Validité de l'Opinion Dissidente - RTD Com. 2009, p.543- 11112009

download Validité de l'Opinion Dissidente - RTD Com. 2009, p.543- 11112009

If you can't read please download the document

description

Opinion dissidente droit français arbitrage

Transcript of Validité de l'Opinion Dissidente - RTD Com. 2009, p.543- 11112009

LOQUIN (E.), La validit de l'opinion dissidente en droit franais interne et international de l'arbitrage, RTD com. 2009, p. 543.

RTD Com. 2009 p. 543

La validit de l'opinion dissidente en droit franais interne et international de l'arbitrage

(Paris, 1re ch. C, 9 oct. 2008, n 07/6619, SAS Merial c/ St Klocke Verpackungs - Service Gmbh, indit)

Eric Loquin, Professeur l'Universit de Bourgogne, Doyen honoraire de la Facult de droit de Dijon

Voici une intressante dcision qui claire une question encore trs discute. L'arrt comment confirme que la violation du secret du dlibr n'est pas une cause de nullit de la sentence, tant en matire interne qu'internationale. Elle juge galement, et tel est le principal intrt de la dcision, que le secret du dlibr ne fait pas par principe obstacle l'expression d'opinions dissidentes ou spares. En effet, la cour d'appel de Paris juge, en matire internationale, que s'agissant du secret du dlibr, l'acte de mission prvoit que les rgles applicables la procdure sont celles qui rsultent du rglement d'arbitrage de la CCI en vigueur le 1er janvier 1998 ; qu'en consquence la violation du principe du secret du dlibr devant les juridictions consacr par l'article 448 du code de procdure civile, dont excipe le requrant, n'est pas applicable en l'espce ; que le secret du dlibr, qui n'est pas plus une cause d'annulation de la sentence en droit international qu'en droit interne, ne fait d'ailleurs pas par principe obstacle l'expression d'opinions dissidentes ou spares ; qu'ainsi le requrant n'identifie pas en quoi l'existence d'une opinion dissidente serait de nature heurter la conception de l'ordre public international ds lors que le principe de la collgialit et du dlibr a bien t respect .

Certaines obligations de confidentialit admises par le droit positif de l'arbitrage trouvent leur cause dans la mission juridictionnelle confie l'arbitre. Il n'est alors pas tonnant que de telles obligations de confidentialit soient expressment prvues par les dispositions lgales encadrant l'activit juridictionnelle de l?arbitre. Le secret du dlibr arbitral est affirm par l'article 1469 du code de procdure civile franais : les dlibrations des arbitres sont secrtes (V. J.-D. Bredin, Le secret du dlibr, Mlanges P. Bellet, Litec, 1991, p. 71 ; E. Loquin, Les obligations de confidentialit dans l'arbitrage, Rev. arb. 2006. 323 ; E. Gaillard, Le principe de confidentialit dans l' arbitrage international, Rev. arb. 1997. 153). Aussi, l'article 448 du code de procdure civile invoqu en l'espce n'est pas applicable l'arbitrage, mais trouve son pendant dans l'article 1469 du code de procdure civile. En matire d' arbitrage international, ce dernier texte n'est applicable que si la loi franaise est applicable la procdure arbitrale ou si le respect du principe de confidentialit est considr par le juge franais de l'annulation comme d'ordre public international. Les parties ayant convenu de l'application du Rglement d' arbitrage de la Chambre de commerce international, ce rglement pouvait suffire lui-mme pour organiser la procdure arbitrale. En effet, l'article 1464 du code de procdure civile nonce que la convention d'arbitrage peut, directement ou par rfrence un rglement d'arbitrage, rgler la procdure suivre dans l'instance arbitrale . Dans ce cas, le tribunal arbitral n'est pas tenu d'appliquer la procdure d'arbitrage les dispositions propres l'arbitrage prvues par la loi d'un tat. Le Rglement d'arbitrage de la CCI ne contient aucune disposition concernant le secret du dlibr ou la question des opinions dissidentes. En revanche, les dispositions d'ordre public international de la loi du sige, ici le droit franais, ou de celle du pays requis pour l'excution de la sentence, s'imposent l'arbitre et pourrait fonder le respect de ce principe.

Le principe du secret du dlibr est trs clairement li la mission juridictionnelle des arbitres. Sur le mme fondement, il est impos, en droit franais, aux juges de l'tat par l'article 448 du code de procdure civile. Le principe du secret du dlibr impose aux membres du tribunal arbitral de ne pas rvler en particulier aux parties, toute la fois l'opinion individuelle des arbitres, mais galement l'opinion collective du tribunal arbitral sur le litige, au moins tant que la sentence n'a pas t rendue. L'obligation de secret qui pse sur les arbitres est impose la fois par le principe de l'galit des parties et des droits de la dfense et celui de l'indpendance de l'arbitre.

Mais chronologiquement, l'imprativit du principe est variable. Il faut distinguer selon que le secret du dlibr est viol pendant l'instance arbitrale ou une fois la sentence rendue. Le dlibr, malgr les termes restrictifs de l'article 1468 du code de procdure civile, qui nonce que l'arbitre fixe la date laquelle l'affaire sera mise en dlibr, n'est pas un instant dtermin de la procdure. Le dlibr s'tend sur tout le temps de la procdure (Y. Derains crit avec raison que le dlibr commence ds que le tribunal arbitral entre en action , La pratique du dlibr arbitral, in International Law, Commerce and dispute Resolution, Mlanges Briner, ICC 2005, p. 226 s.). Le dlibr stricto sensu vis par l'article 1460 du code de procdure civile n'est en ralit que la phase ultime des relations entre les arbitres, qui se dveloppent et qui existent ds que le tribunal arbitral entreprend les oprations d'arbitrage et dont l'ensemble forme le dlibr, jusqu'au moment o la sentence est rendue. Pendant cette priode, le principe du secret du dlibr s'impose imprativement aux arbitres afin de respecter l'galit des parties et le respect des droits de la dfense. Les liens privilgis qui peuvent exister entre l'une des parties et l'arbitre qu'elle a dsign, expliquent la force que le principe devrait avoir en matire d'arbitrage. Le dlibr n'est plus secret ds lors que l'un des arbitres manifeste une vritable collusion avec l'une des parties en jouant un rle d'informateur, tenant rgulirement au courant cette dernire de l'volution de l'opinion de chacun des arbitres sur le litige soumis l'arbitrage (cf. Derains, op. cit.). Il est certain qu'une telle attitude rompt l'galit entre les parties, considre comme un principe gnral de procdure relevant de l'ordre public procdural (Paris, 25 mai 1990, Rev. arb. 1990. 892, note de Boissson). En effet, informe de l'volution de la pense du tribunal arbitral, la partie bnficiaire de ces informations, pourra adapter sa stratgie procdurale et ses arguments la situation.

S'agissant de la violation d'un principe d'ordre public procdural, qui appartient l'ordre public international de notre point de vue, car il intresse le procs quitable, la violation du secret du dlibr pendant l'instance arbitrale pourra fonder un recours en annulation dirig contre la sentence. Mais l'hypothse ne se rencontrera que rarement, tant il est vrai qu'il sera trs difficile d'apporter la preuve d'une telle violation. On peut galement, en cours d'instance arbitrale, concevoir une action en rcusation pour partialit de l'arbitre convaincu d'avoir mconnu le principe.

Une fois l'affaire mise en dlibr, la violation du secret du dlibr parat moins calamiteuse au regard du principe du procs quitable. La partie informe ne pourra plus se servir des informations obtenues pour orienter ses prtentions. Le principe d'galit n'est plus concern.

Le principe du secret du dlibr est alors une rgle visant protger l'indpendance de l'arbitre. La protection du secret du dlibr permet chaque arbitre d'exprimer librement son opinion sans craindre, qu'ensuite, l'une des parties lui fasse grief de celle-ci.

Ce fondement explique les nombreuses drogations au principe permises par la jurisprudence tant en droit interne qu'international de l'arbitrage. Il explique aussi, comme le juge l'arrt comment, son absence de sanction, tout au moins relativement la validit de la sentence. La cour d'appel de Rouen a ainsi jug que la mention sentence adopte l'unanimit constituait une violation du principe du secret du dlibr, mais que la violation de ce principe ne produisait aucune sanction (16 avr. 1986, Rev. arb. 1988. 327). De mme, la cour d'appel de Bordeaux a jug que l'article 1469 du code de procdure civile a pour effet d'interdire que soient divulgues les opinions mises par chacun des arbitres, mais que, dans la mesure o le deuxime alina de l'article 1473 du code de procdure civile donne la sentence arbitrale, qu'une minorit d'arbitre a refus de signer, les mmes effets que si elle avait t signe par tous les arbitres, ce qui en fait, a pour effet de permettre certains arbitres de manifester publiquement leur dsaccord avec la sentence adopte la majorit des voix et donc, de ce fait, de violer le secret du dlibr, il n'apparat pas que la disposition de l'article 1469 du code de procdure civile puisse tre considre comme une rgle d'ordre public et que les arbitres aient viol cette rgle en indiquant qu'ils avaient statu l'unanimit (14 janv. 1993, Rev. arb. 1993. 682, note Cohen). Le mme dbat a port sur la mention sentence rendue la majorit . La cour d'appel de Paris a jug que cette sentence satisfaisait les conditions de l'article 1473 du code de procdure civile, ds lors que le texte permet la minorit des arbitres de refuser de la signer (15 juill. 1990, Rev. arb. 1991. 359 ; gal., Paris, 19 mars 1981, Rev. arb. 1982, qui relve que le droit de l'arbitrage ne prvoit aucune nullit comme sanction de la violation du dlibr). L'arrt comment s'inscrit dans le droit fil de cette jurisprudence lorsqu'il nonce que la violation du secret du dlibr n'est pas plus une cause d'annulation de la sentence en droit international qu'en droit interne .

En ralit, le principe du secret du dlibr ainsi compris est une rgle de protection de l'arbitre. En refusant de signer une sentence ou en acceptant qu'il soit mentionn que la sentence a t rendue la majorit ou l'unanimit, le ou les arbitres renoncent la protection que leur offre le secret du dlibr et au confort qui en rsulte pour eux. Cette renonciation a pour effet de rvler aux parties la position de l'arbitre l'gard de la dcision prise collgialement par le tribunal arbitral. L'arbitre dvoile son opinion au risque de s'attirer les foudres de l'une des parties. Mais cette renonciation ne peut produire aucune sanction. Ni la nullit de la sentence, ni la responsabilit de l'arbitre, qui n'a fait qu'user d'une possibilit prvue par le droit, ne peuvent en tre la consquence. Il est vrai que cette renonciation par l'arbitre une rgle qui le protge, et dont il a la libre disposition, ne porte aucun prjudice aux parties et ne pollue en rien l'instance arbitrale.

La cour d'appel de Paris en dduit que le secret du dlibr ne fait pas par principe obstacle l'expression d'une opinion dissidente ou spare et que le requrant n'identifie pas en quoi l'existence d'une opinion dissidente serait de nature heurter la conception franaise de l'ordre public international . L'affirmation est nouvelle. La doctrine majoritaire considre que l'article 1469 du code de procdure civile l'interdit. Une chose est de montrer que l'on adhre la solution donne par la majorit du tribunal arbitral, ou que l'on se dsolidarise de cette solution, une autre chose est de rvler concrtement les dbats, les opinions de la majorit et de la minorit du tribunal arbitral (Jarrosson, note ss. Paris, 15 oct. 1991, Rev. arb. 1991. 643 ; De Boissson, Le droit franais de l' arbitrage interne et international, Joly, p. 802 ; contra, E. Loquin, Les obligations de confidentialit dans l'arbitrage, Rev. arb. 2003. 323). Incidemment, la cour d'appel de Paris avait jug illicite en droit franais la pratique de l'opinion dissidente au motif qu'il ressort clairement de l'article 1473 du code de procdure civile, que seule la mention du refus de signature de l'un des arbitres doit tre porte sur la sentence, sans qu'il y ait lieu d'indiquer les motifs de ce refus . On pouvait s'interroger sur la sanction de cette interdiction. Devait-on considrer que la sentence tait nulle au motif qu'elle est accompagne d'une opinion dissidente, ce qui tait contraire l'ordre public interne franais, voire l'ordre public international ?

La cour d'appel de Paris, dans l'arrt comment, nous parat avoir clos le dbat. L'arrt doit tre approuv. L'opinion dissidente ne cause aucun grief aux parties, car elle est rendue publique une fois la sentence rendue. Les droits de la dfense ne sont pas atteints. Dans la mesure o elle rend publique l'opinion individuelle des autres arbitres, mais seulement dans ce cas, sans doute ne pourrait-elle n'tre rendue publique qu'avec l'accord de la majorit des arbitres, peine d'engager une hypothtique responsabilit de son auteur l'gard des autres arbitres. La composante juridictionnelle de l'arbitrage n'interdit pas en droit franais l'opinion dissidente. La composante contractuelle, en revanche, pourrait permettre la volont des parties de l'interdire, travers un rglement d'arbitrage ou par une clause stipule dans l'acte de mission. En consquence, ni l'ordre public interne, ni, a fortiori, l'ordre public international franais ne peut ragir la pratique des opinions dissidentes admises par de nombreux droits trangers de l'arbitrage, L'arrt comment offre un exemple supplmentaire de la rception par le droit franais de l'arbitrage d'institutions trangres qui lui taient jusqu? prsent inconnues. L'uniformisation, voir la mondialisation du droit de l'arbitrage est ce prix.

L'arrt rserve cependant des exceptions. L'opinion dissidente ne peut tre admise que si le principe de la collgialit a t respect et que s'il y a eu un dlibr. L'opinion dissidente ne peut tre que postrieure au dlibr collgial. Elle est la manifestation du dsaccord de l'un des arbitres la dcision collective du tribunal arbitral impose par la majorit des arbitres contre l'opinion qu'il a dfendue lors du dlibr.

Il reste prendre partie sur l'opportunit de la solution. Certains auteurs considrent que la pratique de l'opinion dissidente fait courir un grave danger l'arbitrage. M. de Boisseson, crit qu' elle revient ouvrir peut-tre la voie une reconnaissance non avoue de l'infodation de l'arbitre une partie (op. cit., p. 802). Et M. Bredin craint alors que l'arbitre ne rdige son opinion particulire pour plaire l'tat, l'entreprise qui l'a dsign, pour tcher d'en garder la confiance (op. cit., p. 80). L'opinion dissidente mettrait en cause l'indpendance de l'arbitre. Mais n'est-ce pas seulement une ptition de principe ? Comme l'crit M. Bredin, l'arbitre qui rend publique une opinion particulire est-il plus reprochable que celui qui refuse sa signature ? (op. cit., p. 80). Il est aussi parfois avanc que l'opinion dissidente porterait atteinte l'autorit de la sentence et que cet affaiblissement porterait en germe son annulation. Nous avons une opinion contraire. Si l'opinion dissidente est la consquence d'un comportement opportuniste de l'arbitre, elle porte en elle sa propre faiblesse et n'aura aucun effet sur l'autorit de la sentence. Si au contraire, elle est le reflet d'un dbat rel sur le contenu du droit, elle ne peut qu'clairer la sentence et conforter sa lgitimit comme celle de l'arbitrage en gnral. Si enfin, elle est porteuse d'une critique fonde de la dcision, qui peut tre une cause d'annulation de la sentence, elle participe l'oeuvre de justice.

Mots cls :

ARBITRAGE * Arbitrage international * Sentence arbitrale * Opinion dissidente * Secret du dlibr * Ordre public

RTD Com. Editions Dalloz 2009