¡Vaya con Dios!

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Pierre Vanier

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[Roman (134x204)] NB Pages : 392 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 29.44 ----------------------------------------------------------------------------

¡Vaya con Dios!

Pierre Vanier

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rNov 2013

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Chapitre 1 Randonnée fuyarde

Sa silhouette semblait se fondre, s’intégrer, dans l’épais brouillard installé au cours de la nuit. Le gris devenait la teinte fondamentale de ce tableau de mi-été. L’inconfort humide gagnait Armand qui tentait de rejoindre la ligne sombre, incertaine, au loin, sans doute, l’orée d’un bois. Là-bas, il espérait se cacher.

Depuis trois heures, il arpentait ce territoire inconnu : la carte routière lui avait indiqué plaines et bois comme, devant lui, occupant le terrain. Jusque-là, il n’avait rencontré nulle âme et les quelques chemins d’exploitation forestière traversés ne lui avaient fourni aucune information sur les hameaux qu’ils desservaient. Seule l’illusion d’un ton plus clair dans la grisaille, cause du soleil matinal, l’incitait à imaginer qu’il se dirigeait plein Est.

Sa stratégie de couper à travers champs présentait de nombreux inconvénients mais, au moins, elle lui

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permettait d’éviter des témoins à sa fuite. Quand il approchait de quelque habitat, les aboiements, plus ou moins lointains, de chiens lui fournissaient un indice sur les distances établies avec les humains.

Plus il marchait, plus il lui semblait que ses chances augmentaient. Bien sûr, il faudrait traverser la frontière mais les contrôles policiers réduits depuis les accords de Schengen se faisaient exceptionnels en rase campagne. Et aucune manifestation publique d’audience internationale n’était prévue pour remettre à jour des contrôles inopinés. Pourtant les policiers suisses gardaient réputation de veiller au grain !

Malgré tout, il se persuadait ne pas rencontrer de difficulté. Plus tard, à Morez, il prendrait un train avec comme objectif de rejoindre Paris et, là, de se noyer dans la foule. Arpenter dans ce terrain sablonneux demandait quelques efforts. Ses chaussures de ville n’étaient pas les plus aptes pour cette randonnée agricole, il lui faudrait trouver le moyen de les restaurer avant de retrouver la civilisation. Il espérait un havre sylvestre confortable, une cabane de forestier pour se refaire une santé physique. Il tenterait d’y dormir avant de franchir le Mont Risoux, une aimable colline annonçant le Jura proche et qui portait la ligne frontière.

Plus il approchait du lac de Joux, plus l’habitat s’intensifiait. Découvrant une grange à deux étages dont la porte fermait mal, il y pénétra avec

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précautions, les habitants du secteur commençaient visiblement à se réveiller. Une échelle branlante montait à la réserve de foin, un bon matelas, estima-t-il, pour le somme réparateur qu’il envisageait.

Une fois installé, il ouvrit le sac de jute qu’il avait accroché dans son dos et en ressortit la bouteille d’eau, le pain et le fromage qu’il avait eu l’initiative d’emporter avec lui. Tout en mastiquant, il revoyait le film des événements du début de la nuit précédente.

Il s’en était tiré ! Avant les incidents, son périple automobile s’était

déroulé sans anicroches. Il approchait du terme de son voyage, Nyon, charmante cité du bord du Léman, quand il repéra une grosse Mercedes semblant le suivre depuis un moment. Il avait ralenti dans l’intention de se faire doubler, et dénombré trois occupants dans l’automobile qui le précédait. Le conducteur de cette dernière s’était fait surprendre lors de sa manœuvre et avait freiné brutalement, refusant visiblement de dépasser, malgré l’invitation proposée par le clignotant d’Armand. Celui-ci, avait alors repris une allure normale tout en accélérant graduellement jusqu’à dépasser, à plusieurs reprises, la vitesse autorisée. La Mercedes maintenait toujours une distance d’une cinquantaine de mètres derrière lui.

Par naturelle prudence, il se refusait à faire connaître, à quiconque, l’adresse où il se rendait. Aussi, il avait poursuivi sur l’autoroute, en direction

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de Lausanne, délaissant sur sa droite la bifurcation qui menait à Nyon. Il ne pouvait continuer indéfiniment ainsi et devait déterminer de façon indiscutable si cette automobile s’intéressait à son sort.

Une aire multiservice était annoncée à 300 mètres, Armand avait décidé de précipiter les événements. Il avait mis son clignotant, tout en ralentissant. La Mercedes avait obtempéré. Alors qu’il s’apprêtait à prendre la bretelle d’accès, Armand, d’un coup de volant brutal, avait rejoint l’autoroute. Il avait accéléré violemment, immédiatement imité par son suivant. Cette fois, il ne pouvait y avoir de doute, le trio de poursuivants était bien attaché à ses basques.

Il avait tenté alors une folle manœuvre. Au niveau de la bretelle de sortie de l’aire qu’il venait de dépasser, usant du frein et du volant, il avait mis sa Ford en travers et emprunté, en contresens, les quelques 200 mètres qui le séparaient alors du complexe hôtelier. Il avait évité de peu une automobile, faisant fi des imprécations et des appels de phares du chauffeur. Le pilote de la Mercedes, lui, n’avait pu réaliser le même mouvement.

Toutefois, Armand imaginait que ses poursuivants allaient réagir rapidement. Il avait “déposé” son automobile face à l’hôtel-restaurant où bon nombre de clients dînaient. Agrippant le sac de jute remisé sur le siège arrière de son véhicule, il s’était engouffré dans le snack-bar en libre service. Il avait dérobé, à la volée, une baguette de pain,

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bousculant les clients qui faisaient la queue en vue de régler leurs achats. En courant, il était parvenu à rejoindre le pont enjambant l’autoroute. De l’autre côté, mêmes commerces… Il avait eu le temps de saisir encore une bouteille d’eau et un fromage sous blister. Il avait renversé le caissier qui tentait de l’arrêter puis traversé à toutes jambes la station service. Enfin, il avait sauté la barrière métallique utilisée par les employés pour accéder au centre commercial. Elle fermait un chemin carrossable que bordait un petit bois.

Armand avait contourné le bosquet, franchi une clôture au grand dam de bovins paisibles, jusque là, occupés à brouter. Le pré en pente, limité sur sa gauche par le petit bois, rendait l’aire autoroutière invisible et offrait, dès lors, une certaine sécurité au fuyard.

Il n’avait repris son souffle qu’à la limite supérieure de l’herbage. Un chemin de terre jouxtait, par le haut, le pré et le bois. Une haie, constituée de maigres viornes, protégée des ruminants par un fil électrique, interdisait d’accéder, sans la traverser, le sentier herbeux et escarpé. Faisant fi des ronces, il parvint enfin sur ce chemin qui l’écartait résolument de l’autoroute.

Bien sûr, les occupants de la Mercedes le rechercheraient et allaient rapidement comprendre qu’il avait quitté l’autoroute et son aire de services. Toutefois, ils hésiteraient et peineraient à trouver

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l’orientation choisie. Mais il ne fallait en aucun cas les mésestimer. Police ou opposants, la deuxième hypothèse semblait plus probable. Il lui faudrait tenter de résoudre l’énigme sous peu.

Enfin, après une heure de marche à vive allure, il ralentit le rythme. Rien ne lui indiquait avoir été suivi. Il avait décidé, approchant un village, la nuit commençant à tomber, de se reposer et de dormir un peu. Un abribus désaffecté lui servit de cache. Mais il ne put fermer l’œil. Il était reparti vers quatre heures du matin, le jour n’était pas encore levé…

Maintenant, bien enfoncé dans une botte de foin, en sécurité, la fatigue le gagnait. Elle lui interdisait de réfléchir davantage pour décider d’une quelconque stratégie pour les heures à venir. Il sombra dans le sommeil. Quand il reprit conscience, le jour était bien avancé. Sa montre lui indiqua 13 h 20.

Il décida de ne pas reprendre sa route : ses poursuivants pouvaient avoir étendu leur champ de recherche, recruté quelques comparses pour renforcer leurs chances de le repérer. Il voyagerait la nuit, celle-ci devrait tomber vers 19h30. Il n’emprunterait que des sentiers, éviterait ceux susceptibles d’être utilisables par des véhicules à moteur. Mais il lui fallait connaître sa position géographique pour rejoindre la France discrètement. Après d’infinies précautions, il quitta sa grange : personne en vue, alors il se risqua vers le village.

Avant même que se dessinent les premières

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maisons, il eut la chance de repérer une borne kilométrique qui lui indiqua « Le Brassus, 0,5 km ». Il connaissait parfaitement le secteur. Il l’avait fréquenté, bien souvent, pour parfaire sa forme physique, lors de longues randonnées en ski de fond.

Il conclut que le petit ruisseau qui coulait devant lui était l’Orbe et situa le poste frontière du Bois d’Amont, tout proche, sur sa gauche. Reprenant sa fuite, il s’enfonça alors dans la forêt qui lui faisait face. Il demeura caché dans le bois jusqu’à la tombée de la nuit.

S’il s’orientait nord-ouest, il rencontrerait les pentes du Mont Risoux. Il aurait dépassé la frontière en redescendant la montagne. En bas, se trouverait la route de La Chapelle-des-Bois/ Morez.

A minuit, il atteignait comme prévu la D46 vide de toute circulation. Toutefois, par précaution, il décida de rejoindre la petite route qui conduisait au Col de Savine. Il descendrait, au matin, sur la gare de Morez. Alors qu’il cheminait, il entendit plusieurs fois le bruit de moteurs se rapprochant. A chaque fois, il put se cacher, observant des voitures anodines immatriculées dans le Jura. Il ne reprenait sa marche qu’après s’être assuré que ces véhicules s’éloignaient, ne s’arrêtaient pas en chemin. Enfin, quand il aborda la station du chemin de fer, il n’y pénétra qu’après avoir vérifié que personne ne l’avait devancé ni occupé.

La solution d’un car rejoignant Dôle, puis là, retrouver un TGV pour Paris lui parut la plus

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rationnelle. Il dût attendre trois heures le départ du bus. Il passa son temps à observer depuis le café du Centre les allées et venues de la population qui partait au travail et s’attacha à repérer si quelques intrus ne se mêlaient pas au mouvement. Ni individus aux apparences inquisitrices, ni Mercedes ou autre limousine, ralenties en ville, ne se manifestèrent.

La compagnie du car n’avait pas mis en place un pullman. Les sièges, non encore équipés de ceintures de sécurité, revêtus de faux cuir, bénéficiaient de ressorts usés qui n’ôtaient rien au confort spartiate d’origine. Une population hétéroclite avait, en partie, rempli le véhicule : des hommes d’affaires qui, sans doute, monteraient dans le TGV, une jeune femme et un garçon d’une dizaine d’années, bourré de tics et dont Armand imagina qu’il allait suivre des cours auprès d’une psychologue tant son air de benêt s’affichait sur son visage poupin. Sa conversation du reste n’encourageait pas l’optimisme sur la crédibilité de la formatrice. Sur le devant du bus, deux commères avaient engagé un débat sur les derniers rebondissements de la télé-réalité. Elles comparaient les mérites réciproques de chacun des concurrents, pariant sur le prochain palmé de l’université “People”. Au fond, un couple d’adolescents flirtait avec avidité, s’embrassant à bouches que veux-tu.

A Dôle, Armand fut l’ultime passager à monter dans le train. Il n’avait rien remarqué de suspect mais sa méfiance restait totale. Il décida de passer son

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voyage assis au bar et délaisser son siège. Deux hommes semblèrent l’imiter en s’installant à une table, tout près de lui. Armand, derrière son journal, observa longtemps leur attitude. Il finit par rejoindre son siège et ne revit pas ces deux individus à Paris.

Armand utilisa son savoir-faire pour déjouer toute tentative de filature. Rassuré, il prit un taxi pour rejoindre son appartement, rue Chapon mais communiqua au chauffeur un numéro supérieur à l’adresse réelle. La rue étant en sens unique, il dépassa son entrée et découvrit avec angoisse la Mercedes garée à quelques mètres de son habitation. Il semblait être grillé !

Le chauffeur obtempéra quand Armand lui demanda de le déposer à l’angle du boulevard de Sébastopol et de la rue Turbigo. Ayant réglé la course, il se précipita dans la bouche de métro « Arts et Métiers » pour rejoindre son deuxième havre. L’adresse de celui-ci, jamais utilisé, ne pouvait être connue ni de ses poursuivants ni d’ailleurs de ses mandataires à qui elle n’avait pas été communiquée. De plus, il savait qu’à République, il dénouerait toute possibilité d’être suivi et reprendrait tranquillement la direction de la porte des Lilas.

Le studio, rue des Tourelles, ne possédait que peu de confort. Équipé d’une mini cuisine, d’une minuscule cabine de douche, il permettait de se restaurer et de dormir. L’aménagement, au delà de la literie, composé par un frigo, une table et sa chaise, un

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fauteuil, un vieux téléviseur, n’autorisait une halte que de quelques jours. Avant de s’y réfugier, Armand appela depuis une cabine téléphonique son correspondant de Nyon à qui il avait fait faux bond. Un message indiquant que le numéro était en dérangement répondit en français, en italien et en allemand.

Cette seule information plongea Armand dans l’embarras, il n’avait aucun autre moyen de le joindre. Il régla le problème de sa voiture en appelant le loueur, lui indiquant qu’il lui adressait par Chronopost la clé qu’il détenait, lui garantissant le règlement illico de la facture supplémentaire occasionnée par l’abandon du véhicule en pleine nature. Client habituel, cette procédure fut acceptée par le loueur qui, lui, ne perdait rien en l’aventure.

Enfin Armand se résolut à appeler son mandataire. La ligne fut longue à s’établir. Enfin la voix et l’accent caractéristique de son correspondant lui parvinrent :

« Colonel M’Banguy, j’écoute… – Armand… Mes respects, mon colonel. J’ai

rencontré un crocodile sur le fleuve. Il a plongé et je n’ai pu mesurer ni sa taille, ni son âge. Je n’ai pas pu l’abattre du fait que la chasse était interdite. Ce n’est que partie remise. D’ailleurs je vous propose lundi prochain pour une nouvelle battue. J’emmènerai mon équipe au complet, cette fois. Rendez-vous à l’aube à l’aéroport.

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– OK, Armand. A lundi. » Une fois cette communication passée, Armand se

sentit soulagé. Il lui restait huit jours pour faire surface.

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Chapitre 2 Wolfgang

Wolfgang Müller venait d’atteindre 33 ans. De grande taille, un mètre quatre vingt dix neuf, il avait connu une carrière sportive intense. Athlète doué au lancer du disque, titulaire du record de sa catégorie, à 16 ans sélectionné dans l’équipe junior de la Confédération, il eut, de ce fait, l’occasion de visiter une bonne partie de l’Europe. Mais souvent, ces athlètes de haut niveau peinent à suivre des études au même rythme que leurs performances physiques. Ainsi, Wolfgang s’était-il vu refuser l’accès aux universités. Jugeant alors que l’athlétisme ne lui permettrait pas de vivre, il décida à 18 ans de s’initier au basket. Là encore sa progression fut spectaculaire puisque moins d’un an plus tard, il intégrait l’équipe de Zurich qui jouait en première division suisse.

L’année suivante, les recruteurs de Limoges l’ayant repéré, il intégrait l’équipe réserve des

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champions de France. Il allait jouer quelques matchs avec les professionnels. Lors d’un match, il se blessait gravement avec un arrachement du tendon. Il eut à subir une douloureuse intervention chirurgicale. Six mois plus tard, il pouvait remarcher et même courir. Mais sa carrière sportive avec les professionnels était définitivement compromise.

Or, suite aux différentes périodes effectuées dans l’armée confédérale, il avait connu la vie militaire de son pays et même obtenu un grade de sous-officier. Sans ressources, quand l’équipe de Limoges lui fit connaître mettre un terme à sa carrière, il décida de s’enrôler, pour 5 ans, dans la Légion Étrangère Française.

Il se transforma radicalement, se confrontant aux difficultés des épreuves proposées. Pour les opérations physiques, il s’avéra l’un des meilleurs. Pour sa spécialité, l’artillerie, il dut reprendre des cours pour tenir son rang. Il consacra beaucoup d’énergie à ne jamais faillir. Il y parvint et gagna brillamment toutes les étapes imposées pour grimper dans la hiérarchie des sous-officiers. Nommé adjudant, il comprit que, dans ce corps d’armée, il ne pourrait jamais atteindre le grade d’officier. Malgré d’incontestables progrès, les lacunes accumulées au cours de ses jeunes années semblaient bien un handicap rédhibitoire.

Dans les chambrées, au mess, on parlait de différents boulots proposés aux anciens de la Légion. Au sein de l’amicale, il savait pouvoir nouer des

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contacts utiles pour sa reconversion. Il avait connu le baroud au Liban, sous le casque de l’ONU, il se doutait que ses bons et loyaux services, un jour, lui seraient crédités. Alors il décida, malgré l’insistance de ses chefs qui voulaient le garder dans la famille, de ne pas renouveler son engagement.

Le pot d’adieu réunissait trois partants de la Légion, Wolfgang et deux collègues du même grade, ces derniers pour raison d’âge. L’un d’eux l’interpella et ils dissertèrent longuement sur ce qu’ils allaient devenir une fois loin de la caserne. Son compagnon lui communiqua un numéro de téléphone :

« Appelle de ma part, n’oublie pas, c’est important. Un ancien légionnaire te répondra, tu pourras t’expliquer sans crainte. Officiellement, ce garçon sert de relais entre les anciens et une société de service En fait, ils embauchent des encadrants et des formateurs pour des armées de pays émergents. Les recrutements ne s’établissent que par cooptation. Sache que de mon côté, je vais aussi tenter de me mettre sur les rangs. Peut-être, allons-nous nous retrouver ! Je te donne aussi mes propres coordonnées téléphoniques. Vas-tu rentrer en Suisse ?.

– Sans doute. Pourtant, je n’ai plus de famille là-bas. Mon père est mort quand j’avais 12 ans et ma mère est décédée, cela fera deux ans, à l’automne. Au cours de notre séjour, en caserne, on ne parlait jamais de nous-mêmes, c’était l’usage ! Maintenant, on peut se permettre d’être plus prolixe ! Je vais me retirer à

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Nyon, on avait là-bas une petite ferme, héritage de mon grand-père maternel. Avec l’argent que j’ai pu économiser, ici, je vais la restaurer. De quoi m’occuper avant de trouver un job ! Je vais t’appeler pour que tu viennes m’aider, n’est-ce pas ?

– Bonne idée ! Si je suis libre, tu vas me voir arriver ! Je vais bien dénicher quelques vieilles bouteilles cachées dans la cave de ta ferme, vous buvez sec, vous les Suisses… »

Wolfgang savait que l’adjudant Jules Bourland, dit Pierrot, tiendrait parole. Dans ce milieu, les hommes respectaient leurs engagements. Et puis Pierrot, il le connaissait par cœur pour avoir participé en Croatie, avec lui, au maintien d’une paix bien fragile entre des communautés qui se détestaient.

Il possédait plus d’expérience, même quelques années d’avance en âge. Solidaire, quand la situation s’était tendue, il avait fait preuve de sa fermeté de caractère. S’il y avait un homme qu’il avait envie de fréquenter après la Légion, c’était bien Pierrot. Il ignorait d’où lui venait ce surnom, il se permettrait de lui demander à l’occasion, maintenant que c’était permis.

Trois semaines plus tard, Wolfgang, installé sommairement dans l’ancienne ferme familiale, n’avait pas le moins du monde songé à sa reconversion mais bien davantage à se confectionner un nid douillet. Et là, la tâche exigeait un effort de tous les instants, les travaux étaient divers, impératifs,

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urgents, tout à la fois. Il débuta par des corvées les plus physiques, celles

liées à l’accès de la maison envahie par une jungle composée de ronces, d’arbrisseaux et d’arbres revenus à leurs instincts sauvages. De la route, on ne voyait qu’une grille rouillée, mangée par la végétation luxuriante. Il acheta une tronçonneuse, une débroussailleuse thermique puissante, une solide fourche et commença d’empiler d’énormes tas de végétaux coupés dans le jardin avec l’intention de réaliser de gigantesques feux de joie. Quand il atteignit la porte d’entrée de la bâtisse, il se rendit compte que l’intérieur avait souffert de l’humidité, suite à de très nombreuses fuites en provenance du toit. Une visite s’imposait aux tuiles, exercice qu’il différa le temps d’un élagage sérieux des arbres dont les branches et les feuilles recouvraient la couverture et remplissaient les chéneaux. Dans ce qui avait été la cuisine, il installa son lit Picot, près de la grande cheminée à l’ancienne, avec la ferme intention d’allumer une flambée dans l’après-midi pour assainir les lieux et y passer une nuit la plus confortable possible.

La ferme retrouvait peu à peu son aspect ancestral quand Pierrot l’appela sur son portable :

« Alors ami, où en es-tu ? As-tu pris contact comme nous en avions convenu ?

– Pas encore, je le confesse ! Je n’ai pas arrêté de bosser pour remettre en route la maison. En fait, je

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n’ai pas eu une minute à moi, le bagne ! Et toi, qu’as tu fabriqué ?

– J’ai eu de très bons contacts téléphoniques avec ces gens dont je t’avais parlé. On devrait pourvoir faire affaire ! Cela va se décanter le mois prochain. Je voulais t’en parler. Je t’avais promis de venir t’aider si tu en éprouves encore le besoin. Donne-moi seulement la certitude, si je viens, que nous ne dormirons pas tous les deux en chambrée. Tu sais les ronflements, et je te connais en ce domaine, je ne les supporte plus !

– T’auras ta piaule, c’est promis Pierrot ! Viens, cela me fera plaisir. Et je te rassure, le plus gros du travail est maintenant terminé, on pourra aussi prendre un peu de bon temps pour cette occasion. Allez, je t’attends. »

Deux jours plus tard, les deux amis tombaient dans les bras l’un de l’autre.

« Hé bien, mon adjudant, t’as bossé comme un jeunot ! – admira Pierrot quand il aperçut les montagnes de végétaux qui occupaient le jardin. – Mais j’ai hâte de visiter l’intérieur, au vu de la taille des murs de cette bâtisse, c’est une véritable gentilhommière que tu es en train de restaurer…

– Entre ! nous allons faire le tour du propriétaire et boire le verre de la bienvenue. »

Le tour des pièces habitables fut rapide, elles se dénombraient trois et encore le confort restait spartiate du fait que Wolfgang n’avait eu le temps que