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Prix : 40 € ISBN 978-2-85944-588-1 ISSN 0290-4500 Les îles du lac T . ānā, réservoir du Nil bleu situé sur les hauts plateaux du nord de l’Éthiopie, abritent depuis le xiii e siècle ermites et communautés monastiques. Lorsque, au cours du xvii e siècle, les rois d’Éthiopie établissent leur capitale à Gondar, quelque soixante kilomètres plus au nord, ces hommes de Dieu se retrouvent dès lors aux portes du pouvoir politique. Tantôt refuges lors des guerres ou des troubles internes au royaume, tantôt sanctuaires des dépouilles des souverains et de la légitimité royale, ces lieux saints deviennent le foyer de production d’une histoire écrite et ré-écrite pour compléter ou s’opposer à l’historiographie officielle des souverains. Une historiographie qui voisine souvent le mythe, celui de l’Arche d’alliance ou celui de la Fuite de la Sainte Famille. Cet ouvrage, le premier à proposer une analyse historique de l’art éthiopien des xvii e et xviii e siècles à travers nombre de documents inédits – images, chroniques, chartes et documents fonciers –, étudie la construction de bâtiments civils ou ecclésiaux, les chantiers de décoration monumentaux, la mise en pages des cycles d’enluminures et la constitution des bibliothèques. Cette histoire des lieux, des objets et des peintures du lac T . ānā met de comprendre l’héritage culturel et les connaissances historiques sur lesquels s’appuient les commandes artistiques comme l’action politique des rois aux xvii e et xviii e siècles. Entre conflits de récits, revendications foncières et patronage artistique, l’auteur dégage les strates successives de l’écriture de l’histoire du royaume, de la fabrication des images, enluminures et fresques d’églises, et de la construction d’une mémoire royale. vient de paraî tre Publications de la Sorbonne 212, rue Saint-Jacques, 75005 Paris Tél.: 01 43 25 80 15 – Fax : 01 43 54 03 24 Docteur en histoire de l’art, Claire Bosc-Tiessé est chercheur au CNRS. Actuellement en poste au Centre français des études éthiopiennes à Addis Abeba, ses recherches portent sur les modes d’exercice du pouvoir dans le royaume d’Éthiopie à travers l’étude de l’utilisation de l’histoire et des images comme celle du contrôle de l’espace. Les îles de la mémoire Claire Bosc-Tiessé Fabrique des images et écriture de l’histoire dans les églises du lac T . ānā, Éthiopie, xvii e -xviii e siècle

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Prix : 40 €

ISBN 978-2-85944-588-1ISSN 0290-4500

Les îles du lac T. ānā, réservoir du Nil bleu situé sur les hauts plateaux du nord de l’Éthiopie, abritent depuis le xiiie siècle ermites et communautés monastiques. Lorsque, au cours du xviie siècle, les rois d’Éthiopie établissent leur capitale à Gondar, quelque soixante kilomètres plus au nord, ces hommes de Dieu se retrouvent dès lors aux portes du pouvoir politique. Tantôt refuges lors des guerres ou des troubles internes au royaume, tantôt sanctuaires des dépouilles des souverains et de la légitimité royale, ces lieux saints deviennent le foyer de production d’une histoire écrite et ré-écrite pour compléter ou s’opposer à l’historiographie officielle des souverains. Une historiographie qui voisine souvent le mythe, celui de l’Arche d’alliance ou celui de la Fuite de la Sainte Famille.Cet ouvrage, le premier à proposer une analyse

historique de l’art éthiopien des xviie et xviiie siècles à travers nombre de documents inédits – images, chroniques, chartes et documents fonciers –, étudie la construction de bâtiments civils ou ecclésiaux, les chantiers de décoration monumentaux, la mise en pages des cycles d’enluminures et la constitution des bibliothèques. Cette histoire des

lieux, des objets et des peintures du lac T. ānā met de comprendre l’héritage culturel et les connaissances historiques sur lesquels s’appuient les commandes artistiques comme l’action politique des rois aux xviie et xviiie siècles. Entre conflits de récits, revendications foncières et patronage artistique, l’auteur dégage les strates successives de l’écriture de l’histoire du royaume, de la fabrication des images, enluminures et fresques d’églises, et de la construction d’une mémoire royale. vi

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Tél.:0143258015–Fax:0143540324

Docteur en histoire de l’art, Claire Bosc-Tiessé est chercheur au CNRS. Actuellement en poste au Centre français des études éthiopiennes à Addis Abeba, ses recherches portent sur les modes d’exercice du pouvoir dans le royaume d’Éthiopie à travers l’étude de l’utilisation de l’histoire et des images comme celle du contrôle de l’espace.

Les îles de la mémoire

Claire Bosc-Tiessé

Fabrique des images et écriture de l’histoire dans les églises du lac T. ānā, Éthiopie, xviie-xviiie siècle

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Les îles de la mémoire

Claire Bosc-Tiessé

Table des matières

Remerciements..................................................................................................................................7Introduction ....................................................................................................................................9Abréviations ................................................................................................................................... 27

Première partie Identité et images d’un lieu Les églises du lac Tānā du xiiie au xviie siècle ......................................................... 29

Chapitre I. Le lac Tānā : lieu de conservation ou lieu de création artistique ? (xive-xvie siècle) .................................................................................................................................. 31

Les manuscrits enluminés anciens conservés dans les églises du lac Tānā et leur lieu de réalisation ............................................................ 33

L’origine et la datation des livres d’évangile anciens du lac Tānā ......................................... 33Les peintures de style eustathéen dans les églises du lac Tānā ............................................... 40Les caractéristiques communes des enluminures du xve siècle au-delà des écoles ................ 41

L’œuvre du peintre Ferē Seyon et l’influence d’un peintre de la cour dans les églises du lac Tānā ....................................... 45

Les œuvres de Ferē Seyon réalisées pour les églises du lac Tānā et l’hypothèse du patronage royal ............................................................................................. 45L’influence de l’œuvre de Ferē Seyon à Dāgā et à Daq ........................................................... 48

Conclusion ...................................................................................................................................... 49

Chapitre II. Perception de l’histoire et évolution d’une identité territoriale (xvie-2e tiers du xviie siècle) ............................................................................................................... 51

L’héritage monastique : le discours des sources et la connaissance du lieu au début du xviie siècle ....................... 51

Fondation des monastères, implantation des réseaux monastiques et écriture des Actes des saints locaux ...................................................................................... 52L’appartenance problématique de Dāgā Estifānos à un réseau monastique ....................... 54Tānā Qirqos : une place à part dans le monachisme éthiopien ? .......................................... 59

Tentatives de contrôle du monachisme régional par les souverains, voix contestataires et alliances .................................................................................................... 60

Installation des camps royaux dans la région du lac Tānā ................................................... 60Tānā Qirqos : bastion anticatholique ? ................................................................................... 61Le quadrillage de la région par Walatta Pētros, une sainte en rébellion ............................... 65

474 Les îles de la mémoire

L’établissement monastique de la péninsule de Zagē .............................................................. 70L’absence des moines du lac Tānā dans les conciles nationaux ............................................. 74

Une nouvelle politique régionale ? Les formes du patronage royal et de la création artistique (xvie-milieu du xviie siècle) ....................................................... 76

La création dans la lignée du peintre Ferē Seyon et les travaux à Kebrān à la fin du xvie siècle .......................................................................... 76Le patronage du mamher Gabra Krestos et la continuation de l’œuvre de Ferē Seyon à Dāgā ............................................................... 79Les travaux à Dāgā entre 1646 et 1652 : le rôle du roi Fāsiladas .......................................... 83

Conclusion ...................................................................................................................................... 85

Chapitre III. L’émergence de l’art gondarien : l’analyse des strates ....................................... 87Œuvres clés du premier style gondarien datées et non datées ............................................. 88

Les débuts du premier style gondarien sous Fāsiladas (1632-1667) et Yohannes (1667-1682) ............................................................................................................ 88La datation problématique de l’ensemble mural de Dabra Sinā de Gorgorā : identifier Malakotāwit ............................................................................................................... 92

Rencontres entre l’art occidental et l’art éthiopien : réactions anticatholiques et séductions occidentales ............................................................. 97

Relations directes et médiatisées : les emprunts à l’Europe et l’Inde comme « attracteur » ...................................................... 97Le recueil de gravures du père jésuite Nadal et sa présence en Éthiopie ............................... 99Gravures d’Occident : strates et hybrides européens ............................................................ 102L’Evangelium arabicum et la modification de la structure du livre éthiopien ................. 103

L’émergence de formes nouvelles et l’évolution de l’iconographie christologique au xviie siècle .......................................... 105

La part des gravures occidentales dans l’évolution de l’iconographie christologique à Dabra Sinā de Gorgorā ................................................. 106L’ancrage dans l’iconographie éthiopienne ancienne et le développement de l’illustration de thèmes propres au christianisme éthiopien .......... 111

Conclusion .................................................................................................................................... 115

Deuxième partie Le lac Tānā comme sanctuaire royal ............................................................................ 117

Chapitre IV. Les centres religieux anciens du lac Tānā dans la politique de Iyāsu Ier (1682-1706) ...................................................................................... 119

La dépouille du roi Yohannes Ier (1667-1682) et la politique religieuse de Iyāsu Ier (1682-1706) : l’utilisation de la nécropole royale de Mesrāhā ........................ 119

Mesrāh ā, nécropole de la famille de Yohannes Ier .................................................................. 120Mesrāh ā comme enjeu dans les conflits entre réseaux monastiques .................................... 122Le tombeau du roi Yohannes : le choix de Yohannes et la politique de son successeur, Iyāsu ............................................... 125

Table des matières 475

La reconstruction de l’église de Kebrān Gabreɔēl (1683-1690) dans les activités de patronage de Iyāsu Ier .............................................................................. 129

La reconstruction de Kebrān Gabreɔēl (1683-1690) ............................................................. 130Fondation et fonction de Dabra Berhān Śellāsē à Gondar, consacrée en 1694 .................. 134

L’art mural sous le patronage de Iyāsu Ier et l’évolution du premier style gondarien à la fin du xviie siècle ....................................... 137

La décoration conçue pour la nouvelle église de Kebrān Gabreɔēl ...................................... 137L’introduction d’une scène reprise de l’Evangelium arabicum : un unicum dans l’art mural du xviie siècle ........................................................................... 140Quelques repères pour l’évolution du premier style gondarien dans les années 1690 : deux fragments de Dabra Berhān Śellāsē et de Krestos Śamrā ........................................... 143

Chapitre V. La création du cycle iconographique éthiopien des Actes de saint Georges ............................................................................................................ 145

Un commanditaire à la croisée de plusieurs mondes ........................................................... 145Abrānyos, mamher de Kebrān et caqqābē sacāt auprès de Iyāsu Ier ................................... 145Les formes politiques et administratives de la fonction d’caqqābē sacāt aux xviie et xviiie siècles ...................................................... 146Abrānyos comme commanditaire et sa représentation ......................................................... 148

Les textes des manuscrits enluminés des Actes de saint Georges : une compilation spécifiquement éthiopienne ....................................................................... 152

Les types d’illustrations consacrées à saint Georges en Éthiopie ......................................... 153Les textes consacrés à saint Georges en Éthiopie et la composition textuelle des manuscrits enluminés des Actes de saint Georges .......... 155

Le manuscrit de Kebrān, première mise en images éthiopienne des Actes de saint Georges d’une compilation de textes coptes............................................ 159

La mise en place du cycle iconographique dans le codex : images narratives, images types et doubles représentations ................................................. 159Tâtonnements et solutions dans la mise en pages .................................................................. 163La page comme laboratoire stylistique ................................................................................... 165

Conclusion .................................................................................................................................... 168

Chapitre VI. Des constructions civiles au sanctuaire royal ................................................... 171Les constructions civiles de Iyāsu Ier sur les îles .................................................................... 171

L’intérêt spécifique de Iyāsu Ier pour la région ....................................................................... 171La construction d’une résidence royale sur l’île de Čeqlā Manzo (1694-1699) ................. 174Les thermes d’Entons............................................................................................................... 177

De l’assassinat de Iyāsu Ier aux parcours de ses successeurs : les strates de l’histoire et la création de la légitimité............................................................. 179

Les derniers mois de Iyāsu sur le lac Tānā ............................................................................ 179La mise en images de l’assassinat de Iyāsu Ier à Čeqlā Manzo comme strate de mémoire ........................................................................................................ 183

476 Les îles de la mémoire

La mise au point d’une version particulière de la chronique brève sur le lac Tānā ........... 187Le parcours des successeurs de Iyāsu, Tēwoflos (1708-1711) et Yostos (1711-1716), sur le lac Tānā .................................................. 192

Conclusion .................................................................................................................................... 196

Troisième partie La fondation de l’église royale de Nārgā Śellāsē et la concurrence des monastères sur le lac Tānā.................................................. 199

Chapitre VII. La fondation de Nārgā Śellāsē dans l’histoire du règne de Iyāsu II (1730-1755) : l’écriture de l’histoire et ses enjeux .......................................................................... 201

La fondation de Nārgā Śellāsē dans l’histoire du règne ....................................................... 201Une construction échelonnée (1737/1738-1747) : dater Nārgā et dater Qwesqwām ............ 201Les différentes versions de l’Histoire de Nārgā .................................................................... 208L’Histoire de Nārgā dans l’historiographie éthiopienne .................................................... 215

Les listes des personnes en service à Nārgā ........................................................................... 222Les énigmes des listes de prêtres, d’officiants (leɔuk) et de gardiens ................................... 223L’établissement des listes et les étapes ..................................................................................... 228

Officiants ou bénéficiaires ? Une implantation qwarañña et onctionniste ....................... 231La famille de Mentewwāb, les proches de la maison royale et les alliés .............................. 231L’appartenance onctionniste des religieux desservant Nārgā .............................................. 239Politique et pratiques de Mentewwāb : les nominations dans les églises de Gondar ......... 243

Conclusion .................................................................................................................................... 245

Chapitre VIII. Les enjeux d’une fondation royale et les armes de la concurrence Entre foncier et mythologie .............................................................................................................. 249

Les propriétés foncières attribuées à Nārgā et les premiers ajustements ......................... 249Les terres affectées au service du culte .................................................................................... 250Les terres affectées aux revenus des prêtres ............................................................................ 251Une redistribution foncière ? ................................................................................................... 256

La spoliation du monastère de Dāgā et les réactions ............................................................ 258La redistribution des terres de Daq : spoliation de Dāgā ? .................................................. 259Le devenir de Nārgā avec le déclin du parti qwarañña ......................................................... 262Le monastère de Dāgā Estifānos comme cimetière des rois et ses revendications légitimistes ............................................................................................. 268

La « charte théographique » de Tānā Qirqos : pratiques littéraires et revendications foncières .................................................................... 270Conclusion .................................................................................................................................... 280

Table des matières 477

Quatrième partie Nārgā Śellāsē : de l’image au modèle La main souveraine .................................................................................................................. 283

Chapitre IX. Les moyens royaux et la portée d’une fondation royale sur un îlot .............. 285L’architecture et les bas-reliefs de Nārgā Śellāsē .................................................................... 285La dotation royale en livres et en objets ................................................................................. 288

La composition des bibliothèques selon le statut de l’église .................................................. 288Objets précieux et insignes royaux dans le trésor de l’église ................................................. 292

La reproduction en peinture de matériaux précieux ............................................................ 294Le diptyque de Qwesqwām et sa copie à Nārgā ...................................................................... 294La décoration de faïence de l’église de Qwesqwām ................................................................. 298La reprise en peinture des carreaux de faïence de Qwesqwām à Nārgā ............................... 301

Conclusion .................................................................................................................................... 303

Chapitre X. Documentation, copie et création La part du souverain, l’œuvre du peintre ...................................................................................... 305

Les collections royales de manuscrits enluminés et la création de nouvelles images .... 306Les manuscrits commandités par Bakāffā ............................................................................ 306Les manuscrits enluminés de la régence de Mentewwāb et le scriptorium de Qwesqwām ................................................................................................ 310

L’utilisation des gravures occidentales dans l’ensemble mural de Nārgā ......................... 314L’utilisation de gravures de différents recueils ....................................................................... 315Processus de composition et de recomposition ....................................................................... 323

Copie et programme iconographique ..................................................................................... 326Questions sur lesdites règles iconographiques ........................................................................ 327Nārgā Śellāsē dans l’évolution des programmes iconographiques entre le xviie et le xxe siècle, et les interprétations symboliques et typologiques du xviiie siècle .............. 330Ordre de lecture, multiplication des thèmes iconographiques et développement de la littérature mariale et christologique .............................................................................. 343

Conclusion .................................................................................................................................... 345

Chapitre XI. Mise en images et mise en scène du pouvoir royal ........................................... 349Commanditaires, orants et cavaliers : représentation sociale et datation ........................ 349

La coiffure de Mentewwāb ...................................................................................................... 350Plusieurs mains, plusieurs temps, plusieurs patronages : les orants comme signature ? .... 352Une mise en scène de la société gondarienne.......................................................................... 353

Le kwarcāta reɔesu : le double discours de la représentation du palladium royal .............. 357L’histoire d’un thème et l’histoire d’un tableau .................................................................... 357La représentation d’un thème et la représentation d’un tableau ......................................... 361

478 Les îles de la mémoire

Chapitre XII. L’échappée de l’image et la fin d’un sanctuaire Les peintures murales de Nārgā comme livre ouvert ................................................................... 365

La création parallèle de l’ensemble mural de l’église voisine de Qollā Arsimā ............... 366Kebrān Gabreɔēl et Rēmā Madhanē cĀlam : libres interprétations des peintures de Nārgā ........................................................................ 369La décoration des églises de la péninsule de Zagē financée par le commerce du café et le trafic d’esclaves ....................................................................... 372Conclusion .................................................................................................................................... 378

Conclusion ..............................................................................................................................381

Annexes ......................................................................................................................................387Les supérieurs de Dāgā Estifānos ............................................................................................. 389Les supérieurs de Tānā Qirqos ................................................................................................. 391Les supérieurs de Nārgā Śellāsē ................................................................................................ 392Les caqqābē sacāt du xvie au xviiie siècle ................................................................................. 393Les sah fē teɔezāz dans les chroniques de Iyāsu II et de Iyoɔas (1730-1769) ....................... 396Chronique brève de la 3e à la 5e année du règne de Yostos (1711-1716) .............................. 397Les bibliothèques de Nārgā, Qwesqwām et Tānā Qirqos à l’époque de Iyāsu II (1730-1755) ............................................................................................. 402Charte théographique de Tānā Qirqos ................................................................................... 411

Sources et bibliographie ..................................................................................................425Sources manuscrites .................................................................................................................... 425Sources imprimées ...................................................................................................................... 429

Illustrations et crédits photographiques .............................................................459

Index............................................................................................................................................465

Cahier couleurs ........................................................................................................................... 479

Introduction

Ce livre explore différentes facettes de la production artistique dans le royaume éthiopien aux xviie et xviiie siècles à travers l’étude des pro-

cessus de commande comme ceux de formation et transformation des images, observant comment elle participe des modes de gouvernance et ce qu’elle révèle de la politique des rois.

Cet art du pouvoir peut se lire à de multiples moments dans l’histoire du royaume chrétien d’Éthiopie. Les relations entre Église et État entre le xiiie et le xvie siècle ont été étudiées en profondeur, ce qui permet de situer nos recherches dans une continuité thématique 1. Dans cette même veine et pour cette même période, Marilyn Heldman avait analysé les rapports entre patro-nage, royal ou monastique, spiritualité et création artistique, d’une part à la cour de Zarýa YāŸqob (1434-1468) en reconstituant l’œuvre du peintre Ferē Seyon et, d’autre part, dans les monastères eustathéens et stéphanites du nord du pays 2. Elle montrait comment des formes nouvelles naissaient dans des contextes politico-religieux déterminés par les orientations dogmatiques prô-nées par le roi, les oppositions et l’isolement géographique de certains mou-vements religieux par rapport au pouvoir central. Le patronage artis tique ne suivait toutefois pas toujours les mêmes voies car, dans ce dernier cas, c’était lorsque les conflits avaient cessé, que les religieux étaient rentrés en grâce et que leurs monastères avaient été dotés de revenus fonciers que se déployait une nouvelle production artistique.

Nous pouvions légitimement nous demander si des phénomènes similaires se produisaient à la période suivante, du milieu du xvie siècle à la deuxième moitié du xviiie. Sur l’art de cette époque, aucune étude de ce genre et, à vrai dire, aucun livre, à l’exception de rares publications « Beaux-Arts »,

1. Taddesse Tamrat, Church and State in Ethiopia, 1270-1527, 1972. Cet ouvrage pionnier reste un travail de référence. Cependant, l’étude des relations entre ces deux pôles a été complète-ment renouvelée par la thèse de Marie-Laure Derat, La formation du domaine royal éthiopien sous la dynastie salomonienne (1270-1527). Espace, pouvoir et monachisme, 1998, publiée sous le titre suivant : Le domaine des rois éthiopiens (1270-1527). Espace, pouvoir et monachisme, 2003.2. Heldman, « The role of the devotional image in emperor Zar’a Ya’eqob’s cult of Mary », 1984 ; Ead., The Marian Icons of the Painter Ferē Seyon. A Study in Fifteenth Century Ethiopian Art, Patronage and Spirituality, 1994 ; Ead., « An Ewostathian style and the Gunda Gunde style in 15th century Ethiopian manuscript illumination », 1989.

12 Les îles de la mémoire

avec quelques pages de textes et surtout des photographies 3, quelques textes d’introduction dans des catalogues d’exposition avec leurs notices 4. Le seul ouvrage approfondi sur l’art éthiopien qui englobait aussi la période gonda-rienne était alors celui de Stanislaw Chojnacki mais uniquement par le biais de l’évolution des thèmes iconographiques 5.

Avec les guerres qui opposent les émirats musulmans au royaume chrétien au xvie siècle, les églises éthiopiennes ont été en partie dévastées et les histo-riens de l’art avaient fait de Gondar la capitale d’une renaissance artistique. Au cours de l’année 1636-1637, le roi Fāsiladas se serait installé sur ce site où il aurait construit une résidence et des églises en pierre et mortier de chaux. Sous ses successeurs, l’urbanisation s’y développe et chaque souverain fait construire là de nouveaux bâtiments, palais et églises. Tout le monde s’accorde toutefois pour reconnaître que les éléments qui caractérisent cette société dite gondarienne se mettent en place bien avant. Suite aux bouleversements qui ébranlent le royaume chrétien au xvie siècle, les guerres mais aussi l’installa-tion sur son territoire des peuples oromo venus du sud, le centre de gravité du pouvoir royal se déplace alors dans la région du lac Tānā. Sur ses pourtours orientaux et méridionaux, dans le Bagēmder et au Goğğām, les rois établissent des résidences entre lesquelles les souverains des xviie et xviiie siècles vont continuer à partager leur temps. Dès lors, le lac Tānā n’est plus aux marges du royaume mais en son cœur même. Cette situation se confirme au xviie siècle avec l’installation d’une capitale à Gondar, quelque soixante kilomètres plus au nord. Pendant deux siècles, les monastères du lac Tānā se trouvent ainsi aux portes de la région-capitale, lieu d’exercice du pouvoir. La translation géogra-phique de l’exercice du pouvoir royal opère par contrecoup une modification du statut des églises du lac, lesquelles deviennent des lieux conservatoires, voire des enjeux de pouvoir. C’est dans cette période ainsi définie que l’art des xviie et xviiie siècles est habituellement envisagé, le découpage géopolitique ayant servi de base pour définir le champ artistique.

3. Aucun n’était d’ailleurs consacré exclusivement à la période xviie- xviiie siècles. Nous pou-vons toutefois citer les livres de Jules Leroy, La pittura etiopica durante il medioevo e sotto la dinastia di Gondar, 1964, traduction anglaise : Ethiopian Painting in the Late Middle Ages and under the Gondar Dynasty, 1967. En 1973, il publiait L’Éthiopie. Archéologie et culture, livre plus général qui traçait une fresque de l’histoire culturelle du royaume d’Éthiopie.4. Annonciatrices du renouvellement des études sur l’art éthiopien, les notices du catalogue de l’exposition d’African Zion, the Sacred Art of Ethiopia (1993), rédigées par Marilyn Held-man, précisaient certaines évolutions dans l’histoire de l’art gondarien qui étaient restées très floues jusque-là et proposaient un développement diachronique.5. Chojnacki, Major Themes in Ethiopian Painting. Indigenous Developments, the Influence of Foreign Models and their Adaptation from the 13th to the 19th Century, 1983.

Introduction 13

Toutefois, les documents portés depuis à la connaissance des chercheurs permettent de voir que la création artistique n’a pas connu d’arrêt au cours du xvie siècle. En revanche, les destructions expliquent peut-être que la pein-ture de cette époque nous apparaît principalement sous la forme de tableaux sur bois, panneaux plus aisément transportables que les peintures murales et donc plus faciles à mettre à l’abri. Les difficultés actuelles à comprendre l’art de cette époque et les débuts de l’art dit gondarien proviennent de celles ren-contrées pour dater ces peintures dont le support même ne peut pas être daté comme un bâtiment ou un livre. Parmi les œuvres dont on suppose qu’elles ont été réalisées entre les années 1520, la fin de la période d’activité connue du peintre d’origine vénitienne Brancaleon 6, et le milieu du xviie siècle, aucune ne comporte d’éléments de datation. Ainsi, la transition entre les formes de l’art considéré comme ancien, c’est-à-dire antérieur au xvie siècle, et l’art gon-darien reste obscure.

Cet art gondarien est communément divisé en deux styles qui correspon-dent à deux périodes. Le trait, les modelés et les motifs décoratifs changent radicalement de l’un à l’autre. Le premier style gondarien se caractérise en premier lieu par la prédominance des couleurs bleue, orange, rouge et jaune, et par l’absence de fond de couleur dans les cycles narratifs des manuscrits. Le deuxième est, lui, reconnaissable à sa palette de couleurs vives et variées, à l’emploi de fonds de couleur, jaunes, verts et rouges, utilisant souvent la tech-nique du dégradé, et à un arrondissement général des formes, notamment dans le dessin des visages 7. Si les prémices du premier style gondarien sont toujours dans l’ombre, le moment où la transition s’opérait avec le deuxième a longtemps été fixé de manière erronée autour de la datation supposée des peintures de l’église de Dabra Berhān Śellāsē à Gondar, consacrée en 1694. Leur style relevait sans contexte du deuxième style que l’on faisait alors com-mencer à cette date. Mais Guy Annequin, à partir des textes des chroniques et d’un texte peu connu d’Arnauld d’Abbadie, a montré que l’église des années 1690 avait été détruite et que le bâtiment actuel et ses peintures étaient plus tardifs, datant en l’occurrence du début du xixe siècle 8. Cet ensemble mural

6. Sa présence est attestée en Éthiopie entre les années 1480 et 1526.7. Comparer par exemple les peintures murales de Dabra Sinā à Gorgorā (pl. IX) et celles de Nārgā Śellāsē (pl. XXIV).8. Annequin, « De quand datent l’église actuelle de Debra Berhan Sellassé de Gondar et son ensemble de peintures ? », 1976. Nous avons ensuite montré que le souverain, comman-ditaire du nouvel ensemble, Egwāla S eyon, était représenté – et nommé – à deux reprises sur les peintures, de même que le nom du peintre y est mentionné (Bosc-Tiessé, Wion, « Inventaire des peintures datées du xviie au début du xixe siècle : questions sur l’art gonda-rien (Éthiopie) », 1998, p. 227).

14 Les îles de la mémoire

n’était donc plus celui qui marquait le début du deuxième style gondarien mais plutôt sa fin. Il apparaissait alors que le glissement se faisait dans le pre-mier tiers du xviiie siècle et que le deuxième style gondarien se développait sous la régence de la reine Mentewwāb à partir des années 1730. Ce qui se passait dans les trois premières décennies du xviiie siècle restait toutefois incertain.

À l’époque dite gondarienne, les églises et monastères installés sur les rives et les îles du lac Tānā se présentent comme un morceau de choix pour analy-ser les relations entre pouvoirs, images et histoire. À l’ouest du haut plateau septentrional éthiopien, sur cette vaste étendue d’eau – 3 600 kilomètres car-rés, environ 80 kilomètres de long et une cinquantaine dans sa plus grande largeur –, s’égrènent le long des côtes des chapelets d’îles minuscules, qui abritent ermites puis communautés monastiques depuis le xiiie siècle. En son centre, bordée par les deux îles de Nārgā et de Dāgā, celle de Daq est la seule à être cultivée et habitée par des laïcs.

Connu depuis l’Antiquité 9, réservoir du Nil bleu ou Abbāy, les développe-ments médiévaux comme les origines de l’histoire du lac se perdent dans le mythe. Celui du roi éthiopien qui couperait le débit du fleuve pour affaiblir l’Égypte – enjeu revivifié à la fin du xixe siècle et dans la première moitié du xxe siècle avec les volontés d’établir un barrage au débouché du lac 10 –, et, plus loin encore dans le temps, comme la croyance toujours vivante que l’île de Tānā Qirqos aurait abrité, selon les versions, soit l’Arche d’alliance appor-tée en Éthiopie par le fils de Salomon et de la reine de Saba, soit la Sainte Famille menacée en Égypte alors qu’elle s’y était réfugiée après la naissance de Jésus. Que ce soit dans une tradition mytho-historique ou dans l’historio-graphie moderne, le lac Tānā comme objet historique est constitué avant tout en tant que refuge.

Effectivement, avant les découvertes faites dans les églises rupestres du Tegrē 11, les chercheurs ont pu penser que les îles du lac Tānā avaient servi d’ultime abri aux trésors de l’art éthiopien au xvie siècle et une nouvelle fois encore au moment des incursions soudanaises qui, à la fin du xixe siècle, sac-cagent Gondar, dont les églises et les bibliothèques avaient déjà été mises à mal par le roi Tēwodros II (1855-1868) pour constituer le trésor d’une nouvelle

9. Hirsch, « Les sources de la cartographie occidentale de l’Éthiopie (1450-1550) : les régions du lac Tana », 1987, p. 203.10. Voir à ce sujet Erlich, Gershoni, The Nile – Histories, Cultures, Myths, 2000.11. Dans la presse puis à la troisième conférence internationale des études éthiopiennes en 1966 à Addis Ababā, le prêtre Tewelde Medhin portait alors à la connaissance générale l’existence de centaines d’églises, principalement dans le Tegrē, dont les fresques sont anté-rieures au xvie siècle (« Introduction générale aux églises monolithes du Tigrai », 1970).

Introduction 15

capitale. Par conséquent, les églises du lac Tānā apparaissaient comme le conservatoire de l’art mural gondarien, disparu à Gondar même après les des-tructions occasionnées par les raids menés contre la ville.

Or, il apparaît que les églises du lac Tānā ne possèdent pas plus d’œuvres du premier style gondarien que les églises de Gondar aujourd’hui, à l’excep-tion de l’ensemble mural de l’église de Dabra Sinā à Gorgorā et de quelques pièces fragmentaires. Quant aux manuscrits enluminés conservés dans les églises des îles, ils ne datent pas de cette époque à quelques rares exceptions près. Ce fait est d’ailleurs à souligner. Effectivement, un grand nombre de manuscrits illustrés dans le premier style gondarien étaient conservés dans les églises de Gondar et ont été emportés pour une grande part à Maqdalā par Tēwodros II au milieu du xixe siècle puis, après sa défaite devant les Anglais en 1868, à Londres. Les églises du Bagēmder, du Goğğām et du Tegrē pos-sèdent aujourd’hui encore des manuscrits enluminés du xviie siècle. Il n’est pas rare de trouver dans les églises de ces régions un recueil des Miracles de Marie enluminé dans le premier style gondarien. Et rien de ce genre parmi les manuscrits du lac Tānā bien connus dans leur ensemble. À ce tournant des deuxième et troisième millénaires, le lac Tānā n’apparaît plus comme le réser-voir mystérieux de l’art éthiopien comme il semblait il y a quelques quarante années, avant que les découvertes dans le nord de l’Éthiopie tournent l’at-tention des chercheurs occidentaux vers ces contrées. Demeure en revanche un grand ensemble ecclésial à la configuration géographique et géopolitique originale dont l’histoire est toujours à écrire.

En tant que sujet d’étude, le lac Tānā n’était pas un terrain vierge. C’est parce que des chercheurs avaient déjà porté leurs efforts sur ce lieu que nos travaux ont été possibles. Ernst Hammerschmidt a créé ce qui fut notre premier outil de travail en microfilmant sur place, en 1968, les manuscrits de quatre églises : Kebrān Gabreýēl, Dabra Māryām, Rēmā Madhanē ŸĀlam et Dāgā Estifānos. Microfilmer les manuscrits d’autres monastères du lac Tānā, et notamment ceux de Tānā Qirqos, l’un des plus réputés, s’est avéré impossible car le lieu était alors déserté et la bibliothèque fermée 12. Ernst Hammerschmidt a publié par ailleurs quelques photographies des enluminures des manuscrits du lac Tānā 13. Ces catalogues, comme rapports de mission et de voyage, nous ont

12. Deux premiers catalogues extrêmement détaillés sont parus rapidement, en 1973 et 1977 (Cat. Tānāsee I ; Cat. Tānāsee II). Le troisième, qui concerne la bibliothèque de Dāgā Estifānos, a été réalisé beaucoup plus tard par Veronika Six et publié à la fin de l’année 1999 (Cat. Tānāsee III).13. En annexe au catalogue des manuscrits éthiopiens enluminés des bibliothèques alle-mandes, il a tout d’abord publié quelques photographies prises dans les églises du lac Tānā (Hammerschmidt, Jäger, Illuminierte äthiopische Handschriften, 1968) et ensuite des

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fourni un grand nombre d’informations et ont permis de préparer le travail mené sur place 14.

Les bibliothèques des monastères du lac Tānā ont fait l’objet d’une autre campagne de microfilmage, celle du projet Ethiopian Manuscripts Microfilm Library (EMML), d’abord américano-éthiopien puis seulement éthiopien 15. Le projet a été réalisé de manière radicalement différente de celui d’Ernst Hammerschmidt car les manuscrits étaient apportés, parfois au coup par coup, à Addis Ababā pour y être microfilmés. Ces manuscrits ne sont pas catalogués et seuls les recueils de fiches d’enregistrement permettent de les retrouver et d’identifier les textes qu’ils contiennent 16. Ces microfilms pré-sentent les mêmes problèmes que ceux réalisés par Ernst Hammerschmidt : outre le fait qu’en noir et blanc ils ne sont pas d’une grande utilité pour la connaissance de l’art, un certain nombre ne sont pas de qualité suffisante pour le type de travail que nous voulions faire. Les pages qui nous intéres-sent le plus, celles en début ou fin de manuscrit où se concentrent les notes relatives à la vie concrète des lieux, notes déjà souvent écrites hâtivement, sans soin et de ce fait plus difficilement déchiffrables, ne sont pas planes et sont souvent noircies ou floues sur les microfilms. Ils ont toutefois permis un premier repérage du contenu de certains manuscrits que nous avons ensuite à nouveau photographiés sur place.

Le projet imposait par ailleurs de constituer un corpus photographique des peintures, en premier lieu murales. À cette fin, nous nous sommes rendus à deux reprises à Gondar et dans la région du lac Tānā. Nous avons alors réalisé une couverture photographique exhaustive des peintures murales des églises

photographies des manuscrits microfilmés (Hammerschmidt, Illuminierte Handschriften der Staatsbibliothek Preußicher Kulturbesitz und Handschriften vom T ānāsee, 1977) dont les couleurs sont très pâles et ne permettent pas de se faire une idée des tonalités réelles des enluminures.14. Pour les principaux : Cheesman, Lake Tana and the Blue Nile. An Abyssinian Quest, 1936 ; Jäger, « Ethiopian manuscripts paintings », 1960, suivi en 1961 de « Some notes on illu-minations of manuscripts in Ethiopia » avec Deininger-Englhart ; Annequin, « Le lac Tana et ses îles », 1975 ; Berry, Smith, « Churches and monasteries of lake Tana », 1979.15. Pour le lac Tānā ont été microfilmés des manuscrits des églises de Zagē, Kebrān, Dabra Māryām, Tānā Qirqos, Krestos Śamrā, Qwarātā Walatta Pētros, Gwegwebēn, Dāgā, Daq (Kotā, Arsimā, Zebed, Gādnā), Nārgā et Galilā.16. Les manuscrits ont été numérotés dans leur ordre d’arrivée à Addis Ababā, ainsi tous les manuscrits d’une même bibliothèque ne se suivent pas. Nous nous sommes trouvés devant plusieurs centaines de microfilms dans lesquels nous avons opéré des sondages en fonction des informations fournies par les fiches d’enregistrement.

Introduction 17

visitées, de certains manuscrits et nous avons établi des relevés architecturaux des bâtiments anciens, connus ou découverts à cette occasion 17.

Dans les écrits, les informations concernant la production artistique sont extrêmement rares. Les sources externes de l’histoire de l’art éthiopien n’exis-tent pas ou presque : seules des listes de couleurs s’en approchent qui semblent être des notes d’achat, voire de simples aide-mémoire sur leur répartition. Autre type de mention relative à l’art dans ces archives : celle des peintures ou des manuscrits enluminés dans les inventaires des biens d’une église, mais ces précisions ne sont en rien systématiques et leur absence ne signifie nulle-ment que la bibliothèque ne contient pas de livres enluminés 18. Les Vies de certains saints expliquent leur formation comme artisan ou évoquent la place des images dans les églises mais, en tout état de cause, ces textes sont rares et concernent des époques antérieures. Dans le corpus des textes qui men-tionnent les images, pour l’époque considérée, il faut surtout compter sur un recueil des miracles accomplis par l’archange Gabriel lors de la reconstruction de l’église de Kebrān à la fin du xviie siècle, le récit hagiographique de la vie du roi Iyāsu Ier qui signale la réalisation d’ensembles muraux dans les églises

17. En mars-avril 1996 tout d’abord, nous nous sommes rendus dans quelques-unes des îles du sud du lac Tānā : Kebrān, Dabra Māryām, et les églises de Zagē, puis, avec Solomon Tešomē, restaurateur du ministère de la Culture, du Département de la culture de Gondar, nous avons travaillé à Gondar et à Dabra Sinā de Gorgorā. Au cours de l’hiver 1997-1998, accompagnés par Abbaba Dastā, du Département de la culture de Bāher Dār, nous avons pu séjourner plus longuement dans certains lieux : à Gwāngut notamment, d’où nous nous sommes rendus à Meslē, Tānā Qirqos, Čeqlā Manzo, ainsi qu’à Zagē à l’église d’Aswā Māryām, d’où nous avons pu sillonner quelques jours la péninsule. Nous avons aussi campé à Nārgā et de là traversé l’île de Daq pour nous rendre à Dāgā. Dans les autres églises, Kebrān, Rēmā, Qwarātā Walatta Pētros, nous avons fait des allers-retours plus rapides. Certains lieux n’ont pas été visités, plus difficiles d’accès pour des raisons de logistique et parfois de sécurité, comme les îles du Nord et le mont Gwegwebēn. Dans les églises interdites aux femmes, celles de Tānā Qirqos, Kebrān Gabreýēl et Dāgā Estifānos, les photographies et les relevés ont été réalisés par Patrick Tiessé assisté d’Abbaba Dastā. À Tānā Qirqos toutefois, les moines sont venus s’entretenir avec moi dans la maison des hôtes et m’y ont apporté des manuscrits et le marāweht. Le rapport de cette mission, avec l’intégralité des relevés architecturaux, a été publié dans les Annales d’Éthiopie (Bosc-Tiessé, « Notes sur l’histoire et l’art des églises du lac Tānā. Rapport de mission (27 décembre 1997-28 janvier 1998) », 2000), avec les mêmes limites que pour les autres missions menées sur le lac : la difficulté à réaliser des documents photographiques de qualité et l’impossibilité de l’exhaustivité. Notons toutefois que, depuis, la fondation suisse Montandone a financé une mission d’étude à Nārgā dirigée par l’architecte Mario Di Salvo et la publication de photographies de qualité professionnelle (Di Salvo, Churches of Ethiopia. The Monastery of Nārgā Śellāsē, 1999).18. Les premiers inventaires de la bibliothèque du monastère de Hayq en sont un bon exem-ple, qui listent les tétraévangiles enluminés de ses mamher, bien connus par ailleurs, sans pré-ciser qu’ils comportent des peintures.

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qu’il a fondées et la chronique de cour officielle de la reine Mentewwāb qui, de même, décrit sous le mode symbolique les peintures de la fondation de Qwesqwām.

Dès lors que l’on cherche à connaître l’histoire d’un lieu, excepté quelques textes exceptionnels, c’est d’abord d’actes fonciers qu’on dispose. Achat, don, échange, héritage des terres et modes de revenus qu’elles procurent, ce sont les premiers documents de l’historien de l’Éthiopie. Ils concernent en pre-mier lieu les établissements religieux, ceux-ci en tant qu’institution mais aussi leurs membres et le plus souvent les personnes, religieux ou laïcs, qui sont à leur tête et vont bénéficier des systèmes de revenus de ces terres.

L’un des principaux modes de datation de ces documents, quand datation il y a, est la mention du souverain alors régnant. Ensuite, le nom du supé-rieur de l’église en fonction apparaît parfois, voire une date en bonne et due forme mais dans un système calendaire qui reste à déterminer. C’est ainsi que le temps est celui du souverain ou de la succession des règnes qui rythment l’histoire d’un lieu à travers l’évolution de la propriété foncière et mobilière. Effectivement, après les terres, ce sont des listes des livres et des objets qui appartiennent à l’église et au monastère, objets liturgiques, précieux pour certains, mais aussi de la vie quotidienne, qui viennent compléter le dossier. L’apparition du nom du souverain régnant n’est pas toujours due seulement aux modes de datation, c’est bien lui en tant qu’acteur que l’on voit parfois doter le lieu. Ainsi, l’histoire des attributions foncières ou d’autres donations est un marqueur des relations avec le roi. C’est parmi ces documents que l’on peut trouver, quand il y a lieu, les informations qui renseignent sur les travaux de construction des espaces ecclésiaux.

Les documents à disposition semblent ainsi imposer une double étude du patronage artistique et du patronage foncier. Mécénat artistique et dotation foncière ne sont pas le même geste mais les acteurs semblent être les mêmes : ceux qui dotent, ceux qui reçoivent, ceux qui ordonnent et sont les pivots de cette histoire commune 19. Ainsi, le foncier est la porte d’entrée la plus com-mune pour accéder à l’histoire d’un lieu et ensuite à l’activité artistique qui se déploie dans ses murs. La plus commune mais pas la plus facile car ces textes sont souvent dans une langue que l’on connaît mal, un amharique ancien, entre la langue liturgique et officielle, le guèze, et la langue parlée, l’amharique actuel, qui connaît des transformations entre les premiers textes qui le notent par écrit au xive et le xviiie siècle. Surtout, le langage de ces textes ne facilite

19. Par ailleurs, les travaux des historiens de l’art tendent à montrer que rien ne régit de manière systématique les rapports entre art et société, même au sein d’une société donnée, voir notamment Francis Haskell dans la préface de son livre Mécènes et peintres. L’art et la société au temps du baroque italien, 1991, p. 11.

Introduction 19

pas leur compréhension : souvent allusifs, voire abrégés, il nous faut supposer ce qu’ils ne disent pas et que le lecteur est censé connaître, ils utilisent des expressions que l’on peut traduire littéralement mais dont on ne comprend pas ce qu’elles désignent 20.

D’autres mentions propres à l’histoire du lieu se trouvent aussi dans des livres liturgiques comme les synaxaires, recueils de lectures pour les célébra-tions religieuses qui comprennent parfois des commémorations particulières au monastère, ou bien dans les marges des tables calendaires utilisées sans doute aussi pour la rédaction des chroniques de l’histoire du royaume, dites brèves, définitivement mises au point dans les milieux monastiques après la mort du roi Bakāffā en 1730. Les récits hagiographiques élaborés dans les milieux monastiques, de même que les différents écrits rédigés dans l’entou-rage royal et, plus particulièrement, les chroniques officielles des souverains sont aussi des sources majeures pour cette étude. Surtout, la manière dont ces différents documents ont été élaborés et la distinction de leurs différentes strates ont été en soi source et objet d’étude 21.

Ainsi, les ressorts communs du patronage artistique et du patronage fon-cier comme les modes de consignation de l’histoire par des pouvoirs diffé-rents peuvent mettre en lumière l’art de gouverner. De même, ce ne sont pas seulement les textes ou les images qui sont des sources pour l’histoire mais l’histoire des textes et l’histoire des images. C’est comme cela que prend tout son sens l’étude de la fabrique des images et de l’écriture de l’histoire, et que peut se mettre en place l’opération de retour critique de l’art sur l’histoire que Georges Didi-Huberman appelait de ses vœux 22.

L’histoire de l’art gondarien telle que nous en avions hérité nécessitait un approfondissement du contexte dans lequel les œuvres étaient créées pour ne pas passer trop rapidement à des analyses iconologiques sans fondement sérieux. C’est pour cela que nous avons travaillé spécialement sur le contexte, au sens le plus large, dans lequel les œuvres s’enracinaient et sur les conditions dans lesquelles elles voyaient le jour, spécifiques à chacune. Notre projet s’est alors articulé autour de deux axes : une histoire globale de l’objet – la pein-ture dans un livre, l’histoire du livre et la codicologie, la peinture et le livre dans l’histoire intellectuelle et littéraire, ce qui commence par l’histoire de la

20. Le texte de Tānā Qirqos édité en annexe en donne quelques bons exemples.21. Suivant en cela les travaux de Manfred Kropp, particulièrement sur les chroniques brèves (Die äthiopischen Königschroniken in der Sammlung des Däğğažmač Hāylu. Enstehung und handschriftliche Überlieferung des Werks, 1989). 22. Didi-Huberman, Devant le temps. Histoire de l’art et anachronisme des images, 2000, p. 26-27.

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bibliothèque – et une histoire de la commande artistique comprise ici comme processus de conception.

Une première recherche sur les sources du contexte de création, dans laquelle nous faisions le point sur les avancées des travaux antérieurs 23, nous avait donné une base de réflexion pour ce qui concernait l’histoire des pein-tures murales dans le bâtiment qu’elles ornaient. La constitution d’un inven-taire des peintures datées 24, en élargissant le corpus aux manuscrits, a ensuite fourni quelques-uns des points de départ du travail présenté ici, tout d’abord en donnant des jalons qui permettaient de préciser l’évolution des styles pic-turaux sur deux siècles, mettant en évidence les œuvres qui se trouvaient aux points névralgiques. Parmi celles-ci figurait un manuscrit enluminé, les Actes de saint Georges du monastère de Kebrān, qui apparaissait au croisement des questions que pose cette société, notamment sur les relations que le pou-voir royal et les centres monastiques entretiennent. Ainsi l’étude des œuvres commanditées par le pouvoir royal ou ses proches montre que l’art et l’ar-chitecture sont la partie visible d’une politique des rois en faveur de certains monastères dont ils veulent faire le conservatoire de la légitimité royale. À travers cette étude se dessinent la place de l’art dans la société gondarienne des années 1680 aux années 1760 environ, la place des églises du lac Tānā à la même époque, la politique des rois à travers les fondations ecclésiales.

Un point central des relations entre les moines et les rois aux xviie et xviiie siècles se joue dans la définition du dogme, et il a fallu considérer la part des querelles théologiques dans les rapports entre les souverains et les moines du lac Tānā, et leurs éventuelles implications dans l’art. Avec la pré-sence des jésuites, les disputes théologiques rejaillissent et de nouvelles ques-tions christologiques se posent. Pour défendre le monophysisme hérité de l’Église copte, les moines éthiopiens discutent de la définition de la nature du Christ. Essayant de la mettre au clair, ils se divisent en factions rivales. Diffé-rentes doctrines apparaissent, défendues en général par un groupe de moines dépendant de tel courant monastique, originaires de telle région, qui en dis-cutent devant le roi à l’occasion des nombreux synodes que celui-ci convoque ou que les moines réclament. Intimement liés à l’histoire de la royauté, ces conciles ponctuent ainsi la vie religieuse et politique du pays. Les synodes, où se regroupent les partisans des différents mouvements doctrinaux en présence des représentants des pouvoirs religieux, le métropolite égyptien, l’ečāgē et l’caqqābē sacāt le plus souvent, sont des moments paroxystiques où s’expriment

23. Bosc-Tiessé, Courants monastiques, pouvoirs politiques et art : sources pour une histoire contextuelle de la peinture murale gondarienne (xviie-xviiie siècles), 1995.24. Bosc-Tiessé, Wion, op. cit.

Introduction 21

les points de vue des différentes factions. À l’issue de chaque concile, un parti est presque systématiquement rejeté. Ce sont donc des événements symp-tomatiques des relations des moines avec la cour, qui définit l’orthodoxie et joue l’équilibre des pouvoirs dans le royaume autant qu’elle affiche alors ses préférences dogmatiques. L’histoire de ces partis religieux et les définitions des doctrines qu’ils soutiennent sont extrêmement complexes et font tou-jours aujourd’hui l’objet d’études controversées. Entre le règne de Susenyos (1607-1632) et le concile de Boru Mēdā en 1878, la situation politico-religieuse ne cesse d’évoluer. Au xviie siècle, les deux principaux partis rivaux en pré-sence sont les moines de Dabra Libānos, défenseurs de la thèse de l’Union, Tawāhdo, selon laquelle le Christ est fils naturel de Dieu par l’union de l’hu-manité avec la divinité, et les moines eustathéens du Goğğām, partisans de la doctrine de l’Onction, ou Qebɔat, qui déclarent que le Christ est devenu fils naturel de Dieu par l’onction de l’Esprit Saint. Aux xviiie et xixe siècles, cette question de la nature du Christ et des relations des personnes de la Trinité prend un tour nouveau, se concentrant autour de la nature du Christ, et de nouvelles écoles théologiques se forment. Une première recherche sur ce qui pouvait transparaître dans les images des querelles théologiques de l’époque et des prises de position de chacun des réseaux monastiques a montré que celles-ci ne se traduisaient apparemment pas dans l’art 25. Soit l’art n’est pas pour les Éthiopiens des xviie et xviiie siècles un lieu d’expression théolo-gique, soit il nous manque encore aujourd’hui les clefs pour comprendre l’articulation dogmes-images dans l’Éthiopie de cette époque. Une meilleure connaissance de l’usage de la littérature religieuse à une époque donnée – dépassant les histoires de la littérature qui se résument pour le moment à une histoire des traductions et des créations mais qui ne sont en rien des histoires de l’usage – permettrait de faire avancer cette question. C’est pour aller dans ce sens que nous avons établi un premier comparatif des bibliothèques des églises et des monastères au milieu du xviiie siècle, inventaires qui révèlent ce qui est en usage dans un lieu à un moment donné et quelle est la culture religieuse à partir de laquelle les images étaient conçues.

Le guèze et de même l’amharique n’ont pas l’équivalent du terme latin imago dont la polysémie a fait la richesse des études sur les représentations en Occident 26. Toutefois, même si le terme śecel, traduit par « image », ne réfère pas, lui, à des sens multiples, il ne semble pas insensé d’établir des paral lèles entre les différentes « images » que nous allons étudier, représentations

25. Bosc-Tiessé, op. cit.26. Et en tout premier lieu celle de Jean Wirth, L’image médiévale. Naissances et développe-ments (vie-xvie siècle), 1989.

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figurées et représentations historiques mentales, développant l’enquête sur une durée longue pour comprendre l’héritage culturel et la connaissance de l’histoire à partir desquels les hommes des xviie et xviiie siècles ont écrit, peint et gouverné.

C’est en suivant l’entrelacs de ce double fil – constitution des documents historiques et formation des images – que nous proposons d’analyser la créa-tion artistique aux xviie et xviiie siècles dans les églises du lac Tānā. Dans un ordre chronologique, nous procéderons en fait par une série de coupes sur des moments ou des lieux donnés.

Pour cela, la première partie de ce travail analyse quel est l’héritage cultu-rel des moines du lac Tānā au xviie siècle et comment il s’est constitué, en considérant les œuvres anciennes conservées dans les églises du lac Tānā et qui font alors partie de leur patrimoine. Nous voyons ensuite comment l’his-toire des monastères du lac Tānā jusqu’au xviie siècle a été écrite et quelle image du lieu en ont alors les contemporains, pour voir comment l’attitude des rois envers les monastères du lac évolue entre le xve et la première moitié du xviie siècle avec le déplacement de la région capitale aux alentours du lac Tānā. L’étude concrète des interventions des souverains dans la vie interne des monastères, des travaux et de la commande artistique dans cette lignée permet ensuite de poser quelques jalons pour mieux situer la production artistique au xvie siècle. Elle évolue fondamentalement au cours du xviie siè-cle et certains des caractères de l’émergence de l’art dit gondarien se précisent, notamment en observant le renouvellement de l’iconographie christologique en rapport avec l’apport de gravures occidentales.

Dans un deuxième temps, nous voyons comment s’esquisse un tournant dans les relations entre le souverain et les monastères du lac Tānā. La créa-tion d’une nécropole royale sur l’île de Mesrāhā montre l’infléchissement de l’attitude de Iyāsu Ier (1682-1706) qui implante son pouvoir de manière plus personnelle sur les îles. À partir de la relecture du texte de la reconstruction de l’église de Kebrān Gabreýēl grâce aux subsides de Iyāsu Ier, nous portons un regard attentif sur les toiles que l’église conserve aujourd’hui pour identifier dans cet ensemble hétéroclite les peintures de cette époque, mettant alors en relief certains des caractères d’une œuvre initiée par le roi.

C’est aussi un manuscrit de Kebrān qui permet de voir une autre facette des relations entre royauté, création artistique et religieux du lac Tānā dans la personne du commanditaire, tout en datant le moment du passage entre le premier style gondarien et le deuxième. Cela implique aussi de considérer le rapport du roi avec le temps, l’histoire, et la façon dont s’écrit cette histoire sur laquelle il exerce une forme de contrôle et qui lui échappe tout à la fois. Ceci s’observe particulièrement dans l’histoire de Iyāsu Ier qui, comme les souverains de l’époque, maîtrise une part de l’histoire officielle. Toutefois,

Introduction 23

des histoires parallèles commencent déjà à se préparer, sous forme non pas linéaire, comme ce sera le cas dans la deuxième moitié du xviiie siècle avec l’œuvre du dağğāžmāč Hāylu, mais de notes enregistrées au fur et à mesure dans les colonnes des tables calendaires des manuscrits et notamment dans ceux du lac Tānā. Sa propre histoire lui échappe encore plus avec le tournant imprévu que prend la fin de son règne, sa relégation puis son assassinat. La fin tragique de celui qui était apparu comme un roi fort va faire de lui un martyr de l’Église d’Éthiopie. Traumatisme dans l’histoire éthiopienne, cet événe-ment conduit à la sanctification de Iyāsu dans un processus qui se traduit de deux façons : l’écriture d’un récit hagiographique de sa vie, récit officiel mis en place par le haut clergé de Gondar et sans doute contrôlé par la cour, et la création d’une image illustrant l’assassinat lui-même.

La troisième partie est consacrée à un autre moment marquant de l’his-toire de la relation entre les souverains gondariens et le lac Tānā : l’établis-sement d’une église royale sur l’île de Nārgā. Dans l’analyse des différentes composantes de cette fondation apparaît la position de la reine Mentewwāb vis-à-vis des monastères du lac sous le règne de son fils Iyāsu (1730-1755) et de son petit-fils Iyoýas (1755-1769), ainsi que sa politique et ses pratiques de manière plus globale pour asseoir son pouvoir et protéger sa famille. En parallèle, la situation des établissements monastiques anciens au xviiie siècle comme leurs réactions à l’implantation d’une fondation royale mettent en relief l’ampleur réelle de cette dernière et sa fonction dans le gouvernement du royaume.

Dans ce contexte, le chantier de construction et de peintures de l’église prend une signification particulière à laquelle nous consacrons le dernier cha-pitre. Les différentes facettes de la commande royale peuvent aussi bien s’ob-server dans l’architecture, les matériaux de l’ornementation que la fabrique des images. Nous examinons en détail quelle était la documentation icono-graphique à la disposition des peintres de Nārgā, et tout d’abord la collection royale de manuscrits enluminés réalisés sous le règne de Bakāffā (1721-1730), puis sous celui de son fils Iyāsu II (1730-1755). La redécouverte des recueils de gravures occidentales adaptées par les peintres éthiopiens a conduit à considérer image par image quelle utilisation en a été faite pour la réalisation de l’ensemble mural de Nārgā. L’usage des estampes montre un autre aspect du patronage royal et pose ensuite la question de l’évolution du sens de ces images religieuses. Les peintures réalisées dans ce cadre permettent d’éclairer en retour l’image que la reine construit de son pouvoir. Mais les modalités de la fondation de Nārgā, la place réelle que Mentewwāb lui assigne dans son règne mettent en place les conditions d’une perception différente du lac Tānā qui, de sanctuaire, devient alors un lieu conservatoire.