Vers La Décroissance
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7/23/2019 Vers La Dcroissance
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Nicholas Georgescu-Roegen : Vers la Dcroissance ?
Analyste et critique de la thorie
noclassique, Nicholas Georgesc-Roegen a fait de la dcroissance, la
seule modalit possible pour
assurer lavenir de lhumanit1.
Le dveloppement conomique se fonde
sur la rduction de la pauvret par le biais
d'une hausse de la croissance. Cette
dernire se diffuse dans toutes les couches
de la population de manire spontaneselon les tenants de "l'effet percolateur" -
l'instar d'Adam Smith et de Joseph
Schumpeter- ou bien l'aide d'une
politique sociale adquate redistribuant les
richesses produites. Une combinaison de
ces deux modalits constitue aujourd'hui le
cas le plus frquent, y compris au sein des
institutions internationales. Ds lors, la
croissance s'avre dsirable et le "bien"
atteindre tout prix. Or, dans l'optique des
tenants de la dcroissance, limage deNicholas Georgesc-Roegen, une
gnralisation de cette dernire constitue
une voie vers la destruction de la "nature"
mais galement de l'humanit.
De lorthodoxie lhtrodoxie
Nicholas Georgesc-Roegen nest
pas un auteur adul dans les milieux
orthodoxes. Et pourtant, sa longue vie
(1906-1994) a aliment une recherche
vaste et htroclite. Peu de domaines sont
rests trangers cet hritier de
Schumpeter (cest dailleurs ce dernier qui
la amen sintresser lconomie) :analyse des fonctions dutilit et de
production, du modle de Leontief, de la
croissance, du dveloppement...
Cet conomiste-mathmaticien a fait ses
premires armes lUniversit de Harvard
(1934-1936) en se frottant aux crits de
Pareto, et plus particulirement aux
postulats de la thorie noclassique. Alors
que Schumpeter lui propose dtre le co-
auteur dun Trait de thorie conomique,
il dcide de repartir dans sa Roumanienatale (1936) afin de mener son pays sur le
chemin de la croissance. Commence alors
une longue remise en cause des principaux
dogmes noclassiques (Georgesc-Rogen
se qualifie lui-mme de disenchanted
neoclassical economist ) : 1 la rgle du
cot marginal ne vaut que dans un pays
dabondance, dans une conomie de
pnurie, les individus travaillent aussi
longtemps quils peuvent (jusquau point
o productivit marginale du travail estgale 0); 2 dans une conomie de
pnurie, la rpartition du revenu repose sur
des rgles institutionnelles (la famille) ; 3
le consommateur nest pas seulement guid
par une logique quantitative (consommer
des biens), ses actions sinscrivent
galement dans une matrice sociale
De 1936 1948, Georgesc-Rogen
participera successivement lorganisation
de lInstitut Central de Statistiques et la
Commission dArmistice qui allait mener
aux accords de Yalta et de Postdam.
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Accus dtre la fois le serviteur du
capitalisme en tant que Rockfeller fellow ;
un membre du National Council of the
Peasantist Party ; et un dfenseur des droits
de la Roumanie lors de lArmistice,
Georgesc-Roegen finira par regagner lesEtats-Unis, et lUniversit dHarvard en
juillet 1948.
Les annes qui suivirent, seront
dterminantes pour Nicholas Georgesc-
Roegen. Cest dans lvolutionnisme,
linstitutionnalisme et les sciences dures
(thermodynamique, biologie), quil puisera
ses principales sources dinspiration. Son
analyse de la production et par consquent
de la dynamique de la socit contient des
lments importants qui vont le conduire adopter la dcroissance comme seule
modalit possible pour assurer un avenir
l'humanit (1971). Rfutant les approches
de la thorie noclassique, Georgescu-
Roegen va apprhender le processus de
production comme une ralit physique,
sarticulant autour de 3 lments : le
temps, l'innovation et l'organisation.
Le temps et la loi entropique
La question du temps est fondamentale
pour analyser la fonction de production :
Il y aurait ainsi deux temps : un temps
rversible dans lequel les phnomnes
mcaniques prennent place, et un temps
irrversible reli aux phnomnes
thermodynamiques (1971). Or, lune des
grandes erreurs des conomistes
noclassiques est de s'appuyer sur un
temps mcaniste, rversible, alors que la
ralit est "entropique". Le temps est parconsquent irrversible. Le processus de
production (dun point de vue purement
physique) ne fait que transformer des
ressources naturelles (entropie basse) en
dchets (entropie haute). Les ressources
naturelles ne passent quune seule fois
dans le processus conomique et le
gaspillage est un gaspillage irrversible.
Cependant la basse entropie de
lenvironnement est rare, et sa destruction
irrvocable (Grinevald, Rens ; 1995). Laloi de lentropie fait remarquer Georgescu-
Roegen est la racine de la raret
conomique. Si cette loi nexistait pas,
nous pourrions rutiliser lnergie dun
morceau de charbon volont, en le
transformant en chaleur, cette chaleur en
travail, et ce travail nouveau en chaleur.Le fait de puiser constamment dans les
ressources naturelles nest pas sans
incidence sur lavenir des nouvelles
gnrations, comme le soulignait Hotelling
(1931). Il est mme long terme llment
le plus important du destin de lhumanit.
Cest aussi en raison de la raret
particulire de la basse entropie dans
lenvironnement que, ds laube de
lhistoire, lhomme a continuellement
cherch inventer des moyens susceptiblesde mieux capter la basse entropie. Il existe
trois sources distinctes de basse entropie :
les flux de radiation du soleil et dnergie
des mares, le stock dnergie terrestre
disponible et accessible comprenant les
combustibles fossiles et nuclaires ainsi
que lnergie gothermique, le stock
terrestre de matires disponible et
accessible. Les ressources naturelles
peuvent tre extraites selon un rythme qui
en principe dpend seulement du choix des
individus : Il est concevable que nous
puissions puiser tous les stocks de ptrole
en une anne si nous voulions le faire
(1969). Or, fait remarquer Georgescu-
Roegen, cest cette libert qua lindividu
dutiliser presque volont les dpts de
ressources naturelles qui serait responsable
du spectaculaire progrs de la technologie.
Il existerait donc bien une relation de cause
effet entre lexploitation intensive de labasse entropie et lutilisation dinnovations
technologiques.
De linnovation la bioconomie
Les grands bonds du progrs technologique
ont gnralement t dclenchs par la
dcouverte et la matrise dune nouvelle
forme dnergie accessible : les
dcouvertes de minerais ont prsent une
proportion substantielle de ressources
facilement accessible Cetteexceptionnelle prosprit a suffi par elle-
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mme abaisser le cot rel de
lextraction des ressources minrales de
leurs gisements de surface. Lnergie issue
des combustibles fossiles devenant ainsi
meilleur march, les innovations de
substitution ont entran une baisse de lapart du travail dans le produit net. Le
capital a galement volu vers des formes
qui cotent moins, mais utilisent davantage
dnergie pour atteindre le mme
rsultat (1979). Georgescu-Roegen
(1995) se penche surtout sur deux
innovations cruciales : le feu qui a permis
l'avnement du premier ge technologique,
l'ge du bois, et l'invention de la machine
vapeur qui engendre la conversion de
l'nergie calorifique en nergie motrice.L'volution de l'espce humaine la conduit
vers la recherche de nouveaux outils, de
nouveaux organes (les organes
exosomatiques, cest--dire dtachables)
ncessitant une consommation de
ressources non renouvelables. Georgescu-
Roegen n'en oublie pas le rle de la
demande. Elle apparat ici dterminante :
le fait que lajustement continuel de
lindividu aux changements de prix ou de
conditions de revenus change ses gots,
parat tellement vident que dans le pass
les conomistes ne lont mentionn quen
passant, sils lont fait du tout... Mais
laspect le plus dplaisant du problme est
rvl par le fait que la conduite reoit,
pour ainsi dire, un choc qualitatif chaque
fois que lindividu est confront avec un
bien nouveau. Ceci est la raison pour
laquelle on se tromperait totalement en
pensant que les innovations technologiquesne modifient que loffre (1971). A ce
stade, Georgescu-Roegen se trouve un
carrefour de la pense schumpeterienne, la
voie de la thermodynamique (Sadi Carnot)
et celle de la biologie (Alfred Lotka) pour
dvelopper une vision "bioconomique",
c'est--dire une conception de l'conomie
comme extension de la vie biologique :
Les phnomnes conomiques ne sont
certainement pas indpendant des lois
chimico-physiques qui gouvernent notreenvironnement externe et interne, mais ils
ne sont pas dtermins par ces lois. C'est
parce que l'conomie a ses propres lois
qu'un dollar dpens en caviar ne peut
acheter la mme nergie que lorsqu'il est
dpens en pomme de terre (1986).
Lorganisation de la production
L'organisation de la production s'avre
indispensable pour contenir et contrler
la fois la nature (et plus particulirement
ses flux nergtiques) et les priodes
doisivet des facteurs de production. Pour
ce qui concerne le problme de loisivet
des facteurs de production, Georgescu-
Roegen (1970, 1971) cherche repenser la
fonction de production en termes
darrangement. Trois alternatives sont ainsiavances.
- La premire revient lancer plusieurs
processus simultanment, puis rpter
lopration lorsquils sont arrivs terme
(exemple de la cuisson de plusieurs pains
dans le mme four) : cest larrangement
en parallle.
- La seconde implique que les processus
lmentaires sont mis en uvre les uns
aprs les autres afin dviter tout
chevauchement dans le temps: cest
larrangement en srie. Le nombre de biens
demands correspond leur temps de
production ou le dpasse. Il sagissait
autrefois de lartisanat. Ce type
dagencement na pas disparu et sapplique
encore la construction navale, aux ponts,
aux nouvelles usines...
- La troisime implique enfin que le temps
de production soit divis en intervalles
gaux : cest le processus en ligne : Si lenombre de processus lmentaires est
suffisamment grand et toutes les priodes
pendant lesquelles chaque fonds rend
service sont commensurable avec le temps
de production, alors il y a un nombre
minimum de processus lmentaires qui
peut tre arrang en ligne de telle faon
que chaque fonds soit employ (1971).
Cette situation caractrise les chanes
dassemblage dans lesquelles chaque
travailleur se dplace sans interruptiondun processus lmentaire lautre. Si la
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minimisation de loisivet est lobjectif
principal assign chaque processus de
production, reste cependant maintenant
rechercher les formes institutionnelles qui
sy rattachent.
Les formes institutionnelles
La dmarche mcanique et universaliste
des modles standards doit faire place
une tude sociale, culturelle et historique
des diffrentes formes dorganisation de la
production. L'origine roumaine de lauteur
et la rfrence lconomie paysanne
(dbat avec Kautsky) amneront
Georgescu-Roegen comparer le systme
usinier au systme agricole (la famille et le
village sont les plus vieilles institutionshumaines). La rvolution industrielle se
serait dans un premier temps limite
l'industrie, eu gard aux spcificits de
l'agriculture (sur-capitalisation des terres,
oisivet importante des fonds, nergie
solaire et agriculture organique ; Chayanov
1924) puis ensuite tendue au monde
agricole sous la pression croissante de la
population et des lois de la
thermodynamique. Ainsi comme le
souligne Georgescu-Roegen, bien que
l'agriculture mcanise ne convienne pas
aux petites fermes familiales qui disposent
de grandes rserves de bras libres, elle s'est
impose mme cette dernire (exemple
des usines de volaille). Au final, la
seule voie pour l'humanit consiste
"dcrotre", c'est--dire rorienter son
dveloppement exosomatique en intgrant
les gnrations futures. En effet, le
comportement prsent permettra ou nepermettra pas leur apparition. La prise en
compte des gnrations prsentes et futures
illustre l'importance des valeurs, de
l'thique dans la mise en place d'un
programme bioconomique minimal :
Trop longtemps les conomistes ont
prch en faveur de la maximisation de nos
propres profits. Il est grand temps que l'on
sache que la conduite la plus rationnelle
consiste minimiser les rejets. Toute pice
d'armement comme toute grosse voituresignifie moins de nourriture pour ceux qui
aujourd'hui ont faim et moins de charrues
pour certaines gnrations venir
(quelque loignes qu'elles soient) d'tres
humains semblables nous-mmes. Ce
dont le monde a le plus besoin, c'est d'une
nouvelle thique. Si nos valeurs sont justes,tout le reste - prix, production, distribution
et mme pollution - doit tre juste (1995).
Un certain fatalisme finira cependant par
simposer dans luvre de Nicholas
Georgescu-Roegen. Lattachement de
lhomme au confort exosomatique
lempcherait de prter attention un
quelconque programme minimal. Le destin
de lhomme serait peut-tre davoir une
vie brve, excitante et extravagante, plutt
quune existence longue, vgtative etmonotone. Ds lors, dautres espces
dpourvues dambition spirituelle - les
amibes par exemple - hriteront dune
Terre qui baignera longtemps encore dans
une plnitude de lumire solaire! (1995).
Fabrice Dannequin, Chercheur au lab.rii etprofesseur de SES au Lyce Charles Pguy.
Arnaud Diemer, Matre de confrence l'IUFMd'Auvergne, chercheur au GRESE.
Pour en savoir plus
Les livres de Georgescu-Roegen
La science conomique, ses problmes et sesdifficults, Dunod, 1969.The Entropy Law and The Economic Process,Harvard University Press, 1971.Energy and Economic Myths, Pergamon Press,
1976.Man and production, in Foundations of
economics, Baranzani M. et Scazzieri R. (editeur),Basil Blackwell, 1986.
Entropy and bioeconomics, in Dragan J. etDemetrescu M-C, Milan, Nagard, 1991.
Les livres et articles sur Georgescu-RoegenLa dcroissance : Entropie, Ecologie, Economie,Prsentation J. Grinevald, I. Rens, d. Sang de laTerre, 1995. Ouvrage chroniqu dans Alternativesconomiques, n133, janvier 1996. Il contient une
abondante bibliographie.L'analyse de la production chez NicholasGeorgescu-Roegen, F. Dannequin, A. Diemer,Cahiers du GRATICE, n17, 2mesemestre 1999.
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Nous remercions Gilles Dostaler pour cesnombreuses remarques.