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UNIVERSITÉ LYON 2 Institut d'Etudes Politiques de Lyon Vers une accélération de la crise dans le détroit de Taiwan? Chloé LAMY JOLY Diplôme IEP Séminaire : crises et relations internationales Sous la direction de Michèle BACOT-DECRIAUD le 21 juin 2007 jury : Stéphane CORCUFF

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UNIVERSITÉ LYON 2 Institut d'Etudes Politiques de Lyon

Vers une accélération de la crise dans ledétroit de Taiwan?

Chloé LAMY JOLYDiplôme IEP Séminaire : crises et relations internationales Sous la direction de Michèle BACOT-DECRIAUD

le 21 juin 2007

jury : Stéphane CORCUFF

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6Partie I : Un sentiment d'accélération de la crise, résultat d'un dialogue impossible entre laChine et Taiwan . . 23

Chapitre 1 : Un dialogue bloqué par les contraintes de la politique intérieure dechaque côté du détroit de Taiwan. . . 23

I. Les systèmes politiques de la Chine et de Taiwan, responsables de"l'impasse politique" . . 23II. Une "impasse politique" renforcée par les systèmes décisionnels dechaque côté du détroit. . . 30III. Une difficulté à dialoguer accentuée par la question nationaliste etidentitaire en Chine et à Taiwan. . . 33

Chapitre 2 : Un dialogue rendu plus difficile encore par la politique internationaledes deux rives . . 37

I. Une méfiance mutuelle engendrée par la rivalité des deux rives pour lareconnaissance internationale . . 37II. Les rivalités régionales et la méfiance mutuelle exacerbées par la montéeen puissance de la Chine . . 43

Partie II. Un réel désir de décélération de la crise, conséquence d'une nécessaireadaptation à la nouvelle donne géopolitique . . 53

Chapitre 1 : Vers une plus grande ouverture de la politique intérieure en Chine et àTaiwan . . 53

I. Des systèmes politiques en évolution, facteurs d’ouverture politique . . 53II. La prise de conscience des effets bénéfiques de la multiplication deséchanges entre les deux rives . . 59

Chapitre 2 : Un contexte international incitant à une politique internationale modérée. . 65

I. La réelle volonté d'ascension pacifique de la Chine sur la scèneinternationale . . 65II. La prépondérance des Etats-Unis dans la région, facteur de dissuasiond'éclatement d'un conflit armé dans le détroit de Taiwan . . 71

Conclusion . . 79Bibliographie . . 81

Ouvrages . . 81Revues . . 81Journaux . . 85Discours . . 85Rapports . . 85Sites et pages internet . . 86

Sites officiels de la République populaire de Chine . . 86Sites officiels de la République de Chine . . 86Sites officiels des Etats-Unis . . 87Sites d’information sur l’actualité . . 87Sites rassemblant des résolutions, conventions et déclarations internationales . . 87

Annexes . . 88

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Annexe 1 : La Chine dans son environnement régional . . 88Annexe 2 : Appétits rivaux en mer de Chine . . 88Annexe 3 : Carte administrative de la Chine . . 88

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Remerciements

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RemerciementsJe tiens à remercier tout spécialement Michèle Bacot-Decriaud, maître de conférence à l’Institutd’études politiques de Lyon, responsable du Diplôme Universitaire d’Etudes Européennes, etdirectrice de mon mémoire, pour son soutien et sa disponibilité tout au long de la rédaction de cemémoire, et dont la qualité des conseils m’a aidé à mieux organiser et présenter mon travail.

Je souhaite remercier également Stéphane Corcuff, Maitre de conférence en science politiqueet responsable du master professionnel « Affaires Asiatiques » et des études chinoises à l'IEPde Lyon, pour ses conseils bibliographiques et la mise à ma disposition de nombreux documentscommandés récemment à l’Institut d’Asie orientale de l’Ecole normale supérieure de Lyon, sanslesquels je n’aurais pas pu approfondir la question complexe des relations sino-taiwanaises.

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Introduction

A l’approche des jeux olympiques de 2008 organisés par Beijing (Pékin), du projetd’adoption d’une nouvelle Constitution pour Taiwan1, et des élections présidentielles dansl’île et aux Etats-Unis la même année, la situation n’a jamais été aussi tendue dans le détroitde Taiwan. La Chine craint en effet que le président taiwanais Chen Shui-bian, membredu Parti démocrate progressiste (PDP), ne profite de la relative faiblesse chinoise due àl’organisation des jeux pour déclarer « l’indépendance » de Taiwan2 et menace d’ores etdéjà l’île de sacrifier les JO pour l’empêcher par la force de se séparer formellement duterritoire chinois3. La Chine, qui considère Taiwan comme l’une de ses provinces, voit eneffet l’adoption d’une nouvelle Constitution par Taiwan comme un acte de « séparatisme ».C’est pourquoi le Parlement chinois a voté une loi anti-sécession le 14 mars 2005 luipermettant de « faire usage de moyens non pacifiques » contre Taiwan si les autorités decette dernière décidaient de déclarer l’indépendance de l’île « par quelque moyen que cesoit »4. La menace chinoise est d’autant moins négligeable que Beijing s’est lancée depuisplusieurs années dans la modernisation de son armée, l’armée populaire de libération(APL), et l’accroissement de ses capacités militaires. Cet effort chinois de militarisationsuscite de nombreuses interrogations chez les grandes puissances mondiales sur lesintentions militaires réelles d’une Chine qui ne cesse de clamer sa volonté de s’imposercomme une « puissance pacifique »5.

L’effort de développement des forces armées chinoises n’est pas sans inquiéter nonseulement les autres acteurs régionaux, en particulier Taiwan et le Japon, mais aussiles Etats-Unis, qui redoutent l’avènement d’une puissance militaire chinoise capable deremettre en question leur domination militaire sur le Pacifique. C’est pourquoi Washingtonet Tokyo ont passé un accord bilatéral en 2005 renforçant l’alliance politique et militairenippo-américaine de 1960. Conformément à l’engagement des Etats-Unis, depuis l’arrivéede George W. Bush au pouvoir en 2000, à accroître et moderniser les forces militairestaiwanaises pour leur permettre de résister à une éventuelle attaque chinoise en attendantl’arrivée des renforts américains, le Département américain de la défense aurait par ailleursannoncé récemment la vente supplémentaire de 400 missiles à Taiwan pour un montant de

1 Chen Shui-bian, qui avait lancé ce projet dès sa campagne électorale en 2003, l’a réitérée le 27 janvier 2007, d’après le site officieldu Taiwan Security Research fournissant des informations et analyses sur les relations entre Taipei, Beijing, et le reste du monde :<URL : http://taiwansecurity.org/TN/2007/TN-270107.htm > [consulté le 11.03.2007]. Par « Taiwan » nous entendons la Républiquede Chine (RdC), par opposition à la République populaire de Chine (RPC), que nous appelleront « Chine ». Le territoire actuel couvertpar la juridiction de la RdC comprend l’île de Taiwan, les îles Pescadores, et les îles Jinmen et Mazu.2 La Chine affirme en effet que Taiwan ferait partie de la Chine et ne serait par conséquent pas un Etat indépendant, mais une provincechinoise. Or nous démontrerons au cours de cette introduction que Taiwan est bel et bien déjà indépendante en fait comme en droit.3 BUSH (Richard C.), Untying the Knot. Making Peace in the Taiwan Strait, Brookings Institution Press: Washington D.C., 2005, p. 132.4 Cf. article 08 du texte de la loi anti-sécession disponible sur le site officiel de l’ambassade de Chine en France : <URL : http://www.amb-chine.fr/fra/jrzg/zzsh/t187623.htm > [consulté le 11.03.2007].5 CABESTAN (Jean-Pierre) et VERMANDER (Benoît), La Chine en quête de ses frontières. La confrontation Chine-Taiwan, Mayenne,Presses de Sciences Po, 2005, p. 56.

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Introduction

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plus de 421 millions de dollars, provoquant la colère de la Chine6. Le Japon, dont le budgetannuel consacré à la défense s’élève à 40 milliards de dollars, aurait, quant à lui, assoupliles limites qu’il s’était fixées pour la militarisation de l’espace en raison de l’inquiétudegrandissante face au développement d’un programme militaire spatial chinois7. Ainsi, unesorte de course aux armements se met progressivement à l’œuvre en Extrême-Orient quiest désormais « le deuxième marché mondial de l’armement, après le Proche-Orient, avecun volume d’achat supérieur à 150 milliards de dollars entre 1990 et 2002 »8 etdont chacundes acteurs rejette la responsabilité sur les autres.

L’intérêt des trois capitales Beijing, Washington et Tokyo pour Taiwan s’explique par laposition stratégique qu’occupe cette île9. Taiwan se situe en effet au carrefour de l’Asie duSud-est et de l’Asie du Nord-est, où passent tous les flux commerciaux internationaux endirection de la Chine du Nord, de la Corée du Sud et du Japon. Les trois quarts du pétroledont a besoin le Japon transitent par exemple par la mer de Chine du Sud10. Le maintien dustatu quo dans le détroit de Taiwan est donc dans l’intérêt du Japon car une Chine réunifiéemenacerait les lignes de communication et d’approvisionnement japonaises. D’autre part,Taiwan bloque l’accès de la marine chinoise au Pacifique qui se heurte au Japon au Nord,et à l’Indonésie au Sud. Le statu quo permet ainsi aux Etats-Unis et au Japon de confinerla puissance militaire chinoise sur son territoire, ou en tout cas de rendre son accès auPacifique très difficile11. Il s’agit de contrer les éventuelles ambitions hégémoniques de laRépublique populaire de Chine sur la région pour conserver le leadership régional. LesEtats-Unis veulent rester la puissance militaire dominante dans le Pacifique, seule garantede la sécurité et de la stabilité dans la région.

On le voit, le conflit sino-taiwanais se situe au cœur d’un jeu géopolitique plus large dontchacun des acteurs cherche à défendre ses intérêts stratégiques. En rééquilibrant les forcesen présence, la montée en puissance de la Chine a enclenché une course aux armementsgénératrice de tensions dans la région, qui accentue les risques de dérapage.

Or, l’histoire des relations sino-taiwanaises nous enseigne que le détroit de Taiwan atoujours été un point de cristallisation de multiples tensions impliquant plusieurs acteurs,sans que les deux rives n’aient laissé pour autant la situation dégénérer en conflit armé.Pendant plus de 50 ans, la Chine et Taiwan ont en effet réussi à s’adapter aux changementsmajeurs qui les ont affectés depuis les années 1990 tels que la démocratisation de Taiwan,l’ouverture au capitalisme de la Chine et son développement économique, ou encorel’insertion des économies taiwanaises et chinoises dans la mondialisation. Avant d’aborderplus en détail l’histoire des relations sino-taiwanaises, il n’est pas inutile de rappeler

6 « Déclaration de Monsieur Qin Gang, porte-parole du Ministère des Affaires étrangères sur la vente supplémentaire d'armespar les Etats-Unis à Taiwan », disponible sur le site du ministère des affaires étrangères de la République populaire de Chine le 02mars 2007 : <URL : http://www.fmprc.gov.cn/fra/xwfw/fyrth/fyrth/t302875.htm > [consulté le 12.03.2007].

7 TANDON (Shaun), « La Chine, avec son arme anti-satellite, inquiète les grandes puissances », 21 janvier 2007. Articledisponible sur Actualités MSN : <URL : http://news.fr.msn.com/Article.aspx?cp-documentid=2554182 > [consulté le 08.03.2007].

8 GUYONNET (Emilie), « Face à la Chine, un nouvel accord stratégique entre Tokyo et Washington », Le Monde diplomatique,avril 2006, p. 24.

9 Sur la position de Taiwan en Asie, voir la carte en annexe 1 « La Chine dans son contexte régional ».10 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 2211 Sur la position géostratégique de Taiwan, voir l’article de MONIER (Claude), « Taiwan et son armée », Défense nationale,

n°5, mai 1993, p. 178-179.

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brièvement l’origine des liens entre la Chine et Taiwan12. C’est seulement à partir desXIVème et XVème siècles que les Chinois ont commencé à s’installer à Taiwan. Il s’agissaitessentiellement de pirates, pêcheurs, et commerçants dont le nombre grossit au XVIIèmesiècle avec l’arrivée d’une nouvelle vague d’immigration en provenance de la Chine dusud-ouest. Il est intéressant de noter que Taiwan devint, à partir de la moitié du XVIIèmesiècle, un centre d’opposition au pouvoir central de la dynastie Qing jusqu’en 1683 où ellefut de nouveau soumise à l’autorité impériale. A partir de 1885, Taiwan fut élevée au rangde province chinoise pour réaffirmer la souveraineté de la Chine sur l’île dont certainesdes parties étaient occupées par les Japonais. Or la défaite de la Chine contre le Japonen Corée entraîna l’annexion de Taiwan et des îles Pescadores par le Japon, officialiséepar la signature du traité de Shimonoseki (ou Maguan en mandarin) en 1895. Ce n’estqu’à partir de 1942 que les deux protagonistes de la guerre civile chinoise (qui dura de1927 à 1949), Mao Zedong, le dirigeant du parti communiste chinois (PCC) et Chiang Kai-shek, chef du parti nationaliste Kuomintang (KMT) et du gouvernement de la Républiquede Chine proclamée en 1912, s’intéressèrent à Taiwan et souhaitèrent son rattachement auterritoire chinois. En échange de l’engagement de la République de Chine à lutter contreles Japonais, les alliés prévirent au cours de la Conférence du Caire en 1943 de restituerà la Chine, dès la fin de la guerre, les territoires chinois colonisés par le Japon. Le retourde Taiwan à la Chine, officialisé le 25 octobre 1945, fut initialement bien accueilli par lapopulation taiwanaise. Or cet enthousiasme s’évanouit face à l’incompétence des dirigeantsnationalistes envoyés sur l’île et leur volonté de « re-siniser » une population « nipponisée »par 50 ans de colonisation japonaise13. Les nationalistes furent perçus comme de nouveaux« colons » par la population taiwanaise et ce phénomène s’accentua en 1949 lorsque lestroupes de Chiang Kai-shek, mises en échec militaire par l’armée populaire de libérationdirigée par Mao, se réfugièrent à Taiwan14 et y établirent une dictature sous couvert d’étatd’urgence rendu nécessaire en vue de la reconquête du continent chinois15. Bien que Chiangne déplaçât officiellement le siège de la République de Chine à Taiwan que le 7 décembre

1949, Mao profita de la débâcle militaire nationaliste pour proclamer dès le 1er octobre dela même année la République populaire de Chine, qui fut reconnue dès le lendemain parl’URSS puis par les autres pays du bloc soviétique. En réaction, les Etats-Unis réaffirmèrentreconnaître la République de Chine comme le seul gouvernement légal de la Chine. Ainsicommença une lutte des deux gouvernements pour la reconquête du territoire perdu (Taiwanpour la RPC et la Chine continentale pour la RdC) et la reconnaissance internationale deleur légalité en tant qu’unique représentant légal de la Chine.

On peut distinguer deux phases majeures de l’évolution des relations entre la Chineet Taiwan, qu’il est indispensable de rappeler afin de mieux saisir les enjeux actuels etles positions des deux rives dans le détroit. Il s’agit des deux phases dégagées par Jean-

12 Pour ce rappel historique, nous nous appuyons sur l’ouvrage de CABESTAN (Jean-Pierre), Taiwan-Chine populaire :l’impossible réunification, ifri, Paris, 1995, p. 12-14, ainsi que sur l’ouvrage de BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. p. 14-18.

13 L’incident du 28 février 1947 est l’illustration parfaite de l’impopularité croissante des dirigeants nationalistes à Taiwan. Cetincident a commencé par une altercation entre un vendeur de cigarettes et des officiers des impôts a focalisé le mécontentementpopulaire et s’est transformée en rébellion : les élites locales et les officiels provinciaux ont voulu mettre en œuvre des réformes pourrendre les actes gouvernementaux plus acceptables aux yeux de la population taiwanaise, provoquant une sanglante répression parChiang Kai-Shek.

14 BUSH, Untying the Knot, op.cit., p. 144. A la fin de 1948, entre 900 000 et un million de Chinois se sont réfugiés à Taiwan.15 Voir infra.

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Introduction

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Pierre Cabestan16. La première phase s’étend de 1949 à la fin des années quatre-vingtet fut marquée par ce que nous appellerons un climat de « guerre civile froide » entre laRépublique de Chine (RdC) installée provisoirement à Taiwan et la République populaire deChine (RPC). La seconde phase, des années quatre-vingt-dix à nos jours, se distingueà la fois par la reprise des contacts entre les deux rives, et l’accroissement des tensionsdans le détroit en dépit de la fin de « l’esprit de reconquête » taiwanais.

La première phase des relations sino-taiwanaises marquée par un climat de guerrecivile froide peut-être divisée en deux temps. Le premier temps, de 1949 à la fin des années1960, consacre l’avantage de la RdC sur la RPC dans la mesure où elle est reconnue parle bloc de l’ouest et en particulier par les Etats-Unis comme le seul gouvernement légal dela Chine17. A contrario, le second temps qui couvre les années 1970 et 1990, se caractérisepar l’isolement progressif de la RdC de la scène internationale, au profit de la RPC. Nousparlons ici de « guerre civile froide » pour exprimer à la fois la persistance des deux rivesà vouloir reconquérir l’intégralité du territoire chinois et écraser le gouvernement adverse,et l’absence quasi totale de conflit armé dans le détroit, à l’exception de deux attaqueschinoises sur Quemoy (Jinmen) en août 1954, puis sur Quemoy et Matsu (Mazu) en août1958. Les deux rives maintinrent ainsi durant cette période un climat de guerre civile, maisdont la réalisation pratique fut gelée au même titre que la guerre froide par les circonstancesque nous allons évoquer à présent.

L’éclatement de la guerre de Corée en juin 1950 et la nécessité d’endiguer lecommunisme en Asie consacra le soutien des Etats-Unis à Taiwan et permit à la RdC desurvivre parallèlement à la RPC. L’administration Truman, qui, devant l’incompétence desnationalistes à gouverner et leur incapacité à vaincre les communistes, avait auparavantenvisagé de laisser la RPC reconquérir Taiwan afin d’encourager Beijing à resterindépendante de Moscou, imposa un arrêt des hostilités aux deux rives en préparant saseptième flotte à défendre Taiwan en cas d’attaque chinoise et en exigeant de Taipei qu’ellecessât ses attaques maritimes et aériennes contre le continent chinois. Le statu quo ainsicréé entre les deux rives fut entériné par la Conférence de San Francisco et la signaturedu traité de paix avec le Japon le 8 septembre 1951 dans lequel le Japon renonça à sesterritoires conquis depuis la fin du XIXème siècle. Ce traité ne précisait toutefois pas à quiles anciens territoires chinois (dont Taiwan et les îles Pescadores) devaient revenir, étantdonné l’existence concurrente de deux Etats chinois et le désaccord des pays présents àla Conférence sur la légalité de ces Etats. Par conséquent, Beijing et les pays socialistesrefusèrent de le signer, et c’est avec la RdC que Tokyo signa un traité de paix le 28 avril195218. Dès lors, Taipei s’efforcera de conforter ses soutiens sur la scène internationale etput conserver son siège aux Nations Unies (ONU), d’autant que la Chine fut condamnéepar l’ONU pour son engagement en Corée. Le 2 décembre 1954 fut conclu un traité dedéfense mutuelle (« mutual defense treaty ») consacrant l’alliance entre Taiwan et les USA,au détriment de la Chine. Mais s’agissant d’un traité défensif, les Etats-Unis refusèrent desoutenir Chiang s’il tentait de reconquérir la Chine continentale. Ainsi, « ce texte consacr[a]la volonté constante des Etats-Unis depuis juin 1950 de préserver le statu quo dans le détroit

16 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op., cit., p. 23.17 A l’exception notamment de la Grande-Bretagne qui reconnaît la RPC dès le 6 octobre 1949 afin de pouvoir négocier le

maintien de sa concession sur Hong Kong.18 Ce traité ne fait également qu’exprimer le renoncement du Japon sur le territoire de Taiwan et des Pescadores sans préciser

leur destination.

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de Formose »19. Le KMT utilisa l’état d’urgence pour interdire toute liberté d’expressionpolitique à Taiwan et justifier l’absence d’élections par le fait qu’en tant que gouvernementlégal de toute la Chine (d’après la Constitution de la RdC), les élections devaient se déroulerdans toutes les provinces chinoises, et non dans l’une d’entre elles uniquement. En dépitdu caractère autoritaire du régime politique taiwanais, les administrations et le Congrèsaméricain continuèrent de le soutenir en raison de l’importance stratégique de l’île pour lemaintien de la stabilité dans la région et l’endiguement du communisme20. Dans ce contextede guerre froide et face à l’arrivée, dans les années 1970, de nouveaux pays issus de ladécolonisation sur la scène internationale qui reconnurent la RPC, l’administration Kennedyconseilla à Chiang d’accepter la proposition italienne de 1966 d’entrée de la RPC à l’ONU àses côtés. Chiang, qui était alors encore persuadé de pouvoir reconquérir la Chine et pourqui la menace communiste chinoise justifiait le maintien de sa dictature sur l’île, refusa cetteproposition, et il fut trop tard pour faire marche arrière lorsque l’Albanie proposa en 1971de voter le remplacement à l’ONU de Taipei par Beijing21. La RPC prit ainsi la place de laRdC à l’ONU, marquant le début du deuxième temps de la guerre civile froide (allant desannées 1970 aux années 1990), à savoir le déclin de Taipei sur la scène internationale auprofit de Beijing.

Accélérant l’isolement de Taipei sur la scène internationale, Richard Nixon et HenryKissinger changèrent de politique vis-à-vis de la Chine car ils virent en elle un contrepoidspotentiel à l’URSS. Beijing fixa comme prix de sa coopération la rupture des relationsdiplomatiques entre les Etats-Unis et la RdC, la reconnaissance de l’affirmation selonlaquelle il n’existe qu’une seule Chine, dont Taiwan fait partie (et donc le rejet de l’idéeque le statut de Taiwan est indéterminé), l’absence de soutien américain au mouvementindépendantiste taiwanais, et la reconnaissance de la RPC comme le gouvernement légalde la Chine. Kissinger approuva en secret ces propositions à la fin de 1971 et il publia avecNixon le communiqué de Shanghai en 197222 allant dans le même sens et marquant lerapprochement de la RPC et des Etats-Unis. En 1978, l’administration Carter s’efforça decontinuer le rapprochement géopolitique avec la RPC et dut pour cela rompre les relationsdiplomatiques avec Taiwan, mettre fin au traité de défense mutuelle, retirer les troupes etmatériels militaires américains restant à Taiwan, et réaffirmer le fait « qu’il n’y a qu’uneseule Chine et que Taiwan fait partie de la Chine »23. Elle fit toutefois une déclarationunilatérale selon laquelle les Etats-Unis auraient un grand intérêt à ce que le conflit soit

19 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op., cit., p. 26.20 Ils ne cherchèrent pas non plus à promouvoir la démocratie à Taiwan de peur de l’accès au pouvoir d’un gouvernement

moins pro-américain.21 Il s’agit de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies n°2758 du 25 octobre 1971 (texte disponible sur le

site officiel de l’ONU : <URL : http://daccessdds.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NR0/329/28/IMG/NR032928.pdf?OpenElement > ).D’après les révélations de l’ancien diplomate Liu Yizheng, Chiang aurait fini par accepter la proposition américaine car il aurait prisconscience que « lutter contre la tendance mondiale favorable à la reconnaissance de la République populaire de Chine isoleraitcomplètement Taiwan, [et] il [..] finit [en outre] par renoncer à son idée fixe de reconquête ». Cf. « L’indépendance et/ou la guerre »,Entretien de Marie Holzman avec Ping Hu, Politique internationale, n°104, été 2004. Disponible sur Internet : <URL : http://www.politiqueinternationale.com/revue/article.php?id_revue=18&id=124&content=synopsis > [consulté le 03.03.2007].

22 Extrait du communiqué de Shanghai de 1972 : « La partie américaine déclare : les Etats-Unis réalisent que les Chinois desdeux côtés du détroit de Taiwan soutiennent tous qu’il n’y a qu’une seule Chine et que Taiwan fait partie de la Chine. Le gouvernementaméricain n’élève pas de contestation à propos de cette position ». Extrait disponible dans CABESTAN et VERMANDER, La Chineen quête de ses frontières, op., cit., p. 28.

23 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 28.

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résolu pacifiquement. Or, en réaction à l’annulation du traité de défense mutuelle, lessoutiens taiwanais et les députés anti-communistes au Congrès firent voter une loi en avril1979, le Taiwan Relations Act (TRA)24 pour corriger ce qu’ils virent comme une « erreur »de l’administration Carter. Le TRA organise depuis lors les relations non officielles desUSA avec Taiwan et maintient l’engagement des Etats-Unis à défendre l’île contre « toutetentative visant à déterminer l’avenir de Taiwan par des moyens autres que pacifiques,y compris le boycott ou l’embargo » car elles seraient considérées par les Etats-Unis« comme une menace à la paix et à la sécurité dans la région du Pacifique occidental etcomme un sujet de grave préoccupation ( of grave concern ) ». Le TRA prévoit en outrela vente d’armes défensives à Taiwan en dépit de l’abolition du traité de défense mutuelle.Etant conscient qu’« aux yeux des Etats-Unis, l’arrêt des menaces militaires contre Taiwanétait seul à même de justifier leur désengagement militaire de l’île »25, Deng Xiaoping,arrivé à la tête de la RPC en 1978, chercha à régler définitivement la question taiwanaiseet proposa dès le nouvel an 1979 une réunification pacifique26 par des négociations etl’ouverture de trois liaisons économiques directes entre les deux rives. Il s’engagea àprendre en compte les réalités taiwanaises et à respecter le statu quo. Si ces propositionsrencontrèrent le refus de Chiang Ching-kuo, qui succéda à son père Chiang Kai-shekdécédé en 1975, Deng n’abandonna pas son projet pour autant car il vit dans la défensed’une politique d’unification pacifique avec Taiwan le moyen de confirmer la normalisationdes relations sino-américaines au détriment des relations entre les USA et Taiwan, et d’éviterun revirement de la politique étrangère américaine suite à l’élection de Ronald Reagan.Deng Xiaoping fit donc une nouvelle offre à Taiwan en septembre 1981. Taiwan serait unerégion administrative spéciale avec une grande autonomie, elle conserverait son systèmeéconomique et social et pourrait maintenir ses liens non gouvernementaux avec les autrespays, ainsi que ses forces armées. Les dirigeants taiwanais pourraient de surcroît intégrerle gouvernement chinois. Le concept « un pays, deux systèmes » était né27. Parallèlementà son offre d’unification pacifique, Deng Xiaoping continua de s’opposer à la vente d’armesaméricaines à Taiwan car elle encouragerait, selon lui, Taiwan à refuser une résolutionpacifique du conflit, et rendrait par conséquent plus probable le recours à la force par laRPC. Devant la menace chinoise de rupture des relations diplomatiques avec les Etats-Unis, l’administration Reagan s’engagea le 17 août 1982 dans un communiqué à réduirela quantité d’armes vendues à Taiwan ainsi qu’à plafonner leur qualité. Ronald Reaganlia néanmoins cet engagement à la résolution pacifique du conflit sino-taiwanais et « aumaintien de l’équilibre des forces dans le détroit »28. En prévision de ce communiqué,Reagan avait par cependant donné « six garanties à Taiwan »29 (Six Assurances to Taiwan)le 14 juillet 1982 pour assurer les dirigeants taiwanais du maintien du soutien américain.

24 Texte du TRA disponible sur le site officiel du département d’Etat américain à l’adresse suivante <URL : http://usinfo.state.gov/eap/Archive_Index/Taiwan_Relations_Act.html > [consulté le 11 mars 2007].

25 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 28-29.26 Le terme de « libération » de Taiwan est alors abandonné par la RPC.27 Cette formule était déjà en gestation dans la proposition de Ye Jianying le 30 septembre 1981 devant faire de Taiwan une

« région administrative spéciale ».28 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op., cit., p. 30.29 Il s’agit de 1) ne pas instaurer de date limite aux ventes d’armes ; 2)ne pas consulter préalablement Pékin à propos de

ces ventes ; 3) ne pas servir de médiateur dans les relations entre les deux rives ; 4)ne pas réviser le TRA ; 5) ne pas changer deposition sur la question de la souveraineté de Taiwan ; 6) ne pas obliger Taiwan à négocier avec Pékin. CABESTAN et VERMANDER,La Chine en quête de ses frontières, op., cit., p. 30.

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Outre cette évolution particulièrement défavorable à Taiwan, et en dépit de la demandede l’opposition taiwanaise et du Congrès américain de démocratisation du régime, le KMTaggrava son image auprès des Américains en continuant sa politique de répression desopposants qui culmina avec les assassinats politiques de 1981 et 1984. Néanmoins, lapression des hommes d’affaires taiwanais désireux d’échanger et d’investir sur le continentchinois pour profiter de coûts de production locaux inférieurs à ceux de Taiwan et pouratténuer les effets de l’appréciation du dollar taiwanais (sous la pression américaine) en1987, accéléra la prise de conscience par Chiang Ching-kuo de la mise en danger de sonrégime, et l’encouragea à ouvrir le système politique taiwanais et réduire progressivementles limites au commerce avec la RPC. La création du Parti démocrate progressiste (PDP)fut ainsi tolérée en 1986, de même que l’établissement de relations commerciales indirectesavec la RPC en 1985. De plus, la loi martiale fut abrogée en 1987. L’ouverture du régimepolitique taiwanais permit au KMT de conserver le soutien du Congrès américain à unmoment où Beijing étala au grand jour son autoritarisme lors du massacre de la placeTian’An men en 1989. Cela provoqua une réflexion sur la rupture des liens diplomatiquesavec l’île, qui fut renforcée par l’effondrement de l’URSS en 1991 (infirmant la raison d’êtredu rapprochement sino-américain) et par l’acquisition chinoise d’équipements militairessoviétiques qui changèrent l’équilibre des forces dans le détroit de Taiwan.

Dans ce contexte, la succession de Lee Teng-hui à la présidence de la RdC à la mortde Chiang Ching-kuo en 1988, marqua le début de la deuxième phase des relations dansle détroit. Lee, premier Taiwanais de souche à diriger la RdC et le KMT, permit en effetl’accélération du processus de démocratisation de Taiwan, qui favorisa le développementdes échanges avec la RPC ainsi que la naissance d’une nouvelle approche taiwanaise desrelations dans le détroit. La fin des années 1980 signa donc la fin de l’ère de guerre civilefroide entre les deux rives grâce à la reprise des contacts dans le détroit, et avec elle, larenaissance paradoxale de tensions militaires et de risques de dérapage30. En effet, depuisque les deux rives ont décidé d’établir des relations entre elles et de négocier un projet deréunification, les désaccords sur la forme à donner à cette unification future ont engendréune multiplication des tensions et des risques d’éclatement de crises militaires dans ledétroit. En d’autres termes, la deuxième phase de l’histoire des relations sino-taiwanaisesallant de 1990 à nos jours est caractérisée par l’incapacité de Beijing et de Taipei à trouverun règlement politique à leur conflit. Nous retiendrons donc ici la définition de Richard Bushde cette période comme une phase « d’impasse politique et militaire »31.

Ouvrant officiellement la voie vers une nouvelle approche de ses relations avec la

RPC, Taiwan renonça à la reconquête du continent chinois le 1er mai 1991 et reconnutla RPC comme le gouvernement légal de la Chine continentale, espérant que la Chinepopulaire reconnaîtrait en retour les autorités taiwanaises comme le gouvernement légalde Taiwan. Comme l’indiquaient déjà les premières propositions chinoises de réunification,ce ne fut malheureusement pas le cas. Le PCC persista dans sa vision de Taiwan commeune province chinoise « rebelle » gouvernée par des autorités illégales, niant ainsi lasouveraineté de la RdC. Ainsi que le fait Richard Bush, on peut néanmoins distinguer cinqphases de négociation marquées par une alternance de tension et de détente dans ledétroit32. La première phase de négociation, qui commence au début des années 1990, futtrès prometteuse pour l’avenir des relations sino-taiwanaises car les deux rives adoptèrent

30 Via notamment les conflits de pêche et les conflits douaniers .31 BUSH,Untying the Knot, op. cit., p. 27 notamment.32 Ibid., p. 35-36.

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une attitude de négociation positive et ne se méfièrent pas des intentions adverses. Enfévrier 1991, le Conseil national à l’unification (CNU) créé par Lee reprit la vision dece dernier de l’unification, à savoir l’établissement d’« une Chine démocratique, libre,et jouissant d’une prospérité partagée »33. Le projet de réunification fut ainsi soumis àla coexistence pacifique des deux Chines, à l’accroissement progressif des échangeséconomiques et humains, via notamment l’établissement de trois liaisons directes (postes,télécommunications, transports), et surtout à la démocratisation de la RPC. Beijing rejetaévidemment les propositions de Lee et chercha à imposer la référence au principe deChine unique (qui consacre l’idée selon laquelle il n’existe qu’une seule Chine légale, àsavoir la RPC) dans tous les documents nécessaires à l’établissement pratique de contactséconomiques et sociaux entre la Chine et Taiwan, ce que Taipei ne pouvait accepter sansrenier sa souveraineté. Le refus de la RPC de reconnaître la souveraineté du gouvernementtaiwanais et donc de négocier officiellement avec lui entraîna la création en 1991 de deuxorganismes ad hoc, avec du côté taiwanais la fondation pour les échanges à travers le détroit(Strait Exchange Foundation ou SEF), et du côté chinois l’association chargée des relationsà travers les deux rives du détroit (Association for Relations Across the Taiwan Strait ouARATS). Pour sortir de l’impasse posée par le principe de « Chine unique », il fut décidéd’organiser une rencontre à Singapour entre Wang Daohan et Koo Chen-fu, les présidentsde l’ARATS et de la SEF. Taipei et Beijing exprimèrent alors chacune leur conception duprincipe de Chine unique et il en ressortit que la RPC et la RdC reconnaissaient le principede Chine unique, mais que chacune lui donnait une signification différente34. On parla alorsdu « Consensus de 1992 ou de Singapour » mais il s’agissait en fait d’un consensus surun désaccord. Si ce « consensus » entraîna l’impasse politique qui perdure jusqu’à l’heureactuelle, il fut cependant mis de côté pour permettre la poursuite des négociations sur lesproblèmes pratiques nés des interactions entre la Chine et Taiwan35. Wang et Koo purentainsi se rencontrer du 27 au 28 avril 1993 à Singapour et conclurent quatre accords : surles modalités de rencontre de la SEF et de l’ARATS ; sur la communication de documentsd’état civil ; sur la recherche et compensation du courrier perdu entre les deux rives ; et surl’agenda des prochaines rencontres pour régler d’autres problèmes pratiques et encouragerles échanges à travers le détroit de Taiwan. Ainsi, en écartant la question de la souverainetépour se concentrer uniquement sur la résolution de problèmes techniques, les accordsde Singapour créèrent une dynamique de coopération positive dans le détroit qui laissaentrevoir aux dirigeants taiwanais une normalisation future de leurs relations avec la RPC.

Or l’enthousiasme suscité par Singapour s’évanouit en août 1993 avec la publicationpar Beijing d’un livre blanc sur la question de Taiwan. Cette publication fut le point de départde la deuxième phase des négociations qui se caractérisa par la reprise de tensions entreBeijing et Taipei qui atteignirent leur sommet lors de la crise des missiles de 1995-1996.Dans le livre blanc, Jiang Zemin, devenu président de la RPC en 1993, reprit la formule« un pays, deux systèmes » explicitée par Deng Xiaoping en 1982. Il souligna d’autre part

33 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op., cit., p. 33.34 Pour Taiwan, la Chine unique renvoyait à la RdC proclamée en 1912, mais qui a ensuite été divisée en deux gouvernements

égaux suite à la guerre civile. Pour la RPC, la Chine unique renvoyait à la RPC, et le gouvernement de Taiwan équivalait à ungouvernement local, soumis au gouvernement central de la RPC.

35 Ainsi, l’ARATS déclara « Les deux rives du détroit maintiennent le principe d’une seule Chine et s’efforcent de travailler à laréunification du pays, mais au cours des entretiens courants entre les deux rives, il ne sera pas touché au sens politique « d’une seuleChine” ». La SEF déclara quant à elle « Pendant que les deux rives du détroit uniront leurs efforts pour travailler à la réunification dupays, bien que les deux parties maintiennent également le principe d’une seule Chine, chacune d’entre elles a sa propre interprétationde la signification « d’une seule Chine” ». CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op., cit., p. 34-35.

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le caractère interne du conflit taiwanais, condamnant l’aide militaire américaine à Taiwanet rendant inenvisageable non seulement l’autodétermination du peuple taiwanais sur sonavenir, mais aussi la double reconnaissance de la RdC et de la RPC par les pays souhaitantétablir des relations avec elles, et la double représentation de la Chine et de Taiwan dansles organisations internationales gouvernementales. Taiwan répondit à ce document enjuillet 1994 via le Conseil aux affaires continentales (CAC) créé en 1991, en décrivant lesrelations dans le détroit comme celles entre deux Etats appartenant à la même nation36

et en soumettant le projet d’unification à la coexistence pacifique de la RPC et de la RdCet à l’approbation de la population taiwanaise (Taiwan étant désormais une démocratie).S’ensuivit alors une crispation des relations dans le détroit, où chaque rive campa sur sespositions. Jiang Zemin prononça ainsi un « discours en huit points » le 30 janvier 199537,

auquel Lee Teng-hui répondit le 1er avril 1995 dans un « discours en six points » ne faisantpas avancer le débat. D’autre part, outre l’inflexibilité de Jiang Zemin sur la forme à donnerà la réunification, la progression de l’opposition aux élections législatives de décembre 1992incita Lee à reprendre certaines revendications du PDP à son compte, telle l’entrée deTaiwan à l’ONU, d’autant qu’il pensait depuis longtemps qu’accroître le rôle de la RdC surla scène internationale permettrait de relancer les relations dans le détroit38. Pour détournerl’impasse diplomatique dans laquelle la Chine s’évertuait à enfermer Taiwan, Lee décidaégalement d’entreprendre des voyages à l’étranger afin d’y rencontrer ses homologueset de les sensibiliser à l’existence de Taiwan. C’est pourquoi il se rendit en février 1994aux Philippines, en Indonésie et en Thaïlande alors que ces trois pays entretenaient desrelations diplomatiques avec la RPC. Mais ce qui détériora considérablement les relationsdans le détroit et suspendit les négociations pendant trois ans fut la visite de Lee Teng-huiaux Etats-Unis visant à rehausser le rôle de Taiwan sur la scène internationale et séduirele public taiwanais pour les premières élections présidentielles taiwanaises au suffrageuniversel direct en 1996. Non seulement la visite de Lee aux Etats-Unis fut considéréeen elle-même comme un acte de séparatisme par la Chine car elle visait à affirmer lestatut de Taiwan sur la scène internationale et y obtenir des soutiens pour résister à laseule forme d’unification envisageable (et envisagée) par la RPC, mais le discours deLee prononcé à l’université Cornell insistant sur la souveraineté juridique et populairede la RdC confirma la perception chinoise de Lee comme un « sécessionniste », bienqu’il n’ait pas revendiqué l’indépendance de Taiwan et ait souhaité l’unification avec uneChine démocratique. Cherchant à influer sur les élections taiwanaises, Beijing organisa unemanœuvre d’intimidation militaire de Taiwan par le lancement de missiles vers Taiwan enjuillet 1995 et la mise en œuvre de grandes opérations amphibies à moins de 25 km deTaiwan. La rencontre entre Wang et Koo de juillet 1995 fut annulée, et les discussions avecles Etats-Unis sur la question des droits de l’homme et les questions militaires suspenduespar la Chine. Les Etats-Unis furent par ailleurs contraints d’envoyer deux porte-avions dansle détroit pour calmer Beijing, et durent attendre 1998 pour rétablir de bonnes relationsdiplomatiques avec elle en rappelant (cette fois de manière officielle) les « trois non »

36 Selon les termes de Jean-Pierre Cabestan, dans CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op.,cit., p. 38.

37 Les huit points de Jiang comportaient certes quelques concessions rhétoriques telles que le fait que les négociationspourraient être menées sur un pied d’égalité, mais restaient intraitables sur la reconnaissance du principe de Chine unique commecondition préalable aux négociations.

38 BUSH,Untying the Knot, op. cit., p. 46.

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exprimés par Kissinger en 197139. Cette crise n’empêcha pourtant pas la réélection deLee à la présidence de la RdC et le lancement de réformes nécessaires à la poursuite dela démocratisation de Taiwan, en particulier par des amendements constitutionnels. Leeencouragea de surcroît la « taiwanisation » de l’île, c’est-à-dire le développement de laculture taiwanaise, afin de créer un sentiment fort d’appartenance à Taiwan pour contrer lesfaiblesses de la démocratie naissante et la dépendance économique croissante de l’île avecla Chine, afin d’éviter que les Taiwanais ne conclussent d’accord irréfléchi avec le continent.Lee chercha néanmoins à renouer le contact avec la RPC lors de la Conférence nationalepour le développement du 23 au 28 décembre 1996. Il donna ainsi la priorité à la poursuitedes rencontres Koo-Wang pour l’accroissement des échanges économiques à travers ledétroit, mais resta ferme sur le caractère souverain de la RdC, son droit à la représentationsur la scène internationale et le droit de regard des Taiwanais sur toute solution proposée.Les tensions entre les deux rives atteignirent donc un paroxysme lors de la crise des missilesde 1995 qui figea les relations dans le détroit, et il fallut attendre l’année 1998 pour que lesdeux rives fissent à nouveau preuve de dispositions positives à la négociation.

La troisième phase des négociations s’amorça au début de l’année 1998 avec lapréparation du prochain cycle de négociation par la SEF et l’ARATS, dans un contexted’accroissement des échanges économiques entre les deux rives et de recherche destabilisation des relations avec les Etats-Unis. Il s’ensuivit une rencontre entre Koo et Wangà Pékin et Shanghai en septembre et octobre 1998 où la Chine et Taiwan exprimèrentoralement leur bonne volonté. La RPC insista moins sur le concept de Chine unique, et laRDC se déclara prête à discuter sur les problèmes politiques. Une troisième rencontre futdonc prévue pour 1999 à Taiwan. Or, ces efforts furent réduits à néant lors de l’interviewaccordée par Lee le 9 juillet 1999 au journal allemand « Deutsche Welle » où il décrivitles relations dans le détroit comme des relations de nation à nation (guojia yu guojia)ou de liens spéciaux d’Etat à Etat (teshu de guoyuguo de guanxi), et non comme desliens entre une autorité centrale et une autorité locale à l’intérieur d’« une Chine »40. Sansrenoncer pour autant à une unification politique future avec la RPC si cette dernière sedémocratisait et acceptait la réalité taiwanaise, Lee souligna d’autre part que Taiwan étaitde facto un Etat indépendant et souverain – car successeur légal de la dynastie Qing en1912 � dont la juridiction, pour des raisons pratiques officialisées dans les amendementsà la constitution de la RdC, ne couvrait que les îles de Taiwan, Penghu, Jinmen et Matzu.Plusieurs hypothèses ont été émises sur les raisons ayant poussé Lee à faire une telledéclaration. Certains ont parlé de volonté d’influencer les élections présidentielles de mars2000, d’autres y ont vu une allusion à l’exemple allemand « une nation, deux Etats » de1972 à 1991 comme modèle pour les relations sino-taiwanaises. Sans pour autant écarterces hypothèses, et étant donné le contexte d’isolation grandissante de Taiwan sur la scèneinternationale par la diplomatie chinoise, nous retiendrons plus particulièrement l’explicationdonnée en 2003 par Lee en personne, selon qui il s’agissait à l’époque de bien spécifiersa conception du statut de l’île et des relations dans le détroit avant de s’engager dansdes négociations politiques avec la RPC41. Quoi qu’il en soit, la réaction de Beijing nese fit pas attendre. Elle lança une campagne de propagande contre le « séparatisme »

39 « Nous ne soutenons pas l’indépendance de Taiwan ou « deux Chine » ou encore « une Chine, une Taiwan » et nous necroyons pas que Taiwan doive être membre d’une organisation internationale pour laquelle la qualité d’Etat est requise ». CABESTANet VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 41.

40 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 55, d’après « VOG Interiews Li Teng-hui »,Zhonyang Ribao (Central daily News, magazine du KMT), 10 juillet 1999.

41 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 56, d’après une Interview de Richard Bush avec Lee Teng-hui le 31 juillet 2003.

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de Lee et entreprit de nouvelles manœuvres militaires d’intimidation dans le détroit (quicontraignirent une fois de plus les Etats-Unis à envoyer leur septième flotte au large descôtes chinoises) et publia un nouveau Livre blanc sur la question taiwanaise en février 2000envisageant le recours à la force si Taiwan reportait les négociations sine die. Il s’agissaitpour Beijing de condamner l’attitude « sécessionniste » de Lee et de le rendre responsablede l’impasse politique et du risque d’éclatement d’un conflit armé (si l’île persistait à refuserles négociations en rejetant le principe de « Chine unique ») aux yeux des Chinois, de lapopulation taiwanaise et de la communauté internationale. Beijing espérait ainsi pouvoirinfluencer le vote des électeurs taiwanais pour les élections présidentielles de mars 2000vers un candidat plus favorable à la RPC. Or la tentative d’intimidation chinoise produisitl’inverse du résultat espéré, à savoir l’élection du candidat indépendantiste Chen Shui-bianà la présidence de la République de Chine. Ainsi, en dépit d’une ouverture prometteuse,la troisième phase de négociations déboucha sur une nouvelle montée de la tension dansle détroit et de la méfiance de Beijing à l’encontre des dirigeants taiwanais, consacrant« l’impasse politique ».

La quatrième phase des négociations entre les deux rives s’engagea avec l’électionde Chen Shui-bian, premier candidat du Parti démocrate progressiste (PDP), parti réputépour son opposition au KMT et sa volonté d’indépendance de Taiwan, à accéder à laprésidence de la RdC. Chen put remporter les suffrages grâce à la division du camp adverse� autrement appelé le camp bleu par opposition au camp vert formé du PDP et du partipour l’indépendance de Taiwan fondé par les extrémistes dissidents du PDP en 1996 �entre le KMT représenté par Lien Chan, et le Parti proche du peuple (PPP) fondé parJames Soong. Adoptant une attitude pragmatique dans le but de rassurer la RPC surses intentions, Chen Shui-bian s’engagea dans son discours inaugural du 20 mai 2000à ne pas faire un certain nombre de choses que Pékin n’accepterait pas (constituant cequi fut appelé « les 5 non »), à savoir la déclaration d’indépendance, le changement denom du pays, l’introduction de la théorie des deux Etats dans la Constitution, l’organisationd’un référendum d’autodétermination de l’avenir de Taiwan, ou encore l’abolition du CNU.Cependant, conformément à l’approche de Lee Teng-hui des relations dans le détroit, Chenposa comme condition à ses engagements le renoncement à la force par Beijing et larecherche d’une solution créative pour la « Chine unique », rappelant ainsi implicitementla souveraineté de la RdC. Or Beijing interpréta ce discours comme vague, ambigu etnon-sincère, et mit fin au dialogue avec le gouvernement taiwanais devant son refusde reconnaître « l’existence d’une seule Chine dont Taiwan fait partie », et le caractèreindivisible de la souveraineté et de l’intégrité territoriale chinoise. Persuadée que Chen neserait pas réélu en 2004, la RPC préféra travailler avec les partis d’opposition et les hommesd’affaire pour affaiblir la position du gouvernement taiwanais. Elle poussa ainsi par exempleles milieux d’affaires taiwanais à critiquer l’absence de liaisons directes entre les deux riveset la politique de « non-précipitation et de patience » ralentissant les investissements enChine (mise en place par Lee Teng-hui pour limiter la dépendance de Taiwan vis-à-vis del’économie chinoise). Chen continua pourtant à faire preuve de flexibilité et de créativité enparticulier lors d’un discours 2001 pour le nouvel an où il proposa un processus d’unificationdu type de celui de l’Union européenne (conservant par conséquent la souveraineté dechacun), ce qui fut considéré par les membres les plus extrémistes du PDP comme unetrahison envers l’idéal d’indépendance censé être incarné par le parti. Or à partir de juin2002, lorsque la RPC établit des relations diplomatiques avec le pays Nauru, qui rompiten conséquence ses relations officielles avec Taiwan, Chen changea d’attitude envers laChine. Face à l’attitude inflexible de la RPC et en vue des élections de 2004, il décidaen effet de se concentrer sur les électeurs de base du PDP et fit des propositions plus

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radicales telles que l’organisation de référendums sur le nucléaire, la taille de la législature,et l’adhésion de Taiwan à l’OMS (suite à l’épidémie de SRAS venue de Chine en 2003),ou encore la modification de la Constitution de la RdC. Ce dernier point a déclenché devives inquiétudes à Beijing sur l’éventualité d’une proclamation formelle de l’indépendancede Taiwan, donnant naissance à un nouveau pic de tension qui culmina avec la réélectionde Chen en mars 2004 puis le passage de la loi anti-sécession en mars 2005. Le succèsélectoral de Chen s’explique non seulement par son habileté politique, mais aussi par sapromotion d’une identité taiwanaise spécifique, par la nécessité de se libérer de la RPC parla diplomatie, et de réformer la Constitution pour permettre un meilleur fonctionnement desinstitutions politiques taiwanaises.

Enfin, la cinquième phase de négociation a commencé avec le second discoursinaugural de Chen en 2004 dans lequel il fit à nouveau preuve de modération pour détendreles relations dans le détroit. Il reprit ainsi les « 5 non » de son discours inaugural de mai2000, et fit quelques propositions pour améliorer les relations dans le détroit telles quel’établissement d’un comité chargé de rédiger des lignes de conduites pour promouvoirla paix et le développement dans le détroit. Il indiqua en outre que les questions desouveraineté, d’unification ou d’indépendance et de frontières resteraient inchangées dansla Constitution en raison de l’absence de consensus à ce sujet. La modération de sondiscours mit ainsi la RPC dans une position délicate en la faisant apparaître comme la seulesusceptible de changer unilatéralement le statu quo par une attaque armée contre l’île dontelle n’a cessé de brandir la menace depuis les propositions de réforme constitutionnelle deChen en 2003. Or l’alternance des périodes de modération et de radicalisation dans l’attitudede Chen renforça Beijing dans sa perception de ce dernier comme un « séparatiste »,empêchant l’établissement d’un climat de confiance entre les deux rives. La situation esttoujours la même à l’heure actuelle où, comme nous l’avons vu, la persistance de Chen àvouloir une nouvelle Constitution pour Taiwan renforce la méfiance de la RPC à son égardet accroît les tensions.

L’histoire des relations sino-taiwanaises nous permet de dégager deux pointsessentiels à la compréhension de la situation actuelle.

Le premier point est que « l’impasse politique » dans laquelle se trouvent Beijing etTaipei s’explique par leur incapacité à s’accorder sur le statut de Taiwan et est renforcéepar un fort sentiment d’insécurité de chaque côté du détroit. Nous avons vu en effet quela RPC, qui se considère comme le seul gouvernement légal de la Chine, persiste à nierla souveraineté de Taiwan en considérant l’île comme une partie intégrante du territoirechinois soumise à un gouvernement « rebelle » depuis la proclamation de la Républiquepopulaire de Chine en 1949. Elle s’appuie pour cela sur le fait que le gouvernement de laRdC a longtemps revendiqué la Chine continentale comme partie de son territoire et n’a, enconséquence, pas proclamé formellement l’indépendance de l’île en 1949, et le fait que laplupart des pays dans le monde reconnaissent la RPC comme le seul gouvernement légalde la Chine. C’est pourquoi elle propose aux autorités taiwanaises une forme de réunificationdans laquelle ces dernières n’auraient que le statut d’un gouvernement local soumis augouvernement central de la RPC (à savoir le PCC). Elle leur fait toutefois des concessions àtravers la formule « un pays, deux systèmes » qui offre à l’île un « haut degré d’autonomie »et lui accorde le statut de « région administrative spéciale » pouvant conserver son systèmeéconomique et social, son gouvernement et ses forces armées (à condition que celles-ci nereprésentent pas de danger pour la RPC). Taiwan, quant à elle, revendique le statut d’Etatsouverain et indépendant puisque la RPC n’a jamais étendu sa juridiction sur le territoire dela RdC. Elle refuse par conséquent la formule « un pays, deux systèmes » et sa préférence

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pour une unification de type confédérale dans laquelle le gouvernement taiwanais traiteraitd’égal à égal avec le gouvernement chinois, quitte à abandonner ensuite progressivementcertains éléments de leur souveraineté au profit d’institutions supérieures, comme c’est lecas dans l’Union européenne.

Pour comprendre les fondements juridiques de cette querelle et définir le statut deTaiwan au regard du droit et des faits, nous reprendrons ici la démonstration de StéphaneCorcuff, qui est selon nous la plus complète et la plus rigoureuse42. D’après lui, cette querelles’explique par le fait que le Japon a renoncé à sa souveraineté sur ses territoires chinoisconquis depuis la fin du XIXème siècle sans désigner à quel pays il les cédait, en raisonde l’existence à l’époque de deux gouvernements chinois concurrents. Or le gouvernementde la RdC s’est installé dans les faits à Taiwan et a exercé sa juridiction sur cette île ainsique les Pescadores, Jinmen et Matzu. D’après l’article 1 de la Conférence de Montevideode 1933 sur les droits et devoirs de l’Etat, l’Etat est défini comme « une personne dedroit international possédant les qualités suivantes : a) une population permanente ; b)un territoire défini ; c) un gouvernement ; d) la capacité à entrer en relation avec d’autresEtats »43. L’application de cette définition juridique à Taiwan permet de constater que laRdC possède de facto un gouvernement qui exerce sa juridiction sur une population etun territoire définis et qui entre en relation avec d’autres pays44. Par conséquent, Taiwanest de jure un Etat souverain. Néanmoins, la Constitution de la RdC élaborée en 1947ne précise pas les frontières de la Chine, si ce n’est en rappelant que son territoire « estcelui de ses frontières existantes ». Et le gouvernement nationaliste de la RdC a en outrerevendiqué de 1949 à 1991 la possession de la Chine continentale contrôlée par la RPC,Taiwan et ses îles, et la Mongolie (à laquelle la Constitution fait référence). Il existerait doncun décalage entre la « souveraineté constitutionnelle » de la RdC et sa « souverainetélégale ou juridictionnelle » (en référence au territoire soumis à la juridiction de la RdC). Lesamendements constitutionnels rajoutés par Lee Teng-hui en 1991 à la Constitution de laRdC entérinent ce décalage en indiquant de jure , mais sans modifier le texte original, leszones sur lesquelles l’autorité de la RdC s’exerce de facto depuis 1949, à savoir Taiwan, lesîles Pescadores, Jinmen et Matzu (appelée « la zone libre de la RdC »). Par conséquent,selon Stéphane Corcuff :

Or la RPC s’oppose à l’adoption d’une nouvelle Constitution pour Taiwan car celasupprimerait le lien symbolique rattachant Taiwan au territoire chinois, car qui dit nouvelleConstitution, dit nouvelle définition des frontières.

L’incapacité de la Chine et de Taiwan à s’accorder sur la façon dont Taiwan devraitfaire partie de la Chine est aggravée par le climat de méfiance mutuelle qui règne dansle détroit. En raison de l’attitude inflexible de Beijing sur la reconnaissance du principede « Chine unique » comme pré-requis à toute négociation entre les deux rives, Taipeiredoute de se retrouver les mains liées lors des négociations si elle reconnaît ce principesans que les deux capitales ne s’accordent préalablement sur sa définition. En effet,

42 Cf. les trois articles de Stéphane Corcuff parus dans le Monde Chinois : « Taiwan existe-t-elle? De la souveraineté du régimeformosan (I) », Monde Chinois, n°3, Hiver 2004-2005, p. 57-64 ; « Taiwan existe-t-elle? (II) Des frontières étatiques de la démocratieinsulaire », Monde Chinois, n°4, printemps 2005, p.9-21 ; et « Taiwan existe-t-elle? (III) Du débat constitutionnel : nom du régime etterritoire national », Monde Chinois, n°5, été-automne 2005, p. 7-17.

43 Texte disponible sur le site Internet de l’université de Yale <URL : http://www.yale.edu/lawweb/avalon/intdip/interam/intam03.htm > [consulté le 11 mars 2007].

44 Via notamment le commerce, les échanges universitaires, postaux, sans parler des relations diplomatiques officielles avecune vingtaine de pays.

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Introduction

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comme nous l’avons vu précédemment, bien que la RPC parle de « consensus de 1992 »pour évoquer la reconnaissance de la « Chine unique » par les deux rives, il n’existepas de consensus à ce sujet. Les deux rives ont certes reconnu appartenir à une seuleChine, mais Beijing considère que cette « Chine unique » correspond à la RPC, tandisque Taipei estime qu’elle se réfère à la RdC de 1912 mais que cette dernière a ensuiteété divisée entre deux gouvernements à partir de 1949. Or le refus de Taipei à accepterl’interprétation de Beijing est considéré comme un rejet de l’unification elle-même45. Parconséquent, la RPC voit les dirigeants taiwanais comme des « séparatistes » et ne peutleur faire confiance de peur qu’ils n’exploitent la bonne volonté de la Chine pour « déclarerl’indépendance » de Taiwan. Cette crainte explique l’intransigeance de la Chine sur lareconnaissance du principe de Chine unique comme marque de garantie de la part desautorités taiwanaises qu’elles ne se sépareront pas formellement de la RPC. C’est aussicette crainte qui est à l’origine de la sempiternelle menace de recourir à la force si legouvernement taiwanais rend la réunification impossible par ses initiatives politiques. Or lamenace militaire chinoise accentue le sentiment d’insécurité de Taiwan et sa méfiance vis-à-vis des intentions chinoises. Richard Bush définit cette situation comme un « dilemmesécuritaire » où « the two sides are locked in a security dilemma in which each fears thatthe other threatens its fundamental interest and so acts to counter the threat. Moreover,each fears that if it takes the initiative to break the stalemate by offering concessions, theother will exploit its goodwill, leaving it more vulnerable »46. D’autre part, l’auteur précise lecaractère « asymétrique » de ce dilemme dans lequel Taiwan redoute la menace militairechinoise tandis que la Chine redoute les initiatives politiques des dirigeants Taiwanais. Parconséquent, ce « dilemme sécuritaire » renforce non seulement « l’impasse politique » maisaccentue également les risques de dérapages et de perte de patience de chaque côté dudétroit.

Le second point que l’on peut tirer de l’histoire des relations entre les deux rivesest que ces dernières ont constamment été marquées par l’alternance de périodes detensions et d’accalmies, mais que cette alternance s’est accélérée à partir de la décennie1990 corrélativement à la multiplication des échanges dans le détroit. Ce phénomèneest le fruit de la transformation profonde de la société taiwanaise sous l’impulsion de ladémocratisation de Taiwan, de l’abandon de la volonté de reconquête du continent chinois,et de la « taiwanisation » dans un contexte d’interdépendance accrue des économies.L’affirmation progressive d’une société taiwanaise spécifique a accentué le fossé politique etsocial entre une Chine autoritaire et une Taiwan démocratique, et a exclu ainsi la conclusiond’un accord de réunification ne reflétant que l’approche politique de la RPC.

Paradoxalement à cette montée des tensions qui a résulté de la différence d’orientationpolitique et sociale de la Chine et de Taiwan, jamais les échanges à travers le détroit n’ontété aussi nombreux et bénéfiques. Les hommes d’affaires taiwanais profitent des coûts deproduction plus faibles de la Chine continentale et de son immense marché, et la RPCprofite des investissements taiwanais pour créer des emplois et dynamiser son économie.En 2004, la Chine reçut par exemple 25,8% des investissements directs à l’étranger (IDE)taiwanais, devenant ainsi le principal partenaire commercial de Taiwan, devant les Etats-

45 BUSH,Untying the Knot, op., cit., p. 79-80.46 BUSH, Untying the Knot, op., cit., p. 6-7. « Chaque rive redoute que l’autre ne menace ses intérêts fondamentaux et agit de

manière à contrer cette menace. De plus, chacune craint de voir sa bonne volonté exploitée si elle fait des concessions pour briserl’impasse, la laissant plus vulnérable encore. » (Traduit par nos soins).

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Unis47. Par ailleurs, de nombreux échanges universitaires ont été mis en place de mêmeque des rencontres sportives et culturelles ou encore des pèlerinages entre les lieux sacrésdes deux rives. De plus en plus de Taiwanais vont visiter la Chine ou s’y installent pourdes raisons économiques et le nombre de mariages sino-taiwanais augmente. L’intérêt deBeijing et de Taipei à échanger et coopérer est évident et explique en partie (et en partieseulement) la non-dégénération des tensions en conflit armé et les efforts de modérationpour faire retomber la tension. Les coûts d’une guerre dans le détroit seraient trop élevéspour les deux capitales en termes humains, économiques et politiques.

Devant le paradoxe des relations sino-taiwanaises (à savoir l’incapacité de la Chineet de Taiwan à sortir de leur « impasse politique » alors qu’elles ont tout à y gagner)et en raison de la course aux armements à laquelle on assiste en Extrême-Orient, noustenterons d’évaluer si la situation actuelle dans le détroit de Taiwan est réellement explosiveou s’il s’agit d’une pointe de tension parmi d’autres dans un processus d’ajustement mutuelà la nouvelle donne géopolitique. En d’autres termes, la question ici est de savoir sil’augmentation des tensions dans le détroit depuis une dizaine d’années est le symptômed’une accélération de la crise vers un conflit armé, ou si elle traduit simplement les effortsdéployés par la RPC et la RdC pour s’adapter aux nouvelles conditions géopolitiques dela région. Beijing et Taipei essaient en effet de défendre leurs intérêts fondamentaux nonseulement dans leur relation l’une à l’autre, mais aussi dans un contexte plus général deconcurrence accrue des grandes puissances (Chine, Etats-Unis et Japon) pour le leadershiprégional.

Leur attitude mutuelle évolue ainsi en fonction de la combinaison de facteurssusceptibles d’accélérer la crise et de facteurs de stabilisation potentielle de la situation(voire d’amélioration). Ces facteurs sont à la fois militaires, économiques, politiques,stratégiques, géographiques, énergétiques, psychologiques, etc. Mais plus importanteencore que la combinaison objective de ces facteurs, est la perception de ces facteurs et desintentions adverses ainsi que l’évaluation de leur importance relative par les deux capitaleslors de leur prise (ou non-prise) d’initiatives politiques. Nous avons vu par exemple que c’estla mauvaise perception des intentions de Lee Teng-hui puis de Chen Shui-bian par la RPCqui a bloqué la reprise du dialogue dans le détroit. Beijing a en effet refusé de négocier avecLee et Chen à partir du moment où ils ont cherché à affirmer la souveraineté de Taiwan, carelle l’interpréta comme une preuve de leurs intentions « séparatistes »48. Il ne s’agit doncpas de faire de la prospective, mais uniquement d’essayer de définir la dynamique à l’œuvreactuellement dans le détroit, pour éventuellement en tirer des enseignements destinés àfaciliter la gestion du conflit sino-taiwanais.

Ce sujet étant très large, nous nous sommes efforcés de dresser un tableau, le pluscomplet possible, des forces en présence dans le détroit et de leurs interactions. La difficultéprincipale rencontrée pour cela fut la faible quantité d’ouvrages disponibles en France (eten français notamment) sur les relations entre la Chine et Taiwan, et plus généralementsur Taiwan. Nous avons néanmoins eu la chance d’avoir accès à certains ouvragesaméricains récents sur la question commandés par l’Institut d’Asie orientale de l’Ecolenormale supérieure de Lyon. Parmi ces ouvrages, nous nous sommes essentiellement

47 D’après le département des affaires de Taiwan, de Hong Kong et de Macao du ministère du Commerce de la Républiquepopulaire de Chine dans « 2004 Nian Liangan Maoyi Touzi Qingkuang » paru le 25 janvier 2005, repris dans BUSH,Untying the Knot,op., cit., p.30. Nous reviendrons plus tard en détail sur les interactions économiques entre les deux rives.

48 Ce point est largement développé dans le chapitre 3 du livre de Richard Bush cité précédemment et sur lequel nous noussommes appuyés. Cf. BUSH,Untying the Knot, op., cit, p. 35-80.

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basés sur l’œuvre de Richard C. Bush (Untying the Knot)49, qui est le seul à analyseren détail les éléments de politique intérieure spécifiques à Taiwan et à la Chine bloquantla reprise du dialogue entre les deux rives (systèmes politiques, système décisionnel, etnationalisme chinois). Or, comme allons tenter de le démontrer au cours de ce mémoire,la compréhension de la politique intérieure de Beijing et de Taipei est indispensable àl’appréhension de leur attitude respective sur la scène internationale. Richard Bush estégalement un des rares spécialistes à étudier les stratégies développées par les deuxcapitales pour obtenir la reconnaissance internationale. Enfin, il est, en tant qu’ancienprésident du conseil d’administration de l’Institut américain de Taiwan chargé de la conduitede la politique taiwanaise des Etats-Unis de 1997 à 2002, le seul auteur à exposer uneanalyse fine et complète de la politique des Etats-Unis à l’égard de la Chine et de Taiwan.Il propose sur tous ces sujets une vision plus poussée et plus originale que celles de laplupart des auteurs publiés en France qui se contentent bien souvent de faire un état deslieux général de la politique menée par Beijing et Taipei depuis la fin des années 1990.Cependant, pour tracer le cadre historique des relations sino-taiwanaises et de l’évolutiongénérale de la politique des Etats-Unis dans le détroit de Taiwan, nous nous sommesappuyés sur deux ouvrages de Jean-Pierre Cabestan (Taiwan-Chine populaire : l’impossible

réunification 50 et La Chine en quête de ses frontières 51 ), qui font partie des raresouvrages français récemment publiés sur les relations entre la Chine et Taiwan. La Chineen quête de ses frontières nous a également permis d’appréhender la recherche chinoised’ascension pacifique et d’en saisir les fondements. D’autre part, pour cerner le contextegéopolitique régional, la montée en puissance de la Chine et les rivalités économiques etmilitaires qui en découlent, nous nous sommes basés sur de nombreux articles parus dansles revues spécialisées sur l’Asie et la géopolitique. Ces articles nous ont également fourniun éclairage récent sur les tentatives d’ouverture politique des deux rives, et en particulierla diversification des points de vue sur les questions internationales en Chine ainsi queles politiques et réformes menées par Chen Shui-bian depuis sa réélection en 2004. Enfin,c’est également dans les revues spécialisées que nous avons trouvé le plus d’informationssur l’évolution de l’identité taiwanaise et sa signification. Pour des raisons pratiques (nondisponibilité et connaissance insuffisante du chinois), nous avons dû limiter nos lectures àdes articles rédigés en langue française, anglaise ou allemande. Nous avons cependantpu prendre connaissance des points de vue de quelques auteurs chinois et taiwanaislorsque ces derniers étaient traduits dans les revues, journaux et ouvrages utilisés. Parailleurs, la rédaction de ce mémoire ayant été effectuée en Allemagne au cours de notreannée de mobilité à l’étranger, nous n’avons pu accéder qu’à la version électronique decertaines revues et certains journaux (principalement Politique internationale et Courrierinternational), dans laquelle la pagination n’est pas indiquée. Par conséquent, nous n’avonspas été en mesure de préciser les pages auxquelles se réfèrent nos citations de ces sources.Enfin, il a été assez difficile, particulièrement au début de nos recherches, d’obtenir desinformations claires sur la situation juridique de Taiwan, la plupart des articles reprenant lestermes chinois ou taiwanais emprunts d’idéologie conforme à leurs intérêts. L’exemple leplus frappant est celui de la dichotomie entre l’option d’unification et celle de déclarationd’indépendance alors que la RdC est déjà indépendante dans les faits et en droit, commenous l’avons démontré plus haut.

49 BUSH, Untying the Knot, op. cit., 348p.50 CABESTAN, Taiwan-Chine populaire : l’impossible réunification, op. cit., 187p.51 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., 269p.

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Pour tenter de déterminer si l’augmentation récente des tensions dans le détroit deTaiwan constitue le symptôme d’une accélération de la crise entre la Chine et Taiwan,nous nous intéresserons tout d’abord au sentiment même d’accélération de la crise entant que résultat d’un dialogue impossible entre les deux rives (première partie), puis noustenterons de démontrer en parallèle l’existence d’une réelle volonté de décélération de lacrise comme conséquence d’une adaptation nécessaire à la nouvelle donne géopolitique(deuxième partie).

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Partie I : Un sentiment d'accélération de la crise, résultat d'un dialogue impossible entre la Chineet Taiwan

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Partie I : Un sentiment d'accélérationde la crise, résultat d'un dialogueimpossible entre la Chine et Taiwan

Politique intérieure et politique internationale sont intimement liées : on ne peut comprendreles attitudes et les stratégies menées par un acteur sur la scène internationale, si l’on ignorele rapport de force interne et les facteurs psychologiques qui poussent cet acteur à agirainsi qu’il le fait. Par conséquent, pour comprendre le sentiment actuel d’accélération de lacrise dans le détroit de Taiwan, il convient de nous intéresser tout d’abord aux contraintesde la politique intérieure de la Chine et de Taiwan pour ensuite analyser leur attitude surla scène internationale.

Chapitre 1 : Un dialogue bloqué par les contraintesde la politique intérieure de chaque côté du détroit deTaiwan.

En Chine comme à Taiwan, les dirigeants doivent tenir compte des contraintes de lapolitique intérieure de leur pays pour définir et mettre en œuvre la politique étrangère. Cescontraintes sont inscrites dans le système politique des deux rives, ainsi que dans leurprocessus décisionnel, et participent à « l’impasse politique ». En outre, l’encouragementdu développement du nationalisme chinois et d’une identité taiwanaise spécifique accentuela difficulté des deux rives à dialoguer.

I. Les systèmes politiques de la Chine et de Taiwan, responsables de"l'impasse politique"

Ainsi que le note très justement Richard Bush, le président taiwanais étant élu par lapopulation taiwanaise et les dirigeants chinois étant nommés par les membres influents duPCC, ils ne peuvent, même avec la meilleure volonté du monde, résoudre le conflit sino-taiwanais sans tenir compte de l’opinion de leurs électeurs ou de leur parti, sous peine d’êtreécartés du pouvoir. « Leaders on both sides who, in the abstract, might see value in resolvingthe Taiwan Strait issue must take practical account of the internal forces constraining themor they will no longer be leaders »52. Par conséquent, les dirigeants des deux rives sont lesotages du système politique de leur pays dans la définition de leur politique étrangère et dudialogue entre les deux rives.

52 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 142. “Les dirigeants des deux rives qui, en théorie, verraient un intérêt à résoudre la questiondu détroit de Taiwan, doivent prendre en compte de manière pragmatique les forces internes qui les contraignent ou ils ne serontplus dirigeants. » (traduit par nos soins).

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A. Le piège dogmatique du système politique chinoisPour définir la politique taiwanaise de la Chine, les dirigeants chinois sont enfermés dansle discours idéologique historique du PCC et la lecture dogmatique des intentions desdirigeants taiwanais qui en découle.

1. La question de Taiwan, clé de la légitimité du régime communiste chinoisDepuis 1949, la RPC présente Taiwan comme la pièce manquante du processus deréunification entrepris par la Chine pour récupérer les territoires chinois colonisés par lespuissances occidentales et japonaise durant les XIXème et XXème siècles. Il s’agit pourles dirigeants communistes chinois de rétablir la souveraineté chinoise sur l’ensembledes territoires autrefois administrés par la Chine, et de réaffirmer ainsi l’indivisibilité de lanation chinoise. Lionel Vairon insiste sur la « dimension psychologique »53 de la questionde Taiwan dans la mesure où « la réunification avec l’île constituerait l’achèvement dela lutte de la Chine pour effacer les séquelles du colonialisme du XIXème siècle » etlaverait « l’humiliation subie de la part des puissances occidentales et du Japon »54. Enoutre, l’objectif de réunification défendu par Mao Zedong et Deng Xiaoping a tellement étéréaffirmé sans jamais faire l’objet d’une seule critique, que sa non-réalisation serait perçuecomme un aveu du PCC de son incapacité à accomplir sa mission originale. En d’autrestermes, la crédibilité du régime communiste chinois dépend de l’inclusion de Taiwan sousla juridiction de la RPC, et ce d’autant plus que cette légitimité est déjà mise à mal parl’accroissement des inégalités économiques en Chine55. Ce point est largement soulignépar Richard Bush qui rappelle que :

Les figures les plus prestigieuses du PCC ayant ancré la réunification avec Taiwancomme une part de la raison d’être de la RPC, tout dirigeant ou candidat à la direction duPCC doit impérativement poursuivre une politique de réunification ferme pour se maintenirau pouvoir. Or la politique étant le résultat d’un travail collectif, tout responsable doitconstruire un consensus autour de ses propositions, ce qui freine l’innovation politique. Au-delà de cet aspect rigide de la définition de la politique taiwanaise de la Chine, RichardBush démontre que la gestion des relations avec Taiwan est un instrument de compétitionpolitique largement utilisé pour saper la légitimité de ses adversaires56. Cette vision estégalement partagée par François Godement qui décrit les dirigeants chinois comme des« lutteurs de sumo [qui,] interdits de divergences publiques trop marquées au nom de lasurvie collective, tournent l’un autour de l’autre […] tentant essentiellement de se bouterhors du ring »57. Les dirigeants de la quatrième génération qui sont arrivés au pouvoiren 2002 n’ont pas échappé à ce processus de sélection et s’y sont conformés. RichardBush souligne par exemple que Hu Jintao, devenu secrétaire général du PCC en 2002 puisprésident de la RPC le 15 mars 2003, avait, avant sa nomination, réaffirmé la position deJiang Zemin sur la question de Taiwan58. De plus, il est évident que changer l’orientation de

53 VAIRON (Lionel), « La réélection du président taiwanais : analyse prospective », Défense nationale, n°7, juillet 2004, p. 153.54 VAIRON, « La réélection du président taiwanais : analyse prospective », op. cit., p. 153.55 Nous reviendrons sur ce point dans la deuxième partie.

56 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 182.57 GODEMENT (François), « Défi taiwanais pour les dirigeants de Pékin », Le Monde diplomatique, avril 2000, p. 20.58 A savoir l’avènement inévitable d’une solution satisfaisante pour tous grâce à l’accroissement des liens économiques,

l’impossibilité pour la Chine de renoncer à l’usage de la force car cela permettrait à Taiwan de déclarer son indépendance, la

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la politique taiwanaise de la Chine reviendrait à sous-entendre que l’approche antérieurede Mao Zedong, Deng Xiaoping et Jiang Zemin aurait été inadéquate et qu’ils se seraienttrompés, ce qui est absolument impossible pour qui veut arriver à la tête du parti et del’Etat. Pour Richard Bush, les dirigeants chinois de la quatrième génération en général« have been very skilful about masking their views, leaving outsiders – and probably mostChinese – ignorant about how they would handle this key issue of China’s external policy »59.Par conséquent, rien ne permet d’affirmer que la nouvelle génération de dirigeants chinoissouhaite modifier la politique taiwanaise de la RPC, et même s’ils le désiraient, leur marge demanœuvre serait extrêmement réduite par l’importance de la réalisation de la réunificationpour la légitimité du régime ainsi que par les luttes internes pour le pouvoir.

Au-delà du discours idéologique chinois justifiant l’extension de la juridiction de la RPCsur le territoire de la RdC, Stéphane Corcuff démontre que l’approche chinoise de la questiontaiwanaise traduit en réalité la continuation de la lutte pour le pouvoir commencée en 192760

entre les communistes et les nationalistes. En effet, l’auteur souligne que ce n’est qu’àpartir du moment où les nationalistes de Chiang Kai-Shek se sont réfugiés à Taiwan en1949 que les communistes se sont intéressés à l’île et ont développé le mythe de Taiwancomme partie de la Chine devant être impérativement réintégrée pour accomplir l’unificationnationale. De même, les nationalistes réfugiés à Taiwan ont encouragé ce mythe, mais dansl’optique de réunifier la Chine sous le régime nationaliste de la RdC. Or, si ce mythe a étéabandonné par Taiwan en 199161, il fut préservé et sans cesse martelé, de sorte que « legouvernement chinois a fini par croire, et faire croire à des centaines de millions de Chinois,à sa version d’une histoire politisée et inventée »62. En résumé, « il n’y a nul intérêt ancestralde la Chine pour Taiwan, il n’y a qu’une question de pouvoir. […] La République populaire necherche simplement qu’à balayer enfin dans la poubelle de l’histoire les quatre caractères« République de Chine » (Zhonghua minguo), son prédécesseur et symbole d’une victoireincomplète »63. En d’autres termes, ce mythe constitue le moteur de la politique taiwanaisede la Chine et engendre une vision dogmatique des intentions des dirigeants taiwanais.

2. Une lecture dogmatique des intentions des dirigeants taiwanaisComme nous l’avons déjà évoqué en introduction, la Chine considère que le refus desdirigeants taiwanais de reconnaître le principe de « Chine unique » et la formule « unpays, deux systèmes » (à savoir que Taiwan fait partie de la Chine, laquelle est assimiléeà la RPC) constitue la preuve de leurs intentions « séparatistes ». En effet, le mythe del’unité de la Chine est tellement ancré dans l’esprit des Chinois et a tellement dessiné les

responsabilité des Etats-Unis dans la non résolution du conflit, la nécessité pour Taiwan d’accepter le principe de Chine unique pourpermettre le progrès des relations sino-taiwanaises, et le droit pour les Taiwanais de gérer leurs propres affaires après l’unification (àl’exception du droit de déclarer l’indépendance par un référendum).

59 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 187. « [ils] ont été très habiles pour masquer leurs vues, laissant les étrangers – etprobablement la plupart des Chinois – ignorants de la façon dont ils résolveraient la question clé de la politique extérieure chinoise ».(Traduit par nos soins).

60 CORCUFF (Stéphane), « Mémoire et identité dans le développement culturel à Taiwan. Bâtir une identité civique libérée dela tyrannie du passé », discours d’ouverture des travaux lors de la Conférence nationale sur l’ethnicité et le développement culturelqui s’est tenue à Taipei du 16 au 18 octobre 2004. (Document personnel prêté par l’auteur).

61 Par la reconnaissance officielle du régime de la RPC sur le continent chinois.62 CORCUFF, « Mémoire et identité dans le développement culturel à Taiwan. Bâtir une identité civique libérée de la tyrannie

du passé », op. cit., p. 7.63 Ibidem.

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contours de la politique taiwanaise de la Chine que toute approche remettant en questioncette idéologie est rejetée comme hérétique. Ainsi, le livre blanc de février 2000 sur laquestion de Taiwan assimile les initiatives politiques de Lee Teng-hui (à savoir les réformesconstitutionnelles, la recherche d’un plus grand rôle pour Taiwan sur la scène internationale,la promotion d’une identité taiwanaise et l’achat d’armes aux Etats-Unis64) à des « activitésséparatistes ». Or, comme le précise Richard Bush, Lee Teng-hui n’était pas opposé à laréunification. Au contraire, il souhaitait la réunification mais sous une forme différente decelle que proposait la RPC afin de préserver la souveraineté du gouvernement taiwanaiscar il savait que cette question se poserait lors de négociations avec la RPC et ne voulaitpas être pris de vitesse par la Chine et se retrouver les mains liées65. « Throughout his[Lee’s] years as ROC president, his primary goal was to define the terms and conditionsunder which unification should take place, not whether it should »66. Et l’attitude inflexible dela RPC n’a fait que le confirmer dans cette voie sous une rhétorique plus stricte. C’est aussila vision dogmatique de Lee comme un séparatiste qui a conduit à la crise des missilesde 1996. Pour les autorités chinoises, il ne fait aucun doute que Lee a provoqué la crisepar sa recherche de soutien aux Etats-Unis pour empêcher l’unification avec la RPC. Etnul n’a pensé à incriminer les efforts de la RPC pour empêcher la RDC d’exister sur lascène internationale et pour nier sa souveraineté comme causes de la recherche de Lee desoutien à l’étranger De même, Richard Bush souligne que Chen Shui-bian, qui fit pourtantpreuve d’ouverture dès son discours d’investiture à la présidence de la RdC en 2000, futaccusé par la RPC de fomenter une conspiration séparatiste en raison de son appartenanceau parti indépendantiste PDP et de la continuité de sa politique continentale avec cellede Lee Teng-hui. Chen avait pourtant proposé un type d’unification inspiré du processusde construction de l’Union européenne et avait déclaré dans une interview au magasineTime en février 2004 « Currently, there are two separate, independent countries across theTaiwan Strait, neither of which has jurisdiction over the other. But who knows if these two

separate countries might become one over time? » 67 . Mais tout comme Lee, il a dû, face

à l’inflexibilité de la Chine devant ses manifestations d’ouverture et face au refus chinois desimplement dialoguer avec lui, adopter un ton plus ferme et se montrer plus intransigeantdans ses revendications.

Par conséquent, la vision dogmatique des dirigeants chinois sur les relations sino-taiwanaises les empêche de reconnaître la réalité de la situation de Taiwan (à savoir quec’est un Etat souverain et indépendant de la RPC et dont les dirigeants doivent satisfaire lesrevendications de la population s’ils veulent être élus), et consacre « l’impasse politique » :le dialogue entre les deux rives est bloqué par l’irrédentisme dogmatique chinois, sourd àl’évolution de Taiwan.

Néanmoins, le système politique chinois et l’idéologie qui l’imprègne ne sont pas lesseuls responsables de l’impossible dialogue entre les deux rives. En effet, le système

64 Livre Blanc de la République populaire de Chine 2006 disponible sur le site officiel du gouvernement de la RPC : <URL : http://english.gov.cn/official/2005-07/27/content_17613.htm > [consulté le 9 mai 2007].65 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 73.66 Ibidem. « Tout au long de ses [celles de Lee] années en tant que président de la RdC, son objectif premier fut de définir les termeset conditions sous lesquels l’unification devrait se produire, et non si elle devait se produire. » (Traduit par nos soins).67 « Strait Talk : The Full Interview », Time, 16 février 2003. Disponible sur le site du Time : <URL : http:// www.time.com/time/nation/article0,8559,591348,00 > in : BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 77. « Actuellement, il y a deux pays séparés et indépendantsà travers le détroit de Taiwan, aucun des deux n’exerçant sa juridiction sur l’autre. Mais qui sait si ces deux entités séparées nepourraient pas ne faire qu’une avec le temps ? » (Traduit par nos soins).

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politique taiwanais contribue également, par ses imperfections, à « l’impasse politique »entre les deux rives.

B. Un dialogue bloqué par l’imperfection du système politique taiwanaisOn peut repérer plusieurs imperfections dans le système politique taiwanais, qui contribuentà rendre toute négociation très difficile entre les deux rives dans la mesure où ellesempêchent le gouvernement taiwanais de conclure un accord avec Beijing, même si cetaccord était favorable aux intérêts de Taiwan. Ces imperfections touchent aussi bien lesystème électoral, le système institutionnel, que le processus de révision constitutionnelle.

1. Un système électoral encourageant peu le consensus autours deprogrammes spécifiquesLe mode de scrutin du système électoral taiwanais est le vote unique non transférable dansdes circonscriptions plurinominales. Cela signifie que chaque parti doit fixer un nombre decandidats dans chaque circonscription en fonction des votes escomptés et faire en sorteque chaque candidat obtienne le minimum de voix nécessaires à son élection. Pour unsystème d’allocation des voix efficace, les candidats doivent donc coopérer afin d’éviter quetoutes les voix se reportent sur les candidats les plus connus et privent ainsi les candidatsles moins connus de l’obtention d’un siège, car cela réduirait du même coup le nombrede sièges détenus par le parti. Inversement, le parti doit limiter le nombre de candidaturesen fonction de l’estimation du soutien électoral car un nombre trop élevé de candidats apour effet de disperser le soutien des électeurs et rapporte moins de candidats élus quepossible. Ainsi, comme le note Frank Muyard, « la principale difficulté pour les partis estd’assurer la coopération entre leurs propres candidats qui, en raison du mode de scrutin,deviennent concurrents entre eux »68. D’après l’auteur, ce serait un déficit de coopérationentre les candidats du PDP et entre le PDP et l’UST69 ainsi qu’une mauvaise allocation desvoix qui expliqueraient la victoire du camp bleu (alliance des partis favorables à l’unification)sur le camp vert (alliance des partis favorables à l’indépendance) aux élections législativesde 200170.

Pour Larry Diamond, dont l’analyse est reprise par Richard Bush, ce mode de scrutincomporte plusieurs effets pervers, dont notamment la fragmentation des partis par lamise en avant des ambitions individuelles pour attirer les votes sur soi et non sur uncandidat concurrent. Pour se distinguer, les candidats « emphasize symbolic issues andtheir personal qualities rather than their policy positions, which presumably are the same,and they may denigrate the character of their rivals »71. Les électeurs ont alors plus tendanceà s’identifier à un candidat qu’à des idées générales. Richard Bush souligne en outre quela discipline de parti est encore amoindrie par le fait que les candidats doivent apporter des

68 MUYARD (Frank), « KMT : une victoire en trompe-l’œil. Les élections législatives taiwanaises de décembre 2004 », Perspectiveschinoises, n°87, janvier-février 2005, p. 51.69 L’UST, Union pour la solidarité de Taiwan, a été créée en 2001 par Lee Teng-hui et propose une vision plus indépendantiste ettaiwanaise de la politique que le PDP.70 MUYARD, « KMT : une victoire en trompe-l’œil », op. cit., p. 46. Le camp bleu (composé du KMT, du NP,et du PFP) a obtenu 114sièges, tandis que le camp vert (composé du PDP et de l’UST) n’a obtenu que 101 sièges.

71 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 161. Les candidats « mettent l’accent sur les questions symboliques et leurs qualitéspersonnelles plutôt que sur leurs positions politiques, qui sont sans doute les mêmes, et ils peuvent dénigrer la personnalité de leursrivaux. » (Traduit par nos soins).

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fonds propres en plus de ceux alloués par leur parti pour financer leur campagne. Ils ontainsi le sentiment qu’ils ne doivent leur victoire qu’à eux-mêmes et non à leur parti. Parailleurs, ce système favoriserait la représentation des extrêmes au Yuan législatif72 car ilsuffit d’obtenir un faible nombre de voix pour obtenir un siège. « Since a legislative seat canbe won with a fraction of the votes, candidates have the option of positioning themselveson the end of the political spectrum and appealing to voters with more extreme, ideologicalviews. There is less incentive to move toward the middle »73. C’est pourquoi le systèmeélectoral taiwanais incite peu les candidats à travailler ensemble et à définir des programmespolitiques communs. Cela s’en ressent ensuite sur le travail des députés et des hommespolitiques taiwanais en général qui sont peu enclins à coopérer et défendre des projetscommuns sur le long terme. Shelley Rigger résume ainsi la situation : « The lack of partydiscipline undermines accountability and renders the legislative process unpredictable byweakening parties' and politicians' attachments to coherent ideologies and programs »74.Les partis taiwanais manquent de cohérence idéologique et pragmatique, et les politiciensse préoccupent plus de leur parcours personnel et des avantages qu'ils peuvent apporterà leur circonscription que de leur parti et des politiques nationales à mener. Selon RichardBush, la tendance à l’opportunisme est accentuée par la fréquence des élections car lapeur de ne pas être (ré)élu décourage la prise de risques politiques et la mise en œuvrede politiques nouvelles75.

Dans ce contexte, il est très difficile pour les hommes politiques taiwanais d’obtenirun consensus sur la politique continentale à adopter, et ce d’autant plus que l’opinionpublique elle-même est divisée sur la question et préfère s’en tenir au maintien du statuquo. Par conséquent, même si le gouvernement taiwanais (quel qu’il soit) désirait conclureun accord politique avec la Chine, et même si cet accord préservait les intérêts de Taiwan,il aurait beaucoup de difficultés à obtenir le consensus politique nécessaire à la signatureet l’application de cet accord.

2. Un système institutionnel bloquant la mise en œuvre de nouvellespolitiquesInitialement prévu pour le régime autoritaire de Chiang Kai-Shek avec comme uniqueparti le KMT, le système institutionnel taiwanais ne prévoit pas de cohabitation. Malgré lesarticles additionnels à la Constitution de la RdC ajoutés par Lee Teng-hui pour permettrela démocratisation du régime76, l’absence de mécanisme facilitant la cohabitation entre un

72 Le Yuan législatif est l’équivalent du parlement.73 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 166. « Puisqu’on peut gagner un siège législatif avec une fraction des voies, les candidats

ont la possibilité de se positionner à la fin de l’éventail politique et de séduire les électeurs avec des vues plus idéologiques et extrêmes.Il y a peu d’incitation à se positionner vers le centre. » (Traduit par nos soins).

74 RIGGER (Shelley), « The Unfinished Business of Taiwan's Democratization », in : BERNKOPF TUCKER (Nancy), éds, 2005,Dangerous Strait. The U.S. – Taiwan – China crisis, New York, Columbia University Press, p. 37.

75 Par exemple, en 2001, les élections législatives ont suivi de 19 mois les élections présidentielles de 2000 ; et en 2004les élections législatives ont eu lieu à peine 9 mois après les élections présidentielles. Les candidats se sont donc concentrés sur lacampagne électorale sans prendre d’initiative politique.76 Ces articles additionnels font de la RdC un régime semi-présidentiel, à savoir, selon la définition de Maurice Duverger, un régimedans lequel « le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat déterminé, […] dispose de largespouvoirs », et se partage le pouvoir exécutif avec le Premier ministre (cette définition est reprise dans LIAO (Da-Chi) et CHIEN (Herlin),

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exécutif et une majorité législative issue de camps opposés s’est dévoilée au grand jouravec l’élection de Chen Shui-bian à la présidence de la RdC. L’alternance politique, crééepar le renversement des rôles avec un PDP devenant chef de l’exécutif et un KMT contraintà devenir le parti d’opposition, a ainsi bloqué la mise en œuvre de la politique par une« impasse législative »77.

D’après Da-Chi Liao et Herlin Chien78, les raisons de l’absence de cohabitation à Taiwansont à la fois issues du cadre constitutionnel de la RdC, du système électoral taiwanais, et dela pratique. Au niveau du cadre constitutionnel proprement dit, il est prévu que le Présidentnomme le Premier ministre et a le pouvoir de le révoquer. Ainsi, pour rester en place, lePremier ministre doit « obtenir le soutien du Président puisque son maintien est entre lesmains de ce dernier »79. Le Yuan législatif (équivalent du Parlement), peut certes voter unemention de censure à l’encontre du Premier ministre, qui est alors contraint de présentersa démission dans les dix jours, mais ce dernier peut également demander au Présidentde dissoudre le Yuan législatif. En théorie, le Président devrait alors, raisonnablement,choisir un nouveau Premier ministre en accord avec la majorité parlementaire si cettedernière était reconduite. Or la question ne s’est jamais posée à Taiwan car la majoritéparlementaire n’a jamais voté de mention de censure. Ce phénomène s’explique par lemode de scrutin par vote unique non transférable dans des circonscriptions plurinominalesque nous avons évoqué précédemment. En effet, les législateurs, qui ont réussi à gagnerleur siège en dépit de la forte concurrence régnant au sein de leur propre parti « hésiterontà déclencher un vote de censure dans la mesure où celui-ci signifie l’abandon de leur siègeet une nouvelle élection à affronter »80. De surcroît, le fait « qu’un candidat aux électionslégislatives doit dépenser en moyenne 42 millions de NT$ pour sa campagne électoralealors que son salaire totale pour toute la durée d’un mandat n’excède pas 20 millions deNT$ »81 dissuade fortement les législateurs de se lancer dans une nouvelle campagne.Par ailleurs, le manque de discipline de parti découlant du mode de scrutin ne permet pasde garantir qu’une fois élus, les députés d’un même camp voteront dans le même sensque leur camp, même si ce camp est majoritaire au Yuan législatif et domine l’Exécutif.Or Les lois étant passées par consensus et non par vote, peu réussissent à passer etil est impossible de visualiser et stigmatiser les responsables du blocage82. D’autre part,l’absence d’un mécanisme de question de confiance par lequel le Premier ministre pourraitdemander au Yuan législatif de lui accorder sa confiance par un vote, empêche le Premierministre de « renforcer sa position face au Président »83, et décourage ainsi la cohabitation.Enfin, la pratique française, établie par Mac-Mahon suite à la dissolution de la Chambredes députés le 25 juin 1877, selon laquelle « S’il n’accepte pas la majorité parlementaire,

« Pourquoi n’y a-t-il pas de cohabitation à Taiwan ? Une analyse de la Constitution et de son application. », Perspectives chinoises,n°87, janvier-février 2005, p. 57-58).77 Terme utilisé par Ondrej Kucera, dans KUCERA (Ondrej), « Le régime taiwanais est-il présidentiel ? », Perspectives chinoises,n°95, mai-juin 2006, p. 46.

78 LIAO et CHIEN, « Pourquoi n’y a-t-il pas de cohabitation à Taiwan ? », op. cit., p. 57-61.79 LIAO et CHIEN, « Pourquoi n’y a-t-il pas de cohabitation à Taiwan ? », op. cit., p. 58-59.80 LIAO et CHIEN, « Pourquoi n’y a-t-il pas de cohabitation à Taiwan ? », op. cit., p. 60.81 Ibidem. NT$ est le sigle représentant la monnaie nationale de Taiwan signifiant « dollar Taiwanais ». 1NT$ vaut 44,88€.82 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 168.83 LIAO et CHIEN, « Pourquoi n’y a-t-il pas de cohabitation à Taiwan ? », op. cit., p. 59.

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le président démissionne », n’existe pas à Taiwan84. Par conséquent, lors d’un conflit entrel’Exécutif et le Législatif, la situation est complètement bloquée, comme ce fut clairementle cas en 2000 où le KMT a systématiquement bloqué les projets de lois du gouvernementde Chen85. Dans ces conditions et étant donné les divisions idéologiques entre le KMT et lePDP sur les questions d’unification/indépendance et de sécurité/économie, il est impossiblepour le chef de l’Exécutif, quelle que soit sa couleur politique, de décider de la nature desrelations avec la RPC. Cet état de fait est rendu particulièrement visible par le processus derévision constitutionnel lui-même, qui empêche l’application d’un éventuel accord politiqueavec la RPC.

3. Un processus de révision constitutionnelle empêchant l’application d’unéventuel accord politique avec la RPCDans le cas, pour l’instant imaginaire, de l’approbation d’un accord politique avec la RPC, laRdC devrait modifier sa Constitution afin de rendre compte des changements institutionnelset territoriaux indus par le lien politique établi avec la RPC. Or Richard Bush précise que,depuis avril 2000 et jusqu’en 2004, pour être valide, l’amendement devait être proposépar ¼ des membres du Yuan législatif puis être adopté par les ¾ des membres présentsavec un quorum de ¾ des membres. Une fois cette condition remplie, l’amendement devaitêtre accepté à l’Assemblée Nationale par une majorité simple. L’Assemblée nationale,qui se réunissait pour voter les amendements, était constituée de membres élus à laproportionnelle, ce qui rendait plus difficile tout consensus étant donné la dichotomieidéologique de la vie politique taiwanaise. Depuis un amendement constitutionnel de 2004,l’Assemblée nationale a été abolie à la mi-2005, mais :

86

L’auteur conclut que seule une offre chinoise susceptible de séduire irrésistiblement lesélecteurs taiwanais serait en mesure d’améliorer les relations dans le détroit, or c’est loind’être le cas étant donné la vision dogmatique qui imprègne la politique internationale dela RPC.

En plus de systèmes politiques rendant difficile le dialogue et la réalisation d’un accordpolitique entre les deux rives, les structures décisionnelles des deux rives renforcent« l’impasse politique ».

II. Une "impasse politique" renforcée par les systèmes décisionnelsde chaque côté du détroit.

Les structures décisionnelles des deux rives, caractérisées par une très forte centralisationet personnalisation de la prise de décision, accentuent le risque de mauvaise interprétation

84 Ibidem.85 D’après Ondrej Kucera, « Le nombre de projets de lois approuvés par la Yuan législatif est en baisse constante. […]

Pratiquement aucun texte important n’est passé au cours de la session de printemps 2006 ». KUCERA, « Le régime taiwanais est-il présidentiel ? » op. cit., p. 46-47.86 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 171. « Que ce soit sous l’ancien système ou sous le nouveau, passer un amendement

constitutionnel ou changer le territoire national requiert le consensus entre la plupart des partis politiques de Taiwan, qui doivent

alors être capables de faire en sorte que leurs membres voteront en la faveur de cet amendement. Etant donné la parité entre

les camps bleu et vert, tout amendement sous la Constitution actuelle qui recevrait l’opposition de la majorité de la population

taiwanaise serait peu susceptible de passer ». (Traduit par nos soins).

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des intentions adverses, et contribuent ainsi non seulement au développement du climat deméfiance mutuel régnant dans le détroit, mais aussi au risque de prise d’initiative politiqueinadéquate.

A. Le système décisionnel chinois ou la tendance à la mauvaiseinterprétation des intentions adversesLa politique taiwanaise de la RPC est définie essentiellement par « le groupe dirigeantdu PC chinois chargé des relations avec Taiwan » présidé depuis 1993 par Jiang Zemin,alors secrétaire général du PCC, Président de la RPC jusqu’en 2003, et président de laCommission centrale militaire jusqu’en 2004. Ainsi que le précise Jean-Pierre Cabestan,« ce groupe est composé des principaux dirigeants habilités à définir au plus haut niveaula politique à l’égard de Taiwan »87. La politique taiwanaise est donc décidée à la fois parle chef de l’Etat, le secrétaire général du PC, des membres de l’état-major de l’armée et dela Sécurité d’Etat, et les fonctions sont généralement cumulées par les mêmes individus.D’autres organisations sont également chargées de mettre en œuvre la politique taiwanaisedu PCC, mais elles ont des niveaux hiérarchiques moindres et ne définissent pas la ligne àsuivre (c’est pourquoi nous ne nous étendrons pas dessus). Richard Bush affirme en effetque les différentes organisations et bureaux faisant des recommandations et participantau débat n’ont pas de rôle réel dans la prise de décision car celle-ci revient toujours audirigeant suprême88. Même à la retraite, ce dernier conserve une influence sur la politiquetaiwanaise de la RPC, à l’exemple de Jiang Zemin. Par conséquent, « The most importantcharacteristics…are that it [the decision-making system] is highly centralized and that interms of key decisions it is very much personalized »89.

Pour illustrer les effets négatifs de la forte centralisation et personnalisation de laprise de décision en Chine en matière de politique internationale, nous reprendrons icideux exemples énoncés par Richard Bush, à savoir la réaction de la Chine suite aubombardement de l’ambassade de Chine à Belgrade en 1999, et l’accident de l’EP-3 en avril200190. Dans le cas du bombardement, la RPC n’a pas attendu les résultats de l’enquêtepour décider que le bombardement avait été intentionnel et demander des réparations augouvernement des Etats-Unis. Or, si cette crise ne fut pas extrêmement grave, RichardBush souligne qu’une telle précipitation dans le jugement sans concertation avec toutesles organisations susceptibles d’apporter un avis pertinent sur la question pourrait avoirdes conséquences désastreuses dans le cas d’une crise impliquant Taiwan. Dans le casde l’EP-3, la Chine a également décidé de ce qui s’était passé sans en avoir la preuveet a ensuite demandé réparation. L’assistant du ministre des Affaires étrangères, Zhou

Wenzhong, déclara en effet le 1er avril 2001 que l’EP-3 américain et le F-8 chinois volaient

87 CABESTAN, Taiwan-Chine populaire : l’impossible réunification, op., cit., p. 140.88 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 203.89 LU (Ning), The Dynamics of Foreign-Policy Decisionmaking in China, Boulder, Colo., Westview Press, 1997, p. 76, In: BUSH,Untying the Knot, op. cit, p. 203. « Les caractéristiques les plus importantes…sont qu’il [le système décisionnel] est extrêmementcentralisé et qu’en terme de décisions clé il est très personnalisé ». (Traduit par nos soins).

90 L’ambassade de Chine à Belgrade fut bombardée par erreur par les forces de l’OTAN qui croyaient que le bâtiment faisaitpartie des bâtiments gouvernementaux serbes. Le bombardement fit 3 morts. L’EP-3 était un avion de reconnaissance américain

qui volait le long de la côte sud de la Chine le 1er avril 2001 dans l’espace aérien international, et qui fut l’objet d’une tentatived’interception par deux avions militaires chinois. Ces deux avions s’étant trop rapprochés, il y eut une collision à laquelle ne survécutque l’équipage de l’EP-3.

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parallèlement à 122 mètres de distance, lorsque l’EP-3 a brutalement viré sur la gauche etheurté le F-8. Or, si L’EP-3 avait réellement viré de bord, le F-8 aurait continué sa coursetout droit et parcouru 122 mètres vers l’avant, évitant ainsi toute collision. Ainsi, même s’ilest probable que les autorités chinoises aient eu du mal à obtenir des informations clairessur l’accident de la part de l’ALP, le fait qu’elles affirment détenir la version véritable desfaits et la fassent publier quelques heures après sans attendre plus de résultats, a engendréun climat de méfiance entre les la Chine et les Etats-Unis. L’attitude chinoise et la prisede mauvaises décisions n’a fait que rendre plus difficile et désagréable la résolution del’affaire. Par conséquent, le danger d’une forte centralisation et personnalisation de la prisede décision en Chine est, pour Richard Bush « that senior individuals responsible for makingforeign policy will, based on their own faulty perception of other actors’ intentions, “highjack”the policy response. Because those leaders are senior, they are unlikely to be challenged bytheir subordinates, whose understanding is more nuanced than theirs but who feel obligedto defer to theme »91.

La Chine n’est cependant pas la seule à souffrir d’un système décisionnel tendant àla centralisation et à la personnalisation de la prise de décision en matière de politiqueinternationale. C’est également le cas de Taiwan.

B. Le système décisionnel taiwanais ou la tendance à la personnalisation etprécipitationA la différence de la RPC où c’est le PCC qui décide de concentrer les pouvoir entre lesmains du chef de l’Etat, Taiwan souffre de l’incapacité du Conseil national de Sécurité(National Security Council NSC, qui a pour fonction la coordination des organisationstaiwanaises travaillant sur les relations avec la Chine) à définir une politique internationaleclaire et pertinente. Se basant sur les travaux de Michael Swaine, Szu-yin Ho affirme que lepersonnel du NSC, et en particulier du secrétariat qui en est l’organe principal, ne serait pasqualifié pour faire le travail de recherche et de synthèse nécessaire à l’élaboration d’unepolitique continentale92. C’est pourquoi « pour élaborer sa politique de sécurité, le Présidentne peut donc compter que sur des réunions privées ad hoc avec ses conseillers »93.Richard Bush ajoute que le poids des seniors, des conseillers et des présidents desdifférentes organisations chargées des relations avec la Chine dépend plus de leur relationpersonnelle avec le président que de leur poste. Ainsi, le processus de décision politiqueest « concentrated in the hands of a few senior civilian and military leaders, and [is] stronglyinfluenced at times by the views and personality of the president » 94.

91 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 216. « que les personnalités supérieures responsables de la mise en œuvre de lapolitique étrangère vont, basé sur leur propre perception erronée des intentions des autres acteurs, « détourner » la réponse politique.Parce que ces dirigeants sont des aînés, il est improbable qu’ils soient défiés par leurs subordonnés, dont la compréhension est plusnuancée que la leur mais qui se sentent obligés de s’incliner devant eux ». (Traduit par nos soins).92 HO (Szu-yin), « Politique et rhétorique entre la Chine et Taiwan », Politique étrangère, n°01, janvier-mars 2001, p. 60. Il s’agiraitessentiellement de « fonctionnaires » et d’ «officiers militaires de rang intermédiaire ».93 HO, « Politique et rhétorique entre la Chine et Taiwan », op. cit., p. 61. Cela est d’autant plus vrai que l’absence de cohabitationempêche Chen de faire passer ses réformes.94 SWAINE (Michael) et MULVENON (James C.), Taiwan’s Foreign and Defense Policies, Santa Monica, Calif., RAND Center forAsia-Pacific Policy, 2001, p. 88-89. In: BUSH, Untying the Knot, op. cit. p. 218. « concentré entre les mains de quelques dirigeantscivils et militaires, et [est] fortement influencé par moment par les vues et la personnalité du Président ». (Traduit par nos soins).

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Un exemple de prise de décision en solo est le moment où Lee a déclaré que lesrelations entre les deux rives se faisaient d’Etat à Etat lors d’une interview avec la radioallemande die Deutsche Welle. Non seulement personne ne savait qu’il allait s’exprimerainsi, mais en plus le groupe d’experts qu’il avait engagé pour travailler à prouver lecaractère souverain de Taiwan n’était pas officiel. Cette déclaration, prise sans concertationet dans la précipitation, a eu des effets considérables sur les relations dans le détroit. Bienque cette déclaration s’inscrivît dans la continuité de la politique internationale de Lee, àsavoir l’affirmation et la défense de la souveraineté de Taiwan, ce type d’action en solopourrait avoir des conséquences bien plus graves si la RPC décidait qu’elles équivalaientà un casus belli. L’appel de Chen le 28 septembre 2003 à une nouvelle constitution quiserait approuvée par référendum a par exemple considérablement tendu les relations dansle détroit et fait planer le risque d’une intervention chinoise armée.

En résumé, que ce soit en Chine ou à Taiwan, les systèmes décisionnels en matière depolitique internationale contribuent, en plus du système politique des deux rives, à l’impassepolitique et au risque de dégénération de la querelle en conflit armé. Toutefois, systèmesdécisionnels et systèmes politiques ne sont pas les seuls responsables de la difficulté desdeux rives à dialoguer. Celle-ci est en effet encore accentuée par la question nationalisteet identitaire en Chine et à Taiwan.

III. Une difficulté à dialoguer accentuée par la question nationaliste etidentitaire en Chine et à Taiwan.

La difficulté des deux rives à dialoguer est accentuée par l’existence et le développementde deux visions radicalement opposées de l’identité nationale. Tandis que les Chinoiscontinentaux partent du principe que l’identité nationale chinoise « est un donnéqui organise l’ensemble des appartenances »95 (politiques, économiques, ethniques,culturelles…), les Taiwanais se situent dans un processus de construction de leur identiténationale en fonction de l’évolution historique et politique de l’île, en particulier depuis1949. L’identité étant une construction évolutive96, elle constitue un enjeu considérablepour le pouvoir politique qui essaie de la modeler dans un sens conforme à ses intérêts.Cette tentative se traduit en Chine par un attisement du nationalisme chinois et un risquede perte de contrôle du PCC sur ce puissant courant, tandis qu’elle se traduit à Taiwanpar un éloignement de la population vis-à-vis de la Chine continentale, rendant difficile lacompréhension mutuelle dans le détroit.

A. L’instrumentalisation du nationalisme par les dirigeants de la RPC et lerisque de perte de contrôle

1. Un nationalisme ethnique attisé par les dirigeants chinois

95 CABESTAN (Jean-Pierre) et VERMANDER (Benoît), La Chine en quête de ses frontières. La confrontation Chine-Taiwan, Mayenne,Presses de Sciences Po, 2005, p. 169. (souligné par nos soins).96 « L’identité n’est pas un état, elle est un processus ; elle n’est pas un voir, elle est un devenir. Elle n’est point un héritage, elle est uneconstruction permanente. ». CORCUFF (Stéphane), « Identité, démocratie et nationalisme à Taiwan : convergences, concurrences,connivences », Monde chinois, n°2, été-automne 2004, p. 12.

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La forme de nationalisme encouragée par les dirigeants chinois s’appuie à la fois sur unedimension ethnique et sur l’attitude de victimisation développée par le PCC97 pour justifierla reconquête des territoires passés aux mains des puissances étrangères aux XIXème etXXème siècles, ainsi que la montée en puissance de la Chine sur la scène internationale.D’après Richard Bush, la dimension ethnique du nationalisme renverrait à l’idée d’unesupériorité du peuple Han98 sur les autres peuples dans la mesure où la Chine aurait apportétout ce qu’il y a de bien dans le monde. Aujourd’hui la RPC continue de dire que les Chinois,même à l’étranger, ont un certain devoir vis-à-vis de leur terre d’origine. Et la croyancepersiste que si les Chinois doivent vivre sous une influence étrangère, ils vont perdre leuressence culturelle chinoise. C’est pourquoi les Chinois continentaux attendent de la partde la population taiwanaise une volonté de retour au sein de la « mère patrie », et voientd’un mauvais œil le développement d’une identité taiwanaise distincte et l’encouragementpolitique de ce développement. Richard Bush souligne à ce propos le fait que les dirigeantsde la RPC ont tendance à expliquer leur méfiance vis-à-vis des dirigeants taiwanais (Lee etChen) par leur doute quant au caractère chinois de ces derniers99. Et tout Chinois (selon ladéfinition ethnique de la RPC) qui refuserait de défendre les intérêts de la Chine continentaleest assimilé à un traître, comme c’est le cas de Lee Teng-hui et de Chen Shui-bian100.

Pour masquer les faiblesses du régime au niveau domestique (montée des inégalités,développement inégal des régions, révoltes paysannes, scandales sanitaires…), le PCCattise le sentiment nationaliste chinois. L’étude de David Finklestein citée par Richard Bushmontre par exemple que suite au bombardement accidentel de l’ambassade de Chine àBelgrade, les dirigeants chinois n’ont pas retenu les manifestations de colère des Chinoisdans la rue ni empêché les manifestations assez violentes devant l’ambassade des Etats-Unis, et ont encouragé un débat entre intellectuels sur la politique étrangère et sécuritaire,pour ensuite rappeler les contraintes de la réalité et continuer les politiques déjà misesen œuvre101. La même stratégie fut mise en œuvre suite à la déclaration de « relationsd’Etat à Etat » de Lee Teng-hui en 1999, et suite à la publication au Japon d’un manuel

scolaire minimisant les exactions commises par les soldats japonais durant la 2nde Guerremondiale. Pour Suisheng Zhao, les dirigeants chinois se servent du nationalisme commed’un instrument pour réagir aux événements internationaux tout en se centrant autours de

97 Ce nationalisme ethnique a aussi été encouragé par le KMT lorsqu’il s’est installé à Taiwan pour justifier l’objectif de reconquêtedu continent chinois, et ce également pour se venger du colonialisme. La politique de « resinisation » qui en a découlé est la preuvede la dimension ethnique du nationalisme chinois. Sur ce point, voir BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 189. John Fitzgerald souligneégalement la tendance historique des dirigeants chinois (aussi bien PCC que KMT) à utiliser le nationalisme pour masquer lesfaiblesses du régime au niveau de la politique domestique et extérieure ainsi que de ses divisons internes (FITZGERALD (John),« The Nationless State : the Search for a Nation in Modern Chinese Nationalism », Australian Journal of Chinese Affairs, n°33, janvier1995, p. 76. In : BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 188.).98 Les Hans sont l’ethnie majoritaire en Chine.99 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 190.100 Lee est à ce titre doublement « traître » aux yeux de la RPC : traître vis-à-vis de la culture chinoise (qu’il a relativisée en promouvantune culture taiwanaise), et traître vis-à-vis de la réunification (qu’il voit différemment que la RPC).

101 FINKELSTEIN (David M.), China Reconsiders Its National Security: The Great Peace and Development Debate of 1999,Alexandria, Va. Project Asia, CNA Corporation, décembre 2000, p. 5-7. In : BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 194.

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l’Etat. Il s’agit de « flex China’s muscles in international affairs if it is deemed desirable byChinese leaders to enhance their political power »102.

2. Le risque de perte de contrôle du PCC sur le sentiment nationalistechinoisNéanmoins, il existe un risque de perte de contrôle sur l’expression du nationalisme chinoiscar les « popular sentiments have a reality that is independent of, and sometimes poses achallenge to, the government »103. D’une manière plus générale, les relations de la Chineavec les autres puissances de la scène internationale sont plus tendues lorsque l’opinionpublique est mobilisée, ce qui n’est pas forcément dans l’intérêt de la Chine. Pour reprendrela conclusion de Richard Bush, la compétition politique entre les dirigeants chinois ainsi quel’opinion publique sont autant de contraintes sur la mise en œuvre de la politique étrangèrede la RPC. Et le recours au nationalisme avec l’assimilation de Chen et de Lee à des traîtres,rend plus difficile encore l’adoption d’une nouvelle politique qui serait plus favorable à Taiwanet qui prendrait en considération les inquiétudes taiwanaises.

B. La conséquence de l’encouragement du développement d’une identitétaiwanaise par les dirigeants taiwanais : un certain éloignement de la Chine

1. Le développement inéluctable d’une identité taiwanaise spécifiqueA Taiwan, la question de l’identité et de la légitimité de la RdC s’est posée avec lamarginalisation de l’île sur la scène internationale au profit de la RPC, puis avec ladémocratisation du régime initiée par Lee Teng-hui. En effet, l’isolation croissante de l’îlea remis en cause la mainmise du KMT sur la politique taiwanaise, et avec elle le discoursidéologique et l’identification à la Chine du parti nationaliste. D’autre part, comme nousl’avons vu précédemment, bien que Lee fût membre du KMT, il vit dans la démocratisation etdans le développement d’un sentiment d’appartenance fort à Taiwan, un moyen de résisterà la pression unificatrice chinoise pour mieux défendre les intérêts de la RdC dans lesnégociations. Il lança par exemple la mise à jour des manuels scolaires pour insister surl’histoire de Taiwan et rendre compte de la réalité de la situation contemporaine de l’île104.Néanmoins, il serait erroné d’affirmer que l’identité taiwanaise serait née avec la politiquede Lee. Au contraire, la prise de conscience d’une identité taiwanaise est le résultat d’uneconstruction successive plus ou moins voulue en réaction à l’histoire de l’île, d’abord faceà la colonisation japonaise, puis face au régime autoritaire nationaliste et sa politique deresinisation, qui fut vécue par la population taiwanaise locale comme une nouvelle formede colonisation105. Le mouvement d’opposition clandestin (ancien PDP106) s’appuya alorssur cette conscience taiwanaise pour revendiquer non seulement le droit de participer à la

102 ZHAO (Suisheng), « Chinese Nationalism and Its International Orientations », Political Science Quarterly, n°115, printemps2000, p. 23. Egalement Repris par BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 196. « Etirer les muscles de la Chine dans les affairesinternationales si c’est estimé désirable par les dirigeants chinois pour accroître leur pouvoir politique ». (Traduit par nos soins).103 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 193. « [les] sentiments populaires ont une réalité qui est indépendante du gouvernementet le défie parfois ». (Traduit par nos soins).104 Les manuels étaient en effet déjà utilisés sur le Continent chinois avant la fuite des nationalistes à Taiwan. Voir sur ce pointCORCUFF, « Identité, démocratie et nationalisme à Taiwan : convergences, concurrences, connivences », op. cit., p. 17.105 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 143.106 Rappelons que le PDP n’a été crée qu’en 1986 et n’existait auparavant qu’en tant qu’organisation clandestine.

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vie politique du pays, mais aussi de déterminer de son avenir, à savoir l’indépendance deTaiwan par rapport à la RdC pour proclamer une « République de Taiwan »107. « La questionidentitaire n’a donc certainement pas été inventée au milieu des années 1990, elle a ressurgià la faveur de la démocratisation après avoir été étouffée pendant quarante ans »108, et « enretour le problème de l’identité a donné de multiples raisons au processus démocratiquede s’accélérer »109.

2. L’encouragement d’un sentiment d’appartenance à Taiwan par lesdirigeants de la RdC, et l’éloignement relatif de la ChineOr, à la faveur de la démocratisation et de la nécessaire modération des programmeset revendications politiques des partis pour être élus, Lee Teng-hui, puis Chen-Shui-bian,ont cherché à « favoriser le sentiment d'appartenance à une nation taiwanaise en partie- mais en partie seulement - héritière de la culture chinoise »110. Il ne s’agissait pas de« baser l’allégeance nationale et l’appartenance à la nouvelle communauté taiwanaise surles critères ethniques »111, mais de favoriser l’émergence d’un « nationalisme civique »ou « mou »112 en « met[tant] l'accent sur l'amour porté à Taiwan, terre nourricière de tousses habitants, quelles que soient leurs origines »113 pour « dépasse[r] [l]es conflits inter-ethniques hérités du passé »114 et créer une « communauté de valeurs et d’intérêts »115.Cette politique d’encouragement de la conscience taiwanaise ne va cependant passans heurts. On observe en effet une crispation chez les partisans de l’unification etles descendants des Continentaux installés à Taiwan, qui « ressentent la taiwanisation(bentuhua) comme une menace pour l’héritage culturel chinois de l’île et n’acceptent pasce qu’ils analysent comme l’utilisation du pouvoir à des fins de redéfinition identitaire »116.

Stéphane Corcuff constate en effet une augmentation du sentiment d’appartenanceexclusive à l’identité taiwanaise au détriment du sentiment d’appartenance exclusive àl’identité chinoise. Tandis qu’en 1992, seulement 17,3% de la population de Taiwan seconsidérait comme « Taiwanais exclusivement » contre 26,2% qui se disait « Chinoisexclusivement », La proportion des « Taiwanais exclusivement » était montée à 42,9% en

107 CORCUFF, « Identité, démocratie et nationalisme à Taiwan : convergences, concurrences, connivences », op. cit., p. 14-15.108 CORCUFF, « Identité, démocratie et nationalisme à Taiwan : convergences, concurrences, connivences », op. cit., p. 11.109 Ibidem. La démocratisation a permis l’accès de Taiwanais de souche (par opposition à ceux arrivés sur l’île en 1949) à lareprésentation politique, de même que l’élection du Président de la RdC au suffrage universel direct en a fait le Président de tous lesTaiwanais, renforçant la dimension locale de l’élection et la distanciation vis-à-vis de la Chine. Sur ce point, voir CORCUFF, « Identité,démocratie et nationalisme à Taiwan : convergences, concurrences, connivences », op. cit., p. 16-17.110 LEPESANT (Tanguy), « A quoi rêve la jeunesse taïwanaise », Politique internationale, n°104, été 2004. Disponible sur Internet :<URL : http://www.politiqueinternationale.com/revue/article.php?id_revue=18&id=121&content=synopsis > .111 CORCUFF, « Identité, démocratie et nationalisme à Taiwan : convergences, concurrences, connivences », op. cit., p. 19.112 CORCUFF, « Identité, démocratie et nationalisme à Taiwan : convergences, concurrences, connivences », op. cit. , p. 20. L’auteurparle de « nationalisme mou » par opposition au nationalisme ethnique et conquérant de la RPC.113 LEPESANT, « A quoi rêve la jeunesse taïwanaise », op. cit.114 Ibidem.115 Ibidem.116 CORCUFF (Stéphane), « Les partisans de l’unification face à la taiwanisation », Perspectives chinoises, n°82, mars-avril 2004,p. 51.

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2003 tandis que la proportion de « Chinois exclusivement était descendue à 7,7%117. Oril s’agit d’être prudent dans l’interprétation de ces chiffres car « identité et nationalismetaiwanais ne sont pas synonymes d’indépendance »118. Selon une étude diffusée sur lesite du Conseil des affaires continentales de Taiwan en 2006, la grande majorité desTaiwanais préfère le maintien du statu quo à une « déclaration d’indépendance » ou une« unification » avec la Chine119. Les dirigeants taiwanais ont évidemment tenté de se servirde ce sentiment d’identité taiwanaise, par exemple en accusant ceux qui sont favorablesà un accord avec la RPC de trahir les intérêts taiwanais, mais ce sentiment existait déjàavant, et est largement influencé par les actions de la RPC. En effet, « la diminution dusouhait de la réunification correspond précisément à des moments de tension avec la Chineet d’événements interprétés à Taiwan comme témoignant de l’hostilité de la Chine à sonégard »120. Ce phénomène met la RPC dans une situation délicate dans la mesure où elle nepeut renoncer, pour des raisons de crédibilité et de légitimité évoquées précédemment, à sarevendication de possession de Taiwan, mais « plus elle met de pression sur les Taiwanais,moins les Taiwanais ont envie de s’unifier à elle, plus elle décrédibilise le discours despartisans de l’unification [à Taiwan] et détourne les Taiwanais de l’option unificatrice »121.De surcroît, la conscience d’être taiwanais renforce la conviction que Taiwan est un Etatsouverain, ce qui relativise le lien avec la Chine et exaspère cette dernière, et rend plusdifficile encore le dialogue entre les deux rives pour aboutir à un accord politique.

Ainsi, la politique intérieure de la Chine et de Taiwan contribue largement à « l’impassepolitique » entre les deux rives et explique en partie leur attitude sur la scène internationale.

Chapitre 2 : Un dialogue rendu plus difficile encorepar la politique internationale des deux rives

Sur la scène internationale, l’incapacité des deux rives à dialoguer se fait plus criante. Dansleur lutte respective pour la reconnaissance internationale, la Chine et Taiwan adoptentune attitude offensive qui engendre un fort climat de méfiance mutuel, rendant improbabletoute reprise du dialogue. D’autre part, ce climat de méfiance est renforcé par l’exacerbationactuelle des rivalités économiques et militaires dans la région.

I. Une méfiance mutuelle engendrée par la rivalité des deux rives pourla reconnaissance internationale

La rivalité de la RPC et de la RDC s’exprime à travers les tentatives constantes desdeux rives pour prendre l’avantage l’une sur l’autre au niveau international. Dans ce but,

117 CORCUFF, « Identité, démocratie et nationalisme à Taiwan : convergences, concurrences, connivences », op. cit., p. 18.118 CABESTAN (Jean-Pierre), « Spécificités et limites du nationalisme taiwanais », Perspectives chinoises, n° 91, septembre-

octobre 2005, p. 44.119 Etude disponible à l’adresse Internet suivante : <URL : http://www.mac.gov.tw/english/index1-e.htm > [consultée le 20

mars 2007].120 CORCUFF, « Identité, démocratie et nationalisme à Taiwan : convergences, concurrences, connivences », op. cit., p. 18.121 CORCUFF, « Identité, démocratie et nationalisme à Taiwan : convergences, concurrences, connivences », op. cit., p. 19.

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la Chine a mis en œuvre une stratégie d’isolation de Taiwan sur la scène internationale,tandis que Taiwan a développé une stratégie pour retrouver un plus grand rôle sur la scèneinternationale.

A. La stratégie chinoise d’isolation de Taiwan sur la scène internationaleAinsi que Chiang Kai-shek avait refusé la représentation de la RPC à l’ONU au même titreque la RdC, et ainsi qu’il avait imposé aux autres Etats désireux d’entretenir des relationsdiplomatiques avec la RdC (alors membre du Conseil de sécurité de l’ONU), de rompre toutlien avec la RPC, la Chine populaire a repris la même stratégie vis-à-vis de Taiwan à partirde son retour en grâce sur la scène internationale dans les années 1970. Cette stratégie setraduit à la fois au niveau international par l’imposition de la politique de la « Chine unique »,et sur la scène politique taiwanaise par la stratégie de « front uni »122.

1. L’imposition de la politique de la « Chine unique » aux partenairesdiplomatiques de la RPC

Forte de son poids économique grandissant123 et face à la croissance économique molle desgrandes puissances, la Chine tire la croissance mondiale et attire les convoitises étrangèressur son immense marché. Ce phénomène, ainsi que la montée en puissance de la Chinesur la scène mondiale et sa présence au Conseil de sécurité de l’ONU, explique que laplupart des pays du monde cherche à établir des relations diplomatiques avec la Chine etn’hésite pas à accepter pour cela la condition posée par la RPC, à savoir la reconnaissancedu principe « d’une seule Chine ». Tout pays entretenant des relations diplomatiques etcommerciales avec la Chine doit par conséquent rompre ses liens officiels avec Taiwanet ne pas chercher à s’impliquer dans le différend opposant les deux rives. En 2007, 169pays reconnaissent officiellement la Chine et soutiennent la politique de Chine unique124,contre seulement 25 pays reconnaissant Taiwan. Or la Chine continue d’essayer d’isolerdavantage Taiwan sur la scène internationale par des tentatives de séduction, notammentéconomiques125, des pays entretenant des relations diplomatiques et économiques avecl’île. Par exemple, le ministre chinois des Affaires étrangères, Li Zhaoxing, a indiqué lorsd’une conférence de presse le 5 novembre 2006 souhaiter que les cinq pays d’Afriquen’entretenant pas encore de relations diplomatiques avec la Chine « adoptent une positionjuste » et « adhèrent à la politique d’une seule Chine »126. Outre les tentatives de la RPCde couper les liens diplomatiques de Taiwan avec les autres pays du monde, Richard Bushdénonce les efforts de la Chine pour limiter la participation de la RdC aux organisationsinternationales dont elle est pourtant déjà membre, et pour restreindre les contacts avecTaiwan au sein des organisations où la Chine et Taiwan sont toutes les deux représentées.A titre d’exemple, la RPC a tout fait pour limiter la représentation de Taiwan à l’APEC

122 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 229.123 Le PIB de la Chine était de 10,7% en 2006. Cf. article « Pékin fixe la croissance à 8% pour 2007 », Le Nouvel Obs, 5 mars 2007,disponible sur le site du journal Le Nouvel Obs : <URL : http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/20070305.OBS5262/pekin_fixe_la_croissance_a_8_pour_2007.html?idfx=RSS_notr > [consulté le 12 mai 2007].124 Ces pays justifient ce soutien par leur attente d’une résolution pacifique du conflit.125 En particulier l’aide au développement. Nous reviendrons plus tard sur ce point.126 D’après une dépêche de l’agence chinoise Xinhua, « Li Zhaoxing: les pays sans relations diplomatiques avec la Chine sontencouragés à adopter une position juste », le 5 novembre 2006, disponible sur le site officiel de l’Agence de presse Xinhua (<URL :http://www.french.xinhuanet.com/french/2006-11/05/content_341248.htm > [consulté le 12 mai 2007]).

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(Asia Pacific Economic Cooperation) par des officiels politiques taiwanais et pour éviterles négociations bilatérales avec la RdC à l’APEC et à l’OMC (Organisation mondiale ducommerce)127. Richard Bush souligne de surcroît que lorsque la Chine n’a pas réussi àempêcher l’entrée de Taiwan dans des organisations internationales ne requérant pas laqualité d’Etat pour être membre, elle s’est tout de même battu pour éviter que l’appellationde Taiwan ne laisse entendre son caractère d’Etat souverain. Par exemple, Taiwan estentrée à l’OMC sous le nom de « separate customs territory of Taiwan, Penghu, Jinmen,and Matzu » alors que la RPC voulait y rajouter « de la Chine » ou « de la RPC »128.Enfin, la Chine a empêché Taiwan de participer jusqu’à présent aux rencontres du forumrégional de l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations129), l’organisation régionalemultilatérale sur la sécurité, et aux accords de libre échange entre la Chine et les paysde l’ASEAN. Pour Richard Bush, si l’exclusion de Taiwan des réunions sur la sécuritédans la région a un impact plutôt symbolique sur Taiwan, son exclusion des zones delibre échange risque d’avoir de sérieuses conséquences sur la compétitivité économiquede l’île130. En résumé, même si elle n’a pu empêcher totalement l’accès de Taiwan auxorganisations ne nécessitant pas la qualité d’Etat, la stratégie d’isolation diplomatique deTaiwan mise en œuvre par la Chine est plutôt efficace, en témoigne la diminution du nombrede pays reconnaissant officiellement Taiwan et le refus de l’entrée de Taiwan à l’ONU etl’OMS. Néanmoins, cette stratégie n’est pas sans paradoxe, comme le constate FrançoisGodement : « Dans le cadre de dialogues de sécurité informels tels que la CSCAP [Councilfor Security Cooperation in the Asia Pacific], les membres du comité chinois, alors qu’ilsavaient au départ mis en garde les autres participants contre toute considération de laquestion de Taiwan – une question d’ordre intérieur uniquement – sont souvent les premiersà déployer des efforts pour obtenir un soutien sur cette même question »131. On retrouveainsi dans le discours et l’attitude chinois les contradictions évoquées précédemment entrela vision dogmatique du PCC et la réalité de l’indépendance de Taiwan.

Outre ce déploiement d’énergie chinois sur la scène internationale pour isoler Taiwan, laRPC s’est efforcée de puis 2000 d’affaiblir le gouvernement taiwanais grâce à une stratégiede « front uni ».

2. La stratégie du « front uni »Ainsi que le démontre Richard Bush, suite à l’élection de Chen Shui-bian en 2000,Qian Qichen, le vice-premier ministre de la RPC, adopta une politique de « Front uni »semblable à celle qu’il avait adoptée à Hong Kong pour rallier l’opinion publique et les forceséconomiques et politiques à la RPC afin de pouvoir contrôler et dominer politiquement HongKong132. Il s’agissait essentiellement d’entretenir de bonnes relations avec le parti le plus

127 Cependant les obligations de la RPC en tant que membre de l’OMC la contraignent à négocier directement avec Taiwan sur lesproblèmes dans le détroit comme les trois liaisons directes. Voir BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 228.128 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 227.129 Le sigle français de l’ASEAN est l’ANSEA : association des nations du Sud-Est asiatique.130 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 229.131 GODEMENT (François), « La réassurance stratégique, préalable à la résolution de la question de Taiwan », Perspectiveschinoises, n°66, juillet-août 2001, p. 6. Le CSCAP désigne le Council for Security in the Asia-Pacific qui est un forum informel dediscussion sur la sécurité dans la région.132 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 229-230.

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favorable à la RPC (le KMT), de stigmatiser le parti lui étant le plus hostile (le PDP), et deséduire les hommes d’affaires taiwanais pour faire pression sur le PDP.

Ainsi, la Chine s’efforça de soutenir le camp bleu, opposé à Chen, et de faire en sorteque le KMT, le People First Party et le New Party s’unissent pour remporter les électionsde 2004. Selon Richard Bush, certains rapports indiquent que la RPC aurait financé deshommes politiques opposés à Chen et utiliserait des média pro-unification pour faire dela propagande auprès des Taiwanais tels que le United Daily News et qu’elle essaieraitd’acheter des stations de radio sur l’île133. De même, la RPC aurait demandé au KMTd’établir un centre de service en Chine pour aider les échanges commerciaux, dans le butd’élargir le soutien des hommes d’affaires taiwanais au KMT134. Par ailleurs, Richard Bushrelate qu’il semble que le KMT ait également cherché le soutien de la RPC en lui demanda dene pas ouvrir de dialogue avec Chen Shui-bian pour ne pas augmenter sa popularité, maisplutôt d’attendre le retour au pouvoir du KMT pour reprendre les négociations, qui seraientà ce moment là dans un sens plus favorable à Pékin. Le KMT aurait même recommandé àla RPC d’affaiblir Chen sur le plan intérieur en le taxant de séparatisme. Ces informationsdonnées en 2001 par des analystes de la RPC à un chercheur américain furent bien sûrniées par le KMT135. Quoi qu’il en soit, la Chine cultive ouvertement ses relations avec leKMT, en témoigne le don de pandas géants à Taiwan lors de la visite en Chine du chef duKMT, Lien Chan, du 26 avril au 3 mai 2005136. Lien Chan est même retourné rencontrer HuJintao en Chine le 16 avril 2007, pour la troisième fois depuis 2005.

Comme elle l’avait fait avec le Democratic Party de Hong Kong, la Chine a en outrestigmatisé l’opposition taiwanaise et le camp vert, en les taxant de séparatisme et eninterdisant à ses représentants de se rendre en Chine. Richard Bush décrit cette stratégiecomme une application de la doctrine de Mao Zedong selon laquelle « [stigmatizing theopposition] isolates the enemy by winning the vast majority to the side of the revolution;then, though struggle, the isolated and now vulnerable enemy is destroyed »137. La Chinevoyait en effet l’élection de Chen comme une parenthèse et prévoyait son échec en 2004.C’est pourquoi elle refusa de dialoguer avec Chen, car cela aurait signifié reconnaître lalégitimité du PDP. De même, Richard Bush indique que les hommes d’affaires soutenant lePDP n’étaient pas les bienvenus en Chine. Ce fut le cas du patron du groupe pétrochimiqueChi Mei, à propos duquel le ministre du commerce de la RPC, Shi Guangsheng déclara

133 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 234, d’après les sources suivantes :« China’s Changing Role in Local Polls », TaiwanNews, 26 novembre 2001 (FBIS CPP20011126000196 [27 novembre 2001]); « Chen Shui-bian Says PRC Tries to Influence Electionsin Taiwan », Agence France-Presse, 16 mai 2002 (FBIS 20020516000002 [17 mai 2002]); « China Reportedly to Allow Taiwan’sKMT to Establish Mainland Office », Agence France-Presse, 10 septembre 2001 (FBIS CPP20010910000101 [10 septembre 2001]);« Lin Chia-lung Says Communist China Is Trying to Buy Up Taiwan Radio Stations », Zhongshi Wanbao, 6 octobre 2004 (FBISCPP20041006000162 [13 octobre 2004]).

134 Ibidem.135 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 234-235.136 DUCHATEL (Mathieu), « Taiwan : la politique de sécurité du gouvernement Chen depuis 2000 », Perspectives chinoises,

n°93, janvier-février 2006, p. 51. Voir aussi PAQUET (Philippe), « Un nouvel esprit entre Taipei et Pékin ? », Taiwan aujourd’hui, n°6, juin 2005, p.20.

137 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 232. D’après VAN SLYKE (Lyman P.), Enemies and Friends: The United Front in ChineseCommunist History, Stanford University Press, 1967, p. 3. « [stigmatiser l’opposition] isole l’ennemi en gagnant la grande majorité ducôté de la révolution ; alors, par la lutte, l’ennemi isolé et maintenant vulnérable est détruit ». (Traduit par nos soins).

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« there is no way we will allow anyone to engage in such activities, fishing for political benefiton Taiwan island and fishing for economic benefit on the mainland »138.

Enfin, la Chine a tenté d’amadouer les hommes d’affaires taiwanais en leur faisantmiroiter tous les avantages économiques qu’ils retireraient d’une unification de Taiwanavec la Chine, afin qu’ils fassent pression sur leur gouvernement pour le type d’unificationproposé par Beijing. Les travaux de Richard Bush révèlent que la Chine a parexemple encouragé la formation de réseaux d’organisations léninistes dans lesquels desassociations d’hommes d’affaires taiwanais seraient incorporées afin de les sensibiliser auxvues chinoises et de les encourager à influencer le gouvernement taiwanais dans un sensfavorable à Pékin. Bien que ces réseaux accentuent la méfiance des Taiwanais et leursentiment d’insécurité, Richard Bush souligne cependant que tous les hommes d’affairestaiwanais n’en sont pas membres et que ces derniers utilisent parfois ces réseaux dans lesens inverse, c’est-à-dire pour demander à la RPC d’assouplir sa politique taiwanaise139.D’autre part, les hommes d’affaires taiwanais ont intérêt à ce que le statu quo soit maintenucar il leur permettrait d’avoir plus de poids face à la Chine qu’ils n’en auraient autrement.Gilles Guiheux écrit justement au sujet des investisseurs taiwanais en Chine que :

Néanmoins, Comme le démontre Richard Bush, en tentant d’influencer la politiquetaiwanaise sur des questions de moindre importance pour satisfaire leurs intérêtséconomiques, les hommes d’affaires taiwanais peuvent aussi favoriser la réalisation desobjectifs politiques de Pékin, intentionnellement ou non. Par exemple, en encourageant lacréation de liaisons directes entre Taiwan et la RPC pour réduire leurs coûts de transport,les hommes d’affaires taiwanais ont mis le gouvernement de Taiwan face à un dilemme : soitles négociations se feraient entre la SEF et l’ARATS140 si Taiwan reconnaissait le principe deChine unique, soit elles se feraient entre associations privées d’hommes d’affaires. Or si lesassociations d’hommes d’affaires taiwanaises sont réellement privées, ce n’est pas le casdes associations chinoises qui sont contrôlées par le PCC141. Finalement, le gouvernementde Chen s’en sorti en acceptant que les négociations aient bien lieu entre des associationsprivées mais en imposant qu’elles soient conduites par des officiels de chaque côté dudétroit.

Pour contrer les manœuvres chinoises d’isolement de Taiwan sur la scèneinternationale, la RdC a toutefois développé à son tour une stratégie pour obtenir un plusgrand rôle sur la scène internationale.

B. La stratégie taiwanaise de retour à une plus grande place sur la scèneinternationaleFace à son isolation internationale croissante suite à l’adhésion de la Chine populaire àl’ONU, Taiwan s’est efforcée depuis les années 1990 de retrouver une plus grande place surla scène internationale en demandant régulièrement le droit d’entrer dans les organisationsinternationales, en pratiquant une certaine « diplomatie du dollar », et en essayant d’utiliserles événements internationaux à son avantage.

138 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 236. D’après « Shi Guangsheng: PRC Not to Tolerate Pro-Independence TaiwanBusinessmen in PRC », Hong Kong Imail, 14 Mars 2001 (FBIS CPP200103000102 [14 mars 2001]).

139 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 237.140 Rappelons qu’il s’agit des deux associations chinoises et taiwanaises chargées de l’application pratique des échanges

dans le détroit de Taiwan. Voir introduction p. 16.141 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 237-238.

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1. Des demandes répétées d’entrée dans les Organisations internationalesBien que les efforts taiwanais pour revenir sur la scène internationale aient été à chaquefois rendus vains par la Chine en raison de son poids international, Taipei n’a jamaisabandonné sa quête de reconnaissance internationale car cela lui confèrerait plus depoids dans les négociations avec Beijing. Voir sa qualité d’Etat reconnue est en effet unecondition préalable que pose Taiwan à toute forme de réunification. Ainsi, depuis 1993,Taipei demande chaque année officiellement à devenir membre des Nations Unies, eteffectue la même démarche depuis 1997 auprès de l’OMS, où elle revendique au minimumle statut d’observateur. Bien que ces efforts aient été à chaque fois rendus vains par laChine, Taipei persiste dans sa démarche, ne serait-ce que pour obliger la RPC à justifier sonrefus à plusieurs reprises et rappeler ainsi au monde l’injustice de la situation dans laquellese trouve Taiwan en tant que démocratie plus respectueuse des droits de l’homme et dela paix que de nombreux pays membres des Nations Unies142. Néanmoins, au niveau desorganisations internationales ne nécessitant pas le statut d’Etat et dans lesquelles la RPCn’était pas déjà membre, la RdC a plus de succès. Elle est par exemple entrée au forum pourla Coopération économique en Asie-pacifique en 1991, au World Semiconductor Councilen 1999 et à l’OMC en 2001. Pour cette dernière, l’intervention en coulisse des Etats-Unisaura été nécessaire pour permettre à Taiwan d’entrer en même temps que la RPC. Enfin,même si les efforts de Taipei pour accéder aux organisations internationales requérant laqualité d’Etat se sont soldés par des échecs, la diplomatie taiwanaise a, par ses effortsde sensibilisation répétés, réussi à rallier des défenseurs au sein du Parlement de l’Unioneuropéenne, en témoigne la résolution du 7 juillet 2005143 demandant que l’île soit « mieuxreprésentée au sein des organisations internationales »144 et soutenant « la candidature deTaiwan au statut d’observateur auprès de l’Organisation mondiale de la santé »145.

2. Une certaine « diplomatie du dollar » désormais fortement concurrencéepar la ChinePour conserver ses partenaires diplomatiques, Taipei a longtemps usé d’une « diplomatiedu dollar »146 grâce à des « prêts au développement à taux préférentiels, et de projetsde coopération bilatéraux, souvent plus avantageux pour les pays concernés que pourTaiwan »147. Cependant, avec la montée en puissance de la Chine et l’attraction de son

142 Sur ce point, voir BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 227.143 Le texte de la Résolution sur les relations entre l'Union européenne, la Chine et Taïwan et la sécurité en Extrême-Orient(référence :RSP/2005/2554) est disponible sur le site du Parlement européen <URL : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6-TA-2005-0297+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR > .144 PAQUET (Philippe), « L’Europe plus proche du détroit de Taiwan », Taiwan aujourd’hui, n°9, septembre 2005, p. 18.145 Ibidem. Le Parlement européen a par ailleurs fait une proposition de résolution le 17 mai 2006 demandant à nouveau l’entréede Taiwan à l’OMS comme observateur. Texte de la proposition intitulée « Résolution du Parlement européen sur Taiwan » (référenceP6_TA(2006)0228) disponible sur le site du Parlement européen <URL : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+MOTION+P6-RC-2006-0284+0+DOC+WORD+V0//FR&language=FR > .146 MICHELON (Laurent), « La politique extérieure de Taiwan : une entreprise vouée à l’échec », Perspectives chinoises, n° 43,septembre-octobre 1997, p. 46.147 Ibidem.

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économie, Beijing paraît désormais souvent plus tentante, d’autant qu’elle s’est lancée elleaussi dans une « diplomatie du dollar » auprès des pays en développement148.

3. L’instrumentalisation légitime des événements internationauxBien que la revendication de Taiwan d’accéder à l’OMS soit absolument légitime etnécessaire pour la santé mondiale pour éviter le développement de pandémies à l’échellemondiale à partir de cette île située au cœur des routes maritimes internationales, RichardBush montre que Chen Shui-bian a profité de l’épidémie de pneumonie atypique (SRAS :syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003 pour se présenter comme le défenseur desintérêts taiwanais pour les élections de 2004, et pour réaliser un des objectifs du PDP,à savoir l’organisation d’un référendum149. La crise du SRAS ne fut qu’un moyen parmid’autres pour Beijing et Taipei de chercher à gagner l’avantage politique sur l’autre. Plusrécemment, Taipei a déclaré refuser le passage de la flamme olympique à Taiwan avantde rejoindre la Chine pour les JO de 2008, rappelant ainsi au monde son existence entant qu’Etat souverain et non province chinoise150. Quant à savoir si cette stratégie estproductive, c’est une autre question.

Par conséquent, si les efforts de Taiwan pour obtenir un rôle sur la scène internationaleparaissent vains, ils s’inscrivent dans la continuité de la politique taiwanaise et répondentà une attente de la société taiwanaise. L’attitude inflexible de la Chine vis-à-vis de cetterevendication a certes été teintée de succès, mais le revers de la médaille est l’aliénationde la population taiwanaise, dont elle aurait pourtant besoin pour permettre la réunification.Selon Richard Bush, la tactique d’isolation de Taiwan de la scène internationale dévoileraitune mauvaise interprétation de la psychologie taiwanaise151. En tentant chacune des’approprier la scène internationale, la Chine de manière exclusive et Taiwan de manièreinclusive (c’est-à-dire sans en rejeter Beijing), les deux rives accentuent le climat deméfiance mutuelle qui règne dans le détroit et les empêche de dialoguer. La Chine voit eneffet dans les actions de Taiwan la preuve de son intention de déclarer l’indépendance,et Taiwan voit dans les actions de la Chine la preuve de son dédain pour la démocratietaiwanaise et de sa dénégation du caractère souverain de Taiwan.

Le climat de méfiance régnant dans le détroit de Taiwan est encore accentué parla montée en puissance de la Chine sur la scène internationale. En effet, cette dernièreexacerbe les rivalités économiques et militaires régionales, dépassant ainsi le cadre dela compétition avec Taiwan pour la reconnaissance internationale. La Chine inquiète sesvoisins et conforte alors les craintes de la RdC sur les intentions chinoises, rendant difficilela reprise du dialogue dans le détroit.

II. Les rivalités régionales et la méfiance mutuelle exacerbées par lamontée en puissance de la Chine

148 Nous reviendrons sur ce point un peu plus loin dans ce chapitre.149 Chen appela en effet à un référendum sur l’adhésion à l’OMS pour satisfaire l’opinion taiwanaise aigrie par l’attitude méprisantede la RPC qui avait refusé de collaborer avec le gouvernement de Chen car cela aurait impliqué la reconnaissance de sa souveraineté.Fidèle à elle-même, la Chine a préféré collaborer via des organismes privés.150 Voir article « Taiwan : mauvais calcul diplomatique », Courrier international, n°861, p. 30.

151 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 229.

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La montée en puissance de la Chine se traduit à la fois par une augmentation de sesbesoins en ressources naturelles et par le développement de ses capacités militaires. Cesdeux éléments suscitent la méfiance des autres acteurs régionaux (et non plus seulementde Taiwan), et contribuent à exacerber les rivalités régionales au niveau économique etmilitaire.

A. Les besoins croissants de la Chine en ressources naturelles, causes derivalités commerciales régionalesLe décollage économique de la Chine a entraîné une forte hausse de la consommationd’énergie chinoise, la propulsant désormais au deuxième rang mondial pour laconsommation d’énergie, derrière les Etats-Unis152. Si le charbon constitue toujours unegrande part de cette consommation, les réserves s’amenuisent tandis que le nombred’accidents de mineurs augmente, de même que les effets néfastes sur l’environnement.La Chine a certes lancé la construction de plusieurs barrages hydrauliques et de centralesnucléaires, mais l’expansion des activités fortement consommatrices d’énergie, telle lasidérurgie, le développement du parc automobile, et plus généralement l’augmentation duniveau de vie des Chinois, obligent la Chine à importer de plus en plus de pétrole. « LaChine a utilisé en 2005 320 millions de tonnes de pétrole, soit près de 12% de plus quel’année précédente […] Quant à la dépendance chinoise en matière gazière, elle devraitconduire le pays à importer de 40 à 100 milliards de mètres-cubes de gaz en 2010 selon lesscénarios »153. Outre l’augmentation de ses besoins énergétiques, la Chine voit ses besoinsalimentaires augmenter chaque année parallèlement à sa croissance démographique154.En effet, pour 22% de la population mondiale, la Chine ne dispose que de 7% des terrescultivables mondiales155. « Während China 1993 acht Millionen Tonnen Getreide exportierte,musste Peking zwei Jahre später bereits 16 Millionen Tonnen importieren »156. Enfin,l’augmentation du pouvoir d’achat des Chinois a entraîné un changement des habitudesalimentaires en Chine, et notamment l’accroissement de la consommation de viande (deporc en particulier) et de poisson. Une plus grande quantité de céréales doit en conséquenceêtre consacrée à l’élevage et les réserves de poisson disponibles en Asie du Sud-estdiminuent dangereusement157.

1. Les efforts de diversification des approvisionnements énergétiqueschinois, facteurs de rivalités commerciales, et diplomatiquesPour faire face à cette situation de pénurie énergétique et alimentaire, la Chine s’est lancéedans une recherche effrénée de diversification de ses approvisionnements, en particulierdepuis les années 1990. Dès 1974 cependant, Beijing a affirmé posséder sept îles del’archipel des Spratleys ainsi que l’archipel des Paracels en mer de Chine du Sud et y a

152 LAFARGUE (François), « Chine : les énergies d’une ambition », Questions internationales, n°20, juillet-août 2006, p. 104.153 SIMONET (Loïc), « Oléoducs et gazoducs chinois à l’aube du XXIème siècle : les vecteurs d’une diplomatie de l’énergie », Mondechinois, n°9, Hiver 2006-2007, p25-26.154 de l’ordre de 14 millions d’Hommes par an. Voir UMBACH (Frank), « Konflikt oder Kooperation in Ostasien ? », München, 2002,p. 58.155 UMBACH, « Konflikt oder Kooperation in Ostasien ? », op. cit., p. 57.156 UMBACH, « Konflikt oder Kooperation in Ostasien ? », op. cit., p. 58. « Tandis qu’en 1993 la Chine exportait encore 8 millions detonnes de céréales, Beijing dut en importer quasiment 16 millions deux ans plus tard ». (Traduit par nos soins).157 UMBACH, « Konflikt oder Kooperation in Ostasien ? », op. cit., p. 58-59.

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même bâti une base aéronavale en 1988158. Cet intérêt pour ces îles n’est pas le seul fait dela Chine, mais de nombreux acteurs régionaux159 en raison de leurs importantes réserveshalieutiques et de leurs réserves pétrolières et gazières supposées. De plus, La Chine avoté une loi en 1992 s’appropriant les îles en mer de Chine du Sud et orientale en « excluantde fait toute discussion sur la question de la souveraineté »160. Une déclaration d’intentiona certes été signée en 2002 entre les pays de l’ASEAN, mais aucun accord n’a été conclusur la question de la souveraineté161. En outre, la Chine a entrepris d’effectuer des foragesen mer de Chine orientale à la frontière de la zone économique exclusive (ZEE) du Japoncar « la zone des îles Miyako recèlerait 200 milliards de mètres cubes de gaz naturel »162.

En raison du caractère encore incertain des ressources énergétiques disponiblesen mer de Chine du Sud, du coût des investissements nécessaires pour exploiter cesdernières, et du conflit de souveraineté autour des îles de la région, la Chine cherche àdiversifier ses approvisionnements en énergie par des accords pétroliers et gaziers avecd’autres régions du monde, en particulier l’Afrique. L’Afrique possède en effet « 9,4%des réserves mondiales de pétrole […] et fournit 30% des importations de pétrole dePékin »163. François Lafargue explique cet effort de diversification par le renforcement dela présence américaine au Moyen-Orient, qui était le principal fournisseur de pétrole dela Chine jusqu’en 2000164. Les sociétés pétrolières chinoises sont donc allées démarcherles pays africains possédant les plus grandes réserves pétrolières d’Afrique, à savoir leSoudan (dès 1997), l’Angola (à partir de 2004), et le Nigéria (à partir de 2005). Le succèsdes entreprises chinoises en Afrique s’explique par la proposition, « en échange de tarifspréférentiels, de construire des infrastructures routières, ferroviaires ou hydrauliques chezses fournisseurs en hydrocarbures »165. Les firmes pétrolières chinoises ont d’autant plusde succès auprès de ces pays qu’ils sont marginalisés sur la scène internationale enraison de la nature autoritaire de leurs régimes politiques et de violations massives desdroits de l’Homme. François Lafargue démontre que non seulement « La Chine offre[…] à ses fournisseurs en pétrole un appui diplomatique de premier ordre », mais elle

158 SERRA (Régine), « La Chine, puissance régionale », Questions internationales, n°6, mars-avril 2004, p. 54.159 Ibidem. Les îles Paracels sont revendiquées par le Vietnam, la Chine et Taiwan ; tandis que les Philippines, la Malaisie, le Brunei,le Vietnam, la Chine et Taiwan se disputent les îles Spratley (les trois derniers réclamant la totalité des îles). Voir aussi la carte enannexe 2 « Appétits rivaux en mer de Chine », Questions internationales, n°6, mars-avril 2004.160 SERRA, « La Chine, puissance régionale », op. cit., p. 54-55. Dans l’article 2 de cette loi du 25 février 1992, la Chine englobe enoutre les îles Senkakus (Diaoyu en chinois) revendiquées par le Japon, et Taiwan. La Chine a certes ratifié la Convention des NationsUnies sur le droit de la mer en 1996, mais sans régler la question de la souveraineté en mer de Chine du sud et orientale.161 SERRA, « La Chine, puissance régionale », op. cit., p. 54.162 ARRENAULT (Laëtitia), « les relations sino-japonaises à l’aube d’un nouveau tournant », Monde chinois, n°5, été-automne 2005,p. 43.

163 LAFARGUE (François), « Chine : les énergies d’une ambition », Questions internationales, n°20, juillet-août 2006, p. 108.164 L’Arabie saoudite fournissait 15% des importations pétrolières chinoises. Voir LAFARGUE, « Chine : les énergies d’une

ambition », op. cit., p. 106.165 LAFARGUE, « Chine : les énergies d’une ambition », op. cit., p. 109. Par exemple, la Chine construit des logements et autres

projets d’infrastructure en Angola, ainsi qu’une cimenterie et une aérogare au Congo Brazzaville. Voir aussi LAFARGUE (François),« Etats-Unis, Inde, Chine : la compétition pour le pétrole africain », Monde Chinois, n°6, Hiver 2005-2006, p. 19-30, et PAN (Xiaotao),« Une puissance néocoloniale en Afrique », Courrier international, n°831, du 5 au 11 octobre 2006, p. 41.

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leur livre en outre des systèmes d’armes166. A partir de 2001, la Chine s’est égalementintéressée à l’Amérique latine, qui dispose de 9,7% des réserves mondiales de pétrole etfournit 3% des importations pétrolières chinoises, plaçant la Chine juste derrière les Etats-Unis167. Portant particulièrement son attention sur le Venezuela, la Chine n’en néglige pasmoins la Colombie, l’Equateur, Le Pérou, Cuba, le Mexique, et la Bolivie. Pour obtenir desconcessions pétrolières, les sociétés pétrolières chinoises suivent le même modus operandien Amérique latine qu’en Afrique.

Cependant, les routes maritimes qui acheminent le pétrole en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique étant sécurisées par les marines américaine, britannique, et française,la Chine redoute de les voir un jour bloquées par Washington si un conflit armé éclatait enmer de Chine du Sud et orientale ou avec Taiwan168. Loïc Simonet qualifie cette situationde « dilemme de Malacca », en référence au détroit de Malacca qui est le passage obligéde tous les transports maritimes entre le Moyen-Orient et l’Asie169. « Pékin a donc mis enœuvre une stratégie dite du « collier de perle », qui consiste à jalonner de points d’appuile couloir maritime qui relie la Chine au Golfe persique »170. A titre d’exemple, la Chineparticipe actuellement à la construction du port de Gwadar au Pakistan en échange dudroit de présence de la marine chinoise dans les eaux territoriales pakistanaises. Pour EjazHaider et Moeed Yusuf, « cet accord permettra aux Chinois de contrôler l’une des voiesmaritimes de communication les plus importantes du monde »171. Egalement dans l’optiqued’éviction, si possible, des voies maritimes pour son approvisionnement énergétique, lessociétés pétrolières chinoises ont signé des contrats d’exploitation pétrolière avec l’Asiecentrale, en particulier le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan et la Russie, afin d’acheminer le pétroledont elle a besoin par voie terrestre, sans risquer d’être l’objet d’un blocus maritime parles Etats-Unis172. Il est intéressant de souligner que les accords chinois en Asie centralecomportent aussi des aspects militaires et diplomatiques dans le cadre de l’Organisation deCoopération de Shanghai (OCS)173. La Chine et la Kazakhstan ont par exemple conclu unaccord de partenariat stratégique rejetant la théorie américaine du changement de régime(visant à installer des démocraties à la place des régimes autoritaires). Beijing a demandéde surcroît la fixation d’une date de fermeture des bases militaires américaines dans larégion174.

166 LAFARGUE, « Chine : les énergies d’une ambition », op. cit., p. 109.167 Ibidem.168 VICTOR (Jean-Christophe), Le dessous des cartes. Atlas géopolitique, Editions Tallandier/ARTE Editions, Paris, 2006,

p. 130.169 SIMONET (Loïc), « Oléoducs et gazoducs chinois à l’aube du XXIème siècle : les vecteurs d’une diplomatie de l’énergie »,

Monde chinois, n°9, Hiver 2006-2007, p. 37.170 SIMONET, « Oléoducs et gazoducs chinois à l’aube du XXIème siècle : les vecteurs d’une diplomatie de l’énergie », op.

cit., p. 37.171 HAIDER (Ejaz) et YUSUF (Moeed), « Un port chinois au Pakistan », Courrier international, n°831, du 5 au 11 octobre

2006, p. 39.172 Bien que cette dernière tende à considérer le japon comme un partenaire plus fiable que la Chine. Voir LAFARGUE

(François), « Chine : les énergies d’une ambition », Questions internationales, n°20, juillet-août 2006, p. 106.173 L’OCS a succédé en juin 2001 au groupe de Shanghai créé en 1996 qui devait renforcer la coopération entre les ex-

républiques soviétiques d’Asie centrale et la Chine.174 NIQUET (Valérie), « La Chine et l’Asie centrale », Perspectives chinoises, n°96, juillet-août 2006, p. 10.

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2. La mise en œuvre d’une véritable « diplomatie de l’énergie »

Bien que seul l’Ouzbékistan ait accepté de mentionner une date limite175, la politiquechinoise d’approvisionnement dans le monde consiste en une véritable « diplomatie del’énergie »176, qui se traduit par la protection de régimes autoritaires avec lesquels elle aintérêt à commercer, et le blocage de nombreuses opérations des Nations Unies comme laprise de sanction à l’égard du régime de Téhéran177. Le meilleur exemple est le soutien dela Chine au gouvernement soudanais pour sécuriser ses importations de pétrole. La Chinea en effet menacé de mettre son véto à une résolution menaçant de prise de sanctionscontre Khartoum, et s’est aussi opposé à l’envoi d’une force de paix de l’ONU au Darfour.Cette « diplomatie de l’énergie » se traduit également par le déploiement des forces arméeschinoises pour sécuriser les approvisionnements énergétiques de Beijing, ce qui, dans uncontexte de militarisation croissante de la Chine, n’est pas sans inquiéter les autres acteursrégionaux et les Etats-Unis, en raison de leurs propres besoins énergétiques et du dédainde la Chine pour les valeurs démocratiques et le respect des droits de l’Homme. Plusparticulièrement, Taiwan, le Japon et les Etats-Unis voient d’un mauvais œil cette montéeen puissance chinoise en raison de l’incertitude planant sur les intentions chinoises à pluslong terme. Une fois de plus, la méfiance règne dans le détroit, handicapant la reprise dudialogue entre les deux rives.

Parallèlement à la recherche chinoise effrénée de sources d’approvisionnementénergétique et alimentaire, la Chine s’est lancée dans la modernisation de son armée, etsuscite ainsi l’inquiétude des pays riverains et des Etats-Unis sur ses intentions véritables.Augmentant le sentiment d’insécurité de Taiwan en particulier, mais aussi du Japon, lamodernisation militaire chinoise a engendré une course aux armements dans la région quirend peut probable l’instauration d’un climat de confiance et de discussion entre les deuxrives.

B. Une course aux armements accentuant la méfiance mutuelleDepuis les années 1990, la Chine s’est engagée dans la modernisation de son armée, cequi, dans un contexte de conflits de souveraineté en mer de Chine du sud et orientale,inquiète les autres puissances régionales et mondiales, d’autant que le rapport annuelau Congrès sur la puissance militaire de la République de Chine en 2006 souligne que« many aspects of China’s national security policy, including its motivations, intentions, anddecision-making processes, remain secret »178. Cette ignorance des capacités militaireschinoises réelles ainsi que des intentions de Beijing pousse les Etats-Unis à une course auxarmements afin de maintenir l’équilibre militaire dans la région pour contenir les éventuellesambitions hégémoniques de la Chine et préserver leurs intérêts stratégiques. Le « dilemme

175 Ibidem. 180 jours à compter du 29 juillet 2005 pour fermer les bases de Karshi et Khanaba.176 D’après le titre de l’article de SIMONET, « Oléoducs et gazoducs chinois à l’aube du XXIème siècle : les vecteurs d’une diplomatiede l’énergie », op. cit., p. 25-37.177 TRAUB (James), « D’abord, défendre la souveraineté », Courrier international, n°831, du 5 au 11 octobre 2006, p. 36.178 Annual Report to Congress : Military Power of the People’s Republic of China 2006, p. 7. Disponible sur le site officiel dudépartement américain à la défense : <URL : http://www.uscc.gov/annual_report/2006/annual_report_full_06.pdf > (consulté le 7mai 2007). « de nombreux aspects de la politique de sécurité de la Chine, dont ses motivations, intentions, et processus de prise dedécision, restent secrets ». (Traduit par nos soins).

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sécuritaire »179 est ainsi accentué et, avec lui, le risque de dégénération de la querelle enconflit armé.

1. La militarisation croissante de la Chine pour soumettre Taiwan ets’imposer dans la régionPour l’année 2007, la Chine a annoncé une augmentation de 17,8% de son budget dedéfense, le portant à 350,92 milliards de yuans (soit 34,14 milliards d’euros), ce qui constituela plus forte hausse de ces dix dernières années180. Le Pentagone estime quant à lui queles dépenses militaires chinoises annuelles oscilleraient en réalité entre 80 et 115 milliardsde dollars (soit 60,72 à 87,32 milliards d’euros)181. En outre, la Chine a effectué un tirexpérimental de missile balistique antisatellite le 11 janvier 2007, le premier depuis 1985lorsque les Etats-Unis et l’URSS mirent fin à la « guerre des étoiles »182. D’après le dernierrapport du Département américain de la défense, la Chine serait en train de développerles capacités militaires nécessaires pour la conquête de Taiwan. En effet, « consistent witha near-term focus on preparing for Taiwan Strait contingencies, China deploys its mostadvanced systems to the military regions directly opposite to Taiwan »183. Selon FrançoisGodement :

En dépit de cet effort de modernisation des forces militaires nécessaires pour uneattaque contre Taiwan, et en dépit du consensus régnant très probablement entre le PCC etl’APL (armée populaire de libération) sur la nécessité de se donner les moyens de soumettreTaiwan militairement si la situation évoluait dans un sens défavorable à Beijing184, StéphaneCorcuff voit plutôt dans la pression militaire chinoise sur Taiwan une stratégie de « guerrepsychologique »185. Sans pour autant affirmer que la Chine ne recourra pas à l’usage dela force contre Taiwan, l’auteur insiste sur l’intérêt de la Chine à convaincre les Taiwanaisde sa détermination à attaquer l’île si elle estime que les conditions nécessaires sontréunies. En effet, la menace d’un ultimatum, accréditée par de réelles capacités militairesoffensives, aurait pour effet de semer la panique et la discorde au sein de la population etdes hommes politiques taiwanais, incapables de s’accorder sur l’opportunité de céder auxexigences unificatrices de la Chine, ou de proclamer une République de Taiwan. « Dans

179 Notion de Richard Bush définie en introduction.180 D’après une dépêche de AP (Associated Press) du 4 mars 2007 disponible sur Yahoo News : <URL : http://fr.biz.yahoo.com/04032007/5/la-chine-annonce-une-hausse-de-17-8-de-son.html > [consulté le 11.03.2007].181 D’après une dépêche d’Euronews du 4 mars 2007 disponible sur Yahoo News : <URL : http://fr.news.yahoo.com/04032007/342/la-chine-augmente-ses-depenses-militaires-et-cela-inquiete-taiwan.html > [consulté le 12.03.2007].182 Il s’agit du programme américain de défense antimissile lancé le 23 mars 1983 par le Président des Etats-Unis Ronald Reagan.Le nom officiel de ce programme s’intitulait « initiative de défense stratégique » ( IDS ). Le but de ce projet était la détection et ladestruction de missiles balistiques lancés contre les États-Unis grâce à un réseau de satellites.183 Annual Report to Congress : Military Power of the People’s Republic of China 2006, p. 3. « En accord avec une concentration àcourt terme sur la préparation aux risques dans le détroit de Taiwan, la Chine déploie ses systèmes les plus avancés dans les régionsmilitaires juste en face de Taiwan ». (Traduit par nos soins).

184 YOU (Ji), « L’armée et le pouvoir en Chine : vers une nouvelle donne », Politique étrangère, n°01, janvier-mars2001. Disponible sur le site de l’Institut français des relations internationales : <URL : http://www.ifri.org/files/politique_etrangere/PE_01_1_You.pdf > [consulté le 13 mai 2007].

185 CORCUFF (Stéphane), « Mémoire et identité dans le développement culturel à Taiwan. Bâtir une identité civique libéréede la tyrannie du passé », discours d’ouverture des travaux lors de la Conférence nationale sur l’ethnicité et le développement culturelqui s’est tenue à Taipei du 16 au 18 octobre 2004, op. cit.

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un tel scénario, c’est la Chine qui place d’abord Taiwan sous une pression extraordinaire,mais en fin de compte, c’est la situation intérieure de l’île qui pourrait permettre à cettepression chinoise d’atteindre l’effet recherché »186. On retrouve ici la logique de la gestiontraditionnelle chinoise des affaires publiques et l’expérience du PCC de la guerre civile :« Winning through coercion and intimidation was regarded as a “peaceful” outcome »187.C’est pourquoi la Chine acquiert de plus en plus d’armes offensives pour empêcher Taiwand’être et de se sentir capable de se défendre, et donc de proclamer « l’indépendance ».

Néanmoins, nous l’avons vu, rien ne permet d’affirmer quelles sont les véritablesintentions de la Chine, et le département américain de la défense s’inquiète du fait que« China is investing in maritime surface and sub-surface weapons systems that could serveas the basis for a force capable of power projection to secure vital sea lines of communicationand/or key geostrategic terrain »188. Par ailleurs, la Chine développe ses capacités dedéfense et de contre-attaque nucléaire, et l’existence d’un débat en Chine sur le principe de« non utilisation en premier » (« no first use ») de la force nucléaire, accentue l’inquiétude desEtats-Unis et des autres acteurs régionaux, dont Taiwan et le Japon, au sujet des intentionschinoises189.

2. La réponse des Etats-Unis face à la militarisation chinoise : la stratégied’encerclement militaireFace à la militarisation de la Chine, les Etats-Unis ont renforcé leur système d’alliancesmilitaires et de sécurité en Asie du Nord-est afin de préserver leur domination sur cetterégion stratégique. D’après le plan quadriennal de défense de 2001, « les Etats-Unisproposent de structurer la partie « maritime » de l’Asie du Nord-Est sur un mode qui luiserait propre et qui, à terme, impliquerait une dissociation stratégique d’avec la réalité« continentale » (principalement constituée de la République populaire de Chine) afin de s’yopposer »190. Il s’agit d’encercler la RPC tant que les intentions de cette dernière resterontobscures et par conséquent potentiellement menaçantes. Les Etats-Unis ont ainsi renforcéen 2005 leur alliance avec le Japon afin de passer d’une « coopération qui avait pour seulobjet la défense du Japon ou potentiellement la stabilité dans la région »191 à une « alliance

186 Ibidem.187 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 111. D’après ZHANG (Zuqian), « National Defense Modernization and the Taiwan

Problem », Zhanlue Yu Guanli (Strategy and Management), 30 décembre 1999, (FBIS, CPP29999215999116 [22 février 2000]).« Gagner par la coercition et l’intimidation était regardé comme un moyen « pacifique » ». (Traduit par nos soins).

188 Annual Report to Congress : Military Power of the People’s Republic of China 2006, p. 1. « La Chine investit dans dessystèmes d’armes de surface maritime et sous-marines qui pourraient servir de base à une force capable de projeter sa puissancepour sécuriser des lignes maritimes vitales de communications et/ou des zones géostratégiques clé ». (Traduit par nos soins).

189 Ce principe est inscrit dans le livre blanc chinois de 1998 sur la défense nationale et est constamment réaffirmé par lesdirigeants chinois. Toutefois, le maire général Zhu Chenghu avait déclaré le 14 juillet 2005 que « China’s nuclear strategy needs tobe changed and renovated » (« la stratégie nucléaire chinoise a besoin d’être changée et rénovée » Traduit par nos soins). AnnualReport to Congress : Military Power of the People’s Republic of China 2006, p. 28.190 LEMPERT (Emmanuel), « Chine, Taiwan, Corées, Japon, Etats-Unis : les nouveaux enjeux stratégiques », Questionsinternationales, n°3, septembre-octobre 2003, p. 104-105.191 D’après le discours de Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat américaine, pour la présentation du rapport préliminaire du 29octobre 2005 sur la transformation de l’alliance entre les USA et le Japon. Cf. GUYONNET (Emilie), « Face à la Chine, un nouvelaccord stratégique entre Tokyo et Washington », Le Monde diplomatique, avril 2006, p. 24. Ce rapport est disponible sur le site du

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globale ». L’accord prévoit notamment la « transition des Forces d’autodéfense vers unstatut de force opérationnelle conjointe »192 permettant de sortir du cadre de stricte défensedu territoire japonais, et il vise à maintenir le niveau technologique des forces japonaisesà celui des Etats-Unis193. Les deux pays ont d’autre part publié une déclaration conjointeen février 2005 qui rappelait l’importance d’une « résolution pacifique de la question deTaiwan », intégrant officiellement pour la première fois la résolution de ce conflit dans lesobjectifs stratégiques de l’alliance de sécurité nippo-américaine194. En outre, Washingtona proposé au Japon et à Taiwan de mettre en œuvre des systèmes antibalistiques dethéâtre (TMD), qui permettraient de réduire la capacité de dissuasion de la Chine et dela Corée du Nord. Ce projet a reçu un écho très favorable de la part de l’administrationChen qui a déclaré vouloir « lier de façon permanente l’armée de l’île aux mécanismesde l’alliance nippo-américaine »195. Emmanuel Lempert souligne cependant que de telssystèmes ne feront qu’encourager la Chine à « se doter de capacités susceptibles desaturer les défenses antibalistiques de Washington, ce qui ne manquera pas de relancer lacourse aux armements dans la région »196. Le Japon est particulièrement intéressé par lerenforcement de la coopération militaire dans la région avec les Etats-Unis car il doit lui aussisécuriser ses voies maritimes d’approvisionnement. Néanmoins, l’archipel cherche aussi àobtenir une plus grande indépendance stratégique, en partie pour pouvoir s’affirmer commeune puissance régionale capable de garantir seule la stabilité régionale, en témoigne lelancement en 2003 des premiers satellites d’observation spatiale militaire (IGS)197. De laposition d’un acteur réticent à développer une politique de défense et de sécurité débordantses frontières afin de ne pas inquiéter ses voisins, le Japon est ainsi passé à la position d’unacteur cherchant à s’affirmer comme une puissance responsable et pacifique sur la scèneinternationale en participant à des missions de maintien de la paix et en apportant leur aideaux Etats-Unis en Irak198. Il s’agit pour l’archipel de renforcer sa sécurité face à une Chineen plein développement militaire et aux intentions obscures.

D’autre part, conformément au Taiwan Relations Act et afin de répondre à lamodification de l’équilibre des forces dans le détroit en faveur de la Chine, Washington s’estprononcé dès 1996 (sous l’administration Clinton) en faveur de la modernisation de l’arméetaiwanaise en proposant une assistance aux taiwanais pour qu’ils produisent eux-mêmesleurs propres armes199. Cette tendance s’est toutefois fortement accrue sous l’administration

Département d’Etat des Etats-Unis : <URL : http://www.defenselink.mil/news/Oct2005/d20051029document.pdf > [consulté le 12mars 2007].192 Ibidem.193 Ibidem.194 CABESTAN (Jean-Pierre), « Chine : des armes pour quoi faire ? », Politique Internationale, n°110, hiver 2006. Disponible surInternet : <URL : http://www.politiqueinternationale.com/revue/article.php?id_revue=25&id=300&content=synopsis > [consulté le 11mars 2007].195 DUCHATEL (Mathieu), « Taiwan : la politique de sécurité du gouvernement Chen depuis 2000 », Perspectives chinoises, n°93,janvier-février 2006, p. 58.196 LEMPERT, « Chine, Taiwan, Corées, Japon, Etats-Unis : les nouveaux enjeux stratégiques », op. cit., p. 104.197 LEMPERT, « Chine, Taiwan, Corées, Japon, Etats-Unis : les nouveaux enjeux stratégiques », op. cit., p. 105.198 DUBOIS (Emmanuel), « Pékin-Tokyo : la revanche des passions », Politique internationale, n°110, hiver 2006. Disponible surInternet : <URL : http://www.politiqueinternationale.com/revue/article.php?id_revue=25&id=301&content=synopsis >.

199 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 115.

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Partie I : Un sentiment d'accélération de la crise, résultat d'un dialogue impossible entre la Chineet Taiwan

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Bush qui a approuvé dès 2001 la vente d’armes sophistiquées200 à Taiwan et a affirméque les Etats-Unis viendraient défendre Taiwan contre toute attaque, quelles qu’en soientles circonstances, afin de convaincre la RPC de la détermination américaine201. De plus,l’adoption du Taiwan Security Enhancement Act (loi de renforcement de la sécurité de

Taiwan) par la chambre des représentants le 1er février 2000 prévoit l’entraînement desofficiers taiwanais202 et la construction « [d’]un centre de commandement et de contrôleconjoint pour les trois armées taiwanaises […dont les] systèmes de communication seraientintégrés avec ceux du Commandement américain dans le Pacifique »203. Malgré ces effortsde modernisation et la volonté de Chen Shui-bian d’acquérir plus d’armes défensives voireoffensives pour repousser une attaque chinoise sur le continent, les dépenses militairestaiwanaises n’ont cessé de décroître depuis 10 ans. Alors que le budget militaire de Taiwans’élevait à 12,04 milliards de dollars américains en 1996 et représentait 4,28% du PNB, ilne s’élevait plus qu’à 8,3 milliards de dollars en 2005, soit 2,4% du PNB204. Ce phénomènes’explique par la forte division de l’opinion taiwanaise sur la réalité de la menace chinoise etl’absence de majorité parlementaire de Chen Shui-bian205. En effet, de nombreux Taiwanaispensent que la menace chinoise est surtout symbolique (la volonté de Beijing d’accroîtreles échanges économiques avec Taiwan en serait la preuve) ou sont convaincus que lesEtats-Unis viendront défendre l’île quoi qu’il arrive. Pour beaucoup, l’éclatement d’un conflitarmé dépend essentiellement de l’attitude de la RdC. Il s’agit donc plutôt de ne pas prendred’initiatives politiques provocatrices206.

Pour conclure, malgré le succès relatif de la modernisation de l’armée taiwanaise,l’accroissement des capacités militaires de chaque côté du détroit augmente le risqued’éclatement d’un conflit armé, et l’avance chinoise complique encore le problème. Lasécurité est donc une source d’instabilité dans la région. Ainsi que le souligne Richard Bush,la sécurité rend plus difficile encore la négociation dans la mesure où elle accroît le sentimentde vulnérabilité de chaque côté du détroit : Taiwan se sent vulnérable face aux capacitésmilitaires chinoises, et la Chine se sent vulnérable face aux éventuelles décisions politiques

200 Il s’agit notamment de 8 sous-marins, 4 destroyers spécialisés antiaériens, 30 hélicoptères Apache et 12 avions Orionde lutte anti-sous-marine. Voir VAIRON (Lionel), « La réélection du président taiwanais : analyse prospective », Défense nationale,n°7, juillet 2004, p. 157.

201 « It [had] become essential that the United States make every effort to deter any form of Chinese intimidation of theRepublic of China on Taiwan and declare unambiguously that it will come to Taiwan’s defense ». Project of the New AmericanCentury, « Statement on the Defense of Taiwan », 20 août 1999 (Disponible sur Internet : <URL: http://newamericancentury.org/Taiwandefensestatement.htm [11 >]. « Il [est] devenu essentiel que les Etats-Unis fassent tous les efforts pour dissuader toute formed’intimidation chinoise sur la République de Chine à Taiwan et déclarer sans ambiguïté qu’ils viendront à la défense de Taiwan ».(Traduit par nos soins).

202 HE (Baogang), « Chine-Taiwan : l’impérieuse question de la souveraineté », Perspectives chinoises, n°63, janvier-février2001, p. 9.

203 DUCHATEL (Mathieu), « Taiwan : la politique de sécurité du gouvernement Chen depuis 2000 », Perspectives chinoises,n°93, janvier-février 2006, p. 55.

204 DUCHATEL, « Taiwan : la politique de sécurité du gouvernement Chen depuis 2000 », op. cit., p. 57. D’après le NationalDefense Report 2004, « Taiwan: Major US Arms Sales Since 1990, CRDS Report to Congress, p. 142-144.

205 A titre d’exemple, la proposition en 2004 de débloquer une enveloppe spéciale de 11 milliards de dollars américains pourla défense de l’île avait déjà été rejetée 50 fois au Yuan législatif en mars 2006. DUCHATEL, « Taiwan : la politique de sécurité dugouvernement Chen depuis 2000 », op. cit., p. 56.

206 Voir BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 123-126.

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taiwanaises qui pourraient changer le statu quo dans un sens défavorable à Beijing Le climatde méfiance entre les deux rives est tel qu’aucune des deux rives ne veut se risquer à fairedes concessions pour débloquer la situation de peur de voir sa bonne volonté exploitée parl’autre207.

Ainsi, la situation dans le détroit paraît bloquée par l’incapacité des deux rivesà dialoguer, et les tensions qui en découlent inévitablement suscitent un sentimentd’accélération de la crise. Ce constat ne doit cependant pas masquer une autre réalité dela relation sino-taiwanaise, à savoir le réel désir des deux rives à ne pas franchir, tant quepossible, la ligne rouge d’un conflit armé. Il est en effet dans l’intérêt des deux rives de réglerleur querelle pacifiquement, et les tensions qui jalonnent leurs relations sont peut-être toutsimplement le symptôme d’un ajustement difficile et rapide à la nouvelle donne géopolitiquerégionale provoquée par la montée en puissance de la Chine.

207 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 108.

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Partie II. Un réel désir de décélération de la crise, conséquence d'une nécessaire adaptation à lanouvelle donne géopolitique

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Partie II. Un réel désir de décélérationde la crise, conséquence d'unenécessaire adaptation à la nouvelledonne géopolitique

Pour évaluer le désir des deux rives de décélération de la crise en dépit de leur grandedifficulté à dialoguer, nous procèderons de la même manière que pour analyser le sentimentd’accélération de la crise, c’est-à-dire que nous nous intéresserons d’abord à la politiqueintérieure de Beijing et de Taipei, puis à leur politique internationale. On constate eneffet un début d’ouverture de la politique intérieure en Chine et à Taiwan, qui, dans uncontexte international incitant à la modération, pourrait contribuer à aider la RPC et laRdC à dialoguer de nouveau. Ce phénomène traduirait les efforts entrepris par Beijing etTaipei pour s’adapter à la nouvelle donne géopolitique régionale. La Chine développe certessa puissance, notamment militaire, mais cherche à s’affirmer sur la scène internationalede manière pacifique, tandis que les Etats-Unis, toujours prépondérants dans la région,conservent les moyens de dissuader les deux rives de s’engager dans un conflit armé.

Chapitre 1 : Vers une plus grande ouverture de lapolitique intérieure en Chine et à Taiwan

Bien que les systèmes politiques de la Chine et de Taiwan soient responsables engrande partie de l’incapacité des deux capitales à dialoguer pour régler leur différend, cessystèmes politiques évoluent progressivement vers une plus grande ouverture, qui pourrait,à terme, permettre de débloquer la situation. Parallèlement, l’interdépendance croissantedes économies chinoise et taiwanaise, et les bénéfices qui en résultent de chaque côtédu détroit sont autant d’éléments incitant les dirigeants de Beijing et de Taipei à trouver unterrain d’entente.

I. Des systèmes politiques en évolution, facteurs d’ouverture politiqueTandis que l’évolution du système politique chinois vers une plus grande ouverture secaractérise plutôt par sa lenteur et sa discrétion, l’attitude du gouvernement Chen et lesréformes engagées à Taiwan traduisent une meilleure maîtrise du système démocratiqueet une volonté d’améliorer son fonctionnement.

A. La lente ouverture du système politique chinoisOn constate en Chine une lente ouverture du système politique depuis l’arrivée au pouvoird’une nouvelle génération de dirigeants chinois remplaçant celle de Jiang Zemin, et qui

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se caractérise par un effort de diversification des points de vue et des analyses sur lesquestions internationales.

1. L’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération de dirigeantsPour Richard Bush, Le moment favorable à un changement d’orientation de la politiquechinoise est celui du roulement des dirigeants tous les 5 ans simultanément avec laconvocation d’un nouveau Congrès du PCC et d’un nouveau Congrès national du peuple208.En effet, si les dirigeants de la quatrième génération arrivés au pouvoir en 2002 ont dû fairepreuve de conformisme pour assurer leur nomination, certains éléments contenus dansles discours rédigés par le Bureau des Affaires taiwanaises (chaque année au mois dejanvier pour marquer l’anniversaire des « 8 points » de Jiang Zemin209) peuvent néanmoinsindiquer l’avènement d’une nouvelle approche de la question taiwanaise par les leaders dela quatrième génération. Par exemple, le vice-premier ministre, Qian Qichen, exprima sacompassion en 2001 pour « the sufferings of the Taiwan compatriots in having endured along period of colonial rule and despotic oppression »210, et dit comprendre « the strongaspirations of the Taiwan compatriots to be masters in their own house »211. En outre, ilfut suggéré en 2002 aux membres du PDP « non fanatiques de l’indépendance » de venirvisiter la RPC sous un statut approprié pour démontrer la volonté de Beijing d’amorcerun dialogue avec le parti au pouvoir en dépit de son opposition à la formule chinoise deréunification. Pour Richard Bush, ces éléments ne prouvent certes en aucun cas une plusgrande influence de la quatrième génération sur la question de Taiwan, mais ils montrentune meilleure compréhension de la société taiwanaise et une volonté de la séduire surle plan rhétorique, ce qui constitue un changement important par rapport aux approchesprécédentes des relations dans le détroit. On pourrait par conséquent émettre l’hypothèseque la continuité dans le traitement des affaires taiwanaises après le seizième congrèss’explique par le fait que Jiang avait conservé la présidence des commissions militairesétatiques et du parti, et qu’il avait placé ses protégés, notamment Zeng Qinghong, auxprincipaux organes de décision politique212. Toutefois, Richard Bush précise que même s’ils’avérait que les dirigeants chinois de la quatrième génération avaient une approche plusouverte et compréhensive de la question de Taiwan que leurs prédécesseurs, l’importancede cette question pour la survie du régime et le caractère élitiste de ces dirigeants quatrièmegénération induisent un risque de continuité de leur politique taiwanaise avec celle deJiang213. Le meilleur exemple est celui du Président de la RPC, Hu Jintao, qui se démarquepar sa discrétion sur la question de Taiwan, et ce peut-être en partie par sa recherchede consolidation de ses positions face aux différents organes de pouvoir et notamment

208 BUSH (Richard C.), Untying the Knot. Making Peace in the Taiwan Strait, Brookings Institution Press: Washington D.C., 2005,p. 183.209 Sur ces « 8 points », voir l’introduction, p. 17.210 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 185. « Les souffrances des compatriotes taiwanais qui ont enduré une longue période dedomination coloniale et d’oppression despotique ». (Traduit par nos soins).211 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 185. « les fortes aspirations des compatriotes taiwanais à être les maîtres chez eux ». (Traduitpar nos soins).212 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 186.213 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 187. Sur le caractère élitiste des dirigeants chinois de la quatrième génération, voir CHENG(Li), China’s Leaders : The New Generation, Lanham, Md., Rowman & Littlefield, 2001, chapitre 6.

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l’armée214. Quoi qu’il en soit, l’arrivée au pouvoir de la quatrième génération de dirigeantschinois s’est accompagnée d’un effort de diversification des points de vue et des analysessur les questions internationales.

2. Un effort de diversification des points de vue et des analyses sur lesquestions internationalesPoint positif et plus significatif en faveur de l’ouverture du système politique chinois, legouvernement chinois a diversifié ses sources d’analyse politique. Par exemple, le ministèredes Affaires étrangères chinois commence à s’adresser à des analystes politiques et desuniversitaires chinois spécialisés pour obtenir leurs points de vue et éclairages sur lesévolutions internationales à l’œuvre. Evan S. Medeiros et M. Taylor Fravel soulignent ainsique :

D’autre part, les diplomates chinois actuels ont été mieux formés que leursprédécesseurs. Ils parlent au moins une langue étrangère couramment, ont généralementpassé plusieurs années à l’étranger et détiennent des diplômes d’universités européenneset américaines215.

Un autre élément d’ouverture de la politique chinoise relevé par Evan S. Medeiroset M. Taylor Fravel est l’organisation de débats publics sur les affaires mondiales tellesque la non-prolifération et la défense. Dans certains cas, des points de vue divergents deceux du PCC sont même publiés. « Certain newspaper, especially Huanqiu Shibao (Globaltimes) and Nanfang Zhoumo (Southern weekend), even publish opinion pieces that proposealternatives to official party policy, such as that regarding North Korea »216. Enfin, des articlesparus dans les principaux journaux chinois ont appelé la Chine à abandonner sa mentalitéde victime dans la représentation de sa place sur la scène internationale, à savoir l’insistancesur les « 150 années de honte et d’humiliation »217.

Au sujet de la question taiwanaise proprement dite, on constate également unecertaine prise de distance vis-à-vis de la ligne politique officiellement défendue jusque-là.François Danjou révèle en effet « [qu’]au sein du système chinois, y compris parmi lesmilitaires, beaucoup savent que, pour des raisons historiques et stratégiques, la questiontaiwanaise ne pourra pas être résolue selon le schéma « un pays, deux systèmes » etqu’il faudra probablement inventer une formule plus subtile »218. Au niveau de la stratégieà employer pour parvenir à la réunification, Ding Xinghao, président de l’Association desinstituts d’études américaines de Shanghai, est d’avis qu’il s’agit désormais de s’attacher àséduire les Taiwanais et de prendre en considération la réalité taiwanaise219. Chez certains

214 PAQUET (Philippe), « Ciel couvert dans le détroit de Taiwan », Taiwan aujourd’hui, n°2, février 2005, p. 23.215 MEDEIROS et FRAVEL, « China’s New Diplomacy », op. cit., p. 30.216 Ibidem. « Certains journaux, en particulier le Huanqiu Shibao (Global times) et le Nanfang Zhoumo (Southern weekend),

publient même des opinions qui proposent des alternatives à la politique officielle du parti, comme celle concernant la Corée du Nord ».(Traduit par nos soins).

217 MEDEIROS et FRAVEL, « China’s New Diplomacy », op. cit., p. 32.218 DANJOU (François), « la question de Taiwan », Défense nationale, n° 6, juin 2003, p. 177.219 Voir PAQUET (Philippe), « Un syndrome iraquien pour Taiwan », Taiwan aujourd’hui, n°12, décembre 2005, p. 30. On

notera néanmoins que Ding Xinghao persiste à définir le dialogue avec les opposants de Chen Shui-bian (Lien Chan et James Soong)comme une marque d’ouverture alors qu’il prouve une fois de plus la volonté d’exclusion de Chen. Ding partage en outre la perceptionde Lee Teng-hui comme un « séparatiste ».

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universitaires aussi une nouvelle réflexion sur la politique taiwanaise de la RPC est en trainde naître. A titre d’exemple, Richard Bush cite les propos de Nianchi Zhang suite à l’électionde Chen Shui-bian en 2000 : « instead of asking heaven to protect the Chinese nation, wehad better thoroughly reexamine and adjust our thinking policy [because it could] no longercater the dramatic changes in Taiwan that have significantly impacted the basis on whichthese policies have been implemented »220.

Si ces éléments vont dans le sens d’une plus grande ouverture du système politiquechinois, en particulier dans la mise en œuvre de la politique étrangère et taiwanaise, ilconvient toutefois de ne pas faire de conclusions hâtives. Comme le rappelle RichardBush, il ne faut pas oublier que ces approches plus ouvertes et plus créatives sont le faitd’universitaires et que rien ne permet d’affirmer qu’elles soient partagées par des officielsde la RPC. Les dirigeants de Beijing peuvent avoir permis aux universitaires de développerdes approches plus créatives, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient prêts à lesadopter. L’ouverture politique chinoise est encore timide et demande davantage de tempspour se développer.

Parallèlement à la lente ouverture politique chinoise, on assiste à Taiwan à une volontéde meilleure maîtrise du système démocratique par la mise en place de réformes. Cettevolonté d’amélioration du fonctionnement des institutions taiwanaises, incarnée par ChenShui-bian, pourrait faciliter la définition et la mise en œuvre de la politique continentale deTaipei, et encourager ainsi la reprise du dialogue avec Beijing.

B. L’attitude de Chen Shui-bian, traduction d’une meilleure maîtrise dusystème démocratique et d’une réelle volonté de réformeLe renouvellement du mandat de Chen Shui-bian en 2004 en dépit de l’oppositionsystématique du KMT à son gouvernement depuis 2000 démontre l’adaptation réussie dugouvernement Chen au système démocratique et électoral de Taiwan, et explique sa volontéd’améliorer le fonctionnement démocratique par des réformes, comme l’avait fait Lee Teng-hui avant lui.

1. Une meilleure maîtrise du système démocratiqueL’opinion taiwanaise étant très divisée sur la question de l’unification avec la Chine oude la proclamation d’une République de Taiwan, le système démocratique a forcé lesdeux partis principaux de l’île à un recentrage de leurs positions respectives. Le KMTse fit plus conciliant sur l’objectif de réunification, tandis que le PDP se montra plusmodéré sur la question de la déclaration d’indépendance. Alors que la plupart virent lerecentrage de Chen comme provisoire, et interprétèrent ses propos plus radicaux en faveurde l’organisation d’un référendum sur la défense de l’île et sur l’adoption d’une nouvelleConstitution comme la preuve de son revirement tant attendu, le Président taiwanais afait preuve d’une remarquable modération face à l’opposition parlementaire, et ses proposde 2003-2004 s’inscrivirent dans une stratégie de campagne traduisant son savoir-faireélectoral. Conscient de la réalité électorale et internationale de l’île, Chen Shui-bian a faitpreuve de pragmatisme tout au long de ses mandats, en témoigne l’accord conclu en février2005 avec le PFP de James Soong, qui est traditionnellement favorable à une forme deréunification avec la Chine et qui faisait partie du camp bleu durant la campagne électorale

220 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 320-321. « Au lieu de demander au ciel de protéger la nation chinoise, nous ferions mieuxde réexaminer et d’ajuster complètement notre manière de penser [car elle pourrait] ne plus répondre aux changements spectaculairesà Taiwan qui ont eu un impact significatif sur les bases sur lesquelles ces politiques ont été mises en œuvre ». (Traduit par nos soins).

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de 2004. En même temps que cet accord confère à Chen une plus grande marge demanœuvre pour faire passer ses réformes au Yuan législatif, il garantit aussi la modérationde la politique de Chen, étant donné que Soong retirera son soutien si Chen tient une lignepolitique trop dure en faveur de l’indépendance (en prenant par exemple des attitudes etactions provocatrices aux yeux de la Chine).

Frank Muyard démontre que la campagne électorale de 2004 a été rondement menéepar le camp vert (PDP et UST), qui a su exploiter les contradictions du camp bleu(KMT et PFP)221. En effet, le camp bleu avait choisi de centrer son discours autours desrésultats médiocres du gouvernement Chen tout au long de son mandat : ralentissementéconomique, initiatives politiques dangereuses, négligence des procédures administratives,etc. Ceci dans le but de glorifier, par contraste, la gestion de l’Etat par le KMT, notammentdans les années 1970-1980. Or cette stratégie se révéla contre-productive puisque le campbleu, en tant que groupe majoritaire au Yuan législatif, avait bloqué tous les projets de loidu gouvernement Chen, ce que le camp vert ne manqua pas de rappeler haut et fort. Etla reprise économique à partir de l’été acheva de réduire à néant les arguments du campbleu. D’autre part, en se référant sans cesse aux années Chiang Ching Kuo comme desannées modèles alors que la démocratie et sa localisation à Taiwan furent instaurées aprèssa mort par Lee Teng-hui, pourtant lui aussi membre du KMT, le camp bleu décrédibilisason soutien à la démocratie. Il faut rappeler à ce sujet la difficulté dans laquelle se trouvele KMT, qui, bien qu’ayant lancé la démocratisation et la taiwanisation, ne peut revendiquerl’héritage d’un Lee Teng-hui passé désormais dans le camp indépendantiste avec sonparti, l’UST. Ainsi, parlant du camp bleu, Frank Muyard conclut que « les contradictionsfondamentales de leur discours les mettront en péril dès que le débat électoral glissera de lacritique des politiques du gouvernement Chen aux questions identitaires et de changementsconstitutionnel »222. Le camp vert retourna en effet les critiques du camp bleu à son avantageen insistant sur la nécessité de réformer les institutions taiwanaises pour éviter les situationsde blocage entre le gouvernement et la majorité parlementaire. Il put en outre se focalisersur ses électeurs de base en adoptant un ton plus radical sur la question des relationsavec la Chine. Chen craignait en effet que les électeurs de base votent contre lui à causede sa politique centriste au début de son premier mandat. Or le traitement déplorable del’épidémie de SRAS par la RPC lui donna une formidable occasion de relancer son projetd’organisation d’un référendum « pour que la population puisse se prononcer directementsur les politiques gouvernementales et les grands objectifs de la nation »223. La popularitédes réformes proposées par Chen et le soutien qu’elles obtinrent auprès de l’administrationBush amenèrent alors le camp bleu à les soutenir aussi et à surenchérir. De peur d’êtreperçus comme les alliés de Pékin par la population taiwanaise, ils allèrent même jusqu’àse déclarer en faveur d’un changement de constitution. Par conséquent, comme le noteRichard Bush, Chen ne souffrit même pas des conséquences de son éloignement ducentre224. Dès lors, « le camp bleu passa son temps à courir après le PDP pour prouverson attachement à Taiwan et à la démocratie»225, mais sans maîtriser la dynamique ni lecalendrier de la campagne. Ce retournement stratégique dévoila une certaine confusion ducamp bleu et ne fit que légitimer la politique de Chen, favorisant la réélection de ce dernier.

221 MUYARD (Frank), « Naissance d’une nation à Taiwan ? », Perspectives chinoises, n°82, mars-avril 2004, p. 35-38.222 MUYARD, « Naissance d’une nation à Taiwan ? », op. cit., p. 36.223 MUYARD, « Naissance d’une nation à Taiwan ? », op. cit., p. 37.224 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 178.225 MUYARD, « Naissance d’une nation à Taiwan ? », op. cit., p. 39.

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Ainsi, la campagne de 2004 n’a pas marqué un pas de l’île vers l’indépendance mais aconfirmé le savoir-faire électoral de Chen. Plutôt que de s’inquiéter de la réélection de Chensur des thèmes perçus comme provocateurs par la Chine, tel que le projet d’adoption d’unenouvelle Constitution pour Taiwan, on devrait plutôt s’interroger sur l’adhésion réelle desténors du KMT à la démocratie. En effet, ces derniers ont contestés les résultats électorauxconsacrant la victoire de Chen Shui-bian le 20 mars 2004 et ont organisé de nombreusesmanifestations. Selon Stéphane Corcuff, « les plus radicaux des unificateurs ressententaujourd’hui un sentiment d’urgence, lié à une question de nature existentielle : celle de leursurvie politique face à une tendance lourde de l’histoire qui les marginalise et les enfermedans des contradictions que le jeu démocratique aiguise »226. Et avec la contestation del’idéal d’unification qui va de pair avec les réformes démocratiques et le développementd’une identité taiwanaise spécifique, « le soutien des partisans de l’unification au principedémocratique vacille »227.

2. La défense de Chen Shui-bian des réformes électorales, institutionnelleset constitutionnelles pour améliorer le fonctionnement démocratique de l’îlePour sortir de la situation de blocage institutionnel résultant de l’absence de cohabitationet de discipline de parti au Yuan législatif, Chen Shui-bian a encouragé le passage d’unamendement constitutionnel. Voté le 10 juin 2005, cet amendement réduit le nombre dedéputés à 113 (au lieu des 225 prévus jusqu’alors), et augmente la durée de leur mandatd’un an (le portant à 4 ans au lieu de 3) pour égaler celle du mandat présidentiel. Lesélections présidentielle et législative auront en outre lieu la même année, et pourquoi pasle même jour pour réduire l’immobilisme politique issu de la fréquence et de la successiondes échéances électorales et favoriser un « effet d’entraînement ». Le système électoralest également transformé par l’application, dès la fin 2007, d’un mode de scrutin à « unseul district, deux voix »228 selon lequel les électeurs voteront pour deux législateurs : unpour la circonscription dans laquelle ils vivent et un pour le parti auquel ils s’identifient.Selon Richard Bush, ces réformes devraient diminuer la tendance à la fragmentation, laradicalisation, l’individualisme et la démagogie du système électoral actuel, mais il est trèsprobable que le culte de la personnalité des leaders perdurera encore longtemps229. Ondevrait en tout cas assister à la bipolarisation de la vie politique autour de deux alternatives, àsavoir la conclusion d’un accord d’unification avec Beijing ou la poursuite de l’indépendance.Ce nouveau mode de scrutin devrait par ailleurs faire paraître la motion de censure duPremier ministre et du Président moins risquée aux parlementaires, puisqu’ils auront moinsde concurrence à affronter lors des élections législatives suivantes si le Président décidaitde dissoudre l’Assemblée. De plus, la possibilité d’une réelle censure du gouvernementpar l’Assemblée devrait également inciter le Président à nommer un Premier ministre issude la majorité parlementaire ou au moins acceptable aux yeux de cette dernière. On serapproche alors du mécanisme de cohabitation à la française, où l’Exécutif et le Législatifpeuvent continuer à travailler, même s’ils sont de couleurs politiques différentes.

226 CORCUFF (Stéphane), « Les partisans de l’unification face à la taiwanisation », Perspectives chinoises, n°82, mars-avril2004, p. 52.

227 CORCUFF, « Les partisans de l’unification face à la taiwanisation », op. cit., p. 64.228 LEE (Joseph), « Loi de 2003 sur les referendums à Taiwan : de nombreuses interrogations persistent », Perspectives chinoises,n°94, mars-avril 2006, p. 43.229 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 180.

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Cet amendement de 2005 prévoit également dans son article 12 certains changementsdans le processus de révision constitutionnelle. Si la procédure d’amendement restela même au Yuan législatif, l’Assemblée nationale est abolie, et les amendementspeuvent désormais être approuvés par référendum, avec le soutien d’au moins lamoitié des électeurs. Cette procédure rend a posteriori constitutionnelle la loi sur lesréférendums adoptée en 2003, mais elle ne facilitera pas vraiment l’approbation de révisionsconstitutionnelles majeures qui seront impliquées par la conclusion de tout accord avecla RPC. En effet, l’opinion politique taiwanaise étant divisée autour de deux grands partiss’opposant sur deux visions des relations à entretenir avec la Chine, un amendementconstitutionnel sur cette question aura le plus grand mal à réunir le nombre de voixnécessaires à son passage.

En conclusion, par ses propositions de réforme, le gouvernement Chen a prouvé savolonté de résoudre le blocage des institutions provoqué par l’alternance en 2000, ce qui estencourageant pour le fonctionnement de la vie politique taiwanaise en général. Néanmoins,sur les questions majeures comme l’avenir des relations avec la Chine, l’accord de lamajorité des électeurs qu’impose tout système démocratique sera difficile à obtenir, étantdonné la division de la population taiwanaise sur ce point. En réalité, seul un accord avec laChine capable de séduire tous les Taiwanais ferait consensus. Malgré tout, l’ouverture timidedu système politique chinois et la rationalisation du fonctionnement institutionnel taiwanaisconstituent un pas vers une meilleure compréhension mutuelle et traduisent le refus defranchir la ligne rouge d’un conflit armé. Beijing et Taipei sont en effet conscientes de lanécessité d’éviter une guerre fratricide dont les coûts humains, militaires, diplomatiques,mais aussi économiques seraient extrêmement élevés en raison de la multiplication deséchanges entre les deux rives depuis les années 1980. Aussi bien la Chine que Taiwanont pris conscience des effets bénéfices des interactions humaines et économiques dansle détroit pour leurs économies et la connaissance mutuelle de leurs populations, et nesauraient les mettre en danger de manière inconsidérée.

II. La prise de conscience des effets bénéfiques de la multiplicationdes échanges entre les deux rives

Dès la fin des années 1980, la démocratisation et les transformations de l’économietaiwanaise ont incité Taipei à autoriser la libéralisation des échanges entre les deux rives.La multiplication croissante des échanges dans le détroit et l’interdépendance économiquequi en a résulté ont amené la Chine et Taiwan à prendre conscience des effets bénéfiquesde ces interactions pour leur connaissance mutuelle et leur croissance économique.

A. Une multiplication croissante des échanges dans le détroit de TaiwanDepuis les années 1980, les échanges entre la Chine et Taiwan n’ont cessé de sedévelopper. Si les interactions économiques sont à ce titre le plus souvent citées, leséchanges humains ne doivent pas pour autant être négligés car ils contribuent à développerla connaissance réciproque des populations chinoise et taiwanaise.

1. L’augmentation des échanges humains

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Dès le 15 octobre 1987, Taipei a autorisé certains de ses habitants à aller rendrevisite à leur famille restée en Chine en 1949230, marquant le début de la libéralisationde la circulation des personnes dans le détroit de Taiwan. Avec la libéralisation deséchanges économiques, Taipei a ensuite accepté la venue de Chinois du continent àTaiwan, accélérant le développement des échanges humains entre la Chine et Taiwan. Deséchanges universitaires entre les deux rives ont aussi été mis en place, notamment entre laNational Taiwan University des universités de Pékin, Nanjing, Fudan et Qinghua, permettantà 3000 étudiants taiwanais d’étudier en Chine dans de nombreux domaines231. Chinoiset Taiwanais se retrouvent également souvent sur les bancs des écoles de commerceaméricaines dans la Silicon Valley. Par ailleurs, une quantité non négligeable de Taiwanaisest désormais installée en Chine (environ un million), tout particulièrement dans la régionde Shanghai et la province du Guangdong. Il s’agit essentiellement d’hommes d’affairestaiwanais et de leur famille, qui ont délocalisé une partie de leur entreprise sur le continent.Les entreprises taiwanaises recrutent en effet de plus en plus d’ingénieurs chinois etchargent leurs jeunes cadres des affaires sur le continent, créant ainsi de nombreusesrelations sino-taiwanaises. En outre, nombreux sont les jeunes Taiwanais qui envisagent àl’heure actuelle de s’établir sur le continent en raison de la montée du chômage sur l’île :30% d’entre eux se diraient « hautement intéressés » par la perspective de travailler enChine, et 15% se déclareraient prêts à s’y installer de manière permanente232. De nombreuxmariages ont également été célébrés entre les deux rives (200 000 d’après le gouvernementtaiwanais233). Par ailleurs, Richard Bush souligne le développement des échanges culturelset sportifs dans le détroit de Taiwan, avec par exemple l’organisation de pèlerinages reliantles lieux sacrés de l’île et du continent, et la participation conjointe d’athlètes chinois ettaiwanais à une course pour l’octroi des jeux olympiques à la ville de Beijing234. DesTaiwanais ont d’autre part donné leur moelle osseuse à des Chinois souffrant de leucémie(86 en juin 2001), via la Tzu Chi Foundation, et des immigrants illégaux et prisonniers ontaussi pu être échangés entre les deux rives235. En dépit de l’indéniable développement desinteractions humaines dans le détroit depuis la fin des années 1980, il convient de ne passurestimer leur ampleur pour autant. D’après une étude de 2002236, la grande majorité desTaiwanais n’a eu aucun contact avec la Chine (seuls 13,7% des enquêtés ou des membresde leur famille sont déjà allés en Chine pour y vivre, travailler ou étudier), et la proportion deChinois à s’être rendue à Taiwan est plus maigre encore237. Malgré tout, des liens humains

230 MENGIN (Françoise), « L’impasse diplomatique sino-taiwanaise », La revue internationale et stratégique, n°15, automne 1994,p. 151.231 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 33-34.232 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 32. D’après « Taiwan Job Seekers Eyeing Opportunities in Mainland China », CNA, 15 juin2005 (FBIS, CPP20010615000155) ; et l’article de LIU (Fu-Kuo) « Uncertain Prospect of Present Cross-Strait Relations : A TaiwanesePerspective », International Journal of Korean Unification Studies, n°2, 2004.233 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 33. D’après « Searching for a Way Out, Chinese Brides Look across Taiwan Strait »,Washington Post, 14 octobre 2004, p. A26.234 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 33-34.235 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 34.236 Ibidem. Etude réalisée le 27 décembre 2002 intitulée « The Poll of Cross-Strait Relations and National Security in 2003 ».237 « Alors qu’en 2004 plus de 3,7 millions de visites de Taiwanais en RPC […] sont répertoriés, seulement 139 000 citoyens deChine populaire ont pu se rendre à Taiwan la même année ». CABESTAN (Jean-Pierre) et VERMANDER (Benoît), La Chine en quêtede ses frontières. La confrontation Chine-Taiwan, Mayenne, Presses de Sciences Po, 2005, p. 164.

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se sont noués entre la RdC et la RPC et ont démontré les bénéfices mutuels qu’ils apportentà la Chine et Taiwan, ne serait-ce qu’au niveau de la connaissance mutuelle des populationsdes deux rives et du goût pour le travail en commun. Ce dernier a par ailleurs été renforcépar la libéralisation et l’intensification des échanges économiques dans le détroit de Taiwan,qui ont mis en place une nouvelle division du travail entre Beijing et Taipei.

2. La libéralisation et l’intensification des échanges économiques entre lesdeux rivesA partir des années 70, le développement économique de la Chine et la compétitivité accrueà laquelle ont dû faire face les firmes taiwanaises dans un contexte de mondialisation, ontfavorisé la délocalisation de certaines firmes taiwanaises sur le continent chinois pour yfabriquer des produits de plus en plus complexes technologiquement. Ces délocalisationss’expliquent par l’existence de coûts de production, de travail et de terrain moindresen Chine qu’à Taiwan, d’autant que la Chine a cherché à attirer les hommes d’affairestaiwanais par des incitations fiscales. D’après T. J. Cheng, le gouvernement taiwanaisa initialement favorisé les échanges économiques avec la Chine en espérant qu'ilsentraîneraient des concessions de la RPC, à savoir la renonciation à l'usage de la force,le traitement du gouvernement taiwanais d'égal à égal et la tolérance de Taiwan dans lesorganisations internationales238. Cependant, en raison de l’ambition des dirigeants chinoisde rallier les hommes d’affaires taiwanais à leur projet de réunification avec Taiwan eten raison de la crainte des dirigeants taiwanais de voir l’île devenir trop dépendante ducontinent économiquement, la libéralisation des échanges commerciaux entre les deuxrives s’est faite avec prudence en plusieurs étapes. Richard Bush décrit ce mouvement de

délocalisation taiwanais en trois temps 239 :

1. à partir de la fin des années 80, les délocalisations en Chine étaient surtout le faitde PME fabriquant des produits nécessitant beaucoup de main d’œuvre tels que letextile, les jouets ou les chaussures pour bénéficier du faible coût de la main-d’œuvrechinoise.

2. au milieu des années 1990, de plus grandes firmes dans la pétrochimie oul’alimentation se mirent également à délocaliser leurs activités pour accéder ainsi nonseulement directement au marché chinois, mais aussi pour revendre moins cher surle marché taiwanais les produits bruts fabriqués en Chine. Bien que les deux-tiers duprocessus productif de ces firmes fussent réalisés en Chine, tout ce qui touchait à larecherche et au développement (RD), au marketing, au design et au test des produitsrestait effectué à Taiwan.

3. à la fin des années 1990, le secteur désormais dominant de l’économie taiwanaise,les firmes de l’électronique et de l’informatique, ont à leur tour délocalisé leursactivités pour profiter des bas coûts de production chinois et rester ainsi compétitivessur le marché mondial. Cette tendance s’est accélérée en 2000 avec la récessionqui toucha fortement ce secteur. En effet, devant la nécessité de maintenir à la foisdes coûts de production et des délais de livraison bas, tout en assurant la qualité desproduits, les activités de sous-traitance de Taiwan ont dû s’installer directement enChine. Toute la chaîne d’approvisionnement s’est alors délocalisée sur le continent,permettant aux entreprises taiwanaises de rester compétitives tout en leur donnant un

238 CHENG (T. J.), « China-Taiwan Economic Linkage: Between Insulation and Superconductivity », in BERNKOPF TUCKER (Nancy),éds, 2005, Dangerous Strait. The U.S. – Taiwan – China crisis, New York, Columbia University Press, chapitre 5.239 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 29-31.

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meilleur accès au marché chinois. Enfin, l'industrie semi-conductrice et les banquescherchent aussi désormais à investir de l’autre côté du détroit.

Selon les statistiques du Département des Affaires de Taiwan, de Hong Kong et de Macaodu ministère chinois du Commerce, le volume du commerce entre la Chine et Taiwan aatteint 88,03 milliards de dollars fin 2006, ce qui représente une hausse de 20,4% parrapport à l’année précédente240. En 2004, la Chine est même devenue le principal partenairecommercial de Taiwan, avant les Etats-Unis, en recevant 25,8 % des investissements directsà l’étranger (IDE) taiwanais241. Le fort développement des liens productifs et commerciauxentre la RdC et la RPC a amené les deux capitales à prendre conscience du caractèreindispensable de ces échanges économiques pour leur croissance respective et leurcompétitivité sur le marché mondial, augmentant à leurs yeux le coût de l’éclatement d’unconflit armé dans le détroit.

B. Des échanges économiques indispensables à la croissance des deuxcôtés du détroitDans ce contexte mondialisé, les firmes taiwanaises et chinoises ont un intérêt évident àcollaborer. Richard Bush indique en effet que grâce aux coûts de production moindres dontelles ont pu bénéficier en Chine, les firmes taiwanaises sont restées des partenaires de choixpour le Japon, l’Europe et les Etats-Unis, qui ont ainsi continué à leur fournir des produits demarque et à forte valeur technologique. Ces mêmes firmes ont alors permis à ces produitsde pénétrer le marché chinois, et aux firmes chinoises d’accéder au marché international242.Les économies chinoises et taiwanaises sont ainsi devenues interdépendantes. La Chinea en effet un besoin impératif des IDE, en particulier taiwanais, pour soutenir sa croissanteéconomique et maintenir sa cohésion sociale, tandis que Taiwan a besoin des faiblescoûts de production chinois pour assurer la compétitivité de l’île au niveau international etpréserver le niveau de vie des Taiwanais.

1. Le besoin impératif de la Chine en investissements directs à l’étranger(IDE) pour maintenir sa croissance et sa cohésion socialeMalgré ses taux de croissance record chaque année, la situation économique et socialechinoise est loin d’être idéale. François Godement dénonce l’augmentation du taux dechômage urbain et la forte dette du système bancaire national comme conséquences dudéclin des entreprises étatiques243. Le système financier manque de transparence et lemarché intérieur connaît une croissance inférieure à celle des exportations. Quant à laquestion du financement des systèmes de sécurité sociale, de chômage et des retraites (quiétaient en partie pris en charge par les entreprises d’Etat244), aucune réponse n’est à ce jour

240 A ce sujet, voir l’article « Les échanges économiques entre la partie continentale de la Chine et Taiwan sont irréversibles »,Le quotidien du peuple en ligne, 30 novembre 2006. Disponible sur Internet : <URL : http://french.peopledaily.com.cn/Economie/5106946.html > [consulté le 16 mai 2007].241 D’après le département des affaires de Taiwan, de Hong Kong et de Macao du ministère du Commerce de la République populairede Chine dans « 2004 Nian Liangan Maoyi Touzi Qingkuang » paru le 25 janvier 2005 ; et p.30 du présent livre.242 BUSH, Untying the Knot, op. Cit., p. 32.243 GODEMENT (François), « la politique extérieure : pragmatisme et intérêts nationaux », Questions internationales, n°6, mars-avril 2004, p. 42-43.244 NICOLAS (Françoise), « Chine : bienfaits et revers de la mondialisation », Questions internationales, n°22, novembre-décembre2006, p. 51.

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connue. Les inégalités de revenu se creusent, notamment entre les populations rurales eturbaines. Ainsi que l’expose Françoise Nicolas, alors que 93% des 10% de Chinois les plusriches résident en ville, 98,7% des 10% de Chinois les plus pauvres vivent à la campagne,ce qui incite les ouvriers-paysans à migrer vers les villes et en fait des « populationsflottantes » (sorte de clandestins dans leur propre pays) car le système des certificats derésidence (Hukou) leur interdit de s’installer en ville245. Ainsi, ces populations flottantes « nepeuvent pas bénéficier des systèmes publics d’éducation, de santé, ni toucher d’indemnitésde chômage, autant d’avantages qui ne sont accessibles que grâce au hukou »246. Lesprovinces chinoises bénéficient aussi très inégalement de la croissance économique carles IDE sont concentrés dans les provinces côtières, délaissant le Nord-est et l’Ouestchinois. Selon Françoise Nicolas, si l’ouverture inégale de la Chine à la mondialisation alargement contribué au développement des inégalités interrégionales, l’objectif recherchépar les dirigeants chinois était de développer les performances économiques chinoisesgrâce à un développement rapide et efficace de certaines régions, en espérant que les effetsbénéfiques obtenus s’étendraient ensuite à toute la Chine. Cette stratégie devait permettrede réduire la pauvreté et confirmer ainsi la légitimité du régime communiste chinois247.Dans ce cadre, le seul moyen pour les dirigeants chinois de réduire les inégalités est,d’après l’auteur, de soutenir la croissance économique afin d’accumuler suffisamment deressources pour permettre leur redistribution248. C’est pourquoi « Pékin n’a pas intérêt àdéstabiliser Taiwan dont la prospérité contribue pour une grande part à l’enrichissementde la Chine du Sud, dans le Fujian en particulier »249. Selon T J. Cheng, rompre les lienséconomiques dans le détroit reviendrait à faire chuter les exportations chinoises de 14%et à bouleverser les liens économiques entre la Chine et les USA. D’autre part, la divisiondu travail entre les deux rives étant de plus en plus grande (activités de plus en plusimbriquées), le coût d'une rupture de ces liens serait trop élevé pour les deux économies.Non seulement la consommation serait bouleversée, mais la production aussi, entraînantune augmentation du chômage et affectant la balance commerciale extérieure. Pour finir, lesinvestisseurs taiwanais en Chine fournissent du travail à de nombreux Chinois et paient desimpôts dont le montant sert à réduire de 5% la dette chinoise, ce qui n'est pas négligeablepour les autorités de la RPC. En effet, la plupart des entreprises publiques étant endettées,cela se répercute sur les banques publiques (où les Chinois mettent leurs économies) quirisquent la faillite sans le soutien de l'État. Les investisseurs taiwanais sont donc un facteurcrucial de stabilité sociopolitique en Chine : « it is not far-fetched to contend that Taishang[Taiwanese businessmen] are a factor crucial to social and political stability in China »250.C’est pourquoi « toute attaque du continent contre Taiwan reviendrait à tuer la poule auxœufs d’or »251, et les dirigeants chinois en sont bien conscients. Enfin, Beijing voit dans

245 Ibidem.246 NICOLAS, « Chine : bienfaits et revers de la mondialisation », op.cit., p. 51-52.247 NICOLAS, « Chine : bienfaits et revers de la mondialisation », op.cit., p. 55.248 NICOLAS, « Chine : bienfaits et revers de la mondialisation », op.cit., p. 56.249 MONIER (Claude), « Taiwan et son armée », Défense nationale, n°5, mai 1993, p. 180.250 CHENG (T. J.), « China-Taiwan Economic Linkage: Between Insulation and Superconductivity », in BERNKOPF TUCKER (Nancy),éds, 2005, Dangerous Strait. The U.S. – Taiwan – China crisis, New York, Columbia University Press, p. 107. « Il n’est pas tiré parles cheveux d’affirmer que les Taishang [les hommes d’affaires taiwanais] sont un facteur crutial de stabilité sociale et politique enChine ». (Traduit par nos soins).251 HO (Szu-Yin), « Politique et rhétorique dans les relations entre la Chine et Taiwan », Politique étrangère, n°01, janvier-mars2001, p. 66.

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une économie puissance l’affirmation de sa place sur la scène internationale, et a ainsi toutintérêt à assurer la stabilité nécessaire à son développement économique : « sans économiepuissante, il n’est pas de nation écoutée »252.

De même que la Chine profite des délocalisations taiwanaises pour développer sonéconomie et maintenir sa cohésion sociale pour peser de plus en plus sur la scèneinternationale, Taiwan a besoin des faibles coûts de production chinois pour restercompétitive sur le marché mondial et préserver le niveau de vie de sa population.

2. Les besoins taiwanais des faibles coûts de production chinois pourassurer la compétitivité de l’îleSi les dirigeants chinois ont toujours été conscients de l’intérêt d’accélérer la libéralisationdes échanges dans le détroit, Taipei s’est longtemps montrée réticente de crainte d’êtredépendante de la Chine et d’être ainsi sujette aux pressions chinoises lors de la reprisedes négociations politiques entre les deux rives. Nous l’avons vu, les délocalisations desentreprises taiwanaises en Chine ont été rendues nécessaires par le besoin des firmesinsulaires de rester compétitives sur le marché mondial. Et les bas coûts de productionchinois ainsi que la taille du marché chinois ont représenté le moyen idéal pour permettre àTaiwan de faire face à la concurrence mondiale. Néanmoins, il est important de souligner lecaractère profondément asymétrique des relations économiques sino-taiwanaises. En effet,Jean-Pierre Cabestan et Benoît Vermander mettent en avant le fait que les exportationstaiwanaises vers la Chine sont trois fois plus importantes que celles de la Chine vers Taiwan,et qu’aucune entreprise chinoise n’est implantée à Taiwan, contre plus de 68 000 entreprisestaiwanaises qui opèrent sur le continent253. De même, « alors que les investissementsréalisés par les Taiwanais sur le continent dépassent probablement les 100 milliards dedollars, toute société dont plus de 20% du capital provient de la RPC n’a toujours pasl’autorisation d’investir sur l’île »254. Taipei redoute en effet que les investissements chinoisà Taiwan ne soient des instruments de déstabilisation et d’atteinte à la sécurité de l’île255.D’autre part, la délocalisation vers la Chine des activités productives taiwanaises de hautniveau technologique fait craindre aux dirigeants chinois un effet d’évidage de l'industrietaiwanaise. En effet, si certaines firmes de hautes technologies décident de s'expatrier pourprofiter de leur vivacité technologique lorsque leur produit arrive à maturation et que leurbrevet touche à sa fin, et si toutes les entreprises affiliées (sous-traitance, fournisseurs..)la suivent alors que l'économie nationale n'a pas d'autre secteur porteur, celle-ci souffrede pertes d'investissement et d'emploi considérables256. C'est pourquoi le gouvernementtaiwanais a mis en place toute une série de programmes visant à garder les hommesd’affaires taiwanais sur l'île, comme par exemple des facilités d'acquisition de terrainindustriel. Ce programme, le Challenge 2008 National Development Plan, adopté en 2002,cherche à faire de la recherche et du développement le centre de l'activité économiquetaiwanaise et à diversifier cette dernière. Le plan « Two trillion and twin-star » (littéralement« Deux trillions et doubles étoiles ») a ainsi été mis en place pour accroître la valeur de

252 BULARD (Martine), « L’ordre mondial bousculé », Manière de voir, n°85, février-mars 2006, p. 23.253 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 156.254 Ibidem.255 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 158.256 CHENG (T. J.), « China-Taiwan Economic Linkage: Between Insulation and Superconductivity », in BERNKOPF TUCKER (Nancy),éds, 2005, Dangerous Strait. The U.S. – Taiwan – China crisis, New York, Columbia University Press, p. 116.

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la production des semi-conducteurs et des écrans plats taiwanais à un trillion de dollarstaiwanais chacun et de faire des secteurs biotechnologiques et numériques les stars del’économie de l’île. Le marché mondial et le marché domestique devraient aider à garder cesindustries à Taiwan, d'autant que le marché domestique se développe fortement257. Cettestratégie économique de Taipei permet d’aider à soutenir l'économie taiwanaise face à laChine, tout en continuant à profiter des bas coûts de production et de l’immense marchéque cette dernière possède pour maintenir la compétitivité de l’île face à la concurrenceinternationale, et satisfaire ainsi les exigences de maintien d’un niveau de vie élevé desTaiwanais.

Pour conclure, les dirigeants des deux rives sont bien conscients des bénéficessubstantiels que leur apporte l’intensification des échanges économiques et humains àtravers le détroit de Taiwan, et du coût exorbitant d’une guerre pour leur développementéconomique. Cet état de fait incite autant Beijing que Taipei à ne pas franchir la ligne rougedu conflit armé. D’autre part, le fait que les deux sociétés pétrolières nationales de Taiwanet de la Chine, respectivement la Chinese Petroleum Corporation et la China NationalOffshore Oil Co, aient été autorisées par leur gouvernement à s’associer pour effectuer desrecherches en pétrole et en gaz en mer de Chine du Sud258, traduit la volonté de la RdCet de la RPC à travailler ensemble. Pourtant, les échanges économiques ne peuvent à euxseuls mener à un accord politique sans régler au préalable la question de la souveraineté.

Chapitre 2 : Un contexte international incitant à unepolitique internationale modérée

Les efforts d’ouverture politique des deux rives s’inscrivent dans un contexte internationalplus large incitant à la modération. La Chine cherche en effet à se faire accepter commeune puissance pacifique et bienveillante sur la scène mondiale, ce qui implique de ne pasfranchir la ligne rouge d’un conflit armé pour régler sa querelle avec Taiwan. Seules lapréservation d’un environnement stable et la faculté de régler pacifiquement les questionsterritoriales dans la région seront en effet perçues par les autres pays comme des preuvesde la montée en puissance pacifique de la Chine. C’est pourquoi la Chine développe undiscours rassurant sur ses intentions et s’efforce de participer plus activement dans lesorganisations internationales. D’autre part, la prépondérance militaire des Etats-Unis dansla région est, pour l’heure, un excellent facteur de dissuasion d'éclatement d'un conflit armédans le détroit de Taiwan. La Chine n’est effectivement pas encore en mesure de rivalisermilitairement avec les Etats-Unis, ce qui l’incite à éviter toute confrontation armée.

I. La réelle volonté d'ascension pacifique de la Chine sur la scèneinternationale

Par son discours et l’affirmation de sa présence dans les organisations internationales, laChine met en lumière sa volonté de participation sur la scène internationale en tant quegrande puissance responsable. N’ayant cependant pas encore achevé sa transition du

257 CHENG (T. J.), « China-Taiwan Economic Linkage: Between Insulation and Superconductivity », op. cit., in BERNKOPF TUCKER(Nancy), Dangerous Strait, op. cit., p. 116.

258 DANJOU (François), « la question de Taiwan », Défense nationale, n° 6, juin 2003, p. 181.

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stade de pays en développement à celui de grande puissance, la Chine semble s’appuyersur sa rhétorique pacifique et son poids économique pour consacrer son « ascensionpacifique »259 et « vaincre sans combattre »260.

A. Un discours apaisant au niveau international et une présence plus activedans les organisations internationalesQue ce soit par les mots ou par les actes, la Chine veut convaincre les puissancesinternationales de son « ascension pacifique ». Elle cherche à rassurer sur ses intentions àla fois par un discours apaisant et par une plus grande participation dans les organisationsinternationales.

1. Un discours sur la montée en puissance de la Chine se voulant apaisantDans son discours du 29 mai 2003 tenu à l’Institut des relations internationales de Moscou,Hu Jintao a souligné que « la Chine ne sera jamais appelée hégémonique »261. L’insistancesur ce refus de l’hégémonisme, associé généralement à l’Occident et plus particulièrementaux Etats-Unis, constitue la base du discours chinois visant à rassurer la communautéinternationale sur la montée en puissance de la Chine. Pour donner plus de crédibilité à cediscours pacifique, Beijing s’appuie sur le fait qu’au temps de son rayonnement politiqueet culturel, la Chine n’a jamais colonisé d’autres terres, mais s’est contentée d’instaurerun système de tribus262. Pour Jean-Pierre Cabestan et Benoît Vermander on peut résumerainsi le contenu du discours chinois : « La Chine est bien dans un processus ascensionnel,mais elle évitera toute attitude antagoniste ou toute ambition hégémonique dans le cours dece processus. Les autres puissances doivent donc faire le constat de l’élévation du statutinternational de la Chine et en tirer les conséquences, sans pour autant s’en inquiéter »263.Dans ce cadre, la Chine propose le dépassement des antagonismes de la guerre froide etle développement de « la confiance mutuelle, l’intérêt mutuel, l’égalité, la coopération »264.Cela se traduit par la multiplication des partenariats et des accords de coopération avecles autres Etats de la scène internationale, dans lesquels chacun doit pouvoir trouver sonintérêt et retirer des bénéfices. Autrement dit, il s’agit du développement d’une stratégiede « gagnant-gagnant »265, que les contrats pétroliers passés avec les pays d’Afrique oud’Asie centrale en échange d’une aide substantielle au développement illustrent bien. LaChine a également conclu des accords avec les grandes puissances pour lutter contre leterrorisme, par exemple avec la Russie et les Etats-Unis, et a fait en sorte que les Etats-Unis et l’ONU ajoutent en 2002 le MITO (Mouvement islamique du Turkestan oriental (ou

259 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 56. Ce terme « d’ascension pacifique » de la Chineaurait été utilisé pour la première fois par Deng Xiaoping.260 D’après le titre de l’article de GENTELLE (Pierre), « Un scénario pour la Chine jusqu’en 2100 : « vaincre sans combattre » ? »,Monde chinois, n°07, printemps 2006, p. 7-19.261 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 55.262 Notons cependant que cette attitude fut abandonnée avec les communises qui envahirent par exemple le Tibet en 1949-1950.263 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 56.264 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 59, d’après XIONG (Guangkai), « La nouvellepensée stratégique des dirigeants chinois » (conférence donnée à l’IISS de Londres), Guoji Zhanlüe yanjiu, 3, 2002, p. 2-3.265 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 56.

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Xinjiang)) à la liste des organisations terroristes liées à Al Qaida266. De même, pour prouversa qualité de puissance responsable capable de résoudre pacifiquement les conflits danssa région, Beijing s’est efforcée de « désamorcer l’ensemble des conflits directs potentielsaux portes de la Chine »267, en réglant notamment ses différends frontaliers avec la Russieet l’Inde268, ou encore en tentant de jouer les médiateurs pour le règlement de la questionnord-coréenne en 2003. Ainsi, selon Jean-Pierre Cabestan et benoît Vermander, la politiqueétrangère de Beijing se caractérise à la fois par « le « partenariat » avec les autres grandespuissances (ce pour briser tout système d’alliance qui l’isolerait) et un rôle stabilisateur plusactif dans l’environnement régional »269.

Pourtant, dès lors qu’il s’agit de Taiwan, le discours chinois se fait plus agressif etintransigeant. Cela s’explique non seulement par le fait que Beijing considère que laquestion de Taiwan est d’ordre interne, et que les autres Etats n’ont par conséquentpas à s’en mêler, mais aussi, comme le remarquent Jean-Pierre Cabestan et BenoîtVermander, par le fait que l’incapacité de la Chine à achever l’unification avec Taiwanprouverait son inaptitude à s’imposer comme une puissance mondiale270. En effet, « laséparation entre Taiwan et la Grande Chine signifie que la Chine, nation encore divisée,n’est pas encore pleinement une « grande puissance » et que sa sécurité n’est donc paspleinement assurée »271. Rappelons ici que pour la Chine, étendre sa souveraineté surTaiwan reviendrait à garantir son accès au Pacifique et de contrebalancer ainsi, avec lamodernisation des forces armées chinoises, la domination militaire américaine dans larégion. Cela est d’autant plus important que le sentiment d’insécurité de la Chine en seraitgrandement diminué. Jean-Pierre Cabestan et Benoît Vermander démontrent sur ce pointla peur de Beijing de voir ses faiblesses internes (c’est-à-dire son incapacité à dominerTaiwan ou à mettre fin aux tentatives séparatistes des Ouïgours du Xinjiang272) exploitéespar les grandes puissances pour enrayer son ascension sur la scène internationale273. A cepropos, il est évident que le régime communiste redoute que l’abandon de sa revendicationterritoriale sur Taiwan n’encourage les autres régions autonomes de la Chine à obtenir leurindépendance274. Cette crainte serait même justifiée par l’opposition de la communautéinternationale à l’usage de la force contre Taiwan. Enfin, nous l’avons vu, soumettre Taiwanà la RPC achèverait de démontrer la légitimité du régime communiste chinois en consacrantla défaite non seulement du vieil ennemi nationaliste, mais aussi de la démocratie, tousdeux incarnés par la RdC. Par conséquent, le désir d’ascension pacifique de la Chine se

266 ROBIN (Philomène), « La Chine à l’ONU : une participation prudente », Questions internationales, p. 49.267 SERRA (Régine), « La Chine, puissance régionale », Questions internationales, n°6, mars-avril 2004, p. 52.268 Un accord sur la frontière orientale a été signé avec la Russie le 2 juin 2005, et un protocole a été signé avec l’Inde le 11 avril2005. Voir BULARD (Martine), « L’ordre mondial bousculé », Manière de voir, n°85, février-mars 2006, p. 25.269 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 71.

270 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 73.271 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 60.272 Le Xinjiang est une région autonome chinoise peuplée en majorité par l’ethnie des Ouïgours, turcophone et de confession

musulmane. Dès 1911, les Ouïgours ont essayé de se libérer de l’autorité nationaliste, et réussirent à établir une républiqueindépendante du Turkestan oriental de 1944 à 1949. Le Xinjiang est alors reconquit par la RPC, et sa population revendique depuislors son indépendance.

273 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 57-58.274 Pour les régions autonomes chinoises, voir la carte administrative de la Chine en annexe 3.

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heurte à une contradiction pour l’heure insoluble : « une aventure militaire menacerait toutela construction patiemment édifiée par la Chine pour assurer son statut international, maisle report sine die de l’unification serait à ses yeux en contradiction avec ce même statut »275.Afin de se mettre au diapason avec sa rhétorique de puissance responsable, la Chines’efforce alors de participer plus activement aux organisations internationales globales etrégionales.

2. Une participation chinoise plus active dans les organisationsinternationalesAu sujet de la participation plus active de la Chine au sein des organisations internationales,Régine Serra souligne que :

Depuis la fin de la guerre froide et simultanément avec son développementéconomique, la Chine a cherché à s’impliquer plus activement dans les organisationsinternationales, au premier titre desquelles l’Organisation des Nations Unies (ONU). Alorsque la RPC ne voyait auparavant l’ONU qu’à travers la légitimité que lui conférait sa qualitéde membre permanent du Conseil de sécurité, et la possibilité de s’en servir pour défendreses intérêts et ceux des pays non-alignés276, la Chine semble s’être désormais décidée às’impliquer dans le règlement des conflits et la défense de la paix. Beijing a ainsi participé àde nombreuses opérations de maintien de la paix de l’ONU277, et a même fini par accepter,le 8 mai 2007, d’envoyer une équipe de techniciens dans le cadre de la force de maintien dela paix de l’ONU au Darfour. De 1990 à 1999, la Chine a en outre participé au vote de 572résolutions du Conseil de sécurité sur 625278, et elle a été, en 2003, à l’initiative des troisderniers cycles de la « conférence des six » à Beijing visant à débloquer la crise nucléaireprovoquée par la Corée du Nord279. Dans le même élan de recherche pour assumer lesresponsabilités d’une grande puissance sur la scène internationale, la Chine a signé deplus en plus de documents contraignants, parmi lesquels la Convention sur l’interdiction desarmes chimiques (1997) et la Convention des Nations Unies sur les droits économiques,sociaux et culturels (également en 1997)280. De plus, la Chine a cherché à développer saparticipation aux organisations internationales régionales en s’intéressant aux discussionsde l’ASEAN, et en initiant le mécanisme « d’ASEAN + 3 »281 en 1997. Elle a même signéen octobre 2003 le traité de coopération et d’amitié de l’ASEAN pour prévenir les conflits

275 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 73.276 ROBIN, « La Chine à l’ONU : une participation prudente », op. cit.,, p. 47.277 Parmi ces opérations, on compte par exemple en 1992-1993 l’APRONUC (Autorité provisoire des Nations Unies au

Cambodge), en 1993-1997 la MONUL (Mission d’observation des Nation Unies au Libéria), en 1991-2003 la MONUIK (Missiond’observation des Nations Unies pour l’Irak et le Koweït), en 2002-2005 la MANUTO (Mission d’appui des Nations Unies au TimorOriental) ou encore la MINUK (Mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo).

278 ROBIN, « La Chine à l’ONU : une participation prudente », op. cit., p. 48.279 SHEN (Dengli), « Emergence d’une diplomatie active », Manière de voir, n° 85, février-mars 2006, p. 29. Cette conférence

a réuni les Etats-Unis, les deux Corées, le Japon, la Russie, et la Chine.280 Notons cependant que la Convention sur les droits civils et politiques, signée en 1998, n’a toujours pas été ratifiée par la

Chine. GODEMENT (François), « la politique extérieure : pragmatisme et intérêts nationaux », Questions internationales, n°6, mars-avril 2004, p. 39-40.

281 Il s’agit d’une série de réunions annuelles entre les dix pays membres de l’ASEAN et 3 pays d’Asie du Nord-est : la Chine,la Corée du Sud et le Japon.

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entre Etats282. Beijing a en outre cherché à relancer l’OCS pour renforcer la coopérationavec les pays d’Asie centrale en matière de sécurité et d’économie. La Chine a en effetannoncé l’ouverture d’une zone de libre-échange dans le cadre de l’OCS en septembre2003283. Enfin, Beijing a cherché à développer ses relations avec l’Europe en participant àla fondation en 1996 du Dialogue Asie-Europe (Asia Europe Meeting ASEM)284.

Parallèlement à ses efforts de participation plus active dans diverses organisationsinternationales et régionales, la Chine a développé une stratégie pour « vaincre sanscombattre » les autres grandes puissances, dont les Etats-Unis, en obtenant la satisfactionprogressive de ses intérêts.

B. Le développement d’une stratégie pour « vaincre sans combattre »Si la Chine souhaite s’affirmer comme une puissance mondiale pacifique et être perçuecomme telle sur la scène internationale, elle est toutefois bien consciente de l’impossibilitéde rivaliser avec les Etats-Unis pour le leadership mondial pendant les décennies à venir. Orson attitude sur la scène internationale, au sein de l’ONU notamment, et son développementéconomique peuvent lui donner les moyens de se servir de la paix pour satisfaire ses intérêtssans « heurter de front les puissances concurrentes »285.

1. Une défense acharnée du multilatéralisme et de la non-ingérenceNous l’avons vu, l’intérêt de la Chine pour les institutions multilatérales s’est développé àpartir des années 1990. Or selon Evan S. Medeiros et M. Taylor Fravel, la raison de cetintérêt soudain pour les organisations internationales fut la perspective, pour les dirigeantschinois, de se servir de ces dernières pour défendre les intérêts chinois et contrebalancerl’influence des Etats-Unis286. D’après eux :

La Chine continue par exemple d’utiliser son droit de véto au Conseil de sécurité del’ONU dès lors que son intérêt national est en jeu. Dans les années 1990, elle s’opposa parexemple à l’envoi de missions de paix dans les pays entretenant des relations diplomatiquesavec Taiwan (Guatemala, Haïti, Macédoine), empêcha de renforcer les pouvoirs de laCommission des droits de l’homme en 2005, et refusa la demande japonaise d’accéder austatut de membre permanent du Conseil de sécurité alors que le Japon finance 19% dubudget de l’ONU, contre 2% assumés par la Chine287. Plus généralement, on remarque ladéfense de plus en plus marquée du principe de multilatéralisme par la Chine au sein desorganisations internationales, par contraste avec la tendance à l’unilatéralisme des Etats-Unis. Tous les auteurs s’accordent sur ce point. Philomène Robin explique par exempleque « Pékin se veut l’avocat du multilatéralisme, et condamne de manière croissantel’hégémonisme américain »288, tandis que Jean-Pierre Cabestan et Benoît Vermanderremarquent que les auteurs chinois eux-mêmes exposent clairement la volonté chinoise

282 GODEMENT, « la politique extérieure : pragmatisme et intérêts nationaux », op. cit., p. 40.283 SERRA, « La Chine, puissance régionale », op. cit., p. 56.284 L’ASEM rassemble la Commission européenne, les pays membres de l’Union Européenne et les pays de l’ASEAN, la

Chine, la Corée du Sud et le Japon pour approfondir les relations entre l’Europe et l’Asie.285 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 54.286 MEDEIROS et FRAVEL, « China’s New Diplomacy », op. cit., p. 25.

287 TRAUB (James), « D’abord, défendre la souveraineté », Courrier international, n°831, du 5 au 11 octobre 2006, p. 38.288 ROBIN, « La Chine à l’ONU : une participation prudente », op. cit., p. 48.

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de combattre l’hégémonisme des Etats-Unis par la défense du multilatéralisme289. Cetteattitude s’explique en partie par la défense de la théorie du « changement de régime »290

par Washington depuis le 11 septembre 2001. En effet, les attentats de 2001 ont encouragéle développement par l’administration Bush d’un discours favorable au remplacement desrégimes autoritaires par des démocraties afin de mettre fin au terrorisme, celui-ci étant biensûr encouragé par les régimes autoritaires. Or la RPC n’étant pas une démocratie et étantgénéralement perçue comme une rivale et une menace pour les Etats-Unis, cette théoriea toutes les raisons de l’inquiéter. La promotion du multilatéralisme justifie pour la Chineles accords de coopération qu’elle conclut en dehors de l’ONU dans lesquels elle chercheà contourner les alliances et réseaux tissés par les Etats-Unis en défendant le principede non-ingérence et de respect de la souveraineté de l’Etat. Le meilleur exemple de cetype d’accord est le partenariat stratégique conclu entre la Chine et la Kazakhstan en juillet2005291. Ainsi, face à l’extension de la présence américaine dans le monde (et en particulieren Asie centrale) dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, « Pékin […] a procédé àun réalignement idéologique en direction des régimes les moins démocratiques, tentant dejouer d’un intérêt commun, contre la montée en puissance des Etats-Unis et des menacesde changement de régime »292. Bien évidemment, cette défense active de la non-ingérencecherche à garantir à Beijing la liberté de régler non seulement ses problèmes intérieurscomme elle l’entend sans se voir sans cesse reprocher le non respect de droits de l’homme,mais aussi de réaliser l’unification avec Taiwan sans craindre d’intervention extérieure, desEtats-Unis notamment. En réalité, par cette stratégie de contournement des alliances desEtats-Unis, la Chine évite la confrontation directe avec les grandes puissances dans le butde « redevenir cet empire du Milieu incontournable »293. D’autre part, la Chine voit en lamondialisation le moyen de devenir à terme la première puissance économique mondialeet de prendre ainsi la place des Etats-Unis dans tous les domaines.

2. La mondialisation, clé d’une victoire économique à termeSelon Pierre Gentelle, les dirigeants chinois comptent sur la mondialisation pour permettreà la Chine de dépasser, à terme, la puissance américaine. Les Chinois sont nombreux etprêts à travailler dur pour améliorer leurs conditions de vie en augmentant leur accès auxrichesses mondiales294. En effet, « la Chine, avec 20% de la population mondiale, souhaitedisposer – a minima – de 20% des ressources mondiales »295. Or la croissance économiquechinoise fait déjà grincer des dents les pays développés qui, en particulier depuis l’adhésionde la Chine à l’OMC en 2001, voient déferler sur leurs marchés des produits chinois àprix plus compétitifs que leurs produits nationaux. Ce phénomène n’est pourtant qu’à sondébut car les Chinois ont pris conscience de la nécessité de devenir un pays riche afinde se faire entendre sur la scène internationale296. On retrouve ici de nouveau l’idée selon

289 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 55.290 NIQUET (Valérie), « La Chine et l’Asie centrale », Perspectives chinoises, n°96, juillet-août 2006, p. 10.291 Ce partenariat a été conclu lors du sommet de l’OCS à Astana en juillet 2005 et prévoit la lutte commune contre le terrorisme,

le séparatisme et l’extrémisme.292 NIQUET, « La Chine et l’Asie centrale », op. cit., p. 8.293 SERRA, « La Chine, puissance régionale », op. cit., p. 54.

294 GENTELLE, « Un scénario pour la Chine jusqu’en 2100 : « vaincre sans combattre » ? », op. cit., p. 13.295 GENTELLE, « Un scénario pour la Chine jusqu’en 2100 : « vaincre sans combattre » ? », op. cit., p. 14.296 GENTELLE, « Un scénario pour la Chine jusqu’en 2100 : « vaincre sans combattre » ? », op. cit., p. 11

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laquelle « sans économie puissante, il n’est pas de nation écoutée »297. Or, nous l’avonsvu, la Chine doit, pour atteindre cet objectif, stabiliser son environnement régional et évitertoute confrontation directe avec les autres puissances mondiales, même dans le cas de laquestion de Taiwan. Dans ce cadre, l’économie doit pouvoir permettre à la Chine d’accéderau leadership mondial « sans combattre ».

Cependant, pour être efficace, cette stratégie suppose la capacité du PCC à semaintenir au pouvoir et à régler les nombreux problèmes internes de la Chine qui menacentsa stabilité, tels que l’accroissement des inégalités et les velléités de révolte qui en résultent,ou encore les risques sanitaires liés à la propagation du SIDA.

En somme, si la Chine cherche, comme tous les autres pays, à défendre ses intérêtsdans la définition de sa politique internationale, elle n’en est pas moins conscientede l’inquiétude que suscite sa montée en puissance sur la scène internationale. C’estpourquoi elle s’efforce de rassurer ses partenaires afin d’éviter toute crispation qui pourraitdéstabiliser son environnement régional et enrayer son développement économique. Plusgénéralement, la Chine cherche à éviter toute forme de confrontation directe avec lesgrandes puissances. Pourtant, le discours tenu sur Taiwan reste crispé car la questionest sensible pour les dirigeants chinois. Mais les capacités militaires chinoises n’étantpas encore capables de défier celles des Etats-Unis, et la Chine ayant beaucoup travailléà se forger une image de puissance pacifique, les dirigeants chinois sont conscientsde la nécessité d’éviter une guerre dans le détroit et maintiennent plutôt une pressionpsychologique sur la population taiwanaise pour s’assurer du maintien du statu quo. Parconséquent, la prépondérance des Etats-Unis dans la région pour préserver leurs intérêtsstratégiques constitue pour l’heure un excellent facteur de dissuasion d’éclatement d’unconflit armé entre les deux rives.

II. La prépondérance des Etats-Unis dans la région, facteur dedissuasion d'éclatement d'un conflit armé dans le détroit de Taiwan

Garants du maintien du statu quo dans le détroit de Taiwan depuis 1950, les Etats-Unis ontprouvé leur capacité à éviter l’éclatement d’un conflit armé entre la Chine et Taiwan. C’estpourquoi la RPC et la RdC ont toujours cherché à obtenir chacune le soutien des Etats-Unis,au détriment l’une de l’autre. Il s’agit de mettre les Etats-Unis de leur côté pour permettrela réalisation de leurs objectifs personnels. Or les Etats-Unis ont toujours fait en sorte derester indépendants des deux protagonistes grâce à une politique flexible afin de protégerleurs intérêts régionaux et mondiaux.

A. Les efforts des deux rives pour obtenir le soutien des Etats-UnisAussi bien la Chine que Taiwan ont toujours cherché à influencer les Etats-Unis pour obtenirleur soutien dans leur lutte pour la légitimité de leur régime. Or, dans un cas comme dansl’autre, ces efforts de ralliement des Etats-Unis à leur cause se sont soldés par des échecsen raison de la volonté des Etats-Unis de rester neutres afin de conserver une grande margede manœuvre en cas d’éclatement armé dans le détroit.

1. Les efforts chinois de ralliement des Etats-Unis à leur causeLa RPC a toujours considéré les Etats-Unis comme responsables de l’échec de l’unificationen 1950 et par la suite, car leur soutien à l’île encouragerait cette dernière à ne pas négocier

297 BULARD (Martine), « L’ordre mondial bousculé », Manière de voir, n°85, février-mars 2006, p. 23.

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et à chercher « l’indépendance ». C’est pourquoi Beijing cherche, depuis la normalisationde ses relations avec Washington en 1971, à affaiblir le soutien américain à Taiwan afinde l’obtenir pour elle-même. Or, ne bénéficiant pas du soutien du Congrès américain,contrairement à Taiwan, la RPC concentre sa pression sur le gouvernement américain,essentiellement en réduisant les relations avec les Etats-Unis lorsqu’elle estime que cesderniers soutiennent trop Taiwan, comme ce fut le cas après la visite de Lee aux USAen 1995298. Rappelons en effet que l’administration de Bill Clinton fut contrainte par leCongrès d’accorder un visa à Lee Teng-hui, ce qui provoqua le tir de missiles chinois dansle détroit de Taiwan, forçant alors les Etats-Unis à intervenir militairement. La Chine vit danscette visite une preuve du soutien officieux des Etats-Unis à Taiwan, et attendit 1998 pourrenouer des relations positives avec le gouvernement américain. Beijing exigea en outre lerappel officiel des « trois non » par le Président Clinton, à savoir le refus des Etats-Unisde soutenir l’indépendance de Taiwan, la théorie des « deux Chines » et l’accès de Taiwanaux organisations internationales requérant la qualité d’Etat 299. En obligeant les Etats-Unisà réaffirmer ces « trois non », la RPC cherchait à démontrer au gouvernement taiwanaisl’évidence du soutien américain à la Chine, dans le but de l’inciter à négocier l’unificationselon les termes chinois. Par ailleurs, Jean-Pierre Cabestan et Benoît Vermander précisentque George W. Bush Jr. déclara même « s’opposer » à l’indépendance de Taiwan lorsd’un entretien en privé au Texas avec Jiang Zemin en octobre 2002300. La Chine a ainsitendance à obtenir en privé des déclarations américaines plus partisanes de manière à lesrendre plus conformes à ses objectifs de politique intérieure et à augmenter la pressionsur Taiwan. Il s’agit de faire croire à Taiwan qu’elle est en train de perdre le soutien desEtats-Unis afin de l’amener à négocier la réunification dans le sens souhaité par Beijing.D’autre part, l’organisation de rencontres entre officiels chinois et américains, que Taiwan nepeut pas obtenir à cause de la pression de la Chine sur les Etats-Unis, se veut une preuvesymbolique de l’affaiblissement du soutien américain à Taiwan301. Enfin, la Chine peutespérer bénéficier de l’influence du Département d’Etat et du département du Commercesur les administrations américaines successivement au pouvoir car ces deux organes onttendance à être plus favorables au maintien de bonnes relations avec Beijing302. En effet,le Département d’Etat est persuadé, selon Jean-Pierre Cabestan et Benoît Vermander,que le fait de considérer la Chine comme une puissance ennemie ne peut que poussercette dernière à effectivement devenir un ennemi303. Cette administration est égalementpartisane de la définition des relations sino-américaines comme un « partenariat stratégiqueen construction », formule qui fut reprise par l’administration de Bill Clinton. De même,le département du Commerce, qui est chargé d’évaluer les demandes de transferts detechnologie à l’étranger, essaie parfois d’influencer le gouvernement américain dans unsens favorable à la Chine si cela peut satisfaire les milieux d’affaires. Il avait ainsi parexemple tenté de convaincre l’administration de Bill Clinton d’exporter un waver vers laChine alors que le Département de la défense y était hostile304.

298 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 249. Sur ce point, voir introduction, p. 13.299 Voir introduction p. 14.300 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 205.301 BUSH (Richard C.), op. cit., p. 250.302 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 210.303 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 211.304 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 215.

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Or si les Etats-Unis ont accepté à plusieurs reprises de faire des déclarations plutôtfermes à l’égard de Taiwan, il s’agissait en réalité de calmer les inquiétudes des dirigeantschinois face aux initiatives politiques de Taiwan, en dissuadant le gouvernement taiwanaisde provoquer la Chine. Et, comme nous le verrons par la suite, les termes employés sonttoujours suffisamment vagues pour garantir la flexibilité de la politique étrangère américaine.D’autre part, les tentatives du Département d’Etat ou du Commerce pour la mise en œuvrede politiques plus favorables à Beijing ne signifie par pour autant que ces organes souhaitentmettre fin au soutien américain pour Taiwan. De plus, les administrations américaines sontaussi sujettes à la pression d’autres organismes en faveur de Taiwan (comme nous allonsle voir) et s’efforcent de faire la synthèse entre les demandes de politiques pro-chinoiseset pro-taiwanaises. Il en résulte en général le maintien d’une ligne de conduite neutrelaissant planer le doute à Beijing et à Taipei sur l’attitude des Etats-Unis en cas d’éclatementd’un conflit armé dans le détroit. La maison blanche adapte son discours en fonction descirconstances pour répondre aux pressions internes et externes, mais toujours dans unsens favorable au statu quo. Richard Bush souligne que ce mouvement de va et vient desEtats-Unis dans leurs déclarations et leurs actes pour préserver le statu quo est souventperçu comme une succession de trahisons par la Chine lorsqu’elle s’aperçoit qu’elle n’a pasobtenu le soutien américain escompté ni affaibli ce soutien pour Taiwan. La RPC voit ainsidans les politiques américaines favorables à Taiwan des violations des communiqués de1972, 78 et 82305.

Face aux efforts chinois de ralliement des Etats-Unis à leur cause, les dirigeantstaiwanais ont à leur tour tenté à plusieurs reprises d’obtenir le soutien des administrationsaméricaines, en particulier depuis leur exclusion de la scène internationale en 1971.

2. Les efforts taiwanais de ralliement des Etats-Unis à leur causeForte du soutien dont elle bénéficie au sein du Congrès américain depuis sadémocratisation, Taiwan cherche également à influencer les administrations américainesdans un sens favorable à ses intérêts. L’exemple le plus frappant est l’adoption du TaiwanRelations Act par le Congrès en 1979 suite à la normalisation des relations diplomatiquesavec la RPC et à l’abandon du Traité de défense mutuelle en 1978 par l’administration deJimmy Carter306. Un autre exemple bien connu est celui de l’octroi du visa de Lee Teng-hui visa pour les Etats-Unis que nous venons d’évoquer. Lee avait en effet encouragé unecampagne de lobbying auprès du Congrès américain en 1994 afin que celui-ci poussel’administration de Bill Clinton à lui accorder un visa pour se rendre à l’université deCornell aux Etats-Unis307. De plus, cette même administration fut contrainte d’accepter lerenforcement des liens de sécurité avec Taiwan pour que le Congrès ratifie les « relationscommerciales normales avec la Chine, préalable à l’entrée dans l’Organisation mondiale ducommerce »308. Cependant, le Congrès n’est qu’une institution parmi d’autres du systèmepolitique américain et n’a en règle générale qu’une fonction de contrôle sur la Maisonblanche, et non d’initiative politique. Il est par ailleurs soumis lui aussi à la pression électoralequi incite les parlementaires à défendre telle ou telle cause en fonction de sa popularité.Jean-Pierre Cabestan et Benoît Vermander mettent ainsi en exergue le fait que les députésauront plus tendance à dénoncer les violations des droits de l’homme en Chine et à

305 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 252. Sur ces communiqués, voir l’introduction p. 7.306 Voir introduction p. 7.307 Sur ce point, voir l’introduction, p. 12-13.308 GODEMENT (François), « Défi taïwanais pour les dirigeants de Pékin », Le Monde diplomatique, avril 2000, p. 20.

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se prononcer en faveur de la vente d’armes à Taipei en période électorale, mais qu’ilspourront aussi défendre une politique d’amélioration des relations sino-américaines si leurcampagne est financée en partie par le milieu des affaires (ce dernier souhaitant développerle commerce avec la Chine)309. C’est pourquoi Taiwan ne peut se contenter de comptersur le Congrès pour obtenir un soutien. L’île a en effet de meilleures chances d’obtenir desappuis auprès du Département de la défense car ce dernier est responsable de la sécuritédes Etats-Unis dans le monde. Le Département de la défense veille en outre au respectdes interdictions d’exportation de technologies de pointe et de biens à double-usage (civil etmilitaire) vers la Chine de la part non seulement des entreprises américaines, mais aussi desautres pays310. Enfin, cet organe de l’Exécutif est en charge de la coopération et de l’aide à lamodernisation militaire de Taiwan. Or cette dernière ayant été décidée sous l’administrationde Bill Clinton (suite à la crise des missiles de 95-96) puis renforcée sous celle de GeorgeW. Bush Jr, c’est finalement directement auprès du gouvernement des Etats-Unis que Taipeia le plus de chances d’obtenir un meilleur soutien. Cela est d’autant plus vrai lorsquel’administration en place aux Etats-Unis est républicaine car les Républicains ont en règlegénérale une vision plus conservatrice du monde et se soucient plus des questions desécurité311. Ils ont par conséquent plus tendance que les Démocrates à percevoir la Chinecomme une rivale et une menace pour les intérêts américains. Ils s’inquiètent en effet dela montée en puissance économique et militaire de ce pays non-démocratique et craignentque ses dirigeants ne cherchent à devenir à terme la première puissance mondiale à la placedes Etats-Unis. D’une manière plus générale, c’est l’administration en place qui déterminele montant des livraisons d’armes à accorder à l’île dont le gouvernement taiwanais a besoinpour dissuader la RPC de l’attaquer et pour rassurer les Taiwanais afin d’obtenir leur soutienélectoral. De même, seule l’administration peut aider Taiwan à participer à des organisationsinternationales telle que l’OMC, et à obtenir un statut d’observateur à l’OMS. L’administrationde George W. Bush Jr. a en effet démontré sur ce point son désir d’accorder à Taiwanune place plus importante sur la scène internationale. C’est elle qui détermine égalementles conditions d’escales des représentants politiques taiwanais aux Etats-Unis lorsque cesderniers veulent se rendre en Amérique centrale et latine où se situent certains des paysentretenant des relations diplomatiques officielles avec la RdC312. C’est pourquoi Chen Shui-bian a pu se rendre de manière officieuse (dans le cadre d’une escale) aux Etats-Unis début

novembre 2003 où il obtint le 35ème Prix international des droits de l’homme à New-York etrencontra des hauts dignitaires du Congrès et de l’Exécutif, ce qui donna « l’impression d’unsoutien total de Washington à Taiwan et plus encore au président Chen et à ses politiquesde réforme démocratique »313.

Or comme nous l’avons vu, autant le voyage de Lee que celui de Chen aux Etats-Unis ont suscité l’inquiétude de la Chine et forcé les Etats-Unis à calmer les tensionsen résultant dans le détroit par des mesures dissuasives d’une attaque chinoise et d’uneprovocation taiwanaise de la Chine. Dans les deux cas, le soutien espéré fut fortementmodéré et conduisit à Taipei comme en Chine à un sentiment de frustration et de trahison,

309 CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 216-217.310 Washington avait par exemple demandé à Israël d’annuler sa vente d’un système de surveillance avancée AWACS à la Chine,suite à la requête du Département de la défense. Voir CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit.,p. 215.311 . CABESTAN et VERMANDER, La Chine en quête de ses frontières, op. cit., p. 198.312 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 248.313 MUYARD (Frank), « Naissance d’une nation à Taiwan ? », op. cit., p. 39.

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ce dernier étant d’autant plus fort à Taiwan que l’île s’est sentie abandonnée par les Etats-Unis à plusieurs reprises au cours de son histoire, notamment lors de la normalisationdes relations sino-américaines sous Jimmy Carter en 1978. D’autre part, toute critiqueaméricaine de Taiwan est perçue dans l’île comme une marque d’hypocrisie violant lesprincipes démocratiques américains. Ainsi, lorsque les USA ont désapprouvé la volontéde Chen d’organiser des référendums, celui-ci le vécut comme une trahison et soulignal’injustice de la situation de Taiwan, qui n’est pas soutenue dans ses efforts de renforcementde la démocratie alors que l’Irak fut attaqué sous prétexte d’y installer la démocratie314.

En résumé, d’un côté comme de l’autre, les tentatives d’influence de la politiqueétrangère américaine en sa faveur se sont soldées par des échecs tant il est vital pour lesEtats-Unis de maintenir le statu quo dans le détroit. Celui-ci leur permet en effet d’éviterun conflit armé avec la Chine et de continuer de commercer avec elle et avec Taiwan,tout en maintenant leur domination militaire sur la région. C’est pourquoi les Etats-Unis ontdéveloppé une politique étrangère flexible capable de manipuler les ambitions des deuxrives dans un sens favorable au statu quo.

B. Le maintien d’une politique étrangère flexible pour manipuler lesambitions des deux rives dans un sens favorable au statu quoAfin d’éviter l’éclatement d’un conflit armé dans le détroit de Taiwan, les Etats-Unis ontadopté une politique flexible jouant sur la perception des intentions américaines par la Chineet Taiwan. Cette politique se caractérise également par un savant mélange entre mesuresde dissuasion et d’assurance visant à modeler les interactions entre la Chine et Taiwan dansun sens favorable au maintien du statu quo.

1. Une politique flexible jouant sur la perception des intentions américainesdans le détroitDepuis l’établissement de relations diplomatiques officielles avec la RPC en 1979, les Etats-Unis reconnaissent le principe de Chine unique, sans jamais toutefois préciser la formeque devrait avoir cette Chine unique. Ils ont par ailleurs toujours insisté sur la nécessitéde régler la querelle sino-taiwanaise de manière pacifique et, depuis la démocratisationde Taiwan, sur le fait que toute solution au conflit devra être approuvée par la populationtaiwanaise. En réalité, mis à part ces deux dernières exigences, la politique sino-taiwanaisedes Etats-Unis est plutôt flexible. Cette flexibilité s’explique par la politique « d’ambiguïtéstratégique » mise en œuvre par les Etats-Unis depuis les années 1950315. Cette « ambiguïtéstratégique » vise à adopter une attitude suffisamment floue pour dissuader les deux rivesde chercher à briser le statu quo de peur de la réaction des Etats-Unis. Il s’agit de faireen sorte que la Chine ne soit pas sûre que les Etats-Unis ne viennent pas à la défensede Taiwan et décide en conséquence de ne pas attaquer l’île, et que Taiwan ne soit pascertaine que les Etats-Unis viennent à sa défense si la Chine décidait de recourir à la force,et décide en conséquence de ne pas proclamer une République de Taiwan. Par exemple,lors de la famine de 1962 en Chine, Kennedy joua sur l'ambiguïté des Etats-Unis, d’unepart en ne garantissant pas à Taipei qu'ils interviendraient en cas de provocation de la RPCpar la RDC, et d’autre part en maintenant des troupes sur place316. De même, bien que

314 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 253.315 BERNKOPF TUCKER (Nancy), « Strategic Ambiguity or Strategic Clarity ? », in BERNKOPF TUCKER (Nancy), éds, 2005,Dangerous Strait. The U.S. – Taiwan – China crisis, New York, Columbia University Press, p. 186.316 BERNKOPF TUCKER, « Strategic Ambiguity or Strategic Clarity ? », in BERNKOPF TUCKER, Dangerous Strait,op. cit., p. 191.

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la normalisation des relations avec la RPC apparut comme un signe clair de soutien desEtats-Unis en faveur de la Chine, la continuation de relations officieuses avec Taiwan puisl’adoption du Taiwan Relations Act (TRA) nuança cette interprétation et maintint le doute surles véritables intentions américaines vis-à-vis des deux capitales, d’autant que les Etats-Unis exigèrent le règlement pacifique du conflit sino-taiwanais. On retrouve également cetteambiguïté sur la question des ventes d’armes américaines à Taiwan. Le TRA reste en effetassez vague sur les engagements américains à l’égard de Taiwan puisque « the presidentwould decide what to sell and all Congress could do would be to block his decision »317.Ce texte de loi a néanmoins toujours inquiété suffisamment la Chine pour qu’elle obtiennedes Etats-Unis l’engagement dans le communiqué du 17 août 1982 à ne pas augmenterla qualité ni la quantité d’armes fournies à Taiwan, et même à les réduire. Or là encore,Washington se montra ambigu en déclarant le 14 juillet 1982 « six garanties » à Taiwanselon lesquelles les Etats-Unis ne fixeraient pas de date d'arrêt des ventes d'armes; nes'engageraient pas dans des négociations préalables avec la RPC au sujet des ventesd'armes; ne serviraient pas d'intermédiaires entre Taipei et Pékin; ne forceraient pas Taiwanà négocier avec la RPC; ne réviseraient pas le TRA; et ne changeraient pas leur positionsur la souveraineté de Taiwan318. De plus, le Président Reagan assura secrètement àChiang Ching-kuo que « the U.S. will not only pay attention to what the PRC says, butalso will use all methods to achieve surveillance of PRC military production and militarydeployment »319. En somme, les discours et textes officiels des Etats-Unis sont en réalité desréponses à des circonstances particulières, et ce sont les combinaisons possibles de ceséléments en fonction des circonstances qui garantissent à Washington une grande margede manœuvre. Cela est d’autant plus important que les Etats-Unis eux-mêmes ignorent cequ’ils feront en cas d’attaque chinoise dans le détroit car tout dépendra des circonstancesde l’attaque et de la situation interne des Etats-Unis. Dans un contexte d’interventionsmultiples des forces armées américaines dans le monde et de faible soutien de la partde la population américaine, comme c’est déjà le cas depuis l’invasion de l’Irak, on peutpar exemple imaginer une situation où les Américains refuseraient d’envoyer leurs soldatsintervenir dans le détroit de Taiwan.

Néanmoins, les Etats-Unis savent aussi faire preuve de clarté lorsqu’ils pensent quel’expression franche de leurs intentions est susceptible de participer au maintien du statuquo. Par exemple, Bill Clinton voulut envoyer un signal clair à Taipei et Beijing sur leuropposition à un conflit armé en envoyant la septième flotte dans le détroit, et sur leuropposition aux initiatives provocatrices de Taipei en rappelant les « trois non » que nousvenons d’évoquer320. Or ces mêmes « trois non » sont en partie responsables de laqualification par Lee Teng-hui en 1999 des relations sino-taiwanaises comme des « relationsspéciales d’Etat à Etat », qui provoqua la colère de la RPC et la rupture du dialogue321. Demême, George W. Bush Jr. chercha dès 2000 à montrer clairement à Beijing sa volonté

317 BERNKOPF TUCKER, « Strategic Ambiguity or Strategic Clarity ? », in BERNKOPF TUCKER, Dangerous Strait, op. cit., p. 194.« Le Président déciderait quoi vendre et tout ce que le Congrès pourrait faire serait de bloquer sa décision » (Traduit par nos soins).318 Voir introduction p. 9319 FELDMAN (Harvey), « Taiwan, Arms Sales, and the Reagan Assurances », American Asian Review 19, Fall 2001, p. 87-88,in BERNKOPF TUCKER, « Strategic Ambiguity or Strategic Clarity ? », in BERNKOPF TUCKER, Dangerous Strait, op. cit., p. 195.« les Etats-Unis ne feront pas seulement attentifs à ce que dit la RPC, mais utiliseront aussi toutes les méthodes pour parvenir à lasurveillance de la production militaire chinoise et du déploiement militaire ». (Traduit par nos soins).

320 Voir p. 91.321 Voir Introduction, p. 14.

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de contrebalancer la puissance militaire chinoise en apportant une aide considérable à lamodernisation de l’armée taiwanaise, afin de dissuader la Chine de lancer une attaquecontre l’île322. Mais là encore cette stratégie desservit en partie la politique du statu quocar Chen y vit un soutien indéfectible des Etats-Unis à son égard et proposa l’organisationd’un référendum sur la défense et l’avenir de Taiwan qui accentua les tensions avec Beijinget entraînèrent le vote de la loi anti-sécession en 2005. C’est pourquoi, plus importanteencore que les déclarations elles-mêmes, est, selon Richard Bush, la manière dont lesdéclarations de Washington sont interprétées par Taipei et Beijing323. Ainsi, si en restantvague Beijing pense malgré tout que Washington défendra Taiwan, elle évitera d’attaquerl’île, renforçant alors la stabilité de la région. Mais si Taiwan apprend que la RPC penseainsi, elle sera encouragée à une moindre prudence, risquant de provoquer la Chine etde mettre finalement en danger la stabilité de la région. Par conséquent, l’ambiguïté oula clarté stratégique ne sont pas garantes de stabilité ou d’instabilité, mais c’est plutôtl’interprétation des déclarations de Washington par les deux capitales qui est déterminante.Et c’est pour éliminer ce risque de mauvaise interprétation des intentions américaines parla Chine que le gouvernement de George W. Bush Jr. a voulu faire preuve de clarté endéclarant explicitement qu’elle viendrait défendre Taiwan si la Chine recourait à la forcecontre l’île324.

2. Un savant mélange de dissuasion et d’assurances pour modeler lesinteractions entre la Chine et TaiwanJusqu’à la démocratisation de Taiwan, les revendications d’indépendance n’ayant pas lieud’être au sein du KMT qui souhaitait toujours ardemment reconquérir le continent chinois,les Etats-Unis se sont contentés de se montrer fermes vis-à-vis de la Chine communisteen affirmant qu’ils viendraient à la défense de Taiwan si elle décidait de lancer unereconquête de l’île325. Ils précisèrent toutefois ne pas partager les objectifs de Chiang Kai-shek, impliquant qu’ils ne soutiendraient pas une tentative de reconquête du continentchinois par les nationalistes, et préparant ainsi, dans les années 1970, la normalisationdes relations avec la RPC. La dissuasion exercée alors par les Etats-Unis est qualifiée« d’asymétrique » par Richard Bush dans la mesure où les menaces américaines visaientprincipalement la Chine, mais elle devint une dissuasion « double »326 dès lors que lesEtats-Unis entretinrent des relations diplomatiques officielles avec Beijing. A partir desannées 1990, la stratégie de dissuasion des Etats-Unis à l’encontre de Taipei et Beijingcontinua, alternant les périodes de dissuasion asymétrique, comme en 2000-2001 avecl’administration Bush (en réponse à la militarisation croissante de la Chine), et de dissuasiondouble, comme en 1996 (crise des missiles) et 2003 (crise au sujet du projet de référendumet de nouvelle Constitution de Chen, dans un contexte de lutte contre le terrorisme avecl’aide de la Chine)327. Parallèlement à la dissuasion, les Etats-Unis s’efforcent de rassurer

322 L’administration des Etats-Unis adopta certes ensuite, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et des pourparlersavec la Corée du Nord en 2003, une attitude plus amicale envers la Chine, mais elle continua cependant à coopérer étroitement avecTaipei pour moderniser l’armée insulaire.

323 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 256.324 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 257.

325 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 259.326 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 260.327 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 262.

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les deux rives sur leurs intentions afin d’obtenir leur confiance et d’accroître leur crédibilitéen tant que puissance « neutre »328. Ils assurent ainsi à Beijing qu’ils ne soutiennent pasl’indépendance de Taiwan et promettent à Taipei de ne pas l’abandonner militairement. Parconséquent, l’attitude des Etats-Unis est changeante car elle s’adapte aux circonstancesdu moment dans le détroit de Taiwan. Dans le cas de la dissuasion double, les Etats-Unisdoivent décider quel niveau de menaces et d’assurances ils souhaitent envoyer à Pékin etTaipei. Tout dépend de l’attitude de ces derniers. S’ils paraissent dangereux pour la stabilité,les menaces à leur encontre augmentent329.

En somme, bien qu’objet de tentatives de manipulations politiques par Pékin et Taipei,les Etats-Unis ont réussi à mettre en avant la nécessité de résoudre pacifiquement leconflit par un jeu d’équilibre entre dissuasion (menaces) et assurances vis à vis de cesdeux acteurs, et peuvent ainsi les influencer pour préserver la stabilité régionale330. Notonstoutefois que le succès de cette politique s’explique par la domination militaire réelle desEtats-Unis dans la région, ce qui, au vu de la modernisation militaire de la Chine, ne serapeut-être plus le cas dans quelques décennies.

Pour conclure, aussi incontestable est-il que la Chine cherche à retrouver sa place degrande puissance sur la scène internationale, il est indéniable qu’elle espère réaliser cetobjectif pacifiquement, c’est-à-dire sans provoquer de confrontation directe avec les autrespuissances. C’est pourquoi elle s’efforce de rassurer ces dernières, par un discours apaisantsur ses intentions et par une plus grande implication dans les organisations internationales.Il s’agit de prouver au monde son esprit de puissance responsable et pacifique. Or, au regarddu comportement véritable de la Chine au sein des organisations internationales, qui restetrès intéressé et n’a pas toujours grand-chose à voir avec leurs objectifs fondamentaux,on est en droit de se demander si la Chine ne serait pas en réalité en train de mettre enœuvre une stratégie pour « vaincre sans combattre ». En effet, le contexte géopolitiqueactuel étant toujours plus favorable aux Etats-Unis, première puissance mondiale, qu’à laChine, Beijing ne peut se permettre de mettre en péril son développement économiqueet son « ascension pacifique » par le déclenchement d’une guerre, par exemple dans ledétroit de Taiwan, qu’elle serait sûre de perdre. La Chine se contente donc pour l’instantde chercher à créer son propre réseau d’alliances, à développer sa propre rhétoriquesur les relations internationales, et à encourager son développement économique pourcontrebalancer progressivement et en douceur la puissance américaine. Quant à Taiwan,restant largement dépendante des Etats-Unis pour assurer sa sécurité face à une Chine àla puissance militaire grandissante, elle ne peut se permettre de s’aliéner leur soutien. Ensomme, si la querelle sino-taiwanaise est loin d’être réglée, le contexte international actuelincite les deux rives à la modération dans leurs interactions.

328 Par neutre, nous entendons ici puissance ne cherchant pas à se prononcer sur le contenu de la querelle, mais insistant uniquementsur le mode de règlement du conflit, à savoir le non recours à la force et l’accord de la population taiwanaise pour toute solutionproposée.329 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 263-264.

330 BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 265.

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Conclusion

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Conclusion

Les relations sino-taiwanaises sont caractérisées par un paradoxe : alors que la Chine etTaiwan ont tout pour s’entendre, à savoir une base culturelle et une langue communes,des liens ethniques, une histoire commune (jusqu’au traumatisme de la guerre civile), etdes économies complémentaires, elles sont incapables de résoudre leur querelle sur lasouveraineté. Ce phénomène s’explique par la confrontation de deux visions différentesde la construction nationale. Tandis que la Chine a besoin de Taiwan pour achever sonprocessus de construction nationale, Taiwan n’a pas besoin de la Chine pour développerune identité nationale spécifique et s’affirmer sur la scène mondiale. Bien qu’une minoritéde Taiwanais soit encore attachée au rêve de réunification avec la Chine encouragé parChiang Kai-shek, la majorité d’entre eux a commencé à s’éloigner politiquement de laChine, la considérant comme un pays à part suivant sa propre évolution. Dans l’immédiat,bien que la Chine et Taiwan soient conscientes du coût exorbitant d’un conflit armé dansle détroit en termes humains, diplomatiques, politiques et économiques, l’incapacité desdeux rives à dialoguer ne peut permettre d’exclure une dégénération des tensions vers unaffrontement militaire. Le climat de méfiance mutuel est en effet tel qu’il subsiste un fortrisque de mauvaise interprétation des intentions adverses, et par suite, de prise d’initiativespolitiques inadaptées et envenimant encore les relations inter-riveraines.

Or les tensions entre les deux rives sont le résultat de frottements entre l’évolutiondes deux sociétés (évolution interne) et du contexte géopolitique (évolution externe), etl’immobilité de la représentation psychologique des relations dans le détroit. Nous sommesen effet en présence d’une crispation psychologique face aux changements traversant lessociétés taiwanaises et chinoises. La Chine s’inquiète du développement d’une identitétaiwanaise distincte défaisant peu à peu les liens unissant l’île au continent, tandis queTaiwan s’inquiète de la montée en puissance d’une Chine n’ayant pas abandonné sonirrédentisme envers l’île. Tant que l’approche psychologique des relations dans le détroitn’évoluera pas, en particulier en Chine mais aussi, dans une certaine mesure, à Taiwanavec l’affrontement de deux mémoires distinctes (celles de Taiwanais de souche et celle des« Continentaux »)331, les tensions continueront d’apparaître entre Beijing et Taipei et serontsusceptibles de s’accélérer avec le mouvement inéluctable de transformation des deuxsociétés. Toutes les sociétés, parce qu’elles sont des constructions cherchant à s’adapter àleur environnement, évoluent inexorablement. Aux représentations mentales de les suivreet de les accompagner pour atténuer les crises.

On peut toutefois espérer le maintien du statu quo en raison de la volonté des deuxcapitales d’éviter, tant que faire se peut, un affrontement frontal qui se révèlerait trèscoûteux. En outre, tant que la Chine et Taiwan penseront que le temps est de leur côté, elleséviteront de provoquer un affrontement militaire332. En effet, tant que la Chine pensera queson attractivité économique et que la pression croissante de sa militarisation seront à mêmede convaincre les Taiwanais de négocier selon les termes pékinois, elle ne tentera pas de

331 CORCUFF (Stéphane), « Mémoire et identité dans le développement culturel à Taiwan. Bâtir une identité civique libéréede la tyrannie du passé », discours d’ouverture des travaux lors de la Conférence nationale sur l’ethnicité et le développement culturelqui s’est tenue à Taipei du 16 au 18 octobre 2004.

332 On retrouve cette idée dans de nombreux articles, ainsi que dans BUSH, Untying the Knot, op. cit., p. 344.

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recourir à la force contre l’île. De son côté, tant que Taiwan pensera que la Chine sera forcéeà terme de se démocratiser pour répondre à ses problèmes internes et aux attentes de lascène internationale, l’île évitera de provoquer la Chine en proclamant une République deTaiwan. Inversement, si la RdC et la RPC croient que le temps joue contre elles, elles seronttentées de réaliser leurs objectifs avant que l’autre rive ne les en empêche, déclenchantalors un affrontement militaire.

Dans ces conditions, le conflit ne pourra pas être réglé tant que Beijing et Taipein’auront pas résolu leur différend idéologique sur la question de la souveraineté. Aussilongtemps que la Chine continuera à nier le caractère souverain et indépendant de Taiwan,les Taiwanais auront toutes les raisons de penser qu’ils auront beaucoup à perdre s’ilsacceptaient le type de réunification proposé par la Chine sous la formule « un pays, deuxsystèmes ». Et l’exemple de l’application de ce modèle à Hong Kong où le Democratic Partyn’a plus aucune chance d’accéder au pouvoir ne fait que conforter Taiwan dans la défensede sa souveraineté. De plus, le fait que les Taiwanais aient enfin, après 50 ans d’occupationjaponaise puis 40 ans de soumission au régime autoritaire des nationalistes (qui fut vécucomme une colonisation), accédé à l’indépendance et au droit de décider eux-mêmes deleur modèle de société et de leur avenir, rend encore moins envisageable à leurs yeux unesoumission au régime autoritaire de la Chine populaire.

C’est pourquoi, si elles veulent résoudre leur querelle, la RdC et la RPC devrontfaire des concessions de fond pour prouver leur bonne volonté et permettre la confiancemutuelle. Or en raison des contraintes politiques internes pesant sur les dirigeants chinois(dogmatisme communiste) et taiwanais (pression démocratique), ces concessions nepeuvent être envisagées qu’à long terme. On peut néanmoins voir dans le lent processusd’ouverture des systèmes politiques chinois et taiwanais la naissance d’une approchenouvelle des relations sino-taiwanaises se voulant plus pragmatique. Les travaux deréflexion sur la nécessité de définir une nouvelle formule d’unification qui voient le jour enChine illustrent bien cette tendance et il n’est pas incongru d’imaginer que les prochainesgénérations de dirigeants chinois chercheront à modifier la politique taiwanaise du PCC afinde séduire la population taiwanaise dans un sens favorable à l’unification. Cela n’est qu’uneprojection à très long terme, mais il est évident que plus Beijing et Taipei accumulerontles efforts d’ouverture dans la conception de leurs rapports et de leur souveraineté, plusla confiance sera susceptible de renaître dans le détroit, ce qui est une condition sine quanon pour la reprise du dialogue entre les deux rives. Par conséquent, il est extrêmementimportant de maintenir le statu quo dans le détroit afin de laisser à la Chine et à Taiwan letemps de s’ajuster l’une à l’autre et de renouer ainsi le dialogue pour développer ensembleun projet original d’union politique mutuellement bénéfique.

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Annexes

Annexe 1 : La Chine dans son environnement régionalimage disponible sur la version papier en consultation au centre de documentation del'Institut d'Étude Politique de Lyon.

Annexe 2 : Appétits rivaux en mer de Chineimage disponible sur la version papier en consultation au centre de documentation del'Institut d'Étude Politique de Lyon.

Annexe 3 : Carte administrative de la Chineimage disponible sur la version papier en consultation au centre de documentation del'Institut d'Étude Politique de Lyon.