Vie de Proclus

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VIE DE PROCLUS PAR MARINUS DE NEAPOLIS. PROCLUS OU DU BONHEUR 1. Si j'avais considéré le grand esprit et tout ce qui fait la haute valeur du philosophe Proclus, notre contemporain, les documents que doivent avoir préparés et les qualités oratoires que doivent posséder ceux qui se proposent d'écrire la vie d'un tel homme, et si j'avais ensuite regardé ma propre insuffisance dans la pratique de l'éloquence, j'aurais, je crois, eu raison de me tenir tranquille, de ne pas, comme dit le proverbe, sauter le fossé et de ne pas me lancer dans cette œuvre périlleuse. Mais ce n'est pas sur ces exigences que je me suis mesuré : et j'ai réfléchi que, même dans les sacrifices, ceux qui se présentent aux autels ne font pas tous des offrandes d'un prix égal, mais que les uns par le sacrifice de taureaux, ou de chèvres ou d'autres victimes semblables s'efforcent de se montrer digne de participer aux dieux dont ils abordent les autels, et même leur composent avec art des hymnes tantôt en vers, tantôt en prose, tandis que les autres n'ayant rien de semblable à offrir, ne présentent en sacrifice qu'un gâteau, ou quelques grains d'encens et, n'adressant aux dieux qu'une courte invocation, n'en sont pas moins favorablement entendus : mû par ces réflexions et de plus craignant, selon le mot d'Ibycus, non pas de manquer aux Dieux car ce sont ses propres termes, — mais de manquer à ce grand sage, pour m'assurer, par mon attitude, les éloges du monde (j'ai craint en effet que ce ne soit pas un acte de piété de me taire, moi seul, parmi ses amis, et d'omettre de raconter sur lui la vérité, dans la mesure

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VIE DE PROCLUSPARMARINUS DE NEAPOLIS. PROCLUS OU DU BONHEUR1. Si j'avais considéré le grand esprit et tout ce qui fait la haute valeur du philosophe Proclus, notre contemporain, les documents que doivent avoir préparés et les qualités oratoires que doivent posséder ceux qui se proposent d'écrire la vie d'un tel homme, et si j'avais ensuite regardé ma propre insuffisance dans la pratique de l'éloquence, j'aurais, je crois, eu raison de me tenir tranquille, de ne pas, comme dit le proverbe, sauter le fossé et de ne pas me lancer dans cette œuvre périlleuse. Mais ce n'est pas sur ces exigences que je me suis mesuré : et j'ai réfléchi que, même dans les sacrifices, ceux qui se présentent aux autels ne font pas tous des offrandes d'un prix égal, mais que les uns par le sacrifice de taureaux, ou de chèvres ou d'autres victimes semblables s'efforcent de se montrer digne de participer aux dieux dont ils abordent les autels, et même leur composent avec art des hymnes tantôt en vers, tantôt en prose, tandis que les autres n'ayant rien de semblable à offrir, ne présentent en sacrifice qu'un gâteau, ou quelques grains d'encens et, n'adressant aux dieux qu'une courte invocation, n'en sont pas moins favorablement entendus : mû par ces réflexions et de plus craignant, selon le mot d'Ibycus, non pas de manquer aux Dieux car ce sont ses propres termes, — mais de manquer à ce grand sage, pour m'assurer, par mon attitude, les éloges du monde (j'ai craint en effet que ce ne soit pas un acte de piété de me taire, moi seul, parmi ses amis, et d'omettre de raconter sur lui la vérité, dans la mesure de mes forces, quand c'est a moi sans doute surtout qu'incombe le devoir de parler) ; et peut-être même auprès des hommes, je n'obtiendrais pas cet honneur (car ils ne croiraient probablement: pas que c'est pour éviter l'ostentation, mais par une certaine paresse d'esprit, ou même par quelque défaut d'âme plus grave encore que je me suis dérobé à celte entreprise); — par toutes ces raisons, j'ai estimé que c'était pour moi une obligation île rapporter par écrit quelques-unes des hautes et si nombreuses qualités dont le philosophe a fait preuve dans sa vie, et de les rapporter dans toute leur vérité.2. Je ne commencerai pas comme le l'ont la plupart des écrivains, qui divisent méthodiquement leur matière en chapitres se succédant en ordre régulier: je prendrai pour le fondement le plus convenable de ce discours, le bonheur dont a joui cet homme véritablement bienheureux. Car je crois qu'il a été le plus heureux de tous les hommes dont on ait célébré, dans une longue suite de siècles, la félicité, je ne dis pas seulement le plus heureux du bonheur qui est le partage des sages, quoi que celui-là aussi, il l'ait possédé pleinement, ni parce qu'il a eu tous les avantages physiques qui permettent de jouir de la vie, ni non plus sous le rapport de la fortune, où la plupart mettent leur bonheur, quoique sous ce rapport le hasard l'eût très favorisé, et plus qu'aucun autre (car tous les biens qu'on appelle extérieurs lui furent prodigués avec largesse), je veux parler d'un bonheur complet et parfait, auquel rien absolument ne manqua, et qui réunit les doux conditions de la félicité.3. D'abord si nous divisions par genres les vertus, en vertus physiques, morales et politiques, et au-dessus de celles-ci les vertus purificatives et théorétiques, et celle qu'on appelle du nom de théurgiques, sans parler de celles qui sont d'un ordre encore plus élevé et qui dépassent, la condition de l'humanité, nous commencerons par celles qui ont un caractère plutôt physique, et que nous possédons dès la naissance et qui naissent avec nous. Cet homme que nous appelons heureux, les a eues toutes naturellement dès son origine : ce qui se voyait manifestement dans cette enveloppe extérieure que nous portons comme l'huître sa coquille -: d'abord une extrême délicatesse des sens, qu'on peul appeler la prudence corporelle, surtout des plus nobles de nos sens,

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VIE DE PROCLUS

VIE DE PROCLUS

PAR

MARINUS DE NEAPOLIS.

PROCLUS OU DU BONHEUR

1. Si j'avais considr le grand esprit et tout ce qui fait la haute valeur du philosophe Proclus, notre contemporain, les documents que doivent avoir prpars et les qualits oratoires que doivent possder ceux qui se proposent d'crire la vie d'un tel homme, et si j'avais ensuite regard ma propre insuffisance dans la pratique de l'loquence, j'aurais, je crois, eu raison de me tenir tranquille, de ne pas, comme dit le proverbe, sauter le foss et de ne pas me lancer dans cette uvre prilleuse. Mais ce n'est pas sur ces exigences que je me suis mesur : et j'ai rflchi que, mme dans les sacrifices, ceux qui se prsentent aux autels ne font pas tous des offrandes d'un prix gal, mais que les uns par le sacrifice de taureaux, ou de chvres ou d'autres victimes semblables s'efforcent de se montrer digne de participer aux dieux dont ils abordent les autels, et mme leur composent avec art des hymnes tantt en vers, tantt en prose, tandis que les autres n'ayant rien de semblable offrir, ne prsentent en sacrifice qu'un gteau, ou quelques grains d'encens et, n'adressant aux dieux qu'une courte invocation, n'en sont pas moins favorablement entendus : m par ces rflexions et de plus craignant, selon le mot d'Ibycus, non pas de manquer aux Dieux car ce sont ses propres termes, mais de manquer ce grand sage, pour m'assurer, par mon attitude, les loges du monde (j'ai craint en effet que ce ne soit pas un acte de pit de me taire, moi seul, parmi ses amis, et d'omettre de raconter sur lui la vrit, dans la mesure de mes forces, quand c'est a moi sans doute surtout qu'incombe le devoir de parler) ; et peut-tre mme auprs des hommes, je n'obtiendrais pas cet honneur (car ils ne croiraient probablement: pas que c'est pour viter l'ostentation, mais par une certaine paresse d'esprit, ou mme par quelque dfaut d'me plus grave encore que je me suis drob celte entreprise); par toutes ces raisons, j'ai estim que c'tait pour moi une obligation le rapporter par crit quelques-unes des hautes et si nombreuses qualits dont le philosophe a fait preuve dans sa vie, et de les rapporter dans toute leur vrit.

2. Je ne commencerai pas comme le l'ont la plupart des crivains, qui divisent mthodiquement leur matire en chapitres se succdant en ordre rgulier: je prendrai pour le fondement le plus convenable de ce discours, le bonheur dont a joui cet homme vritablement bienheureux. Car je crois qu'il a t le plus heureux de tous les hommes dont on ait clbr, dans une longue suite de sicles, la flicit, je ne dis pas seulement le plus heureux du bonheur qui est le partage des sages, quoi que celui-l aussi, il l'ait possd pleinement, ni parce qu'il a eu tous les avantages physiques qui permettent de jouir de la vie, ni non plus sous le rapport de la fortune, o la plupart mettent leur bonheur, quoique sous ce rapport le hasard l'et trs favoris, et plus qu'aucun autre (car tous les biens qu'on appelle extrieurs lui furent prodigus avec largesse), je veux parler d'un bonheur complet et parfait, auquel rien absolument ne manqua, et qui runit les doux conditions de la flicit.

3. D'abord si nous divisions par genres les vertus, en vertus physiques, morales et politiques, et au-dessus de celles-ci les vertus purificatives et thortiques, et celle qu'on appelle du nom de thurgiques, sans parler de celles qui sont d'un ordre encore plus lev et qui dpassent, la condition de l'humanit, nous commencerons par celles qui ont un caractre plutt physique, et que nous possdons ds la naissance et qui naissent avec nous. Cet homme que nous appelons heureux, les a eues toutes naturellement ds son origine : ce qui se voyait manifestement dans cette enveloppe extrieure que nous portons comme l'hutre sa coquille -: d'abord une extrme dlicatesse des sens, qu'on peul appeler la prudence corporelle, surtout des plus nobles de nos sens, la vue et l'oue, qui ont t donnes par les dieux aux hommes pour qu'il puissent se livrer la philosophie, et goter les douceurs du bien tre : notre philosophe les a conservs intacts pendant toute sa vie; ensuite une constitution corporelle trs robuste, qui rsistait aux grandes chaleurs comme aux grands froids, et n'tait altre ni par un mauvais rgime de vie. ni par la ngligence de l'alimentation, ni par les excs de travail auxquels il se livrait la nuit comme le jour, tantt plong dans les prires, tantt compulsant les livres de science, tantt crivant, tantt s'entretenant familirement avec ses amis, et tout cela avec une application aussi soutenue, que s'il n'tait occup que d'une seule chose. Une telle puissance pourrait tre justement appele vaillance de corps. La troisime qualit corporelle qu'il possdait, est celle qu'on peut comparer la temprance, il laquelle on rapporte avec raison la beaut corporelle : car de mme que la premire consiste dans l'accord et la convenance entre elles des facults de l'me, de mme l'autre, la beaut du corps. se laisse voir dans une certaine symtrie de ses parties organiques. Il tait d'un aspect extrmement agrable; car non seulement il avait la beaut des justes proportions, mais il manait de son me je ne sais quelle lumire vivante, une sorte de fleur merveilleuse qui rayonnait sur son corps et qu'il est absolument impossible de dcrire par la parole. Il tait tellement beau qu'aucun peintre n'a pu saisir sa ressemblance, et que, tous les portraits qui circulent de lui, quoique eux mmes trs beaux, il manque encore beaucoup de traits pour reprsenter sa personne dans toute la vrit. La quatrime vertu corporelle dont il tait dou est la sant, qu'on compare habituellement la justice dans l'me ; car elle est dans le corps une sorte de justice, analogue celle qui est dans l'me ; la justice n'est pas autre chose, en effet, qu'une sorte d'habitude, , qui empche les bouleversements des parties de l'me, et ce qui opre l'ordre et le concert mutuel entre les lments sordonns du corps: c'est l ce que les Asclpiades nomment la sant : elle tait des son berceau si profondment enracine en lui. qu'il put dire lui-mme combien de fois il tait tomb malade, c'est dire seulement deux ou trois fois dans le cours d'une longue vie d'une dure de soixante quinze ans accomplis ; et une preuve clatante de ce fait et dont je peux moi-mme porter tmoignage c'est que dans sa dernire maladie, il ne distinguait pas quelle tait la nature de ses souffrances, parce qu'il ne les avait pas de longtemps prouves,

4. Et quoique ce soient l des avantages purement corporels, on pourrait dire qu'ils taient les prodromes des espces particulires dans lesquelles nous divisons la vertu. Les premiers biens de l'me qui taient comme ns avec lui et qu'il n'avait pas eu besoin d'apprendre, et ce sont pourtant l ces parties de la vertu qui, d'aprs Platon, sont les lments d'une nature philosophique; on est tonn de voir quel haut degr il les possdait. Car il tait dou d'une grande mmoire, d'une intelligence ouverte toutes les tudes; il tait libral, d'un abord plein de grce, amant et pour ainsi dire frre de la vrit, de la justice, du courage et de la temprance. Jamais volontairement il ne dit un mensonge : il en avait une extrme horreur, et ne chrissait rien tant que la sincrit et la vracit. Et en effet, il fallait bien que celui qui devait atteindre l'tre vrai, ft, ds sa jeunesse, passionn pour la vrit; car la vrit est le principe de tous les biens, chez les dieux comme chez les hommes . Qu'il avait un profond mpris pour les plaisirs des sens, et qu'il tait ami surtout de la temprance, il suffit d'en apporter une seule preuve, c'est son ardeur extrme et son penchant tout puissant pour les sciences et pour tous les genres de sciences, qui ne permettent pas mme de commencer a natre aux plaisirs de la vie grossire et animale, et souvent ont, au contraire, la force d'imprimer en nous les joies pures et sans mlange de l'me. On ne saurait dire combien il tait loign de l'amour du gain, ce point que ds son enfance, il ngligea le soin de la fortune que lui avaient laisse ses parents, qui taient fort riches, par suite de son amour passionn pour la philosophie. Aussi tait il absolument tranger la ladrerie et tous les sentiments de bas tage, son me tant toujours porte vers l'universel et le tout, soit dans Tordre divin, soit dans l'ordre humain. De cet tat d'esprit tait ne une hauteur d'me qui lui faisait voir le nant de la vie humaine, et l'empchait de considrer, comme les autres, la mort avec effroi. Il n'prouvait aucune crainte de toutes les choses qui paraissent aux hommes si terribles, et cela par une disposition naturelle, laquelle on ne peut donner le nom d'aucune autre vertu que la vertu du courage. De tout cela, il rsulte videmment, mme pour ceux qui n'ont pas connu par exprience la noblesse de cette nature, combien ds sa jeunesse il aima la justice : il fut juste et doux ; jamais chagrin dans les relations ni difficile dans le commerce do la vie, en un mot jamais injuste : puisqu'un contraire son caractre s'est montr nous plein de bonne grce, tranger l'avarice, la ladrerie, l'arrogance comme la timidit.

5. Il n'est pas hors de propos de rappeler ceux surtout qui ne l'ont pas vu et entendu, combien son esprit tait ouvert, et son intelligence fconde, combien de connaissances et des plus nobles il possdait fond, combien d'ides nouvelles il a produites et mises au grand jour, et que seul il semblait n'avoir jamais bu la boisson de l'oubli. Sa puissante mmoire n'prouvait jamais de trouble ; il n'tait pas sujet ses dfaillances, tait toujours en possession de lui-mme et de sa pense, et n'avait pas d'autre affaire que la science. Son naturel tait trs oppos la rudesse et l'humeur discourtoise: son got le portait naturellement vers le meilleur en toutes choses, et par sa politesse et son affabilit dans les runions mondaines comme dans les banquets religieux et dans tous les actes de sa vie, sans rien perdre de sa dignit, il captivait toujours les assistants, toujours en meilleure disposition d'me quand ils le quittaient.

6. Voil les qualits physiques et d'autres encore de mme nature qu'apporta, en naissant, celui que Marcella, sa mre, pouse lgitime de Patricius, donna son mari. Ils taient tous deux de Lycie, de noble origine et de grande vertu. Il fut reu sa naissance par la Desse Poliouchos de Byzance, qui assista pour ainsi dire sa mre dans ses couches : c'est elle qui, ce moment-l fut cause qu'il vcut, puisqu'il naquit dans la ville qu'elle protge et sauve, et qui, plus tard, lorsqu'il parvint l'enfance et la jeunesse, fut cause qu'il vcut bien : car elle lui apparut en songe pour l'exhorter la philosophie. C'est de l, je pense, qu'il contracta une si grande intimit avec la Desse, que c'est elle surtout qu'il sacrifiait et que ce sont ses prceptes qu'il pratiquait avec le plus grand enthousiasme. Quelque temps aprs sa naissance, ses parents remmnent dans leur propre patrie, Xanthus, ville consacre a Apollon, et qui devint la sienne lui mme, par un effet, pour ainsi dire divin, du sort. Car j'imagine qu'il fallait que l'homme qui devait tre le prince de toutes les sciences, fut lev et nourri sous les yeux du Dieu Musagte. L'ducation excellente qu'il reut l, lui permit, d'acqurir les vertus morales, de s'habituer aimer ce que le devoir commande de faire, et se dtourner de ce qui n'est pas tel.

7. A ce moment l, la grande faveur des Dieux dont il jouissait ds sa naissance, se manifesta clairement. Car un jour qu'il souffrait d'une maladie grave et qu'on le croyait perdu, un enfant apparut au dessus de son lit, qui semblait tre un jeune garon et d'une parfaite beaut, en qui il tait facile de reconnatre Tlesphoros, avant mme qu'il et dit son nom. Cependant aprs avoir dit qui il tait, et quel tait son nom, ayant touch la tte du jeune malade (car il se tenait auprs de lui et s'appuyait sur son oreiller) il le gurit subitement de sa maladie, et en mme temps disparut ses yeux. Ce miracle divin tmoigna ainsi dj del faveur des dieux peur le jeune homme.

8. Aprs avoir, trs peu de temps, frquent en Lycie une cole de grammaire, il se rendit Alexandrie d'gypte, imbu dj trs profondment de ces qualits morales qui charmrent les maures qu'il y frquenta. Lonas le sophiste, Isaurien d'origine, si je ne me trompe, le plus clbre parmi les nombreux savants qui pratiquaient le mme art, non seulement l'admit ses cours, mais voulut le faire l'hte de sa maison, le lit vivre de la vie commune avec sa femme et ses enfants, comme s'il tait son fils vritable. Il le fit connatre aux magistrats qui gouvernaient l'gypte, lesquels de la vivacit naturelle d'esprit du jeune homme et de la distinction comme de In dignit de ses murs, le reurent parmi leurs meilleurs amis. Il frquenta l'cole du grammairien Orion descendant d'une caste sacerdotale gyptienne et qui tait tellement vers dans la connaissance de son art, qu'il composa lui-mme des ouvrages trs utiles la postrit laquelle il les a laisss. Il assista aux leons des matres romains et fit rapidement de grands progrs dans les matires de leur enseignement : car au commencement, il se destinait a la profession paternelle, o son pre s'tait rendu clbre dans la ville royale, par ses connaissances en droit. A ce moment o il tait encore jeune, il se plaisait beaucoup la rhtorique : car il n'avait pas encore fait connaissance avec les tudes philosophiques: il s'y rendit mme clbre, et se faisait admirer de ses condisciples comme de ses professeurs mmes, par son beau talent de parole, par sa facilit s'assimiler cet. art, et par le fait qu il semblait, par son aptitude et son savoir faire, plutt un matre qu'un disciple.

9. Il tait encore dans le cours de ses ludes, lorsque Lonas se rendant Byzance, en fit son compagnon de route, voyage que Lonas lui-mme n'avait entrepris que pour tre agrable Thodore, gouverneur d'Alexandrie, personnage trs distingu, trs libral, et ami de la philosophie. Le jeune homme accompagna de grand cur son matre, pour ne pas interrompre ses tudes. Mais pour dire la vrit, ce fut un coup de la Bonne Fortune, qui le ramenait auprs de la Desse qui avait t comme l'auteur de sa naissance. Car son retour, la Desse lui conseilla de s'adonner la philosophie et de visiter les coles d'Athnes: mais il revint auparavant Alexandrie, et disant adieu la rhtorique et aux autres tudes auxquelles il s'tait livr jusque l. il ne suivit plus que les cours de philosophie qui s'y faisaient. Pour s'initier la philosophie d'Aristote, il entendit les leons d'Olympiodore le philosophe, dont la rputation tait trs rpandue ; pour les mathmatiques, il se confia Hron, personnage trs pieux, et qui possdait et pratiquait les meilleures mthodes d'enseignement de cette science. Ces matres furent si charms des vertus du jeune homme, qu'Olympiodlore qui avait une fille, leve elle-mme dans la philosophie, voulut la lui fiancer, et qu'Hron n'hsita pas l'initier toutes ses ides sur la religion et en faire son commensal assidu. Aprs avoir entendu Olympiodore, qui possdait un vrai talent de parole, mais qui, par suite d'une trop rapide locution et d'une trop grande subtilit, tait intelligible un trs petit nombre de ses auditeurs, Proclus, en sortant, immdiatement aprs la confrence, rpta de mmoire et mot mot ses camarades, la leon qui avait t fort longue, comme me l'a dit un de ceux qui y avaient assist, Ulpien de Gaza, qui lui aussi avait consacr toute sa vie la philosophie. Il comprit facilement les traits de logique d'Aristote et la simple lecture, quoi qu'ils soient difficiles ceux qui les abordent.

10. Aprs avoir tudi Alexandrie sous ces matres, et profit. dans la mesure de leur talent et de leur science, de leurs leons, il lui sembla, en lisant un certain auteur en commun, que. le professeur, dans son explication, n'avait pas vraiment entendu la pense du philosophe. Il prit alors en un certain mpris ces coles, et en mme temps se rappelant la vision divine qu'il avait eue Byzance, et l'ordre qui lui avait t donn, il s'embarqua pour Athnes, sous l'escorte pour ainsi dire de tous les Dieux et des bons dmons qui veillent la conservation desOracles et de la philosophie. Car c'tait afin que l'cole de Platon ft conserve dans sa vrit et sa puret que les Dieux, protecteurs de la philosophie, l'envoyaient l, comme le prouvent manifestement les dbuts de son arrive, et les symboles vraiment divins qui lui prsagrent clairement la fonction qu'il devait tenir de son pre, et l'lection qui devait un jour l'appeler lui succder dans la direction et l'administration de l'cole. Car aussitt qu'il eut abord au Pire, et que son arrive fut connue dans la ville, Nicolaos, qui l'ut plus tard si clbre dans la sophistique et ce moment faisait ses tudes auprs des matres d Athnes, descendit au port pour le recevoir et lui offrir l'hospitalit, car il le connaissait et tait son compatriote: Nicolaos en effet tait de Lycie. Il le mena donc la ville. Chemin faisant et arriv au monument de Socrate, Proclus se sentit fatigu et las de marcher, et quoi qu'il ne sut pas et qu'il n'eut jamais entendu dire, qu'il y avait, l un culte rendu Socrate, il pria Nicolaos de s'arrter la mme un instant et de s'asseoir pour se reposer, et en mme temps de lui procurer un peu d'eau, s'il pouvait en trouver n'importe o ; car, dit-il, je meurs de soif. Celui-ci trs empress, lui en fit apporter, non pas d'un endroit quelconque, mais du lieu consacr mme : car la source de la stle de Socrate n'tait pas loin. Aprs qu'il eu bu, Nicolaos, pour la premire fois ce moment vit l un symbole, et lui dit qu'il venait de se reposer dans le lieu consacr Socrate, et que c'tait de ce terrain que venait l'eau qu'il venait de boire, la premire eau de l'Attique qu'il but. Celui-ci se levant et ayant fait une prire, continua son chemin vers la ville.

Comme il arrivait la citadelle, il rencontra, l'entre, le portier, qui se prparait dj mettre les cls dans les portes de sorte qu'il lui dit : (Je rpte les termes mmes de ce brave homme) : Vraiment, si tu n'tais pas arriv, je fermais. Quel symbole plus clair peut-on demander, et qui n'a pas besoin, pour tre interprt, ni de Polls, ni de Mlampous, ni de semblables devins.

11. Tenant alors en mpris les thories et la pratique oratoires, quoiqu'il ft vivement sollicit par les professeurs d'loquence, comme s'il fut venu dans ce but mme, le premier des philosophes que le hasard lui lit entendre, fut Syrianus. fils de Philoxne, la leon de qui assistait Lachars, profondment vers dans les doctrines de la philosophie, et qui tait alors un auditeur assidu du philosophe, bien que son art dans la sophistique excitai autant d'admiration, qu'Homre dans la posie. Ce dernier, comme je le disais, assistait donc ce cours : c'tait l'heure du crpuscule, sur le tard. Pendant qu'ils s'entretenaient ensemble, le soleil se couchait, et la lune, pour la premire fois, sortant de la conjonction, apparaissait. Ils cherchrent donc congdier le jeune homme, qui tait pour eux un tranger, aprs l'avoir salu, afin de pouvoir seuls et loisir adorer la Desse. Mais celui-ci, aprs avoir fait quelques pas, et ayant vu, lui aussi, la lune apparatre, au sortir mme de la maison, dfit, la place mme o il tait, ses chaussures, et, leur vue, adora la desse. Alors Lachars frapp de l'acte libre et hardi du jeune homme, dit au philosophe Syrianus ce mot admirable qu'a prononc Platon concernant les grands gnies : Voil, dit-il, un homme qui sera un grand bien ou tout le contraire. Tels sont les prsages, pour n'en citer qu'un petit nombre parmi beaucoup d'autres, que les Dieux envoyrent notre philosophe, peine arriv Athnes.

12. Syrianus l'ayant pris avec lui, le prsenta au grand Piutarque, fils de Nestorius. Celui-ci ayant vu le jeune homme, qui n'avait pas encore sa vingtime anne accomplie, et ayant appris sa rsolution et son vif dsir de consacrer sa vie la philosophie, fui charm de lui, au point de l'admettre avec le plus grand empressement ses leons de philosophie, quoi qu'il ft souvent empoch par l'ge : car il tait dj trs vieux. Il lut donc avec lui, d'Aristote, le trait de l'me, de Platon le Phdon. Le grand matre lui conseilla de mettre par crit le texte de leurs entretiens, et pour mettre en branle son zle, chercha exciter en lui l'ambition, en lui disant, que s'il terminait et compltait ces scholies, on dirait un jour : C'est Proclus qui est l'auteur de ces commentaires sur le Phdon D'ailleurs, mesure qu'il connaissait mieux, aprs l'avoir prouve, son aptitude pour les belles choses, il avait plus de got pour lui, l'appelait continuellement son enfant et le recevait dans sa maison. Comme il le voyait s'abstenir trs rigoureusement de viandes, dans sa nourriture, il lui conseilla de ne pas pousser l'excs cette abstinence, afin de garder un corps assez vigoureux pour suffire aux travaux et aux fatigues de l'esprit. Il invita mme le philosophe Syrianus de lui donner les mmes conseils au sujet de son rgime ; mais celui-ci rpondit, au vieillard, - comme nous l'a rapport cette tte si chre, -- laisse-le apprendre ce que je veux, en suivant ce rgime austre, et aprs, s'il le veut, qu'il meure! Voil de quelle sollicitude, il tait l'objet de la part de ses matres. Le vieillard ne survcut que deux ans, aprs l'arrive de Proclus, et en mourant, il le recommanda Syrianus, son successeur avec les mmes instances que son propre petit-fils, Archiadas. Celui-ci le prit avec lui, et non seulement le fit encore davantage profiter de ses leons, mais l'admit dornavant dans sa maison, le fit participer la vie d'un philosophe, parce qu'il avait enfin trouv le disciple et le successeur qu'il cherchait depuis longtemps, c'est dire, qui ft capable de comprendre les sciences dans leur multiplicit et leur diversit, et en mme temps de concevoir les vrits divines.

13. Pendant cet espace de moins de deux annes, il lut avec son matre tous les traits d'Aristote sur la Logique, l'thique, la Politique, la Physique, et sur la science qui s'lve au-dessus de toutes celles-l, la Thologie. Solidement muni par cette tude, qui est pour ainsi dire une sorte d'initiation prparatoire et de petits mystres, il l'amne la mystagogie de Platon a, en procdant par ordre, et non en sautant par-dessus le seuil , comme dit l'Oracle; il lui fait voir d'une vue directe et immdiate, les mystres rellement divins contenus dans ce philosophe, lorsque les yeux de l'me ne sont plus voils comme d'un brouillard, et que la raison, pure de sensation, peut jeter au loin des regards fermes.

Pour lui, par un travail intense et toujours en veil, la nuit comme le jour, il mit par crit, en y ajoutant ses remarques critiques, les doctrines qu'il entendait professer, et dont il constitua un ensemble synoptique, et fit de tels progrs qu' l'ge de 28 ans, il eut compos beaucoup de mmoires, et entre autres un commentaire sur le Time, uvre crite avec un art trs lgant, et, remplie de science. Par ces fortes et hautes tudes, la beaut morale de sa nature ne lil que s'accrotre, en ajoutant la science, la vertu.

14. Il acquit en outre les vertus politiques, qu'il puisa dans les crits politiques d'Aristote, dans les Lois et la Rpublique de Platon. Mais pour ne pas laisser croire que ces connaissances n'taient pour lui que verbales, et qu'il n'en faisait aucune application relle, comme il ne lui tait pas possible de se mler de politique, parce que ses penses le portaient plus haut, il engagea Archiadas s'y consacrer, lui donnant des leons, lui expliquant les vertus et les mthodes politiques, et, faisant la fonction de ceux qui excitent les coureurs, l'exhorta diriger les affaires communes de toute sa ville, et en mme temps rendre des services aux particuliers, dans toutes les espces de vertus, mais particulirement dans la justice. Et en fait il engendra chez lui une noble mulation, lui enseigna la libralit l'endroit de l'argent, et la munificence, en faisant lui-mme des dons tantt ses amis, tantt ses parents, tantt aux trangers clases concitoyens, enfin en se montrant en toutes circonstances suprieur la vanit de la richesse. Et en ralit il fit de grandes largesses publiques, et sa mort, il lgua aux deux cits, son pays natal et Athnes, sa fortune, pour en jouir aprs Archiadas. Quant a Archiadas il se montra, par sa propre nature, et par suite de l'affection qu'il portait Proclus, un ami si sincre de la vrit, que les hommes de notre temps mme, quand ils parlaient de lui, l'appelaient de ce nom vnr : le trs pieux Archiadas.

15. Cependant quelquefois lui-mme se mla de donner des conseils politiques; il assistait parfois aux runions publiques o l'on dlibrait sur les intrts de la ville, proposait des rsolutions d'une grande sagesse pratique, confrait avec les magistrats sur les cas qui intressaient la justice, non seulement leur donnait des conseils, mais les contraignait en quelque sorte, avec la hardiesse d'un philosophe, faire chacun son droit. Il veillait l'honorabilit de ceux qui donnaient un enseignement public, les obligeait pratiquer, dans leur conduite publique, la temprance, la leur enseignant non seulement par des discours, mais encore par les actes et les occupations de toute sa vie, en un mot, se faisant pour ainsi dire, pour les autres, un type exemplaire de temprance. Il dploya mme cette espce de courage politique qu'on peut nommer d'Hercule. Car ayant traverser un tat de choses, o il eut subir tant et de si terribles temptes, quand tous les vents de Typhon dchans secouaient sa vie si rgle, sans se laisser abattre ni effrayer, au milieu des plus grands prils il sut sauver sa vie. Un jour cependant, en butte aux soupons et aux vexations d'une sorte de vautours acharns a leur proie, qui l'entouraient, quand il se vit dans celle situation il partit d'Athnes, obissant la puissance qui mne les rvolutions du monde, et fit un voyage en Asie, o son sjour lui fut extrmement profitable. Car c'tait afin que les antiques institutions religieuses, qui s'taient conserves l, ne fussent pas ignores de lui, que la divinit lui fournit l'occasion de ce dpart. En effet, de son ct il put prendre une claire connaissance, chez les Lydiens, de ces doctrines, et eux, qui avaient, par suite du long cours des temps, omis ou nglig certaines oprations liturgiques, reurent de lui une doctrine plus complte, parce que le philosophe concevait plus parfaitement ce qui a rapport aux Dieux. Par cette conduite, et en gouvernant ainsi sa vie, il sut se faire ignorer, mieux encore que les Pythagoriciens n'observent le prcepte inviol de leur matre : Cache, ta, vie. Aprs un sjour d'un au seulement en Lydie, il revint Athnes, conduit par la providence de la desse amie de la sagesse. Voil comment la vertu du courage s'tablit fermement en lui, tout d'abord par la nature, puis par l'habitude, ensuite par la science et par cette prudence pratique qui raisonne de la cause l'effet. Il montra encore, sous un autre point de vue, qu'il savait mettre en pratique son art politique, en crivant aux magistrats des villes, et par ses recommandations rendant des services des cits entires. Peuvent tmoigner de la vrit de ce que j'avance, les peuples qui ont prouv ses bienfaits, d'abord les Athniens, puis les habitants d'Andros, et beaucoup d'autres de nations diverses.

16. Par suite de ces sentiments il favorisa le dveloppement de l'activit littraire, venant en aide ceux qui se livraient a ces travaux, rclamant des magistrats qu'ils leur distribuassent des pensions alimentaires et d'autres avantages proportionns leur mrite; mais il n'agissait pas en cela sans connaissance de cause, ni par faveur, mais il obligeait ceux auxquels il s'intressait si srieusement, de remplir avec zle leurs occupations propres, les interrogeant et examinant leurs travaux dans tous leurs dtails : car il tait en toutes choses un juge excellent. S'il en trouvait quelqu'un qui ne se conformait qu'avec ngligence ses conseils, il le rprimandait svrement, en sorte qu'il a pu paratre fort irascible et en mme temps 1res susceptible l'endroit des respects qui lui taient dus, parce qu'il voulait et qu'il pouvait porter sur toutes choses un jugement vrai et sur. Il aimait en effet les honneurs, mais cet amour del rputation ne dgnrait pas chez lui, comme chez d'autres, en passion. Il n'tait ambitieux de gloire que pour la vertu et pour le bien, fit peut-tre ne se ferait-il rien de grand en ce monde, sans l'nergie qu'inspir ce sentiment. Il tait irascible, je ne le cacherai pas, mais en mme temps, doux : il s'apaisait facilement, et, le temps de retourner une coquille, il montrait que sa colre avait fondu comme de la cire. Car au mme moment, pour ainsi dire, qu'il rprimandait, son naturel sympathique et tendre le portait obliger ceux-l mme et appeler sur eux la bienveillance du gouvernement.

17. C'est bien propos qu'il me soit venu l'esprit de mentionner ce trait particulier de sa nature, la sympathie, sentiment plus puissant chez lui, que chez aucun autre homme qu'on ait connu. Car n'ayant jamais got la joie du mariage ni de la famille, parce qu'il ne l'avait pas voulu, car beaucoup de propositions lui avaient t faites, trs avantageuses sous le rapport de la naissance comme de la fortune, mais, comme je l'ai dit, demeur libre de ces liens, il avait une telle sollicitude pour ses lves, pour tous ses amis, mme pour leurs femmes et leurs enfants qu'il tait pour eux comme un pre commun et l'auteur de leur propre existence: car il veillait, tous les points de vue, leur vie. Si quelqu'un parmi ses connaissances tombait malade, d'abord il implorait les Dieux avec une ardente pit pour lui, par des sacrifices et des hymnes, puis visitait le patient avec un dvouement empress, convoquait les mdecins et les pressait d'appliquer sans retard les ressources de leur art, et lui-mme leur suggrait certain remde plus efficace, et par l il sauva beaucoup de malades des crises les plus prilleuses, pour son humanit envers ses serviteurs les plus familiers, on apprendra la connatre, si on le veut, par le testament de ce parfait honnte homme. De tous les gens qu'il connaissait, celui qu'il aimait le mieux tait Arcilladas et aprs lui ceux qui appartenaient cette famille, surtout parce qu'il descendait de la famille du philosophe Plutarque, ensuite parce qu'il avait contract avec Archiadas une amiti pythagoricienne, enfin parce qu'il avait t son condisciple et aussi son matre : car de ces deux formes de l'amiti qu'on trouve si rarement rapportes chez les anciens, celle qui les liait semble avoir t la plus profonde. Il n'y avait rien que voulait Archiadas que ne voult pas galement Proclus, et rciproquement rien que voulait Proclus que ne voult aussi Archiadas.

18. Aprs avoir termin d'exposer avec les dveloppements convenables, les espces principales des vertus politiques de notre philosophe, que scelle l'amiti, et qui sont de beaucoup infrieures aux espces des vertus vritables, arrivons ses vertus purificatives, qui sont diffrentes des vertus politiques. Car quoique celles ci aient galement pour fonction de purifier l'me, de la prparer a pourvoir aux affaires humaines sans en tre l'esclave, afin d'acqurir l'assimilation Dieu, ce qui est la fin la plus parfaite de l'me, elles n'oprent pas toutes cette sparation de la mme manire, mais chacune, plus ou moins. S'il y a certaines purifications politiques qui donnent l'ordre et la beaut ceux qui les possdent et les rendent meilleurs, mme pendant leur sjour ici-bas, parce qu'elles mettent des bornes et une mesure aux affections irascibles et aux dsirs sensuels, et en gnral suppriment les passions et les fausses opinions, les vertus purificatives leur sont suprieures, parce qu'elles produisent une sparation complte, nous affranchissent des poids, vritablement de plomb, de la gnration, et oprent notre fuite sans obstacle des choses d'ici-bas. Ce sont l ces vertus que notre philosophe a pratiques par toute une vie consacre la philosophie, enseignant par ses leons loquentes, ce qu'elles sont, comment l'homme les acquiert, et surtout leur conformant sa vie et pratiquant les actes par lesquels l'me arrive a se sparer, continuellement, pendant la nuit comme dans le jour, usant des pratiques purificatives qui nous dtournent du mal, des lustrations et de tous les autres procds de purification, soit Orphiques, soit Chaldens, se plongeant sans hsitation chaque mois dans la mer, souvent mme deux ou trois fois dans le mme mois. Non seulement il pratiquait cette rude discipline quand il tait dans la force de l'ge, mais mme quand il approchait dj du couchant de la vie, il observa, sans y manquer jamais, ces habitudes austres dont il s'tait fait pour ainsi dire une loi.

19. Quant aux plaisirs ncessaires de la nourriture et de la boisson, ils n'taient pour lui qu'un dlassement de ses fatigues, pour ne pas en tre troubl et sollicit : car il en usait trs sobrement. Il pratiquait surtout l'abstinence de la nourriture animale : si parfois une occasion imprieuse l'obligeait en user, il ne faisait qu'y goter, et cela par dfrence et respect. Chaque mois il se sanctifiait selon les rites consacrs la Mre des Dieux par les Romains et avant eux par les Phrygiens, observait les jours nfastes usits chez les gyptiens plus scrupuleusement qu'eux-mmes, et spcialement il jenait certains jours, trs ouvertement. Car pendant tout le premier jour du mois il restait sans nourriture, sans mme avoir soupe la veille, de mme qu'il clbrait la nouvelle lune, dans une grande solennit et avec une grande saintet; il observait rgulirement les grandes ftes de tous les peuples pour ainsi dire, et les crmonies religieuses particulires chaque pays, et il n'en faisait pas, comme tant d'autres, le prtexte d'une distraction ou d'une dbauche de nourriture, mais au contraire c'tait une occasion de runions qui duraient toute la nuit, sans sommeil, de chants, d'hymnes et autres dvotions semblables. Nous en voyons la preuve dans la composition de ses hymnes, qui contiennent les hommages elles louanges non seulement des dieux adors chez les Grecs, mais o l'on voit clbrs Marnas de Gaxa, Asklpios Lontouchos, d'Ascalon, Thyandrids, autre dieu fort en honneur chez les Arabes, Isis qui avait un temple Philie et en un mot tous les autres dieux. C'tait une sentence chez lui familire et que cet homme si religieux avait sans cesse la bouche, qu'il faut que le philosophe veille au salut non pas seulement d'une cit, ni des coutumes nationales de quelques peuples, mais qu'il devait tre l'hirophante commun du monde entier. Voil, en ce qui concerne l'austrit de la manire de vivre, les exercices purificateurs et saints qu'il pratiquait.

20. Il vitait ainsi les douleurs physiques, et si parfois il en tait atteint, il les supportait avec douceur, el en diminuait la vivacit, parce que la partie la plus parfaite de lui-mme, ne s'attendrissait pas sur lui-mme. La force d'me, en face de la souffrance, il la montra clairement dans sa dernire maladie : abattu par elle, en proie des douleurs atroces, il essayait encore de conjurer le mal : il nous ordonnait tour tour de lire des hymnes ; pendant ces lectures, les souffrances semblaient apaises et remplaces par une sorte d'impassibilit (d'ataraxie) et ce qui est encore plus tonnant, il se rappelait tout ce qu'il avait entendu lire, quoique la faiblesse qui s'tait empare de lui, lui eut fait perdre, pour ainsi dire compltement, la mmoire des personnes. Quand nous disions le commencement d'un hymne, il en rcitait la suite et la fin, surtout quand c'tait des vers Orphiques : car lorsque nous tions auprs de lui, nous lui en rcitions. Et ce n'est pas seulement contre les souffrances physiques qu'il se montrait insensible, mais plutt encore quand c'taient des vnements extrieurs qui le frappaient l'improviste, et qui paraissaient contraires au cours ordinaire des choses: quand de tels accidents survenaient : Eh bien, disait-il, ce sont-l les accidents coutumiers de la vie . Cette maxime m'a paru digne d'tre rapporte, parce qu'elle tmoigne hautement de la force d'me de notre philosophe. Il contenait, autant que cela est possible, la colore, et, ou bien il ne la laissait pas clater du tout, ou bien ce n'tait pas la partie de l'me doue de raison, qui en tait trouble : ces mouvements involontaires touchaient l'autre partie, et encore faiblement et passagrement. Quand aux plaisirs physiques de Vnus, il ne se les permettait, je pense, que dans la mesure o l'imagination seule y participe et encore trs superficiellement.

21. Et ainsi l'me de cet homme bienheureux se ramassant et se concentrant en elle-mme se sparait pour ainsi dire de

son corps, dans le temps mme o elle paraissait contenue en lui. Cette me possdait la sagesse, non plus seulement la sagesse politique qui consiste se bien conduire dans le domaine des choses contingentes et qui peuvent tre autrement qu'elles ne sont, mais la pense en soi, la pense pure, qui consiste se replier sur soi mme et ne pas s'unir au corps pour acqurir des connaissances conjecturales ; elle possdait la temprance qui consiste ne pas s'associer l'lment infrieur de notre tre, pas mme se borner mettre une mesure ses passions, mais veut tre absolument exemple de toute passion : elle possdait le courage, qui consiste pour elle ne pas craindre de se sparer du corps. La raison et la pense pure tant chez lui matresses, les facults basses ne rsistant plus ia justice purificative, toute sa vie en recevait une parfaite beaut.

22. Pourvu de ce genre de vertus, faisant sans effort et d'un pas tranquille, des progrs constants en suivant l'ordre des degrs de l'initiation mystique, il s'leva des vertus plus grandes et plus hautes : men comme par la main, d'abord par son heureuse nature, puis par une ducation fonde sur une science profonde : car dj purifi et lev au-dessus des choses de la gnration, mprisant les Narthcophores qui s'y trouvent, il s'enivrait d'amour pour les choses premires, tait arriv voir directement lui mme les visions vraiment batifiques de l'au-del, et tablissant sa science certaine, non sur des syllogismes discursifs et apodictiques, mais sur ce qu'il contemplait de ses yeux, sur les intuitions de l'activit intellectuelle, les paradigmes contenus dans la raison divine, il acqurait celte vertu dont le nom propre et vritable n'est pas la science, mais qu'on doit plutt nommer la sagesse, , ou d'un autre nom, s'il en est un plus auguste. Conformant tous ses actes celte vertu, le philosophe n'eut pas de peine comprendre toute la thologie hellnique et trangre, mme celles que des fictions mythiques avaient obscurcies et il les mit au jour pour ceux qui veulent cl peuvent en atteindre la hauteur, donnant toutes des interprtations profondment religieuses, et les ramenant une parfaite concordance. Il tudia fond les crits des plus anciens auteurs, et tout ce qu'il y trouva de penses utiles et fcondes, il le recueillit, aprs l'avoir soumis la critique; mais ce qu'il trouvait, sans force et sans valeur, il le mit de ct, comme purilits ridicules; tout ce qui tait contraire aux vrais principes, il le discutait trs nergiquement el le soumettait une critique approfondie, traitant chacune de ces thories avec autant de clart que de vigueur dans ses confrences, et consignant toutes ses observations dans des livres. Car il se livrait sans mesure son amour pour le travail, faisant chaque jour cinq leons, parfois davantage, et crivant beaucoup, peu prs 700 lignes. Ce qui ne l'empchait pas d'aller lui-mme faire visite aux autres philosophes, de faire le soir des confrences purement orales, et tout cela en pratiquant pendant la nuit, en se privant de sommeil, ses dvotions, et adorant le soleil et son lever, et l'heure du midi, el son coucher.

23. Il est l'auteur de beaucoup de thories qui n'taient pas connues auparavant, soit physiques, soit intellectuelles, soit d'un ordre encore plus divin. Car c'est lui qui le premier affirma qu'il y a un genre d'mes capables de voir la fois plusieurs ides, facult qu'il posait par l mme, avec raison, comme intermdiaire entre la raison qui d'avance embrasse par la pense toutes choses ensemble el d'une seule intuition, et les mes, dont les penses discursives passent et ne conoivent qu'une seule notion la fois. Il serait facile, si on le voulait, de rencontrer d'autres doctrines imagines par lui : on n'a qu' entreprendre la lecture de ses ouvrages, (ce que pour le moment je me suis abstenu de faire, dans la crainte en exposant ces dtails, de trop allonger cet crit). Celui qui se livrera ce travail, reconnatra que tout ce que nous avons plus haut l'apport de lui est vrai; et on le saurait mieux encore, si on l'avait vu, si on s'tait trouv en sa prsence, si on l'avait entendu faire ses leons, et prononcer de si nobles discours, lorsque tous les ans il clbrait les anniversaires de la naissance de Socrate et de Platon. Il tait visible qu'une inspiration divine le portait quand il parlait, et que de cette bouche si sage tombaient flots les paroles semblables des flocons presss de neige. Il semblait alors que ses yeux taient remplis d'une clatante lumire, et que sur tout son visage se rpandaient les rayons d'une illumination divine. Un jour un personnage politique de haute distinction, trs vridique et d'une grande honorabilit, (il se nommait Rufin) venant assister une de ses leons, vit une lumire qui entourait sa tte. Le cours fini, Rufin se leva et le salua respectueusement, proclamant avec serment l'apparition divine dont il avait t tmoin. Ce Rufin, aprs les circonstances fcheuses auxquelles il avait t expos et aprs son retour d'Asie, lui offrit une grosse somme d'argent que celui-ci ddaigna et refusa absolument d'accepter.

24. Mais revenons au sujet que nous avions commenc. Aprs avoir, quoique insuffisamment, relat ce qui concerne sa sagesse thortique. il nous reste a parler de cette forme de la justice qui est au mme rang de dignit que ce genre de vertus. Elle ne consiste pas. comme celles dont nous avons parl plus haut, en une pluralit de parties, ni dans l'accord de ces parties les unes avec les autres, mais dans un acte absolument propre, qui n'appartient qu' l'me pensante et qui, par suite, doit tre dfini par lui-mme et part. Ce qu'il y a de propre cette vertu, c'est que son acte se conforme absolument la raison et Dieu : et c'tait le caractre minent de l'activit intellectuelle de notre philosophe. Car peine repos des fatigues de ses travaux de la journe, livrant alors son corps au sommeil, mme pendant ces moments, sa pense ne cessait d'tre en activit. Aussi, aprs avoir de bonne heure secou le sommeil, comme une sorte de paresse de l'me, lorsque l'heure de ses prires n'tait pas encore arrive parce que la nuit tait loin d'tre coule, seul, dans son lit, il composait des hymnes, examinait certaines thories, cherchait des ides, qu'il mettait par crit quand, le jour venu, il se levait.

25. Quant la temprance qui accompagne cet ordre de vertus, il la possda ; car elle tait la consquence des premires. C'est la conversion interne de l'me vers la raison, et la disposition morale qui ne se laisse pas toucher ni branler par un penchant pour tout le reste. Le courage qui l'accompagne, il le montra dans toute sa perfection, cherchant imiter l'tat d'impassibilit de ce principe sur lequel taient tendus ses regards, qu'il voulait imiter et qui est par essence rellement impassible. En un mot il vivait, comme dit Plotin, non lias de la vie de l'homme de bien que la vertu politique rend digne et capable de vivre; mais mprisant cette vie mme, il prit en change une autre, la vie des Dieux : car c'est eux et non aux hommes de bien qu'il voulait ressembler.

26. Il possdait dj et pratiquait ces vertus quand il tudiait encore avec le philosophe Syrianus et en lisant les traits des anciens philosophes; il avait recueilli de la bouche de son matre les premiers lments et pour ainsi dire les germes de la thologie orphique et de la thologie chaldaque. Mais celui-ci n'eut pas le temps de lui expliquer les pomes (orphiques) - (Il avait bien form le projet d'expliquer lui et Domninus de Syrie, philosophe qui fut aussi diadoque, l'un ou l'autre de ces ouvrages, soit ceux d'Orphe, soit les Oracles, et leur avait laiss choisir l'un des deux ; mais ils ne s'accordrent pas : ils ne choisirent pas tous deux le mme, celui-ci prfrant le livre d'Orphe, notre matre, les Oracles. Ce qui l'empcha de raliser son projet, et aussi parce que le grand Syrianus ne vcut pas longtemps aprs). Il n'avait donc encore reu de son matre que les premiers principes; mais aprs sa mort, il tudia avec une grande ardeur les mmoires qu'il avait laisss sur Orphe, en mme temps que les trs nombreux travaux de Porphyre et de Jamblique sur les Oracles et les crits des Chaldens qui appartiennent au mme ordre d'ides, et ainsi nourri des divins Oracles, il s'leva aux plus hautes des vertus que le divin Jamblique a si magnifiquement appeles les Vertus Thurgiques. Il runit aussi les interprtations des philosophes qui l'avaient prcd, dans un recueil qui lui cota beaucoup de travail, et qu'il soumit une cri-tique srieuse et il y fit entrer les hypothses Chaldaques et les plus considrables des commentaires crits sur Ies Oracles communiqus par les Dieux.

C'est l'occasion de cet ouvrage, qu'il ne put terminer qu'au bout de cinq annes entires qu'il eut, dans un songe, une vision divine. Il lui sembla que le grand Plutarque lui prdisait qu'il vivrait un nombre d'annes gal au nombre des ttrades qu'il avait composes sur les Oracles. Les ayant comptes, il trouva qu'il y en avait soixante dix, et ce qui prouve que le songe tait divin, c'est l'vnement, c'est a dire la fin de sa vie. Car il vcut, comme nous l'avons dit plus haut, cinq ans au del de soixante dix: mais dans les cinq dernires il tait trs affaibli. L'austrit trop svre, excessive mme de son rgime, ses ablutions frquentes, et d'autres habitudes asctiques de celte nature, avaient puis cette constitution physique que la nature avait faite si robuste : il commena dcliner aprs sa 70e anne de sorte qu'il ne pouvait plus suffire toutes ses occupations. Dans cet tat, il se bornait a prier, composer des hymnes, crire quelques lignes, converser avec ses amis, tout cela l'affaiblissait encore. Aussi se rappelant le songe qu'il avait eu, il en tait merveill et disait frquemment qu'il n'avait vcu que 70 ans Malgr ce grand tat de faiblesse, Hgias lui rendit le courage de reprendre ses leons : ce jeune homme montrait dj ds son enfance, des indices manifestes des vertus de ses aeux, qui prouvaient qu'il tait de la famille de la vraie Chane d'Or, qui commenait Solon : il tudia avec ardeur avec lui les crits de Platon, et les autres thologies. Le vieillard lui confia ses manuscrits et prouva une grande joie de voir quels pas de gant il faisait dans l'avancement de toutes les sciences. Quant ses travaux sur les crits des Chaldens, il me suffit de les avoir indiqus d'un mot.

27. Un jour lisant avec lui les pomes d'Orphe, et l'entendant citer dans ses commentaires, non seulement les interprtations de Jamblique et de Syrianus. mais de beaucoup d'autres encore, qui pntraient au fond de la thologie, je priai le philosophe de ne pas laisser, sans l'avoir interprte, cette divine posie, et de lui consacrer des commentaires complets. Il me rpondit qu'il avait eu souvent le projet d'en crire, mais qu'il en avait t empch par certains songes : car il disait qu'il avait vu apparatre son matre qui l'en avait dtourn avec des menaces. Ne concevant pas d'autre expdient, je le conjurai du moins de paraphraser les remarques qu'il approuverait dans les livres de son matre. Par bont, il se laissa persuader, et crivit en tte de ces commentaires un certain nombre de notes. C'est ainsi que nous possdons un recueil de tous les crits qui ont rapport ce mme auteur, des scholies et des commentaires fort tendus sur Orphe, bien qu'il n'ait pas consenti faire ce travail sur toute la thomythie et sur toutes les Rhapsodies.

28. Mais puisque, comme je l'ai dit, par ses tudes sur ce sujet, il avait acquis une vertu encore plus grande et plus parfaite, la vertu thurgique, et ne s'tait pas arrt au degr de la vertu thortique. il ne conforma pas sa vie exclusivement l'un des deux caractres propres aux tres divins; il ne se renferma pas exclusivement dans la mditation, tendant sa pense toujours vers le divin ; mais il appliqua aux choses infrieures sa facult de prvoyance et sa sollicitude, selon un mode politique plus divin et qui ne ressemble pas la vertu politique dont nous avons parl plus haut ; car il pratiquait les runions et les conversations des Chaldens, et employait mme l'art de faire mouvoir, sans prononcer des paroles, les toupies divines. Car il croyait ces pratiques, aux oraisons jaculatoires et d'autres dont il avait appris l'usage d'Asklpignie, fille de Plutarque ; car les rites mystiques () conservs par Nestorius et toute la procdure thurgique lui avaient t confis et enseigns elle seule par son pre. Avant cela, et selon l'ordre prescrit, purifi par les lustrations chaldaques, le philosophe avait assist en qualit d'popte, aux apparitions d'Hcate, sous forme lumineuse, comme il l'a mentionn lui mme dans un crit spcial. Il avait la puissance de provoquer les pluies, en mettant en mouvement, en temps utile, une yunx dtermine, et put dlivrer l'Attique d'une scheresse terrible. Il connaissait le moyen de prvoir les tremblements de terre, avait expriment la puissance divinatoire du trpied, et prononc lui mme, sur son propre sort, des vers prophtiques. A l'ge de 40 ans, il lui sembla qu'en songe il avait prononc ces vers: Ici plane une splendeur immortelle, hypercleste, qui a jailli de la source sanctifie et d'o rayonne une lumire de feu .

Au commencement de sa 42e anne, il lui sembla encore qu'il criait grande voix ces vers : Un esprit est entr en moi, qui me souffle la force du feu, qui, dployant et ravissant ma raison dans un tourbillon de flamme, s'envole vers l'ther, et fait retentir de ses frmissements immortels les votes toiles.

Outre ce que nous venons de dire, il avait vu clairement en songe qu il appartenait la chane Hermaque et sur la foi d'un songe, il tait convaincu qu'il avait l'me du pythagoricien Nicomaque.

29. On pourrait, si on le voulait, s'tendre beaucoup sur ce point et raconter les uvres thurgiques de ce Bienheureux. J'en veux citer seulement une entre mille, qui est vraiment miraculeuse. Un jour Asklpignie, fille d'Archiadas et de Plutarcha, pouse de Thagne, mon bienfaiteur, tant encore petite fille et leve chez ses parents, tomba gravement malade, et d'une maladie que les mdecins dclarrent incurable. Archiadas, car c'tait sur elle seule que se fondait l'espoir de sa maison, tait dans la dsolation, et poussait, comme il est naturel, des gmissements douloureux. La voyant abandonne des mdecins, le pre, comme il arrive dans les circonstances les plus graves de la vie, en vint jeter sa dernire ancre, ou plutt courut chez le philosophe, comme celui qui pouvait, seul la sauver, et le pria avec force instances de venir en toute hte prier pour sa lille. Celui-ci, emmenant avec lui le grand Pricls de Lydie, qui tait lui aussi un vrai philosophe, courut au temple d'Asclpios pour prier le Dieu en faveur de la malade. Car Athnes encore alors avait le bonheur de le possder et le temple du Sauveur n'avait pas t encore ravag. Pendant qu'il priait selon le rite antique, un changement se manifesta tout d un coup dans l'tat de la jeune fille, et une amlioration subite eut lieu. Car le Sauveur, en tant que Dieu, lui rendit vite la sant. Les crmonies religieuses accomplies, il se rendit auprs d'Asklpignie qui justement venait d'tre dlivre des souffrances qui l'avaient assaillie, et qui se trouvait dans une parfaite sant. Il avait eu bien soin d'accomplir ses vux et ses prires l'insu de tous, pour ne fournir aucun prtexte la malveillance ; car toute la maison o il habitait avait pris part cet acte : ce fut en effet un des bonheurs de Proclus, d'habiter la maison qui lui convenait le mieux, qu'avaient habite Syrianus, son pre, et son grande pre, comme il appelait Plutarque. voisine du temple d'Asklpios, clbr par Sophocle, du temple de Dionysos prs du thtre, et qui tait vue, ou du moins apparente, de l'Acropole d'Athna.

30. Combien il fut cher la Desse amie de la sagesse, le choix qu'il lit de la vie philosophique, qui fut celle que nous venons de dcrire, le prouve amplement. Mais la Desse le tmoigna elle-mme, lorsque la statue de la Desse qui tait rige dans le Parthenon, fut change de place par des gens qui branlent ce qui est inbranlable. Le philosophe , dans un songe, crut voir venir lui une femme d'une grande beaut, qui lui annona qu'il fallait le plus promptement possible prparer sa maison: car la Reine Alhenas, dit-elle veut demeurer auprs de toi. La faveur dont il jouissait auprs d'Asclpios, s'est montre dans le fait que j'ai racont tout l'heure, et nous en avons t convaincu dans sa dernire maladie par l'apparition de la Desse. Car, tant dans un tat entre le sommeil et le rveil, il vit un serpent ramper autour de sa tte : partir de ce moment, il commena se sentir soulag de son mal, et il eut le sentiment que cette apparition allait le gurir de sa maladie, s'il n'avait t retenu par un violent et ardent dsir de la mort ; je suis en effet certain qu'il aurait recouvr compltement la sant, s'il et voulu recevoir les soins que demandait son tat.

31. Voici encore un fait qui est digne d'tre rappel, et que je ne rappelle pas sans attendrissement et sans larmes. Il avait toujours craint qu'une arthrite dont avait souffert son pre, c'est une maladie qui, frquemment el habituellement est transmise des parents aux enfants, ne vint l'atteindre lui-mme, et ses craintes, mon avis, n'taient pas sans fondement : car avant le fait que je dois rapporter, il avait ressenti des douleurs de celte nature, lorsque eut lieu un autre incident vraiment surprenant. Sur les conseils de quelques personnes, il se mit sur le pied malade ce qu on appelle un empltre. Pendant qu'il tait tendu sur son lit, soudain un passereau s'abattit en volant et l'emporta. C'tait un symbole divin, rellement paeonique et de nature lui inspirer confiance pour l'avenir ; mais cependant, comme je le disais, il n'en prouvait pas moins des craintes d'tre atteint plus tard de cette maladie Ayant donc implor le dieu ce sujet, et lui ayant demand de lui dire clairement la chose, en donnant il vit (c'est une chose bien tmraire, et cependant il faut avoir le courage, il ne faut pas craindre de proclamer ouvertement vrit) en dormant il lui sembla voir quelqu'un qui venait d'pidaure, se pencher sur ses jambes et dans un mouvement de tendre affection, sans hsiter, embrasser ses genoux. A partir de ce jour, il vcut toute sa vie sans inquitude ce sujet, et il arriva une extrme vieillesse, sans ressentir aucune atteinte de ce mal.

32. Le Dieu des Adrotto montra aussi et manifestement les liens d'affinit de ce saint homme avec lui. Car lorsqu'il visita son temple, il lui tmoigna sa faveur par des apparitions. Comme il tait dans le doute et qu'il dsirait savoir de source certaine quel Dieu ou quels dieux habitaient ce lieu et y taient honors, parce que les indignes n'taient pas d'accord sur ce point dans leurs rcits; quelques uns, conjecturant que c'tait le temple d'Asclpios, se fondaient sur de nombreux tmoignages; car ils disent que rellement des voix se font entendre dans ce lieu, qu'une table y est consacre au Dieu, quo des rponses oraculaires sur des questions relatives la sant, y sont donnes, et que ceux qui viennent le consulter sont guris, contre toute esprance les maladies les plus dangereuses; mais d'autres croient que ce sont les Dioscures qui frquentent ce temple : car quelques personnes ont cru voir, en songe, sur la route qui conduit Adrotta, deux jeunes hommes, d'une extrme beaut, monts sur des chevaux de grande vitesse, et disant qu'ils allaient en toute hte au temple, de sorte qu'au premier abord ils avaient cru voir des hommes ; mais bientt aprs, ils avaient t convaincus que c'tait une apparition vraiment divine; car lorsqu ils furent eux mmes arrivs au temple et qu'ils s'informrent, il leur fut rpondu par le personnel attach aux fonctions du temple qu'on n'avait rien vu, tandis que ces cavaliers s'taient drobs soudain leur vue eux-mmes). Par ces raisons donc, comme je le disais, le philosophe incertain et ne sachant que croire des faits qui taient rapports, pria les dieux de ce lieu de lui faire connatre par certains signes, quel tait leur vrai et propre caractre : et alors il lui sembla en songe qu'un Dieu venait lui et lui adressait ces claires paroles : Eh! quoi ! n'as tu pas entendu Jamblique dire quels sont ces deux personnages, et prononcer les noms de Machaon et de Podalirios L dessus le Dieu donna ce saint homme un tmoignage de sa haute bienveillance. Comme les orateurs qui prononcent dans un thtre l'loge de certains personnages, le Dieu se tenant debout, avec un geste de la main et un accent dramatique, pronona avec une grande force ces mots : (car je rpterai les paroles mmes divines) : Proclus est la gloire de la Patrie. Quelle plus grande preuve pourrait-on apporter de l'affection des Dieux pour cet homme si parfaitement heureux? A la suite de ces tmoignages sympathiques qu'il recevait de la divinit, il se mettait, malgr lui, fondre en larmes, toutes les fois qu'il nous rappelait ce qu'il avait vu, et l'loge divin qui avait t prononc sur lui.

33. Mais si je voulais numrer tous les faits de cette espce et rapporter la dvotion particulire qu'il avait pour Pan, fils d'Herms, les grandes faveurs et les nombreux cas o il a t sauv Athnes par la bienveillance du Dieu, et raconter par le dtail les protections et. les avantages qu'il a reus de la Mre des Dieux, dont il tait si particulier fier et heureux, je paratrais ceux qui par hasard rencontreront cet ouvrage me laisser aller un vain bavardage, et mme quelques-uns dire des choses peu dignes d'tre crues. Car il y a un grand nombre de faits considrables et pour ainsi dire journaliers o la desse agit ou parla en sa faveur, et dont le nombre est tel, en mme temps qu'ils sont si inous, que je n'en ai pas maintenant le souvenir exact et prcis Si quelqu'un dsire connatre avec quelle faveur il s'attachait la Desse, qu'il prenne de ses mains son livre sur la Mre des Dieux, et il verra que ce n'est pas sans une inspiration et un secours d'en haut, qu'il a pu exposer toute la thologie relative la desse et expliquer philosophiquement tout ce que les actes liturgiques et les enseignements de vive voix nous apprennent mythiquement de la Desse et d'Attis, en sorte qu'ils ne seront plus troubls par ces gmissements lamentables, dont le sens se drobe, et par toutes les traditions pleines de mystres qu'on leur raconte dans ces crmonies.

34. Aprs avoir rapidement et en courant fait connatre et les actes et les rsultats heureux de sa vertu thurgique, aprs l'avoir montr en tout au niveau de toutes les vertus, et un degr que les hommes n'ont pas vu depuis de longs sicles, mettons maintenant fin tout ce discours. Le commencement n'en a pas t pour nous seulement le commencement ni mme, comme dit le proverbe, la moiti du tout, mais c'est le tout tout entier1. Car nous avons commenc par le bonheur ; le bonheur a form le milieu, et nous voil encore ramens au bonheur : nous avons, dans cette exposition, mis sous les yeux les biens que les dieux et en gnral la Providence ont procurs cet. homme de bien ; nous avons montr leur disposition l'couter favorablement, leurs apparitions, leur sollicitude, et tous les autres secours qu'ils lui ont prts, toutes les faveurs qu'il a reues en partage du destin et de la Bonne Fortune, patrie, parents, force et beaut naturelles du corps, matres et amis, tous les autres avantages, qui, par leur grandeur et leur clat, sont bien suprieurs ceux qu'on voit chez les autres hommes, tout cela nous l'avons fait ressortir dans cet crit. Nous avons de plus numr ces supriorits qu'il devait sa volont propre, et qui ne lui venaient pas d'une cause trangre et extrieure (car telles sont ces grandeurs murales de l'me, issues de l'ensemble de toutes ses vertus). En un mot, nous avons mis en pleine lumire que l'activit de son me en toutes ses dmarches, se conformait la vertu parfaite, et que pendant une vie parfaite il a t comble de tous les autres biens humains et divins

35. Mais afin que les personnes curieuses des choses des sciences nobles, puissent, par la disposition des astres sous laquelle il est venu au monde, conclure que la vie que le sort lui rservait en partage, n'tait range ni dans les plus basses conditions ni dans les conditions moyennes, mais dans les plus limites, nous avons dress le tableau de la configuration des astres, telle qu'elle se trouvait au moment de sa naissance :

Le Soleil tait dans une partie du Blier 16 26'

La Lune - dans les Gmeaux - 17 29'

Saturne - dans le Taureau - 24 23'

Jupiter - dans le Taureau - 24 41

Mars - dans le Sagittaire - 29 50'

Vnus - dans les Poissons - 23'

Mercure - dans le Verseau - 4 32'.

L'Horoscope a t pris dans le Blier 8 19'

Le Milieu du ciel () dans le Capricorne 4 42'

Le (Nud) ascendant () ou la tte du dragon 24 33'

La Conjonction (, du soleil et de la nouvelle lune prcdente dans le Verseau , 8 51'

36. Proclus quitta ce monde la 124e anne partir de l'avnement de Julien l'empire1, sous l'Archontat de Nicagoras le jeune, Athnes, le 17e jour du mois de Munychion, selon les Athniens, le 17e du mois d'Avril selon les Romains. Son corps reut les honneurs de la spulture suivant les coutumes nationales des Athniens, et comme lui mme de son vivant l'avait prescrit : car cet homme bienheureux avait, plus que tout autre, la connaissance et la pratique des honneurs funbres dus aux morts. Il ne ngligeait, dans aucune circonstance, de leur rendre les hommages accoutums, et chaque anne, jours fixes, il allait visiter les tombeaux des hros de l'Attique, ceux des philosophes, de ses amis et de ceux qu'il avait particulirement connus, accomplissait les actes prescrits par la religion, et cela non par un intermdiaire, mais personnellement. Aprs avoir rempli ce pieux devoir envers chacun d'eux, il allait l'Acadmie, et dans un certain lieu particulier, sollicitait par ses vux et ses prires, les mes de ses anctres et de ses parents, a part et sparment, et, dans une autre partie de l'difice, faisait en commun des libations en l'honneur de tous ceux qui avaient pratiqu la philosophie. Aprs tout cela, ce saint personnage, traant un troisime espace distinct, faisait un sacrifice toutes les mes des morts qui reposaient dans cette enceinte. Son corps revtu et dispos, comme je l'ai dit, suivant ses propres recommandations et port par ses amis, fut enterr dans la partie la plus orientale des faubourgs de la ville, prs du Lycabettos, o repose aussi le corps de son matre, Syrianus. Car c'tait une volont que celui-ci, de son vivant, avait exprime son lve, et en vue de laquelle il avait fait faire un double monument funbre; et, comme aprs sa mort, notre pieux matre se demandait en lui mme si cela n'tait pas contraire au respect et aux convenances, il lui sembla le voir en songe qui lui adressait des reproches et des menaces, et le blmait vivement mme d'avoir eu cette pense. On grava sur son tombeau une inscription en quatre vers, qu'il avait compose pour lui mme, et que voici : Moi, Proclus, je suis Lycien d'origine ; Syrianus m'a nourri ici de ses leons, pour lui succder dans son enseignement. Ce mme tombeau a reu nos deux corps : Puisse un mme sjour tre rserv nos deux mes!

37. Il y eut un an avant sa mort des prodiges clestes, comme une clipse du soleil tellement complte que la nuit se fit pendant le jour : on tomba dans une obscurit profonde et les astres apparurent ; elle se produisit au moment o le soleil tait dans le Capricorne, au centre oriental. Les savants qui s'occupent de dterminer par crit le temps qu'il fera chaque jour, en ont signal une deuxime qui, elle, devait se produire une anne pleine, coule aprs sa mort.

Ces tats dsordonns que parat subir le ciel, sont, dit-on, des indices des vnements qui arrivent sur la terre ; en tout cas. ils nous ont montr nous, la disparition et pour ainsi dire l'clips de lumire que subissait la philosophie.

38. Les faits que je viens de raconter de notre philosophe sont suffisants pour moi ; mais il est permis celui qui le voudra, d'entreprendre un rcit sincre touchant ceux qui ont t ses disciples ou ses amis. Car beaucoup de personnes, et venues de beaucoup de pays diffrents, ont frquent ses cours, les uns uniquement pour l'entendre, les autres pour devenir ses mules, et se sont lis lui par amour de la philosophie. Un crivain plus laborieux que moi pourra faire la liste gnrale de ses ouvrages (car pour moi j'ai t amen crire ce livre pour satisfaire un devoir de conscience, et pour acquitter ma dette de pieux hommage envers cette tte divine et le bon Dmon qui l'avait reu dans son partage). En ce qui concerne ses crits, je me borne a dire que de tous, il prfrait toujours les commentaires sur le Time, quoi qu'il et une grande prdilection pour ceux du Thtte. Il avait aussi souvent la bouche, ces mots : Si j'tais le matre, je ne laisserais dans la circulation, de tous les anciens livres, que les Oracles et le Time; tous les autres, je les ferais disparatre des yeux des hommes de notre temps, car ils ne peuvent que nuire certains de ceux qui, tmrairement et sans prcaution, en abordent la lecture.