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  • FRIDTIOF J'iANSEN

  • FRIDTJOF NANSEN

    LE APOLETRADUIT ET ABRG

    PAR

    CHARLES RABOT

    200 ILLUSTRATIONSIl'APRS I"ES PHOTOGRAPHIES ET LES DESSINS DE L'EXPLORA mur.

    'PARISERNEST FLAMMARION, EDITEUR

    26, RUE RACINE, 26 .

    Tous droits rservs

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  • PRFACE DU TRADUCTEUR

    Depuis quatre sicles de vaillants marins se lanaient l'assaut du formidable rempart de glace qui dfendl'accs du Ple, et depuis quatre sicles leurs efforts

    . taient venus se briser devant la rsistance des myst-rieuses banquises.

    A un homme d'audace, Fridtjof Nansen, il apparte-nait de triompher de ces obstacles jusque-l invinci-bles. Cette uvre de gant demandait une intelligencegniale. Nansen possdait toutes les grandes qualitsncessaires l'excution de cette entreprise titanesque:une initiative hardie, une merveilleuse ingniosit,une exprience complte des conditions de la lutte, uncourage hroque, une endurance qu'aucune souffrancene pouvait vaincre. Aussi bien, la lecture de ce voyagelaisse une profonde admiration pour ce hros des glaces.

    Pour atteindre les hautes latitudes, le premier ilconoit l'audacieux projet de se laisser entraner vers lenord par la lente drive des eaux qui charrient les ban-

  • VIII PRFACE DU TRADUCTEUR

    quises travers l'inconnu du bassin polaire, puis, pourcomplter son uvre, il se lance, avec un seul com-pagnon, au milieu de l'effroyable dsert glac o tantde vaillants explorateurs ont dj trouv une morttragique.

    Sa marche vers le Ple, sa retraite vers la terreFranois-Joseph et son hivernage sur cette terre serontrangs parmi les exploits les plus extraordinaires dontl'homme puisse se glorifier.

    Le rcit de ces pisodes dramatiques est passionnantet attachant comme un roman. Il laisse l'impressionde quelque aventure lgendaire imagine par un JulesVerne t accomplie par un Lohengrin.

    Tant d'efforts et tant d'audace ont abouti des rsul-tats scientifiques considrables. La connaissance de.notre globe s'est tendue une vaste rgion jusque-lignore, et le grand problme de l'exploration polaire,insoluble depuis des sicles et en dpit des efforts lesplus persvrants, a fait un progrs dcisif, qui ouvre la science une voie nouvelle et -fconde.

    CHARLES RABOT.

    Juin i 897.

  • VERS LE APOLE

    INTRODUCTION

    Nos anctres, les anciens Normands, ont t les premIersnavigateurs qui aient aITeont les glaces polaires. Ds leVIlle sicle, tandis que les marins des autres pays n'osaientquitter le voisinage des ctes, eux se lanaient dj bravementen pleine l'ner et dcouveaient l'Islande, puis le Grnland. Au-tour de ces terres ils rencontrrent des banquises et appri-rent bientt connaitre leurs dangers. Un document duXIII" sicle, le Kongespeil (le Miroir des Rois), renferme unedescription trs exacte de ces nappes cristallinos, absolumentremarquable pour celte poque, o les phnomnes naturelsn'taient gure observf!s.

    Aux Normands succdrent, quelques sicles plus tard, dansla lulle contee les glaces, les Anglais, puis les Hollandais.

    Croyant l'existence d'une mer libre au nord des conti-nents, les navigateurs de l'Eul'Ope septentl'onale cherchrentlongtemps dans celte direction un passage conduisant auxIndes et en Chine. Parlout ils trouvrent la route ferme, mais,

    1

  • 2 YEnS LE l'LE

    loin d'NL'e dcourags pal' ces insuccs, ils n'en persistrentpas moins pendant longtemps dans leurs tentatives. Si lamer se trouvait encombre de glaces une latitude relative-ment mridionale, autour des ctes sud du Grnll,md, duSpitzberg et de la Nouvelle-Zemble, trs certainement elledevait tre libre plus -au nord, croyaient ces marins, et coura-geusement ils essayrent de se frayer un passage vers le Ple.

    Si errone que ft cette hypothse, elle a t cependantutile au dveloppement de la connaissance du globe. Toutesces expditions ont, en effet, rapport de prcieuses observa-tions et rtrci le domaine de l'inconnu.

    Par bien des routes diffrentes et il. l'aide de moyens trsdivers, les explora leurs anciens et modernes ont tenl de p-ntl'er vers les mystrieuses rgions du Ple. Les premires ten-tatives furent failes par des navires peu appropris il. de teUescnh'eprises. Les faibles barques non pontes des Normands elles anciennes caravelles hollandaises ou anglaises ne poss-daient ni la rapidit ni la rsistance ncessaires pour triomphel'des glaces. Mais, peu peu, l'arl de la construction navale fildes pl'Ogl's; les navires devilH'ent plus appropris au butauquel ils laient eillploys; en mme temps, avec une al'deul'de plus en plus gl'ande, l'homme se lanait ft l'ssaut desbanquises polaires.

    Longtemps avant le dbut des cxr,llitions al'cliques, lestl'ibus e l'Asie et de l'Aml'ique bOl'ales sc sel'vaient detmneaux tirs par des chiens pOUl' parcolll'ir les sertsglacs qu'elles habitent. Ce moe de locomotion fut employen Sibrie pour la premire fois par es explorateurs. Dsles XVJl" et XVIUC sicles les Husses entreprirent de longsvoyages en traineaux poUl' relever la cte septentrionale del'Asie, depuis la fronli(~re d'Europe jusqu'au dlroit de Dering-.Sur ces vhicules ils traversrent mme une large banquisepour atteindre les les de la _Nouvelle-Sibrie; situes aunord u continent.

  • INTRODUCTION 3

    CARTE GNRALE DU llASSIN POLAIRE

    En Ameique, les explorateurs anglais firent galementusage, une date relativement ancienne, de traneaux pour

  • 4 VERS LE POLE

    reconnaitre les ctes de l'Ocan Arctique. Dans ces expditionsces vhicules LaienL le plus souvent hals par des hommes.C'esL en avanant ainsi, ft travers la banquise, qu'en ,1876Albel'L JIarkham accomplit la poinLe la plus audacieuse quiaiL l faile jusqu' ceLLe date pour pntrer dans le bassinpolaire.

    Parry mit le premier en uvr un h'oisime m0de de loco-motion, consistant dans l'emploi combin de traineaux etd'em-barcations. Abandonnant son navire sur la cte septentrio-nale du Spitzberg, cet officier s'engagea sur la glace avecdes canols hals sur des traineaux ct parvint ainsi la plushaute latitude (82" 45') aUeinte jusque-l. Le courant enlmi-nant vers le sud la banquise sur laquelle il cheminait pni-blement dans la direction du nord, il dut finalement baUreen retraite.

    Au moyen de ces diffrents modes de locomotion, lesexplorateurs ont essay de pntrer dans le bassin polail'e pal'quatre routes diffrentes: par le dtroit de Smith, par les euxrives du large bras de mer compris enlre le Grnlan ct laterre Franois-Joseph, enfin par le dtroit de Bering.

    La route du tl'Olt de Smith ft, t la plus fL'quemmenttenLe dans ces Ol'niers temps. Les Amricains ayant affirm- un peu lgrement - l'existence

  • INTRODUCTION

    latitude laquelle on soit alors parvenu. Aprs cette exp-rience, de l'avis de Nares, l'impossibilit d'arriver au Ple pal'cette route tait vidente.

    Pendant le sjom de la mission Greely dans ces parages(188'1-1884), le lieutenant Lockwood dpassa seulement de .quatre minuLes la latitude atteinte par Markham. Jusqu'l'poque de nolre voyage, cet Amricain a ainsi dtenu lerecord du monde dans la marche vers le nord.

    Dans le large bl'as de mer ouvel't entre le Gronland et leSpitzberg, les navigaleUl's ont dlt s'arrter des latiLudes beau-coup plus mridionales. En J86!:l-70, l'expdition allemande deKoldewey n'a pu dpasser le 77 de lat., au moyen de traneaux,le long de la cte orientale du Gronland. CeLLe cte est hai-gne par un courant polaire qui entmne vers le sud une normemasse de glace; par suite, une marche vers le nord n'offreaucune chance de succs dans cette direction. Du ct du Spitz-berg les conditions sont plus favorables. Le courant chaud quil'orLe au nord le long de la cte occidentale de cet archipel,dg'age la mol' jusqu'au del du 80"; nulle part ailleurs, il n'estpossible J'atteindre aussi facilement une latitude plus septcll-trionale dans Jes eaux libl'es.

    Plus il l'est, l'lat des glaces est moins favorable; par suile,nn trs pclil nombre d'expditions se sont diriges de ce ct.La principale tenlalive cffecLuc nu nord de la Nouvelle-Zcmble esLcelle de \V eypreeht et tle Payer ('1872-'1874). Bloqu llauteur de l'extrmit seplenh'ionale de celle tene, le navireauslro-hongrois fut entran au norJ par un couranL, et fina-lement dcouvrit la terre de Franois-Joseph. Poursuivant sal'oule dans la direction du Ple, Payel' atteignit le 82 5'. De-puis, cet archipel n'a t visit que par Leigh Smilh ct pal'la mission anglaise Jackson-Harmsworth, qui s'y trouve acLuel-lement.

    La premire tentative faite par le dtroit de Bering estcelle de Cook en 1776; la dernire, la malheureuse exp-

  • 6 VERS LE PLE

    dition de la Jcannetle. Emprisonn dans la banquise le6 septembre 1879, au S .-E. de la terre de '"rangel, la Jeannette,aprs une drive de deux ans vers l'ouest-nord-ouest avec l'taude glace qui l'enserrait, fut brise dans le nord des Iles de laNouvelle-Sibrie.

    Ainsi donc, dans toutes les directions jusque-l suivies, labanquise avait arrt les efforts de l'homme.

    Pour vaincre la rsistance des glaces, il tait donc nces-~nire d'imaginer un nouveau moyen de pntration dans lebassin polaire, et de choisir une nouvelle route.

    En J88J, la Jeannette tait, comme je viens de le raconter,crase au nord de l'archipel de la Nouvelle-Sibrie, aprsune drive de deux ans travers l'Ocan Glacial de Sibrie.Trois ans plus tard, des paves authentiques de ce btimenttaient dcouvertes sur un glaon, prs de J ulianehaab, dansle voisinag de l'extrmit sud-ouest du Grnland.

    Trs certainement le bloc charg de ces dbris n'avait puarriver dans cette localit qu'en traversant le bassin polaire.Mais par quelle roule? videmment il n'avait pas descendu ledtroit de Smith. Dans ce goulet le courant polaire ctoie laterre de Baffin et le Labrador, entranant les banquises sur lacote amricaine ct non point du ct du Gl'nland. Le gla\onen question ne pouvait tre arriv il Julianehaah que charripar le grand courant polaire qui desend vers le sud, le longde la cte orientale du Grnland, et qui, aprs avo1' doublle cap Farvc1, remonte ensuite au nord dans le dtroit deDavis. Sur ce point aucun doute n'tait permis. Restait main-tenant dbrouiller la voie suivie par ce bloc, des les de laNouvelle-Sibrie au Grnland oriental. Suivant toute vrai-semblance, aprs le naufrage, les paves avaient driv versle nord-ouest, pousses il travers l'Ocan Glacial de Sibriepar le courant qui porte dans cette dl'eetion, puis, aprs avol'pass au nord de la terre Franois-Joseph et du Spitzberg,probablement dans le voisinage du Ple, taient parvenues

  • iNTRODUCTION

    ans les caux du Gl'nland oriental et avaient t entrainesensuite au sud par le courant polaire de ceUe rgion. Dansl'tat aduel de nos connaissances hydrographiques, c'est, dumoins, le seul itinral'e plausible. Des iles de la Nouvelle-Sibrie Julianehaab, la distance, par l'itinl'ail'e indiqu plushaut, est de 2..900 milles mal'ins t. Cc trajet, l'pave l'avaiteffedu en 1. '1 00 jours, soit la vitesse de 2, G milles parvingt-quatre heures, chifTl'e qui conconle avec les vitesses dedrive dj connues.

    D'autres cas de flottage moins frappants que celui desdbris de la Jeannette prouvent galement l'afflux des eauxsibriennes vers le Grnland oriental. On a, par exemple,l'ecueilli sur les etes de cette terre un levier pOUl' lancer desflches, comme en fabriquent les Eskimos habitant le dtl'oitde Ecring. De plus, la majorit des bois floUs recueillis auGrnland pl'oviennent de la partie nord du continent asia-tique. Sur vingt-cinq chantillons rcolts par l'expditionarctique allemande de Koldewey, dix-sept ont t reconnuscomme tant des mlzes de Sibrie. Je rappellerai galement ce propos que, d'aprs Grisebach, la flore du Grnland ren-ferme des espces de Sibrie; videmment ces plantes nepeuvent avoir t transportes aussi loin de leur habitat pri-mitif que par un courant marin unissant les deux pays. Cen'est pas tout. L'examen des boue3 que j'ai recueillies, en1888, sur la banquise du Grnland oriental a l'vd des faitsabsolument significatifs. Ces boucs ne renferment pas moinsde vingt espces minrales diffrentes. Une telle varit decomposition fait supposer au Dr Trnebohm, de Stockholm,qu'elles proviennent d'un pays trs tendu, probablement deSibl'ie. Enfin, au milieu de ces dpts, le D" Cleve a dcou-vert des diatomes tl's curieuses qui, parmi des milliersd'chantillons examins par lui, ne se rapportent qu' des

    1. Le mille marin vaut 1.852 mtres. (Nole du lladllclelll'.)

  • 8 VERS LE PLE Il'iTflODUCTION

    LE Fl'am DA~5 LA RADE DE DERGEN

    espces recueillies par l'expdition de la Vga au cap 'Vanka-rema, prs du dtroit de Bering.

    Toutes ces observaLion semblent done fournir une preuve

    indubilable ~e l'exi 'Lence d'un grand courant qui, pat'tanL d.el'Ocan Glacial de ibrie, aboutit la cte orientale du Gron-land, en passant par le bassin polaiL'e.

  • 10 VEns LE PLE

    La thorie corrobore, du reste, l'existence de ce courant.A l'est du Spitzberg mridional ct de l'extrmit sud de laterre Franois-Joseph existe, SUl' l'Ocan Glacial, un centre dedpression baromtrique. En vertu de la loi de Buys-Ballot,les vents, dans la partie nord de cette zone de minimum,soufflent de l'est l'ouei:it et doivent, par suite, dterminerune drive des eaux dans cette dernire direction, c'est--direvers le bassin polaire et vers le Grnland.

    Si la plupart des expditions entreprises jusqu'ici avaientchou, c'est qu'elles avaient t diriges dans des merso le courant porte vers le sud. A mesure que .le navireavanait dans la direction du nord, les glaces en dMdedevenaient de plus en plus nombreuses, puis finalement blo-quaient le navire ct l'entralnaient en arrire. Si l'on avan-ait avec des tralneaux sur la banquise, les explorateUl'ss'puisaient en eITorts inutiles. Au prix de terribles fatiguesils marchaient vel'S le nord, et, pendant ce temps la lentedrive des caux repoussait vers le sud la banquise sur laquelleils croyaient avancer. Pour atteindre le bassin polaire, ilfallait, au contraire, suivre un courant portant au nord, enun mot, accomplir SUl' un navire le voyage des paves de laJeannelle.

    Atteindre les iles de la Nouvelle-Sibrie, de l avanceraussi loin que possible vers le nord, en se fraynt un passage travers les glaces, puis, une fois toute issue fel'me danscette direction, sc laisser entl'alner vers le nord-ouest parla lente drive qi porte les eaux de l'Ocan Glacial de Sibrievers le Grnland, tel tait le plan de voyage que j'laborais.

    Que le courant de la Jeannette passt pal' le Ple ou entmcc point ct la terre Franois-Joseph, la question tait pourmoi de peu d'importance. Je me proposais, en effet, commeje l'crivais en 18Dl dans le premier expos de mes projetsdevant la Socit de Gographie de Christiania, non pas d'at-teindl'e l'axe septentrional de notre sphrode, mais d'explo-

  • IN T n0 D U CT ION 11.

    rel', au point de vue scientifique, les immenses espaces encoreinconnus qui l'entourent. Seule l'tude de ces dserts a tle but de mon voyage. A mon avis, la recherche du pointmathmatique qui forme le ple n'offre qu'un intrt minime.

    Mon projet, je dois le confesser, fut loin de runir les suf-frages des explorateurs arctiques. Il s'cartait trop videm-ment des ides jusqu'ic~ admises.

    Grands seraient, coup sr, les dangers d'une pareille en-treprise, mais gl'ce aux soins apports l'quipement et aurecrutement des membres de l'expdition, non moins que parune direction judicieuse du voyage, j'esprais en triompher.

    Une fois le plan de l'exploration bien dabli, restait enassurer l'excution. Le gouvernement et le parlement norv-gien m'accordrent, avec enthousiasme, une subvention de392.000 francs. Le surplus des dpenses, qui s'levrent auchiffre total de 622.000 francs, fut couvert par le roi de Nor-vge et par de gnreux concitoyens.

    J'avais besoin, avant tout, d'un navire d'une solidit excep-tionnelle, capable de rsister aux assauts des glaces qui, coup sr, seraient terribles pendant l'emprisonnement aumilieu de la banquise. La construction du btiment fut doncentoure de soins particuliers. L'ingnieur norvgien, ColinArcher, auquel je confiai cette mission, en comprit l'impor-tance et apporta son excution toute sa science et toute savigilance. A ce collaboratem je dois en partie le succs demon entreprise.

    La plupart des expditions antrieures n'avaient pas eu leur disposition de navires construits spcialement pour lanavigation au milieu des glaces. Cette ngligence parat d'uu-Lant plus tonnante que plusiems de ces voyages ont enb'aindes dpenses .considl'ables. Gnralemen t, les expditionsune fois dcides, les chefs de mission ont eu une telle htede prendre la mer qe le teIllpS de soigner leur quipement

  • 12 vEns LE PLE

    leur a fait dfauL Dans bien des cas les prparatifs ont tcommencs seulement quelques mois avant le dpart. Notreexpdition ne pouvait h'c pl'le aussi vite; son organisationa exig trois ans, cl neuf ans avant son excution le plan entait dj conu cl ant.

    La forme adopte pour notre navire, aprs de longs tton-nements, n'tait pas prcisment lgante; mais l'essentieltait de lui donner es lignes telles que, lors es pressions desglaces, il fut soulev en l'air au lieu d'li'e broy.

    Le ft'rmn fut construit, non pas pOUl' h'e un fin marcheur,mais pour constituer un refuge solide cl confortable pendantnotre drive travers l'Ocan polaire. Je dsirais un navit.'eaussi petit fJue possible et pensais qu'un btiment de 170 tonnesneUes serait suffisant; le Frmn fut cependant beaucoup plusgrand. (402 tonneaux bruts, 307 nets). Il me fallait un navirecourt pour qu'il pt facilcmen t voluer travers les glaces etqu'il pt en mme temps of1'rir une plus grande rsistance.La longueur de la coque est une cause de faiblesse au milieudes banquises. Il tait, d'autre part, essentiel que les flancsfussent aussi lisses que possible, sans saillie extrieure, envitant les sUl'faces planes dans le voisinage des parties vuln-rables. Mais, pour ({u'un IcI btiment dont les mUl'Uillesdevaient, en outre, tl'C trs en pente, pt pussder les capa-cits voulues e chargement, il tait ncessaire de lui donnerune grande largeur. Pal' suite le Fra7Jt eut lIne largeUl' galeau liel's de sa longuelll'. La coque, l'avant, l'arrire ct laquille reurent une formq bien arrondie, afin (lue, nulle part,la glace ne pt trouver prise. Dans le mme but, la quille futen partie recouverte pal' le bord, ne laissant qu'une sailliede 0111 ,075 dont les bords furent arrondis. En un mot, lenavire prsentait partout des s~lrfaces unies, de manire pouvoir glisser, comme une anguille, hors de la glace, lorsqueles blocs l'enserreraient avec force.

    La coque fut effile l'avant et l'arrire, comme celle

  • U'iTI\ODUCTION

    'o"

    13

    d'un baleau-I)ilotc, sauf pour la quille et les vll'ures debordage.

    Les deux extrmits furent particulirement renforces.L'trave tait forme de trois fods cabrions en chne, l'un placen dedans des deux autres, le tout constituant une masse com-pacte, paisse de '1'" ,25. En dedans de l'trave taient assujettiesde solides guirlandes en chne et en fer, servant relier les deuxcts du navire, et de ces guidandes aboutissaient des entre-toises aux traversins des biLLes. De plus, l'avant tait protgpar un taille-mer en fer, auquel taient fixs des barrols quis'tendaient un peu en arrire SUl' chaque ct.

    L'arri avait une construction toute spciale. De chaquect des tambots du gouvernail el de l'hlice ayant, chacun0111 ,65 de ct, fut fixe une forte allonge de poupe, s'levant lelong de la courbure de l'arrire jusqu'au pont suprieur ctformant pour ainsi dire un double tambot. Le bord recou-vrait ces pices et extrieurement de forLes plaques en fer IJl'ot-geaient en outre l'anil'e. Deux puits mnags .enh'e les ~euxtambols permettaient de hisser sur le pOllt l'hlice et le gou-vernail. A bord des baleiniers une installation pel'met de i'cni-placer le propulseur, lorsqu'il vient tre enlev pal' les glac~s;mais SUl' ces navl'es il n'existe aucun puits pour relever le gou-vernail. La disposition adopte sur le !t'mlll nous permeLLait,malgl' la faiblesse de l'quipage, de remonter le gouvernailsur le pont en quelques minutes ft l'aide du cabestan, alorsque, sur les baleiniers, pillsieul's heures, ct mme souventtoute une journe est ncesait'e- un quipage Je soixantehommes pour meUre en place un nouveau gouvernail.

    L'arl'ire est le talon d'Achille pour les navil'cs qui naviguentau milieu des banquises. La g~~e peut facilement y causer dedangereuses avaries, nolamnient briser le gouvernail. Pourparer cc dangCl', le ntl'e tait plac si bas qu'il tait il.peine visible au':'dessus de l'eau. Si un gros bloc venait heurter celte partie du navire, le choc serait par par l'allonge

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    Coupe longitudinale.

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    chelles

    COUPE ET PLAN DES AMNAGEMENTS DU F'~a'n

  • Ii'iT'!l 0 DUCTrO.N

    Coupe transversale. au matre bau.

    Legende.

    Coupe transveT\,')'c:Ilepar' la lnaclline.

    15

    1, nIat de misaine.2, Grand mat.3, nIat d'artimon..AA", Entrepont.A', Cale.

    C, Cabiae3.D, Kiosque des ear~es.E, Embarcations.G, Chaudi"e.H, Puits de l'hlic.e.

    M, nIachine.P, Puits du gouvemail.S, Carr.V, Chambre de veille.Z, Coquel'ie (cuisine).

    de poupe et ne pourrait gure atteindre le gouvernail. Quelqueviolentes que furent les pressions, nau.s ne submes de ce ctaucune' ayarie.

    Tous les effods du constructeur tendirent rendre les flancsdu navire aussi solides' que possible. La membrur.e fut faitee bois de chne primitivement destin la marine norv-gienne et qui avait t tenu' sous un abri pendant plus detrente ans. Les couples furent forms de deux parties travail-les ensemble et relies par des chevilles dont quelques-unes taient rives. Sur chaque joint taient placs desbandes plates de fer. Ces couples, larges d'environ 0111 ,06,n'taient spars que par un intervalle de 2 3 centi-mtres, rempli d'un mlange de craie et de sciure de' boisdepuis la quille jusqu'au-dessus de la flottaison. Cettedisposition avait pour but de maintenir le navire peu prstanche, mme dans le cas o le hord aurait t enlev.

    Le bord extrieur tait compos de trois couches: Cellede l'intrieur, en 'chne, tait paisse de 0111 ,070, fixe pardes clous et soigneusement calfate; la seconde, paisse d'undcimtre, tait maintenue par des chevilles et galement

  • 16 VERS LE PLE

    calfate; en dehors sc tl'Ouvait le bord en C,'ccn!lcw't contrela glace, qui, comme les autres, descemlail jusqn'il. la quille.Son paisseur de 0"', Hi il. la floUaison diminuait graduelle-ment vers le fond jusqu'il. O'n,075. Il tait fix par des clousct par des boulons il. crochet ct non pal' des chevilles tra-versant le tout; grce il. cette disposilion, si le bord ext-rieur (ou chemise de glace) el t enlev, la coque du naviren'et pas subi grand dommage. Le vaigrage intrieur lait enbois de pin d'une paisseur variant de 0'",10 il. 0111 ,20. Il futgalement calfat avec soin une fois ou deux.

    L'paisseur totale des murailles du navire tait doncde 70 il. 80 centimtres. Une telle muraille, avec ses for-mes arrondies, devait prsenter une trs grande rsistance il.la glace. Pour la rendre encore plus solide, l'intrieur futaccor dans tous les sens, si bien que la cale ressemblait il. unetoile d'araigne forme d'pontilles, de cabrions et d'arcs-bou-tants. En premier lieu, ily avait deux ranges de baux: le pontsuprieur et l'entrepont, principalement en chne, mais aussien bois de pin dans quelques parties. Toutes ces partiestaient, en outre, solidement lies l'une avec l'aulre et avecles flancs du navire par de nombreux supports, ainsi que lemontre le diagramme de la page prcdente. Les entretoisesobliques avaient t, bien entendu, places aussi normalementque possible aux cts du navire, de fa.oJl il. les renforcer contreles pressions extrieures ct il mieux rpartir les efl'orts deces pressions. Les pontilles entre les deux ranges de bauxet entre les baux infriems et la carlingue taient parfai-tement tablies pour satisfaire il ceUe dernire condition,Toutes les pices sc trouvaient reli(~es il. l'aide de fortescombes et de chevilles pour que l'ensemble formt une mmemasse. Sur les navires des pr(~cdentes expditions on avaitsimplement renforc un couple de baux de la maitresse partie;il. bord du F1'a1J1, au contraire, tous les baux taient conso-lids de la manire qui. vient d'tre indique. Dans la

  • INTHODUCTION 1.7

    chambre de la machine o la place faisait dfaut pour lessupports, on avait tabli des entretoises latrales. Les hauxdu pont infJ'ieurtaient placs un peu au-dessous de la lignede floltaison, c'est--dire dans la partie o la pression desglaces lait le plus craind; mais, dans l'arrire-cale, ilsavaient d lre surlevs pour mnager l'emplacement de lamachine. Le pont suprieur, l'arril'e, tait donc un peuplus haul que le pont lui-mme; le navil'e avait ainsi unedunelte renfel'mant les cabines des membres de l'expditionainsi que la coquerie. De fortes porques en fer rgnaient SUl'loute la longueur dn Fmm, dans les espaces compl'is entre lesbaux, s'tendant de la banquire du pont presque jusqu' lacarlingue. Celle-ci tait forme de deux parties et avait unehauteUl' d'environ 0',\80, sauf dans la chambre des machines,o sa hauteUl' tait rduite ft celle de la partie infrieure. Laquille sc composait de deux 10Ul'ds blocs d'orme d'Amriquede'0 1ll ,35, et, comme je l'ai dit plus haut, ne laissait passerhors borde qu'une paisseur de 01",075. Les cts de la coquetaient arrondis en dessous jusqu' la quille de telle sorteque la section latrale au maitre-cou pIe ressemblait iL celle dela moiti d'une noix de coco. Pour viter une bande trop fortedans le cas o le hliment serait soulev trs haut par lespressions de la glace, les fonds taient plats: une excellentedisposition, comme le prouva l'exprience.

    Principales dimensions du navire:

    Longucur SUI' quillc .Longucur il la flottaison .. : .Longucur SUI' le pont .Plus gl'allde largeul' , ; .Largcur il la fla ttaison.OD dehol's de la chemise de glacc.Profoncieul ' .Tirant d'cau avcc faiblc ciHlI'gclllenL. .. . .Dplaccmcnt avec faible chargemcnt. .Til'ant d'cau avec fOIt chal'gement ..Dplacement arec fo;ot chargcincnl. ..

    31 IU ,003i- ,5039 ,00ii ,00iD ,405 ,203 ,81

    530 tonnes4m ,58

    800 lonnes2

  • 18 VEns LE PLE

    Le grement devait tre tout la fois simple ct rsistant,et en mme temps tabli de manire donner le moins deprise possible au vent, lorsque le navire marchel'ait lavapeur. En second lieu, notre quipage tant peu nombreux,il tait ncessaire qu'il flit facile il manUV1'er du pont. Pourcelte raison, le F1'wn fut gr en trois-mts golette. Sa voi-lme avait une superficie de 600 mtres carrs.

    La machine tait il triple expansion. Des avaries pouvantse produire dans un cylindre, chacun d'eux fu t install demanire il pouvoir tre ferm et agir indpendamment desautres. Pal' la simple manuvre d'un robinet la machinepouvait LL'e ainsi transforme en compound il haute ou ilbasse pression. Elle tait d'une force de 220 chevaux et, pal'temps calme, donnait une vitesse de 6 7 milles l'heme.Nous emporLmes deux hlices et un gouvernail de rechange.Mais, heureusement, nous n'emes pas nous en servir.

    Le logement fut tabli l'arrire, sous la dunette. Autourdu salon taient groupes quatre cabines une couchette etdeux quatre couchettes. Cette installation avait pOUl' but deprotger la pice centrale contre le froid extl'ieur. Le pla-fond, les murs et le plancher du carr furent recouverts d'unepaisse couche de matires non conductrices de la chaleur,et derrire ces parois fut partout clou du linoleum pOUl'empcher l'introduction de l'ail' chaud et humide dans lescabines, o sa condensation alll'ait form des dpi'tts de glace.Le revtement des parois du navire tait form d'une couchede feutre, d'un matelas de lige, d'un panneau de sapin,d'une seconde couche de feutre, puis de linoleum et d'unsecond panneau de bois. En dessous du pont ct au-dessus dusalon ct des cabines existait un revtement du mme genre deprs de om ,38. Le plancher tait form d'une nappe de ligerecouverte de bois ct de linoleum. Gr,ice ces prcautions,lorsque le feu fut allum dans le salon, jamais il n'y eutd'humidit, mme dans les cabines.

  • INTRODUCTION Hl

    Pour assurel' la scurit du navire en cas d'une ouverture. de voie d'eau, la cale fut divis en trois compartiments tan-

    ches.Le Fmm, tait clair l'lectricit, l'aide d'un dynamo

    actioun par la machine, lorsque nous marchions. Plus tard,quand nous serions immobiles, la force ncessaire la pro-duction de l'lectricit fut obtenue l'aide d'un moulin ilvent install sur le pont.

    Notre navire tait muni de huit embarcations, dont deuxtrs geandes capables de recevoir l'quipage entier ct desapprovisionnements pour plusieurs mois. Au cas o lenavil'C amait t bris, j'avais l'intenLion de nous tabl'dans ces canots pendant que nous continuerions driver.J'emportai une vedelle il vapeur munie d'un brleur ptrole,mais celte machine fut pour nous une source de dboires.

    Afin d'viter le scorbut, j'apportai tous mes soins auxapprovisionnements et les choisis en vue de nous procurerune nOUl'I'iture tout la fois saine et varie. Avant d'treadopt par l'expdition, chaque article fut soumis fI. l'analysechimique. L'emballage fut galement l'objet de soins mintI-tieux; mme les lgumes secs et le biscuit furent enfel'msdans des boites en zinc. Il est, en effet, inutile d'emporter unequantit considrable de vivres, si les plus' minutieuses pr-cautions ne sont pas prises pour en assurer la conservation.La plus petite ngligence peut, de ce ct, entraner les plu.~terribles consquences.

    L'expdition emporta naturellement un nombreux matrielpour les observations scientifiques. De conceet avec plusieurssavants, qui voulurent bien me prter leUl' collaboration dansce travail, je pris surtout des instruments pratiques et tt'sbien constl'lIits. Outre des thermomtres, des baromtres, despsyehronli.,tres, des anmomtres, j'emportai des instl'Umentsenregistreurs, un gl'and thodolite p'our les obsel'vationsastronomiques, deux plus petits pour les expditions en trai-

  • '20 VERS LE PLE

    neaux; plusieurs sextants de diffrentes dimensions, quatrechronomtre's de nav;e, 'des chi'onomtres de rpoche; enfinles instruments n~cessaires la mesure de la dclinaison, dcl'inclinaison et de l'intensit magntique. Cette numrationmontre l'imporEance de notre quipement scientifique; toutesles mesures furent prises pour nous permeLtre de recueilliL'une riche moisson d'observatins.

    OTTO NEUMANN SVEOOOUP,' capituine du Pl'am,

    Il tait de la plus haute importance pour le succs de l'ex-pdition de possder de vigoureux chiens pour tireL' lcstraneaux. Le baron de Toll, le clbre explorateur russe de laSibrie septentrionale, m'offrit de nous procureL';'les meutesdsires, au cours 'du nouveau voyage qu'il allait entL'e-prendre dans l'Asie arctique. A son passagc Tioumen, cnjanvier 1893, il 'chargea le nomm AlexandL'e IvanovilchTrontheim d'acheter trente chiens ostiaks et de les conduiL'c Kabarova, village samoyde situ sur les bOl'ds du YougOl'

  • INTRODUCTION 21

    Char, l'entre de la mer de Kara. Cela fait, M..de Toll neconsidra pas sa mission comme termine. Comme les chiens'de la Sibrie orientale sont de meilleures btes de traits queceux de la Sibrie occidentale, il confia un Jorvgien tablidans le pays le soin de nous conduire une troupe nombreusede ces animaux l'embouchure de l'01one1\, sur la cte nordd'Asie. Au printemps 1893, cet explorateur russe visita les

    LE LIEUTENANT SCOTT-HANSEN

    iles de la Nouvelle-Sibrie et, notre intention, y tablit plu-sieurs dpts de vivres, pour le cas o un accident seraitarriv notre expdition.

    L'quipage du Fmm se composait de treize personnes.Apl's l'heureux succs de cette expdition, l'ancienne etpurile superstition attache ce chiffre n'a plus sa raisond'tre.

    Voici la liste de mes compagnons:Otto eumann Sverdrup, commandant du Fmm, n en

  • 22 VEHS LE PLE

    1855. Mari et pre d'un enfanL Ds qu'il connut mes pro-jets de voyage, il m'offrit ses services, que je m'empressaid'accepter. La direction du navire ne pouvait tre place ende meilleures mains. Sverdrup m'avait accompagn dans maprcdente expdition a:u 'Grnland.

    Sigurd ScoU-Hansen, lieutenant en premier de la marineroyale, n en 1868. Il e~t bord la charge des observationsmtorologiques, astronomiqti.es et magntiques. ,

    LED' Il. G1\ EVE 0 LES SIX G

    Henrik Greve Blessing, docteur et botaniste, n en 1866.Thodol'e- Claudius Jacobsen, sec.ond ~u Ji'mm, n en

    1855. Depuis l'ilge de quinze ans,' il avait navigu. De 1886 1890, il avait fait, chaque t, une campagne de chasse et depche dans l'Ocan Glacial. Mari et pre d'un enfant.

    Anton Amundsen, premier mcanicien. Au service de lamarine royale depuis vingt-cinq an . Mari et pre de septenfants.

  • INTRODUCTION

    TH. CLAUDIUS IAconsEN, second du F,am.

    ANTON AMUNIlSEN, premier mcanicien.

  • 24 VERS LE PLE

    Adolf Juell, cuisinier et commis aux vivres. Il avait lebrevet de matee au cabotage et pendant plusieurs annesavait command un btiment. N en 1860. Mari et pre de

    " -quatre enfants. 'Lars Peler n, second mcanicien. Excellent forgeron et

    ouvrier. Au service dans la marine royale depuis plusieursannes. en 1860. Mari et pre de quatee enfanls.

    ADOLF JUELL, cuisinier.

    Fredrik Hjalmar Johansen, lieulenant de rserve dansl'arme. J en 1867. Il avait un tel dsie de prendre part l'expdition qu'il ~ccepla les fonctions de chauffeur, aucunautre poste ne se trouvant libre lors de son admission.PendanL le cours du voyage, il remplit le plus ,souvent lesfondions d'aide-mtorologiste.

    Peler Leonard Henriksen. N en 1859. Harponneur. Qua-torze campagnes dans l'Ocan Glacial. Mari et pee de quakcenfants.

  • INTRODUCTl ON

    LAn s PET Ens 0 N, second mcanicien.

    LE LIEUTENANT UJALYAn JOHANSEN, chauffeur.

    25

  • 2G VERS LE PLE

    Bernhard Nordahl. N en 1862. Il avait navigu pendantquatorze ans dans la marine royale, puis, aprs avoir tagent de police, tait devenu lectricien. A bord, il remplissailnaturellement les fonctions de son tat, jointes celle dechauffeur et parfois de mtorologiste. Mari et pre de cinqenfants.

    Ivar Otto Irgens Mogstad. N en 1856. D'abord gardeforestier, puis gardien-chef d'un asile d'alins. Sachant tousles mtiers, depuis celui d'horloger jusqu' celui de valet demeute, il nous rendit les services les plus varis.

    Bernt Bentzen. N en 1860. MaUre brevet au cabotage. Ilfut engag au dernier moment. A huit heures du soir, il vintme trouver, et dix heures nous quittions Troms, notreavant-dernire station.

    .. , .

    . -."-' ..

  • "- '

    CHAPITRE PREMIERLE DPART - KABAROVA - LA MER DE KARA - LE CAP

    TCHLIOUSKINE - L'ENTRE DANS LA BANQUISE

    Le 24 juin 1893, en Norvge, le jour de la fte de l't. Pournous, il arrive plein de tristesse. C'est le moment dq dpart.Je quitte ma maison, et seul je descends travers le jardinvers la grve o m'aUend la vedette du Fram. Denire moije laisse tout ce que j'ai de plus cher au monde. Mainte-nant quand les reverrai-je, ces tres adors? Ma petite Liv esll, assise la fentre, elle bat des mains. Pauvre enfant, elleignore encore heureusement les vicissitudes de la vie!

    Le canot file comme une flche SUl' la nappe unie du fjordet accoste bientt le Ji'mn1,. Tout est par bord. Aussitt lenavire lve l'ancre, salu par la population de Christianiamasse SUl' les quais, et lentement descend le fjord ... Encoreun dernier salut aux miens et ma petite maison situe l-bas sur cette presqu'le ..... Ce jour du dpart a t le plustriste du voyage.

    De Christiania nous longemes la' Norvge jusqu' Vard.Sur presque toute leur tendue, les ctes de notre pays sontprotges par un large archipel; en quelques points seule-ment cet abri fait dfaut, par exemple au cap Stat et au Lin-

  • 28 VERS LE PLE

    desns, et devant ces promontoil'cs la mer est toujours trsfOl'te. Au Lindesns nous emes la mauvaise chance de ren-contrer une gl'osse houle qui faillit causer de srieuses avaries notl'e navil'e lourdement charg. Le Fram roulait commeune futaille vide et embarquait d'normes paquets d'eau quibrisaient tout sur le ponL Sous les chocs rpts des vagues,les davier.;; des grosses embarcations menacrent d'tre briss.Si pal'eil accident tait arriv, non seulement les embarcationsauraient t enleves, mais encore une partie de la mtureserait venue en bas. Devant le Lindesns nous passmes unmauvais quart d'heure. .

    Le 12 juillet seulement, nous mouillons devant Troms, lepetit Pueis du Nord. L nous sommes salus pal' une tour-mente de neige. Tout le pays est encore enfoui sous un paislinceul. Nous sommes arrivs au seuil du domaine du froid.

    A Val'd, aprs avoir pris cong U monde civilis, nouslevons l'ancre dans le calme du malin pOUl' commencer notrevoyage. Un lriste dbut: pendant quatrcjoUJ's nOlis naviguonsdans un pais l)['ouillard. Dans la matine du 2:1 juillet, lors-que je monte sur le pont, un clail' soleil illumine le ciel bleu,et la mer, doucement berce par une lgre houle, Init dans unchatoiement e lumire clatante. Aprs les longnes joul'nestl'istes de brume, ce rayonnement de la nature nous met aucur la joie et l'esprance. Dans l'aprs-midi, la Nouvelle-Zemble est en vue. ImmMiatemenlles fusils elles cartouchessont prpars, et Jji.t nous nous rjouissons la pense denous rgaler e gibier. Sur ces entl'efaites le brouillard arrivede nouveau et couvre rapidemen l la mer de sa nappe grise;nous voil encore isols et spal's du monde!

    Le 27 juillet, tout coup la brume blanchit: les premiresglaces sont en vue! Nous les traversons facilement, mais lelendemain malin elles sont beaucoup plus compactes. Lanavigation au milieu d'une banquise, par un temps bouch ,n'est pas prcisment facile, comme cela se conoit aisment;

  • LE nPAR'T - KABAROVA - LA MER DE KARA, E.TC. 29

    on risque en effet d'Lre pinc avant de savoir o l'on setrouve. La prsence de celle glace dans une mer ordinaire-ment compltement libre celle poque de l'anne, tait unindice de mauvais augure. A Tromsu eL Varda, du reste,les nouvelles que l'on nous avait donnes n'avaient pas tencourageantes. Quelques jours seulement avant notre arrive,la mer Blanche avait t dbloque et un navire, parti comme

    LES l'IlEMliUES GLACES.

    nous pour le Yougor Char, avait t arrt par la glace.Dans la mer de Kara quelle serait la situation? Nous n'osionstrop y penser.

    Le 29, nous faisons route vers le Yougor Char. J ous avan-ons pendant plu ieurs heures sans pouvoir dcouvrir lesterres qui enserrent le dtroit. Enfin, aprs une longueattente, on distingue comme une ombre la surface de lamer, c'est Vagatch; une autre tache plus au sud marque lacte russe. Une terre toute basse, touLe unie; pas le moindreaccident de terrain, et elle s'tend ainsi infinie ver le nord

  • 30 VERS LE PLE..

    PETER IJENRIK5EN, harponneur.

    nE 11)/ liA RD NO lin Il AL, lectricien.

  • LE DPART - KABAROVA - LA MER DE KARA, ETC. 31

    1 \" A Il II 0 G S T AD, matelot.

    UEIINT DENTZEN, matelot.

  • 32 VEI1S LE PLE

    comme vers le sud. Nous sommes au seuil des immensesplaines de l'Asie septentrionale. La vigie cherche la positionde Kabarova o nous attend Trontheim avec sa meute. Sur

    . ,

    la cte sud du dtroit apparait un mt de pavillon avec undrapeau rouge. Kabarova doit tre l par derrire. Bientt,en effet, nous dcouvrons quelques baraques entoures de

    LES t:GLfSES DE KA8AROVA

    tentes coniques. Une barque se dtache du rivage et accoste lenavire. Un homme de taille moyenne, qui a l'air d'un Scandi-nave, monte bord, suivi .d'une bande de Samoydes, vtus delarges robes en peau de renne tranant jusqu' terre. C'e tTronlheim, il nous amne trente-quatl'e chiens en parfait tal.

    Aprs le souper, escorts par une troupe de Russes et deSamoy' des qui nous contemplent avec la plus vive curiosit,nous allons vi 'iter les monuments de Kabarova; eux glises en

  • LES GLACES DANS LA MER DE KARA

  • vEns LE PLE

    bois, l'une trs ancienne, de forme oblongue ct redangulal'e;l'autre toute neuve, une construction octogonale qui res-semble un pavillon de jardin. Un peu plus loin se trouve Ullmonastre. Les six moines qui l'habitaient sont morts duscorbut, disent les indignes. Vraisemblablement l'uvre lIela maJaJie a t singulirement facilite par l'alcool.

    Nous fimes Kabarova une relche de plusieurs jours,ncessite par le nettoyage de la chaudire et des cylindres.J'en profitai pour aller reconnatre l'tat des glaces de l'autrect du Yougor Chal', Au cours de cette expdition notrecanot ptrole nous donna pas mal de tablature, et finale-ment nous dmes revenir la rame. Longeant d'abord lacte de Vagatch, nous traversons ensuite le dtroit. Aumilieu du chenal nous dcouvrons un banc recouvert seule-ment de 30 50 centimtres d'eau et balay par un couranttrs rapide. Les hauts-fonds sont extrmement nombreuxdans cette passe, notamment le long de la cte mridionale; lanavigation dans ce dtroit exige donc de grandes prcautions.

    Sur le continent nous allmes gravir des mamelons domi-nant un vaste panorama. A perte de vue s'tendait la totln-dm. Combien diffrent tait l'aspect de ce dsert de l'ideque l'on s'en fait gnralement. Loin de prsenter l'imaged'une affreuse dsolation, la vaste plaine tait partout cou-verte d'une nappe de verdure fon~e, parseme de flemsd'une rare beaut. Pendant tout le long hiver de Sibrie, cesimmenses solitudes dorment enfouies sous une paisse couchede neige; mais, ds que le soleil brille, la nappe blanche dispa-rait, dcouvrant de merveilleux tapis de frles et dlicatesl1eurs. En face de cette verdure, lorsqu'un beau ciel bleu ettransparent rayonne au-dessus de vous, on en vient presque douter de la position septentrionale du pays. Les toundrassont le sjour des Samoydes. Au milieu de ces dserts sansfin ils mnent une libre vie errante, dressant leur tente l oil leur plait, puis repartant plus loin quand bon leur semble.

  • LE F7'am OANS LA MER DE KARA

  • 36 YERS LE PLE

    Point de soucis, point de tracas; dans ces solitudes, l'exis-tence s'coule douce et facile, toujours pareille, et j'en viens envier IH'esque la yie de ces simples.

    De notre observatoire nous apercevons sur la mer de Karaune banquise s'tendant jusqu' l'horizon. Elle parat relati-vement compacte et massive; heureusement, entre la glaceet la cte s'tend un chenal libre. Il sera donc possible d'a'~ancel' facilement dans cette direction.

    Le lendemain, avec l'aide d'Amundsen, je remets en tatla machine du canot il ptrole; mais, par ce travail, je crainsbien d'avoir perdu pour longtemps l'estime des habitants deKabarova. Pendant cette opration plusieurs Russes et Sa-moydes qui se trouvaient bord, me virent peiner commeun manuvre, les mains et le visage pleins d'huile et decambouis. Lorsqu'ils revinrent terre, ils interpellrentTrontheim et lui dclarrent que, trs certainement je n'taispas le grand personnage qu'il s'tait plu leut' reprsenter.A bord je travaillais comme un simple matelot, et j'tais plussale que le plus pauvre mendiant. Trontheim, ignorant ce quis'tait pass, ne put malheut'eusement me disculper dansl'esprit des. indignes.

    Le soir, nous procdons il l'essai des chiens. Trontheimen attelle dix il un traneau samoyde; il peine ai-je pris placesur le yhicule, que la meute part d'un bond il la poursuited'un malheureux chien qui est venu rder dans le voisinage.Au premier moment je suis abasourdi par cette course folleet par les hurlements des animaux; enfin, je parviens ftsauter il terre, tombe sut' les plus acharns, et russis il arrterla pout'suite. Aprs avoir remis l'ordre dans l'attlage, Tron-theim s'assied ct de moi et fait claquer son fouet, enpoussant une sorle de hennissement que l'on peut tL'aduirepar P1'-r-r-l', jJ1'-1'-1'-1'. Aussitt toute la ban~e fuit dans unecourse folle il travers la plaine herbeuse, nous entranant versune lagune. J'essaye d'enrayer, Trontheim hurle: Sass l sass;

  • LE DPART -- KABAROVA - LA ~IER DE KARA, ETC. 37

    nous ne russissons arrter l'attelage que lorsque les chiensde tte sont dj entrs dans l'eau. Nous nous remettons enroute dans une autre direction; aussitt la meute prend unetelle allure, que j'ai toutes les peines du mone il me main-tenit' sur le traneau. Je revins bord trs satisfait de cetteexprience; les chiens devaient, en effet, avoir une trs gl'andeforce pour pouvoir t.raner deux hommes une pareille vitesseSUl' un semblable terrain.

    Le harnachement des chiens sibriens est trs simple. Unecorde ou un morceau de toile voile, pass autour du ventre,fix au collier pal' une autre corde. Les traits attachs sous leventre des animaux passent entre leurs jambes.

    Le lendemain, -1 cr aot, c'est la Saint-lie, la grande ftereligieuse de Kabarova. De tous cts al'l'ivent des troupes deSamoydes, dans leurs traneaux attels de rennes. Ils vien-nent assister aux crmonies religieuses, et, en mme temps,se proposent de rendre hommage au saint par de copieuseslibations.

    Dans l'aprs-midi, il ne fut pas facile de trouver les tl'a-vailleUl's dont j'avais besoin pOUl' faire de l'eau. Trontheimdcida cependant quelques pauvres hres il nous aider, par lapromesse d'un salaire qui leur permettrait de sc IHlyer l'ivressetraditionnelle en cc jour de Cte.

    Ds le matin, les femmes avaient revtu leurs plus beauxatours, chamal'l's ll'toffes voyantes, e volants e peau dediverses conleurs, et de vieille ferraille. Partout, c'tait desgroupes pittoresques et amusants. Voici, par exemple, unvieux Samoyde et une jeune fille qui viennent olrl'ir un rennefort maigre il l'ancienne glise, le temple des vieux croyants.- La neuve est affecte au culte orthodoxe. - Jusque tlanscette contre lointaine des divergences religieuses divisentles hommes! La fte fut clbre dans les deux sanctuaires.Tous les indignes entraient d'abord dans l'glise neuve, eten ressortaient presque aussitt aprs pour se dirig"er vers la

  • 38 VERS LE PLE

    vieiJ chapelle. Aucun prtre de la secte des vieux croyantsne se trouvant Kabarova, les Samoydes offrirent au popeorthodoxe la somme de deux roubles pour clbrer le servicedans leur glise. Aprs un instant de rflexion, il se dcida accepter la proposition et se rendit en grande pompe l'anciensanctuaire. Dans l'intrieur, rempli d'une foule crasseusevtue de pelleteries, l'air tait. absolument irrespirable, et,aprs un sjour de deux minutes, je dus sortir en toute hte.

    L~S PLAINES pE lALMAL

    Dans l'aprs-midi, lorsque la fte battit son plein, le tumultedevint in descriptible. Des Samoydes parcouraient toutevites se la plaine dans leurs traneaux attels de rennes. Com-pltement ivres, ils roulaient chaque' instant par terre eltaient ensuite trans sur le sol. C'taient alors des hurlementsde btes fauves et un sabbat infernal. Un jeune indigne attirasurtout no tre attention par sa fantasia dsordonne. Une foismont dans son vhicule, il pique ses btes et les lance droit

  • LE DP~RT - KABAROVA - LA MER DE KARA, ETC. 39

    travers les tentes, renversant tout sur son passage. Tout coup, il culbute et est ensuite roul sur une gL'ande distance.Pendant ce temps les spectateurs, hommes et femmes, segorgeaient d'alcool et tombaient ivres morts. Le bon saintlie devait tre flatt d'un tel hommage. Le matin seulementle tumulte diminua; peu peu, un silence de sommeils'tendit sur 'tous ces ivrognes.

    DloADQUEMENT SUD LA CTE DE IALMAL

    Un voilier norvgien devait nous apporteL' Kabarova ducharbon pour remplacer le combustible brl depuis le dpaL'tde Varda. Ce tender n'tant pas encore aniv, je rsolus dene pas l'attendre plus longtemps. Le 3 aot, les chiens furentembarqus et logs l'avant, o ils nous gratifirent aussittd'une srnade terriblement bruyante et discordante. Touttait prt maintenant pour le dpart; aprs avoir remis nodernires lettres mon secrtaire qui devait attendre l'arrivedu charbonnier, je donnai l'ordre de lever l'ancre.

  • 40 YERS LE PLE

    Le 4 aot, de grand matin, le FraIn, entrait dans la mer deKara. Maintenant le sort de l'expdition va se dcider. Sinous russissons il traverser celle mer et doubler le cal'Tchliouskine, nous aurons surmont les plus grandes diffi-cults du voyage. Aujourd'hui, les apparences ne sont pasmauvaises; entre la terre et la banquise qui couvre la pleinemer, un chenal libre s'tend vers l'est il perle de vue. Cetteouverture nous permet de gagner facilement la cte ouest dela longue presqu'He de Ialmal, mais bientt la glace nousoblige ft mouiller. Dne morne solitude, cette terre de Ialmal;une immense plaine sablonneuse, parseme de touffes defleurs, perce de petites flaques d'eau circulaires, d'une rgu-larit parfaite. D'aprs mes observations aslt'onomiques, celtepartie de la cte se trouve porte sur le;; cartes 36 ou38 minutes trop [1 l'ouest.

    Le 13 aot, le Frn/n doublait l'extrmit nord de Ialmal etl'He manche (Dli-Ostrov). Aucune glace ne sc trouvant ellvue, je pris la rsulution d'abandonner la cte et de marcherau nord, vers l'He LIe la Soli Lude, afin d'abrger la disLanceCJui nous spare encore du cap Tchliouskine. Bientt,dans celte dil'eetion, une banquise compacte nous al'l't~te.Nous clwllg'eolls alors de cap pour fail'e route vers l'est ct lesud-est. De cc Cl)t nous dconvron:'i uno Hf) il laquelle noustlonnons le nom Ill) Sverdl'11p, notre vaillant capitain(', qui,le promier, a signal celte ton'c. Plus loin, la nlte de Sibrieest cn vue vors l'omhouchul'e de l'Icnisse, un peu plus hauteici qU'il Iahnal, parseme de larges Lmines de neige quis'Lendent jusCJu'au rivage. Le Hl aot, apparaissent lesKamenni-OsLrov (Iles des picr;'()s), remarqnables par laneUd de leul's anciennes lignes de rivage, Dans cette r0gioncommo tIans le nord scandinave, lIll changement s'est pl'oduitdans les niveaux respectifs e l'Ocan ct des terres, depuisl'poque glaciaire.

    20 aot. - Temps admirable. La mel' est bleue ct le soleil

  • LE DPAIIT - KABAROVA - LA MER DE KARA, ETC. 41

    clatant. Impossible de se croire une aussi haute latitude.Dans l'aprs-midi les Bes Kjellman sont signales; plus ausud, nous apercevons un archipel qui ne se trouve .pas mar-qu sur les cartes. Partout les rochers prsentent des sur-faces polies et arrondies, indice certain que ces terres ont trecouvertes par des glaciers quaternaires.

    Pour permettre aux mcaniciens de nettoyer la chaudire,

    UNE CHASSE A L'OURS

    nous relchons devant la plus grande de ces les. Du haut du11icl de c01"beaM l, la vigie annonce la prsence de plusieursrennes en train de paitre tranquillement prs du rivage.Aussitt' moi gnral; nous sautons sur nos fusils et desuite nou mettons en qute du gibier. Pendant vingt-quatre

    1. Tonne \"ide place au sommet du grand JUilt, ervant (['ob ervatoire.(Note du traducteur.)

  • 42 VERS LE PLE

    heures, sans une minute de repos, nous battons le tereain.Deux rennes et deux ours, tel fut le butin de cette chasseacharne.

    La sortie de l'al'Chipel fut particulirement pnible; partoutde petits fonds; avec cela, un courant trs rapide et un ventcontraire, trs frais, soufflant par moments en tempte. Achaque instant le Fmm risquait de s'chouer. Le 24 aotseulement, nous sortmes de cette situation dangereuse. En-suite, c'est toujours la mme navigation monotone entre lacte et la banquise. La mer est trs peu profonde: de touscts des bancs et des groupes d'les inconnues. La terre setrouve prcde par un archipel dont l'existence a jusqu'icichapp l'attention des prcdents explorateurs derrire lerideau des brumes endmiques dans ces parages. A coupsr,une expdition qui se proposerait d'excuter l'hydrogra-phie de la cte septentrionale de Sibrie ferait d'intressantesdcouvertes, mais le but de notre voyage est tout difTeenl.POUl' nous, avant tout, il s'agit de doublee le plus rapide-ment possible le cap Tchliouskine et la saison avance.L'hivel' appeoche. Le 23, une abondante chute de neige s'estdj produite.

    27 aot. - Mon livee de bord renferme chaque page lamme mention : Toujoues des le~ nouvelles et des bas-fonds. Dans l'aprs-midi, le continent est en vue, une terrepeu leve, mollement ondule, dcoupe pal' des fjords. Dj, plusieurs repl'ses, j'ai apel'u de peofonds goulets pntrantft une geande distance dans l'intrieur. Sur cette cte deSibrie, relativement basse, la formation fjordienne me parattrs dveloppe.

    En vue de l'le de Tamyr la situation devint critique. Aumilieu des iles qui apparaissent de tous cts, impossible denous recollnatre. Je prends alors le pal,ti de gagner la pleinemer et de passer au large des les d'Almqvist, situes au nord-ouest de l'le de Tamyr. Tout coup, voici que, tl'avers

  • LE DPART - KABAROVA - LA MER DE KARA, ETC. 43

    la brume une terre se dcouvre droit devant nous. Nousvenons immdiatement dans l'ouest pour la doubler etreprendre ensuite notre route vers le nord. Dans celte direc-tion nous distinguons un archipel trs tendu (Archipel Nor-denskild), qui nous empche de poursuivre notee route.Pendant l'aprs-midi nous atteignons enfin l'extrmit septen-trionale de cette chane d'Ues; l, notre grand dsap-pointement, une banquise compacte nous barre la route. Yengager le Fra'ln serait risquer de se fail'e pincer dfinitive-ment pour l'hiver. Dans ces conditions, il faut revenir enarrire et essayer de passer entre ces les et Tamyr.

    Le 30 aot, nous nous engageons dans ce chenal. Le Frainavance rapidement; nous allons donc enfin pouvoir sortir dece ddale, lorsque, subitement, le dtroit se trouve complte-ment barr par une paisse nappe de glace. Au del, la merest probablement libre; mais il nous est absolument impos-sible de nous frayer de vive force un chemin travers celtenappe cristalline. A coup sr, une telle masse de glace nepourra fondre avant l'hiver. Notre situation devient par suitetrs critiqe. Peut-tre, il est wai, le dtroit de Tamyr entrel'le du mme nom et le continent est-il libre'? mais, d'aprsNordcllskiold, les fonds y sont trop petits pour permettre lepassage d'un b,Himent, mme de faible tonnage. Dans cesconditions, nous n'avons qu' attendre. Notre saInt ne peulvenit' que d'une tempte du sud-ouest qui disloquera cellcbanquise et nous ouvrira la route. En attendant, le blimenlest mouill et les mcaniciens inocdent un nettoyagecomplet de la chaudire, tandis que nous allons donner lachasse aux nombl:euses troupes de phoques qui s'battent surla glace. Ces animaux sont ici aussi aboildanls que sur lacte occidentale du Grnland. Si, en 1878, Nordenskild nerencontea dans ces parages qu'un trs petit nombre de cesamphibies, c'est que, cette anne-l, les glaces qui constituentleur milieu d'lection taient rares dans la mer de Kara.

  • 44 VERS LE PLE

    Une fois la machine remise en tat, je rsolus de tenter lepassage par le dtroit de Tamyr. De ce ct la route setrouvant galement ferme par la glace, le cap est mis au sudpour essayer de trouver une ouverture dans cette direction.Bien que le temps soit trs clair, impossible de savoir o nousnous trouvons; nous n'apercevons pas des les marques surla carte, et, par contre, nous en distinguons d'autres quece document n'indique pas... Finalement dcouvrant unchenal troit, nous nous y engageons. Bientt nous recon-naissons que la terre qui s'tend au nord et que nous pensionstre le continent est une le et que la passe se pl'olongeencore plus loin dans l'intrieur des terres. Le mystredevient de plus en plus impntrable. Peut-tre aprs tout,somme's-nous dans le dtroit de Tamyr? Apercevant quel-quesflaques de glace, je dorme l'ordre d'ancrer dans unmouillage abrit. Le lendemain, partant en canot, je russis avancer trs loin, dans un goulet suffisamment profondpour le }l'non; cependant Je soir, nous trouvons de nou-veau la glace. Le temps est froid; la nuit dernire il a neigabondamment; vouloir nous engager au milieu de cette ban-quise, nous risquons d'tre faits prisonniers.

    ;=) septembre. - Voil dj neuf jours perdus. Aujourd'huiencore il neige et la bise est trs frache. Dans la soire,pousses par le vent, des masses de glace arrivent sur nous.Peut-tre allons-nous tre bloqns pour l'hiver avant qu'unchenal se soit ouvert dans cette banquise diabolique. Sil'expdition est dtenue dans ces parages pendant de longsmois, elle y trouvera, il est vrai, un emploi utile de son acti-vit. Toute cette cte de Sibrie est trs peu connue, ct l'int-rieur du pays n'a jamais t explor. Mais non, je ne puism'habituer cette ide d'un hivernage prmatur. Ensuite,c'est par srie d'annes que la glace est abondante; si, ilcette poque-ci, nous sommes bloqus en 1893, peuL-tre lasaison prochaine ne serons-nous pas plus heureux.

  • LE DPART - KABAROVA - LA MER DE KARA, ETC. 45

    Le 6 septembre est "l'anniversaire de ma naissance. J'avouema superstition; en me rveillant, je suis convaincu que, siun changement doit survenir dans l'tat des glaces, c'estaujourd'hui qu'il se produira. Je monte donc en toute htesur le pont. Le vent a diminu et le soleil brille; dans cetteradieuse clart l'avenir me semble moins sombre. Le chenalqui s'ouvre l'est est couvert d'un solide embcle. Si le Fmrn

    ITINRAIRES DU F,'am AUTOUR DE L'LE TAMYR

    n'avait pas abandonn le dtroit, il serait maintenant prison-nier, pour Dieu sait combien de temps. Par contre, la passesitue au nord du mouillage a t dbloque par la tempte.Peut-tre galement les glaces qui, il y a dix jours, nous ontbarr la route au del de l'archipel situ au nord de Ta'imyr,ont-elles galement t disloques par la bourrasque. Essayonsdonc de passer de ce ct. Je sui sr qu'aujourd'hui lachance me sera favorable. En effet, le lendemain, six heures

  • 46 VERS LE PLE

    du matin, nous doublons le cap Laptef, la pointe n~rd de l'HeTamyr.

    Mais nous n'en avons pas fini avec les difficults. De l'autrect de ce passage redoutable, voici de nouveau la glace.

    ous nous frayons un chemin la vapeur, mais au del lamer est trs peu profonde: 15, 13, 11 mtres. On avancelentement, la sonde la main. L'eau est bourbeuse, et uncourant trs violent porte dans le nord-est. Plus loin la merdevient bleue .et transparente; en mme temps, la profondeuraugmente. En passant, notons que la sparation enlt'e leseaux bleues et argileuses tait marque par une ligne abso-lument nette.

    Une fois hors de cette zone difficile, nous poursuivons

    LE CAP TCIIBLIOUSKINE

    notre route en serrant la cte de prs. Toujour des plainesbasses s'levant peine au-dessus de la mer, constitues,semble-t-il, par des couches de sable et d'argile. Dans cesparages, je dcouvre une vaste nappe d'eau paraissants'tendre une grande distance vers l'est, dans l'intrieurdes terres. Probablement une large rivire qui s'pnche enlac avant de se jeter dans l'Ocan, comme nombre d'autrescours d'eau de Sibrie.

    Le 9 septembre, le baromtre est trs bas: 733 IUlU ; le ventsouffle de terre en rafales terribles, soulevant d'pais nuagesde sable. Peut-tre, en prsence de la mauvaise apparence dutemps, serait-il prudent de rester au mouillage, mais la tem-pte a chass les glaces; profitons donc de l'occasion. Couvert

  • LE DPART - KABAROVA - LA ~IER DE KARA, ETC. 47

    de toile, le Fmm file huit nuds, avec l'aide de l'hlice.Jamais auparavant sa marche n'avait t aussi rapide; notrenavire semble avoir conscience de notre situation et vouloirrattraper le temps que les glaces nous ont fait perdre autourde Tamyr. Les caps succdent aux caps, les fjords aux fjords,et vers le soir, dans un lointain vaporeux, nous distinguons, l'aide de la lunette, des montagnes. Le cap Tchliouskine,l'extrmit septentrionale de l'ancien monde, n'est pas bienloin.

    La cte est toujours basse, mais une certaine distancedans l'intrieur des terres s'lvent des chanes de montagnescampaniformes, trs escarpes, qui paraissent formes decouches sdimentaires horizontales. Les plus loignes sontentirement couvertes de neige. Sur un point, ce reliefsemble revtu d'une carapace de glace ou de neige descen-dant en larges franges sur les pentes. Nous approchons ducap Tchliouskine. Lorsque nous aurons doubl ce promon-tOIre, une des principales difficults du v,oyage sera vaincue.Je monte dans le nid de corbeau pour examiner l'horizon.Depuis longtemps le soleil a disparu, laissant dans le ciel unelongue trane jaune, une lumire de rve, une lueur irrelle.Une seule toile scintille au-dessus de ce cap redout, commeun phare cleste qui nous promet l'esprance. Et, dans lamlancolie de cette belle nuit claire, le Fmm avance len-tement vers le nord, sans bruit, comme le vaisseau fan-tme.

    Le 10 septembre, quatre heures du matin, le cap Tch-liouskine est doubl; en l'honneur de cet heureux vne-ment les couleurs sont hisses, aux acclamations del'quipage.

    Aprs avoir chapp aux dangers d'un hivernage dans lamer de Kara, devant nous la route s'ouvre maintenant librevers la banquise des les de la Nouvelle-Sibrie, qui doit nousentraner travers l'inconnu glac du bassin polaire.

  • 48 VERS LE PLE

    Un peu plus tard, nouvelle alerte. Une nappe de glacenous ferme le passage entre le continent et quelques lotssitu'S l'est du cap Tchliouskine. Aprs une courte recon-naissance terre, nous russissons cependant doubler .cesles; toute la nuit, nous avanons rapidement vers le sud lelong de la cte. Par moments, notre vitesse atteint neuf milles.

    11 septembTe. - Dans la matine, une terre, hrisse de

    LA CTE A L'EST DU CAP TCHLioUSKINE

    hauts. sommets et dcoupe de profondes valles, est en vue,Depuis Vard, nous n'avons pas contempl un paysage aussiaccident; habitus aux plaines basses de Sibrie, nos yeuxs'arrtent avec plaisir sur ce panorama pittoresque. .

    Mettant le cap vers l'est, nous voyons disparatre la cledans l'aprs-midi; pIns tard, en vain, nous cherchon's ~apercevoir les. iles Saint~Pierre et Saint-Paul; les ~artes leurassignent pourtant une position trs voisine de notre roule.

  • LE DPART - KABAROVA - LA MER DE KARA, ETC. 49

    12 septemb1'e. - Des morses sont couchs sur un glaontout prs du navire! crie ma porte Henriksen. En deuxminutes, je m'habille; les harpons et les fusils sont prts, etaussitt je pousse du bord avec Henriksen et Juell. Une lgrebrise souffle du sud; pour nous placer faux vent, nousnous dirigeons vers la pointe nord du glaon, tout en pre-nant nos dispositions de combat. Henriksen se tient l'avant,un harpon la main; je me place derrire lui, pendant queJuell continue ramer trs doucement. Un morse, charg,

    ~ . ""''':'::':~'''-'''~'''-' .. 'ifj-'~'i~'-':':'-":~ ~ '.

    r'UE lJE LA DANQUISE,IlANS LAQUELLE LE P,'am A T PRIS

    sans doute, de la garde du troupea, lve la tte; aussittnous nous arrtons, puis continuons notre marche, ds qu'ilne regarde plus de notre ct. Entasss les uns contre lesautres sur une petite plaque de glace, tous ces animaux for-ment un norme monceau de chair. Quel tas de bonne nour-riture! fait observer Juell, le cuisinier du bord. De temps autre, une des dames de la socit s'vente de ses nageoires,puis, aprs cet exercice, s'assoupit de nouveau. Au momentd'aborder le glaon, Henriksen ajuste un morse et lance sonharpon. Malheureusement il a vis trop haut; l'arme glisseSur la tte de l'animal et rebondit sur son dos. De suite, avecune agilit absolument extraordinaire ces monstrueuses btes, .

  • 50 VERS LE PLE

    se jettent il l'eau et se tournent vers nous, la tle haute. ,J'en-voie une balle une des plus grosses, elle chancelle, puisdispara!t; maintenant une aulre et celle-l, non moins gl'a-vement blesse, enfonce immdiatement. Tou le la bandeplonge pour revenir bientt aprs, plus menaante. Deesss moiti hors de l'eau, les morses se prcipitent vers le canoten poussanl des hurlements leLTibles, puis lIe nouveau s'en-foncent, en battant l'cau furieusement pour reparatre lasurface aussitt apes. Leur exaspration est indescriptible;d'un instant l'aut.re, je m'attends voie un de ces monstress'accrocher au bordage du canot et le faire chavirer. Lesblesss, quoique perdant des flols de sang par le nez cl labouche, se montrent aussi acharns que les ault'es. Au milieude la bagarre, je pai'viens leur envoyer de nou velles balles.TOtlchs celte fois-ci mort, ils floUent bientl inertes Jasurface de la mer. Pour les empcher de couler, Henriksenles harponne. Nous tHons un troisime morse, mais le harponavec lequel nous l'avions saisi, trop faible, liche prise, etl'animal coule pic. Pendant que nous remorquons nolreiJ,'ibier vers un glaon, le resle de la bande nous Sll it, toujoursmenaant et hurlant; inutile de leur envoyer des balles, nousn'avons ~ucun moyen de ramenel: boni un butin plus consi-drable. Bientt le Pran'", vient nltre rencontre, ct, aprsavoit, embarqu nos deux morses, poursuit sa route. Danscelte rgion, ces amphibies sont trs abondants; si nousen avions eu le temps, il eCtt t facile d'en tuer un grandnombre .

    . Pass J'embouchure de la Khatanga, nOLIs avons vaincl'eun fort courant contraire. - La partie orientale de la pres-qu'lle de Tamyr constitue une rgion monlagneuse relali-vement haute, prcde, le long de la mer, par une zone deterres. basses.- La mer paraissant assez dgage, j'essaie de faire route

    dans l'est directement vers l'embouchure de l'Olonek; mal-

  • , .- - -""-= ~~ - ~~ ~- --

    LE Df:rt:CI'-IIENT DES MonSES

  • 52 - VERS LE l' LE

    heureusement, la glace nous al'rte et nous ohlige rentrerdans le chenal ctier.

    A l'est de la Khatanga, la mer est trs peu profonde. Unmoment, dans la nuit du 13 au 14, la sonde indique seule-ment 7m ,20. Le 15, les fonds ne dpassent pas 12 il 13 mtres,Le bruissement des vagues indique la mer libre dans l'esl.

    - La couleur fonce de l'eau, sa faible salinit comme sa teneU!'-en sdiments, annoncent l'approche de l'embouchure de la

    Lna.Ce serail folie que d'essayer de remonter l'Olonek il unc

    poque aussi avance de la saison. D'abord, il n'est pas cer-tain que nous puissions entrer dans le fleuve; en second lieu,si, par malheur, nous nous mettions au plein, cela serait uneterrible aventure. Je serais certes trs heureux de renforcerma meute l, mais je risquerais un hivernage dans cette rgion,Ce serait une anne de perdue; le jeu n'en vaut pas la chan-delle. En avant donc vers les les de la Nouvelle-Sibrie!

    1(;septemb1'e. - Route au N.-O. (du compas) il traverslIne mer libre. Aucune glace en VlIe; plus au nord, la couleUl'fonce du ciel indique galementl'absence de banquise. Temps-doux; tempratme de la mel' + 1",64. Courant contrail'C quinous porte dans l'ouest; par suite de ceUe drive, nous noustrouvons toujours il l'ouest de notre point estim. Plusieursvols d'eiders. '

    18 seplemb1'c, - Houte au nord dans l'ouest de l'le Diel-koy. Mer libre, bon vent d'ouest, Lemps clair; le F?'am, avance

    _rapidement. Maintenant le moment dcisif approche. Si lathorie sur laquelle repose toute l'expdition -est exacte, nous

    , devons pl'Ochainement renconLrer un courant portant dans le_nord. Nous sommes par 75":30' Lat. N.; pas trace de ban-:quise! Dans la soire, j'aperois il la surface de la mer des: 1. _Des' chiens e la Sibrie orientale destins l'expdition m'aient l

    \

  • LE DPART - KABAROVA - LAMER DE KARA, ETC. 53

    taches blanches' tl's rgulires, peut-h'e esHs Bielkov etKotelno, qui doivent tre couvertes de neige.' Malgr mondsir de visiter ces terres si intressantes et d'inspecter lesdpts laisss notre intention par le baron de Toll, .le pour-suis ma route. Les heures sont si prcieuses!

    Que nous apportera demain: l'esprance ou la dsillusion?Si tout tourne bien, nous pouvons atteindre l'He Sannikov,une terre inconnue! Quelle joie de voguer ainsi vers desrgions mystrieuses sur une mer que n'a jamais sillonneaucun navire. - L'air est si doux que nous pourrions nouscroire des centaines de milles plus au sud.

    19 septe11tble. - Jamais .le n'ai vu plus belle navigation.Pouss par le vent et par l'hlice, le Fmm avance toujours,et toujours la mer libre! Combien cela durera-t-il? Instinc-tivement l'il se tourne vers le nord. C'est regarder dansl'avenir. La mme tache sombre, indice de l'absence des glaces,persiste l'horizon. Depuis le 6 septembre, la fortune nousest favorable. On ne se doute gure, en Norvge, qu' ccmoment nous faisons route droit vers le ple travers unemer libre, et que nous nous trouvons aussi loin au nord. Siil Ya deux jours seulement, on m'avait prdit pareille chance,j'aurais refus d'y croire. Toute la journe nous marchons vitesse rduite, de crainte de donner inopinment sur quelquechose - terre ou glace. Nous sommes maintenant par77 Lat. N.-Jusqu'o irons-nous ainsi? J'ai toujours dit que.le serais satisfait, si nous arrivions au 78 Lat. N.; mais Sver-drup est plus difficile, il parle du 80, mme du 84 et du 85".Il croit srieusement l'existence de la fameuse mer libre duple, rve des gographes en chambre dont il a lu les ou':'vrages, et il yrevientsans cesse en dpit de mes railleries. Jf'me demande si vritablement .le ne suis pas le jouet d'uneillusion, si .le ne rve pas.

    20 septembre. - Ce matin, .le suis brutalement tir demon rve. Tandis que, pench sur mes cartes, .le songeais la.

  • YEnS LE PLE

    prochaiIie ralisalion de mes espi'ances, - nous lions prsdu 78 Lat. N.,~ le Jfmmprouve loul coup u'n choc. 'D'unbond je suis sur le p'onl, et quc vois-je devanl moi, traversla'brume? une large'et compacte'nappe de glace. Jusle ce

    L f. F,'am f. ri MEil LlO Il E

    momenl, le soleil perce les nuagcs, vilc lc sextant 1L'observa-tion nous place par 77 44' Lat. N.

    Dans la pense dc' 'pouvoir avancer encore plus loin, je fairoulc au nord-ouesl; le long de la banquisc. Toute la journebrumc : impossible dc reconnatre si unc tcrre se trouve dansces parage', comme sc'mble l'indiquer la prsence de vols depetil ' chas.'icrs.

  • LE DPART - !CABAllOVA - LA MEn DE KAllA, ETC. 55

    21 septembre. - Bien que le temps soit plus clait', nousn'apercevons galement rien. Nous nous trouvons cependant la mme longitude, mais plus au nord, que la cte mridio-nale de la terre Sannikov, telle qu'elle est porte SUriR cartedu baron de Toll. Suivant toute vraisemblance, cette le estdonc de petites dimensions ct ne doit pas avoir une grandeextension vers le nord.

    Dans l'aprs-midi, temps bouch . Nous restons immo-biles, dans l'attente d'une claircie. L'estime nous place pal'78 30'. Sond: pas de fond! Nous dcouvrons la prsencede punaises bOl'd, des passagres donl il sera ncessaire denous dbarrasser.

    22 septemb?"e. - Nous sommes dans Hile baie formant,nous semble-l-il, l'extrme limite de l'eau libre. Devant nousla glace est compacte, ct vers le nord la teinle blanchtrede l'horizon indique l'extension de la banquise.

    Les anciens explorateurs arctiques croyaient Ilcessaire ftla scurit de leur navire de prendre leurs quartiers d'hiverprs de la cte. C'tait prcisment cc que je voulais viter.Tout mon dsir tait de faire entrer le Fmm dans une ban-quise en drive et de le tenir loign de toule terre. Enconsquence, j'amarrai le btiment il un gros bloc. Le navireflotte encore librement, entour de quelques lal'ges (loc l, maisj'ai le pressentiment que cette glace sera notre hanc d'hi-Yernage.

    Aujourd'hui guel'l'e aux punaises. Nous faisons passer unjet de vapeur travers les matelas, les coussins des canaps,bref ft travers tous les repaires supposs de nos ennemis.Aprs cela, les vtements, enferms dans un bal'i1 soigneuse-ment dos, sont soumis au mme traitement. Espl'Ons quenous serons dbarrasss de ces dsagl'ables compagnons.

    24 septe11'~bTe. - Le Frain est compltement entour par1. Flnc. Glaon d'unc ccrtainc tendue, gnralcment tl"s compact. (Notc du

    tl'adlle/cl/l'.)

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    VoYllf/e dt> iVanren- eL Jhansen- li, traoer.rlo-ba:n

  • 58 YEnS LE PLE

    la glace. Entre les floe s'tend dj de la sltlsh ic(' 1 qui serabientt trs solide. Dans le nord exisle encore un peLilbassin d'cau libre et du nid de corbeau la mer apparatdgage dans le sud. Un phoque (Phoca (tida), des pistesd'ours vieilles de plusieurs jours, sont lbs seules traces devie releves dans Cette solitude.

    25 septembre. - La glace paissit de jour en jour. Tempsclair et beau. La nuit dernire - 13. L'hiver approche grands pas!

    1. Slush ice. Agrgat de petils disques de glacc dc formation noU\cllc. (Notedu traducteur.)

  • CHAPITRE II

    LE PREMIER HIVERNAGE

    Toutes les apparences indiquent que maintenant noussommes dfinitivement pris dans la banquise, et je ne m'at-tends plus voir le Fmm hors de la glace que lorsqu'il seraarriv de l'autre ct du ple, dans le voisinage de l'Atlantique.

    .De jour en jom le soleil dcline sur l'horizon et la temp-rature s'abaisse; la longue nuit si redoute de l'hiver arc-tique approche.

    Donc, nous faisons nos prparatifs en vue de cette longuedtention. Convedir le navire en confortables quartiers d'hiver,prendre toutes les prcautions pour le protger contre le froid,la glace et les pressions, en un mot contre toutes les forcestel'l'ibles de la nature, auxquelles les prophtes de mauvaisaugure ont prdit que nous succomberions, telles sont tould'abord nos occupations. Pom soustraire le gouvernail auxattaques des glaces, nous le relevons; l'hlice est, au contraire,laisse en pl!1ce, sa cage contribuant renforcer l'arrire.Amundsen dmonte la machine, et aprs avoir nettoy et huil(~soigneusement toutes les pices, les range dans le plus grandordre .Notl'e mcanicien a pOUl' notre moteur les soins d'un

  • 60 VERS LE PLE

    pre pour son enfant. Pendant les trois ans que dura le voyage,pas une journe ne se passa sans qu'il descendit dans la chauf-ferie, ne fl-ce que pour regarder et pour caresser quelqueorgane de sa chre machine.

    La menuiserie est tablie dans la cale, J'atelier du mca-nicien dans la chambre de la machine et celui du ferblantierdans le kiosque des cartes. La forge, installe d'abord SUl'le pont, fut transporte plus lard sur la glace. Les cordon-niers et les ouvriers chargs des menus travaux lisent domi-cile dans le carr. Plus tard, lorsque nous emes besoin detrs longues lignes de sonde, une corderie fut tablie sur laglace. Tous les instruments, depuis les plus dlicats jus-qu'aux plus grossiers, pouvaient tre fabriqus bord.

    Ds les premiers jours de notre dtention, le moulin ventdestin actionner la dynamo el produire la lumire lec-trique, fut dress bbord, dans la partie avant du navire.

    Nos journes laient trs remplies. Nous avions entre-tenir en bon tat toutes les parties du btimenl, ensuite lescorves. Il fallait, par exemple, monter les vivres de la cale,et aller chercher de la glace d'eau douce pour obtenir,par fusion, la quantit d'eau ncessaire tous les hesoins dubord, etc. De plus, dans les diffrents ateliers la besogne nemanquait pas. Le forgeron Lars avait un jour redresser lespistolets des embarcations tordus pal' les vaguc's de la mel'de Kara, un autre jour fabriquer un couteau, nn hameonou un pige ours; le mcanicien Amundsen quelque instru-ment rparer; Mogtad, horloger ses heures, un ressortde montre remplacer ou un thermogl'aphe il nettoyer; levoilier, des harnais pOUl' les chiens. Chacun tail, en outre,son propre cordonnier et se confectionnait des chaussuresen grosse toile, garnies de chaudes cl paisses semelles enbois, d'aprs un modle cr par Sverdrup. Le moulin il ventnous donnait, en outre, du travail. Nous avions surveillersa marche, il l'orienter dans la direction du vent, et, lorsque

  • LA FOR G E sun LEP 0 N T DU FI'am.

  • 62 VEns LE PLE

    la brise fraichissait, grimper aux ailes pour prendre desris, un travail peu agrable par les froids terribles, qui, leplus souvent, entrain ait quelques morsures de gele aux doigtsou au nez. Enfin, de temps autre, il tait ncessaire demanuvrer les pompes. A mesure que la temprature s'abaissa,cette opration devint de plus en plus rarement n()cessairect, de dcembre 1893 juillet 1895, devint mme complte-ment inutile. Pendant celte priode une seule voie J'cali scproduisit, insignifiante pOUL' ainsi dit'e.

    A toutes ces occupations venaient s'ajouter les travauxscientifiques. Les plus absorbants taient les observationsmtorologiques. Nuit et jOllr elles furent effectues toutes lesquatrJ heures et mme toutes les deux heures pendant uncertain temps. Elles incombaient il Scott-Hansen, assist deJohansen jusqu'n mars 1895, ct, aprs cette date, de NordahI.Les observations de nuit taient faites par l'homme de quart.Tous les deux jours, lorsque le temps tait dair, Scott-Hansenet son adjoint terminaient astronomiquement la position dunavire. Pendant que noLre camarade effeduait ses calculs,Lout l'(:quipage se pressait la porte de sa cabine, attendanlavec impatience leur proclamation. La drive avait-elle porlvers le nord ou vers le sud, et de combien? C'tait, pour nous,une question capitale. Du rsultat d~l'observationdpendaiten grande partie notre tat d'esprit pendant la journe.

    ScoU-Hansen avait, en outre, il dterminel' les lmenlsmagntiques. Ces obsel'vations furent, au dbut, cll'edu()esdans une tente construite il cet elTet ct dresse sur la g'lacc,ultrieurement dans une huLle en neige beaucoup plus con-l'm'table. Le dodeur tait beaucoup moins occup; aprs avoirvainement attendu les malades, en dsespoir de cause, ilJonna ses soins aux chiens. Une fois par mois, il procdait illa pese de chaque membre de l'expdition, ct la dtermi-nation sur chaque sujet du nombre de globules rouges ctde la proportion d'hmoglobine, Le rsultat de ces recher-

  • LE PREMIER HIVERNAGE 63

    ches tait galement attendu avec impatience, nos hommespensant devoir en dduire leur immunit. contre le scorbutpendant un certain laps de temps.

    Les observations de la temprature de la mer et de sa sali-nit . diffrentes profondeurs, l'examen de la faune marine,

    L.-\ L~; C T Il Il E 1) E S Il A Il 0 II T Il E S

    l'tude de la formation de la glace et la dtermination de satemprature dans ses diffrentes couches, enfin celle descourants marins, constituaient mon dpartement scientique.J'observai de plus l'gulirement les aurores borales; aprs.mon dpart, le Dr Blessing se chargea de ce travail.' Des son-uages et des dragages de gl'andes profondeurs furent enoutre excuts pendant toute la dure du voyage..

  • 64 VERS LE PLE

    Les jours se suivaient et se ressemblaient, et en donnantl'emploi de notre temps pour une journe le lecteur pounase reprsenter notre vie.

    A huit heures, lever. Aussitt aprs, djeuner comiJOs depain sec, de fromage, de c01'ned beef ou de mouton conserv,de jambon, de langue de Chicago ou de lard, de caviar demorue, d'anchois, de biscuits de farine d'avoine ou de biscuitsde mer anglais, enfin de marmelade d'orange ou de compote.Trois fois par semaine du pain frais. Comme boisson, du th,du caf ou du chocolat.

    Le repas achev nous allions don-9-er la pitance aux chiens,:- la moiti d'une morue sche ou quelques biscuits pal' tte,;- aprs quoi, nous les dtachions, puis la petite colo.nie scpispersait pour vaquer ses occupations. A tour de rle,chacun de nous avait sa semaine comme aide-cuisiniel' etmah;e d'htel. Le coq faisait ses comptes pour le dn~r, etImmdiatement aprs sc remettait ses fourneaux. Pendantce temps, quelques-uns d'entre nous se runissaienl sur labanquise pour. examiner son lat.

    A une heure, tout le monde tait de nouveau runi dans Jecarr pour le dner. Le menu lail gnl'alement compos de .trois plats: soupe, viande et dessert; souvent le desserf ou lasoupe taient remplacs par du poiss.on. La viande tait tou-jours accompagne de pommes de tel're, ou de lgumes verts,ou encore de macaroni.

    Le diner achev, Jes fumeurs faisaient cercle dans la cui-sine, les pipes, cigares et cigarettes tant formel1ement inter-dits dans les logements,except les jours de fte. AprS unepetite sieste, on se remettait au travail jusqu'au souper,

    . six heures du soir. Le menu de ce troisime repas tait lemme que celui du djeuner. La soire se passait fumerdans la cuisine ou lire et jouer aux cartes dans le cal'l' ,pendanLqueJ'un de nous faisait fonctionner l'orgue ou queJohansen excutait surson.accordon ses morceaux fameux:

  • LE PREMIER llIVERNAGE 65 '

    Oh! S'/,~zanne et la' Mal'che de Napolon en' canot' t1'ave1's'les Alpes.

    A minuit, on allait s'e coucher sauf l'homme, de-veille. Lequart de nuit ne durait qu'une heure et tait pi.'is tour de'rle par chacun de' nous. Cette garde tp.i,t: le plus souventemploye crire les journa:ux, et ce trp.vail n'.tait, gureint.errompl.rque par les aboiements des chiens, lorsqu'ils flai-

    UXE sOlnf:E DE' MUSIQUE

    raient quelque ours clans le voisinage. Toutes les quatreheures, et, pendant une p;iode, toutes les deux heures,l'homme de veille devait aller noter le observations mto-rologiques.

    Grce la rgularit de notre existence, le temps s'coulafort agrablement et avec la plus grande rapidit.

    Mes notes prises au jour le jour donnent l'impres ion de lamonotonie de notre vie. Elles ne rapportent gure d', ne-

    ;;

  • 66 VERS LE PLE

    ments importants; pal' leur indigence mme, elles prsen-tent un tableau exact de notre existence bord du Fm1l1.

    26 septemb1c. - La temprature s'abaisse - '14,5 dallsla soire. L'observation n'indique aucune drive dans ladirection du nord; nous sommes toujours immobiles par78 50'. Dans la soire, je me promne sur la banquise. Iln'existe rien de plus merveilleusement beau que cette nuit arc-tique. C'est le pays des rves, color des teintes les plus dlicatesqu'on puisse imaginer: c'est la couleur irrelle! Les nuancesse fondent les unes dans les autres dans une merveilleuseharmonie. Toute la beaut de la vie n'est-elle pas haute,dlicate et pure comme cette nuit? Le ciel est une immensecoupole bleue au znith, passant vers l'horizon au vert, puisau lilas et au violet. Sur les champs de glace apparaissentde froides ombres bleu fonc, et, et l, les hautes artes dela banquise s'allument de lueurs l'oses, derniers reflets dujour mourant. Err haut brillent les toiles, ternels symbolesde la paix.

    Au sud se lve une grande lueur rougetre, cercle denuages d'or jaune, flottant sur le fond bleu. En mme temps,

    .l'aurore borale tend sa draperie changeante, tantt argente,tantt jaune, verte ou rouge. A chaque moment, sa formevarie; un instant, le mtore s'tale, un autre il se contracte,puis se dchire en cercles d'argent hrisss de rayons flam-boyants, et, finalement, s'teint subitement comme une myst-rieuse apparition. Un instant aprs, des langues de feu flam-bent ariznith, et, de l'hol'izon, monte une raie brillante quivient se confondre dans la clart lunaire. Pendant des heures,le phnomne lumineux s'irradie en clarts tranges au-essus du grand dsert glac, laissant une impression devague et d'inexistence, qui vous fait un insfant douter de laralit. Et le silence est profond, impressionnant comme lasymphonie de l'espace. Non, jamais je ne pourrai croil'e que.ce monde puisse finir dans la dsolation et dans le nant.

  • r:OUSEIIVATOIIIE IIAGNTIQUE

  • 68 YERS LE PLE

    Pourquoi, alors, toule ceUe beaut0, s'il n'existe plus aucunecrature pour en jouir?

    Je commence maintenant tl deyiner cc secret: yoici I~terre promise flui unit la beaut . la mort. Mais dans quelbu l? Ah! quelle est la destine finale de toutes ces sphres?Lisez la rponse, si yousle pouvez, dans ce ciel bleu constellt)d'toiles.

    28 septembre. - Chute de neige ct vent. Aujourd'hui nOlislchons les chiens. Depuis notre dpart de Kabaroya, la yie ~

    b~ triste pour ces malheureux, enchans SLll' le pont, sous lapluie continuelle cles embl'llIlS et des paquets Je mel'. Ils scsonl moiti trang1s dans leurs laisses; ils ont eu le mal cIller, et, par le beau comme par le mauvais temps, ils ont dtrester Et o ils taient attachs. Vous qui serez peut-trenotre dernire ressource . l'heure suprme, nous vous ayonsbien mal ll'::lits. En revanche, lorsque arl'yera le moment dcla lutLe il outrance, vous serez . l'honneur. En attendant ayezla libertt~! C'est alors une joie folle; tous se roulent dans laneige ct gnmhadent sur la glace en aboyant nous rompre letympan. La banrluise, jusque-l. si triste ct si morne, eslmaintennnt bruyanl et animtSc. Le silence sculaire cs!rompu.

    29 septemure. - L'anniversaire deJa naissnnce lIe Blessing.En son honneur une grande fde est organis(~e, lapremircde toutes celles que nous donnerons il bord. Nous avonsd'ailleurs un autre motif de nous rjouir; l'observation demidi nous place au 7!)O 5'; un nouveau degr de latitude gagnvers le ple! La fte consiste en un diner-concert. Au menucinq plats, au programme yingt morceaux.

    30 septemu1e. - La position du Fmm ne me parat p~soffrir toutes les conditions dsirables cfe srelt). Le grandglaon situ bbord, auquel nous sommes amarrs, projettcvers le centre du navire une forte saillie qui pourrait pro-duire un choc dangereux dans celle partie de la coque, en cas

  • LE pnE~IIER HIVERNAGE 69

    de pression des glaces. Aussi commencons-nous aujourd'hui dhaler le Fram pour prendre un mouillage plus Sl'; un tra-vail qui ne laisse pas que d'h;e pnible. Il faut d'abord casserune paisse couche de glace, puis, l'aide du cabestan, fairelentement avancer le navire travers le passage que nO\1S luiavons fray.

    Le soir, temprature - 12,6. Magnifique coucher desoleil.

    2 ocloure. - Hal le navire jusqu'au milieu du bassin cou-vert de jeune glace 1 , situ en arrire. Nous avons bbordle gl'and floe, sur lequel les chiens sont installs, trs plat etsans saillie menaante de ce ct, et, tribord, de la glace ga-lement basse; entre ces plaques et le navire s'tend une nappede jeune glace . En amenant le F?"an/' dans son nouvelancrage, une partie de la glace qui l'entomait a t refoule etpresse en dessous de la surface de l'eau contre la coque, detelle sorte que le htiment se lrou'.'e maintenant dans unexcellent lit de g'lace.

    L'aprs-midi, Sverdrup, JueH et moi tions occups dans lekiosque des cartes il pisser des cordes pour la ligne de sonde,lorsque, tout il coup, Henriksen signale l'approche d'un ours.De suite je saute sur mon fusil.

    - O est-il, cct ours '?- L, sur tribord, prs de la tente, il se dirige droit vers

    l'observatoi re.J'aperois, en effet, dans ceLle dil'eetion un ours norme

    pOUl'suivant Hansen, Blessing et Johansen qui se sauvent iltoutes jambes vers le navire. A ma vue, il s'arrte tonnl~;videmment, il se demande quel est l'insecte qui se trouvemaintenant devant lui. Ds qu'il tourne la tte, je lui envoie\lne balle dans le COll; le projectile frappe juste et l'normebte s'affaisse sans mouvement. Pour les habituer cette chasse,quelques chiens sont aussitt lchs, mais leur attitude est

    1. Glace nOI\\'ellement forme. (N. du traductcw'.)

  • 70 YEnS LE PLE

    absolument lamentable; I{vik, dont je comptais me servir enpareille occasion, s'approche du cadavre, pas pas, le poil touthriss, la queue entre les jambes; un spectacle absolumenldcourageant.

    Trs amusante avait t la rencontre de !,los trois compa-gnons avec l'ours. Blessing et Johansen taient alls aiderHansen dresser, sur la glace, sa tente pour les observationsmagntiques; pendant qu'ils taient occups ce travailsUl'vint l'animal.

    Sur l'avis de Hansen, pOUl' ne pas effrayer l'ours et ne pasl'aUirer de leur ct, ils s'accroupissent tous les trois les unscontre les autres.

    Aprs un instant d'attente, Blessing met l'avis d'essayerde gagner le bord et de donner l'alarme .

    .-:... Parfaitement, rpond Hansen.Et Blessing s'achemine vers le navire SUl' la pointe des

    pieds, toujours pour n.e pas effrayer l'ours. Entre tempsmaitre Martin dcouvrant les camarades se dirige vers eux,puis, apercevant Blessing, se met il. sa poursuite. Notre bondocteUl' s'arrte alors, incertain de la conduite qu'il doit tenir;finalement, pensant qu'il est plus amusant d'tre trois que derester tout seul en tte il. tte avec l'ennemi, il rejoint rapi-dement Hansen et Johansen. Notre, astronome essaie alorsd'un stratagme recommand dans les livres. Il sc lve, agitefurieusement les bras, ct, avec le concours des autres, se metil. pousser des hurlements tel'l'ibles: la bte continue tou-jours il. avancer... En prsence de cette situation critiqul3 cha-cun prend les armes qu'il a sa disposition: Hansen un btonferr, Johansen une hache; quant Blessing,il n'a rien dutout. Tous poussent en chm un cri terrible: Un ours, unours! et s'acheminent il. toute vitesse sur le navire. L'animal,au lieu de leur donner la chasse