Vie de Grégoire Le Thaumaturge

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Life of Gregory Thaumaturgus - Gregory of Nyssa

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  • GREGOIRE DE NYSSE

    Sur la vie et les miracles de notre pre parmi les saints Grgoire le Thaumaturge

    (traduction provisoire de Pierre Maraval)

    I/ Introduction L'assistance de l'Esprit ncessaire 1. Le but de notre discours et de la prsente assemble est le mme : Grgoire le Grand, pour vous, est le motif de la runion; pour moi celui de l'entretien. Je pense, pour ma part, que j'ai besoin de la mme force et pour pratiquer la vertu en actes, et pour raconter dignement ses belles actions en paroles. Aussi faudrait-il demander l'assistance grce laquelle celui-ci, durant sa vie, pratiqua la vertu. Or celle-ci, mon avis du moins, c'est la grce de l'Esprit, qui fortifie par elle-mme, et pour leur vie et pour leur discours, ceux qui prennent au srieux l'une et l'autre. Puis donc que cette illustre et clbre existence a t dirige par la force de l'Esprit, c'est un fruit de la prire que l'assistance apporte au discours soit aussi abondante que celle qui advint celui-ci pendant sa vie, De la sorte, la louange ne sera pas trouve infrieure la rputation de ses actions vertueuses, mais un tel homme sera montr ceux qui sont prsents, /p.4 Heil/, grce la commmoration qui est faite de lui, tel qu'il tait pour ceux de ce temps-l, lorsqu'on le voyait lui-mme dans ses oeuvres.

    Les devoirs de l'orateur et des auditeurs 2. Si donc le souvenir de ceux qui ont excell dans la vertu tait sans profit et qu'il ne contribue en rien au bien de ses auditeurs, il serait peut-tre superflu et vain d'orienter sans aucune utilit le discours lui-mme vers la louange, en le droulant en vain et en fatiguant inutilement l'auditoire. Mais puisque la grce d'un tel discours, dans des circonstances normales, doit tre un gain commun pour tous les auditeurs, comme l'est un phare pour ceux qui naviguent sur mer, dirigeant vers lui ceux qui errent au large dans l'obscurit, je pense qu'il faut pour cela une ardeur gale et de votre part et de la mienne : de la vtre pour couter, de la mienne pour parler. Il est clair en effet que la vie vertueuse de celui-ci, en resplendissant pour nos mes la manire d'un phare, grce la commmoration, est une voie vers le bien et pour celui qui l'expose, et pour ceux qui l'coutent. Car les hommes, par nature, ont en propre de vouloir et de dsirer acqurir tout ce qui est prcieux et digne de louange.

    L'loge atteindra son but 3. Tel est donc le thme de notre discours. Mais pour moi qui ose aborder ce thme, que le discours soit capable de s'lever la hauteur des faits ou qu'il

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    ne le soit pas est de toute faon sans danger, car la louange sera gale, dans les deux cas, pour celui qui fait l'objet de l'loge. Si le discours russit exprimer ses miracles, il frappera certainement l'auditoire par ces belles actions; s'il reste infrieur leur grandeur, mme en ce cas la gloire de celui dont on fait l'loge sera rendue clatante, car la louange la plus grande d'un homme, c'est de montrer qu'il dpasse la capacit de ceux qui le louent.

    Critres de l'loge paen et chrtien 4. Mais qu'aucun de ceux qui ont t instruits dans la sagesse divine ne s'attende ce que celui qu'on clbre spirituellement soit lou, selon la coutume des paens, au moyen des procds artificiels des loges. L'apprciation du bien ne se fait pas selon les mmes critres chez nous et chez les autres, et l'on ne trouverait pas les mmes jugements sur les mmes choses /p. 5/ chez ceux qui vivent selon le monde (cf. Eph 2, 2) et ceux qui se sont levs au-dessus du monde. Pour ceux-l, ce qui semble tre une grande chose, et digne de recherche, cest la richesse, la race, la gloire, les magistratures mondaines, les mythes fondateurs de la patrie, et ces rcits fuir pour tous ceux qui ont quelque intelligence - trophes, combats, les malheurs provoqus par les guerres. Mais pour l'opinion qui a cours chez nous, sont dignes d'honneur une seule patrie, le paradis, premier foyer du genre humain, une seule cit, la cit cleste, construite de pierres vivantes (1P 2, 5), dont Dieu est l'architecte et le constructeur (Hb 11, 10), une seule noblesse de race, la parent avec Dieu. Celle-ci ne s'acquiert pas automatiquement, la manire de la bonne naissance selon le monde, qui souvent se transmet par une succession automatique, mme pour les indignes, mais il n'est pas possible de lacqurir autrement que par un libre choix : A ceux qui l'ont reu, dit la parole sainte, il a donn le pouvoir de devenir enfants de Dieu (Jn 1, 12). Y aurait-il quelque chose de plus noble que cette naissance ? Les traditions ancestrales, chez tous les autres, sont des mythes, des inventions, des fraudes de dmons mles des rcits mythiques, mais les ntres n'ont pas besoin d'tre racontes. Qui regarde vers le ciel et contemple, avec lil de l'me, les beauts prsentes en lui et toute la cration, dans toutes les merveilles qu'il sera capable de saisir en elles, trouvera les rcits de notre patrie, ou plutt non de la patrie elle-mme, mais de la colonie o nous demeurons aprs avoir t chasss de la vie plus haute, le monde prsent.

    Objet transcendant de l'loge chrtien 5. Si la colonie est telle, il faut imaginer quelle est la mtropole de la colonie, quelle beaut est en elle, quel en est le palais royal, quel est le bonheur de ceux qui ont reu d'y habiter. Car si ce qui apparat /p.6/ dans la cration est tel que cela passe la louange, que faut-il imaginer de ce qui est au-dessus de cela, ce qu'il n'est pas possible lil de saisir, ni l'oreille d'entendre, ni la pense de concevoir(1 Co 2, 9). C'est pour cela que la loi divine des loges

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    exclut du bon renom spirituel les bagatelles d'ici-bas, jugeant honteux que ceux qui se sont rendus fameux par de telles actions soient clbrs au moyen de ce qui a du prix sur terre. Qu'un homme mondain, qui a en vue le bonheur matriel, recherche la louange des hommes partir de telles ralits - que sa patrie est riche en troupeaux, que la mer fournit d'elle-mme d'abondantes provisions pour les gloutons, que des pierres bien disposes embellissent les constructions. Mais celui qui regarde vers la vie d'en haut, celui pour qui la puret de l'me est une beaut, la pauvret une richesse, la vertu une patrie, le palais royal lui-mme de Dieu une cit, tiendra pour une honte l'honneur qui est plac dans les ralits terrestres.

    Seule la vie vertueuse est prendre en considration 6. Ainsi donc, laissant de ct nous aussi de telles ralits, nous n'ajouterons pas la patrie aux louanges du grand Grgoire, ni n'voquerons ses anctres l'appui de ses loges, sachant qu'aucune louange n'est vraie si elle n'est pas le bien propre de ceux qu'on loue - nous appelons bien propre ce qui demeure continuellement, ce qu'on ne peut jamais enlever quelqu'un. Donc, puisque, en nous abstenant de tout cela - richesse, renomme, gloire, honneur, luxe, plaisir, parents, amis -, nous restons attachs la seule disposition au vice ou la vertu, ne jugeons bienheureux que celui qui est vertueux.

    Feinte rhtorique : la patrie 7. Pourtant, que personne ne pense que c'est parce qu'il n'y aurait rien d'honorable raconter sur la patrie et les anctres de cet homme que, sous prtexte de paratre les mpriser, /p.7/ je passe sous silence la honte qui serait la leur. Qui ne connat en effet le surnom du Pont, qui a t spcialement attribu cette nation par tous les hommes et tmoigne de la vertu de ceux qui, depuis l'origine, ont reu ce lieu en partage. Seul de toutes les terres et les mers, ce Pont est appel favorable (euxeinos), soit que ce nom tmoigne de leur bienveillance pour les trangers qui y rsident, soit que l'endroit soit tel qu'il procure en abondance les ressources pour la vie, non seulement aux autochtones, mais aussi ceux qui, de partout, ont coutume de s'y rendre. Telle est la nature de cette rgion qu'elle produit en abondance tout ce qui est ncessaire pour la vie et qu'elle n'est pas dpourvue des biens qui viennent d'ailleurs, car la mer leur permet d'acqurir ceux de toute provenance. Il en est ainsi de toute cette nation, car quelle que soit la partie qu'on en examine pour elle-mme, on pense qu'elle est suprieure aux autres. Nanmoins, de l'avis unanime de la nation, la ville du grand Grgoire est en quelque sorte ce qu'il y a de plus noble parmi celles qui sont l'entour : un empereur illustre parmi ceux qui ont exerc le pouvoir chez les Romains, du nom de Csar, pris d'amour et d'affection pour cette rgion, l'a juge digne d'tre appele de son nom. Mais cela n'a rien voir avec notre but, comme de croire que nous montrerions ce grand saint plus vnrable pour les

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    raisons suivantes - que la rgion abonde en fruits, que la ville est orne de constructions, que grce la mer voisine les produits de partout, quels qu'ils soient, y viennent volont.

    Seconde feinte rhtorique : les anctres 8. Et dans le prsent discours, je ne ferai pas mmoire non plus de ses anctres, ceux qui furent l'origine de sa naissance selon la chair, en voquant leur richesse, leurs honneurs et leur rputation mondaine. En quoi cela - les tombeaux, les stles funraires, les inscriptions, les rcits du pass - contribuera-t-il la louange de celui qui s'est lev lui-mme /p.8/ au-dessus du monde entier ? Et surtout, il n'est pas possible d'invoquer, pour en faire partager le bon renom, ceux dont celui-ci a reni la parent spirituelle. Ceux-l en effet firent preuve de sottise en tant dans l'erreur de l'idoltrie; celui-ci, ayant lev les yeux vers la vrit, s'est introduit dans la parent d'en haut par la foi. Mais passons sous silence comment et de quels parents il est n, et quelle ville il a habite durant ses premires annes - ce qui est compltement inutile pour le prsent expos -, et nous prendrons pour commencer notre loge le moment o il adopta la vie vertueuse.

    II/ La vie selon la vertu dans sa jeunesse

    1. L'intelligence du bien : l acquisition des vertus 9. Lorsqu'il tait encore dans sa prime jeunesse, il fut priv de la sollicitude que portent naturellement les parents, car les siens taient morts. un moment o, chez la plupart, l'intelligence est imparfaite en raison de l'ge et se trompe dans son apprciation du bien, il se montra aussitt, dans les premires annes de son ge, tel qu'il devait tre dans la perfection de celui-ci. De mme que les bourgeons de bonne venue, lorsque pendant leur premire croissance ils se dveloppent en rameaux bien droits, montrent aux cultivateurs, travers leur grce prsente, leur beaut venir, de mme celui-ci , quand, chez les autres, l'me est chancelante par ignorance et se laisse aller facilement ce qui est vain et inutile, comme la plupart des occupations de la jeunesse, a montr alors en lui-mme, dans les premiers choix de sa vie, la vrit de la parole de David : Le juste fleurira comme le palmier (Ps 91, 13). Seul cet arbre s'lve de terre avec une tte parfaitement touffue, et lorsqu'il crot en hauteur, il ne reoit avec le temps aucun accroissement en largeur. De mme celui-ci, ds son premier bourgeon, fleurit aussitt par son choix de vie, s'levant parfait et avec un feuillage touffu. Se tenant l'cart de tout ce qui passionne la jeunesse - quitation, chasse, lgance, vtements, jeu de ds /p.9/, plaisir, il s'adonnait aussitt tout entier l'acquisition des vertus, choisissant constamment ce qui convenait l'ge qui tait le sien.

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    2. La sagesse et les vertus connexes 10. Sa premire proccupation, pour acqurir les vertus, est celle de la sagesse. A la suite de celle-ci, comme un poulain attel avec elle, la temprance, et l'allie de toutes deux, la chastet. L'absence d'orgueil et de colre s'accompagnait du mpris des richesses, car la cause de l'enflure et de l'orgueil n'est autre que la cupidit, qui amne avec elle d'autres passions.

    Comparaison avec Abraham L'criture rapporte que le patriarche Abraham, lorsqu'il eut acquis la

    science de la philosophie chaldenne et qu'il eut observ la position et le mouvement harmonieux et ordonn des astres, se servit de cette connaissance comme d'un marchepied pour accder la contemplation du bien suprieur, ayant pens que si de telles ralits sensibles peuvent tre saisies par l'intelligence, qu'en serait-il de celles qui sont au-del du sensible ? Il obtint ainsi ce qu'il cherchait, ayant acquis la sagesse paenne et tant devenu, grce elle, plus lev, de manire pouvoir s'approcher d'une certaine faon, grce elle, des ralits inaccessibles. De mme, ce Grand, ayant assidment frquent la philosophie paenne, fut amen la connaissance du christianisme par cela mme grce quoi l'hellnisme s'assure une influence auprs de la plupart. Abandonnant la religion errone de ses pres, il cherchait la vrit de ce qui est, ayant appris de la rflexion mme des paens l'inconsistance des doctrines grecques. Lorsqu'il vit en effet que la philosophie, aussi bien celle des Grecs que celle des barbares, tait divise en conceptions diffrentes touchant les opinions sur le divin, et que les tenants de ces doctrines ne s'accordaient pas entre eux et rivalisaient pour faire prvaloir chacun sa propre opinion au moyen de l'habilet de leurs discours, il abandonna ceux-ci, qui s'excitaient les uns contre les autres comme dans une guerre civile, et il s'attache la parole ferme de la foi, qui prvaut sans aucun raffinement du discours ni artifice de l'art, mais est annonce galement tous grce la simplicit de ses paroles /p. 10/, elle qui tire sa crdibilit d'tre au-dessus de la connaissance.

    Autre comparaison avec Mose 11. Si ce qui est dit tait tel qu'on puisse le comprendre par la force de raisonnements humains, ce ne serait pas diffrent de la sagesse grecque, car eux aussi estiment que ce qu'ils ont russi comprendre, cela mme existe. Mais puisque la comprhension de la nature suprieure est inaccessible aux raisonnements humains, cause de cela la foi remplace les raisonnements, elle qui s'tend vers ce qui est au-dessus de la raison et de la comprhension. C'est pourquoi, de mme que l'criture dit de Mose qu il fut instruit de toute la sagesse des gyptiens (Ac 7, 22), de mme ce Grand, qui tait pass par toute l'ducation des Grecs et connaissait par exprience la faiblesse et l'inconsistance de leurs doctrines, se fait disciple de l'vangile, et avant d'y tre amen par la

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    naissance mystique et incorporelle, il dirigeait sa vie de manire n'apporter au baptme aucune souillure de pch.

    3. La chastet. 12. Comme telle tait sa conduite en gypte, dans la ville d'Alexandrie, o afflue de toutes parts la jeunesse qui s'adonne la philosophie ou la mdecine, il tait pour ses condisciples un spectacle pnible, jeune homme par d'une chastet suprieure celle des vieillards. La louange de sa puret tait un blme pour les impurs. Pour procurer une excuse aux dbauchs - celle de ne pas tre seuls paratre tels - une machination, fruit d'un complot, fut mise en place, pour que quelque reproche soit inflig la vie du Grand. Ils lui envoient, pour l'accuser, une prostitue issue du lieu de dbauche, mprise pour son indignit. Alors que celui-ci, selon son habitude, s'entretenait avec des hommes cultivs d'un des problmes de la philosophie, dans une attitude srieuse, la femme s'approche, en se dandinant lascivement et en feignant par tous les moyens d'tre dans sa familiarit [et par ce qu'elle disait et par ce qu'elle faisait]. Elle disait ensuite /p. 11/ qu'elle avait t prive de sa rtribution, en ajoutant encore avec impudence les motifs pour lesquels elle se plaignait de la privation de rcompense.

    ...confirme par Dieu 13. Alors que ceux qui connaissaient la vie de celui-ci s'indignaient et s'lanaient avec colre contre la femme, lui ne se troubla point avec ceux qui se fchaient cause de lui; bien qu'il ft calomni, il ne dit rien de ce qu'il est naturel que dise un accus. Il n'appela pas son secours les tmoins de sa vie, ni n'carta le reproche par un serment, ni ne dnona la malignit de ceux qui avaient machin cela contre lui. S'tant tourn vers un de ses familiers, il dit d'une voix douce et pose : Eh, toi, donne-lui l'argent, pour qu'elle ne trouble pas davantage, par son agitation, le srieux que nous mettons la discussion . Mais lorsque celui qui avait t charg de cela, aprs avoir appris de la prostitue combien d'argent elle demandait de lui, eut pay aussitt toute la somme, alors que le complot des dbauchs contre le juste touchait son terme et que le salaire tait dj dans la main de l'infme, ce moment-l vient de Dieu le tmoignage de la chastet du jeune homme et la rfutation de la calomnie de ses condisciples. Au moment mme o elle recevait l'argent dans sa main, torture par un esprit dmoniaque, gmissant et hurlant comme une bte, non d'une voix humaine, elle tombe face contre terre au milieu de ceux qui taient assembls, devenue subitement pour ceux qui taient prsents un spectacle affreux et effrayant, avec ses cheveux pars et qu'elle arrachait de ses mains, ses yeux rvulss, sa bouche qui crachait de la bave... Et le dmon ne cessa de l'oppresser, jusqu' ce que ce Grand invoque Dieu et demande misricorde pour elle.

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    Grandeur de la conduite de Grgoire 14. Tels sont les rcits de la jeunesse de ce Grand, digne prologue de sa vie future. En vrit, cette action admirable est telle que, mme s'il n'y avait rien d'autre ajouter cela, il nobtiendrait d'aucun de ceux qui vivent dans la vertu, partir de cela seul, le second rang dans les louanges. Riche, jeune, rsidant l'tranger, dans une ville trs peuple, o parce que les /p.12/ jeunes vivent volont dans le plaisir, la puret tait une tare pour ceux qui n'taient pas chastes, sans mre qui prenne soin de sa vie, sans pre qui guide son existence quotidienne, il s'leva tel point, par son impassibilit, vers la vertu, que celui qui surveille toutes choses se fit le tmoin de sa vie, celui qui rfuta d'un coup svre la calomnie de la femme. Que pourrait-on imaginer de plus grand comme motif d'loge ? Comment louerait-on dignement celui-ci ? Lui qui avait triomph de la nature par la raison avait soumis sa jeunesse, comme un animal domestiqu, au joug du raisonnement, s'tait rendu matre de toutes les passions physiques qui l'agitaient. Lorsqu'il attira sur lui l'envie, qui s'attaque ceux qui sont bons, il se rendit aussi matre de celle-ci, sans se lever pour se dfendre contre la mchancet de ses compagnons et en se montrant bienfaisant envers celle qui les avait assists pour attirer le blme sur lui, en la dlivrant par la prire des souffrances provoques par le dmon.

    Comparaison avec Joseph et amplification : il est suprieur Joseph 15. Nous apprenons quelque chose de semblable dans l'histoire de Joseph : il pouvait commettre un crime avec la femme de son matre, car celle-ci tait devenue folle d'amour pour la beaut du jeune homme, et il n'y avait personne comme tmoin de ce qu'il aurait os (cf. Gn 39, 7 s.). Eh bien, lui aussi, regardant vers lil de Dieu, prfra paratre mauvais plutt que l'tre, et supporter le sort des malfaiteurs plutt que devenir un malfaiteur. Mais peut-tre Grgoire peut-il davantage tirer gloire de ce rcit, car il n'est pas quivalent, en matire d'loignement de la souillure, d'viter le crime d'adultre et d'accepter d'tre blm pour un dlit moindre. Lui donc, qui d'aprs les lois n'tait nullement en danger, ayant jug que le plaisir mme issu du pch tait, par lui-mme, plus redoutable que le chtiment /p.13/, ou bien a dpass Joseph par la grandeur de cette action admirable, ou bien ne sera certainement pas jug infrieur lui. Eh bien, tels furent les commencements de sa vie; sa vie elle-mme, que fut-elle ?

    4. L'tude des sciences divines 16. Lorsqu'il eut parcouru tout le cycle ducatif de la sagesse paenne, il rencontra un certain Firmilien, qui faisait partie des eupatrides de Cappadoce, de murs semblables aux siennes, comme il le montra dans la suite de sa vie, lorsqu'il devint l'ornement de la ville de Csare. Grgoire fit connatre son

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    ami le but de sa propre vie - qu'il regardait vers Dieu -, et il comprit que l'intention de celui-ci s'accordait avec son propre dsir. Abandonnant toute tude de la philosophie paenne, il se rend avec lui prs de celui qui, en ce temps-l, tait le guide de la philosophie des chrtiens - c'tait Origne, dont le renom est grand par ses crits. Il montrait ainsi non seulement son amour de la science et du labeur, mais aussi l'quilibre et la mesure de son caractre. Bien qu'il ft rempli d'une si grande sagesse, il ne ddaigna pas de recourir un autre matre pour les sciences divines. Lorsqu'il eut pass auprs du matre le temps qu'il fallait pour acqurir ces sciences, alors que beaucoup cherchaient le retenir en terre trangre et lui demandaient de rester chez eux, il prfra toutes la patrie o il avait vcu et y retourna, ramenant avec lui les multiples richesses de la sagesse et de la science que, comme un marchand, il avait acquises dans les tudes profanes en frquentant des personnages de renom.

    5. Le rejet d'une carrire brillante 17. Du reste, pour qui juge bien les faits, cela non plus ne paratra nullement une petite chose mettre sa louange que d'avoir refus l'invitation commune venue d'une si grande ville et de n'avoir pas accept la demande instante de rester parmi eux que lui faisaient tous les gens cultivs, ainsi que l'invitation dans le mme sens de leurs magistrats. Le but de tous tait que ce Grand reste chez eux pour y tre comme un fondateur de vertu et un lgislateur de vie. Mais lui, fuyant les motifs d'orgueil d'o qu'ils viennent, sachant que la passion de la superbe est d'ordinaire la cause principale d'une vie mauvaise, /p.14/revient la vie paisible dans sa patrie, comme dans un port.

    6. Le choix de la vie solitaire 18. Tout le peuple avait les yeux fixs sur l'homme et tous s'attendaient ce qu'il manifeste en public sa culture dans des runions publiques, afin d'obtenir, comme fruit de ses longs labeurs, la renomme qui leur est attache. Or ce Grand savait comment il convient que la vraie philosophie soit manifeste publiquement par ceux qui la recherchent srieusement. Pour que son me ne soit pas blesse par la recherche des honneurs - la louange qui vient des auditeurs est en effet redoutable parce qu'elle affaiblit l'nergie de l'me par la fume de l'orgueil et l'amour de la gloire -, il fit une dclamation publique par son silence, montrant par un acte et non par des paroles le trsor qui tait en lui. S'tant loign des tumultes de la place publique et, totalement, du mode de vie urbain, il vivait dans un lieu cart avec lui-mme seul, et ainsi avec Dieu, en faisant peu de cas du monde entier et de tout ce qui est en lui. Il ne se mlait pas des affaires de lempire, ne s'intressait pas aux magistratures, n'coutait pas qui lui rapportait comment taient administres les affaires publiques. Mais il se proccupait de la manire dont l'me est rendue parfaite dans la vertu et il tendait avec force toute sa vie vers ce but. Ayant laiss tomber toutes les affaires

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    de ce monde, ctait en notre temps un autre Mose, rivalisant vraiment avec les actions admirables de celui-ci.

    Comparaison avec Mose et amplification : supriorit de Grgoire 19. Tous deux, Mose et Grgoire, quittrent cette existence pleine de trouble et de bruit, chacun en son temps vivant pour eux-mmes, jusqu' ce que pour tous deux devienne visible, suite une apparition divine, l'avantage d'une vie pure. Mais pour Mose, une pouse accompagnait la philosophie, alors que Grgoire avait pour compagne la seule vertu. Si pour l'un et l'autre le but tait identique la fin, pour l'un et l'autre, en s'loignant de la multitude, tait de contempler les divins mystres de lil de l'me /p. 15/-, il est loisible qui sait apprcier la vertu de juger duquel des deux la vie tait le plus marque par l'absence de passions, de celui qui s'tait abaiss la participation lgitime et tolre des plaisirs ou de celui qui s'tait lev au-dessus de celle-ci et n'avait donn aucune voie d'accs la passion matrielle.

    7. L'ordination piscopale 20. Comme Phaidimos, qui Dieu avait donn, par l'Esprit Saint, la facult de prvoir l'avenir, tait ce moment-l le guide de l'glise d'Amase, et qu'il mettait tout son soin gagner le grand Grgoire et le mener la direction de l'glise, pour qu'un si grand bien ne mne pas une vie paresseuse et inutile, celui-ci, s'tant aperu de l'intention de l'vque, tenta de se cacher en se rendant dans un autre lieu dsert. Ce grand Phaidimos, en faisant toute tentative et en utilisant tous les moyens imaginables, ne russissait pas conduire au sacerdoce cet homme, qui se gardait de tous ses yeux pour n'tre pas saisi par la main de l'vque, et leurs proccupations taient contradictoires - l'un dsirait prendre, l'autre fuir celui qui le poursuivait, car celui-l savait qu'il porterait Dieu un don sacr, tandis que celui-ci craignait que les devoirs du sacerdoce, imposs sa vie comme un fardeau, ne deviennent pour lui un obstacle la philosophie. 21. cause de cela, Phaidimos, pouss par une impulsion divine raliser son projet, sans se proccuper de la distance qui le sparait de Grgoire - celui-ci tait loign de lui de trois jours de voyage -, ayant lev les yeux vers Dieu et dit qu' cette heure-l lui-mme et celui-ci taient pareillement sous le regard de Dieu, il envoie sa parole, dfaut d'imposition des mains, Grgoire. Il consacre Dieu celui qui n'tait pas prsent de corps et lui confiant cette ville, qui, jusqu' ce moment-l, tait ce point soumise l'erreur des idoles /p.16/ quil ne s'en trouvait pas plus de dix-sept qui avaient accueilli la parole de la foi, alors que les habitants de la ville et des environs taient innombrables.

    8. Lvque instruit par Dieu 22. Ainsi donc, contraint de se soumettre au joug, lorsque aprs cela eurent t accomplies sur lui toutes les crmonies rituelles, il demanda celui

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    qui avait proclam sur lui le sacerdoce un peu de temps pour approfondir le mystre; il pensait qu'il ne devait plus avoir gard la chair et au sang , comme le dit l'Aptre (Ga 1, 16), mais il demandait que la rvlation des choses caches lui vienne de Dieu. Il n'eut pas l'audace de s'adonner la prdication de la parole avant que la vrit ne lui ait t rvle par une vision. Une nuit, alors qu'il rflchissait sur le discours de la foi et qu'il chafaudait des raisonnements de toutes sortes - car il y avait alors des gens qui falsifiaient la pieuse doctrine et, par l'habilet de leurs argumentations, rendaient souvent la vrit incertaine, mme pour ceux qui la connaissaient bien -, alors donc qu'il veillait et rflchissait cela, lui apparut en vision un personnage g ayant l'aspect d'un homme, dont le vtement manifestait le caractre sacr, qui annonait une grande vertu par la grce de son visage et la dignit de son maintien.

    Une vision lui donne la connaissance de la foi 23. Frapp de stupeur ce spectacle, il se leva de son lit et lui demanda qui il tait et quelle fin il venait. Celui-ci apaisa le trouble de sa pense d'une voix douce et lui dit qu'il lui tait apparu sur ordre de Dieu en raison des questions controverses autour de lui, pour que lui soit rvle la vrit de la foi pieuse. Lui reprit courage ces paroles et le regarda avec joie et tonnement. Ensuite celui-ci, ayant tendu la main droite devant lui, comme pour lui montrer avec les doigts /p.17/ tendus ce qui apparaissait sur le ct, lui fit tourner le regard par sa main tendue et voir en face une autre apparition sous l'aspect d'une femme, bien suprieure une apparition humaine. Lui, nouveau frapp de stupeur, dtourna son visage; il tait incapable de voir ce spectacle, car ses yeux ne pouvaient supporter l'apparition. Ce qu'il y avait de tout fait extraordinaire dans cette vision, c'tait, alors que la nuit tait profonde, qu'une lumire brillait sur ceux qui lui taient apparus, comme si une lampe brillante tait allume. Comme ses yeux ne pouvaient supporter l'apparition, il entendit ceux qui lui taient apparus s'entretenir au cours dune conversation sur l'objet de sa recherche; grce eux, non seulement il fut instruit de la vritable connaissance de la foi, mais il reconnut grce leurs noms ceux qui lui taient apparus, chacun d'entre eux appelant l'autre de son propre nom.

    Il met par crit l'enseignement reu 24. On dit en effet qu'il entendit celle qui tait apparue sous l'aspect d'une femme exhorter l'vangliste Jean rvler au jeune homme le mystre de la vrit, et celui-ci lui rpondre qu'il tait prt accorder cela la mre du Seigneur, puisque ce lui tait agrable. Ayant ainsi expos la question de manire convenable et bien claire, ils disparurent ensuite de sa vue. Et lui aussitt mit par crit cette divine mystagogie et cest d'aprs elle quil annona ensuite la parole dans l'glise ; il laissa ses successeurs, comme un hritage, cet enseignement donn par Dieu. C'est grce lui que, jusqu' ce jour, le peuple

  • Grgoire de Nysse, Eloge de Grgoire le Thaumaturge 11

    de chez eux, qui est rest exempt de toute hrsie, est initi aux mystres. Les paroles de cette mystagogie sont les suivantes :

    Le Credo de Grgoire Un seul Dieu, pre du Verbe vivant (qui est sagesse subsistante, puissance et caractre ternels), parfait gniteur du parfait, pre du Fils monogne. /p.18/ Un seul seigneur, unique de l'unique, Dieu de dieu, caractre et image de la divinit, verbe agissant, sagesse qui embrasse l'ordonnance de l'univers, et puissance qui a faite toute la cration, Fils vritable du Pre vritable, invisible de l'invisible, ineffable de l'ineffable, immortel de l'immortel, ternel de l'ternel. Un seul Esprit saint, qui tient son existence de Dieu, et est apparu par le Fils (aux hommes), image parfaite du Fils parfait, vie, cause des vivants, saintet, dispensateur de sanctification, dans lequel sont manifests Dieu le Pre, celui qui est au-dessus de tout et en tout, et Dieu le Fils, celui par qui sont toutes choses. Trinit parfaite, qui n'est divise ni distingue ni selon la gloire, ni selon l'ternit, ni selon la royaut. /p.19/(Donc il n'y a rien de cr ni d'esclave dans la Trinit, ni de surajout comme si cela n'existait pas auparavant, mais avait t introduit par la suite. Donc le Fils n'a jamais fait dfaut au Pre ni l'Esprit au Fils, mais la mme Trinit est toujours immuable et sans changement).

    Nouvelle comparaison avec Mose et amplification : supriorit de Grgoire

  • Grgoire de Nysse, Eloge de Grgoire le Thaumaturge 12

    26. Celui qui dsire tre persuad ce sujet, qu'il coute l'glise, dans laquelle il proclamait la parole, ceux chez qui le texte crit de cette bienheureuse main est conserv encore aujourd'hui. Ne rivalise-t-il pas, par la magnificence de la grce, avec ces tables graves par Dieu, je veux dire ces tables sur lesquelles furent graves les prescriptions de la volont divine ? Le texte dit de Mose, qui tait all au-del du visible (cf. Ex 31, 18) et tait entr par son me l'intrieur des sanctuaires invisibles (c'est cela que dsigne la nue), y apprit les divins mystres et, grce sa propre connaissance de Dieu, instruisit tout le peuple. Or on peut voir chez ce Grand aussi la mme histoire : pour lui la montagne ne fut pas une colline visible, mais la hauteur de son dsir des doctrines vritables; la nue, ce fut ce spectacle inaccessible aux autres, la tablette, son me, les lettres graves sur les tables, la voix de celui qui tait apparu, toutes choses grce auxquelles la rvlation des mystres fut faite et pour lui et pour ceux qu'il instruisait des mystres.

    III/ Vie selon les vertus de l'adulte

    1. Le courage dans la lutte contre le dmon 27. Lors donc qu'il eut t rempli d'audace et de courage par cette vision, comme un athlte qui, ayant acquis /p.20/ du pdotribe l'exprience et la force ncessaires pour les combats, plein d'audace, te ses vtements prs du stade et s'enduit de poussire pour affronter ses adversaires, de la mme manire celui-ci, ayant oint comme il convient son me par son propre exercice et lassistance de la grce qui lui tait apparue, sadonne de mme aux combats (il ne faut pas, en effet, parler d'autre chose que de combats ou de luttes tout au long de sa vie sacerdotale, durant laquelle, par la foi, il combattit victorieusement la puissance de l'adversaire). Aussitt qu'il eut quitt sa retraite et pris le dpart vers la ville dans laquelle il devait tablir l'glise pour Dieu, lorsqu'il apprit que toute la rgion tait sous la coupe de la tromperie des dmons et que nulle part n'y avait t bti un temple du vrai Dieu, que toute la ville et les environs taient remplis d'autels, de sanctuaires et de statues - car tout le peuple mettait du zle orner les temples des idoles et les sanctuaires et faire durer l'idoltrie en la fortifiant par des processions, des initiations et des sacrifices rpugnants -, comme un vaillant soldat qui affronte le chef de l'arme adverse et, au moyen de celui-ci, met en fuite ses subordonns, de mme ce Grand commence par s'attaquer la puissance des dmons eux-mmes. De quelle faon ?

    Il passe la nuit dans un temple 28. Alors qu'il se rendait du lieu de sa retraite la ville, comme le soir tait tomb et qu'une pluie trs violente se prolongeait, il entre dans un sanctuaire avec ceux qui le suivaient. Ce sanctuaire tait un des plus fameux : les dmons y venaient ouvertement assister les desservants du temple dans leur

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    pratique de la divination des oracles. Entr dans le temple avec ses compagnons, il terrifia les dmons en invoquant le nom du Christ. Ayant purifi l'air souill par les odeurs des sacrifices au moyen du signe de la croix, il y passa la nuit tout entire, en veillant, son habitude, dans les prires et les hymnes, de manire transformer en maison de prire celle qui inspirait de l'horreur par le sang rpandu sur l'autel et les statues. Quand il eut pass la nuit de cette manire, il allait reprendre son voyage.

    Menaces du desservant du temple 29. Or, comme le desservant du sanctuaire, l'aube, clbrait le culte habituel des dmons, on dit que les dmons lui apparurent et lui dirent que le sanctuaire leur tait inaccessible cause de celui qui y avait demeur. Lui, au moyen de purifications et de sacrifices, s'efforait de faire rentrer les dmons dans le temple. Mais comme, malgr toutes ses tentatives, ses efforts taient inefficaces, car les dmons n'obissaient pas du tout, comme d'habitude, son invocation, pris de fureur et de colre, le desservant saisit ce Grand et lui adressait les menaces les plus terribles - de le dnoncer aux autorits, d'user de violence son endroit et de dnoncer l'empereur ce qu'il avait eu l'audace de faire. Chrtien, ennemi des dieux, il avait os pntrer l'intrieur du sanctuaire ; son entre avait fait se dtourner la puissance qui agissait dans les lieux sacrs, et la force divinatrice des dmons ne rsidait plus, comme d'habitude, en ces lieux.

    Grgoire montre sa puissance 30. Mais celui-ci, rejetant la colre inconsidre et stupide du desservant au moyen d'une pense suprieure et opposant toutes les menaces l'assistance du Dieu vritable, dit qu'il tait ce point convaincu de la puissance de celui qui combattait pour lui qu'il avait le pouvoir de les chasser comme il le voulait et de les faire entrer o il voudrait, et il promit de donner aussitt les preuves de ce qu'il disait. /p.22/ Le desservant, merveill et frapp de stupeur par la grandeur de son pouvoir, lui demanda de montrer en cela mme sa puissance et de faire revenir les dmons dans le sanctuaire. En entendant cela, le Grand dchira un petit fragment dun livre et le donna au desservant, aprs avoir crit une parole imprative contre les dmons. Le texte de ce qui tait crit l-dessus tait : Grgoire Satan, entre . Le desservant prit le petit crit et le plaa sur l'autel ; ensuite, ayant offert les graisses habituelles et les offrandes impures, il vit nouveau ce qu'il voyait prcdemment, avant que les dmons n'aient t chasss du temple. Quand cela se fut produit, il se fit la rflexion que Grgoire possdait une puissance divine grce laquelle il s'tait montr plus fort que les dmons.

    Le desservant du temple demande un nouveau miracle

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    31. Il le rejoignit en hte avant qu'il ne parvienne la ville et demanda d'apprendre de lui le mystre et quel tait ce dieu auquel tait soumise la nature des dmons. Lorsque le Grand lui eut expliqu le mystre de la pit, le desservant prouva un sentiment bien naturel de la part d'un non-initi aux choses divines, et il jugea qu'il tait indigne de la conception de Dieu de croire que le divin soit apparu aux hommes dans la chair. Comme celui-ci disait que la foi en ce mystre ne s'appuyait pas sur des paroles, mais qu'elle tirait sa crdibilit du caractre extraordinaire des faits, le desservant lui demanda de voir un miracle, pour tre conduit par ce fait l'acceptation de la foi.

    Grgoire l'accomplit 32. Alors, dit-on, ce Grand fit le plus incroyable des miracles. Comme le desservant souhaitait qu'une pierre de grande taille qui se trouvait sous leurs yeux /p.23/, une pierre qui ne pouvait tre mue de main d'homme, soit transporte dans un autre endroit par la puissance de la foi sur l'ordre de Grgoire, sans hsiter, ce Grand ordonna aussitt la pierre, comme un tre anim, de se dplacer vers le lieu qu'avait montr le desservant. Quand cela se fut produit, l'homme aussitt crut la parole, et abandonnant tout, famille, maison, pouse, enfants, amis, sacerdoce, foyer, richesses, il prfra tous ses biens la compagnie du Grand et la participation ses fatigues, ainsi qu' cette philosophie et cet enseignement divins.

    Grandeur du miracle 33. Que fasse silence, sur ce sujet, toute habilet artificieuse des discoureurs, qui par quelque rhtorique cherche lever encore plus haut les grandeurs des miracles. Ce miracle, si on le rapporte, n'est pas tel qu'il puisse tre rendu plus petit ou plus grand par le pouvoir de celui qui parle. Que pourrait en effet ajouter ce miracle, dans ce quil en dit, celui qui en parle ? Et comment quelqu'un pourrait-il diminuer, chez ses auditeurs, l'admiration devant ce qui est arriv ? Une pierre carte des pierres ceux qui taient les esclaves des pierres, une pierre devient le hraut de la vraie foi et le guide du salut pour les infidles, en proclamant la puissance divine, non par un son ou une parole, mais en manifestant par ce qu'elle faisait le Dieu annonc par Grgoire, Lui qui toute la cration, galement soumise, obit : non seulement tout ce qui est sensible, qui respire et qui est anim, mais mme ce qui ne fait pas partie de ces choses, et qui reoit le commandement du serviteur comme si ce n'tait pas priv de sensation. Comment /p.24/ la pierre a-t-elle entendu ? Quelle fut sa perception du pouvoir de celui qui donnait l'ordre ? Quelle facult de se dplacer possdait-elle ? Quelle tait la disposition de ses membres et de ses articulations ? Tout cela et les autres choses semblables, c'est le pouvoir de celui qui donnait l'ordre qui en tient lieu pour la pierre. En voyant ce pouvoir, ce desservant a aussitt ralis et pris en dgot la ruse des dmons, destine tromper la nature

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    humaine, et il est pass dans les rangs du vrai Dieu, ayant compris le caractre inexprimable de la puissance du matre grce ce qu'avait accompli son serviteur. Si la puissance du serviteur est si grande que, par une parole, elle fasse se mouvoir ce qui ne peut se mouvoir, qu'elle se serve d'un ordre pour s'adresser des tres insensibles et donne des commandements des tres inanims, quelle surabondance de puissance ne doit-on pas concevoir dans le matre de tout, dont la volont devint la matire, la forme, la puissance du monde lui-mme et de tous les tres qui sont en lui et au-dessus de lui ?

    2. Lassurance : l'entre de Grgoire Nocsare 34. L-dessus, ce Grand, qui avait commenc de montrer sa supriorit sur les dmons et emmenait avec lui le desservant, comme un trophe dress contre ceux qui avaient t vaincus, aprs avoir frapp le peuple d'tonnement par le renom (de ses hauts faits), fit alors son entre dans la ville avec assurance et audace. Il n'avait pour se donner de l'clat ni chars, ni chevaux, ni mules, ni une suite d'accompagnateurs, mais il tait entour de tous cts par les vertus. Les habitants de la cit taient accourus en masse, comme la recherche d'un spectacle nouveau, et tous dsiraient voir quel tait ce Grgoire, lui qui, tout homme qu'il ft, avait le pouvoir, comme un roi, sur ceux qu'ils considraient comme des dieux, faisant par un ordre aller et venir les dmons son gr, l o /p. 25/ il le voulait, comme des esclaves; lui qui emmenait, comme s'il l'avait rduit en son pouvoir, le serviteur de ces dmons, lequel mprisait la fonction qui tait la sienne auparavant et avait chang tous ses biens contre la vie en sa compagnie.

    3. Autre manifestation de sa vertu 35. Tous l'attendaient devant la cit dans ces dispositions. Quand il arriva chez eux, alors que tous avaient les yeux fixs sur lui, passant devant ces gens comme devant une matire sans vie, sans se tourner vers aucun de ceux qui venaient sa rencontre, mais se dirigeant droit vers la ville, il les frappa davantage encore d'tonnement, car il apparaissait ceux qui le voyaient suprieur sa renomme. Qu'en entrant pour la premire fois dans une grande ville, sans jamais en avoir eu l'habitude auparavant, il n'ait pas t frapp d'tonnement parce qu'un peuple aussi considrable s'tait rassembl pour lui, mais que, s'avanant comme travers un dsert, il n'ait dirig son regard que vers lui-mme et son chemin, sans se tourner vers aucun de ceux qui taient rassembls, cela paraissait ces gens une action merveilleuse qui surpassait celle accomplie avec le rocher. De ce fait, alors qu'avant sa promotion ceux qui avaient reu la foi taient en petit nombre, comme on l'a dit prcdemment, c'est comme si toute la cit honorait son sacerdoce qu'il fit son entre, press de toutes parts par ceux qui l'escortaient.

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    4. Son dtachement des proccupations matrielles 36. Quand il s'tait attach la philosophie, il s'tait aussitt libr de tout, comme d'un fardeau, et rien ne lui tait rest de ce qui est ncessaire la vie, ni champ, ni lieu, ni maison, mais c'est lui qui tait tout pour lui-mme, ou plutt la vertu et la foi taient sa patrie, son foyer et sa richesse. Lors donc qu'il se trouva l'intrieur de la ville, il n'avait nulle part de maison pour se reposer, ni appartenant l'glise, ni en bien propre. Comme ceux qui l'entouraient en taient troubls /p.26/ et qu'ils se demandaient comment il serait accueilli et chez qui il trouverait un abri, le matre leur dit : Pourquoi vous demander, comme si vous tiez en dehors de l'abri de Dieu, o nous allons faire se reposer nos corps ? Dieu vous semble-t-il une petite demeure, s'il est vrai qu' en lui nous vivons, nous nous mouvons, nous avons l'tre (Ac 17, 28) ? tes-vous l'troit dans l'abri cleste ? Cherchez-vous un autre logement que celui-l ? Qu'une seule demeure vous proccupe, celle qui est propre chacun, celle qui est difie par les vertus et qui s'lve dans les hauteurs; ne soyez chagrins que parce que cette habitation n'est pas prte pour vous. tre entour de murs terrestres n'est d'aucun avantage pour ceux qui vivent dans la vertu, ou plutt c'est avec raison que l'usage de murs est une proccupation pour ceux qui sont souills par le vice, car la maison est souvent pour eux un voile qui cache leurs secrets honteux; l'inverse, pour ceux dont la vie est dirige selon la vertu, les murs n'auront rien cacher .

    Il est reu par un des notables 37. Comme il disait cela ses compagnons, un homme qui faisait partie des notables, que l'on comptait parmi les premiers par la race, la richesse et le pouvoir, du nom de Mousonios, quand il vit que beaucoup taient anims du mme dsir - celui de recevoir cet homme dans leurs propres demeures -, devana les autres et s'empare de cette grce pour lui-mme. Il prie le Grand d'tre son hte et d'honorer sa maison par sa venue : ainsi serait-il plus vnrable et digne d'tre lou par la postrit, lorsque le temps ferait passer ses successeurs le souvenir d'un tel honneur. Comme beaucoup d'autres accouraient pour le supplier ce sujet, jugeant qu'il tait juste de donner cette faveur celui qui avait devanc les autres, il se rend chez celui qui l'avait invit le premier, non sans avoir salu les autres et leur avoir rendu honneur par des paroles bienveillantes.

    5. L'efficacit de Grgoire pasteur : prdication et miracles 38. Puisque le tableau de ce qui le concerne est seulement descriptif et sans apprt, car notre discours omet volontairement les /p.27/ amplifications des faits produites par quelque artifice, il peut tre une preuve non ngligeable, pour ceux qui jugent droitement des choses, que les miracles de celui dont on parle ne sont nullement grossis par l'imagination, mais que le souvenir des faits qui le

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    concernent suffit pour la louange la plus parfaite, comme la beaut naturelle qui fleurit sur un visage sans l'appoint superflu de l'art du maquillage. Alors que ceux qui avaient entendu la parole taient en petit nombre, avant la fin du jour et le coucher du soleil, ils adhrrent si nombreux ds la premire rencontre que la foule de ceux qui avaient cru tait suffisante pour constituer un peuple. l'aube, de nouveau le peuple est aux portes : hommes, femmes, enfants, les vieillards, ceux qui souffrent d'une infirmit du corps cause des dmons ou par suite de quelque autre attaque, et lui est au milieu d'eux, se partageant avec bienveillance, par la puissance de lEsprit, selon le besoin de ceux qui taient rassembls, prchant, examinant avec eux leurs problmes, reprenant, enseignant, gurissant. Par cette prdication surtout il en attirait le plus grand nombre, car ce qu'ils voyaient correspondait ce qu'ils entendaient, et travers les deux choses resplendissaient chez lui les signes de la puissance divine. Le discours frappait l'oreille, les miracles raliss sur les malades frappaient la vue.

    Un enseignement adapt chacun 39. Celui qui pleurait tait consol, le jeune homme tait rendu sage, le vieillard tait soign par les paroles qui convenaient, les esclaves apprenaient tre fidles leurs matres, les puissants faire preuve de bont envers ceux qui leur taient soumis; les pauvres apprenaient que la vertu est l'unique richesse, dont l'acquisition est au pouvoir de tous, et pareillement celui qui tait fier de sa richesse tait exhort tre l'administrateur et non le matre de ses biens. En dispensant aux femmes ce qui tait avantageux pour elles, aux enfants ce qui s'accordait ( leur ge), aux pres ce qui leur convenait, devenu tout tous, il s'attacha aussitt un peuple si nombreux /p. 28/, avec l'aide de l'Esprit, qu'il se mit la construction d'un temple, tous collaborant cette entreprise par leurs richesses et leurs bras.

    Construction d'une glise 40. C'est le temple qu'on montre encore de nos jours : ce Grand, l'ayant aussitt tabli comme fondement et base de son sacerdoce, a agi sous une inspiration divine et accompli cette uvre avec une assistance meilleure encore, comme en tmoigne ce qui arriva par la suite. Quand un tremblement de terre trs violent eut lieu, notre poque, dans cette ville, alors que tous les btiments publics, ou peu s'en faut, taient dtruits de fond en comble et que toutes les demeures prives taient renverses, seul ce temple demeura debout et intact. Ainsi, mme en cela, apparut clairement avec quelle puissance ce Grand s'tait occup de ses affaires.

    Grgoire juge 41. Ces faits pourtant ont t accomplis par la puissance divine longtemps aprs, en tmoignage de la foi du Grand. Mais ce moment-l, dans la ville et

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    ses environs, tous taient frapps de stupeur par les miracles de l'aptre, et ils croyaient que tout ce qui tait dit ou fait par lui l'tait par la puissance divine. Aussi estimaient-ils qu'il n'existait pour eux aucun tribunal qui ait plus d'autorit, mme pour les controverses d'ordre temporel, mais que tout procs et toute intrigue difficile dmler pouvaient tre rsolus grce ses conseils. C'est pourquoi le bon ordre et la paix rgnaient, et pour la communaut, et pour les individus, grce sa bienveillance, et grand tait le progrs du bien, en priv et en public, car aucun mal ne portait atteinte la concorde mutuelle. Il n'est pas hors de propos de faire mmoire d'un de ses jugements, pour que, selon le proverbe, le tissu tout entier nous devienne manifeste partir de la frange.

    Comparaison avec le jugement de Salomon 42. L'criture divine, alors que Salomon a rendu beaucoup de jugements pour ses sujets, s'est contente de nous montrer la sagesse de cet homme partir d'un seul. Lorsqu'il jugeait les deux mres, /p. 29/ comme les torts taient difficiles tablir de manire gale, car chacune n'acceptait pas l'enfant mort et s'attachait au survivant, il sut par une ruse dpister la vrit cache. Puisque la faute tait sans tmoin et que le soupon de mensonge et de vrit tait gal pour chacune, il s'appuya sur la nature pour tmoigner de la vrit, ayant cach son intention sous des menaces feintes. Ayant donc ordonn de partager par l'pe, de manire gale, le survivant et le mort, et d'attribuer toutes deux la moiti des enfants, il laissa la nature le discernement de la vrit. Comme l'une acceptait volontiers ce qu'il avait ordonn et pressait le bourreau d'agir, mais que l'autre, mue dans ses entrailles maternelles, acceptait sa dfaite et suppliait d'pargner l'enfant - car elle tenait pour une grce que l'enfant soit sauv, quelle qu'en ft la manire -, le roi, se servant de cela comme du critre de la vrit, rend la sentence en faveur de celle qui acceptait volontairement sa dfaite, estimant que la nature rvlait que celle qui ne faisait aucun cas du meurtre de l'enfant n'tait pas la mre de celui dont elle souhaitait qu'on hte la mort. Quel est donc le jugement du grand Grgoire que nous raconterons nous aussi ?

    Un exemple de son jugement : La querelle de deux frres. Insuccs des exhortations de Grgoire. 43. Deux frres, jeunes par l'ge, qui s'taient partags peu auparavant l'hritage paternel, se disputaient la possession d'un lac, se querellant pour l'avoir chacun en entier et n'acceptant pas de le partager avec l'autre. Le matre est donc charg du jugement. S'tant rendu sur les lieux, il avait tent de se servir de ses propres lois pour l'arbitrage et avait pouss les jeunes gens se rconcilier, /p. 30/ les exhortant s'entendre par amiti et prfrer l'avantage de la paix ceux qu'ils tireraient des revenus de ce bien. (Il leur disait) que celle-l dure pour toujours pour les vivants et pour les morts, mais que de ceux-ci la jouissance est phmre, alors que la condamnation pour injustice est ternelle,

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    et tout ce qu'il convenait de dire pour calmer la fougue dsordonne de la jeunesse. Mais l'exhortation restait sans effet et cette jeunesse s'excitait et s'chauffait davantage les esprits, s'exaltant dans l'esprance du gain; on rassemblait de part et d'autres une arme d'esclaves; une multitude prte au meurtre, guide par la colre et la jeunesse, se prparait, et le moment de l'affrontement tait fix - la bataille, pour les deux camps, devait clater le lendemain.

    Le miracle : le lac assch 44. L'homme de Dieu, qui tait rest prs du lac et avait veill toute la nuit, fit voir un miracle semblable celui que Mose fit sur l'eau, non en sparant ses profondeurs en deux parties d'un coup de bton, mais en le changeant soudain tout entier en terre ferme ; il fit voir l'aube le lac assch et tari, au point de n'avoir plus une trace d'eau dans aucun de ses creux, alors qu'avant la prire il tait comme une mer. Pour lui, ayant jug cette cause par la puissance divine, il se retirait chez lui, mais pour les jeunes gens, la sentence exprime par les faits mit fin la dispute : puisque n'existait plus ce pour quoi ils prparaient la guerre l'un contre l'autre, la paix succda la fureur et la nature se reconnut nouveau entre les frres. Aujourd'hui encore, il est possible de voir les signes manifestes de cette sentence divine : tout autour de ce qui autrefois tait le lac, il subsiste des traces de la prsence de l'eau; mais tout ce qui tait alors dans les profondeurs a t entirement transform en bois, lieux de rsidence, prairies et champs cultivs.

    Amplification : Grgoire suprieur Salomon 45. propos de ce jugement, je pense que mme ce fameux Salo/p. 31/mon ne pourrait lui contester la premire place. Qu'est-ce qui tmoigne d'une plus grande vertu : sauver un nourrisson encore au sein maternel, qui il est tout fait indiffrent, pour tre sauv, que ce soit celle qui l'avait mis au monde ou une autre qui prenne soin de sa nourriture, ou obtenir le salut de deux jeunes gens qui, au moment o ils abordaient les ralits de la vie, dans la vigueur de la jeunesse, dans la fleur mme de l'ge, alors que la colre les poussait se tuer l'un l'autre, risquaient de montrer bientt leurs contemporains un spectacle affligeant ? Ils avaient arms leurs bras l'un contre l'autre, et l'on pouvait en attendre soit que tous deux se tuent l'un l'autre, soit que l'un du moins ne se souille du meurtre de son frre. Et je ne parle pas de ceux qui, par chacun des deux, avaient t enrls dans la mme colre, pour qui un seul but tait assign la lutte, la mort de leurs adversaires.

    ... suprieur tous les thaumaturges 46. Celui donc qui a annul par la prire la sentence de mort dj dcide contre eux par le complot du Malin, qui a rconcili la nature avec elle-mme et

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    transform en disposition pacifique le dsir de meurtre, combien plus d'admiration ne mrite-t-il pas pour son jugement que celui qui a dcouvert la fraude de la courtisane ? Car le miracle produit sur l'eau - comment ce qui tait navigable a t transform subitement en terre ferme, le lac tant devenu un champ vallonn, comment cet endroit qui auparavant tait comme une mer est maintenant mis dcouvert pour la production de fruits -, je pense qu'il vaut mieux le passer sous silence plutt que de le raconter dans un discours qui ne peut s'lever comme il convient la hauteur du miracle. Avons-nous appris quelque chose, dans les miracles qui ont t consigns par crit, qui puisse l'galer ou lui tre compar ? Jsus, fils de Nav, a arrt les flots du Jourdain, mais seulement pendant que /p. 32/l'arche tait dans l'eau; quand le peuple fut pass et que l'arche eut travers, il rendit aux flots leur aspect habituel. Le fond de la mer fut dbarrass de son eau, dans la mer Rouge, lorsque l'tendue liquide fut repousse sur les cts par le vent, mais ce miracle dura pendant la traverse de l'arme, qui se fit pied sec dans le fond de la mer, et aprs cela, la surface de la mer redevint unie, ce qui avait t un temps divis fut submerg. Ici, en revanche, ce qui stait produit une fois resta comme cela stait produit, pour qu'il ne soit pas possible avec le temps de ne pas croire au miracle, dont porte constamment tmoignage ce qu'on peut voir. Il en est donc ainsi concernant ce qui se dit et que l'on montre propos du lac, mais on montre et on rapporte aussi un autre miracle semblable qui lui est d.

    Autre manifestation de la puissance de Grgoire : le fleuve dompt Les dangers provoqus par le Lycos 47. Dans leur rgion coule un fleuve dont le nom seul indique le caractre violent et indompt de ses flots : on l'appelle en effet le Lykos (loup), parce qu'il cause des dommages ceux qui habitent prs de lui. Il descend d'Armnie, important ds sa source, parce que les montagnes situes au-dessus en nourrissent abondamment les flots, et parce qu'il est encaiss, il ravine le bas des prcipices et devient d'autant plus violent lorsqu'il s'coule l'hiver, car il reoit en lui toutes les eaux qui s'coulent des montagnes. Mais dans la rgion de plaine situe en aval qu'il traverse, comme il est souvent l'troit entre ses rives, il passait par-dessus la berge en quelque endroit et inondait de ses flots tout le sol sur ses cts. De la sorte, il suscitait l'improviste de frquents dangers pour ceux qui habitaient cet endroit, car souvent le fleuve envahissait les champs une heure indue de la nuit comme de jour. /p. 33/ Aussi non seulement les plantes, les semences et animaux taient dtruits par l'assaut des eaux, mais le danger atteignait aussi les habitants eux-mmes, qui faisaient naufrage dans leurs maisons de par le dbordement imprvu des eaux.

    Le recours des habitants Grgoire

  • Grgoire de Nysse, Eloge de Grgoire le Thaumaturge 21

    48. Or comme le rcit des miracles accomplis prcdemment par le Grand s'tait rpandu dans toute la nation, ceux qui habitaient cette rgion prs du fleuve se mirent en route, eux, leurs femmes, leurs enfants, tous en masse se font les suppliants du Grand, le priant de mettre fin leur situation dsespre : Dieu pouvait accomplir par lui tout ce qui tait impossible des entreprises humaines. Rien en effet de ce qui relve d'une initiative ou d'un pouvoir humain n'avait t nglig par eux : ils avaient tout fait, avec des pierres, des barrages et tout ce qu'on a coutume d'inventer contre de tels maux, mais ils n'avaient pu faire obstacle ce flau. Et pour qu'il soit davantage port les prendre en piti, ils lui demandaient d'tre tmoin oculaire de leur malheur et de constater qu'ils ne pouvaient dplacer leurs habitations, que partout la mort tait sur eux cause de la violence des eaux.

    Grgoire se rend auprs du fleuve 49. Il se rendit donc sur les lieux - aucune nonchalance ne faisait obstacle son zle pour le bien - sans avoir besoin d'un char, de chevaux ni de quelque autre moyen de transport, mais c'est en s'appuyant sur un bton qu'il fit avec eux tout le trajet. En mme temps, il philosophait avec ses compagnons de route sur une plus haute esprance : en sentretenant toujours avec eux de ce point principal, il traitait le reste comme un accessoire de la proccupation plus importante. Lorsque ceux qui le conduisaient lui eurent montr l'endroit o le flot sortait de son lit et que cela mme qu'il voyait lui fit comprendre le malheur, car l'endroit avait t profondment ravin par la rue des eaux, il dit ceux qui taient rassembls : Il n'est pas /p.34/ au pouvoir des hommes, frres, de mettre une limite au mouvement des eaux; c'est l'uvre de la seule puissance divine d'enfermer dans des limites la violence des eaux. C'est ainsi en effet que le prophte s'adresse Dieu : Tu as fix une limite qu'il ne franchira pas (Ps 103, 9). C'est au seul matre de la cration qu'est soumise la nature des lments, qui reste toujours dans les lieux o elle a t place. Puis donc que c'est Dieu qui fixe leur limite aux eaux, c'est lui seul qui pourra par sa puissance mettre un frein la dmesure de ce fleuve .

    Il plante son bton prs du fleuve 50. Il dit et, comme rempli d'une inspiration plus divine, aprs avoir pri le Christ, d'une voix forte, de venir l'assister dans cette affaire, il fixe en terre le bton qu'il tenait en main l'endroit dvast de la berge. La terre, cet endroit-l, tant dtrempe et spongieuse, cda profondment sous la pousse du bton et de la main de celui qui l'enfonait. Ensuite, ayant demand Dieu que ce soit comme un barrage et un obstacle la dmesure des eaux, il revint chez lui, montrant par cette action que tout ce qu'il faisait tait l'uvre de la puissance divine. Car peu de temps aprs, le bton, ayant pris racine sur la berge, devint un arbre : cette plante fut fixe comme une limite au lit du fleuve, et jusqu' ce jour,

  • Grgoire de Nysse, Eloge de Grgoire le Thaumaturge 22

    elle est pour les habitants un spectacle et un sujet de rcit. Lorsque, par suite des pluies et des hivers, ce fameux Lycos dborde son habitude et, dans sa fureur, se dchane, heurtant ses flots avec fracas de manire effrayante, peine le sommet de l'eau effleure-t-il la racine de l'arbre que, se gonflant nouveau, le flot se replie vers le milieu, et comme s'il avait peur de s'approcher de l'arbre, il passe le long de l'endroit en grosses vagues.

    Conclusion sur ces deux miracles 51. Telle fut la puissance du grand Grgoire, ou plutt de Dieu qui oprait par lui des miracles. Comme si elle tait soumise, /p. 35/ la nature des lments se montrait, ce qu'il semble, transforme par ses ordres, de sorte qu'un lac se transformait en terre bl et que le lit des torrents devenait un lieu d'habitation, le bton garantissant la scurit ses habitants. Le nom de l'arbre, jusqu' ce jour, est rest le bton , conserv pendant tout ce temps par les habitants comme un souvenir de la grce et de la puissance de Grgoire.

    Comparaison avec Elie et amplification 52. Quel miracle des prophtes veux-tu comparer ceux-l ? Parlerai-je de la sparation du Jourdain provoque par lie, avant son ascension, d'un coup de son manteau, et aprs lui Elise, l'hritier et de son manteau, et de son esprit ? Mais dans ces cas-l, c'est pour les seuls prophtes que le Jourdain, quand c'tait ncessaire, devint franchissable, les eaux s'tant spares et retenant le courant en elles-mmes autant de temps qu'il le fallait pour que les pieds des prophtes puissent traverser le fond dessch; mais ensuite, et pour les autres hommes, il fut tel qu'il tait auparavant. Le Lycos, en revanche, une fois cart de son cours dsordonn, tablit pour toujours le miracle de Grgoire, en demeurant tout le temps qui suit tel que la foi du Grand l'a fait au moment du miracle. Et le but de ce qui arriva n'tait pas de surprendre les spectateurs, mais de sauver ceux qui habitaient prs du fleuve. C'est pourquoi, bien que le miracle soit identique - la nature de l'eau, de la mme manire, cde la place, et pour les prophtes, et pour l'imitateur des prophtes -, s'il faut parler avec audace, ce qui est arriv par celui-ci l'emporte par le caractre philanthrope; grce cela, le salut des habitants /p. 36/ est assur, le flot tant entrav une fois pour toutes et demeurant sans changement l'avenir.

    IV. Vie selon les vertus communautaires

    1. Le discernement : l'lection de Comane Ambassade des habitants de Comane 53. Comme de tels miracles, en se rpandant partout dans la rgion, taient considrs comme l'uvre de la puissance de la foi au Christ, tous dsiraient participer de cette foi dont tmoignaient de tels miracles, et en tout

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    lieu la prdication progressait, le mystre tait agissant et le zle pour le bien s'tendait, car le sacerdoce tait institu chez tous, pour que, par tous les moyens, la foi s'tende et s'accroisse. Aussi une ambassade venant d'une ville voisine se rend auprs de lui pour qu'il vienne chez eux et y constitue une glise grce au sacerdoce; Comane est le nom de cette ville, o tous ensemble demandaient que le Grand ft leur hte.

    Les qualits attendre d'un candidat l'piscopat 54. S'tant donc rendu chez eux, il y passa quelques jours et enflamma davantage encore, par ce qu'il disait et ce qu'il faisait, leur dsir pour le mystre. Lorsqu'il fut temps de mettre un terme ce qui avait motiv leur ambassade et de dsigner quelqu'un comme grand prtre de leur glise, les avis de tous les magistrats se portaient vers ceux qui semblaient l'emporter par l'loquence, la noblesse et les autres qualits en vue; ils estimaient, puisque ces qualits se trouvaient aussi chez le Grand Grgoire, qu'aucune d'elles ne devait manquer qui obtiendrait cette grce. Mais comme ils taient fort diviss dans leurs suffrages, les uns prfrant un tel, les autres tel autre, le Grand attendait quun conseil lui vienne de Dieu sur cette question. Et de mme quon rapporte que Samuel, dans le choix d'un roi, ne se laissa pas influencer par la beaut du corps /p. 37/ et sa prestance, mais chercha dcouvrir une me royale mme dans un corps dont on ne faisait point cas, de la mme faon celui-ci aussi, sans prendre en considration ce dont on se proccupait pour chacun des candidats, ne considrait qu'une seule chose - si quelqu'un, mme avant sa proclamation, portait le sacerdoce dans sa manire d'tre, par son mode de vie et sa vertu.

    Divergences entre Grgoire et les lecteurs 55. Comme ils lui prsentaient leurs candidats, chacun proposant le sien avec des louanges, lui les exhortait prendre aussi en considration ceux qui taient d'une situation plus modeste, car il tait possible, mme parmi de telles gens, de trouver quelqu'un qui, par la richesse de son me, serait suprieur ceux que leur condition mettait davantage en vue. Un de ceux qui prsidaient l'lection jugea insultant et impertinent un pareil jugement du Grand - que certains parmi les artisans puissent tre jugs plus dignes d'une telle grce alors qu'aucun de ceux qui avaient t prfrs aux autres pour son loquence, sa dignit et le tmoignage manifeste de sa vie ne soit admis au sacerdoce. S'approchant de lui, il dit avec ironie : Si tu ordonnes cela, que soient ddaigns de telles gens, qui ont t choisis par toute la ville, et que soit choisi pour prsider au sacerdoce quelqu'un de la lie du peuple, c'est le moment pour toi d'appeler au sacerdoce le charbonnier Alexandre; en transfrant sur lui (nos voix), s'il te semble bon, accordons-nous les uns les autres dans nos votes, tous les citoyens de la ville . Cet homme parlait ainsi pour rejeter son avis, en critiquant par l'ironie de ce vote l'absence de jugement dont on faisait preuve

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    envers les prcdents. Mais ces paroles, il vient l'ide du saint que ce n'tait pas sans une inspiration divine qu'Alexandre ait t mentionn par les votants. Quel est, dit-il, /p. 38/cet Alexandre dont vous avez fait mention ? .

    Prsentation d'Alexandre : son extrieur 56. Alors un des prsents fit introduire, sous les rires, celui dont on avait fait mention, vtu d'habits crasseux, et pas mme sur tout le corps, dont les mains, le visage et tout le corps, tout noirs de la fume du charbon, montraient clairement le mtier. Pour les autres, cet Alexandre, debout au milieu d'eux, tait un objet de rise; mais lil perspicace de celui-ci, ce qu'il voyait apportait une grande surprise : un homme vivant dans une extrme pauvret et insoucieux de son corps qui regardait en lui-mme et semblait s'enorgueillir de cette apparence, qui tait risible des yeux non avertis. Il en tait ainsi en effet : ce n'est pas parce qu'il tait forc par la pauvret qu'il avait adopt un tel mode de vie, mais l'homme tait un philosophe, [comme le montra sa vie par la suite].

    Ses qualits intrieures 57. Il s'appliquait demeurer cach,] suprieur qu'il tait l'heureux sort tel que le recherchent la plupart, tenant la vie pour rien et ayant le dsir de la vie plus haute, la vie vritable. Pour atteindre au mieux le but de la vertu, il avait imagin de rester cach en adoptant la plus vile des occupations, se dissimulant comme sous un masque hideux. Autrement dit : alors qu'il tait dans la fleur de sa jeunesse, il jugea dangereux, pour le but (qu'il se fixait) de la chastet, de laisser paratre la beaut de son corps, comme s'il tirait gloire des heureux dons de la nature. Il savait en effet qu'une telle situation avait t /p. 39/pour beaucoup une occasion de grave chute. Afin donc de ne rien subir de ce qu'il ne voulait pas et de ne pas tre pour des yeux trangers un objet de passion, il s'applique volontairement, comme un masque hideux, la fabrication du charbon; grce elle, il exerait son corps la vertu par des travaux fatigants et il dissimulait sa beaut sous la salet des charbons; en mme temps, il se servait de ce qu'il retirait de ses travaux pour observer les commandements.

    Transformation d'Alexandre 58. Aussi, quand, l'ayant fait sortir de l'assemble, il eut appris avec prcision tout ce qui le concernait, il le confie son entourage en lui prescrivant ce qu'il fallait faire. Lui-mme, regagnant l'assemble, instruisait partir de la situation prsente ceux qui taient runis, leur tenant des discours sur le sacerdoce et leur exposant par ce moyen la vie selon la vertu. Il fit durer de tels discours et retient l'assemble jusqu' ce que ses serviteurs, ayant accompli ce qu'il leur avait prescrit, revinssent; ils avaient avec eux Alexandre, qu'ils avaient nettoy par un bain de la salet de la suie et revtu des habits du Grand - c'est en effet cela qu'il leur avait ordonn de faire. Comme tous s'taient tourns vers

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    Alexandre et restaient stupfaits devant ce spectacle, le matre leur dit : Il ne vous est arriv rien d'tonnant lorsque vous avez t tromps par le jugement de vos yeux et avez confi le jugement du bien la seule sensation. La sensation, qui par elle-mme empche d'avoir accs la profondeur de la pense, est un critre peu sr pour juger de la vrit des tres. En mme temps, il tait agrable l'ennemi de la pit, le dmon, de laisser inemploy le vase de choix(Ac 9, 15), cach par l'ignorance, /p. 40/ et de ne pas mettre en avant celui qui devait dtruire sa propre autorit .

    Alexandre vque 59. En disant cela, il consacre cet homme Dieu par le sacerdoce, layant rendu parfait par la grce de la manire requise par la loi. Comme tous avaient les yeux fixs sur le nouveau prtre, Alexandre, sollicit de faire un discours l'assemble, montra aussitt, dans les dbuts de son gouvernement, que le jugement port sur lui par Grgoire n'avait pas t une erreur, car son discours fut plein d'intelligence, bien que moins orn des fleurs de la rhtorique. Aussi un jeune insolent, originaire d'Attique tabli chez eux, se moqua du manque d'lgance du discours, parce qu'il n'tait pas embelli par les raffinements attiques. On dit qu'il s'en corrigea la suite d'une vision divine, ayant vu une troupe de colombes qui resplendissaient d'une beaut extraordinaire et il avait entendu quelqu'un dire que c'taient les colombes d'Alexandre, dont il s'tait moqu.

    Louange de la vertu de Grgoire 60. Laquelle des deux choses faut-il le plus admirer ? Que l'homme n'ait pas t impressionn par le vote des dignitaires et qu'il ne se soit pas laiss influencer par le tmoignage de gens importants, ou plutt la richesse qui se cachait sous les charbons, dont le tmoignage de Dieu confirma aussitt le jugement droit par la vision du rhteur ? Il me semble que ces deux choses sont telles par elles-mmes qu'elles rivalisent l'une l'autre, et il s'en faut de peu qu'elles ne l'emportent sur toutes celles qui ont t mentionnes comme des miracles. S'opposer au dsir des gens importants fut le signe le plus vident d'une pense ferme et suprieure : par elle, il voyait toutes les apparences selon le monde de manire gale, qu'elles soient les plus leves et les plus remarquables ou qu'elles soient humbles et sans clat. En donnant la prfrence la seule vertu et en estimant qu'il n'y avait rien de mprisable sinon la vie dans le vice, il tenait pour rien tout ce qui /p. 41/ est jug digne d'tre recherch ou mpris selon cette vie. Cela certes, il est dmontr quil le fit alors, car en cherchant trouver ce qui est agrable Dieu, il n'a pas considr comme capables de rendre tmoignage la richesse, la dignit et l'clat selon ce monde, toutes choses dont aucune n'a t compte par la parole divine au nombre des biens.

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    ... qui s'est dpass lui-mme 61. Aussi n'est-il pas seulement digne de louange et d'admiration qu'il n'ait pas accept les manuvres des dirigeants, mais qu'il se soit dpass lui-mme par l'action accomplie. Celui qui refuse un vote inacceptable sans proposer une autre solution a empch un mal, mais il n'a pas fait ce qui est bien. Mais celui qui, pour ne pas consentir au pire, a trouv la bonne action, a parfaitement accompli le bien : il n'a pas permis l'accs au mal et a amen le bien tre actif. Ainsi c'est de ces deux manires que le Grand a t un bienfaiteur pour la ville, en cartant d'eux les fautes qu'ils commettaient par ignorance et en manifestant par lui-mme le bien qui se trouvait cach chez eux.

    2. L'infaillibilit : l'pisode des deux Juifs

    Une manuvre pour tromper Grgoire 62. Comme tout ce qui arrivait au Grand se ralisait selon son dsir par l'assistance de l'Esprit Saint, il ne sera peut-tre pas hors de propos de raconter aussi ce qui arriva lors de son retour, pour que soit montre au grand jour la grce qui accompagnait cet homme en toutes choses. Il tait connu de tous que cet homme avait cur avant tout de considrer avec bienveillance quiconque avait besoin de consolation ; aussi deux Hbreux, soit qu'ils aient eu un gain en vue, soit qu'ils aient projet d'attirer une raillerie sur cet homme - de se laisser facilement tromper -, /p. 42/ surveillent son retour. L'un des deux, feignant d'tre mort, tait tendu sur le ct de la route, couch sur le dos; l'autre, se lamentant sur celui qui tait tendu, contrefaisait les cris des gens en deuil. son passage, il suppliait le Grand avec des cris en lui disant : Ce malheureux qui vient d'tre saisi par la mort est couch nu et n'a pas ce qu'il faut pour sa spulture . Il priait donc le Grand de ne pas ngliger la pit envers lui, mais de prendre piti de sa misre et de lui donner de ce qu'il possdait pour que les derniers devoirs soient rendus son corps. Il le suppliait en disant cela et d'autres paroles semblables; lui, sans tarder, ayant jet sur le gisant le manteau double qu'il portait, de poursuivre son chemin.

    Le chtiment du trompeur 63. Lorsqu'il se fut loign et que ceux qui s'taient ainsi jous de lui furent seuls, le trompeur, changeant son chant funbre feint en rire, invitait le gisant se relever, riant aux clats de plaisir pour le gain que leur avait valu leur ruse. Mais celui-ci restait dans la mme position, sans rien entendre de ce qui lui tait dit. L'autre ayant parl d'une voix plus forte et essay en mme temps de le rveiller du pied, le gisant n'entendait pas davantage la voix ni ne sentait les coups, mais restait tendu dans la mme position : il tait mort en effet au moment mme o le manteau avait t jet sur lui, devenu vritablement par sa

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    mort ce qu'il avait feint d'tre pour tromper le Grand. Ainsi l'homme de Dieu ne s'tait pas tromp, mais la raison pour laquelle il avait donn le manteau taie devenue relle pour celui qui l'avait reu.

    Comparaison avec l'aptre Pierre 64. Si une tel rsultat de la foi et de la puissance du Grand semble svre, que personne ne s'en tonne en considrant la conduite du grand Pierre. Lui aussi dmontrait sa puissance, non seulement par ses bienfaits, en montrant au peuple le boiteux de naissance qui courait /p. 43/ et sautait (Ac 3, 8) ou en gurissant de l'ombre de son corps les maladies des infirmes (Ac 5, 15) - le soleil, en se dirigeant de ct sur son corps, la leur procurait au passage de l'aptre -, mais il condamne aussi mort Ananie (Ac 5, 8), qui avait mpris la puissance prsente dans l'aptre. Cela, je pense, pour que, par la crainte inspire par celui-l, quiconque le mpriserait dans le peuple devienne plus sage, ayant reu cette instruction, par cet exemple redoutable, pour ne pas subir le mme chtiment. C'est donc bon droit que l'imitateur de Pierre, aprs avoir montr par de nombreux miracles bnfiques la grandeur de son pouvoir, fit en sorte que celui qui avait tent de faire preuve de ruse contre l'Esprit en prouve la vrit ses dpens. Il fallait, je pense, que le destructeur du mensonge change le mensonge en vrit mme dans le trompeur; de la sorte, il serait clair aux yeux de tous que tout ce qui tait dit par le Grand tait vrit et que ce qu'il avait accept comme vrai n'tait pas un mensonge. Ainsi les Juifs qui, de la manire qu'on a dite, s'taient moqus du pouvoir du Grand devinrent pour les autres une leon : de ne pas oser faire preuve de ruse quand Dieu se fait le vengeur de ces audaces.

    3. Les miracles sans artifice Il chasse un dmon. 65. Quelque temps aprs, comme une runion se tenait un jour en plein air dans un endroit de la campagne et que tous taient merveills par ses enseignements, un jeune homme se mit crier ceux qui taient assembls que ce n'tait pas de lui-mme que le matre disait cela, mais qu'un autre, prsent auprs de lui, faisait passer ses paroles par lui. Lorsqu'on amena l'enfant, aprs la runion, le Grand, dit-on, dclara aux assistants que le jeune homme n'tait pas purifi du dmon; en mme temps, il prit /p. 44/ le linge qui tait sur ses paules, souffla dessus de sa bouche et le jeta sur le jeune homme. Quand il eut fait cela, le jeune homme se mit s'agiter et crier, se jeter de ct et d'autre et subir toutes les souffrances provoques par les dmons. Ensuite, lorsque le saint eut mis la main sur lui et calm l'agitation, le dmon s'loigna de lui; revenu son tat normal, il ne disait plus qu'il voyait celui qui parlait auprs du saint.

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    66. C'est l, certes, un des grands miracles de cet homme : d'accomplir des miracles qui gurissent sans aucun artifice. Il lui suffisait, pour chasser les dmons comme pour gurir les maladies corporelles, d'un souffle de sa bouche, transmis au malade par un linge. Mais un trop long rcit serait ncessaire, et un discours qui dpasse le temps dont nous disposons, pour parcourir tous les miracles accomplis par la suite par cet homme. Je rappellerai encore un ou deux de ceux qu'on peut raconter sur lui pour terminer mon discours.

    V. Vie selon la vertu dans les preuves sociales

    1. Prudence La perscution 67. La prdication divine s'tait dj rpandue en tous lieux; tous, dans la ville et les environs, s'taient convertis la foi de la pieuse doctrine, les autels, les temples, les idoles y avaient t dtruits; la vie humaine tait purifie maintenant des souillures des idoles, l'odeur rpugnante de la viande des sacrifices s'tait dissipe, le sang impur sur les autels et les salets des sacrifices d'animaux avaient t lavs; tous, en tout lieu, avaient lev avec zle des temples de prire au nom du Christ. C'est alors que la fureur et l'envie s'emparent de celui qui alors tait plac la tte des Romains, sous le prtexte que les cultes traditionnels de l'erreur taient ngligs alors que grandissait /p. 45/ le mystre des chrtiens et que l'glise, partout dans l'univers, faisait des progrs, croissant en importance grce ceux qui sans cesse s'attachaient la parole. Ayant pens qu'il tait possible d'opposer sa propre duret la puissance divine, de faire cesser la prdication du mystre, de dtruire les institutions des glises et de faire revenir aux idoles ceux qui avaient adhr la Parole, il envoie aux gouverneurs des paens un dit redoutable, tablissant contre eux la menace du chtiment s'ils ne mutilaient pas par des supplices de toute sorte ceux qui adoraient le nom du Christ et s'ils ne les ramenaient pas par la crainte et la contrainte des supplices l'adoration traditionnelle de ces dmons.

    68. Lorsque cet dit redoutable et impie fut connu des magistrats, ceux qui avaient t chargs de son excution par la cruaut du tyran se rpandirent partout dans l'empire. Celui qui gouvernait la nation en cet endroit tait tel qu'il n'avait pas besoin de l'autorit suprieure pour tre pouss la mchancet, car il avait par nature de la cruaut et de la malveillance envers ceux qui avaient cru la parole. Il annonce, dans une lettre publique, une mesure effrayante :qu'il faut renier la foi avec serment ou bien tre puni de chtiments de toute sorte et de la mort. Il n'y avait alors rien d'autre, ni affaire publique ni affaire prive dont se proccupaient ceux qui avaient la charge habituelle des affaires communes, sinon la poursuite et le chtiment de ceux qui taient attachs la foi. La terreur ne provenait pas seulement de menaces verbales, mais aprs elles divers instruments de torture semaient l'effroi parmi les hommes et faisaient natre la

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    crainte avant mme qu'on en fasse l'exprience. Les pes, le feu, les btes sauvages, les fosses, les instruments de torture pour tirer les membres, les siges de fer rougis au feu, les chevalets / p. 46/ dresss sur lesquels les corps tendus de ceux qu'on y levait taient dchirs par l'application des redoutables ongles de fer, d'innombrables autres instruments invents pour torturer les corps de diverses manires taient imagins par eux. Unique tait la proccupation de ceux qui taient chargs de ces magistratures : qu'on ne trouve personne qui soit infrieur un autre dans les excs de cruaut. Les uns dnonaient, les autres apportaient des preuves, d'autres cherchaient dcouvrir ceux qui taient cachs, d'autres s'attaquaient aux fuyards; beaucoup, ayant en vue les biens des croyants, poursuivaient ceux qui taient attachs la foi pour devenir les matres de leurs affaires sous prtexte de pit. 69. Il y avait dans la nation une grande confusion et une grande incertitude, tous se suspectaient les uns les autres; dans ces circonstances terribles, la bienveillance des pres envers leurs enfants ne subsistait plus, la nature ne garantissait plus chez les enfants le maintien de la sollicitude envers les pres. Les familles taient divises entre elles, spares selon leurs religions. Le fils paen livrait des parents fidles, le pre rest dans l'infidlit tait l'accusateur du fils croyant, le frre, pour le mme motif, combattait la nature et jugeait conforme aux lois divines que son parent soit puni s'il adhrait la foi. De ce fait, les dserts taient pleins de ceux qui taient poursuivis et les maisons vides de leurs habitants. De nombreux difices publics taient utiliss pour les besoins de la situation, car les prisons n'taient pas suffisantes pour contenir la multitude de ceux qui taient poursuivis cause de la foi. Toutes les places publiques, toutes les assembles publiques et prives, changeaient la joie habituelle contre de tels malheurs : les uns taient trans en prison, les autres exils, d'autres riaient ou pleuraient de ce qui arrivait. Il n'y avait pas de piti pour les petits enfants, de respect pour la vieillesse, de vnration pour la vertu, mais tout ge tait comme en captivit, livr aux ennemis de la foi. La faiblesse naturelle de leur sexe ne valait pas aux femmes de rester hors de tels combats, mais unique tait contre tous la / p. 47/ loi de la cruaut, appliquant la mme mesure qui s'tait loign des idoles, sans tenir compte de la nature. 70. Alors ce Grand, considrant la faiblesse de la nature humaine et le fait que la plupart des gens ne pouvaient combattre jusqu' la mort pour la dfense de la pit, conseille son glise de s'loigner un peu de ce redoutable assaut; il estimait qu'il tait prfrable que leurs vies soient sauves par la fuite plutt que de devenir des dserteurs de la foi en restant sur le champ de bataille. Et pour que les gens soient parfaitement persuads que sauver leur foi par la fuite ne mettrait leur me en danger, il conseille la retraite par son propre exemple, en se soustrayant lui-mme avant les autres la recherche du danger. En mme temps, c'est surtout ce qui le concernait qui proccupait les autorits, comme si, une fois captur le gnral, toute l'arme de la foi serait

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    dtruite; aussi ses ennemis cherchaient avec ardeur ce que celui-ci tombe dans leurs mains.

    2/ Confiance en Dieu 71. Celui-ci avait gagn une colline dserte, ayant avec lui le gardien du temple qu'il avait, dans les dbuts, amen la foi, et qui l'assistait maintenant avec la grce du diaconat. Comme ceux qui les poursuivaient suivaient sa trace en grand nombre et que quelqu'un les avait averti de l'endroit o il se cachait, les uns, s'tant disposs en cercle en bas de la colline, montaient la garde pour qu'il ne puisse s'chapper par aucun endroit, si toutefois il tentait de le faire, tandis que les autres faisaient l'ascension de la montagne et cherchaient de tous cts; dj ils taient visibles du Grand, s'avanant droit vers lui. Mais lui /p. 48/, ayant recommand son compagnon de garder une confiance inbranlable en Dieu, de lui confier pareillement son salut en levant, comme lui, les mains pour prier et de ne pas se dtourner de la foi par crainte, mme si les poursuivants taient tout proches, se faisait pour le diacre un modle de ce qu'il lui avait prescrit en regardant vers le ciel d'un il inbranlable et les mains tendues vers le ciel. 72. Eux donc taient dans cette attitude, tandis que ceux qui avaient couru vers le sommet leur recherche, aprs avoir examin l'endroit de tous cts et explor avec toute la prcision possible tous les buissons qui poussaient l, tous les escarpements de rocher, tous les fonds de prcipice, redescendent au bas de la montagne, comme si, mis en fuite par la crainte de ceux qui le cherchaient, il tait tomb aux mains de ceux qui, en bas, taient posts autour. Mais comme il n'avait pas t trouv par eux ni ne se trouvait avec ceux-l, celui qui avait examin avec soin le lieu de rsidence du saint le dcrivait par signes, mais les chercheurs assuraient avec force qu'ils n'avaient vu personne, sinon deux arbres se dressant peu de distance l'un de l'autre. 73. Comme ceux qui le cherchaient taient repartis, le dlateur, qui tait rest sur place, rencontra le Grand lui-mme et son compagnon en prire, et il reconnut la divine protection grce laquelle ceux-ci avaient t pris pour des arbres par leurs poursuivants. Il se jette ses pieds et croit en la Parole, et celui qui peu auparavant tait perscuteur devient un des fuyards. 74. Ils demeuraient donc longtemps dans le dsert, car la guerre contre la foi svissait cruellement, le gouverneur tant enrag contre ceux qui avaient adhr la parole de la pit, et tous s'taient enfuis. Aussi, comme l'entreprise contre le Grand tait sans espoir leurs yeux, car il ne tomberait jamais aux mains de ses poursuivants, ils retournaient leur furieuse cruaut contre les autres. Ils cherchaient partout et indistinctement dans la nation tous les hommes /p. 49/, femmes et enfants pour qui le nom du Christ tait adorable, ils les tranaient en ville et en remplissaient les prisons, ils faisaient de leur pit une accusation contre eux l'gal d'un autre dlit, de sorte que les tribunaux ne se consacraient alors aucune autre des affaires publiques, sinon celles-l seules :

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    se proccuper, pour les gouvernants, d'infliger tous les supplices et toutes les espces de tortures qu'ils pouvaient imaginer ceux qui adhraient la foi.

    3. Attention sa communaut 75. C'est alors qu'il devint encore plus clair, aux yeux de tous, que ce Grand ne dcidait de rien sans le secours divin, car en s'tant lui-mme, par la fuite, prserv pour le peuple, il tait un alli commun pour tous ceux qui combattaient pour la foi. De mme que nous entendons dire, propos de Mose, que tout en restant distance de l'arme des Amalcites il apportait ceux de sa race, par la prire, la force contre leurs ennemis, de mme lui aussi, comme s'il voyait de lil de l'me les vnements, appelait l'assistance divine sur ceux qui combattaient pour la dfense de la foi. 76. Un jour, alors qu'il priait Dieu, selon son habitude, avec ceux qui taient auprs de lui, il fut soudainement rempli d'anxit et de trouble. Il tait visible aux assistants qu'il tait comme surpris et boulevers par sa vision et qu'il tendait l'oreille comme si un son venait jusqu' lui. Un assez long moment s'tait coul et il tait rest, pendant tout ce temps, fixe et immobile; ensuite, comme si le spectacle qu'il avait sous les yeux s'tait heureusement termin, il redevint comme il tait d'habitude, et il loua Dieu en prononant les paroles de victoire et de louange que nous entendons souvent dans les psaumes de David, lorsqu'il dit : Bni soit Dieu, qui ne nous a pas donn / p. 50/ en proie leurs dents (Ps 123, 6). 77. Comme ceux qui l'entouraient taient dans ltonnement et qu'ils lui demandaient de leur apprendre quelle tait la vision qu'il avait eue sous les yeux, on dit qu'il leur raconta qu'il avait vu, cette heure-l, une grande chute, car le diable avait t vaincu par un jeune homme dans les combats pour la pit. Comme ceux-ci restaient dans l'ignorance, il leur expliqua plus clairement ce qu'il leur avait dit : cette heure-l, un jeune homme des eupatrides, conduit par les bourreaux devant le gouverneur, avait lutt dans les durs combats pour la foi avec l'assistance d'en haut. Il ajouta galement son nom, l'appelant Troadios, et qu'aprs beaucoup de tourments qu'il avait courageusement supports, il avait ceint la couronne du martyre. 78. Frapp par ce rcit, le diacre, qui n'osait pas ne pas croire ce qui tait dit, mais en mme temps pensait qu'il tait au-dessus de la nature humaine qu'en tant loin de la ville et sans que personne ne l'ait inform sur lui, il raconte ceux qui taient avec lui