cette politique urbaine constitue une politique d’accompagnement de dynamiques qui sont d’abord d’ordre économique (desserrer la contrainte foncière pour les entreprises et les emplois stratégiques), alors que dans les villes moyennes, l’enjeu de l’organisation des aménités urbaines (logements et services aux publics adaptés) est au cœur de l’attractivité et du développement. Mutualiser les crédits d’ingénierie D’un côté, les villes moyennes souffrent d’un déficit structurel d’ingénierie publique. De l’autre, les procédures d’intervention sectorielles de l’Etat, de la Région ou même de la Caisse des Dépôts et Consignations (politique de la ville, politiques de renouvellement urbain, politiques d’agglomération et de pays, politiques culturelles et patrimoniales, politiques de « clusters » ou de pôles de compétitivité) prévoient systématiquement des crédits d’ingénierie dédiés. L’hypothèse pour les villes moyennes d’une mutualisation de ces crédits d’ingénierie multiples et variés afin de constituer une ressource locale pérenne serait à examiner. Tirer parti des interdépendances avec les grandes villes Dans le cas des villes moyennes insérées dans la zone d’influence d’une grande ville proche, tout l’enjeu consiste à tirer parti de ces interdépendances avec elle et notamment à fixer une partie des actifs mobiles qui ne sont pas encore prêts à y résider. Dans cette perspective, il s’agit pour l’action publique locale de maîtriser l’évolution des marchés de l’habitat dans un double souci : d’une part, diversifier l’offre, en mettant sur le marché des produits « inconnus localement » (villas locatives, « lofts » en centre ville…), d’autre part, cibler d’une manière fine les clientèles susceptibles de se fixer dans les villes moyennes, de façon temporaire ou définitive. Il faut à ce sujet noter le potentiel d’attractivité qu’offrent les villes moyennes vis-à-vis des jeunes ménages avec enfants issus des grandes villes. En effet, à leurs yeux, ces villes disposent d’une qualité de vie et d’aménités (offre scolaire en particulier, collèges) en regard desquelles la situation des métropoles se déprécie. A cet égard, et pour cette cible de population, la politique de qualification urbaine et la politique de qualification scolaire ont partie liée.

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CONCLUSION PROVISOIRE

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