ŒUVRES PROVENANT DE CITEAUX CONSERVÉES AU MUSÉE …

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OEUVRES PROVENANT DE CITEAUX CONSERVÉES AU MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE DIJON par M me Marguerite GUILLAUME Dans son court manuscrit intitulé l'Abbaye de Cîleaux, écrit en 1724, Dom Antoine Crestin 1 consacre à peine deux pages au trésor du monastère. Mais, dans sa concision, il nous en laisse entrevoir la magnificence. De même, les listes d'objets consignés dans les inventaires de la Sacristie de Cîteaux à la fin du xvn e et au xvm e siècle ont une puissance d'évocation telle que nous pouvons ima- giner, grâce à elles, le faste apporté au service de Dieu. Seules, quelques rares épaves, enlevées à la Révolution, témoignent au Musée de la splendeur de Cîteaux. Le plus prestigieux de ces objets est la crosse dite de saint Robert 2 . Son origine est certaine. En effet, l'inventaire établi le 8 avril 1791 3 par le commissaire du Directoire mentionne à l'article 2, parmi les oeuvres enlevées au trésor et emballées pour être empor- tées, « la crosse de saint Robert, le pied en cuivre, et la tête d'argent doré ». Une mention d'archives, dans l'inventaire de la Sacristie de Cîteaux dressé en 1689 4 , permet d'en retrouver la trace aune date plus ancienne ; on lit, dans une liste d'objets d'orfèvrerie : «un dessus de crosse sans bâton, de vermeil doré, fait en filigrane ». Sans doute s'agit-il bien de notre crosse, cataloguée au Musée en 1799 avec le numéro 202. La provenance de l'oeuvre demeure mystérieuse. M. M. Gau- thier s précise que « les éléments de filigrane et leurs combinaisons 1. CHESTIN (Dom Marc-Antoine), L'Abbaye de Cîteaux, Cîteaux, 1724, Arch. dcp. Côte-d'Or, ms. 1F17, fol. 189-190-191. 2. Inv. ca 1455 ; H. 0,218 ; Diamètre vertical : 0,88 ; Diamètre horizontal : 0,086. 3. Arch. dép. Côte-d'Or, Q 824. 4. Arch. dép. Côte-d'Or, 11H40, p. 2. 5. GAUTHIER (Marie-Madeleine), Catalogue de l'exposition : L'Art roman, Barcelone et Saint-Jacques de Compostelle, 1961, n° 438 ; communication écrite, 1979.

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ŒUVRES PROVENANT DE CITEAUXCONSERVÉES AU MUSÉE DES BEAUX-ARTS

DE DIJON

par Mme Marguerite GUILLAUME

Dans son court manuscrit intitulé l'Abbaye de Cîleaux, écrit en1724, Dom Antoine Crestin 1 consacre à peine deux pages au trésordu monastère. Mais, dans sa concision, il nous en laisse entrevoirla magnificence. De même, les listes d'objets consignés dans lesinventaires de la Sacristie de Cîteaux à la fin du xvne et au xvme

siècle ont une puissance d'évocation telle que nous pouvons ima-giner, grâce à elles, le faste apporté au service de Dieu. Seules,quelques rares épaves, enlevées à la Révolution, témoignent auMusée de la splendeur de Cîteaux.

Le plus prestigieux de ces objets est la crosse dite de saint Robert2.Son origine est certaine. En effet, l'inventaire établi le 8 avril1791 3 par le commissaire du Directoire mentionne à l'article 2,parmi les œuvres enlevées au trésor et emballées pour être empor-tées, « la crosse de saint Robert, le pied en cuivre, et la tête d'argentdoré ». Une mention d'archives, dans l'inventaire de la Sacristie deCîteaux dressé en 1689 4, permet d'en retrouver la trace aune dateplus ancienne ; on lit, dans une liste d'objets d'orfèvrerie : «un dessusde crosse sans bâton, de vermeil doré, fait en filigrane ». Sansdoute s'agit-il bien de notre crosse, cataloguée au Musée en 1799avec le numéro 202.

La provenance de l'œuvre demeure mystérieuse. M. M. Gau-thier s précise que « les éléments de filigrane et leurs combinaisons

1. CHESTIN (Dom Marc-Antoine), L'Abbaye de Cîteaux, Cîteaux, 1724, Arch.dcp. Côte-d'Or, ms. 1F17, fol. 189-190-191.

2. Inv. ca 1455 ; H. 0,218 ; Diamètre vertical : 0,88 ; Diamètre horizontal :0,086.

3. Arch. dép. Côte-d'Or, Q 824.4. Arch. dép. Côte-d'Or, 11H40, p. 2.5. GAUTHIER (Marie-Madeleine), Catalogue de l'exposition : L'Art roman,

Barcelone et Saint-Jacques de Compostelle, 1961, n° 438 ; communicationécrite, 1979.

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PIG. 1. — CROSSE DITE DE SAINT-ROBERT.

(Musée de Dijon.)

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ne se trouvent pas ailleurs dans l'orfèvrerie romane ; les cercles,les gouttes, les huit appartiennent au répertoire de l'orfèvrerieméditerranéenne du Bas-Empire, ou à celui des peuples germaniquesmigrateurs du haut moyen âge ». L'auteur situe ce travail enItalie du Sud ou en Sicile, et fait remarquer que les cisterciensont commis des rafles énormes au xm e siècle dans les pays de laMéditerranée orientale. La crosse pourrait avoir été rapportée àCîteaux à cette époque-là. Pour A. Lipinski 6 elle viendraitd'Italie méridionale, et plus précisément d'Amalfi, république quiest alors liée au grand monastère bénédictin de la Très SainteTrinité de Cava.

L'examen 7 de l'objet prouve qu'il n'est pas en or, mais en métaldoré, sans doute de l'argent. On peut déceler au microscope laprésence de bulles dans les pierres : peut-être s'agit-il de verroteriecontemporaine de la crosse, à moins qu'elles n'aient remplacé aucours des âges des pierres authentiques.

Un autre objet vénérable provenant sans doute de Cîteaux,sans qu'il soit toutefois possible de l'affirmer, est la tasse dite desaint Bernard 8, cataloguée avec le numéro 201 au Musée, en 1799,comme suit : « une coupe formée d'une noix de coco, garnie en argentdoré, et qui servait à saint Robert », notice rectifiée trente ansplus tard par Févret de Saint-Mémin 9 : « la coupe est formée nond'une noix de coco mais d'une racine de buis » il mentionne, « sousson pied d'argent doré une inscription en caractères gothiquescarrés, dont l'usage chez nous date du xive siècle. Cette inscription« Ciatus S. Bernardi abbalis Clarevallis » prouve que la tasse n'estpas celle de saint Robert mais celle de saint Bernard, et que cen'est qu'un siècle et demi après sa mort que l'inscription peut avoirété gravée 10.

Il semble qu'à la fin du xvie siècle, la coupe ait été conservéeà l'église Saint-Étienne de Dijon. A la date du 29 octobre 1571,

6. LIPINSKI (Angelo), Cimcli Cavensi, I. La Stauroteca aurea délia badiadélia SS. Trinilà di Cava dei Tirreni, dans Apollo, I, juillet-décembre 1961,p. 104, note 6 ; communication écrite, 1979.

7. Nous tenons à remercie;1 tout spécialement Monsieur Berthier, joaillierà Dijon, qui a bien voulu procéder à cet examen.

8. Inv. ca 1456. H. 0,075 ; L. avec l'anse : 0,165 ; Diamètre supérieur : 0,133 ;Diamètre inférieur : 0,085.

9. FÉVRET DE SAINT-M'ÉMIN (Charles-Balthazar-Julien), Mémoire sur lacoupe conseruée au Musée de Dijon, dans Mémoires de l'Académie de Dijon,1829, p. 244. L'auteur signale la mention de cette coupe par Dom Grestin dansson histoire manuscrite de Cîteaux, mais sans indication de page ; nous nel'avons pas retrouvée.

10. Il est précisé, dans le Catalogue de l'exposition : Sainl Bernard et l'artdes cisterciens, Dijon, 1953, n° 231, que l'écuelle de buis a été montée sur unpied d'orfèvrerie au xvc siècle.

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on trouve dans l'« inventaire de tous les sanctuaires, argenterie,orfèvrerie, linges, tapisseries et aultres meubles estans dans laditeéglise » : « item la tasse saint Bernard, garnie alentour d'argent,et le pied d'argent où sont les armoiries saint Bernard » ll. Ladescription semble bien correspondre à l'objet maintenant conservéau Musée. La tasse est mentionnée à plusieurs reprises, en 1659,1687, puis en 1683 12.

Ces témoignages se rapportent selon toute vraisemblance à lacoupe mentionnée en 1571. Il ne faut pas la confondre avec uncalice d'orfèvrerie ayant peut-être appartenu à saint Bernard,enlevé à Prâlon au moment où l'abbaye des Bénédictins fut sup-primée, en 1748 13. A Prâlon existait également une tasse plusrustique, mentionnée en 1722, dont on ne trouve plus trace en 1728.L'actuelle tasse de Prâlon n'a pas plus de cent ans 14.

On chercherait en vain, dans les inventaires de l'abbaye et danscelui dressé par Devosge en 1792, trace d'un étui ayant appartenuà un abbé de Cîteaux 15, mentionné pour la première fois par lecatalogue du Musée de 1834, où sont décrites ses quatre cases : « laplus grande recevait le sceau de l'abbé ; une autre contenait unepaix, déjà détériorée en 1834 ; la troisième contient un anneauen argent doré dont le chaton est privé de sa pierre, et la quatrièmeoffre la place d'un second anneau. Celui qui figure au catalogue de1799, cité en 1834, n'existe plus aujourd'hui au Musée. L'étuisemble fait de cuir bouilli, gravé d'un décor de cercles concen-triques, rehaussé de points en relief, et contenant des fleurs. Parendroits apparaissent des traces de polychromie, peut-être d'époque.P. Quarré a bien voulu me signaler un autre objet de cuir quipeut être rapproché de celui-ci. Il s'agit d'un étui conservé au Muséedes Beaux-Arts de Langres 18 destiné à recevoir un groupe représen-

11. « Inventaire de tous les sanctuaires, argenterie, orfèvrerie, linge, tapisserie,chappes et aultres meubles estant dans ladite église», 29 octobre 1571, Chapitrede l'église Saint-Étienne, Arch. dép. Côte-d'Or. G. 169, n° 18, fol. 4.

12. Tous les catalogues du Musée, depuis 1834 jusqu'en 1883, signalentles deux mentions d'archives suivantes dans le Registre de l'église Saint-Étienne :le 21 lévrier 1659, le sieur Picard, orfèvre, demande onze livres pour avoirraccomodé la tasse de Saint Bernard (fol. 75) ; le 23 novembre 1663, deuxgentilhommes demandent la tasse de Saint Bernard.

13. Inventaire de la sacristie de l'église cathédrale Saint-Étienne, terminéle 10 août 1767, Archives Départementales de la Côte-d'Or, G. 169, n° 65,article 6 : « une coupe ou calice avec sa patène d'argent doré dite de Saint Ber-nard provenant de Prâlon pesant 1 marc 7 onces 2 gros ».

14. CARLET (Abbé), Saint Bernard à Prâlon. Cnlle et souvenirs, dans SaintBernard et son temps. Congrès de l'Association bourguignonne des sociétés savantes,1927, II, Dijon, 1929, pp. 64-65.

15. Inv. ca 1459 ; H. 0,06 ; L. maxima 0,124.16. Non inventorié. H. 0,32 ; L. 0,78 ; P/of. 0,12. L.'Annonciation a disparu

en 1977.

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tant l'Annonciation. 11 est orné de cercles et de spirales bordés depointillés, entourant des oiseaux et des animaux. Le cuir en estrehaussé de polychromie. Les armes de Philippe le Hardi, portéespar le couvercle, permettent de dater cet objet, et peut-être, paranalogie, l'étui de Dijon.

FIG. 2. — ÉTUI PROVENANT DE CITEAUX.

(Musée de Dijon.)

De Cîteaux proviennent, selon toute vraisemblance, trois boîtesen ivoire que possède actuellement le Musée. C'est l'opinion deH. Chabeuf 17, qui s'appuie sur l'inventaire dressé à Cîteaux le8 avril 1791. L'article 36 mentionne en effet « cinq boëtes de toil-lette des Duchesses de Bourgogne », que l'on retrouve aussitôtaprès dans le catalogue du Musée de 1799, p. 41, avec les numéros195 à 199. Trois boîtes en ivoire seulement, plus une boîte de jaisblanc sont cataloguées de 1834 (numéros 658 à 661) à 1883 (numéros

17. Inv. ca 1460, 1461, 1462 ; CHABEUF (Henri), Boite en ivoire du Muséede Dijon, dans Magasin pittoresque, 1896, pp. 255-256, fig. ; Deux ivoires duMusée de Dijon, clans Revue de l'art chrétien, 1898, pp. 226-228, fig.

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1460 à 1463). L. Gonse 18 donne comme origine à ces boîtes la Char-treuse de Champmol, mais sans indiquer le fondement de cetteaffirmation. La belle boîte à hostie du xive siècle (n° 1462 ducatalogue de 1883) a été étudiée en 1924 par R. Koechlin 19. L'inven-taire de 1791 cite par ailleurs d'autres objets reconnaissables dansles collections du Musée, mais dont l'étude reste à préciser20.

En 1973 entraient avec le legs d'Henri Breuil, un ensemble detrois cent quatre-vingt-cinq carreaux vernissés provenant de Gilly-les Cîteaux 21. Nous ne savons pas exactement quelle salle cescarreaux décoraient à Gilly. Soit de couleur uniforme, d'un noirterni tirant au vert, soit ornés d'une tête de cerf vue de face, uneétoile entre les bois, de couleur jaune sur fond émaillé ocre, cescarreaux nous reportent au temps de Pierre Nivelle, cinquante-quatrième abbé de Cîteaux. Cet ecclésiastique rétablit en 1628 lechâteau ruiné par les guerres de la fin du xvie siècle, avec autantde faste que de goût, si nous en jugeons par le décor des plafondsà la française qui subsiste encore 22. Dom Cotheret23 n'épargnepas ce personnage. « II était », nous dit-il, « d'une vanité qui allaitjusqu'à la manie de semer pour ainsi dire ses armoiries dans toutela maison et ses dépendances : il les avait fait mettre sur des car-reaux dont il avait fait paver toute une grande salle qu'on appelait,par dérision, la salle des cornes. Il portait : « d'azur à la rencontrede cerf d'or surmonté d'un crucifix de même, à l'occasion desquellesarmoiries, quelqu'un de ses religieux, sans doute qui en avait étémaltraité, lui fît une épigramme des plus piquantes, ainsi conçue :

Reddi caput Matri: Reddas et cornua Patri

Reddi Deum coeloCrux tibi sola manet

ce que l'on peut traduire à peu près en ces termes :Qu'on rende la tête (de cerf) à ta Mèreet les cornes à ton Père

18. GONSE (Louis), Les Chefs-d'œuvre des Musées de France. Sculpture,dessins, objets d'art, Paris, 1904, pp. 152-153, et planche gravée.

19. KOECHLIN (Raymond), Les Ivoires gothiques français, 3 vol., Paris, 1924,1, p. 138, p. 138 note 1 ; II, n° 231 ; III,'pi. LX.

20. Nous nous proposons de poursuivre cette recherche.21. Inv. Breuil 226 ; avec le même legs est entré un autre carreau (inv.

Breuil 228) qui porte la devise de Guillaume Le Fauconnier, abbé de Cîteauxde 1521 à 1540 : Quid est quod fuit.

22. Voir ci-après, PLOUVIER (M.), Le décor peint du château de Gilly.23. COTHERET (Dom), Mémoire pour servir à l'histoire de l'abbaye de Cileaux,

Bibl. Mun. Dijon, ms. 2474-2475, 2 vol., s.d. (1736 ; voir p. 98), recopié en 1791par Louis-Bénigne Baudot, fol. 332.

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FIG. 3. — CARREAU ÉMAILLÉ AUX ARMES DE PIERRE DE NIVELLEPROVENANT DE GLLLY-LES-CLTEAUX.

(Musée de Dijon.)

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Qu'on rende Dieu au cielEt que seule te reste la Croix.

Sur les carreaux destinés au pavement, le cerf porte une étoileentre les bois. Il aurait été sacrilège en effet de fouler aux piedsla croix, qui, en revanche, apparaît dans le décor des poutres.

A cet inventaire dérisoire des objets s'ajoute celui, plus infimeencore, des tableaux pris à la Révolution et conservés pour leMusée par Devosge : quatre en tout ; une copie de la Madone de laTour de Raphaël 2i, un Saint François de Paule rendant la vue àun enfant, donné à Giuseppe Passeri 25 et mis en dépôt en 1956au Musée de Plessis-les-Tours, et deux toiles de mêmes dimensions,Y Entrée de Saint Bernard à Cîleaux 26 et la Cessation du Schismed'Anaclel 27.

La première de ces peintures représente le jeune Bernard accueillià la porte du monastère par Saint Etienne Harding en présencede son père, Tescelin le Sor, et de sa sœur Hombeline en pleurs.Le visage de l'un des moines, au premier plan, frappe par sonaccent de vérité. Or la composition a été gravée en 1699 par NicolasDorigny qui a indiqué le nom du peintre, Giuseppe Passeri, et ainscrit sous la gravure le nom du Père Prinstet. Mariette 28 a vule tableau dans l'église de Cîteaux. « Le Révérend Père Prinstetle fit faire au Passeri », écrit-il ; « il s'y est fait représenter sous lestraits d'un religieux de Saint Bernard, qui est sur le devant, et quiregarde de face ; la tête en est le portrait du Père Prinstet, qui,s'étant retiré à Cîteaux, y est mort en 1727 âgé de 77 ans. M. Dorignym'a assuré que ce n'est point le portrait du Père Prinstet, maiscelui du Père Raydelet, son compagnon ». Le supplément de 1705à l'inventaire de 1699 situe la toile dans la chapelle de Saint Etiennemartyr 29.

Selon ce document, c'est au même amateur d'art que nous devonsle second tableau, la Cessation du Schisme d'Anaclel cité avec cetteindication : « il fut apporté de Rome, par le Père Prinstet, procureurgénéral en cette cour, venant au Chapitre général de l'Ordre, et

24. Inv. ca 60 ; toile, H. 0,80 ; L. 0,63 ; GUILLAUME (M.), Catalogue raisonnédu Musée des Beaux-Arts de Dijon. Peintures italiennes, Dijon 1980, n° 60, iig.

25. Inv. ca 35 ; toile, 0,97 ; 0,73 ; GUILLAUME (M.), 1980, n° A 6 n° 10, fig.26. Inv. ca 36 ; toile, H. 0,97 ; L. 0,74 ; GUILLAUME (M.), 1980, n° 92, fig.27. Inv. ca 34 ; toile H. 0,97 ; L. 0,73 ; GUILLAUME (M.), 1980, n° 95.28. MARIETTE (Pierre-Jean), Abecedario, publié par GHENNEVIÈRES (Phi-

lippe de), et MONTAIGLON (Antoine de), dans Archives de l'art français, 1853-1854, H, p. 117.

29. Inventaire de la sacristie de Cîteaux dressé en 1699, supplément 1705,Arch. dép. Côte-d'Or, 11 H 41, pp. 28-29.

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». 4. - GIUSEPPE PASSER,. ENTRÉE DE SAINT-BERNARD A CITEAUX.

(Musée de Dijon.)

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FlG. 5. PlETRO DI PlETRI. L.\ CESSATION DU SCHISME D'ANACLET.

(Musée de Dijon.)

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placé en une des chapelles de la nef dédiée à Saint Bernard. Pendantlongtemps attribué, comme la toile précédente, à Giuseppe Passeri,il a été rendu à Pietro di Pietri dont un dessin préparatoire pourcette composition est conservé à Windsor Castle.

Saint Bernard est représenté aux côtés du pape Innocent IIqui reçoit la soumission du successeur d'Anaclet, l'antipape Victor.Convaincu en effet de la légitimité de sa candidature, Saint Bernardavait soutenu Innocent, ralliant les Milanais à sa cause. Dans cettecomposition, où chaque détail prend une valeur symbolique, l'Ordreest glorifié en la personne du saint. La composition en diagonaleet l'éclairage par faisceaux lumineux accusent le sens dramatiquede la scène.

Les deux toiles sont mentionnées par les inventaires de la sacris-tie de Cîteaux en 1708 (fol 4 et 6), et dans les deux recolements de1738 30. Selon toute vraisemblance, c'est à Carlo Maratta que lePère Prinstet passa la commande, répartie par le maître entre deuxde ses élèves. Ces toiles contribuent à éclairer l'attachante person-nalité du Père Prinstet, architecte, dessinateur subtil, et douéd'humour, qui nous a laissé de lui dans l'Atlas de Cîteaux31 Fhumblaimage d'un religieux solitaire, vu de dos, crayonnant assis dans lacampagne. Il devait connaître la disgrâce, pour avoir déplu auPèie Le Tellier, confesseur du roi 32.

Le bilan, somme toute, est modeste : peu d'objets, moins detableaux encore, et le souvenir nostalgique du tombeau de PhilippePot, autrefois dans la chapelle Saint Jean-Baptiste de l'églisede l'abbaye. Pauvres témoins, certes, d'une grande histoire : ilsn'ont cependant pas encore livré tous leurs secrets.

30. Inventaires de la Sacristie de Cîteaux, Arch. dép. Côte-d'Or ; Entrée deSaint Bernard à Citeaux, supplément dressé en 1705 à l'inventaire de 1699,11 H 41, pp. 28-29, 1708, 11 H 42, p. 6; 1709, 11 H 42, fol. 3 v° ; 1738, 1«inventaire, 11 H 44, p. 32 ; 2É inventaire, 11 H 44, p. 80. La Cessation du schismed'Anaclet, 1699, supplément 1705, 11 H 41, p. 28, 1708, 11 H 42, p. 4 ; 1709,fol. 3 v° ; 1738, 1e r inventaire, 11 H 44, p. 31 ; 2e inventaire, 11 H 44, p. 76.

31. Arch. dép. Côte-d'O, 11 H 138 (B, Citeaux en vue d'oiseau).32. COTHERET (Dom), op. cit., II, fol. 609-610.

Nous exprimons notre très vive gratitude à tous ceux qui ont apporté leur contri-bution à ce travail, ou l'ont facilité, en particulier à Monsieur Jean Rigault et àMademoiselle Françoise Vignier, à Frère Marcel Lebeau et à Monsieur le chanoineMarilier, à Messieurs Pierre Quarré, Pierre Gras, et Gérard Tisserand.