Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

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Vers une grammaire d’unification Sens-Texte du français: le temps verbal dans l’interface sémantique-syntaxe par François Lareau Thèse de doctorat effectuée en cotutelle au Département de linguistique et de traduction Faculté des arts et des sciences Université de Montréal et au Département de linguistique Université Paris Diderot (Paris 7) Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l’Université de Montréal en vue de l’obtention du grade de Philosophiæ Doctor (Ph.D.) en linguistique et à l’Université Paris Diderot (Paris 7) en vue de l’obtention du grade de Docteur en linguistique Août 2008 © François Lareau, 2008

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Vers une grammaire d’unification Sens-Texte du français:

le temps verbal dans l’interface sémantique-syntaxe

par

François Lareau

Thèse de doctorat effectuée en cotutelle au

Département de linguistique et de traduction

Faculté des arts et des sciences

Université de Montréal

et au

Département de linguistique

Université Paris Diderot (Paris 7)

Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de

l’Université de Montréal en vue de l’obtention du grade de

Philosophiæ Doctor (Ph.D.) en linguistique

et à

l’Université Paris Diderot (Paris 7) en vue de l’obtention du

grade de Docteur en linguistique

Août 2008

© François Lareau, 2008

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Page d’identification du jury

Université de MontréalFaculté des études supérieures

et

Département de linguistiqueUniversité Paris Diderot (Paris 7)

Cette thèse intitulée

Vers une grammaire d’unification Sens-Texte du français: le temps verbal dans l’interface sémantique-syntaxe

présentée et soutenue à l’Université de Montréal parFrançois Lareau

a été évaluée par un jury composé des personnes suivantes:

Président-rapporteur Alain Polguèreet membre du jury

Directeur de recherche Igor Mel’

č

uk(Université de Montréal)

Directeur de recherche Sylvain Kahane(Université Paris Diderot)

Membre du jury Laurence Danlos

Examinateur externe Owen Rambow

Représentant du doyen Antoine Soarede la FES

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Résumé

Cette thèse vise deux objectifs principaux. D’une part, nous cherchons à décrire

la flexion verbale en français, et plus particulièrement celle en temps dans l’inter-

face sémantique-syntaxe. D’autre part, nous voulons, à travers ce phénomène lin-

guistique central, développer le formalisme de la grammaire d’unification Sens-

Texte (GUST) et en vérifier l’utilité pour la description des langues.

Pour atteindre notre premier objectif, nous proposons une méthodologie, inspi-

rée de la lexicographie, pour l’étude des signes grammaticaux. Cette méthodologie

met l’accent sur les signes dans leur ensemble, et non sur une seule de leurs com-

posantes (signifié, signifiant ou combinatoire).

Au niveau descriptif, notre thèse principale est que le français possède non pas

une, mais bien deux catégories flexionnelles de temps complémentaires:

1)

La catégorie de décalage, qui regroupe deux grammèmes situant un point

de repère par rapport au moment d’énonciation:

• Le grammème

non-décalé

signifie que le point de repère est

(

maintenant

)

ou un fait dans le futur. Son signifiant est nul.

• Le grammème

décalé

indique que le repère est un fait dans le passé. Il

s’exprime par le suffixe

AI

.

2)

La catégorie de temps comme tel, qui regroupe trois grammèmes situant

les faits par rapport à ce point de repère:

• Le grammème

simultané

signifie que le fait dénoté par le verbe est

simultané à son point de repère. Son signifiant est nul.

• Le grammème profond

antérieur

indique que le fait est antérieur à son

point de repère. Son signifiant est l’auxiliaire

AVOIR

(ou

ÊTRE

). Dans un

registre littéraire, il s’exprime conjointement avec le grammème

non-

décalé

par le suffixe du passé simple.

• Le grammème

postérieur

pose le fait comme postérieur à son point de

repère. Il s’exprime par le suffixe

R

.

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Résumé

iv

Au niveau formel, nos principaux apports au formalisme de GUST sont la

représentation des structures en termes d’objets et de fonctions, ainsi que la modé-

lisation des décompositions sémantiques. La formalisation de notre modèle de la

flexion verbale s’avère un moyen intéressant de vérifier l’utilité de GUST

puisqu’elle met en jeu des signes variés. Elle nous donne également l’occasion

d’observer le mécanisme d’articulation des modules de la grammaire.

Mots-clés:

Temps grammatical; Grammaire d’unification Sens-Texte; Interface

sémantique-syntaxe; Flexion; Verbes; Français (langue)

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Abstract

This thesis, entitled

Towards a Meaning-Text unification grammar of French:

verbal tense in the semantics-syntax interface

, has two main objectives. First, we

aim at describing French verbal inflection, more particularly tense in the seman-

tics-syntax interface. Second, we want to develop the Meaning-Text unification

grammar (MTUG) formalism and test its adequacy for language description.

To achieve our first goal, we propose a lexicography-inspired methodology for

the study of grammatical signs. This methodology is centered on the linguistic sign

as a whole, not only on one of its components (signified, signifier or syntactics).

At the descriptive level, our main thesis is that French has not only one, but two

inflectional categories of tense that complement each other:

1)

The category of shifting (in French,

décalage

), which comprises two

grammemes that locate a temporal reference point in relation with the

time of speech:

• The grammeme

non-shifted

indicates that the reference point is either

(

now

)

or a future point in time. Its signifier is null.

• The grammeme

shifted

indicates that the reference point is in the past.

It is expressed by the suffix

AI

.

2)

The category of tense proper, which comprises three grammemes that

situate facts in relation with this reference point:

• The grammeme

simultaneous

means that the fact denoted by the verb

is simultaneous to the reference point. Its signifier is null.

• The deep grammeme

anterior

indicates that the fact is before the refer-

ence point. It is expressed by the auxiliary

AVOIR

(or

ÊTRE

). In litterary

speech, it is expressed jointly with the grammeme

non-shifted

by the

simple past suffix.

• The grammeme posterior indicates that the fact is after the reference

point. It is expressed by the suffix

R

.

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Abstract

vi

At the formal level, our main contributions to the MTUG formalism are the rep-

resentation of structures in terms of objects and functions, as well as the modeling

of semantic decompositions. The formalization of our French inflection model

turns out to be an interesting way of testing MTUG’s adequacy, since this phenom-

enon involves signs of different natures. It also provides a good opportunity to

observe the articulation of the grammar’s modules.

Keywords:

Tense; Meaning-Text unification grammar; Semantics-syntax inter-

face; Inflection; Verbs; French (language)

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Table des matières

Résumé iii

Abstract v

Table des matières vii

Liste des tableaux xii

Liste des figures xiii

Conventions typographiques xvii

Symboles utilisés xvii

Liste des abréviations xviii

Remerciements xx

I. Introduction 21

1. Problématique de la recherche. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

2. Pourquoi le temps grammatical? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

3. Organisation de la thèse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

II. Délimitation du champ d’étude 25

1. Précision terminologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

2. Les formes synthétiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

3. Les formes analytiques à un auxiliaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

4. Les formes analytiques à deux auxiliaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

5. Les formes analytiques à trois auxiliaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

III. La théorie Sens-Texte 35

1. Présentation générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

2. Les niveaux de représentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

2.1. La représentation sémantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

2.2. La représentation syntaxique profonde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

2.3. La représentation syntaxique de surface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42

2.4. Les représentations morphologiques et phonologiques . . . . . . . . . . . . . . . 42

3. Les modules de correspondance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

4. Synthèse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

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Table des matières

viii

IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie 46

1. Les notions de grammème et de grammie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46

2. Flexion

vs

dérivation: propriétés distinctives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

3. Une approche discrète en deux étapes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

4. La grammie de base d’un grammème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53

4.1. Les critères basés sur le sens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53

4.2. Les critères basés sur la combinatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

5. La description du sens grammatical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

6. Le regroupement des grammèmes en catégories flexionnelles . . . . . . . . . . . . . 62

6.1. Les critères basés sur la combinatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

6.2. Les critères basés sur le sens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

7. Grammème et phraséologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

8. Synthèse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68

V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française 70

1. Le modèle traditionnel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

2. Imbs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

3. Les fonctionnalistes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

3.1. Martinet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

3.2. Touratier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

4. Wilmet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

5. Gosselin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106

6. Synthèse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française 115

1. La finitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

1.1. L’infinitif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118

1.2. Les participes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

1.2.1. Le participe présent

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123

1.2.2. Le participe passé

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124

1.3. Le gérondif. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129

1.4. Les verbes finis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130

1.5. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

2. La voix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132

3. Le mode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134

3.1. L’indicatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135

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Table des matières

ix

3.2. Le subjonctif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137

3.3. L’impératif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141

3.4. Le conditionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142

3.5. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144

4. Les formes surcomposées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144

4.1. Définition et acceptabilité des formes surcomposées . . . . . . . . . . . . . . . 145

4.1.1. Le passé surcomposé

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146

4.1.2. Le plus-que-parfait surcomposé

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150

4.1.3. Le conditionnel surcomposé

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150

4.1.4. Le futur antérieur surcomposé

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152

4.1.5. Les autres «formes surcomposées»

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152

4.2. L’origine des formes surcomposées. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155

4.3. Surcomposé général

vs

surcomposé régional . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156

4.4. La rareté des formes surcomposées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158

4.5. Auxiliaire vague ou polysémique? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158

4.6. Les formes surcomposées et la voix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161

4.7. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164

5. Les phases aspectuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164

5.1. Les phases naturelles et leur manifestation en français . . . . . . . . . . . . . . 165

5.2. L’accompli . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166

5.3. Le progressif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169

5.4. Le prospectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170

5.5. L’expression des bornes temporelles des faits. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172

5.6. Y a-t-il une catégorie flexionnelle de phase aspectuelle? . . . . . . . . . . . . 173

5.7. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176

6. Le temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

6.1. Passé simple

vs

imparfait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178

6.1.1. L’hypothèse de la durée

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

6.1.2. L’hypothèse de la perfectivité

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181

6.1.3. L’hypothèse de la progression narrative

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185

6.1.4. L’approche reichenbachienne

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187

6.2. Présent

vs

imparfait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193

6.3. Caractérisation sémantique des «formes temporelles» du français. . . . . 195

6.3.1. Le présent

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196

6.3.2. Le passé simple et le passé composé

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197

6.3.3. Le futur simple

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198

6.3.4. L’imparfait

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199

6.3.5. Le plus-que-parfait

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200

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Table des matières

x

6.3.6. Le conditionnel

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200

6.4. Le temps, c’est relatif. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202

6.4.1. Temps absolus, relatifs et absolus-relatifs

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202

6.4.2. La catégorie flexionnelle de temps

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

6.4.3. La catégorie flexionnelle de décalage

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206

6.4.4. Les acceptions secondaires des grammèmes de temps et de décalage

. . . 213

6.5. Synthèse: les catégories flexionnelles de temps et de décalage . . . . . . . 219

7. Le genre, le nombre et la personne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220

8. Synthèse: les catégories flexionnelles et leurs grammèmes . . . . . . . . . . . . . . 220

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte 223

1. L’architecture générale de GUST . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224

2. La forme des structures de GUST . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226

3. Le système des polarités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229

4. L’unification de structures polarisées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233

5. Les modules de GUST et leur articulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236

5.1. Les grammaires de bonne formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237

5.1.1. La grammaire sémantique

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239

5.1.2. La grammaire syntaxique

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242

5.1.3. La grammaire d’arbres

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248

5.2. L’articulation des modules. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251

5.3. Les grammaires d’interface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254

5.3.1. La notion de correspondance

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255

5.3.2. L’interface sémantique-syntaxe

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2566. La décomposition sémantique en GUST . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

7. Synthèse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 278

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française 281

1. La grammaire de bonne formation sémantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283

1.1. Les caractéristiques formelles de

G

sém

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284

1.2. Le typage des actants sémantiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285

1.3. Les sens temporels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286

1.4. Les sens phasiques / aspectuels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289

1.5. Les sens modaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295

2. La grammaire de bonne formation syntaxique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298

2.1. Les caractéristiques formelles de

G

synt

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299

2.2. La grammaire d’arbres. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 300

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Table des matières

xi

2.3. Les règles lexicales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301

2.3.1. La combinatoire des marqueurs de phase aspectuelle

. . . . . . . . . . . . . . 303

2.3.2. La combinatoire des auxiliaires de temps

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305

2.3.3. Un auxiliaire du passif?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306

2.4. Les règles grammémiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307

2.4.1. La combinatoire des grammèmes superficiels de finitude

. . . . . . . . . . . . 307

2.4.2. La combinatoire des grammèmes superficiels de mode

. . . . . . . . . . . . . . 308

2.4.3. La combinatoire des grammèmes superficiels de temps

. . . . . . . . . . . . . 309

2.4.4. La combinatoire des grammèmes superficiels de décalage

. . . . . . . . . . . 310

2.4.5. La combinatoire des grammèmes d’accord

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310

2.5. Les règles sagittales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311

2.5.1. Les relations syntaxiques de type auxiliaire-auxilié

. . . . . . . . . . . . . . . . 311

2.5.2. La relation syntaxique copule-attribut. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3132.5.3. Les relations syntaxiques en dehors du noyau verbal . . . . . . . . . . . . . . . 315

3. La grammaire d’interface sémantique-syntaxe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316

3.1. Les caractéristiques formelles de Isém-synt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 318

3.2. Les signes asémantiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3193.2.1. Les grammèmes d’accord. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3193.2.2. Les signes régis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3213.2.3. Les grammies liées à la structure communicative. . . . . . . . . . . . . . . . . . 3223.2.4. La copule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325

3.3. Les signes de phase aspectuelle et le résultatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3273.3.1. Le résultatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3283.3.2. Les locutions prépositionnelles de phase aspectuelle . . . . . . . . . . . . . . . 3283.3.3. Les auxiliaires de phase aspectuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331

3.4. Les grammies à valeur temporelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3343.4.1. L’acception de base des grammies de temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3343.4.2. L’acception de base des grammies de décalage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 335

3.5. Les grammies à valeur modale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341

4. Synthèse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 347

IX. Conclusion 349

Index des auteurs 355

Index des notions 358

Bibliographie 364

Annexe A. Les formes de PRENDRE xx

Annexe B. L’encodage XML des grammaires GUST xxiv

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Liste des tableaux

Tableau I — La combinatoire morphologique des auxiliaires . . . . . . . . . . . . . . . 30Tableau II — Les constructions à deux auxiliaires possibles . . . . . . . . . . . . . . . . 31Tableau III — La combinatoire morphologique des formes à deux auxiliaires . . 32Tableau IV — Les constructions à trois auxiliaires possibles. . . . . . . . . . . . . . . . 34Tableau V — La combinatoire morphologique des formes à trois auxiliaires . . . 34Tableau VI — Le classement traditionnel des formes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74Tableau VII — Les temps absolus et relatifs dans la tradition . . . . . . . . . . . . . . . 78Tableau VIII — Le classement des formes selon Imbs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82Tableau IX — Le classement des formes selon Martinet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87Tableau X — Le classement des formes selon Touratier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93Tableau XI — Le classement des formes selon Wilmet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100Tableau XII — Le classement des formes selon Wilmet revisité . . . . . . . . . . . . 104Tableau XIII — Le classement des formes selon Gosselin. . . . . . . . . . . . . . . . . 110Tableau XIV — Les interprétations de «être V-é» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127Tableau XV — Les formes surcomposées théoriquement possibles. . . . . . . . . . 146Tableau XVI — La combinatoire des marqueurs de phase. . . . . . . . . . . . . . . . . 174Tableau XVII — L’hypothèse des temps à valeur aspectuelle intrinsèque. . . . . 184Tableau XVIII — Les relations simples E/R et R/S selon Reichenbach . . . . . . 188Tableau XIX — Les relations complexes E/R/S selon Reichenbach. . . . . . . . . 188Tableau XX — Le modèle de Te Winkel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193Tableau XXI — Les sens du présent et de l’imparfait dans quelques

grammaires de référence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193Tableau XXII — Un système temporel classique à catégories concurrentes . . . 203Tableau XXIII — Un découpage des signes temporels du français . . . . . . . . . . 204Tableau XXIV — Notre système temporel à deux dimensions . . . . . . . . . . . . . 211Tableau XXV — Le produit des polarités de GUST. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231Tableau XXVI — Tableau récapitulatif des modules de GUST

et de leurs objets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 279Tableau XXVII — La combinatoire sémantique des marqueurs de phase

aspectuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290Tableau XXVIII — Deux catégories flexionnelles complémentaires. . . . . . . . . 351

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Liste des figures

Figure 1 — L’architecture d’un modèle Sens-Texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37Figure 2 — La SSém de (7). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39Figure 3 — La SSyntP de (7) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41Figure 4 — La SSyntS de (7) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42Figure 5 — La SMorphP de (7). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43Figure 6 — La SMorphS de (7). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43Figure 7 — La SPhonP de (7) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43Figure 8 — La SPhonS de (7) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43Figure 9 — Une règle du module syntaxique de surface. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44Figure 10 — Le grammème comme intermédiaire entre sens et formes. . . . . . . . 48Figure 11 — Les catégories flexionnelles dans le modèle traditionnel. . . . . . . . . 74Figure 12 — Les trois axes temporels de Imbs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80Figure 13 — Les catégories flexionnelles dans le modèle de Imbs . . . . . . . . . . . 82Figure 14 — Les catégories flexionnelles dans le modèle de Martinet. . . . . . . . . 86Figure 15 — Le modèle de Martinet revu par Menanteau . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90Figure 16 — Les catégories flexionnelles dans le modèle de Touratier . . . . . . . . 93Figure 17 — Les catégories flexionnelles dans le modèle de Wilmet . . . . . . . . . 99Figure 18 — Les catégories flexionnelles dans le modèle de Wilmet revisitées 104Figure 19 — Les catégories flexionnelles dans le modèle de Gosselin . . . . . . . 110Figure 20 — Le découpage du temps réel en trois phases par un fait . . . . . . . . . 165Figure 21 — La phase accomplie est simultanée au moment d’énonciation . . . 167Figure 22 — La phase accomplie est postérieure au moment d’énonciation . . . 167Figure 23 — Caractérisation sémantique du présent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196Figure 24 — Caractérisation sémantique du passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197Figure 25 — Caractérisation sémantique du futur simple . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198Figure 26 — Caractérisation sémantique de l’imparfait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199Figure 27 — Caractérisation sémantique du plus-que-parfait . . . . . . . . . . . . . . . 200Figure 28 — Caractérisation sémantique du conditionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . 201Figure 29 — La combinatoire des grammèmes superficiels verbaux en

français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221Figure 30 — Deux règles simples de GUST . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227Figure 31 — Une structure GUST et sa représentation graphique explicite . . . . 229Figure 32 — Une structure polarisée et sa représentation graphique . . . . . . . . . 230Figure 33 — Une représentation graphique simplifiée pour une structure

polarisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231Figure 34 — Deux structures polarisées à combiner. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235Figure 35 — Le résultat de la combinaison de deux structures polarisées . . . . . 235Figure 36 — La combinaison partielle de deux structures polarisées . . . . . . . . . 236Figure 37 — Une grammaire sémantique générant une structure bien formée. . 240Figure 38 — Une grammaire sémantique générant une structure mal formée . . 240Figure 39 — Une méthode simple pour le typage des actants . . . . . . . . . . . . . . 241Figure 40 — Une procédure implicite pour l’unification de types et sous-types 242Figure 41 — La représentation d’un nœud syntaxique et de l’information

grammaticale qui lui est rattachée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244

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Liste des figures

xiv

Figure 42 — Une grammaire syntaxique générant une structure bien formée . . 246Figure 43 — Une structure syntaxique mal formée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248Figure 44 — Une grammaire d’arbres. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249Figure 45 — La représentation graphique des structures multipolarisées. . . . . . 250Figure 46 — Une grammaire syntaxique à deux polarités . . . . . . . . . . . . . . . . . 251Figure 47 — Une grammaire syntaxique articulée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252Figure 48 — Une grammaire d’arbres articulée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253Figure 49 — Deux grammaires articulées produisant une structure syntaxique . 253Figure 50 — La position de la grammaire d’interface sémantique-syntaxe . . . . 256Figure 51 — Une grammaire d’interface sémantique-syntaxe générant une

structure de correspondance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258Figure 52 — La mise en correspondance d’un grammème et de son sens . . . . . 259Figure 53 — Une correspondance multivoque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259Figure 54 — Une grammaire sémantique articulée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261Figure 55 — Une interface sémantique-syntaxe articulée. . . . . . . . . . . . . . . . . . 261Figure 56 — Une grammaire syntaxique articulée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262Figure 57 — Une structure de correspondance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262Figure 58 — Une structure sémantique à neutraliser . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263Figure 59 — Une structure sémantique à mettre en correspondance . . . . . . . . . 263Figure 60 — Une structure syntaxique à valider . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264Figure 61 — Deux grammèmes à mettre en correspondance . . . . . . . . . . . . . . . 265Figure 62 — Une règle d’équivalence sémantique de la TST. . . . . . . . . . . . . . . 268Figure 63 — Trois paraphrases qui n’ont pas la même RSém . . . . . . . . . . . . . . 268Figure 64 — La décomposition sémantique de (Torontoise). . . . . . . . . . . . . . . . 271Figure 65 — La décomposition sémantique de (rousse) et de (femme) . . . . . . . . 271Figure 66 — Les sens «primitifs» dans la grammaire sémantique . . . . . . . . . . . 272Figure 67 — Une représentation sémantique décomposée à réaliser . . . . . . . . . 273Figure 68 — La réduction de (personne (de sexe) féminin) . . . . . . . . . . . . . . . . 273Figure 69 — Une règle de réancrage du gouverneur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274Figure 70 — La réduction de (personne (de sexe) féminin) avec réancrage

des gouverneurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274Figure 71 — La réduction de (femme rousse) avec réancrage des gouverneurs . 275Figure 72 — Le typage sémantique des actants en GUST . . . . . . . . . . . . . . . . . 276Figure 73 — Un aperçu de la hiérarchie des étiquettes sémantiques du

Lexique actif du français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 286Figure 74 — La classification des faits selon Mourelatos. . . . . . . . . . . . . . . . . . 286Figure 75 — Les sémantèmes (avant), (après) et (simultané) (R1 à R3) . . . . . . . 287Figure 76 — Les sémantèmes temporels en contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 288Figure 77 — Les sémantèmes (avoiracc), (en train) et (aller) (R4 à R6) . . . . . . . . 291Figure 78 — Les sémantèmes (sur le point) et(venir) (R7 et R8). . . . . . . . . . . . . 291Figure 79 — Les sémantèmes de phase aspectuelle en contexte. . . . . . . . . . . . . 292Figure 80 — La situation dénotée par Ils vont avoir bien dormi . . . . . . . . . . . . 292Figure 81 — Un sémantème de phase aspectuelle actant de (penser) . . . . . . . . . 293Figure 82 — L’interaction sémantique des temps et des phases aspectuelles. . . 294Figure 83 — Le réancrage des gouverneurs sémantiques (R9). . . . . . . . . . . . . . 294Figure 84 — Le sémantème (résultatif) (R10) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295

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Liste des figures

xv

Figure 85 — Le sémantème (manière) (R11) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 296Figure 86 — Le sémantème (devoir) (R12) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 296Figure 87 — Le sémantème (ordonner) (R13) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297Figure 88 — Le sémantème (supposer) (R14) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297Figure 89 — Le sémantème (il paraît) (R15) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298Figure 90 — Le sémantème (en rétrospective) (R16) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298Figure 91 — La grammaire d’arbres (R17 et R18) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301Figure 92 — Un règle demandant une finitude pour un verbe (R19) . . . . . . . . . 302Figure 93 — Une représentation alternative des parties du discours (RT1 à

RT3) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 302Figure 94 — La structure syntaxique de trois locutions prépositionnelles . . . . . 304Figure 95 — Quelques règles lexicales triviales (R20 à R22). . . . . . . . . . . . . . . 304Figure 96 — La combinatoire des auxiliaires de phase aspectuelle (R23 à

R28) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305Figure 97 — La combinatoire des auxiliaires de temps (R29 et R30) . . . . . . . . 306Figure 98 — La règle lexicale pour ÊTREcop (R31). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306Figure 99 — La combinatoire des grammèmes de finitude (R32 à R35) . . . . . . 307Figure 100 — La combinatoire des grammèmes de mode (R36 à R39) . . . . . . . 308Figure 101 — La combinatoire des grammèmes de temps (R40 et R42) . . . . . . 310Figure 102 — La combinatoire des grammèmes de décalage (R43 et R44) . . . . 310Figure 103 — La combinatoire des grammèmes d’accord (R45 et R49) . . . . . . 311Figure 104 — La relation syntaxique «Aux» (R50) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 312Figure 105 — La relation syntaxique «Inf» (R51 et R52) . . . . . . . . . . . . . . . . . 314Figure 106 — La relation syntaxique «Cop» (R53 et R54) . . . . . . . . . . . . . . . . 315Figure 107 — La relation syntaxique «Prép» (R55 et R56) . . . . . . . . . . . . . . . . 316Figure 108 — La relation syntaxique «Suj» (R57). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317Figure 109 — L’accord verbe-sujet en nombre (R58 à R60) . . . . . . . . . . . . . . . 320Figure 110 — L’accord verbe-sujet en personne (R61 à R63) . . . . . . . . . . . . . . 320Figure 111 — Le régime de VOULOIR (R64 et R65). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 321Figure 112 — Le régime de PENSER (R66) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322Figure 113 — Le sommet syntaxique (R67) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322Figure 114 — Le passif selon Kahane (RT4) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323Figure 115 — Le participe passé à valeur de passif (R68) . . . . . . . . . . . . . . . . . 324Figure 116 — Le participe présent (R69) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 324Figure 117 — La copule selon Kahane (RT5) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325Figure 118 — La dérivation d’un passif avec copule dans Isém-synt. . . . . . . . . . 326Figure 119 — La copule dans Isém-synt (R70). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327Figure 120 — Une double correspondance pour les constructions à copule. . . . 327Figure 121 — Le participe passé à valeur résultative dans Isém-synt (R71) . . . . 329Figure 122 — Les prépositions kÀ CÔTÉl et SUR dans Isém-synt (R72 et R73) . . 329Figure 123 — Les prépositions kEN TRAINl et kSUR LE POINTl dans Isém-synt

(R74 et R75) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 330Figure 124 — La phase accomplie dans Isém-synt (R76 et R77) . . . . . . . . . . . . . 331Figure 125 — La phase prospective et le passé récent dans Isém-synt (R78

et R79) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332Figure 126 — Les étapes de la dérivation de Ils vont être en train de dormir . . 333

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Liste des figures

xvi

Figure 127 — L’expression des sens (simultané) et (postérieur) (R80 et R81) . . 335Figure 128 — L’expression du sens (antérieur) dans Isém-synt (R82 à R84) . . . . 336Figure 129 — L’acception de base des grammèmes de décalage (R85 à R87) . 336Figure 130 — La représentation partielle de (175) dans Isém-synt . . . . . . . . . . . 338Figure 131 — La représentation complète de (175) dans Isém-synt. . . . . . . . . . . 341Figure 132 — Le gérondif dans Isém-synt (R88) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 342Figure 133 — L’infinitif de consigne Isém-synt (R89). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 343Figure 134 — L’impératif dans Isém-synt (R90) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 343Figure 135 — Le futur de supposition dans Isém-synt (R91) . . . . . . . . . . . . . . . . 344Figure 136 — Le conditionnel de réserve dans Isém-synt (R92) . . . . . . . . . . . . . 344Figure 137 — Les collocations lexicales dans Isém-synt (RT6 et RT7). . . . . . . . 345Figure 138 — Le futur antérieur rétrospectif dans Isém-synt (R93) . . . . . . . . . . . 346

Page 17: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

Conventions typographiques

[…]. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . délimitation d’un exemple inséré dans le texte(québ.). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . langue ou registre auquel appartient un exemplefonction structurante . . . . . . . terme introduit ou défini pour la première foisinfinitif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . grammème–ER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .morphème suffixalTRINQUER1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . lexie (avec indice distinctif)kTIRER LE DIABLE PAR LA QUEUEl . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . locutionTRINQUER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .vocable(trinquer1) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . sémantème (avec indice distinctif)trinquer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . signifiant écrit d’un signe linguistiqueP. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ensembleGsém . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . module d’une grammaire GUSTnœudsém . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . type d’objet d’une structure GUSTétiquette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . fonction d’une structure GUST

Symboles utilisés

⊕ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . composition de deux signes linguistiques+ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . unification de deux structures≡ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . équivalence entre deux structures⇔ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . correspondance entre deux structures| . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .disjonction dans les structures

Page 18: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

Liste des abréviations

acc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . accompliact. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . actifant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .antérieurarg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . argot françaisaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . auxiliairec. nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . complément du nomcond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . conditionnelcop . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . copuledéc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .décalédép . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .dépendantdét . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . déterminantFA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . futur antérieurfém . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .fémininfin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .finitudeFUT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . futurfutur s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . futur simpleGarbre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . grammaire d’arbresGÉR . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . gérondifGphon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . grammaire de bonne formation phonologiqueGsém . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . grammaire de bonne formation sémantiqueGsynt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . grammaire de bonne formation syntaxiqueGtopo. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . grammaire de bonne formation mophotopologiqueGUP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .grammaire d’unification polariséeGUST. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . grammaire d’unification Sens-TexteHPSG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . grammaire syntagmatique dirigée par les têtesimp . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . imparfaitimpér . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . impératifINACC. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . inaccompliind . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . indicatifinf. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .infinitifIsém-synt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .grammaire d’interface sémantique-syntaxeIsynt-topo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . grammaire d’interface syntaxe-morphotopologieItopo-phon . . . . . . . . . . . . . . . . grammaire d’interface morphotopologie-phonologieLFG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . grammaire lexicale fonctionnellemasc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .masculinN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . nomnbre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .nombren-déc . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . non-décaléPA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . passé antérieurpart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . participepart-ant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .participe-ant (participe présent)part-é . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .participe-é (participe passé)passé s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .passé simple

Page 19: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

Liste des abréviations

xix

PC . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . passé composépdd . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .partie du discourspers. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .personnepl . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .plurielpos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . positionpost. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . postérieurPQP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . plus-que-parfaitprép . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . prépositionprés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . présentPS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .passé simplequant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . quantifieurquéb . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . français québécoisrég. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .français d’une variété régionaleRMorphP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . représentation morphologique profondeRMorphS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . représentation morphologique de surfaceRPhonP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . représentation phonologique profondeRPhonS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . représentation phonologique de surfaceRSém . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . représentation sémantiqueRSyntP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .représentation syntaxique profondeRSyntS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .représentation syntaxique de surfaceSAnaphP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .structure anaphorique profondeSAnaphS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . structure anaphorique de surfacesg . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . singuliersim . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . simultanéSMorphP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . structure morphologique profondeSMorphS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . structure morphologique de surfaceSPhonP. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .structure phonologique profondeSPhonS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .structure phonologique de surfaceSRéf . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .structure référentielleSRhét . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . structure rhétoriqueSSém . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . structure sémantiqueSSém-Comm . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . structure sémantico-communicativeSSynt-CommP . . . . . . . . . . . . . . . . . . structure syntaxico-communicative profondeSSynt-CommS . . . . . . . . . . . . . . . . . structure syntaxico-communicative de surfaceSSyntP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . structure syntaxique profondeSSynt-ProsP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . structure syntaxico-prosodique profondeSSynt-ProsS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . structure syntaxico-prosodique de surfaceSSyntS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . structure syntaxique de surfacesubj. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . cas subjectifsubj. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . subjonctifsuj. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . sujetT0 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .moment d’énonciationT1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . moment de référenceTAG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . grammaire d’arbres adjointsTST . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . théorie Sens-TexteV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . verbe

Page 20: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier chaleureusement mes sympathiques directeurs,

Sylvain Kahane et Igor Mel’čuk. Ce sont de vrais passionnés qui donnent sans

compter, mais aussi des tortionnaires impitoyables prêts à tout pour extraire le jus

de leur victime (qu’ils iraient jusqu’à pourchasser sur les plages de la Méditerra-

née). S’il y a du bon dans cette thèse, ils y sont pour quelque chose.

C’est à l’Université de Stuttgart avec Leo Wanner, en 2001, que j’ai naïvement

commencé à élaborer un modèle de la flexion verbale en français. De retour à

Montréal, j’ai abondamment discuté du sujet avec Joel Altman et Michel Usereau,

ce qui m’a poussé à faire du temps verbal le sujet de ma thèse. À Paris, au début de

ce doctorat, j’aurais dormi sous les ponts si je n’avais pas été accueilli si gentiment

chez Hiyon Yoo et Kim Gerdes, qui ne m’a pas laissé tranquille avant d’avoir bien

compris ce que je cherchais à faire dans mon travail. Le convaincre m’a aidé à me

faire les dents. Plus tard, mon passage au séminaire Talana de l’Université Paris 7 a

été l’occasion de revoir mon modèle et d’aboutir à la version plus ou moins finale.

J’ai également bénéficié des commentaires de Lucie Barque, Dina El Kassas, Kim

Gerdes, Jasmina Milićević et Céline Raynal, qui ont bien voulu relire certains pas-

sages de cette thèse. Lors de l’examen de synthèse, les questions et remarques des

professeurs Yves-Charles Morin et Alain Polguère m’ont été très utiles. Enfin, les

commentaires du jury lors de la soutenance m’ont permis d’améliorer le texte.

Cette thèse a été rendue possible grâce au soutien financier du Conseil de la

recherche en sciences humaines du Canada (bourse de doctorat # 752-02-1501), de

l’Université de Montréal (Département de linguistique, Fondation J.A. de Sève),

du Gouvernement français (soutien aux cotutelles), du Ministère des relations

internationales du Québec (soutien aux cotutelles), et du bureau des relations inter-

nationales de l’Université Paris 7 (soutien aux cotutelles).

Enfin, sans le soutien continu de ma famille et de mes amis, qui ont enduré mes

angoisses et mes absences, je n’aurais jamais trouvé l’énergie de terminer. Merci!

Page 21: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

I. Introduction

Les humains, en plus de percevoir l’espace qui les entoure, sont conscients du

temps qui s’écoule. La dimension temporelle de l’univers dans lequel nous vivons

est directement liée à divers phénomènes d’une importance cruciale pour notre sur-

vie même: les liens de cause à effet, la mémoire et l’apprentissage, notre propre

vieillissement, etc. Il semble donc tout à fait naturel que le temps physique trouve

son écho dans les langues que nous parlons. Il est même difficile d’imaginer une

langue humaine qui n’offrirait aucun moyen de situer les faits1 dans le temps lors-

que cela est nécessaire. En fait, beaucoup de langues vont même jusqu’à forcer les

locuteurs à le faire. C’est le cas notamment du français, où les verbes à l’indicatif,

qui constituent le cœur de la plupart des énoncés, doivent porter des marques de

temps grammatical qui sont le reflet linguistique du temps physique. C’est ce phé-

nomène que nous nous proposons d’étudier dans cette thèse.

1 Problématique de la recherche

De façon générale, nous nous intéressons à la modélisation formelle de la lan-

gue en synchronie, en particulier celle de la grammaire (par opposition à celle du

lexique). Plus précisément, ce sont les problèmes du temps grammatical2 et de

l’aspect en français qui retiennent notre attention, c’est-à-dire les signes flexion-

nels qui servent essentiellement à situer les faits dans le temps physique ou à spéci-

fier la nature du lien entre ces faits et leurs bornes temporelles intrinsèques. Ainsi,

nous nous proposons de produire un modèle fonctionnel formel des signes flexion-

nels de la conjugaison française contemporaine. Ce modèle doit bien s’intégrer

dans une description globale de la langue et doit mettre en relation les sens gram-

maticaux de nature temporelle et les formes qui les expriment (ou plus précisé-

ment, la représentation de ces sens et de ces formes).

1. Dans cette thèse, nous utilisons le terme fait plutôt que procès pour parler du référent desverbes.

2. À moins d’indication contraire, afin d’alléger le texte, nous utiliserons dorénavant leterme temps dans le sens de temps grammatical.

Page 22: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

I. Introduction

22

Notre recherche s’articule autour de quatre axes principaux: théorie, méthodo-

logie, description et formalisation. Nous aurions aimé aborder également les pro-

blèmes liés à l’implémentation informatique de notre modèle linguistique, mais

nous avons dû y renoncer par manque de temps.

Au niveau théorique, nous cherchons à mieux comprendre la nature des signes

grammaticaux en général, et comment ils s’organisent en un système flexionnel.

Sur ce point, nous verrons que la littérature existante fournit déjà des réponses glo-

balement satisfaisantes.

Au niveau méthodologique, nous voulons définir des critères pour guider la

construction d’un modèle fonctionnel de la flexion (en particulier verbale). Notam-

ment, nous cherchons à développer une approche permettant d’éviter les pièges de

la polysémie et de la phraséologie dans le domaine flexionnel. Nous verrons que la

lexicographie offre des solutions intéressantes pour notre étude.

Au niveau descriptif, les questions qui sous-tendent notre recherche sont les

suivantes:

1) Quelles sont les catégories flexionnelles pertinentes pour le verbe en

français?

2) Quels en sont les grammèmes, et quels sens expriment-ils?

3) En particulier, comment les grammèmes verbaux du français permettent-

ils de situer les faits dans le temps physique?

L’hypothèse principale que nous tentons de démontrer est qu’il n’y a pas qu’une

seule catégorie flexionnelle de temps en français (qui comprendrait le présent,

l’imparfait, le futur simple, etc.), mais bien deux: une, que nous appelons

«décalage», qui situe un point de référence par rapport au moment de l’énoncia-

tion et une autre, que nous appelons «temps», qui situe les faits dénotés par les

verbes par rapport à ce point de référence. Par exemple, le conditionnel dans Il a

dit qu’il viendrait se décompose en un grammème de temps postérieur (exprimé

par –R–) et un grammème de décalage décalé (exprimé par –AI–).

Page 23: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

I. Introduction

23

Enfin, au niveau formel, nous poursuivons le développement du formalisme de

la grammaire d’unification Sens-Texte. Nous proposons des outils formels pour la

description des langues, notamment au niveau sémantique. Nous tenterons d’enco-

der notre description de la conjugaison française dans ce formalisme afin d’en tes-

ter les limites. Le modèle que nous développons est un modèle fonctionnel de la

langue pouvant fonctionner autant comme un modèle génératif que transductif (en

synthèse ou en analyse).

2 Pourquoi le temps grammatical?

Le problème du temps grammatical, ou même de la flexion verbale dans son

ensemble, ne représente qu’une infime partie de la grammaire du français. Cepen-

dant, ce n’est aucunement un problème marginal, puisque le verbe est omniprésent

dans cette langue. Le discours normal en français est truffé de verbes fléchis en

temps. En ce sens, les signes grammaticaux ayant trait à la situation temporelle des

faits, bien qu’ils ne forment qu’une toute petite partie des signes linguistiques, se

trouvent au cœur de la langue (et c’est d’ailleurs le cas dans beaucoup d’autres lan-

gues, bien que les systèmes grammaticaux varient considérablement). Le problème

de la flexion verbale en général, et notamment celui du temps grammatical, doit

donc faire partie des principaux phénomènes à décrire.

Par ailleurs, à travers l’étude de la flexion verbale en français, c’est le dévelop-

pement du formalisme de la grammaire d’unification Sens-Texte qui nous inté-

resse. Nous croyons que ce phénomène se prête bien au jeu, puisqu’il implique

tous les niveaux de fonctionnement de la langue, de la sémantique à la phonologie.

Toutefois, nous laisserons de côté les problèmes morphologiques et phonologiques

liés à la réalisation de surface des morphèmes verbaux pour nous concentrer plutôt

sur la conjugaison dans l’interface sémantique-syntaxe.

Page 24: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

I. Introduction

24

3 Organisation de la thèse

Le Chapitre II délimite les phénomènes à l’étude dans le cadre de ce travail.

Nous dressons méthodiquement une liste de toutes les formes verbales à considérer

et nous écartons celles qui d’emblée ne sont pas pertinentes pour notre recherche.

Au Chapitre III nous présentons brièvement la théorie linguistique qui sous-

tend notre travail, la théorie Sens-Texte.

On trouvera au Chapitre IV une discussion des notions de grammème, grammie

et catégorie flexionnelle. Nous y proposons une méthodologie inspirée de la lexi-

cographie pour l’étude des signes grammaticaux.

Au Chapitre V nous passons en revue quelques modèles de la conjugaison qui

ont été proposés par nos prédécesseurs. Nous tenterons de traduire ces modèles en

termes de grammèmes au sens où nous l’entendons au Chapitre IV, et nous verrons

que cela n’est pas possible.

C’est au Chapitre VI, qui constitue le cœur descriptif de la thèse, que nous ana-

lysons le système flexionnel verbal du français. Nous y identifions les grammèmes

verbaux du français ainsi que leurs principales acceptions.

Le Chapitre VII prépare le terrain à la formalisation du modèle élaboré au cha-

pitre précédent. Nous y présentons et développons la grammaire d’unification

Sens-Texte, qui nous sert de cadre formel.

On trouvera au Chapitre VIII le modèle formel que nous proposons pour la con-

jugaison française.

Enfin, au Chapitre IX, nous conclurons par un bref résumé des principaux élé-

ments de la thèse et proposerons quelques pistes à explorer pour résoudre les pro-

blèmes laissés en suspens.

À la fin de chaque chapitre, ainsi que des sections les plus importantes, nous fai-

sons une brève synthèse des principaux éléments présentés.

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II. Délimitation du champ d’étude

Avant toute chose, il convient de délimiter les faits linguistiques que nous cher-

chons à décrire. Précisons d’emblée que nous n’avons pas la prétention de décrire

l’ensemble des phénomènes liés à la conjugaison des verbes. Nous ne nous intéres-

sons, dans le cadre de cette thèse, qu’aux faits liés à l’expression des relations tem-

porelles dans la conjugaison en français standard contemporain, et ce, seulement

du point de vue de l’interface sémantique-syntaxe. Par conséquent, nous ne trai-

tons pas, entre autres, les phénomènes suivants:

• les marqueurs temporels non verbaux (cf. Vet 1980 ou Gosselin 1996);

• la voix grammaticale (voir à ce sujet Mel’čuk 2001b);

• la syntaxe des auxiliaires (voir à ce sujet Abeillé & Godard 2002b);

• les considérations strictement morphologiques, morpho-phonologiques ou

phonologiques (voir à ce propos Van Den Eynde & Blanche-Benveniste

1970, Morin 1987, Touratier 1996, ou encore Le Goffic 1997);

• la variation historique (cf. par exemple Cornu 1953 ou Morin 2001) ou dia-

lectale (voir par exemple Jolivet 1984 ou Laurendeau 2000) de la flexion

verbale.

Nous serons cependant appelé à discuter dans une certaine mesure les phénomè-

nes suivants, soit parce qu’ils sont sémantiquement liés au temps grammatical, soit

parce qu’ils interagissent directement avec les signes temporels:

• les marqueurs «aspectuels», en raison de leur sens intimement lié au temps

grammatical;

• le mode et la finitude, puisqu’ils peuvent bloquer ou encore forcer l’expres-

sion du temps grammatical;

• de façon moins élaborée, les questions d’Aktionsart, seulement là où ce

phénomène a une incidence sur l’expression du temps grammatical.

Nous proposons dans les pages qui suivent un inventaire systématique des for-

mes verbales (synthétiques et analytiques) que nous allons considérer dans cette

thèse. Les formes les plus simples sont déjà répertoriées dans les ouvrages plus ou

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II. Délimitation du champ d’étude

26

moins traditionnels sur la conjugaison française. Nous utilisons notamment le Bes-

cherelle (1998), le Larousse de la conjugaison (1999) ainsi que le Les formes con-

juguées du verbe français oral et écrit de Le Goffic (1997). Ces ouvrages

fournissent toutes les formes synthétiques existantes et les formes analytiques de

base. À partir de l’ensemble de ces données nous construisons de façon systémati-

que les formes analytiques en combinant les auxiliaires (par exemple, allait avoir

été enseveli) pour obtenir l’inventaire complet des formes verbales.

Il n’est pas toujours évident de distinguer les simples combinaisons de lexies

des phénomènes qui relèvent de la flexion. Nous devrons donc anticiper quelque

peu sur les chapitres qui suivent pour justifier certains de nos choix. Toutes les

caractérisations sémantiques présentées dans cette section sont volontairement

vagues. Il s’agit seulement de premières évaluations grossières et nous reviendrons

sur ces différentes constructions dans les chapitres suivants. En cas de doute, nous

inclurons les constructions suspectes dans notre liste, quitte à les rejeter plus tard

une fois que nous aurons présenté les critères qui dictent nos choix.

1 Précision terminologique

Nous utilisons les termes de la grammaire traditionnelle pour faire référence

aux différentes formes verbales («présent», «imparfait», «passé composé», etc.).

Ces formes ne correspondent jamais à un seul grammème. Par exemple, nous ne

pouvons pas le justifier ici puisque nous n’avons pas encore présenté les concepts

nécessaires, mais nous considérons que ce que la grammaire traditionnelle appelle

«présent» exprime deux grammèmes temporels, simultané et décalé, en plus des

grammèmes de mode indicatif et de finitude fini. D’autre part, les termes utilisés

traditionnellement ne correspondent pas forcément à des grammèmes de notre

modèle (nous n’avons pas de grammème *imparfait ou *conditionnel, par

exemple). Par convention, nous utiliserons toujours une police spéciale lorsque

nous parlerons d’un grammème, et une police normale lorsque nous ferons réfé-

rence à une forme verbale selon la terminologie traditionnelle1.

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II. Délimitation du champ d’étude

27

2 Les formes synthétiques

Les formes synthétiques (aussi appelées «formes simples») sont bien connues

et appellent peu de commentaires:

• Le présent: savez.

• L’imparfait: saviez.

• Le futur simple: saurez.

• Le passé simple: sûtes.

• Le conditionnel: sauriez.

• Le subjonctif: sachiez.

• L’impératif: sachez.

• L’infinitif: savoir.

• Le participe présent: sachant.

• Le participe passé: su2.

On remarquera qu’il manque à cette liste l’imparfait du subjonctif [sussiez]. En

effet, s’il est encore à l’occasion utilisé à l’écrit par certains auteurs (et même à peu

près compris par certains de leurs lecteurs), il n’est en général pas maîtrisé active-

ment par les locuteurs natifs, même dans les milieux les plus scolarisés3. Il appar-

tient donc à un autre code que celui du français contemporain et nous l’excluons

par conséquent de notre domaine d’étude. Le fait qu’on puisse encore le trouver

dans quelques textes contemporains ne constitue pas un contre-argument suffisant.

Il est également toujours possible d’utiliser des tournures archaïques comme Je ne

me puis dépêtrer de cet homme (Lafontaine, Le Cocu, battu, et content), mais on

ne dit pas pour autant que ces tournures sont encore vivantes aujourd’hui.

1. Nous recommandons fortement au lecteur de consulter la liste des conventionstypographiques au début de cette thèse (p. xvii).

2. Les verbes ne peuvent pas tous être utilisés au participe passé sans faire partie d’uneforme analytique. Ce n’est possible que si le verbe est compatible avec la voix passive ous’il peut avoir une valeur de résultatif (cf. Ch. VI, § 1.2.2, p. 124).

3. Nous ne disposons pas de données objectives pour appuyer cette affirmation, mais le faitnous semble suffisamment évident. Une petite enquête informelle dans notre entouragenous conforte dans cette idée.

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II. Délimitation du champ d’étude

28

3 Les formes analytiques à un auxiliaire

Les formes analytiques (aussi appelées «formes composées» quand ce sont des

verbes) sont constituées de plus d’un mot-forme. Les formes analytiques verbales

sont composées d’un verbe précédé d’un auxiliaire ou semi-auxiliaire (la distinc-

tion entre les deux ne nous intéresse pas ici). La plupart des grammaires modernes

reconnaissent à peu près les mêmes constructions à valeur temporelle ou aspec-

tuelle, soit:

• Le passé composé: «AVOIR + Vpp» ou «ÊTRE + Vpp» selon la lexie en jeu

ou le contexte syntaxique (par exemple, la voix pronominale impose ÊTRE).

• Le futur périphrastique: «ALLER + Vinf».

• Le passé récent: «VENIR + Vinf».

Deux autres constructions sont fréquemment mentionnées dans les ouvrages de

référence, mais il n’est pas toujours tout à fait clair si elles sont considérées comme

faisant partie du paradigme de la conjugaison ou non:

• Un marqueur d’aspect progressif: « kEN TRAINl + Vinf».

• Un marqueur d’imminence: « kSUR LE POINTl + Vinf»

Il semble que la copule ÊTRE, contrairement à ce qui est affirmé dans toutes les

grammaires consultées, ne fasse pas partie des constructions « kEN TRAINl + Vinf»

et « kSUR LE POINTl + Vinf», puisque celles-ci peuvent s’utiliser sans cette copule:

(1) Je l’ai surprise en train de fouiller dans mes affaires.

(2) Sur le point d’éclater en sanglots, il alla se réfugier dans les toilettes.

Ces constructions ont une distribution semblable aux prépositions:

(3) a. Mes clés étaient sous la table.

b. Ma sœur était en train de fouiller dans mes affaires <était sur le pointde partir>.

(4) a. J’ai trouvé mes clés sous la table.

b. J’ai trouvé ma sœur en train de fouiller dans mes affaires <sur le pointde partir>.

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II. Délimitation du champ d’étude

29

D’autre part, elles peuvent apparaître sans dépendant verbal, ce qui contraste

fortement avec les auxiliaires authentiques4:

(5) a. — Est-ce que tu as écrit à Pierre?— J’étais en train <J’étais sur le point>.

b. — Est-ce que tu as écrit à Pierre?— * Je vais <* J’ai>.

Enfin, kEN TRAINl peut être remplacé, quand le contexte syntaxique l’exige, par

kEN PLEINl, qui a la même distribution si ce n’est qu’il apparaît avec des noms plu-

tôt que des verbes5:

(6) a. Il était en train de réfléchir.

b. Il était en pleine réflexion.

kEN TRAINl et kSUR LE POINTl ne sont donc pas des auxiliaires (ni même des

verbes) et ne peuvent pas entrer dans la composition de formes analytiques verba-

les. Néanmoins, vu l’importance apparente de l’expression « kEN TRAINl + Vinf»

dans le système verbal ainsi que son traitement privilégié dans les grammaires en

général, nous allons la considérer dans cette thèse. Nous accorderons également un

sursis à kSUR LE POINTl. Pour les fins du présent chapitre, nous allons traiter ces

deux locutions comme des auxiliaires afin d’alléger le texte, bien qu’elles n’en

soient pas.

Outre les constructions que nous venons de mentionner, (Riegel, Pellat & Rioul

1994) traitent les expressions commencer à, se mettre à, finir de, achever de et ces-

ser de comme des auxiliaires au même titre que, par exemple, ALLER. Nous

croyons plutôt qu’il s’agit de verbes ordinaires utilisés de façon tout à fait libre et

compositionnelle. En effet, ils ne se combinent pas seulement aux verbes, mais

également aux noms [commencer à travailler ~ commencer le travail, finir de tra-

vailler ~ finir le travail, etc.], ce qui n’est pas le cas des véritables marqueurs

d’«aspect», qui ne peuvent se combiner qu’aux verbes seulement [il va réussir ~

4. Le cas de VENIR est à cheval entre les deux: Je viens juste est grammatical mais pas * Jeviens.

5. kSUR LE POINTl n’a pas d’équivalent clairement identifiable qui s’utiliserait avec lesnoms, mais il existe de nombreuses collocations qui expriment le même sens: sur lepoint de partir ~ sur son départ, sur le point de pleurer ~ au bord des larmes, etc.

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II. Délimitation du champ d’étude

30

* il va la réussite, il vient de finir ~ * il vient de la fin, etc.]. D’autre part, ils se lais-

sent aisément paraphraser par des lexies d’autres parties du discours [commencer à

manger ~ le début du repas, finir de travailler ~ la fin du travail, etc.].

Les auxiliaires, puisqu’ils sont des verbes, ainsi que la copule ÊTRE qui accom-

pagne les locutions prépositionnelles kEN TRAINl et kSUR LE POINTl, doivent être

fléchis et prendre une des formes synthétiques mentionnées plus haut (§ 2, p. 27).

Le tableau suivant résume la combinatoire de ces expressions avec les formes syn-

thétiques (un crochet indique la compatibilité, un astérisque l’incompatibilité).

À partir de ces informations, on peut générer la liste complète des formes analy-

tiques à un auxiliaire pour un verbe donné (voir Annexe A, § 2, p. xx).

Les auxiliaires peuvent également se combiner entre eux, ce qui permet de pro-

duire des constructions à deux, trois ou quatre auxiliaires.

prés

imp

futu

r s.

cond

pass

é s.

subj

impé

r

inf

part

pré

s

part

pas

AVOIR √ √ √ √ √ √ √ √ √ *i

i. N’est possible que dans les formes surcomposées (§ 4, p. 31).

ÊTRE √ √ √ √ √ √ √ii

ii. Sauf pour les verbes pronominaux: sois parti est correct mais pas *sois-toi endormi.

√ √ *i

ALLER √ √ * * * * * * * *

VENIR √ √ √ √ √ √ * √ √ *

ÊTRE + kEN TRAINl √ √ √ √ √ √ * √ √ *iii

iii. N’est possible que si la copule porte elle-même un auxiliaire, puisque ÊTRE n’accepte pas le passif (voir note 2, p. 27).

ÊTRE + kSUR LE POINTl √ √ √ √ √ √ * √ √ *iii

Tableau I — La combinatoire morphologique des auxiliaires

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II. Délimitation du champ d’étude

31

4 Les formes analytiques à deux auxiliaires

Le tableau suivant présente les paires d’auxiliaires théoriquement possibles

ainsi que la grammaticalité de chacune des combinaisons. L’ordre relatif des auxi-

liaires est pertinent [il va s’être endormi ~ *il s’est allé endormir]. La colonne de

titre du tableau donne le premier terme de la paire, la ligne de titre en donne le

second terme (par exemple, la première ligne doit se lire comme suit: avoir eu

(endormi), avoir été (parti), avoir allé (endormir), avoir venu (d’endormir), …).

Attention: l’auxiliaire ÊTRE que nous considérons ici est celui qui alterne avec

AVOIR dans la formation du passé composé. Il ne faut pas le confondre avec celui

qui apparaît dans la voix passive. De façon similaire, l’auxiliaire ALLER ne doit pas

être confondu avec le verbe de mouvement homonyme.A

VO

IR

ÊT

RE

AL

LE

R

VE

NIR

kEN

TR

AIN

l

k SU

R L

E P

OIN

Tl

AVOIR √ √ * * √ √

ÊTRE * * * * * *

ALLER √ √ * √ √ √

VENIR * * * * * *

kEN TRAINl * * * * * *

kSUR LE POINTl ?i

i. ? Il est sur le point d’avoir fini <d’être parti> nous semble plutôt lourd, mais la construction n’est pas impossible, comme en témoigne cette phrase trouvée sur internet: Une petite tradition du lieu: lorsque vous êtes sur le point d’avoir fini votre verre, le patron vous en remet un direct. Dans ces constructions, l’auxiliaire AVOIR / ÊTRE peut être omis [lors-que vous êtes sur le point de finir…].

?i * * * *

Tableau II — Les constructions à deux auxiliaires possibles

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II. Délimitation du champ d’étude

32

Le premier auxiliaire d’une forme à deux auxiliaires est celui qui porte la

flexion. Le tableau suivant présente, pour chaque construction à deux auxiliaires

possible, sa combinatoire morphologique.

On trouvera la liste complète des formes à deux auxiliaires à l’Annexe A (§ 3,

p. xxii). Il est intéressant de noter que l’auxiliaire AVOIR est le seul à ne pas avoir

la même combinatoire morphologique selon qu’il est ou non le seul auxiliaire dans

la construction.

Pour les constructions AVOIR + (ÊTRE) kEN TRAINl et AVOIR + (ÊTRE) kSUR LE

POINTl, il y a un fort contraste d’acceptabilité entre les formes au conditionnel et

les autres, que nous rejetons. Pour ce qui est des formes surcomposées, il faut faire

attention de ne pas confondre les dialectes. Dans certains dialectes, les formes sur-

prés

imp

futu

r s.

cond

pass

é s.

subj

impé

r

inf

part

pré

s

part

pas

AVOIR + AVOIRi

i. Nous justifions au Chapitre VI nos jugements sur l’acceptabilité des formes surcompo-sées (Ch. VI, § 4.1, p. 145).

√ √ * √ * * * * * *

AVOIR + ÊTREi √ √ * √ * * * * * *

AVOIR + kEN TRAINl * * * √ * * * * * *

AVOIR + kSUR LE POINTl * * * √ * * * * * *

ALLER + AVOIR √ √ * * * * * * * *

ALLER + ÊTRE √ √ * * * * * * * *

ALLER + VENIR √ √ * * * * * * * *

ALLER + kEN TRAINl √ √ * * * * * * * *

ALLER + kSUR LE POINTl √ √ * * * * * * * *

kSUR LE POINTl + AVOIRii

ii. Voir note i, Tableau II, p. 31.

√ √ √ √ √ √ * √ √ *iii

iii. Voir note 2, p. 27.

kSUR LE POINTl + ÊTREii √ √ √ √ √ √ * √ √ *iii

Tableau III — La combinatoire morphologique des formes à deux auxiliaires

Page 33: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

II. Délimitation du champ d’étude

33

composées sont beaucoup plus utilisées et elles peuvent avoir une combinatoire

morphologique différente6. Nous ne considérons ici que le français standard. Dans

cette variété de français, il ne faut retenir que les formes surcomposées au présent,

à l’imparfait ou au conditionnel. Riegel, Pellat & Rioul (1994) sont d’avis que les

deux premières sont meilleures que la dernière:

Les autres formes surcomposées, qui sont parallèles aux formes composées, àl’exception des formes correspondant au passé antérieur de l’indicatif et auplus-que-parfait du subjonctif, sont très rares: il avait eu chanté, il aura euchanté, il aurait eu chanté, qu’il ait eu chanté, avoir eu chanté, ayant euchanté. Elles ne sont pas toujours reconnues par un locuteur français stan-dard. Pour cette raison, elles ne figurent pas ici dans les tableaux de conju-gaisons.

Riegel, Pellat & Rioul (1994: p. 152).

Néanmoins, les études de Carruthers (1996) révèlent que le conditionnel sur-

composé est aussi attesté.

5 Les formes analytiques à trois auxiliaires

L’auxiliaire qui est au sommet d’une forme à deux auxiliaires peut lui même

dépendre d’un autre auxiliaire. Le Tableau IV ci-dessous montre les combinaisons

possibles. Il se lit comme suit: avoir eu eu (dormi), avoir eu été (parti), avoir eu

été sur le point (de dormir), avoir allé avoir (dormi), etc.

Comme pour les formes à deux auxiliaires, c’est l’auxiliaire qui est le sommet

syntaxique de l’expression qui porte la flexion. Le Tableau V ci-dessous présente,

pour chaque construction à trois auxiliaires possible, sa combinatoire morphologi-

que.

Ces formes sont données à l’Annexe A (§ 4, p. xxiii). Certaines de ces formes

sont très rares et ne sont pas attestées dans les corpus. Elles sont souvent ignorées

dans les grammaires.

6. Voir notamment les travaux de Carruthers (1994, 1996, 1999) à ce sujet.

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II. Délimitation du champ d’étude

34

Nous ne trouvons pas de constructions à quatre auxiliaires dans les corpus et les

seules que nous pouvons imaginer sont celles formées de ALLER + AVOIR + kSUR

LE POINTl + AVOIR/ ÊTRE [??Il va <allait> avoir été sur point d’avoir fini <d’être

parti>]. Ces constructions sont trop lourdes et nous les excluons de notre étude.

AV

OIR

+ A

VO

IR

AV

OIR

+ Ê

TR

E

AV

OIR

+ kE

N T

RA

INl

AV

OIR

+ kS

UR

LE

PO

INT

l

AL

LE

R +

AV

OIR

AL

LE

R +

ÊT

RE

AL

LE

R +

VE

NIR

AL

LE

R +

kEN

TR

AIN

l

AL

LE

R +

kSU

R L

E P

OIN

Tl

kSU

R L

E P

OIN

Tl +

AV

OIR

kSU

R L

E P

OIN

Tl +

ÊT

RE

AVOIR * *i * * * * * * * ?ii ?ii

ÊTRE * * * * * * * * * * *

ALLER * * * * * * * * * ?ii ?ii

VENIR * * * * * * * * * * *

kEN TRAINl * * * * * * * * * * *

kSUR LE POINTl * * * * * * * * * * *

Tableau IV — Les constructions à trois auxiliaires possiblesi. Cette construction est possible dans certains dialectes, mais pas en français stan-

dard. Voir Carruthers (1994, 1996).ii. Voir note i, Tableau II, p. 31.

prés

imp

futu

r s.

cond

pass

é s.

subj

impé

r

inf

part

pré

s

part

pas

AVOIR + kSUR LE POINTl + AVOIRi * * * ? * * * * * *

AVOIR + kSUR LE POINTl + ÊTREi * * * ? * * * * * *

ALLER + kSUR LE POINTl + AVOIRi √ √ * * * * * * * *

ALLER + kSUR LE POINTl + ÊTREi √ √ * * * * * * * *

Tableau V — La combinatoire morphologique des formes à trois auxiliaires

i. Voir note i, Tableau II, p. 31.

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III. La théorie Sens-Texte

Notre travail se situe dans le cadre de la théorie Sens-Texte (TST). En particu-

lier, nous nous appuyons fortement sur l’appareil conceptuel élaboré dans le Cours

de morphologie général de Mel’čuk (1993, 1994, 1996a, 1997b, 2000). Toutefois,

le formalisme que nous utilisons est celui de la grammaire d’unification Sens-

Texte. Ce dernier sera exposé en détail au Chapitre VII. Dans le présent chapitre,

nous présentons en quelques pages les grandes lignes de la TST.

1 Présentation générale

La TST a vu le jour à l’Académie des sciences de Moscou vers la fin des années

1960 comme une solution au problème de la traduction automatique anglais ↔

russe. Ses textes fondateurs sont ceux de Žolkovskij & Mel’čuk (1965, 1967,

1970) et de Mel’čuk (1973, 1974). On en trouve également de nombreuses intro-

ductions, notamment celles de Mel’čuk (1997a), Polguère (1998a), Kahane (2001,

2003a) ou encore Milićević (2006)1.

Cette théorie est basée sur les trois postulats suivants:

1) La langue est conçue comme la mise en correspondance de sens et de

formes. Cette correspondance est multivoque dans les deux directions (à

un même sens peuvent correspondre plusieurs formes — la langue permet

de paraphraser — et à une même forme peuvent correspondre plusieurs

sens — les énoncés peuvent être ambigus).

2) La langue doit se décrire au moyen d’un modèle fonctionnel formel qui

simule cette correspondance.

3) Cette correspondance étant trop complexe, il faut distinguer des niveaux

intermédiaires de représentation et, donc, de correspondance.

1. Cet article contient en plus une bibliographie (non-exhaustive, mais assez complète) depublications traitant de divers sujets dans le cadre de la TST.

Page 36: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

III. La théorie Sens-Texte

36

La TST se distingue donc des théories linguistiques dominantes d’au moins

deux façons. Premièrement, un modèle Sens-Texte n’est pas génératif, mais trans-

ductif, c’est-à-dire qu’il doit prendre en entrée une représentation (sémantique,

phonologique ou intermédiaire) pour produire les représentations qui lui corres-

pondent (cf. Kahane 2000b). Deuxièmement, alors que la plupart des théories se

contentent d’un, deux, voire trois niveaux de représentation linguistique, la TST

utilise sept niveaux de représentation différents: la représentation sémantique

(RSém), la représentation syntaxique profonde (RSyntP), la représentation syntaxi-

que de surface (RSyntS), la représentation morphologique profonde (RMorphP), la

représentation morphologique de surface (RMorphS), la représentation phonologi-

que profonde (RPhonP) et la représentation phonologique de surface (RPhonS).

La correspondance entre les représentations est assurée par six modules (c’est-

à-dire des ensembles de règles), nommés d’après le niveau le plus profond qu’ils

mettent en jeu. Les correspondances entre les sens de la langue et les concepts de la

psyché, ou encore entre les phones et les sons qui les réalisent, ne font pas partie de

la langue au sens strict du terme. L’étude de la réalisation des sons relève de la

phonétique articulatoire (considérée dans le cadre de cette théorie comme externe à

la linguistique dans son acception la plus étroite), alors que l’étude de la pensée

appartient aux sciences cognitives. Un modèle Sens-Texte ne doit donc décrire que

les correspondances qui existent entre les sens de la langue et les phones qui les

expriment.

La Figure 1, p. 37, présente de façon schématique les niveaux de représentation

de la TST et les modules qui les mettent en correspondance. Les niveaux qui nous

intéressent dans cette thèse sont les niveaux sémantique et syntaxique profond et

de surface. Nous en discuterons plus en détail et nous esquisserons une description

des autres niveaux avant d’aborder la question des modules qui établissent les cor-

respondances entre ces représentations.

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III. La théorie Sens-Texte

37

Figure 1 — L’architecture d’un modèle Sens-Texte

RPhonS

RPhonP

RMorphS

RMorphP

RSyntS

RSyntP

RSém

Module sémantique

Module syntaxique profond

Module syntaxique de surface

Module morphologique profond

Module morphologique de surface

Module phonologique profond

Sons

Pensée

Langue

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III. La théorie Sens-Texte

38

2 Les niveaux de représentation

Chaque représentation linguistique de la TST est composée de plusieurs structu-

res, dont une est la structure porteuse. Les structures porteuses sont des graphes

dont la complexité va grandissante à mesure qu’on s’approche du niveau sémanti-

que. La représentation du sens d’un énoncé est basée sur un réseau. Au niveau syn-

taxique, où est représentée l’organisation des mots dans la phrase, c’est un arbre de

dépendances qui sert de support à la représentation. À partir du niveau morpholo-

gique profond, les représentations sont des chaînes: d’abord des chaînes de lexè-

mes (en RMorphP), puis de morphèmes (en RMorphS), ensuite de phonèmes (en

RPhonP) et finalement de phones (en RPhonS).

Nous n’insisterons pas sur la forme des représentations linguistiques de la TST,

puisqu’elles sont très semblables à celles de la grammaire d’unification Sens-

Texte, qui en sont fortement inspirées et que nous présenterons au Chapitre VII. Ce

qui nous intéresse ici est surtout de donner au lecteur une idée générale de l’archi-

tecture d’un modèle Sens-Texte. Pour chaque niveau de représentation, nous mon-

trerons en exemple la structure porteuse pour la phrase ci-dessous:

(7) Je pense à ma sœur.

2.1 La représentation sémantique

La RSém d’un énoncé en représente le sens. Une RSém complète est constituée

de quatre structures: la structure sémantique (SSém), la structure sémantico-com-

municative (SSém-Comm), la structure rhétorique (SRhét) et la structure référen-

tielle (SRéf).

La SSém est la structure porteuse d’une RSém. Elle représente le sens proposi-

tionnel exprimé par un énoncé et l’ensemble de ses paraphrases. Il ne s’agit pas

d’une représentation du monde, ni même de la connaissance qu’en a le locuteur,

mais bien d’une représentation du sens strictement linguistique. Formellement, la

SSém est un réseau de sémantèmes liés par des relations prédicat-argument. Par

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III. La théorie Sens-Texte

39

exemple, la structure sémantique simplifiée2 de la phrase (7) ci-dessus est la

suivante:

Les arcs de la SSém, qui représentent les relations prédicat-argument entre les

sémantèmes, sont étiquetés par des numéros plutôt que des noms de «rôles

sémantiques» comme agent, patient, etc. Les arguments d’un prédicat sont numé-

rotés en ordre croissant d’oblicité (cf. Mel’čuk 2004).

Les sémantèmes varient d’une langue à l’autre et ne correspondent pas forcé-

ment à des unités lexicales. Au niveau sémantique, aucune distinction n’est faite

entre les sens qui s’expriment par des moyens grammaticaux et ceux qui s’expri-

ment par des lexies. De même, les parties du discours n’existent pas à ce niveau de

représentation. Le sémantème (penser), par exemple, peut aussi bien se réaliser par

le verbe PENSER que par le nom PENSÉE.

La SSém ci-dessus représente non seulement le sens de (7), mais aussi de toutes

ses paraphrases plus ou moins exactes. Par exemple, toutes les phrases ci-dessous

(et d’autres encore) ont la même SSém puisqu’elles dénotent exactement la même

situation, c’est-à-dire que leur sens propositionnel est le même.

(8) Je pense à ma frangine.

(9) C’est à ma sœur que je pense.

(10) Moi, je pense à ma sœur.

(11) Moi, ma sœur, j’y pense.

(12) J’y pense, à ma sœur, moi.

2. Nous omettons dans cette figure les sens grammaticaux, sauf celui du présent del’indicatif, que nous représentons ici par un seul nœud. Nous verrons au Chapitre VIII(§ 1.3, p. 286) que sa représentation est en fait plus complexe.

Figure 2 — La SSém de (7)

(moi)

(penser)

(sœur)

12

2

1

(présent)

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III. La théorie Sens-Texte

40

(13) Je pense à ma sœur. [avec emphase]

(14) J’ai une pensée pour la sœur à bibi.

C’est principalement dans la SSém-Comm que se représente la différence entre

ces phrases. Cette structure encode l’organisation communicative des sens d’un

énoncé, c’est-à-dire la façon dont le locuteur a choisi de les présenter. Par exemple,

en (10) le sémantème (moi) est communicativement plus saillant qu’en (12), où il

est quand même plus saillant qu’en (13). Cette organisation se représente par une

division de la SSém en aires communicatives marquées des huit oppositions sui-

vantes, dont les valeurs sont mutuellement exclusives:

1) La thématicité: rhème / thème / spécifieur.

2) La nouveauté: donné / nouveau.

3) La focalisation: focalisé / neutre.

4) La perspective: arrière-plan / avant-plan / neutre.

5) L’emphase: emphatique / neutre.

6) La présupposition: posé / présupposé.

7) L’articulation: unitaire / articulé.

8) La locutionalité: communiqué / signalé / performé.

Nous n’allons pas décrire chacune de ces oppositions, puisque nous ne les utili-

sons pas dans cette thèse. Nous renvoyons le lecteur à Mel’čuk (2001c).

Les deux autres structures de la RSém ont été beaucoup moins étudiées. La

SRhét encode l’information stylistique pertinente à la production d’un énoncé.

C’est dans cette structure, par exemple, que s’encode la différence entre (7) et (8),

qui est de l’ordre du registre. La SRéf, quant à elle, lie les sémantèmes (ou des con-

figurations de sémantèmes) de la SSém à leur référent dans le monde réel.

2.2 La représentation syntaxique profonde

La RSyntP représente l’organisation des lexies pleines au sein de la phrase. Les

lexies pleines sont celles choisies librement par le locuteur afin d’exprimer un

sens. Cela exclut notamment les articles, auxiliaires, prépositions régies, etc. La

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III. La théorie Sens-Texte

41

RSyntP est constituée de quatre structures: la structure syntaxique profonde

(SSyntP), la structure syntaxico-communicative profonde (SSynt-CommP), la

structure syntaxico-prosodique profonde (SSynt-ProsP) et la structure anaphorique

profonde (SAnaphP).

La SSyntP est la structure porteuse de la RSyntP. Il s’agit d’un arbre de dépen-

dances non ordonné; alors que la plupart des théories syntaxiques dominantes sont

basées sur des structures de constituants, la TST ne fait usage que de la dépendance

(cf. Mel’čuk 1988a, 2001a ou Mel’čuk & Polguère 2008). Les nœuds de la SSyntP

sont étiquetés de noms de lexies pleines. Ces lexies peuvent être accompagnées de

grammèmes profonds (nous reviendrons au Chapitre IV sur la notion de gram-

mème). Les relations syntaxiques profondes entre les lexies sont de quatre types:

• Les relations actantielles, numérotées de I à VI, qui lient les lexies à leurs

actants syntaxiques.

• Les relations attributives, ATTRrestr(ictive) et ATTRqual(ificative), qui lient les

modifieurs et les relatives à leur gouverneur.

• La relation appenditive, APPEND, qui rattache au verbe principal des élé-

ments extra-structurels comme les apostrophes, les interjections, etc.

• Les relations de coordination, COORD et QUASI-COORD.

Par exemple, la SSyntP de la phrase (7) est la suivante:

L’arc en pointillés entre les deux nœuds MOI appartient à la SAnaphP. Il s’agit

d’un lien de coréférence. La SAnaphP ne contient pas d’autre information. La

SSynt-CommP est le reflet, au niveau syntaxique profond, de la SSém-Comm.

Quant à la SSynt-ProsP, elle consiste en des instructions indiquant une prosodie

Figure 3 — La SSyntP de (7)

III

II

MOI

MOI

PENSER ind, prés

SŒUR sg

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III. La théorie Sens-Texte

42

porteuse de sens à appliquer à la phrase (par exemple, ironique, déclarative, inter-

rogative, etc.).

2.3 La représentation syntaxique de surface

La RSyntS est structurellement très similaire à la RSyntP. Toutes les structures

de la RSyntP ont leur équivalent en RSyntS: la structure syntaxique de surface

(SSyntS), la structure syntaxico-communicative de surface (SSynt-CommS), la

structure syntaxico-prosodique de surface (SSynt-ProsS) et la structure anaphori-

que de surface (SAnaphS).

La SSyntS est aussi un arbre de dépendances non ordonné. Elle se distingue de

la SSyntP par le fait que tous les lexèmes de la phrase y sont présents, ainsi que par

la nature des relations syntaxiques qui y apparaissent. Les relations syntaxiques de

surface varient d’une langue à l’autre (cf. Mel’čuk & Pertsov 1987 pour l’anglais et

Iordanskaja & Mel’čuk, à paraître, pour le français). La SSyntS pour la phrase (7)

est la suivante:

Les autres structures de la RSyntS sont identiques à celles de la RSyntP.

2.4 Les représentations morphologiques et phonologiques

À partir du niveau morphologique profond, les structures porteuses sont linéai-

res. La structure morphologique profonde (SMorphP) est une chaîne de lexèmes

accompagnés de toutes les informations grammaticales nécessaires au calcul de

leur forme fléchie. Par exemple, la SMorphP de (7) est la suivante:

Figure 4 — La SSyntS de (7)

sujobj ind

dét

MOI

MON

PENSER ind, prés

À

prép

SŒUR sg

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III. La théorie Sens-Texte

43

La structure morphologique de surface (SMorphS) est une chaîne de morphè-

mes. Pour la phrase (7), la SMorphS est:

La structure phonologique profonde (SPhonP) est une chaîne de phonèmes

(c’est une transcription phonologique). La SPhonP de la phrase (7) est:

Enfin, la structure phonologique de surface (SPhonS) est une chaîne de phones

(c’est une transcription phonétique, dont le degré de précision peut varier). La

SPhonS de la phrase (7) est la suivante3:

À chaque niveau entre la RSyntP et la RPhonS, s’ajoute à la structure porteuse

une structure prosodique. Cette structure se raffine à mesure qu’on approche de la

surface.

3 Les modules de correspondance

La transition entre les représentations se fait par l’application de règles de cor-

respondances, regroupées dans six modules à l’interface des sept niveaux de repré-

sentation (cf. Figure 1, p. 37). Toutes les règles de ces modules sont composées de

trois parties: deux fragments de graphes de niveaux adjacents à mettre en corres-

pondance et un ensemble de conditions. Par exemple, la règle suivante du module

Figure 5 — La SMorphP de (7)

Figure 6 — La SMorphS de (7)

Figure 7 — La SPhonP de (7)

Figure 8 — La SPhonS de (7)

3. Ici, nous représentons notre propre prononciation.

PENSER ind, prés À SŒUR sgMOI subj MON sg, fém

{À}{MOI}�{SUBJ} {PENS–(er)} {IND.PRÉS}� {M–(on)}� {SG.FÉM} {SŒUR}�{SG}

/ʒə.pɑ̃s.a.ma.sœ /

[ 'ʃpɑ̃s.a.ma.'sœø̯ːʁ ]

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III. La théorie Sens-Texte

44

syntaxique de surface met en correspondance un fragment de la SSyntS et un frag-

ment de la SMorphP.

Cette règle modélise le fait qu’un sujet peut se placer avant son gouverneur, à

condition de ne pas être dans une construction interrogative (à inversion du sujet).

Nous n’allons pas présenter en détail la forme des règles d’un modèle Sens-

Texte, puisque nous y reviendrons au Chapitre VII. Ce qui nous intéresse ici est de

voir quels sont les phénomènes linguistiques modélisés par chaque module (en

nous plaçant dans le sens de la synthèse, et non de l’analyse).

Le module sémantique sert principalement à organiser l’énoncé en une structure

syntaxiquement valide. L’arborisation de la SSém vers la SSyntP est fortement

conditionnée par la SSém-Comm, puisque la SSyntP correspond plus ou moins à la

hiérarchie communicative entre les sémantèmes établie par la SSém-Comm (cf.

Polguère 1990). C’est aussi dans le module sémantique qu’a lieu la lexicalisation

profonde, c’est-à-dire le choix des lexies qui expriment les sens de la SSém. Dans

la même étape, on choisit les grammèmes qui expriment les «sens grammaticaux».

Le module syntaxique profond opère la lexicalisation de surface. C’est ici que

sont introduits les prépositions régies et les marqueurs analytiques des grammèmes

de la SSyntP, tels les articles, auxiliaires, etc. C’est aussi dans cette étape que sont

choisis les collocatifs (qui, dans la RSyntP, sont représentés par des étiquettes

généralisées, les fonctions lexicales — cf. Mel’čuk 1996b). L’organisation syntaxi-

que est aussi raffinée dans cette transition.

C’est dans la transition de la RSyntS vers la RMorphP qu’a lieu la linéarisation.

C’est aussi dans cette transition que s’opère l’accord.

Figure 9 — Une règle du module syntaxique de surface

suj

Y

X

� Y’ < X’

¬ interrogative

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III. La théorie Sens-Texte

45

Enfin, les phénomènes morphologiques sont traités dans les modules morpholo-

giques profond et de surface, alors que les phénomènes phonologiques sont traités

dans le module phonologique profond.

4 Synthèse

En bref, la TST offre un cadre intéressant parce qu’elle couvre l’ensemble des

phénomènes linguistiques structuraux. Son architecture hautement stratifiée faci-

lite l’écriture des règles des modèles linguistiques puisque le problème de la des-

cription de la langue est découpé en sous-problèmes. Un modèle Sens-Texte est un

modèle fonctionnel qui met en correspondance des (représentations de) sens et des

(représentations de) «textes» au sens large — écrits ou oraux. Cette correspon-

dance se décrit à travers six modules: les modules sémantique, syntaxique profond,

syntaxique de surface, morphologique profond, morphologique de surface et pho-

nologique profond.

Dans le cadre de cette thèse, nous avons choisi de laisser de côté tous les problè-

mes de nature strictement morphologique. Nous visons la production de représen-

tations syntaxiques de surface bien formées, où apparaissent tous les grammèmes

nécessaires au calcul des formes fléchies. Les niveaux de représentation pertinents

pour nous sont donc les niveaux sémantique, syntaxique profond et syntaxique de

surface.

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

Pour un linguiste qui se propose de décrire la conjugaison française, le travail

consiste essentiellement à étudier les différentes formes verbales pour isoler les

signes grammaticaux qu’elles portent et en décrire les composantes (signifié, signi-

fiant et combinatoire). Les notions de grammème et de catégorie flexionnelle sont

donc au cœur de cette étude. Pourtant, s’il y a littéralement des milliers de publica-

tions sur le temps et l’aspect, assez peu d’auteurs se donnent la peine de discuter la

nature des signes en jeu dans la flexion verbale. Il devient alors difficile de com-

prendre comment on arrive à une telle variété dans les descriptions. Par consé-

quent, nous allons d’abord proposer une brève caractérisation des notions

fondamentales de grammème et de catégorie flexionnelle, en nous basant principa-

lement sur les travaux de Mel’čuk, de Kahane et de Martinet. En particulier, nous

verrons que la conception traditionnelle du grammème correspond à deux choses

distinctes: les grammèmes à proprement parler et les grammies, c’est-à-dire les

acceptions de ces grammèmes. Nous ferons également la distinction entre gram-

mèmes profonds et grammèmes superficiels. Nous détaillerons ensuite notre

méthodologie pour l’étude de la flexion verbale, dont l’originalité réside dans le

fait qu’elle s’inspire de la lexicographie explicative et combinatoire pratiquée dans

le cadre de la théorie Sens-Texte (Mel’čuk, Clas & Polguère 1995, Polguère 2008,

Mel’čuk 2006). L’analogie entre les deux domaines d’étude est double: la division

des grammèmes en grammies rappelle celle des vocables en lexies et le regroupe-

ment des grammèmes en catégories flexionnelles sur la double base de leur combi-

natoire et de leur sens est en certains points similaire au regroupement des

vocables en parties du discours et en champs lexicaux.

1 Les notions de grammème et de grammie

Mel’čuk (1993) définit le grammème comme une signification qui fait partie

d’une catégorie flexionnelle, une catégorie étant définie dans le même ouvrage

comme «un ensemble maximum de significations qui s’excluent mutuellement

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

47

dans la même position (sémantique ou logique)» (p. 261). Le problème est que le

concept de «signification», pourtant central ici, n’est défini nulle part dans cet

ouvrage; il a volontairement été laissé vague. On ne sait donc pas s’il s’agit d’une

entité de nature sémantique, syntaxique ou morphologique, ou encore d’une cor-

respondance entre de telles entités1.

Cette définition vague cherche à résoudre ce qu’on pourrait appeler le paradoxe

de la polysémie des grammèmes. Les grammèmes ont en effet tendance à porter

plusieurs sens. Par exemple, la forme verbale du futur simple en espagnol peut

exprimer aussi bien un sens temporel [Vendré sobre las 6 (je viendrai vers 6 heu-

res)] qu’un sens modal [(en réponse à ¿Qué hora es? (quelle heure est-il?)) Serán

las 2 (je dirais qu’il est 2 heures) — littéralement, (il sera 2 heures)]. Dans le pre-

mier cas, le futur simple situe un événement à un moment postérieur au moment

d’énonciation. Dans le second cas, par contre, il ne s’agit aucunement d’un sens

temporel. La situation décrite par le verbe n’est pas présentée comme postérieure

au moment d’énonciation mais plutôt comme une hypothèse sur une situation

actuelle. Il y a là deux signes bien distincts puisque leurs sens, à première vue,

n’ont pas grand-chose en commun. En se basant uniquement sur des critères

sémantiques, on devrait classer le premier parmi les temps et le second avec les

modes. On voudrait donc dire qu’il existe deux grammèmes du futur en espagnol.

Pourtant, aux niveaux syntaxique, morphologique et phonologique, ces deux

signes se comportent de la même façon, si bien qu’il est impossible de les distin-

guer. On serait donc tenté de dire qu’il s’agit de la même entité, qu’il n’y a qu’un

seul futur dans cette langue.

C’est probablement ce qui a poussé Mel’čuk à affirmer que le grammème est

«un faisceau de correspondances entre un ensemble de marqueurs donnés et un

ensemble de sens donnés» (1993: p. 278). Autrement dit, les grammèmes servent

de pivot entre des sens et des formes. Il donne l’exemple du pluriel des noms en

1. Pour Polguère (2008), une signification est «un contenu sémantique, non en tant quepropriété d’une entité linguistique (comme dans le cas de sens), mais en tantqu’information exprimable par une entité linguistique» (p. 124).

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

48

anglais, que nous reprenons sous une forme légèrement modifiée ici. Le pluriel en

anglais s’exprime, sauf exceptions, par /s/, /z/ ou /´z/. Il peut porter un certain

nombre de sens, par exemple (plus d’un X) [Cats were sleeping there] ou (tous les

X) [Piranhas are dangerous]2. Il est bien entendu possible d’établir une correspon-

dance entre chacun des sens et chacune des formes, comme dans la Figure 10a,

mais alors on a l’impression de passer à côté d’une généralisation importante. Un

modèle du type de ce qu’on trouve à la Figure 10b semble plus élégant et surtout

plus plausible d’un point de vue cognitif (cette figure est adaptée de Mel’čuk,

ibid.).

En ce sens, Mel’čuk conçoit donc les grammèmes (ou du moins, certains gram-

mèmes) comme des objets des représentations syntaxiques (profonde ou de sur-

face) qui servent d’intermédiaire entre des entités sémantiques (les sens

grammaticaux) d’un côté, et de l’autre des entités syntaxiques de surface (les auxi-

liaires, articles et autres mots grammaticaux) ou morphologiques (les morphèmes

flexionnels). Il s’agit donc pour lui d’une unité d’ordre sub-sémiotique, c’est-à-

dire que le grammème n’est pas un signe linguistique, mais plutôt une composante

de signe. Cela résout le problème de la polysémie des grammèmes en évitant d’une

part de dire qu’à chaque sens distinct correspond un grammème différent et d’autre

part d’affirmer qu’un grammème est un signe qui peut porter plusieurs sens (ce qui

contredirait la définition du signe linguistique donnée dans le même ouvrage).

Pourtant, il est évident qu’il existe des signes grammaticaux correspondant à ce

qu’on appelle «grammème». Les correspondances entre les sens grammaticaux et

2. Ces descriptions sémantiques ne sont évidemment que très approximatives. Ce n’est pasnotre propos ici de décrire la sémantique de ces grammèmes et nous renvoyons le lecteurintéressé par la question à Beyssade & Dobrovie-Sorin (2005).

a. b.

Figure 10 — Le grammème comme intermédiaire entre sens et formes

(more than one)

(all)

/s/

/z/

/´z/

(more than one)

(all)

/s/

/z/

/´z/

PL

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

49

les grammèmes qui les expriment sont bien des signes: ils ont un sens, une forme

et une combinatoire clairement identifiables. On retrouve l’équivalent dans le

domaine lexical. Les différentes acceptions d’un vocable polysémique peuvent

avoir des sens très éloignés. Par exemple, le vocable FACE regroupe une lexie qui

désigne le visage et une autre qui désigne une des surfaces qui composent un objet.

Ces deux signes ont des sens assez distincts pour qu’on ne puisse pas les regrouper

dans un même champ sémantique. La première lexie appartient aux champs

sémantiques des parties du corps ou encore des sentiments (puisque le visage peut

servir à communiquer les émotions), alors que la seconde appartient plutôt, par

exemple, au champ sémantique de la géométrie. Pourtant, on regroupe ces deux

lexies sous un même vocable puisqu’ils partagent des caractéristiques non triviales

à tous les niveaux de fonctionnement de la langue (y compris au niveau sémanti-

que). Les signes grammaticaux montrent le même genre d’organisation. Les signes

qui partagent des caractéristiques non triviales sont regroupés sous une unité d’un

niveau d’abstraction plus élevé, équivalent à celui du vocable, que nous appelons

grammème. Cette entité abstraite regroupe des signes grammaticaux similaires.

Nous utiliserons le terme grammie pour faire référence aux différentes accep-

tions d’un grammème. Le terme vient de Kahane (2002), pour qui les grammies

sont des signes profonds au même titre que les lexies, c’est-à-dire des (regroupe-

ment de) signes dont le signifié est un élément de la structure sémantique et dont le

signifiant est un élément de la structure syntaxique. Ce qui différencie les gram-

mies des lexies dans ce cadre est la nature de leur signifiant: les grammies ont

comme signifiant un grammème, alors que les lexies ont comme signifiant un

lexème3. Ainsi, pour reprendre l’exemple donné plus haut, il y aurait en espagnol

au moins deux grammies, FUTUR1 et FUTUR2, qui seraient deux acceptions du

grammème futur.

Dans le cadre de la TST classique, les grammèmes apparaissent aux niveaux

syntaxiques profond et superficiel. Cependant, ce ne sont pas tous les grammèmes

qui peuvent apparaître aux deux niveaux de représentation. Par exemple, la déter-

3. Ce que Kahane appelle lexème correspond à peu près à ce que la lexicologie explicativeet combinatoire désigne habituellement par le terme vocable.

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

50

mination en français est toujours exprimée par un article. Le signifiant étant un

lexème, il doit avoir son propre nœud au niveau syntaxique de surface. Il n’y a

donc de grammèmes défini et indéfini en français qu’au niveau syntaxique pro-

fond, puisqu’en surface ils sont déjà exprimés par les lexèmes LE et UN. Ainsi, il

est utile de distinguer deux types de grammèmes: les grammèmes superfi-ciels, qui n’apparaissent qu’en syntaxe de surface et qui sont mis en correspon-

dance avec des éléments de la représentation morphologique profonde (des

morphèmes, des prosodèmes ou des relations de précédence entre mots-formes),

ainsi que les grammèmes profonds, qui apparaissent en syntaxe profonde et

qui doivent être mis en correspondance avec des éléments de la représentation syn-

taxique de surface (des lexèmes ou des grammèmes superficiels). Dans le cadre de

GUST, comme nous le verrons au Chapitre VII, il n’y a pas de niveau syntaxique

profond. Les grammèmes de GUST sont donc des grammèmes superficiels. Inver-

sement, Mel’čuk traite principalement des grammèmes profonds dans son Cours

de morphologie générale.

Cette distinction faite entre grammème (profond ou superficiel) et grammie,

revenons sur la définition que donne Mel’čuk (1993) du grammème. Dans cet

ouvrage, il le définit comme un des éléments d’une catégorie flexionnelle.

Cette dernière notion est donc plus élémentaire selon lui. En effet, il s’agit d’une

caractéristique importante du grammème que de faire partie d’une catégorie. Les

grammèmes ne sont des grammèmes que s’ils sont en opposition avec d’autres

grammèmes, avec lesquels ils forment un ensemble dont les éléments sont mutuel-

lement exclusifs. Ce qui fait qu’une catégorie est une catégorie flexionnelle, c’est

la nature justement flexionnelle de ses éléments. Passons en revue quelques pro-

priétés qui distinguent la flexion4 de la dérivation.

4. Nous utilisons ce terme dans son sens le plus large et considérons la flexion comme unphénomène qui n’est pas seulement morphologique, ce qui inclut les auxiliaires.

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

51

2 Flexion vs dérivation: propriétés distinctives

De toutes les propriétés évoquées par les linguistes pour caractériser la flexion

(par opposition à la dérivation), son caractère obligatoire est sans doute la plus cen-

trale et celle sur laquelle il y a le plus large consensus. Jakobson (1959) disait, en

commentant les travaux de Boas (1938): «[…] la vraie différence entre les langues

ne réside pas dans ce qu’elles peuvent ou ne peuvent pas exprimer, mais dans ce

que les locuteurs doivent ou ne doivent pas transmettre». De cette propriété en

découle d’autres qui sont souvent utilisées pour définir la flexion. Par exemple,

Riegel, Pellat et Rioul (1994) précisent que les morphèmes grammaticaux appar-

tiennent à des classes en général moins nombreuses que les morphèmes lexicaux.

Or, c’est une conséquence prévisible du caractère obligatoire de la flexion. On

aurait en effet du mal à imaginer, par exemple, une langue où il y aurait 300 modes

et 500 temps pour les verbes. Il découle également de ce caractère obligatoire le

fait que les sens grammaticaux tendent à être plus abstraits ou plus vague que les

sens lexicaux. Puisque les signes flexionnels doivent pouvoir se combiner à toutes

les lexies d’une même classe ils ne peuvent pas, en général, porter de sens très con-

cret ou précis puisque les lexies auxquelles ils doivent se combiner ne partagent

pas forcément de composante sémantique commune5.

Mel’čuk (1993) donne encore six propriétés qui permettent de distinguer les

grammèmes des dérivatèmes:

1) Ils résistent mieux à la phraséologisation.

2) Ils ont normalement une combinatoire plus large.

3) Ils ont tendance à avoir une expression plus régulière.

4) Seuls les grammèmes figurent dans les règles syntaxiques d’accord ou de

concordance de temps.

5) Ils ont tendance à être exprimés plus loin de la racine.

6) Ils ne modifient pas la partie du discours du radical6 auquel ils s’attachent.

5. Mel’čuk (1993) rappelle qu’il existe des cas limites. Il cite en exemple une analyse deSapir (1915) selon laquelle en Nootka les verbes exprimeraient des caractéristiquesphysiques de leur sujet par le biais d’un préfixe flexionnel. Les sens des grammèmes dela catégorie flexionnelle en jeu sont précis et concrets: (borgne), (bossu), (trop gros), etc.

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

52

Mentionnons également la propriété suivante, relevée par Riegel, Pellat et Rioul

(1994):

7) Le système flexionnel résiste au changement. L’introduction d’un

nouveau grammème constituerait une modification importante dans la

langue en général.

Une fois qu’on a identifié dans la langue les signes flexionnels (par opposition

aux signes dérivationnels) grâce à ces propriétés, il reste à les regrouper en catégo-

ries flexionnelles. Nous proposons dans les pages qui suivent une méthodologie

pour ce faire.

3 Une approche discrète en deux étapes

Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, un grammème peut très bien

correspondre à plusieurs sens différents. En fait, un des principaux problèmes que

pose l’étude des grammèmes est justement leur polysémie, souvent riche et subtile.

Il est difficile de dégager un système cohérent de la conjugaison française si on

tente de décrire à la fois tous les sens d’un même grammème verbal. Pour faire un

parallèle avec la lexicographie, cela reviendrait à tenter de décrire le sens d’un

vocable sans faire la distinction entre les lexies qui le constituent. Nous prônons

une approche résolument discrète (en ce sens que nous croyons qu’il est possible

d’isoler les différentes acceptions d’un grammème) et en deux étapes. Dans un pre-

mier temps, nous ne considérons que la grammie de base de chaque grammème,

c’est-à-dire son acception propre. Ce n’est qu’une fois que nous avons dégagé un

système cohérent à partir de ces grammies de base que nous prenons en considéra-

tion les autres acceptions des grammèmes.

6. Rappelons que la racine d’un mot-forme est la lexie à partir de laquelle est construit cemot-forme, alors que le radical auquel s’attache un affixe peut contenir, en plus de laracine, un certain nombre d’affixes.

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

53

4 La grammie de base d’un grammème

Lorsqu’on examine les différents sens que peut exprimer un grammème, on per-

çoit intuitivement qu’il y en a un qui est plus saillant que les autres. Les grammè-

mes ont, comme les vocables, un sens de base et des sens figurés ou dérivés. L’idée

n’a rien de neuf, elle se trouve formulée presque telle quelle dans la grammaire

espagnole de Bello, au XIXe siècle:

Il faut d’abord noter que chaque forme verbale a habituellement, en plus desa valeur propre et fondamentale, d’autres valeurs différentes dans lesquellesse transforme la première selon certaines règles générales. Ainsi, nous distin-guons parmi les formes d’un verbe un sens fondamental à partir duquel sontdérivés deux autres sens: le sens secondaire et le sens métaphorique.

Bello (1982 [1847]: p. 200), notre traduction

Nous appellerons grammie de base l’acception d’un grammème qui corres-

pond à son «sens propre», par analogie avec les lexies de base de la lexicologie

explicative et combinatoire (Mel’čuk, Clas & Polguère 1995). Il est en général évi-

dent, de façon intuitive, quelle est l’acception de base d’un grammème. Pourtant,

nous ne pouvons pas formuler de critères parfaitement clairs qui permettent

d’identifier systématiquement la grammie de base de tous les grammèmes. Nous

proposons ici quelques pistes et discutons des problèmes liés à chaque critère.

Il y a logiquement deux types de critères imaginables: ceux basés sur le sens

des grammies et ceux qui s’appuient sur leur combinatoire. Il n’est pas possible

d’avoir des critères basés sur la forme des grammies puisque toutes les acceptions

d’un même grammème sont, par définition, associées aux mêmes formes.

4.1 Les critères basés sur le sens

Si on demandait à brûle-pourpoint à un locuteur natif du français quelle est la

signification de il mangera, on s’attendrait à ce qu’il nous réponde que c’est une

activité qui se déroule à un moment ultérieur. Nous croyons pouvoir affirmer sans

trop nous tromper qu’il y a un certain consensus parmi les francophones pour dire

que le futur, pris hors contexte, sert d’abord à situer un fait dans l’avenir. Après, si

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

54

on y réfléchit un peu plus et qu’on met le verbe dans divers contextes, on arrivera

peut-être à identifier d’autres sens qui peuvent s’exprimer par le futur mais ces

autres acceptions du grammème futur ne viennent à l’esprit que si le contexte le

suggère. Le sens qui est perçu intuitivement par les locuteurs comme le «sens

premier» correspond à ce que nous appelons la grammie de base du grammème.

De façon triviale, le premier critère que nous pourrions formuler, celui qui capte le

mieux l’essence de ce qu’est la grammie de base d’un grammème, serait donc le

suivant:

Critère de l’interprétation spontanée

C’est l’interprétation la plus courante, celle qui vient spontanément àl’esprit des locuteurs hors contexte, qui correspond à la grammie de based’un grammème.

Il est évident que ce critère ouvre la porte à une certaine subjectivité et doit être

utilisé avec prudence. Il n’en demeure pas moins que c’est, de tous les critères que

nous pouvons formuler, celui qui correspond le mieux à ce que nous tentons de

définir comme «grammie de base».

Ce critère n’est toutefois pas toujours applicable. Bien entendu, il ne l’est pas

facilement dans le cas des grammèmes qui ne sont associés à aucun sens (comme

les grammèmes d’accord). Mais encore, même quand les grammèmes sont asso-

ciés à des sens clairement identifiables, la situation se trouve compliquée par le fait

que certains grammèmes sont «marqués»7 alors que d’autres ne le sont pas. Par

exemple, dans le paradigme des temps verbaux en français, on peut dire que le

futur est marqué alors que le présent ne l’est pas. Le sens de base des grammèmes

marqués étant plus saillant que celui des grammèmes non marqués, il est tout de

suite accessible au locuteur, alors que celui des grammèmes non marqués peut être

plus difficile à trouver. Ainsi, si on demande à un francophone ce que je mangerai

signifie, on s’attend à ce qu’il précise que l’activité en question se déroule dans le

7. La distinction «marqué» ~ «non marqué», depuis son introduction par Jakobson et leCercle linguistique de Prague, n’a jamais, à notre connaissance, été précisément définie.Mel’čuk (1994: pp. 11–12) donne un certain nombre de propriété qui caractérisent cesnotions.

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

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futur. Par contre, si on lui demande ce que signifie je mange, il se lancera vraisem-

blablement dans une description de ce que (manger) signifie, et non de ce que le

temps présent signifie. Il faut donc chercher à combiner ce critère avec d’autres qui

puissent combler ses lacunes.

De façon empirique, on peut observer que, comme c’est le cas pour la lexie de

base d’un vocable, le sens de base d’un grammème est souvent inclus dans celui

des autres acceptions de ce même grammème. Notamment, on peut trouver des

liens métaphoriques entre les sens dérivés et le sens de base. Par exemple, le lien

sémantique entre un présent qui désigne réellement le moment d’énonciation

[Qu’est-ce que tu fais?] et un présent qui désigne un futur rapproché [Le train part

à 8h34 demain] peut se décrire par une métaphore8:

• (X-présent1) = (X a lieu maintenant)

• (X-présent2) = (X est très rapproché dans le futur ou inexorable [tellement

que c’est comme si X-présent1]).

On peut donc formuler un deuxième critère à partir de cette observation:

Critère de l’inclusion de sens

Si les grammies A et B correspondent au même grammème G et que le sensde A est inclus dans le sens de B (soit par simple inclusion — directe ouindirecte — soit par un lien métaphorique), alors A est la grammie de basede G.

Mel’čuk, Clas & Polguère (1995) utilisent le même critère dans le domaine lexi-

cal. Dans bien des cas, il suffit à identifier la grammie de base d’un grammème.

Il y a cependant des cas où le critère de l’inclusion de sens ne permet pas

d’identifier ce qu’intuitivement nous aimerions reconnaître comme la grammie de

base d’un grammème. Il y a deux cas de figure logiquement possibles où ce critère

ne donne pas les résultats voulus: 1) le critère n’est pas applicable parce que les

sens des grammies d’un grammème ne s’incluent pas mutuellement, ou 2) c’est la

grammie de base qui inclut sémantiquement d’autres grammies. Nous n’avons pas

8. Nous proposons une solution différente au Chapitre VI (§ 6.2, p. 193).

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

56

trouvé d’exemple illustrant ce second cas de figure, qui constituerait un contre-

exemple invalidant notre critère, mais nous en avons trouvé pour le premier.

Nous avons vu au début de ce chapitre qu’il y avait en espagnol au moins deux

grammies correspondant au futur simple: une dont le sens est strictement temporel

(c’est l’équivalent du FUTUR1 français que nous venons de voir) et une autre dont

le sens est plutôt modal (elle indique une hypothèse). Elles apparaissent respective-

ment dans les phrases (15) et (16) ci-dessous (nous reprenons ici les exemples don-

nés plus haut pour le bénéfice du lecteur):

(15) Vendré sobre las 6.Je viendrai à 6 heures.

(16) – ¿Qué hora es? – Serán las 2.– Quelle heure est-il? – Je dirais qu’il est 2 heures (littéralement, il sera 2 heures).

Intuitivement, on perçoit le futur de la phrase (15) comme étant l’acception de

base du grammème futur, mais notre critère ne peut pas être utilisé ici avec les

résultats attendus si on adopte l’analyse sémantique suivante de ces deux

grammies:

• (X-futur1) = (X a lieu après maintenant)

• (X-futur2) = (je suppose que X a lieu maintenant)

En effet, bien qu’il y ait intersection de sens entre les deux grammies

((maintenant)), il n’y a pas d’inclusion. Le critère de l’inclusion de sens ne peut

donc pas être utilisé. Mais cela peut justement être un indice que la description

sémantique des grammies en question est incorrecte. On serait alors tenté d’adop-

ter une position semblable à celle de Riegel, Pellat & Rioul, qui affirment à propos

de l’équivalent français9 du FUTUR2 espagnol:

Quand un procès contemporain de l’énonciation n’est pas avéré, le futur sim-ple est employé pour le présenter comme une hypothèse, que l’avenir confir-mera ou permettra de vérifier.

Riegel, Pellat & Rioul (1994: p. 314)

9. Le futur à valeur de conjecture s’utilise beaucoup moins en français qu’en espagnol,mais on le trouve notamment dans des phrases comme – Où est Pierre? Il devrait êtrearrivé. – Il se sera perdu en chemin.

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

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Une telle analyse permet de résoudre le problème de l’inclusion de sens pour

cette paire de grammies:

• (X-futur1) = (X a lieu après maintenant)

• (X-futur2) = (je suppose que X a lieu maintenant mais je ne peux pas le véri-

fier maintenant [comme si X-futur1])

Enfin, si le critère de l’inclusion sémantique doit être utilisé avec prudence, il

n’en demeure pas moins utile, et peut même guider l’analyse sémantique des gram-

mies.

De façon générale, les critères basés sur le sens posent deux problèmes. Premiè-

rement, les grammèmes ne sont pas tous associés à un sens. Si un grammème a

plusieurs acceptions non porteuses de sens, cela pose problème pour le critère de

l’inclusion sémantique. Ajoutons que les grammèmes non porteurs de sens peuvent

également mettre en échec le critère de l’interprétation spontanée en rendant diffi-

cile l’identification d’un sens «intuitivement évident» pour le locuteur.

Deuxièmement, si les grammèmes de temps se prêtent plutôt bien au jeu de la

décomposition sémantique, il est loin d’être évident que cela puisse être le cas de la

majorité des grammèmes. En effet, beaucoup de grammèmes ne se laissent pas

décrire par une paraphrase. Leur signifié peut très bien, par exemple, être un élé-

ment de la structure communicative. C’est le cas notamment du suffixe -WA en

japonais, qui sert à marquer l’élément thématique de la phrase (voir § 5, p. 60, pour

d’autres exemples). Il devient alors difficile d’utiliser des critères sémantiques

pour de tels grammèmes. Nous proposons donc d’autres critères, basés sur la com-

binatoire, qui pourraient compléter les critères sémantiques.

4.2 Les critères basés sur la combinatoire

On s’attend à ce que, de façon générale, la grammie de base d’un grammème ait

une combinatoire moins contraignante que les autres. Vu la définition que nous

avons adoptée pour la notion de grammème, la combinatoire des grammies d’un

même grammème ne peut pas différer au-delà du niveau syntaxique profond. Les

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

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propriétés de combinatoire à considérer sont donc limitées à deux types: les confi-

gurations syntaxiques dans lesquelles le grammème peut apparaître lorsqu’il

exprime tel ou tel sens et les lexies auxquelles il peut se combiner.

Tout d’abord, il semble assez naturel de vouloir exploiter, pour les grammèmes

verbaux, la position privilégiée du verbe en tant que sommet syntaxique de la

proposition:

Critère du sommet syntaxique (provisoire)

La grammie de base d’un grammème verbal peut être rattachée au verbeprincipal de la proposition.

Cependant, ce critère pose au moins deux problèmes. D’abord, il y a des gram-

mèmes verbaux qui ne peuvent jamais apparaître dans cette position. C’est le cas

par exemple des participes (présent et passé). Ensuite, pour les grammèmes aux-

quels il peut s’appliquer, il ne donne pas toujours les résultats voulus. Par exemple,

le subjonctif n’apparaît en général que dans une subordonnée (puisqu’il sert juste-

ment à marquer la subordination, dans une certaine mesure). Il peut cependant

apparaître sur le verbe principal lorsqu’il exprime un ordre à la troisième personne

[Qu’il aille demander à son chef! ~ Va demander à ton chef!]. On ne voudrait pas

pour autant conclure que le subjonctif sert d’abord à exprimer un ordre, puisqu’il

est assez évident que c’est un emploi un peu détourné de ce grammème.

Pour remédier à ces problèmes, on peut formuler un critère plus général qui

consiste à tester la flexibilité de la combinatoire syntaxique du grammème:

Critère de la polyvalence syntaxique

La grammie de base d’un grammème est celle qui peut être utilisée dans lescontextes syntaxiques les plus variés.

Ainsi, s’il est vrai que le subjonctif ne peut être rattaché au sommet syntaxique

que s’il exprime un ordre, il est strictement contraint à cette position lorsqu’il cor-

respond à ce sens. Au contraire, lorsque le subjonctif marque la subordination, il

peut occuper différentes positions dans la représentation syntaxique: sujet d’un

verbe [Que vous arriviez à l’heure m’importe], complément d’un verbe [Je veux

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

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que vous arriviez à l’heure], complément d’une conjonction [À moins que vous

n’arriviez en retard, tout devrait bien se passer], etc.

Enfin, on peut imaginer un critère similaire dans le domaine lexical:

Critère de la polyvalence lexicale

La grammie de base d’un grammème est celle qui est compatible avec le plusgrand nombre de lexies.

Ce critère ne s’applique que s’il y a une incompatibilité sémantique entre

l’acception de base et certaines lexies. Si l’incompatibilité est syntaxique ou mor-

phologique, c’est alors tout le grammème qui est affecté, peu importe le sens qu’il

exprime. Par exemple, la combinatoire morphologique du verbe FRIRE ne permet

pas de le combiner à l’imparfait, et ce, sans égard au sens exprimé par ce dernier.

De façon générale, les critères basés sur la combinatoire sont d’une utilité limi-

tée puisque les différentes acceptions d’un grammème sont toutes mises en corres-

pondance avec un seul et même objet au niveau syntaxique profond. Ce n’est donc

que dans l’interface entre le niveau sémantique et le niveau syntaxique profond

que peuvent s’observer les différences de combinatoire. Par conséquent, les diver-

ses acceptions d’un même grammème tendent à avoir la même combinatoire.

Pour conclure, insistons sur le fait que ces critères ne permettent pas, de façon

isolée, de repérer systématiquement la grammie de base d’un grammème. Par con-

tre, pris ensemble, ils peuvent aider à guider le linguiste face à un cas difficile.

Identifier la grammie de base d’un grammème est une étape très importante

dans notre méthodologie, puisque c’est cette acception qui sert de base à la classi-

fication des grammèmes en catégories flexionnelles. Nous porterons donc, dans

notre travail, une attention toute particulière à l’acception de base de chaque gram-

mème à l’étude, quitte à négliger ses autres acceptions dans un premier temps

(nous pourrons y revenir quand nous aurons un squelette solide pour notre

modèle). Une partie importante de la description d’une grammie est l’analyse de

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

60

son sens. Nous allons maintenant voir comment nous procédons à la description

sémantique des grammies.

5 La description du sens grammatical

Le sens des grammies, tout comme celui des unités lexicales, doit être décrit de

façon rigoureuse. Les recherches en sémantique formelle ont souvent porté sur le

temps grammatical (citons par exemple Reichenbach 1947, Dowty 1972 ou encore

Partee 1984), probablement parce que cette catégorie flexionnelle, en plus d’être

très répandue dans les langues en général, se prête bien à la formalisation. Les for-

malismes varient, mais en fin de compte ils encodent pour la plupart des relations

de précédence temporelle entre des points (ou des intervalles) sur l’axe du temps.

Dans la majorité des théories, ces relations de précédence sont encodées comme

des comparaisons entre deux ordres de grandeur.

Les représentations de ce type sont très utiles, notamment pour le traitement

automatique des langues. En fait, étant donné l’état actuel des connaissances et des

techniques en linguistique informatique, elles sont probablement les mieux adap-

tées. Cependant, nous ne visons pas seulement le traitement automatique des

langues; nous cherchons à décrire les langues de la façon la plus complète et élé-

gante possible. Pour le but que nous poursuivons, ce type de représentation ne

semble pas satisfaisant.

Tout d’abord, les représentations de ce genre ne permettent pas de tenir compte

de la perspective communicative qu’encodent les signes de la langue. Par exemple,

Gosselin (1996) définit l’accompli par la formule [I,II] POST [B1,B2]

(= l’intervalle de référence est postérieur à l’intervalle du fait en question). Le sens

étant réduit à une relation de précédence temporelle entre deux points10, toute rela-

tion de précédence entre deux intervalles a toujours un équivalent converse, c’est-

à-dire que [I,II] POST [B1,B2] ≡ [B1,B2] ANT [I,II] (= l’intervalle du fait en ques-

10. Gosselin (1996) définit les relations entre intervalles par des relations entre les bornes deces intervalles. Ainsi, [I,II] POST [B1,B2] se définit par B2 < I.

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

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tion est antérieur à l’intervalle de référence)11. Autrement dit, ce type de représen-

tation n’encode pas la différence de perspective qu’il y a entre (le fait est avant

l’intervalle de référence) et (l’intervalle de référence est après le fait). À première

vue, cela n’a aucune importance, puisque après tout il est vrai que si A est après B,

alors B est avant A. Or, justement, nous croyons que cette différence de perspective

est pertinente dans la langue (nous y reviendrons plus loin, Ch. VIII, § 1.3, p. 286).

D’autre part, les représentations formelles qui ne font que placer des objets sur

un axe temporel n’encodent pas toujours tout le sens des différentes acceptions des

grammèmes de temps, qui comporte souvent des composantes non temporelles.

Par exemple, nous venons de voir que les sens dérivés d’un grammème entretien-

nent souvent un lien métaphorique avec d’autres acceptions de ce grammème (§ 4,

p. 53). Les représentations constituées seulement de relations de précédence tem-

porelle entre des points ne peuvent pas encoder cette information.

Bien entendu, on peut très bien étendre les formalismes de ce type pour qu’ils

puissent encoder d’une façon ou d’une autre les différences de perspective commu-

nicative ou les composantes sémantiques non temporelles. Néanmoins, ces repré-

sentations ne s’intègrent pas bien dans un modèle global de la langue. Les

stratégies formelles communément utilisées pour la description des sens temporels,

si elles sont très bien adaptées pour cette tâche, le sont beaucoup moins pour la

description de phénomènes linguistiques sans lien avec le temps. Nous cherchons à

homogénéiser au maximum la description de tous les niveaux de fonctionnement

de la langue; il est donc important que la description sémantique des grammies

s’harmonise avec le reste du modèle linguistique.

Pour ces raisons, nous préférons utiliser des décompositions sémantiques du

type de celles utilisées en lexicographie, c’est-à-dire des paraphrases, pour décrire

le sens des grammèmes de temps. Bien évidemment, le sens des grammèmes ne se

11. En effet, [B1,B2] ANT [I,II] est également défini par B2 < I. On peut d’ailleurs sedemander pourquoi Gosselin a jugé utile de créer deux relations entre intervalles, ANT etPOST, si les deux se définissent précisément par la même relation entre les deux mêmespoints. Peut-être cherchait-il justement à encoder une différence de perspective?

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

62

laisse pas toujours bien décrire au moyen d’une telle décomposition sémantique.

Premièrement, il y a des grammèmes (ceux d’accord notamment), qui n’expriment

tout simplement aucun sens. Leur signifié ne peut donc pas se décrire au moyen

d’une paraphrase. Deuxièmement, il existe des grammèmes dont le signifié est

d’ordre communicatif, et non sémantique (nous venons de voir l’exemple du –WA

japonais; nous en verrons d’autres plus loin, Ch. VIII, § 1, p. 283). Troisièmement,

il existe dans le domaine grammatical des signes équivalents aux pragmatèmes12

dans le domaine lexical. Par exemple, les marqueurs grammaticaux de politesse

dans certaines langues (le coréen et le japonais offrent de beaux spécimens) sont

probablement mieux décrits par les contextes extra-linguistiques dans lesquels ils

doivent s’utiliser que par une paraphrase. Enfin, ces quelques contre-exemples

n’épuisent certainement pas les possibilités. Il est clair que les signifiés grammati-

caux ne se laissent pas toujours décrire au moyen de paraphrases et nous ne préten-

dons aucunement que la paraphrase est le moyen le mieux adapté à la description

sémantique des grammèmes en général. Néanmoins, les grammèmes qui nous inté-

ressent ici, soit ceux liés au temps grammatical, se prêtent assez bien à la descrip-

tion par décomposition sémantique telle qu’on la pratique en lexicographie.

Partout où cela est possible, nous préférons avoir recours à cette technique plutôt

qu’à n’importe quelle autre.

6 Le regroupement des grammèmes en catégories flexionnelles

Les catégories flexionnelles ne sont pas directement observables. Ce qui est

observable, ce sont les signes: on peut en général en percevoir la forme correspon-

dante et en identifier le sens et la combinatoire par diverses techniques. Le travail

du linguiste consiste, entre autres choses, à faire ressortir le système qui se cache

derrière les signes observables.

Précisons tout d’abord que ce sont les grammèmes que nous cherchons à

regrouper en catégories flexionnelles, et non les grammies. En effet, c’est à ce

12. C’est-à-dire des lexies qui sont liées au contexte d’énonciation, comme kBON APPÉTITl.

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

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niveau que s’organisent les systèmes grammaticaux. Par exemple, on a vu plus

haut que le grammème futur en espagnol correspond à au moins deux grammies

(cf. § 1, p. 46). Pourtant, le paradigme dont fait partie le futur ne change pas, peu

importe la grammie en jeu.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, les grammèmes ne sont des grammè-

mes que s’ils font partie d’une catégorie flexionnelle. Il faut donc, une fois identi-

fiés les signes grammaticaux en jeu, regrouper les grammèmes en un certain

nombre de catégories pour en dégager un système cohérent. Alors, sur quels critè-

res doit-on baser ces regroupements? Il existe logiquement trois types majeurs de

critères possibles, correspondant aux trois composantes des signes en jeu. On peut

en effet regrouper les grammèmes en catégories flexionnelles selon le sens de leur

grammie de base, selon les formes auxquelles ils sont associés ou encore selon leur

combinatoire. On peut bien entendu considérer des critères mixtes, basés sur plus

d’une composante.

Nous ne connaissons aucun auteur qui propose de regrouper les grammèmes

selon les formes qui leur sont associées. Étant donné le caractère arbitraire du

signifiant des signes linguistiques, cette position nous semble intenable. En outre,

les grammèmes ont tendance à être exprimés cumulativement.

6.1 Les critères basés sur la combinatoire

La combinatoire des signes grammaticaux offre une base intéressante pour for-

muler des critères rigoureux et vérifiables puisqu’elle est relativement facile à

observer. Martinet (1979) propose une méthode, reprise notamment par Touratier

(1996), essentiellement basée sur la combinatoire. Ces deux auteurs arrivent

d’ailleurs à des résultats similaires, ce qui démontre le caractère reproductible de

cette méthode. Elle repose principalement sur deux critères, exposés dans la Gram-

maire fonctionnelle du français de Martinet (1979), qui vont de paire et que nous

reformulons ici.

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

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Critère de l’exclusion mutuelle

Les grammèmes d’une même catégorie flexionnelle sont mutuellementexclusifs.

Critère de la similitude de combinatoire

Les grammèmes d’une même catégorie flexionnelle ont une combinatoiresimilaire.

Ces deux principes sont les deux facettes du test de commutation en contexte

qui est très largement utilisé dans plusieurs domaines de la linguistique. Il sert par

exemple à identifier les allophones d’un phonème ou encore les allomorphes d’un

morphème.

Ainsi, par exemple, le masculin et le féminin des adjectifs en français corres-

pondent à deux grammèmes d’une même catégorie flexionnelle puisque, en plus

d’être mutuellement exclusifs, ils présentent la même combinatoire: les deux se

combinent aux adjectifs et sont compatibles avec la catégorie flexionnelle de nom-

bre.

Notons que la combinatoire qui unit des grammèmes au sein d’une même caté-

gorie flexionnelle peut comprendre des éléments «négatifs». C’est ainsi que Marti-

net (1979) conclut que le participe et l’infinitif, par exemple, font partie de la

même catégorie puisque les deux sont incompatibles avec la catégorie flexionnelle

de temps (en plus d’être mutuellement exclusifs et de partager d’autres traits de

combinatoire).

Cependant, les critères basés uniquement sur la combinatoire ne sont pas entiè-

rement satisfaisants, à notre avis. Le modèle de la conjugaison française de Toura-

tier (1996), basé exclusivement sur ces critères distributionnels, illustre bien les

problèmes liés à cette méthodologie. Son raisonnement est le suivant. D’abord,

l’imparfait peut se combiner avec le subjonctif (ce qui donne le subjonctif impar-

fait), alors que le passé simple ne le peut pas. Tout comme le subjonctif, le futur

simple peut se combiner avec l’imparfait (ce qui donne le conditionnel), mais pas

avec le passé. Donc, le futur fait partie de la même catégorie flexionnelle que le

subjonctif, puisqu’ils ont la même combinatoire, et que le passé, puisqu’ils

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

65

s’excluent mutuellement (un verbe ne pouvant pas porter à la fois le futur simple et

le passé simple). Le subjonctif ne pouvant être autre chose qu’un mode, le futur

simple et le passé simple sont aussi des modes.

Ce raisonnement ne nous semble pas convaincant. Cette combinatoire en appa-

rence capricieuse ne permet pas de tirer les conclusions que tire Touratier. Le fait

que le futur ne se combine pas avec le passé simple est effectivement un indice

qu’ils font partie d’une même catégorie, mais leur incompatibilité avec le subjonc-

tif ne signifie pas forcément qu’ils font aussi partie de la même catégorie que lui. Il

ne faut pas négliger qu’il soit possible que ces deux grammèmes soient des temps

et que le subjonctif ne se combine tout simplement pas aux temps.

Nous croyons que les critères basés sur la combinatoire ne suffisent pas à clas-

ser les grammèmes en catégories flexionnelles, et qu’il faut tenir compte des sens

qu’ils expriment. Or, le futur simple, même si on lui connaît des emplois modaux,

sert la plupart du temps à situer un fait dans le futur, et on peut supposer que c’est

ce sens qui vient spontanément aux locuteurs quand ils pensent à cette forme (il

s’agit, dans nos termes, de son acception de base). Ce sens temporel n’a pas de

parenté sémantique évidente avec celui (s’il existe) du subjonctif. Il n’y a donc pas

lieu à notre avis de classer le futur simple dans la même catégorie que le subjonctif.

Quant au passé simple, de l’aveu même de l’auteur, il ne sert jamais qu’à situer les

faits dans le passé et ne peut pas porter de sens (purement) modal (on peut à la

rigueur y reconnaître, comme le fait Touratier, une composante sémantique de

(factuel)). Il nous semble donc très bizarre de le classer parmi les modes plutôt que

les temps.

6.2 Les critères basés sur le sens

Nous avons vu au début de ce chapitre (§ 1, p. 46) que Mel’čuk (1993: p. 261)

définit le grammème comme un élément d’une catégorie flexionnelle. De façon

plus générale, il définit les catégories comme des ensembles de significations qui

s’excluent mutuellement dans une même position sémantique ou logique. C’est

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IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

66

donc principalement sur la base de critères sémantiques que Mel’čuk regroupe les

grammèmes en catégories flexionnelles13. À partir de sa définition des catégories

dans la langue, on peut formuler le critère suivant.

Critère de l’exclusion mutuelle sémantique

Les grammèmes d’une même catégorie flexionnelle expriment des sensmutuellement exclusifs.

Le problème avec une approche basée sur la sémantique est qu’elle n’est pas

économique, puisqu’elle force la création aux niveaux syntaxiques et morphologi-

ques (profonds et de surface) d’éléments distincts qui ont pourtant exactement le

même comportement. Par exemple, si on se base essentiellement sur des critères

sémantiques, il faut distinguer aux niveaux syntaxiques et morphologiques au

moins deux grammèmes pour le conditionnel: un qui appartient au mode (pour le

conditionnel de politesse [J’en reprendrais bien un peu]) et un autre qui appartient

au temps (pour le «futur dans le passé» [Il a dit qu’il jouerait avec nous ce soir]).

Le problème se complique encore quand on considère d’autres sens du condition-

nel, par exemple la réserve [Les voleurs se seraient enfuis à bord d’une fourgon-

nette bleue]: faut-il y voir un grammème séparé du premier, ou une acception du

même grammème? Pourtant, à partir du niveau syntaxique, jusqu’à la réalisation

de la phrase en surface, tous ces grammèmes se comportent très exactement de la

même façon. Il en résulte une duplication inutile des règles à tous les niveaux. Pour

palier à ce problème, nous proposons le critère suivant.

Critère de la similitude sémantique

L’acception de base des grammèmes d’une même catégorie flexionnelleprésente une parenté sémantique évidente.

En ne considérant que la grammie de base associée à un grammème, nous évi-

tons le problème auquel s’expose Mel’čuk, ce qui nous permettra d’obtenir un

modèle plus économique.

13. Il ne se base toutefois pas exclusivement sur de tels critères.

Page 67: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

67

La méthodologie de Martinet, basée sur la combinatoire, et celle de Mel’čuk,

basée surtout sur le sens, mènent à des descriptions linguistiques très différentes.

Notre méthodologie est à cheval sur les deux: les grammèmes d’une même catégo-

rie flexionnelle doivent être mutuellement exclusifs, avoir une combinatoire simi-

laire, et leur acception de base doit avoir une parenté sémantique avec celle des

autres grammèmes de cette catégorie.

7 Grammème et phraséologie

L’étude des grammèmes peut être compliquée par divers phénomènes de phra-

séologisation. On sait depuis longtemps que les expressions lexicales peuvent se

phraséologiser; par exemple, le sens de kSE FAIRE UN SANG D’ENCREl ne contient

pas ceux de SANG ou de ENCRE. Cependant, les expressions non-compositionnel-

les ne sont pas forcément lexicales. De même que les lexies peuvent avoir un signi-

fiant polylexémique, les grammies peuvent avoir un signifiant polygrammémique.

Beck (2007) a démontré, dans le cadre de la TST, que le traitement de certains phé-

nomènes morphologiques comme des cas de phraséologie permet une plus grande

économie dans les modèles linguistiques. Il donne notamment l’exemple du mode

irréel en totonac (une langue amérindienne parlée dans l’état de Puebla au Mexi-

que), qui n’a pas de morphème propre, mais qui s’exprime par la combinaison des

morphèmes de temps passé et d’aspect perfectif. Pour Beck, le problème se traite

dans la transition entre les niveaux morphologiques profond et de surface, c’est-à-

dire qu’au niveau syntaxique, on retrouve le grammème irréel. Dans le cadre de

notre travail cependant, nous ne considérons que l’interface sémantique-syntaxe.

Nous traiterons donc ce type de phrasèmes dans cette interface, c’est-à-dire qu’au

niveau syntaxique de surface, nous aurions pour le totonac les grammèmes passé

et perfectif, mais pas *irréel. Pour cette raison, nous parlerons plutôt de phrasè-

mes grammémiques, et non morphologiques. Un phrasème grammémiqueest un signe représentable dans son signifiant en termes de plus d’un grammème,

mais dont le signifié n’est pas compositionnel. Par exemple, en français, nous ver-

rons que le signifiant du conditionnel à valeur modale (de politesse ou de réserve)

Page 68: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

68

peut être décrit par la combinaison de deux grammèmes, correspondant respective-

ment aux morphèmes –R– et –AI–, alors que son signifié n’est pas la composition

du sens de ces deux grammèmes.

Il faut remarquer que la phraséologie n’implique pas forcément des éléments de

même nature. Par exemple, un signe peut avoir comme signifiant une combinaison

de grammèmes et de lexèmes, comme dans la locution kCESSEZ-LE-FEUl, où le

grammème impératif fait partie intégrante du signifiant, conjointement avec les

lexèmes CESSER, LE et FEU.

Les phrasèmes grammémiques peuvent facilement brouiller les pistes dans

l’étude du système flexionnel de la langue, et il faut toujours s’assurer, quand on

cherche à décrire un grammème, qu’on a bien affaire à un grammème simple, et

non à un phrasème grammémique ou à une partie d’un phrasème. Ainsi, par exem-

ple, les emplois modaux du conditionnel en français ne doivent pas être pris en

compte pour la classification des grammèmes qui en composent le signifiant (et

qui correspondent aux morphèmes –R– et –AI–).

8 Synthèse

En résumé, nous avons distingué les grammèmes profonds, qui appartiennent à

la représentation syntaxique profonde, et les grammèmes de surface, qui relèvent

du niveau syntaxique de surface. Les grammèmes ne sont pas des signes. Il sont du

niveau d’abstraction du vocable et il faut en distinguer les différentes acceptions,

les grammies (qui, elles, sont des signes). Parmi les grammies associées à un gram-

mème, une est considérée comme la grammie de base. On peut l’identifier grâce à

une variété de critères basés sur le sens et sur la combinatoire des signes en jeu.

C’est la grammie de base des grammèmes qui doit guider la construction du

modèle linguistique. C’est en effet en fonction du sens et de la combinatoire de

cette dernière que les grammèmes sont regroupés en catégories flexionnelles. Les

grammies de base des grammèmes d’une même catégorie flexionnelle doivent être

Page 69: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

IV. L’étude du grammème: théorie et méthodologie

69

mutuellement exclusives et avoir une combinatoire similaire, en plus de présenter

une parenté sémantique évidente.

Enfin, il faut considérer que les grammèmes peuvent se phraséologiser, ce qui

peut brouiller les pistes. Il faut donc toujours s’assurer qu’on a affaire à un gram-

mème simple, et non à une composante d’un phrasème grammémique.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

Le littérature touchant les questions de temps et d’aspect verbaux dans les lan-

gues est énorme. Le simple fait d’en dresser l’inventaire constitue en soi une tâche

colossale, tâche à laquelle Binnick (2001) s’est attelé pour produire une bibliogra-

phie beaucoup plus volumineuse que cette thèse, contenant plus de 6 600 publica-

tions principalement en anglais, en français et en allemand. Il n’a pourtant inclus

que les ouvrages publiés après 1947, sauf quelques exceptions, et exclu la plupart

de ceux qui se situaient dans le cadre de la sociolinguistique, de la dialectologie, de

la linguistique informatique, de la structure narrative, etc. Il a recensé environ 300

publications par année tout au long des années 90, mais beaucoup moins dans les

trois ou quatre années précédant la publication de sa bibliographie. On peut donc

supposer qu’il manque de nombreuses références entre 1998 et 2001, sans compter

tout ce qui s’est publié depuis 2001!

Une telle masse d’information ne peut pas être assimilée en quelques années. Il

va de soi que nous n’avons pas tout lu, ni même toutes les publications importan-

tes. Nous avons presque exclusivement orienté nos recherches bibliographiques

vers ce qui traitait du temps (et de l’aspect) en français ou dans les langues en

général. Même en nous restreignant à ces ouvrages, il est impossible d’offrir ici un

panorama exhaustif de ce qui s’est écrit sur le temps verbal en français. Nous nous

contenterons de présenter brièvement quelques-uns des modèles que nous avons

rencontrés. Il ne faut pas croire que nous avons forcément choisi les plus mar-

quants. Nous laissons de côté plusieurs auteurs qui ont ou ont eu une influence

notable. Rien, par exemple, sur Reichenbach, Partee ou encore Comrie, qui ont eu

un impact considérable dans le domaine de l’étude du temps grammatical dans la

langue en général. Rien non plus sur Verkuyl, Vet, Molendijk ou encore Vetters,

qui sont pourtant des contemporains de gros calibre dans le domaine du temps

grammatical en français. Nous avons choisi de comparer uniquement des ouvrages

qui offrent un modèle complet de la flexion verbale plutôt que de se pencher sur un

Page 71: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

71

sous-ensemble des formes verbales. Nous aurons néanmoins l’occasion de revenir

sur d’autres auteurs au cours de notre discussion des différentes catégories flexion-

nelles de notre propre modèle, là où cela sera pertinent. Par ailleurs, le lecteur inté-

ressé pourra consulter notamment Vet (1980) et Vetters (1996), qui passent en

revue des auteurs que nous ne présentons pas dans cette thèse.

Rappelons que ce qui nous intéresse dans le cadre de cette thèse est de cons-

truire un modèle basé sur des catégories flexionnelles composées de grammèmes

répondant aux caractéristiques définies au Chapitre IV. C’est dans cette optique

que nous présentons les travaux de nos prédécesseurs. Cependant, tous les auteurs

présentés ici ne raisonnent pas forcément en termes de catégories flexionnelles et

de grammèmes. Les cadres théoriques variant énormément, les questionnements ne

sont pas les mêmes pour chacun. Il est assez fréquent notamment qu’on propose

des décompositions sémantiques des formes verbales plutôt qu’un système

flexionnel au sens où nous l’entendons. Afin de pouvoir comparer et critiquer selon

notre perspective particulière les différents modèles discutés ici, nous avons choisi

de les représenter en termes de grammèmes et de catégories flexionnelles, bien que

cela introduise inévitablement des distorsions. Évidemment, la distinction entre

grammème profond et grammème superficiel (cf. Ch. IV, § 1, p. 46) n’est pas vrai-

ment pertinente ici puisqu’elle est propre à notre cadre de travail et qu’aucun des

auteurs présentés ne s’en préoccupe.

Partout nous faisons abstraction de la voix et des catégories d’accord (personne,

nombre et genre). Nous nous contentons d’indiquer à quels grammèmes se combi-

nent la personne et le nombre verbaux, sans nous soucier de savoir s’il s’agit d’une

seule catégorie flexionnelle ou de deux catégories différentes — ce qui varie d’un

auteur à l’autre. L’accord des participes est complètement laissé de côté ici.

Avant de commencer, rappelons qu’un grammème ne s’exprime pas forcément

par un morphème séparé; il ne faut donc pas comprendre que nous cherchons à

opérer une division morphématique des formes verbales. Il n’est peut-être pas inu-

tile de rappeler également quelques conventions d’écriture qui prennent tout leur

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

72

sens dans ce chapitre. Nous utilisons les termes traditionnels, sans police de carac-

tères particulière, pour faire référence à une forme verbale sans égard à son analyse

morphologique: «imparfait» renvoie aux formes mangeait, mangions, etc. Nous

utilisons une police particulière lorsque nous faisons référence à un grammème:

«imparfait» est le nom d’un grammème (dont le signifié pourra varier d’un

modèle à l’autre). Enfin, nous utilisons encore une autre police pour les

morphèmes: «–AI–» est le nom d’un suffixe (qui comprend les allomorphes –i–,

aux première et deuxième personnes du pluriel [mangions, mangiez], et –ai–, aux

autres personnes [mangeais, mangeait, mangeaient]). Il ne faut surtout pas confon-

dre les trois, et il n’y a pas forcément de relation entre eux. Dans certains modèles,

par exemple, le conditionnel est formé d’un suffixe –R– et d’un suffixe –AI–, sans

que ce –AI– ne corresponde à un grammème nommé imparfait. Dans d’autres

modèles, le grammème imparfait peut s’exprimer par un morphème autre que

–AI–. Et chez d’autres auteurs encore, les formes de l’imparfait n’expriment pas un

grammème appelé imparfait, mais autre chose!

1 Le modèle traditionnel

Il y a un large consensus parmi les grammaires scolaires et les ouvrages de réfé-

rence les plus usuels (Le bon usage, Le Bescherelle, Le Larousse des verbes, Le

Petit Robert, etc). Les tableaux de conjugaison y sont pratiquement identiques et

proposent un modèle relativement plat qui ne cherche pas à identifier des grammè-

mes et des catégories flexionnelles. Le but de ces ouvrages est plutôt de classer et

de nommer les formes verbales, puis d’en décrire les différents usages (sémanti-

ques et pragmatiques). Pour représenter le modèle traditionnel sous forme de caté-

gories flexionnelles et de grammèmes, on peut supposer dans un premier temps

que les modes et les temps correspondent chacun à un grammème (même si, nous

le verrons plus loin, les commentaires qu’on trouve dans ces grammaires de réfé-

rence laissent voir un système un peu mieux articulé). On obtient alors un système

où interviennent peu de catégories flexionnelles.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

73

Dans les tableaux de conjugaison française traditionnels, mis à part les catégo-

ries d’accord (et la voix, qui ne fait habituellement pas partie de ces tableaux), on

ne peut distinguer en apparence que deux catégories flexionnelles: le mode et le

temps.

Les modes sont divisés en modes personnels (indicatif, conditionnel,

subjonctif et impératif) et modes impersonnels (infinitif, participe et

gérondif) selon qu’ils portent ou non la flexion en personne et en nombre. Tous se

combinent à des grammèmes de temps, mais en fait, seul le mode indicatif peut se

combiner à tous les temps; les autres modes ne se combinent qu’aux grammèmes

présent et passé (composé), sauf le subjonctif qui se combine également aux

grammèmes imparfait et plus-que-parfait.

La catégorie de temps contient un grammème différent pour chaque groupe de

formes de l’indicatif: présent, passé simple, imparfait, futur simple, passé

(composé), passé antérieur, plus-que-parfait et futur antérieur. Leurs sens

se décrivent en termes de relations temporelles et d’aspect. Par exemple, le passé

simple, l’imparfait et le passé composé situent tous les faits dans le passé mais se

distinguent par leurs valeurs aspectuelles (nous n’insisterons pas sur ce point ici;

voir le modèle de Imbs ci-dessous ou encore Comrie 1976: pp. 126-127).

Notons que dans plusieurs ouvrages, surtout les plus récents (par exemple, Gre-

visse 1993, ou encore Riegel, Pellat & Rioul 1994), le conditionnel est considéré

comme un temps de l’indicatif plutôt que comme un mode. Il y a alors dans ces

modèles deux grammèmes de temps de plus: conditionnel (présent) et

conditionnel passé.

Le futur périphrastique est traité de façon ambiguë dans la tradition. Il est pres-

que systématiquement absent des tableaux de conjugaison des grammaires scolai-

res et des ouvrages de référence, mais pourtant presque tous en reconnaissent

l’existence et en disent quelques mots. On l’a d’abord appelé «futur proche», mais

il est maintenant généralement admis qu’il ne situe pas forcément les faits dans un

futur rapproché, mais plutôt qu’il «marque un futur vu du présent, souvent un futur

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

74

proche, parfois un futur plus lointain mais considéré comme inéluctable» (Gre-

visse 1993: p. 789). Étant donné son traitement timide dans les ouvrages tradition-

nels, nous l’excluons de notre discussion ici (nous aurons l’occasion d’y revenir

plus loin, Ch. VI, § 5.4, p. 170).

La Figure 11 et le Tableau VI présentent les catégories flexionnelles qu’on peut

déduire du modèle traditionnel, leurs grammèmes et leur combinatoire, ainsi qu’un

exemple pour chaque combinaison.

Figure 11 — Les catégories flexionnelles dans le modèle traditionnel

Mode Temps Forme

indicatif présent sait

imparfait savait

passé simple sut

futur simple saura

passé composé a su

plus-que-parfait avait su

passé antérieur eut su

futur antérieur aura su

conditionnel présent saurait

passé aurait su

Tableau VI — Le classement traditionnel des formes

Mode

INF PART GÉR

IND COND SUBJ IMPÉR

Temps

PRÉS

PC

IMP

PQP

PS

PA

FUT

FA

PersonneNombre

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

75

Ce modèle est en un sens économique, puisqu’il ne fait appel qu’à deux catégo-

ries flexionnelles, chacune ne comportant pas plus de huit grammèmes. Cependant,

nous croyons que ces catégories peuvent être raffinées.

Commençons par le mode. Il nous semble que l’opposition entre modes person-

nels (indicatif, conditionnel, subjonctif et impératif) et impersonnels

(infinitif, participe et gérondif) est plus profonde que le simple fait que les uns

expriment la personne et les autres non. Il y a des différences sémantiques impor-

tantes. D’ailleurs, on sent bien le malaise des grammairiens dans les passages sui-

vants, quand ils tentent de définir ce qu’est la catégorie de mode:

L’identification des modes aux modalités ne permet pas de caractériser cha-cun d’eux par des propriétés vraiment distinctives. En premier lieu, on ne voitpas quelles modalités pourraient être exprimées par l’infinitif et par le parti-cipe.

Riegel, Pellat & Rioul (1994: p. 287)

[…] il est difficile de donner une définition précise de la notion de mode. […]Les modes impersonnels sont, entre eux, plus homogènes. Ils permettent eneffet de conférer à un verbe (muni éventuellement de tous ses compléments et,

subjonctif présent sache

passé ait su

imparfait sût

plus-que-parfait eût su

impératif présent sache!

passé aie su!

infinitif présent savoir

passé avoir su

participe présent sachant

passé su / ayant su

gérondif présent en sachant

passé en ayant su

Mode Temps Forme

Tableau VI — Le classement traditionnel des formes

Page 76: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

76

parfois, de son sujet) les fonctions généralement exercées par un mot d’uneautre classe: nom pour l’infinitif, adjectif pour le participe, adverbe pour legérondif.

Bescherelle (1998: § 156)

Visiblement, les modes impersonnels ne cadrent pas bien et empêchent de défi-

nir clairement ce qu’est un mode. En effet, leur fonction est clairement différente

de celle des modes personnels. Alors que les modes en général sont supposés reflé-

ter l’attitude du locuteur par rapport à l’énoncé (portant ainsi un sens d’ordre prag-

matique), seuls les modes personnels le font véritablement. Les modes

impersonnels, eux, ne portent aucun sens. Ils ont une fonction plus abstraite

n’ayant à voir qu’avec l’organisation syntaxique de la phrase. Ces deux types de

grammèmes forment donc deux classes sémantiquement bien distinctes. Qui plus

est, ils s’opposent également par leur combinatoire: les modes personnels accep-

tent la flexion en personne alors que les modes impersonnels, non. Pour ces deux

raisons, nous croyons qu’il faut voir ici deux catégories flexionnelles plutôt qu’une

seule. Nous y reviendrons plus loin (Ch. VI, § 1, p. 116 et Ch. VI, § 3, p. 134).

Pour ce qui est du temps, notons qu’à chacun des grammèmes qui s’expriment

de façon synthétique (présent, imparfait, passé simple, futur simple) corres-

pond un temps dont le signifiant comprend l’auxiliaire AVOIR <ÊTRE> et dont le

sens par rapport à la forme non composée est toujours sensiblement le même1, de

sorte qu’on peut formuler l’équivalence . Nous voyons là

matière à postuler une catégorie flexionnelle supplémentaire dont les grammèmes

se combineraient aux grammèmes de temps pour former les temps non composés

d’une part et composés d’autre part (et même, pourquoi pas, surcomposés).

D’ailleurs, on retrouve la même opposition sémantique et formelle entre les formes

dites «présent» et «passé» des autres modes (par exemple, l’infinitif passé est à

l’infinitif ce que le futur antérieur est au futur simple). Or, il nous semble que cette

opposition n’est pas vraiment d’ordre temporel, ou du moins, que les temps

1. Ce n’est pas tout à fait exact puisque le passé composé et le plus-que-parfait peuventapporter un sens par rapport au présent et à l’imparfait que le passé antérieur et le futurantérieur n’ont pas par rapport au passé simple et au futur simple. Nous y reviendronsplus loin (Ch. VI, § 5, p. 164).

PRESPC

--------------- IMPPQP------------ PS

PA-------- FUT

FA------------= = =

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

77

«présent» et «passé» de ces modes n’ont pas le même sens qu’à l’indicatif2. Par

exemple, le «subjonctif présent» de Il ne fallait pas qu’il fasse un seul mouvement

ne situe clairement pas les faits dans le présent. Il faut le comprendre comme indi-

quant plutôt la concomitance. Puisque, en plus de cette différence sémantique, ce

«présent» ne commute pas avec les mêmes grammèmes qu’à l’indicatif, il ne

s’agit pas du même grammème présent à l’indicatif et au subjonctif.

Ces faits ont bien entendu été notés très tôt (déjà, la grammaire de Port-Royal

en faisait mention) et la plupart des grammaires plus ou moins récentes semblent y

voir comme nous une catégorie flexionnelle, bien que cela ne se reflète pas dans

les tableaux de conjugaison. Toutefois, il est généralement accepté au moins depuis

Benveniste (1959) que l’auxiliaire AVOIR <ÊTRE> peut avoir deux valeurs

distinctes: celle d’accomplissement et celle d’antériorité. On hésite néanmoins

dans la tradition à voir là deux grammèmes bien distincts. Or, nous croyons que la

clé des temps surcomposés et de certains autres phénomènes réside précisément

dans la reconnaissance de deux grammèmes profonds correspondant à chacune de

ces valeurs et appartenant à deux catégories séparées. Nous y reviendrons au cha-

pitre suivant (Ch. VI, § 4, p. 144).

Autre élément qui n’apparaît pas dans les tableaux de conjugaison mais qui est

pourtant un thème récurrent dans les grammaires: la distinction entre temps abso-

lus et temps relatifs. On trouve chez Vetters (1996) un historique critique des diffé-

rentes positions sur le sujet, de la grammaire de Port-Royal aux auteurs les plus

récents. Nous nous contenterons ici de quelques points essentiels.

On classe traditionnellement les temps qui situent les faits directement par rap-

port au moment d’énonciation dans la catégorie des temps absolus, alors que les

temps relatifs sont ceux qui situent les faits par rapport à un point de référence qui

est antérieur ou postérieur au moment d’énonciation (il s’agit souvent d’un autre

fait qu’on retrouve dans le discours). L’inventaire de chacune de ces deux classes

2. Nous ne savons pas vraiment comment interpréter ce «passé» en termes de grammèmes.Est-ce le même grammème que pour le passé composé ou le passé simple, ou est-ce untroisième grammème? Ou encore, est-ce un terme qui recouvre plusieurs grammèmes?

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

78

varie légèrement d’un auteur à l’autre. Comparons les classements des formes de

l’indicatif de Girard (1747) et de Destutt de Tracy (1803):

Quelle est la nature exacte de ce genre de dichotomie? Faut-il y voir deux caté-

gories flexionnelles de temps qui sont en concurrence, ou est-ce un simple regrou-

pement de grammèmes, au sein d’une unique catégorie de temps, selon des

similarités sémantiques? Ou encore, faut-il considérer que «absolu» et «relatif»

sont les deux grammèmes d’une catégorie flexionnelle supplémentaire qui se com-

binerait à celle du temps?

S’il s’agissait de deux catégories flexionnelles de temps concurrentes, de sorte

que le modèle flexionnel contienne en fait trois catégories flexionnelles (mode,

temps absolu et temps relatif), alors les catégories de temps absolu et de temps

relatif seraient mutuellement exclusives, ce qui compliquerait la modélisation du

caractère obligatoire de la flexion. En effet, si on a deux catégories de temps con-

currentes, il faut alors faire appel à des critères syntaxiques, et non plus seulement

morphologiques, pour déterminer quelles sont les catégories flexionnelles obliga-

toires. Il ne suffit plus de dire qu’un verbe à l’indicatif doit être fléchi en temps (ce

qui peut se modéliser simplement au niveau morphologique), mais il faut encore

tenir compte du contexte syntaxique; on dira par exemple qu’un verbe à l’indicatif

dans une proposition principale doit être fléchi en temps absolu, alors que dans une

proposition subordonnée il doit être fléchi en temps relatif3. Pour cette raison, il ne

Absolus Relatifs

Girard

saita susutsaura

savaitavait sueut suaura su

Destutt de Tracy

saita sua eu susauraaura suaura eu su

savaitavait suavait eu susauraitaurait suaurait eu su

Tableau VII — Les temps absolus et relatifs dans la tradition

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

79

nous semble pas souhaitable que le locuteur ait le choix entre deux catégories

flexionnelles. Ce classement ne doit donc pas correspondre à deux catégories

flexionnelles concurrentes.

L’hétérogénéité des formes dans le classement de Girard4 laisse croire qu’il

s’agit simplement d’un regroupement de grammèmes sans conséquence sur la

structure du système flexionnel: il s’agit d’un commentaire sur le signifié des

grammèmes de la catégorie de temps. Par contre, le modèle de Destutt de Tracy est

intéressant en ce que la différence sémantique entre les temps absolus et les temps

relatifs va de pair avec une différence formelle régulière (on ajoute le suffixe –AI–

à un temps absolu pour obtenir le temps relatif correspondant). On pourrait donc y

voir une catégorie flexionnelle qui contiendrait deux grammèmes, absolu (au

signifiant nul) et relatif (dont le signifiant serait le suffixe –AI–), qui se combine-

raient aux grammèmes de temps (cette catégorie étant ici réduite aux grammèmes

présent, passé composé, passé surcomposé, futur, futur antérieur et futur

antérieur surcomposé). N’ayant malheureusement pas accès au texte original5,

il nous est impossible de dire si c’est réellement ce que l’auteur avait en tête.

Cependant, on peut constater que ce n’est au moins pas ce qu’on en a retenu puis-

que les auteurs que nous connaissons qui ont proposé des classements similaires ne

semblaient pas voir là une catégorie flexionnelle. Il est possible que le fait que le

passé simple et le passé antérieur brisent cette belle symétrie, comme le note Vet-

ters (1996), en ait découragé plusieurs de stipuler un grammème relatif. Or, nous

proposons justement que cette dichotomie entre temps absolus et temps relatifs est

due à l’existence d’une catégorie flexionnelle, que nous appelons «décalage», qui

se combine aux temps, et dont le grammème décalé s’exprime justement par le

suffixe –AI–. Nous y reviendrons au prochain chapitre (Ch. VI, § 6, p. 177) et nous

3. La règle, en fait, doit être beaucoup plus complexe puisque les temps relatifs peuventapparaître dans une principale [Tiens, je te pensais à Québec, toi] et les temps absoluspeuvent aussi se trouver dans une subordonnée [Je te jure que j’ai rien touché].

4. La différence formelle entre un temps relatif et son correspondant absolu est parfoisl’imparfait, parfois l’auxiliaire AVOIR, auxiliaire qui se trouve d’ailleurs aussi dans lesignifiant de certains temps absolus.

5. Nous connaissons le classement de Destutt de Tracy par Vetters (1996), qui lui-même letenait d’un article d’Yvon (1951). Le lecteur nous pardonnera ce brocantage.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

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verrons que le passé simple et le passé antérieur, bien qu’ils brisent effectivement

la symétrie des formes, ne posent pas vraiment problème.

La distinction entre temps absolus et relatifs a perduré et on l’a souvent reprise6.

On la retrouve également dans d’autres langues, si bien qu’aujourd’hui il s’agit

d’une distinction largement acceptée en linguistique générale (cf. Comrie 1985).

Parmi les auteurs qui l’ont repris, on trouve Imbs, qui a construit son modèle

essentiellement sur cette base.

2 Imbs

Imbs (1960) propose un modèle où le temps est représenté non pas de façon uni-

dimensionnelle, mais en faisant appel à trois axes. Un premier axe est ancré dans le

présent et divise le temps entre passé, présent et futur. Le passé et le futur sont à

leur tour eux-même traversés par des axes secondaires qui fournissent des temps

antérieurs ou postérieurs au passé et au futur.

L’auteur ne va toutefois pas jusqu’à postuler deux (ou trois) catégories flexion-

nelles de temps différentes. On a ici un système à sept temps: passé (a mangé,

mangeait et mangea), présent (mange), futur (mangera), antérieur du passé (a

eu mangé, avait mangé et eut mangé), ultérieur du passé (mangerait),

antérieur du futur (aura mangé) et ultérieur du futur (mangera).

6. On l’a éventuellement reformulée en termes de temps «déictiques» vs «anaphoriques»(voir notamment Partee 1973, 1984).

Figure 12 — Les trois axes temporels de Imbs

passé présent futur

antérieurdu passé

antérieurdu futur

ultérieurdu passé

ultérieurdu futur

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81

L’imparfait, le passé composé et le passé simple (ainsi que le plus-que-parfait,

le passé surcomposé et le passé antérieur) se distinguent par l’aspect. L’imparfait

exprime le grammème d’aspect duratif-itératif, le passé composé, le grammème

accompli, et le passé simple, le grammème ponctuel. Imbs voit également une

opposition aspectuelle entre les formes simples et composées aux autres temps et

modes. Il a donc un grammème inaccompli pour les formes simples du présent,

de l’infinitif, etc., s’opposant aux formes composées correspondantes, qui expri-

ment le grammème accompli. Cette opposition peut, selon le contexte, s’interpré-

ter comme une opposition entre simultanéité et antériorité: ces deux grammèmes

ont un sens vague.

Il n’est pas clair s’il faut voir dans ce modèle une ou deux catégories d’aspect.

L’opposition duratif-itératif / accompli / ponctuel n’est utile que pour les

temps passé et antérieur du passé7. Partout ailleurs, on ne trouve que l’opposi-

tion accompli / inaccompli. Puisqu’il serait bizarre de placer le grammème

accompli dans deux catégories différentes, nous représentons le modèle de Imbs

avec une seule catégorie d’aspect.

Les modes de Imbs sont ceux de toujours, sauf que le conditionnel est ici vu

comme un temps de l’indicatif et non comme un mode. Il y a donc dans son

modèle les grammèmes de mode indicatif, subjonctif, impératif, infinitif,

gérondif et participe. Nous laissons de côté ici son traitement des temps du sub-

jonctif dans le style soutenu pour ne considérer que les formes du subjonctif pré-

sent (sache) et du subjonctif passé (ait su), qui s’opposent dans son modèle par

l’aspect.

La Figure 13 et le Tableau VIII ci-dessous présentent de façon schématique le

modèle de Imbs et donnent, pour chaque combinaison de grammème possible, un

exemple.

7. Imbs fait remarquer que le sens de ces grammèmes aspectuels se retrouve également auprésent. Par contre, ils n’entraînent aucun changement dans la forme, aussi croyons-nousque cette opposition n’est pas pertinente au présent.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

82

ANT=antérieur ULT=ultérieur DUR-ITÉR=duratif-itératif PONCT=ponctuel

Figure 13 — Les catégories flexionnelles dans le modèle de Imbs

Mode Temps Aspect Forme

indicatif présent inaccompli sait

accompli a su

passé accompli a su

duratif-itératif savait

ponctuel sut

antérieur du passé

accompli a eu su

duratif-itératif avait su

ponctuel eut su

ultérieur du passé

inaccompli saurait

accompli aurait su

futur inaccompli saura

accompli aura su

antérieur du futur

inaccompli aura su

accompli aura eu su

ultérieur du futur inaccompli saura

accompli aura eu su

Tableau VIII — Le classement des formes selon Imbs

Mode

INF PART GÉR IND SUBJ IMPÉR

Temps

ANT-PASSÉ ANT-FUT

PASSÉ PRÉS FUT

ULT-PASSÉ ULT-FUT

PersonneNombre

Aspect

ACC DUR-ITÉR

INACC PONCT

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

83

Certaines formes surcomposées reconnues comme grammaticales par Imbs ne

trouvent pas leur place dans ce modèle. Par exemple, comment faut-il analyser la

forme aurait eu chanté? Le conditionnel du premier auxiliaire indique un gram-

mème ultérieur du passé, mais que faire du double auxiliaire? Imbs y voit, à

juste titre sans doute, une marque à la fois d’antériorité et d’accomplissement.

Mais quels sont les grammèmes en jeu? S’agit-il deux fois du même grammème

accompli, une fois avec une interprétation d’antérieur et une fois avec une inter-

prétation d’accompli? Nous trouvons douteuse l’idée qu’un grammème se com-

bine avec lui-même. Et encore, comment expliquer qu’une seule des trois formes

du temps antérieur du passé, à savoir le plus-que-parfait, puisse être composée

une fois de plus (avait chanté → avait eu chanté, mais eut chanté → *eut eu

chanté et a eu chanté → *a eu eu chanté)? D’ailleurs, comment doit-on représen-

ter ce plus-que-parfait surcomposé? Il doit s’agir en principe d’un accompli par

rapport au plus-que-parfait, mais puisque le plus-que-parfait exprime déjà lui-

même le grammème duratif-itératif, qui fait partie de la même catégorie flexion-

nelle que accompli, il y a un problème.

subjonctif inaccompli sache

accompli ait su

impératif inaccompli sache!

accompli aie su!

infinitif inaccompli savoir

accompli avoir su

participe inaccompli sachant

accompli su / ayant su

gérondif inaccompli (en) sachant

accompli (en) ayant su

Mode Temps Aspect Forme

Tableau VIII — Le classement des formes selon Imbs

Page 84: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

84

Le manque d’homogénéité que présente la catégorie d’aspect chez Imbs (les

oppositions ne sont pas les mêmes pour les temps passé et antérieur du passé

que pour les autres temps et mode, comme nous l’avons mentionné plus haut) nous

semble gênant. Nous ne sommes pas convaincu qu’il s’agisse vraiment d’une seule

catégorie. Nous proposons plus loin (Ch. VI, § 6, p. 177 et Ch. VI, § 6.1.2, p. 181)

une alternative à la catégorie d’aspect pour expliquer les différences entre les for-

mes de l’imparfait, du passé composé et du passé simple (ainsi que les formes

composées et surcomposée correspondantes).

Ce que nous retenons principalement du modèle de Imbs est qu’il postule plus

d’un axe temporel. Nous défendons plus loin (Ch. VI, § 6, p. 177) un système

similaire où interviennent deux axes, à chacun desquels correspond une catégorie

flexionnelle distincte.

3 Les fonctionnalistes

3.1 Martinet

Martinet consacre une cinquantaine de pages de sa Grammaire fonctionnelle du

français (1979) aux verbes et à leur conjugaison. Son modèle s’appuie sur une

approche générale de la langue rigoureuse et systématique (exposée notamment

dans Martinet 1970, 1979), ce qui en fait un modèle particulièrement intéressant à

étudier. En outre, il fait clairement appel à des grammèmes regroupés en catégories

flexionnelles8. Sa théorie de la flexion repose essentiellement sur deux principes

fondamentaux: les grammèmes d’une même catégorie doivent 1) être mutuelle-

ment exclusifs et 2) avoir une combinatoire semblable. C’est donc presque exclusi-

vement en fonction de leur combinatoire que les grammèmes sont regroupés en

catégories flexionnelles.

En excluant la voix et les catégories d’accord, on compte dans ce modèle quatre

catégories flexionnelles: le mode, le temps, l’aspect et la vision.

8. La terminologie de Martinet diffère de la nôtre: il parle plutôt de monèmes et de classesde monèmes (ou modalités).

Page 85: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

85

La catégorie de mode chez Martinet comprend quatre grammèmes: infinitif,

participe, impératif et subjonctif. Le conditionnel n’est pas considéré ici

comme un mode, mais comme la combinaison d’un grammème de temps et d’un

de vision (nous y reviendrons). Le participe présent et le participe passé ne corres-

pondent pas à deux grammèmes de mode différents, mais expriment tous les deux

le même mode participe, le participe passé exprimant en plus le grammème

d’aspect parfait (que nous verrons plus loin).

Là où Martinet se distingue particulièrement de la tradition, c’est dans son trai-

tement de l’indicatif, qu’il ne considère pas comme un mode. En fait, il y voit car-

rément une absence de signe:

Ce que la tradition désigne comme «mode indicatif» n’a ni marque formelle,ni valeur distincte de celle du verbe nu. En conséquence, il ne constitue pasune unité linguistique particulière.

Martinet (1979: p. 111)

De façon similaire, le présent n’est pas considéré comme un temps, mais encore

comme l’absence de signification temporelle. Ainsi la forme chante est-elle conçue

comme un radical nu, sans aucun autre signe9. La catégorie de temps ne comprend

donc pas de grammème correspondant au présent. Il n’y a que cinq temps: passé

(qui correspond au suffixe –AI– de l’imparfait), prétérit (pour le passé simple),

futur (qui correspond au suffixe –R– du futur simple), récent (il vient de chanter)

et prochain (il va chanter).

Conséquence de l’absence d’indicatif et de présent, les modes et les temps sont

mutuellement exclusifs, à la seule exception du mode subjonctif, qui ne peut se

combiner qu’au temps passé (ce qui donne le subjonctif imparfait).

Des cinq grammèmes de temps, seuls les trois premiers (passé, prétérit et

futur), ainsi que tous les grammèmes de mode, peuvent se combiner à l’unique

grammème d’aspect, parfait, qui s’exprime par l’auxiliaire AVOIR (ou ÊTRE). On

9. Sauf peut-être des signes prosodiques, que nous ne prenons pas en compte ici.

Page 86: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

86

aura deviné que l’absence d’auxiliaire ne correspond pas selon Martinet à un

deuxième grammème d’aspect qui s’opposerait à parfait.

Enfin, et c’est là encore une innovation par rapport à la tradition, Martinet pos-

tule l’existence d’une catégorie de vision, qui ne contient qu’un seul grammème:

décalé. Il est associé aux mêmes signifiants que le temps passé:

Le temps passé et la vision décalée ne se distinguent en rien par la forme, etleurs valeurs sont souvent parallèles. Ils ne s’opposent que parce que lepassé alterne avec les autres temps, tandis que le décalé coexiste avec eux.

Martinet (1979: p. 103)

La Figure 14 et le Tableau IX ci-dessous récapitulent les catégories flexionnel-

les et la combinatoire de leurs grammèmes d’après Martinet, et fournissent pour

chaque combinaison possible un exemple. Précisons que Martinet ne dit pas expli-

citement à quels grammèmes peuvent se combiner les catégories d’accord (c’est

pourquoi nous les indiquons en pointillés: il s’agit d’une extrapolation de notre

part). Aussi, nous n’avons pas trouvé dans le texte d’indication claire sur le traite-

ment de la forme simple de l’impératif. Nous l’indiquons ici comme portant le

grammème impératif, bien que dans le tableau de Martinet (1979: pp. 100-101)

cette forme ne soit associée à aucun grammème. L’auteur souligne le fait que

l’impératif n’a pas de marque directe, si ce n’est l’absence de sujet, mais il lui

reconnaît une valeur propre. Il doit donc s’agir d’un signe, et c’est pourquoi nous

faisons cette petite entorse à son modèle, ce qui n’a de toute façon aucune inci-

dence sur notre propos.

PRÉT=prétérit PROCH=prochain PARF=parfait

Figure 14 — Les catégories flexionnelles dans le modèle de Martinet

Mode

INF PART IMPÉR SUBJ

Temps

PASSÉ PRÉT FUT RÉCENT PROCH

Aspect

PARF

PersonneNombre

Vision

DÉCALÉ

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

87

Une chose qui nous frappe chez Martinet est l’absence des formes

surcomposées: son modèle ne permet pas d’en rendre compte. D’autres formes

manquent également à l’appel: il viendrait de chanter (peut-être peu usitée, mais

Mode Temps Aspect Vision Forme

infinitif savoir

parfait avoir su

participe sachant

parfait ayant su

impératif sache!

parfait aie su!

subjonctif sache

parfait ait su

passé sût

parfait eût su

sait

parfait a su

passé savait

parfait avait su

prétérit sut

parfait eut su

futur saura

décalé saurait

parfait aura su

décalé aurait su

récent vient de savoir

décalé venait de savoir

prochain va savoir

décalé allait savoir

Tableau IX — Le classement des formes selon Martinet

Page 88: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

88

quand même grammaticale) ou encore il allait avoir fini (qui nous semble pourtant

grammaticale, bien qu’on puisse lui préférer il aurait fini).

Ensuite, nous ne voyons pas très bien ce qui justifie de distinguer décalé et

passé. Pourquoi, par exemple, la vision ne peut-elle se combiner qu’aux verbes

qui portent un grammème de temps? Pourquoi ne peut-elle pas apparaître seule?

Ou encore, si le modèle de Martinet comprenait un grammème de temps présent,

y aurait-il encore lieu de distinguer décalé et passé?

Autre caractéristique frappante de ce modèle: il va très clairement à l’encontre

du postulat selon lequel la flexion est obligatoire (cf. Ch. IV, § 2, p. 51). Si on

accepte ce postulat, on est forcé de voir des signes zéro10 là où il n’y a pas de mar-

que formelle à l’intérieur d’un paradigme grammatical. Or, pour Martinet, le mot-

forme (je) sais ne porte tout simplement ni mode ni temps; il ne s’agit pas de

signes zéro, mais carrément d’une absence de signes grammaticaux. Cette absence

contraste avec d’autres formes verbales qui, elles, portent des grammèmes de

temps et de mode. Or, y a-t-il vraiment absence de signes ici? Sans trop entrer dans

les détails (puisqu’on y reviendra plus loin, Ch. VI, § 3, p. 134 et Ch. VI, § 6,

p. 177), on peut démontrer que le présent et l’indicatif correspondent bien à des

signes. D’abord, en ce qui concerne le présent, s’il est vrai qu’il peut exprimer des

sens très diversifiés, il reste qu’il ne peut pas signifier absolument n’importe quoi.

Il existe un nombre limité de sens que peut exprimer cette forme et on peut les

répertorier (nous le ferons plus loin, Ch. VI, § 6.4.4, p. 213). Pour l’indicatif, il est

peut-être plus difficile de démontrer qu’il a un sens (nous en discuterons plus loin,

Ch. VI, § 3, p. 134). Néanmoins, même en supposant qu’il n’ait pas de sens, on

peut encore en identifier la combinatoire: l’indicatif peut se combiner à des mor-

phèmes de temps, ce qui n’est pas le cas des autres modes (voir la discussion plus

loin concernant le subjonctif imparfait). Ainsi, en tenant compte de la troisième

composante des signes, à savoir leur combinatoire, on ne peut pas complètement

exclure l’existence d’un grammème indicatif, quand bien même il aurait un signi-

fiant nul et serait vide de sens, comme le pense Martinet. En fait, nous verrons au

10. À propos des signes zéro, voir notamment Mel’čuk (1997b: p. 21).

Page 89: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

89

cours des prochaines pages, et surtout en discutant le modèle de Touratier à la sec-

tion suivante, que le refus de considérer l’indicatif comme un mode mène à un

modèle difficilement tenable.

C’est Menanteau (1986) qui nous mettra sur la piste. Il critiquait dans son article

le modèle de Martinet, et nous reprenons ici quelques-unes de ses objections et ses

conclusions.

D’abord, il soutient que la seule existence du subjonctif imparfait ne justifie pas

de maintenir séparées les catégories de mode et de temps. Premièrement, le sub-

jonctif imparfait est devenu extrêmement rare à l’oral, il est donc hasardeux de

baser quoi que ce soit sur son existence. Ensuite, même si on admet que cette

forme est d’usage suffisamment courant pour être considérée, Menanteau fait

remarquer que, compte tenu du contexte où peut apparaître le subjonctif imparfait,

les locuteurs ne perçoivent jamais de différence sémantique entre celui-ci et un

subjonctif présent, la seule différence notable relevant du registre, ce qui laisse

comprendre qu’au mieux on pourrait y voir un grammème indiquant le registre,

mais pas un grammème de temps. Ainsi, aucun des modes de Martinet ne serait

vraiment compatible avec un des temps (sauf peut-être dans qu’il vienne de chan-

ter, mais continuons, nous verrons que cela n’est pas un problème).

Menanteau soutient également que les grammèmes récent et prochain ne peu-

vent pas faire partie de la catégorie de temps puisque cela mène à certaines contra-

dictions. En effet, en considérant vient de chanter comme un temps de CHANTER,

Martinet n’a d’autre choix pour rendre compte de venait de chanter que de stipuler

une catégorie additionnelle, soit la vision, dont l’unique grammème (décalé) est

associé aux mêmes sens et aux mêmes formes que le grammème de temps passé.

Menanteau se questionne, à juste titre dirions-nous, sur le bien-fondé d’avoir deux

grammèmes ayant le même sens et étant associés aux même formes mais relevant

de deux catégories séparées. La catégorie de vision serait donc un artefact qui pro-

viendrait de l’impossibilité de combiner dans une même forme récent et passé,

puisqu’ils font tous les deux partie d’une même catégorie flexionnelle. En sortant

Page 90: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

90

récent de la catégorie de temps, le problème s’évapore. Le même raisonnement

vaut pour prochain.

Menanteau propose de faire l’économie de la catégorie de vision. On se

retrouve alors avec quatre modes et trois temps, tous mutuellement exclusifs, et qui

ont tous la même combinatoire (abstraction faite des catégories d’accord). Suivant

les principes de similitude de combinatoire et d’exclusion mutuelle établis par

Martinet (cf. Ch. IV, § 6.1, p. 63), Menanteau conclut que les grammèmes de temps

et de mode ne forment qu’une seule catégorie flexionnelle. Il obtient alors le

modèle schématisé ci-dessous:

Touratier présentera et étoffera dix ans plus tard un modèle très similaire que

nous discutons à la prochaine section, aussi gardons-nous certaines de nos objec-

tions pour plus tard. Pour l’instant, contentons-nous de noter que, même en accep-

tant que récent et prochain ne sont pas des temps comme le suggère Menanteau,

la catégorie de vision de Martinet reste encore utile pour décrire le conditionnel,

conçu par Martinet comme la combinaison du temps futur (–R–) et du grammème

de vision décalé (–AI–). Si on souhaite éviter le problème de la duplication des

grammèmes passé/décalé, il n’y a que deux solutions possibles. L’une est d’éli-

miner la catégorie de vision et de stipuler un grammème de temps supplémentaire,

disons futur décalé: c’est ce que propose Menanteau. Mais on perd alors la com-

positionalité du modèle de Martinet, qui tentait justement de rendre compte du fait

PRÉT=prétérit PROCH=prochain PARF=parfait

Figure 15 — Le modèle de Martinet revu par Menanteau

Mode-Temps-Vision

PASSÉ PRÉT FUT FUT DÉCALÉ

INF PART IMPÉR SUBJ

Aspect

PARF RÉCENT PROCH

PersonneNombre

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

91

que le conditionnel à valeur temporelle est représentable, tant dans sa forme que

dans son sens, en termes des signes –R– et –AI–. Or, nous voyons dans cette expli-

cation du conditionnel un des meilleurs éléments du modèle de Martinet, certaine-

ment pas une caractéristique à éliminer. L’autre solution envisageable consisterait à

sortir le grammème passé de la catégorie de temps. C’est la voie empruntée par

Touratier, que nous allons maintenant discuter.

3.2 Touratier

Dans Le système verbal français (1996), Touratier élabore un modèle construit

sur les bases théoriques jetées par Martinet (1970, 1979). On peut en fait considé-

rer ce modèle comme une version encore plus poussée de celui de Martinet.

Il faut prendre le système de Touratier comme un modèle des grammèmes

superficiels, en nos termes (cf. Ch. IV, § 1, p. 46). En effet, il est fait mention dans

le texte, par exemple, du futur périphrastique, et pourtant il ne figure nulle part en

tant que grammème d’une catégorie flexionnelle. Puisqu’il est représentable dans

son signifiant en termes de la combinaison «ALLER + Vinf», il n’a pas sa place dans

un modèle des grammèmes superficiels.

Mises à part les catégories d’accord et la voix, il y a trois catégories flexionnel-

les chez Touratier: le mode, le temps et l’aspect (mais attention: la terminologie est

trompeuse).

Les grammèmes de mode n’ont pas forcément un sens modal. En fait, la séman-

tique n’a à peu près aucune importance ici, puisque c’est essentiellement sur des

critères basés sur la combinatoire que sont regroupés les grammèmes. On trouve

dans la catégorie de mode des grammèmes aux sens les plus variés, allant du tem-

porel au modal: futur (le suffixe –R–), subjonctif, passé (qui n’est pas celui de

Martinet, mais qui correspond plutôt au passé simple), impératif, infinitif et

participe (le même que chez Martinet). Tous sauf les deux derniers connaissent

l’accord en personne et en nombre. En outre, les deux premiers (futur et

subjonctif) se combinent à la catégorie de temps.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

92

La catégorie de temps, selon Touratier, ne contient que le grammème

imparfait, qui s’exprime parfois par le suffixe –AI– (qu’on retrouve tant à

l’imparfait qu’au conditionnel) et parfois par le suffixe –ASS– (qu’on retrouve au

subjonctif imparfait). Il correspond à la fois au passé et au décalé de Martinet.

Son sens, bien que la catégorie à laquelle il appartient s’appelle «temps», ne doit

pas être compris comme temporel. L’imparfait exprime un sens (non actuel), dont

l’interprétation varie selon le domaine auquel il est appliqué: temporel ou notion-

nel. Lorsqu’il est appliqué au domaine temporel, l’imparfait acquiert alors un sens

temporel:

En réalité, quand son signifié est appliqué au temps, l’imparfait indique sim-plement que le procès concerné est ‘non actuel au point de vue temporel’,c’est-à-dire ‘passé’, et rien de plus. Et il se distingue alors du passé simple ence qu’il ne précise pas que l’action inscrite dans le passé est objectivementdélimitée et correspond à un fait historique bien isolable du reste du passé,avec un début et une fin parfaitement identifiés.

Touratier (1996: p. 110)

Les effets de sens de l’imparfait sont des plus variés quand il est appliqué au

domaine notionnel (politesse, non réel, hypocoristique, etc).

Finalement, la catégorie d’aspect comprend deux grammèmes: composé (aussi

appelé parfois «accompli») et surcomposé.

La Figure 16 et le Tableau X à la page suivante représentent de façon synthéti-

que les catégories flexionnelles de Touratier, leurs grammèmes et la combinatoire

de ceux-ci, avec un exemple pour chaque combinaison.

Les objections que nous avions quant à l’absence des grammèmes indicatif,

présent et inaccompli chez Martinet valent également pour Touratier. Celui-ci se

justifie, dans le cas du présent, en disant que ce grammème n’a pas de signifié pro-

pre, mais que les sens qu’on lui attribue proviennent du contexte:

Afin d’expliquer les différentes valeurs temporelles et non temporelles que lesgrammaires scolaires ont l’habitude de reconnaître au présent, nous dironsen effet qu’il s’agit des valeurs, non pas du verbe au présent lui-même, maisde l’énoncé dans lequel se trouve le verbe au présent.

Touratier (1996: p. 87)

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

93

COMP=composé SURCOMP=surcomposé

Figure 16 — Les catégories flexionnelles dans le modèle de Touratier

Mode Temps Aspect Forme

infinitif savoir

composé avoir su

surcomposé avoir eu su

participe sachant

composé ayant su

surcomposé ayant eu su

impératif sache!

composé aie su!

sait

composé a su

surcomposé a eu su

imparfait savait

composé avait su

surcomposé avait eu su

Tableau X — Le classement des formes selon Touratier

Mode

FUT SUBJ PASSÉ IMPÉR INF PART

Temps

IMP

PersonneNombre

Aspect

COMP SURCOMP

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

94

Cette position se heurte à au moins deux problèmes majeurs. D’abord, comment

expliquer l’agrammaticalité de *Hier, je mange? L’explication la plus simple n’est-

elle pas qu’il y a contradiction entre le sens de hier et celui du présent? Ensuite, où

est le contexte qui donne le sens d’habituel dans Il travaille chez Bombardier?

Il nous semble que cette conception s’appuie sur une vision du sens comme une

sorte de point de gravité autour duquel tournent différentes «interprétations». Tou-

ratier rejette l’idée que le présent ait un sens par le fait que ce sens puisse

«s’interpréter» de façons très diverses, voire contradictoires. Puisqu’il n’est pas

possible de dégager de ces différentes interprétations une composante sémantique

commune, et puisqu’il semble refuser implicitement l’hypothèse du caractère dis-

cret du sens, il conclut que le présent n’est porteur d’aucune signification. Le pré-

sent n’étant alors associé ni à une forme ni à un sens, il en arrive à la conclusion

subjonctif sache

composé ait su

surcomposé ait eu su

imparfait sût

composé eût su

surcomposé eût eu su

passé sut

composé eut su

surcomposé eut eu su

futur saura

composé aura su

surcomposé aura eu su

imparfait saurait

composé aurait su

surcomposé aurait eu su

Mode Temps Aspect Forme

Tableau X — Le classement des formes selon Touratier

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

95

que ce qu’on appelle «présent» n’est pas un signe. Nous avons dit plus haut, en

parlant du modèle de Martinet, que si c’est vrai que le présent peut avoir différents

sens, il ne peut pas signifier n’importe quoi (nous dressons plus loin, Ch. VI,

§ 6.4.4, p. 213, un inventaire partiel des sens de ce grammème). Par ailleurs,

l’imparfait présente aussi une diversité de sens très similaire au présent (cf. Ch. VI,

§ 6.2, p. 193), et cela ne semble pas gêner Touratier. Bien sûr, comme l’imparfait a

une forme bien identifiable, il serait plus difficile de prétendre qu’il n’existe pas.

Le grammème imparfait de Touratier, d’ailleurs, pose problème à nos yeux. La

description que donne Touratier de son sens nous semble boiteuse; ses emplois

temporels et notionnels n’ont rien à voir, si bien qu’on peut se demander s’il s’agit

vraiment du même grammème. Mais ce qui nous gêne le plus par rapport à ce

grammème imparfait est sa capacité, dans ce modèle, à se combiner à des gram-

mèmes de «mode» et de commuter avec eux. Comparons les trois formes suivan-

tes il mangerait, qu’il mangeât et il mangeait. Touratier y voit un grammème

imparfait dans les trois cas. Mais dans les deux premiers, ce grammème se com-

bine à un «mode», alors que dans la troisième forme, non. Encore une fois, il s’agit

d’un effet du refus des fonctionnalistes du caractère obligatoire de la flexion (cf.

Ch. IV, § 2, p. 51). Nous croyons qu’entre mangeait et mangerait, il y a une oppo-

sition entre le suffixe –R– et son absence. Cette absence en soi est à notre avis le

signifiant d’un signe zéro qui manque dans le modèle de Touratier.

Touratier pousse le méthodologie de Martinet presque à l’extrême: tout repose

sur la combinatoire des signes. C’est ainsi qu’il en vient à mettre dans une même

catégorie des grammèmes qui n’ont rien à voir sémantiquement, mais qui présen-

tent des traits de combinatoire similaires. Mais en fait, si on y regarde de plus près,

on voit que l’auteur fait quelques entorses au principe selon lequel des grammèmes

ayant une combinatoire semblable doivent être regroupés dans une même catégo-

rie. Pour commencer, notons que seuls les grammèmes futur et subjonctif peu-

vent se combiner au grammème de temps imparfait11. Ils n’ont donc pas la même

11. Rappelons que le grammème imparfait correspond à la fois au suffixe –AI– del’indicatif imparfait ou du conditionnel et au suffixe –ASS– du subjonctif imparfait.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

96

combinatoire que les autres grammèmes de leur catégorie. D’autre part, infinitif

et participe ne sont pas compatibles avec l’accord en personne et en nombre. Ne

faudrait-il donc pas postuler trois catégories au lieu d’une seule catégorie de mode:

une première qui contienne les grammèmes futur et subjonctif, une seconde

pour passé et impératif, et une troisième contenant infinitif et participe? Et

encore, faut-il mettre l’impératif dans une classe à part puisqu’il est le seul à n’être

compatible qu’avec certaines personnes, et non toutes? Quels sont les critères qui

justifient de réunir tous ces grammèmes en une seule catégorie malgré leurs

disparités? Jusqu’à quel point faut-il être flexible sur la similarité de combinatoire

des grammèmes d’une même catégorie? Nous croyons que la combinatoire seule

ne permet pas de trancher clairement: il faut tenir compte de la sémantique (cf.

Ch. IV, § 6, p. 62).

4 Wilmet

Wilmet consacre un long chapitre de sa Grammaire critique du français (2003)

à la flexion verbale. Sa terminologie bien particulière complique la comparaison de

son modèle avec ceux issus d’autres cadres théoriques, mais nous préférons rester

fidèle à sa nomenclature plutôt que d’en risquer une quelconque adaptation.

Le modèle de Wilmet contient, outre la voix et les catégories d’accord, trois

catégories flexionnelles: mode, temps et aspect. Toutes les formes verbales expri-

ment un grammème de chacune de ces catégories.

Wilmet se détache de la tradition notamment en ne reconnaissant pas l’impératif

comme un mode:

L’«impératif» ne possède aucune forme en propre. Presque toutes se révèlenthomophones de l’indicatif présent […], quelques-unes du subjonctif. Deuxmétissent le subjonctif et l’indicatif12.

Wilmet (2003: p. 307)

12. Les deux formes métissées en question sont sachons et sachez, construites à partir d’unradical du subjonctif (sach-) et d’affixes de l’indicatif (-ons / -ez).

Page 97: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

97

Le conditionnel, comme chez beaucoup de contemporains, est ramené à un

temps de l’indicatif. Il lui reste donc comme formes à classer celles de l’infinitif,

de l’indicatif, du subjonctif et des deux participes. Il les divise dans un premier

temps en formes impersonnelles (celles de l’infinitif, du participe présent et du par-

ticipe passé) et personnelles (celles de l’indicatif et du subjonctif) selon leur capa-

cité à s’accorder avec un sujet, puis en formes actuelles (celles de l’indicatif) et

inactuelles (celles du subjonctif et toutes les formes impersonnelles) selon leur

capacité à situer les faits dans le temps. Le tout est ramené à une catégorie de mode

qui contient trois grammèmes: personnel actuel, personnel inactuel et

impersonnel inactuel. Les deux premiers renvoient respectivement aux formes

de l’indicatif et du subjonctif. Le dernier mode se retrouve dans les formes de

l’infinitif et des deux participes, qui se distinguent par un grammème de la catégo-

rie de temps.

Tous les grammèmes de temps se représentent en termes de relations temporel-

les entre un fait et un point de repère sur l’axe du temps. Il existe selon l’auteur

trois types de repères par rapport auxquels les faits peuvent être mis en relation: un

lieu, une personne ou une époque. La relation entre le fait et son repère ne peut être

que l’une des trois suivantes: les faits peuvent lui être simultanés, antérieurs ou

postérieurs. Il faut noter que les faits peuvent être mis en relation avec plus d’un

repère à la fois (c’est le cas du conditionnel, qui met en relation un fait avec deux

repères temporels). Enfin, les grammèmes principaux de temps peuvent être divi-

sés en trois groupes, selon le repère auquel ils renvoient:

• Repère-lieu: incident (infinitif), décadent (participe passé) et incident-

décadent (participe présent), selon que le fait est «arrivant», «arrivé» ou

«mi-arrivant, mi-arrivé» (ces termes ne sont pas définis explicitement dans

le texte, mais ils semblent faire référence aux relations de précédence et de

concomitance entre le fait et le repère-lieu mentionnées plus haut). Ces

grammèmes servent à distinguer les formes du mode impersonnel inactuel.

• Repère-personne: prospectif (subjonctif présent) et rétrospectif (sub-

jonctif imparfait), selon que le fait «épouse la ligne du temps» ou qu’il «la

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

98

prenne à rebours» (encore une fois, nous n’avons pas trouvé la définition

de ces expressions, mais d’après les figures il semble que prospectif situe

le fait après le repère-personne, et rétrospectif, avant celui-ci). Ces gram-

mèmes distinguent les formes du mode personnel inactuel (c’est-à-dire le

subjonctif).

• Repère-époque: présent (pour les formes du présent), passé (pour les for-

mes de l’imparfait et du passé simple), futur (pour le futur simple) et futur

du passé (pour le conditionnel, qui implique deux repères temporels). Le

sens de ces grammèmes est bien celui que laissent supposer leurs noms.

Ces grammèmes servent à distinguer les formes du mode personnel actuel

(c’est-à-dire l’indicatif).

Le tout est multiplié par trois pour rendre compte, en plus des formes simples,

des formes composées et surcomposées, ce qui donne les grammèmes incident

antérieur (infinitif passé), incident bisantérieur (infinitif surcomposé),

prospectif antérieur (subjonctif passé — ait su), prospectif bisantérieur (sub-

jonctif surcomposé — ait eu su), etc. Seul le «décadent bisantérieur» (qui corres-

pondrait à un participe passé surcomposé — *eu eu su) n’existe pas, ce qui laisse

en tout 26 grammèmes de temps (cf. Figure 17 ci-dessous).

Enfin, les grammèmes d’aspect indiquent si le repère se trouve à l’intérieur des

bornes du fait (c’est le sens du grammème sécant) ou à l’extérieur de celles-ci

(c’est le sens du grammème global). Tout comme les temps, les aspects sont mul-

tipliés par trois pour rendre compte encore une fois des formes composées et sur-

composées, ce qui donne, en plus des deux grammèmes déjà mentionnés, les

grammèmes sécant extensif, sécant bisextensif, global extensif et global

bisextensif13.

La figure suivante représente sous forme graphique les catégories flexionnelles

du modèle de Wilmet ainsi que leur combinatoire. Il est à noter que toutes les com-

13. Les grammèmes d’aspect ne correspondent pas à des formes facilement identifiables. Lelecteur pourra se référer au Tableau XI ci-dessous pour des exemples de formes quiexpriment ces grammèmes.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

99

binaisons ne sont pas permises et que les incompatibilités mineures ne sont pas

indiquées dans cette figure. Par contre, le Tableau XI ci-dessous donne la liste de

toutes les combinaisons possibles, avec un exemple pour chacune.

PERS=personnel IMPERS=impersonnel ACT=actuel INACT=inactuelEXT=extensif BISEXT=bisextensif ANT=antérieur BISANT=bisantérieur

Figure 17 — Les catégories flexionnelles dans le modèle de Wilmet

Mode

PERS ACT PERS INACT IMPERS INACT

Temps

INCIDENT

INCIDENT-DÉCADENT

DÉCADENT

PROSPECTIF

RÉTROSPECTIF

PRÉSENT

PASSÉ

FUTUR

FUTUR DU PASSÉ

INCIDENT ANT

INCIDENT-DÉCADENT ANT

DÉCADENT ANT

PROSPECTIF ANT

RÉTROSPECTIF ANT

PRÉSENT ANT

PASSÉ ANT

FUTUR ANT

FUTUR DU PASSÉ ANT

INCIDENT BISANT

INCIDENT-DÉCADENT BISANT

PROSPECTIF BISANT

RÉTROSPECTIF BISANT

PRÉSENT BISANT

PASSÉ BISANT

FUTUR BISANT

FUTUR DU PASSÉ BISANT

Aspect

GLOBAL

SÉCANT

GLOBAL EXT

SÉCANT BISEXT

GLOBAL BISEXT

SÉCANT BISEXT

PersonneNombre

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

100

Mode Temps Aspect Forme

impersonnelinactuel

incident global savoir

incident-décadent sécant sachant

décadent global su

incident antérieur global extensif avoir su

incident-décadent antérieur

sécant extensif ayant su

décadent antérieur

global extensif eu su

incident bisantérieur

global bisextensif ayant eu marché

incident-décadent bisantérieur

sécant bisextensif ayant eu marché

personnelinactuel

prospectif global sache

rétrospectif global sût

prospectif antérieur

global extensif ait su

rétrospectif antérieur

global extensif eût su

prospectif bisantérieur

global bisextensif ait eu su

rétrospectif bisantérieur

global bisextensif eût eu su

Tableau XI — Le classement des formes selon Wilmet

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

101

Ce modèle nous semble peu économique étant donné le nombre élevé de gram-

mèmes qu’il suppose. Les trois catégories flexionnelles de mode, temps et aspect

suffisent en principe à décrire jusqu’à 624 formes verbales différentes14, alors que

l’auteur ne cherche qu’à en décrire 29. En fait, la catégorie flexionnelle de temps à

elle seule, avec ses 26 grammèmes, est presque suffisante pour décrire l’ensemble

des phénomènes considérés. En lui ajoutant seulement trois grammèmes, on pour-

rait faire l’économie des deux autres catégories flexionnelles pour obtenir un

modèle plat ne contenant que des grammèmes cumulatifs.

personnelactuel

présent sécant sait

passé global sut

sécant savait

futur global saura

futur du passé global saurait

présent antérieur sécant extensif a su

passé antérieur global extensif eut su

sécant extensif avait su

futur antérieur global extensif aura su

futur du passé antérieur

global extensif aurait su

présent bisantérieur

sécant bisextensif a eu su

passé bisantérieur global bisextensif eut eu su

sécant bisextensif avait eu su

futur bisantérieur global bisextensif aura eu su

futur du passé bisantérieur

global bisextensif aurait eu su

14. 4 modes × 6 aspects × 26 temps = 624 formes.

Mode Temps Aspect Forme

Tableau XI — Le classement des formes selon Wilmet

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

102

Un corollaire de cela est que chez Wilmet, les grammèmes n’ont pas toujours de

valeur distinctive. Notamment, on peut douter de l’utilité de la catégorie d’aspect

dans la plupart des cas, puisque dès que l’on connaît le grammème de temps on

peut prédire quel sera le grammème d’aspect. Le seul cas où cela n’est pas possible

est lorsque le grammème de temps est passé (l’aspect permet alors de différencier

l’imparfait du passé simple). On peut donc se demander si les grammèmes d’aspect

stipulés pour les autres formes sont bien des grammèmes ou s’il ne s’agit pas plutôt

d’une composante du sens des grammèmes de temps.

Le modèle de Wilmet a néanmoins le mérite de faire une distinction relative-

ment nette entre les «modes personnels» (indicatif et subjonctif) et les «modes

impersonnels» (infinitif, participe présent et participe passé). Il y a un très large

consensus sur cette division (sans doute parce qu’elle est basée sur des faits direc-

tement observables) et pourtant, peu de grammairiens organisent leur modèle en

conséquence. Nous aimerions cependant voir ces deux groupes encore plus claire-

ment divisés, c’est-à-dire dans des catégories flexionnelles différentes. Cela per-

mettrait notamment de représenter de façon plus économique la combinatoire des

grammèmes. On pourrait alors dire, par exemple, que tout ce qui est « personnel» a

besoin des grammèmes d’accord, ce qui n’est pas possible dans le modèle de Wil-

met tel quel, où il faut dire que personnel actuel et personnel inactuel se com-

binent aux grammèmes d’accord; ces deux grammèmes ne forment pas une classe

à laquelle on pourrait faire référence dans son ensemble.

Cependant, nous nous questionnons sur la pertinence de la différence tempo-

relle stipulée par Wilmet entre les formes de l’infinitif et des participes. Si à la

rigueur nous pouvons concevoir qu’il y ait une différence d’ordre temporelle entre

les deux participes, il nous semble douteux d’affirmer que l’infinitif porte un quel-

conque sens temporel. Quand l’auteur dit que l’infinitif exprime (nous soulignons)

«le potentiel inentamé du temps incident et de l’aspect global, qui laissent aux pro-

cès leur potentialité maximale» (p. 350), ne veut-il pas dire justement que l’infini-

tif ne situe tout simplement pas les faits dans le temps?

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

103

D’ailleurs, la caractérisation sémantique des temps de Wilmet nous laisse per-

plexe. Nous comprenons mal comment un fait peut être dans une relation tempo-

relle avec un lieu ou une personne. Et tout d’abord, de quel lieu et de quelle

personne s’agit-il? Nous supposons que l’auteur fait référence au «ici» et au

«moi» de la situation d’énonciation, mais nous n’en avons pas trouvé la confirma-

tion dans le texte.

D’autre part, la Figure 17 montre bien que les grammèmes de temps et d’aspect

peuvent être divisés en trois groupes: «Ø», «antérieur» et «bisantérieur» pour les

temps et «Ø», «extensif» et «bisextensif» pour les aspects. Qui plus est, on peut

voir au Tableau XI que ces séries sont toujours parfaitement synchronisées et

qu’elles sont directement liées à la présence de l’auxiliaire AVOIR: les formes sans

auxiliaire sont toutes ni «antérieures» ni «extensives», celles avec un auxiliaire

sont toutes à la fois «antérieures» et «extensives», et celles avec deux auxiliaires

sont toutes aussi «bisantérieures» que «bisextensives». Il est parfaitement clair

que «antérieur» et «extensif» dans ce modèle décrivent des composantes sémanti-

ques de l’auxiliaire AVOIR. Alors pourquoi ne pas en avoir fait une catégorie

flexionnelle? Avec une catégorie flexionnelle supplémentaire, disons de

«composition» pour rester neutre, contenant trois grammèmes (simple,

composé, surcomposé), on aurait réduit le nombre d’aspects à deux (sécant et

global), et le nombre de temps à neuf (incident, incident-décadent, décadent,

prospectif, rétrospectif, présent, passé, futur et futur du passé).

Si on fait abstraction des temps «antérieurs» et «bisantérieurs», parmi les neuf

temps restants on peut distinguer encore trois séries indépendantes. En effet, tous

ne se combinent pas aux mêmes grammèmes de mode: le mode personnel actuel

ne se combine qu’aux temps à repère temporel (présent, passé, futur et futur

du passé), le mode personnel inactuel se combine aux temps à repère-personne

(prospectif et rétrospectif), alors que le mode impersonnel inactuel se com-

bine aux temps à repère-lieu (incident, incident-décadent et décadent). Il y a

donc en fait chez Wilmet trois catégories flexionnelles de temps, selon le type de

point de repère par rapport auquel sont situés les faits.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

104

On peut essayer de revoir le modèle de Wilmet en divisant ce qui peut l’être. On

obtient alors des catégories flexionnelles contenant moins de grammèmes, comme

le montrent la Figure 18 et le Tableau XII ci-dessous.

PERS=personnel IMPERS=impersonnel ACT=actuel INACT=inactuel

Figure 18 — Les catégories flexionnelles dans le modèle de Wilmet revisitées

ModeTemps(Lieu)

Temps(Personne)

Temps(Époque)

AspectForme simple~ composée

~ surcomposée

impersonnelinactuel

incident savoiravoir su—

incident-décadent

sachantayant su—

décadent sueu su—

personnelinactuel

prospectif sacheait suait eu su

rétrospectif sûteût sueût eu su

Tableau XII — Le classement des formes selon Wilmet revisité

Mode

PERS ACT PERS INACT IMPERS INACT

Temps (Lieu)

INCIDENT INCIDENT-DÉCADENT DÉCADENT

Temps (Personne)

PROSPECTIF RÉTROSPECTIF

Temps (Époque)

PRÉSENT PASSÉ FUTUR FUTUR DU PASSÉ

PersonneNombre

Aspect

GLOBAL SÉCANT

Composition

SIMPLE COMPOSÉ SURCOMPOSÉ

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

105

Remarquons la présence surprenante de *eu su dans les formes prévues par le

modèle de Wilmet. De l’aveu de l’auteur, cette forme ne peut pas être utilisée «à

l’état libre». De ses justifications, la plus intéressante est que les formes surcompo-

sées des constructions pronominales du type Pierre s’est eu lavé n’admettraient

que le découpage s’est + eu lavé. En fait, cela indique surtout que l’aspect exprimé

par AVOIR forme une nouvelle base sur laquelle s’applique la voix, un point de vue

que nous défendons plus loin (Ch. VI, § 5, p. 164).

Enfin, nous ne sommes pas d’accord avec les jugements de grammaticalité de

Wilmet sur les formes surcomposées. Il nous semble que les seules formes surcom-

posées réellement utilisées en français standard contemporain sont celles construi-

tes sur le présent ou l’imparfait (a eu su et avait eu su). Les autres formes

surcomposées, comme avoir eu su ou ayant eu su, ne se trouvent guère ailleurs que

dans les grammaires et dans quelques dialectes régionaux (voir la discussion à ce

sujet Ch. II, § 4, p. 31). Par ailleurs, notons que Wilmet prend en compte les for-

personnelactuel

présent saita sua eu su

passé global suteut sueut eu su

sécant savaitavait suavait eu su

futur sauraaura suaura eu su

futur dupassé

sauraitaurait suaurait eu su

ModeTemps(Lieu)

Temps(Personne)

Temps(Époque)

AspectForme simple~ composée

~ surcomposée

Tableau XII — Le classement des formes selon Wilmet revisité

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

106

mes de l’imparfait du subjonctif, que nous avons écartées de notre étude (cf. Ch. II,

§ 2, p. 27).

5 Gosselin

Dans Sémantique de la temporalité en français (1996), Gosselin construit un

modèle formel du temps et de l’aspect en français. Il cherche à construire un

modèle computationnel capable d’identifier, en analyse, uniquement les relations

temporelles et aspectuelles en jeu dans un texte. Pour cette raison, il s’intéresse

essentiellement aux formes de l’indicatif15 et ne dit rien à propos du mode, de la

voix, etc., contrairement aux autres auteurs présentés ici. Par ailleurs, son modèle

n’en est pas un composé de grammèmes et de catégories flexionnelles au sens ou

nous l’entendons, mais il se laisse assez facilement représenter sous cette forme.

Son modèle s’appuie sur un formalisme simple où des intervalles sont disposés

sur un axe du temps. Ce sont les relations entre ces intervalles (ou les bornes qui

les délimitent) qui décrivent les sens temporels et aspectuels de la langue. Il y a

quatre types d’intervalles:

• L’intervalle [01,02]16 correspond à la durée de l’énonciation. C’est le prin-

cipal point d’ancrage temporel et il n’y en a qu’un seul par phrase.

• L’intervalle [B1,B2] correspond à la durée du fait dénoté par le verbe. Il y

en a au moins un par proposition17.

• L’intervalle [I,II] est l’intervalle de référence par rapport auquel est situé le

fait dénoté par le verbe. Il y en a au moins un par proposition18.

• Les intervalles [ct1,ct2] correspondent aux circonstanciels (s’il y en a).

15. Il glisse également quelques mots au sujet des subjonctifs présent et imparfait, mais nouslaisserons de côté ces formes ici.

16. On réfère aux intervalles par les bornes qui les délimitent: l’intervalle [i,j] correspond àla section de l’axe du temps comprise entre l’instant i et l’instant j.

17. Les formes composées ont en effet deux intervalles [B1,B2], nous le verrons plus loin.18. Idem.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

107

Les relations possibles entre ces intervalles sont au nombre de huit:

• L’antériorité: «[i,j] ANT [k,l]» signifie que l’intervalle [i,j] est entièrement

avant la borne k.

• La postériorité: «[i,j] POST [k,l]» signifie que l’intervalle [i,j] est entière-

ment après la borne l.

• La succession: «[i,j] SUCC [k,l]» signifie que [i,j] commence après k (mais

[i,j] peut être à l’intérieur de [k,l]).

• La précédence: «[i,j] PREC [k,l]» signifie que [i,j] commence avant k

(mais [k,l] peut être à l’intérieur de [i,j]).

• La simultanéité: «[i,j] SIMUL [k,l]» signifie que l’intersection entre les

deux intervalles n’est pas vide (les intervalles peuvent coïncider ou se che-

vaucher).

• La coïncidence: «[i,j] CO [k,l]» signifie que les bornes de [i,j] et de [k,l]

coïncident exactement.

• Le recouvrement: «[i,j] RE [k,l]» signifie que [k,l] est entièrement contenu

dans [i,j] et que les bornes ne coïncident pas.

• L’accessibilité: «[i,j] ACCESS [k,l]» signifie que [k,l] est entièrement con-

tenu dans [i,j], et les bornes peuvent coïncider.

Ce sont ces relations qu’expriment les grammèmes de temps et d’aspect. Les

catégories flexionnelles de Gosselin se définissent selon la nature des intervalles

qui sont en jeu. Il y a trois catégories: aspect, temps absolu et temps relatif.

Les grammèmes de la catégorie d’aspect expriment des relations entre l’inter-

valle de référence ([I,II]) et l’intervalle du fait dénoté par le verbe ([B1,B2]). Il y a

selon Gosselin quatre relations de ce type en français, qui correspondent à quatre

aspects différents: aoristique ([I,II] CO [B1,B2], qui ne s’exprime que par le

passé simple et donne une «vue globale» du fait), inaccompli ([B1,B2] RE [I,II],

qu’on trouve à l’imparfait ou au présent et qui donne une «vue partielle» du fait),

accompli ([I,II] POST [B1,B2], qui s’exprime par l’auxiliaire AVOIR <ÊTRE> et

qui fait valoir «l’état résultant» du fait) et prospectif ([I,II] ANT [B1,B2], qui

s’exprime par l’auxiliaire ALLER et qui montre «l’état préparatoire»).

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

108

Les grammèmes de la catégorie de temps absolu expriment des relations entre

l’intervalle de référence ([I,II]) et le moment d’énonciation ([01,02]). Gosselin

rompt avec la définition généralement acceptée du temps absolu (cf. notamment

Comrie 1985), selon laquelle c’est le fait dénoté par le verbe qui est directement

mis en relation avec le moment d’énonciation (c’est-à-dire que la relation est entre

[B1,B2] et [01,02]). Cet écart vise à rendre compte du fait que dans une phrase

comme Quand j’ai regardé par la fenêtre, le petit dormait, rien n’indique si le petit

dort encore au moment où je parle ou non, donc l’imparfait ne situe pas le fait

directement par rapport au moment d’énonciation selon Gosselin. Il y a trois gram-

mèmes de temps absolu dans son modèle: présent ([I,II] SIMUL [01,02])19,

passé ([I,II] ANT [01,02], qu’on trouve dans l’imparfait comme dans le passé sim-

ple) et futur ([I,II] POST [01,02]).

Les grammèmes de la catégorie de temps relatif expriment des relations entre

l’intervalle de référence d’une première proposition ([I,II]) et celui d’une seconde

proposition qui lui est subordonnée ([I´,II´]). Encore une fois, Gosselin s’écarte de

la définition la plus courante du temps relatif (cf. encore une fois Comrie 1985),

selon laquelle c’est le fait dénoté et l’intervalle de référence qui sont mis en rela-

tion (nous verrons un peu plus loin, p. 112, les raisons de cet écart). Il y a trois

grammèmes de temps relatif dans son modèle: simultané ([I´,II´] SIMUL [I,II]),

antérieur ([I´,II´] ANT [I,II], qu’on trouve à l’imparfait comme au passé simple)

et ultérieur ([I´,II´] POST [I,II], qui s’exprime par le conditionnel).

Les deux catégories de temps ne se combinent pas entre elles. Elles peuvent par

contre se combiner à la catégorie d’aspect. Ainsi, le présent exprime le grammème

de temps absolu présent et l’aspect inaccompli, alors que le passé simple

exprime à la fois le temps absolu passé et l’aspect aoristique.

Les formes composées sont conçues comme la combinaison de deux verbes qui

ouvrent chacun ses propres intervalles:

19. Le grammème présent est défini par l’auteur via la relation SIMUL, mais il note parailleurs que la simultanéité stricte entre le fait et le moment d’énonciation est rare, etqu’il s’agit le plus souvent de la relation CO.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

109

Un temps composé est virtuellement porteur de deux relations temporelles etde deux aspects distincts. Plus précisément, on fait l’hypothèse que le parti-cipe passé présente toujours (sauf avec le passif) le procès sous un aspectaoristique et une relation temporelle relative d’antériorité par rapport àl’intervalle de référence associé à l’auxiliaire; alors que celui-ci marque untemps absolu et un aspect inaccompli (au moins au plus-que-parfait et aupassé composé) sur l’état résultant du procès.

Gosselin (1996: p. 145).

Le participe passé correspond au fait lui-même ([B1,B2]) alors que l’auxiliaire

exprime la situation résultante de ce procès ([B1´,B2´]). Ainsi dans le passé com-

posé, le participe passé exprime les grammèmes antérieur (l’intervalle de réfé-

rence du procès est avant l’intervalle de référence de l’auxiliaire, c’est-à-dire celui

de la proposition) et aoristique (le fait dénoté par le participe passé est pris dans

son ensemble), alors que l’auxiliaire exprime les grammèmes présent (la situation

résultante est actuelle) et inaccompli (l’état résultant est vu partiellement)20. La

différence entre le passé composé qui exprime un passé et celui qui exprime un

accompli tient à la saillance communicative de [B1,B2] (le fait dénoté par le parti-

cipe passé) par rapport à [B1´,B2´] (la situation résultante dénotée par l’auxiliaire):

si [B1,B2] est plus saillant, alors c’est un passé, sinon c’est un présent accompli.

C’est le contexte qui permet de déterminer lequel est le plus saillant.

La Figure 19 et le Tableau XIII ci-dessous résument les catégories flexionnelles

du modèle de Gosselin ainsi que leurs grammèmes et la combinatoire de ceux-ci,

avec des exemples pour les différentes combinaisons possibles. Pour les formes

composées nous indiquons dans le Tableau XIII, p. 110, les grammèmes portés par

l’auxiliaire (Aux) et ceux portés par le participe passé (PP).

À notre avis, le traitement des formes composées dans ce modèle est probléma-

tique. Tout d’abord, il ne permet pas de décrire les formes surcomposées (à propos

desquelles nous n’avons pas trouvé de commentaire dans cet ouvrage). De plus,

comment se fait-il que le participe passé n’exprime les grammèmes antérieur et

aoristique que quand il est utilisé avec un auxiliaire, mais pas dans les formes

20. Plus loin, lorsque Gosselin donne les informations sémantiques portées par chaqueforme verbale, il ne mentionne pas l’aspect inaccompli pour le passé composé.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

110

ANTÉR=antérieur SIMUL=simultané ULTÉR=ultérieur AOR=aoristique ACCOMP=accompli INACCOMP=inaccompli PROSP=prospectif

Figure 19 — Les catégories flexionnelles dans le modèle de Gosselin

Temps absolu Temps relatif Aspect Forme

présent inaccompli sait

passé aoristique sut

inaccompli savait

futur inaccompli saura

ultérieur inaccompli sauraiti

Aux: présent PP: antérieur PP: aoristiqueAux: inaccompli

a su

Aux: passé PP: antérieur PP: aoristiqueAux: aoristique

eut su

PP: aoristiqueAux: inaccompli

avait su

Aux: futur PP: antérieur PP: aoristiqueAux: inaccompli

aura su

PP: antérieurAux: ultérieur

PP: aoristiqueAux: inaccompli

aurait sui

? ? va savoirii

? ? allait savoirii

Tableau XIII — Le classement des formes selon Gosselini. Le conditionnel et le conditionnel passé ne peuvent être mis en relation qu’avec

un intervalle de référence appartenant à un verbe au passé.

Mode

?

Temps absolu

PASSÉ PRÉS FUT

Temps relatif

ANTÉR SIMUL ULTÉR

Aspect

AOR ACCOMP INACCOMP PROSP

PersonneNombre

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

111

passives? Comment peut-on être sûr que ces sens ne font pas plutôt partie du sens

de AVOIR?

En outre, il y a une certaine confusion entre grammèmes profonds et grammè-

mes de surface qui entraîne des contradictions, du moins en apparence. Il semble

qu’il faille comprendre les quatre grammèmes d’aspect mentionnés plus haut

comme des grammèmes profonds, puisque les formes avec AVOIR ne sont pas

décrites comme portant le grammème accompli (probablement parce que ce der-

nier est exprimé, selon Gosselin, par l’auxiliaire lui-même). Mais alors, comment

traiter avait mangé? Si l’auxiliaire lui-même exprime le grammème accompli,

peut-il en plus porter le grammème inaccompli (cf. l’imparfait sur l’auxiliaire)?

On a le même problème avec l’auxiliaire ALLER.

Par ailleurs, nous regrettons que l’auteur ne dise rien sur les formes composées

aux autres modes qu’à l’indicatif comme avoir mangé, ayant mangé, etc. Ces for-

mes ne portent-elles pas de sens aspectuel? Peut-être ne faut-il pas voir l’accompli

et le prospectif comme des grammèmes, mais simplement comme des étiquettes

pour désigner les auxiliaires AVOIR et ALLER?

Toutefois, nous trouvons particulièrement intéressante l’idée de redéfinir les

grammèmes de temps absolu en termes de relations entre le moment d’énonciation

et le moment de référence (et non le moment du fait dénoté par le verbe). Cela

ouvre la porte à un système temporel articulé, où une catégorie situe un moment de

référence par rapport à (maintenant) alors qu’une autre situe les faits par rapport à

ce moment de référence. C’est précisément le genre de système que nous tenterons

de développer (Ch. VI, § 6, p. 177). Cependant, pour obtenir un tel système, il fau-

drait une catégorie qui situe les faits par rapport au moment de référence. Chez

Gosselin, les relations [B1,B2] / [I,II] sont des relations aspectuelles et non tempo-

relles. Les temps relatifs, quand à eux, ne disent rien quant au rapport [B1,B2] /

[I,II] et sont de toute façon en concurrence avec les temps absolus.

ii. Les formes avec ALLER n’apparaissent pas dans le chapitre où Gosselin donne le sens de chaque forme verbale, si bien que nous ne savons pas comment les décrire.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

112

À propos des temps relatifs, nous ne sommes pas convaincu qu’ils mettent en

relation deux intervalles de référence (plutôt que deux faits). Gosselin justifie sa

définition du temps relatif en se basant sur la phrase Pierre disait que, lundi, Luc

aurait terminé son travail depuis longtemps (Gosselin, 1996: p. 21). Il soutient que

cette phrase ne situe pas l’intervalle de référence de la subordonnée par rapport au

moment d’énonciation, c’est-à-dire qu’elle n’établit pas de relation [I´,II´] /

[01,02]. En effet, rien ne dit si le lundi en question est dans le passé ou dans le

futur. Il soutient également que cette phrase n’implique aucune relation temporelle

entre (dire) et (terminer), c’est-à-dire entre ce qu’il considère comme les faits de la

principale et de la subordonnée, donc qu’elle n’établit pas de relation [B1´,B2´] /

[B1,B2]. Il est vrai que dans cet exemple, Luc peut très bien avoir déjà terminé son

travail au moment où Pierre parle (et il sera d’autant plus vrai dans le futur que le

travail soit terminé depuis longtemps). Cependant, nous croyons que cet exemple

porte à confusion puisque le fait dénoté dans la subordonnée est selon nous (avoir

terminé), et non (terminer), et c’est sur ce sens que porte celui du conditionnel21. Le

problème est que (avoir terminé) est un état, et non un changement d’état (contrai-

rement à (terminer)). Or, dire qu’un état existera à un moment donné n’implique en

rien qu’il ne puisse exister à d’autres moments: quand on dit Demain, Paul aura

les cheveux noirs, cela ne signifie pas que les cheveux de Paul ne sont pas déjà

noirs aujourd’hui. Donc, le fait que l’on ne sache pas où (terminer) se situe par rap-

port à (dire) dans l’exemple de Gosselin n’est pas pertinent, selon nous. Ce qui est

important est qu’il est dit explicitement que (avoir terminé) vient après (dire); tout

ce qui n’est pas dit, c’est le moment où le changement d’état se produit. Aussi

croyons-nous que les temps relatifs mettent directement en relation les faits de la

subordonnée et de la principale ([B1´,B2´] / [B1,B2]) plutôt que leurs intervalles

de références ([I´,II´] / [I,II]).

Le formalisme de Gosselin a l’avantage non négligeable d’être simple et effi-

cace. Il encode parfaitement bien les relations temporelles et semble relativement

facile à implémenter dans un système de traitement de la langue. Cependant, il a

21. Voir à ce propos notre discussion de l’aspect accompli, Ch. VI, § 5, p. 164.

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

113

ses limites. Nous avons déjà critiqué ce formalisme au chapitre précédent (Ch. IV,

§ 5, p. 60); nous résumons brièvement nos objections ici. D’abord, ce formalisme

ne permet pas de représenter les acceptions non-temporelles des grammèmes. Il

n’est donc utile que pour décrire une partie du système flexionnel, ce qui s’insère

mal dans un modèle global de la langue. Ensuite, ce type de représentation ne per-

met pas de tenir compte de la perspective que peuvent encoder les signes gramma-

ticaux. Par exemple, l’accompli se définit par la relation [I,II] POST [B1,B2]

(l’intervalle de référence vient après le fait dénoté par le verbe). Cette relation est

strictement équivalente à [B1,B2] ANT [I,II]. On ne peut donc pas encoder la dif-

férence entre (le fait est avant l’intervalle de référence) et (l’intervalle de référence

est après le fait). Or, nous croyons que cette différence communicative est perti-

nente en français (nous y reviendrons au chapitre suivant, § 5.2, p. 166 et § 6.4.2,

p. 205).

Finalement, le modèle de Gosselin présente deux catégories flexionnelles

(temps absolu et temps relatif) en compétition. Nous avons déjà exprimé nos réti-

cences par rapport à ce type de modèle lors de notre critique du modèle traditionnel

(§ 1, p. 72).

6 Synthèse

Nous avons présenté et critiqué quelques modèles proposés par d’autres auteurs.

Nous reprenons ci-dessous nos principales critiques.

L’opposition traditionnelle entre modes personnels et modes impersonnels

cache à notre avis quelque chose de plus profond qu’une simple différence de com-

binatoire. Les différences sémantiques importantes entre ces deux groupes nous

portent à croire qu’il s’agit en fait de deux catégories flexionnelles (ce que nous

développons au chapitre suivant, Ch. VI, § 1, p. 116).

Les modèles plats où le temps et l’aspect ne sont pas distingués ne rendent pas

compte de la régularité tant sémantique que formelle de la composition avec

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V. Revue critique de quelques modèles de la conjugaison française

114

l’auxiliaire AVOIR <ÊTRE>. Cependant, faire appel à une catégorie d’aspect pour

distinguer les trois principales formes du passé (passé simple, imparfait et passé

composé) pose problème dans le traitement des formes composées et surcompo-

sées. D’ailleurs, dans les modèles où l’aspect est une catégorie distincte du temps,

on remarque une certaine confusion quant aux deux valeurs du passé composé (qui

peut marquer autant l’antériorité que l’accomplissement). Nous croyons que de

voir dans le passé composé la forme de deux grammèmes distincts permettrait de

mieux représenter le temps et l’aspect en français, et par la même occasion résou-

drait l’énigme des formes surcomposées, souvent laissées de côté (nous développe-

rons ce point au prochain chapitre, Ch. VI, § 4, p. 144). Nous croyons également

que ce qui distingue les trois principaux temps du passé n’est pas l’aspect, mais

qu’il s’agit d’une illusion créée par le jeu de deux catégories de nature temporelle

(ce que nous défendons plus loin Ch. VI, § 6, p. 177).

Bon nombre d’auteurs s’intéressent surtout à la description du sens des différen-

tes formes verbales. Nous avons vu que les méthodologies basées uniquement soit

sur le sens, soit sur la forme, soit sur la combinatoire des grammèmes mènent à des

modèles qui ne représentent pas un système de signes, mais simplement un sys-

tème sémantique, formel ou combinatoire. Nous croyons qu’il faut toujours pren-

dre en compte les trois composantes des grammèmes lors de l’élaboration d’un

modèle (nous avons déjà présenté notre méthodologie au chapitre précédent,

Ch. IV, § 6, p. 62).

La distinction entre temps absolus et temps relatifs est généralement présentée

soit comme deux sous-ensembles de la catégorie de temps, soit comme deux caté-

gories de temps concurrentes. Il nous semble qu’une troisième voie s’impose, soit

de postuler une catégorie de décalage qui se combine aux temps (nous défendons

ce point de vue au chapitre suivant, Ch. VI, § 6, p. 177).

Nous allons maintenant proposer notre propre modèle en tâchant de résoudre

ces problèmes.

Page 115: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

Nous avons vu au chapitre précédent que les modèles de la conjugaison fran-

çaise de nos prédécesseurs ne se laissaient pas représenter de façon satisfaisante

sous forme d’un système flexionnel répondant aux critères définis au Chapitre IV

(c’est-à-dire un système où les grammèmes sont regroupés en catégories flexion-

nels quand ils sont mutuellement exclusifs, ils ont une combinatoire similaire et ils

présentent une parenté sémantique évidente dans leur acception de base). Dans le

présent chapitre, nous présentons une description systématique du temps gramma-

tical en français, en suivant la méthodologie décrite au Chapitre IV, afin de cons-

truire un système cohérent qui puisse mettre en correspondance l’ensemble des

formes exprimant le temps grammatical (y compris les formes surcomposées, sou-

vent laissées de côté dans les grammaires) avec les sens qu’elles expriment (et

vice-versa). De façon secondaire, nous nous intéresserons également à l’aspect tel

qu’exprimé dans les formes verbales françaises.

Nous ne nous attarderons pas sur les problèmes de la voix, du mode et de

l’accord verbal. Nous nous pencherons surtout sur les formes de l’indicatif1, puis-

que ce sont elles qui expriment les grammèmes de temps et d’aspect qui nous inté-

ressent. Cependant, les notions de temps, d’aspect, de mode et de finitude sont si

étroitement liées qu’il n’est pas facile de les séparer. Pour cette raison nous devons

traiter toutes ces catégories flexionnelles, au moins grossièrement. Nous allons

donc brosser un tableau général de la flexion verbale, afin de montrer comment le

temps s’insère dans ce système.

1. Nous utilisons l’expression «les formes de l’indicatif» conformément à la traditionétablie. Cependant, elle ne reflète pas notre vision de la conjugaison française puisque,nous le verrons plus loin, nous considérons l’indicatif comme un grammème et noncomme une classe contenant un ensemble de «temps». Il s’agit donc d’un abus delangage dans le cadre de notre modèle, que nous nous permettons d’utiliser afin d’allégerle texte pour désigner l’ensemble des formes qui expriment ce grammème.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

116

Rappelons au lecteur qu’on trouve à l’Annexe A, à la fin de cette thèse,

l’ensemble des formes verbales que nous considérons comme grammaticales et

que nous décrivons ici. Insistons également sur l’importance de l’opposition gram-

mème profond ~ grammème superficiel, telle qu’exposée au Chapitre IV (§ 1,

p. 46). Enfin, il faut garder à l’esprit que notre méthodologie est basée sur une

approche en deux étapes: d’abord échafauder un système flexionnel en se basant

uniquement sur l’acception de base des grammèmes, puis chercher à décrire les

autres acceptions de ces grammèmes ainsi que les combinaisons de grammèmes

phraséologisées. Dans le présent chapitre, nous ne nous intéresserons qu’à la pre-

mière étape, c’est-à-dire la construction d’un «squelette» sur lequel se base notre

modèle. La description complète des grammèmes et combinaisons de grammèmes

ne se fera qu’au Chapitre VIII.

1 La finitude

Les grammaires françaises ne mentionnent habituellement pas la catégorie

flexionnelle de finitude, qui est généralement assimilée aux modes. Comme nous

l’avons vu au chapitre précédent, la plupart des grammaires traditionnelles et con-

temporaines distinguent deux types de modes en français: les modes personnels

(indicatif, subjonctif et impératif2), qui expriment la personne, et les modes imper-

sonnels (infinitif, participe et gérondif), qui ne l’expriment pas. Or, nous l’avons

dit dans notre critique du modèle traditionnel (Ch. V, § 1, p. 72), cette division

cache à notre avis une différence plus profonde que la seule combinatoire des

grammèmes. Il existe en effet une distinction importante entre les contributions de

ces deux «types» de modes. Les «modes personnels» sont réputés refléter l’atti-

tude du locuteur par rapport à l’énoncé; ils porteraient un sens d’ordre pragmatique

(nous verrons plus loin nos réserves quant au sens de l’indicatif, § 3.1, p. 135). Les

«modes impersonnels», quant à eux, ne portent aucun sens autre que celui de la

lexie verbale. Ils servent à marquer le rôle du verbe dans l’organisation syntaxique

2. La plupart des auteurs contemporains ne considèrent plus le conditionnel comme unmode. Nous en discuterons plus loin (§ 3.4, p. 142).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

117

de la phrase. Puisque ces deux «types de modes» forment deux classes sémanti-

quement bien distinctes et qu’ils s’opposent également par leur combinatoire (les

uns acceptent la flexion en personne et en nombre, les autres non), nous croyons

qu’il y a ici deux catégories flexionnelles plutôt qu’une seule. Nous appellerons

«mode» la catégorie correspondant plus ou moins aux «modes personnels» de la

grammaire traditionnelle et nous utiliserons le terme «finitude» pour désigner la

catégorie correspondant à peu près aux «modes impersonnels».

Nous adoptons la définition de Mel’čuk (1994: pp. 215 sqq.), basée sur la théo-

rie de la translation de Tesnière (1959), de la finitude comme une catégorie

flexionnelle syntaxique3 indiquant si le verbe est le sommet syntaxique d’une pro-

position ou, s’il est un dépendant, quel rôle il remplit (celui normalement réservé à

un nom, un adjectif, etc.). Selon Mel’čuk, on trouve dans les langues en général

les cinq grammèmes «idéaux» suivants:

• Fini, qui marque un verbe comme sommet syntaxique d’une proposition.

• Infinitif, qui marque un verbe comme dépendant de type verbal.

• Masdar4, qui marque un verbe comme dépendant de type nominal.

• Participe, qui marque un verbe comme dépendant de type adjectival.

• Gérondif, qui marque un verbe comme dépendant de type adverbial.

Les grammèmes de finitude ont en principe la propriété de «déguiser» un verbe

en un élément de n’importe quelle partie du discours du point de vue de son gou-

verneur, mais sans que ce verbe ne perde sa nature verbale du point de vue de ses

dépendants (Tesnière 1959, Kahane 2001).

On ne reconnaît en français que quatre formes qui semblent clairement corres-

pondre à ces grammèmes «idéaux»: l’infinitif, le participe présent, le participe

passé et le gérondif («en V-ant»)5. Il serait possible de voir un masdar dans la

3. Une catégorie flexionnelle syntaxique est une catégorie dont les grammèmes ne serventqu’à marquer le rôle syntaxique de surface d’un lexème. Ce concept s’oppose à celui decatégorie flexionnelle sémantique, une catégorie dont les éléments expriment des sens,c’est-à-dire des éléments de la structure sémantique (voir Mel’čuk 1994: pp. 211-213).

4. Il s’agit plus ou moins du gerund dans la terminologie traditionnelle anglo-saxonne. Leterme vient de la grammaire arabe.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

118

construction «(le) fait de V-er». Toutefois, celle-ci ne se comporte pas tout à fait

comme les masdars véritables qu’on peut observer dans d’autres langues, comme

l’anglais, où les verbes portant cette finitude se comportent encore plus comme des

noms et permettent notamment d’exprimer leur premier actant par un déterminant

possessif:

(17) a. His arriving on time surprised everyone.(son arriver-MAS à l’heure surprendre-PASSÉ tout-le-monde)

b. * Son fait d’arriver à l’heure a surpris tout le monde.

Il n’y a donc pas de masdar en français selon nous.

1.1 L’infinitif

Contrairement à ce que nous venons de dire, l’infinitif est généralement consi-

déré comme «la forme nominale du verbe» en français, puisqu’il peut occuper,

dans son acception de base, des fonctions qui sont typiques des groupes nominaux:

sujet [Partir plus tôt aurait été une bonne idée], objet direct [Il voulait partir plus

tôt], etc. Mais le fait qu’un verbe puisse remplir la même fonction qu’un groupe

nominal ne veut pas forcément dire qu’il s’est «déguisé» en nom. On peut effecti-

vement se demander si les verbes à l’infinitif qui remplissent ces rôles syntaxiques

le font tout simplement en tant que verbes ou en tant que «formes nominales d’un

verbe». Examinons le cas des compléments directs et indirects. Notons tout

d’abord que ce ne sont pas tous les verbes qui acceptent comme complément un

verbe à l’infinitif, loin de là. Grevisse (1993: § 875-877) ne dénombre que 31 ver-

bes qui acceptent un infinitif sans préposition6, 138 qui acceptent un infinitif intro-

duit par DE et 96 par À, pour un total de 265 verbes qui peuvent avoir un infinitif

sans préposition ou avec DE ou À7. Cela contraste fortement avec la quantité de

5. Nous verrons un peu plus loin (§ 1.4, p. 130) que les formes de l’indicatif, du subjonctifet de l’impératif portent aussi un grammème de finitude. Nous traiterons aussi plus loin(§ 5, p. 164) des formes composées avoir fait, ayant fait, etc., que nous laissons de côtépour l’instant.

6. Il faut noter cependant qu’il ne considère pas tous les emplois. Par exemple, on ne trouvepas dans sa liste COURIR [Elle court chercher sa clé] ni PENSER [Ils pensent se marier].

7. Notons cependant qu’un certain nombre de verbes peuvent avoir un complément àl’infinitif introduit par d’autres préposition, par exemple POUR [Ils ont voté pour ne pasréparer le toit] ou PAR [Ils ont fini par partir].

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

119

verbes qui peuvent accepter un nom, notamment comme complément direct. De

plus, remarquons qu’en anglais, le masdar peut occuper la place d’un nom plus

facilement qu’un verbe infinitif français, par exemple:

(18) a. Ils ont décriminalisé la marijuana.

b. * Ils ont décriminalisé fumer de la marijuana.

c. They decriminalized marijuana.(ils décriminaliser-PASSÉ marijuana)

d. They decriminalized smoking marijuana.(ils décriminaliser-PASSÉ fumer-MAS marijuana)

Par ailleurs, il existe en français des verbes qui n’acceptent comme complément

que d’autres verbes:

(19) a. Je sais nager.

b. * Je sais la natation8.

(20) a. Je pense terminer vers 17h.

b. * Je pense la fin vers 17h9.

(21) a. Il affirme savoir où se cache le voleur.

b. * Il affirme sa connaissance d’où se cache le voleur10.

Enfin, il ne faut pas voir dans le boire, le savoir, etc., la forme nominale des ver-

bes BOIRE, SAVOIR, etc., dont il faudrait rendre compte dans notre modèle de la

flexion verbale. Il s’agit clairement d’un cas de dérivation, qui d’ailleurs n’est plus

productive aujourd’hui. On pourrait voir dans cette dérivation un appui à l’idée que

l’infinitif soit la «forme nominale» des verbes, mais d’autres formes ont aussi ten-

dance à se figer et à devenir des noms à part entière, soit l’indicatif (un peigne, (arg.)

une tire / (québ.) de la tire, etc.), le participe présent (l’équivalent, un correspondant,

etc.) et le participe passé (le rendu, une pesée, etc.)11.

8. Les phrases du type Je sais la douleur du solitaire ou Je sais l’heure qu’il est sontconstruites sur des acceptions du vocable SAVOIR qui ne dénotent pas un savoir-faire,contrairement à l’acception en jeu dans les autres exemples. En d’autres termes, il nes’agit pas de la même lexie.

9. Encore une fois, il ne faut pas confondre cette acception du verbe PENSER avec cellequ’on trouve dans, par exemple, Ce sont eux qui ont pensé la révolution.

10. Là non plus il ne faut pas confondre avec d’autres acceptions du même vocable [LeCanada tente d’affirmer sa souveraineté dans l’Arctique].

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

120

En bref, le fait qu’il y a ait un certain nombre de contextes où tant les verbes à

l’infinitif que les noms peuvent se retrouver ne justifie pas de considérer l’infinitif

français comme indiquant qu’un verbe occupe la fonction d’un nom. Il nous sem-

ble donc que l’infinitif, dans son acception de base en français, correspond très

bien à la définition de Mel’čuk, c’est-à-dire à un grammème qui indique qu’un

verbe est le dépendant d’un autre verbe, sans qu’aucune translation ne soit opérée.

Nous croyons qu’il y a donc un grammème infinitif en français, qui s’exprime par

le suffixe –ER, dont les allomorphes sont –er, –re, –oir et –ir. Le choix de l’allo-

morphe dépend uniquement du syntactique du verbe. Ce morphème ne peut se

greffer que directement à une racine verbale; il ne tolère la présence d’aucun autre

suffixe flexionnel. Il peut cependant être attaché aux auxiliaires AVOIRacc, ÊTRE et

VENIR, dont nous parlerons un peu plus loin (nous verrons, § 5, p. 164, que ces

auxiliaires ne correspondent pas vraiment à des grammèmes, ce qui veut dire que

le grammème infinitif ne se combine à aucun autre grammème).

L’infinitif a également d’autres acceptions. Cependant, nous considérons que

son acception de base est celle qui n’ajoute aucun sens au verbe. L’infinitif de con-

signe (typique notamment des recettes de cuisine ou encore des consignes sur les

formulaires ou les affiches) exprime le sens (il faut V-er). Mais il est trop contraint,

tant syntaxiquement que pragmatiquement, pour constituer l’acception de base du

grammème infinitif. Quant à la construction «de V-er» [Et grenouilles de se

plaindre, La Fontaine, cité dans le Bescherelle, § 164], il s’agit d’une expression

idiomatique dont l’infinitif n’est qu’une composante qui ne porte pas en elle-même

le sens que l’on reconnaît à l’ensemble.

11. Dans le cas des participes, on peut argumenter que leur conversion vers des noms nes’est pas opérée directement, mais que les noms ont plutôt été créés à partir des adjectifscorrespondants, ce qui réduirait la portée de notre argument. On peut cependant endouter dans le cas de certains noms, comme JETÉE, PESÉE, CRIÉE, RENDU, etc., pourlesquels il n’existe pas d’adjectif correspondant en français contemporain (d’après lePetit Robert, ils auraient été créés à partir de verbes).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

121

1.2 Les participes

Le participe passé et le participe présent (en dehors de constructions figées

comme le passé composé ou le gérondif) apparaissent tous les deux comme des

dépendants de type adjectival d’un nom (ou d’un pronom)12. Le participe passé

peut en outre dépendre d’une copule [Il semble parti], ce qui n’est pas possible

pour un participe présent [*Il semble faisant des chaises] en français. Les deux

peuvent aussi apparaître dans ce qu’on appelle traditionnellement une proposition

subordonnée participiale:

(22) Le soir tombant, le berger ramène le troupeau à la bergerie13.

(23) Le spectacle terminé, les comédiens saluent le public14.

Remarquons que ce type de construction existe aussi avec de vrais adjectifs

(quoique ce type de construction soit très contraint):

(24) Les feuilles enfin rouges, nous pouvions partir à la chasse au canard.

Puisque les participes sont des modifieurs, ils ne sont pas régis par la valence

syntaxique du lexème dont ils dépendent. Ils se comportent, du point de vue de leur

gouverneur, comme des adjectifs qualificatifs, et c’est pour cette raison qu’ils peu-

vent jouer des rôles syntaxiques normalement réservés aux adjectifs.

Les participes présent et passé ont tendance à se figer et à devenir des adjectifs à

part entière (une rue passante, une couleur voyante, un homme réfléchi, etc.)15 ou

encore, comme nous l’avons déjà dit, des noms (un passant, un voyant, un dû,

etc.). L’orthographe reflète parfois cette conversion dans le cas d’un participe pré-

sent (la page précédant(V) ce chapitre → la page précédente(Adj)). Par contre, il

n’y a pas de différence formelle entre un participe passé et son équivalent adjecti-

val ou nominal, sauf pour béni(V) → bénit(Adj), où la différence est aussi percepti-

12. L’expression «aller V-ant» [Les prix allaient augmentant] ne constitue pas un contre-exemple puisqu’il s’agit d’une expression idiomatique. Les constructions du type Je lesai vus buvant et chantant sont dues à une montée du dépendant participial sur le verbe,une opération syntaxique qui existe également pour les vrais adjectifs: Je les ai vus nus.

13. Hugo, cité par Riegel, Pellat & Rioul (1994: p. 340).14. Cet exemple nous vient de Riegel, Pellat & Rioul (1994: p. 343).15. Nous empruntons ces exemples à Grevisse (1993: § 886 et § 889).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

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ble à l’oral (une eau qui a été bénie [beni], de l’eau bénite [benit]). Ce serait le seul

exemple selon Grevisse (1993). Comme pour l’infinitif, il faut voir dans ces phé-

nomènes des cas de dérivation, et le lien entre les participes et les formes adjectiva-

les ou nominales qui leur correspondent est d’ordre diachronique; il ne faut donc

pas en tenir compte dans notre modèle.

Outre le fait que le participe présent ne puisse être le complément d’une copule,

contrairement au participe passé, les deux participes se distinguent essentiellement

d’une part par l’accord — le participe présent est toujours invariable alors que le

participe passé s’accorde en genre et en nombre (sauf s’il est utilisé à l’intérieur

d’un passé composé avec AVOIR) — et, d’autre part, par leur diathèse16:

(25) Les journalistes, bombardant le ministre de questions, lui font perdre sonsang-froid.

(26) Le ministre, bombardé de questions par les journalistes, perd son sang-froid.

Nous pourrions stipuler un grammème participe, commun aux deux formes,

qui se combinerait à une catégorie flexionnelle, disons la voix, dont les deux gram-

mèmes superficiels indiqueraient la diathèse. Le participe présent serait alors la

composition des grammèmes participe et actif, tandis que le participe passé serait

la composition de participe et passif; appelons cela «l’hypothèse des participes

compositionnels». C’est en fait la position que nous avons défendue jusqu’à un

stade très avancé de notre recherche. Cependant, elle est difficilement tenable.

Rien, dans la morphologie des participes présent et passé, n’indique qu’ils parta-

gent un même grammème. En soi, cela n’est pas une raison pour rejeter l’hypo-

thèse, puisqu’il existe des signes zéros; d’ailleurs, nous avons dans notre modèle

plusieurs grammèmes qui n’ont pas de signifiant propre, comme nous le verrons

plus loin. Cependant, l’introduction de signes zéros doit toujours se faire avec pru-

dence. Dans le cas des participes, nous n’avons pas trouvé d’avantage à admettre

l’hypothèse des participes compositionnels. En fait, cela entraînait beaucoup de

redondance dans nos règles formelles, sans jamais permettre aucune économie.

16. Nous verrons plus loin (§ 1.2.2, p. 124) que le participe passé peut aussi exprimer dessens que ne peut avoir le participe présent.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

123

Nous avons donc abandonné cette hypothèse pour revenir à un modèle beau-

coup plus près de la tradition, où les participes sont indécomposables. Par contre,

la terminologie traditionnelle est trompeuse: la différence entre le participe

«passé» et le participe «présent» n’est pas temporelle. En effet, les phrases (25) et

(26) ci-dessus dénotent exactement la même situation, y compris du point de vue

du temps. Seule la saillance communicative des éléments de la phrase changent, et

cela se manifeste par le fait qu’en (25) c’est les journalistes qui est le sujet de la

phrase, alors qu’en (26) c’est le ministre. Il n’y a rien d’autre ici qu’un changement

de diathèse. Par contre, c’est n’est pas toujours le cas. Les verbes intransitifs peu-

vent très bien être mis aux participes présent et passé sans que n’intervienne aucun

changement de diathèse [Les personnes venant pour le spectacle de magie doivent

se mettre dans la file A ~ Les personnes venues pour le spectacle de magie ont été

déçues]. Nous allons donc adopter une terminologie neutre basée uniquement sur

la forme. Nous appelons les grammèmes de finitude correspondant aux participes

présent et passé, respectivement, participe-ant et participe-é17.

1.2.1 Le participe présent

Le participe présent, qui exprime le grammème superficiel participe-ant, ne

doit pas être confondu avec les adjectifs ou les noms qui en sont dérivés. Les noms

ont un comportement syntaxique suffisamment différent pour ne pas être facile-

ment pris pour des participes présents. Par contre, le participe présent fonctionne

syntaxiquement comme un adjectif (sauf qu’il ne peut pas prendre de copule). Tou-

tefois, le participe présent n’est pas fléchi comme les adjectifs; il est invariable.

Donc, s’il y a accord d’une forme en –ant, il ne peut s’agir que d’un adjectif (cf.

Grevisse, 1993: § 887). On le voit bien quand l’adjectif a un sens ou une diathèse

qui ne correspondent pas à ceux du participe présent à partir duquel il a été formé.

Par exemple, dans la première paire de phrases ci-dessous, croquant est un verbe;

l’accord n’est pas permis. Dans la seconde paire, c’est un adjectif; l’accord est

obligatoire.

17. Nous continuons néanmoins de faire référence aux formes verbales en utilisant laterminologie traditionnelle.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

124

(27) a. J’ai trouvé Laurence croquant une pomme.

b. * J’ai trouvé Laurence croquante une pomme.

(28) a. Laurence mange une pomme croquante.

b. * Laurence mange une pomme croquant.

Le sens du grammème participe-ant est vide. Ce grammème correspond en

fait au grammème participe «pur» de Mel’čuk (1994) que nous avons mentionné

au début de cette section (§ 1, p. 116). Nous n’en connaissons pas d’autre accep-

tion.

1.2.2 Le participe passé

Le participe passé est utilisé dans les formes du passé composé. Il s’agit cepen-

dant de formes figées, où le grammème superficiel participe-é n’est qu’une com-

posante d’un signifiant plus complexe qui inclut aussi l’auxiliaire qui

l’accompagne. Il ne faut pas considérer ces formes phraséologisées ici; nous y

reviendrons plus loin (§ 5.2, p. 166 et § 6.4.2, p. 205). Ce qui nous intéresse ici est

le participe passé utilisé en dehors du passé composé. Nous avons vu plus haut un

exemple de participe passé exprimant un changement de diathèse, que nous répé-

tons ici:

(29) Le ministre, bombardé de questions par les journalistes, perd son sang-froid.

Cependant, le participe passé n’exprime pas toujours un tel changement de dia-

thèse. En effet, on peut aussi l’utiliser avec des verbes intransitifs, pour lesquels le

passif est pourtant impossible. Par exemple:

(30) Je la croyais partie pour Berlin.

On peut le comparer au participe présent correspondant pour vérifier que la dia-

thèse reste inchangée:

(31) Je l’imaginais partant pour Berlin.

Le participe passé en (30) exprime plutôt un «résultatif», c’est-à-dire qu’il

dénote l’état résultant d’un fait. Cette valeur résultative du participe passé est men-

tionnée dans à peu près toutes les grammaires du français que nous avons consul-

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

125

tées. Dans le cadre de la TST, Mel’čuk (1994) remarquait que le passif et le

résultatif tendent à être intimement liés dans les langues en général:

Le résultat (escompté) d’une action transitive concerne plutôt l’objet que lesujet; les formes résultatives portent donc sémantiquement plus souvent surl’objet, et pour cette raison elles sont souvent dérivées des formes passives,ou bien les formes passives en dérivent. Il en découle un lien sémantiqueentre la résultativité et la voix.

Mel’čuk (1994: p. 64)

On peut alors se demander quelle doit être l’interprétation première du participe

passé: est-ce d’abord un passif ou un résultatif? Cette question est importante puis-

que, selon notre méthodologie, c’est le sens de base des grammèmes qui doit être

considéré pour déterminer quelles sont les catégories flexionnelles et les grammè-

mes qui les composent (cf. Ch. IV, § 3, p. 52).

Creissels (2000) a démontré que «être V-é» peut être triplement ambigu: il peut

s’agir d’un passé composé18, d’un passif, ou bien d’un résultatif. Encore une fois,

ces faits sont bien connus, mais Creissels les présente de façon particulièrement

claire et convaincante. Il montre d’abord que ces trois valeurs du participe passé

sont relativement faciles à identifier. Le passé composé se reconnaît à la possibilité

de le remplacer par une forme simple sans entraîner de différence autre qu’un

changement de valeur temporelle et aspectuelle. Creissels (2000: p. 133) donne les

exemples suivants:

(32) a. Mon ami est venu → Mon ami vient

b. Mon ami était venu → Mon ami venait

Le passif, quant à lui, peut être remplacé par un actif avec un simple change-

ment de diathèse (on utilise ON comme sujet quand l’agent n’est pas explicitement

donné dans la phrase passive). Creissels (ib.) propose les exemples suivants:

(33) a. Les coupables sont recherchés → On recherche les coupables

b. Ils sont recherchés par la police → La police les recherche

18. Nous reviendrons plus loin sur les sens du passé composé (§ 4, p. 144, § 5, p. 164 et§ 6.4.2, p. 205).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

126

Enfin, le résultatif ne se laisse pas remplacer de la même façon, comme en

témoignent les exemples suivants (toujours de Creissels):

(34) a. Les coupables sont arrêtés depuis trois jours.

b. * Les coupables arrêtent depuis trois jours.

c. # On arrête les coupables depuis trois jours.

d. On a arrêté les coupables il y a trois jours.

La troisième phrase ne peut remplacer la première que si celle-ci est interprétée

comme un passif (il faut alors imaginer qu’arrêter les coupables est un processus

qui prend plusieurs jours), et non comme un résultatif19. Le résultatif d’un verbe

transitif est toujours ambigu de cette façon, mais ce n’est pas le cas pour les verbes

intransitifs, pour lesquels il n’existe pas de passif20:

(35) a. Elle est revenue depuis deux jours.

b. * On la revient depuis deux jours.

L’impossibilité pour le participe passé d’un verbe intransitif d’exprimer la voix

passive porte à croire que l’opposition participe passé ~ participe présent n’en est

pas une de voix. Cependant, à ces participes passés sans interprétation passive

s’opposent des participes passés sans interprétation résultative. En effet, dès qu’on

exprime l’agent dans une construction passive, l’interprétation résultative devient

impossible. Comparons les deux phrases ci-dessous (adaptées de Creissels 2000:

p. 138). La première est ambiguë, puisqu’elle peut aussi bien dénoter un passif (la

maison est en construction) qu’un résultatif (la maison est déjà construite). La

seconde ne peut s’interpréter que comme un passif.

(36) Ma maison est construite.

(37) Ma maison est construite par Constructions Beauvais Inc.

19. La troisième phrase peut également avoir une interprétation itérative, c’est-à-dire quedepuis trois jours on arrête les coupables, alors qu’avant on les laissait filer. Mais aveccette interprétation, elle ne peut pas remplacer la première phrase, peu importe le sensqu’exprime cette première phrase.

20. Ces formes sont toutefois ambiguës d’une autre manière: elles peuvent être interprétéessoit comme un résultatif, soit comme un passé composé. La présence de l’adverbeDEPUIS favorise l’interprétation résultative.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

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La construction «être V-é» ne s’interprète pas de la même façon selon le type de

verbe en jeu (transitif, intransitif non pronominal ou essentiellement pronominal).

Le tableau suivant donne les interprétations possibles pour chaque type de verbe.

Il ressort de ce tableau que l’interprétation résultative de «être V-é» semble être

compatible avec une plus grande variété de verbes. Il y a cependant quelques nuan-

ces à apporter.

D’abord, cette interprétation n’est possible que si le verbe en question est téli-

que (sinon, la construction est même agrammaticale, à moins que le verbe ne se

conjugue avec ÊTRE, ce qui ne concerne qu’une minorité de verbes intransitifs

non-pronominaux)21. La première paire de phrases ci-dessous l’illustre avec des

verbes transitifs, la seconde avec des verbes intransitifs non-pronominaux, et la

troisième avec des verbes pronominaux. Dans les trois paires, le verbe en a. est

télique alors que celui en b. ne l’est pas.

(38) a. La voiture est réparée.[= (on répare la voiture) ou (on a réparé la voiture)]

b. La voiture est conduite.[= (on conduit la voiture), mais pas (on a conduit la voiture)]

(39) a. La voiture est arrêtée.

b. * La voiture est accélérée.

(40) a. Il est évanoui22.

b. * Il est souvenu.

Passif Résultatif Passé composé

Transitif √ √ *

Intransitif * √ √ i

i. Seulement si le verbe se conjugue avec ÊTRE.

Pronominal * √ *

Tableau XIV — Les interprétations de «être V-é»

21. Les pronominaux se conjuguent aussi avec ÊTRE, mais nous nous intéressons ici à laconstruction «être V-é», sans SE, c’est-à-dire à *il est souvenu, et non il s’est souvenu.

22. Creissels (2000: p. 135).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

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Or, ce ne sont pas tous les verbes téliques qui connaissent l’emploi résultatif.

Creissels (ib.) donne comme exemples les verbes VENIR (il est venu ne s’interprète

que comme un passé composé) et SÉCHER (on utilise l’adjectif SEC au lieu du par-

ticipe passé séché pour exprimer ce sens: *les chemises sont séchées, mais les che-

mises sont sèches). Donc, même si le Tableau XIV indique que l’interprétation

résultative de «être V-é» est compatible avec tous les types de verbes, il faut consi-

dérer que c’est en fait vrai seulement pour certains des verbes téliques.

Ensuite, il faut noter que les participes passés à valeur résultative ont tendance à

se figer et à devenir des adjectifs. Par exemple, mort dans il est mort n’est pas vrai-

ment le participe passé résultatif de MOURIR, il s’agit plutôt d’un adjectif23.

D’ailleurs, cette forme s’est également figée en tant que nom, dérivé justement de

cet adjectif (c’est en tout cas la lecture du Petit Robert). De la même façon, pourrie

dans la viande est pourrie est plutôt une forme de l’adjectif POURRI, et non du

verbe POURRIR. En effet, il est clair qu’il existe un tel adjectif, comme en attestent

les différents sens qu’on reconnaît dans un été pourri, un maire pourri, etc., pour

lesquels le vocable verbal POURRIR n’a pas d’acception équivalente [*l’été va

encore pourrir cette année, *ce maire pourrit]. Il y a donc beaucoup de cas où il

n’est pas clair si on a affaire à une construction «être V-é» ou à «être Adj».

Il reste cependant que les verbes transitifs téliques, dans cette construction, se

laissent plus aisément interpréter comme résultatifs que comme passifs (cf. La voi-

ture est réparée, ci-dessus, dont l’interprétation résultative semble plus naturelle).

D’après le principe de l’interprétation spontanée que nous avons formulé au Cha-

pitre IV (§ 4.1, p. 53), ce fait suggérerait que l’interprétation de base du participe

passé, c’est-à-dire celle qui doit guider l’élaboration de notre modèle, serait l’inter-

prétation résultative. Cependant, comme ce phénomène ne concerne qu’une sous-

classe de verbes, il ne peut s’agir d’un critère décisif.

23. Il peut aussi s’agir d’un passé composé [Il est mort le 8 juin], mais nous laissons de côtécette construction pour l’instant.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

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Étant donné que le participe passé ne peut exprimer un sens de résultativité que

pour un certain nombre de verbes téliques, alors que l’interprétation passive est

compatible avec la majorité des verbes transitifs (en fait, la majorité des verbes

tout court, puisque les verbes transitifs sont de loin les plus nombreux), nous con-

cluons en nous appuyant sur le principe de la polyvalence lexicale (cf. Ch. IV,

§ 4.2, p. 57) que l’interprétation de base du participe passé dans la construction

«être V-é» est celle d’un passif.

En conclusion, le grammème participe-é, dans son acception de base, ne dif-

fère de participe-ant que par le changement de diathèse qu’il signale. Ce gram-

mème nous intéresse dans la mesure où le participe passé se trouve impliqué dans

divers phénomènes linguistiques liés au temps grammatical et à l’aspect. En effet,

il est le signifiant ou une composante du signifiant de plusieurs signes:

• La voix passive, dont nous parlerons plus loin (§ 2, p. 132), s’exprime par

ce grammème.

• Le passé composé, qui correspond en fait à plusieurs signes, tous pertinents

pour notre étude (nous y reviendrons plus loin, § 5.2, p. 166 et § 6.4.2,

p. 205), s’exprime par la combinaison d’un auxiliaire et du grammème

superficiel participe-é. Il s’agit d’un phrasème grammémique.

• Le résultatif, dont le signifié est d’ordre aspectuel, s’exprime aussi par ce

grammème. Quand le verbe est transitif, un changement de diathèse

s’observe également (on observe alors la même diathèse que pour le pas-

sif).

1.3 Le gérondif

Le cas du gérondif est plus simple. Puisqu’il s’exprime toujours de façon analy-

tique (par la préposition EN suivie d’un participe présent), il n’y a pas de gram-

mème superficiel qui lui soit propre. Il existe néanmoins un grammème profond

gérondif qui correspond tout à fait à celui de Mel’čuk, c’est-à-dire qu’il marque

un verbe qui apparaît comme un dépendant de type adverbial d’un autre verbe.

Cela peut exprimer soit la simultanéité [Elle marchait en chantant], soit la manière

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

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[Il enfonçait le bouchon en le faisant tourner]; toutefois, nous ne sommes pas tout

à fait convaincu d’avoir affaire à deux acceptions distinctes, et nous les traitons

comme deux interprétations du même sens. Nous ne connaissons pas d’autre

acception à ce grammème profond, qui ne se combine à aucun autre grammème.

Notons par ailleurs que le gérondif se fige parfois en une locution adverbiale, par

exemple kEN PASSANTl; il ne s’agit pas là d’un phénomène flexionnel.

1.4 Les verbes finis

Nous avons épuisé les formes identifiables qui indiquent le rôle syntaxique que

joue le verbe dans la phrase. Nous avons vu qu’il existe un grammème pour indi-

quer qu’un verbe est un dépendant de type verbal, adverbial ou adjectival. Qu’en

est-il des verbes qui occupent leur position «naturelle», c’est-à-dire celle de som-

met syntaxique d’une proposition? Ce ne sont habituellement que ceux à l’indica-

tif, au subjonctif ou à l’impératif qui peuvent occuper cette position24. Or, nous

l’avons dit au début de la présente section, nous ne voulons pas considérer ces for-

mes comme faisant partie du même paradigme que l’infinitif, le participe et le

gérondif, puisque d’une part elles portent des sens qui ne cadrent pas bien dans la

catégorie de finitude, et d’autre part, elles expriment toujours la personne et le

nombre, ce qui n’est pas compatible avec les grammèmes de finitude que nous

venons de voir.

Comme il n’y a pas de morphème clairement identifiable que l’on puisse asso-

cier à la position de sommet syntaxique d’une proposition, on pourrait postuler que

les verbes qui occupent cette position ne sont pas fléchis en finitude (mais le sont

en mode). Cela évite de stipuler un grammème qui ne soit associé ni à un signi-

fié25, ni à une forme. On obtient alors un modèle où les verbes sont fléchis en

24. L’infinitif de consigne le peut également. Nous avons vu qu’il ne s’agissait pas del’acception de base du grammème infinitif. Nous croyons en fait que cette valeur deconsigne n’est pas portée par l’infinitif lui-même, mais qu’il y a ici un signe dont lesignifiant est une construction telle que l’infinitif est le sommet syntaxique. Par ailleurs,nous faisons abstraction des phrases du type Mon argent, envolé!, où le participe sembleêtre le sommet syntaxique; il occupe en fait la position d’un adjectif (cf. Mon tapis, toutsale! [on l’a sali pendant mon absence]).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

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mode lorsqu’ils sont le sommet syntaxique d’une proposition et en finitude

lorsqu’ils apparaissent comme dépendants. Or, nous avons déjà exprimé nos réti-

cences face à un modèle où deux catégories flexionnelles sont en concurrence et où

il faut faire appel à des critères syntaxiques plutôt que morphologiques pour déter-

miner laquelle doit être utilisée dans tel contexte (cf. Ch. V, § 1, p. 72). Ajoutons

que dans un tel système, le fait qu’un verbe soit fléchi en mode devient lui-même

significatif, puisque cela indique que le verbe est le sommet syntaxique d’une pro-

position. La flexion en mode d’un verbe devient alors le signifiant d’un signe dont

le signifié est le fait que le verbe est le sommet d’une proposition.

Nous considérons donc qu’il existe un grammème fini, dont le signifié est le

fait que le verbe soit le sommet d’une proposition et dont le signifiant est nul. La

combinatoire de ce grammème exige la présence d’un grammème de mode. Nous

ne connaissons pas d’autre acception à ce grammème.

1.5 Synthèse

Nous avons vu que notre modèle comprend quatre grammèmes profonds de

finitude. Trois sont marqués morphologiquement et un l’est syntaxiquement:

• Le grammème fini indique que le verbe est le sommet syntaxique d’une

proposition. Il est marqué par un affixe zéro26 et sa combinatoire exige la

flexion en mode. Exemples: savez, sachiez, sachez!.

• Le grammème infinitif marque les verbes qui dépendent d’un autre verbe

et sont régis par la valence syntaxique de ce dernier. Ce grammème est mar-

qué formellement par le suffixe –ER (dont les allomorphes variés sont choi-

sis selon le syntactique de la racine). Exemple: Il veut partir.

• Le grammème participe-ant marque les modifieurs verbaux qui se com-

portent syntaxiquement comme des verbes par rapport à leurs dépendants

25. Nous voulons dire par là qu’il n’exprime pas un élément de la structure sémantique. Celane l’empêche pas d’avoir néanmoins comme signifié une configuration syntaxique (bienque ce signifié soit pour le moins abstrait, il ne l’est pas plus que celui des marquesd’accord, par exemple).

26. Il est possible également qu’il s’exprime de façon cumulative avec le mode et le temps.Cette question relève de la morphologie et ne nous intéresse donc pas dans cette thèse.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

132

mais comme des adjectifs par rapport à leur gouverneur (généralement

nominal). Il n’est pas compatible avec la copule, n’entraîne aucun change-

ment de diathèse et est marqué par le suffixe –ANT. Exemple: Toute per-

sonne se trouvant sur les lieux sera arrêtée.

• Le grammème participe-é marque aussi les modifieurs verbaux qui se

comportent syntaxiquement comme des verbes par rapport à leurs dépen-

dants mais comme des adjectifs par rapport à leur gouverneur (générale-

ment nominal). Par contre, il est compatible avec la copule, il peut entraîner

un changement de diathèse et il s’exprime par le suffixe –É. Exemple:

J’habite dans une maison construite par mes grands-parents.

• Le grammème profond gérondif marque les modifieurs verbaux qui se

comportent syntaxiquement comme des verbes par rapport à leurs dépen-

dants mais comme des adverbes par rapport à leur gouverneur (générale-

ment verbal). Il s’exprime de façon analytique par la construction «en V-

ant», c’est-à-dire en s’appuyant sur le grammème de surface participe-

ant. Exemple: Pierre rentre en sifflant.

La finitude est pertinente pour l’étude du temps en français pour deux raisons.

D’abord, parce que le grammème participe-é est utilisé dans des constructions

qui servent à exprimer des sens temporels ou aspectuels. Ensuite, parce que seuls

les verbes finis peuvent se combiner au temps. En effet, comme nous l’avons men-

tionné, les verbes finis requièrent un mode, dont un, l’indicatif, exige à son tour un

grammème de temps. Nous y reviendrons plus loin (§ 3, p. 134), mais d’abord,

nous discuterons brièvement la catégorie flexionnelle de la voix.

2 La voix

Dans le cadre de la TST, Mel’čuk (1994, 1997c) et Kahane (1998) définissent la

voix comme une catégorie flexionnelle dont les grammèmes indiquent un change-

ment de diathèse du lexème, sans que le sens propositionnel ne soit affecté27:

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(41) Les Forces Canadiennes bombardent le pont.

(42) Le pont est bombardé par les Forces Canadiennes.

La grammaire traditionnelle reconnaît en français au moins la voix active et la

voix passive, auxquelles certains auteurs ajoutent la voix réfléchie (souvent appe-

lée «pronominale»). Cependant, Mel’čuk (2001b) a démontré qu’en fait il existait

en français au moins six voix (tous les exemples ci-dessous sont de lui)28:

• Actif: Jean a rasé Alain.

• Passif1 (passif à promotion totale): Alain a été rasé par Jean.

• Passif2 (passif à promotion totale sans agent): Une barbe de deux jours se

rase sans difficulté.

• Passif3 (passif à démotion partielle): Il a été procédé par le gouvernement

au licenciement des fonctionnaires inutiles.

• Réfléchi1 (réfléchi direct): Alain se rase.

• Réfléchi2 (réfléchi indirect): Alain s’achète une maison. Alain se rase la

barbe.

Tous ces grammèmes sont des grammèmes profonds. Il n’existe aucun gram-

mème superficiel de voix en français, puisqu’il n’y a pas de signifiant morphologi-

que propre à cette catégorie flexionnelle:

In French, the grammemes of voice appear only in the DSyntS; they do notappear in the Surface-Syntactic Structure (and of course not in the DMor-phS). This happens because voice in French has only analytical (= non-mor-phological) expression.

Mel’čuk (2001b: p. 279)

La plupart des grammèmes de voix n’ont rien à voir avec l’expression du temps

grammatical en français; ils ne sont donc pas intéressants pour notre étude. Nous

renvoyons le lecteur à l’article de Mel’čuk (2001b) pour une présentation détaillée

de chacun. Il nous intéresse surtout de noter que les passif1 et passif3, s’expri-

27. La définition de Kahane (1998) distingue voix élémentaire et voix composée, mais iln’est pas nécessaire de les distinguer pour notre travail. Nos grammèmes correspondentaux voix composées de Kahane.

28. On peut voir dans Alain s’est fait jeter dehors et Alain s’est vu interdire l’entrée aucasino deux autres voix profondes. Nous laissons ces constructions de côté ici.

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ment par le grammème participe-é. Les réfléchis et le passif2 s’expriment quant

à eux par le lexème SE29, alors que la voix active n’a pas de signifiant particulier.

Dans cette thèse, nous ne nous intéresserons qu’à la voix passif1, que nous appel-

lerons dorénavant «passif» tout court.

La plupart des grammairiens estiment que le marqueur de la voix passive est

non pas un morphème, mais la combinaison de ÊTRE et d’un participe passé. Le

problème est que la présence du verbe ÊTRE n’est pas nécessaire, comme le mon-

trent la phrase (26), que nous reprenons en (43) ci-dessous, ainsi que (44):

(43) Le ministre, bombardé de questions par les journalistes, perd son sang-froid.

(44) Nous courrions derrière des voyous poursuivis par la police.

Abeillé & Godard (2002) ont analysé ce supposé «auxiliaire du passif» ÊTRE.

Elles ont démontré qu’il a exactement les mêmes propriétés syntaxiques (et mor-

phologiques) que la copule, notamment en ce qui a trait à la cliticisation des com-

pléments. D’ailleurs, on peut coordonner un adjectif et un passif, comme le montre

cet exemple d’Abeillé & Godard (2002: p. 421):

(45) Paul est aimé par tous ses collègues et prêt à les aider.

Donc, nous croyons que la copule n’est pas inhérente aux formes passives; elle

n’apparaît que parce que les participes passés se comportent syntaxiquement

comme des adjectifs et ont donc besoin du support d’une copule puisqu’ils ne peu-

vent pas être le sommet syntaxique de la phrase.

3 Le mode

Nous avons vu lors de notre discussion de la finitude (§ 1, p. 116) qu’il existait

des différences suffisantes entre les «modes impersonnels» et «modes personnels»

de la grammaire traditionnelle pour les classer dans deux catégories flexionnelles

différentes (les premiers relevant de la finitude, les second du mode à proprement

parler). En séparant bien la finitude et le mode, nous croyons pouvoir mieux cerner

29. Voir Kayne (1977) pour la distinction entre les pronoms SE et SOI.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

135

ce dernier. Nous n’allons cependant pas trop nous attarder sur cette catégorie,

puisqu’elle n’est que secondaire dans notre recherche; nous nous contenterons de

clarifier certains points liés au temps.

3.1 L’indicatif

On présente souvent l’indicatif comme étant du domaine du réel, en opposition

au subjonctif, qui serait du domaine du virtuel. Nous ne connaissons pas l’origine

de cette idée, mais elle perdure. On la retrouve encore, par exemple, chez Leeman-

Bouix:

Le procès au subjonctif reste de l’ordre de la virtualité, du possible […], tan-dis que le procès à l’indicatif est de l’ordre de la réalité, puisqu’il est inscritdans une époque.

Leeman-Bouix (1994: p. 85)

Wagner et Pinchon (1962) attaquent cette hypothèse par des contre-exemples

apparents:

La chose ainsi posée au moyen du mode indicatif peut être réelle (il a plu, ilpleuvait, il pleut) ou incertaine (il pleuvra, il pleuvrait); elle peut être vraie,vraisemblable ou manifestement fausse. On voit à quel point il est inexact dedéfinir l’indicatif comme «le mode du réel» ou «de la réalité».

Wagner et Pinchon (1962: § 404, p. 362)

À son tour, Touratier (1996) a aussi attaqué cette idée en rappelant que le condi-

tionnel, qui est justement utilisé pour dénoter des faits qui ne sont pas forcément du

réel, est considéré comme un temps de l’indicatif par les mêmes grammairiens qui

affirment que l’indicatif est du domaine de la réalité. Il note également qu’on uti-

lise l’imparfait (de l’indicatif!) dans les subordonnées conditionnelles, qui ne

dénotent justement pas des faits considérés comme faisant partie du réel [Si tu

avais mis ton foulard, tu n’aurais pas attrapé froid].

Le problème avec ces critiques est qu’elles supposent qu’il ne peut exister

qu’un seul conditionnel, et elles négligent la possibilité de formes non-composi-

tionnelles, où l’indicatif serait privé de son sens habituel. Or, nous croyons qu’il

existe plusieurs signes différents qui ont comme signifiant la forme du condition-

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136

nel, et que certains sont justement non-compositionnels. Nous y reviendrons plus

loin (§ 3.4, p. 142 et § 6.4.4, p. 213).

Mel’čuk (1994) propose une version un peu différente de la définition classique

de l’indicatif. Selon lui, ce mode «exprime une assertion (= une proposition au

sens logique), et pour cette raison l’énoncé à l’indicatif peut être vrai ou faux, ce

qui n’est pas le cas pour les autres modes» (p. 129). Touratier (1996) s’oppose à ce

type de définition basée sur la valeur de vérité puisque les interrogatives partielles

à l’indicatif [Où est-ce que tu as mis le beurre?] ne peuvent pas être associées à

une valeur de vérité. On peut cependant rejeter l’objection en invoquant le fait que

c’est la construction interrogative qui place le sens de l’indicatif sous la portée de

l’opérateur (je te demande de me dire si…), ce qui a pour effet d’en masquer la

valeur propositionnelle.

Toujours selon Touratier, l’indicatif n’est associé ni à un sens ni à une forme et

n’est donc pas un morphème. À son avis, les verbes que l’on dit «à l’indicatif» ne

portent en fait tout simplement pas de mode. Cette position n’est pas tenable dans

notre cadre théorique, puisqu’elle nie le caractère obligatoire de la flexion, un pos-

tulat à la base de notre méthodologie (cf. Ch. IV, § 2, p. 51). Néanmoins, nous som-

mes d’accord avec lui sur un point: nous croyons aussi que l’indicatif n’est pas

porteur d’un sens représentable au niveau sémantique. Nous croyons que si l’indi-

catif paraît ancré dans la réalité, c’est uniquement parce qu’il force l’utilisation de

signes temporels qui, en situant les faits dans le temps, leur donne une apparence

plus réelle; mais ce n’est pas le sens de l’indicatif.

Le grammème indicatif serait donc à la fois un signe non porteur de sens et un

signe zéro, puisque son signifiant est nul, ce qui en fait un signe bizarre, mais un

signe quand même puisqu’il a une combinatoire non triviale: 1) quand un verbe

possède plusieurs allomorphes pour son radical, il y en a un qui est réservé à l’indi-

catif (par opposition au radical du subjonctif), 2) l’indicatif ne se combine (comme

tous les modes) qu’aux verbes portant le grammème fini et 3) les verbes à l’indica-

tif (et seulement ceux-là) doivent absolument être fléchis en temps.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

137

Les signes à la fois zéro et vides illustrent bien l’importance du syntactique. Ce

n’est en effet que par leur combinatoire que ces signes peuvent être observés.

Mel’čuk (1997b: pp. 26-29) donne quelques exemples de tels signes en ukrainien,

en russe et en allemand (il évoque également la possibilité d’analyser la forme ont

du français comme la combinaison d’un radical vide et zéro et d’un suffixe –ont,

qu’on retrouve par exemple dans sont et font). Il ne donne cependant pas d’exem-

ple d’affixe flexionnel vide et zéro. En fait, sa définition des signes zéros exclut

explicitement les signes morphologiques zéros sans signifié. Notre grammème

indicatif, cependant, ne contrevient pas vraiment à cette définition. En effet, bien

qu’il ne soit pas porteur d’un sens, il n’est pas dénué de signifié; seulement, son

signifié n’est pas d’ordre sémantique, mais syntaxique. Le grammème indicatif

révèle l’absence de gouverneur régissant le subjonctif. Il s’oppose dans cette posi-

tion au grammème subjonctif, que nous allons maintenant discuter.

3.2 Le subjonctif

La concurrence du subjonctif et de l’indicatif demeure envers et contre toutl’un des trois ou quatre filons inépuisables de la linguistique française. […]À lui seul, le rappel des méthodes, des opinions, des arguments-arguties etdes polémiques prendrait un gros livre.

Wilmet (2003: p. 321)

Loin de nous l’idée d’écrire un tel livre. En fait, le subjonctif étant largement

accessoire pour notre étude du temps grammatical, nous nous contenterons de lui

consacrer quelques pages.

On peut dire qu’il existe parmi les grammairiens deux pôles principaux qui

s’opposent au sujet du subjonctif. Il y a d’un côté ceux qui croient qu’il exprime un

sens, et de l’autre ceux qui pensent au contraire que son alternance avec l’indicatif

est strictement régie par le syntactique de son gouverneur.

Il est assez généralement admis parmi les défenseurs de l’hypothèse sémantique

que le subjonctif «indique que le locuteur ne s’engage pas sur la réalité du fait»

(Grevisse, 1993: § 864), voire qu’il présente les faits «comme une pure et simple

conception de l’esprit» (Martinet, 1979: p. 120). On trouve également toutes sor-

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

138

tes de sens au subjonctif, mais bien souvent ces sens sont plutôt ceux des contextes

dans lequels s’utilisent le subjonctif, comme le notent Riegel, Pellat & Rioul:

On donne au subjonctif des valeurs qui viennent du contexte où il estemployé: subjonctif de volonté (Je veux qu’il vienne), de souhait (Je souhaitequ’il vienne), de regret (Je regrette qu’il vienne), de doute (Je doute qu’ilvienne); pourquoi ne pas parler aussi d’un indicatif d’opinion (Je crois qu’ilviendra), d’affirmation (Je dis qu’il viendra), etc.? De fait, on attribue ausubjonctif la valeur sémantique de son verbe régisseur, en confondant l’effetet la cause.

Riegel, Pellat & Rioul (1994: p. 322)

Les deux principaux arguments en faveur de l’hypothèse sémantique se trouvent

résumés ici:

En premier lieu, l’emploi du subjonctif en proposition indépendante, mêmerestreint, ne peut pas être expliqué par [la combinatoire du gouverneur].Ensuite, il existe diverses constructions où le locuteur peut choisir entrel’indicatif et le subjonctif; le choix du mode est dans ce cas significatif: Pen-ses-tu qu’il viendra? / qu’il vienne? - Madame de Rênal est la seule qui l’aaimé / qui l’ait aimé. La manière d’envisager le procès de la subordonnée estdifférente selon que le locuteur emploie l’indicatif ou le subjonctif. Le choixde ces deux modes n’est pas mécanique.

Riegel, Pellat & Rioul (1994: p. 321)

Tout d’abord, le subjonctif en proposition principale est d’un usage très res-

treint. En fait, il s’agit souvent de formes figées. On trouve couramment dans les

grammaires SOIT [Soit un triangle isocèle], VIVE [Vive le roi!], kAINSI SOIT-ILl,

PUISSE [Puisse le ciel nous venir en aide] ou encore kQUE JE SACHEl [Un peu d’eau

gazeuse n’a jamais tué personne, que je sache]. Pourtant, il est clair que ces formes

sont lexicalisées (par exemple, elles ne peuvent pas être modifiées [*que je sache

très bien]), aussi doit-on les ignorer. Les phrases où le verbe de la principale au

subjonctif exprime un ordre ou un souhait [Qu’on fasse venir un médecin!] ne nous

aident pas non plus à déterminer le sens de base du subjonctif puisque, justement,

le subjonctif n’a cette valeur d’impératif que dans cette construction bien précise,

ce qui ne satisfait pas le critère de la polyvalence syntaxique énoncé plus haut

(Ch. IV, § 4.2, p. 57). Même raisonnement pour les phrases du type Moi, que je

fasse une chose pareille!.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

139

Pour ce qui est des contextes où le subjonctif peut commuter avec un indicatif,

ils ne sont intéressants que si effectivement cette alternance entraîne une différence

sémantique. Il y a des lexies dont le régime laisse le choix au locuteur entre l’indi-

catif et le subjonctif, par exemple:

(46) a. Le fait que Paul soit parti chagrine Marie.

b. Le fait que Paul est parti chagrine Marie.

Certains verront dans les alternances de ce type une nuance de sens. Leeman-

Bouix (1994), à qui nous empruntons l’exemple, croit que dans la première phrase

le fait est présenté comme possible, alors que dans la seconde le locuteur est cer-

tain de ce qu’il affirme (un point de vue assez répandu, notamment chez les héri-

tiers de Guillaume). Il nous semble plutôt que ces deux phrases présentent le départ

de Paul comme un fait avéré. Si le fait dénoté par un verbe à l’indicatif peut sem-

bler plus réel, comme nous l’avons dit plus haut (§ 3.1, p. 135), c’est à notre avis

uniquement parce que ce mode se combine aux grammèmes de temps, ce qui per-

met de situer temporellement les faits, alors que ce n’est pas possible au subjonc-

tif30. Les faits étant ainsi ancrés dans le temps, ils paraissent mieux ancrés dans la

réalité. Mais ce n’est pas le subjonctif qui porte un sens (possible) ou (virtuel).

Ensuite, certaines alternances en apparence libres entre l’indicatif et le subjonc-

tif sont en fait dues à des gouverneurs homonymiques n’ayant pas le même régime.

Par exemple, le vocable EXPLIQUER dans les phrases suivantes n’a pas le même

sens. Il s’agit donc de deux lexèmes distincts, et chacun a son régime propre: le

premier commande l’utilisation de l’indicatif, alors que le deuxième régit le sub-

jonctif.

(47) a. Paul expliquait qu’il n’avait pas pu arriver plus tôt.

b. Voilà qui explique que vous n’ayez pas pu arriver plus tôt.

Menanteau (1986) a fait une expérience pour tester l’hypothèse selon laquelle

l’alternance libre indicatif~subjonctif serait significative, en soumettant des paires

30. L’auxiliaire AVOIR du subjonctif passé est d’ordre aspectuel, comme nous le verrons plusloin (§ 5, p. 164).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

140

de phrases ne différant que par cette alternance à des locuteurs natifs. Ses résultats

semblent confirmer notre intuition:

Tirée à 600 exemplaires, cette enquête a été diffusée dans des milieux socio-professionnels et socioculturels diversifiés et l’on constate que les différencesde sens ne sont repérées que dans 28 % des cas. Ainsi, dans près de trois cassur quatre, lorsque le sujet parlant a le choix entre le subjonctif et un autre«mode», ce choix ne correspond pas pour lui à une différence de sens. Lesubjonctif est alors simple variante libre; son usage relève davantage de lasociolinguistique: qui l’emploie marque par là son appartenance (réelle oufantasmée) à tel ou tel groupe plus prestigieux.

Menanteau (1986: pp. 72-73)

Malheureusement, il ne détaille pas les résultats de son enquête dans cet article

(et nous ne les avons pas trouvés ailleurs). Encore plus regrettable, l’expression

«28 % des cas» est ambiguë: il n’est pas tout à fait clair pour nous si cela signifie

que seulement 28 % des répondants ont perçu des différences sémantiques dans les

paires de phrases soumises, ou si les répondants en général n’ont perçu des diffé-

rences sémantiques que dans 28 % de ces paires (nous croyons que c’est cette der-

nière interprétation qui est la bonne). Quoi qu’il en soit, cela nous indique que dans

la plupart des cas, l’alternance libre indicatif~subjonctif n’est pas significative;

elle est plutôt de l’ordre du registre. Il reste néanmoins des alternances du type sui-

vant (nous empruntons cet exemple à Menanteau):

(48) a. Je cherche quelqu’un qui soit parisien.

b. Je cherche quelqu’un qui est parisien.

Ici, la nuance sémantique est assez claire. La première phrase indique que je

cherche n’importe qui, du moment que cette personne soit de Paris (ici, le condi-

tionnel pourrait aussi être utilisé); j’exprime que je n’ai pas de référent précis en

tête. La seconde est ambiguë: elle peut avoir le même sens que la première ou

(peut-être plus naturellement) elle peut signifier que je cherche une personne en

particulier, et que cette personne est parisienne. Il n’y a pas de doute qu’il y a une

unité significative en jeu dans cette opposition entre indicatif et subjonctif. Cepen-

dant, le subjonctif ne peut avoir ce sens que dans un contexte bien précis: il doit se

trouver dans une subordonnée restrictive dont le gouverneur est le complément

(direct ou indirect) d’un verbe (ce complément peut éventuellement avoir été

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

141

«déplacé», dans une dislocation par exemple). Comme pour le subjonctif à valeur

d’impératif, ce subjonctif à valeur «référentielle» est d’un usage trop restreint pour

servir d’acception de base.

En conclusion, nous croyons que dans son acception de base, le subjonctif est

vide de sens. L’alternance subjonctif~indicatif est généralement régie par la lexie

dont dépend le verbe. La construction dans laquelle apparaît le verbe peut égale-

ment admettre ce mode [Je pense que tu peux venir ~ Je ne pense pas que tu puis-

ses venir]. Utilisé en proposition principale, le subjonctif exprime un ordre ou un

souhait; il sert à compléter le paradigme défectif de l’impératif. Utilisé dans une

subordonnée restrictive, il indique que le référent du nom dont dépend la subor-

donnée n’est pas connu.

3.3 L’impératif

Les formes de l’impératif coïncident presque toujours avec celles de l’indicatif

présent ou du subjonctif. Il n’y a que deux exceptions, sachons et sachez, qui sont

construites avec le radical du subjonctif et le suffixe de l’indicatif présent. Sans ces

deux formes mixtes, il serait possible de modéliser l’impératif directement dans la

transition entre les niveaux sémantique et syntaxique en faisant correspondre au

sens de l’impératif le grammème subjonctif ou la combinaison indicatif ⊕

*présent31, selon le verbe. On obtiendrait alors un modèle où il n’y aurait pas de

grammème réservé à l’impératif. Cependant, les formes sachons et sachez ne peu-

vent pas être traitées de cette façon: il faut avoir au niveau syntaxique un gram-

mème impératif qui sera mis en correspondance au niveau morphologique avec

les morphèmes du subjonctif ou de l’indicatif et du présent, selon le verbe, et qui

forcera la sélection du bon radical (le radical, dans ce cas, ne peut pas être imposé

simplement par le morphème de l’indicatif ou du subjonctif). De toute façon, le

grammème impératif a clairement un impact sur la syntaxe de la phrase puisqu’il

31. Nous verrons plus loin (§ 6.4, p. 202) que ce que nous appelons ici «présent» corresponden fait à deux grammèmes (simultané et non-décalé).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

142

force l’absence de sujet. On ne peut donc pas faire l’économie de ce grammème

dans notre modèle.

Nous ne connaissons qu’une seule acception au grammème impératif ; il sert à

exprimer une «requête», au sens large:

(49) Passe-moi le sel.

(50) Essayez en tournant de l’autre côté, peut-être.

Ce grammème ne se combine qu’à la deuxième personne du singulier et du plu-

riel ainsi qu’à la première personne du pluriel.

3.4 Le conditionnel

Le conditionnel appelle quelques commentaires. Longtemps considéré comme

un mode, il est aujourd’hui rangé parmi les temps de l’indicatif par la plupart des

grammaires contemporaines. Entre autres, Grevisse (1993), Leeman-Bouix (1994)

ou encore Riegel, Pellat et Rioul (1994) soutiennent que les formes du conditionnel

expriment des sens tant temporels [Ils nous ont dit qu’ils finiraient le lendemain]

que modaux [J’en prendrais bien un peu], tout comme d’autres formes de l’indica-

tif, tel le futur simple [Il viendra demain (sens temporel) ~ Il se sera sans doute

perdu (sens modal)], et en concluent qu’il s’agit donc d’une forme de l’indicatif.

Par ailleurs, Le Goffic (1997) estime que le conditionnel a d’abord une valeur

d’affirmation sous condition qui le rangerait parmi les formes exprimant un juge-

ment, ce qu’il considère être le propre de l’indicatif.

Nous sommes également d’avis qu’il faut ranger le conditionnel parmi les for-

mes de l’indicatif, mais pas tout à fait pour les même raisons. Bien qu’il est vrai

que le conditionnel, tout comme certaines formes de l’indicatif, peut porter aussi

bien des sens temporels que modaux, il reste qu’il est fréquemment utilisé comme

marqueur de sens typiquement modaux (par exemple, le doute ou la réserve [Le

suspect aurait fait feu en direction des policiers] — très commun dans les textes

journalistiques — ou encore l’atténuation [Je prendrais une frite s’il vous plaît]),

alors que les autres formes de l’indicatif ne portent pas aussi fréquemment de sens

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

143

modaux. Qui plus est, comme le note Gosselin (1996: p. 223), le conditionnel ne

porte un sens temporel que dans des propositions subordonnées [Ils ont dit qu’ils

viendraient]. Lorsqu’un verbe principal est au conditionnel, il exprime presque

toujours un sens modal, et non temporel [Ils viendraient (il semble qu’ils vien-

nent)]. Ce n’est évidemment pas le cas des autres formes synthétiques de l’indica-

tif, qui peuvent porter un sens temporel peu importe leur position dans la structure

syntaxique.

Selon les critères de l’interprétation spontanée et du sommet syntaxique (cf.

Ch. IV, § 4, p. 53), ces deux faits nous porteraient à croire que les formes du condi-

tionnel expriment plus un sens modal que temporel et que nous avons affaire à un

mode qui peut à l’occasion exprimer des sens temporels, et non à un temps qui peut

exprimer des sens modaux (comme le fait le futur simple, par exemple). Toutefois,

dès qu’on prend en considération les formes analytiques de l’indicatif (que nous

présenterons dans les sections qui suivent), on constate que le conditionnel à valeur

temporelle n’est pas le seul à ne pouvoir apparaître que dans des propositions

subordonnées: c’est aussi le cas notamment des formes construites avec un auxi-

liaire AVOIR à l’imparfait (plus-que-parfait et plus-que-parfait surcomposé). Cette

restriction peut s’expliquer par le caractère «anaphorique» du sens dénoté par ces

formes (nous y reviendrons plus loin, § 6, p. 177). Quant à la fréquence relative-

ment élevée des occurrences du conditionnel à valeur modale par rapport aux

occurrences à valeur temporelle, elle s’explique aisément par l’utilité relative de

ces sens dans les situations réelles de communication. Il est effectivement plausi-

ble qu’il soit plus souvent nécessaire d’exprimer la politesse, le doute ou la

réserve, par exemple, que de situer un fait dans le temps d’une façon aussi com-

plexe que le fait le conditionnel. Le sens seul ne permet donc pas de décider si le

sens de base du conditionnel est d’ordre temporel ou modal, c’est-à-dire s’il faut

ranger le conditionnel parmi les temps ou les modes.

De toute façon, le conditionnel est un signe complexe qui peut s’analyser en la

combinaison du futur simple et de l’imparfait. Il est encore trop tôt pour démontrer

cette affirmation mais nous verrons plus loin (§ 6, p. 177) que dans sa valeur tem-

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

144

porelle ((futur par rapport au passé)), le conditionnel est strictement composition-

nel. Dans ses emplois modaux, le conditionnel est un phrasème grammémique. Il

en découle qu’il ne s’agit pas d’un grammème superficiel, mais de la combinaison

de deux grammèmes superficiels; aussi la question de savoir s’il faut le ranger

parmi les modes ou les temps n’a-t-elle aucun sens.

3.5 Synthèse

Nous avons donc dans notre modèle une catégorie flexionnelle de mode conte-

nant trois grammèmes, qui s’expriment tous par un suffixe:

• Le grammème indicatif est sélectionné par défaut. Son signifié n’est pas

sémantique et son signifiant est un suffixe zéro. Les verbes à l’indicatif doi-

vent porter des grammèmes temporels.

• Le grammème subjonctif, dans son acception de base, est généralement

imposé par le régime d’une lexie. Il s’exprime par le suffixe –I– (dont les

allomorphes sont –i– aux première et deuxième personnes du pluriel et –Ø–

aux autres personnes) et sélectionne un radical particulier pour certains ver-

bes.

• Le grammème impératif exprime une «requête» au sens large. Il ne

s’exprime pas par un morphème particulier, mais par les suffixes –Ø– de

l’indicatif ou –I– du subjonctif, selon le verbe. Il ne se combine qu’aux pre-

mière et deuxième personnes du pluriel ainsi qu’à la deuxième personne du

singulier.

4 Les formes surcomposées

Nous quittons maintenant le domaine des grammèmes syntaxiques puisque les

formes qu’il nous reste à disséquer sont celles qui expriment des sens d’ordre tem-

porel ou aspectuel. Ce sont elles qui nous intéressent réellement dans le cadre de

cette thèse. Nous allons aborder leur étude en commençant, pour ainsi dire, par le

dessert, c’est-à-dire par les formes dites «surcomposées». Il peut sembler étrange

d’aborder le problème sous cet angle, puisque ces formes sont finalement assez

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

145

marginales et ne sont habituellement mentionnées qu’en dernier lieu dans les

grammaires, voire pas du tout, mais nous verrons qu’elles fournissent de précieux

indices sur la nature de l’auxiliaire AVOIR et sur l’articulation des catégories de

mode, de temps et d’aspect.

4.1 Définition et acceptabilité des formes surcomposées

Nous entendons par «forme surcomposée» toute forme verbale contenant

soit deux auxiliaires AVOIR, soit un auxiliaire AVOIR et un auxiliaire ÊTRE (qui

n’est pas la copule d’une forme passive). Par exemple: il a eu fini, il a été parti, il

s’était eu habillé, etc. Ces formes sont mentionnées dans la plupart des ouvrages

(on en parlait déjà dans les grammaires au XVIe siècle) mais en général peu discu-

tées sous prétexte qu’elles sont rares.

Ces formes sont par ailleurs souvent stigmatisées en raison de leur forte associa-

tion à la langue orale ou encore à un parler «rural». Pourtant, deux études systéma-

tiques et relativement récentes de Jolivet (1984) et de Hill (1984) suggèrent que les

formes surcomposées sont plus utilisées et acceptées dans les groupes sociaux-éco-

nomiques les plus élevés et par les locuteurs les plus instruits ou les plus vieux.

Mais une étude plus récente de Carruthers (1999) indique qu’en fait la réalité est

un peu plus complexe, et que les résultats dépendent beaucoup du type de test uti-

lisé (questionnaire écrit, questionnaire oral ou entrevue dirigée). Dans le discours

libre, les locuteurs ont tendance à éviter les constructions propices à l’apparition de

surcomposés, alors que lorsqu’on les soumet à des questionnaires et qu’on les

force à utiliser ces constructions, ils sont d’autant plus susceptibles d’utiliser ces

formes qu’ils sont instruits.

Tous les auteurs ne s’entendent pas sur la liste des formes surcomposées gram-

maticalement correctes; il est donc nécessaire de régler cette question avant de

poursuivre. En appliquant mécaniquement la surcomposition à toutes les formes

composées, on obtient l’ensemble des formes surcomposées théoriquement possi-

bles (nous faisons ici abstraction des formes avec un auxiliaire ÊTRE):

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

146

De ces onze formes surcomposées hypothétiques, nous n’en considérons que

deux comme clairement grammaticales (les deux premières). Deux autres, le

«conditionnel surcomposé» et le «futur antérieur surcomposé», nous font hésiter

en raison de leur usage limité, mais ne nous semblent pas agrammaticales.

La forme hypothétique *eu eu su, construite sur une forme composée elle-même

agrammaticale (*eu su), ne présente aucun intérêt. Pour toutes les autres formes

cependant, on trouve dans la littérature scientifique des exemples plus ou moins

convaincants qu’il convient de passer en revue afin de justifier nos jugements de

grammaticalité.

4.1.1 Le passé surcomposé

On appelle généralement ainsi les formes surcomposées construites sur la base

du passé composé. Le passé surcomposé fait consensus sur au moins deux points.

D’abord, bien que rare, il est de loin la forme surcomposée la plus fréquente (des

14 formes surcomposées relevées par Carruthers (1996) dans son corpus, toutes

étaient des passés surcomposés). Ensuite, on lui reconnaît un sens de base qui com-

Forme simple Forme composée Forme surcomposée

fait a fait a eu fait

faisait avait fait avait eu fait

ferait aurait fait ?aurait eu fait

fera aura fait ?aura eu fait

fit eut fait *eut eu fait

fasse ait fait *ait eu fait

fît eût fait ?eût eu fait

faisons! ayons fait! *ayons eu fait!

faire avoir fait ?avoir eu fait

faisant ayant fait ?ayant eu fait

fait *eu fait *eu eu fait

Tableau XV — Les formes surcomposées théoriquement possibles

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

147

bine l’aspect accompli et l’antériorité (nous reviendrons un peu plus loin sur la

question, § 4.5, p. 158), comme dans la phrase suivante:

(51) Quand nous avons eu fini de goûter, j’ai fait goûter Noël.Duras, citée par Grevisse (1993: § 788)

Cette construction est sémantiquement équivalente à un passé antérieur:

(52) Quand nous eûmes fini de goûter, je fis goûter Noël.

Elle n’est toutefois pas équivalente à un passé composé. En effet, il y a une sub-

tile nuance entre cette phrase et la phrase ci-dessous:

(53) Quand nous avons fini de goûter, j’ai fait goûter Noël.

En (53), le passé composé avons fini renvoie directement au moment où la col-

lation des uns s’est terminée (moment auquel Noël a pu avoir la sienne), alors

qu’en (51) on fait référence non pas à cet instant, mais à la phase qui le suit. La dif-

férence entre j’ai eu fait et j’ai fait est la même qu’entre j’ai fait et je fais.

Pourtant, bien qu’il existe clairement une différence sémantique entre le passé

surcomposé et le passé composé, les locuteurs semblent avoir tendance à utiliser

les deux formes indistinctement lorsqu’on les soumet à des tests linguistiques

visant à provoquer l’usage du surcomposé. En utilisant des techniques différentes,

Hill (1984) et Carruthers (1999) ont obtenu des résultats très similaires quant au

taux d’utilisation effective du passé surcomposé. Dans les contextes où on aurait

attendu cette forme, moins du quart (22,1 % selon Hill, 23 % d’après Carruthers)

des répondants l’ont effectivement utilisée, contre 33,8 % (d’après Hill) qui ont

utilisé un passé composé32. Pourquoi? Hill fournit une explication du phénomène:

cela dépend tout simplement de la façon dont les répondants ont interprété la situa-

tion qu’on leur demandait d’exprimer. Par exemple, dans ce test, les répondants

devaient compléter la phrase Lorsqu’il (finir) son travail, il est rentré chez lui.

D’après Hill, ceux qui avaient en tête le fait de terminer le travail auraient utilisé le

passé composé, et ceux qui avaient en tête l’état résultant d’avoir fini le travail

auraient utilisé le passé surcomposé (ou le passé antérieur). Il faut cependant consi-

32. Autant de locuteurs ont utilisé le passé antérieur dans l’étude de Hill.

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148

dérer aussi la possibilité que s’opère une neutralisation de ces formes chez certains

locuteurs, qui peuvent par exemple utiliser les phrases (51) et (53) ci-dessus indis-

tinctement pour décrire la même situation. L’étude de Carruthers (1996) montre

très clairement qu’il y a de bonnes raisons de le croire: «The data suggest that

while the surcomposé is used only in a minority of cases (23%), it is the passé

composé which is used in most subordinate temporal clauses marking anteriority in

relation to a main clause passé composé (72.1%)» (p. 188).

Fait intéressant à noter, l’étude de Hill (1984) suggère que plus les répondants

sont âgés, plus ils ont tendance à utiliser le passé surcomposé. Pour la phrase

Lorsqu’il (finir) son travail, il est rentré chez lui, seulement 14,3 % des moins de

20 ans ont utilisé le passé surcomposé, contre 22,2 % des répondants entre 21 et 50

ans, et 38,5 % des plus de 50 ans (il faut noter cependant que l’échantillon ne

comptait que 68 répondants au total). L’auteur y voit une régression du surcom-

posé, mais d’autres explications sont à considérer. Il est possible en effet que cette

forme soit acquise tard, peut-être à cause de sa rareté et de la subtilité de son sens.

Il est également possible que ces différences soient dues à une plus grande con-

fiance des personnes âgées en leurs capacités linguistiques, ce qui les ferait moins

hésiter face à une forme rare et stigmatisée. Enfin, il faut considérer le fait que les

personnes nées avant 1934 ont en moyenne été beaucoup moins scolarisées et sont

peut-être moins conscientes d’utiliser une forme stigmatisée. Il s’agit là d’hypo-

thèse que nous ne sommes pas en mesure de vérifier et qui dépassent le cadre de

notre thèse, mais il nous semble en tout cas précipité d’annoncer le déclin du passé

surcomposé.

Toutes les études dont nous avons connaissance sur le sujet ont montré l’impor-

tance du contexte syntaxique pour les formes surcomposées. Premièrement, le

passé surcomposé, dans le sens que nous avons considéré jusqu’ici, ne se trouve

que dans des propositions temporelles subordonnées (qui dépendent généralement

d’une proposition principale au passé composé). Il a également fortement tendance

à apparaître simultanément avec un marqueur explicite d’antériorité du type

quand, dès que, une fois que, etc. (cf. Carruthers 1996). On remarque aussi que ce

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

149

sont souvent les verbes FINIR, TERMINER, etc. qui portent cette forme, mais il ne

s’agit pas là d’une contrainte.

On trouve également dans presque tous les travaux sur les surcomposés des

exemples du type suivant (on trouve aussi des exemples avec TÔT ou BIENTÔT au

lieu de VITE):

(54) Ce petit vin nouveau […] a eu vite grisé tous ces buveurs de bière.Daudet, cité par Grevisse (1993: § 788)

Ici, ce qui semble être un passé surcomposé se trouve dans une proposition

indépendante. Mais nous croyons qu’il y a là une locution kAVOIR VITEl (et qu’il

existe aussi les locutions kAVOIR TÔTl et kAVOIR BIENTÔTl). D’une part, ces cons-

tructions ne se laissent pas modifier librement. On ne peut pas, par exemple, rem-

placer VITE, TÔT ou BIENTÔT par d’autre adverbes comme RAPIDEMENT,

BRUSQUEMENT, SOUDAINEMENT, ENCORE, etc.33 On ne peut pas non plus l’utili-

ser sans auxiliaire. D’autre part, on peut voir dans la phrase suivante, par exemple,

que le sens de cette locution n’est pas tout à fait compositionnel:

(55) Les «élites» off shore, en particulier en France, ont tôt fait de qualifier de«nationalisme» l’attachement des peuples à leur langue, alors que c’estparfois tout ce qui leur reste pour «faire société» et s’inscrire dans unehistoire partagée.

Manière de voir, numéro 97 (février/mars 2008), p. 5

Ici, la locution est utilisée sans deuxième auxiliaire AVOIR, ce qui simplifie un

peu les choses. On voit bien que ont tôt fait n’est pas un banal passé composé, qu’il

s’agit là d’un présent (notons le présent c’est dans la deuxième partie de la phrase).

On peut en effet paraphraser la construction par un verbe au présent, par exemple

S’EMPRESSER [Les élites s’empressent de qualifier…]. Ainsi, la construction qu’on

trouve en (54) n’est rien d’autre que le passé composé de la locution kAVOIR VITEl,

et non pas un passé surcomposé de FAIRE.

33. Dans le cas des adverbes en –ment, il est possible que ce soit dû au fait qu’ils vont depréférence après le verbe. Il n’est toutefois pas impossible de les mettre avant le participepassé dans une forme composée [Ils ont rapidement remonté la pente].

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

150

Enfin, on mentionne dans la littérature sur le sujet d’autres sens du passé sur-

composé, mais il s’agit d’usages limités à quelques variétés du français, et ils doi-

vent donc être exclus de notre étude. Nous insistons plus loin sur ce point (§ 4.3,

p. 156).

4.1.2 Le plus-que-parfait surcomposé

La seule autre forme surcomposée qui soit relativement bien représentée dans

les corpus est le «plus-que-parfait surcomposé», construit à partir du plus-que-par-

fait. Cette forme est au plus-que-parfait et à l’imparfait ce que le passé surcomposé

est au passé composé et au présent, tant dans le sens que dans la forme. Ses condi-

tions d’emploi sont les mêmes que pour le passé surcomposé, si ce n’est que le

verbe dont dépend la proposition temporelle où se trouve cette forme est normale-

ment au plus-que-parfait (plutôt qu’au passé composé):

(56) Quand il avait eu rassemblé les plus effrontés de chaque métier, il leuravait dit: régnons ensemble.

Stendhal, cité par Grevisse (1993: § 788)

Comme pour le passé surcomposé, on a tendance à confondre le plus-que-par-

fait de kAVOIR VITEl avec un plus-que-parfait surcomposé:

(57) Ah! L’idiote avait eu vite fait de se couler! Il n’avait pas fallu deux moispour que le fils bien-aimé revînt dormir dans son petit lit de collégien.

Mauriac, cité par Cornu (1953: p. 113)

Ce que nous avons dit plus vaut ici. Par ailleurs, il existe des emplois dialectaux

de cette formes, que nous ignorons dans le cadre de cette thèse. Le lecteur intéressé

par le sujet pourra consulter en particulier Cornu (1953).

4.1.3 Le conditionnel surcomposé

En surcomposant le conditionnel passé, on obtient le conditionnel surcomposé.

D’après une étude de Jolivet (1984) sur l’acceptabilité des surcomposés, ces for-

mes ne seraient pas particulièrement acceptés, bien au contraire, sauf en proposi-

tion relative. Pourtant, le Dictionnaire de l’Académie française (1878) donne un

exemple d’une telle forme en proposition indépendante sous l’entrée AVOIR :

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(58) Sans lui, j’aurais eu dîné de meilleure heure.Académie française (1878)

La phrase ne nous semble pas particulièrement mauvaise, quoique peut-être peu

naturelle. On peut en fournir un vague équivalent dans un style plus familier:

(59) (fam) J’aurais eu fini bien avant si tu m’avais pas dérangé.

La nuance par rapport au conditionnel passé (j’aurais fini…) est la même que

pour les autres formes surcomposées déjà mentionnées: on fait référence ici non

pas au moment où le locuteur termine son action, mais à la phase qui suit ce

moment.

Pour ce qui est de l’usage de cette forme en proposition relative, Damourette et

Pichon en citent un exemple qui nous semble tout à fait correct, où on voit encore

mieux la nuance sémantique entre le conditionnel passé et le conditionnel

surcomposé:

(60) Lorsqu’il aurait eu dit: «Le roi de France et trois cent mille citoyensfurent égorgés, fusillés, noyés […]». Quels mots aurait-il mis au-dessousde pareilles choses?

Hugo, cité par Damourette & Pichon (1911–1950: § 1862)

Remarquons que le suffixe que porte le premier auxiliaire d’un conditionnel

surcomposé ne peut exprimer qu’un sens modal. Il ne s’agit pas d’un «futur du

passé» [*Il a promis qu’il aurait eu fini avant 15h]. Cela contraste avec le condi-

tionnel passé, où le même suffixe peut très bien exprimer un sens temporel qui

s’ajoute au sens aspectuel de l’auxiliaire [Il a promis qu’il aurait fini avant 15h].

Enfin, notons que la locution kAVOIR VITEl peut également se trouver au condi-

tionnel passé, et qu’on peut alors la confondre avec le conditionnel surcomposé de

FAIRE:

(61) En cas d’alerte, chacun aurait eu vite fait de retrouver son bien.Bazin, cité par Cornu (1953: p. 132)

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4.1.4 Le futur antérieur surcomposé

Plus rare encore est la forme surcomposée construite à partir du futur antérieur.

Jolivet (1984) note que toutes les formes surcomposées à valeur de futur [il aura

eu fait] ou hypothétique [s’il avait eu fait] sont «sévèrement jugées», dans le cadre

de son étude sur l’acceptabilité des surcomposés. Son article n’insiste toutefois pas

sur ce point et se concentre plutôt sur les trois autres formes dont nous venons de

parler. On trouve cependant dans la littérature l’exemple suivant, qui ne nous sem-

ble pas clairement agrammatical:

(62) On pense que M. Tardieu en aura eu fini hier soir avec les résistances duDr Schacht, il aura pris le train de 20 heures pour être à 6h30 à Paris,tenir à 10 le conseil des ministres.

Maurras, cité par Damourette et Pichon (1911–1950: § 1859)

Dans cette phrase, la forme surcomposée ne peut pas être remplacée par un futur

antérieur sans que n’en soit altéré le sens. Par contre, il faut noter que ce futur anté-

rieur surcomposé ne situe pas le fait dénoté comme postérieur à quoi que ce soit.

Comme pour le conditionnel surcomposé, le suffixe du futur qu’on trouve sur le

premier auxiliaire du futur antérieur surcomposé ne peut avoir qu’un sens modal; il

sert à exprimer une conjecture. C’est en fait la combinaison du futur de supposition

(cf. § 6.4.4, p. 213) et de l’accompli (cf. § 5.2, p. 166).

4.1.5 Les autres «formes surcomposées»

Les surcomposés que nous venons de voir sont à notre avis les seuls qui existent

en français standard contemporain. Les autres formes mentionnées dans les tra-

vaux sur le sujet, soit relèvent de dialectes que nous ne considérons pas dans notre

travail, soit nous paraissent douteuses, voire carrément agrammaticales. Malheu-

reusement, le passé surcomposé, le plus-que-parfait surcomposé et le conditionnel

surcomposé ont monopolisé l’attention des rares études systématiques qui ont été

faites sur l’acceptabilité des surcomposées, si bien que nous n’avons pour nous

guider que peu de données sur les autres formes surcomposées.

Le soi-disant passé antérieur surcomposé (*eut eu fait) est, comme le note Gre-

visse (1993: § 788) «inconnu de la langue parlée, très rare dans l’écrit». La raison

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en est tout simplement que cette forme n’est pas grammatical à notre avis. Consi-

dérons par exemple la citation suivante:

(63) Son fils était resté à terre pour fermer la barrière. Quand il eut manœuvréet que la voiture l’eût [sic] eu franchie34, le petit courut pour grimperauprès de son père.

Vialar, cité par Grevisse (1953: § 788)

Nous ne voyons pas ce que ce double auxiliaire apporte de plus qu’un simple

auxiliaire. Cornu (1953) est également d’avis que le passé antérieur surcomposé

est incorrect, mais il croit qu’il exprime quand même une nuance qui lui est propre,

mais «dont on ne voit pas nettement la nécessité» (ib., p. 126).

Le prétendu subjonctif passé surcomposé (?ait eu fait) ne nous paraît pas non

plus apporter quelque nuance que ne saurait exprimer un subjonctif passé:

(64) Je me serais ennuyée à mourir avant qu’il n’ait eu fini, si je n’avais pasété installée près de cette fenêtre-là.

Paratte, cité par Grevisse (1953: § 788)

Quant au subjonctif plus-que-parfait surcomposé (*eût eu fait), encore une fois

inconnu de la langue parlée et rare à l’écrit selon Grevisse (ib.), il est assez difficile

d’en trouver un exemple convaincant. On trouve dans Le bon usage les exemples

suivants:

(65) De par la rage de sa passion Jacques eût eu acquis des boutons sur la faces’il n’eût eu Martine pour s’exercer.

Queneau, cité par Grevisse (1993: § 788)

(66) Après que j’eusse eu fini nous fûmes invités […] à une soiréeVerlaine, cité par Grevisse (1993: § 788)

Il note que l’exemple de Queneau est une plaisanterie, et que celui de Verlaine

est «surprenant à tous égards» (en effet, la concordance d’un subjonctif plus-que-

parfait surcomposé avec un passé simple est plutôt douteuse).

34. Grevisse interprète cette forme comme un passé antérieur surcomposé, bien que eût soitune forme de l’imparfait du subjonctif. L’auteur a-t-il mis un accent circonflexe où iln’en fallait pas, ou voulait-il vraiment avoir ici un subjonctif plus-que-parfaitsurcomposé? Quoi qu’il en soit, les deux formes nous semblent incorrectes.

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Les verbes conjugués avec ÊTRE peuvent porter à confusion, puisque leur parti-

cipe passé a bien souvent un adjectif homonyme. Dans les exemples suivants, nous

croyons qu’on a affaire à des adjectifs utilisés avec le plus-que-parfait du subjonc-

tif de la copule ÊTRE, et non à des formes surcomposées:

(67) Gustin se soumettait à toutes mes volontés, comme s’il eût été né pourm’obéir.

Quinet, cité par Grevisse (1993: § 788)

(68) Une heure plus tard, il eût été parti pour l’Amérique.Balzac, cité par Cornu (1953: p. 143)

Enfin, le participe surcomposé et l’infinitif passé surcomposé ne sont pas de

meilleurs candidats:

(69) Ayant eu terminé son travail avant midi, il a pu avoir son train ordinaire.Grevisse (1993: § 788)

(70) Le plombier est parti sans avoir eu achevé son travail.Grevisse (1993: § 788)

Dans ces deux exemples, les formes surcomposées se laissent remplacer par des

formes composées sans que le sens de la phrase ne soit en rien altéré. À ce propos,

citons Cornu, qui avait bien cerné le problème:

Si je veux faire entendre qu’un tel a coutume d’écrire un résumé des ouvragesqu’il lit, une fois sa lecture achevée, j’indiquerai l’antériorité de l’achève-ment de la lecture par rapport à la rédaction du résumé en recourant à lachronologie par changement d’aspect et je dirai: après avoir achevé sa lec-ture il en rédige un résumé. Si je rejette l’action de rédiger dans un passé liéau présent, je l’énoncerai au passé composé: il en a rédigé un résumé.L’action de rédiger se situe maintenant au deuxième plan. L’action d’acheverla lecture, plus ancienne, devrait donc glisser au troisième plan. Mais, préci-sément, ce décalage n’a pas lieu et toute la phrase s’énonce de la façonsuivante: après avoir achevé sa lecture il en a rédigé un résumé.

Cornu (1953: p. 145)

En résumé, les seules formes surcomposées que nous considérons correctes en

français standard contemporain sont le passé surcomposé (a eu fait), le plus-que-

parfait surcomposé (avait eu fait), le conditionnel surcomposé à valeur modale

(aurait eu fait) et le futur antérieur surcomposé à valeur modale (aura eu fait). Les

deux premières sont beaucoup plus fréquentes que les deux dernières, en particu-

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lier le passé surcomposé, qui est de loin la forme la plus fréquente de toutes. Nous

allons maintenant voir d’où proviennent ces formes et quelle en est la structure.

4.2 L’origine des formes surcomposées

La première publication d’importance dédiée aux formes surcomposées, à notre

connaissance, a été celle de Foulet (1925), qui s’est attaché à retracer l’origine et

l’évolution du «passé surcomposé» et du «plus-que-parfait surcomposé» (les for-

mes surcomposées construites sur la base, respectivement, du passé composé [il a

eu mangé] et du plus-que-parfait [il avait eu mangé]). Il estime que le passé sur-

composé serait apparu dès le XIIIe siècle, bien qu’il ne soit clairement attesté dans

les textes qu’à partir du milieu du XVe siècle, alors que le plus-que-parfait surcom-

posé est déjà clairement attesté au XIIIe siècle. C’est à peu près à cette époque, que

le passé simple aurait commencé à céder peu à peu le terrain au passé composé, à

l’origine rien d’autre qu’un parfait35. Ce serait donc en réponse au glissement

sémantique des formes composées (du parfait vers le prétérit) que se serait répandu

l’usage des surcomposés, afin de bien marquer l’aspect révolu de faits passés.

C’est du moins la thèse la plus généralement acceptée, bien qu’elle ne fasse pas

l’unanimité. Notamment, Grevisse (1993) est plutôt d’avis que le recul du passé

simple est postérieur à l’apparition des surcomposés, aussi préfère-t-il y voir un

simple mécanisme servant à marquer l’accompli par rapport aux formes compo-

sées. Il n’explique cependant pas pourquoi on aurait créé le passé surcomposé pour

remplacer le passé antérieur, alors que les deux avaient exactement le même sens.

Il semble que ce soit en fait le plus-que-parfait surcomposé qui soit apparu en pre-

mier pour marquer l’accompli par rapport au plus-que-parfait (ce qu’aucune forme

verbale ne pouvait exprimer auparavant), et que le passé surcomposé ait été créé

par analogie avec cette nouvelle forme. Cette hypothèse coïncide d’ailleurs avec

les observations de Foulet (1925), qui date l’apparition du plus-que-parfait sur-

composé dans les textes environ deux siècles avant celle du passé surcomposé.

35. Au XVe siècle, le passé composé à valeur de prétérit était déjà courant dans les textes, eton peut supposer qu’il lui a fallu un certain temps pour être admis à l’écrit.

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Le français est la seule des grandes langues romanes à connaître la surcomposi-

tion. Cependant, Cornu (1953) a relevé le phénomène dans plusieurs «patois»

gallo-romans, gallo-italiens et rhéto-romans, des langues et dialectes qui auraient

en commun avec le français d’avoir plus ou moins abandonné le passé simple,

selon Cornu:

[…] les formes en question sont un phénomène caractéristique des idiomesqui ont abandonné peu à peu l’emploi du passé simple (de l’imparfait dansles langues germaniques) et du passé antérieur (du plus-que-parfait dans leslangues germaniques) ou qui, tout au moins, ont fait du passé composé unrival équipollent du passé simple.

Cornu (1953: p. 249)

Il juge vraisemblable que les formes surcomposées, dans leur usage «standard»,

se soient développées dans ces langues et dialectes sans grande influence mutuelle.

On peut supposer que c’était pour résoudre le même problème, soit l’impossibilité

de marquer l’aspect révolu de faits passés par des formes simples ou composées (et

non surcomposées). Il croit cependant que les emplois dialectaux des surcomposés,

puisqu’ils se sont retrouvés très tôt dans les textes écrits, ont pu passer d’une lan-

gue ou d’un dialecte à l’autre.

4.3 Surcomposé général vs surcomposé régional

La distinction entre ce qu’on appelle le surcomposé général, c’est-à-dire

le surcomposé tel qu’on l’emploie en français standard, et le surcomposérégional, c’est-à-dire les usages du surcomposé dans certains dialectes du Sud de

la France, est très importante. En effet, les usages dialectaux du surcomposé diffè-

rent passablement des emplois standard, non seulement dans leur sens, mais égale-

ment parfois dans leur forme. Carruthers (1994) identifie cinq sens principaux que

peut porter le passé surcomposé dans les dialectes du Sud mais qui sont exclus en

français standard:

• (le fait est définitivement complété et il est peu probable qu’il se

reproduise);

• (le fait a eu lieu dans un passé éloigné);

• (le fait a eu lieu à une époque indéfinie ou indéterminée);

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• (le fait est d’une certaine façon exceptionnel);

• (le locuteur est directement impliqué dans le fait).

Pour ce qui est de la forme, elle diffère dans les dialectes en question pour les

verbes se conjuguant avec l’auxiliaire ÊTRE: alors qu’on a en français standard il a

été tombé, par exemple, on trouve dans ces dialectes il est eu tombé. D’après Joli-

vet (1984), cela s’expliquerait par le fait que les formes surcomposées sont structu-

ralement différentes dans ces dialectes. Rappelons d’abord la théorie de Tesnière

(1939), selon laquelle les formes surcomposées sont construites par la composition

de l’auxiliaire des formes composées, ce qui a pour conséquence que la coupure

entre les deux auxiliaires est moins forte qu’entre le deuxième auxiliaire et le

verbe, ce que Tesnière représentait ainsi: a / eu // fait. Jolivet note qu’il en découle

une plus grande séparabilité du verbe et du second auxiliaire, ce qui ce vérifie dans

l’usage standard, où c’est entre a eu et le verbe qu’ont tendance à s’insérer les

adverbes [quand il a eu assez mangé]. Or, il fait remarquer que cela ne se vérifie

pas dans l’usage dialectal, où c’est plutôt entre les deux auxiliaires que s’insèrent

les adverbes [tu as bien eu joué pourtant] (Jolivet, 1984: p. 172). Il en conclut que

dans les dialectes en question, la coupure est a // eu / fait, c’est-à-dire que eu fait

forment un bloc. Ce serait la raison pour laquelle on a il est eu tombé dans ces dia-

lectes au lieu de il a été tombé. À notre avis, la plus grande cohésion qu’on observe

en français standard entre a et eu, comparativement à eu et fait, est dû au fait que le

premier relève de la flexion, mais pas le second, comme nous le verrons dans les

sections suivantes (§ 5, p. 164 et § 6, p. 177).

Nous ne considérons dans notre travail que les emplois relevant du français

standard et ignorons totalement ceux propres à certaines variétés du français36, et à

plus forte raison ceux qu’on peut trouver dans d’autres langues. Le lecteur inté-

ressé par le surcomposé régional pourra consulter notamment les travaux de Foulet

(1925), Cornu (1953), ou encore Carruthers (1993, 1994, 1999).

36. Carruthers (1998) montre que la distinction entre surcomposé général et surcomposérégional n’est pas toujours très nette. Elle reste cependant importante, notamment auniveau de leur comportement syntaxique.

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4.4 La rareté des formes surcomposées

Ce qui complique l’étude des formes surcomposées est leur rareté. Une étude de

Carruthers (1996, 1999) a permis notamment de mesurer cette rareté. Sur un cor-

pus de 100 heures d’entrevue dirigée, on ne trouve que 14 occurrences de formes

surcomposées relevant du français standard (contre 60 occurrences de formes sur-

composées dialectales), alors que l’entrevue était justement conçue de manière à

favoriser la production de ces formes. Au cours de la même étude, seulement 30%

des adultes interrogés ont utilisé des formes surcomposées dans un «texte à trou»

écrit. Dans un test similaire à l’oral, ce nombre tombait à seulement 12%. De plus,

l’auteure signale que le passé surcomposé, c’est-à-dire la forme construite à partir

d’un auxiliaire AVOIR au présent [j’ai eu fait] est beaucoup plus courant que les

autres formes surcomposées. Ces données suggèrent que les formes surcomposées

ne sont pas facilement accessibles aux locuteurs du français. Pourtant, dans le

cadre d’un test d’acceptabilité réalisé lors de cette même étude, la majorité d’entre

eux (71%) considéraient ces formes correctes.

Le fait que des formes grammaticales aussi rares soient si largement acceptées

par les locuteurs suggère qu’il s’agit de formes compositionnelles, construites à

partir de signes plus simples et plus fréquents, dont seule la combinaison serait

rare. La seule chose qui soit à la fois propre seulement aux formes surcomposées et

commune à toutes celles-ci est la présence de deux auxiliaires (chacun imposant le

participe passé à son dépendant). Il faut maintenant déterminer s’il s’agit de deux

occurrences d’un même signe qui se combine à lui-même ou si on a affaire à deux

signes distincts.

4.5 Auxiliaire vague ou polysémique?

Ce qui caractérise les formes surcomposées est leur usage double de l’auxiliaire

AVOIR37. À notre connaissance, personne n’a encore cherché à déterminer de

façon rigoureuse s’il s’agissait de deux occurrences d’un même auxiliaire se com-

37. Afin d’alléger le texte, nous faisons abstraction dans cette partie de l’alternance AVOIR ~ÊTRE, puisqu’elle n’est pas pertinente pour notre propos.

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binant à lui-même, ou de deux auxiliaires se combinant entre eux. Dans les ouvra-

ges que nous avons consultés, on considère (souvent implicitement) qu’il s’agit

d’un seul auxiliaire qui se combine avec lui-même, sans que la position ne soit jus-

tifiée. Pourtant, certains faits suggèrent le contraire.

Premièrement, remarquons qu’il existe des formes à deux auxiliaires AVOIR,

mais jamais à trois ou plus38:

(71) j’ai fini

(72) j’ai eu fini

(73)* j’ai eu eu fini

Si on avait affaire à un auxiliaire se combinant avec lui-même, on pourrait

s’attendre à pouvoir en aligner un nombre en théorie illimité d’occurrences,

comme on peut le faire par exemple avec le préfixe RE- [Je vous le rereredis].

Nous voyons mal comment expliquer de façon élégante cette restriction sur la

combinatoire d’un éventuel auxiliaire AVOIR unique.

Deuxièmement, il est généralement admis, au moins depuis le célèbre article de

Benveniste (1959), que le passé composé peut exprimer soit l’antériorité (il com-

mute alors aisément avec le passé simple et est compatible avec un complément

«en + durée»), soit l’aspect accompli39 (auquel cas la substitution n’est pas possi-

ble, et on peut utiliser un complément «depuis + durée»):

(74) a. J’ai terminé le tableau en deux heures.

b. Je terminai le tableau en deux heures.

c. J’ai terminé le tableau depuis deux heures.

d. * Je terminai le tableau depuis deux heures.

38. Cornu (1953) fait état de formes «hypercomposées» à trois auxiliaires AVOIR danscertains patois de la Suisse romande, par exemple Mon père-gran a zau zu improntaoncapitô (mon grand-père a emprunté (du temps où il vivait encore) un capital) (ib. p. 225).Ces formes s’expliquent par le fait qu’elles sont construites sur la base de formessurcomposées non compositionnelles, c’est-à-dire que la construction à deux auxiliairesest figée.

39. Sur cette double valeur du passé composé, voir également Imbs (1960), Curat (1991) ouencore Leeman-Bouix (1994).

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La phrase (c) peut être paraphrasée en utilisant l’expression se trouver avoir

V–é40, qui fait ressortir le caractère actuel (et non passé) des formes marquant

l’accompli:

(75) a. Je me trouve avoir terminé le tableau depuis deux heures.

b. * Je me trouve avoir terminé le tableau en deux heures.

Les formes de l’accompli s’accommodent également très bien de l’adverbe

MAINTENANT, ce qui n’est pas le cas des formes qui marquent l’antériorité:

(76) a. Maintenant j’ai terminé le tableau.

b. * Maintenant je terminai le tableau.

Il y a donc clairement deux sens associés à l’auxiliaire au passé composé. Nous

reviendrons plus loin (§ 5, p. 164 et § 6, p. 177) sur ces sens, contentons-nous pour

l’instant de ces descriptions sommaires. Ce qui nous intéresse ici, nous le rappe-

lons, est de déterminer si ces deux sens correspondent à deux acceptions d’un

vocable polysémique, ou si nous avons affaire à un seul signe au sens vague. C’est

ici que nous sont utiles les formes surcomposées, puisqu’elles portent justement

ces deux sens. On peut le vérifier en paraphrasant un des auxiliaires AVOIR de la

phrase (77) ci-dessous par un passé simple et l’autre par l’expression se trouver

avoir V–é, ou encore en utilisant le passé antérieur:

(77) Dès que j’ai eu terminé ma soupe, je suis sorti.

(78) Dès que je me trouvai avoir terminé ma soupe, je sortis.

(79) Dès que j’eus terminé ma soupe, je sortis.

40. Cette construction est un peu lourde et peut-être vieillie, mais elle est attestée. Parexemple:Osera-t-elle se remontrer aux yeux d’un mari qu’elle adore, qu’elle se trouve avoirtrompé sans qu’il y ait de sa faute et qu’elle verra mourir de chagrin d’avoir pu songer àla prendre pour femme? (Marquis de Sade, La marquise de Telême ou les effets dulibertinage, 1788, texte en ligne). Ou encore: L’abhumanisme serait la disponibilitéabsolue, le refus de sanctionner le choix qu’on se trouve avoir fait, ou avoir subi, dansl’insondable passé, d’être un homme […] (Audiberti, L’ouvre-boîte, 1952, texte enligne). On la retrouve également au passé simple, où elle insiste sur le début de la phasedénotée par l’accompli: C’est ainsi que Tchartkov se trouva avoir acheté un vieuxportrait, en pensant à part soi: «Pourquoi l’ai-je acheté? Qu’est-ce que je vais enfaire?» (Gogol, Le portrait, 1835, texte en ligne, traducteur inconnu).

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161

Si on admet que les surcomposés se construisent avec deux lexies AVOIR, cha-

cune apportant un sens distinct, on voit très bien comment se compose le sens de

ces constructions.

D’ailleurs, la phrase (78) ci-dessus suggère que les deux auxiliaires des formes

surcomposées n’opèrent pas sémantiquement en bloc, mais que chacun est associé

à une composante précise du sens de ces formes. On peut identifier exactement

quel auxiliaire apporte quelle partie de ce sens, grâce à l’insertion de se trouver, qui

permet en quelque sorte de «marquer» l’auxiliaire de l’accompli afin de pouvoir

distinguer les deux AVOIR. Ainsi, on voit en (78) que j’ai eu terminé dénote un

état ((accompli)) qui a eu lieu dans le passé ((antérieur)), puisque se trouver porte le

suffixe du passé simple. On peut alors en conclure que le passé surcomposé indi-

que un «aoriste du parfait», et non un «parfait de l’aoriste» comme le soutenait

Benveniste (1959).

4.6 Les formes surcomposées et la voix

Dans la liste des formes surcomposées que nous avons donnée ci-dessus (§ 4.1,

p. 145) nous avons fait abstraction de la voix. Nous allons maintenant voir ce qu’il

en est de l’usage des formes surcomposées aux autres voix. Rappelons que nous

considérons dans notre modèle, outre la voix active, trois voix passives et deux

voix réfléchies (nous reprenons ici les exemples donnés plus haut, § 2, p. 132):

• Passif1: Alain a été rasé par Jean.

• Passif2: Une barbe de deux jours se rase sans difficulté.

• Passif3: Il a été procédé par le gouvernement au licenciement des fonc-

tionnaires inutiles.

• Réfléchi1: Alain se rase.

• Réfléchi2: Alain s’achète une maison. Alain se rase la barbe.

Les passif1 et passif3 correspondent au passif de la terminologie traditionnelle,

alors que les passif2, réfléchi1 et réfléchi2 correspondent à ce qu’on appelle habi-

tuellement la voix pronominale.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

162

Les formes surcomposées passives (au sens traditionnel du terme) étant rares,

on a tendance à les considérer avec suspicion:

On ne constate, dans la liste de nos exemples, aucun cas de forme surcompo-sée passive. C’est que le passif est déjà, dans les formes composées du passé,un surcomposé (cf. cela a été entendu); le surcomposé en ferait un supersur-composé, à quoi la langue semble répugner41.

Imbs (1960: p. 134)

Pourtant, elles ne sont pas forcément agrammaticales:

(80) Dès qu’Alain a eu été rasé par Jean, Hélène l’a embrassé. (passif1)

(81) Dès qu’il a eu été procédé par le gouvernement au licenciement des fonc-tionnaires inutiles, les problèmes ont commencé. (passif3)

Il est vrai cependant que les phrases qui en résultent peuvent sembler un peu

lourdes, mais ce n’est pas à notre avis à cause du nombre d’auxiliaires qu’elles

comptent. Il semble raisonnable effectivement de croire que plus on ajoute d’auxi-

liaires, moins la phrase est élégante, mais le français peut certainement tolérer la

présence de trois auxiliaires. Par exemple:

(82) Les condamnés vont déjà avoir été exécutés à notre arrivée.

(83) Les condamnés vont être sur le point de se faire fusiller à notre arrivée.

Le problème vient peut-être simplement du fait que le passif n’est pas particu-

lièrement utilisé en français et qu’il peut parfois sembler peu naturel, même au pré-

sent de l’indicatif. Sa combinaison avec le passé surcomposé, un temps encore plus

rare et assez fortement stigmatisé, en fait certainement reculer plusieurs. De fait,

on semble lui préférer, à l’écrit, le passé antérieur passif, même dans un texte où on

n’utilise pas le passé simple, comme on peut l’observer dans l’exemple suivant

(remarquez le passé composé dans la deuxième partie de la phrase):

(84) Après qu’il eut été déclaré inconstitutionnel en août dernier, le programmed’écoutes électroniques sans mandat judiciaire du président George W.Bush a reçu l’approbation de la Chambre des représentants, jeudi.

www.radio-canada.ca, 29 septembre 2006

41. Imbs adopte la définition de Tesnière (1939) du terme «surcomposé», qui désigne poureux toute forme comportant deux auxiliaires, sans égard à la nature de ces auxiliaires.Nous utilisons plutôt la définition la plus courante du terme, selon laquelle seules lesformes à deux auxiliaires AVOIR sont dites surcomposées (cf. § 4.1, p. 145).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

163

Les trois autres voix de notre modèle, qui correspondent à la voix pronominale

dans la tradition, sont aussi sujettes à la surcomposition42:

(85) Dès que le gâteau s’est eu tout mangé, Rita en a fait un deuxième.(passif2)

(86) Dès qu’Alain s’est eu rasé, Hélène l’a embrassé. (réfléchi1)

(87) Dès qu’Alain s’est eu rasé la barbe, Hélène l’a embrassé. (réfléchi2)

Les verbes essentiellement pronominaux ne se comportent pas différemment,

mais il faut noter que ces constructions présentent une particularité importante,

comme le remarquait entre autres Grevisse:

Les verbes pronominaux ne présentent pas les formes attendues […]: Quandje me suis assis (passé composé) → *Quand je m’ai été assis, mais → Quandje me suis eu assis (passé surcomposé). Il y a comme une permutation desauxiliaires, à cause du fait que le pronom réfléchi ne peut pas être suivi del’auxiliaire avoir.

Grevisse (1993: § 788)

Cela contraste avec les verbes qui se conjuguent avec ÊTRE mais qui ne sont pas

pronominaux:

(88) Quand il a été parti, les enfants sont sortis de leur cachette43.

Encore une fois, ces faits nous portent à croire qu’en français standard, le

second auxiliaire des formes surcomposées n’est pas d’ordre flexionnel alors que

le premier l’est. Tout se passe comme si le second auxiliaire devenait la nouvelle

base de la construction pronominale, c’est-à-dire que le passé composé dans J’ai

déjà mangé n’est pas une forme fléchie de MANGER au sens strict. C’est la position

que nous défendons dans les sections suivantes (§ 5, p. 164 et § 6, p. 177).

42. Une étude de Carruthers (1999) suggère cependant que les verbes pronominauxsurcomposées sont d’un emploi très rare (son corpus n’en a révélé aucune occurrence,contre 14 occurrences de verbes non-pronominaux surcomposés). Une requête pour«s’est eu» sur Google nous a retourné un nombre anormalement élevé de sites et delivres qui traitent des surcomposés, ce qui est assez symptomatique. Nous avonsnéanmoins trouvé cet exemple authentique: Quand il s’est eu calmé je lui ai bienexpliqué pourquoi je peux pas le laisser se comporter comme ça (blog Matahari’s new’s[sic]).

43. Dans les dialectes du Sud de la France, au contraire, les verbes qui se conjuguent avecÊTRE présentent l’ordre inverse [(rég.) Quand il est eu parti…].

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

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4.7 Synthèse

Les formes surcomposées nous révèlent qu’il existe en français deux auxiliaires

AVOIR qui ne sont pas toujours interchangeables: un qui exprime l’antériorité

(nous l’appellerons dorénavant AVOIRant) et un autre qui exprime l’aspect accom-

pli (que nous appellerons AVOIRacc). On notera que cette ambiguïté de AVOIR se

trouve tant dans le plus-que-parfait que dans le passé composé, comme le révèlent

les tests «en + durée» et «depuis + durée»:

(89) a. J’ai terminé le tableau en deux heures.

b. J’ai terminé le tableau depuis deux heures.

(90) a. J’avais terminé le tableau en deux heures.

b. J’avais terminé le tableau depuis deux heures.

On a pu également déterminer que le temps avait portée sur l’aspect, et non

l’inverse, c’est-à-dire que les formes surcomposées sont formées de la séquence

«AVOIRant + AVOIRacc + V».

Nous tenterons dans les sections qui suivent de cerner la différence sémantique

entre ces deux auxiliaires et de déterminer de façon plus précise la nature de leur

sens, en commençant par l’accompli.

5 Les phases aspectuelles

Nous venons de voir qu’il existe deux auxiliaires AVOIR: un qui exprime

l’accompli (AVOIRacc) et un autre qui exprime l’antériorité (AVOIRant). Nous les

considérons comme des lexies distinctes qui peuvent être étudiés séparément, bien

qu’elles soient étroitement liées. Nous allons d’abord nous pencher sur AVOIRacc

ainsi que sur les lexies qui lui sont apparentées, et nous reviendrons sur AVOIRant

et ses semblables à la section suivante (§ 6, p. 177). Nous nous intéresserons dans

la présente section principalement aux formes construites avec les auxiliaires

AVOIRacc ou ALLER, ou encore avec la locution prépositive kEN TRAINl44.

44. Il est possible que en train soit un seul mot-forme. La question ne nous intéresse pas ici.

Page 165: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

165

Ces signes ont notamment en commun d’être souvent regroupés dans la littéra-

ture sous le terme d’«aspect». Le terme semble approprié, puisque les signes en

question font tous référence d’une façon ou d’une autre à la structure temporelle

interne des faits en ce qu’ils insistent sur le début, la continuation ou la fin de ces

faits. Cependant, on regroupe également sous le terme d’«aspect» d’autres phéno-

mènes linguistiques qu’il ne faut pas confondre avec ceux à l’étude ici, notamment

la perfectivité (nous reviendrons plus loin sur ce type d’aspect, § 6.1.2, p. 181).

Nous préférons donc utiliser le terme «aspect» dans un sens générique qui englobe

un éventail de phénomènes linguistiques. Pour les signes qui nous intéressent ici,

nous utilisons le terme de «phase aspectuelle», dont nous allons tout de suite préci-

ser le sens.

5.1 Les phases naturelles et leur manifestation en français

Les faits dénotés par les verbes ont une certaine durée (éventuellement presque

nulle dans le cas des faits ponctuels) et par conséquent ils divisent le temps réel en

trois phases naturelles: l’avant, le pendant et l’après.

D’après Wagner & Pinchon (1962), cette réalité se reflète dans le système gram-

matical du français, et ils décrivent les auxiliaires, semi-auxiliaires et locutions

prépositives en fonction de ces phases et des bornes qui les délimitent. Ce que nous

appelons «phase aspectuelle»45 est une catégorie flexionnelle hypothétique

dont les grammèmes serviraient à refléter ces phases naturelles. Nous nous propo-

sons d’étudier sous cet angle les signes qui nous intéressent ici, puis nous discute-

rons le statut de cette catégorie flexionnelle hypothétique.

Figure 20 — Le découpage du temps réel en trois phases par un fait

45. Afin d’alléger le texte, nous utilisons aussi parfois le terme «phase» tout court.

manger

avant pendant après

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

166

5.2 L’accompli

Pour Wagner & Pinchon (1962), l’auxiliaire AVOIRacc dénote la phase qui suit

un fait. Cela rejoint l’idée largement consensuelle selon laquelle le passé composé

situe un fait dans le passé tout en ayant un lien avec le présent, voire tout en étant

carrément un présent. En fait, l’accompli ne situerait pas vraiment un fait dans le

passé, mais il dénoterait plutôt un état tout à fait contemporain. Cet état pourrait se

définir comme suit: (X a Y–é) = (X se trouve dans l’état qui suit le fait Y)46. Cette

définition n’est toutefois pas adéquate, puisqu’il est possible de dire Il a plu, situa-

tion qui n’implique pas d’actant. Nous allons donc plutôt définir la phase accom-

plie ainsi: (avoir X–é) = (la période qui suit le fait X a cours). Ce n’est que par

inférence qu’on déduit que le fait dénoté par le verbe s’est déroulé dans le passé,

mais cette information ne fait pas partie du sens de l’accompli, comme l’a si bien

formulé Leeman-Bouix (1994) à propos de la phrase Il faut que j’aie fait les courses à

3 heures :

L’interprétation «passé» vient de ce que, si les courses sont présentéescomme faites à 3 heures, on en déduit qu’elles ont été faites avant 3 heures,donc, si l’on veut, dans le passé par rapport à 3 heures; mais cette consé-quence interprétative ne nous autorise pas à définir aie fait comme exprimantle passé.

Leeman-Bouix (1994: p. 56)

On retrouve la même idée chez Mel’čuk (1994), qui explique que «le pont entre

le temps et l’aspect est assuré par (accompli), qui, psychologiquement, implique

l’idée de (passé)» (p. 51). Nous sommes d’accord avec eux et croyons que

l’accompli ne présente pas un fait comme étant avant maintenant, mais plutôt

maintenant comme étant après un fait. Cette différence de perspective est à notre

avis ce qui distingue l’accompli du passé. Nous y reviendrons dans notre discus-

sion du temps passé (§ 6.4.2, p. 205).

Selon la position relative de la phase accomplie par rapport au moment d’énon-

ciation (qui peut se trouver dans cette phase ou non), l’auxiliaire AVOIRacc peut

46. C’est aussi ce que semblent vouloir exprimer Wagner & Pinchon (1962: p. 348) quandils disent que J’ai vu équivaut à Je suis dans la situation de quelqu’un qui a vu, mais lacircularité de leur définition la rend inexploitable.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

167

être fléchi de diverses façons. Par exemple, si au moment où j’utilise la construc-

tion «AVOIRacc + mangé» je me trouve dans la phase qui suit le fait de manger,

alors la phase dénotée par «AVOIRacc + mangé» est simultanée au moment d’énon-

ciation (que nous symbolisons par T0), ce qu’on peut représenter visuellement

comme ceci:

Dans cette situation, l’auxiliaire AVOIRacc doit absolument être au présent:

(91) Il a mangé.

Autrement, si la phase dénotée par l’accompli ne commence qu’après le

moment d’énonciation, il faut alors utiliser une des formes suivantes:

(92) Il aura mangé.

(93) Il va avoir mangé.

Pour ces phrases, la position relative du fait de manger par rapport au moment

d’énonciation n’est pas précisée. Seule la position relative de la phase qui suit le

fait de manger par rapport au moment d’énonciation est pertinente. Ces phrases

peuvent donc correspondre indifféremment aux deux situations suivantes:

Figure 21 — La phase accomplie est simultanée au moment d’énonciation

Figure 22 — La phase accomplie est postérieure au moment d’énonciation

manger

avoir mangé

T0

manger

avoir mangé

manger

avoir mangé

T0

manger

avoir mangé

T0

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

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Comme on peut s’y attendre, si la phase se trouve avant le moment d’énoncia-

tion, l’auxiliaire devra avoir une forme qui dénote un passé, en se combinant soit à

la construction «AVOIRant + Vpp» (qui marque l’antériorité), soit au morphème du

passé simple ou de l’imparfait:

(94) il a eu mangé

(95) il eût mangé

(96) il avait mangé

Il y a toutefois un problème ici. Étant donné que nous avons défini la phase

accomplie comme étant celle qui suit un fait, elle n’a pas de borne finale (ce que

nous avons représenté visuellement par des vecteurs). Mais comment cette phase

qui n’a pas de fin peut-elle se trouver avant le moment d’énonciation? Nous ver-

rons plus loin (§ 6, p. 177) que le plus-que-parfait ne pose pas de problème

puisqu’il indique en fait que la phase dénotée par AVOIRacc est simultanée à un

point de référence passé (elle n’est donc pas directement présentée comme anté-

rieure au moment d’énonciation). Ce n’est toutefois pas le cas des deux autres for-

mes, qui situent cette phase directement par rapport au moment d’énonciation.

Alors, comment expliquer la contradiction apparente pour ces formes?

En fait, le problème est limité à quelques constructions. En effet, ces formes ne

s’utilisent guère que dans des contextes bien particuliers, notamment en combinai-

son avec QUAND, kDÈS QUEl, kSITÔT QUEl, etc.:

(97) Dès qu’il a eu mangé sa soupe, il est parti.

(98)* Il a eu mangé sa soupe.

Il s’agit des contextes d’utilisation des formes surcomposées (§ 4, p. 144). Or,

ces contextes semblent avoir une certaine influence sur la façon dont les sens se

combinent. Considérons par exemple la phrase suivante:

(99) Dès que Jean fut beau, il cessa de fumer.

Le sémantème (beau) dénote certainement un état qui n’est pas linguistiquement

borné, comme en témoigne l’agrammaticalité des phrases suivantes:

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

169

(100)*Il vient d’être beau.

(101)*Il est sur le point d’être beau.

Pourtant, en (99), être beau acquière un sens inchoatif et peut être situé dans le

passé. On comprend alors que la personne en question a fait ou subi quelque chose

qui l’a soudainement rendue belle. Ce sens provient de la construction dans

laquelle apparaît cette expression. Nous croyons que c’est le même phénomène qui

se produit pour le passé surcomposé et le passé antérieur. L’auxiliaire AVOIRacc

dénote bien un fait qui n’a pas de borne finale (et qui ne peut donc pas en principe

être situé directement dans le passé par rapport au moment d’énonciation), mais

QUAND, kDÈS QUEl, etc. dénotent le moment où cette phase commence, et c’est

alors ce moment qui est situé dans le passé, soit par l’addition de AVOIRant (pour le

passé surcomposé), soit par l’ajout du passé simple (pour le passé antérieur).

5.3 Le progressif

Le meilleur candidat pour dénoter la phase de continuation d’un procès (que

nous appellerons la «phase progressive») est sans conteste la construction kEN

TRAINl47. Nous avons déjà démontré (Ch. II, § 3, p. 28) qu’il s’agit d’une locution

prépositive et non d’un auxiliaire ou semi-auxiliaire. En effet, la copule ÊTRE qui

l’accompagne le plus souvent n’est pas une composante de cette construction.

Cette locution ne peut donc pas faire partie du système verbal du français au sens

strict puisqu’elle ne relève pas de la classe des verbes, mais bien de celle des pré-

positions. Elle est aux verbes ce que kEN PLEINl [Ils sont arrivés en plein repas] est

aux noms. Nous allons néanmoins tenir compte de ce signe et le modéliser au Cha-

pitre VIII puisqu’il est pertinent pour le système verbal du français, étant donné

qu’il dénote une des trois phases naturelles délimitées par les faits. Il sera égale-

ment intéressant de voir comment une locution prépositive peut se fondre dans le

système verbal (cf. Ch. VIII, § 3.3.2, p. 328). On peut définir provisoirement cette

locution comme suit: (en train de X–er) = (la période simultanée au fait X a cours).

Comme pour l’auxiliaire de l’accompli, la position relative de la phase progressive

47. L’expression «ALLER + V–ant», comme dans Le mal va croissant (cf. Riegel, Pellat &Rioul 1994: p. 296) est trop archaïque.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

170

par rapport au moment d’énonciation détermine la flexion que porte la copule

ÊTRE, si kEN TRAINl se trouve dans une position syntaxique qui exige cette copule.

5.4 Le prospectif

Enfin, la dernière phase, celle qui précède le fait, est en quelque sorte le miroir

de l’accompli. Nous l’appellerons «phase prospective». De la même façon que

l’accompli a un sens qui ressemble beaucoup à un passé sans en être un, cette

phase doit avoir un sens qui ressemble à un futur mais qui présente le moment

d’énonciation comme précédant le fait, et non le fait comme postérieur au moment

d’énonciation. Il y a deux candidats comme marqueurs potentiels de cette phase: le

futur simple et la construction «ALLER + Vinf». Nous avons vu que pour les deux

autres phases, lorsque le moment d’énonciation est simultané à la phase on a for-

mellement un auxiliaire fléchi au présent. C’est bien ce à quoi on peut s’attendre,

puisque si le locuteur se trouve dans la phase dont il parle, cette phase est un fait

actuel, donc le présent s’impose. L’auxiliaire ALLER semble donc être le meilleur

candidat pour le poste à combler. Cette hypothèse est encore renforcée par le fait

que, comme l’accompli, l’auxiliaire ALLER s’accommode très bien d’adverbes tels

que MAINTENANT et ses semblables. On comparera les phrases (76) a) et (b) à cel-

les-ci (adaptées de Leeman-Bouix 1994: p. 163):

(102) Je vais l’appeler tout de suite.

(103)*Je l’appellerai tout de suite48.

La tradition (et avec elle un bon nombre d’auteurs contemporains)49 considère

la construction «ALLER + Vinf» comme marquant le «futur proche», miroir de

VENIR, au même titre que kSUR LE POINTl:

Dans des phrases comme Le vase va se casser ou Le vase vient de se casser,le verbe aller traduit un futur proche et venir de un passé proche: ils mar-quent respectivement l’immédiateté future ou passée.

Leeman-Bouix (1994: p. 119)

48. Dans Je l’appellerai tout de suite en rentrant, il s’agit d’une autre acception de kTOUTDE SUITE l.

49. Notamment Wagner & Pinchon (1962), Riegel, Pellat & Rioul (1994), Leeman-Bouix,(1994) ou encore Gosselin (1996), pour n’en nommer que quelques-uns.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

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Or, la phrase Dans cinq milliards d’années, le soleil va commencer à grossir est

tout à fait correcte, ce qui démontre que le sens de l’auxiliaire ALLER n’inclut

aucune idée de proximité temporelle. Ce genre de phrase n’est pas possible, par

exemple, avec kSUR LE POINTl, qui dénote la période qui précède immédiatement

un fait [*Dans cinq milliards d’années, le soleil est sur le point de commencer à

gonfler] (cf. § 5.5, p. 172).

Par ailleurs, l’auxiliaire ALLER n’a pas la même combinatoire que les construc-

tions qui marquent vraiment le futur proche. Il semble en effet s’accommoder d’un

verbe qui dénote un état50, alors que ces constructions sont incompatibles avec de

tels verbes:

(104) Elle va être enceinte.

(105)*Elle est sur le point d’être enceinte.

(106)*(québ.) Elle s’en allait être enceinte.

Cette propriété est d’ailleurs partagée par l’accompli:

(107) Il a vécu heureux.

(108)*Il vient de vivre heureux.

Nous considérons donc que ALLER n’est pas un marqueur du futur proche,

symétrique à VENIR, mais plutôt un marqueur de la phase prospective, symétrique

à AVOIRacc. Nous pouvons en décrire le sens ainsi: (aller X–er) = (la période qui

précède le fait X a cours).

Enfin, notons que ALLER ne se combine qu’à l’indicatif, et encore, seulement à

l’imparfait ou au présent, alors que tous les marqueurs dénotant des phases ou des

bornes temporelles (ou leur région immédiate) peuvent s’utiliser à n’importe quel

mode, temps et finitude [être sur le point de finir, venant d’arriver, aura bu, com-

mencerait à pleuvoir, finira de compter, etc.].

50. Nous présupposons que la copule hérite des propriétés sémantiques de son complément.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

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5.5 L’expression des bornes temporelles des faits

Les bornes temporelles des faits ayant elles-mêmes une certaine saillance d’un

point de vue cognitif, on peut aussi s’attendre à ce qu’elles fassent, avec leur péri-

phérie immédiate, l’objet d’une attention particulière qui se cristallise dans la lan-

gue. De fait, la littérature relève un certain nombre de signes linguistiques verbaux

ou «pseudo-verbaux» (des locutions prépositives utilisées avec ÊTRE) qui font

directement référence à ces bornes. Voici une liste non exhaustive des signes dont

nous avons trouvé la mention dans diverses grammaires du français: kSUR LE

POINTl, kÀ LA VEILLEl, kEN PASSEl, kEN VOIEl, kSE METTREl, COMMENCER, ENTRE-

PRENDRE, ARRÊTER, FINIR, TERMINER, CESSER, VENIR. On peut encore y ajouter

les collocatifs qui n’ont de tels sens que dans le contexte de certains verbes, par

exemple partir dans (québ.) partir à rire [= Incep(RIRE)]51. Toutes les locutions pré-

positionnelles sont d’un intérêt limité pour nous, puisqu’elles ne peuvent en aucun

cas faire partie d’une catégorie flexionnelle verbale. Nous avons déjà mentionné

les cas de kEN TRAINl, qui nous suffira à illustrer au Chapitre VIII la mécanique qui

permet la combinaison de ces locutions prépositives avec les verbes. Quant aux

verbes de notre liste, presque tous peuvent se combiner autant avec un nom

qu’avec un verbe, ce qui en fait de mauvais candidats pour une éventuelle catégo-

rie flexionnelle. En outre, ils ont presque tous des propriétés syntaxiques qui les

distinguent des vrais auxiliaires, par exemple leur capacité à apparaître sans leur

verbe dépendant:

(109) – Est-ce qu’il a cessé de tourner?– Non, il n’a pas encore cessé.

(110) – Est-ce que tu as mangé?– * Oui, j’ai <* Oui, je l’ai>.

Par ailleurs, ces verbes peuvent aussi être combinés à des affixes dérivationnels,

ce qui n’est pas possible avec les auxiliaires:

51. Les verbes n’ont pas tendance à prendre des collocatifs verbaux, probablement parcequ’ils peuvent être le sommet syntaxique d’une proposition, ce qui rend ce type decollocation beaucoup plus rare que, par exemple, la combinaison d’un collocatif verbalet d’une base nominale [prendre peur, attraper froid, etc.].

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(111) Il se remet à boire.

(112)*Il re-a bu <* Il re-va boire>.

Rien ne semble indiquer que ces verbes aient quelque chose de particulier qui

les distingue de n’importe quel autre verbe. La seule exception est VENIR, qui est

manifestement un auxiliaire:

(113) – Est-ce qu’il a fini de manger?– * Oui, il (le) vient.

(114)*Il revient de partir.

Nous pourrions en définir provisoirement le sens ainsi: (venir de X–er) = (la

phase qui suit immédiatement le fait X a cours). D’après nos définitions, le sens de

AVOIRacc est entièrement inclus dans celui de VENIR, ce qui veut dire que toute

situation pouvant être décrite par VENIR peut aussi l’être, de façon moins précise,

par AVOIRacc.

Son miroir est kSUR LE POINTl, qui contient le sens de ALLER, et que nous défi-

nissons provisoirement ainsi: (sur le point de X–er) = (la phase qui précède immé-

diatement le fait X a cours).

5.6 Y a-t-il une catégorie flexionnelle de phase aspectuelle?

De toutes les lexies que nous avons examinées dans cette section, seulement

trois sont des auxiliaires: AVOIRacc, ALLER et VENIR. Ces auxiliaires présentent une

parenté sémantique évidente et, avec les locutions kEN TRAINl et kSUR LE POINTl,

ils semblent former un système qui offre une belle symétrie d’un point de vue

sémantique, ce qui a sans doute poussé Wagner & Pinchon (1962) à les présenter

ensemble dans leur grammaire. Pourtant, ces signes ne peuvent pas former une

catégorie flexionnelle au sens où nous l’entendons (cf. Ch. IV, § 6, p. 62). D’une

part, comme nous l’avons déjà mentionné, les locutions prépositives ne peuvent

pas faire partie d’une catégorie flexionnelle verbale. D’autre part, même en faisant

abstraction de ce problème, il reste que ces marqueurs ne sont pas tout à fait

mutuellement exclusifs, bien que la plupart des combinaisons soient exclues. Le

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

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tableau ci-dessous présente la combinatoire de ces marqueurs (nous reprenons ici

en partie le Tableau II, p. 31):

ALLER se combine librement aux autres marqueurs. Il ne peut donc pas faire

partie de la même catégorie flexionnelle que les autres auxiliaires. Mais qu’en est-

il de VENIR et AVOIRacc, qui sont des verbes et qui sont mutuellement exclusifs?

Nous croyons que l’impossibilité de les combiner n’est pas une conséquence de

leur appartenance à une même catégorie flexionnelle, mais qu’elle est due à des

facteurs sémantiques. Si les grammèmes d’une même catégorie flexionnelle sont

mutuellement exclusifs, c’est parce qu’ils doivent se combiner au même hôte, alors

qu’ils portent des informations contradictoires. Par exemple, le singulier et le plu-

riel des noms sont mutuellement exclusifs parce qu’il est impossible de quantifier

AV

OIR

acc

kEN

TR

AIN

l

AL

LE

R

VE

NIR

kSU

R L

E P

OIN

Tl

AVOIRacc * *i

i. Quand il a été en train de manger n’est pas agramma-tical, mais il s’agit de AVOIRant (qu’on peut rempla-cer par le passé simple: Quand il fut en train de manger).

* * *ii

ii. Quand il a été sur le point de partir est également construit avec AVOIRant (cf. Quand il fut sur le point de partir).

kEN TRAINl * * * * *

ALLER √ √ * √ √

VENIR * * * * *

kSUR LE POINTl ?iii

iii. Il est sur le point d’avoir fini est plutôt lourd mais pas inusité, comme en témoigne cette phrase trouvée sur internet: Une petite tradition du lieu: lorsque vous êtes sur le point d’avoir fini votre verre, le patron vous en remet un direct.

* * * ?iv

iv. ? Il est sur le point d’être sur le point de partir peut à la limite être accepté comme une plaisanterie.

Tableau XVI — La combinatoire des marqueurs de phase

Page 175: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

175

un même nom à la fois au singulier et au pluriel. Le cas des marqueurs de phase est

différent. Dans l’expression * il vient d’avoir dormi, le sens de VENIR ne porte pas

sur celui de DORMIR, mais bien sur celui de AVOIRacc. Si cette expression est

agrammaticale, c’est simplement parce que ces deux auxiliaires sont sémantique-

ment incompatibles. En effet, d’après les définitions que nous avons données pour

les marqueurs de phase, le sens de ces signes contient une référence indirecte aux

bornes des faits (par les composantes sémantiques (avant) et (après)). C’est ce qui

explique l’incompatibilité de ces signes avec des verbes dénotant des faits qui ne

sont pas linguistiquement bornés52:

(115)*Il est sur le point d’être mort.

(116)*Il vient de vivre53.

Donc, le fait que les marqueurs de phase ne soient pas eux-mêmes bornés lin-

guistiquement explique l’impossibilité de les combiner entre eux:

(117)*Je viens d’être en train de danser.

(118)*Ils étaient sur le point d’avoir gagné.

Cela a pour effet que ces signes sont mutuellement exclusifs, ce qui les rappro-

che des grammèmes, mais la mécanique derrière ce phénomène est bien différente

de celle qui empêche la combinaison mutuelle de vrais grammèmes. Les quelques

cas présentés ici nous suffisent. Pour d’autres exemples, voir notamment Chu

(2008).

Par ailleurs, les locutions prépositionnelles, en plus de ne pas être des verbes,

peuvent être remplacées par un certain nombre de constructions synonymes dans

un même dialecte ou d’un dialecte à l’autre [kSUR LE POINTl = (québ.) kÀ VEILLEl,

kEN TRAINl = (québ.) APRÈS, etc.], ce qui n’est pas typique des grammèmes puisque

cette variété suppose une certaine flexibilité en diachronie.

52. Les états, au sens de Vendler (1957).53. Attention! D’autres acceptions de VIVRE sont compatibles avec ces signes [Je viens de

vivre une expérience inoubliable].

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

176

5.7 Synthèse

Les faits découpent le temps réel en trois phases auxquelles on peut faire réfé-

rence grâce aux auxiliaires AVOIRacc et ALLER ainsi qu’à la locution prépositive

kEN TRAINl. On peut également faire référence à l’environnement immédiat des

bornes d’un fait grâce à kSUR LE POINTl et VENIR. Tous ces marqueurs dénotent des

périodes.

Ces marqueurs de phase ne forment toutefois pas une catégorie flexionnelle au

sens où nous l’entendons. D’une part, les marqueurs de phase ne sont pas mutuel-

lement exclusifs:

(119) Je vais avoir fini dans trois jours.

(120) Si tu arrives à l’heure du souper, ils vont être en train de manger!

D’autre part, il faut remarquer que les marqueurs de phase ne se comportent pas

comme des grammèmes puisqu’ils forment de nouvelles bases, qui peuvent elles-

mêmes être modifiées sémantiquement par des grammies ou d’autres signes.

D’ailleurs, les marqueurs de phase, comme tous les verbes, doivent porter des

grammèmes de finitude, de mode et, le cas échéant, de temps. C’est ainsi que sont

construits le futur périphrastique [il va <allait> pleuvoir], le passé récent [(qu’)(il)

vient <venait/ vienne/venant/venir> de pleuvoir], le passé composé à valeur

d’accompli [il a plu], le plus-que-parfait à valeur d’accompli [il avait plu], les sur-

composés [il a <avait> eu plu], le futur antérieur [il aura plu], le conditionnel

passé [il aurait plu], le subjonctif passé [qu’il ait plu], le participe présent composé

[ayant plu], l’infinitif passé [avoir plu], l’impératif passé [aie fini!], le gérondif

passé [en ayant fini], ainsi que toutes les combinaisons de ces formes [il allait

avoir plu, etc.]. Toutes ces formes portent un sens aspectuel (malgré ce que laisse

croire la terminologie traditionnelle, qui a tendance à appeler «passé» tout ce qui

contient l’auxiliaire AVOIR). Celles qui relèvent de l’indicatif portent, en plus de

ce sens aspectuel, des indications temporelles, exactement de la même façon que

les verbes simples correspondants, ce qu’on peut représenter schématiquement

comme suit:

Page 177: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

177

• (pleut) = (pleuvoir) ⊕ (g1)(a plu) = (pleuvoir) ⊕ (avoiracc) ⊕ (g1)

• (pleuvra) = (pleuvoir) ⊕ (g2)(aura plu) = (pleuvoir) ⊕ (avoiracc) ⊕ (g2)

• (pleuvait) = (pleuvoir) ⊕ (g3)(avait plu) = (pleuvoir) ⊕ (avoiracc) ⊕ (g3)

• etc.

Ce qui nous intéresse maintenant, et qui sera l’objet de la prochaine section, est

d’identifier les grammèmes qui permettent d’exprimer la composante temporelle

des sens grammaticaux que nous avons représentés ici par la variable (gi). Pour ce

faire, il faut laisser de côté toutes les formes verbales dont on peut rendre compte

par un (ou plusieurs) marqueurs de phase aspectuelle, et ne considérer que celles

qui ne portent que des sens temporels.

6 Le temps

Nous avons jusqu’ici rendu compte des marqueurs de finitude, de mode et de

phase. Nous sommes donc maintenant en mesure d’isoler les formes verbales qui

portent des sens strictement temporels, à savoir:

1) Le présent [Il regarde la télé].

2) Le passé composé quand il marque l’antériorité [Tout à coup, il lui a

tendu la main].

3) Le passé simple [Il lui tendit la main].

4) Le futur simple [Quand les visiteurs arriveront, remettez-leur cette lettre].

5) L’imparfait [En 1998, elle travaillait à la banque].

6) Le plus-que-parfait quand il marque l’antériorité [Tout à coup, elle lui

avait pris la main].

7) Le conditionnel54 à valeur temporelle [Ils ont dit qu’ils viendraient].

54. Rappelons que, sauf indication contraire, nous utilisons la terminologie traditionnellepour nommer les formes verbales. Ce «conditionnel» n’exprime pas un sens modal.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

178

Nous considérons les différences sémantiques entre toutes ces formes comme

étant d’ordre temporel, et ce sont ces différences que nous tenterons d’expliquer

ici. Rappelons que dans le présent chapitre nous accordons une attention particu-

lière au sens de base de chaque grammème (la notion de sens de base d’un gram-

mème, ainsi que les critères qui permettent de le déterminer, sont discutés au

Ch. IV, § 4, p. 53). Les temps du français expriment presque tous plusieurs sens55

et il vaut mieux s’en tenir dans un premier temps à un seul de ceux-ci (nous avons

justifié cette approche au Ch. IV, § 3, p. 52).

6.1 Passé simple vs imparfait

Le système temporel du français présente la particularité de ne pas être symétri-

que puisque les temps du passé sont plus nombreux que ceux dénotant un présent

ou un futur. Le trio passé simple ~ passé composé ~ imparfait n’a pas fini de faire

couler de l’encre. Nous avons déjà démontré (§ 4.5, p. 158) que le passé composé

correspond en fait à deux signes, AVOIRant et AVOIRacc, ce dernier ayant déjà été

traité plus haut (§ 5.2, p. 166). Dans ce qui suit, nous ne nous intéresserons donc

qu’au passé composé à valeur temporelle, c’est-à-dire celui construit avec

AVOIRant. Puisqu’on a tendance dans la littérature à confondre les deux acceptions

de AVOIR, cette construction à valeur temporelle n’est pas systématiquement prise

en compte, et c’est surtout l’opposition passé simple ~ imparfait qui a retenu

l’attention. Afin d’alléger le texte, et en harmonie avec la tradition, nous parlerons

dans les pages qui suivent de l’opposition «passé simple ~ imparfait», mais tout ce

que nous disons à propos du passé simple s’applique également à AVOIRant. Nous

considérons que AVOIRant et le passé simple sont de parfaits synonymes, si ce n’est

la différence de registre (cf. § 6.3, p. 195).

Voyons d’abord quelques exemples (que nous empruntons au Bescherelle 1998:

§ 144) qui illustrent l’opposition en question. Dans la phrase (121) ci-dessous, on

comprend que les trois actions ont lieu simultanément (peut-être de façon intermit-

55. Considérons par exemple le présent dans Son avion atterrit dans une heure et dans En1287 l’abbé Lemieux se rend à Jérusalem, qui situent les faits, respectivement, dans lefutur et dans le passé.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

179

tente sur un certain laps de temps), alors que (122) indique plutôt que les trois

actions se succèdent.

(121) Elle dansait, sautait et chantait.

(122) Elle dansa, sauta et chanta.

Dans la phrase (123), le référent du verbe au passé simple est présenté comme

s’insérant entièrement à l’intérieur du laps de temps correspondant au fait dénoté

par le verbe à l’imparfait.

(123) L’avion volait à haute altitude quand l’incident survint.

Il y a donc quelque chose dans le sens de l’imparfait et du passé simple qui fait

que le premier ne présente pas les faits comme des points dans le récit, alors que le

second, oui. La question qui nous intéresse présentement est de savoir ce qui les

distingue exactement, de façon à rendre compte des faits observés en (121)–(123),

et comment cette opposition doit se représenter en termes de catégories flexionnel-

les. Bien entendu, nous ne considérons ici que le sens de base des formes en ques-

tion. Il ne sera pas question dans cette section, par exemple, de l’imparfait

«narratif», de l’imparfait «forain», etc. (nous en parlerons plus loin, § 6.4.4,

p. 213).

6.1.1 L’hypothèse de la durée

Une des premières hypothèses proposées pour expliquer la différence entre le

passé simple et l’imparfait a été la durée:

L’imparfait exprime les faits, même nouveaux, qui sont conçus comme ayantune certaine durée intérieure, le passé simple exprime les faits nouveaux con-çus comme ayant un aspect nettement ponctuel; l’aspect reprend tous sesdroits et devient plus que jamais décisif dans le choix des formes verbales.

Imbs (1960: p. 92)

Effectivement, le passé simple semble marquer des faits ponctuels, alors que

l’imparfait semble au contraire marquer des faits ayant une certaine durée, comme

dans la paire de phrases suivantes (nous empruntons ces exemples à Molendijk

1990: p. 21):

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

180

(124) Jean me trouva. Je sortis.

(125) Jean me trouva. Je sortais.

Il y a cependant des contre-exemples. Les plus évidents sont ceux où intervient

un circonstanciel de temps indiquant une longue période, comme en (126):

(126) Il dédia sa vie à combattre le crime.

Molendijk (1990) est toutefois d’avis que ce genre de phrase ne constitue pas un

contre-exemple réel puisque l’explicitation d’un intervalle ne présente pas forcé-

ment le fait comme «duratif»:

Il nous semble incorrect de la [= l’hypothèse d’une opposition ponctuel ~duratif] rejeter en disant, par exemple, que le PS est compatible avec desindications de durée (cf. les observations faites par H. Weinrich (1971: 109)à propos du type ‘ils s’injurièrent une heure durant’). Cette critique est tropfacile. Si on associe la notion de durée à celle de continuation, on peut trèsbien défendre l’idée que le type ‘ils s’injurièrent une heure durant’ n’est pasduratif: cette phrase ne présente pas le fait qu’elle mentionne dans sa conti-nuation, mais comme parvenant à son terme. Il y a donc un sens d’aprèslequel elle n’est pas durative.

Molendijk (1990: p. 20)

Il propose plutôt des exemples où un passé simple fait référence à un intervalle

de temps plus grand qu’un imparfait avec lequel il peut commuter, comme dans le

paragraphe suivant:

(127) Tantôt, la chatte grimpait dans de grands arbres et faisait peur à tous lesoiseaux de la montagne. Tantôt, elle s’étendait sur une roche et se faisaitchauffer par le soleil. Elle s’amusa beaucoup ce jour-là.

Molendijk (1990: p. 23)

Dans cet exemple, on comprend que la chatte s’est amusée toute la journée. Par

contre, si on remplace s’amusa par s’amusait, on peut comprendre plutôt que la

chatte s’est amusée durant un certain temps ce jour-là.

En raison de ces problèmes, nous croyons qu’il faut chercher ailleurs ce qui dis-

tingue le sens du passé simple de celui de l’imparfait. Voyons d’autres pistes qui

ont été proposées.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

181

6.1.2 L’hypothèse de la perfectivité

On a souvent utilisé l’«aspect» pour expliquer la différence sémantique entre le

passé simple, qu’on dit porter l’aspect perfectif, et l’imparfait, qu’on dit imperfec-

tif56. Le terme d’«aspect» a été utilisé à diverses sauces, de sorte que les deux pré-

cisons terminologiques suivantes sont nécessaires.

Premièrement, nous n’utilisons jamais le terme «aspect» pour désigner des

signifiants (par exemple, «aspect composé» — ou «aspect extensif» chez les

guillaumiens — pour désigner les formes composées).

Deuxièmement, il ne faut pas confondre l’aspect grammatical (celui qui nous

intéresse principalement) et l’Aktionsart (aussi appelé «mode d’action»). Ce

dernier est une propriété intrinsèque du sens des unités lexicales (ou plus précisé-

ment, des groupes verbaux), alors que l’aspect grammatical fait partie du système

grammatical de la langue. Dans le cadre de notre travail, nous utilisons la classifi-

cation des aspects lexicaux de Vendler (1957)57 telle que redéfinie par Vetters

(1996), qui classifie les syntagmes verbaux58 en quatre catégories59:

• Les états dénotent des faits qui ne sont ni dynamiques, ni téliques ni ponc-

tuels. Par exemple: Il s’appelle Paul.

• Les activités dénotent des faits dynamiques mais atéliques qui ne sont

pas ponctuels. Par exemple: Elle se promène.

• Les accomplissements dénotent des faits dynamiques et téliques, mais

non ponctuels. Par exemple: Demain nous irons à Chengdu.

• Les achèvements (ou «réalisations instantanées») dénotent des faits

dynamiques, téliques et ponctuels. Par exemple: Il atteint le sommet.

La définition classique de l’aspect grammatical est celle qu’on retrouve

chez Comrie (1976: p. 3): «aspects are different ways of viewing the internal tem-

56. Voir notamment Comrie (1976) ou Gosselin (1996).57. Garey (1957) et Comrie (1976) ont aussi proposé des classifications similaires.58. Pour Vendler, c’est tout le syntagme qui doit être considéré, et non le verbe seul.

Comparer, par exemple Il mange (qui n’est pas télique) et Il mange sa soupe (qui l’est).59. Nous reviendrons sur ces catégories au Chapitre VIII (§ 1.2, p. 285).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

182

poral constituency of a situation». Le concept central dans cette définition est celui

de structure temporelle interne. Ce qui distingue l’aspect du temps grammatical est

que le premier indique comment se déroule le procès, alors que le second situe ce

même fait dans le temps réel. L’aspect n’est pas, contrairement au temps gramma-

tical, déictique: il ne met en jeu rien d’autre que le fait lui-même, dont on consi-

dère la structure temporelle interne, alors que le temps grammatical implique un

point temporel externe au fait, par rapport auquel est situé ce dernier.

L’opposition aspectuelle la mieux documentée est probablement celle entre le

perfectif et l’imperfectif60. L’aspect perfectif présente le fait comme un tout, sans

égard à sa constitution temporelle interne (le début, le déroulement et la fin ne sont

pas distincts). L’imperfectif, quant à lui, fait référence à la constitution temporelle

interne du fait, mais pas à son début et à sa fin. Cette opposition aspectuelle semble

se retrouver en français dans l’opposition passé simple61 ~ imparfait. Vetters

(1996: pp. 114–118) relève plusieurs indices de la perfectivité du passé simple et

de l’imperfectivité de l’imparfait. Les indices de perfectivité sont les suivants (tous

les exemples sont de lui62):

• L’explicitation de la fin de l’action: Le 5 juin 1989, Jules attendit <* atten-

dait> jusqu’à 5 heures.

• L’indication de l’espace temporel du début jusqu’à la fin: Le 5 juin 1989,

Jules étudia <* étudiait> du matin jusqu’au soir.

• L’indication de la durée totale: Le 5 juin 1989, Jules rentra <* rentrait>

chez lui en 50 minutes.

• La répétition définie d’événements particuliers: Le 5 juin 1989, Jules sonna

<* sonnait> trois fois à la porte.

60. Voir notamment Mazon (1914) et Comrie (1976).61. Rappelons que dans la présente section, tout ce que nous disons à propos du passé simple

est aussi valide pour le passé composé construit avec AVOIRant.62. Vetters laisse volontairement de côté l’imparfait de narration dans ses exemples. Cela est

tout à fait compatible avec notre méthodologie, qui consiste à ne considérer dans unpremier temps que le sens de base des grammèmes.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

183

• L’indication de la réalisation instantanée: Tout à coup, Jean tomba.

• Les changements d’état ou de position: Quelques secondes plus tard, Luc

fut sous le chapiteau.

Au sujet de ce dernier indice, il dit:

Les états sont en principe caractérisés par le fait qu’ils ne changent pas. S’ily a quand même un changement, cette transition entre les deux états est con-sidérée comme un événement perfectif (et ponctuel) et permet l’emploi del’aspectif[63] de perfectivité.

Vetters (1996: p. 116)

Les indices d’imperfectivité, quant à eux, sont (nous empruntons encore à

Vetters):

• Le décor: Nous étions <* fûmes> à l’étude quand le proviseur entra

(Flaubert, Madame Bovary, p. 37).

• L’événement interrompu: Il se noyait <* noya> quand l’agent le sauva en

le retirant de l’eau.

• Discordance entre un événement bref et une période de temps étendue: À

cette époque, Jean prenait <* prit> son café avec moi.

• La répétition non spécifiée: À cette époque, Paul tombait souvent ~ * À

cette époque, Paul tombait.

Il est à noter que tant les indices de perfectivité que d’imperfectivité sont sans

effet avec le conditionnel et le futur simple. En remplaçant les passés simples et les

imparfaits dans les exemples de Vetters par ces formes, on obtient toujours des

phrases grammaticales. Par contre, le présent a la même distribution que

l’imparfait; il est aussi imperfectif.

Ces faits suggèrent fortement que le passé simple et l’imparfait se distinguent

essentiellement par l’aspect, et c’est l’hypothèse qui prédomine aujourd’hui. Si on

l’accepte, on doit alors se poser la question suivante: l’aspect forme-t-il une caté-

gorie flexionnelle à part entière qui se combine à la catégorie de temps, ou est-il

une simple composante sémantique des grammèmes de temps? Pour la quasi-tota-

63. Un «aspectif», chez Vetters, est un marqueur d’aspect.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

184

lité des linguistes qui se sont intéressés de près à cette opposition aspectuelle dans

les temps du passé en français, le question n’a pas vraiment de pertinence étant

donné leur cadre méthodologique. Pour nous, elle est essentielle. Elle l’était égale-

ment pour Martinet (1979), qui disait à propos de l’opposition entre les

«monèmes» passé et prétérit (c’est-à-dire entre l’imparfait et le passé simple):

Le monème « passé » place le procès dans le flux du temps révolu au momentde l’acte de parole. […] Par opposition au « prétérit », cerné, il se définitcomme ‘non limité’. On pourrait sans doute faire valoir que l’oppositionentre passé et prétérit n’est pas proprement de temps, puisque l’un et l’autrese placent dans le même temps révolu par rapport à l’instant de l’acte deparole. Si les deux monèmes passé et prétérit sont rangés ici dans une mêmeclasse, c’est qu’ils sont mutuellement exclusifs.

Martinet (1979: p. 106)

Pour lui, l’aspect est donc une partie intégrante du sens des grammèmes de

temps. Si on accepte cette hypothèse, on a alors une seule catégorie flexionnelle de

temps, dont certains grammèmes expriment des sens strictement temporels (le

futur simple et le conditionnel), alors que d’autres (le présent, l’imparfait, le passé

composé construit avec AVOIRant et le passé simple) expriment des sens à la fois

temporels et aspectuels.

Le manque d’homogénéité sémantique et la non-symétrie des grammèmes

exprimant le futur (sans aspect)64 ou le passé (avec aspect) sont légèrement

gênants, mais pas assez pour rejeter cette hypothèse.

AspectuelsInaspectuels

Perfectifs Imperfectifs

il mangeail a mangéil avait mangé

il mangeil mangeait

il mangerail mangerait

Tableau XVII — L’hypothèse des temps à valeur aspectuelle intrinsèque

64. Vet (1980) soutient que le futur simple est perfectif en se basant notamment sur lesverbes d’état, qui semblent prendre une valeur inchoative au futur: Jeanne saura laréponse (demain) (Vet 1980: p. 82). Cette interprétation n’est toutefois pas intrinsèqueau futur, comme le montre la phrase Je le savais déjà hier, je le sais encore, et je lesaurai toujours demain.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

185

L’hypothèse contraire consiste à stipuler deux catégories flexionnelles: une

catégorie de temps et une d’aspect. La catégorie de temps comprendrait un gram-

mème passé, auquel se combineraient les grammèmes d’aspect, perfectif et

imperfectif. L’imparfait serait alors le marqueur de deux grammèmes,

passé ⊕ imperfectif, tandis que le passé simple et AVOIRant seraient les mar-

queurs de la combinaison passé ⊕ perfectif. Cette solution n’a pas les inconvé-

nients de la première; par contre, elle a le défaut d’ajouter une catégorie

flexionnelle au modèle. Il faut se demander si elle est vraiment nécessaire.

En fait, d’autres linguistes ont carrément remis en question l’opposition aspec-

tuelle comme principal élément distinctif entre le passé simple et l’imparfait. En

particulier, Molendijk (1990) réfute cette hypothèse en montrant des exemples où

l’imparfait a une valeur perfective, c’est-à-dire qu’il présente le fait dénoté dans

son intégrité. Les deux exemples suivants (de Molendijk 1990: pp. 18–20) nous

suffiront à résumer sa principale objection:

(128) Hélène était la fille du roi de Pologne.

(129)*Hélène était la fille du roi de Pologne lorsque, soudain …

En (128), le fait dénoté par était la fille est une propriété inhérente qui a cours

tout au long de la vie d’Hélène; il a donc un contour temporel bien défini, ce qui en

ferait selon Molendijk un perfectif. L’idée est encore renforcée par l’agrammatica-

lité de (129), qui montre que la structure temporelle interne du fait dénoté par était

la fille n’est pas accessible. Ainsi, ce n’est pas l’aspect qui distingue le passé sim-

ple et l’imparfait.

6.1.3 L’hypothèse de la progression narrative

Kamp & Rohrer (1983), sans explicitement rejeter l’hyphothèse aspectuelle

pour expliquer la différence entre le passé simple et l’imparfait, proposent une

alternative. Selon eux, il ne suffit pas de dire que les temps du passé situent les

faits avant le moment d’énonciation puisqu’ils les situent également par rapport

aux autres faits passés, comme dans le paragraphe suivant:

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

186

(130) Le professeur entra, s’installa au tableau et donna son cours de lexicolo-gie. Il parlait très fort.

Les faits dénotés par les verbes entra, s’installa et donna ne se produisent pas

dans n’importe quel ordre: ils sont présentés comme successifs. Le référent de par-

lait, quant à lui, couvre toute la durée du cours. Kamp & Rohrer (1983) proposent

donc de définir le passé simple et l’imparfait en termes d’instructions discursives

comme suit:

Le passé simple

1) Le passé simple introduit un fait e qui précède le moment d’énonciation.

2) e suit le dernier événement déjà introduit.

L’imparfait

1) L’imparfait introduit un état s qui précède le moment d’énonciation.

2) s contient le dernier événement e.

La différence entre les deux réside donc dans le fait que le passé simple fait pro-

gresser le récit, c’est-à-dire qu’il déplace le point de référence temporelle, alors

que l’imparfait ne produit pas cet effet. Toutefois, il y a des contre-exemples.

Kamp & Rohrer (1983: p. 260) eux-mêmes relèvent les trois cas suivants:

(131) Marie chanta et Pierre l’accompagna au piano.

(132) L’année dernière Jean escalada le Cervin. Le premier jour il montajusqu’à la cabane H. Il y passa la nuit. Ensuite il attaqua la face nord.Douze heures plus tard il arriva au sommet.

(133) L’été de cette année-là vit plusieurs changements dans la vie de nos héros.François épousa Adèle, Jean-Louis partit pour le Brésil et Paul s’achetaune maison à la campagne.

En (131), les deux faits sont simultanés. En (132), l’escalade de Jean couvre une

période qui englobe tous les autres faits présentés dans le paragraphe. Quant au

paragraphe (133), il n’est pas possible de savoir dans quel ordre se sont produits les

faits mentionnés dans la deuxième phrase. Ces contre-exemples ont poussé Kamp

& Rohrer (1983) à reformuler leur définition du passé simple ainsi:

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

187

Le passé simple

1) Le passé simple introduit un fait e qui précède le moment d’énonciation.

2) e ne peut pas complètement précéder l’événement ou le temps qui sert de

point de référence.

Malgré tout, cette définition se heurte au contre-exemple suivant, noté par Vet-

ters (1996) en reprenant un exemple de Molendijk, où le second passé simple

dénote un événement antérieur à celui que dénote le premier:

(134) En 1982, il s’installa dans la ville même où Charles Martel arrêta les Ara-bes.

Molendijk (1990: p. 251)

Des contre-exemples ont aussi été proposés pour invalider la définition de

l’imparfait de Kamp & Rohrer (1983). Un de ces contre-exemples est l’imparfait

dit «narratif» [Le lendemain matin, l’armée entrait dans la ville pour mater la

rébellion]. Cet imparfait a la valeur d’un passé simple. Nous croyons toutefois que,

puisqu’il ne s’agit pas du sens de base de l’imparfait, il ne peut pas constituer un

véritable contre-exemple. Cependant, l’exemple suivant de Molendijk (1990) est

construit sur l’acception de base de l’imparfait et contredit la définition de Kamp

& Rohrer (1983) puisque cet imparfait ne reprend pas comme point de référence le

fait introduit par le dernier passé simple (exemple original de Molendijk 1990, que

nous avons modifié):

(135) Pierre vira à droite et passa à tout allure devant un policier qui l’arrêta etlui donna une contravention. Il roulait beaucoup trop vite.

6.1.4 L’approche reichenbachienne

En réponse notamment aux problèmes liés aux hypothèses que nous venons de

présenter, Molendijk (1990) propose une solution alternative basée sur la représen-

tation des temps de l’anglais de Reichenbach (1947), que nous allons d’abord résu-

mer.

La thèse principale de Reichenbach est que le sens des temps ne peut pas tou-

jours se représenter seulement en termes de relations temporelles entre le fait

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

188

dénoté par le verbe et le moment d’énonciation, mais qu’intervient aussi un troi-

sième point temporel, le point de référence. Les faits, plutôt que d’être directement

situés par rapport au moment d’énonciation, le sont par rapport au point de réfé-

rence, qui lui-même l’est par rapport au moment d’énonciation. En représentant le

moment où se déroule le fait en question par E (pour event), le moment d’énoncia-

tion par S (pour speech) et le point de référence par R (pour reference), on peut

voir qu’il y a trois relations possibles entre E et S, ainsi qu’entre R et S, que Rei-

chenbach nomme ainsi:

La relation entre S et E n’est pas pertinente dans son modèle. Les deux autres

relations se combinent, ce qui donne en théorie les neuf relations temporelles com-

plexes suivantes entre E, R et S65:

Au moins trois remarques s’imposent ici:

1) La relation entre S et E peut généralement être déduite des relations E/R et

R/S. Par exemple, pour le «passé antérieur»: E < R & R < S → E < S. Les

Relation E/R Nom Relation R/S Nom

E < R Antérieur R < S Passé

E = R Simple R = S Présent

E > R Postérieur R > S Futur

Tableau XVIII — Les relations simples E/R et R/S selon Reichenbach

Passé (R < S) Présent (R = S) Futur (R > S)

Antérieur(E < R)

He had eaten He has eaten He will have eaten

Simple(E = R)

He ate He eats He will eat

Postérieur(E > R)

He would eat He will eat —

Tableau XIX — Les relations complexes E/R/S selon Reichenbach

65. Ces exemples sont de nous mais sont proches de ceux de Reichenbach, qui utilisaitl’auxiliaire shall au lieu de will.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

189

deux seules exceptions sont le «futur antérieur» et le «passé postérieur».

Dans les deux cas, il n’est pas possible de déterminer où se situe le

référent du verbe par rapport au moment d’énonciation, ce qui correspond

bien aux faits linguistiques.

2) Le modèle prévoit une case, celle du «futur postérieur», qui n’a pas

d’équivalent en anglais. Elle correspond, selon Reichenbach, au participe

futur du latin.

3) La forme will eat reçoit deux interprétations différentes: «futur simple»

et «présent postérieur», ce qui se justifie d’après l’auteur par le fait qu’on

peut dire Now I shall go, qui s’interpréterait comme un «présent

postérieur» (R = S & E > R), et I shall go tomorrow, qui serait plutôt à

interpréter comme un «futur simple» (R > S & E = R).

Le modèle de Reichenbach est basé sur l’anglais mais prétend à l’universalité.

On devrait donc pouvoir l’utiliser pour le français. Or, là où l’anglais n’a que le

passé simple, le français possède l’imparfait et le passé simple (ou son synonyme,

AVOIRant). Reichenbach attribue à ces deux formes la même formule (R < S &

E = R), mais représente l’imparfait comme un temps «étendu» et le passé simple

comme un temps «non étendu», ce qui revient au même qu’une opposition

duratif ~ ponctuel (§ 6.1.1, p. 179) ou imperfectif ~ perfectif (§ 6.1.2, p. 181), pour

lesquelles nous avons déjà exposé nos réserves. Le modèle de Reichenbach, tel

quel, ne permet donc pas de représenter de façon satisfaisante l’opposition passé

simple ~ imparfait. Il semble cependant constituer un point de départ intéressant

pour notre travail; nous allons donc en discuter un peu plus en détail.

Vetters (1996: pp. 18–27) a si bien synthétisé les diverses critiques qui ont été

faites du modèle reichenbachien que nous ne pouvons que le paraphraser en le

résumant et renvoyer à ce texte le lecteur intéressé par une discussion plus en pro-

fondeur. Ces critiques s’articulent essentiellement autour de quatre axes.

Premièrement, les formes progressives de l’anglais ne sont pas traitées de façon

satisfaisante dans ce modèle. Le problème réside dans le fait que la différence entre

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

190

les formes progressives et non-progressives est essentiellement aspectuelle, alors

que le modèle de Reichenbach ne peut rendre compte que d’informations tempo-

relles. Ce problème semble à première vue particulièrement important quand on

tente de décrire l’opposition passé simple ~ imparfait en français, qui est, pour plu-

sieurs linguistes, d’ordre aspectuel. Nous croyons cependant qu’il ne faut pas con-

fondre temps et aspect, et qu’un modèle du temps grammatical comme celui de

Reichenbach n’a pas à résoudre également le problème de l’aspect.

Deuxièmement, les neuf formes prévues par la combinaison des deux séries de

trois relations temporelles élémentaires ne correspond pas bien aux faits linguist-

ques. Pour commencer, la case vide du «futur postérieur» ne semble pas trouver

d’écho dans les langues. Le participe futur du latin proposé par Reichenbach n’est

pas satisfaisant puisqu’il ne renvoie pas directement à un fait, mais plutôt à sa pré-

paration. La forme qui est normalement utilisée pour exprimer le «futur

postérieur» est le futur simple (He will say that he will eat it the next day). Il fau-

drait donc en principe ajouter cette forme à la case vide du Tableau XIX. Or, cela

ne fait qu’ajouter un problème. Cette forme se trouve déjà dans deux cases du

tableau, ce qui n’est pas justifié d’un point de vue linguistique puisqu’on ne peut

pas démontrer qu’il y a deux futurs en anglais. Reichenbach propose une solution

basée sur l’opposition entre le futur périphrastique (il va manger) et le futur simple

(il mangera) en français: le premier serait un «présent postérieur» alors que le

second serait un «futur simple» selon sa terminologie. Cependant, la solution ne

résout pas vraiment le problème puisque le futur simple continue d’occuper deux

cases (celles du «futur simple» et du «futur postérieur») sans justification solide.

Par ailleurs, si on fait entrer le futur périphrastique dans ce modèle, il faut alors

considérer aussi la forme allait manger, pour laquelle il n’y a pas de case libre

(nous supposons qu’il s’agirait d’un «passé postérieur», mais cette case est déjà

occupée par le conditionnel en français — il faudrait alors démontrer que ces deux

formes sont de vrais synonymes).

Troisièmement, alors que le modèle de Reichenbach se veut universel, il ne

résiste pas à l’épreuve des faits quand on tente de l’appliquer tel quel à des langues

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

191

qui ont, par exemple, des grammèmes exprimant la distance dans le temps ou qui

possèdent une catégorie de temps relatif (dont les grammèmes expriment des rela-

tions temporelles n’impliquant pas le moment d’énonciation). Il serait alors néces-

saire d’ajouter au modèle un axe supplémentaire.

Quatrièmement, Reichenbach ne donne pas de définition précise du point de

référence. En outre, les adverbes de temps, d’après lui, spécifient toujours R, mais

il existe des contre-exemples, dont celui-ci de Vetters (1996: p. 23): Jean était

arrivé à 5 heures. Cette phrase peut s’interpréter comme indiquant l’heure de

l’arrivé de Jean, auquel cas l’adverbe de temps spécifie E plutôt que R.

Molendijk (1990) s’est particulièrement intéressé à la définition de R dans le

système reichenbachien. Sa définition prend quelques pages, nous n’allons donc

pas l’exposer ici; il nous importe seulement de remarquer qu’il cherche essentielle-

ment à répondre à la question suivante: «Quel est le fait (moment) auquel il faut

identifier R, après l’apparition d’une phrase P appartenant à un texte donné?»

(Molendijk 1990: p. 127). En d’autres termes, il ne s’intéresse qu’à l’analyse.

C’est là une caractéristique commune à la très grande majorité des modèles qui ont

été proposés pour rendre compte du temps (notamment dans un cadre discursif /

narratif). Or, nous croyons que c’est faire fausse route que de s’attacher à décrire le

processus d’analyse avant tout. La langue ne sert pas seulement à comprendre,

mais aussi (et surtout) à s’exprimer. Il nous semble peu probable que le locuteur,

quand il s’exprime, suive des règles qui lui imposent tel ou tel autre point de repère

temporel. Il sait par rapport à quoi il situe les faits, puisque c’est lui qui décide. Il

doit seulement s’arranger pour que son interlocuteur puisse décoder son message.

Mais ce que des modèles comme ceux de Molendijk (1990) ou de Kamp & Rohrer

(1983) décrivent, ce sont les processus cognitifs qui permettent au récepteur de

décoder un message. Ces processus doivent bien sûr être décrits, mais ce n’est pas

notre propos de le faire. Nous nous intéressons uniquement à décrire les signes de

la langue, ce qui ne saurait se faire en termes de règles calculant la position d’un

point de référence.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

192

À notre avis, ce qui constitue le principal problème du modèle de Reichenbach,

c’est qu’il cherche à décrire dans un même système des signes temporels et des

signes aspectuels, ce qui le conduit à une définition vague de R. À la seconde ligne

du Tableau XIX (p. 188), on peut voir que le passé simple, le présent et le futur

simple sont représentés comme encodant tous l’information E=R, c’est-à-dire que

le moment où se produit le fait en question sert lui-même de point de référence. Or,

nous ne voyons pas en quoi la phrase He ate beans, par exemple, indique que le

fait de manger est situé par rapport au moment du repas, et non par rapport au

moment d’énonciation. Il nous semble qu’il s’agit là d’une conséquence d’avoir

voulu intégrer au système les formes construites avec HAVE, qui correspondent en

anglais à celles construites avec AVOIRacc en français, c’est-à-dire le marqueur de

l’aspect accompli. On se demande alors pourquoi ne pas avoir intégré également

les formes en kBE GOINGl. Il est clair que ces formes ne trouvent pas leur place dans

ce système, où il n’est pas possible de cerner la différence sémantique entre les

auxiliaires WILL et kBE GOINGl.

Environ 80 ans plus tôt, Te Winkel (1866)66 avait proposé pour les langues ger-

maniques un système similaire, mais construit selon trois axes, plutôt que les deux

de Reichenbach. Un premier axe indique le point à partir duquel se conçoit la

pensée: soit par rapport au moment d’énonciation, soit par rapport à un temps dans

le passé. Un deuxième axe situe les faits comme synchrones ou postérieurs au

point de référence. Les formes du parfait sont représentées sur un troisième axe qui

croise les deux premiers et qui indique si le fait est complété ou non. Le

Tableau XX ci-dessous résume ce modèle, qui constitue à notre avis un meilleur

point de départ que celui de Reichenbach puisqu’il sépare bien le temps de

l’aspect.

Nous verrons qu’un modèle similaire peut être construit pour le français et qu’il

est possible de rendre compte de l’opposition passé simple ~ imparfait sans avoir

recours à une opposition aspectuelle qui ne s’appliquerait qu’aux temps du passé.

66. C’est Verkuyl (2005) qui a pour ainsi dire ressuscité Te Winkel.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

193

Mais d’abord, nous discuterons une autre paire de temps qui a attiré l’attention: le

présent et l’imparfait.

6.2 Présent vs imparfait

Le présent et l’imparfait présentent d’importantes similarités de sens; ce fait est

d’ailleurs bien connu depuis longtemps. Le Goffic (1986b: p. 62) nous rappelle

que les Stoïciens l’avaient déjà remarqué à propos du grec ancien, qui avait un pré-

sent et un imparfait semblables à ceux du français. Ces similarités doivent nous

dire quelque chose à propos de l’organisation des grammèmes temporels en fran-

çais.

Labeau (2002) a recensé les valeurs de l’imparfait dans cinq grammaires récen-

tes. Nous avons fait la même chose avec les valeurs du présent dans le Bescherelle

(1998: § 143), Grevisse (1993: § 850) et Riegel, Pellat & Rioul (1994:

pp. 299–301). Presque toutes les valeurs du présent trouvent leur écho à l’impar-

fait, et vice-versa. Le Tableau XXI ci-dessous résume les différentes acceptions de

ces deux formes.

Passé Présent

Non complétéSynchrone He ate He eats

Postérieur He would eat He will eat

ComplétéSynchrone He had eaten He has eaten

Postérieur He would have eaten He will have eaten

Tableau XX — Le modèle de Te Winkel

Présent Imparfait

Actualité Il pleut. Il pleuvait.

Validitépermanente

Le soleil se couche à l’Ouest. Il savait que le soleil se couchait à l’Ouest.

HabitudeIl mange quatre fois par jour. Il mangeait quatre fois par

jour à l’époque.

Tableau XXI — Les sens du présent et de l’imparfait dans quelques grammaires de référence

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

194

Le parallèle entre les deux formes est flagrant. Pour les sept premières accep-

tions, le présent et l’imparfait se distinguent uniquement par l’ancrage temporel

des faits dénotés: l’imparfait exprime par rapport à un repère passé ce que le pré-

sent exprime par rapport au moment d’énonciation. Ces faits suggèrent que le pré-

sent et l’imparfait ne sont pas indécomposables, mais qu’ils sont plutôt la

composition de deux grammèmes: un qu’ils partagent (et dont les différentes

acceptions correspondent aux emplois parallèles de ces deux formes) et un autre

qui les distingue (en indiquant où se trouve le repère temporel).

Toutefois, le présent a aussi une acception qui ne trouve pas son équivalent à

l’imparfait, et l’imparfait a deux acceptions qui lui sont propres. Le parallèle entre

les deux formes n’est donc pas parfait. Cependant, nous verrons que ce manque

apparent de symétrie ne permet pas de rejeter l’hypothèse que nous venons de for-

muler. En fait, un bref survol du sens de base de chacune des formes verbales à

valeur temporelle nous confortera dans cette hypothèse.

Passé récentJe rentre tout juste de Berlin Je rentrais tout juste de

Berlin

Futurinéluctable

Nous partons à 5h demain. Nous partions à 5h le lendemain.

HistoriqueLe 2 octobre 1535, Cartier arrive à Hochelaga.

Le 2 octobre 1535, Cartier arrivait à Hochelaga.

ConditionnelS’il pleut, on ira au cinéma. Elle a dit que s’il pleuvait, on

irait au cinéma.

Injonctif On se calme! —

Atténuation —Je voulais vous demander quelque chose.

Irréel —Si j’étais riche, je partirais en voyage autour du monde.

Tableau XXI — Les sens du présent et de l’imparfait dans quelques grammaires de référence

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

195

6.3 Caractérisation sémantique des «formes temporelles» du français

Nous avons donné au début de cette section sur le temps (§ 6, p. 177) la liste des

tiroirs purement temporels: le présent, le passé composé d’antériorité, le passé

simple, le futur simple, l’imparfait, le plus-que-parfait d’antériorité et le condition-

nel temporel. C’est uniquement par l’étude de ces formes que nous arriverons à

comprendre le fonctionnement des grammèmes de temps en français, puisque les

autres formes expriment des sens aspectuels ou modaux qui brouillent les pistes.

Nous avons vu plus haut (Ch. VI, § 4.5, p. 158) qu’il existe deux auxiliaires

AVOIR : un à valeur d’accompli, l’autre à valeur d’antériorité. Les formes du passé

composé et du plus-que-parfait sont ambiguës, puisqu’elles peuvent exprimer les

deux sens. Nous ne considérons ici que leur interprétation strictement temporelle.

Les autres formes construites avec AVOIR ont une valeur d’accompli, et sont donc

laissées de côté dans les pages qui suivent, au même titre que les formes construi-

tes avec les autres marqueurs de phase aspectuelle.

Dans les pages qui suivent, nous allons donner une approximation du sens tem-

porel principal exprimé par chacun des septs tiroirs verbaux purement temporels, à

l’aide de schémas qui montrent, sur un axe du temps, comment les faits sont situés

par rapport au moment d’énonciation. Les caractérisations sémantiques que nous

donnons ci-dessous pour chaque forme ne sont valables que pour l’acception en

jeu dans les exemples que nous avons donnés plus haut (§ 6, p. 177), c’est-à-dire

l’acception de base des grammèmes de temps impliqués dans ces formes. Nous

devons anticiper un peu sur notre conception du temps grammatical, que nous ne

pourrons justifier que dans les sections subséquentes. Dans nos figures, nous repré-

sentons le moment d’énonciation par le symbole T0 et nous indiquons par T1 le

moment de référence par rapport auquel sont situés les faits lorsqu’il diffère de

T067.

Il faut garder à l’esprit que les éléments de la liste ci-dessus, que nous nous

apprêtons à étudier un à un, sont des formes verbales, et non des grammèmes.

67. Notre T0 correspond au S de Reichenbach (1947) (cf. § 6.1.4, p. 187). Nous verrons plusloin que notre T1, en revanche, diffère légèrement de son R (cf. § 6.4, p. 202).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

196

Nous ne présupposons pas qu’à chacun de ces tiroirs corresponde un grammème.

En fait, nous avons déjà émis l’hypothèse que le présent et l’imparfait puissent être

décomposés en grammèmes plus simples (cf. § 6.2, p. 193). D’après notre modèle,

aucune de ces formes n’est élémentaire. Toutes expriment plus d’un grammème. Il

ne faut donc surtout pas croire que le présent, le conditionnel, le passé simple, etc.,

sont des éléments de catégories flexionnelles dans notre modèle. Nous ne cher-

chons ici qu’à donner une approximation du sens porté par ces formes, pour

ensuite en tirer des conclusions sur la nature des grammèmes temporels qu’elles

expriment (§ 6.4, p. 202).

6.3.1 Le présent

Parmi les nombreux sens du présent (cf. § 6.2, p. 193), celui qui constitue le

sens de base (principalement en vertu du critère de l’interprétation spontanée) pose

un fait comme contemporain au moment d’énonciation [Il regarde le mur]:

Les fonctionnalistes, comme Martinet (1979) ou encore Touratier (1996), voient

dans le présent une absence de temps (cf. Ch. V, § 3, p. 84). En fait, ils ne le consi-

dèrent pas comme un morphème car selon eux le présent dénote des sens tellement

variés qu’il est plus simple de dire qu’il ne dénote rien et que tous ces effets de

sens viennent du contexte. Cette position découle de l’approche non discrète qu’ils

ont adoptée et néglige cependant le fait que, s’il est vrai que le présent peut effecti-

vement porter un grand nombre de sens, il ne peut pas porter n’importe quel sens.

Si on accepte que, comme les signes lexicaux, les signes grammaticaux sont des

unités discrètes et qu’il peut y avoir des grammèmes polysémiques, alors le pro-

blème de la variété des sens du présent ne se pose pas.

Figure 23 — Caractérisation sémantique du présent

regarder

T0

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

197

6.3.2 Le passé simple et le passé composé

Le passé simple [Il tendit la corde] et le passé composé construit avec l’auxi-

liaire AVOIRant [Tout à coup, il a tendu la corde] ont exactement le même sens. Les

deux situent les faits dans le passé par rapport au moment d’énonciation:

Plusieurs linguistes voient entre le passé simple et le passé composé une diffé-

rence aspectuelle68. Cette idée provient, à notre avis, d’une confusion due à

l’ambiguïté du passé composé, qui peut marquer soit l’accompli, soit l’antériorité,

selon qu’il est construit avec AVOIRacc ou AVOIRant (cf. § 4.5, p. 158). Il est vrai

néanmoins que dans certains contextes le passé simple peut sembler ne pas com-

muter avec un passé composé. Par exemple:

(136) Ayant fait le tour de la ville, je rentrai.

(137)? Ayant fait le tour de la ville, je suis rentré.

Nous croyons toutefois que ce contraste de grammaticalité est dû à une question

de registre de langue. Le passé simple n’est plus vraiment utilisé à l’oral, il appar-

tient clairement à un registre différent, au style littéraire. Le passé composé, quant

à lui, est plutôt d’un registre neutre. Le fait que la phrase (136) semble meilleure

que la phrase (137) s’expliquerait donc par une plus grande concordance du regis-

tre de ayant fait (expression elle-même d’un style soutenu) et de celui du passé

simple. Si on change ayant fait pour une construction plus neutre stylistiquement,

le contraste de grammaticalité disparaît, et nous ne sentons pas de différence de

sens entre les deux phrases:

(138) Après avoir fait le tour de la ville, je rentrai.

(139) Après avoir fait le tour de la ville, je suis rentré.

Figure 24 — Caractérisation sémantique du passé

68. Par exemple, Imbs (1960), Comrie (1976), ou Gosselin (1996).

T0

tendre

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

198

Donc, le fait qu’il existe deux formes concurrentes pour exprimer l’antériorité

par rapport au moment d’énonciation n’est pas gênant, puisqu’il y a une différence

de registre entre ces formes. Cette irrégularité s’explique par le fait que le rempla-

cement du passé simple par le passé composé pour marquer l’antériorité est une

évolution relativement récente du français, qui n’est pas encore achevée.

Nous ne connaissons pas d’autre acception au passé simple, et n’en avons

trouvé mention dans aucune des grammaires de références consultées. Grevisse

(1993: § 852) remarque que le passé simple peut exprimer l’antériorité par rapport

à un autre passé [Cette femme [= une actrice] à l’agonie […] témoignait d’une

grandeur que, devant la rampe, elle n’atteignit jamais]. Il ne faut pas en conclure,

dit-il, que le passé simple sert à marquer l’antériorité par rapport à d’autres faits, ce

avec quoi nous sommes parfaitement d’accord. Il n’y a rien qui indique, en effet,

que le passé simple situe les faits par rapport à d’autres faits (passés ou futurs), et

non par rapport au moment d’énonciation.

Quant au passé composé, on lui attribue dans à peu près toutes les grammaires

au moins deux sens, mais nous y voyons une confusion entre les auxiliaires

AVOIRant et AVOIRacc (cf. § 4.5, p. 158). Nous n’avons pas trouvé d’autre sens à

AVOIRant que celui décrit ici.

6.3.3 Le futur simple

Dans son interprétation de base, le futur simple [Quand les visiteurs arriveront,

remettez-leur cette lettre] situe (tout simplement) un fait dans le futur par rapport

au moment d’énonciation:

Le futur simple peut également avoir un sens modal indiquant une supposition

de la part du locuteur [J’entends des pas. Ce sera sans doute Lucie]. Cependant, il

Figure 25 — Caractérisation sémantique du futur simple

T0

arriver

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

199

ne peut s’agir du sens de base puisqu’il échoue au critère de l’interprétation spon-

tanée. Le futur dit «historique» [Le 15 mai 1940, l’état-major néerlandais capitu-

lera sans condition] est aussi d’un emploi trop limité pour constituer le sens de

base. Enfin, le futur «d’atténuation» [Je ne vous cacherai pas que j’ai eu peur] est

d’un emploi encore plus limité (il ne peut apparaître que dans une proposition prin-

cipale, et à la première personne seulement).

6.3.4 L’imparfait

Parmi les différents sens de l’imparfait que Labeau (2002) a répertoriés (cf.

§ 6.2, p. 193), son sens de base (principalement en vertu du critère de l’interpréta-

tion spontanée) est celui de simultanéité. L’imparfait a beaucoup fait parler de

lui69, mais en fin de compte ce qu’on en dit revient le plus souvent à constater qu’il

exprime une sorte de «présent dans le passé», c’est-à-dire qu’il situe les faits par

rapport à un point de référence qui n’est pas absolu et qui se trouve avant le

moment d’énonciation70. Le contexte doit donc permettre d’identifier par rapport à

quel instant le fait dénoté par un verbe à l’imparfait est situé. L’imparfait pose les

faits comme simultanés à ce point de référence passé (que nous notons T1). Par

exemple, pour la phrase En 1998, elle travaillait à la banque (ici, T1 = (en 1998)):

Nous représentons (travailler) par une croix dans cette figure, mais cela ne signi-

fie pas que nous considérons le fait comme ponctuel. Dans ce cas-ci, la durée du

fait dénoté par travaillait par rapport à l’an 1998 n’est pas pertinente: la personne

en question peut avoir travaillé une partie de l’année à la banque, où encore y avoir

travaillé pendant plusieurs années, y compris en 1998.

69. Voir notamment Le Goffic (1986a), Labeau & Larrivée (2005) ou Bres (2005).70. Rappelons que nous avons rejeté plus haut (§ 6.1.2, p. 181) l’hypothèse d’un imparfait

marquant l’aspect imperfectif.

Figure 26 — Caractérisation sémantique de l’imparfait

T0

travailler

T1

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200

Le sens aspectuel d’imperfectif qu’on peut percevoir dans cet exemple n’est

pas, à notre avis, inhérent à l’imparfait. Il découle simplement de la perspective

particulière qu’impose le point de référence, puisque le fait dénoté par le verbe est

pour ainsi dire montré de l’intérieur.

6.3.5 Le plus-que-parfait

Le plus-que-parfait [Tout à coup, elle avait pris son chapeau] est construit avec

AVOIRant et le suffixe –AI– de l’imparfait (cf. § 6.4.3, p. 206). Il est semblable à

l’imparfait en ce qu’il ne situe pas les faits par rapport à un repère absolu. Il pose

les faits comme étant antérieurs à un point de repère qui se trouve dans le passé

(ici, T1 n’est pas spécifié dans la phrase):

Le plus-que-parfait n’a pas d’autre acception quand il est construit avec

AVOIRant. Il ne faut pas le confondre avec le plus-que-parfait à valeur d’accompli,

construit avec AVOIRacc.

6.3.6 Le conditionnel

Enfin, le conditionnel, dans son acception strictement temporelle [Ils ont dit

qu’ils viendraient], est l’image miroir du plus-que-parfait puisqu’il situe un fait

comme postérieur à un repère passé. On remarquera que la situation temporelle du

référent verbal par rapport au moment d’énonciation n’est pas pertinente. Les sché-

mas de la Figure 28 ci-dessous représentent deux interprétations possibles de la

même phrase (ici, T1 = (dire)).

Ce sens temporel peut se trouver transposé dans le temps, d’une façon similaire

aux présent, imparfait et futur historiques déjà mentionnés: Margarete entra à

Ravensbruck le 2 août 1940. Elle n’en sortirait pas avant avril 1945 (Korzen &

Nølke 1990: p. 277)71.

Figure 27 — Caractérisation sémantique du plus-que-parfait

T0

prendre

T1

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

201

Le conditionnel est très souvent utilisé pour exprimer des sens modaux. Haillet

(2002), notamment, dresse la liste de ces acceptions et les regroupe en deux classes

de significations non-temporelles: le conditionnel d’hypothèse et le conditionnel

«d’altérité énonciative». Nous ne visons pas la description exhaustive des accep-

tions modales que peut avoir le conditionnel, puisqu’elles ne sont pas directement

pertinentes pour l’étude du temps grammatical. Nous nous contenterons de discu-

ter trois de ces acceptions.

D’abord, le conditionnel peut exprimer une hypothèse liée à une condition non

réalisée [Si j’étais riche, je partirais en voyage]. Ensuite, il peut exprimer une atté-

nuation du propos [Je reprendrais bien un peu d’anguille]. Enfin, il exprime aussi

la réserve du locuteur quand il rapporte des faits qu’on lui a relatés [Le suspect

serait entré par la fenêtre, selon les policiers]. On trouve généralement de nom-

breux usages de cette acception dans les textes journalistiques.

Le conditionnel de réserve semble un bien meilleur candidat comme sens de

base que le sens temporel que nous avons décrit plus haut (cf. § 3.4, p. 142). En

effet, il est plus polyvalent syntaxiquement (il peut être le verbe principal de la

phrase comme il peut dépendre d’un autre verbe, contrairement au conditionnel à

valeur temporelle, qui ne peut apparaître que dans une subordonnée). Il répond

aussi au critère de l’interprétation spontanée. Cependant, nous verrons que le con-

ditionnel n’est pas un signe simple. Il est représentable, dans sa forme et dans son

sens, par la composition de deux grammèmes: un qui indique la postériorité, et

l’autre qui indique le décalage dans le passé du repère temporel. Ainsi, le sens tem-

71. Cité par Haillet (2002: p. 24).

Figure 28 — Caractérisation sémantique du conditionnel

T0

venir

T1

T0

venir

T1

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

202

porel du conditionnel est parfaitement compositionnel, alors que ses sens modaux

ne le sont pas.

Nous anticipons ici sur notre description des grammèmes temporels. Alors sans

plus tarder, voyons quel système révèlent les caractérisations sémantiques sommai-

res que nous venons de faire des formes à valeur temporelle du français.

6.4 Le temps, c’est relatif

6.4.1 Temps absolus, relatifs et absolus-relatifs

De ce qui vient d’être dit en § 6.1, § 6.2 et § 6.3, on peut dégager une générali-

sation importante. Les formes verbales à valeur temporelle du français peuvent être

divisées en deux classes: celles qui situent les faits directement par rapport au

moment d’énonciation (le présent, le passé composé à valeur temporelle, le passé

simple et le futur simple) et celles qui situent les faits par rapport à un repère tem-

porel qui se trouve avant le moment d’énonciation (l’imparfait, le plus-que-parfait

à valeur temporelle et le conditionnel). Il n’y a rien de nouveau ici, nous avons vu

au Chapitre V que la dichotomie temps absolus ~ temps relatifs en français date au

moins du XVIIIe siècle (cf. Ch. V, § 1, p. 72). Plus près de nous, cette opposition a

aussi été théorisée en linguistique générale, par exemple par Comrie (1985) ou

encore Mel’čuk (1994). Une hypothèse envisageable serait alors de stipuler deux

catégories flexionnelles mutuellement exclusives, reprises au Tableau XXII ci-

dessous:

• La catégorie de temps absolu, qui contiendrait les grammèmes correspon-

dant au présent, au passé composé, au passé simple et au futur simple, qui

situent les faits par rapport au moment d’énonciation.

• La catégorie de temps relatif, qui contiendrait les grammèmes correspon-

dant à l’imparfait, au plus-que-parfait, au passé antérieur et au conditionnel,

qui situent les faits par rapport à un autre fait dans le passé.

Toutefois, nous avons vu au Chapitre V (cf. Ch. V, § 1, p. 72) que cette hypo-

thèse se heurte à un problème théorique si on tente de la traduire directement en

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

203

termes de catégories flexionnelles et de grammèmes au sens où nous l’entendons

(cf. Chapitre IV). Il faut forcément considérer ces catégories de temps relatif et de

temps absolu comme mutuellement exclusives, puisqu’un fait ne peut pas être situé

à la fois par rapport au moment d’énonciation et par rapport à un autre fait. Le

locuteur doit donc choisir un grammème dans une seule des deux catégories stipu-

lées, puisqu’un verbe ne peut pas recevoir un grammème des deux catégories à la

fois. Il faut alors justifier que les verbes à l’indicatif soient parfois fléchis selon une

catégorie et parfois selon une autre. Il nous semble difficile de formuler une règle

élégante qui assure cela.

En plus des temps absolus et relatifs, Comrie (1985) stipule l’existence de

temps absolus-relatifs, qui situeraient les faits par rapport à un point de référence

qui lui-même serait situé par rapport au moment d’énonciation. Il s’agit en quelque

sorte d’une reformulation de la théorie de Reichenbach (1947). Toutefois, Comrie

considère cette «catégorie flexionnelle»72 comme complémentaire aux deux

autres catégories de temps, c’est-à-dire qu’au lieu des deux catégories concurrentes

de temps absolus et relatifs, on a chez Comrie trois catégories parallèles. On se

retrouve donc avec le même problème: comment se fait-il que le locuteur ait le

choix, pour tous les verbes à l’indicatif, de les fléchir soit en temps absolu, soit en

temps relatif, soit encore en temps absolu-relatif?

Puisque les temps absolus et relatifs peuvent être considérés comme des types

particuliers de temps absolus-relatifs en français (le moment de référence est sim-

Temps absolus Temps relatifs

passé composé a aimé plus-que-parfait avait aimé

passé simple aima imparfait aimait

présent aime conditionnel aimerait

futur aimera

Tableau XXII — Un système temporel classique à catégories concur-rentes

72. Comrie ne parle pas vraiment de catégories flexionnelles. Ses catégories ne sont que desregroupements de signes ayant certaines caractéristiques communes.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

204

plement simultané au moment d’énonciation dans le cas des temps absolus, ou

encore simultané à un autre fait dans le cas des temps relatifs), on peut faire l’éco-

nomie de ces deux catégories pour ne garder que celle de temps absolu-relatif. On

aurait donc une seule catégorie pouvant comporter en principe jusqu’à neuf gram-

mèmes exprimant les sens (simultané à un repère présent (= simultané au moment

d’énonciation)), (simultané à un repère passé), (simultané à un repère futur),

(antérieur à un repère présent), (antérieur à un repère passé), etc. Le système verbal

français n’a toutefois pas de forme servant à situer explicitement un fait par rapport

à un repère futur73.

Ces sens grammaticaux théoriques de temps absolu-relatif sont tous représenta-

bles en terme de deux séries de trois sens: (simultané) ~ (antérieur ~ (postérieur)

d’une part et (par rapport à un repère présent ~ passé ~ futur) d’autre part. Ce

découpage correspond aux sens que nous avons identifiés plus haut (§ 6.3, p. 195),

que nous représentons sous forme de tableau ci-dessous (rappelons que T0 repré-

sente le moment d’énonciation et que T1 représente le repère temporel par rapport

auquel est situé T, c’est-à-dire le moment ou le fait dénoté par le verbe se

produit)74:

73. Le futur antérieur peut sembler un bon candidat [Il aura mangé quand j’arriverai], maisil s’agit d’un accompli. Ce qu’il dénote est la phase qui suit un fait, et c’est cette phasequi est située par rapport au moment d’énonciation.

T1 = T0–Ø–

T1 < T0–ai–

T < T1AVOIRant

mangea / a mangé avait mangé

T ≈≈≈≈ T1–Ø–

mange mangeait

T > T1–r–

mangera mangerait

Tableau XXIII — Un découpage des signes temporels du français

74. Nos T et T0 correspondent respectivement aux E et S de Reichenbach (cf. § 6.1.4,p. 187). Par contre, nous avons émis des doutes sur la validité de R (cf. p. 192), auquel necorrespond pas forcément notre T1. Nous préférons donc éviter la notation E/R/S.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

205

On remarque que ce découpage sémantique va de paire avec un découpage for-

mel (sauf pour le passé simple — nous reviendrons plus loin sur cette forme,

Ch. VIII, § 3.4.1, p. 334). Nous avons donc affaire à cinq signes:

• (T < T1) ⇔ AVOIRant

• (T = T1) ⇔ –Ø–

• (T > T1) ⇔ –r–

• (T1 = T0) ⇔ –Ø–

• (T1 < T0) ⇔ –ai–

Ils n’appartiennent toutefois pas tous à la même catégorie flexionnelle. Les trois

premiers, qui situent les faits par rapport à un point de repère, font partie de la caté-

gorie de temps à proprement parler. Les deux autres, qui situent le point de repère

par rapport au moment d’énonciation, font partie de ce que nous appellerons la

catégorie de «décalage».

6.4.2 La catégorie flexionnelle de temps

La catégorie flexionnelle de temps contient trois grammèmes, qui sont des

prédicats à deux arguments:

• Le grammème antérieur signifie (X a lieu avant Y). Il s’exprime générale-

ment de façon analytique par la construction «AVOIRant + V–é». Dans le

cas du passé simple, le grammème antérieur n’a pas de signifiant propre;

il est toujours exprimé dans le même morphe que la personne et le nombre.

• Le grammème simultané signifie (X a lieu en même temps que Y). Il

s’exprime par un signe zéro, à savoir l’absence d’auxiliaire et de suffixe de

temps.

• Le grammème postérieur signifie (X a lieu après Y). Il s’exprime de façon

synthétique par le morphème –R– (le suffixe du futur simple).

N.B.: Idéalement, nous voudrions appeler les grammèmes de temps «passé»,«présent» et «futur», au lieu de «antérieur», «simultané» et «postérieur». Eneffet, ces grammèmes correspondent à peu près à ceux qu’on trouve dansbeaucoup d’autres langues, et l’usage de cette terminologie est très largementconsensuel. Cependant, puisque nous continuons d’utiliser les termestraditionnels pour nommer les formes verbales («présent», «imparfait», «futur

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

206

simple», etc.), le risque de confusion est trop grand entre la forme du présent etle grammème présent, ou encore entre la forme du futur simple et legrammème futur. Des phrases comme «l’imparfait exprime le grammèmeprésent» ou «le futur simple et le conditionnel expriment tous les deux legrammème futur» ne peuvent que donner des maux de tête au lecteur. Nousadoptons donc la terminologie «antérieur ~ simultané ~ postérieur».

Le temps est obligatoire à l’indicatif et ne peut pas s’utiliser sans un grammème

de décalage. Il n’y a donc aucune forme verbale qui exprime uniquement les gram-

mèmes antérieur, simultané ou postérieur; toutes les formes de l’indicatif

expriment à la fois un grammème de temps et un grammème de décalage. Étant

donné que le français oblige le locuteur à indiquer explicitement son repère tempo-

rel, il faut considérer les grammèmes de temps comme des prédicats sémantiques à

deux arguments (le premier argument étant le fait à situer temporellement, et le

second étant le repère par rapport auquel ce fait est situé). Dans les langues où les

faits sont toujours situés par rapport au moment d’énonciation, on peut considérer

les grammèmes de temps comme monoactanciels; en fait, leur «second actant» ne

varie pas (c’est toujours (maintenant)) et il se trouve intégré à leur définition.

6.4.3 La catégorie flexionnelle de décalage

On sait depuis longtemps qu’en français, la série des temps absolus s’oppose à

celle des temps relatifs notamment par le suffixe –AI– (celui de l’imparfait). Par

exemple, Damourette & Pichon (1911–1950, tome V, p. 177) remarquaient que

l’imparfait sert à exprimer «une autre actualité que celle où se trouve le locuteur au

moment de la parole». Kahn (1954: p. 87) notait que «les variétés et les sous-

variétés de l’imparfait correspondent jusqu’à un certain degré à celles du présent»

et que «l’imparfait est par rapport à un moment-repère dans le passé ce que le pré-

sent est par rapport au moment de la parole». On l’a traditionnellement surtout

remarqué pour l’opposition présent ~ imparfait, mais l’observation vaut aussi pour

les oppositions futur ~ conditionnel ou passé composé ~ plus-que-parfait, comme

le notait Vet (1980):

Il y a deux systèmes complets: le premier comportant le PC [= passé com-posé], le PR[ésent] et le FUT[ur], le second comportant le PQP [= plus-que-parfait], l’IMP[arfait] et le FUTP [= conditionnel]. Nous croyons que, du

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

207

point de vue sémantique, ces deux systèmes permettent de référer à deuxmondes différents, le premier actuel, le second non actuel.

Vet (1980: p. 31)

Pourtant, très peu de linguistes ont essayé de décrire ces faits en termes d’une

opposition de grammèmes au sein d’une catégorie flexionnelle. Martinet (1979) et

Touratier (1996) l’ont fait:

Le monème décalé […] indique que le procès exprimé dans le syntagme ver-bal est localisé selon l’axe du temps par rapport à un point de référencereporté — décalé — dans le temps révolu au moment de l’acte de parole.

Martinet (1979: p. 110)

Cependant, nous avons déjà vu que les catégories flexionnelles des fonctionna-

listes ne répondent pas à nos critères puisqu’elles ne sont pas obligatoires (cf.

Ch. V, § 3, p. 84). Nous proposons donc une catégorie qui respecte ces critères.

Ce que nous appelons la catégorie de décalage est la catégorie flexionnelle

dont les grammèmes situent un repère temporel par rapport au moment d’énoncia-

tion. Ce repère est le point de vue duquel les faits dénotés par les verbes sont

«montrés» par le locuteur. Cette catégorie flexionnelle peut compter en principe

trois grammèmes (le repère pouvant être simultané, antérieur ou postérieur au

moment d’énonciation). Nous verrons qu’il n’y en a que deux en français.

De façon provisoire, nous dirons que le grammème non-décalé signifie que le

repère temporel est simultané au moment d’énonciation. Les grammèmes

antérieur, simultané et postérieur situent alors les faits directement par rapport

au moment présent. Le grammème non-décalé s’exprime par un suffixe zéro. On

le retrouve dans les formes du présent, du passé composé à valeur d’antériorité, du

passé simple et du futur simple. Ces formes ont justement en commun de poser les

faits comme antérieurs, simultanés ou postérieurs au temps de la parole.

Le grammème décalé signifie que le repère temporel est dans le passé. Les

grammèmes antérieur, simultané et postérieur situent alors les faits par rapport

à ce point de repère passé. Le grammème décalé s’exprime par le suffixe –AI– (le

suffixe de l’imparfait). On le retrouve dans les formes de l’imparfait, du plus-que-

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

208

parfait à valeur d’antériorité et du conditionnel (quand il a une valeur temporelle,

bien entendu). Ces formes ont justement en commun de situer les faits comme

antérieurs, simultanés ou postérieurs à un point de repère passé.

Le français ne dispose d’aucune forme permettant de situer explicitement un

fait par rapport à un repère futur75. Alors, que se passe-t-il quand un francophone

cherche à situer un fait par rapport à un repère futur? Nous avons vu lors de notre

discussion du modèle de Reichenbach (§ 6.1.4, p. 187) que la case vide du «futur

postérieur» ne correspond à aucun temps spécifique en anglais, puisque c’est le

futur simple qui remplit cette fonction (nous avions donné l’exemple He will say

that he will eat it the next day). La même remarque vaut pour le français, qui mar-

que le «futur dans le futur» par un futur simple:

(140) Il dira que ce sera encore plus délicieux le lendemain.

Il n’est pas possible de savoir si ce futur simple exprime un «futur dans le

futur» ou simplement un futur par rapport au moment d’énonciation. Le fait que

sera apparaisse dans une subordonnée peut porter à croire que le point de repère

est dira, mais rien ne permet de l’affirmer hors de tout doute.

Si un fait est simultané à un repère futur plutôt que de lui être postérieur, c’est

alors le présent qui doit être utilisé (le futur simple se comprend dans ce contexte

comme indiquant la postériorité au repère). Ici, il est clair que c’est bien la conco-

mitance à un point de repère futur qui est exprimée, et non la postériorité au

moment d’énonciation:

(141) a. Il dira que c’est délicieux.

b. # Il dira que ce sera délicieux.

À la lumière de ces faits, on peut supposer que si un fait est antérieur à un repère

futur, les formes à utiliser ne seront pas différentes de celles qui expriment l’anté-

riorité par rapport à un repère présent. Effectivement:

75. Selon El-Kassas (2005), de telles formes existent en arabe standard.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

209

(142) a. Il dira que ça a été délicieux.

b. Il dira que ce fut délicieux.

c. # Il dira que ça aura été délicieux.

Mais comment expliquer le contraste de grammaticalité entre l’énoncé (c) de

cette série et le (b) de la série précédente? Nous croyons qu’il est dû au fait que le

futur antérieur ne peut avoir qu’une valeur d’accompli, c’est-à-dire qu’il est forcé-

ment construit avec AVOIRacc, et non AVOIRant. On peut le vérifier en utilisant les

indices de perfectivité de Vetters (1996) déjà mentionnés (§ 6.1.2, p. 181). En effet,

si le futur antérieur pouvait exprimer l’antériorité (comme son nom le laisse enten-

dre), on s’attendrait à ce qu’il soit compatible avec les indices de perfectivité,

comme le sont le passé composé et le plus-que-parfait. Or, ce n’est pas le cas:

(143) a. Il a couru jusqu’à 5 h.

b. Quand il est rentré, il nous a dit qu’il avait couru jusqu’à 5 h.

c. # Quand il rentrera, il nous dira qu’il aura couru jusqu’à 5 h.

d. Quand il rentrera, il nous dira qu’il a couru jusqu’à 5 h.

(144) a. Il a couru de 5 h à 7 h.

b. Quand il est rentré, il nous a dit qu’il avait couru de 5 h à 7 h.

c. # Quand il rentrera, il nous dira qu’il aura couru de 5 h à 7 h.

d. Quand il rentrera, il nous dira qu’il a couru de 5 h à 7 h.

(145) a. Il a écrit cet article en 2 h.

b. Quand il est rentré, il nous a dit qu’il avait écrit cet article en 2 h.

c. # Quand il rentrera, il nous dira qu’il aura écrit cet article en 2 h.

d. Quand il rentrera, il nous dira qu’il a écrit cet article en 2 h.

(146) a. Il a sonné trois fois avant d’entrer.

b. Quand il est rentré, il nous a dit qu’il avait sonné trois fois.

c. # Quand il rentrera, il nous dira qu’il aura sonné trois fois.

d. Quand il rentrera, il nous dira qu’il a sonné trois fois.

(147) a. Tout à coup, il a viré de bord.

b. Quand il est rentré, il nous a dit qu’il avait tout à coup viré de bord.

c. # Quand il rentrera, il nous dira qu’il aura tout à coup viré de bord.

d. Quand il rentrera, il nous dira qu’il a tout à coup viré de bord.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

210

On observe le même phénomène avec le «conditionnel passé» (nous excluons

ici ses valeurs modales [D’après Marie, il aurait couru jusqu’à 5 h]):

(148) a. Nous savions qu’il nous dirait qu’il a couru jusqu’à 5 h.

b. # Nous savions qu’il nous dirait qu’il aurait couru jusqu’à 5 h.

c. # Nous savions qu’il nous dirait qu’il avait couru jusqu’à 5 h.

Ces données nous permettent de tirer deux conclusions. Premièrement, le futur

antérieur et le conditionnel passé ne peuvent avoir qu’une valeur d’accompli, c’est-

à-dire qu’il n’existe pas en français d’«antérieur du futur» ou d’«antérieur du

‘futur dans le passé’». C’est ce qui explique d’ailleurs que le futur surcomposé et

le conditionnel surcomposé soient peu acceptés et ne puissent avoir qu’une inter-

prétation modale (cf. § 4.1.3, p. 150 et § 4.1.4, p. 152), contrairement au passé sur-

composé et au plus-que-parfait surcomposé qui expriment l’antérieur d’un

accompli.

Deuxièmement, il faut en conclure que le grammème non-décalé peut égale-

ment indiquer un repère temporel futur, et non seulement un repère présent. Il faut

donc modifier notre définition pour dire que le grammème non-décalé signifie

que le repère temporel n’est pas dans le passé (c’est-à-dire qu’il est soit simultané

au moment d’énonciation, soit dans le futur).

La catégorie de décalage est obligatoire à l’indicatif et ne se combine pas aux

autres modes. Elle est marquée sur la tête syntaxique de l’amas verbal. Elle ne

s’exprime jamais seule, puisque la catégorie de temps est également obligatoire à

l’indicatif. Il n’y a donc aucune forme verbale qui exprime simplement le gram-

mème non-décalé ou décalé. En conséquence, l’imparfait n’est pas un gram-

mème, mais est formé de la combinaison de deux grammèmes: simultané et

décalé. Ainsi, nous avons pour le français un système temporel à deux dimen-

sions, comme le montre le Tableau XXIV ci-dessous.

Ce modèle diffère des analyses en termes de «temps absolus» vs «temps

relatifs» ou d’autres systèmes à paradigmes concurrents comme ceux de Imbs

(1960), Weinrich (1973) ou Vet (1980). Le défaut principal de ces modèles est

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

211

qu’ils ne mettent pas en valeur les signes de la langue et ne permettent donc pas

vraiment de bien expliquer la parenté sémantique frappante qu’il y a, par exemple,

entre le présent et l’imparfait (cf. § 6.2, p. 193). Dans notre modèle, cette parenté

s’explique tout naturellement par le fait que les deux portent le même grammème

simultané. Les sens qui sont communs à ces deux formes sont en fait ceux de ce

grammème (nous y reviendrons un peu plus loin, § 6.4.4, p. 213).

Notre système grammatical à deux catégories temporelles complémentaires per-

met également de rendre compte de l’opposition passé simple ~ imparfait (cf.

§ 6.1, p. 178). Il est vrai que les faits dénotés par les verbes au passé simple ou au

passé composé sont perçus, sinon comme ponctuels, au moins comme complets,

avec un début et une fin, alors que les faits dénotés par les verbes à l’imparfait sont

plutôt perçus comme n’ayant pas de contours. Toutefois, nous croyons que cette

impression est une illusion due à la perspective imposée par le sens de chacune de

ces formes. Bien que toutes ces formes situent les faits dans le passé, elle ne le font

pas de la même manière. Lorsqu’un fait est situé dans le passé par rapport à un

repère présent, comme pour le passé composé et le passé simple, on montre pour

ainsi dire le fait «de l’extérieur». C’est pour cette raison que ses bornes sont direc-

tement perçues. Au contraire, dans le cas de l’imparfait, le fait est présenté comme

simultané à un point de référence passé. Le fait est donc vu «de l’intérieur». Ses

bornes ne sont plus «visibles» et du coup le fait ne semble plus avoir de contours.

C’est en quelque sorte comme regarder l’océan à partir d’un bateau au large: il

revêt l’aspect d’une masse informe, dont on ne peut même pas dire s’il a un début

et une fin. Au contraire, lorsqu’on l’observe de la côte, on le perçoit comme un

objet aux contours bien définis. Ainsi, l’hypothèse que nous avons présentée per-

Décalage

non-décalé décalé

Tem

ps

antérieur a aimé / aima avait aimé

simultané aime aimait

postérieur aimera aimerait

Tableau XXIV — Notre système temporel à deux dimensions

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

212

met d’expliquer de façon élégante la différence entre le passé composé et le passé

simple d’une part (qui occupent la même case dans le Tableau XXIV) et l’impar-

fait d’autre part, tout en faisant l’économie d’une catégorie aspectuelle qui ne

s’appliquerait qu’aux formes du passé. Le fait que le passé simple ne soit pas com-

positionnel dans sa forme n’est pas particulièrement gênant puisque son emploi est

relativement restreint par rapport à son concurrent, le passé composé (probable-

ment en partie, justement, à cause de son caractère non compositionnel).

Notre modèle explique également de façon toute naturelle le phénomène de la

concordance des temps. Par exemple, considérons les phrases suivantes:

(149) a. Il pense qu’elle viendra.

b. Il pensait qu’elle viendrait.

c. Il pensera qu’elle viendra.

(150) a. Il dit qu’elle est laide.

b. Il a dit qu’elle était laide.

c. Il dira qu’elle est laide.

Le verbe subordonné situe un fait par rapport au moment où a lieu le fait dénoté

par le verbe principal. Il porte alors le grammème de temps qui exprime la relation

en question (postérieur pour les trois premières phrases, simultané pour les trois

autres). Pour ce qui est du grammème de décalage, son choix dépend du moment

où se déroule le fait dénoté par le verbe principal. Si ce dernier est dans le passé,

comme dans les phrases (b) des deux séries, alors le verbe subordonné portera le

grammème décalé puisqu’il est situé par rapport à un repère qui est dans le passé;

autrement, il prendra le grammème non-décalé.

Il faut noter que quand le verbe de la subordonnée dénote un état qui transcende

les époques (comme c’est le cas dans la deuxième série ci-dessus), alors le locuteur

a le choix de situer cet état par rapport au référent du verbe principal ou par rapport

au moment d’énonciation. Dans le cas où le verbe principal est au présent ou au

futur, cela ne fait aucune différence visible, puisque c’est le même grammème

non-décalé qui doit être utilisé, peu importe si le point de référence est actuel ou

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

213

ultérieur. Par contre, dans le cas d’un verbe principal au passé, on peut observer le

phénomène:

(151) a. Il a dit qu’elle était laide.

b. Il a dit qu’elle est laide.

Il s’agit d’un choix du locuteur, selon qu’il souhaite prendre un point de vue

décalé ou non, en fonction de ses buts communicatifs.

Nous illustrons le phénomène de la concordance des temps d’un point de vue

formel Chapitre VIII (Ch. VIII, § 3.4, p. 334).

6.4.4 Les acceptions secondaires des grammèmes de temps et de décalage

Nous n’avons considéré jusqu’ici que les acceptions de base des grammèmes de

temps et de décalage. Nous avons vu cependant que certaines formes verbales de

l’indicatif peuvent avoir plus d’un sens (cf. § 6.2, p. 193 et § 6.3, p. 195), à savoir:

• le présent et l’imparfait de validité permanente, d’habitude, de passé récent,

de futur inéluctable, historiques ou de condition;

• le présent injonctif;

• l’imparfait d’atténuation ou d’irréel;

• le futur de supposition, historique ou d’atténuation;

• le conditionnel d’hypothèse irréelle, historique, d’atténuation ou de réserve.

Toutes ces formes portent un grammème de temps et un de décalage. Il faudra

déterminer pour chacune de ces acceptions si elle est due à un seul de ces grammè-

mes ou à la combinaison des deux (en d’autres termes, il s’agit de savoir si nous

avons affaire à un signe compositionnel ou à un phrasème grammémique). Nous

allons commencer par les sens des formes du présent et de l’imparfait.

Les formes qui portent le grammème simultané

L’acception de base du grammème simultané, quand elle se combine à

l’acception de base de non-décalé, donne ce que nous avons appelé plus haut le

présent d’actualité [Il pleut]. Combinée à l’acception de base de décalé, cela

donne l’imparfait d’actualité [Il pleuvait].

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

214

Nous avons vu plus haut (§ 6.2, p. 193) le parallèle frappant qui existe entre la

plupart des autres sens du présent et de l’imparfait, qui se distinguent uniquement

par le point de référence, c’est-à-dire par l’acception de base des grammèmes de

décalage. La variété des sens parallèles de ces deux formes doit donc être due uni-

quement à diverses acceptions du grammème simultané. Voyons ce qu’il en est.

Le présent et l’imparfait de validité permanente [Le soleil se couche <couchait>

à l’Ouest] ne se distinguent pas vraiment du présent et de l’imparfait d’actualité.

Les énoncés de ce type expriment tout simplement des propositions qui sont tenues

pour vraies au moment de référence spécifié par le grammème de décalage.

Le présent et l’imparfait d’habitude [Il mange <mangeait> quatre fois par jour]

expriment un sens qui n’est pas propre au grammème simultané. En effet, on

trouve le même sens, par exemple, à l’infinitif quand il est placé dans un contexte

approprié [Manger quatre fois par jour est bon pour la santé]. Nous y voyons plu-

tôt un signe n’ayant rien à voir avec le temps qui exprime le sens (habituel).

Le présent et l’imparfait de passé récent [Je rentre <rentrais> tout juste de Ber-

lin] relève à notre avis d’un procédé narratif par lequel le locuteur fait semblant

soit que le moment d’énonciation est déplacé dans le passé, soit que le fait dénoté

par le verbe est en train de se produire. Ce qu’il exprime, c’est bien un présent ou

un imparfait d’actualité, comme si le fait était vraiment actuel, mais le contexte

permet de comprendre qu’il s’agit d’un passé. Nous croyons que ce phénomène ne

doit pas être décrit par une grammie.

Le présent et l’imparfait de futur inéluctable [Nous partons <partions> à 5 h] se

traitent de la même façon que le présent et l’imparfait de passé récent. Il ne s’agit

pas d’une véritable acception du grammème simultané, mais d’un procédé narra-

tif.

Le présent et l’imparfait historiques [Le 2 octobre 1535, Cartier arrive <arri-

vait> à Hochelaga], encore une fois, ne relève pas de la grammaire au sens strict. Il

s’agit d’un procédé narratif, une sorte de «mise en scène» du locuteur, qui fait

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

215

comme si le moment d’énonciation même se trouvait déplacé dans le temps. Le

présent et l’imparfait historiques n’existent pas forcément dans toutes les langues.

Par exemple, en russe, la traduction littérale de Le 2 octobre 1535, Cartier arrivait

à Hochelaga (*2-go oktjabrja 1535-go goda Kart’e pribyval v Oshlagu) est abso-

lument incorrecte. Les procédés narratifs en jeu ici varient d’une langue à l’autre et

ils doivent être pris en charge par des règles spécifiques à une langue donnée, mais

ces règles ne font pas partie du modèle que nous sommes en train de construire.

Le présent et l’imparfait de condition [Elle dit <disait> que s’il pleut <pleu-

vait>, on ira <irait> au cinéma] ne mettent pas en jeu une acception secondaire du

grammème simultané. Les grammairiens remarquent que «après si conditionnel,

on emploie obligatoirement le présent pour un fait futur» (Grevisse 1993: § 850).

On en a souvent conclut que le présent peut avoir un sens de condition future. Mais

ce n’est pas le cas. D’abord, le sens de condition provient de SI, qui ne sert à rien

d’autre qu’à exprimer celui-ci. Ensuite, la proposition à vérifier n’est pas forcé-

ment dans le futur. Il peut très bien s’agir d’une proposition actuelle dont le locu-

teur ne connaît pas la valeur de vérité [Si tu es riche, tu peux te le payer]. Nous

considérons que le grammème simultané est imposé par la combinatoire de SI,

qui exige que son dépendant porte ce grammème. Le grammème simultané garde

ici son sens premier de (simultané). Le point de référence peut cependant être situé

n’importe où dans le temps, ce qui se reflète dans les grammèmes non-décalé

[Maintenant, si tu as de l’argent, tu peux te le payer ou Demain, si tu as de

l’argent, tu pourras te le payer]76 et décalé [Au XXe siècle, si tu avais de l’argent,

tu pouvais encore te payer une île].

Voilà pour les acceptions parallèles du présent et de l’imparfait. Nous avons vu

(§ 6.2, p. 193) qu’il existe aussi un sens du présent qui n’a pas d’équivalent à

l’imparfait, et deux acceptions de l’imparfait qui ne trouvent pas d’écho au présent.

Le présent d’injonction [On se calme!] exprime un ordre. Il nous semble cepen-

dant que dans cette forme, les grammèmes simultané et non-décalé retiennent

76. Rappelons que non-décalé peut indiquer un point de repère futur (cf. § 6.4.3, p. 206).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

216

leur sens premier. Il n’y pas d’équivalent à l’imparfait, mais cela est probablement

dû à une incompatibilité sémantique. En effet, il ne fait aucun sens de faire une

injonction décalée dans le passé, puisque cette époque est révolue et ne peut donc

plus être influencée par un acte de parole. Le présent injonctif ne peut s’utiliser

qu’en discours direct, et seulement dans la proposition principale [#Il dit qu’on se

calme!]. C’est ce qui nous fait croire que le signifiant du signe en jeu ici n’est pas

la forme du présent, mais la construction dans laquelle elle apparaît, ainsi qu’un

prosodème (ce sens ne peut être exprimé qu’avec une intonation particulière). Ce

phénomène linguistique ne relève donc pas des grammèmes de temps ou de déca-

lage.

L’imparfait d’atténuation [Je voulais vous demander quelque chose]77 n’a pas

d’équivalent au présent. Il est très proche sémantiquement du conditionnel d’atté-

nuation [Je voudrais vous demander quelque chose], dont nous parlerons plus loin.

Ce qu’il exprime, c’est en fait un présent plus l’atténuation. Donc, le grammème

simultané exprime ici son sens premier. C’est le grammème décalé qui exprime

le sens d’atténuation. Nous avons donc une acception secondaire pour ce gram-

mème. Son signifié ne se laisse pas bien décrire par une définition, puisqu’il relève

plutôt de la structure rhétorique, où sont traités les phénomènes liés au registre et à

la relation entre les participants de la situation de communication.

L’imparfait d’irréalité [Si j’étais riche, je partirais en voyage autour du monde]

n’a pas non plus d’équivalent au présent. Nous avons déjà dit plus haut que nous

croyons que SI impose le grammème simultané à son dépendant. Ce qui distingue

si tu es riche de si tu étais riche, c’est seulement le grammème de décalage (les

deux portent le grammème simultané, qui, dans les deux cas, exprime son sens

premier). Le grammème décalé présente ici la proposition conditionnelle comme

irréelle. Il s’agit là d’une autre acception de décalé, qui ne se laisse pas bien défi-

nir par une décomposition sémantique. Son signifié relève de la structure référen-

tielle, qui lie les sémantèmes aux référents du monde réel vers lesquels ils pointent.

77. Nous considérons l’imparfait dit «forain» [Qu’est-ce qu’il lui fallait, à la petite dame?]et autres emplois hypocoristiques comme des cas d’imparfait d’atténuation.

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

217

En bref, malgré la variété des emplois du présent et de l’imparfait, le gram-

mème simultané n’a qu’une seule acception. Idem pour non-décalé. Par contre,

le grammème décalé en a trois: son sens de base (qui indique que le point de

repère temporel est décalé dans le passé), un sens d’atténuation (qui relève de la

structure rhétorique) et un sens d’irréalité (qui relève de la structure référentielle).

Les formes qui portent le grammème postérieur

Passons maintenant aux formes qui portent le grammème postérieur, soit le

futur simple et le conditionnel. Ces deux formes, dans leur emploi de base, se dis-

tinguent par le décalage (décalé pour le conditionnel, non-décalé pour le futur

simple). Outre leur emploi de base, ils peuvent exprimer des sens modaux, comme

nous l’avons dit plus haut. Voyons de quoi il retourne.

Le futur et le conditionnel dits «historiques» [Le 15 mai 1940, l’état-major

néerlandais capitulera <capitulerait> sans condition] doivent être traités de la

même façon que le présent et l’imparfait historiques, c’est-à-dire comme une mise

en scène où le locuteur déplace virtuellement le moment d’énonciation, et non

comme une acception particulière du grammème postérieur.

Le futur simple et le conditionnel partagent la propriété de pouvoir se retrouver

dans le second terme d’une condition [Si tu as <avais> de l’argent, tu pourras

<pourrais> y aller]. Il y a cependant des différences entre les deux. Le condition-

nel, dans cette position, ne peut s’utiliser avec le même sens que si la condition

n’est pas réalisée78 [?#Si tu as de l’argent, tu pourrais y aller]79. Il ne peut pas

commuter avec l’imparfait [#Si tu avais de l’argent, tu pouvais y aller]80, alors que

le futur simple commute dans cette position avec le présent [Si tu as de l’argent, tu

peux y aller] avec une différence sémantique prévisible. L’usage du futur simple et

du conditionnel dans les propositions conditionnelles n’est donc pas tout à fait

parallèle. Le futur simple, dans ces constructions, exprime son sens premier. Le

conditionnel exprime le grammème décalé à valeur d’irréalité déjà mentionné plus

78. Cf. le grammème décalé à valeur d’irréalité dans la condition [Si tu avais…].79. Cette phrase peut être grammaticale, mais il s’agit alors du conditionnel d’atténuation.80. Cette phrase est grammaticale si l’imparfait avais n’exprime pas l’irréalité

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

218

haut, ainsi que ce qui semble être une nouvelle acception du grammème

postérieur; en fait, ce grammème de temps est plutôt imposé par la construction

et il est vide de sens.

Le futur et le conditionnel d’atténuation [Je ne vous cacherai pas que j’ai eu

peur; Je reprendrais bien un peu d’anguille] expriment un sens très semblable à

l’imparfait d’atténuation, qui relève de la structure rhétorique. Ce sens est exprimé

par le grammème postérieur; il s’agit d’une acception secondaire. Le futur et le

conditionnel d’atténuation expriment tous les deux cette même grammie. Le condi-

tionnel porte en plus le même grammème décalé que dans l’imparfait d’atténua-

tion. Ce conditionnel est donc compositionnel: il exprime à la fois un futur

d’atténuation et un imparfait d’atténuation. Nous ne sommes pas en mesure

d’expliquer la nuance qui peut exister entre ces acceptions de postérieur et de

décalé. Nous sommes loin des sens temporels qui nous intéressent dans cette

thèse.

Le futur simple peut également avoir un sens modal indiquant une supposition

de la part du locuteur [J’entends des pas. Ce sera sans doute Lucie]. Ce sens, qu’on

peut décrire par (je suppose que X), est propre au futur simple et ne trouve pas son

équivalent au conditionnel. C’est donc la combinaison postérieur ⊕ non-décalé

qui exprime ce sens modal, et non seulement postérieur. Il s’agit d’un phrasème

grammémique (cf. Ch. IV, § 7, p. 67).

Enfin, le conditionnel peut servir à exprimer la réserve du locuteur quand il rap-

porte des faits qu’on lui a relatés [Le suspect serait armé et dangereux, d’après les

policiers]. Nous représentons le sens de cette acception par (il paraît que X). On en

trouve généralement de nombreux usages dans les textes journalistiques. Là

encore, ce sens n’est attribuable ni à postérieur, ni à décalé, mais à la combinai-

son des deux. C’est un autre phrasème grammémique.

Nous avons délibérément laissé de côté les signes de phase aspectuelle, afin de

ne pas confondre des phénomènes linguistiques très proches. Les marqueurs de

phases ne montrent pas de polysémie, mais il existe un phrasème grammémique

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

219

impliquant l’auxiliaire de le phase accomplie: le futur antérieur à valeur de bilan

[L’hiver 1528–1529 aura été particulièrement rigoureux]. Le sens de «X aura

V–é» est plus ou moins (en rétrospective, X a V-é). Il contient donc le sens de

AVOIRacc, mais pas celui de postérieur. Il s’agit d’un cas intéressant de phraséolo-

gie, qu’on pourrait appeler collocation grammaticale81.

6.5 Synthèse: les catégories flexionnelles de temps et de décalage

Il y a donc en français non pas une, mais deux catégories flexionnelles distinctes

qui situent les faits dans le temps. Une première, celle de décalage, indique quel est

le repère temporel par rapport auquel sont situés les faits. Une deuxième catégorie,

celle du temps à proprement parler, situe les faits par rapport à ce point de repère.

Les grammèmes de la catégorie de décalage sont:

• Non-décalé, qui signifie que le point de repère est soit le moment d’énon-

ciation, soit un moment dans le futur. Il s’exprime par un suffixe zéro.

• Décalé, qui indique que le repère temporel est dans le passé. Il s’exprime

par le suffixe –AI– (dont les allomorphes sont –ai– [faisait] et –i– [fai-

sions]). Il peut également avoir une valeur d’atténuation ou d’irréalité.

La catégorie flexionnelle de temps compte les grammèmes suivants:

• Simultané, qui signifie (X a lieu en même temps que Y). Il s’exprime par

un suffixe zéro.

• Antérieur, qui signifie (X a lieu avant Y). Il s’exprime généralement de

façon analytique par la construction «AVOIRant + V–é». Quand il est com-

biné au grammème non-décalé, dans un registre soutenu ou littéraire, il

peut aussi s’exprimer par le suffixe du passé simple, qui exprime de façon

cumulative le temps, la personne et le nombre.

• Postérieur, qui signifie (X a lieu après Y). Il s’exprime de façon synthéti-

que par le morphème –R–. Il peut également avoir une valeur d’atténuation.

81. Une collocation est une expression phraséologisée dont le sens comprend dans uneposition centrale celui d’une seule de ses composantes. Nous y reviendrons au ChapitreVIII (§ 3.5, p. 341).

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

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Aucune forme verbale ne porte seulement qu’un grammème de temps ou de

décalage. Ces deux catégories flexionnelles doivent toujours être utilisées ensem-

ble.

7 Le genre, le nombre et la personne

Tous les verbes finis doivent s’accorder en personne et en nombre avec leur

sujet. Les verbes au participe passé doivent quant à eux s’accorder en genre et en

nombre (soit avec le sujet, soit avec l’objet, selon le contexte — nous y revien-

drons plus loin, Ch. VIII, § 2.4.5, p. 310). Notre traitement de ces catégories

flexionnelles suit la tradition. La catégorie flexionnelle de genre ne contient que les

grammèmes masculin et féminin. La catégorie de personne contient les gram-

mème 1ère, 2e et 3e. Les grammèmes de nombre sont singulier et pluriel.

Les catégories flexionnelles de genre, de nombre et de personne sont des caté-

gories d’accord, et en ce sens, leurs grammèmes ne sont pas porteurs de sens. Ces

signes grammaticaux ont peu d’intérêt pour notre étude et nous nous contenterons

de cette description sommaire. Nous en reparlerons plus loin lors de la formalisa-

tion de notre modèle (Ch. VIII, § 2.4.5, p. 310 et Ch. VIII, § 3.2.1, p. 319).

8 Synthèse: les catégories flexionnelles et leurs grammèmes

Les formes surcomposées nous ont permis de mettre en lumière le fait qu’il

existe deux auxiliaires AVOIR en français: AVOIRacc et AVOIRant. Le premier fait

partie des marqueurs de phases, qui ne forment pas une catégorie flexionnelle à

proprement parler. Les marqueurs de phases expriment des sens liés aux bornes

temporelles des faits et aux phases qu’elles délimitent. L’auxiliaire AVOIRacc

exprime la phase qui suit l’accomplissement d’un fait. La locution prépositive kEN

TRAINl exprime la phase simultanée à la réalisation du fait. L’auxiliaire ALLER

dénote la phase qui précède un fait. D’autres signes servent à dénoter les bornes

temporelles des faits ou leur environnement immédiat, notamment VENIR et kSUR

LE POINTl. Parmi tous ces marqueurs, ceux qui sont de type verbal (ALLER, VENIR

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

221

et AVOIRacc) doivent, comme tous les autres verbes, porter des grammèmes de fini-

tude, de mode, de temps, etc., ce qui permet de situer dans le temps les phases

qu’ils dénotent.

La catégorie de finitude est obligatoire pour tous les verbes. Elle comprend les

grammèmes fini, infinitif, participe-ant et participe-é.

Les verbes finis sont les seuls à devoir porter un grammème de mode. La caté-

gorie de mode comprend les grammèmes indicatif, subjonctif et impératif.

Nous considérons les deux premiers comme sémantiquement vides dans leur

emploi de base, alors que l’impératif exprime un ordre, une requête, etc.

Seuls les verbes à l’indicatif permettent de situer les faits dans le temps sans

avoir nécessairement recours à un marqueur de phase. Cela se fait toujours par le

biais de deux catégories flexionnelles complémentaires. La catégorie de décalage

indique quel est le point de repère par rapport auquel sont situés les faits (non-

décalé si le point de repère est le moment de la parole ou un moment futur, décalé

si le repère temporel est dans le passé). La catégorie de temps situe les faits par

rapport à ce point de repère (antérieur, simultané, postérieur).

La Figure 29 ci-dessous montre de façon schématique les catégories flexionnel-

les verbales du français et la combinatoire de leurs grammèmes superficiels.

Figure 29 — La combinatoire des grammèmes superficiels verbaux en français

Finitude

fini inf part-ant part-é

Mode

ind subj impér(Adj)

Personne

1 2 3

Nombre

sg pl

Temps

sim ant post

Décalage

n-déc déc

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VI. Un modèle descriptif de la conjugaison française

222

Nous avons obtenu ce modèle en ne considérant que le sens de base des gram-

mèmes. Autrement, nous n’aurions pas pu obtenir un système cohérent. Il est inté-

ressant de noter que les acceptions secondaires des grammèmes et les phrasèmes

grammémiques permettent d’exprimer des sens typiques de catégories flexionnel-

les qu’on trouve dans d’autre langues. Notamment, le conditionnel de réserve et le

futur de supposition correspondent respectivement aux grammèmes citatif et

présomptif de la catégorie d’évidentialité de Mel’čuk (1994: p. 167). On peut

dire en quelque sorte que l’évidentialité est une «catégorie flexionnelle virtuelle»

du français.

Nous allons maintenant voir comment formaliser notre description du système

flexionnel verbal du français.

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

Dans les chapitres précédents, nous avons exposé notre méthodologie pour

l’étude des grammèmes et l’avons appliquée au système verbal du français. Nous

en avons dégagé un système flexionnel cohérent, mais nous ne l’avons décrit que

de façon informelle. Nous allons maintenant voir comment ce modèle peut être

formalisé. Notre but est de construire un dispositif formel qui mette en correspon-

dance la représentation du sens d’un énoncé (avec les informations sémantiques

relatives au temps) et la représentation de l’organisation syntaxique de cet énoncé,

et ce, que ce soit dans le sens de la synthèse ou de l’analyse. Rappelons que notre

travail se situe dans le cadre de la théorie Sens-Texte (TST), que nous avons pré-

sentée au Chapitre III. Cependant, le formalisme que nous utilisons est celui des

grammaires d’unification Sens-Texte (GUST).

Le formalisme GUST a d’abord été proposé par Kahane (2001, 2002, 2003b)

comme une reformulation de la TST en termes d’une grammaire basée sur l’unifi-

cation de structures. Puis, Kahane (2004) a suggéré l’utilisation de polarités pour

contrôler la saturation des structures. Construisant sur cette idée, Kahane & Lareau

(2005a, 2005b) ont donné à GUST sa forme actuelle en précisant le formalisme et

en élaborant le mécanisme d’articulation des modules de la grammaire. Dans ce

chapitre, nous présenterons en détail GUST en reprenant notamment trois articles

que nous avons publiés, soit Kahane & Lareau (2005a, 2005b) et Lareau (2007).

Une partie significative de notre recherche sur le sujet a été faite en étroite collabo-

ration avec Sylvain Kahane, si bien qu’il n’est pas toujours évident de savoir qui a

fait quoi exactement. Cependant, étant donné la nature de cette thèse, nous tâche-

rons dans la mesure du possible de préciser notre rôle dans l’élaboration du forma-

lisme.

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

224

1 L’architecture générale de GUST

L’architecture de GUST est semblable à celle de la Théorie Sens-Texte (cf. Cha-

pitre III, p. 35). La principale différence entre les deux réside dans le fait que la

TST présuppose une procédure implicite pour gérer l’interaction des règles. Il faut

adjoindre à la grammaire un mécanisme qui vérifie quel fragment de structure a

déjà été «consommé» par une règle, afin d’éviter d’une part que plusieurs règles

s’appliquent au même fragment et génèrent des structures mal formées, et afin de

vérifier d’autre part que toute la structure de départ a été «consommée» par les

règles1. GUST, quant à lui, se base sur l’unification de structures pour la combinai-

son des règles. Il s’apparente donc, en ce sens, aux grammaires d’arbres adjoints

(TAG, de l’anglais tree adjoining grammar) (Joshi et al. 1975), aux grammaires

syntagmatiques dirigées par les têtes (HPSG, de l’anglais head-driven phrase

structure grammar) (Pollard & Sag 1994) et aux grammaires lexicales fonctionnel-

les (LFG, de l’anglais lexical functional grammar) (Bresnan 2001). Par ailleurs, la

saturation des objets est explicitement prise en charge par les règles elles-mêmes

grâce à un système de polarités (Kahane 2004, Kahane & Lareau 2005a), que nous

présentons plus loin (§ 3, p. 229). Ces deux propriétés doivent en théorie rendre

GUST plus facile à vérifier et à implémenter que la TST, puisqu’il n’y a pas de

procédure cachée à prendre en charge.

En GUST, comme pour la TST, la correspondance entre un sens et un texte est

décrite via un certain nombre de correspondances intermédiaires. Alors que la TST

stipule sept niveaux de représentation (cf. Ch. III, § 2, p. 38), GUST n’en compte

que quatre, puisqu’il ne distingue pas les niveaux profonds et de surface. Il s’agit

des niveaux sémantique, syntaxique, morphotopologique et phonologique. Les

structures utilisées diffèrent à chacun des niveaux de représentation: la structure

sémantique est un graphe, la structure syntaxique est un arbre de dépendances non

ordonné, la structure morphotopologique en est une de type syntagmatique où les

1. Bohnet & Wanner (2001) décrivent cette procédure. Nous avons aussi présenté unmécanisme similaire dans notre mémoire de maîtrise (Lareau 2002). Il faut noter quecertaines formalisations de la TST disent explicitement ce qui est consommé par lesrègles (cf. notamment Kahane & Mel’čuk 1999 et Bohnet & Wanner 2001).

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

225

éléments sont ordonnés et la structure phonologique est une chaîne. Chaque niveau

possède sa propre grammaire de bonne formation, qui assure la construction de

structures valides. Puisque ces grammaires ne font que construire des représenta-

tions linguistiques sans les mettre en correspondance, il faut également des gram-

maires d’interface pour assurer cette mise en correspondance. On a donc quatre

grammaires de bonne formation et trois grammaires d’interface, que nous regrou-

pons toutes sous le terme générique de «module». Cette architecture très modu-

laire annonce une philosophie «atomiste», héritée de la TST, qui sous-tend cette

théorie. En effet, GUST tend à éclater le problème de la correspondance entre les

sens et les textes en sous-problèmes.

Il peut alors paraître paradoxal que GUST élimine les niveaux profonds de

représentation utilisés dans la TST. En fait, Kahane (2002, 2003c) montre que le

niveau syntaxique profond de la TST est équivalent à une structure de dérivation

où apparaissent les signes profonds qui établissent la correspondance entre une

représentation sémantique et une représentation syntaxique de surface données. Si

on considère que chaque règle de l’interface sémantique-syntaxe de GUST décrit

un signe profond, alors on peut dire que cette interface correspond au niveau syn-

taxique profond de la TST. On suppose que la même équivalence existe entre les

autres modules d’interface de GUST et les autres niveaux profonds de la TST, bien

que cela n’ait pas été discuté en profondeur dans la littérature. Dans cette thèse,

nous ne nous intéressons pas aux niveaux de représentation morphologique et

phonologique; nous laisserons donc cette question en suspens.

La TST a toujours beaucoup mis l’emphase sur la description du lexique dans

un dictionnaire et a développé des outils spécifiquement adaptés à cette tâche

(tableaux de régime, fonctions lexicales, etc.). En GUST, il n’y a pas de

dictionnaire: tout est décrit dans la grammaire. Il y a donc forcément beaucoup de

règles (en fait, l’écrasante majorité) qui font directement référence à un séman-

tème, un lexème ou un morphème particulier. En apparence, il s’agit d’une diffé-

rence fondamentale entre la TST et GUST. Pourtant, il n’en est rien. En fait, le

dictionnaire de la TST peut être conçu comme version «compactée» d’un ensem-

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

226

ble de règles ayant en commun une référence directe à un même lexème (ou aux

sémantème et morphème qui lui correspondent); on a peu insisté sur cette vision

des choses dans la littérature, mais elle n’est pas du tout incompatible avec la théo-

rie. Par exemple, Kahane & Polguère (2001) ont démontré que les fonctions lexi-

cales peuvent être définies formellement par des patrons de correspondance entre

des structures sémantiques et syntaxiques profondes. Donc, il est possible de repré-

senter les fonctions lexicales par des (patrons de) règles de correspondance. Il en

va de même des patrons de régime et des autres informations contenues dans un

article de dictionnaire (sauf, bien entendu, les informations métalinguistique,

comme les exemples)2. C’est du moins le postulat adopté en GUST, où tout le lexi-

que est décrit par des règles. Il va de soi que cela augmente considérablement le

nombre de règles à gérer dans la création d’une grammaire à large couverture, mais

on peut très bien imaginer des outils informatiques qui faciliteraient cette tâche.

Nous verrons plus loin (§ 5, p. 236) quel est le rôle exact de chacun des modules

de GUST et comment ils s’articulent pour former une grammaire complète. Mais

d’abord, il convient de présenter en détail le formalisme utilisé.

2 La forme des structures de GUST

Chaque module de GUST est un ensemble non vide de règles. Contrairement

aux règles de la TST, celles de GUST ne sont pas toutes des règles de correspon-

dance. Elles sont toutes des structures élémentaires qui peuvent se combi-

ner entre elles pour former des structures plus complexes qui représentent les

énoncés linguistiques à divers niveaux de fonctionnement de la langue3. Par exem-

ple, les deux structures suivantes peuvent constituer des règles en GUST (elles sont

de types différents et appartiennent à des modules distincts de la grammaire). Il est

normal que les détails du formalisme échappent au lecteur à ce stade-ci de

l’exposé, mais on comprend intuitivement que la première règle représente le fait

2. Sur la transformation automatique d’articles de dictionnaire en règles dans le cadre de laTST, voir notamment Lareau (2002).

3. Formellement, rien ne distingue les règles d’un module des structures servant àreprésenter les énoncés. Les règles de GUST ne sont rien d’autre que des structures.

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

227

que (dormir) est un prédicat à un argument et que la seconde indique que ce prédi-

cat peut s’exprimer par le lexème DORMIR.

En GUST, il n’y a aucune différence formelle entre une structure et une règle.

Une même règle peut se combiner plusieurs fois avec d’autres, ou encore avec elle-

même. C’est en combinant les règles, autrement dit en «collant» des bouts de

structures ensemble, qu’on construit les représentations (sémantiques, syntaxiques,

etc.) des énoncés, ainsi que les liens de correspondance entre elles.

Parmi les structures élémentaires qui forment un module, on peut en identifier

une ou plusieurs comme structures initiales. Dans ce cas, lors de la combinai-

son des structures élémentaires du module, une des structures initiales doit être uti-

lisée une et une seule fois. Nous verrons plus loin que les structures initiales sont

notamment utilisées en syntaxe (cf. Figure 42, p. 246, et Figure 44, p. 249).

Toutes les structures sont conçues comme un ensemble d’objets et un ensem-

ble de fonctions sur ces objets4. Les objets sont typés : nœud sémantique, arc

syntaxique, objet grammémique, etc. Tout, dans une règle GUST, est un objet, y

compris les liens de correspondance entre des nœuds de niveaux adjacents5. Les

types d’objets sont décidés par le linguiste, selon le genre de grammaire qu’il sou-

haite construire6. Nous reviendrons plus loin sur les types d’objets que nous

utilisons; pour l’instant, il suffit de savoir qu’il existe différents types.

Figure 30 — Deux règles simples de GUST

4. Il s’agit de fonctions du type f(x) = y (voir la remarque à ce sujet, p. 229). Cettereprésentation des structures en termes d’objets et de fonctions sur les objets est notrecontribution personnelle.

5. Dans la formulation initiale de GUST (Kahane 2002), les liens de correspondance étaientimplicites dans le formalisme.

6. Kahane (2004) montre que le formalisme des grammaires d’unification polariséespermet de modéliser diverses théories linguistiques.

(dormir)

1

(dormir)⇔

DORMIR

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

228

Les objets peuvent être associés à certaines fonctions, selon leur type. Par

exemple, un nœud syntaxique pourra être associé à des fonctions qui retournent

comme valeur un objet grammémique, alors qu’un arc ne peut pas être lié à de tel-

les fonctions (nous verrons plus loin quelles sont les fonctions qui s’associent à tel

ou tel type d’objet). Les objets ne sont pas intrinsèquement liés les uns aux autres;

ce sont plutôt les fonctions qui fournissent la structure proprement dite en liant les

objets. Toutes les fonctions prennent un seul argument, toujours un objet d’une

structure, et ne retournent qu’une seule valeur. Il existe trois types de fonctions,

selon le type de valeur retournée:

1) Les fonctions structurantes associent un objet à un autre objet de la

même structure. Elles servent, par exemple, à associer un arc à son nœud

cible et à son nœud source, ou encore à rattacher les objets

grammémiques aux nœuds syntaxiques. Ce sont ces fonctions qui font

qu’une structure est bien une structure, et non un simple ensemble

d’objets. Par exemple, les fonctions source et cible à la Figure 31 (p. 229)

sont des fonctions structurantes qui lient un arc sémantique à deux nœuds

sémantiques.

2) Les fonctions d’étiquetage associent à un objet une chaîne de

caractères. Elles servent à étiqueter les objets de noms de lexèmes, de

grammèmes, de relations syntaxiques, etc. Les étiquettes peuvent être

spécifiques à une langue en particulier. Par exemple, la fonction étiquette

à la Figure 31 (p. 229) est une fonction d’étiquetage. Elle lie un arc

sémantique à un nom de relation sémantique, «1». Elle lie également un

nœud sémantique à un sémantème, (dormir). La liste des relations

sémantiques est universelle mais la liste des sémantèmes change d’une

langue à l’autre.

3) Les fonctions de polarisation retournent comme valeur un élément

d’un ensemble de polarités. Nous reviendrons à la section suivante sur la

polarisation des objets et nous verrons un exemple de fonction de

polarisation à la Figure 32 (p. 230).

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

229

N.B.: Nos «fonctions» ne sont pas tout à fait des fonctions au sens mathématique duterme7. En mathématiques, si une fonction f associe toujours à un même objetles mêmes valeurs que la fonction g, alors f et g désignent la même fonction.Dans le cas de GUST, deux fonctions qui associent les mêmes valeurs auxmêmes objets sont bien des fonctions distinctes si elles ne portent pas le mêmenom. Ainsi, contrairement aux fonctions en mathématiques, que l’on entendcomme un ensemble de couples (argument, valeur), les fonctions de GUSTsont plutôt des triplets (nom de fonction, argument, valeur). Elles sont en cesens similaires aux fonctions des langages de programmation C ou Java parexemple, ou encore à des prédicats logiques binaires.

Ce formalisme permet par exemple d’encoder la structure sémantique qui repré-

sente le sens ([X] dormir) de la façon suivante. Nous avons trois objets, identifiés

par les numéro 1 à 3. Chaque objet est typé. Aux objets s’ajoutent des fonctions.

On a donc le couple ⟨ { 1:nœudsém, 2:nœudsém, 3:arcsém }, { source(3)=1,

cible(3)=2, étiquette(1)="dormir", étiquette(3)="1" } ⟩. Ce type de représentation

n’étant pas particulièrement lisible, nous lui préférerons une représentation graphi-

que. La figure suivante encode la même information. Les objets y sont représentés

par des formes géométriques (la forme indiquant le type de l’objet) et les fonctions

sont représentées par des arcs en pointillés orientés de l’argument vers la valeur.

Toutefois, cette structure n’est pas tout à fait complète. En effet, les structures

utilisées en GUST doivent être polarisées puisque c’est cette polarisation qui con-

trôle la combinaison des règles.

3 Le système des polarités

Une structure polarisée est une structure dont tous les objets sont associés

par une fonction polarisante à une valeur appartenant à un ensemble fini P de

7. Merci à Kim Gerdes pour avoir porté ce fait à notre attention.

⟨ { 1:nœudsém, 2:nœudsém, 3:arcsém },{ source(3)=1, cible(3)=2,

étiquette(1)="dormir", étiquette(3)="1" } ⟩≡

Figure 31 — Une structure GUST et sa représentation graphique explicite

"dormir"

étiquette

étiquette

sourcecible

"1"

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

230

polarités. Les polarités servent à contrôler la saturation des structures construites

par les grammaires. À notre connaissance, le premier à avoir utilisé à cette fin la

polarisation d’objets dans une grammaire était Nasr (1995). Par la suite, Duchier et

Thater (1999) ont développé cette idée, et Kahane (2000a), Gerdes (2001) et Per-

rier (2002) ont proposé des formalismes différents basés sur le concept de polarité.

Le formalisme que nous utilisons est essentiellement celui des grammaires d’unifi-

cation polarisées (GUP) proposé par Kahane (2004). GUP est un formalisme géné-

rique, c’est-à-dire qu’il n’est pas associé à une théorie linguistique en particulier. Il

a été utilisé pour la formalisation de GUST d’abord par Kahane & Lareau (2005a).

Nous utilisons un système à deux polarités, que nous appellerons respective-

ment noire et blanche: P = {� ,�}. La polarité noire représente la saturation alors

que la blanche représente au contraire la non-saturation, en d’autres termes un

«besoin», ou une «place ouverte»8. Ce dispositif permet d’indiquer, par exemple,

dans la structure sémantique de ([X] dormir) donnée plus haut, que cette structure

est incomplète puisque (dormir) doit avoir un actant. On n’a alors qu’à polariser en

blanc le nœud dépendant pour indiquer qu’il faut «combler un besoin»:

On comprendra que même la représentation graphique devient vite illisible.

Nous allons donc utiliser dorénavant des représentations où un certain nombre

d’informations seront implicites. Notamment, les fonctions source et cible seront

8. Kahane & Lareau (2005a, 2005b) avaient une polarité supplémentaire grise, mais nousverrons qu’elle n’est pas nécessaire puisqu’elle équivaut formellement à une absence depolarité. Bien que du point de vue du linguiste qui développe la grammaire il peut êtresouhaitable d’avoir la polarité grise, nous avons décidé de ne pas l’utiliser dans cettethèse.

⟨ { 1:nœudsém, 2:nœudsém, 3:arcsém },{ source(3)=1, cible(3)=2,

étiquette(1)="dormir", étiquette(3)="1"polarité(1)=�, polarité(2)=�, polarité(3)=� } ⟩

Figure 32 — Une structure polarisée et sa représentation graphique

"dormir"étiquette

étiquette

sourcecible

"1"

polarité

polarité

polarité

P={ , }

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

231

toujours omises dans les figures, l’orientation des arcs étant suffisante. D’autre

part, les polarités seront indiquées directement sur les objets, qui seront selon le

cas noirs ou blancs. Enfin, les étiquettes seront tout simplement placées à côté des

objets, sans que la fonction d’étiquetage ne soit explicitement montrée. Ainsi, la

structure de la Figure 32 sera représentée ainsi:

L’ensemble P est également muni d’une opération (commutative et associa-

tive), le produit, que l’on note «·». Cette opération est nécessaire pour la combi-

naison de structures polarisées. En effet, lorsque deux objets polarisés a et b sont

unifiés, ils donnent naissance à un nouvel objet c, dont la polarité est le produit des

polarités de a et de b: polarité(c) = polarité(a) · polarité(b) (nous y reviendrons à la

section suivante). Le produit des polarités est défini par le tableau suivant (où «⊥»

représente l’échec de l’opération):

Il est intéressant de noter que cette opération induit sur l’ensemble P un ordre

� < �, de sorte que le produit de deux polarités donne toujours celle dont le rang

est le plus élevé, c’est-à-dire que pi · pj = max{pi,pj}9. Ainsi, les objets, en s’uni-

Figure 33 — Une représentation graphique simplifiée pour une structure polarisée

· � �

� � �

� � ⊥

Tableau XXV — Le produit des polarités de GUST

9. Il existe aussi des systèmes où pi · pj ≥ max{pi,pj}. Par exemple, Kahane (2004) utiliseun système où le produit des polarités + et – est la polarité noire, dont le rang est plusélevé que celui de + et de –.

"dormir"étiquette

étiquette

sourcecible

"1"

polarité

polarité

polarité

P={ , }

(dormir)

1

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

232

fiant, tendent vers la polarité noire. En d’autres termes, les structures, en se combi-

nant, se saturent.

En plus de l’ensemble P, il faut également définir un sous-ensemble N de P qui

contient les polarités neutres. Il s’agit d’un sous-ensemble strict, c’est-à-dire

que les polarités de P ne peuvent pas toutes être neutres. Nous utilisons un système

à une polarité neutre: N = {�}. Cette polarité sert à mettre un terme au processus

d’unification des structures (que nous décrivons en détail à la section suivante).

Tant qu’une structure contient des objets non neutres, elle est en quelque sorte

«active», à la manière d’un atome dont la valence n’est pas neutre. Quand, après

s’être unifiée avec d’autres structures, tous les objets ont été neutralisés, le proces-

sus d’unification s’arrête naturellement, de la même façon que les atomes cessent

d’attirer d’autres atomes quand leur valence a été saturée et qu’une molécule stable

s’est formée. Nous allons maintenant voir comment se fait l’unification des struc-

tures polarisées. Mais d’abord, une dernière remarque s’impose au sujet des polari-

tés.

Libre au linguiste de définir un autre système de polarités selon ses besoins.

Cependant, certains systèmes ne sont pas appropriés pour la description des lan-

gues. Il faut restreindre la puissance du formalisme en imposant les contraintes sui-

vantes sur le système de polarités:

1) Contrainte de dynamisme : N doit contenir au moins une polarité et

être un sous-ensemble au sens strict de P (de sorte qu’il existe au moins

une polarité neutre et une non-neutre, ce qui permet leur interaction,

assurant ainsi le dynamisme de la grammaire).

2) Contrainte de monotonicité: P doit être ordonné, et le produit de deux

polarités doit toujours donner une polarité d’un rang supérieur ou égal au

rang le plus élevé des deux (de sorte que le processus d’unification des

structures ne puisse pas boucler à l’infini et qu’il progresse

inexorablement vers les polarités les plus élevées dans l’échelle).

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

233

3) Contrainte de finalité : la ou les polarités ayant le plus haut rang dans P

doivent être neutres (de sorte que les structures tendent à se neutraliser).

4) Contrainte de déclarativité : le produit des polarités doit être

commutatif et associatif (de sorte que les règles de la grammaire puissent

se combiner dans n’importe quel ordre).

La dernière contrainte est plus faible que les autres. Si elle est violée, on peut

obtenir une grammaire qui fonctionne, mais l’ordre d’application des règles sera

pertinent, ce que nous ne souhaitons pas. Par contre, les autres contraintes doivent

absolument être respectées, sans quoi la grammaire risque de ne pouvoir décrire

aucun langage.

4 L’unification de structures polarisées

Les règles GUST (qui sont des structures polarisées) se combinent selon un pro-

cessus bien précis. La combinaison de deux structures A et B, notée «⊕»,

donne une nouvelle structure par l’unification d’au moins un objet de A et de B. La

combinaison de structures repose donc entièrement sur l’opération d’unificationd’objets, notée «+». Le processus d’unification de deux objets implique un certain

nombre d’opérations qu’il convient d’expliciter ici.

Pour unifier un objet a de la structure A et un objet b de B, la première condition

à vérifier est que les deux objets soient du même type. Il n’est pas possible par

exemple d’unifier un arc et un objet grammémique, pas plus qu’il n’est possible

d’unifier un nœud sémantique avec un nœud syntaxique. L’objet c obtenu par uni-

fication de a et de b aura bien sûr le même type que ces derniers.

Ensuite, il faut vérifier que les fonctions liées à ces objets peuvent également

s’unifier. Si une fonction f est associée à a mais pas à b, alors cette fonction est sim-

plement transférée à l’objet c, c’est-à-dire qu’on ajoute à la nouvelle structure C à

laquelle c appartient la fonction f telle que f(c) = f(a)10. Si par contre une même

fonction f est associée, dans leur structure respective, à la fois à a et à b, alors il faut

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

234

que f(a) et f(b) puissent s’unifier, ce qui se vérifie différemment selon le type de

valeur:

• Dans le cas des fonctions d’étiquetage, il s’agit simplement de vérifier que

f(a) = f(b). Si c’est bien le cas, alors l’objet c sera associé à la fonction f

avec la même valeur: f(c) = f(a) = f(b).

• Dans le cas des fonctions structurantes, les valeurs f(a) et f(b) sont des

objets qu’il faut alors tenter d’unifier. Si cette unification échoue, celle de a

et b échoue également. Si au contraire elle réussit, alors on associe à c la

fonction f telle que f(c) = f(a) + f(b).

• Finalement, dans le cas des fonctions de polarisation, il s’agit seulement de

calculer la polarité de c à partir de celles de a et de b: f(c) = f(a) · f(b). Cette

opération peut toutefois échouer si f(a) · f(b) = ⊥, ce qui fait échouer l’unifi-

cation de a et de b. En d’autres termes, d’après le système de polarités que

nous avons adopté, il ne sera jamais possible d’unifier deux objets de pola-

rité noire.

Toutes les fonctions associées aux objets unifiés sont nécessairement identi-

fiées, comme le sont les traits quand on unifie deux structures de traits dans

d’autres formalismes. Tout comme dans ces formalismes d’ailleurs, la combinai-

son des structures est un processus récursif. Lorsqu’on combine deux structures, la

structure qui en résulte peut à son tour être combinée à n’importe quelle autre

structure, y compris celles qui ont déjà été utilisées pour la former.

10. Lors du transfert des fonctions structurantes, la valeur est un objet d’une des structures àcombiner. Dans la structure résultante, il faut ajuster cette valeur pour qu’elle soit lenouvel objet qui a été créé (par unification ou par recopie) à partir de l’objet donnécomme valeur dans la structure de départ.

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

235

À titre illustratif, voyons comment s’effectue la combinaison des structures A et

B suivantes (que nous donnons sous forme explicite et sous forme graphique):

Les objets déjà saturés ne peuvent pas s’unifier avec d’autres objets saturés.

Ainsi, par exemple, le nœud 3 de A (celui sans étiquette) et le nœud 1 de B (celui

étiqueté «b») ne peuvent pas s’unifier puisque le produit de leurs polarités échoue.

Par ailleurs, les étiquettes associées aux objets contrôlent aussi la combinaison des

structures. Ainsi, le nœud étiqueté «a» dans A ne peut pas s’unifier avec le nœud

étiqueté «c» dans B, puisque leurs étiquettes ne peuvent pas être identifiées. Par

contre, on peut unifier, par exemple, le nœud 3 de A (sans étiquette) avec le nœud 2

de B (étiqueté «c»). La polarité du nœud résultant sera alors � · � = �. En unifiant

également les nœuds étiquetés «b», on obtient la structure C suivante:

L’unification des objets n’est toutefois pas toujours obligatoire. Pour que deux

structures se combinent, il suffit qu’un seul de leurs objets s’unifie. Lorsque toutes

les unifications possibles pour deux structures sont effectuées, nous disons qu’il

s’agit d’une combinaison totale. Lorsque, au contraire, on n’unifie qu’une

A

⟨ { 1:nœud, 2:nœud, 3:nœud, 4: arc, 5: arc },{ étiquette(1)="a", étiquette(2)="b",

source(4)=1, cible(4)=2, source(5)=1, cible(5)=3,polarité(1)=�, polarité(2)=�,

polarité(3)=�, polarité(4)=�, polarité(5)=� } ⟩

B

⟨ { 1:nœud, 2:nœud, 3:arc },{ étiquette(1)="b", étiquette(2)="c",

source(3)=1, cible(3)=2,polarité(1)=�, polarité(2)=�, polarité(3)=� } ⟩

Figure 34 — Deux structures polarisées à combiner

C

⟨ { 1:nœud, 2:nœud, 3:nœud, 4: arc, 5: arc, 6: arc },{ étiquette(1)="a", étiquette(2)="b", étiquette(3)="c",

source(4)=1, cible(4)=2, source(5)=1,cible(5)=3, source(6)=2, cible(6)=3,

polarité(1)=�, polarité(2)=�, polarité(3)=�,polarité(4)=�, polarité(5)=�, polarité(6)=� } ⟩

Figure 35 — Le résultat de la combinaison de deux structures polarisées

a

b

b

c

a

b c

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

236

partie des objets qui pourraient s’unifier, on parle alors de combinaison par-tielle. Notons qu’il peut y avoir plus d’une combinaison totale possible pour une

même paire de structures. Ce n’est pas le cas dans notre exemple, mais on a toute-

fois deux combinaisons partielles possibles, soit en n’unifiant pas les objets 2 de A

et 1 de B, soit en ignorant la possibilité d’unification de 3 de A et 2 de B. On peut

donc obtenir deux structures supplémentaires:

Ceci conclut notre présentation du formalisme des GUP. Ce formalisme est uti-

lisé dans tous les modules de GUST, et c’est là un des points forts de la théorie.

Nous allons maintenant voir comment ces modules s’articulent pour former une

grammaire cohérente.

5 Les modules de GUST et leur articulation

Nous avons vu plus haut (§ 1, p. 224) qu’un modèle GUST est composé de qua-

tre grammaires de bonne formation qui construisent des représentations linguisti-

ques valides et de trois grammaires d’interface qui assurent la mise en

correspondance des structures construites par les grammaires de bonne formation.

Les grammaires de bonne formation sont la grammaire sémantique (Gsém), la

grammaire syntaxique (Gsynt), la grammaire morphotopologique (Gtopo) et la

grammaire phonologique (Gphon). Les grammaires d’interface sont l’interface

sémantique-syntaxe (Isém-synt), l’interface syntaxe-morphotopologie (Isynt-topo) et

l’interface morphotopologie-phonologie (Itopo-phon). Toutes ces composantes for-

ment la grammaire d’une langue. Nous utiliserons le terme «module» pour dési-

gner tant les grammaires de bonne formation que les grammaires d’interface. Nous

allons d’abord présenter chacun des modules en question, puis nous verrons com-

C′′′′ C′′′′′′′′

Figure 36 — La combinaison partielle de deux structures polarisées

b

c

a

b

a

bc

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

237

ment ils s’articulent. Cette section reprend l’essentiel des articles de Kahane &

Lareau (2005a, 2005b) en y ajoutant une description complète des types d’objets.

5.1 Les grammaires de bonne formation

Les règles de bonne formation des structures de la TST sont très souvent impli-

cites. En principe, elles doivent, par exemple, donner la liste de tous les sémantè-

mes pouvant apparaître dans une représentation sémantique dans une langue

donnée (cf. Polguère 1990). Ces règles ne servent qu’à vérifier les structures don-

nées en entrée au modèle ou produites par celui-ci. Les grammaires de bonne for-

mation de GUST peuvent fonctionner de deux façons: elles peuvent générer des

structures (sémantiques, syntaxiques, morphotopologiques ou phonologiques) à

partir de rien, ou encore elles peuvent vérifier la bonne formation d’une structure

déjà existante. Nous verrons plus loin (§ 5.3.2, p. 256) que ce dernier mode de

fonctionnement peut également entraîner la modification d’une structure incom-

plète de façon à obtenir une structure bien formée. Puisque la nature des représen-

tations varie d’un niveau à l’autre, il va de soi que les structures manipulées par les

différentes grammaires de bonne formation ainsi que les objets qui les composent

ne seront pas du même type.

Dans sa première formulation de GUST, Kahane (2002) ne prévoyait pas de

module distinct pour assurer la bonne formation des représentations linguistiques.

Le principe à la base de sa théorie étant que chaque règle décrit un signe, il ne

devait y avoir que des modules d’interface. Dans un article subséquent sur les

signes grammaticaux dans l’interface sémantique-syntaxe de GUST, Kahane

(2003b) fait mention de règles simples de bonne formation syntaxique, mais sans

préciser où et dans quel format elles doivent être décrites. C’est lors de la reformu-

lation de GUST en GUP par Kahane & Lareau (2005a, 2005b) qu’ont été introduits

les modules de bonne formation sémantique et syntaxique. Cependant, nous

n’avons pas discuté dans cet article de leur utilité, ni de ce qu’ils doivent contenir

précisément. Si on suit l’esprit de Kahane (2002), les grammaires de bonne forma-

tion doivent être limitée à la description de phénomènes aussi généraux que possi-

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

238

ble. Tout ce qui est lié à un signe en particulier doit être décrit dans les grammaires

d’interface.

Cependant, les correspondances entre niveaux adjacents ne sont pas bi-univo-

ques. Un même objet peut donc apparaître dans plusieurs règles qui le mettent en

correspondance avec divers objets de niveaux adjacents. Par exemple, le séman-

tème (dormir) peut être lexicalisé par DORMIR, DODO, SOMMEIL, etc. Chaque lexi-

calisation est décrite par une règle différente. Mais il s’agit toujours du même

sémantème, dont on peut vouloir, par exemple, typer les actants (le dormeur doit

être vivant) ou fournir une décomposition sémantique. Alors, dans quelle règle

faut-il le faire? Faut-il répéter cette information dans toutes les règles? Inverse-

ment, un même lexème peut être mis en correspondance avec différents sens s’il

fait partie de phrasèmes. Par exemple, les locutions kTIRER SON ÉPINGLE DU JEUl,

kTIRER LE DIABLE PAR LA QUEUEl ou kTIRER LES FICELLESl sont mises en corres-

pondance avec leur sens respectif par autant de règles du module d’interface. Tou-

tefois, elles sont toutes construites avec le même lexème TIRER, qui a des

propriétés identiques dans toutes ces locutions: il s’agit d’un verbe, il doit avoir

une finitude, peut-être un mode, un temps, etc. Faut-il répéter cette information

dans toutes les règles de correspondance où TIRER apparaît? En décrivant la com-

binatoire sémantique et syntaxique des signes dans les règles de correspondance,

comme le fait Kahane (2002), on est forcé d’introduire une certaine redondance.

D’un point de vue théorique, il n’y a pas vraiment de problème; mais d’un point de

vue pratique, le risque d’erreur de la part du linguiste augmente considérablement

si l’information grammaticale est encodée de manière diffuse.

Pour cette raison, nous préférons décrire une partie de la combinatoire des

signes dans les grammaires de bonne formation sémantique et syntaxique. Cette

information est en fait une projection des niveaux plus superficiels que la syntaxe

(ou plus profonds que la sémantique — mais on sort alors de la langue).

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

239

5.1.1 La grammaire sémantique

La grammaire de bonne formation sémantique (Gsém) construit des graphes

dont les nœuds représentent des sémantèmes et les arcs représentent les relations

prédicat-argument entre ces sémantèmes. Ce faisant, elle doit s’assurer que chaque

prédicat possède tous les arguments qu’il lui faut, c’est-à-dire que sa valence

sémantique active est saturée.

Les nœuds sont des objets du type nœudsém. Les objets de ce type peuvent porter

une fonction étiquette qui retourne comme valeur un symbole de l’ensemble S, qui

contient tous les sémantèmes de la langue décrite (par exemple, pour le français,

S = {(chien), (perdre la tête), (temps), (paranoïa), …}).

Les arcs, quant à eux, sont du type arcsém. Tous les objets de ce type doivent

obligatoirement porter une fonction source et une fonction cible, qui retournent

toutes deux un objet de type nœudsém. Ils peuvent également porter une fonction

étiquette qui retourne comme valeur un symbole de l’ensemble Rsém, qui contient

toutes les relations sémantiques possibles (pour toutes les langues, Rsém = {1, 2, 3,

4, 5, 6}).

Tant les objets de type nœudsém que arcsém doivent également porter la fonction

de polarité psém, qui retourne (puisque c’est une fonction de polarité) un des élé-

ments de l’ensemble P (cf. § 3, p. 229). Cette polarité est propre aux objets de la

grammaire sémantique et sert à vérifier la saturation de la valence sémantique

active des sémantèmes décrits par cette grammaire. Dans chaque règle de bonne

formation sémantique, les objets polarisés en noir sont ceux réellement construits

par la règle, alors que ceux polarisés en blanc représentent la valence sémantique

des sémantèmes. La Figure 37 montre un fragment de la grammaire sémantique du

français. Il s’agit de quatre règles qui indiquent que (manger) est un prédicat à deux

arguments (c’est-à-dire que la structure sémantique n’est pas complète si ses deux

arguments ne sont pas instanciés, d’où la saturation de ses dépendants en blanc),

que (Pierre) et (pomme) sont des noms sémantiques et que (deux) est un prédicat à

un seul argument. La figure montre également une structure qui peut être générée

Page 240: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

240

par la combinaison de ces quatre règles. Cette structure est reconnue comme valide

puisque tous ses objets sont saturés.

Toutefois, rien n’empêche de combiner ces règles autrement et de créer des

représentations qui sont bien saturées mais qui sont tout de même mal formées,

comme le montre la Figure 38:

La simple saturation de la valence des prédicats ne suffit pas à vérifier la bonne

formation des structures sémantiques. Il y a deux autres propriétés qu’il faut véri-

fier au niveau sémantique. D’abord, il y a une contrainte structurelle générale,

commune à toutes les langues: la structure doit être un graphe connexe et acycli-

que. Ensuite, il faut que les arguments d’un sémantème soient d’un type approprié.

Par exemple, une activité, comme (marcher), ne peut pas être le premier argument

de (regarder).

La contrainte structurelle ne peut pas être vérifiée directement. En effet, le

mécanisme des polarités ne peut vérifier que des propriétés locales (par exemple, si

tel nœud a ou non un gouverneur), mais pour vérifier l’acyclicité d’un réseau il faut

pouvoir vérifier qu’un nœud ne se gouverne pas lui-même, même indirectement.

Par contre, la bonne formation structurelle d’un réseau peut se vérifier indirecte-

ment par sa mise en correspondance avec un arbre, puisqu’il n’est possible de

construire un arbre dont les éléments sont en correspondance avec ceux d’un

réseau si ce réseau n’est pas cyclique. Or, cette correspondance est vérifiée par la

Figure 37 — Une grammaire sémantique générant une structure bien formée

Figure 38 — Une grammaire sémantique générant une structure mal formée

(manger)1 2

(Pierre) (pomme)(deux)

1

(manger)1 2

(Pierre) (pomme)

(deux)1

(manger)1 2

(Pierre) (pomme)(deux)

1

(manger)1 2

(pomme)

(deux) 1 (deux)

1

Page 241: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

241

grammaire d’interface sémantique-syntaxe, que nous présenterons plus loin

(§ 5.3.2, p. 256).

Le problème du typage des actants, quant à lui, peut être résolu simplement en

associant à chaque sémantème un attribut qui spécifie son «type» sémantique (sa

composante sémantique centrale, c’est-à-dire, en général, son genre prochain, mais

on peut choisir un typage plus grossier et utiliser le sémantème correspondant à un

hyperonyme indirect). Il devient alors facile de vérifier le type sémantique d’un

dépendant. Cette méthode est largement utilisée notamment dans les formalismes

basés sur l’unification de structures de traits comme HPSG ou LFG. Elle peut aussi

être implémentée en GUST, comme le montre la figure suivante, où on peut voir un

typage des actants de (regarder) sous forme d’une structure de traits et son équiva-

lent en GUST:

Le problème avec cette solution est qu’elle présuppose une procédure implicite

qui gère l’unification des types avec leurs sous-types. Par exemple, si on veut uni-

fier le deuxième argument de (regarder) avec la structure qui décrit le sémantème

(père), on doit faire appel à une procédure qui vérifie que le type de (père)

(«individu») est bien un sous-type de «être animé». Cette procédure utilise une

structure de données11 additionnelle qui encode la hiérarchie des types (cf. Figure

40, ci-dessous).

Figure 39 — Une méthode simple pour le typage des actants

11. Il s’agit en général d’ontologies (voir Psyché 2003 pour un état de l’art complet sur lesontologies). Dans le cadre de la TST cependant on utilise une hiérarchie d’étiquettessémantiques (Milićević 1997, Polguère 2003a) où plutôt que d’organiser les choses dumonde ce sont des sens d’une langue donnée que l’on organise.

sens regarder

type acte

arg2 type entité

type être animéarg1

(regarder)1 2

type

type

acte

être animé entité

type

Page 242: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

242

Or, nous voulons justement décrire les phénomènes linguistiques en n’utilisant

que la seule procédure d’unification polarisée présentée plus haut (§ 4, p. 233).

L’appel à une procédure particulière pour assurer l’unification des types sémanti-

ques s’insère donc mal dans notre modèle. Nous proposons plus loin (§ 6, p. 267)

une solution qui permet de traiter le typage des actants sans avoir recours à une

procédure particulière.

Voilà qui termine notre présentation de la grammaire sémantique. Ce type de

grammaire ne construit que ce que la TST appelle la structure sémantique, c’est-à-

dire un graphe de relations prédicat-argument entre des sémantèmes. Cette struc-

ture n’est que le squelette d’une représentation sémantique complète. On peut lui

superposer d’autres structures, par exemple une structure communicative12 (à ce

sujet, voir notamment Mel’čuk 2001c). Nous laissons cependant de côté celle-ci,

puisqu’elle n’est pas pertinente pour notre travail. Kahane (2005) propose égale-

ment de superposer à la structure sémantique une structure encodant les relations

de portée pour les quantificateurs dans le cadre de GUST. Nous laissons également

de côté cette dernière pour les mêmes raisons. Nous proposons plus loin (§ 6,

p. 267) une nouvelle structure pour représenter les décompositions sémantiques.

5.1.2 La grammaire syntaxique

La grammaire de bonne formation syntaxique (Gsynt) construit des arbres de

dépendance non ordonnés dont les nœuds représentent des lexèmes13. Ils sont

Figure 40 — Une procédure implicite pour l’unification de types et sous-types

12. Qu’on appelle également structure informationnelle dans d’autres cadres théoriques.

sens père

type individu

type individuarg1

sens regarder

type acte

arg2 type entité

type être animéarg1

quelque chose

fait entité

… … … ……

être animé

individu… …

… …

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

243

reliés par des arcs qui représentent les relations syntaxiques entre ces lexèmes. Ils

sont également associés à des objets grammémiques, qui représentent les grammè-

mes superficiels portés par les lexèmes. La grammaire syntaxique doit s’assurer

que chaque lexème possède tous les grammèmes superficiels qui lui sont nécessai-

res selon sa partie du discours (par exemple, un nom doit porter un nombre, un

verbe doit avoir un mode, etc.) et que les relations syntaxiques qui sont construites

respectent certaines contraintes (par exemple, la relation sujet ne peut avoir comme

gouverneur qu’un verbe fini).

Les nœuds de Gsynt sont du type nœudsynt. Ces objets peuvent être associés à

une fonction étiquette, qui retourne comme valeur un symbole de l’ensemble L,

qui contient tous les lexèmes de la langue (par exemple, pour le français,

L = {CHIEN, PERDRE, LA, TÊTE, TEMPS, PARANOÏA, …}). Ils doivent aussi être

liés à une partie du discours par la fonction pdd, qui retourne comme valeur un

symbole de l’ensemble C, qui contient toutes les parties du discours pour la langue

en question (pour le français, C = {verbe, nom commun, article, pronom person-

nel, …}). Ils peuvent aussi être liés par diverses fonctions à des étiquettes qui

représentent des propriétés intrinsèques du syntactique des lexèmes qu’ils repré-

sentent (par exemple, les noms en français porteront une fonction genre qui retour-

nera comme valeur un des éléments de l’ensemble {masculin, féminin}).

Les nœuds syntaxiques peuvent également être liés à des objets grammémiques

par des fonctions structurantes qui retournent comme valeur un objet de type obj-

gramm. Ces fonctions portent le nom d’une catégorie flexionnelle de la langue

décrite. Elles varient donc d’une langue à l’autre. Par exemple, pour le français, il

existe les fonctions nombre, mode, voix, etc., puisque le nombre, le mode et la voix

sont des catégories flexionnelles en français. Ces fonctions associent un lexème à

un grammème d’une catégorie flexionnelle donnée.

13. Dans le cadre de GUST, il n’y a pas de niveau syntaxique profond. Les phrasèmesapparaissent donc au niveau syntaxique comme une configuration de lexèmes et noncomme des nœuds simples. Kahane (2002, 2003c) discute en profondeur du statut de lareprésentation syntaxique profonde dans le cadre de GUST.

Page 244: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

244

Les grammèmes sont représentés par des objets de type obj-gramm. Ceux-ci sont

obligatoirement liés par la fonction hôte à l’objet de type nœudsynt qui les porte14.

Ils peuvent être liés par la fonction étiquette à un symbole de l’ensemble G, qui

contient tous les grammèmes possibles pour la langue en question (par exemple,

pour le français, G = {pluriel, présent, indicatif, féminin, …}). Nous insistons sur

le fait que les grammèmes sont représentés par des objets, et non par des structures

de traits associées aux nœuds syntaxiques. Par souci de lisibilité, nous les représen-

tons toutefois comme des structures de traits dans nos figures, mais ce n’est qu’une

métaphore visuelle. Ainsi, nous utilisons dans nos représentations graphiques les

noms des fonctions comme noms d’attributs, et les étiquettes des objets de type

obj-gramm comme valeur de ces attributs. Entre les deux cependant nous indiquons

la polarité de l’objet obj-gramm par un losange. Dans ces «fausses structures de

traits», nous mettons également les informations sur les propriétés intrinsèques du

syntactique des lexèmes: leur partie du discours, leur genre, leur groupe de conju-

gaison, etc. Ces derniers ne sont toutefois pas représentés formellement par des

objets mais simplement par une fonction qui retourne une étiquette, c’est pourquoi

nous ne mettons pas de losange dans nos figures. Ainsi, la structure suivante se

représente graphiquement comme suit:

Nous insistons encore une fois sur la différence entre la représentation des traits

de syntactique des lexèmes et celle des grammèmes. Les premiers sont représentés

par des fonctions d’étiquetage qui retournent une simple étiquette (qui ne peut pas

être polarisée), alors que les seconds le sont par des fonctions structurantes qui

pointent vers un objet (lequel est polarisé et étiqueté).

14. Cette fonction permet de mieux contrôler l’unification des objets en évitant que plusieursnœuds «partagent» le même objet grammémique.

⟨ { 1:nœudsém, 2:obj-gramm },{ étiquette(1)="PIERRE", étiquette(2)="sing",

pdd(1)="N", nbre(1)=2, hôte(2)=1polarité(1)=�, polarité(2)=� } ⟩

Figure 41 — La représentation d’un nœud syntaxique et de l’information grammaticale qui lui est rattachée

PIERRE

pdd N

nbre � sing

Page 245: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

245

Enfin, les arcs de Gsynt sont des objets du type arcsynt. Tous ces objets doivent

obligatoirement porter une fonction source et une fonction cible, qui retournent

toutes deux un objet de type nœudsynt. Ils peuvent également porter une fonction

étiquette qui retourne comme valeur un symbole de l’ensemble Rsynt, qui contient

toutes les relations syntaxiques possibles. Ces relations varient d’une langue à

l’autre (par exemple, pour le français, Rsynt = {sujet, objet direct, circonstanciel,

…})15.

Tous les objets du module syntaxique doivent également porter la fonction de

polarité psynt, qui retourne un des éléments de l’ensemble P. Cette polarité est pro-

pre aux objets de la grammaire syntaxique et sert à vérifier leur bonne formation en

s’assurant que les fonctions associées à chacun sont bien instanciées: source et

cible pour les arcs, étiquette et pdd pour les nœuds, ainsi que les fonctions les liant

à des objets grammémiques, selon la partie du discours du nœud hôte (nombre pour

les noms, genre et nombre pour les adjectifs, etc.).

La Figure 42 ci-dessous présente un fragment simplifié de la grammaire syn-

taxique du français ainsi qu’une structure qui peut être créée par ces règles.

N.B.: Afin de simplifier les figures dans les pages qui suivent, nous utilisons unsystème flexionnel simplifié pour les verbes où nous faisons abstraction desdistinctions mode ~ finitude et temps ~ décalage (cf. Ch. VI, § 1, p. 116 etCh. VI, § 6, p. 177). Les structures données en exemple tout au long du présentchapitre ne servent qu’à illustrer le formalisme et ne font pas partie de notremodèle formel de la flexion verbale en français, qui sera présenté au ChapitreVIII.

On peut distinguer dans cette grammaire quatre types de règles:

• La toute première règle est une structure initiale. Elle décrit un sommet

syntaxique valide pour le français (il peut exister d’autres structures initia-

les alternatives, par exemple pour des phrases à l’impératif ou encore des

phrases averbales16). Cette règle indique qu’un verbe à l’indicatif peut être

15. Mel’čuk & Pertsov (1987) et Iordanskaja & Mel’čuk (à paraître) proposent uneméthodologie pour établir l’inventaire des relations syntaxiques (de surface) d’unelangue et dressent la liste de celles, respectivement, de l’anglais et du français.

16. Voir notamment Lefeuvre (1999) au sujet des phrases averbales.

Page 246: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

246

le sommet syntaxique d’une phrase17. Elle ne construit rien, mais sert plu-

tôt à imposer des contraintes sur les lexèmes qui peuvent occuper cette

position dans la représentation syntaxique.

• Nous avons ensuite quatre règles lexicales. Les règles lexicales ne font

qu’énumérer l’ensemble des lexèmes de la langue, avec pour chacun sa par-

tie du discours ainsi que les grammèmes superficiels qui lui sont nécessai-

res. Par exemple, POMME, en tant que nom, doit avoir un nombre (ce qui

est exprimé par la polarisation blanche de l’objet grammémique). Alors que

dans Gsém on donnait pour chaque sémantème sa valence active, il n’est pas

nécessaire de donner la valence syntaxique des lexèmes dans Gsynt. Celle-ci

est vérifiée par le module d’interface sémantique-syntaxe (§ 5.3, p. 254).

• Viennent ensuite, à la seconde ligne du tableau, trois règles sagittales.

Ces règles décrivent l’ensemble des relations syntaxiques possibles dans la

Figure 42 — Une grammaire syntaxique générant une structure bien formée

17. En fait, nous avons vu au Chapitre VI que nous distinguons deux catégoriesflexionnelles, finitude et mode, là où la plupart des grammaires ne voient que le mode(cf. Ch. VI, § 1, p. 116, et Ch. VI, § 3, p. 134). Il serait donc plus exact de dire que c’estun verbe fini qui peut être le sommet syntaxique, mais dans le but de simplifier notreexposé du formalisme, nous préférons nous en tenir pour l’instant à un modèle plusproche des grammaires traditionnelles.

pdd V

mode � ind

POMME

pdd N

nbre �

DEUX

pdd Num

PIERRE

pdd N

nbre � sing

MANGER

pdd V

mode �

pdd V

cod

pdd V

mode � ind

suj

pdd N

quant

pdd Num

suj

pdd V

mode � ind

temps � prés

pers � 3

nbre � sing

cod

MANGER

PIERRE

pdd N

nbre � sing

POMME

pdd N

nbre � plur

DEUX

pdd Num

quant

pers � 3

suj

pdd N

nbre ◆ sing

suj

nbre ◇ sing

nbre � plur

quant

pdd Num

pdd Vmode ◇ indtemps ◆ prés

pdd Vmode ◆ indtemps ◇pers ◇nbre ◇

suj

Page 247: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

247

langue en question. Il est également possible de spécifier la partie du dis-

cours des nœuds liés par une relation donnée, ou même d’exiger la présence

de certains grammèmes. Par exemple, la seconde règle sagittale indique

qu’un verbe peut avoir un sujet s’il est à l’indicatif (toutefois, rien n’empê-

che d’avoir une autre règle qui autorise aussi la relation sujet, par exemple,

pour les verbes au subjonctif).

• Enfin, il y a des règles grammémiques. Ces règles ne font que donner

l’inventaire des grammèmes possibles pour chaque catégorie flexionnelle

ainsi que leur combinatoire. Par exemple, la dernière règle signifie que

l’indicatif est un grammème de mode valide en français, et que tout verbe à

l’indicatif doit porter également un grammème de temps, de personne et de

nombre, et doit avoir un sujet. Dans cet exemple, nous traitons l’accord

dans Gsynt, mais nous verrons une autre solution au Chapitre VIII (§ 2,

p. 298 et § 3, p. 316).

Nous annoncions au début de ce chapitre une vision «atomiste» de la gram-

maire, où les phénomènes sont éclatés au maximum. Le fragment de grammaire

syntaxique de la Figure 42 l’illustre bien. Il est intéressant de comparer cette gram-

maire avec des grammaires entièrement lexicalisées comme TAG, qui a fortement

inspiré GUST18. En TAG, pour construire une représentation à peu près équiva-

lente à celle de la Figure 42, quatre structures «élémentaires» suffisent: une qui

construit MANGER et les arcs qui en dépendent (tout en faisant l’accord avec le

sujet), une qui construit PIERRE, une autre DEUX et l’arc dont il dépend, et une qui

construit POMME. En apparence, TAG est plus simple, puisqu’il faut moins de

règles pour arriver au même résultat. Mais ce type de grammaire pose quelques

problèmes. D’une part, par exemple, MANGER peut apparaître dans d’autres cons-

tructions (au passif, sans objet, sans sujet, etc.). Il faut donc avoir autant de règles

qu’il y a de structures où peut apparaître ce verbe. D’autre part, d’autres verbes,

par exemple, peuvent occuper la même position que MANGER. Encore une fois, il

faut avoir autant de règles qu’il y a de tels verbes, et pour toutes les constructions

18. On pourra consulter Kahane (2002) pour une discussion plus détaillée.

Page 248: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

248

possibles. Il en résulte une explosion combinatoire du nombre de règles, ce qui ne

se produit pas quand on sépare les phénomènes. Ce qui est plus important, c’est

que la description de phénomènes grammaticaux généraux se trouve dissoute dans

la description du lexique. Dans sa version pure, TAG ne met pas bien en lumière

des généralisations importantes. Une solution à ce problème, proposée par Candito

(1999), a été le recours à une métagrammaire, c’est-à-dire une «grammaire de la

grammaire», dont la sortie est une grammaire TAG, donc entièrement lexicalisée.

Ce mécanisme permet en somme de décrire des phénomènes grammaticaux récur-

rents sans introduire de redondance (mais cette métagrammaire est toujours compi-

lée en une grammaire lexicalisée). GUST présente les avantages d’une

métagrammaire.

5.1.3 La grammaire d’arbres

La petite grammaire syntaxique présentée ici ne suffit pas à garantir la construc-

tion de représentations syntaxiques bien formées. Par exemple, ces mêmes règles

peuvent se combiner autrement pour donner la structure suivante:

Cette structure n’est pas valide pour plusieurs raisons, qui sont de deux types.

D’une part certaines contraintes structurelles générales ont été violées (une repré-

sentation syntaxique doit être un arbre, ce qui n’est pas le cas ici). D’autre part la

valence syntaxique active des lexèmes n’a pas été respectée (MANGER a deux com-

pléments d’objet direct).

Alors qu’il n’était pas possible de vérifier avec une GUP qu’un réseau sémanti-

que était structurellement bien formé, le formalisme permet de vérifier qu’une

Figure 43 — Une structure syntaxique mal formée

suj

pdd V

mode � ind

temps � prés

pers � 3

nbre � sing

MANGER

PIERRE

pdd N

nbre � sing

cod

codDEUX

pdd Num

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

249

structure est bien un arbre. Cela est possible puisque la bonne formation d’un arbre

peut se vérifier par des contraintes locales sur les nœuds. En effet, si on impose

comme contrainte sur les nœuds qu’ils soient tous gouvernés par un et un seul

autre nœud, à l’exception du sommet qui ne doit pas être gouverné (décrit par une

structure initiale), on s’assure de construire un arbre. Ainsi, la petite grammaire

suivante, où un nœud n’est saturé que s’il est gouverné ou s’il s’agit de la structure

initiale (en double encadré), ne peut construire que des arbres19.

Pour assurer la bonne formation des structures syntaxiques construites par

Gsynt, il faut en quelque sorte coupler la grammaire donnée en Figure 42 à cette

grammaire d’arbres. Pour ce faire, nous devons associer aux objets syntaxiques

deux polarités. Puisque les polarités sont associées aux objets par des fonctions,

rien n’empêche d’en assigner plus d’une à un même objet. Il suffit en effet d’utili-

ser une fonction différente pour chacune. Chaque polarité associée à un objet sert à

vérifier une propriété différente. La polarité psynt20, déjà introduite, servait à assu-

rer la construction des objets en respectant leurs exigences syntaxiques. À celle-ci

nous ajouterons une polarité parbre qui servira à vérifier que la structure construite

est un arbre.

La représentation graphique de structures où les objets portent plusieurs polari-

tés n’est pas toujours aisée. Partout où cela sera possible, nous masquerons les

polarités qui ne sont pas pertinentes pour notre propos. Si toutefois il s’avère

nécessaire de montrer dans une même figure plusieurs polarités, nous en choisirons

une comme polarité principale, que nous indiquerons simplement par la couleur

Figure 44 — Une grammaire d’arbres

19. Il s’agit de la grammaire proposée par Kahane (2004).20. Par convention, nous faisons référence aux polarités portées par un objet par le nom de la

fonction qui les associe à ce dernier. Il ne faut pas comprendre ici que psynt est unélément de l’ensemble P (cf. § 3, p. 229). Il s’agit d’une fonction qui retourne commevaleur un des éléments de cet ensemble. Lorsque nous écrivons «la polarité psynt», c’estun raccourci pour «la polarité associée (à tel objet) par la fonction psynt».

Page 250: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

250

des objets comme nous l’avons fait jusqu’ici, alors que les autres (qui nous dirons

secondaires) seront données par de petits carrés juxtaposés aux objets (carrés dont

la couleur indiquera la valeur de la polarité secondaire en question). Lorsque nous

parlons de «polarité principale», il est important de souligner qu’il s’agit toujours

de la polarité principale d’une figure. Une polarité n’est jamais une polarité princi-

pale en soi. On peut montrer la même structure de plusieurs points de vue, en choi-

sissant chaque fois une polarité différente comme polarité principale, selon le

propos que nous cherchons à illustrer. Par exemple, supposons une structure où les

objets porteraient deux polarités, p1 et p2. La figure suivante montre cette structure

dans son encodage explicite ainsi que deux représentations graphiques possibles de

celle-ci: dans la première, c’est p1 qui est la polarité principale, alors que dans la

seconde c’est p2.

Maintenant, il s’agit de trouver la bonne façon de coupler les grammaires des

Figures 42 et 44. La plus simple est d’ajouter aux structures de la Figure 42 une

polarité parbre saturée pour tous les nœuds qui sont gouvernés (ainsi que pour la

structure initiale) ou blanche pour les autres nœuds. On obtient alors la grammaire

de la Figure 46 ci-dessous (psynt est la polarité principale).

Cette solution manque toutefois d’élégance. Ce sont les mêmes règles qui décri-

vent à la fois les relations syntaxiques possibles dans la langue et les contraintes

structurelles sur la représentation syntaxique. Le linguiste doit donc, quand il écrit

une règle, penser à deux problèmes en même temps. Par ailleurs, il y a une certaine

redondance dans cette grammaire. On voit bien que chaque fois qu’on construit un

arc, on doit saturer en parbre le nœud qui en dépend. On aimerait donc séparer les

deux problèmes et avoir deux jeux de règles qui se complètent: un qui décrive

⟨ { 1:nœud, 2:nœud, 3:arc },{ source(3)=1, cible(3)=2,

étiquette(1)="A", étiquette(2)="B"p1(1)=�, p1(2)=�, p1(3)=�

p2(1)=�, p2(2)=�, p2(3)=� } ⟩

≡ ≡

p1 (p2) p2 (p1)

Figure 45 — La représentation graphique des structures multipolarisées

A

B

A

B

Page 251: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

251

l’ensemble des objets syntaxiques (ce sont les règles de la Figure 42) et l’autre qui

contraigne la structure à un arbre (ce sont les règles de la Figure 44). Le problème

est de trouver comment articuler ces deux grammaires.

5.2 L’articulation des modules

L’articulation de deux grammaires se fait par un jeu de polarités. Supposons

que nous ayons une grammaire A dont les règles contiennent des objets saturés en

pa et une grammaire B dont les règles contiennent des objets saturés en pb. Pour

articuler A et B, il faut faire en sorte que les objets construits par A forcent l’appli-

cation des règles de B et vice-versa. Pour ce faire, on ajoute une polarité pb blan-

che à tous les objets de A et une polarité pa blanche aux objets de B. Cette

polarisation supplémentaire ne concerne toutefois que les objets qui sont d’un type

commun à A et à B (par exemple, si A contient des objets de type t1 et t2, et B des

objets de type t2 et t3, seuls les objets de type t2, et tous ces objets, seront articulés).

Nous dirons de ces objets qu’ils sont les points d’articulation de A et B. En

général, les règles de A ne doivent pas saturer la polarité pb des objets et, inverse-

ment, les règles de B ne saturent pas les objets en pa. Ainsi, la seule façon de satu-

Figure 46 — Une grammaire syntaxique à deux polarités

pdd V

mode � ind

POMME

pdd N

nbre �

DEUX

pdd Num

PIERRE

pdd N

nbre � sing

MANGER

pdd V

mode �

pdd V

cod

pdd V

mode � ind

suj

pdd N

quant

pdd Num

suj

pdd V

mode � ind

temps � prés

pers � 3

nbre � sing

cod

MANGER

PIERRE

pdd N

nbre � sing

POMME

pdd N

nbre � plur

DEUX

pdd Num

quant

pers � 3

suj

pdd N

nbre ◆ sing

suj

nbre ◇ sing

nbre � plur

quant

pdd Num

pdd Vmode ◇ indtemps ◆ prés

pdd Vmode ◆ indtemps ◇pers ◇nbre ◇suj

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

252

rer la polarité pb blanche des objets construits par A est d’appliquer les règles de B

(et vice-versa)21. Nous dirons que pb dans la grammaire A, et pa dans B, sont des

polarités d’articulation, par opposition aux polarités de construction,

qui sont celles effectivement saturées dans les règles.

Ce qui nous intéresse dans le cas présent est d’articuler la grammaire Gsynt pré-

sentée à la Figure 42 et la grammaire d’arbres de la Figure 44 (que nous appelle-

rons Garbre). Les règles de Garbre ne contiennent que des objets de type nœudsynt et

arcsynt, deux types qui se retrouvent également dans Gsynt. Ce sont donc les objets

de ces deux types qui serviront de points d’articulation. Tous les objets de Garbre

porteront une polarité psynt blanche et tous les points d’articulation dans Gsynt por-

teront une polarité parbre blanche. On obtient ainsi les deux grammaires ci-dessous,

Figure 47 et Figure 48, p. 253 (nous montrons psynt comme polarité principale

dans les deux figures de façon à mettre en relief l’articulation).

21. Nous verrons plus loin qu’une grammaire peut à l’occasion saturer la polaritéd’articulation de certains objets pour bloquer leur mise en correspondance avec unniveau adjacent (cf. § 6, p. 267).

Figure 47 — Une grammaire syntaxique articulée

pdd V

mode � ind

POMME

pdd N

nbre �

DEUX

pdd Num

pdd V

cod

pdd V

mode � ind

suj

pdd N

quant

pdd Num

pers � 3

suj

pdd N

nbre ◆ sing

suj

nbre ◇ sing

nbre � plur

quant

pdd Num

pdd Vmode ◇ indtemps ◆ prés

pdd Vmode ◆ indtemps ◇pers ◇nbre ◇suj

PIERRE

pdd N

nbre � sing

MANGER

pdd V

mode �

Page 253: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

253

Gsynt peut toujours construire des structures qui ne sont pas forcément des

arbres, mais ses objets portent une polarité parbre blanche qui ne peut être neutrali-

sée par Garbre que si la structure en question est bien un arbre. La Figure 49 ci-des-

sous illustre la neutralisation mutuelle d’une structure construite par Gsynt et d’un

arbre construit par Garbre.

Cette solution est plus élégante que la première puisqu’elle dégage une généra-

lisation qui était cachée dans les règles de la Figure 46. D’ailleurs, les contraintes

structurelles imposées par Garbre seraient universelles selon cette théorie (si on

accepte son postulat qui veut que l’organisation syntaxique de toutes les langues

soit toujours décrite par un arbre de dépendance). Cette grammaire d’arbre pourrait

donc en principe être réutilisée telle quelle pour n’importe quelle langue.

Strictement parlant, Garbre constitue un des modules de GUST. Cependant, étant

donné le nombre très limité de règles qu’il contient et son contact étroit avec Gsynt,

nous allons dorénavant le considérer comme un sous-module faisant partie de

Gsynt.

Figure 48 — Une grammaire d’arbres articulée

⊕ =

Figure 49 — Deux grammaires articulées produisant une structure syntaxique

suj

pdd V

mode � ind

temps � prés

pers � 3

nbre � sing

cod

MANGER

PIERRE

pdd N

nbre � sing

POMME

pdd N

nbre � plur

DEUX

pdd Num

quant

suj

pdd V

mode � ind

temps � prés

pers � 3

nbre � sing

cod

MANGER

PIERRE

pdd N

nbre � sing

POMME

pdd N

nbre � plur

DEUX

pdd Num

quant

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

254

Voilà donc pour l’articulation des modules de GUST et les contraintes structu-

relles sur les représentations syntaxiques. Nous avions également noté un autre

problème dans la Figure 43: le lexème MANGER pouvait avoir deux compléments

d’objet direct, puisque Gsynt ne décrit pas la valence syntaxique des lexèmes. Cette

valence sera décrite par le module qui assure l’interface entre les représentations

sémantiques et syntaxiques, module que nous allons maintenant présenter.

5.3 Les grammaires d’interface

Un modèle GUST comprend trois grammaires d’interface: l’interface sémanti-

que-syntaxe, l’interface syntaxe-morphotopologie ainsi que l’interface morphoto-

pologie-phonologie. Ces grammaires d’interface correspondent aux modules

sémantique, syntaxique et morphologique de la TST. La première a été beaucoup

plus étudiée que les deux autres dans le cadre de GUST. Une brève esquisse de

l’interface syntaxe-morphotopologie a été présentée par Kahane & Lareau (2005a),

mais il ne s’agit certainement pas de sa forme définitive. Les travaux actuels dans

ce domaine portent plutôt sur la synchronisation d’une grammaire syntaxique avec

une grammaire topologique à la Gerdes & Kahane (2001). Il existe déjà des des-

criptions de ce genre pour l’allemand (Gerdes 2002), le grec (Yoo 2003), le coréen

(Yoo & Gerdes 2004), l’arabe (El-Kassas 2005) et le français (Gerdes & Kahane

2006). Toutefois, aucun de ces travaux n’utilise le formalisme des GUP. L’interface

morphotopologie-phonologie quant à elle a toujours été le parent pauvre de la TST,

et la situation n’est pas plus reluisante en GUST, même si les travaux de Yoo

(2003) ont ouvert des pistes, notamment sur le calcul des constituants prosodiques.

Nous ne savons pas comment encoder ce module dans le formalisme des GUP et

nos connaissances limitées en phonologie ne nous permettent pas de remédier de

façon satisfaisante à cette lacune. Dans le cadre de notre thèse, nous ne considé-

rons que l’interface sémantique-syntaxe. Nous ne présenterons donc que cette der-

nière, non sans avoir d’abord introduit le concept de correspondance qui sous-tend

toutes les grammaires d’interface. Cette section reprend les idées de Kahane

(2000b) et Kahane & Lareau (2005a, 2005b).

Page 255: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

255

5.3.1 La notion de correspondance

Deux structures A et B sont dites en correspondance lorsque les éléments

qui les constituent sont liés par une relation sémiotique du type «signifié-

signifiant». Depuis de Saussure, la correspondance entre un sémantème et la

chaîne phonologique qui l’exprime est généralement considérée comme un signe

linguistique22 et la plus petite unité de correspondance entre ces deux extrêmes est

conçue comme un signe élémentaire. Pourtant, dans le cadre de GUST (et il en va

de même pour la TST), même les signes élémentaires sont représentés non pas par

une correspondance directe entre sémantème et chaîne phonologique, mais par un

ensemble de correspondances plus simples encore (aux sémantèmes correspondent

des objets syntaxiques, auxquels correspondent des objets morphologiques qui eux

sont en correspondance avec une chaîne phonologique). C’est ce qui fait dire à

Kahane (2001) que l’articulation du langage n’est pas double, mais qu’elle est

encore plus complexe. Il appelle «signe» toute unité à deux faces, même si ces

faces en questions sont des objets de représentations intermédiaires. C’est dans

cette acception large que nous utiliserons aussi le terme «signe».

La correspondance entre les éléments de deux structures A et B est décrite par

une grammaire d’interface23. Le nombre de structures A et B possibles étant

théoriquement infini, la grammaire ne peut évidemment pas établir la correspon-

dance entre ces structures comme telles mais elle décrit plutôt, par le biais de cor-

respondances élémentaires entre des objets, la correspondance entre les ensembles

A et B auxquelles appartiennent les structures A et B. Ces ensembles ne sont en

fait rien d’autre que les grammaires de bonne formation qui construisent A et B. La

mise en correspondance des structures se fait donc par la synchronisation des

grammaires de bonne formation (Kahane 2002).

Une grammaire d’interface peut être considérée selon le cas comme une gram-

maire équative, transductive ou générative (Kahane 2000b). Une grammaire équa-

tive prend en entrée deux structures et vérifie qu’elles sont bien en correspondance,

22. Mel’čuk (1993) apporte une troisième composante au signe: sa combinatoire.23. On utilisera souvent le mot «interface» au lieu de l’expression «grammaire d’interface».

Page 256: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

256

une grammaire transductive prend en entrée une structure A et construit la struc-

ture B qui lui correspond alors qu’une grammaire générative construit à partir de

rien une paire de structures qui sont en correspondance. Un modèle GUST étant

constitué d’une chaîne de grammaires d’interface, il peut fonctionner selon ces

trois modes. GUST permet donc de vérifier qu’un sens et un texte donnés se cor-

respondent, construire à partir d’une représentation sémantique le texte qui

l’exprime (ou à l’inverse, à partir d’un texte, construire la représentation de son

sens), ou encore générer des paires sens/texte qui sont en correspondance.

Ce qui nous intéresse particulièrement, c’est le fonctionnement transductif de

GUST, puisque c’est celui qui modélise les processus linguistiques d’analyse et de

synthèse. C’est toutefois dans un mode génératif que nous présenterons l’interface

sémantique-syntaxe dans un premier temps pour des raisons de clarté, mais nous

montrerons plus loin comment elle peut s’appliquer de manière transductive.

5.3.2 L’interface sémantique-syntaxe

La grammaire d’interface sémantique-syntaxe, que nous appellerons Isém-synt,

établit la correspondance entre l’ensemble de graphes sémantiques décrit par Gsém

et l’ensemble d’arbres syntaxiques décrit par Gsynt. C’est donc elle qui assure, par

exemple, la transition entre la structure sémantique de la Figure 37 (p. 240) et la

structure syntaxique de la Figure 49 (p. 253), que nous reproduisons ici en mas-

quant la polarité parbre.

Isém-synt

Figure 50 — La position de la grammaire d’interface sémantique-syntaxe

(manger)1 2

(Pierre) (pomme)

(deux)1

suj

pdd V

mode � ind

temps � prés

pers � 3

nbre � sing

cod

MANGER

PIERRE

pdd N

nbre � sing

POMME

pdd N

nbre � plur

DEUX

pdd Num

quant

Page 257: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

257

Cette mise en correspondance se fait par la construction d’un graphe decorrespondance. Il s’agit d’un graphe complexe dans lequel on peut reconnaî-

tre deux sous-graphes, l’un étant une structure sémantique et l’autre étant une

structure syntaxique. Les objets de ces deux sous-graphes sont du même type que

dans les grammaires de bonne formation correspondantes mais ils ne portent pas

les mêmes polarités que dans ces dernières. Les nœuds (et seulement les nœuds)24

sémantiques et syntaxiques sont reliés par des liens de correspondance tels que

définis plus haut (§ 5.3.1, p. 255), représentés par des objets de type correspon-

dance. Ces objets servent à garder une trace des mises en correspondance effec-

tuées, de façon à guider l’unification des structures. Ils sont associés à deux

fonctions: signifié, qui retourne comme valeur un nœud du niveau sémantique, et

signifiant, qui retourne comme valeur le nœud correspondant au niveau syntaxi-

que. Dans les représentations graphiques toutefois, ces fonctions sont masquées et

par convention tous les objets sémantiques sont placés à gauche et les objets syn-

taxiques à droite.

Tous les objets de Isém-synt doivent porter une polarité psém-synt. De façon géné-

rale, un objet sémantique ou syntaxique n’est saturé en psém-synt que lorsqu’il est

effectivement mis en correspondance avec un objet de niveau adjacent. Nous adop-

tons également comme principe que les objets de type correspondance ne doivent

être saturés en psém-synt dans une règle que lorsqu’ils lient des nœuds qui sont eux-

mêmes saturés dans cette même règle (nous verrons plus loin pourquoi). La figure

suivante montre un fragment de la grammaire d’interface sémantique-syntaxe du

français. Les deux premières règles sont de simples règles de lexicalisation qui

indiquent les lexèmes qui peuvent exprimer ces sémantèmes. Les deux autres

règles ne sont en fait pas autre chose que des règles de lexicalisation non plus, mais

comme il s’agit de prédicats, il faut en indiquer également la diathèse, c’est-à-dire

24. Nous aurions pu choisir de mettre en correspondance les arcs et les objetsgrammémiques. Cependant, les correspondances entre ces objets peuvent toujours êtredéduites puisqu’ils sont toujours liés à un nœud par une fonction (source ou cible pour unarc, hôte pour un objet grammémique).

Page 258: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

258

la correspondance entre les actants sémantiques des sémantèmes et les actants syn-

taxiques des lexèmes qui les expriment.

Les objets de type obj-gramm peuvent également être mis en correspondance

avec les objets sémantiques qui encodent le sens du grammème en question (si ce

dernier est sémantiquement plein, bien entendu; les grammèmes sémantiquement

vides, comme les grammèmes d’accord, n’ont pas de correspondant au niveau

sémantique). Par exemple, la règle de la Figure 52 ci-dessous met en correspon-

dance un grammème de temps avec son sens (que nous ne décomposons pas pour

l’instant — nous y reviendrons au Chapitre VIII).

La correspondance entre les nœuds de niveaux adjacents n’est pas toujours bi-

univoque. D’abord, un nœud peut très bien n’être associé à aucun lien de corres-

pondance. C’est le cas par exemple du sémantème (présent) dans la règle ci-des-

Figure 51 — Une grammaire d’interface sémantique-syntaxe générant une structure de correspondance

(Pierre) PIERRE

pdd N

(pomme) POMME

pdd N

(deux)

1

pdd NumDEUX

quant

(manger)

1 2

MANGERpdd V

sujcod

(manger)

1 2

(Pierre) (pomme)

(deux)

1

sujcod

pdd VMANGER

PIERRE

pdd N

POMME

pdd N

DEUX

pdd Num

quant

Page 259: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

259

sus25. D’autre part, un même nœud peut avoir plusieurs correspondants. Ce n’est

pas forcément le cas des phrasèmes, contrairement à ce que l’on serait porté à

croire spontanément. En effet, pour la plupart des locutions tous les dépendants

syntaxiques sont rattachés au même nœud, la tête syntaxique du phrasème26. Il

n’est donc pas nécessaire d’établir plusieurs liens de correspondance. Par contre,

c’est toujours le cas lorsqu’on introduit des verbes support. Par exemple, la collo-

cation la crainte [de voir sa famille arrêtée] l’habite peut se décrire par la règle

suivante:

Le lexème CRAINTE conserve tous ses autres actants, qui doivent se rattacher

sous lui, mais tout gouverneur doit se rattacher au verbe support. Le sémantème

(crainte) a donc deux correspondants au niveau syntaxique. Cet encodage modélise

le fait que HABITER n’apporte pas de sens nouveau et que ce lexème sert avant tout

à verbaliser CRAINTE et à le lier syntaxiquement à son premier actant sémantique.

Les structures de correspondance construites par Isém-synt peuvent être compo-

sées de graphes sémantiques ou d’arbres syntaxiques mal formés. Par exemple, la

structure de correspondance de la Figure 51 est bien formée en tant que structure

Figure 52 — La mise en correspondance d’un grammème et de son sens

25. Une correspondance implicite existe tout de même entre (présent) et le grammèmeprésent.

26. Ce n’est pas toujours le cas. Cf. par exemple, kCASSER DU SUCRE SUR LE DOSl.

Figure 53 — Une correspondance multivoque

(présent)

1

pdd V

temps � prés

1 suj cod

pdd V

HABITER

CRAINTE

pdd N

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

260

de correspondance (tous les objets sont saturés en psém-synt) mais l’arbre syntaxi-

que qu’elle contient n’est pas valide en français puisque, par exemple, le verbe ne

porte ni mode ni temps. Ce n’est pas le rôle de la grammaire d’interface de vérifier

la bonne formation des structures sémantiques et syntaxiques qu’elle met en cor-

respondance. Elle doit pouvoir accepter en entrée une structure mal formée et en

fournir la structure de niveau adjacent correspondante, qu’elle soit aussi mal for-

mée ou non. Toutefois, Isém-synt doit appeler les grammaires Gsém et Gsynt pour

qu’elles valident ces structures. Cela se fait en articulant les trois grammaires.

Nous avons vu lors de notre présentation de Gsynt comment une grammaire d’arbre

et une grammaire syntaxique pouvaient être articulées (cf. pp. 251 et ssq). Le prin-

cipe est exactement le même ici, si ce n’est que dans le cas présent il y a deux arti-

culations en jeu: l’articulation Gsém-Isém-synt et l’articulation Isém-synt-Gsynt.

Les points d’articulation Gsém-Isém-synt sont tous les objets d’un type commun à

ces deux grammaires. Il s’agit des objets de type nœudsém et arcsém. Puisque Gsém

et Isém-synt n’ont chacune qu’une seule polarité, ce sont évidemment ces polarités

qui serviront à l’articulation. Ainsi, tous les objets de Gsém porteront, en plus de

leur polarité propre, une polarité psém-synt blanche. Réciproquement, tous les objets

de type nœudsém et arcsém dans Isém-synt porteront une polarité psém blanche.

L’articulation Isém-synt-Gsynt, quant à elle, prend appui sur les objets de type

nœudsynt, arcsynt ou obj-gramm. Tous ces objets devront porter dans Isém-synt une

polarité psynt blanche. Quant aux objets de Gsynt, ils devront être polarisés en blanc

pour la polarité propre à Isém-synt, c’est-à-dire psém-synt. On pourrait se demander

pourquoi ne pas articuler Isém-synt avec la grammaire d’arbre Garbre plutôt qu’avec

Gsynt en utilisant parbre comme polarité d’articulation. La raison de ce choix est que

Garbre ne contient pas d’objets de type obj-gramm. Il serait donc impossible de met-

tre les grammèmes en correspondance avec les sens qu’ils expriment. Puisque

Gsynt et Garbre sont déjà articulées, il n’est pas nécessaire d’articuler cette dernière

avec l’interface sémantique-syntaxe, pas plus qu’il n’est nécessaire d’articuler

directement Gsém et Gsynt puisqu’elles sont déjà liées indirectement par Isém-synt.

Page 261: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

261

Nous reprenons ci-dessous les trois fragments de grammaires présentés plus

haut, cette fois avec les polarités d’articulation pertinentes pour l’interface séman-

tique-syntaxe. D’abord Gsém, avec psém comme polarité principale et psém-synt en

polarité secondaire. Nous y ajoutons une règle pour le sens (présent).

Ensuite, Isém-synt avec comme polarité principale psém-synt et en polarités

secondaires psém (à gauche des éléments sémantiques) et psynt (à droite des élé-

ments syntaxiques).

Enfin, Gsynt, avec psynt comme polarité principale. La polarité psém-synt est indi-

quée à la gauche des objets, tandis que la polarité parbre est masquée. Remarquons

que les grammèmes d’accord ont une polarité psém-synt saturée (il s’agit d’une solu-

tion temporaire; nous en verrons une autre au chapitre suivant, Ch. VIII, § 2,

p. 298 et Ch. VIII, § 3, p. 316).

Figure 54 — Une grammaire sémantique articulée

Figure 55 — Une interface sémantique-syntaxe articulée

(manger)1 2

(Pierre) (pomme)(deux)

1

(présent)

1

(Pierre) PIERRE

pdd N

(pomme) POMME

pdd N

(deux)

1

pdd NumDEUX

quant

(manger)

1 2

MANGERpdd V

sujcod

(présent)

1

pdd V

temps � prés

Page 262: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

262

Ces trois petites grammaires s’appellent les unes les autres grâce au jeu des

polarités d’articulation et peuvent produire, par exemple, la structure suivante.

Nous attirons l’attention du lecteur sur le grammème de mode que porte le

lexème MANGER dans cette structure. C’est le seul qui ne soit pas saturé en polarité

psém-synt. Cela est dû au fait qu’il nous manque la règle de Isém-synt qui décrit ce

grammème superficiel. Nous avons vu que l’indicatif est vide de sens (cf. Ch. VI,

Figure 56 — Une grammaire syntaxique articulée

Figure 57 — Une structure de correspondance

pdd V

mode � ind

POMME

pdd N

nbre �

DEUX

pdd Num

pdd V

cod

pdd V

mode � ind

suj

pdd N

quant

pdd Num

pers � 3

suj

pdd N

nbre ◆ sing

suj

nbre ◇ sing

nbre � plur

quant

pdd Num

pdd Vmode ◇ indtemps ◆ prés

pdd Vmode ◆ indtemps ◇pers ◇nbre ◇suj

PIERRE

pdd N

nbre � sing

MANGER

pdd V

mode �

(manger)

1

2

(pomme)

(deux)

1

sujcod

MANGER

PIERRE

POMME

DEUX

pdd Num

quant(Pierre)

pdd V

mode � ind

temps � prés

pers � 3

nbre � sing

pdd N

nbre � plurpdd N

nbre � sing

(présent)1

Page 263: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

263

§ 3.1, p. 135). Nous verrons au prochain chapitre comment cela se modélise dans

Isém-synt (cf. Ch. VIII, § 3.2.2, p. 321).

Jusqu’ici nous n’avons considéré que le mode génératif de l’interface sémanti-

que-syntaxe. Ce qui nous intéresse cependant, c’est le fonctionnement transductif

de la grammaire, puisque c’est le seul qui puisse vraiment modéliser les processus

linguistiques de synthèse et d’analyse. Considérons la synthèse. On donne en

entrée une représentation sémantique et on cherche à obtenir toutes les représenta-

tions syntaxiques bien formées qui lui correspondent. Afin de déclencher l’applica-

tion des règles de la grammaire, il s’agit simplement d’assigner une polarité psém

blanche à tous les objets de la représentation sémantique donnée en entrée. Par

exemple, supposons que nous avons comme structure de départ27 la représentation

sémantique suivante:

La neutralisation de ces polarités blanche ne pourra se faire qu’en combinant la

structure sémantique à différentes règles de Gsém (qui elles contiennent des objets

de polarité psém noire). Ce faisant, on en vérifie la bonne formation et on obtient la

structure suivante:

27. On prendra soin de ne pas utiliser l’expression «structure initiale» pour parler de lastructure donnée en entrée pour éviter la confusion avec les structures initiales desgrammaires (cf. § 2, p. 226).

Figure 58 — Une structure sémantique à neutraliser

Figure 59 — Une structure sémantique à mettre en correspondance

(manger)1 2

(Pierre) (pomme)

(deux)1

(manger)1 2

(Pierre) (pomme)

(deux)1

Page 264: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

264

Puisque Gsém est articulée avec Isém-synt, l’application de ses règles a introduit

de nouvelles polarités psém-synt blanches, comme on peut le voir ci-dessus. Elles

doivent à leur tour être neutralisées par les règles de Isém-synt. Ces règles construi-

sent les objets syntaxiques correspondant aux objets sémantiques et leur assigne

une polarité psynt blanche. On obtient ainsi la structure suivante:

Ces polarités blanches demandent à être neutralisées par Gsynt. L’application de

Gsynt déclenchera celle de Garbre, puisque ces grammaires sont articulées. Cette

dernière pourra vérifier que la structure syntaxique obtenue est vraiment un arbre.

Toutefois, du point de vue de Gsynt, elle n’est pas tout à fait bien formée. En effet,

Gsynt ne peut pas construire exactement cette structure puisque la règle qui cons-

truit le nœud MANGER exige la présence d’un mode pour ce lexème. Supposons,

pour simplifier le problème, que les modes n’expriment aucun sens. On pourra

donc choisir par exemple d’ajouter le grammème de l’indicatif, puisque notre

petite grammaire syntaxique comporte une règle qui dit que l’indicatif est un mode

valide pour un verbe. Cependant, la même règle introduit également des grammè-

mes de personne, de nombre et de temps polarisés en blanc. Les règles d’accord

suffisent à saturer les grammèmes de personne et de nombre, mais le grammème

de temps ne peut pas être neutralisé seulement par les règles de Gsynt (celui de

mode non plus, mais nous laisserons cette question de côté). On a alors, après

l’application de Gsynt, la structure non neutre de la Figure 61 ci-dessous où les

grammèmes de mode et de temps n’ont pas de correspondant au niveau sémanti-

que.

Figure 60 — Une structure syntaxique à valider

(manger)

1 2

(Pierre) (pomme)

(deux)

1

sujcod

pdd VMANGER

PIERRE

pdd N

POMME

pdd N

DEUX

pdd Num

quant

Page 265: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

265

Seules les règles de Isém-synt pourraient neutraliser ces polarités. Mais cela ne

pose pas vraiment de problème puisque les règles ne sont pas orientées et les

modules ne s’appliquent pas forcément dans un ordre séquentiel. Les grammaires

GUST présentent en effet une caractéristique particulièrement intéressante qui les

distinguent des grammaires de correspondance habituelles. En général, une gram-

maire transductive ne fait que construire une structure correspondant à celle don-

née en entrée, sans jamais modifier cette dernière. Or, les grammaires GUST

peuvent compléter la structure donnée en entrée si elle ne peut pas être mise telle

quelle en correspondance avec une structure bien formée. On pourra donc neutrali-

ser le grammème de temps, par exemple, en appliquant dans l’autre direction la

règle de correspondance entre le sémantème (présent) et le grammème qui

l’exprime (introduite à la Figure 55, p. 261) ainsi que la règle sémantique qui cons-

truit le sémantème (présent) et le relie à son actant (introduite à la Figure 54,

p. 261). L’application de ces deux règles nous donne exactement la structure de

correspondance de la Figure 57 (p. 262), où apparaît un sémantème (présent) qui

n’était pas dans la représentation sémantique à l’origine. Il ne reste alors plus qu’à

neutraliser le grammème de mode en appliquant des règles équivalentes, ce qui

ajoutera encore un élément de sens dans la représentation sémantique.

Ainsi, le jeu des polarités de GUST permet de modifier en cours de route la

représentation donnée en entrée afin de satisfaire des contraintes provenant

Figure 61 — Deux grammèmes à mettre en correspondance

(manger)

1 2

(pomme)

(deux)

1

sujcod

MANGER

PIERRE

POMME

DEUX

pdd Num

quant

(Pierre)

pdd V

mode � ind

temps � prés

pers � 3

nbre � sing

pdd N

nbre � plurpdd N

nbre � sing

Page 266: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

266

d’autres niveaux de représentation. Bien sûr, il peut y avoir différentes façons de

satisfaire ces contraintes et on obtiendra autant de structures sémantiques modi-

fiées qu’il y a de combinaisons de règles qui permettent de neutraliser toutes les

polarités. Dans notre exemple, nous avons choisi le temps présent, mais nous

aurions pu en choisir un autre (en supposant que notre grammaire contienne des

règles équivalentes pour les autres temps). Dans le cadre d’un système de généra-

tion automatique de texte, le programme devrait alors choisir parmi les graphes

sémantiques proposés celui qui convient le mieux selon la situation. En d’autres

termes, il devrait répondre à la question «Quand Pierre mange-t-il deux pommes:

est-ce dans le passé, dans le présent ou dans le futur?».

Il faut noter que les contraintes décrites dans les grammaires de bonne forma-

tion peuvent avoir des répercussions non seulement sur les niveaux de représenta-

tion adjacents, comme on vient de le voir, mais également sur des niveaux plus

éloignés. Par exemple, la grammaire de bonne formation phonologique doit conte-

nir des règles qui force la superposition d’une prosodie à toute chaîne de phonè-

mes. S’il est vrai que cette prosodie peut être calculée au moins en partie d’après la

représentation syntaxique ou morphotopologique, certains de ses éléments sont

néanmoins porteurs de sens et doivent avoir un correspondant au niveau sémanti-

que. La satisfaction de contraintes phonologiques peut donc entraîner la modifica-

tion des structures plus profondes, et ce, jusqu’au niveau sémantique.

Ce «va-et-vient grammatical» est une des caractéristiques les plus intéressantes

de ce formalisme puisqu’elle permet de modéliser de façon très élégante le fait que

les sens grammaticaux ne sont pas nécessairement exprimés en réponse à un

besoin communicatif de la part du locuteur, mais plutôt parce qu’ils sont imposés

par la langue (voir le Chapitre IV à ce sujet). Ce type de mécanisme, en plus d’être

plausible d’un point de vue cognitif, pourrait s’avérer particulièrement utile dans le

cadre de la traduction automatique, où la représentation sémantique obtenue par

analyse dans la langue source n’est pas forcément exprimable telle quelle dans la

langue cible. En principe, le même mécanisme devrait également opérer en ana-

lyse. Lorsque la chaîne sonore donnée en entrée ne peut pas aboutir à une représen-

Page 267: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

267

tation sémantique bien formée, la grammaire devrait fournir des chaînes sonore

corrigées, exactement comme un locuteur peut essayer de «deviner» ce qui a été

dit quand il n’a pas bien entendu. Cependant, comme nous n’avons pas encore une

idée précise de ce à quoi ressembleront les représentations phonologiques en

GUST, il n’est pas possible pour l’instant de vérifier cette hypothèse.

Pour conclure, on a vu que la neutralisation des polarités psém blanches de la

structure de départ déclenchait une chaîne de neutralisations qui ont construit tous

les objets jusqu’au niveau de représentation le plus éloigné grâce au mécanisme

d’articulation des modules, et ce tout en corrigeant la structure de départ qui s’était

avérée incomplète. Le modèle que nous présentons ici ne va pas plus loin que le

niveau syntaxique, mais on peut ajouter autant de modules qu’on le souhaite en uti-

lisant toujours la même stratégie d’articulation entre chacun.

Ajoutons en terminant que nous n’avons considéré dans ce chapitre qu’une

architecture en pipe-line, héritée de la TST. Mais en fait, rien n’empêche, ni dans le

formalisme, ni dans la théorie, de mettre en correspondance des éléments de

niveaux qui ne sont pas adjacents. Par exemple, un sémantème qui s’exprime par

une intonation peut (et doit) être mis directement en correspondance avec le proso-

dème qui l’exprime. Cependant, comme nous ne nous intéressons dans cette thèse

qu’à l’interface sémantique-syntaxe, nous laissons de côté cette discussion.

6 La décomposition sémantique en GUST

La modélisation d’une langue donnée ne saurait être complète sans la descrip-

tion du sens de ses signes sémantiquement pleins28, qu’ils soient lexicaux ou

grammaticaux. Dans le cadre de la TST, cela se fait par des règles d’équivalence

entre des configurations de sémantèmes. Par exemple, la règle ci-dessous donne la

décomposition du sémantème (Torontoise).

28. Le signifié d’un signe linguistique n’est pas forcément d’ordre sémantique (voir à cesujet Mel’čuk 1993). Par exemple, le signifié d’un grammème d’accord est la relationsyntaxique qu’il signale entre deux lexèmes. Nous ne considérons ici que les signes dontle signifié est au moins partiellement descriptible par une configuration de sémantèmes.

Page 268: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

268

Ces règles sont nécessaires pour modéliser le paraphrasage, un phénomène cen-

tral dans la langue. Par exemple, elles permettent de rendre compte de l’équiva-

lence sémantique qui existe entre les trois groupes nominaux suivants:

(152) a. une Torontoise rousse

b. une rousse qui habite Toronto

c. une femme rousse qui habite Toronto

Ces trois énoncés expriment exactement les mêmes sémantèmes, soit ceux visi-

bles à la Figure 63c, mais ils n’encodent pas exactement le même message

puisqu’ils diffèrent par la façon dont ils regroupent ces sémantèmes. Dans le pre-

mier énoncé, les sens (femme), (habiter) et (Toronto) sont exprimés par un même

nom, TORONTOISE (cf. Figure 63a), alors que dans le second ce sont (femme) et

(roux) qui sont regroupés et exprimés par le nom ROUSSE (cf. Figure 63b), tandis

que dans le troisième, à chaque sémantème correspond un lexème distinct (cf.

Figure 63c).

Si ces trois énoncés n’ont pas la même représentation sémantique, c’est en vertu

du principe du bloc maximal (cf. Mel’čuk 1988b, 1989, 1993; Polguère 1990), qui

Figure 62 — Une règle d’équivalence sémantique de la TST

≡ ≡

a. b. c.

Figure 63 — Trois paraphrases qui n’ont pas la même RSém

(Torontoise) (femme)

(habiter)2

1

(Toronto)

1

(roux)

(Torontoise)

2

(rousse)

(habiter)

(Toronto)

1

(roux)

1

(femme) (habiter)

(Toronto)

1

2

Page 269: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

269

veut que la représentation sémantique canonique d’un énoncé soit réduite au maxi-

mum. Ce principe vise à éviter l’arbitraire; en effet, sans ce principe, on ne saurait

où arrêter la décomposition dans la représentation sémantique d’un énoncé29.

L’équivalence entre les trois représentations sémantiques de la Figure 63 est

assurée par des règles d’expansion / réduction comme celle de la Figure 6230. Ces

règles sont également nécessaires si on souhaite avoir accès à la structure interne

d’un sémantème. Notamment, on peut vouloir vérifier que les actants d’un prédicat

donné soient d’un certain type sémantique (par exemple, que le premier actant de

(manger) dénote un être animé, cf. § 5.1.1, p. 239). C’est possible de le faire avec

des règles d’équivalence. Toutefois, ces règles soulèvent au moins trois questions

quant à leur formalisation:

1) Où se situent les règles d’équivalence sémantique par rapport aux

différents modules d’un modèle linguistique?

2) Comment peuvent-elles interagir avec les autres règles du modèle?

3) Peuvent-elles être formalisées en GUST, et si oui, comment?

Nous tentons d’y répondre dans cette section, qui reprend l’article de Lareau

(2007), avec quelques modifications. Nous ne cherchons pas à déterminer précisé-

ment le rôle de la décomposition sémantique. Nous passons également sous silence

le problème complexe de la sélection lexicale31, pourtant étroitement lié à la

décomposition sémantique. Nous nous situons au niveau de la structure des règles

de décomposition et de leur place dans un modèle déclaratif global de la langue.

Dans le cadre de la TST, les règles d’équivalence sémantique ne font pas partie

des modules de transition qui constituent un modèle Sens-Texte, puisqu’elles enco-

dent des phénomènes orthogonaux aux processus de synthèse et d’analyse simulés

29. La seule autre solution possible, si on veut éviter l’arbitraire, est de toujours décomposerjusqu’aux sens primitifs. C’est la position défendue notamment par Wierzbicka (1996),mais elle pose des problèmes théoriques (comment établir la liste des primitifs?) etpratiques (les structures deviennent illisibles). Voir à ce propos Mel’čuk (1989).

30. Pour une discussion de ce type de règle, voir notamment Polguère (1990), Kahane &Mel’čuk (1999) et Milićević (2007).

31. Voir à ce propos Polguère (1990, 1998b) et Wanner (1992, 1997).

Page 270: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

270

par les règles de correspondance; on les trouve dans le module de paraphrasage

sémantique. Pour les mêmes raisons, ces règles ne peuvent pas constituer une

grammaire d’interface en GUST, puisqu’elles ne mettent pas en relation des objets

de niveaux adjacents. Plutôt que de regrouper ces règles dans un module distinct

orthogonal aux processus de synthèse et d’analyse, nous aimerions les intégrer à la

grammaire de bonne formation sémantique de GUST.

Afin d’intégrer les règles d’expansion / réduction, nous devons modifier notre

première caractérisation de la grammaire de bonne formation sémantique, Gsém

(cf. § 5.1.1, p. 239). Les nœuds sémantiques pourront dorénavant être associés par

une fonction à un ensemble de nœuds eux-même reliés par des arcs qui forment de

petites structures sémantiques représentant les constituants du sémantème ainsi

décomposé. Les nœuds qui décomposent un autre nœud sont reliés à ce dernier par

la fonction réduction. Parmi les nœuds qui forment la décomposition d’un séman-

tème, un seul est identifié comme le sens principal. Il s’agit du genre prochain et il

est identifié par la fonction générique, qui prend comme argument un sémantème

(un nœud) et retourne son genre prochain (un autre nœud)32. Graphiquement, nous

représentons les décompositions à l’intérieur d’une bulle en pointillés liée au nœud

réduit, dans laquelle le genre prochain est souligné. Par souci de lisibilité, nous

réduisons la taille des caractères et des traits à l’intérieur de ces bulles.

La figure suivante encode la règle d’équivalence (Torontoise) ≡ (femme qui

habite Toronto), tant sous forme explicite que sous forme graphique. Toutes les

figures qui suivent dans la présente section montrent explicitement les deux polari-

tés de Gsém pour chaque objet: psém (qui contrôle la saturation des structures

sémantiques) est indiquée par la couleur de l’objet alors que psém-synt (qui assure

l’interface avec Isém-synt) est indiquée par un petit carré à côté de l’objet. Par

ailleurs, dans la Figure 64, nous ajoutons aux nœuds de la version graphique, entre

parenthèses et en italique, les numéros d’identification utilisés dans la version tex-

32. Il n’est pas clair que l’on puisse toujours identifier un seul sémantème comme genreprochain pour tous les sens de la langue. Par exemple, Polguère (2003b) mentionne lecas de (fruit), qui peut être défini à la fois par (nourriture) et (partie de plante). Ceproblème dépasse le cadre de notre thèse.

Page 271: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

271

tuelle afin que le lecteur puisse plus facilement mettre en relation les deux formes

de représentation.

Les sémantèmes (rousse) et (femme) peuvent se décomposer de la même façon,

comme le montre la Figure 65. On remarquera que les nœuds à l’intérieur des

décompositions portent toujours une polarité psém blanche. Ils forcent ainsi l’appli-

cation d’autres règles du même module pour vérifier leur bonne formation. Par

exemple, le nœud (femme) apparaissant dans la décomposition de (rousse) forcera

l’application de la règle qui en vérifie la bonne formation (à droite dans la même

figure), introduisant par le fait même la décomposition de ce sémantème.

On remarquera également que les nœuds à l’intérieur des décompositions sont

toujours saturés en psém-synt. Cela a pour but d’éviter de réaliser à la fois un sens et

sa définition dans un même énoncé. Lorsqu’un fragment de la structure sémantique

⟨ { 1:nœudsém, 2:nœudsém, 3:nœudsém, 4:nœudsém, 5:arcsém, 6:arcsém },

{ source(5)=2, cible(5)=3, source(6)=2, cible(6)=4, étiquette(1)="Torontoise",

étiquette(2)="habiter", étiquette(3)="femme", étiquette(4)="Toronto", étiquette(5)="1",

étiquette(6)="2",psém(1)=�, psém(2)=�, psém(3)=�,psém(4)=�, psém(5)=�, psém(6)=�,

psém-synt(1)=�, psém-synt(2)=�, psém-synt(3)=�, psém-synt(4)=�, psém-synt(5)=�, psém-synt(6)=�

générique(1)=2, réduction(2)=1, réduction(3)=1, réduction(4)=1 } ⟩

Figure 64 — La décomposition sémantique de (Torontoise)

Figure 65 — La décomposition sémantique de (rousse) et de (femme)

(Torontoise)

1

(femme)

(habiter)

2

(Toronto)

(1)

(2)

(3)(4)

(rousse)

(roux)

(femme)

1

(femme)

(féminin)

(personne)

1

Page 272: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

272

a été réduit, tous ses éléments deviennent invisibles pour l’interface Isém-synt, qui

ne peut plus voir que le sémantème réduit.

Désormais, toutes les règles de Gsém qui construisent un nœud devront égale-

ment en fournir la décomposition. Seuls les primitifs sémantiques font exception à

cette règle, puisqu’ils ne peuvent pas être décomposés. Dans un système concret de

traitement automatique de la langue, il n’est certainement pas souhaitable de tou-

jours décomposer les sémantèmes jusqu’aux primitifs, puisque cela entraînerait

beaucoup de calcul inutile. On pourra alors avoir, pour chaque sémantème décom-

posable, deux règles: une qui le traite comme un primitif, et une autre qui en donne

la décomposition. Pour les besoins de notre exposé, nous allons considérer que ((de

sexe) féminin), ((aux cheveux) roux), (habiter), (Toronto) et (personne) sont des sens

indécomposables, ce qui n’est évidemment pas le cas en réalité.

Il est intéressant de noter que nos règles de décomposition ne forment pas une

grammaire de correspondance, contrairement au module de paraphrasage sémanti-

que de la TST. En effet, nos règles de décomposition ne mettent pas en correspon-

dance une représentation sémantique et les représentations décomposées

équivalentes. Il ne s’agit pourtant pas d’une grammaire transformationnelle non

plus, puisque la structure de départ n’est pas modifiée.

Voyons maintenant comment nos règles peuvent s’appliquer en synthèse. Le

processus de synthèse peut être lancé à partir de n’importe quelle représentation,

réduite ou non. Dans notre exemple, nous partirons d’une représentation décompo-

sée «au maximum». D’abord, les sens décrits à la Figure 66, considérés ici comme

«primitifs» (bien que ce ne soit pas réellement le cas) nous permettent de cons-

truire la représentation de la Figure 67 ci-dessous.

Figure 66 — Les sens «primitifs» dans la grammaire sémantique

(féminin)

1

(roux)

1

(habiter)

21

(Toronto)

(personne)

Page 273: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

273

Il est parfaitement possible d’utiliser cette représentation sémantique telle

quelle et de la mettre en correspondance avec un arbre syntaxique sans la réduire

aucunement. On obtient alors l’énoncé (153):

(153) Une personne rousse de sexe féminin qui habite Toronto.

On peut également opérer une première réduction en appliquant la règle qui

donne la définition de (femme) (cf. Figure 65), ce qui nous donne la représentation

suivante:

Cette représentation ne peut toutefois pas être mise en correspondance avec un

arbre syntaxique puisque du point de vue de l’interface sémantique-syntaxe elle

n’est pas connexe ((personne) étant saturé en psém-synt, il n’est plus visible pour

l’interface). La structure qui en résulterait ne serait pas un arbre et ne pourrait donc

pas être saturée en parbre (cf. § 5.1.2, p. 242). Pour rendre la structure connexe, il

faut en quelque sorte «déplacer» les relations sémantiques qui pointaient vers

(personne), puisque ce sémantème n’est plus visible pour l’interface sémantique-

Figure 67 — Une représentation sémantique décomposée à réaliser

Figure 68 — La réduction de (personne (de sexe) féminin)

1

1

1

2

(roux)

(personne)

(habiter)

(Toronto)(féminin)

11

1

2

(roux)

(personne)

(habiter)

(Toronto)

(féminin)

(femme)

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

274

syntaxe. Les prédicats qui portaient sur ce sémantème doivent maintenant porter

sur (femme). Kahane & Mel’čuk (1999) proposaient une métarègle qui recopie les

relations sémantiques pointant vers un nœud pour qu’elles pointent vers le séman-

tème réduit dont ce nœud est le genre prochain33. Cette règle se formalise en

GUST de la façon suivante:

Une fois cette règle appliquée, on obtient la structure suivante:

Les relations pointant vers (personne) ont été «neutralisées» du point de vue de

l’interface sémantique-syntaxe par la saturation de leur polarité psém-synt. La struc-

ture résultante peut tout de suite être mise en correspondance avec un arbre syn-

taxique, ce qui donne l’énoncé (154):

(154) Une femme rousse qui habite Toronto.

33. Cette règle ne concerne que le genre prochain. En effet, si une relation pointe vers unsémantème qui n’est pas le genre prochain, alors la réduction n’est pas possible (sauf,comme le remarquait Mel’čuk 2004, pour les expressions phraséologisées [payer lesyeux de la tête], mais elles doivent être décrites par des règles spécifiques). Par exemple,(femme très rousse) ne peut pas être réduit sans perte d’information [*une très rousse(N)],alors que (grande femme rousse) ne pose aucun problème [une grande rousse(N)].

Figure 69 — Une règle de réancrage du gouverneur

Figure 70 — La réduction de (personne (de sexe) féminin) avec réancrage des gouverneurs

xx

11

2

(roux) (habiter)

(Toronto)

(femme)

1 1

1

(personne)

(féminin)

Page 275: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

275

Elle peut aussi être réduite encore une fois en appliquant la règle qui construit

(rousse). Cela nous donne la structure en 71a, puis celle en 71b une fois la règle de

réancrage des gouverneurs appliquée.

Il résulte que les seuls sémantèmes accessibles à Isém-synt (donc demandant à

être exprimés), sont (rousse), (habiter) et (Toronto), ce qui permet de former

l’énoncé (4).

(155) Une rousse qui habite Toronto.

Bien entendu, ce n’est qu’une des réductions possibles. On peut réduire ces con-

figurations de sémantèmes autrement en utilisant d’autres règles. Dans tous les cas,

on retrouvera toujours la configuration sémantique de départ (cf. Figure 67,

p. 273), mais de nouveaux sémantèmes réduits apparaîtront et les sens accessibles

à Isém-synt ne seront pas les mêmes.

Ainsi, le type de règle que nous proposons permet, sans aucune procédure parti-

culière et sans avoir à ajouter ni nouveau module ni nouvelle polarité au modèle,

de trouver automatiquement toutes les réductions possibles pour une représenta-

tion sémantique donnée, et donc toutes ses différentes expressions. Nous avons

illustré le fonctionnement de ces règles en synthèse, mais elles fonctionnent égale-

ment en analyse. Elles fournissent alors, pour la phrase analysée, non seulement sa

a. b.

Figure 71 — La réduction de (femme rousse) avec réancrage des gouverneurs

1

1

1

2

(roux)(personne)

(habiter)

(Toronto)

(féminin)

(femme)

11

(rousse)

1

1

1

2

(roux)(personne) (habiter)

(Toronto)

(féminin)

(femme)

11

(rousse)

1

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

276

représentation sémantique réduite, mais également sa décomposition complète

ainsi que toutes les décompositions intermédiaires. Cette caractéristique du forma-

lisme proposé peut s’avérer fort intéressante notamment en traduction automati-

que, puisque la traduction des sens lexicaux et grammaticaux doit souvent être

approximative; il faut donc avoir accès à leur décomposition.

En outre, le formalisme que nous suggérons ici permet de représenter de façon

assez naturelle le typage des actants sémantiques (cf. § 5.1.1, p. 239). Si on sou-

haite restreindre la combinatoire sémantique d’un prédicat, on peut en étiqueter les

actants dans la règle de Gsém qui le construit. Par exemple, si on veut que le prédi-

cat (habiter) ne puisse prendre comme premier actant qu’un sémantème dénotant

une personne et comme deuxième actant un sémantème qui dénote un lieu, il suffit

de modifier la règle (que nous avons déjà vue à la Figure 66, p. 272) qui introduit

ce sémantème de la façon suivante:

Sans avoir accès à la décomposition du sens, le premier actant de (habiter) ne

pourrait pas, par exemple, être (rousse) puisque l’étiquette (personne) du nœud en

Figure 72 ne peut pas directement s’unifier avec l’étiquette (rousse). Par contre,

avec le type de représentation que nous venons de présenter, puisque (personne) est

le genre prochain de (femme), qui lui-même est le genre prochain de (rousse), ce

dernier pourra, grâce à la règle de réancrage des gouverneurs, être le premier actant

de (habiter), sans qu’il ne soit nécessaire d’activer une quelconque procédure ou de

faire appel à une structure de donnée séparée qui encode une hiérarchie des types

sémantiques. Comme on peut l’observer à la Figure 71b, le formalisme permet en

effet de vérifier que (personne) est une composante centrale du premier actant de

Figure 72 — Le typage sémantique des actants en GUST

(habiter)

21

(personne) (lieu)

Page 277: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

277

(habiter), et ce peu importe à quelle «profondeur» se trouve enfouie cette compo-

sante dans le sens de l’actant34.

Insistons sur le fait que le formalisme n’oblige pas à typer les actants d’un

sémantème. On peut très bien ne pas étiqueter les actants dans les règles qui intro-

duisent les sémantèmes prédicatifs sans que n’en souffre la grammaire. Le modèle

permet alors de mettre en correspondance des phrases absurdes avec des représen-

tations sémantiques formellement correctes, mais difficiles à interpréter. Revient-il

à la grammaire de rejeter de telles phrases? D’un côté, il est vrai que la langue per-

met d’exprimer même des idées absurdes ou contradictoires. Si la grammaire n’est

qu’un modèle fonctionnel de la langue, alors elle doit permettre de telles phrases.

D’un aure côté, le typage des actants semble modéliser une certaine connaissance

que les locuteurs ont des sens de la langue. De fait, dans le cadre de la TST,

Mel’čuk et Polguère n’hésitent pas à y avoir recours dans leur base de données

lexicales DiCo (Polguère 2003a). En outre, cela peut s’avérer très utile en linguisti-

que computationnelle, par exemple pour valider une analyse incertaine. Enfin, la

question dépasse le cadre de notre thèse, mais quoi qu’il en soit, le formalisme per-

met d’implémenter, au moins dans une certaine mesure, les deux solutions: le lin-

guiste choisira à sa guise de typer ou non les actants des prédicats qu’il décrit dans

la grammaire de bonne formation sémantique.

Nous avons illustré le fonctionnement des règles de décomposition sémantique

à l’aide de sémantèmes lexicaux. Il va de soi que ce sont les sens grammaticaux qui

nous intéressent dans cette thèse. Nous allons maintenant voir au Chapitre VIII que

le même mécanisme peut être utilisé pour décrire le sens des grammèmes verbaux

en français.

34. Bien entendu, puisque nous n’avons pas fourni dans nos règles la décompositionsémantique de (Toronto), le mécanisme ne peut pas fonctionner pour le deuxième actantde (habiter), qui ne pourra pas s’unifier à (Toronto). Mais si nous complétons notregrammaire pour fournir la décomposition de (Toronto) et encore de ses composantessémantiques, (habiter) pourra alors l’accepter comme deuxième actant puisque (Toronto)⊃ (ville) ⊃ (lieu).

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

278

7 Synthèse

GUST est une grammaire, à la fois générative, transductive et équative, qui éta-

blit la correspondance entre des sens et des formes. Alors que la TST décrit cette

correspondance au moyen de sept niveaux de représentation, GUST n’en possède

que quatre, puisque les niveaux profonds et de surface ne sont pas distingués. À

chaque niveau de représentation (sémantique, syntaxique, morphotopologique et

phonologique), une grammaire de bonne formation assure la construction de repré-

sentations valides. La correspondance entre les niveaux de représentation est assu-

rées par trois grammaires d’interface. Les règles d’interface décrivent des signes

(au sens large) dont le signifié et le signifiant sont des éléments des représentations

mises en correspondances.

Toutes les règles de GUST sont des structures élémentaires qui, en se combi-

nant, construisent les structures complexes qui représentent les différents niveaux

d’organisation des énoncés. Afin d’assurer la construction de représentations com-

plètes, les structures sont polarisées. En se combinant, les polarités se neutralisent;

une structure est saturée quand tous ses objets ont été neutralisés.

Un même objet peut porter plus d’une polarité, ce qui permet d’articuler les

modules. Ce mécanisme est particulièrement intéressant puisqu’il permet d’appli-

quer les règles dans n’importe quel ordre, et même de compléter une structure

incomplète donnée en entrée.

Le Tableau XXVI ci-dessous récapitule les caractéristiques formelles de chaque

module. Il indique les types d’objets que peuvent contenir chacun. À chaque type

d’objet sont associés certaines fonctions, dont plusieurs sont obligatoires (elles

sont indiquées en gras). Nous indiquons également le type de valeur retourné par

chaque fonction.

Ce tableau montre explicitement quelles sont les réalités linguistiques représen-

tées par les différents objets des structures GUST. Bien entendu, il ne faut pas con-

fondre les signes linguistiques et leur représentation formelle. Mais nous nous

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VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

279

Module Types d’objets FonctionsPhénomènesreprésentés

Gsém nœudsém psém → Ppsém-synt → �étiquette → Sgénérique → x:nœudsémréduction → x:nœudsém

sémantèmes

arcsém psém → Ppsém-synt → �source → x:nœudsémcible → x:nœudsémétiquette → Rsém

relationssémantiques

Gsynt nœudsynt psynt → Pparbre → �psém-synt → �psynt-topo → �pdd → Cétiquette → Lgenre → {masc, fém}groupe → {1, 2, 3, irr.)… (traits de syntactique)mode → x:obj-grammnombre → x:obj-grammtemps → x:obj-gramm… (catégories flexionnelles)

lexèmes

arcsynt psynt → Pparbre → �psém-synt → �psynt-topo → �source → x:nœudsyntcible → x:nœudsyntétiquette → Rsynt

relationssyntaxiques

obj-gramm psynt → Ppsém-synt → �psynt-topo → �hôte → x:nœudsyntétiquette → G

grammèmes

Tableau XXVI — Tableau récapitulatif des modules de GUSTet de leurs objets

Page 280: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VII. La grammaire d’unification Sens-Texte

280

permettrons parfois quelques abus de langage afin d’alléger le texte. Par exemple,

on trouvera dans cette thèse des expressions telles que «saturer un lexème» ou

«cette règle introduit un grammème de finitude». Ces énoncés en soi sont incor-

rects, mais il faut les comprendre comme «saturer le nœud syntaxique qui repré-

sente un lexème» et «cette règle introduit un objet grammémique qui représente un

grammème de finitude».

Finalement, nous proposons à l’Annexe B, à la fin de cette thèse, un encodage

XML pour GUST. Ce type d’encodage est utile pour le traitement automatique des

langues.

Garbre nœudsynt parbre → Ppsynt → �

lexèmes

arcsynt parbre → Ppsynt → �

relationssyntaxiques

Isém-synt tous les typesd’objets deGsém et Gsynt

mêmes fonctions que dansGsém et Gsynt sauf fonctionsde polarité, plus:psém-synt → Ppsém → � (objets sémantiques)psynt → � (objets syntaxiques)

mêmesphénomènes

correspondance psém-synt → Psignifié → x:Tsémsignifiant → x:Tsynt /obj-gramm

liens de correspondance

Tableau XXVI — Tableau récapitulatif des modules de GUSTet de leurs objets

Page 281: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

Nous avons déterminé au Chapitre VI les catégories flexionnelles verbales du

français et les grammèmes qu’elles contiennent. Afin de pouvoir formaliser ce

modèle, nous avons présenté et développé au Chapitre VII le formalisme GUST.

Dans le présent chapitre, nous allons voir comment notre modèle de la flexion ver-

bale française se représente dans ce formalisme.

Rappelons que ce sont essentiellement les grammèmes temporels qui nous inté-

ressent dans cette thèse. Nous avons deux catégories flexionnelles temporelles,

obligatoires pour tous les verbes à l’indicatif:

1) Les grammèmes de la catégorie de temps situent les faits par rapport à un

point de repère. Il y a trois grammèmes dans cette catégorie: simultané

(le fait est simultané à son point de repère), antérieur (le fait est antérieur

à son point de repère) et postérieur (le fait est postérieur à son point de

repère).

2) Les grammèmes de la catégorie de décalage situent un point de repère par

rapport au moment d’énonciation. Il y a deux grammèmes de décalage:

non-décalé (le repère est (maintenant), c’est-à-dire que le fait est situé

directement par rapport au moment d’énonciation, ou encore le repère est

dans le futur) et décalé (le repère est situé dans le passé).

À ces deux catégories flexionnelles temporelles s’ajoute une classe de mar-

queurs de phase aspectuelle: AVOIRacc (accompli), kEN TRAINl (progressif), ALLER

(prospectif), VENIR (passé récent) et kSUR LE POINTl (imminence), qui se combi-

nent avec les grammèmes de temps et de décalage. Les grammèmes des autres

catégories flexionnelles (finitude, voix, mode, personne, nombre et genre) ne ser-

vent pas à exprimer des sens temporels ou aspectuels1.

1. Sauf participe-é, qui peut exprimer la résultativité.

Page 282: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

282

Certains grammèmes ont plus d’une acception. Nous les avons décrites au Cha-

pitre VI. Nous porterons une attention spéciale aux acceptions d’ordre temporel ou

aspectuel; l’expression des sens modaux en français ne nous intéresse pas directe-

ment. Par ailleurs, nous ne prétendons pas à l’exhaustivité. Notre but n’est pas de

faire l’inventaire de tous les sens que peuvent porter les grammèmes verbaux, mais

simplement d’illustrer comment la polysémie grammaticale se représente en

GUST, et comment notre modèle flexionnel permet de rendre compte des princi-

paux sens de ces grammèmes.

Nous proposons des règles pertinentes pour la flexion verbale dans les modules

de bonne formation sémantique (Gsém), de bonne formation syntaxique (Gsynt) et

d’interface sémantique-syntaxe (Isém-synt) du français (Ch. VII, § 5, p. 236). Nous

présenterons ces modules dans cet ordre, suivant la tradition au sein de la TST de

privilégier la synthèse plutôt que l’analyse. Cette perspective ne signifie aucune-

ment que notre modèle est orienté; il est tout à fait bi-directionnel.

Dans ce chapitre, toutes les règles sont numérotées, ce qui facilite les référen-

ces. Pour les besoins de notre exposé, nous devrons à l’occasion présenter des

règles que nous ne souhaiterons pas conserver dans notre modèle. Afin d’éviter

toute confusion, nous utilisons donc deux séries de numéros: les règles temporai-

res sont numérotées RT1, RT2, etc., alors que les règles qui font réellement partie

de notre modèle linguistique sont marquées R1, R2, etc. Notons que les règles pré-

sentées au Chapitre VII ne l’étaient qu’à titre illustratif. Seules les règles du pré-

sent chapitre font partie de notre grammaire.

Sous chaque figure, nous indiquons en petits caractères le nom du module

auquel appartiennent les règles qui y apparaissent. Nous donnons également le

nom de la polarité principale. Le cas échéant, nous indiquons la ou les polarité(s)

secondaire(s) entre parenthèses2. Lorsque la valeur d’une polarité donnée pour

tous les objets d’une règle est blanche, et seulement dans ce cas, cette polarité est

2. Rappelons que toutes les règles de GUST sont des structures multipolarisées et qu’ellespeuvent donc toujours être présentées sous différents angles, selon la polarité qui estchoisie comme polarité principale. Voir la discussion à ce propos p. 249.

Page 283: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

283

occultée dans la figure. La plupart des règles ne montrent donc qu’une seule pola-

rité, puisque la plupart n’en saturent qu’une seule à la fois.

1 La grammaire de bonne formation sémantique

Le rôle de la grammaire de bonne formation sémantique, Gsém, est de décrire les

sens de la langue. Pour chaque sémantème, une règle de Gsém indique s’il est un

prédicat ou non et, le cas échéant, combien d’actants il doit avoir. C’est aussi dans

ce module que sont données les définitions, par des décompositions sémantiques.

L’encodage des décompositions sémantiques permet également de typer les actants

d’un prédicat (cf. Ch. VII, § 6, p. 267).

Nous avons vu au Chapitre VI que le signifié des grammèmes verbaux du fran-

çais n’est pas forcément représentable par une structure sémantique. En effet, les

grammèmes peuvent exprimer des éléments d’autres structures:

• La structure communicative (pour les grammèmes profonds de voix).

• La structure référentielle (pour les valeurs d’irréel de l’imparfait et du sub-

jonctif).

• La structure rhétorique (pour les acceptions atténuatives du futur, de

l’imparfait et du conditionnel).

Nous n’allons pas discuter davantage ces signes, puisque nous n’avons pas étu-

dié la formalisation de ces structures en GUST. De toute façon, ces signes ne con-

cernent pas l’expression du temps en français; il ne sont donc pas d’un intérêt

immédiat pour notre étude, et nous nous contenterons de ce que nous en avons dit

dans les sections correspondantes du Chapitre VI. Par ailleurs, certaines grammies

trouvent leur signifié dans la structure syntaxique. C’est le cas notamment des

grammèmes d’accord et de la plupart des grammèmes de finitude et de mode. Ces

signes ne sont pas pertinents pour Gsém.

Les autres sens exprimés par les grammèmes verbaux en français sont représen-

tables, au moins partiellement, par une structure sémantique. Ils peuvent être

Page 284: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

284

regroupés en trois familles: les sens temporels, les sens phasiques (ou aspectuels)

et les sens modaux. C’est dans cet ordre que nous les aborderons, après avoir dis-

cuté brièvement du typage des actants sémantiques. Mais d’abord, nous ferons un

bref rappel des caractéristiques formelles de Gsém.

1.1 Les caractéristiques formelles de Gsém

Nous rappelons ici les principales caractéristiques formelles de la grammaire de

bonne formation sémantique. Pour une présentation plus détaillée, le lecteur pourra

relire les sections correspondantes du chapitre précédent (Ch. VII, § 5.1.1, p. 239

et Ch. VII, § 6, p. 267).

Le rôle de Gsém est de vérifier la bonne formation des représentations sémanti-

ques données en entrée (en synthèse) ou construites par la grammaire d’interface

Isém-synt (en analyse). Cela se fait par la saturation de la polarité psém.

Les objets de Gsém sont de deux types: nœuds sémantiques (qui représentent les

sémantèmes) et arcs sémantiques (qui représentent les relations prédicat-argument

entre les sémantèmes). Tous doivent porter une polarité psém, ainsi qu’une polarité

d’articulation, psém-synt. Cette dernière est la plupart du temps blanche et nous ne

l’indiquons dans les figures que lorsqu’elle est saturée.

Les règles de Gsém permettent également d’encoder les décompositions séman-

tiques. Cela se fait par le biais des fonctions réduction et générique. La première

associe un sémantème à ses composantes sémantiques, alors que la seconde identi-

fie parmi ces composantes le genre prochain. Les sémantèmes des décompositions

sémantiques sont saturés en psém-synt, de façon à ce qu’ils ne soient pas réalisés en

surface en même temps que le sémantème réduit dont ils sont une composante.

Dans les figures, les décompositions sémantiques sont représentées à l’intérieur

d’une bulle. Leurs arcs sont en pointillés et leurs nœuds sont plus petits, ce qui

représente le fait que leur expression en syntaxe est bloquée.

Page 285: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

285

1.2 Le typage des actants sémantiques

Les descriptions sémantiques que nous utilisons suivent l’usage en sémantique

lexicale dans le cadre de la TST (cf. notamment Mel’čuk, Clas & Polguère 1995).

En particulier, les actants sémantiques d’un prédicat sont typés (voir la discussion à

ce propos, Ch. VII, § 5.1.1, p. 239). Le typage des actants modélise la combina-

toire des sémantèmes en indiquant l’hyperonyme (direct ou indirect) des sémantè-

mes qui peuvent occuper une position donnée dans les places actantielles d’un

prédicat. Cela se fait, dans le cadre de dictionnaires comme le Dictionnaire expli-

catif et combinatoire du français contemporain (Mel’čuk et al. 1984–1999), le

DiCo (Polguère 2000) ou le Lexique actif du français (Mel’čuk & Polguère 2007)

par exemple, par l’utilisation d’étiquettes sémantiques. Ces étiquettes sont des sens

de la langue organisés dans une hiérarchie d’hyperonymes. Il s’agit donc d’une

modélisation de l’organisation des sens linguistiques, et non de concepts plus ou

moins universaux ou d’objets extra-linguistiques comme c’est le cas dans les onto-

logies et les taxinomies3.

Nous prenons comme cadre général pour nos descriptions sémantiques la hié-

rarchie des étiquettes du Lexique actif du français. Au sommet de cette hiérarchie,

on trouve l’opposition entre faits et entités. Tous les verbes en français dénotent

des faits4. Les faits et les entités se décomposent en divers types. La Figure 73,

p. 286, montre à titre illustratif le lien entre (quelque chose) et (individu). Cepen-

dant, pour les faits, nous ferons appel aux catégories de Vendler (1957) (états, acti-

vités, accomplissements et réalisations instantanées)5, puisqu’elles permettent de

décrire de façon efficace la combinatoire des sémantèmes qui nous intéressent. Par

contre, nous retiendrons la structuration de Mourelatos (1978), Figure 74, p. 286,

puisqu’elle est basée sur des propriétés définitoires plutôt que sur des tests linguis-

tiques comme c’était le cas dans la formulation initiale de Vendler6.

3. Voir Milićević (1997), Polguère (2003b) et Mel’čuk & Polguère (2007) pour unediscussion détaillée.

4. C’est pourquoi nous avons utilisé partout dans cette thèse le terme «fait» plutôt que leterme plus courant de «procès» pour renvoyer à la dénotation des verbes.

5. Cf. Ch. VI, § 6.1.2, p. 181.

Page 286: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

286

1.3 Les sens temporels

Nous avons vu au Chapitre VI que les grammèmes de temps en français présen-

tent la particularité de pouvoir situer les faits soit par rapport au moment d’énon-

ciation, soit par rapport à d’autres faits qui peuvent être dans le passé ou dans le

futur (cf. Ch. VI, § 6, p. 177). Donc, le sens (maintenant) (qui représente le moment

d’énonciation) ne doit pas faire partie de leur définition, mais doit pouvoir en être

un actant. En fait, les grammèmes de temps en français n’expriment rien d’autre

que l’antériorité, la postériorité ou la simultanéité, ce que nous représentons par les

sémantèmes (avant), (après) et (simultané) à la Figure 75, p. 287. Nous considérons

ces grammèmes comme sémantiquement indécomposables. Pour les définir, il faut

sortir du système de la langue, comme le fait par exemple Gosselin (1996) (cf.

Ch. V, § 5, p. 106). Dans son modèle, les points E, R et S reichenbachiens7 sont

6. Pour une discussion détaillée de la classification de Vendler et de ses critiques, voirVetters (1996: pp. 87–106).

Figure 73 — Un aperçu de la hiérarchie des étiquettes sémantiques du Lexique actif du français

Figure 74 — La classification des faits selon Mourelatos

quelque chose

fait entité

… … … ……

être animé

individu… …

… …

fait

état action

-dynamique +dynamique

-télique

activité événement

+télique

-ponctuel

accomplissement réalisation instantanée

+ponctuel

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

287

représentés par des intervalles, respectivement [B1,B2], [I,II] et [01,02]8. Toutes

les relations temporelles entre ces intervalles sont décrites par des combinaisons

plus ou moins complexes de trois relations de base entre leurs bornes:

• i = j (i et j coïncident exactement).

• i ∝ j (i précède j mais en est infiniment proche).

• i j (i précède j et n’est pas dans son voisinage immédiat).

À partir de ces relations de base, il définit quatre relations complexes:

• i < j ≡ (i ∝ j) ∨ (i j)

• i > j ≡ j < i

• i ≤ j ≡ (i < j) ∨ (i = j)

• i ≥ j ≡ j ≤ i

Ces relations entre bornes servent à définir les relations entre les intervalles:

• [i,j] ANT [k,l] ≡ j < k (tout l’intervalle [i,j] est avant la borne k).

• [i,j] POST [k,l] ≡ i > l (tout l’intervalle [i,j] est après la borne l).

• [i,j] SIMUL [k,l] ≡ (i ≤ l) & (j ≥ k) (l’intersection n’est pas vide; les inter-

valles peuvent coïncider ou se chevaucher).

• [i,j] CO [k,l] ≡ (i = k) & (j = l) (les intervalles coïncident exactement).

• [i,j] RE [k,l] ≡ (i < k) & (j > l) ([k,l] est entièrement contenu dans [i,j]).

• [i,j] ACCESS [k,l] ≡ (i ≤ k) & (j ≥ l) (il y a recouvrement ou coïncidence).

7. Respectivement, le temps du fait dénoté par le verbe, le moment de référence et lemoment d’énonciation (cf. Ch. VI, § 6.1.4, p. 187).

R1 R2 R3

Gsém - psém

Figure 75 — Les sémantèmes (avant), (après) et (simultané) (R1 à R3)

8. Pour tout intervalle [i,j], i précède toujours j, même si la distance entre les deux estinfiniment petite.

(avant)

1 2

(fait) (fait)

(après)

1 2

(fait) (fait)

(simultané)

1 2

(fait) (fait)

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

288

Notre sémantème (avant) correspond exactement à la relation ANT de Gosselin.

D’après ses définitions, la relation POST est un simple conversif de ANT, ce qui

revient à dire que (X est après Y) ≡ (Y est avant X). D’un point de vue extra-linguis-

tique, c’est tout à fait correct. Cependant, nous croyons qu’il existe dans la langue

une différence communicative entre (avant) et (après). Le modèle de Gosselin ne

permet pas d’encoder cette différence. Le nôtre ne le permet pas directement non

plus, mais cette information se trouve encodée de façon indirecte par la numérota-

tion des actants. En effet, l’ordre des actants d’un prédicat sémantique indique leur

saillance communicative relative (cf. Mel’čuk 2004).

Notre sémantème (simultané) correspond à la fois aux relations SIMUL, CO,

RE et ACCESS de Gosselin. Il ne dénote pas forcément une coïncidence exacte (en

fait, il est assez rare que cela se produise). Il faut l’interpréter comme dénotant une

«simultanéité subjective».

Nos trois sémantèmes temporels ont la même structure actantielle: leur premier

actant est le fait à situer dans le temps; leur second est le point de repère par rap-

port auquel est situé ce fait. Comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, ce

point de repère, en français, peut être n’importe quel fait, qu’il s’agisse du moment

d’énonciation ou d’un fait dénoté par un autre sémantème. Par exemple, dans la

phrase La branche casse, le fait dénoté par (casser) est situé directement par rap-

port au moment d’énonciation, comme le montre la Figure 76a ci-dessous. Par

contre, dans Il m’a dit que la branche casserait, (casser) est situé par rapport à

(dire), comme on peut le voir à la Figure 76b.

a. b.

Figure 76 — Les sémantèmes temporels en contexte

(simultané)

12

(maintenant)

(casser)

(branche)

1

(avant) 1

2

(maintenant)

(casser)

(branche)

1

(après)

12

(dire)

(lui)

1

2

(moi)

3

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

289

Il faut noter que (casser) est quand même lié indirectement à (maintenant) dans

la Figure 76b (nous avons mis les arcs en gras pour souligner notre propos), sans

qu’il ne soit pour autant possible d’en inférer une relation temporelle entre (casser)

et (maintenant). Nous avons vu au Chapitre VI (§ 6.4.3, p. 206) que quand un

sémantème est situé temporellement par rapport à un fait dans le passé, comme

c’est le cas ici pour (casser), alors le lexème correspondant doit porter le gram-

mème décalé (c’est pourquoi on a casserait, et non cassera). Sinon, c’est le gram-

mème non-décalé qui doit être utilisé (c’est pourquoi on a a dit, et non avait dit

pour 76b, ou encore casse, et non cassait pour 76a). Mais les grammèmes décalé

et non-décalé n’expriment aucun sémantème en soi. Les sémantèmes (après) et

(avant) de la Figure 76b et (simultané) de la Figure 76a correspondent respective-

ment aux grammèmes postérieur, antérieur et simultané; tout ce qu’expriment

les grammèmes décalé et non-décalé, c’est le fait que (casser) (ou (dire)) est situé

par rapport à un repère passé ou non. Nous verrons plus loin comment cela se

modélise dans la grammaire d’interface sémantique-syntaxe (§ 3.4.2, p. 335).

1.4 Les sens phasiques / aspectuels

Nous avons donné au Chapitre VI (§ 5, p. 164) des définitions provisoires pour

AVOIRacc, ALLER, kEN TRAINl, VENIR et kSUR LE POINTl, que nous répétons ici:

• (avoiracc X–é) = (la période qui suit le fait X a cours)

• (aller X–er) = (la période qui précède le fait X a cours)

• (en train de X–er) = (la période simultanée au fait X a cours)

• (venir de X–er) = (la période qui suit immédiatement le fait X a cours)

• (sur le point de X–er) = (la période qui précède immédiatement le fait X a

cours)

Dans ces définitions, «avoir cours» est vide de sens et ne sert qu’à les rendre

plus lisibles; cette expression ne correspond à aucun sémantème dans les défini-

tions formelles.

Page 290: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

290

Nous avons également démontré au Chapitre VI que les sens exprimés par les

phases aspectuelles sont mono-actantiels. En effet, on peut observer que les mar-

queurs de phase sont compatibles avec les verbes à sujet explétif:

(156) Il a plu: ma selle de vélo est toute mouillée.

(157) Il va faire chaud.

Certaines combinaisons par contre sont agrammaticales:

(158)*Il est sur le point de faire chaud.

(159)*Il vient de faire un temps humide.

Ce n’est cependant pas à cause d’un actant manquant, comme en témoignent les

phrases suivantes, où l’actant est exprimé:

(160)*La serviette est sur le point d’être jaune.

(161)*Nous venons d’être croyants.

C’est plutôt la nature stative des sens dénotés par les verbes en (158)–(161) qui

est incompatible avec ces marqueurs de phase. Seuls AVOIRacc et ALLER sont com-

patibles avec tous les types de verbes, alors que les autres marqueurs de phase

aspectuelle ne peuvent pas se combiner aux états, comme on peut le voir dans le

tableau ci-dessous, qui résume la combinatoire sémantique des marqueurs de phase

aspectuelle:

États Activités AccomplissementsRéalisationsinstantanées

AVOIR Il a déjà eu la foi Il a mangé Il a écrit une lettre Il a trouvé sa clé

ALLER Il va avoir la foi Il va manger Il va écrire une lettre Il va trouver sa clé

kENTRAINl

* Il est en train d’avoir la foi

Il est en train de manger

Il est en train d’écrire une lettre

Il est en train de trouver sa clé

VENIR * Il vient d’avoir la foi

Il vient de mangerIl vient d’écrire une lettre

Il vient de trouver sa clé

kSUR LEPOINTl

* Il est sur le point d’avoir la foi

Il est sur le point de manger

Il est sur le point d’écrire une lettre

Il est sur le point de trouver sa clé

Tableau XXVII — La combinatoire sémantique des marqueurs de phase aspectuelle

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

291

On peut rendre compte du phénomène par un typage approprié de l’actant des

sémantèmes phasiques: (avoiracc) et (aller) prennent comme argument un fait, alors

que les autres prennent une action (nous avons vu plus haut, Figure 74, p. 286, que

la classification de Mourelatos regroupe tous les faits non statifs sous l’étiquette

«action»).

Nous représentons le sens des signes de phase aspectuelle par un sémantème

étiqueté du marqueur qui l’exprime. Trois des signes de phase aspectuelles déno-

tent chacune des trois phases naturelles délimitées par les bornes d’un fait (cf.

Ch. VI, § 5.1, p. 165):

Les deux autres signes dénotent la période immédiatement avant le début ou

immédiatement après la fin d’une action:

R4 R5 R6

Gsém - psém

Figure 77 — Les sémantèmes (avoiracc), (en train) et (aller) (R4 à R6)

R7 R8

Gsém - psém

Figure 78 — Les sémantèmes (sur le point) et(venir) (R7 et R8)

(avoiracc)

(après)

(période)

11

2(fait)

(en train)

(simultané)

(période)

11

2(action)

(aller)

(avant)

(période)

11

2(fait)

(sur le point)

1

2

(action)

(avant)

(période)

1

(immédiatement)

1

(venir)

1

2

(action)

(après)

(période)

1

(immédiatement)

1

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

292

Les sémantèmes de phase se comportent comme n’importe quel sémantème

dénotant un fait. Ils peuvent prendre comme actant n’importe quel fait (ou action,

selon leur combinatoire), y compris un autre sémantème de phase aspectuelle. La

Figure 79a montre la représentation sémantique de Ils ont bien dormi, alors que la

Figure 79b donne celle de Ils vont avoir bien dormi.

On peut représenter schématiquement la situation dénotée par Ils vont avoir

bien dormi comme suit (la position de T0 — le moment d’énonciation — par rap-

port au moment du sommeil n’est pas pertinente, ce que nous représentons ici par

deux points T0 concurrents):

Toutes les combinaisons ne sont pas possibles, par contre. Par exemple, puisque

(en train) demande un actant de type (action), aucun des autres sémantèmes phasi-

ques ne pourront être actant de (en train), leur genre prochain ((période)) étant

a. b.

Figure 79 — Les sémantèmes de phase aspectuelle en contexte

Figure 80 — La situation dénotée par Ils vont avoir bien dormi

(avoiracc)

1

(dormir)1

(bien)

1

(eux)

(avoiracc)1

(dormir)1

(bien)

1

(eux)

(aller)

1

dormir

avoir dormi

aller avoir dormi

T0 T0

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

293

incompatible. Des contraintes syntaxiques sont également à l’œuvre (cf. § 2.3.1,

p. 303).

Nous ne voyons pas de raison pour que les sémantèmes de phase aspectuelle ne

puissent aussi être des actants d’autres types de prédicats. Par exemple, nous repré-

sentons le sens de la phrase Je pense qu’ils sont en train de dormir par la structure

de la Figure 81, où l’actant de (penser) n’est pas (dormir), mais (en train).

Il découle de ce que nous venons de dire que les sémantèmes de phase aspec-

tuelle peuvent être situés dans le temps comme n’importe quel autre fait. La Figure

82 ci-dessous (page suivante) reprend la représentation sémantique de la Figure

79b en y ajoutant la situation temporelle ainsi que les décompositions sémantiques

de (aller) et (avoiracc). On voit que la phrase Ils vont avoir bien dormi signifie (c’est

maintenant la période avant la période qui suit eux-bien-dormir) (cf. Figure 80,

p. 292).

Ici, nous avons appliqué la règle de réancrage des gouverneurs que nous avions

présentée au Chapitre VII (§ 6, p. 267), et que nous répétons en tant que R9 ci-des-

sous (page suivante) puisqu’elle fait partie de notre modèle.

Enfin, nous avons vu au Chapitre VI (§ 1.2.2, p. 124) que le participe passé peut

avoir une valeur résultative [Nous sommes arrivés]. Il dénote alors l’état résultant

d’un fait. Contrairement aux signes de phase aspectuelle, le sémantème en jeu ici

Figure 81 — Un sémantème de phase aspectuelle actant de (penser)

(en train)1

(dormir)1

(eux)

(penser)

2(moi)1

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

294

(que nous appellerons (résultatif)9) possède deux actants. On peut le vérifier en

observant l’agrammaticalité de la construction résultative d’un verbe impersonnel,

comme en (162) ci-dessous.

(162)*Il est plu.

Cela est dû au fait que le résultatif dénote l’état de quelque chose; ce quelque

chose doit être un actant de (résultatif). Par ailleurs, son second actant ne peut pas

être n’importe quel type de fait:

(163)*Il est lévité. (état)

(164)# Du pain est mangé. (activité)10

Figure 82 — L’interaction sémantique des temps et des phases aspectuelles

R9

Gsém - psém (psém-synt)

Figure 83 — Le réancrage des gouverneurs sémantiques (R9)

9. Nous le mettons en italiques pour indiquer qu’il s’agit d’une étiquette métalinguistique.En effet, ce sens n’est pas celui de la lexie RÉSULTATIF.

10. Il ne faut pas confondre avec l’interprétation passive de cet énoncé.

(avoiracc)1

(dormir)

1

(bien)1

(eux)

(aller)

1

(avant)

(période)

1

2

(après)

(période)

1

2

2

(simultané)

12

(maintenant)

1

1

xx

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

295

(165) La lettre est écrite. (accomplissement)

(166) Tous nos objectifs sont atteints. (réalisation instantanée)

Ce ne sont que les événements (dans la classification de Mourelatos 1978) qui

peuvent être le deuxième actant de (résultatif). La propriété distinctive des événe-

ments étant leur télicité (cf. Ch. VI, § 6.1.2, p. 181), cela nous indique que

(résultatif) inclut dans son sens l’idée d’achèvement d’un fait télique.

Donc, nous pouvons définir le sens du participe passé résultatif ainsi: (X résul-

tatif de l’événement Y) ≡ (état de X causé par l’achèvement de l’événement Y).

Formellement, cela se représente comme suit:

1.5 Les sens modaux

Les sens «modaux» (dans une acception large du terme) sont d’un intérêt limité

pour notre thèse. Nous nous contenterons d’en donner une description sémantique

sommaire, sans en fournir la décomposition.

La finitude est essentiellement une catégorie flexionnelle syntaxique, c’est-à-

dire que ses grammèmes n’expriment pas un sens, mais signalent une configura-

tion syntaxique (cf. Ch. VI, § 1, p. 116). Nous avons vu néanmoins que deux de ces

grammèmes peuvent être porteurs d’un sens modal.

R10

Gsém - psém (psém-synt)

Figure 84 — Le sémantème (résultatif) (R10)

(achèvement)

(résultatif)(état)

112

(causer)1

1

2

(événement)

Page 296: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

296

Le grammème profond gérondif exprime la «manière» au sens large. Ce sens

englobe le moyen de réalisation [Il ouvre la bouteille en tirant le bouchon], la

caractérisation [Il marche en boitant] et la simultanéité [Il danse en chantant].

Nous le représentons par le sémantème (manière), un prédicat binaire dont le pre-

mier argument est le fait à caractériser et dont le second est la caractérisation de ce

fait:

Le grammème infinitif, quand il est le sommet syntaxique de la phrase,

exprime une consigne. Le sens qui lui correspond est le prédicat (devoir), que nous

représentons par la règle R12 ci-dessous.

Cette règle décrit le prédicat (devoir) non pas en tant que signifié de l’infinitif de

consigne, mais en tant que tel. Nous croyons que le sens de l’infinitif de consigne

se distingue légèrement de celui de l’impératif, pourtant très proche. Ce dernier

implique directement le locuteur (ce qui expliquerait qu’on lui préfère l’infinitif

pour les consignes écrites). Il exprime le sémantème (ordonner), que décrit la règle

R11

Gsém - psém

Figure 85 — Le sémantème (manière) (R11)

R12

Gsém - psém

Figure 86 — Le sémantème (devoir) (R12)

(manière)

1 2

(fait) (fait)

(devoir)

1

(fait)(être animé)

2

Page 297: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

297

R13 ci-dessous. Encore une fois, cette règle ne décrit pas ce prédicat en tant que

signifié de l’impératif, mais en lui-même.

Nous avons également vu au Chapitre VI (§ 6.4.4, p. 213) trois phrasèmes

grammémiques qui ont un sens modal. Le premier est le futur de supposition [Mais

où sont-ils? Ils se seront sans doute perdus en chemin], dont nous représentons le

sens par le sémantème (supposer) dans la règle R14 ci-dessous.

Le second est le conditionnel de réserve [Le président de syndicat aurait été

arrêté hier soir]. Nous en représentons le sens par (il paraît) à la règle R15 ci-des-

sous.

Enfin, le dernier est le futur antérieur de rétrospective [L’hiver aura été particu-

lièrement long cette année], dont nos représentons le sens par le sémantème (en

rétrospective) à la règle R16.

R13

Gsém - psém

Figure 87 — Le sémantème (ordonner) (R13)

R14

Gsém - psém

Figure 88 — Le sémantème (supposer) (R14)

(ordonner)

1

(fait)(individu)

3

(être animé)

2

(supposer)

1 2

(individu) (fait)

Page 298: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

298

2 La grammaire de bonne formation syntaxique

La grammaire de bonne formation syntaxique, Gsynt, sert à assurer la construc-

tion d’arbres syntaxiques valides. Deux règles, regroupées dans le sous-module

Garbre, suffisent à vérifier la bonne formation structurelle des arbres syntaxiques.

D’autres règles doivent décrire la combinatoire des éléments des représentations

syntaxiques, par exemple les relations syntaxiques valides dans la langue décrite.

En principe, les règles du module d’interface syntaxe-morphotopologie doivent

décrire la combinatoire morphologique des lexèmes et des grammèmes. Comme

nous n’avons pas ce module dans notre modèle, nous projetons cette information

dans Gsynt.

Ainsi, il existe quatre types de règles en Gsynt: les règles de bonne formation

structurelle (Garbre) ainsi que les règles lexicales, sagittales et grammémiques.

R15

Gsém - psém

Figure 89 — Le sémantème (il paraît) (R15)

R16

Gsém - psém

Figure 90 — Le sémantème (en rétrospective) (R16)

(il paraît)

1

(fait)

(fait)

1

(en rétrospective)

Page 299: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

299

Nous les présenterons dans cet ordre; mais d’abord, rappelons les caractéristiques

formelles de Gsynt.

2.1 Les caractéristiques formelles de Gsynt

Nous rappelons ici les principales caractéristiques formelles de la grammaire de

bonne formation syntaxique. Pour une présentation plus complète, le lecteur

pourra relire la section correspondante du chapitre précédent (Ch. VII, § 5.1.2,

p. 242).

Le rôle de Gsynt est de vérifier la bonne formation des représentations syntaxi-

ques construites par les grammaires d’interface Isém-synt (en synthèse) ou Isynt-topo

(en analyse). Cela se fait par la saturation de la polarité psynt laissée en blanc par

ces modules. Gsynt utilise également une polarité parbre qui sert à vérifier la bonne

formation structurelle de l’arbre syntaxique. Cette dernière est saturée par des

règles que nous regroupons dans un sous-module de Gsynt, que nous appelons

Garbre (cf. § 2.2, p. 300).

Les objets de Gsynt sont de trois types: nœuds syntaxiques (qui représentent les

lexèmes), arcs syntaxiques (qui représentent les relations syntaxiques) et objets

grammémiques (qui représentent les grammèmes superficiels). Tous doivent porter

une polarité psynt. Les nœuds et les arcs portent également une polarité parbre, qui

est toujours blanche sauf dans les règles de Garbre, où c’est plutôt psynt qui est blan-

che. Par souci de lisibilité, la polarité parbre sera donc systématiquement omise

dans les figures, sauf bien entendu dans les règles de Garbre. Par ailleurs, tous les

objets, y compris les objets grammémiques, portent deux polarités d’articulation:

psém-synt et psynt-topo. Ces dernières sont la plupart du temps blanches, aussi les

omettons-nous dans presque toutes les figures. Nous les représentons seulement

lorsqu’elles sont saturées.

Les objets grammémiques apparaissent comme des losanges dans les représen-

tations graphiques. Ils ne doivent pas être confondus avec les traits de syntactique.

Les objets grammémiques sont des objets des structures GUST au même titre que

Page 300: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

300

les nœuds et les arcs syntaxiques. Ils doivent donc être polarisés. Ils représentent

les grammèmes superficiels qui sont associés aux lexèmes. Les traits de syntacti-

que11, quant à eux, sont des propriétés intrinsèques des lexèmes. Ils ne sont pas

représentés par des objets dans les structures GUST, mais plutôt par des fonctions

d’étiquetage (cf. Ch. VII, § 2, p. 226).

Par exemple, dans la règle R19 de la Figure 92 (p. 302), on trouve trois traits de

syntactique pour le lexème RÊVER: sa partie du discours, l’auxiliaire auquel il

s’associe et son groupe de conjugaison. Ces propriétés de RÊVER ne changent

jamais12, peu importe le contexte. Elles sont représentées par des fonctions dont la

valeur n’est qu’une étiquette, et non un objet de la structure (d’où l’absence de

polarité). Par contraste, la fonction fin(itude)13, dans la même règle, retourne

comme valeur un objet grammémique polarisé en blanc. Cet objet n’est pas éti-

queté, mais il ne faut pas croire pour autant que la fonction fin n’a pas de valeur

dans cette structure. Sa valeur, c’est l’objet grammémique lui-même, et non l’éti-

quette de cet objet. Que cet objet soit étiqueté ou non n’a aucune importance du

point de vue de fin: cette fonction ne fait qu’associer un nœud syntaxique à un

objet grammémique.

2.2 La grammaire d’arbres

Nous avons vu au Chapitre VII (§ 5.1.2, p. 242) que Gsynt devait être articulé

avec une grammaire d’arbres, Garbre. Il s’agit en fait d’un sous-module de Gsynt

dont les règles se distinguent par la saturation des objets en parbre. Son rôle est de

vérifier que les structures syntaxiques construites par Gsynt sont bien des arbres.

Pour ce faire, deux règles suffisent. La règle R17 ci-dessous constitue la structure

initiale de cette grammaire (cf. Ch. VII, § 2, p. 226), ce qu’indique le double enca-

11. On les appelle également «caractéristiques grammaticales» ou «propriétés decombinatoire».

12. Même si RÊVER se trouve avec l’auxiliaire ÊTRE dans Ils s’étaient rêvé une vie paspossible, il reste que sa propriété intrinsèque est de sélectionner AVOIR. C’est laconstruction réfléchie qui impose ici l’auxiliaire ÊTRE, peu importe la combinatoire duverbe auxilié.

13. Rappelons qu’il s’agit d’une fonction structurante (cf. Ch. VII, § 2, p. 226).

Page 301: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

301

dré. Rappelons qu’une structure initiale doit être utilisée une et une seule fois.

Cette règle construit le sommet de l’arbre. La règle R18 en construit tous les

dépendants14.

Nous marquons tous les nœuds d’un trait pos(ition), dont la valeur peut être

«sommet» ou «dép(endant)». Ce trait pourra être utilisé dans les règles pour véri-

fier qu’un nœud donné est ou non le sommet de l’arbre15.

2.3 Les règles lexicales

Les règles lexicales de Gsynt donnent l’inventaire des lexèmes de la langue et

décrivent leur combinatoire morphologique (cette information est en fait une pro-

jection de la grammaire d’interface syntaxe-morphotopologie). Ainsi, toute règle

introduisant un verbe doit en fournir les traits de syntactique, tels son groupe de

conjugaison et l’auxiliaire auquel il peut se combiner (AVOIR ou ÊTRE), comme

la règle R19 ci-dessous16.

Les règles lexicales verbales doivent également introduire un objet grammémi-

que polarisé en blanc pour forcer l’attribution d’une finitude au verbe. En un sens,

cela est dangereux puisque le formalisme ne contraint pas le linguiste à toujours

mettre cet objet dans les règles qui construisent les nœuds verbaux. L’oublier aurait

pour conséquence d’autoriser un verbe à apparaître sans aucune flexion (les autres

R17 R18

Gsynt / Garbre - psynt (parbre)

Figure 91 — La grammaire d’arbres (R17 et R18)

14. Afin de garder une certaine homogénéité par rapport aux autres figures, nous avonschoisi de montrer les règles de Garbre avec psynt comme polarité principale. La polaritéparbre apparaît comme polarité secondaire.

15. Voir les règles R66 (p. 322) et R89 (p. 343).16. Par souci de lisibilité, nous omettrons ces traits dans les autres figures, sauf là où ils sont

pertinents pour notre propos.

pos sommet

pos dép

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

302

catégories flexionnelles étant dépendantes de la finitude). Dans le cadre d’une

grammaire concrète à large couverture, l’erreur semble inévitable. Il y a toutefois

au moins deux solutions envisageables à ce problème.

La première solution consiste à représenter la partie du discours par un objet. En

polarisant cet objet en blanc pour tous les verbes, on forcerait l’application d’une

règle générale qui ne ferait que saturer cet objet tout en introduisant des objets

grammémiques en blanc pour représenter les grammèmes superficiels nécessaires

à tous les éléments de la partie du discours en question.

Cette méthode présente l’avantage de faciliter énormément l’entretien de la

grammaire. Si, après avoir entré les règles pour RÊVER, MANGER et quelques cen-

taines d’autres verbes, on réalise qu’il ne faut finalement non seulement associer à

chaque verbe une finitude, mais également une autre catégorie flexionnelle, on n’a

alors qu’une seule règle à modifier, RT3.

Cependant, nous préférons ne pas représenter les traits de syntactique par des

objets polarisés puisqu’il s’agit de propriétés «inertes». La polarisation des objets

sert à contrôler la composition des signes, un processus en un sens plus

«dynamique» que les propriétés de combinatoire des signes linguistiques. Nous

R19

Gsynt - psynt

Figure 92 — Un règle demandant une finitude pour un verbe (R19)

RT1 RT2 RT3

Gsynt - psynt

Figure 93 — Une représentation alternative des parties du discours (RT1 à RT3)

pdd Vaux avoirmodèle aimerfin ◇

RÊVER

pdd ◇ Vaux avoirmodèle aimer

RÊVERpdd ◇ Vaux avoirmodèle aimer

MANGERpdd ◆ Vfin ◇

Page 303: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

303

préférons que notre formalisme sépare bien les deux phénomènes en les représen-

tant de façon distincte.

Une deuxième solution consiste à utiliser des patrons de règles. Il suffit alors

d’avoir un patron pour les verbes dans lequel apparaît l’objet grammémique blanc

pour la finitude, et cette partie de la structure sera héritée par toutes les règles mar-

quées comme héritant du patron «verbe». En d’autres termes, il faut avoir pour

chaque langue des règles générales qui stipulent quelles sont les catégories flexion-

nelles pour chaque partie du discours. Ce type de mécanisme est couramment uti-

lisé dans d’autres cadres théoriques.

On peut en outre faire appel à des outils d’édition appropriés (qui, de toute

façon, s’avèrent nécessaires dès qu’on envisage un modèle à couverture assez

large). En fait, le linguiste ne devrait jamais avoir à introduire toutes les règles lexi-

cales manuellement; il devrait suffire de mettre dans un dictionnaire que RÊVER est

un verbe pour en dériver automatiquement la règle R19 (cf. Lareau 2002).

Les règles lexicales qui nous intéressent particulièrement sont celles qui décri-

vent la combinatoire des auxiliaires et semi-auxiliaires du français.

2.3.1 La combinatoire des marqueurs de phase aspectuelle

Les seuls véritables auxiliaires de phase aspectuelle sont ALLER, VENIR,

AVOIRacc et ÊTREacc. Nous avons vu au tout début de cette thèse que les autres

constructions, notamment kEN TRAINl et kSUR LE POINTl, n’étaient pas des auxiliai-

res (Ch. II, § 3, p. 28). Il s’agit en effet de locutions prépositionnelles et leur traite-

ment ne diffère pas de celui des autres locutions prépositionnelles. Au niveau

syntaxique, la représentation de kEN TRAINl et kSUR LE POINTl n’est pas structurel-

lement différente de celle, par exemple, de kÀ CÔTÉl, comme on peut le voir à la

Figure 94, p. 304. Il n’est pas nécessaire d’avoir des règles spécifiques pour ces

locutions, puisque leur représentation syntaxique peut être entièrement construite à

partir des règles de Gsynt qui décrivent les lexèmes et les arcs qui les constituent.

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

304

Ces règles sont triviales et il y a peu d’intérêt à toutes les énumérer ici. Nous en

donnons quelques-unes à titre illustratif ci-dessous.

Revenons maintenant aux vrais auxiliaires. Les marqueurs de l’accompli peu-

vent accepter n’importe quelle finitude, mode, etc. Par contre, ALLER et VENIR ont

une combinatoire plus capricieuse (le Tableau I, p. 30, résume la combinatoire

morphologique des auxiliaires). Les règles R23 à R28 ci-dessous modélisent la

combinatoire de ces lexèmes.

La combinatoire de VENIR étant particulièrement capricieuse, elle ne se laisse

pas bien décrire par des règles assez générales. C’est pourquoi nous avons trois

règles pour cet auxiliaire. Remarquons qu’au contraire, bien que ALLER ne se com-

bine pas librement à n’importe quel grammème non plus (il ne peut apparaître

qu’au présent ou à l’imparfait), une seule règle suffit à en décrire la combinatoire.

Cela est dû au fait que le présent et l’imparfait, selon notre description, ne se dis-

tinguent que par le grammème de décalage (non-décalé pour le présent et décalé

Figure 94 — La structure syntaxique de trois locutions prépositionnelles

R20 R21 R22

Gsynt - psynt

Figure 95 — Quelques règles lexicales triviales (R20 à R22)

pdd PrépENprép

c. nom

prép

TRAIN

DE

pdd Vfin ◇ inf

pdd Prép

pdd Ngenre mascnbre ◆ sg

pdd PrépSURprép

c. nom

prép

POINT

DE

pdd Vfin ◇ inf

LE

détpdd Ngenre mascnbre ◆ sg

pdd Prép

pdd Détgenre ◆ mascnb ◆ sg

pdd PrépÀprép

c. nom

prép

CÔTÉ

DE

pdd N

pdd Prép

pdd Ngenre mascnbre ◆ sg

pdd PrépÀ pdd PrépEN CÔTÉpdd Ngenre mascnbre ◇

Page 305: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

305

pour l’imparfait). Dans un modèle où temps et décalage ne seraient pas distingués,

il faudrait deux règles pour ALLER.

Les signes de phase aspectuelle peuvent se combiner entre eux. Toutefois,

l’ordre des auxiliaires dans la structure syntaxique n’est pas libre. Par exemple,

ALLER peut gouverner VENIR ou AVOIRacc [Il va bientôt avoir fini], mais pas

l’inverse [#Il a été finir]. Le bon ordre structurel des auxiliaires est assuré par leur

combinatoire. En effet, ALLER ne peut pas dépendre de VENIR puisque VENIR

impose l’infinitif à son dépendant (cf. R79, p. 332), alors que ALLER n’est pas com-

patible avec cette finitude. Des contraintes sémantiques contribuent aussi à gérer la

combinaison des auxiliaires (cf. § 1.4, p. 289).

2.3.2 La combinatoire des auxiliaires de temps

Le seul grammème profond de temps à s’exprimer par un auxiliaire est

antérieur. Ce dernier varie en fonction du verbe qui en dépend. Contrairement

aux marqueurs de l’accompli, les auxiliaires temporels ont une combinatoire relati-

vement restreinte: ils ne peuvent apparaître qu’au présent ou à l’imparfait de

l’indicatif, c’est-à-dire qu’ils doivent porter le grammème simultané. En ce sens,

leur combinatoire est semblable à celle de l’auxiliaire ALLER (cf. R25). Par contre,

le grammème simultané dans les règles R29 et R30 n’exprime aucun sens en soi,

alors que celui de la règle R25 exprime son sens habituel. En effet, dans une phrase

R23 R24 R25

R26 R27 R28

Gsynt - psynt

Figure 96 — La combinatoire des auxiliaires de phase aspectuelle (R23 à R28)

pdd Vfin ◇

AVOIRacc

pdd Vfin ◇

ÊTREacc pdd Vfin ◇ finimode ◇ indtemps ◇ sim

ALLER

pdd Vmode ◇ ind

VENIR

pdd Vmode ◇ subj

VENIRpdd Vfin ◇ part-ant

VENIR

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

306

au passé, l’auxiliaire dénote précisément l’antériorité, et non une situation qui peut

être présentée comme simultanée à quelque point de référence, alors que ALLER

dénote toujours un état simultané à un point de référence (qui peut être aussi bien

dans le présent que dans le passé). Donc, la combinaison ALLER ⊕ simultané est

sémantiquement compositionnelle, alors que ce n’est pas le cas pour AVOIRant et

ÊTREant, où simultané fait partie du signifiant du passé composé à valeur d’anté-

riorité. Il ne doit pas apparaître dans les règles R29 et R30, mais plutôt dans les

règles correspondantes de l’interface sémantique-syntaxe, à savoir R82 et R83

(p. 336).

2.3.3 Un auxiliaire du passif?

Nous avons vu plus haut (Ch. VI, § 2, p. 132) que le verbe ÊTRE des construc-

tions passives ne présente aucune différence avec la copule. Il n’est donc pas

nécessaire de le traiter séparément dans Gsynt. Il suffit d’avoir une règle qui cons-

truit ÊTREcop, et de s’assurer qu’il peut prendre un actant qui soit un verbe au parti-

cipe passé (c’est-à-dire un verbe au passif), grâce à une règle sagittale (la règle R53

que nous verrons plus loin, p. 315).

R29 R30

Gsynt - psynt (psém-synt)

Figure 97 — La combinatoire des auxiliaires de temps (R29 et R30)

R31

Gsynt - psynt

Figure 98 — La règle lexicale pour ÊTREcop (R31)

pdd Vfin ◇ finimode ◇ ind

AVOIRantpdd Vfin ◇ finimode ◇ ind

ÊTREant

pdd Vfin ◇

ÊTREcop

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

307

2.4 Les règles grammémiques

Les règles grammémiques de Gsynt donnent la liste des grammèmes superficiels

de chaque catégorie flexionnelle, ainsi que leur combinatoire17.

2.4.1 La combinatoire des grammèmes superficiels de finitude

Nous avons vu que la catégorie flexionnelle de finitude contient cinq grammè-

mes profonds: fini, infinitif, participe-ant, particip-é et gérondif (cf. Ch. VI,

§ 1, p. 116). Seuls les quatre premiers s’expriment de façon synthétique. Ils sont

donc aussi des grammèmes superficiels et doivent être décrits dans Gsynt. Les

règles R32 à R34 ci-dessous en décrivent la combinatoire. Ces grammèmes super-

ficiels peuvent saturer les règles lexicales verbales comme R19 (p. 302) ou

R23–R31 (pp. 305–306).

Le grammème profond gérondif n’a pas besoin d’être décrit en Gsynt. Il

s’exprime par la combinaison de la préposition EN et du grammème superficiel

participe-ant. Ces éléments sont déjà décrits par d’autres règles18, dont la combi-

naison suffit à construire la représentation syntaxique de «en V-ant».

Il n’est pas nécessaire d’indiquer ici la diathèse associée à participe-ant et

participe-é. Il ne faut pas perdre de vue deux choses: 1) ce que nous décrivons ici

ne sont que les grammèmes superficiels, et 2) Gsynt ne sert qu’à modéliser la com-

17. Lorsque nous parlons de la combinatoire des grammèmes d’une catégorie flexionnelle,nous entendons par là la capacité de chacun de ces grammèmes à se combiner avec desgrammèmes d’autres catégories flexionnelles, et non entre eux, ce qui serait contraire ànotre définition du grammème (cf. Ch. IV, § 6, p. 62).

R32 R33 R34 R35

Gsynt - psynt

Figure 99 — La combinatoire des grammèmes de finitude (R32 à R35)

18. À savoir, les règles R21 (p. 304), R34 (p. 307) et R55 (p. 316).

pdd Vfin ◆ finimode ◇pers ◇nbre ◇

sujpdd Vfin ◆ inf

pdd Vfin ◆ part-ant

pdd Vfin ◆ part-égenre ◇nbre ◇

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

308

binatoire syntaxique et morphologique des signes; la diathèse et les opérations sur

celle-ci relèvent de Isém-synt puisqu’elles font référence à la structure sémantique

(et, dans ce cas-ci, à la structure communicative). Nous y reviendrons plus loin

(§ 3.2.3, p. 322).

Le grammème participe-é appelle l’accord en genre et en nombre. Nous ne

traitons pas ce phénomène dans cette thèse (voir la remarque à ce sujet, § 2.4.5,

p. 310).

2.4.2 La combinatoire des grammèmes superficiels de mode

Les verbes finis, comme l’indique la règle R32 (p. 307), demandent un gram-

mème de mode. Les grammèmes superficiels de mode sont décrits par les règles

R36 à R39 ci-dessous. On remarquera que l’impératif bloque la réalisation du sujet

en neutralisant la polarité psynt-topo de l’arc et du nœud19, ce qui est représenté par

les pointillés (cf. § 3.3.3, p. 331). C’est cette polarité qui force la mise en corres-

pondance des objets syntaxiques avec des objets du niveau morpho-topologique.

En la saturant, on rend donc ces objets inertes pour l’interface. Les règles de

l’impératif (R38 et R39) restreignent également les valeurs possibles pour le nom-

bre et la personne (première personne du pluriel, deuxième personne du singulier

ou du pluriel).

19. Rappelons que tous les objets de Gsynt doivent porter, en plus de la polarité psynt, lespolarités psém-synt, psynt-topo et parbre. (cf. Ch. VII, § 5, p. 236). Ces polarités sontoccultées dans les représentations graphiques lorsque leur valeur est blanche.

R36 R37 R38 R39

Gsynt - psynt

Figure 100 — La combinatoire des grammèmes de mode (R36 à R39)

pdd Vfin ◇ finimode ◆ indtemps ◇décalage ◇

pdd Vfin ◇ finimode ◆ subj

pdd Vfin ◇ finimode ◆ impérpers ◇ 1nbre ◇ pl

suj

pdd Vfin ◇ finimode ◆ impérpers ◇ 2suj

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

309

C’est d’abord et avant tout l’indicatif qui nous intéresse, puisque ce n’est qu’à

ce mode que sont exprimés les grammèmes des catégories flexionnelles de temps

et de décalage (cf. Ch. VI, § 6, p. 177).

Les règles R36 à R39 n’introduisent pas de grammèmes de personne et de nom-

bre en blanc, sauf pour en contraindre la valeur. Pourtant, les verbes à l’indicatif,

au subjonctif ou à l’impératif doivent avoir un nombre et une personne, alors pour-

quoi ne pas l’indiquer ici? Nous croyons qu’il s’agit en fait d’une propriété de

combinatoire du grammème fini, et non des grammèmes de mode (cf. Figure 29,

p. 221). Si les modes apparaissent toujours avec nombre et personne, c’est simple-

ment parce qu’ils ne peuvent se combiner qu’au grammème de finitude fini, et que

ce dernier exige aussi la présence de grammèmes de personne et de nombre (cf.

R32). Ces deux dernières catégories sont des catégories d’accord et sont traitées

plus loin (§ 2.4.5, p. 310).

Enfin, remarquons qu’il n’y a pas de grammème *conditionnel. Il existe indé-

niablement des signes grammaticaux profonds correspondant aux différentes

acceptions du conditionnel de la grammaire traditionnelle, mais il n’existe pas de

signifiant qui leur soit propre. Tous s’expriment par la combinaison des grammè-

mes postérieur et décalé.

2.4.3 La combinatoire des grammèmes superficiels de temps

Dans le registre neutre, le grammème profond antérieur s’exprime toujours par

un auxiliaire (cf. R29 et R30, p. 306) et il n’y a donc que les grammèmes superfi-

ciels de temps simultané et postérieur, qui ne se combinent tous les deux qu’au

mode indicatif. Cependant, dans un registre littéraire, le grammème antérieur

peut également s’exprimer conjointement avec le grammème non-décalé dans le

morphème du passé simple. Il est donc nécessaire d’avoir au niveau syntaxique un

troisième grammème superficiel de temps pour ces formes. La formalisation de la

structure rhétorique, où devraient apparaître les contraintes sur le registre, n’ayant

pas été étudiée, nous indiquons simplement le registre en langue naturelle dans la

règle correspondante à la Figure 101 ci-dessous.

Page 310: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

310

2.4.4 La combinatoire des grammèmes superficiels de décalage

Comme les grammèmes superficiels de temps, ceux de décalage ne se combi-

nent qu’au mode indicatif.

Il n’est pas nécessaire (mais il est tout de même possible) d’indiquer dans les

règles R40 à R44 que les catégories de temps et de décalage apparaissent toujours

ensemble puisque cette contrainte se trouve déjà dans la règle du mode indicatif,

R36 (p. 308). En effet, ces deux catégories apparaissent toujours ensemble parce

qu’elles sont toutes les deux nécessaires quand un verbe est à l’indicatif (cf. Figure

29, p. 221).

2.4.5 La combinatoire des grammèmes d’accord

Les grammèmes d’accord verbe-sujet en nombre et en personne ont une combi-

natoire simple: ils exigent la présence du grammème fini, ce que nous modélisons

par les règles de la Figure 103 ci-dessous.

Le participe passé peut s’accorder en genre et en nombre avec son gouverneur

(si c’est un nom), le sujet de la copule qui lui est rattachée, ou encore l’objet quand

l’auxiliaire AVOIR est utilisé et que cet objet est placé avant l’auxiliaire. Dans tous

(registre littéraire)

R40 R41 R42

Gsynt - psynt

Figure 101 — La combinatoire des grammèmes de temps (R40 et R42)

R43 R44

Gsynt - psynt

Figure 102 — La combinatoire des grammèmes de décalage (R43 et R44)

pdd Vmode ◇ indtemps ◆ sim

pdd Vmode ◇ indtemps ◆ post

pdd Vmode ◇ indtemps ◆ antdécalage ◇ n-déc

pdd Vmode ◇ inddécalage ◆ n-déc

pdd Vmode ◇ inddécalage ◆ déc

Page 311: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

311

ces cas, il se comporte comme un adjectif d’un point de vue morphologique,

puisqu’il s’associe aux catégories flexionnelles adjectivales. Pour cette raison,

nous laissons de côté ce type d’accord, qui est de peu d’intérêt pour notre étude de

l’expression du temps dans la flexion verbale.

2.5 Les règles sagittales

La grammaire de bonne formation syntaxique doit faire l’inventaire des rela-

tions syntaxiques qui existent dans une langue donnée et indiquer leur combina-

toire (c’est-à-dire, essentiellement, le type de gouverneur dont elles peuvent

dépendre, et le type de dépendant qu’elles peuvent avoir). Ce n’est pas notre pro-

pos d’étudier la syntaxe du français, ni même celle des verbes de façon exhaustive.

Nous renvoyons donc le lecteur à Candito (1999) et Iordanskaja & Mel’čuk (à

paraître) pour une discussion en profondeur du problème en français. Sauf avis

contraire, les relations syntaxiques que nous utilisons dans notre modèle sont celles

de Iordanskaja & Mel’čuk.

2.5.1 Les relations syntaxiques de type auxiliaire-auxilié

Les relations syntaxiques qui nous intéressent particulièrement sont celles qui

lient les auxiliaires à leur dépendant. On peut reconnaître deux types principaux

d’auxiliaires en français: ceux qui imposent le participe passé à leur dépendant

(AVOIRacc, ÊTREacc, AVOIRant et ÊTREant) et ceux qui demandent un verbe à l’infi-

nitif, avec ou sans préposition (ALLER et VENIR). Ces deux groupes se distinguent

R45 R46 R47

R48 R49

Gsynt - psynt

Figure 103 — La combinatoire des grammèmes d’accord (R45 et R49)

pdd Vfin ◇ finipers ◆ 1

pdd Vfin ◇ finipers ◆ 2

pdd Vfin ◇ finipers ◆ 3

pdd Vfin ◇ fininbre ◆ sg

pdd Vfin ◇ fininbre ◆ pl

Page 312: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

312

notamment par la possibilité ou non de cliticiser le complément de leur dépendant

en rattachant ce clitique sur l’auxiliaire:

(167) a. Il l’a dit.

b. Ils se le sont dit.

c. * Il le va dire.

d. * Il le vient de dire.

La relation syntaxique entre ces deux groupes d’auxiliaires et leur dépendant

doit donc être différente. Iordanskaja & Mel’čuk (à paraître) ne se sont intéressés

qu’aux relations syntaxiques contrôlées par la valence active des verbes; ils n’ont

donc pas touché la question des auxiliaires. Pour le premier groupe, nous stipule-

rons une relation «Auxiliaire» (Aux). Cette relation ne peut avoir comme gouver-

neur qu’un verbe, et n’accepte comme dépendant qu’un participe passé:

Les auxiliaires VENIR et ALLER gouvernent tous les deux un verbe à l’infinitif.

Cependant, le premier exige la préposition DE, mais pas le second. Bien que Ior-

danskaja & Mel’čuk ne traitent pas dans leur article des auxiliaires, ils mentionnent

néanmoins d’autres constructions où un verbe infinitif, avec ou sans préposition,

dépend d’un autre verbe [devoir partir, commencer à écrire, etc.]. Ils distinguent

deux relations syntaxiques, selon que l’infinitif est gouverné par une préposition

ou non: «objet infinitif oblique» (OIO) dans le premier cas et «objet infinitif

direct» (OID) dans le second20. Ces deux relations ne se distingueraient que par

deux propriétés:

R50

Gsynt - psynt

Figure 104 — La relation syntaxique «Aux» (R50)

20. Notre traduction de «oblique-infinitival-objectival» et «direct-infinitival-objectival».

aux

pdd V

pdd Vfin ◇ part-é

Page 313: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

313

1) Le OID est sujet à la cliticisation [Je peux jouer → Je le peux]; pas le OIO

[Elle commence à s’énerver → *Elle le commence]. Les auteurs notent

cependant des contre-exemples dans les deux cas [Je sais nager → *Je le

sais ; Il a réussi à me convaincre → Il y a réussi].

2) Le OID peut être disloqué à gauche [Partir, je peux]; pas le OIO

[*Préparer le repas, il se dépêche]. Encore une fois, les auteurs notent

qu’il y a des contre-exemples pour les deux [*Partir, je dois21; Faire un

bon repas, Alain réussit toujours].

Dans le cas de VENIR et ALLER, la seule propriété syntaxique qui les distingue

est la capacité du premier à apparaître sans son dépendant:

(168) a. Avez-vous parlé à Mlle Xiao? — Je viens tout juste.

b. Avez-vous parlé à Mlle Xiao? — * Je vais tout de suite.

Les deux résistent à la disclocation:

(169) a. * De parler à Mlle Xiao, je viens.

b. * Parler à Mlle Xiao, je vais.

Étant donné que les propriétés distinctives des relations OID et OIO de Iordan-

skaja & Mel’čuk ne permettent pas une partition absolument nette d’une part, et

que d’autre part, une de ces deux propriétés ne permet justement pas de distinguer

la relation syntaxique entre VENIR et son dépendant de celle entre ALLER et son

dépendant, nous n’utiliserons dans notre modèle qu’une seule relation syntaxique

pour les deux cas. Nous appelons cette relation «Infinitif» (Inf). Elle ne peut

dépendre que d’un verbe, et son dépendant doit être un verbe à l’infinitif, avec ou

sans préposition, ce que nous modélisons par les règles R51 et R52 ci-dessous

(page suivante).

2.5.2 La relation syntaxique copule-attribut

Nous avons affirmé plus haut que le verbe ÊTRE des constructions résultatives et

passives n’est en fait rien d’autre qu’une simple copule (cf. Ch. VI, § 1.2.2, p. 124

21. Iordanskaja & Mel’čuk marquent cet énoncé d’un point d’interrogation. Nous leconsidérons carrément agrammatical.

Page 314: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

314

et Ch. VI, § 2, p. 132). Par conséquent, la relation qui la lie à son dépendant doit

être celle normalement gouvernée par une copule. Il s’agit de la relation

«complétive copulo-attributive»22 que Iordanskaja & Mel’čuk utilisent pour les

constructions comme Il est gentil, Il est médecin, Il est sans argent, etc. Les auteurs

donnent onze propriétés syntaxiques qui caractérisent cette relation. Certaines de

ces propriétés ne sont pas pertinentes dans le cas présent (par exemple, elles ne

concernent que les dépendants nominaux, ou encore elles font référence à la struc-

ture syntaxique profonde, que nous n’avons pas en GUST). Par contre, toutes cel-

les qui sont pertinentes correspondent justement aux propriétés de la relation en jeu

dans Ma voiture est réparée (qui peut exprimer autant un résultatif qu’un passif):

1) Le dépendant de la copule doit s’accorder avec le sujet [Elle est réparée].

2) Le dépendant peut être cliticisé [Elle l’est].

3) Cette dépendance n’est pas forcément présente dans toutes les

propositions.

4) Le gouverneur n’est pas forcément un verbe fini [Elle a intérêt à être

réparée].

5) Le dépendant suit son gouverneur dans la phrase [Elle est réparée].

6) Le dépendant ne peut pas être disloqué à gauche [*Réparée, elle est].

Abeillé & Godard (2002) ont aussi démontré de façon systématique que les

relations syntaxiques en jeu dans la construction passive et dans les constructions

R51 R52

Gsynt - psynt

Figure 105 — La relation syntaxique «Inf» (R51 et R52)

22. Notre traduction de «copular-attributive-completive».

inf

pdd V

pdd Vfin ◇ inf

infpdd V

pdd Prép

pdd Vfin ◇ inf

Page 315: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

315

copule-attribut présentent exactement les mêmes propriétés, et en concluaient qu’il

s’agit de la même relation. Nous sommes parfaitement d’accord avec elles. Nous

appellerons cette relation «Copule» (Cop); il s’agit en fait de la relation

«complétive copulo-attributive» de Iordanskaja & Mel’čuk, que nous avons sim-

plement rebaptisée. Cette relation ne peut dépendre que d’un verbe. Par contre, son

dépendant est assez peu contraint. Iordanskaja & Mel’čuk relèvent huit types de

dépendants pour cette relation: un adjectif, un nom, une préposition, une conjonc-

tion, un nombre, un adverbe, un infinitif ou une proposition (introduite par QUE).

Nous constatons qu’il faut ajouter à cette liste: un participe passé. Nous ne présen-

terons pas toutes les règles sagittales qui décrivent l’éventail des types de dépen-

dants pour cette relation. Les constructions qui nous intéressent dans cette thèse

sont celles où le dépendant de la copule est un participe passé (pour le passif et le

résultatif) ou une préposition (pour les locutions kEN TRAINl et kSUR LE POINTl).

2.5.3 Les relations syntaxiques en dehors du noyau verbal

Nous n’avons décrit jusqu’ici que les relations en jeu dans le noyau formé par

un auxiliaire et son dépendant ou par la copule et son dépendant. Il y a bien

entendu beaucoup d’autres relations syntaxiques dans la langue, et pour chacune il

faut décrire les types de gouverneurs et de dépendants avec lesquels elles sont

compatibles. Ce travail dépasse largement le cadre de notre thèse. Les quelques

règles sagittales ci-dessus suffisent presque pour notre étude. Il nous faut encore

décrire deux autres relations importantes pour la flexion verbale en français.

R53 R54

Gsynt - psynt

Figure 106 — La relation syntaxique «Cop» (R53 et R54)

cop

pdd V

pdd Vfin ◇ part-é

cop

pdd V

pdd Prép

Page 316: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

316

La première est la relation «Préposition» (Prép). Iordanskaja & Mel’čuk ne par-

lent pas de cette relation, puisqu’ils ne se sont intéressés qu’à la valence des ver-

bes. Il s’agit de la relation qui lie une préposition à son complément [Il vit à

Barcelone, C’est le chapeau de Marie]. Cette relation est nécessaire notamment

pour le gérondif (cf. § 2.4.1, p. 307), pour le complément de VENIR, ainsi que pour

les locutions prépositionnelles qui marquent la phase aspectuelle (cf. Figure 94,

p. 304). Elle dépend toujours d’une préposition, et son dépendant peut être, pour

les cas qui nous intéressent, un verbe non-fini (infinitif ou participe présent) ou un

nom.

Enfin, nous aurons besoin pour notre exposé de la relation «Sujet» (Suj)23. En

effet, le sujet, contrairement aux autres compléments du verbe, doit absolument

monter dans la structure syntaxique pour se rattacher à l’auxiliaire, s’il y a lieu (ce

phénomène se décrit en Isém-synt; nous y reviendrons plus loin, § 3.3, p. 327). La

relation «Sujet» ne peut dépendre que d’un verbe fini. Son dépendant typique est

un nom (il existe d’autres types de sujet, mais nous nous contenterons du cas typi-

que — voir Iordanskaja & Mel’čuk, à paraître, pour plus de détails). Nous décri-

vons cette relation en R57 ci-dessous (page suivante).

3 La grammaire d’interface sémantique-syntaxe

La grammaire d’interface sémantique-syntaxe, Isém-synt, décrit les liens sémio-

tiques entre les sens de la langue et leur expression en syntaxe. C’est dans ce

R55 R56

Gsynt - psynt

Figure 107 — La relation syntaxique «Prép» (R55 et R56)

23. Il s’agit à la fois des relations «subjectivale» et «quasi-subjectivale» de Iordanskaja &Mel’čuk, que nous ne distinguons pas dans cette thèse.

prép

pdd Vfin ◇ inf | part-ant

pdd Prépprép

pdd N

pdd Prép

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

317

module que les sémantèmes construits par Gsém (§ 1, p. 283) sont mis en corres-

pondance avec les grammèmes superficiels et les auxiliaires décrits par Gsynt (§ 2,

p. 298). Ainsi, chaque règle de ce module décrit un signe profond (cf. Kahane

2002). C’est donc ici que nous allons modéliser les grammies24 associées aux

grammèmes verbaux du français.

Nous avons vu plus haut (§ 1, p. 283) que le signifié des signes linguistiques

n’est pas forcément représentable en termes de sémantèmes et de relations entre

eux. Nous n’allons considérer ici que les signes profonds dont le signifié peut se

représenter par une configuration de sémantèmes, c’est-à-dire par une structure

sémantique telle que définie au Chapitre VII (§ 5.1.1, p. 239). Nous laissons aussi

de côté les signes dont le signifiant n’est pas syntaxique (en l’occurrence, le pré-

sent d’injonction, dont le signifiant est un prosodème). Par conséquent, nous

n’allons pas décrire toutes les grammies liées aux grammèmes verbaux.

Dans notre présentation de Gsém (§ 1, p. 283), nous avons regroupé les sens des

grammies en trois familles: les sens temporels, les sens phasiques / aspectuels et

les sens «modaux». Nous allons regrouper les signes profonds de Isém-synt de la

même façon. Toutefois, il faudra aussi considérer les signes asémantiques. Nous

commencerons d’ailleurs notre exposé par ces derniers, mais nous allons d’abord

résumer brièvement les caractéristiques formelles de Isém-synt.

R57

Gsynt - psynt

Figure 108 — La relation syntaxique «Suj» (R57)

24. Rappelons qu’une grammie est une acception particulière d’un grammème (cf. Ch. IV,§ 1, p. 46).

suj

pdd Vfin ◇ fini

pdd N

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

318

3.1 Les caractéristiques formelles de Isém-synt

Nous résumons dans les paragraphes qui suivent les principales caractéristiques

formelles de la grammaire d’interface sémantique-syntaxe. Pour une présentation

plus complète, le lecteur pourra consulter la section correspondante du chapitre

précédent (Ch. VII, § 5.3.2, p. 256).

Le rôle de Isém-synt est de mettre en correspondance les graphes sémantiques

construits par Gsém avec les arbres syntaxiques construits par Gsynt. Cela se fait par

l’ajout de liens entre les nœuds de Gsém et de Gsynt ainsi que par la saturation de la

polarité psém-synt laissée en blanc par ces modules. C’est dans ce module que se

décrivent les signes profonds à proprement parler, ainsi que la diathèse et le régime

des unités lexicales.

Tous les types d’objets qui existent dans Gsém et dans Gsynt existent aussi dans

Isém-synt: nœuds sémantiques (qui représentent les sémantèmes), arcs sémantiques

(qui représentent les relations sémantiques), nœuds syntaxiques (qui représentent

les lexèmes), arcs syntaxiques (qui représentent les relations syntaxiques) et objets

grammémiques (qui représentent les grammèmes superficiels). En plus de ces

types d’objets, Isém-synt comprend également des arcs de correspondance, qui

représentent les liens sémiotiques entre les nœuds sémantiques et les nœuds syn-

taxiques. Tous les objets de Isém-synt doivent porter une polarité psém-synt. Par

ailleurs, tous les points d’articulation avec Gsém (les nœuds et les arcs sémanti-

ques) portent la polarité d’articulation psém. De la même façon, les points d’articu-

lation avec Gsynt (les nœuds et les arcs syntaxiques ainsi que les objets

grammémiques) portent la polarité d’articulation psynt. Les polarités d’articulation

psém et psynt sont toujours blanches dans Isém-synt, c’est pourquoi nous les omet-

tons dans les figures.

Les liens de correspondance apparaissent comme des lignes pointillées reliant

les nœuds sémantiques et syntaxiques. Un triangle superposé à cette ligne indique

la polarité de l’arc de correspondance. Un même nœud peut être mis en correspon-

dance avec plus d’un nœud du niveau adjacent.

Page 319: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

319

3.2 Les signes asémantiques

Nous entendons par signe asémantique un signe dont le signifié n’est pas

représentable par des sémantèmes. Cela ne signifie pas que les signes asémanti-

ques ont un signifié vide; seulement, leur signifié est d’une nature qui ne peut être

représentée par des sémantèmes. La flexion verbale en français fait intervenir plu-

sieurs types de signes asémantiques. Il y a bien sûr les grammèmes d’accord, qui

n’ont jamais aucune autre fonction que de signaler des liens syntaxiques. D’autres

grammèmes, en revanche, peuvent avoir des acceptions asémantiques et des accep-

tions sémantiquement pleines. C’est le cas par exemple des grammèmes de fini-

tude et de mode. Leurs acceptions pleines seront décrites plus loin, dans les

sections correspondantes. Leurs acceptions asémantiques sont de deux types: les

signes imposés par la structure syntaxique ou le régime des lexies, et les signes liés

à la structure communicative. Enfin, certaines lexies sont asémantiques. C’est le

cas de la copule ÊTREcop et des prépositions ou conjonctions régies.

3.2.1 Les grammèmes d’accord

Dans la phrase simple, le verbe doit s’accorder en personne et en nombre avec

son sujet. Il s’accorde également en genre et en nombre avec son complément

d’objet direct dans certains contextes. Par ailleurs, au participe passé avec ou sans

copule, il s’accorde comme un adjectif. Il s’agit là des cas typiques d’accord verbal

en français, mais en fait le problème est plus complexe qu’il n’y paraît au premier

abord. Nous laissons de côté les cas plus délicats, par exemple les phrases à coordi-

nation [Ma sœur et moi partons en voyage] ou les sujets en qui [C’est nous qui par-

tons en voyage], puisque le problème de l’accord est peu pertinent pour notre étude

de l’expression du temps grammatical en français.

Pour le nombre, l’accord se fait en recopiant sur le verbe l’information flexion-

nelle portée par le sujet lorsque ce dernier est un nom. Quand le sujet est un autre

verbe, alors il impose l’accord au singulier, peu importe sa flexion. C’est ce que

modélisent les règles R58 à R60 ci-dessous.

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

320

Pour l’accord personnel, seuls les pronoms MOI, NOUS, TOI, VOUS1 (pluriel) et

VOUS2 (de politesse) causent un accord à la première ou deuxième personne; tou-

tes les autres lexies déclenchent un accord à la troisième personne. Les règles R61

à R63 ci-dessous modélisent cet accord.

Comme nous l’avons dit plus haut (§ 2.4.5, p. 310), nous ne traitons pas

l’accord du participe passé dans cette thèse, puisqu’il présente peu d’intérêt pour

notre étude du temps grammatical.

R58 R59

R60

Isém-synt - psém-synt

Figure 109 — L’accord verbe-sujet en nombre (R58 à R60)

R61 R62

R63

Isém-synt - psém-synt

Figure 110 — L’accord verbe-sujet en personne (R61 à R63)

pdd Vnbre ◆ sg

suj

pdd Nnbre ◇ sg

⇔Ø

pdd Vnbre ◆ pl

suj

pdd Nnbre ◇ pl

⇔Ø

pdd Vnbre ◆ sg

suj

pdd V

⇔Ø

pdd Vpers ◆ 1

suj

pdd Pro

X | X ∈ { MOI, NOUS }

⇔Øpdd Vpers ◆ 2

suj

pdd Pro

X | X ∈ { TOI, VOUS1, VOUS2 }

⇔Ø

pdd Vpers ◆ 3

suj

X | X ∉ { MOI, NOUS, TOI, VOUS1, VOUS2 }

⇔Ø

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

321

3.2.2 Les signes régis

Une lexie peut imposer à son actant syntaxique un grammème, ou encore forcer

l’introduction d’une préposition ou d’une conjonction. Les grammèmes de finitude

fini et infinitif, de même que les grammèmes de mode indicatif et subjonctif,

peuvent être imposés à leur hôte de cette façon. Ils peuvent donc apparaître dans

des règles lexicales. Par exemple, les règles R64 et R65 ci-dessous décrivent deux

régimes possibles pour la lexie VOULOIR, qui impose à son dépendant soit l’infini-

tif [Je veux visiter la Suède], soit le subjonctif [Elle veut que j’aille en Suède avec

elle]. La règle R65 illustre également comment les prépositions et conjonctions

non porteuses de sens, comme QUE, sont introduites. Le mode indicatif est aussi

imposé par le régime des lexies. Par exemple, la règle R66 ci-dessous montre un

des régimes possibles pour PENSER [Je pense que la Suède est un beau pays].

Enfin, quand un verbe est le sommet syntaxique de la phrase, alors il est marqué

des grammèmes fini et indicatif, ce qui est modélisé par la règle R67. Ici, nous

faisons appel au trait pos(ition) de la règle R17 (p. 301) de Gsém.

R64

R65

Isém-synt - psém-synt

Figure 111 — Le régime de VOULOIR (R64 et R65)

(vouloir)

2 1

pdd VVOULOIR

suj inf

suj

pdd Vfin ◆ inf

(vouloir)

2 1

pdd VVOULOIR

suj obj obl

conjQUE pdd Conj

pdd Vfin ◆ finimode ◆ subj

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

322

3.2.3 Les grammies liées à la structure communicative

Les moyens d’expression de la structure communicative sont très variés (ordre,

prosodie, etc.)25. Nous n’avons pas étudié la représentation de cette structure en

GUST; nous ne pouvons donc pas traiter du problème en profondeur ici. Nous

nous intéresserons uniquement aux grammèmes participe-ant et participe-é en

tant que marqueurs de la structure communicative.

Nous avons vu au Chapitre VI (§ 2, p. 132) que les deux participes peuvent

apparaître dans le même type de construction: ils dépendent d’un nom, qu’ils

modifient à la manière d’un adjectif. Nous avions donné les exemples (25) et (26),

que nous reprenons ici en (170) et (171):

(170) Les journalistes, bombardant le ministre de questions, lui font perdre sonsang-froid.

(171) Le ministre, bombardé de questions par les journalistes, perd son sang-froid.

R66

Isém-synt - psém-synt

Figure 112 — Le régime de PENSER (R66)

R67

Isém-synt - psém-synt

Figure 113 — Le sommet syntaxique (R67)

25. Voir Mel’čuk (2001c) pour une revue exhaustive de ces moyens d’expression.

(penser)

2 1

pdd VPENSER

suj obj obl

conjQUE pdd Conj

pdd Vfin ◆ finimode ◆ ind

pdd Vpos sommetfin ◆ finimode ◆ ind

⇔Ø

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

323

Ce qui unit ces deux participes, c’est le fait qu’ils opèrent comme des modi-

fieurs d’un nom qui se trouve être un de leurs actants sémantiques. Ce qui les dis-

tingue, c’est leur diathèse: le premier est actif, le second est passif. Kahane (2002:

p. 37) représentait le participe passé, en tant que signifiant du passif, par la règle

suivante26:

Cette règle modélise la promotion de l’objet direct d’un verbe au passif en tant

que gouverneur de ce verbe [la crise a touché des enfants → les enfants touchés

(par la crise)]. Il manque cependant l’information communicative. Il nous semble

que la raison pour laquelle un verbe se retrouve comme dépendant de son actant est

qu’il est communicativement dépendant de cet actant27. Nous ne savons pas com-

ment bien représenter en GUST cette notion. À défaut d’une meilleure formalisa-

tion, nous indiquons cette dépendance par un arc « » quand elle ne suit pas le

même sens que la dépendance sémantique. Nous proposons donc de modifier la

règle de Kahane pour obtenir la règle R68 ci-dessous.

En suivant la même logique, on peut représenter le participe présent en opérant

la promotion du sujet plutôt que de l’objet [des enfants se trouvent à l’intérieur de

l’immeuble → les enfants se trouvant à l’intérieur de l’immeuble], ce qu’exprime

la règle R69 ci-dessous.

RT4

Isém-synt - psém-synt

Figure 114 — Le passif selon Kahane (RT4)

26. Nous faisons un peu entorse à sa règle, qui est antérieure au formalisme GUP de Kahane(2004). La version originale traite aussi la démotion du sujet en agent oblique [Charlesmange la pomme → La pomme est mangée par Charles].

27. La notion de dépendance communicative a été introduite par Polguère (1990) et reprisepar Mel’čuk (2001c).

pdd Vfin ◆ part-é

⇔pdd N

modif cod

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VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

324

Les règles R68 et R69 modélisent le fait que les participes dépendent du nom

qui devrait normalement être leur sujet ou leur objet direct. Les relations «suj» et

«cod» sont construites par des règles lexicales comme celles qu’on a vues plus

haut pour VOULOIR et PENSER (R64 à R66). Ces relations doivent être effacées

pour que l’arbre soit bien formé. Dans nos règles, les arcs syntaxiques en pointillés

représentent ce que Kahane (2002: p. 37) appelait une quasi-dépendance et

qu’il définissait ainsi: «Une quasi-dépendance peut seulement s’unifier avec une

dépendance de même étiquette et le résultat de l’unification des deux liens est

effacé». Dans le formalisme des grammaires d’unification polarisées, cela se

représente par la saturation de la polarité d’interface. Les quasi-dépendances dans

Isém-synt portent une polarité psém-synt blanche (ce qui leur permet de s’unifier à

une dépendance de même étiquette) mais une polarité psynt noire (ce qui les rend

neutres pour Gsynt, comme si elles étaient «effacées»)28. Nous verrons une illus-

tration de ce mécanisme un peu plus loin, Figure 118a–c, p. 326.

R68

Isém-synt - psém-synt

Figure 115 — Le participe passé à valeur de passif (R68)

R69

Isém-synt - psém-synt

Figure 116 — Le participe présent (R69)

28. Ce n’est pas un hasard si nous représentons les arcs des décompositions sémantiques deGsém de la même façon (cf. Ch. VII, § 6, p. 267). Ils portent une polarité de constructionblanche et une polarité d’interface saturée; ce sont des quasi-dépendances sémantiques.

pdd Vfin ◆ part-é

⇔pdd N

modif cod

pdd Vfin ◆ part-ant

⇔pdd N

modif suj

Page 325: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

325

3.2.4 La copule

La règle du participe passé à valeur de passif ci-dessus (R68) ne modélise que la

construction où le passif est utilisé sans copule (nous verrons plus loin, § 3.3,

p. 327, que nous modélisons de façon similaire certains des signes de phase aspec-

tuelle). Le passif n’est toutefois pas toujours sans copule; en fait, il est plus fré-

quent de le trouver avec ÊTREcop:

(172) On s’attend à ce que le ministre soit bombardé de questions par les jour-nalistes demain matin.

Kahane (2002: p. 37) modélisait la copule par la règle ci-dessous29:

Cette règle donne la structure syntaxique voulue pour les participes passés à

valeur passive ou résultative [le ministre est bombardé de questions; son travail est

fini], les adjectifs [le chien est fatigué] ou les prépositions pleines [le disque est sur

la table]. Cependant, elle n’indique pas d’où doivent venir les informations de

temps grammatical que peut porter cette copule, ni comment elle doit se rattacher à

un éventuel gouverneur. Considérons l’exemple suivant:

(173) Je crois qu’elle est aimée de tous.

Ici, la construction passive avec copule se trouve dans une subordonnée. La

copule porte également les grammèmes simultané et non-décalé. La représenta-

tion sémantique de cette phrase, sans l’information grammaticale de temps, est

celle qu’on peut voir à la Figure 118a ci-dessous. Des règles de lexicalisation pour

(aimer), (tous) et (elle), que nous n’avons pas présentées mais qui sont triviales, per-

RT5

Isém-synt - psém-synt

Figure 117 — La copule selon Kahane (RT5)

29. Nous la reformulons en termes de structure polarisée. Nous l’avons également modifiéelégèrement; Kahane décrit la combinatoire morphologique des signes dans Isém-synt.

pdd VÊTREcop

copsuj

modif

Ø

Page 326: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

326

mettent de neutraliser une partie de ce réseau et de construire le fragment d’arbre

correspondant, comme on peut le voir à la Figure 118b. La règle R68 du passif pro-

meut le complément d’objet direct en position de gouverneur de AIMER, ce qui

donne la structure à la Figure 118c. En appliquant ensuite la règle RT5 de Kahane,

on obtient la structure de la Figure 118d.

Maintenant, si on tente de neutraliser (penser) avec la règle R66 (p. 322), on

n’aura d’autre choix que d’en relier le lexème correspondant à AIMER, et non

ÊTREcop, puisque c’est ce nœud qui est marqué d’un lien de correspondance avec le

second actant sémantique de (penser). Il en résulte une représentation syntaxique

mal formée où AIMER a deux gouverneurs: ÊTREcop et PENSER. La solution à ce

problème est de modifier la règle RT5 pour que la copule soit mise en correspon-

dance avec le sémantème qu’exprime son actant syntaxique:

a. b.

c.

d.

Figure 118 — La dérivation d’un passif avec copule dans Isém-synt

2

(tous) (elle)

(aimer)

1

(moi)

1

(penser)2

⇔1

(tous)(elle)

(aimer)

2 cod

TOUS ELLE

AIMER

suj

pdd V

(moi)

1

(penser) 2

cod

TOUS

ELLE

AIMER

suj

modif

pdd Vfin ◆ part-é

1

(tous)(elle)

(aimer)

2

(moi)

1

(penser) 2

⇔cod

TOUS

ELLE

AIMER

suj

modif

pdd Vfin ◆ part-é

ÊTREcop

suj cop

1

(tous)(elle)

(aimer)

2

(moi)

1

(penser) 2

Page 327: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

327

De cette façon, la représentation qu’on obtient est la suivante:

Cette fois, (aimer) est mis en correspondance non seulement avec AIMER, mais

aussi avec ÊTREcop. Ainsi, il y a deux points d’ancrage possibles pour le complé-

ment de PENSER. Un seul des deux (ÊTREcop) permet la construction d’un arbre

syntaxique qui pourra être validé par Gsynt. Nous allons voir dans les prochaines

sections que la copule et les doubles correspondances sont aussi utiles pour modé-

liser les signes temporels et aspectuels.

3.3 Les signes de phase aspectuelle et le résultatif

Nous avons vu dans notre présentation de Gsém qu’il y a dans notre modèle six

sémantèmes de type phasique ou aspectuel. Il y a (aller), (en train) et (avoiracc), qui

dénotent les périodes avant, pendant et après un fait, (sur le point) et (venir), qui

dénotent les périodes immédiatement avant ou immédiatement après un fait, et

(résultatif), qui dénote l’état résultant d’un fait (cf. § 1.4, p. 289).

R70

Isém-synt - psém-synt

Figure 119 — La copule dans Isém-synt (R70)

Figure 120 — Une double correspondance pour les constructions à copule

pdd VÊTREcop

copsuj

modif

⇔cod

TOUS

ELLE

AIMER

suj

modif

pdd Vfin ◆ part-é

ÊTREcop

suj cop

1

(tous)(elle)

(aimer)

2

(moi)

1

(penser) 2

Page 328: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

328

Les auxiliaires et locutions prépositionnelles AVOIRacc, ALLER, kEN TRAINl,

VENIR et kSUR LE POINTl expriment les sens phasiques correspondants. Ils ne for-

ment pas une catégorie flexionnelle au sens où nous l’entendons puisqu’ils ne sont

pas mutuellement exclusifs [Ils vont avoir fini avant nous] et ne sont pas forcément

de la même partie du discours que la base verbale [Je les ai trouvés en train de

siroter des mojitos].

Le participe passé à valeur de résultatif n’est pas exactement un signe de phase

aspectuelle, mais il a quand même un sens de nature aspectuelle, c’est pourquoi

nous le regroupons avec les marqueurs de phase ici. Comme nous venons de parler

du participe passé à valeur passive, nous allons commencer notre exposé des

signes aspectuels par le résultatif, qui se traite de façon similaire au passif. Nous

passerons ensuite aux locutions prépositionnelles et aux auxiliaires de phase aspec-

tuelle.

3.3.1 Le résultatif

Le sens (résultatif) que nous avons décrit plus haut (§ 1.4, p. 289) [La voiture est

réparée (= (elle n’est plus brisée))] s’exprime par un participe passé. La copule

n’est pas nécessaire dans ce type de construction [Les voitures entrent au garage

brisées et en ressortent réparées]; elle ne fait donc pas partie du signifiant de ce

signe et elle se combine à ce signe selon la même mécanique que pour le passif.

Comme le passif, le résultatif promeut son objet direct à la position de gouverneur

du verbe, ce que modélise la règle R71 ci-dessous. Cette règle établit un lien de

correspondance entre le nœud (résultatif) et le verbe au participe passé, qui lui-

même a déjà un correspondant dans la représentation sémantique. Le but est le

même que pour la règle R70 (p. 327): il s’agit d’assurer un ancrage pour les signi-

fiants de prédicats qui auraient comme argument (résultatif).

3.3.2 Les locutions prépositionnelles de phase aspectuelle

Les sémantèmes (en train) et (sur le point) que nous avons décrits plus haut

(§ 1.4, p. 289) s’expriment par des locutions prépositionnelles. La copule ne fait

pas partie du signifiant de ces signes, puisqu’elle n’est pas nécessaire dans certains

Page 329: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

329

contextes syntaxiques (cf. Ch. VI, § 5.3, p. 169). Elle ne doit donc pas apparaître

dans les règles qui décrivent ces signes. Avant de voir comment se modélisent les

locutions prépositionnelles de phase aspectuelle, il est utile de montrer comment se

traitent les prépositions pleines en général. Les deux règles de la Figure 122 ci-des-

sous décrivent les unités lexicales SUR [Passe-moi le livre sur la table] et kÀ CÔTÉl

[Passe-moi le livre à côté de toi]. Leur traitement est le même, si ce n’est que dans

le cas de la locution kÀ CÔTÉl il faut décrire toute la structure syntaxique de la locu-

tion, y compris les grammèmes qui en font partie (en l’occurrence, le grammème

singulier sur le nœud CÔTÉ). Dans les deux cas, le premier actant sémantique

(dans nos exemples, il s’agit de (livre)) domine syntaxiquement la préposition.

Les locutions prépositionnelles de phase aspectuelle, contrairement aux autres

prépositions pleines du français, n’ont qu’un seul actant sémantique, et cet actant

doit dépendre de la locution prépositionnelle, et non en être le gouverneur. C’est

R71

Isém-synt - psém-synt

Figure 121 — Le participe passé à valeur résultative dans Isém-synt (R71)

R72 R73 Isém-synt - psém-synt

Figure 122 — Les prépositions kÀ CÔTÉl et SUR dans Isém-synt (R72 et R73)

(résutatif)

1 2

pdd Vfin ◆ part-é

⇔ pdd V

modif cod

SURprép⇔

(sur)

21 pdd Prép

modifÀ

prép

c. nom

prép

CÔTÉ

DE

pdd Nnb ◆ sg⇔

(à côté)

21

pdd Prép

pdd Prép

modif

Page 330: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

330

donc le sujet de cet actant qui est promu à la position de gouverneur de la locution

[Pierre lit ⊕ en train → (J’ai trouvé) Pierre en train de lire]. C’est ce que modéli-

sent les deux règles de la Figure 123 ci-dessous.

Les locutions et prépositions sémantiquement pleines, comme celles présentées

ici, si elles doivent être le sommet d’une proposition, ont besoin d’une copule

[Mon livre est à côté du lit]. Cette copule ne sert qu’à offrir un support verbal à la

préposition, qui ne pourrait pas occuper la position de sommet syntaxique; elle ne

fait pas partie du signifiant de ces prépositions. C’est la règle R70 (p. 327) qui

introduit cette copule pour kEN TRAINl et kSUR LE POINTl ainsi que pour toutes les

autres prépositions pleines comme SUR, DANS, EN-DESSOUS, kÀ CÔTÉl, etc. Nous

R74

R75 Isém-synt - psém-synt

Figure 123 — Les prépositions kEN TRAINl et kSUR LE POINTl dans Isém-synt(R74 et R75)

pdd Vfin ◆ inf

1

(en train)EN

prép

c. nom

prép

TRAIN

DE

pdd Nnb ◆ sg

pdd Prép

pdd Prép

modif

suj

SURprép

c. nom

prép

POINT

DE

pdd Vfin ◆ inf

LE

détpdd Nnb ◆ sg

⇔1

(sur le point)modif

suj

pdd Prép

pdd Prép

Page 331: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

331

allons voir plus loin (Figure 126, p. 333) une illustration de la montée du sujet du

noyau verbal jusqu’à la copule.

3.3.3 Les auxiliaires de phase aspectuelle

Les auxiliaires de phase aspectuelle sont AVOIRacc, ÊTREacc, ALLER et VENIR.

Les sens qu’ils expriment ont été décrits dans Gsém (§ 1.4, p. 289). Tous les auxi-

liaires ont la particularité de faire monter sur eux-même le sujet de leur dépendant

[il mange → il vient de manger]. Kahane (2002: p. 36) modélise ce phénomène par

une quasi-dépendance; nous faisons la même chose. L’auxiliaire qui marque

l’accompli varie selon le verbe qui en dépend; il faut donc avoir accès à cette infor-

mation dans la règle. Cet auxiliaire et le verbe qui en contrôle le choix sont tou-

jours directement connectés dans l’arbre syntaxique, peu importe le nombre

d’auxiliaires qu’il peut y avoir. Kahane (2002: p. 36) représente cela au moyen

d’un opérateur qui retourne la valeur d’un trait; nous préférons éviter ici l’usage de

cet opérateur, qui complique le formalisme. Nous avons donc besoin de deux

règles pour modéliser la sélection de l’auxiliaire:

Le genre et le nombre du participe passé n’est pas spécifié dans la règle R77,

puisqu’il doit y avoir accord. Par contre, dans R76 il n’y a pas d’accord30; le genre

et le nombre font partie du signifiant de ce signe. Le fait que la finitude, le mode et

le temps ne soient pas spécifiés pour l’auxiliaire dans les règles ci-dessus permet

R76 R77

Isém-synt - psém-synt

Figure 124 — La phase accomplie dans Isém-synt (R76 et R77)

30. Rappelons que nous laissons de côté le problème de l’accord du participe passé danscette thèse. Lorsque le complément du participe est placé avant AVOIR, il y a accord.

1

(avoiracc)pdd VAVOIRacc

pdd Vaux avoirfin ◆ part-égenre ◆ mascnbre ◆ sg

aux⇔ suj

suj1

(avoiracc)pdd VÊTREacc

pdd Vaux êtrefin ◆ part-é

aux⇔ suj

suj

Page 332: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

332

de générer des formes comme Ils vont avoir mangé, où l’auxiliaire de la phase

accomplie est à l’infinitif, ou Je ne pense pas qu’ils aient mangé, où il est au sub-

jonctif. Par contre, son dépendant doit porter le grammème participe-é, qui fait

partie du signifiant de ces signes.

Le traitement des deux autres auxiliaires de phase est tout à fait similaire, si ce

n’est de leur structure syntaxique qui est légèrement différente:

ALLER et VENIR ne sont pas marqués en finitude, mode et temps, bien qu’ils ne

puisse se combinent librement aux grammèmes de ces catégories. Ces contraintes

sont déjà décrites en Gsynt par la règle R25 (p. 305), elles n’ont donc pas à être

décrites ici.

Les règles R74 à R79 ci-dessus, qui décrivent les signes de phase aspectuelle,

ainsi que R70 (p. 327), qui modélise la copule, suffisent à assurer la montée du

sujet, peu importe le nombre d’auxiliaires présents. Nous allons illustrer le phéno-

mène à l’aide de la phrase (174) ci-dessous, où le sujet passe successivement de

DORMIR à kEN TRAINl31, puis à ÊTRE, et finalement à ALLER.

(174) Ils vont être en train de dormir.

La représentation sémantique de (174) (Figure 126a)32 est partiellement neutra-

lisée par les règles de lexicalisation de DORMIR et EUX (omises parce que trivia-

R78 R79

Isém-synt - psém-synt

Figure 125 — La phase prospective et le passé récent dans Isém-synt (R78 et R79)

31. En fait, le sujet de DORMIR ne devient pas le sujet de kEN TRAINl, mais son gouverneur.32. Nous ignorons ici le temps grammatical, dont nous parlerons plus loin (§ 3.4, p. 334).

1

(aller) pdd VALLER

pdd Vfin ◆ inf

inf⇔ suj

suj

VENIR

pdd Vfin ◆ inf

prép

1

(venir) pdd V

inf⇔ suj

suj

DE pdd Prép

Page 333: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

333

les), ce qui donne la représentation syntaxique partielle de la Figure 126b.

L’application de la règle R74 (p. 330) de kEN TRAINl a pour effet de promouvoir le

sujet de DORMIR en position de gouverneur de la locution prépositionnelle (Figure

126c)33. Il est impossible à ce stade-ci d’appliquer la règle R78 de ALLER puisque

cet auxiliaire demande un complément verbal. Il faut donc introduire une copule en

appliquant la règle R70 (p. 327). On obtient alors la structure à la Figure 126d

(page suivante). Enfin, on peut appliquer la règle R78 qui introduit l’auxiliaire

ALLER, ce qui nous donne la structure de la Figure 126e (page suivante).

33. Nous réduisons en train de à un seul nœud pour sauver de l’espace.

a. b.

c.

Figure 126 — Les étapes de la dérivation de Ils vont être en train de dormir

1

1

(en train)

(dormir)

(eux)

(aller)1

1(en train)

(dormir)

(eux)

(aller)1

suj

1

EUX pdd Pro

DORMIR pdd V

1(en train)

(dormir)

(eux)

(aller)1

1

EUX pdd Pro

DORMIR pdd Vfin ◆ inf

prép

modif

suj

EN TRAIN DE pdd Prép

Page 334: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

334

3.4 Les grammies à valeur temporelle

Nous avons vu plus haut (§ 1.3, p. 286) qu’il n’y a que trois sémantèmes tempo-

rels en jeu dans la flexion verbale: (simultané), (antérieur) et (postérieur). Ils corres-

pondent aux trois grammèmes de la catégorie flexionnelle de temps. Selon qu’ils

situent les faits par rapport à un repère passé ou non, ils déclenchent aussi l’utilisa-

tion des grammèmes décalé ou non-décalé de la catégorie flexionnelle de déca-

lage (cf. Ch. VI, § 6.4, p. 202 et Ch. VIII, § 1.3, p. 286).

3.4.1 L’acception de base des grammies de temps

Dans leur acception de base, les grammèmes simultané et antérieur expri-

ment les prédicats (simultané) et (postérieur) décrits plus haut (§ 1.3, p. 286), qui

situent un fait par rapport au moment de référence. Cela se modélise par les règles

R80 et R81 ci-dessous. Puisque le point de repère peut être soit le moment d’énon-

d.

e.

Figure 126 — Les étapes de la dérivation de Ils vont être en train de dormir

pdd VÊTREcop

copsujmodif

1(en train)

(dormir)

(eux)

1

EUXpdd Pro

DORMIRpdd Vfin ◆ inf

prépsujEN TRAIN DE

pdd Prép

(aller)1

pdd VALLER

pdd Vfin ◆ inf

infsujsuj

ÊTREcop

copmodif1(en train)

(dormir)

(eux)

(aller)⇔

1

EUX

DORMIRpdd Vfin ◆ inf

prépsuj

EN TRAIN DE

1

Page 335: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

335

ciation, soit un autre fait, le nœud qui le représente ne porte pas d’étiquette dans

cette règle. Il pourra alors s’unifier avec n’importe quel nœud sémantique.

Le sémantème (antérieur) peut s’exprimer en français soit par AVOIRant (ou

ÊTREant), soit par le passé simple. Il y a donc trois règles concurrentes qui mettent

en correspondance le même prédicat avec chacun de ces marqueurs. Les règles

R82 et R83 ci-dessous (page suivante) introduisent un auxiliaire (selon le syntacti-

que de l’auxilié) et lui imposent le temps simultané. Ils imposent aussi la finitude

participe-é au verbe qui en dépend. Ces grammèmes superficiels sont vidés de

leur sens puisqu’ils font partie du signifiant du grammème profond antérieur. Les

auxiliaires de temps forcent la montée du sujet, selon la même mécanique que les

auxiliaires de phase aspectuelle (cf. § 3.3.3, p. 331). La règle R84 (page suivante),

quant à elle, introduit simplement le grammème antérieur, qui pourra être mis en

correspondance avec le suffixe du passé simple par la grammaire d’interface syn-

taxe-morphotopologie (mais seulement si l’actant de (avant) est (maintenant)).

3.4.2 L’acception de base des grammies de décalage

Dans leur acception de base, les grammèmes de décalage n’expriment pas en soi

des sémantèmes, mais plutôt des configurations de sémantèmes. Ils ne saturent

donc aucun objet du niveau sémantique. Ils construisent néanmoins des objets au

niveau syntaxique.

Dans son acception de base, le grammème non-décalé indique que le repère

temporel est le moment d’énonciation ou un autre moment dans le futur. Si, au

contraire, un fait est situé temporellement par rapport à un autre fait qui lui-même

R80 R81

Isém-synt - psém-synt

Figure 127 — L’expression des sens (simultané) et (postérieur) (R80 et R81)

pdd Vtemps ◆ sim⇔

(simultané)

2 1 pdd Vtemps ◆ post⇔

(après)

2 1

Page 336: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

336

se trouve avant le moment d’énonciation, alors le verbe qui exprime ce premier fait

porte le grammème décalé. C’est ce que modélisent les règles R85 à R87 ci-des-

sous34.

(registre littéraire)

R82

R83 R84

Isém-synt - psém-synt

Figure 128 — L’expression du sens (antérieur) dans Isém-synt (R82 à R84)

R85

Figure 129 — L’acception de base des grammèmes de décalage (R85 à R87)

34. Les abréviations « (av)|(sim)|(apr)» signifient « (avant)|(simultané)|(après)».

pdd Vtemps ◆ simAVOIRant

pdd Vaux avoirfin ◆ part-égenre ◆ mascnbre ◆ sg

aux⇔

(avant)

2 1 suj

suj

pdd Vtemps ◆ ant⇔

(avant)

2 1

(maintenant)pdd Vtemps ◆ simÊTREant

pdd Vaux êtrefin ◆ part-é

aux⇔

(avant)

2 1 suj

suj

pdd Vdécalage ◆ n-déc⇔

(av) | (sim) | (apr)

2 1

(maintenant)

Page 337: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

337

Nous allons illustrer le fonctionnement des règles temporelles à partir de la

phase suivante:

(175) Ils ont dit à Paul que tu aurais mangé.

Cette phrase est intéressante parce qu’elle met en jeu plusieurs types de signes

profonds. Le premier auxiliaire (ont) est une forme de AVOIRant, qui marque

l’antériorité par rapport au moment d’énonciation. Le second (aurais) dénote la

phase aspectuelle accomplie. La période dénotée par ce signe est située temporelle-

ment par rapport à (dire): elle lui est postérieure. On pourra ainsi observer la réali-

sation d’un sens temporel par un auxiliaire (ont) et par un grammème superficiel

(aurais), l’usage de décalé (aurais) et de non-décalé (ont), ainsi que la composi-

tion d’un signe aspectuel (AVOIRacc) et de signes temporels (postérieur et non-

décalé) dans aurais.

La Figure 13035 ci-dessous montre la représentation partielle dans Isém-synt de

la phrase (175) après saturation de la structure sémantique par les règles de lexica-

lisation de (toi), (manger), (eux), (Paul) et (dire) (que nous n’avons pas décrites mais

R86

R87

Isém-synt - psém-synt

Figure 129 — L’acception de base des grammèmes de décalage (R85 à R87)

pdd Vdécalage ◆ n-déc⇔

(av)|(sim)|(apr)

2 1(maintenant)

2 1

(après)

pdd Vdécalage ◆ déc⇔

(av)|(sim)|(apr)2 1

(maintenant)

2 1

(avant)

Page 338: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

338

qui sont triviales), ainsi que l’application des règles R76 (p. 331) pour saturer

(avoiracc), R81 (p. 335) pour (après) et R82 (p. 336) pour (avant). Le sémantème

(maintenant) n’est pas polarisé (ce qui est représenté par la couleur grise). En effet,

nous considérons ce sens comme une partie inhérente de toute situation de

communication; il est donc toujours présent implicitement et n’a pas besoin d’être

construit ou exprimé en syntaxe.

Cette structure est complètement saturée. Donc, du point de vue de Isém-synt, le

travail est terminé. Pourtant, il manque plusieurs grammèmes: la finitude et le

mode pour le sommet syntaxique, les grammèmes d’accord pour les deux auxiliai-

res ainsi que les grammèmes de décalage. Cependant, il ne faut pas oublier que

Isém-synt est articulée avec Gsynt (cf. Ch. VII, § 5.2, p. 251 et Ch. VII, § 5.3.2,

p. 256). Donc, toute structure générée par Isém-synt doit être vérifiée par la gram-

maire de bonne formation syntaxique. Or, ce module exige la présence des gram-

mèmes manquants; par le mécanisme de va-et-vient entre les modules décrit au

chapitre précédent (Ch. VII, § 5.3.2, p. 256), Gsynt peut donc forcer l’application

de règles additionnelles dans Isém-synt, de la façon suivante:

35. Afin d’alléger la figure, nous omettons les traits des nœuds non verbaux, ainsi que leursliens de correspondance. De plus, nous réduisons à Paul à un seul nœud en syntaxe.Enfin, nous n’indiquons pas le genre et le nombre des participes passés; les deux portentles grammèmes masculin et singulier.

Figure 130 — La représentation partielle de (175) dans Isém-synt

1

(avoiracc)

(eux)(manger)

1 1

(dire)2

3

(Paul)(toi)

1(après)

21 2

(maintenant)(avant)

suj

suj

EUX

DIREpdd Vfin ◆ part-é

aux

coi

À PAULobj obl

QUEconj

AVOIRantpdd Vtemps ◆ sim

suj

suj

MANGERpdd Vfin ◆ part-é

aux

AVOIRaccpdd Vfin ◆ finimode ◆ indtemps ◆ post

TOI

Page 339: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

339

• La présence de AVOIRacc et AVOIRant dans la structure syntaxique déclen-

chera les règles R23 (p. 305) et R29 (p. 306) de Gsynt, qui décrivent la com-

binatoire morphologique de ces auxiliaires et qui demandent une finitude.

Celle de AVOIRacc est déjà fournie par le régime de DIRE36. Celle de

AVOIRant, qui n’est gouverné par aucun lexème, ne peut être fournie que

par la règle R67 (p. 322) de Isém-synt, qui impose les grammèmes fini et

indicatif au sommet syntaxique.

• La présence de fini sur les auxiliaires aura pour effet, en Gsynt, de forcer la

présence de grammèmes d’accord, grâce à la règle R32 (p. 307), qui décrit

la combinatoire morphologique de fini.

• Cette nouvelle exigence de Gsynt déclenchera l’application des règles R58,

R59, R62 et R63 (pp. 320–320) de Isém-synt, qui fourniront les grammèmes

d’accord pour AVOIRant et AVOIRacc.

• Le grammème indicatif, que portent AVOIRant à cause du régime de DIRE

et AVOIRacc à cause de la règle R67 (p. 322) qui impose ce mode au som-

met syntaxique, déclenchera l’application en Gsynt de R36 (p. 308), qui

décrit la combinatoire morphologique de ce grammème. Cela aura pour

effet d’exiger la présence de grammèmes de temps et de décalage pour les

deux auxiliaires.

• Les auxiliaires portent déjà un grammème de temps. Celui de AVOIRant a

été fourni par la règle R82 (p. 336) de Isém-synt, qui sature le sémantème

(antérieur) et qui construit l’auxiliaire (cet auxiliaire porte toujours le temps

simultané, qui fait partie de ce phrasème grammémique). L’auxiliaire

AVOIRacc, quant à lui, porte le grammème postérieur à cause de la règle

R81 (p. 335) qui s’est appliquée pour saturer le sémantème (postérieur).

• Puisque (avoiracc) est situé par rapport à (dire), qui lui-même est situé dans

le passé, la règle R85 (p. 336) de Isém-synt pourra s’appliquer pour fournir

au nœud correspondant le grammème décalé. Par contre, (dire) est situé

directement par rapport à (maintenant). C’est donc la règle R87 (p. 337) qui

doit s’appliquer pour fournir au nœud correspondant le grammème non-

36. Nous n’avons pas décrit ce signe, mais il est similaire à PENSER, décrit en R66 (p. 322).

Page 340: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

340

décalé. Or, (dire) a deux nœuds correspondants en syntaxe à cause de la

règle R82 (p. 336), qui construit l’auxiliaire AVOIRant et le met en corres-

pondance avec le même sémantème que son auxilié. Il y a donc deux sites

d’ancrage possibles pour non-décalé: AVOIRant et DIRE. Du point de vue

de Isém-synt, les deux sites sont parfaitement valides. C’est Gsynt qui force

le choix de l’auxiliaire comme site d’ancrage pour ce grammème.

• Si le grammème non-décalé était placé sur DIRE, cela déclencherait la

règle R44 (p. 310) de Gsynt, qui décrit la combinatoire de non-décalé. Ce

grammème exige la présence du mode indicatif. Or, la combinatoire de

indicatif, décrite dans la règle R36 (p. 308) de Gsynt, demande le gram-

mème de finitude fini. Puisque DIRE porte déjà la finitude participe-é, il

serait impossible de saturer la structure.

• Par contre, si non-décalé est placé sur AVOIRant, alors l’application des

règles de Gsynt R44 (p. 310) et R36 (p. 308), qui décrivent la combinatoire

de non-décalé et de indicatif, se fera sans problème. Donc, bien que

(dire) ait deux correspondants au niveau syntaxique, il n’y a pas de choix

pour l’ancrage du grammème de décalage: il ne peut aller que sur

AVOIRant.

Page 341: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

341

Après ce ping-pong grammatical entre les modules Isém-synt et Gsynt, on obtient

finalement la structure ci-dessous, qui est entièrement saturée et bien formée37.

3.5 Les grammies à valeur modale

Nous avons vu au début de ce chapitre (§ 1, p. 283) six sens modaux qui se

décrivent dans la structure sémantique:

• (X de manière Y), décrit par la règle de Gsém R11 (p. 296).

• (X doit Y–er), décrit par la règle R12 (p. 296).

• (X ordonne à Y de Z–er), en R13 (p. 297).

• (X suppose Y), en R14 (p. 297).

• (il paraît que X), décrit par R15 (p. 298).

• (en rétrospective, X), en R16 (p. 298).

Tous ces sens peuvent s’exprimer par des moyens lexicaux [Le général Wanner

a ordonné à ses troupes de donner l’assaut; Il paraît que le chef a pris congé;

Figure 131 — La représentation complète de (175) dans Isém-synt

37. Ici encore, nous omettons certains éléments afin d’alléger la figure (cf. note 36, p. 339).

1

(avoiracc)

(eux)(manger)

1 1

(dire)2

3

(Paul)(toi)

1(après)

21 2

(maintenant)(avant)

suj

suj

EUX

DIREpdd Vfin ◆ part-é

aux

coi

À PAULobj obl

QUEconj

AVOIRant

pdd Vfin ◆ finimode ◆ indtemps ◆ simdécalge ◆ n-décpers ◆ 3nbre ◆ pl

suj

suj

MANGERpdd Vfin ◆ part-é

aux

AVOIRacc

pdd Vfin ◆ finimode ◆ indtemps ◆ postdécalge ◆ décpers ◆ 2nbre ◆ sg

TOI

Page 342: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

342

etc.]. Ces cas ne nous intéressent pas; nous allons uniquement présenter les signes

qui permettent d’exprimer ces sens au moyen de grammèmes.

Le sémantème (manière) est le signifié du grammème profond gérondif. Ce

signe a pour signifiant la combinaison de la préposition EN et du grammème super-

ficiel participe-ant:

La diathèse de ce signe appelle quelques commentaires. Le verbe qui exprime le

premier actant de (manière) [Il sort en claquant la porte] se trouve modifié par la

construction «en V–ant». Il partage obligatoirement le sujet du verbe qui réalise le

second actant; ce dernier perd sa capacité à avoir un sujet (ce que représente la

quasi-dépendance «suj», en pointillés). La structure qu’on obtient est semblable à

celle qu’on avait pour les locutions, le passif ou le résultatif. On a vu que la copule

pouvait effacer la relation «modif» (cf. § 3.2.4, p. 325). Il est donc possible de

combiner la règle R88 du gérondif avec la règle R70 (p. 327) de la copule, ce qui

donne une structure correspondant à des phrases du type *Il sort est en claquant la

porte. Par contre, cette structure est mal formée et sera rejetée par Gsynt.

L’infinitif, on l’a vu plus tôt, peut exprimer une consigne uniquement quand il

est le sommet de la phrase (cf. Ch. VI, § 1.1, p. 118). Pour vérifier sa position dans

la structure syntaxique, nous faisons appel au trait pos fourni par la règle R17

(p. 301) de Garbre, qui construit le sommet syntaxique. La règle R12 (p. 296) de

Gsém décrit le sémantème (devoir) en général, et non spécifiquement en tant que

signifié du signe qui nous occupe ici. Ses actants sont typés mais leur valeur reste

R88

Isém-synt - psém-synt

Figure 132 — Le gérondif dans Isém-synt (R88)

(manière)

1 2

pdd Vfin ◆ part-ant

EN pdd Prép

pdd V

modif

prép

suj

suj

Page 343: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

343

sous-spécifiée. L’infinitif de consigne, cependant, ne peut exprimer qu’une instruc-

tion s’adressant au destinataire du message. le premier actant de (devoir) ((toi)) est

donc instancié dans la règle ci-dessous; il fait partie du signifié de ce signe. L’indi-

cation «médium écrit» dans cette règle fait partie de la structure rhétorique. Nous

ne savons pas comment mieux encoder cette structure en GUST.

L’impératif, par contre, permet de donner un ordre non seulement à un destina-

taire unique [Vas-y!], mais aussi à un groupe de destinataires, qui peut d’ailleurs

inclure le locuteur [Allons-y!]. Le second actant de (ordonner) n’est donc pas ins-

tancié dans la règle ci-dessous. Par contre, son premier actant, soit la personne qui

donne l’ordre, ne peut être que le locuteur dans le cas de l’impératif. Enfin, il faut

absolument que le second actant sémantique corresponde au sujet du verbe. Cette

règle ne construit pas la relation «sujet» (qui est polarisée en blanc); ce sont les

règles de lexicalisation des verbes qui le font.

(médium écrit)

R89

Isém-synt - psém-synt

Figure 133 — L’infinitif de consigne Isém-synt (R89)

R90

Isém-synt - psém-synt

Figure 134 — L’impératif dans Isém-synt (R90)

(devoir)

2

pos sommetpdd Vfin ◆ infsuj1

(toi)

⇔(ordonner)1 3 pdd V

mode ◆ impér

(moi)2 suj

Page 344: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

344

On a vu au Chapitre VI (§ 6.4.4, p. 213) que le futur simple peut signifier une

supposition de la part du locuteur [Ils tardent. Ils seront sans doute perdus]. Le

premier actant de (supposer) ((moi)) doit donc être instancié. Ce sens est exprimé

par la combinaison postérieur ⊕ non-décalé. Il s’agit d’un phrasème grammé-

mique que nous représentons comme suit:

Nous avons aussi vu dans la même section que le conditionnel peut servir à

exprimer la réserve du locuteur [Le suspect serait entré par la fenêtre, selon les

policiers]. Nous avons décrit le sens de ce signe en Gsém par le sémantème (il

paraît), dans la règle R15 (p. 298). Son signifiant est la combinaison des grammè-

mes postérieur ⊕ décalé.

Enfin, nous avons vu au Chapitre VI (§ 6.4.4, p. 213) que le grammème

postérieur se combine avec AVOIRacc et non-décalé pour exprimer un bilan

rétrospectif [L’année dernière aura été particulièrement riche en rebondisse-

ments]. Nous avons décrit ce signe comme une collocation grammaticale. Les col-

locations grammaticales, à notre connaissance, n’ont jamais été discutées dans la

R91

Isém-synt - psém-synt

Figure 135 — Le futur de supposition dans Isém-synt (R91)

R92

Isém-synt - psém-synt

Figure 136 — Le conditionnel de réserve dans Isém-synt (R92)

pdd Vtemps ◆ postdécalage ◆ n-déc

(supposer)

1 2

(moi)

pdd Vtemps ◆ postdécalage ◆ déc

⇔1

(il paraît)

Page 345: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

345

théorie Sens-Texte (nous n’avons pas connaissance de cette notion dans d’autres

cadres théoriques non plus). Nous allons donc commencer par montrer comment se

formalisent les collocations lexicales; nous pourrons ensuite mieux apprécier les

parallèles avec cette collocation grammaticale.

Dans le cadre de la TST, les collocations sont décrites dans le dictionnaire par

des fonctions lexicales38. En GUST, comme nous l’avons dit au Chapitre VII (§ 1,

p. 224), il n’y a pas de dictionnaire: tous les signes sont décrits par des règles.

Kahane & Polguère (2001) ont démontré que les fonctions lexicales peuvent être

définies formellement par des patrons de correspondance entre des fragments de

structures sémantiques et syntaxiques. Il est donc possible de les représenter par

des règles de correspondance. Prenons par exemple la collocation peur bleue. Son

sens est (peur intense). Dans cette expression le lexème PEUR a été choisi

librement; il y exprime son sens habituel. Il s’agit de la base de la collocation. Par

contre, BLEU ne signifie (intense) que dans le contexte de PEUR, et ce sens

s’exprime de préférence par ce lexème dans ce contexte. Le lexème BLEU n’a donc

pas été choisi tout à fait librement. C’est le collocatif de la collocation. Formelle-

ment, cela se représente par la règle RT6 ci-dessous, qu’on pourra comparer avec

RT7:

La règle RT7 décrit la lexicalisation standard de (intense) par l’adjectif

INTENSE, comme dans l’expression une pluie intense, qui n’est pas une colloca-

tion39. Cette règle ne tient pas compte du contexte lexical. Par contre, la règle RT6,

38. La littérature sur le sujet abonde; on pourra consulter notamment Mel’čuk (1996b).

RT6 RT7

Isém-synt - psém-synt

Figure 137 — Les collocations lexicales dans Isém-synt (RT6 et RT7)

1 modif

(intense) PEUR

BLEU

⇔ 1 modif

(intense)

INTENSE

Page 346: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

346

qui décrit la collocation peur bleue, modélise le fait que (intense) peut se lexicaliser

par BLEU uniquement si cet adjectif modifie PEUR. Le sémantème qu’exprime

PEUR n’est pas pertinent; ce qui compte, c’est le lexème, c’est pourquoi le séman-

tème n’est pas étiqueté.

Le cas du futur antérieur rétrospectif est très similaire. Son sens inclut celui de

AVOIRacc: (l’année aura été dure) = (en rétrospective, l’année a été dure). La phase

accomplie est la base de la collocation. Le sens (en rétrospective) ne s’exprime

habituellement pas par la combinaison des grammèmes postérieur et non-

décalé. Ce n’est que dans le contexte de la phase accomplie que cette combinaison

de grammèmes exprime ce sens. Ils forment ensemble le collocatif. Formellement,

ce signe se décrit de la façon suivante:

Contrairement à la règle RT6, où le sémantème correspondant à la base n’était

pas pertinent, ici c’est le sémantème qui compte. On a vu plus haut (§ 3.3.3,

p. 331) que ce sens peut s’exprimer soit par l’auxiliaire AVOIRacc, soit par ÊTREacc.

Cela n’a pas d’incidence sur la collocation:

(176) L’année dernière aura été décevante.

(177) L’année dernière se sera terminée comme elle avait commencé.

Le fait que la collocation soit contrôlée en R93 par un sémantème, et non un

élément de la structure syntaxique comme en RT6, n’est pas gênant. On retrouve

ce phénomène dans le domaine lexical également. Milićević (1997) montre que les

39. Justement, on lui préfère forte pluie ou pluie diluvienne, qui sont des collocations.

R93

Isém-synt - psém-synt

Figure 138 — Le futur antérieur rétrospectif dans Isém-synt (R93)

pdd Vtemps ◆ postdécalage ◆ n-déc

⇔1

(en rétrospective)

(avoiracc)

Page 347: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

347

étiquettes sémantiques peuvent contrôler des collocations. Elle donne notamment

l’exemple Func0((événement)) = SURVENIR, kAVOIR LIEUl, kSE PRODUIREl40. Tou-

tes les lexies qui dénotent des événements héritent de cette cooccurrence lexicale.

Par exemple: L’explosion s’est produite <a eu lieu, est survenue> à 3 h.

4 Synthèse

Nous avons vu les règles de Gsém, Gsynt et Isém-synt qui modélisent les grammè-

mes verbaux du français et les phénomènes connexes. En Gsém, nous avons

regroupé les sens exprimés par ces grammèmes en trois types: les sens temporels,

les sens phasiques ou aspectuels, et les sens modaux. En Gsynt, nous avons décrit la

combinatoire morphologique des grammèmes verbaux. Il s’agissait en fait d’une

projection de la grammaire d’interface syntaxe-morphotopologie, où devrait nor-

malement être décrite la combinatoire des morphèmes. C’est dans Isém-synt que

nous avons décrit les grammies, c’est-à-dire les signes profonds à proprement par-

ler, pour tous les grammèmes et quasi-grammèmes de notre modèle. Chaque règle

de Isém-synt décrit une acception particulière.

Nous ne visions pas l’exhaustivité dans notre inventaire de ces acceptions.

Notre but était surtout de décrire les principaux sens des grammèmes afin d’illus-

trer le traitement de la polysémie grammaticale dans GUST. En particulier, nous

avons dû laisser de côté les signes qui ne se laissaient pas représenter par une mise

en correspondance d’éléments de la structure sémantique et de la structure syntaxi-

que. Les signifiés des signes grammaticaux verbaux du français peuvent faire

intervenir les structures communicative, rhétorique et référentielle, que nous ne

savons pas décrire en GUST. Leurs signifiants peuvent aussi relever d’autres struc-

tures que la structure syntaxique; c’est le cas notamment du présent d’injonction

[On se calme!], qui s’exprime par un prosodème.

40. La fonction lexicale Func0 associe à un mot-clé le verbe support qui prend ce mot-clécomme sujet. Par exemple, Func0(PLUIE) = TOMBER [la pluie tombe].

Page 348: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

VIII. Un modèle formel de la conjugaison française

348

Même en laissant de côté ces signes, l’étude de la flexion verbale reste particu-

lièrement intéressante puisqu’elle met en jeu plusieurs types de signes. Les gram-

mèmes syntaxiques n’expriment pas de sens et ne sont donc mis en

correspondance avec aucun objet sémantique. Les grammèmes de décalage, dans

leur acception de base, sont mis en relation avec des objets sémantiques qui ne sont

pas saturés dans les règles. Enfin, les grammèmes verbaux sont aussi impliqués

dans des phrasèmes grammémiques et des collocations grammaticales.

On a pu également observer la dynamique de l’articulation des modules de

GUST. On a vu par exemple que Gsynt permet de choisir le bon site d’ancrage pour

les grammèmes ou les arcs syntaxiques quand un sémantème a plus d’un nœud

correspondant en syntaxe. Nous avons illustré également comment Gsynt peut for-

cer l’application de règles de Isém-synt, même après que ce module ait complété la

saturation en psém-synt de tous les objets. On a pu voir aussi que Gsynt peut rejeter

des structures mal formées construites par Isém-synt. Ce mécanisme peut donner

l’impression d’une architecture de type «génération-filtrage», où un premier

module génère des structures qu’un second module filtre ensuite. Ce type de

modèle pose des problèmes d’implémentation et sont, d’un point de vue cognitif,

douteux. Mais l’architecture de GUST n’est pas de ce type. Les modules Isém-synt

et Gsynt ne sont pas appliqués de façon séquentielle. Les règles de Gsynt s’appli-

quent en même temps que celles de Isém-synt. Ensemble, tous les modules de

GUST ne forment en fait qu’une seule grammaire, grâce au mécanisme d’articula-

tion décrit au Chapitre VII (§ 5, p. 236).

Cette architecture permet de décrire les phénomènes linguistiques par petits

fragments. L’écriture des règles en est beaucoup simplifiée, puisque chaque règle

ne doit s’occuper que d’un élément atomique de la grammaire. Il en résulte des

règles d’une extrême simplicité, comme on a pu le constater, et c’est là un des

points forts de GUST.

Page 349: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

IX. Conclusion

Le but de cette thèse était double. D’une part, nous voulions décrire la flexion

verbale en français, et plus particulièrement celle en temps grammatical dans

l’interface sémantique-syntaxe, en mettant l’accent sur l’étude des signes gramma-

ticaux et de leur organisation. D’autre part, nous cherchions, à travers ce phéno-

mène linguistique central dans la grammaire du français, à vérifier l’utilité de

GUST pour la construction de modèles formels de la langue.

Pour atteindre notre premier objectif, nous avons d’abord présenté les notions

fondamentales nécessaires à l’étude des signes flexionnels. Au cœur de ces notions

se trouve le grammème, conçu comme une entité du même niveau d’abstraction

que le vocable. Il s’agit d’un élément des représentations syntaxiques profondes

(pour les grammèmes profonds) ou de surface (pour les grammèmes superficiels).

Nous nous sommes plus particulièrement intéressé aux grammèmes superficiels,

puisque GUST ne comprend pas de niveau syntaxique profond.

Les grammèmes peuvent être polysémiques; à chaque acception correspond une

grammie, c’est-à-dire un signe profond de nature grammaticale. Nous avons pro-

posé des critères sémantiques et syntaxiques, inspirés de la lexicographie, pour

identifier parmi les diverses grammies d’un même grammème celle qui constitue

la grammie de base. Notre méthodologie pour l’étude des systèmes flexionnels

s’appuie fortement sur ces critères, puisque ce sont les grammies de base qui gui-

dent le regroupement des grammèmes en catégories flexionnelles présentant une

certaine homogénéité à la fois dans la combinatoire et dans le sens des grammèmes

qu’elles contiennent.

Toutefois, la seule étude de la flexion verbale en français n’a pas permis de véri-

fier pleinement ni d’infirmer la validité de notre méthodologie. Nous ne savons pas

dans quelle mesure les critères proposés pour l’identification de la grammie de

base d’un grammème s’appliquent à l’étude d’autres catégories flexionnelles en

français ou dans d’autres langues. Par ailleurs, bien qu’en français les grammèmes

Page 350: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

IX. Conclusion

350

temporels se laissent élégamment regrouper en catégories flexionnelles quand on

ne considère que leur grammie de base, il n’est pas certain que cette stratégie

puisse fonctionner pour toutes les catégories flexionnelles qu’on retrouve dans les

langues naturelles. Notre méthodologie, développée de façon plus ou moins intui-

tive, mériterait d’être testée sur un plus large spectre de phénomènes linguistiques.

Néanmoins, cette méthodologie nous a bien servi pour la description de la

flexion verbale en français et nous a permis d’aboutir à un système cohérent où

l’accent est mis sur les signes dans leur intégralité. Une des principales critiques

que nous avons faites des descriptions existantes est qu’elles insistent souvent trop

sur une seule des composantes du signe linguistique. Forcément, on aboutit ainsi à

des modèles du sens, de la forme ou de la combinatoire des signes, mais pas à une

description du sous-système sémiotique dans son entier.

Au niveau descriptif, nous avons utilisé les formes surcomposées pour prouver

l’hypothèse de Benveniste (1959) selon laquelle l’auxiliaire AVOIR peut exprimer

soit l’antériorité, soit l’accompli, ajoutant du poids aux arguments déjà proposés

par lui-même et d’autres linguistes. Nous avons poussé l’hypothèse encore plus

loin en suggérant que AVOIR n’est pas vague, mais bien polysémique, c’est-à-dire

qu’il existe en français deux auxiliaires distincts, AVOIRant et AVOIRacc. Le premier

sert de signifiant à un grammème profond de temps, alors que le second fait partie

des marqueurs de phase aspectuelle.

Les marqueurs de phase aspectuelle dénotent les périodes qui se trouvent

(immédiatement) avant, pendant ou (immédiatement) après un fait. Il s’agit des

lexies AVOIRacc, kEN TRAINl, ALLER, kSUR LE POINTl, et VENIR. Ces lexies ne cons-

tituent pas une catégorie flexionnelle, notamment parce qu’elles ne sont pas

mutuellement exclusives. Elles forment de nouvelles bases qui peuvent elles-

mêmes être fléchies (sauf pour les locutions prépositionnelles kEN TRAINl et kSUR

LE POINTl, puisque les adverbes ne sont pas fléchis en français). En particulier,

elles se combinent aux grammèmes temporels.

Page 351: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

IX. Conclusion

351

C’est la description des grammèmes temporels qui était au cœur de la partie

descriptive de cette thèse. L’hypothèse que nous défendons est que les relations

temporelles sont représentées en français au moyen de deux catégories flexionnel-

les qui se combinent:

1) La catégorie de décalage regroupe deux grammèmes situant un point de

repère par rapport au moment d’énonciation:

• Le grammème non-décalé signifie que le point de repère est

(maintenant) ou un fait dans le futur. Son signifiant est nul.

• Le grammème décalé indique que le repère est un fait dans le passé. Il

s’exprime par le suffixe –AI–.

2) La catégorie de temps regroupe trois grammèmes profonds situant les

faits par rapport à ce point de repère:

• Le grammème simultané signifie que le fait dénoté par le verbe est

simultané à son point de repère. Il s’exprime par un suffixe zéro.

• Le grammème profond antérieur indique que le fait est antérieur à son

point de repère. Son signifiant est l’auxiliaire AVOIRant (ou ÊTREant).

Dans un registre littéraire, il s’exprime conjointement avec le gram-

mème non-décalé par le suffixe du passé simple.

• Le grammème postérieur pose le fait comme postérieur à son point de

repère. Il s’exprime par le suffixe –R–.

L’idée sous-jacente à notre modèle n’est pas neuve; on a depuis longtemps

remarqué la dichotomie «temps absolus» ~ «temps relatifs». Cependant, ce fait

linguistique en français, à notre connaissance, n’avait jamais été formulé en termes

Décalage

non-décalé décalé

Tem

psantérieur a aimé / aima avait aimé

simultané aime aimait

postérieur aimera aimerait

Tableau XXVIII — Deux catégories flexionnelles complémentaires

Page 352: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

IX. Conclusion

352

de catégories flexionnelles complémentaires dont les grammèmes se combinent,

mais toujours en termes de catégories concurrentes (ou de partitions sémantiques

d’une seule catégorie flexionnelle). La conception traditionnelle ne met pas assez

en relief le caractère compositionnel des signes grammaticaux. Dans notre modèle,

aucune forme verbale n’exprime qu’un seul grammème temporel. Toutes expri-

ment un grammème de temps et un grammème de décalage. Nous aimerions pro-

poser une terminologie qui reflète cela: «présent (non-décalé)» (pour le

«présent»), «passé (non-décalé)» (plutôt que «passé composé»), «futur (non-

décalé)» (plutôt que «futur simple»), «présent décalé» (plutôt que «imparfait»),

«passé décalé» (plutôt que «plus-que-parfait») et «futur décalé» (plutôt que

«conditionnel»). Dans le cas du passé simple, nous parlerions de «passé (non-

décalé) synthétique».

Nous n’avons pas cherché à vérifier de façon systématique à quel point notre

modèle est utile pour la description de la flexion verbale dans d’autres langues que

le français. Nous avons toutefois tenté une expérience préliminaire dans le cadre

du projet Marquis à l’Université Pompeu Fabra, dont l’objectif était de construire

un système informatique qui génère automatiquement des bulletins sur la qualité

de l’air dans huit langues européennes typologiquement diverses (cf. Wanner et al.

2007). Étant donné la nature multilingue de ce projet, nous avons adopté une archi-

tecture particulière pour les grammaires, où la plupart des règles étaient partagées

par plusieurs langues (cf. Lareau & Wanner 2007). Pour les langues romanes que

nous avions à décrire (le catalan, l’espagnol, le français et le portugais), nous avons

réutilisé le même modèle pour la flexion verbale. Nous avons alors pu constater

que ces quatre langues montrent la même organisation à ce niveau. La distinction

stricte que nous faisons entre AVOIRant et AVOIRacc en français trouve un écho

direct dans les trois autres langues, où il existe deux formes distinctes pour expri-

mer les sens correspondants. Nous avons toutefois noté que la sélection du point de

repère ne se fait pas forcément de manière identique dans toutes ces langues. Par

exemple, l’imparfait dans Ce matin, la concentration d’ozone était de 25 µg/m3 se

traduit plutôt par le passé va ser en catalan, et non par l’imparfait *era. Ce fait sug-

Page 353: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

IX. Conclusion

353

gère que la saillance communicative des circonstanciels n’est pas la même d’une

langue à l’autre, et que cela influence le choix du point de repère pour la flexion

verbale. Il y a là matière à réflexion.

Notre second objectif, dans cette thèse, était de vérifier l’utilité de GUST pour

la description des langues, tout en développant le formalisme pour le rendre plus

approprié à cette tâche. Nos principaux apports à ce formalisme ont été la représen-

tation des structures en termes d’objets et de fonctions sur ces objets, ainsi que la

modélisation des décompositions sémantiques.

La formalisation de notre modèle descriptif de la flexion verbale nous a donné

l’occasion d’observer le mécanisme d’articulation des modules de GUST. On a vu

comment la grammaire de bonne formation syntaxique fonctionne de paire avec le

module d’interface sémantique-syntaxe pour générer des structures bien formées.

On a pu voir aussi que ce formalisme permet d’exprimer d’une façon simple et

assez intuitive les règles qui modélisent des phénomènes relativement complexes,

notamment grâce à une architecture hautement modulaire où les problèmes sont

éclatés au maximum. L’exercice nous a également permis de vérifier l’utilité du

mécanisme de décomposition des sens linguistiques pour le typage des actants des

prédicats sémantiques.

Le choix de la flexion verbale comme phénomène linguistique pour vérifier

l’utilité de GUST s’est avéré judicieux, puisqu’elle fait intervenir plusieurs types

de signes. Nous avons pu décrire de façon élégante l’accord verbal dans la phrase

simple et d’autres grammèmes syntaxiques, la montée du sujet et d’autres opéra-

tions syntaxiques, les grammèmes de décalage qui, dans leur acception de base, ne

saturent aucun objet de la représentation sémantique, ou encore les phrasèmes

grammémiques et les collocations grammaticales. En ce sens, l’expérience démon-

tre que GUST est en principe approprié pour décrire une variété de phénomènes

linguistiques, du moins dans l’interface sémantique-syntaxe.

Par contre, nous avons dû laisser de côté certains faits linguistiques que nous ne

savions pas décrire en GUST. Nous nous sommes limité dans cette thèse aux

Page 354: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

IX. Conclusion

354

signes mettant en jeu les structures sémantique et syntaxique. Or, nous avons

observé qu’il existe des signes grammaticaux verbaux dont le signifié relève de la

structure communicative, rhétorique ou référentielle, ou dont le signifiant relève de

la structure prosodique. Nous ne savons pas comment formaliser ces structures en

GUST. Cependant, il ne s’agit pas d’une limitation intrinsèque à cette théorie. En

fait, Kahane (2004, 2005) et Kahane & Lareau (2005a) ont démontré que GUST

(ou le formalisme plus général des grammaires d’unification polarisées) pouvait

modéliser des structures substantiellement différentes. Il s’agit maintenant de cher-

cher la meilleure façon d’encoder ces structures afin de les intégrer au modèle.

Enfin, puisque l’écrasante majorité des phrases en français comportent au moins

un verbe, la flexion verbale est un élément clé de la grammaire de cette langue. Il

nous paraît donc sensé de commencer la description du français en GUST par ce

phénomène. Nous souhaitons poursuivre le travail commencé et étendre la couver-

ture de la grammaire à d’autres phénomènes. Nous espérons toutefois que cette

thèse aura fourni de nouvelles idées utiles non seulement à la description du fran-

çais mais également à celle d’autres langues, et que le formalisme développé se

révélera un outil puissant pour la modélisation des langues naturelles.

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Index des auteurs

Abeillé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25, 134, 314Beck . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67Bello . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53Benveniste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77, 159, 161, 350Bescherelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120, 178, 193Beyssade . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48Binnick . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70Blanche-Benveniste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25Boas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51Bohnet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224Bres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199Bresnan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224Candito . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248, 311Carruthers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33, 34, 145, 146, 147, 148, 156, 157, 158, 163Chu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175Clas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46, 53, 55, 285Comrie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73, 80, 108, 181, 182, 197, 202, 203Cornu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25, 150, 153, 154, 156, 157, 159Creissels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125, 126, 127, 128Curat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159Damourette . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151, 206de Saussure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255Destutt de Tracy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78, 79Dobrovie-Sorin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48Dowty . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60Duchier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230El-Kassas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208, 254Foulet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155, 157Garey . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181Gerdes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230, 254Girard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78, 79Godard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25, 134, 314Gosselin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25, 60, 61, 106, 143, 170, 181, 197, 286, 288Grevisse . . . . . 73, 74, 118, 121, 122, 123, 137, 142, 152, 153, 155, 163, 193, 198Guillaume . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139Haillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201Hill . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145, 147, 148Imbs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73, 80, 159, 162, 179, 197, 210Iordanskaja . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42, 245, 311, 312, 313, 314, 315, 316Jakobson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51, 54Jolivet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25, 145, 150, 152, 157Joshi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224Kahane 35, 36, 46, 49, 117, 132, 133, 223, 224, 225, 226, 227, 230, 231, 237, 238,. . . 242, 243, 247, 249, 254, 255, 269, 274, 317, 323, 324, 325, 326, 331, 345, 354

Page 356: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

Index des auteurs

356

Kahn . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206Kamp . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185, 186, 187, 191Kayne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134Labeau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193, 199Lareau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223, 224, 230, 237, 254, 269, 352, 354Larrivée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199Laurendeau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25Le Goffic . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25, 26, 142, 193, 199Leeman-Bouix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135, 139, 142, 159, 166, 170Lefeuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245Martinet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46, 63, 64, 67, 84, 91, 137, 184, 196, 207Mazon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182Mel’čuk . . . . . 25, 35, 39, 40, 41, 42, 44, 46, 47, 48, 50, 51, 53, 54, 55, 65, 66, 67,. . . . . . . . . . 117, 120, 124, 125, 132, 133, 136, 137, 166, 202, 222, 224, 242, 245,. . . . . . . . . . 255, 267, 268, 269, 274, 277, 285, 288, 311, 312, 313, 314, 315, 316,. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 322, 323, 345Menanteau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89, 90, 139, 140Milićević . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35, 241, 269, 285, 346Molendijk . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179, 180, 185, 187, 191Morin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25Mourelatos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285, 291, 295Nasr . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230Partee . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60, 80Pellat . . . . . . . . . . . . . . . . . 29, 33, 51, 52, 56, 73, 75, 121, 138, 142, 169, 170, 193Perrier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230Pertsov . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245Pichon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151, 206Pinchon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135, 165, 166, 170, 173Polguère 35, 41, 44, 46, 47, 53, 55, 226, 237, 241, 268, 269, 270, 277, 285, 323, 345Pollard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224Psyché . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241Reichenbach . . . . . . . . . . . . . 60, 187, 188, 189, 190, 191, 192, 195, 203, 204, 208Riegel . . . . . . . . . . . . . . . . 29, 33, 51, 52, 56, 73, 75, 121, 138, 142, 169, 170, 193Rioul . . . . . . . . . . . . . . . . . 29, 33, 51, 52, 56, 73, 75, 121, 138, 142, 169, 170, 193Rohrer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185, 186, 187, 191Sag . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224Sapir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51Te Winkel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192, 193Tesnière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117, 157, 162Thater . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230Touratier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25, 63, 64, 90, 91, 95, 135, 136, 196, 207Van Den Eynde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25Vendler . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175, 181, 285, 286Verkuyl . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192Vet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25, 71, 184, 206, 210Vetters . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71, 77, 79, 181, 182, 183, 187, 189, 191, 209, 286

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Index des auteurs

357

Wagner . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135, 165, 166, 170, 173Wanner . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224, 269, 352Weinrich . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210Wierzbicka . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269Wilmet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96Yoo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254Žolkovskij . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

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Index des notions

A

accompli. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76, 159, 164, 166, 220, 281, 289, 303accomplissement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181accord. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220, 306, 310, 312, 314, 319achèvement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181actif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133activité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181Aktionsart . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181aller . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28, 164, 170, 173, 220, 281, 289, 303, 311, 331analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263antérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159, 178, 197, 200, 205, 219, 220, 221, 281, 286arc sémantique (type d’objet) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239arc syntaxique (type d’objet) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245articulation (des grammaires) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249, 250, 251, 260, 263, 264articulation Gsém-Isém-synt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260articulation Isém-synt-Gsynt. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260aspect . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164, 181aspect grammatical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181auxiliaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28, 145, 301, 311avoir . 28, 77, 145, 158, 164, 166, 178, 197, 200, 220, 281, 289, 303, 305, 311, 331

B

base (d’une collocation). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345bonne formation (des représentations) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 240, 248

C

catégorie d’accord . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220catégorie flexionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46, 50, 62cible (fonction) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239, 245collocatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345collocation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 345collocation grammaticale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219, 344combinaison (de règles). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233combinaison partielle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236combinaison totale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235combinatoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63, 64concordance des temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 212conditionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142, 200, 202, 217, 218, 222, 283, 309, 344conditionnel passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176conditionnel surcomposé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150contrainte de déclarativité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233

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Index des notions

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contrainte de dynamisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232contrainte de finalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233contrainte de monotonicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232copule. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313correspondance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255, 317critère de l’exclusion mutuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64critère de l’inclusion de sens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55critère de l’interprétation spontanée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54critère de la polyvalence lexicale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59critère de la polyvalence syntaxique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58critère de la similitude de combinatoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64critère du sommet syntaxique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

D

décalage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206, 207, 217, 219, 221, 281, 289, 310, 334, 335décalé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217, 219, 221, 281, 289, 309, 336, 344déclarativité (contrainte) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233décomposition sémantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60, 267dérivation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51dynamisme (contrainte) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232

E

en train . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28, 164, 169, 220, 281, 289, 303état . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181étiquette (fonction) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239, 243, 244, 245être . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28, 134, 303, 305, 311, 331évidentialité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222

F

finalité (contrainte) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233fini . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130, 131, 221, 307finitude. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116, 117, 221, 283, 301, 307, 342flexion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51fonction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227fonction d’étiquetage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228fonction de polarisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228fonction structurante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228, 243forme surcomposée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144, 145, 176, 220futur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352futur antérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176futur antérieur surcomposé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152futur décalé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352futur inéluctable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214futur périphrastique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176

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Index des notions

360

futur simple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170, 198, 202, 205, 217, 218, 222, 283, 344

G

générique (fonction) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270, 284genre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220, 310gérondif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129, 132, 307, 342gérondif passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176grammaire d’arbres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260, 299grammaire d’interface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255grammaire d’interface sémantique-syntaxe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 256, 318grammaire d’interface syntaxe-morphotopologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 298, 301grammaire d’unification Sens-Texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223, 224grammaire de bonne formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237grammaire de bonne formation sémantique . . . . . . . . . . . . 239, 270, 283, 284, 298grammaire de bonne formation syntaxique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 242grammème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46, 49, 53, 264, 307grammème profond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50, 307grammème superficiel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50, 307grammie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49, 317grammie de base . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53graphe de correspondance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257

H

hôte (fonction) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244

I

imparfait. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178, 199, 200, 202, 212, 214, 215, 216, 283impératif. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141, 144, 221, 304, 305, 308impératif passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176imperfectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181, 182indicatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135, 144, 221, 304, 305, 306, 308, 310infinitif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118, 120, 131, 221, 307infinitif passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176infinitif passé surcomposé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154

L

langue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35locution prépositionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 328

M

masdar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117mode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75, 134, 221, 283, 304, 305, 306, 308, 310, 343modèle Sens-Texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

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361

module . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224, 225module de correspondance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43monotonicité (contrainte) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232

N

nœud sémantique (type d’objet) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239, 270nœud syntaxique (type d’objet) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243nombre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220, 309, 310, 319, 320non-décalé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217, 219, 221, 281, 289, 335, 344

O

objet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227objet grammémique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243obj-gramm (type d’objet). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 244, 260

P

parbre (fonction) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299participe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121, 122, 307participe passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121, 124, 310, 320, 322participe présent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121, 123, 322participe présent composé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176participe surcomposé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154participe-ant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123, 131, 221, 307participe-é . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123, 124, 132, 221, 307passé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352passé antérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155, 162passé antérieur surcomposé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152passé composé . . . . . . . . . . . . . . . 155, 159, 166, 176, 178, 197, 202, 205, 212, 219passé décalé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352passé récent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176, 214, 281passé simple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155, 178, 197, 202, 205, 212, 219passé surcomposé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146, 155passé synthétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352passif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133, 134, 161, 313pdd (fonction) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243perfectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181, 182personne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220, 306, 309, 312, 314, 320phase aspectuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164, 165, 173, 220, 281, 289, 303, 327phrasème grammémique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67, 344pluriel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320plus-que-parfait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164, 176, 200, 202plus-que-parfait surcomposé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150, 155point d’articulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 251, 260polarisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239, 245

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Index des notions

362

polarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230, 249polarité d’articulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252polarité de construction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252polarité neutre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 232polarité principale/secondaire (d’une figure). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249, 282postérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205, 217, 219, 221, 281, 286, 309, 334, 344présent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196, 202, 214, 215, 352présent décalé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352primitif sémantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272produit (des polarités) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231progressif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169, 281prospectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170, 281psém (fonction) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239, 284psém-synt (fonction). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 318psynt (fonction) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245, 299

Q

quasi-dépendance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 324

R

réduction (fonction) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270, 284réfléchi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133, 161règle de correspondance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43règle grammémique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247règle lexicale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246règle sagittale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246relation syntaxique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311représentation linguistique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36, 38représentation morphologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42représentation phonologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42représentation sémantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38, 239, 240, 242représentation syntaxique de surface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42représentation syntaxique profonde. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40résultatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124, 129, 293, 313, 328

S

sens grammatical . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60sens modal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295signe asémantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319signe linguistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255signe profond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317simultané . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205, 217, 219, 221, 281, 286, 334singulier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320source (fonction) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239, 245

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Index des notions

363

structure anaphorique profonde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41structure communicative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40, 242, 283structure élémentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 226structure initiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227, 245, 300structure polarisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229structure référentielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40, 283structure rhétorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40, 283structure sémantico-communicative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40structure sémantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38, 283structure syntaxico-communicative profonde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41structure syntaxico-prosodique profonde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41structure syntaxique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283structure syntaxique de surface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42structure syntaxique profonde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41subjonctif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137, 144, 221, 283, 304, 305, 306, 308, 310subjonctif passé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176subjonctif passé surcomposé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153subjonctif plus-que-parfait surcomposé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153sujet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 316sur le point . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28, 172, 173, 220, 281, 289, 303surcomposé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263

T

TAG . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177, 195, 202, 205, 219, 221, 281, 286, 305, 309, 334temps absolu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77, 202temps absolu-relatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203temps relatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77, 202théorie Sens-Texte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35, 223traits de syntactique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 301typage des actants sémantiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241

U

unification (d’objets) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233

V

valence sémantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239venir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28, 172, 173, 220, 281, 289, 303, 311, 331voix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122, 132, 161, 283

X

XML (format) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . xxiv

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N.B.: Le Bescherelle n’est pas édité par la même compagnie au Canada et en France.Le contenu des deux éditions est toutefois sensiblement le même, et puisquenous renvoyons aux numéros d’articles plutôt qu’aux numéros de pages, lelecteur pourra retrouver le contenu cité dans l’édition qu’il a à sa disposition.

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Page 376: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

Annexe A. Les formes de PRENDRE

Voici une liste des formes synthétiques et analytiques du verbe PRENDRE (ou

du verbe PARTIR, pour illustrer l’utilisation de l’auxiliaire ÊTRE) que nous consi-

dérons dans le cadre de cette thèse. Pour les formes finies, nous faisons abstraction

ici de la voix, de la personne et du nombre (nous n’utilisons que les formes actives

à la troisième personne du singulier, sauf pour l’impératif qui apparaît à la seconde

personne du singulier). Pour les participes, nous ne tenons pas compte de l’accord

en genre et en nombre.

1 Les formes de base

1. prend2. prenait3. prendra4. prit5. prendrait6. prenne7. prends!8. prendre9. prenant10. pris11. en prenant

2 Les formes composées

2.1 AVOIR <ÊTRE>

12. a pris <est parti>13. avait pris <était parti>14. aura pris <sera parti>15. eut pris <fût parti>16. aurait pris <serait parti>17. ait pris <soit parti>18. aie pris <sois parti>19. avoir pris <être parti>20. ayant pris <étant parti>21. en ayant pris <en étant parti>

Page 377: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

Les formes de PRENDRE

xxi

2 . 2 ALLER

22. va prendre23. allait prendre

2 . 3 VENIR

24. vient de prendre25. venait de prendre26. viendra de prendre27. vint de prendre28. viendrait de prendre29. vienne de prendre30. venir de prendre31. venant de prendre32. en venant de prendre

2.4 kkkkEN TRAIN llll

33. est en train de prendre34. était en train de prendre35. sera en train de prendre36. fut en train de prendre37. serait en train de prendre38. soit en train de prendre39. être en train de prendre40. étant en train de prendre

2.5 kkkkSUR LE POINT llll

41. est sur le point de prendre42. était sur le point de prendre43. sera sur le point de prendre44. fut sur le point de prendre45. serait sur le point de prendre46. soit sur le point de prendre47. être sur le point de prendre48. étant sur le point de prendre

Page 378: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

Les formes de PRENDRE

xxii

3 Les formes doublement composées

3.1 AVOIR + AVOIR <ÊTRE>

49. a eu pris <a été parti>50. avait eu pris <avait été parti>51. aurait eu pris <aurait été parti>52. aura eu pris <aura été parti>

3.2 AVOIR + kkkkEN TRAIN llll

53. aurait été en train de prendre

3.3 AVOIR + kkkkSUR LE POINT llll

54. aurait été sur le point de prendre

3.4 ALLER + AVOIR <ÊTRE>

55. va avoir pris <va être parti>56. allait avoir pris <allait être parti>

3.5 ALLER + VENIR

57. va venir de prendre58. allait venir prendre

3.6 ALLER + kkkkEN TRAIN llll

59. va être en train de prendre60. allait être en train de prendre

3.7 ALLER + kkkkSUR LE POINT llll

61. va être sur le point de prendre62. allait être sur le point de prendre

3.8 kkkkSUR LE POINT llll + AVOIR <ÊTRE>

63. ?est sur le point d’avoir pris <?d’être parti>64. ?était sur le point d’avoir pris <?d’être parti>65. ?sera sur le point d’avoir pris <?d’être parti>

Page 379: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

Les formes de PRENDRE

xxiii

66. ?serait sur le point d’avoir pris <?d’être parti>67. ?fut sur le point d’avoir pris <?d’être parti>68. ?soit sur le point d’avoir pris <?d’être parti>69. ?être sur le point d’avoir pris <?d’être parti>70. ?étant sur le point d’avoir pris <?d’être parti>

4 Les formes triplement composées

4.1 AVOIR + kkkkSUR LE POINT llll + AVOIR / ÊTRE

71. ?aurait été sur le point d’avoir pris <?d’être parti>

4.2 ALLER + kkkkSUR LE POINT llll + AVOIR <ÊTRE>

72. ?va être sur le point d’avoir pris <?d’être parti>73. ?allait être sur le point d’avoir pris <?d’être parti>

Page 380: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

Annexe B. L’encodage XML des grammaires GUST

Il est crucial de fixer un format d’échange pour les grammaires si on souhaite

les voir utilisées dans des systèmes de traitement automatique des langues. Nous

proposons donc ici un encodage XML pour les grammaires GUST.

Les grammaires sont contenues à l’intérieur de balises

<grammar>…</grammar>. On identifie la langue décrite par la grammaire en

question par l’attribut language, qui prend comme valeur le code de trois lettres

correspondant à la langue décrite selon le standard ISO 6391. Par exemple, pour la

grammaire du français:

Chaque grammaire est constituée de modules. Les modules sont contenus à

l’intérieur des balises <module>…</module>, dont l’attribut name spécifie le nom

du module en question. Par exemple, pour la grammaire de bonne formation

sémantique:

Les modules contiennent un nombre illimité de règles. Chaque règle est repré-

sentée à l’intérieur des balises <structure>…</structure>. L’attribut name est

également utilisé pour attribuer un nom à la règle en question. Par exemple, nous

appellerons «manger» la règle qui décrit la valence du sémantème (manger). Nous

utilisons également un attribut id pour associer un numéro d’identification unique

à chaque structure. Il est alors possible de faire référence à une structure en particu-

lier (par exemple, dans un système de génération de texte, on peut vouloir voir la

1. Ce standard permet pour certaines langues deux codes: un basé sur le nom de la langueen anglais et l’autre sur son nom dans la langue elle-même. Par exemple, pour lefrançais, il existe les codes «FRE» et «FRA». Nous choisirons toujours le code basé surle nom anglais.

<grammar language=FRE>…

</grammar>

<module name=Gsem>…

</module>

Page 381: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

L’encodage XML des grammaires GUST

xxv

liste de toutes les structures qui ont été combinées pour générer une phrase don-

née).

Un module peut également contenir une ou plusieurs structure(s) initiale(s). Ces

structures sont décrites comme toutes les autres règles, à l’exception près qu’elles

possèdent un attribut initial=yes dans la balise <structure>. La balise

<module> doit également avoir un attribut initial dont la valeur est la liste des

numéros d’identification des structures initiales du module. Par exemple, si dans le

module syntaxique les règles 1 et 2 sont des structures initiales, on aura:

À l’intérieur des balises <structure>…</structure>, on trouvera quatre élé-

ments. D’abord, des commentaires qui expliquent le phénomène linguistique que

la règle en question tente de modéliser. Ces commentaires ne doivent pas être ins-

crits comme des commentaires XML, qui seraient ignorés par un parseur. Ils doi-

vent être contenus à l’intérieur d’une balise <comments>…</comments>. Ainsi, ils

peuvent être récupérés par un programme pour être présentés à l’utilisateur si

nécessaire. Afin d’illustrer le phénomène décrit par la règle, on peut également

ajouter des exemples. On prévoit à cette fin une balise

<examples>…</examples> qui contiendra un certain nombre de phrases, cha-

cune contenue à l’intérieur d’une balise <example>…</example>. Les éléments

<comments>…</comments> et <examples>…</examples> sont facultatifs. Par

contre, toute structure doit être constituée d’un ensemble d’objets, contenus à

l’intérieur des balises <objects>…</objects>, et d’un ensemble de fonctions

contenues dans les balises <functions>…</functions>.

<structure id=1 name=manger>…

</structure>

<module name=Gsynt initial="1,2"><structure id=1 name="sommet verbe fini" initial=yes>

…</structure><structure id=2 name="sommet interjection" initial=yes>

…</structure>…

</module>

Page 382: Vers une grammaire d'unification Sens-Texte du francais : le temps ...

L’encodage XML des grammaires GUST

xxvi

Chaque objet est encodé par une balise simple <object/> qui a deux attributs

obligatoires. L’attribut id prend comme valeur un numéro, différent pour chaque

objet de la structure, qui sert d’identificateur pour l’objet en question alors que

l’attribut type donne, comme son nom l’indique, son type. La valeur de l’attribut

type ne peut être qu’un des types définis pour la grammaire en question.

Chaque fonction est encodée par une balise simple <function/> qui doit avoir

quatre attributs. Il s’agit des attributs name, type, argument et value, qui indi-

quent respectivement le nom de la fonction et son type, l’objet auquel elle s’appli-

que et la valeur qu’elle retourne. L’attribut type ne peut prendre comme valeur que

polarity, structural ou label (il s’agit des trois principaux types de fonctions

identifiés au Chapitre VII, § 2, p. 226). Enfin, la valeur de l’attribut value peut

être une chaîne de caractères quelconque (dans le cas des fonctions d’étiquetage),

le nom d’une des polarités (pour les fonctions de polarisation) ou encore le numéro

d’identification d’un objet de la même structure (pour les fonctions structurales).

La structure XML suivante encode la règle sémantique ⟨ { 1:nœud-sém, 2:nœud-

sém, 3:nœud-sém, 4:arc-sém, 5:arc-sém }, { étiquette(1)="manger", éti-

quette(4)="1", étiquette(5)="2", source(4)=1, cible(4)=2, source(5)=1, cible(5)=3,

psém(1)=�, psém(2)=�, psém(3)=�, psém(4)=�, psém(5)=� } ⟩.

Enfin, chaque système qui utilise des ressources GUST pourra ajouter à certai-

nes balises des attributs qui lui sont propres pour stocker certaines informations.

<structure id=1 name=manger><comments>

'manger' a deux actants sémantiques</comments><examples>

<example>Pierre mange du gâteau

</example></examples><objects>

…</objects><functions>

…</functions>

</structure>

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L’encodage XML des grammaires GUST

xxvii

Par exemple, dans un outil d’édition de grammaires, il peut être utile d’ajouter à

chaque balise une date de modification ou un numéro de version, de façon à facili-

ter la coordination du travail lorsque plusieurs linguistes travaillent sur les mêmes

ressources.

<structure id=1 name=manger><comments>

'manger' a deux actants sémantiques</comments><examples>

<example>Pierre mange du gâteau

</example></examples><objects>

<object id=1 type=semnode/><object id=2 type=semnode/><object id=3 type=semnode/><object id=4 type=semedge/><object id=5 type=semedge/>

</objects><functions>

<function name=label type=label argument=1 value="manger"/><function name=label type=label argument=4 value="1"/><function name=label type=label argument=5 value="2"/><function name=source type=structural argument=4 value=1/><function name=target type=structural argument=4 value=2/><function name=source type=structural argument=5 value=1/><function name=target type=structural argument=5 value=3/><function name=psem type=polarity argument=1 value=black/><function name=psem type=polarity argument=2 value=white/><function name=psem type=polarity argument=3 value=white/><function name=psem type=polarity argument=4 value=black/><function name=psem type=polarity argument=5 value=black/>

</functions></structure>