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DU GRAIN À MOUDRE Valoriser des dynamiques territoriales autour des céréales au Pérou, département de Huancavelica Synthèse Erwan LE CAPITAINE, CNEARC Charlotte SERVADIO, CNEARC Pour l’obtention du DIPLÔME DE SPÉCIALISATION D’INGÉNIEUR EN AGRONOMIE TROPICALE, Spécialité VALORISATION DES PRODUCTIONS, MARCHÉS, ORGANISATIONS, QUALITÉS Sous la direction de Pascale MAÏZI (CNEARC) Maître de stage : Joseph LE BLANC (VSF-CICDA) 03 février 2006 Centre National d’Études Agronomiques des Régions Chaudes (CNEARC), 1101 av. Agropolis BP 5098, 34033 Montpellier Cedex 1, France, www.cnearc.fr Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières (VSF-CICDA), bureau de Huancavelica, Jirón Manco Capac # 580, Huancavelica, Perú, www.avsf.org

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Agro

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DU GRAIN À MOUDRE

Valoriser des dynamiques territoriales

autour des céréales au Pérou,

département de Huancavelica

Synthèse

Erwan LE CAPITAINE, CNEARC Charlotte SERVADIO, CNEARC

Pour l’obtention du

DIPLÔME DE SPÉCIALISATION D’INGÉNIEUR EN AGRONOMIE TROPICALE, Spécialité VALORISATION DES PRODUCTIONS, MARCHÉS, ORGANISATIONS, QUALITÉS

Sous la direction de Pascale MAÏZI (CNEARC) Maître de stage : Joseph LE BLANC (VSF-CICDA)

03 février 2006

Centre National d’Études Agronomiques des Régions Chaudes (CNEARC), 1101 av. Agropolis BP 5098, 34033 Montpellier Cedex 1, France, www.cnearc.fr

Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières (VSF-CICDA), bureau de Huancavelica, Jirón Manco Capac # 580, Huancavelica, Perú, www.avsf.org

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SOMMAIRE Introduction_________________________________________________________ 1

1 Objectifs et méthodologie ___________________________________________ 2 1.1 Enjeux de l’étude : production de données et activation d’actions collectives __ 2 1.2 Méthodologie _______________________________________________________ 3

1.2.1 Gestion du temps et résultats espérés _________________________________________3 1.2.2 Diagnostic des filières céréales à Huancavelica _________________________________4 1.2.3 Activation d’actions collectives______________________________________________7

2 Situation de la production à Huancavelica et stratégies paysannes __________ 9 2.1 Huancavelica : département rural pauvre des Andes Centrales Péruviennes __ 9 2.2 La production de céréales au Pérou et à Huancavelica____________________ 10 2.3 Systèmes de culture, stratégies paysannes et typologie de producteurs_______ 12

2.3.1 Des systèmes de production familiaux _______________________________________12 2.3.2 Systèmes de culture et itinéraires techniques mettant en œuvre des céréales __________12 2.3.3 Peu d’organisations de producteurs __________________________________________17

2.4 Entre Commercialisation et autoconsommation : Stratégies paysannes ______ 17 2.4.1 Stratégies de vente des agriculteurs__________________________________________17 2.4.2 Forts degrés d’autoconsommation en lien avec les systèmes de production ___________18 2.4.3 Les éléments de la diète paysanne issus du marché______________________________19

2.5 Conclusion : équilibre entre opportunités de marché et gestion du risque alimentaire ______________________________________________________________ 22

3 Panorama des filières _____________________________________________ 24 3.1 Les ferias de Huancavelica, principaux lieux d’échange___________________ 24

3.1.1 Réseaux de ferias en constante évolution, se rapprochant des paysans consommateurs __24 3.1.2 Relations entre acteurs dans les ferias ________________________________________24

3.2 L’État, grand acheteur de grains _____________________________________ 25 3.2.1 Le programme PRONAA _________________________________________________25 3.2.2 Le programme Vaso de Leche (PVL) ________________________________________26 3.2.3 Des outils politiques forts pour promouvoir l’agriculture et les microentreprises locales_27

3.3 Les meuniers de Huancavelica________________________________________ 28 3.3.1 Prestation de service et “manque de marchés” _________________________________28 3.3.2 Un secteur en voie de formalisation et en recherche de qualité_____________________29 3.3.3 Une double concurrence __________________________________________________31

3.4 Les boulangers ____________________________________________________ 31 3.5 Une production dédiée au marché national qui passe toujours par le marché de Huancayo _______________________________________________________________ 32 3.6 Efficacité des filières céréale _________________________________________ 34

4 Perspectives et pistes de réflexion ____________________________________ 36 4.1 Plantons le décor… _________________________________________________ 36

4.1.1 Société andine marginalisée _______________________________________________36 4.1.2 Impacts du TLC sur l’agriculture andine______________________________________37

4.2 Discussion ________________________________________________________ 39 4.2.1 Modèles de pensée dominants ______________________________________________41 4.2.2 Modèles réactivés pour d’autres alternatives___________________________________42

Conclusion ________________________________________________________ 48

Bibliographie ________________________________________________________ 50

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REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier Claire et Jo pour leur accueil et toute l’énergie qu’ils nous ont donné pour réaliser cette étude.

Un grand merci à Barbara Guittard, et César Mendoza Leiva pour leur gentillesse, leurs conseils avisés et leur appui tant méthodologique que logistique. Tout cela nous a permis d’arriver à ce résultat, toujours dans une ambiance plus qu’agréable, avec le perpétuel désir de partager et de débattre…

Nous souhaitons aussi adresser des remerciement particuliers à Mariluz Clemente, Pedro Tunque, Consuelo Huayanay, Wilfredo Mendoza, René; Jorge Centurión, Miguel Macedo ; Tous ont toujours été des véritables référents au cours de cette étude, ont été présents aux moments adéquats, et pas seulement pour travailler !

Nicolas, Julien, Julie pour les joyeuses soirées passées et les discussions fertiles.

De nombreuses personnes nous ont donné la motivation pour initier des actions, et notamment Victor Ticllacuri, Sonia Rodríguez, Cesar Común, ainsi que l’association des boulangers de Huancavelica.

Bien sur, un énorme merci à Pascale Maïzi pour ses lectures attentives, sa visite, sa présence, ses conseils et les discussions aussi productives qu’agréables, autant au Pérou que pendant la rédaction de ce document.

Enfin, merci à tous les agriculteurs des communautés de Vista Alegre et de Huando, ainsi que ceux que nous avons rencontré autour de sacs de grains dans les ferias. Tous, commerçants et paysans, nous ont offert de leur temps pour répondre à toutes nos questions, même les plus absurdes !

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RÉSUMÉ

Cette étude, réalisée pour l’ONG VSF-CICDA sur une durée de 6 mois de terrain, visait d’une part à capitaliser et à produire des données pouvant aider à la compréhension des dynamiques des filières céréales (blé, orge, avoine, quinoa, amarante) dans le département andin de Huancavelica, et d’autre part à créer un système de référence commun et activer des dynamiques d’actions collectives entre les différents acteurs de la sécurité alimentaire.

Un diagnostic des systèmes de culture incluant des céréales, basé sur des entretiens non-directifs et la bibliographie existante, a permit d’analyser les productivités de la terre et du travail des différentes céréales, expliquant le désintérêt des agriculteurs pour les céréales « andines ». Une analyse de l’environnement économique péruvien depuis les années 80 a permit de faire apparaître un système [production – vente – consommation] et d’émettre l’hypothèse d’un replis vers l’autoconsommation des paysans lorsque les conditions du marché lui deviennent défavorables.

Sur cette base, un diagnostic des filières céréales depuis le département de Huancavelica a permit de comprendre la place économique, mais aussi sociale de chaque acteur au sein de cette filière. Il a conduit à manier des concepts d’économie des réseaux et des proximités, ainsi que la notion de Système Agro-alimentaire Localisé.

La synthèse de ces deux diagnostics a permit de définir les conditions nécessaires à réunir pour activer des dynamiques d’actions collectives autours des filières céréales pouvant entraîner un développement économique régional, et comment les acteurs du développement pouvaient intervenir efficacement, tout en tenant compte des accords de libre échange sur le point d’être signés.

Mots clés

Céréale, Politique alimentaire, Économie rurale, Agroindustrie, Moulin, Pérou, Pérou-Huancavelica

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TABLE DES SIGLES ET ABRÉVIATIONS

AEC: Arancel Exterior Común AF: Agriculture Familiale AIR: Agro-Industrie Rurale ALCA: Accords de Libre Commerce des Amériques ALEGRAH: Apoyo a las cadenas de leche y granos en Huancavelica AP: Agriculture Patronale ATPDEA: Ley de Promoción Comercial Andina y Erradicación de la Droga BM: Banque Mondiale CAN: Communauté Andine des Nations CEPAL: Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes CEPES: Centro Peruano de Estudios Sociales CNEARC: Centre National d’études Agronomiques des Régions Chaudes DESCO: Centro de Estudios y Promoción del Desarrollo DIGESA: Dirección General de Salud Ambiental FAO: Food and Agriculture Organization FMI: Fond Monétaire International ha: hectare IDH: Indice de Développement Humain INEI: Instituto Nacional de Estadísticas e Informática INIEA: Instituto Nacional de Investigación y Extensión Agraria IRD: Institut de Recherche Développement MEF: Ministerio de Economía y Financia MERCOSUR: Mercado Común del Sur MIMDES: Ministerio de Promoción de la Mujer y del Desarrollo Humano MINAG: Ministerio de Agricultura del Perú ODEPA: Oficina De Estudios y Políticas Agrarias (Chile) OMC: Organisation Mondiale du Commerce ONAA: Organización Nacional de Apoyo Alimentario ONG: Organisation Non Gouvernementale PAM: Programe Alimentaire Mondial PNUD: Programme des Nations Unies pour le Développement PRODAR: Programa de Desarrollo de la Agroindustria Rural PRONAA: Programa Nacional de Asistencia Alimentaría PVL: Programa Vaso de Leche SAI: Sistema Andino de Integración SEPIA: Seminario Permanente de Investigación Agraria (Perú) SYAL: Système Agro-alimentaire Localisé SPL: Système Productif Localisé SUNAT: Superintendencia Nacional de Administración Tributaría TLC: Traité de Libre Commerce TM: Tonnes Métriques UNALM: Universidad Agraria La Molina VAB: Valeur Ajoutée Brute VSF - CICDA: Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières ZLC: Zone de Libre Commerce

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INTRODUCTION

Le département de Huancavelica, situé dans les Andes Centrales Péruvienne est un département pauvre et agricole, où la sécurité alimentaire n’est pas assurée, et les agriculteurs ont développé des systèmes de production familiaux qui exploitent différents étages écologiques d’un territoire aux très fortes contraintes agronomiques.

C’est dans ce contexte qu’interviennent de très nombreuses institutions gouvernementales et non gouvernementales, dont l’ONG française VSF-CICDA. Le projet FORTISA de VSF-CICDA vise à renforcer les capacités des acteurs de la sécurité alimentaire par l’appui technique et méthodologique à quelques ONG locales. Les réflexions des ONG travaillant autour de la question agricole à Huancavelica les ont amené à penser des actions autour des filières de produits céréalier et laitiers.

Afin de mieux cibler les actions autour des filières céréales, VSF-CICDA a proposé aux principales ONG la réalisation d’un stage pour mieux comprendre les dynamiques de filière et émettre des perspectives pour ces mêmes filières. Répondant à cette proposition de stage, ce mémoire de fin d’étude finalise la formation ESAT 2 VALOR du CNEARC [1] qui vise à former des ingénieurs du développement rural plus spécifiquement autour des problématiques de valorisation de production agricoles, d’organisations paysannes, de construction de filières et des qualités.

Ce travail répond à deux besoins locaux : d’une part il vise à capitaliser et à produire des données permettant de comprendre la réalité des filières céréales dans le département de Huancavelica, et d’autre part il tente d’insuffler aux différents acteurs du développement (et plus particulièrement aux acteurs des filières) de nouvelles réflexions méthodologiques sur les liens entre filières agricoles et développement économique, qui pourra amener à la mise en place d’actions collectives et à la construction de cadres de références communs autour de l’action de développement sur les filières. Il s’agit donc d’un travail de « recherche-action » sur la valorisation de dynamiques territoriales autour des filières céréales dans un département andin du Pérou.

Ce document se divise en quatre parties. La première partie retrace l’origine de la demande de cette étude et explicite la méthodologie employée, ainsi que les résultats attendus. Ensuite, un diagnostic des pratiques paysannes permet de replacer les céréales dans les économies familiales paysannes. Puis, un second diagnostic permet de comprendre la logique générale de la filière et les stratégies des différents acteurs, notamment des transformateurs. Le croisement des résultats de ces deux diagnostics amène à élaborer un certain nombre de perspectives pour ces filières, et de préconisations pour les institutions de développement pour leur permettre d’agir avec plus de finesse sur ces filières, et cela dans le nouveau contexte macro-économique imposé par l’ouverture économique des frontières.

Ce document est une synthèse en français, qui reprend les principaux résultats d’un rapport en espagnol et d’un recueil d’annexes intitulés « Grano para moler, valorizar dinámicas territoriales alrededor de los cereales en el Perú ».

1 École Supérieure d’Agronomie Tropicale du Centre National d’Études Agronomiques des Régions Chaudes

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1 OBJECTIFS ET MÉTHODOLOGIE

1.1 ENJEUX DE L’ÉTUDE : PRODUCTION DE DONNÉES ET ACTIVATION D’ACTIONS COLLECTIVES

L’ONG française VSF-CICDA [2], qui travaille depuis 1999 dans le département de Huancavelica sur des thématiques de développement rural avec le projet FORTISA (Fortalecimiento de las Capacidades de los Actores de la Seguridad Alimentaría), nous a demandé de réaliser une étude des filières céréales (blé, orge, avoine, quinoa, amarante) à l’échelle du département de Huancavelica.

L’étude s’inscrit dans un environnement institutionnel dense d’ONG [3] et d’institutions publiques (gouvernement régional, chambre de commerce, Ministère de l’Agriculture, programmes d’aide alimentaire étatiques) qui travaillent sur les thèmes des filières céréales (production, transformation, commercialisation) et de sécurité alimentaire des familles.

Cette étude fait également suite à un forum organisé en avril 2005 à Huancavelica sur « Programas sociales y promoción del desarrollo económico local en Huancavelica [4]» qui s’était conclu avec l’objectif d’améliorer l’accès des agriculteurs et meuniers locaux aux marchés bonifiés étatiques (PRONAA et PVL [5]) ainsi que de mieux adapter la production locale à la demande étatique. Un des enjeux de l’étude était donc d’évaluer l’offre en céréales locales pour ces marchés, et d’analyser en quoi ces marchés bonifiés pouvaient être un tremplin pour les agriculteurs et les micro-industries locales pour promouvoir le développement économique de Huancavelica.

Une double perspective caractérise donc cette étude:

- Un « aspect recherche » : production de données, capitalisation d’expériences et analyse du fonctionnement des filières céréale.

- Un aspect « action » : initiation de réflexions et d’actions collectives, entre ONG et institutions publiques, en coordination avec les acteurs de la filière (agriculteurs, meuniers, boulangers, etc.)

Les enjeux de cette étude sont donc de mieux connaître les filières céréales réelles du département, afin d’agir mieux, et surtout d’agir de façon concertée et coordonnée entre les ONG et les Institutions publiques. Cette étude propose donc de créer une base, un cadre de référence commun à tous les acteurs, qui puisse être discuté et puisse mener à la prise de décisions collectives allant dans le sens du développement de Huancavelica. 2 Les deux ONG françaises VSF (Vétérinaires Sans Frontières) et CICDA (Centre International de Coopération pour le Développement Agricole) ont fusionné en Juin 2004 en « VSF-CICDA : Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières ».

3 VSF-CICDA, Indesco, Cedinco, Cáritas, Desco, Care, Ruru Inca, Atiypaq…

4 « Programmes “sociaux” (d’aide alimentaire) et promotion du développement économique local à Huancavelica. »

5 PRONAA: Programa Nacional de Asistencia Alimenticia; PVL: Programa Vaso de Leche

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PERU

HUANCAVELICA

TAYACAJA

HUANCAVELICA

CASTROVIRREYNA

HUAYTARA

ANGARAES

ACOBAMBA

CHURCAMPA

Distrito de HUANDO

Distrito de YAULI

Distrito de CASTROVIRREYNA

0 20 40 km

L’étude s’inscrit également dans la reformulation des enjeux d’un territoire et d’un modèle économique de développement local. Cette reformulation pourrait se baser sur des concepts de Systèmes de Production Localisés (SPL), de Systèmes Agroalimentaires Localisés (SYAL) et de construction sociale de la qualité, afin d’affronter les dangers dus à la libéralisation des échanges, notamment dans le cadre du TLC [6] sur le point d’être signé entre Pérou et États-Unis.

1.2 MÉTHODOLOGIE

1.2.1 Gestion du temps et résultats espérés

Le stage consistait à une étude des filières céréales (blé, orge, avoine, quinoa et amarante) à partir d’une zone de production constituée par les 5 provinces nord du département de Huancavelica : Tayacaja, Churcampa, Acobamba, Huancavelica et Angaraes (cf. Figure 1).

Figure 1: Localisation des 7 provinces du département de Huancavelica au Pérou

Source: Auteurs, 2005 à partir du SIG de Huancavelica.

Avant de partir, nous avons réalisé des recherches bibliographiques en France, surtout axées sur les marchés du quinoa et de l’amarante bio et équitable, dans la perspective d’un possible export de ces produits. Ce travail nous a permis d’élaborer des hypothèses de travail et une méthodologie d’investigation, relatés dans un rapport de préparation de stage présenté en mai 2005.

6 TLC: Traité de Libre Échange bilatéral entre les États-unis et chacun des pays d’Amérique Latine

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Nous avons réalisé l’étude sur 6 mois de terrain, de début juin à fin novembre 2005, en étant basés à Huancavelica.

Enfin, la rédaction finale d’un mémoire en espagnol, d’une synthèse en français, et la constitution d’un CDrom pour capitaliser les données produites sur place et des documents d’intérêts, nous ont pris deux mois et demi à Montpellier.

De cette étude, étaient espérés les résultats suivants:

- Comprendre les stratégies paysannes et les relations entre production, consommation et vente de céréales au sein de la famille, afin d’évaluer l’impact de possibles modifications des équilibres de ce système sur la sécurité alimentaire des familles.

- Décrire et analyser le fonctionnement des filières céréale dans le département de Huancavelica (analyse économique, flux, relations entre acteurs, stratégies, marchés, système d’élaboration des prix, exigences de qualité, identification de la concurrence…)

- Analyser les marchés étatiques d’aide alimentaire et comprendre l’opportunité que cela représente pour agriculteurs et micro-entreprises artisanales.

- Participer à la création de bases de référence communes sur l’analyse et la méthodologie d’action dans les filières, entre les différents acteurs du développement local (ONG, Institutions publiques et acteurs des filières)

- Proposer des scénarios d’évolution de ces filières et des économies paysannes avec l’ouverture de marché du TLC.

- Proposer quelques alternatives de développement endogène via les AIR et les concepts de SPL [7].

1.2.2 Diagnostic des filières céréales à Huancavelica

Filière: une notion attractive mais dangereuse

Il n’existe pas de définition précise et unique de la notion de filière, elle répond donc aux différentes utilisations qu’en font les ONG, politiques et chercheurs. C’est une notion attractive mais dangereuse parce qu’elle donne seulement une représentation partielle de la réalité, qu’elle peut bloquer les institutions dans une vision fixe et très partiale. C’est une vision exigeante et difficile à utiliser parce qu’elle implique des choix sur les limites de l’objet étudié (LAURET, 1990).

L’explication des dynamiques d’une filière implique l’étude de ses relations avec le reste de l’économie : le travail sur les filières peut sous-estimer les influences extérieures : autres filières, activités multiproduits et multiservices d’entreprises ou de groupes, mondialisation de l’économie agroalimentaire. Ceci implique de garder toujours une vision systémique (ibid.).

Méthodologie d’étude des filières céréales à Huancavelica

Nous avons choisi d’analyser cette filière par grandes thématiques, dont nous avons ensuite analysé les liens entre elles. Toutes les données sont issues d’enquêtes 7 AIR: Agro-Industrie Rurale, SPL: Système de Production Localisé

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ouvertes, d’observations participatives et de conversations avec de très nombreux acteurs des filières. La très grande majorité des entretiens ont été pris en note et réalisés en espagnol (ou traduit en espagnol par un membre de la famille), ce qui peut constituer un biais à l’échantillonnage, car les familles dont aucun membre ne parle espagnol n’ont pas été enquêtées.

1. Analyse de la production de céréales dans le département de Huancavelica. Sur la base des diagnostics déjà réalisés [8], nous avons réalisé une vingtaine d’enquêtes d’une durée d’1 à 2 heures auprès de producteurs de céréales pour comprendre le fonctionnement des SC, SP [9] et des logiques paysannes. Nous avons réalisé ces enquêtes sur 2 semaines dans 2 districts : Yauli et Huando. Ces 2 districts ont été choisis car les ONG locales Atiypaq et Indesco avaient déjà des contacts auprès d’agriculteurs de ces zones. Pour ne pas rester dans le « réseau des bénéficiaires d’ONG », nous avons sollicité des entretiens avec des agriculteurs qui étaient hors du réseau. Nous sommes ensuite retournés à plusieurs reprises dans ces communautés rencontrer les mêmes agriculteurs afin de poser des questions supplémentaires et d’enregistrer des entretiens avec une caméra vidéo. Nous avons ensuite profité de chaque rencontre avec des agriculteurs dans les marchés ou foires agricoles pour affiner nos enquêtes dans tout le département (enquêtes rapides de 10 à 30 minutes en moyenne).

2. Analyse de la consommation paysanne [10]. L’objectif de cette phase était de

comprendre les habitudes alimentaires des familles, les représentations autour de l’alimentation, les niveaux d’autoconsommation en relation avec les systèmes de production et d’accès aux marchés. Nous avons réalisé 12 à 17 enquêtes « par rappel des dernières 24 heures » calqué sur un guide d’entretien dans chacun des districts de Yauli, Huando et Castrovirreyna. Ces enquêtes devraient être suivies pendant 1 an à Huando (Cf. Méthodologie en annexe).

3. Analyse des échanges dans les marchés ruraux (les ferias), lieux stratégiques

de vente et de collecte de céréales. Nous sommes allés faire des enquêtes dans différentes ferias du département, depuis les plus petites jusqu’au plus grandes. Nous sommes allés dans 11 ferias : celles de Ccacchuacc, Ccasapata, Paucara, Yauli, Huando, Mejorada, Acostambo, Huancavelica, Secclla, Pampas et Acobamba. Nous sommes retournés plusieurs fois dans les ferias de Huando, Yauli et Huancavelica. Cela nous a permis de comprendre les stratégies d’acteurs, leurs relations, les flux et volumes de production hebdomadaires. Nous avons particulièrement enquêté les collecteurs (en moyenne 2 à 3 collecteurs par ferias avec lesquels nous restions 2-3 heures plus quelques enquêtes rapides plus quantitatives sur les flux, les volumes moyens manipulés)

8 En particulier les diagnostics de: AUBRON, cuenca del río Cachi (2002); LE BLANC, Julcamarca (2002); BALITEAU et CHAUCHE, Ambato, Yauli (2000); TUNQUE QUISPE, Vista Alegre, Matipaccana (2003); TUNQUE QUISPE, Angaraes Sur (2003); AUBRON, GRESILLON et LEBLANC, Castrovirreyna (2003); DUVAL, Huando (2005)

9 SC: Système de Culture, SP: Système de Production

10 Nous avons utilisé les travaux de ABLAN (1989), COLLAZOS (1996), CORTES (2000), DELGADO (1991) et MORLON (1996) pour comparer et analyser les résultats.

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et les transporteurs, et observé longuement les échanges, les transactions et les relations entre acteurs dans les ferias.

4. Analyse des petites industries de meunerie artisanales, lieux stratégiques de

transformation de grain pour la vente comme pour l’autoconsommation. Nous avons commencé par analyser pendant 10 jours les 6 moulins de la petite ville de Yauli. Nous avons également interrogé les meuniers de différentes villes les jours de feria et lors des foires agricoles de Huancavelica.

5. Analyse du groupement de l’offre, de la transformation et de la

commercialisation à Huancayo. Nous avons rapidement découvert que la quasi-totalité des grains produits à Huancavelica étaient commercialisés puis transformés sur le marché de Huancayo. Nous avons donc réalisé des enquêtes sur le marché de gros de Huancayo, où nous sommes allés 3 fois (enquêtes auprès de 5 grossistes, que nous sommes retournés voir 2 fois) et dans les 3 principales entreprises de meunerie.

6. Suivi des produits jusqu’à Lima. Nous avons été à l’hippodrome de Lima, au

marché central et fait une petite étude de marché dans 3 supermarchés et 2 petits marchés au détail du quartier Jesus Maria de Lima, lieu de résidence des classes moyennes (par commodité, le quartier du bureau de VSF-CICDA). Cette étude ne se veut pas représentative du tout Lima, mais nous a permis d’obtenir des indicateurs et des tendances.

7. Analyse de l’environnement institutionnel à Huancavelica, travaillant sur les

thématiques des filières et de l’accès aux marchés bonifiés étatiques, afin de déterminer les visions de développement de chaque institution et dans quelle mesure elles pourraient travailler ensemble. Nous avons également analysé le fonctionnement des programmes PRONAA et PVL. Nous avons donc eu de longues discussions, formelles et informelles avec des responsables, ingénieurs, techniciens des diverses institutions étatiques (Gouvernement régional, PRONAA Huancavelica, PVL Asención, SUNAT, DIRESA, Chambre de commerce) et des ONG (VSF-CICDA, Desco, Cáritas, Care, SNV, Cepes, Atiypaq, Indesco, Cedinco, Ruru inca, San Javier, Proyecto PRA).

8. Étude de marché rapide pour analyser la gamme de produits transformés a base

de céréales locales qui pourraient être développés (pain, biscuit, gâteau, céréales petit déjeuner), et pour quels marchés potentiels. Nous avons procédé par enquêtes auprès des boutiques de Huancavelica (3 boutiques grossistes, et 3 boutiques détaillantes), Huancayo et Lima (3 supermarchés et 2 petits marchés de quartier). Nous avons également visité des fabriques de bière artisanale (Cerveza Andina SA), et de biscuits à Huancayo (Delicias del centro, Mary).

9. Analyse des possibles conséquences de la signature d’un TLC sur les

économies paysannes de Huancavelica. Nous avons rencontré des économistes et sociologues du CEPES, d’inform@ccion, de l’université Catholique, du SNI, de Conveagro à Lima et réalisé une analyse de prix avec des données de l’INEI,

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du MINAG et du CDrom Cuanto [11], pour vérifier et contextualiser les données de terrain.

Discussion des limites et des biais induits par la méthodologie

Nous avons donc privilégié pour ce diagnostic une méthodologie d’investigation par enquêtes ouvertes, ou conversations, et observations participatives de « proche en proche », interrogeant les personnes mentionnées dans les enquêtes et/ou dans les réseaux des personnes interrogées. Nous n’avons jamais construit d’échantillon particulier et formel : les données de cette étude n’ont pas de représentativité statistiques, mais constituent une représentation de la réalité, de la diversité des situations et des tendances et dynamiques actuelles.

Nous avons réalisé la majeure partie de nos entretiens en espagnol, sans interprète, en prenant en note les discours et conversation, et avons filmé quelques uns des entretiens.

L’enquête et la procédé de « proche en proche » induisent forcément des biais, notamment nous courons le risque d’être manipulés par l’enquêté et de rester enfermés dans un même réseau de relations. Pour réduire autant que possible ces biais, nous avons multiplié les points de vue, utilisé la triangulation, tout en gardant une vision systémique des problématiques. Pour compléter et valider nos données, nous avons longuement échangé avec des techniciens et ingénieurs d’ONG, et des chercheurs qui ont été nos référents tout au long de cette étude. Enfin, pour ne pas s’enfermer dans un réseau de relations, nous avons toujours essayé de rencontrer la plus grande diversité de personnes hors du premier réseau des « bénéficiaires des ONG partenaires à VSF-CICDA », qui nous a servi pour s’intégrer dans les communautés. Nous avons utilisé la technique du « porte à porte » pour ne pas rester dans des réseaux de relations de compadrazgo d’agriculteurs, ou des techniques « exhaustives » en interrogeant par exemple tous les acheteurs de grain d’une feria (à Ccarhuacc, Paucara, Mejorada) ou tous les meuniers d’un village (Yauli, Huando, Ccarhuacc). Nous avons toujours cherché à rencontrer des acteurs qui pourraient être représentatifs de la diversité des situations possiblement rencontrées.

1.2.3 Activation d’actions collectives

La phase de recherche et de capitalisation de données alimentait en permanence des idées pour l’action, en particulier pour activer des dynamiques d’action collective et d’accompagnement. L’appui méthodologique et d’animation du SNV nous a fortement aidé tout au long de cette phase.

1. Initiation d’une dynamique d’action collective avec l’association des boulangers de Huancavelica, pour qu’ils puissent avoir accès aux marchés bonifiés de l’État, en élaborant des « pains fortifiés » pour le programme de « déjeuners scolaires » du PRONAA.

o Facilitation de l’accès à l’information pour boulangers et meuniers, avec organisation de séances d’information animées par les entités

11 Une partie de ces données avait été recueillie par Claire AUBRON dans LAJO (1986, 1988, 2005), VARGAS MAS (2004), MACEDO (2004 y 2005), INEI y MINAG (séries statistiques de prix au consommateur, au champs, de l’inflation).

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étatiques qui en ont le mandat (PRONAA, DIRESA [12], SUNAT [13]), afin de comprendre les modalités d’appel d’offre de ces marchés, les formalités administratives et sanitaires.

o Initiation d’une dynamique collective de construction d’un pain fortifié identitaire, à partir de farines et de céréales locales. Nous avons réuni plusieurs recettes, mis en contact des nutritionnistes de Desco et Atiypaq avec l’association, trouvé des fonds pour payer les analyses (microbiologie et micronutriment) [14], mais pas encore fait les essais.

2. Proposition de « réactivation du groupe impulseur d’achats locaux du PRONAA » [15] par l’association du groupe formé par VSF-CICDA, SNV et Cáritas, en rappelant les accords pris lors du forum « programmes d’aide alimentaire et promotion du développement économique local à Huancavelica ».

o Évaluation des modalités d’achat du PRONAA et du PVL; proposition d’incidence institutionnelle

o Lancement d’une « carte de l’offre en céréales » [16] et accord de suivi des « canastas provinciales » avec le PRONAA.

3. Activation d’une réflexion collective entre institutions publiques et ONGs sur le sens du développement à Huancavelica. Échanges méthodologiques et d’expériences, discussion sur la répartition des rôles de chacun et les actions collectives.

Pour conclure, nous n’avons jamais construit d’échantillon particulier et formel mais privilégié les rencontres, la multiplication des points de vue, la triangulation, pour valider nos données au fil du temps.

Enfin, l’ensemble de cette démarche de terrain associait forcément recherche et action, pour répondre à la double perspective initiale de production et capitalisation de données, et d’appui méthodologique pour activer des formes d’action collective.

12 DIRESA: Dirección Regional de Salud Ambiental

13 SUNAT: Superintendencia Nacional de Administración Tributaría

14 DESCO s’est engagé à financer les analyses pour 2 formulations de pain fortifié

15 “propuesta de reactivación del grupo impulsor de compras locales del PRONAA”

16 El mapeo de la oferta fue lanzado por un grupo impulsor de ONGs: CICDA, SNV, DESCO, Caritas, seguido por otras instituciones y ONGs: La Cámara de Comercio, la gerencia de desarrollo económico, la gerencia de desarrollo social, el ministerio de agricultura, Care, Atiypaq, Indesco, Cedinco, Ruru Inca.

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2 SITUATION DE LA PRODUCTION À HUANCAVELICA ET STRATÉGIES PAYSANNES

2.1 HUANCAVELICA : DÉPARTEMENT RURAL PAUVRE DES ANDES CENTRALES PÉRUVIENNES

Huancavelica est le département le plus pauvre du Pérou, toujours en reconstruction après les violences de la guérilla d’obédience maoïste « Sentier Lumineux ». Dans ce contexte, le département est le laboratoire de nombreuses ONG [17] et l’objet d’un fort assistentialisme étatique, si bien que 72,7% des familles sont bénéficiaires de programmes d’aide alimentaire (MIMDES, 2002).

Un département andin isolé

Le département de Huancavelica, d’une superficie de 22120 km², est peuplé de 451 508 habitants (INEI, 2002) ; il compte donc une densité moyenne de 20 hab / km². Il est divisé en 7 provinces (Tayacaja, Churcampa, Acobamba, Angaraes, Huaytara, Huancavelica, Castrovirreyna) et 93 districts [18]. Huancavelica a de forts liens économiques avec la ville de Huancayo, située à 4 heures de bus. Lima, distante de 340 km de Huancavelica est à 11 heures de bus.

C’est l’un des départements les plus montagneux du pays, situé en moyenne à 3600 m d’altitude, aux reliefs très accidentés, en particulier dans la zone agricole (à moins de 4000m), avec des vallées très encaissées et profondes, ce qui rend difficile les communications et la mécanisation de l’agriculture.

Le climat est caractérisé par une saison des pluies (octobre à avril) et une saison sèche et froide (mai à septembre). Bien que les précipitations oscillent entre 600 et 800 mm par an, les températures, gelées et précipitations dépendent fortement de l’altitude. Enfin, selon les agriculteurs, la tendance est, depuis une trentaine d’année, à un réchauffement climatique qui leur permet de cultiver toujours plus en altitude, mais avec moins d’eau.

Un département pauvre marqué par le sentier lumineux

Le département de Huancavelica est l’un des plus pauvres du Pérou ; plus de 88% de la population vivent sous le seuil de pauvreté [19] et Huancavelica a le plus haut taux de malnutrition chronique du Pérou (53,4% en 2000) et de mortalité infantile (71 o/oo).

Huancavelica a également été l’un des départements les plus touchés par les violences du mouvement d’inspiration maoïste – le Sentier Lumineux -. Cette période de terreur eût comme conséquence la désertion partielle des campagnes, surtout entre 1984 et 1992, date à partir de laquelle reviennent les habitants, aidés par des programmes d’appui du gouvernement Fujimori et certaines ONG (AUBRON, 2002).

17 En 2005, il y avait 52 ONG basées à Huancavelica (gobierno regional, 2005)

18 Le département péruvien équivaut à une région française, la province à un département et le district à un canton.

19 Le seuil de pauvreté est évalué à 2 USD / jour

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Importance des importations et de la production nationale de la consommation de céréales au Pérou (2003)

Source: FAO, 2004

0 500000 1000000 1500000 2000000 2500000

AVENA

CEBABA

TRIGO

ARROZ

MAIZ

Volume (T)

Producción nacional

importaciones

Maïs

Riz

Blé

Orge

Avoine

Production nationale

Importations

Mines et agriculture

L’économie départementale s’appuie principalement sur les secteurs agricoles et miniers (mercure, cuivre, argent, plomb) et abrite une des centrales hydroélectriques les plus importantes du pays.

C’est un département fondamentalement rural, avec 77,5% de la population active employée dans le secteur agricole (INEI, 2002). 60% des agriculteurs ont moins de 3 ha et sont minifundistes. Ils ont des systèmes de production familiaux très diversifiés en fonction des complémentarités agro-écologiques, principalement orientés vers l’autoconsommation. Les productions principales sont la pomme de terre, l’orge et la fève, avec l’élevage d’alpaga, d’ovins et de bovins laitiers (GRESILLON, 2004).

2.2 LA PRODUCTION DE CÉRÉALES AU PÉROU ET À HUANCAVELICA

Dépendance alimentaire du Pérou

Au Pérou, les 3 céréales les plus consommées sont le riz, le blé et le maïs, en quantités quasi égales. Le Pérou importe la majeure partie de son blé (91%), la moitié de son maïs et les 2/3 de son avoine (cf. Figure 2).

Le Pérou est autosuffisant à 100% en riz et maïs farineux, en partie car la production nationale est protégée par des barrières douanières à l’entrée de ces produits, de resp. 25% et 12% s’appliquant à un prix minimum (la franja de precio).

Par contre, blé et maïs vitreux sont en quasi-totalité importés d’Argentine ou des États-unis à cause de barrières douanières à leur entrée insuffisantes (17%). De plus, le blé importé, est panifiable, alors que le blé national, plus pauvre en protéines (10-12% de protéines) est réputé non panifiable. Neuf entreprises agroalimentaires péruviennes se partagent la quasi-totalité des importations de blé pour le transformer dès son arrivée au port, en farines, pains, pâtes alimentaires, biscuits.

Figure 2 : Importations et production nationale de céréales au Pérou

(Source : FAO, 2003)

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PUNA :

Moutons et alpacas

Zone agricole haute : orge fourragère

Zones basses : orge, blé, maïs, quinoa

Zone d’élevage bovin laitier

Vallée protégée : amarante

Carte des grandes zones de production à Huancavelica

Situation productive du département de Huancavelica

Huancavelica produit 12% de l’orge national, 4,5% du blé, 18.2% de l’avoine, 2% de l’amarante y 1% du quinoa : quinoa et amarante sont des cultures marginales pour Huancavelica. Mais Huancavelica a un rôle important dans la production nationale d’orge et d’avoine (resp. 12 et 18%) alors qu’il représente seulement 1,8% de la population nationale et 1,7% de la superficie nationale. Au niveau départemental, depuis 1990, la production per capita de céréales à paille (blé, orge, avoine) augmente, alors que celle de quinoa et d’amarante diminue.

Mais il existe de fortes différences productives entre districts, provinces et communautés (cf. Figure 3). Ces différences s’expliquent par des facteurs historiques, l’accès au marché, l’accès aux différents étages écologiques (Puna, Suni, Quechua) et aux principales ressources (terre et eau). Il en résulte que :

- La production de céréales se concentre dans le nord et l’est du département, dans les provinces d’Angaraes, Acobamba, Churcampa, Tayacaja et dans le nord-est de la province de Huancavelica. Ces zones, que nous étudierons plus en détail sont principalement liées au marché de Huancayo.

- Castrovirreyna et Huaytara sont des provinces d’élevage bovin laitier, avec peu de production de céréales. Au sud de ces provinces, les grains produits sont commercialisés par Ica et Ayacucho.

- Les zones de Puna, à plus de 3800-4000 m d’altitude, au centre du département ne sont pas aptes à la production de céréales. Ce sont des zones d’élevage de moutons, de lamas et d’alpagas.

Figure 3 : Carte des grandes zones agricoles à Huancavelica

Source : Auteurs, 2005 d’après les données de production par district du MINAG, 2002

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2.3 SYSTÈMES DE CULTURE, STRATÉGIES PAYSANNES ET TYPOLOGIE DE PRODUCTEURS

2.3.1 Des systèmes de production familiaux

Les agriculteurs de Huancavelica mettent en œuvre des systèmes de production familiaux diversifiés entre agriculture (orge, pomme de terre) et élevage (bovins, ovins), et travaillent leurs terres manuellement ou grâce à de la traction attelée légère. La totalité des agriculteurs qui possèdent des terrains à moins de 4000m d’altitude cultive un peu d’orge, et à moins de 3500m un peu de blé. Les autres céréales : avoine, quinoa, amarante sont beaucoup plus marginales. Selon les niveaux d’accès aux moyens de production (terre, travail, outils et capital), on distingue :

1. Les éleveurs d’altitude : ils ne produisent pas de céréales, mais font du troc de viande, ou de laine contre du maïs ;

2. Les agriculteurs sans excédents de céréales, soit car ils entament une spécialisation dans l’élevage laitier, soit car ils ont une production insuffisante ;

3. Les agriculteurs qui ont des excédents de céréales pour la vente. La vente de céréales hebdomadairement sur le marché (par 10-12 kg) permet à la famille d’avoir la trésorerie courante pour les achats hebdomadaires de sucre, sel, huile, riz ;

4. Les agriculteurs disposant de capital qui ont des excédents de céréales pour la vente. Ces agriculteurs produisent des céréales pour les vendre avec plus de valeur ajoutée aux marchés bonifiés de l’État (programmes d’aide alimentaire)

Les agriculteurs cultivent donc les céréales en premier lieu pour leur autoconsommation (types 1, 2, 3, 4). Ceux qui ont des excédents les vendent par petites quantités toute l’année pour avoir une trésorerie courante (type 3) ou les vendent en 1 seule fois pour avoir une grande quantité d’argent pour commencer une activité, souvent extra agricole (type 4).

2.3.2 Systèmes de culture et itinéraires techniques mettant en œuvre des céréales

Blé et orge furent introduits par les espagnols à partir de 1570 pour que les colons puissent manger du pain. Ces céréales ont peu à peu remplacé les cultures andines traditionnelles - quinoa et amarante - dans les systèmes de production et dans les habitudes alimentaires paysannes. Ce changement s’explique par le fait que ces nouvelles cultures demandaient moins de travail et que leur prix était plus élevé. Ce processus s’est accompagné de plusieurs siècles de dévalorisation des cultures andines, perçues comme l’aliment du pauvre et du païen.

Rotations culturales et ITK

Les céréales [20] se cultivent sans irrigation pendant la saison des pluies, et se récoltent en juin et juillet au début de la saison sèche. Les risques climatiques 20 Blé: Triticum aestivum L. (Poaceae); Orge: Hordeum vulgare L. (Poaceae); Avoine: Avena sativa L. (Poaceae); Quinoa: Chenopodium quínoa Will. (Chenopodiaceae); Amarante : Amaranthus caudatus (Amarantaceae)

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PUNA4200 (alpacas)

4000SUNI

37003600

Avoine (fève) 3500grain (pois) QUECHUA

Orge blancheblé 3200(maïs) Amarante

2800

QuinoaOrge fourragère

Avoine fourragère (pdt)

Il y a des limites agro-écologiques aux cultures selon la résistance de la plante aux températures basses et aux gelées. Les limites supérieures des céréales que nous étudions sont (à Huancavelica) :

- 3200m pour l’amarante (il y a très peu de zones à moins de 3200m à Huancavelica) - 3500m pour le blé et le maïs - 3700m pour l’avoine grain - 4000m pour le quinoa - 4000m pour l’orge - 4200m pour l’avoine fourragère

principaux sont la sècheresse au milieu du cycle et la grêle aux moments de la floraison et de la récolte. La culture de céréales s’insère dans différentes rotations culturales. Les plus fréquentes sont, selon l’étage écologique (cf. Figure 4) :

1. Fonds de vallée (Quechua, jusqu’à 3500m) : zones de culture très intensives, aux rotations complexes et variables, où les cultures privilégiées sont le maïs et le blé. Les choix de culture sont très en relation avec les opportunités du marché. Les céréales (blé, orge, avoine, quinoa, amarante) sont principalement en rotation avec le maïs.

2. Zone intermédiaire (Suni, 3500m à 4000m) : la rotation principale est : tubercule // Orge // fève // (jachère)

3. Layme de la Puna (4000 – 4200 m): la rotation principale est : pomme de terre amère // orge F (ou avoine F) // jachère (4)

Figure 4 : Limites agro écologiques des principales cultures dans le département de Huancavelica

Source : Auteurs, 2005

2.3.2.1 Culture d’orge, blé, avoine à Huancavelica

Itinéraire technique

L’orge, principale culture de Huancavelica, se cultive dans tous les étages écologiques, mais s’adapte mieux à l’étage Quechua. Il ne se cultive jamais en tête de rotation, car c’est une culture peu exigeante, qui profite du sol meuble d’après arrachage de la première culture (pomme de terre, maïs ou légumineuse). L’orge n’est jamais fertilisée, l’itinéraire technique est simple et le processus demande assez peu de travail. Après les premières pluies, en octobre, novembre et décembre, l’orge est semée à la volée, et le terrain retourné pour enfouir les graines (à l’aide de la chaquitaclla, d’un araire tiré par 2 jeunes taureaux, ou exceptionnellement d’un tracteur). Le désherbage est facultatif, et s’effectue à la main. La récolte s’effectue à la faucille en juin et juillet.

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Les gerbes sont apportées sur une « aire de battage et de vannage ». Le battage s’effectue, soit à l’aide d’un bâton, soit par 2 chevaux, soit à l’aide d’une batteuse, ou exceptionnellement un tracteur. Le vannage s’effectue en lançant le grain au vent à la main ou avec une pelle. Le grain est ensuite stocké dans de grands sacs dans la maison. Les rendements en grain vont généralement de 600 à 2500 kg / ha.

Variétés

Les agriculteurs utilisent de nombreuses variétés d’orge [21], blé et avoine. On distingue les variétés améliorées des variétés “traditionnelles”. Les variétés améliorées ont des grains plus gros et un rendement supérieur à celui des variétés « traditionnelles » mais résistent moins bien à la grêle, à l’altitude et ont un rendement en paille inférieur. Chaque variété a ses avantages et inconvénients et selon l’étage écologique, les risques climatiques, les importances relatives de la paille et du grain pour l’agriculteur, une variété est choisie, parcelle par parcelle selon : son intérêt culinaire, le rendement en grain, en paille, la durée du cycle, la sensibilité aux risques climatiques.

Production atomisée, hétérogène et non sélectionnée

La production de céréales s’effectue à petite échelle, dans des parcelles qui ne dépassent pas le ¼ d’hectare, avec des variétés très différentes et des dates de semis variables. Il en résulte une production très atomisée et hétérogène (taille du grain, couleur, rendement en meunerie, % de protéines). De plus, les conditions techniques du battage et du vannage font que souvent les grains sont mal triés et mélangés à des impuretés. Les batteuses seraient un bon moyen d’éviter la contamination des grains. Avec une production si hétérogène, dont une partie est destinée à la vente, le groupement de l’offre par les acheteurs n’est pas facile.

2.3.2.2 Culture de quinoa et amarante

Combattre la malnutrition à Huancavelica avec une plus grande consommation et production de quinoa et amarante ?

Quinoa et amarante sont des aliments riches en protéines (12 à 16%), en lysine et en fer, qui sont les carences les plus fréquentes des enfants de Huancavelica. Pour lutter contre la malnutrition et la pauvreté à Huancavelica, les programmes d’aide alimentaire et beaucoup d’ONG veulent incorporer ces aliments à la ration quotidienne des enfants. Pourtant ces céréales ne sont presque pas cultivées dans le département ; les institutions en promeuvent donc la culture, dans 4 perspectives :

- perspective d’autoconsommation pour diversifier la diète paysanne, et réduire la malnutrition ;

- augmenter les revenus paysans avec des cultures de haute valeur ajoutée, pour lesquels existe une réelle demande, surtout de la part des programmes d’aide alimentaire (PRONAA et PVL) et des meuniers ;

21 Indépendamment des variétés, les agriculteurs, collecteurs et meuniers distinguent « l ’orge fourragère » de « l’orge blanche ». Selon l’altitude, la disponibilité en eau, les conditions climatiques et la variété, l’orge est de couleur jaune, pailleuse, avec un faible rendement en meunerie (orge fourragère) ou de couleur blanche, à gros grains et avec un haut rendement en meunerie (orge blanche). Les 2 types d’orge sont utilisés pour l’autoconsommation, mais une fois vendue, l’orge fourragère sert à l’alimentation des chevaux de l’hippodrome de Lima et l’orge blanche est utilisée par les meuniers de Huancayo.

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- être compétitifs, car dans la perspective d’un TLC, les agriculteurs de Huancavelica auraient un avantage comparatif à produite quinoa et amarante ;

- Une partie idéologique guide également ces projets, car « quinoa, blé des incas » est un mot-clé pour l’obtention de financements.

Itinéraire technique

L’amarante pousse uniquement à des basses altitudes (à moins de 3200m), ce qui élimine 95% des surfaces de Huancavelica ; par contre le quinoa à Huancavelica est cultivé dans les vallées, au maximum jusqu’à 3500m alors que, certains écotypes de quinoa, cultivés à Puno et en Bolivie, résistent aux gelées et à la salinité des sols et s’adaptent jusqu’à 4000m d’altitude. Ces différences sont certainement dues aux différences d’écotypes utilisés, mais également au fait qu’au-delà de 3500m, les risques de sècheresse, et surtout de grêle sont très importants à Huancavelica. Le quinoa requiert également des sols très fertiles, et une disponibilité en eau correcte.

À Huancavelica, quinoa et amarante sont cultivés en culture pure ou en association avec le maïs, en alternant 2 rangées de maïs avec 1 rangée de quinoa et sont, intégrés dans des rotations culturales complexes très intensives de fond de vallée.

La culture de ces céréales est manuelle, sauf la préparation du sol, souvent à traction attelée légère, demande beaucoup de travail, et ne se fertilise pas (sauf de très rares fois avec des excréments d’animaux). La récolte est délicate et les rendements de 400 à 600 kg / ha sans fertilisation et 1200 à 1500 kg / ha avec fertilisation.

Enfin, le péricarpe du quinoa contient des saponines, qu’il faut éliminer par lavage avant de le consommer.

Les cultures de quinoa et amarante sont peu fréquentes

Il y a très peu de parcelles de quinoa et amarante en culture, et qui ne dépassent jamais le 1/8ème d’hectare, principalement à cause des risques de grêle, de sècheresse et d’attaques d’oiseaux encourus, qui font perdre toute une récolte en une fois. À cause de ces risques et d’une trésorerie faible, les agriculteurs n’investissent pas dans la culture de quinoa et ont de faibles rendements en grain, la paille de quinoa n’étant pas utilisable pour les animaux. De plus, ces cultures sont en concurrence, dans un espace de culture très intensive avec la culture de maïs et de blé. Enfin, la récolte de quinoa correspond avec la pointe de travail de la récolte de la pomme de terre et du blé (en mai). Avec les bas rendements, le travail qu’il faut fournir et les risques encourus, le prix proposé sur le marché n’est pas assez élevé pour motiver les agriculteurs de Huancavelica à produire du quinoa, au moins pas tant que d’autres cultures moins risquées seront plus intéressantes pour eux. Au contraire de la Bolivie, les organisations de producteurs et les filières de commercialisation du quinoa sont entièrement à construire à Huancavelica, et les volumes de production complètement insuffisants pour le faire.

2.3.2.3 Tendances…

On note donc que les agriculteurs ont un fort intérêt à cultiver blé ou orge, selon l’étage écologique. Le département de Huancavelica dont les terres se situent majoritairement à plus de 3400m d’altitude est fondamentalement un département de production d’orge.

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Productivités de la terre et du travail de différentes céréales

0

5

10

15

20

25

30

35

40

0 200 400 600 800 1000 1200 1400 1600

VAB/ha

VAB

/h

Orge blanche (zona basse et médiane) 2000 kg/ha

blé ou avoine (zone basse) 1800 kg/ha

quinoa

Amarante

T

T

t

t

c

c

ct

p

Orge F (zone haute) 800 kg/ha

T: travail du sol et battage au tracteur t: battage à la trilleuse

c: battage au cheval

p: battage au bâton

T

blé ou avoine 600 kg/ha

VA

B/hj

Les productivités du travail et de la terre pour les cultures d’orge, blé et avoine, sont élevées (cf. Figure 5). Ces cultures, assez peu risquées, peu demandeuses en travail et dont l’investissement en intrants est nul, se conservent toute l’année, pour être utilisées pour l’autoconsommation comme pour être vendues pour la trésorerie courante. Enfin, l’intégration agriculture - élevage est assurée par la paille disponible en saison sèche pour les animaux.

Figure 5 : Minima et maxima de productivité de la terre (VAB/ha) et du travail (VAB/hj) pour différentes céréales

Source: Auteurs, 2005 d’après des données d’enquêtes auprès de producteurs et des diagnostics agraires de AUBRON, cuenca del río Cachi (2002); LE BLANC, Julcamarca (2002); BALITEAU et CHAUCHE, Ambato, Yauli (2000); TUNQUE QUISPE, Vista Alegre, Matipaccana (2003); TUNQUE QUISPE, Angaraes Sur (2003); AUBRON, GRESILLON et LEBLANC, Castrovirreyna (2003); DUVAL, Huando (2005)

Pourtant, les variations de rendements sont très importantes selon l’année, et entre les parcelles selon les variétés utilisées, l’étage écologique et la fertilité des sols. Il conviendrait effectivement d’assurer des rendements plus élevés (via des intrants ou de nouvelles variétés ?) pour augmenter les revenus des agriculteurs.

La question de la culture de quinoa comme alternative de développement ne semble pas réaliste pour le moment, car le quinoa se cultive en zone basse, où il est en compétition avec d’autres cultures, moins risquées et plus rentables, comme le lin, le maïs, le blé. Mais cette culture pourrait peut-être (re)démarrer si les prix proposés par les marchés d’État étaient plus élevés, et donc si la productivité de la terre et du travail d’1 ha de quinoa était supérieure à celles des autres cultures, en concurrence pour un même espace.

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2.3.3 Peu d’organisations de producteurs

Les communautés paysannes andines sont souvent idéalisées comme sociétés très organisées à tous niveaux et en dehors du monde moderne. À Huancavelica, la communauté est surtout une entité politique, où être comunero donne des droits (accès aux ressources) et des devoirs (participation aux travaux collectifs et aux décisions politiques). Les terres, anciennement gérées collectivement sont de plus en plus gérées individuellement, à cause de la pression démographique et de l’ouverture des économies rurales au marché. Il existe quelques « formes institutionnalisées de coopération » autour de l’activité agricole comme l’échanges de travail, le prêt ou la location de matériel, mais il n’existe pas d’associations de producteurs.

Cette absence d’organisation est tenue comme responsable de la pauvreté et de l’échec des politiques de développement à Huancavelica, pourtant l’idéal de l’organisation est institutionnalisé et est, au moins dans les discours, partagé entre tous (ONG, institutions publiques, agriculteurs et acteurs des filières).

Malgré cet idéal des actions collectives et « participatives », tous les essais d’organisation induits pas les ONG et les institutions publiques ont échoué. On peut poser l’hypothèse que ces échecs sont dus au fait que cet « idéal partagé » ne l’est que dans les discours, ou au minimum recouvre des philosophies, conceptions et objectifs différents. Ces échecs pourraient également être imputés à une mauvaise identification des proximités qui fondent les coopérations entre individus, ainsi qu’à une mauvaise identification d’objectifs communs motivant la fondation d’une association. En effet, la proximité géographique entre individus n’est pas suffisante pour générer une dynamique d’action collective ; il existe d’autres formes de proximités (professionnelles, économiques, communautaires ou politiques) sur lesquelles peuvent se baser des actions collectives (FOURNIER et MOITY-MAIZI, 2004), et qui sont à identifier ou à construire avant de commencer un projet d’organisation. Nous posons en particulier la question de la pertinence de considérer la communauté comme unité identitaire de base à toute organisation.

2.4 ENTRE COMMERCIALISATION ET AUTOCONSOMMATION : STRATÉGIES PAYSANNES

2.4.1 Stratégies de vente des agriculteurs

Chaque famille paysanne consomme en moyenne 500-600 kg d’orge par an, sous forme de quotidiennes soupes d’orge concassé (le morón) Si la production familiale d’orge est élevée, la famille a des excédents pour la vente, sinon, tout est autoconsommé.

Les prix des céréales varient au cours de l’année, en étant plus élevés en période de soudure, et plus bas en période de récolte, en fonction de l’offre. Tout au long de l’année, on trouve des céréales en vente sur les marchés et des acheteurs. Les excédents sont vendus et correspondent à différentes stratégies paysannes :

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- La vente d’orge par 12kg [22] chaque semaine au marché constitue la petite caisse de la famille, et l’argent de la vente est immédiatement réinvesti dans les dépenses hebdomadaires de première nécessité (sucre, huile, légumes, riz, pâtes)

- La vente au détail de céréales et dérivés (farines…) directement à Lima permet à certains agriculteurs de vendre leurs produits avec plus de valeur ajoutée. Ce sont des agriculteurs n’ayant pas du tout de capital, et qui payent leur voyage à crédit.

- La vente d’une quantité plus importante de céréales (150 à 800 kg) en une seule fois permet d’investir (achat d’animaux) ou de faire face à une grosse dépense (santé, éducation).

- La vente de farines au PRONAA à un prix bonifié (à partir de 1000 kg) permet aux agriculteurs qui ont du capital de tirer une meilleure valeur ajoutée de leur production.

- Ceux qui ont une production d’orge insuffisante l’autoconsomment entièrement et ne vendent rien.

2.4.2 Forts degrés d’autoconsommation en lien avec les systèmes de production

Nous avons analysé la consommation familiale en faisant des enquêtes qualitatives et quantitatives (par rappel des dernières 24h), dans 3 zones de Huancavelica : une zone spécialisée dans l’élevage laitier (Sinto), une zone de polyculture - polyélevage (Yauli), et une zone de transition vers l’élevage et quelques culture de vente (Huando).

La diète des agriculteurs de Huancavelica est peu variée, et est principalement composée de tubercules (pommes de terre cuisinées à l’eau) et de céréales (orge concassé, cuisiné dans les soupes). Les 2 plats sont généralement consommés lors des 2 repas quotidiens (le déjeuner à 8h et le dîner à 17h), qui sont des moments conviviaux où toute la famille est réunie et discute. De plus, la diète des agriculteurs et éleveurs des différents étages écologiques a une base sociale et culturelle commune, qui tend reproduire les éléments communs de leurs styles alimentaires, et qui se maintient via des unions majoritairement endogames et via les pratiques de troc (DELGADO, 1991). Enfin, les systèmes alimentaires sont très étroitement liés aux systèmes de production familiaux, et en suivent la saisonnalité (MORLON, 1992).

On note également que les familles qui mettent en œuvre des systèmes de production très diversifiés ont la meilleure alimentation (en calories ingérées), et que jusqu’à 83% des calories ingérées sont produites sur l’exploitation. Ces agriculteurs diversifiés assurent donc leur alimentation et « leur sécurité alimentaire ». D’un autre côté, les agriculteurs plus spécialisés dans la production de lait, ont beaucoup plus recours au marché pour leur alimentation, mais ingèrent moins de calories et leur niveau

22 Le poids de 12kg correspond à une « arroba », unité de mesure de poids de référence dans les Andes centrales. Dans la littérature, une arroba correspond à 11,5 kg. Cependant, il est accepté de tous, au sein de la filière, que le prix se fixe sur une base de 12kg.

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de sécurité alimentaire est beaucoup plus en péril et dépend beaucoup des fluctuations du marché.

2.4.3 Les éléments de la diète paysanne issus du marché

Des aliments fortement substituables

Au Pérou, l’acculturation [23] des paysans andins et de leur manque de rationalité économique est souvent illustrée par le fait qu’ils mangent de plus en plus de riz et de pâtes, qu’ils ne produisent pas, plutôt que d’auto-consommer leur production. Nous proposons de donner quelques pistes de réflexion sur les raisons de l’entrée de ces aliments dans la diète paysanne, avec une perspective historique.

Les paysans ont l’habitude d’acheter les aliments qui leur fournissent la calorie à plus bas prix (FERRONI 1980, in MORLON, 1992:423), surtout dans les sociétés où les achats d’aliments représentent plus de 70% des dépenses familiales. Cela permet de poser l’hypothèse qu’il existe une forte substituabilité entre les produits « traditionnels » (orge, pomme de terre) et les produits importés (riz, blé) au sein d’une même classe d’aliments.

L’entrée d’aliments importés peut donc s’expliquer par le fait que dans les années 80, les prix de la calorie de l’orge et du riz étaient équivalents : en vendant 1 kg d’orge, un agriculteur pouvait acheter 1 kg de riz. Il faut aussi tenir en compte que le riz a d’autres avantages sur l’orge :

- il permet de varier la diète, élément très important pour des agriculteurs andins ;

- Riz et pâtes ont l’avantage de se cuisiner beaucoup plus rapidement (20 minutes) que l’orge ou les pommes de terre (40 minutes à 1h30), ce qui est plus économique en combustible [24] et ce qui libère du temps pour la femme, dans un contexte où la main d’œuvre devient de plus en plus un facteur rare ;

- Riz et pâtes ont une bonne image, qui vient des villes et des colons, et sont perçus comme des aliments de fête, de citadin.

Retour à de plus forts degrés d’autoconsommation

À la fin des années 80, le Pérou a souffert d’une crise économique sans précédents, qui eût comme conséquence principale la détérioration des termes de l’échange pour les agriculteurs andins, qui ont de fait perdu du pouvoir d’achat (cf. Figure 6). La production agricole dont le prix constant a le moins baissé est le lait, ce

23 La notion d’acculturation est comprise comme « l'ensemble des phénomènes résultant du contact direct et continu entre des groupes d'individus de cultures différentes avec des changements subséquents dans les types de culture originaux de l'un ou des autres groupes ». Bastide (R), Acculturation, in Encyclopedia Universalis, 1-114 c et suivant, 1998 : in http://perso.wanadoo.fr/geza.roheim/html/accultur.htm#redfield 24 Pour aller plus loin, il aurait fallu calculer combien coûtent les combustibles pour la cuisson d’un kilo de riz, pâtes, orge ou 3,8 kg de pomme de terre (l’équivalent en calories), et additionner les résultats obtenus au prix de chaque aliment pour obtenir le prix de l’aliment réellement consommé, c'est-à-dire cuit. Il nous était cependant difficile d’évaluer le coût des excréments séchés de mouton ou de vache, utilisés comme combustible car à notre connaissance ils n’ont pas de valeur marchande.

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qui explique la tendance à la spécialisation laitière pour les producteurs ayant accès à l’irrigation (pour les pâturages). L’autre conséquence de cette perte de pouvoir d’achat est un repli vers l’autoconsommation, car la calorie la moins chère pour le producteur est aujourd’hui celle qu’il produit. Il relève de la rationalité paysanne de maximiser le niveau de sécurité alimentaire de la famille. Les paysans ont donc moins recours aux achats de riz et de pâtes pour leur alimentation. Pourtant, ces aliments importés continuent à faire partie intégrante de l’alimentation paysanne, à raison de 2 à 3 plats par semaine, en raison de la volonté de varier la diète, du temps de cuisson inférieur, et de l’image positive de ces aliments.

Relations entre revenus, autoconsommation et risques de malnutrition

Les aliments « traditionnels » sont consommés par les familles qui ont les revenus les plus bas, et qui ont une majeure proportion d’aliments autoconsommés, alors que les familles qui ont des revenus plus importants et une moindre proportion d’aliments autoconsommés ont tendance à consommer plus d’aliments « non traditionnels » (farines industrielles, riz, pâtes). Mais d’une façon générale, les familles qui autoconsomment plus leur production, qu’elles aient des revenus bas ou haut, sont mieux nourries (en quantité et qualité) que ceux qui achètent leur alimentation, même s’ils ont des revenus hauts. En effet, les aliments achetés (riz, pâtes) sont considérés comme ayant une plus faible qualité nutritive que les aliments « traditionnels » (orge, blé, tubercules) et ont un prix de la calorie plus haut.

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21

0,00

1,00

2,00

3,00

4,00

5,00

6,00

1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004

Pomme deterre

orge

blé

lait

maïs

viande

Pour acheter un kilo de riz, il faut vendre:(en kg de céréales, litre de lait ou 250g de viande)

kg.

Figure 6: Kilos de produits agricoles qu’un agriculteur doit vendre pour acheter un kilo de riz : illustration du pouvoir d’achat d’un agriculteur andin depuis les années 80.

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22

Consommation

Marché Production

Prix de la calorie1-Quelle production ?

2-Quelle part autoconsommée ?

3-Quelle part vendue? Et

quels produits vendus ?

SP très diversifiésSP diversifiés (avec une

culture de rente)

SP spécialisés (production

laitière, élevage de camélidés)

SP très spécialisés

(artichauts pour l’export)

100%

auto

cons

omm

atio

n

0%

Opportunités de marché, accès aux moyens de

production (crédit, capital, irrigation, terre, force de

travail

2.5 CONCLUSION : ÉQUILIBRE ENTRE OPPORTUNITÉS DE MARCHÉ ET GESTION DU RISQUE ALIMENTAIRE

Figure 7: relations du système [production – marché- consommation] avec la diversification des systèmes de production (SP)

Source : Auteurs, 2005

On a donc vu, grâce à l’analyse des pratiques et logiques paysannes, de l’évolution de la consommation paysanne, qu’il existe de fortes interactions entre production, consommation et vente, et que l’équilibre du système est régulé par le marché. Quand le marché est défavorable pour l’agriculteur, comme au début des années 1990, les agriculteurs se réfugient dans un premier temps dans l’autoconsommation. Dans un second temps, quand le marché devient encore plus défavorable, comme dans le cas du quinoa de Huancavelica, fortement concurrencé par le quinoa Bolivien et de Puno mécanisés, les agriculteurs tendent à en abandonner totalement la culture ou à le cultiver de manière très marginale pour l’autoconsommation. Cependant, dans cette seconde phase, la tendance est à substituer dans l’alimentation ces cultures non rentables pour d’autres cultures qui pourraient se placer à meilleur prix dans le marché. En suivant ce processus, au long de l’histoire, l’orge a substitué le quinoa et l’amarante, qui ont été abandonnés à cause des prix bas et d’une dévalorisation de ces céréales dans l’alimentation, jusqu’à ne plus être aujourd’hui une réalité de la société andine de Huancavelica.

Ainsi, le marché impose le prix de la calorie, - généralement dépendante des marchés internationaux -, qui définira la proportion de produits agricoles vendus sur le marché et la proportion d’aliments achetés sur le marché pour ces familles paysannes (cf. Figure 7).

Les systèmes de production très diversifiés ont une très forte réactivité face aux fluctuations du marché et sont en mesure d’assurer une grande partie de l’alimentation familiale. La flexibilité des économies paysannes andines combinant autoconsommation, troc et marché explique sans doute en partie sa survie et sa durabilité dans l’histoire agraire des zones andines. Par contre, plus les systèmes de production s’intensifient et se spécialisent, plus la dépendance au marché est forte, et plus la sécurité alimentaire des familles peut être mise en péril. Il n’en reste pas moins que l’agriculture familiale a la force de résister aux variations de l’environnement extérieur, en employant la main d’œuvre familiale et en produisant au moins une partie

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FERIAS

Agriculteursautoconsommation

Meuniers

Boul

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Grossistes

50%50%

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Lima Costa Selva

de son alimentation. C’est un « tampon » en cas de crise économique, qui réduit l’importance du chômage apparent dans les grandes villes.

Cette première partie met également en relief une autre problématique, qui constituait une partie de la demande de l’étude : le fait que les agriculteurs vendent moins de produits agricoles, et en particulier de grains secs, est compris par les institutions comme « il n’y a pas de marché pour ces produits ». Leur défi est donc de « trouver des marchés », et donc des marchés de niche directs, sans passer pas aucun intermédiaire. Cette course aux marchés pour « les bénéficiaires » de chaque ONG, amène à penser qu’il manque une réflexion commune sur : « pourquoi les paysans vendent-ils moins ? », « pourquoi les prix sont-ils bas ? », pour peut-être arriver à penser qu’un des défis de la filière est que les agriculteurs arrivent à vendre leurs produits à un prix qui leur permette d’acheter des produits exogènes, à un prix de la calorie équivalent.

Figure 8 : Schéma simplifié des filières céréales à Huancavelica.

Source : Auteurs, 2005

Nous avons donc vu dans cette partie « l’amont » de la filière, avec la production de céréales et la partie autoconsommée par les agriculteurs. Dans la partie suivante, nous verrons la destination des céréales vendues dans les ferias et les coordinations entre acteurs qui fondent l’articulation de ces filières.

Nous traiterons dans un premier temps des filières très locales, avec les collecteurs, meuniers, boulangers, et les marchés bonifiés étatiques départementaux. Nous verrons ensuite la destinée de 50% des céréales produites à Huancavelica, distribuées au niveau national par la plaque tournante des grossistes de Huancayo (cf. Figure 8).

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24

3 PANORAMA DES FILIÈRES

Dans cette partie, nous étudierons les filières céréale depuis les marchés ruraux (les ferias) jusqu’aux consommateurs. L’analyse des systèmes d’activité paysans de la partie 2 fait bien sûr partie intégrante de ces filières.

3.1 LES FERIAS DE HUANCAVELICA, PRINCIPAUX LIEUX D’ÉCHANGE

3.1.1 Réseaux de ferias en constante évolution, se rapprochant des paysans consommateurs

Une feria est un marché rural hebdomadaire, dans un village précis, où plusieurs acteurs se rencontrent. C’est un lieu privilégié d’échange de produits : pour les agriculteurs des communautés avoisinantes, la feria est autant un lieu de vente de produits agricoles, de transformation de grains destinés à leur consommation (chez les meuniers locaux) que d’achat des produits de base (sel, sucre, huile, légumes, riz, pâtes, savon, lessive, habits, chaussures). Les ferias sont réglementées par les municipalités, les commerçants payent leur poste à l’année en plus d’une petite contribution hebdomadaire.

Il existe des ferias de différentes tailles, depuis les toutes petites des communautés isolées, jusqu’aux grandes des capitales de province. Les petites ferias s’articulent toujours autour d’une feria principale, et forment ainsi un « réseau de ferias », avec chaque jour une feria différente, où l’on retrouve les mêmes commerçants, qui vont vendre leurs produits ou acheter des produits agricoles dans chacune des ferias d’un même réseau, avant de repartir à Huancayo vides dans le premier cas, et pleins dans le deuxième cas. Les réseaux de ferias sont mouvants et l’importance relative des ferias les unes par rapport aux autres se modifie sans cesse, de nouveaux réseaux se mettent en place, d’autres disparaissent.

Le réseau routier est de première importance pour l’implantation de ferias. Ainsi, quand s’ouvre une nouvelle route dans une zone de forte production agricole, s’ouvre toujours une nouvelle feria, qui s’approche des zones de production et des consommateurs paysans. Les ferias sont donc une illustration de l’insertion des économies paysannes au marché.

3.1.2 Relations entre acteurs dans les ferias

La quasi-totalité des achats - ventes de céréales, légumineuses et pommes de terre s’effectuent lors des ferias hebdomadaires. En général, ce sont les femmes qui vont au marché pour vendre 12 ou 24 kg de grain, et avec l’argent de la vente elles font les courses de la semaine. Quant il s’agit de volumes de vente plus importants, ce sont les hommes qui s’occupent d’effectuer la transaction.

Il y a très peu de relations de confiance ou de fidélité entre agriculteurs et acheteurs de grains. L’agriculteur vend ses produits à celui qui offre le plus, ou celui qui est situé le plus proche de sa maison ou encore celui qui lui paraît le plus honnête, car il est fréquent que les acheteurs truquent leurs balancent ou trichent sur le poids.

Depuis 2002 – 2003, les acheteurs de produits agricoles se sont multipliés, sans que les volumes mis en vente aient augmenté. Les collecteurs de grain expliquent cette augmentation de la concurrence comme la conséquence du manque de travail dans la zone, les nouveaux collecteurs étant obligés de trouver une activité, les anciens

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acceptent de se « diviser la marge ». Cela met en relief la crise de sous-emploi qui s’aggrave de plus en plus à Huancavelica. Tous les jeunes ne peuvent plus vivre de l’agriculture, et les uniques formes de travailler dans la zone, sont de se lancer dans le négoce de produits agricoles, d’ouvrir un moulin, d’acheter un taxi ou un petit commerce. Mais tous ces métiers sont à saturation, et au sein d’une même profession, chacun « se partage la marge ».

Les acheteurs de grain entretiennent entre eux des relations de concurrence, mais également des relations de coopération selon leur niveau de capital et les moyens de transport dont ils disposent. En effet, les acheteurs disposant de moins de capital revendent ce qu’ils ont acheté pendant la feria à la fin de cette même feria à d’autres acheteurs disposant de plus de capital, qui ont les moyens de payer le fret à un camion, ou à des acheteurs possédant leur propre camion. Les acheteurs qui ont un camion font payer le fret à d’autres collecteurs, etc. Tout le volume de grain, et des autres produits agricole est revendu à des grossistes de Huancayo.

Cette concurrence entre ce grand nombre de collecteurs se tourne souvent à l’avantage du producteur, ou au moins rééquilibre les pouvoirs de négociation entre agriculteurs et négociants, et augmente l’accès à l’information de chaque acteur. Le producteur peut négocier des prix plus élevés car il y a concurrence pour l’achat de ses produits. Les acheteurs s’approchent toujours plus des communautés, ce qui réduit le coût du transaction pour l’agriculteur (moins de transport et donc moins de pénibilité). Enfin, il apparaît que cette concurrence tend à réduire les fraudes sur le poids, car l’agriculteur a la possibilité de faire peser son grain par différents acheteurs s’il a un doute sur l’honnêteté de l’un d’entre eux.

Les acheteurs de grain sont également créateurs d’emplois, car ils emploient 2 ou 3 personnes pour peser, trier, porter les sacs, et souvent un « rabatteur » chargé de capter l’agriculteur 500 mètres avant son arrivée à la feria. Enfin, ils jouent un rôle clé au sein de ces filières agricoles car ils regroupent et sélectionnent par qualité une offre très atomisée et très hétérogène.

3.2 L’ÉTAT, GRAND ACHETEUR DE GRAINS

Au Pérou existent actuellement deux programmes étatiques d’aide alimentaire : le PRONAA (Programa Nacional de Asistencia Alimentaría) et le PVL (Programa Vaso de Leche), auxquels s’ajoute le PAM (Programme Alimentaire Mondial) géré par la FAO. Ces programmes existent sous diverses formes depuis 1963, et consistent en de la distribution gratuite d’aliments, et selon la loi 27060, les aliments doivent être achetés à des entreprises ou à des agriculteurs de la région à prix bonifiés pour faire fonctionner l’économie locale. Pour les agriculteurs, meuniers et boulangers, ces programmes étatiques constituent de fortes opportunités de marché.

3.2.1 Le programme PRONAA

Le PRONAA est un organisme public décentralisé au niveau provincial, dépendant du MIMDES (Ministerio de Promoción de la Mujer y del Desarrollo Humano). Il a pour objectif l’élévation du niveau nutritionnel de la population, la diminution de la pauvreté avec l’augmentation des revenus paysans et la promotion de la sécurité alimentaire à travers le développement de l’économie locale. La décentralisation, initiée en 2003, n’est pas encore terminée, et donne de nouveaux mandats et de gros budget aux provinces, qui ne disposent pas forcément des capacités de gestion et de l’expérience logistique nécessaire. Il semble indispensable que ces provinces soient aidées dans leur nouveau mandat.

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Le PRONAA fonctionne sur différents programmes de distribution gratuite d’aliments : les petits-déjeuners scolaires pour tous les enfants scolarisés (Alimentación escolar y infantil), les restaurants populaires où les plus pauvres peuvent manger (comedores populares), ou encore les distributions d’aliments en cas d’urgences alimentaires (sècheresse, inondations, etc.) (REBOSIO ARANA et RODRIGUEZ DOIG, 2001).

La loi 27060 oblige le PRONAA à acheter les aliments qui seront ensuite redistribués, à des agriculteurs ou à des entreprises de la région, quand l’offre existe. Le choix des aliments à acheter est effectué en concertation avec les femmes bénéficiaires (les clubes de madre). Mais pour la majorité des produits, l’offre locale n’existe pas (biscuits, huile, sucre, riz, lait évaporé). Pour stimuler l’économie locale, le PRONAA achète également des produits agricoles bruts, ou transformés chez un meunier local (farines, concassés) à des prix bonifiés. En 2004, le PRONAA a acheté l’équivalent de 7% de la production départementale d’orge et 2% de la production de blé. Enfin, pour le programme de petits-déjeuners scolaires, chaque enfant reçoit chaque jour des biscuits, petits pains ou des farines enrichis en protéines et en fer ainsi qu’un produit laitier. Environ 10% des habitants de Huancavelica sont bénéficiaires d’un des programmes du PRONAA.

Dans les achats du PRONAA, la part des céréales locales se réduit de plus en plus. En effet, les bénéficiaires sont des agriculteurs qui produisent de l’orge, des pommes de terres. Ils souhaitent donc recevoir des aliments qu’ils ne produisent pas, d’autant plus que 1kg de riz vaut en prix plus qu’1kg d’orge concassée… Pour mieux valoriser les céréales locales, il faudrait les transformer en des produits plus « finis », et lancer une dynamique d’innovation autour des céréales locales.

En pratique, il reste difficile pour les agriculteurs d’accéder à ces marchés bonifiés d’État. Cela suppose une bonne information des producteurs sur les modalités des appels d’offre publics, une capacité financière pour avancer les frais de meunerie, et n’être payé que 1 ou 2 mois après avoir livré la marchandise. Enfin, le fait de vendre des produits agricoles en 1 seule fois est contraire à la logique de 90% des agriculteurs de Huancavelica, pour lesquels la vente régulière de petites quantités de grains sur les ferias constitue la petite caisse de la famille. Pour ces raisons, les fournisseurs réels du PRONAA sont les agriculteurs disposant de plus de capital (qui ont le plus de terres, emploient des journaliers) et qui sont souvent également commerçants et achètent du grain à leurs voisins pour le revendre plus cher au PRONAA.

Les petits meuniers vendent également des grains transformés au PRONAA, ce qui leur permet de capitaliser. Les boulangers locaux, par contre, ne peuvent pas vendre des pains fortifiés pour les petits-déjeuners scolaires, car leurs ateliers ne sont pas aux normes exigées par le PRONAA, qu’ils n’ont pas les moyens de payer des analyses coûteuses régulières : l’environnement normatif et la réglementation ne sont pas à la faveur des petits artisans.

3.2.2 Le programme Vaso de Leche (PVL)

Le PVL dépend du Ministère d’Économie et Finances (MEF) mais sa gestion est décentralisée depuis 1995 au niveau de chaque municipalité de district, qui reçoit un budget pour acheter et ensuite répartir des aliments aux personnes bénéficiaires (tous les enfants de moins de 6 ans, les enfants en état de malnutrition, les femmes enceintes et allaitantes, les personnes âgées de plus de 60 ans en situation de pauvreté extrême). Cette décentralisation pose problème car il n’y a que très peu de contrôles sur

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l’utilisation effective de l’argent, et les malversations et les dessous de table pour l’obtention de marchés par les entreprises sont très fréquents.

Ce sont des groupes de femmes bénéficiaires (les « club de madre ») qui décident des aliments qu’elles souhaitent recevoir, pour un total de 207 kcal / personne / jour, avec des aliments qui réunissent « les caractéristiques nutritionnelles minimales de la ration (valeurs énergétiques, vitamines et minéraux) ». Á Huancavelica, tous les districts achètent du lait évaporé de marque GLORIA, et ensuite, généralement des flocons d’avoine, d’amarante ou de quinoa. En moyenne, en 2004, les 93 districts du département de Huancavelica ont utilisé 38% de leur budget Vaso de Leche pour acheter des produits dérivés d’avoine, pour un volume total de 1400 tonnes, soit l’équivalent de 62% de l’avoine départementale.

Pourtant pour le PVL, la loi des achats locaux, n’est pas du tout appliquée. Les districts sont approvisionnés par de grandes entreprises de Lima ou de Huancayo, qui ont une boîte aux lettres à Huancavelica. Ces entreprises constituent un très fort lobby au niveau national, et les petites entreprises locales ne peuvent accéder à ces marchés à cause de barrières normatives et administratives insurmontables pour une petite entreprise, notamment l’obtention de la « habilitación de fábrica » (NAVARRO, 2004).

3.2.3 Des outils politiques forts pour promouvoir l’agriculture et les microentreprises locales

En l’état actuel des choses, les programmes d’aide alimentaire n’arrivent pas à répondre complètement à leur objectif d’impulser le développement économique régional en favorisant l’accès des petites entreprises locales et des agriculteurs à ces marchés bonifiés.

PVL et PRONAA sont donc de grands marchés bonifiés potentiels pour les petites entreprises (meuniers, boulangers, fromageries, yaourteries) et les agriculteurs de Huancavelica. Ils pourraient constituer un tremplin pour permettre à ces entreprises de capitaliser, moderniser leurs équipements, innover et trouver de nouveaux marchés. Cependant, il conviendrait de renforcer 3 axes principaux :

- S’assurer que les achats s’effectuent seulement à des entreprises locales, qui fonctionneraient avec de la matière première locale, en accompagnant la formalisation et l’accès à l’information des fournisseurs potentiels, ainsi qu’en nouant des contrats entre fournisseurs et PRONAA ;

- Augmenter la part des produits locaux achetés par ces programmes d’aide alimentaire, notamment en faisant de la sensibilisation auprès des clubes de madre ;

- Faire de l’incidence politique et institutionnelle pour faire évoluer l’environnement normatif, sanitaire et institutionnel vers un environnement plus adapté aux réalités de Huancavelica, qui puisse favoriser les micro-entreprises, tout en assurant la protection du consommateur et l’innocuité du produit.

Pour le PVL, tout reste à faire, mais des exemples dans le nord du Pérou montrent qu’avec une réelle implication et volonté des municipalités de district, les achats peuvent s’effectuer localement et que cela constitue un véritable moteur pour l’économie locale.

Ces programmes, si leur fonctionnement est amélioré, peuvent constituer des outils politiques forts pour promouvoir l’économie départementale. Mais, il reste

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néanmoins des questions sur la durabilité de ces programmes, qui devaient être temporaires à l’origine, mais qui maintenant sont institutionnalisés.

- avec le TLC, la tendance est à prôner plus de libéralismes dans les procédés d’appel d’offre et à rayer les préférences nationales et régionales pour ces programmes d’aide alimentaire ;

- le programme JUNTOS, nouveau programme qui fonctionne en donnant 100 soles / mois / mère de famille pourrait remplacer peu à peu tous les autres programmes d’aide alimentaire ou sociaux.

3.3 LES MEUNIERS DE HUANCAVELICA

Les unités de transformation primaire de céréales (les moulins) sont des lieux stratégiques des filières, parce qu’ils sont en constante interaction avec la production, les styles alimentaires et le marché et parce qu’ils ont un rôle fondamental dans la régulation des flux, prix et marchés. Ils constituent également les seules formes d’investissement au niveau local pour ceux qui ont un petit capital.

3.3.1 Prestation de service et “manque de marchés”

Depuis les années 90, les moulins à marteau électriques se multiplient dans les communautés agricoles, au fur et à mesure de leur électrification. Les meuniers de Huancavelica sont des petites entreprises familiales individuelles.

L’activité principale des moulins est le « service de meunerie » pour les agriculteurs qui y font moudre leur grain pour leur propre consommation, remplaçant ainsi de plus en plus la transformation domestique des céréales au mortier. L’agriculteur paye 2,5 soles pour 12 kg de grain, et récupère le son d’un côté, et le grain moulu ou concassé de l’autre. À Huancavelica, 90% des moulins font uniquement de la prestation de service pour les agriculteurs.

L’activité secondaire de certains moulins est la vente de farines, grain concassés ou pelés pour leur propre compte. Dans ce dernier cas, le meunier peut vendre ses produits au détail ou en semi-gros sur le marché de Huancavelica, en gros à Huancayo ou au PRONAA. Pourtant, ces meuniers ont des difficultés à vendre leurs produits, car à Huancavelica le marché est déjà saturé, et à Huancayo, les grossistes, qui sont également meuniers n’achètent que des céréales en grain, non transformées ; il est donc très difficile d’entrer sur le marché de Huancayo tout en proposant des prix concurrentiels, car les meuniers de Huancayo ont de surcroît des coûts de production très compétitifs.

Un marché potentiel important pour les meuniers de Huancavelica est le programme Vaso de Leche, qui achète des flocons d’avoine, d’orge, de quinoa et d’amarante, mais pour le moment à des entreprises de Lima.

Les meuniers de Huancavelica ont d’importantes capacités de transformation, mais par faute de débouchés, ne fonctionnent qu’à 10% de leurs capacités. L’activité de meunerie est dans la plupart des cas une activité à mi-temps, complémentaire à l’activité agricole. Pourtant, selon nos calculs, la mouture de 4-5 tonnes de grain par mois pour la vente suffit à faire vivre correctement un meunier et sa famille.

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Quatre machines, qui s’acquièrent peu à peu

Tous les meuniers possèdent plus ou moins les mêmes machines, en acier noir (ou fer noir) [25], achetées à Huancayo, chez différents fabricants (Vulcano, Jarcón, Masmetal e Indemetal). Quatre types de machines s’utilisent en meunerie et s’acquièrent peu à peu :

- Les moulins à marteau à taille de maille changeable, pour faire des farines et des concassés

- Les décortiqueuses (« peladoras ») pèlent le grain (séparent le son du grain) - Les aplatisseurs (« laminadoras ») qui transforment le grain en flocons - Les cribles qui trient le grain par poids et calibre

La majorité des meuniers possèdent seulement un moulin à marteau, et parfois une décortiqueuse. Les moteurs sont chinois et brésiliens et fonctionnent avec du pétrole, de l’électricité monophasique ou triphasique, cette dernière option étant la moins coûteuse. Le prix de l’électricité est très variable selon la zone et le pouvoir de négociation du meunier avec l’entreprise électrique. Le prix que le meunier arrive à négocier détermine énormément la rentabilité et la compétitivité de son activité.

3.3.2 Un secteur en voie de formalisation et en recherche de qualité

Des machines qui laissent de la limaille de fer dans le produit fini?

Les machines des meuniers sont en acier noir, et le frottement des céréales dans le moulin, provoque l’usure des marteaux et de la machine en général, qui se retrouve sous forme de limaille de fer dans le grain transformé prêt à être consommé. Ces moulins en acier noir représentent donc un risque pour la santé, il faudrait les remplacer ou les revêtir d’acier inoxydable, ou au moins positionner des aimants à la sortie pour capter la limaille.

Garantir l’innocuité des produits est un réel enjeu social à Huancavelica, où la fabrication artisanale est toujours objet de suspicion, en opposition à la transformation industrielle ou importée. Répondant à la demande des consommateurs urbains, l’État souhaiterait réglementer les conditions de production artisanales et voudrait faire appliquer les « lois générales de Santé Environnementale » [26], positives pour la protection des consommateurs, mais qui nécessitent d’être accompagnées de mesures d’aide aux meuniers pour moderniser leurs ateliers et leurs équipements et avoir accès à du microcrédit.

Les extrudeuses peu diffusées à Huancavelica

Ce type d’équipement permet de faire des céréales ou des farines extrudées. Le procédé de cuisson-extrusion permet de couper l’amidon et de le rendre beaucoup plus digestible. De plus, les produits transformés sont directement consommables (farines premier âge, céréales petit-déjeuner, gâteaux apéritif) et jouissent d’une bonne image auprès des consommateurs urbains comme ruraux. Ces machines permettent donc de faire des produits transformés moins standard et de diversifier la gamme des produits transformés.

25 « Le fer noir ou l’acier noir est un produit laminé à froid en acier doux [alliage de fer et de carbone, jusqu’à 25% de carbone] non allié, d'une épaisseur inférieure à 0,50 mm, non revêtu dont la surface n'est ni traitée ni huilée. » (NBN 668.2.l et Le Petit Robert, 2002 p.25)

26 Ley general de Salud Ambiental

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Le problème actuel est le coût de ces machines, et leur mise au point n’est pas encore parfaite. Les extrudeuses actuelles (qui font les céréales petit déjeuner) sont en passe d’être interdites (déjà interdites à Lima) car elles laissent des résidus de plomb dans les céréales, qui ont également été retrouvés chez les enfants en consommant. La conception de modèles d’extrudeuses à faible coût en acier inoxydable est encore à l’état de prototype.

Des produits standard à faible valeur ajoutée

Même si les meuniers de Huancavelica transforment une large gamme de farines, concassés, flocons, - crûs ou précuits -, à base d’orge, blé, avoine, légumineuses, quinoa, tous ces produits restent des produits standard de première transformation et de faible valeur ajoutée. Ces produits ne sont pas bien identifiés sur le marché quant à l’origine de la matière première, aux procédés de transformation, à la qualité sanitaire des produits. La confiance dans le produit est fonction de la confiance dans le meunier, mais ceci ne fonctionne que dans des situations de réseaux de commercialisation courts. Aucun effort n’est fait sur les emballages, car tout est vendu en vrac, les produits n’ont donc pas d’identité spécifique. Pour revaloriser ces produits, on pense évidemment à la possibilité de les qualifier, en communiquant sur des valeurs porteuses communes, qui restent encore à identifier (le travail artisanal, l’origine des céréales, produites dans la zone, et sans aucun intrant, etc.). Mais ces processus de qualification impliquent de renforcer les coordinations entre meuniers et agriculteurs, ainsi que les coordinations entre meuniers, et donc implique l’activation d’actions collectives.

Les meuniers doivent innover, résoudre certains problèmes normatifs (formalisation d’entreprise, agréée par le ministère de la santé), problèmes techniques (conservation, produits précuits, etc.), avoir les moyens de mesurer la qualité de leurs produits (innocuité, taux protéiques), d’investir dans du matériel en acier inoxydable, des emballages individuels et de communiquer sur leurs produits.

De plus, l’accès à l’information et à des réseaux de commercialisation à Huancayo, dont les meuniers sont actuellement exclus, semble essentielle au décollage de ces AIR.

À la limite entre secteur formel et informel…

Les étapes de constitution légale d’une entreprise au Pérou sont relativement compliquées et coûteuses : l’entreprise doit être constituée devant un notaire, enregistrée dans les registres publiques, obtenir un numéro d’immatriculation [27] et être affilié à un régime au trésor public. Enfin, il aura le droit d’émettre des factures, d’inscrire son personnel à une assurance santé, et devra tenir des livres comptables.

En principe, pour vendre un produit alimentaire emballé, qui n’est pas de consommation immédiate, l’entreprise doit au moins obtenir un “registre sanitaire” pour le produit qu’elle doit vendre (si elle a un RUC), et qui garantit l’innocuité du produit.

Pour certains marchés, comme les marchés bonifiés étatiques (le PVL), l’entreprise doit également avoir une “habilitation sanitaire”, ce qui signifie être aux normes européennes d’un atelier de transformation (marche en avant, carrelage, acier inoxydable, analyses de lots tous les mois, etc.). Concrètement à Huancavelica, aucune petite entreprise n’a les moyens financiers d’investir dans de tels ateliers de transformation. Cette exigence n’est pas du tout adaptée aux réalités locales, surtout si le « registre sanitaire » garantit déjà l’innocuité du produit ; cette exigence a été 27 Le RUC: Registro Único de Contribuyente

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31

impulsée par les lobbies des moulins industriels de Lima, actuellement distributeurs de presque tous les PVL du pays.

3.3.3 Une double concurrence

La concurrence à laquelle sont confrontés les moulins de Huancavelica est double : d’un côté, il y a concurrence avec les moulins de Huancayo, qui fonctionnent principalement sur la mouture de céréales produites à Huancavelica, et qui disposent de très gros volumes de production, de coûts d’électricité préférentiels, de réseaux de commercialisation très développés. Ils sont également en concurrence avec les moulins industriels de Lima, qui ont le monopole de la transformation de grains importés et proposent des farines d’excellente qualité pour la boulangerie (fort taux protéique) à des prix très concurrentiels.

Pourtant, il existe à Huancavelica un fort réseau d’agro-industries rurales, qui constituent, avec l’activité agricole les principales sources d’activité économique et d’emploi dans la zone. En renforçant les liens qui existent entre agriculteurs et meuniers, en créant des relations de fidélité [28], une augmentation de la valeur ajoutée des produits au niveau des meuniers pourrait se répercuter au niveau des agriculteurs.

3.4 LES BOULANGERS

Les agro-industries rurales de transformation primaire de grains sont, on l’a vu les moulins. Les produits de meunerie sont à 90% consommés directement et très peu remobilisés par d’autres agro-industries de transformation secondaire. Pourtant, avec les farines locales, on imagine qu’il est possible d’élaborer toute une gamme de pains, pâtisseries, cakes, biscuits.

Les boulangers de Huancavelica n’utilisent que très peu les farines complètes de blé local, car elles ne sont pas panifiables [29]. Pourtant, il existe des pains spéciaux, à forte identité locale, comme les « chaplas », dans lesquels les boulangers intègrent jusqu’à 25% de farines locales. De même, les « tanta wawa » sont de petits pains sucrés en forme de poupée ou de cheval, élaborés uniquement à partir de blé local, une seule fois par an pour la fête de la Toussaint. Cependant, la majorité de la farine qu’utilisent les boulangers est une farine industrielle fabriquée à partir de blé importé hautement panifiable.

Il nous paraît important de valoriser les savoir-faire des boulangers et d’innover autour des produits à forte identité locale, en communiquant sur l’origine du blé ou de l’orge utilisé.

Il y a un fort réseau de boulangers dans le département, chaque district comptant au moins 1 ou 2 boulangers. De plus, 20 boulangers de la ville de Huancavelica sont regroupés en association professionnelle, afin d’organiser des événements autour du pain et de se mettre d’accord sur les prix. Il suffit d’activer et d’animer ce groupe pour lancer des dynamiques d’action collective. Pourtant, la conjoncture actuelle du marché est défavorable et le manque de capacité d’investissement des boulangers constitue un

28 Les relations liantes sont ici définies comme des contrats qui puissent fournir des garanties entre les deux parties.

29 Il est probable que la mauvaise qualité des protéines de blé local soit due à un problème agronomique (climat, manque d’azote dans le sol, variétés). Un problème technologique pourrait également être en cause : le son dans la farine diminuerait sa potentialité à être panifiée.

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frein à l’innovation, au renouvellement et à la modernisation des équipements. C’est pour cela que l’État, via le programme de petits-déjeuners scolaires du PRONAA, pourrait nouer des contrats avec les boulangers pour qu’ils fournissent les écoles en pains fortifiés, lançant une dynamique d’innovation autour de formulations de pains à base de farines locales, tout en renforçant les coordinations avec les meuniers. Pour cela, les institutions publiques et de la société civile doivent d’urgence s’allier pour favoriser l’accès des micro-entreprises aux marchés bonifiés du PRONAA, notamment en renforçant l’accès à l’information et en proposant du microcrédit.

Les agro-industries rurales de Huancavelica participent au développement économique de la région, et les politiques publiques devraient les inciter à se développer, tout en remplissant les 4 conditions que nous avons identifié pour qu’une AIR participe pleinement au développement régional :

- créer des emplois locaux sûrs et réinvestir les bénéfices et les salaires à Huancavelica

- se positionner sur des marchés différenciés pour avoir une grande capacité d’adaptation à l’environnement

- acheter la matière première localement

- générer la création d’autres entreprises avec des relations de coopération, par exemple via une contractualisation entre agriculteurs, meuniers et boulangers.

3.5 UNE PRODUCTION DÉDIÉE AU MARCHÉ NATIONAL QUI PASSE TOUJOURS PAR LE MARCHÉ DE HUANCAYO

Dans le chapitre précédent, nous avons traité de la production de grain autoconsommée ou consommée dans le département, et qui passe le plus souvent par une mouture chez les meuniers locaux. Ce volume de céréales qui reste dans le département représente la moitié de la production départementale. L’autre moitié est vendue en grain dans les ferias, collectée par des acheteurs spécialisés dans les produits agricoles, et revendue systématiquement à des grossistes de Huancayo. Ces 15 grossistes de Huancayo constituent le goulet d’étranglement des filières céréales de Huancavelica, par lequel toutes les céréales de Huancavelica, et de la province de Junín, passent. Huancayo est une grande plateforme de vente de produits agricoles, qui sont ensuite revendus dans tout le Pérou, en particulier à Lima, dans l’Amazonie pour les cueilleurs de café et sur la côte pacifique. Parmi ces 15 grossistes, 5 possèdent également des moulins, et effectuent la mouture de tout l’orge blanc, de l’avoine et du blé de Huancavelica, revendus sous forme de grain pelé (morón americano) ou concassé (morón nacional). Ces grains transformés à base d’orge ou de blé des Andes ont mauvaise réputation en ville car perçus comme l’aliment du pauvre, voire de l’animal et sont plutôt consommés par des gens originaires de la Sierra, des quartiers pauvres de Lima.

Une autre filière, est celle de l’« orge grain fourragère », qui est l’orge jaune, très pailleuse, récoltée à plus de 3800m d’altitude. Cette orge est destinée à la consommation animale et passe par 2 grossistes spécialisés à Huancayo, avant d’être revendue en grain à l’hippodrome de Lima, pour l’alimentation des 1300 chevaux, qui mangent chacun 240 kg d’orge par mois. Dans l’hippodrome même, 6 meuniers s’occupent d’écraser toute cette orge et de la vendre aux propriétaires des chevaux. L’orge de Huancavelica est, selon ces meuniers, la meilleure pour les chevaux et représente 80% de l’orge qui leur est donnée. Cette filière serait menacée par des

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décomposition du prix de l'orge fourragère Paucara - Hippodrome

0

200

400

600

800

1000

1200

1

sole

s

moulin à l'hippodrome

transporteur Hyo - Lima

grossiste Hyo

stockeur local

agriculteur

stockeur camion

décomposition du prix de 1000 kg d'orge blanche Acobamba - Lima

agriculteur

grossiste meunier

Hyo

0

200

400

600

800

1000

1200

1

sole

s

transporteur Hyo -Lima

détaillant Lima

stockeur camion

stockeur local

Marge

Coûts

pour chaque acteur de la filière

LEGENDE

Figure 9 : Décomposition du prix, coûts et marges dans au cours des étapes de production, commercialisation, transport et transformation de 1000 kg d’orge blanche (à gauche) et de 1000 kg d’orge fourragère (à droite).

Note 1: Au moment d’interpréter de diagramme, il faut prendre en compte deux paramètres sans lesquels ce diagramme n’a pas de sens :

- la différence des volumes manipulés par chaque agent (en général les producteurs et les détaillants manipulent des volumes réduits)

- les risques assumés par chaque agent (niveau de capital investi, risques économiques, climatiques, sociaux, etc.)

(Intercooperation, 2003 in RURALTER, 2004) Note 2: Dans les calculs, nous n’avons pas compté comme coût la main d’œuvre familiale, en considérant que chaque acteur prend son salaire dans la marge qu’il fait. Source : Auteurs, 2005 d’après les enquêtes effectuées auprès de chaque acteur des filières.

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importations d’avoine fourragère, de bien meilleure qualité pour l’alimentation animale, mais encore trop chère à cause des barrières douanières. De plus, le désintérêt progressif des péruviens pour les courses de chevaux, tend à faire diminuer le nombre de chevaux de l’hippodrome.

Enfin, les filières quinoa et amarante sont quasiment inexistantes du fait des très faibles volumes de production mis en vente à Huancavelica.

3.6 EFFICACITÉ DES FILIÈRES CÉRÉALE

Ces filières sont donc très efficaces dans le groupement, le tri et la sélection d’une offre très atomisée et hétérogène. Une multitude d’acteurs agissent dans ces filières, permettant ainsi une répartition de la marge entre plusieurs personnes (cf. Figure 9 et Figure 10). Dans d’autres termes, les processus de collecte, commercialisation, transport et transformation de grains créent beaucoup d’emplois.

En outre, l’analyse des filières céréales permet de reformuler une des préoccupations des producteurs qui disent « ne pas avoir de marchés pour leurs produits ». En effet, tout au long de l’année, les acheteurs de céréales sont présents dans les ferias, et les agriculteurs peuvent vendre leurs produits sans problèmes, le problème réel pour les producteurs étant que le prix est bas et qu’ils considèrent que ce prix ne rémunère pas assez leur travail. Pourtant, ce prix bas est principalement dû au prix des produits similaires ou de substitution (riz, blé) rencontrés sur le marché, qui nivèlent le prix des céréales à Huancavelica.

Mais la part vendue des céréales produites dans le département de Huancavelica est transformée par les moulins de Huancayo, transférant ainsi la valeur ajoutée de la transformation à Huancayo. Bien que les capacités de transformation existent à Huancavelica, - les moulins travaillent à 10% de leurs capacités -, le marché de Huancayo est fermé aux produits de meunerie de Huancavelica, à cause de réseaux d’information et de commercialisation les excluant. Nous n’avons pas pu faire d’évaluation économique précise de ces moulins de Huancayo. Il semblerait pourtant qu’ils soient à la charnière de cette filière et que ce soit eux qui nivellent les prix, tout en prenant une marge importante (leurs enfants étudient dans des universités privées, parfois aux Etats-Unis). Il conviendrait de mieux évaluer les marges et réseaux dont disposent ces moulins, mais il paraît difficile que des producteurs ou collecteurs aient assez de pouvoir de négociation pour vendre l’orge plus chère à ces meuniers, à moins qu’ils ne s’organisent ou se rallient à un syndicat.

Enfin, les produits transformés à Huancavelica sont des produits de faible valeur ajoutée (farines, concassés, pains complets), et sont très peu remobilisés par les petites industries de pâtisserie ou biscuiterie. Les dynamiques d’innovation autour de nouveaux produits et autour de nouvelles coordinations entre acteurs sont freinées à cause de faibles capacités d’investissement. Les marchés bonifiés d’État pourraient permettre dans un premier temps d’être un outil politique d’aide aux micro-entreprises.

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35

1. LIMA(surtout de juin àseptembre) marchés La Parada, Santa Anita

2. CÔTE

3. SELVA (surtout de février à juin)

1. Grossiste spécialisé dans l’orge fourragère

2. Grossiste non spécialisé en céréales

3. Grossiste spécialisé en céréales variées

4. Gros. meuniers

PRODUCTEURS de HUANCAVELICA

GROSSISTES et MEUNIERS de HUANCAYO

Autoconsommation

Vente céréales dans les ferias

(cash flow)

* Excédents de céréales AF: Agriculteurs familiaux

AP: Agriculteurs patronaux

Venta au PRONAA

Huancavelica

Troc

Relations de VENTE

Relations de TROC

Vent

e c

éréa

les

al

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Vente grains transformés

Vente grains entiersVe

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Vent

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serv

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Vente

Troc

VenteMeuniers locaux

TRA

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RS

(cam

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30 T

M)

TRA

NSP

OR

TEU

RS

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30 T

M)

Vente

Transformation de grains

Client final: Propriétaires de chevaux

Ferias et marchés locaux

service

Vente

service

Vente d’orge

écrasée

DET

AIL

LAN

TSD

ETA

ILLA

NTS

DET

AIL

LAN

TS

HIPPODROME

• Meunier privé

• Meunier avec contrat

• Meunier d’une écurie

Client final LIMA

(bidonvilles)

Client final CÔTE (d’origine de la sierra)

Client final SELVA

(récolteur de café)

LEGENDE

COLLECTEURS dans les PROVINCES

Vente au PRONAA Huancayo

DETAILLANTS Ferias et marchés

Huancayo

DETAILLANTS

MEUNIERS

1. AF. Éleveurs d’alpacas

2. AF éleveurs laitiers

3. AF. SP diversifiés sans excédents*, autoconsommation

4. AF SP diversifiés, autoconsommation et excédents* pour vente

5. AP capitalisés, excédents pour vente

1. Collecteurs locaux

2. Collecteurs qui paient le fret

3. Collecteurs avec camion

4. Troc contre sel avec camion

Figure 10 : Schéma de fonctionnement des filières grain produits à Huancavelica

Ce schéma permet de visualiser les liens dominants, les « groupes stratégiques », les coordinations plus nombreuses entre certains acteurs des filières céréales. Source : Auteurs, 2005

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Blé importé Blé national

Boulangers

Farineindustrielle

Farine localeintégrale

Flux de produits

Concurrence

Controle le prix de

Cause

Un prix national dépendant du prix du blé importé

97% 3%

90% 10%

Blé importé Blé national

Boulangers

Farineindustrielle

Farine localeintégrale

Flux de produits

Concurrence

Controle le prix de

Cause

Un prix national dépendant du prix du blé importé

97% 3%

90% 10%

4 PERSPECTIVES ET PISTES DE RÉFLEXION

4.1 PLANTONS LE DÉCOR…

4.1.1 Société andine marginalisée

Depuis l’époque coloniale, le Pérou s’est orienté vers une politique qui favorise les importations de produits agricoles (blé, riz) à bas prix, pour favoriser les consommateurs urbains tout en développant l’industrie agroalimentaire basée sur ces importations. Actuellement, le Pérou est dépendant à 90% de blé importé des États-unis (74%), du Canada (12%) et d’Argentine (12%), et est principalement utilisé par l’industrie agroalimentaire de Lima, qui forme un oligopole [30]. Cette politique qui a favorisé les importations à bas prix a eut pour effet une marginalisation de toute une partie de la population péruvienne agricole, des Andes en particulier.

En effet, le prix du blé international se répercute fortement sur le prix du blé payé au producteur andin, bien que le blé produit au Pérou soit principalement autoconsommé et consommé localement. En effet, les concurrences se réalisent au niveau du prix des farines (cf. Figure 11). Les boulangers, principaux acheteurs de farines locales et industrielles, se situent donc à un point déterminant et stratégique de la filière. Le changement de modèle alimentaire dans les Andes a fait augmenter la demande en farine blanche (industrielle) face aux farines intégrales, locales.

Figure 11 : Influence du prix international du blé du le prix national du blé et des farines nationales

Source : Auteurs, 2005

L’État, en s’orientant vers ce type de politique de développement, où les produits importés concurrencent les productions nationales, a démotivé la production paysanne

30 Neuf entreprises de meunerie traitent plus de 90% du blé importé, en le transformant surtout en farines, pâtes alimentaires et biscuits. Parmi ces entreprises (souvent à capitaux péruviens), ÁLICORP transforme 50% du total du blé traité par ces 9 entreprises (VARGAS MAS, 2004).

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37

intérieure (MORLON, 1992) et a sous-estimé la capacité d’intégration aux marchés de l’économie paysanne. La faiblesse des politiques de développement n’a permit qu’à une minorité de producteurs de pouvoir répondre rapidement à la demande des consommateurs urbains, les autres sont restés marginalisés et atomisés, dans l’impossibilité de se développer (ABLAN 1989).

Ces politiques publiques ont donc eu comme effet une désintégration et une marginalisation des sociétés paysannes (particulièrement andines) et une division profonde de la société péruvienne (ibid.). Cette division se fait sentir entre les producteurs capitalistes exportateurs et les agriculteurs familiaux de la Sierra ou de la Selva. On ressent aussi cette division entre les consommateurs urbains et les paysans andins.

Alors que l’alimentation des urbains est directement liée aux importations ou à la production capitaliste nationale, l’alimentation des ruraux est déstructurée entre une autoconsommation changée par la mercantilisation de leurs systèmes alimentaires et un marché qui n’a pas pu intégrer leurs productions et qui augmente leur dépendance face à l’État (via les programmes d’aide alimentaire) (DELGADO, 1991a).

De plus, la dévalorisation de la société et de la culture andine a comme effet une dévalorisation des aliments produits dans les Andes (pomme de terre, orge, quinoa) qui n’ont de leur coté pas su s’adapter aux nouvelles attentes des consommateurs urbains (produits transformés, qui se préparent rapidement, etc.)

L’État péruvien a donc pris l’alternative d’une dépendance alimentaire vis à vis de l’extérieur plutôt que de se confronter à l’enjeu de développer l’agriculture andine pour répondre à la demande des marchés urbains. Il a ainsi renforcé, par sa politique de bas prix aux consommateurs, les oppositions entre consommateurs urbains, agriculteurs capitalistes et paysans familiaux, à tel point que les agriculteurs andins se sont intégrés à la société péruviennes comme consommateurs et bénéficiaires de programmes étatiques d’aide alimentaire plutôt que comme producteurs (DELGADO, 1991). Même si d’un point de vue macro-économique, l’agriculture de la sierra n’a un poids que très relatif, elle reste intégrée au pays au travers des échanges ville campagne et au travers des migrations (ABLAN, 1989).

4.1.2 Impacts du TLC sur l’agriculture andine

La formation d’une zone de libre échange sur le continent américain est un objectif fort de la politique extérieure des États-Unis. L’ALCA [31], première tentative de zone de libre échange, a échoué en 2003, à la suite de l’échec de la conférence de l’OMC à Cancún, par l’opposition des pays membres de MERCUR [32], menés par le Brésil. En réponse à cette impossibilité de mener des négociations multilatérales, les États-unis ont initié une série de négociations bilatérales, particulièrement avec les pays andins, liés depuis 1969 par la CAN [33]

Face à cette crise du multilatéralisme, les États-unis changent de stratégie en initiant une série de négociations bilatérales avec chacun des pays. Ce type de négociation laisse plus de pouvoir de négociation aux États-unis, puisqu’elles se font en 31 Área de Libre Comercio de las Américas: Aire de Libre échange des Amériques

32 Mercado Común del Sur

33 Communauté Andine des Nations, initiative d’intégration régionale débutée en 1969, ralliant le Venezuela, la Colombie, l’Équateur, le Pérou et la Bolivie au sein d’une union douanière.

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38

dehors du cadre de la CAN. Les TLC [34] issus de ces négociation seront signés très prochainement, moins de deux ans après le début des négociations.

Un TLC es un acuerdo comercial de carácter vinculante (cumplimiento obligatorio), de largo plazo, entre dos países. Su objetivo es eliminar los obstáculos al intercambio comercial, mejorar el acceso a bienes y servicios y favorecer la captación de inversión privada. (MACEDO, 2005)[35]

Finalement, le TLC formalise une politique économique que le Pérou a mis en place avant les années 90 : une spécialisation selon les avantages comparatifs pour stimuler l’exportation de productions horticoles, sans tenir compte de l’agriculture andine. Il n’est pas possible pour tous les agriculteurs andins de changer leurs systèmes de production vers les cultures d’exportation. En effet, les « avantages comparatifs » agricoles péruviens nécessitent des investissements très importants (asperge, artichaut…), et/ou nécessite une longue période de retour sur investissement (cultures pérennes telles que la mangue ou le raisin). Ces contraintes se trouvent à l’opposée des logiques paysanne de trésorerie. Il est vrai que le TLC va stimuler l’exportation de certains produits, mais il va aussi bénéficier à une minorité de la population qui n’investit généralement pas leur bénéfices dans le pays [36].

D’un autre coté, l’élimination progressive des barrières douanière pour les produits exportés par les États-unis vers le Pérou va porter préjudice aux agriculteurs péruviens. Jusqu’à présent, le riz était protégé à hauteur de 25% à l’entrée, le blé et l’orge à 17%, le lait à 25%. Une chute des prix à l’importation impliquera une chute des revenus pour les producteurs de ces mêmes produits. Ainsi, les paysans devront s’adapter, en ayant le choix de :

- Se replier dans l’autoconsommation, ce qui ferait augmenter la pauvreté rurale car dans la réalité, le producteur andin a toujours été intégré au marché ;

- Se spécialiser dans les cultures d’exportation pour lesquelles Huancavelica

aurait des avantages comparatifs (Artichaut, quinoa ?), ceci suppose un fort pouvoir d’investissement, met en péril la sécurité alimentaire des familles, et surtout n’est possible que pour moins de 5% des agriculteurs de Huancavelica.

- Se spécialiser vers un autre avantage comparatif du Pérou, qui est exclu des

accords de libre échange : s’exporter vers les États-unis comme main d’œuvre [37] comme cela se passe actuellement dans de nombreuses zones d’Équateur ou exporter les productions qui présentent les meilleures productivités de la terre et du travail : la culture de coca.

34 Tratado de Libre Comercio: Traités de libre échange.

35 « Un TLC est un accord commercial qui lie 2 pays sur le long terme. Son objectif est d’éliminer les obstacles aux échanges commerciaux, améliorer l’accès aux biens et services, et favoriser la captation des investissements privés » (traduction des Auteurs, 2005).

36 La superficie agricole destinée à l’exportation est estimée à 2,6% de la surface agricole totale.

37 Ce qui répondrait théoriquement à la définition du libéralisme : libre circulation des biens et des facteurs de production

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39

- Migrer à Lima pour trouver un travail en dehors de l’activité agricole, ce qui se solde souvent par des travaux précaires et un habitat dans les bidonvilles de la périphérie.

Actuellement, les négociations autour de la question agricole tournent autour des échéances d’élimination des barrières douanière sur les 5 produits sensibles (sucre, produits laitiers, riz, pomme de terre et blé), que les États-unis voudraient immédiates. Une élimination des freins à l’entrée impliquera logiquement un balancement de l’équilibre commercial en faveurs des nord-américains, mais on peut aussi craindre deux effets supplémentaires : l’entrée de produits moins chers qu’auparavant, et une stimulation du volume total importé, en détruisant les productions nationales.

En prenant en compte la corrélation entre le prix international et le prix national du blé (MACEDO, 2005), des simulations sur l’impact d’une élimination brutale et totale des barrières douanières sur les coûts de production des farines industrielles et artisanales ont été réalisées. On observe qu’une baisse de 17% du prix à l’importation du blé fera baisser le coût de la farine (sortie industrie) de 7%. Il est concevable que les boulangers exigent aux moulins artisanaux une baisse de leur prix de 7% aussi, qui devront alors acheter le blé 12,83% moins cher aux producteurs, afin de conserver leur marge. 4.2 DISCUSSION

Le département de Huancavelica est donc un département fondamentalement rural où l’activité agricole emploie 77,5 % des actifs [MINAG, 2003]. Les agriculteurs de Huancavelica sont des minifundistes [38] qui pratiquent une agriculture de subsistance manuelle, parfois à traction attelée légère, dans le cadre de systèmes de productions familiaux diversifiés, aux systèmes de culture et d’élevage en interrelation étroite. La plupart des terres cultivables se situent au-dessus de 3000 m d’altitude sur des versant montagneux abrupts, ce qui impose de fortes contraintes agronomiques (gel, grêle, impossibilité de moto mécaniser…). La zone de culture s’étend jusqu’à environ 4000 mètres ; au delà, seul l’élevage de camélidés andins et d’ovins est possible.

Dans ce département, la malnutrition chronique atteint un taux de 53,4 %. La quasi absence de fruits, de légumes et de protéines animales dans le régime alimentaire cause de graves déficiences en vitamines et en fer, particulièrement chez les jeunes enfants. Pourtant la ration calorifique est suffisante pour ces familles paysannes qui autoproduisent leur alimentation jusqu’à 85% du total des calories ingérées. La malnutrition n’est pas due à un manque de disponibilité en aliments mais aux très faibles revenus des agriculteurs de Huancavelica [39] : le taux de pauvreté [40] atteint 88% en 2005, ce qui place le département à la deuxième place du département le plus pauvre. Enfin la violence de l’Histoire contemporaine a inhibé toute velléité d’organisation agricole, considérée comme « collectiviste », contraignante, suspecte...

38 Ces agriculteurs cultivent de très petites surfaces : 60% des agriculteurs ont moins de 3 ha et sont minifundistes [Grésillon, 2004].

39 “Existe Seguridad Alimentaría cuando todas las personas tienen en todo momento acceso físico y económico a suficientes alimentos inocuos y nutritivos para satisfacer sus necesidades alimentarías y sus preferencias en cuanto a los alimentos a fin de llevar una vida activa y sana” (Plan de Acción de la Cumbre Mundial sobre la Alimentación, Roma, 1996)

40 Pourcentage de la population qui vit avec moins de 2 USD par jour.

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40

Pour pallier la malnutrition, d’origine économique, l’État a mis en place une politique d’assistanat qui consiste à distribuer des aliments aux populations agricoles. Depuis peu s’ajoute à ce mandat un objectif de développement économique local en subventionnant l’achat de produits agricoles aux petits producteurs et artisans locaux. L’évolution du mandat de l’État vis-à-vis de la sécurité alimentaire se fait conjointement à un processus de décentralisation et de libéralisation de l’économie. Dans ce cadre, les pouvoirs publics sont demandeurs d’un appui à la fois méthodologique, conceptuel et logistique (réseaux), que peuvent dispenser les acteurs de la société civile. C’est dans ce contexte qu’interviennent de nombreuses ONG [41] de développement qui agissent pour le moment sans coordination entre elles ni avec l’État car elles sont souvent en situation de « concurrence idéologique », de zone d’influence, et même en concurrence pour « trouver des marchés pour leurs bénéficiaires » sur lesquels elles seront jugées (concurrence de type industrielle).

L’ouverture économique des frontières par la signature de traités bilatéraux néo-libéraux poursuit la tendance à la chute des prix des produits agricoles péruviens –concurrencées par les importations - et au désengagement progressif de l’État. Les ONG cautionnent ces modalités de la libéralisation des marchés, et élaborent des stratégies pour s’adapter à cet état de fait en développant les cultures pour lesquelles Huancavelica a des avantages comparatifs (l’artichaut) et en proposant des marchés de niche où l’ONG est l’unique intermédiaire.

Dans ce contexte de chute des prix, de mise en concurrence directe de pays dont les productivités sont extrêmement différentes, l’État, la société civile et les Agriculteurs essayent d’élaborer différentes stratégies en référence à certains cadres théoriques, que nous discuterons. Les acteurs du développement sont guidés par les deux premiers cadres conceptuels que nous présenterons ci dessous. Deux autres modèles alternatifs seront envisagés, comme fruits de cette étude mais vont à l’encontre de la pensée dominante au Pérou, puisqu’ils s’énoncent clairement en rupture avec le modèle libéral (moins d’intervention de l’État dans l’économie, intégration du local au global). La confrontation de ces modèles pour des alternatives fournira du « grain à moudre » au débat politique et sociotechnique concernant la valorisation des productions céréalières à Huancavelica. Les quatre modèles d’alternatives sont :

1. S’adapter au nouveau contexte économique et produire ce pour quoi le département de Huancavelica présente des avantages comparatifs, définis par les marchés de niches rencontrés par les ONG. C’est l’option de l’adaptation libérale ;

2. Compenser la baisse des prix par une intensification de la productivité de la terre ;

3. Compenser la baisse des prix des produits agricoles sur le marché international par un soutien de l’État, soit pas des barrières douanières à l’entrée des produits agricoles issus du marché mondial, soit par des subventions à l’agriculture nationale (directes ou indirecte) ;

4. Différencier et qualifier les produits de Huancavelica sur le marché national afin d’en protéger l’existence d’une part, de les vendre avec plus de valeur ajoutée d’autre part et de privilégier une économie de proximités enfin, valorisant le territoire spécifique des Andes, dont la richesse et la typicité ne sont pas simplement fondées par la culture « ancestrale incaïque »….

41 On recense 52 ONG dans le département de Huancavelica en 2005

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4.2.1 Modèles de pensée dominants

S’adapter au nouveau contexte : les avantages comparatifs.

Les politiques actuelles sont la « mise en pratique d’une utopie –le néolibéralisme- ainsi convertie en programme politique, mais une utopie qui, avec l’aide de la théorie économique dont elle se réclame, parvient à se penser comme la description scientifique du réel » (BOURDIEU, 1998)

Il est évident pour tous les acteurs du développement de Huancavelica que les prix sont fixés par les lois de l’offre et de la demande au sein de marchés qui souffriraient toutefois d’un manque d’information pour être « purs et parfaits ». Dans ce modèle de pensée, les projets qui s’appliquent aux filières sont logiquement orientés vers de meilleures réponses à la « demande », dont seules les ONG opératrices connaissent la structure.

Le discours dominant au sein de la communauté d’ONG de Huancavelica consiste ainsi à considérer qu’il est inespéré de lutter contre la tendance libérale qui s’est développé dans les pays andins. Il faut donc s’adapter, au sens « darwinien », et les principaux enjeux du développement économique andin sont donc de mieux se positionner, sur des marchés de niche (marchés de l’agriculture biologique ou du commerce équitable).

Si ces marchés de niche peuvent présenter des perspectives intéressantes pour quelques rares producteurs de Huancavelica - ceux qui ont le plus de capital, les meilleures terres et qui bénéficient de l’appui d’ONG -, il n’en demeure pas moins que ces marchés ne pourront pas augmenter les revenus des 300 000 personnes qui vivent de l’agriculture à Huancavelica et qui ont peu d’avantages comparatifs à exploiter leurs terres.

L’intensification agricole

Une autre alternative est envisagée : compenser l’inévitable chute des prix par une augmentation de la production agricole. Cette alternative présente une première contrainte, le milieu : la quasi-totalité des terres cultivées à Huancavelica sont situées sur des zones en pentes, impossibles à motomécaniser. On peut penser à une augmentation des rendements à l’hectare via l’application d’engrais, ou de produits phytosanitaires pour la pomme de terre et l’introduction de variétés améliorées. Il faudrait pour cela étudier finement l’intérêt économique, les possibilités techniques et financières des agriculteurs pour développer des pratiques agricoles plus intensives, ce qui implique un changement d’attitude de la recherche péruvienne, qui ne parvient jusqu’à présent pas à sortir des modèles de « paquets techniques » diffusés par les ONG. L’intensification suppose également un accès à du microcrédit adapté aux activités agricoles et ménagères. Une ONG spécialisée dans le domaine du microcrédit pourrait proposer des crédits, tout en tirant les leçons des échecs des ONG généralistes dans ce domaine.

Comme le défini Pecqueur (2005): « le local n’est plus seulement le lieu légitimé d’action économique mais plus encore un niveau crucial d’adaptation au global, une modalité centrale de la régulation du capitalisme contemporain ». Autrement dit, le local peut être envisagé comme un espace privilégié de « réaction au global ». Dans ce nouveau cadre théorique, la stabilisation des marchés au niveau local est une condition sine qua non pour que l’ultra globalisation ne provoque pas une « sortie de piste économique » d’un département isolé comme celui de Huancavelica, qui par ses productions (blé, orge, pomme de terre et lait) est susceptible d’être éjectée de

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l’économie nationale via des importations croissantes. Une « réaction du local » devrait aussi passer par le renforcement d’une identité locale et territoriale et d’un lien fort entre la production, la commercialisation et la consommation, en favorisant les échanges économiques et les externalités positives (notamment l’induction de la création de rapport de coopération avec des nouvelles entreprises insérées dans la filière). Il s’agirait alors de développer des filières différentiées qui constitueraient au sein d’un même territoire, un Système Agro-alimentaire Localisé (SYAL).

4.2.2 Modèles réactivés pour d’autres alternatives

Le protectionnisme étatique

Les mesures protectionnistes [42] sont par définition mises en place par l’État afin de protéger les productions nationales des importations : barrières douanières, subventions à l’exportation, normes sanitaires, constituent quelques exemples des outils mobilisés par certains états.

Le Pérou a déjà mis en place un certain nombre d’outils visant à protéger les agricultures familiales andines. Il a ainsi imposé une taxation de 17% du prix CAF pour l’importation de blé ou d’orge. Cependant, ces mesures n’ont pas suffit à infléchir l’augmentation des importations de blé, et le Pérou importe aujourd’hui plus de 90% du blé qu’il consomme.

L’État a aussi mis en place un système d’appui indirect à l’agriculture familiale : l’aide alimentaire. En effet, le système législatif péruvien impose à l’État d’acheter des aliments à prix relativement élevé aux petits paysans pour les redistribuer aux populations les plus exposés à la malnutrition. Le système d’achat impose à l’État décentralisé de se fournir localement pour valoriser les productions locales. Si la mise en pratique de cet outil est controversé, la perspective du TLC ne semble pas mettre en péril les programmes d’aide alimentaire internes au Pérou, qui resteront peut être les seuls outils de politique publique permettant à l’État d’intervenir sur les prix agricoles.

La qualification des filières locales

Forte concurrence entre industriels et artisanaux

Les petites entreprises artisanales de meunerie de Huancavelica sont en concurrence directe avec les 9 principales industries meunières de Lima, qui constituent un véritable lobby national. Elles sont en effet regroupées au sein de la SNI [43], syndicat défendant les intérêts des industriels péruviens ayant d’importantes connexions avec le gouvernement. L’une des stratégies de ces entreprises est de communiquer sur la qualité et l’innocuité de leurs produits. Cette communication joue sur plusieurs plans :

- L’origine de la matière première, importée ;

- Les processus de fabrication industriels « propres », avec une haute technologie ;

- La grande valeur nutritive, avec un enrichissement des farines en fer ;

42 La théorie du « protectionnisme » a été développée par l’économiste libéral Friedrich List, selon qui le protectionnisme était une mesure nécessaire à court terme pour initier le développement d’une économie, en considérant que le libre-échange n’était concevable qu’entre nations ayant des niveaux de productivités équivalents. Ainsi, un pays, une fois ayant rattrapé le niveau productif des autres pourra ouvrir ses frontières et viser le libre-échange à long terme.

43 Sociedad Nacional de Industrias.

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- Le rôle de ces entreprises dans l’économie nationale, avec le logo « Cómprale al Perú ».

L’État péruvien appuie les initiatives de ces industriels, ajuste même le cadre législatif en faveur de leurs intérêts. La construction industrielle de la qualité se fait ici par opposition à l’activité transformatrice artisanale « sale, aux procédés de transformations rudimentaires ».

L’État et le SNI ont développé plusieurs signes de qualité sur les farines : ainsi par exemple, le logo apparaissant systématiquement sur les paquets de farines de toutes les entreprises appartenant au SNI, qui garantit un taux de fer minimum dans le cadre d’un programme national de lutte contre la malnutrition ou le logo des industriels incitant les consommateurs à acheter des produits nationaux. Au-delà de la contrainte technologique (il est impossible à l’heure actuelle pour les artisans d’enrichir leurs farines en fer), l’utilisation de ces codes visuels de qualité est aussi une contrainte, de type institutionnel cette fois puisque seules les industries meunières membres du SNI peuvent les utiliser.

Le contexte institutionnel, normatif et législatif n’est donc pas à la faveur des entreprises artisanales et peut même constituer un obstacle à l’entrée de produits artisanaux non différentiés sur les marchés ; cette exclusion évidente renforce le caractère clandestin et suspect des procédés de transformation artisanaux.

Construction sociale de la qualité

Il convient alors d’étudier plus en détail les critères à partir desquels pourrait se construire un processus de qualification des produits de meuneries et de boulangerie artisanaux.

Actuellement, la qualité d’un produit est définie par son origine technologique, et peu par son origine géographique. En effet, dans les systèmes de référence communs à tous les acteurs de la filière, l’élaboration d’un produit par un procédé industriel est une garantie de son innocuité sanitaire. En effet, les industries meunières répondent à des normes internationales (normes ISO) leur permettant d’exporter des produits transformés. De plus, ces entreprises transforment des céréales importées de pays riches, ce qui rassure les consommateurs péruviens sur les conditions de production « modernes, homogènes et mécanisées ». On peut rattacher le développement de ce système de référence à l’histoire des politiques d’importations et de la dévalorisation des productions nationales (mythe de la technification). Face à cela, les micro-entreprises artisanales ne peuvent pas assurer des procédés de transformation totalement « hygiéniques » car elles n’ont pas eu les moyens de s’adapter à l’évolution du contexte technologique et normatif. Par contre, les transformateurs locaux sont en mesure de garantir l’origine géographique des produits qu’ils transforment, et les consommateurs locaux y sont sensibles (les produits locaux sont réputés plus nourrissants et produits plus « naturellement » (sous-entendu sans intrants)). Ces consommateurs sont par ailleurs attentifs à trois autres « signaux » de la qualité alimentaire sur des produits artisanaux locaux :

- des signes visuels comme la blancheur de la farine ou du pain (signe de propreté et de pureté), la finesse de meunerie, etc. fondent la confiance dans un produit ;

- des logos de qualité, qui assurent le respect d’un cahier des charges et impliquent des contrôles réguliers de l’innocuité du produit. Mais Pour le moment, seuls les industriels, appuyés par l’État, ont développé ce type de signes de qualité exclusifs (les fabricants artisanaux ne peuvent les utiliser) ;

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- enfin la confiance dans un meunier ou un vendeur, mais qui ne peut réellement s’établir que dans des réseaux et circuits courts ;

Comme les producteurs artisanaux n’ont pas les moyens d’assurer et de mesurer la qualité de leurs produits, ni de communiquer sur le travail artisanal, la compétition industries/artisanat se traduit essentiellement, dans l’esprit du consommateur, par une suspicion envers les produits artisanaux et la fabrication artisanale.

Pour renverser la tendance et revaloriser les produits artisanaux aux yeux des consommateurs urbains et ruraux, il faudrait que l’ensemble de la filière (agriculteurs, transformateurs, acteurs institutionnels) se mobilise pour définir et valoriser le travail artisanal, activer une dynamique complexe d’innovations, de différenciation et d’amélioration de la qualité hygiénique mesurable. Cette alternative repose nécessairement sur la construction d’un projet collectif fédérateur.

Projet collectif fédérateur : des spécificités, des réseaux et des coordinations à renforcer

La mise en place d’un projet collectif autour de la qualification des produits de Huancavelica doit nécessairement s’appuyer sur les forces existantes au niveau local et provoquer, inciter plus de coordination et de concertation entre différents acteurs présents à Huancavelica. Il ne s’agit pas seulement de communiquer et de coordonner les projets entre eux mais bien de mettre en place un projet collectif, qui aille au delà de la simple diffusion par les institutions du développement de modèles techniques de renforcement des filières. L’ensemble des acteurs des filières doivent être concernés et prendre part à la construction et à la formulation d’un référentiel commun autour de la qualité des produits artisanaux, propres à Huancavelica : agriculteurs, transformateurs (meuniers, boulangers, etc.), commerçants, consommateurs, État et ONG. Cette coordination permettrait de se concerter notamment sur des « qualités » attendues. Le renforcement des coordinations entre ces acteurs permettrait aussi de créer des références et des valeurs communes, de faire émerger de nouvelles idées et de l’innovation. Mais pour faire reconnaître ces coordinations renforcées et les valoriser dans la sphère publique des marchés et des transactions (locales et nationales), il faut construire (ou s’appuyer sur, s’ils existent) des outils institutionnels (cahier des charges et modalité d’évaluation, logo, etc.) que seul l’État peut légitimer ou défendre, appuyé par la volonté des acteurs des filières.

Huancavelica présente des avantages à valoriser, sur lesquels on peut envisager de construire une concertation locale entre acteurs : un tissu économique d’Agro-industries Rurales, de bons réseaux de commercialisation, un milieu andin spécifique, une société unie par ses valeurs, des agents de l’État intéressés par une coopération avec les ONG. Le rapprochement des AIR via des relations de coopération plus visibles et mieux reconnues, permettrait de dynamiser le développement économique à Huancavelica.

L’État, on l’a vu, est présent à Huancavelica, et dispose d’outils institutionnels permettant de différencier et de valoriser les produits (cf. logo de qualité attribués aux industriels). On peut alors envisager l’appui d’un juriste pour étudier plus précisément la législation alimentaire péruvienne et construire des outils spécifiques permettant de différencier et de qualifier les produits artisanaux. Ce qui implique ici aussi de donner aux acteurs les moyens d’évaluer la qualité. Tout État dispose d’une loi sur le commerce et la protection des biens qui constitue une base légale pour protéger et/ou qualifier des produits à condition que cet arsenal juridique soit vulgarisé par les ministères compétents aux différents échelons locaux de la décentralisation et auprès

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des secteurs professionnels susceptibles d’être concernés par ces outils de protection ou de certification légale.

Par ailleurs, L’État, au travers des programmes d’aide alimentaire (PRONAA et PVL), dispose de relais d’intervention concrets dont on a vu l’efficacité locale mais qui pourraient être encore plus impliqués (ou engagés) pour avoir une efficacité économique plus grande. Cet engagement institutionnel est possible, mais cela implique que les services de l‘État s’engagent à s’approvisionner après des micro entreprises avec des prix équilibrés par rapport au marché national ou à celui des importations (en bref un prix compétitif intéressant pour les acteurs locaux). Les ONG, dans ce contexte, peuvent avoir un rôle pour initier et accompagner des coordinations plus fréquentes entre marchés d’État et acteurs artisanaux des filières.

Concrètement, l’État pourrait :

• Rendre plus transparents et accessibles les marchés bonifiés étatiques pour les petits agriculteurs et les artisans de Huancavelica. Les services de l’État tels que la DIRESA, la SUNAT, le PRONAA, le PVL pourraient, au travers des réseaux existants (association des boulangers de Huancavelica, réseaux d’AIR des ONG, tables de concertation sur la sécurité alimentaire, etc.), proposer des formation et faciliter l’accès à l’information, notamment :

- pour la DIRESA : autour des normes sanitaires, des démarches administratives pour formaliser les processus de fabrication « propres » (guide de bonnes pratiques, obtention du registre sanitaire, de l’habilitación de planta par exemple) et sur les équipements qui assurent l’innocuité des produits ;

- pour la SUNAT et le Ministère de Travail : autour de la formalisation et de la constitution légale d’une entreprise ;

- Pour le PRONAA et le PVL : autour des processus d’acquisition de produit agricoles par l’État et autour des objectifs de ces programmes d’aide alimentaire ;

• Mettre en place des outils légaux de promotion de l’agriculture et des petites entreprises locales,

- par des réduction d’impôts les premières années d’activité, par un appui administratif et comptable,

- par l’assouplissement des conditions d’achat auprès des producteurs locaux (agriculteurs et AIR) et l’exclusion de fournisseurs de denrées alimentaires extérieurs qui ne participent pas pleinement au développement local, en interdisant les farines de soja dans l’aide alimentaire par exemple.

- Par la mise en place aussi de signes de qualité locaux, concertés avec les AIR et les paysans ;

- Sensibiliser les consommateurs à la consommation de produits régionaux ;

• Intégrer ces mesures dans des politiques publiques de développement cohérentes ;

D’autre part, une meilleure coordination entre les acteurs devrait aussi aboutir à la construction concertée d’outils de communication sur les réalités du travail artisanal, sur

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l’hygiène (vitrine, emballage) et l’homogénéité des pratiques. Là encore les ONG peuvent jouer un rôle d’accompagnement et de sensibilisation important.

Les logos, encore peu présents dans le paysage alimentaire péruvien, peuvent avoir un impact positif dans la revalorisation du caractère artisanal des produits de Huancavelica, si d’une part ils sont la traduction visuelle d’une réglementation ou d’un cahier des charges qui éclaire et rassure le consommateur et si d’autre part ils jouent sur des représentations locales reconnues par les acteurs de la filière (les consommateurs inclus); On peut penser par exemple à la création d’un logo spécifique du type « produit artisanal de Huancavelica » ou même se rallier à l’initiative panaméricaine du label « produit paysans latino-américain de qualité » (OYARZUN, TARTAGNAC et RIVEROS, 2002).

La construction et le renforcement des coordinations dans la filière céréalière de Huancavelica pourrait se traduire par un rapprochement des AIR au travers d’une Fédération Nationale des Transformateurs Artisanaux du Pérou par exemple, mettant en relation les AIR de différentes filières (notamment lait, céréales) de différentes régions, ou dans un premier temps à l’échelle du département puisque les problématiques qui concernent la transformation artisanale à cette dernière échelle présentent des contraintes similaires (GRESILLON, 2004). Cette construction institutionnelle aurait le mérite d’articuler différents groupes d’acteurs autour de thèmes et de problèmes communs, de les faire connaître et reconnaître à l’échelle nationale et de leur donner un poids significatif dans d’éventuelles négociations commerciales (internationales).

Une fois de plus le rôle d’une ONG dans ce contexte dynamique peut être déterminant en proposant des outils et méthodes de négociation, de concertation, de médiation ainsi que des « porte parole » pour faire reconnaître ces organisations et institutions nouvelles auprès de l’état. Pour le moment, les ONG craignent souvent de s’associer avec l’État ou même entre elles. Mais le processus de décentralisation donne plus de marge de manœuvre aux gouvernements locaux que les ONG auraient intérêt à prendre en compte dans une perspective de construction et d’accompagnement comme celle que nous proposons. Le rôle des ONG pourrait ainsi par exemple évoluer vers une activité d’animation de réseaux d’acteurs locaux, orientée vers l’initiation ou le renforcement de coordinations entre acteurs impliquant l’État local. Les ONG pourraient dans ce cadre nouer des partenariats avec d’une part l’État, d’autre part avec les acteurs des filières et enfin entre elles. On sait par ailleurs, qu’il y a une attente de la part de l’État pour plus de coordinations avec la société civile, afin de mieux répartir les rôles et de travailler ensemble : une légitimation plus forte de l’état décentralisé passe en effet par ce type d’alliances officielles à l’échelon local.

Concrètement, le rôle des ONG à Huancavelica pourrait être de :

• Renforcer des coordinations entre elles, et avec l’État. Les tables de concertation interinstitutionnelles doivent passer de lieu de discussion et de débat à des lieux de coordination d’actions communes :

- Entre ONG, partager les expériences d’action, capitaliser de l’information, se répartir les rôles ;

- S’unir pour faire pression (incidence institutionnelle), autant à Huancavelica qu’à Lima, pour faire évoluer l’environnement normatif en adéquation avec les réalités productives locales, pour intégrer les producteurs et artisans de Huancavelica à des réseaux nationaux (syndicats interprofessionnels) ou internationaux (réseaux des petites industries d’Amérique Latine) ;

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- Accompagner le PRONAA, pour aller vers une aide alimentaire qui proviendrait à 100% du département de Huancavelica et dont le fonctionnement serait plus adapté aux trésoreries rurales (constitution de cartes de production provinciales par produit, élaboration de « paniers régionaux », sensibilisation auprès des clubes de madres, paiement au comptant de la part du PRONAA, etc.) ;

- Appuyer les gouvernements régionaux dans le cadre des processus de décentralisation ;

- Renforcer les coordinations entre marchés alimentaires et fournisseurs potentiels, renforcer l’accès à l’information sur les processus d’appel d’offre publics ;

• Faire un appui institutionnel et juridique autour des processus légaux de certification et des moyens légaux de protection de certains produits, modes de fabrication ou structures d’entreprise ;

• Appuyer l’innovation technologique des AIR par l’aide à l’expérimentation ;

• Proposer une offre en microcrédit par des ONG spécialisées, sur la base de la connaissance des logiques économiques paysanne et des processus d’achat de la part de l’État ;

Enfin, les grands bailleurs de fonds semblent changer d’orientation : ainsi par exemple certains programmes européens ont pour projet de financer des actions de promotion et de soutien de filières localisées. Il est donc peut être temps de profiter de ce nouveau contexte pour défendre et renforcer la filière céréalière andine au Pérou, sans pour autant se limiter à la seule qualification marchande de « céréales ethniques », déjà populaires en Occident mais faiblement rentables (voire risquées) dans des territoires comme celui de Huancavelica. C’est avec tous les acteurs de la filière céréales qu’il faut penser le développement de l’agriculture andine….

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CONCLUSION

Cette étude a permis de mettre en relief que les paysans du département de Huancavelica ont peu d’avantages comparatifs pour la culture de céréales. Les céréales, et principalement l’orge, jouent un rôle économique majeur au sein des ménages ruraux, et permettent en partie d’assurer la sécurité alimentaire familiale, puisque elles sont principalement autoconsommées, et car la vente d’une partie de la récolte permet les mouvements de trésoreries sur des périodes très courtes, nécessaires à l’achat d’aliments exogènes. La culture des céréales traditionnelles (quinoa et amarante), trop risquée et trop peu rémunérée, ne fait quant à elle plus partie de la réalité productive de cette région et présente donc peu de perspectives de marchés de niches à l’exportation. La présence en 2005 d’un tissu agricole dense, malgré une perte de pouvoir d’achat des paysans de 60% en 20 ans, montre bien que les agricultures familiales andines sont très flexibles et réactives aux modifications de leur environnement. Cependant, cette perte de pouvoir d’achat a eu comme effet chez les paysans un repli dans l’autoconsommation, ce qui peut être néfaste pour les dynamiques économiques locales.

Les agriculteurs vendent leurs surplus de céréales à des acheteurs et intermédiaires locaux organisés en réseaux, qui sont créateurs d’emplois et efficaces pour regrouper et trier une offre extrêmement atomisée et hétérogène. La majorité des céréales vendues dans les ferias sont transportées en grain vers la ville de Huancayo où elles sont transformées, puis vendus sur les marchés conventionnels ou à l’État, pour les marchés d’aide alimentaire. Les marchés d’État sont très rémunérateurs et ont comme mandat d’acheter à des petits agriculteurs et artisans-transformateurs locaux, mais ils sont peu efficaces et peu transparents, de telle sorte que très peu d’agriculteurs et de petits transformateurs réussissent à vendre leurs produits directement à l’État.

Pourtant, les meuniers et les boulangers locaux sont très nombreux à Huancavelica, mais ils sont exclus des marchés conventionnels nationaux ainsi que des marchés bonifiés étatiques (surtout du PVL), et leur activité se restreint souvent à de la prestation de service. L’accès de ces artisans à ces marchés leur permettrait d’initier une capitalisation qui entraînerait un processus d’activation d’innovations et de création de valeur ajoutée qui pourrait se répercuter en amont comme en aval de la filière.

Les questions centrales auxquelles les acteurs du développement doivent répondre pour agir sont donc : « Comment rapatrier la valeur ajoutée des céréales de Huancavelica ? » et « Comment activer des actions collectives concertées entre l’ensemble des acteurs des filières céréales de Huancavelica pour valoriser les produits locaux ?».

Il s’agit donc bien de valoriser les coordinations entre acteurs afin d’activer des dynamiques territoriales. Il existe toutes les compétences locales, et notamment les savoir-faire ainsi que des ébauches de réseaux (formels ou non), pour réaliser un projet collectif qui permette la valorisation des qualités locales, grâce à l’élaboration d’un cadre de référence commun.

Nous proposons donc aux différents acteurs des filières (agriculteurs, transformateurs, consommateurs, ONG et État) d’entamer un débat concerté autour de la construction sociale de la qualité et de son lien avec le territoire et d’agir pour que l’aide alimentaire soit un réel outil de stimulation des économies locales. En effet, l’État a une légitimité d’action et de promotion du développement économique régional,

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mais se confronte à un manque de moyens, de formation et de réseau, que les ONG pourraient lui apporter.

Pour les ONG, il s’agit de :

• Renforcer des coordinations entre elles, et avec l’État, pour faire circuler de l’information, capitaliser des compétences et des connaissances autour des filières et des marchés étatiques du département ;

• Appuyer les gouvernements régionaux dans le cadre des processus de décentralisation ;

• Animer des situations de rapprochement entre acteurs (notamment État et AIR, intégrer les AIR de Huancavelica dans des réseaux nationaux et d’Amérique Latine), renforcer l’accès à l’information, les réseaux et les situations de coopération ;

• Faire un appui institutionnel et juridique autour des processus légaux de certification et des moyens légaux de protection de certains produits, modes de fabrication ou structures d’entreprise ;

• Appuyer l’innovation technologique des AIR par l’aide à l’expérimentation ;

• Proposer une offre en microcrédit par des ONG spécialisées, sur la base de la connaissance des logiques économiques paysanne et des processus d’achat de la part de l’État ;

Pour l’État, il s’agit de : • Rendre plus transparents et accessibles les marchés bonifiés étatiques pour

les petits agriculteurs et les artisans de Huancavelica ;

• Mettre en place des outils légaux de promotion des petites entreprises locales ;

• Intégrer ces mesures dans des politiques publiques de développement cohérentes ;

Il s’agit donc bien de replacer l’État au centre des politiques de développement et les ONG dans l’accompagnement de celles-ci. De plus, la société civile doit être consciente qu’il est possible de demander et d’obtenir des interventions d’État pour établir des arrêtés régionaux afin de protéger l’économie locale. Les ONG ne doivent pas toujours accepter de s’adapter aux nouvelles lois promulguées par des lobbies nationaux et s’unir pour exercer une incidence institutionnelle forte.

La perspective des accords de libre échange, en passe d’être signés, laisse penser que les revenus agricoles à Huancavelica vont continuer à diminuer, et que les agriculteurs et les artisans auront du mal à s’adapter à ce nouveau contexte sans aides à l’investissement, à la reconversion, à l’innovation, et sans accès à l’information. De plus, la constitution de réseaux locaux de producteurs, agro-industries rurales (moulins, boulangers) et consommateurs autour d’une construction sociale de la qualité reposant sur des valeurs communes, paraît une alternative de défense contre le « tout global, tout standard » et de maintien d’activité dans une zone rurale défavorisée.

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http://www.regionhuancavelica.gob.pe/ Sitio del Gobierno Regional de Huancavelica (Perú)