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" LES SAINTS "

Psychologic des Saint

VtiiV

Henri JOLY

H U I T i E M E EDITION

yiclur Li'ivffre

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Psychologie des Saints

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"LES SAINTS" CoHeitivt} pabliev svv.fi la direct ion de 51. IIenki JOLY.

VOLUMES PARUS : Sainte Therfese, par IIenhi Joly. Troisieme edition. Saint Yves, par Ch. de La Roncieme. Deuxicme cdttion. Sainte Odile, patronne do FAIsacc. par IIeniu Welschingeu.

lk'u,vicmc- rdition. Saint Antoine de Padoue, par M. Tabbc Alcert Lepithe.

Ih'uxit'iiw edition. Sainte Gertrude, par Gauhiei. Ledos. Deuxicme edition. Saint Jean-Baptiste de la Salle, par Alexis Delaire.

Tvotsteuie edition. La Venerable Jeanne d'Arc, par L. Petit de Jllleville.

Qmdfieeete edition. Saint Jean Chrysostome, par Aime Pi ech. Teoisieme edition. Le Bienheureux Raymond Lulle, par Makiis Andre.

DeifXiCine edition. Sainte Genevieve, par M. PabbO IIenhi Pesetke. Qvatrieme

edition. Saint Nicolas I'r. par Jcles Hoy, Troisieme edition. Saint Frangois de Sales, par Amedee de Margekie. Qua-

ti'tdme editton. Saint Ambroise, par le due de Brogue. Quatrieme edition. Saint Basile, par Paul Allard. Troisieme edition. Sainte Mathilde, par Eugene Halluerg. Tvohicme edition. Saint Dominique, par Jean G lira id. Qvatrieme edition. Saint Henri, par 51. Tabbo Henri Lesetre. Quatrieme edition. Saint Ignace de Loyola, par Henri Joey. Quatrieme edition. Saint Etienne, roi de Hongrie, par E. Horn. Troisieme edi¬

tion. Saint Louis, par Maries Sepet. Quatrieme edition. Saint Jerome, par le R. P. Largent. Quatrieme edition. Saint Pierre Fourier, par Leonce Pingaed. Troisieme edition. Saint Vincent de Paul, par le Prince Emmanuel de Broglie.

lluitieme edition. La Psychologie des Saints, par H. Joly. Huitivme edition. Saint Augustin, par Ad. Hatzfeld. Sixieme edition. Le B' Bernardin de Feltre, par E. Flornoy. Troisieme edi¬

tion. Sainte Clotilde, par G. Kurth. Sixieme edition. Saint Augustin de Gantorbery et ses compagnons,

par le R. P. Brou, S. J. Troisieme edition. Cliaque volume m-I2. Prix brochr : '2 fr.

Avec reliui'O speciale : 3 IV.

Typograpbie Firmin-Ditlot et Clc'. — Jlesnil (Eure).

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" LES SAINTS

Psychologic des Saints

par

Henri JOLY

HUITIEME EDITION

PARIS

LIBRAIRIE VICTOR LEGOFFRE RUE BONAPARTE, 90

1902

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AVANT-PROPOS

Apres avoir etudie la psychologie des 6tres

inferieurs (1), puis la psychologie des grands hom¬

ines (2), puis la psychologie des criminels (3), j'ai

tenu a aborder la psychologie des saints.

Sont-ce la autant de psychologies separees les

unes des autres? L'instinct est-il une qualite oc-

culte? Le crime est-il un phenomene a part, le

produit d'une deviation ou d'une regression spon-

tanee de la race? Le grand homme est-il un don

mysterieux de Tinconscient ou comme Tincarna-

tion inattendue d'une inspiration rebelle a toute

(i) VInstinct, ses rapports avec la vie et avec rintclligcnce, a0 edit. Thorin. — VHomme et I'animal^ 4e edit. Hachette.

(a) Psychologie des grands homines, a0 edit. Hachette. (3) Le crime> 4° edit. — La France cnmincllef 3e edit. —

Le combat contre le cn'/ne, 2e edition. L. Corf.

XO K S-

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VI AVANT-PROPOS.

analyse? Le saint est-il un etre en qui la nature

ait disparu pour faire place nette a une action

toute miraculeuse? Autant de solutions que j'ai

combattues!

Mais il en est une que je repousse egalement,

c'est cello qui veut placer toutes les manifesta¬

tions , meme les plus hautes, des facultes hu-

maines, sous la dependance de forces inferieures

s'agitant sans but et sans liberte; qui apres

avoir fait de rhomme un animal un peu plus

complique que les autres, ne voit dans le crime

qu'une maladie, dans le genie et dans la saintete

que des formes saillantes, mais le plus souvent

bizavres, de tout ce que notre organisation ren-

ferme d'ambition, d'orgueil, d'illusion et d'inquie-

tude.

Non! Grands et petits, tous les hommes sont

petris du meme limon et animes du meme souffle.

Tous, nous sommes places sur les divers degres

d'une meme echelle qui part d'une meme nature et

tend a s'elever vers un meme Dieu. Que notre hu-

manite aggrave sa faiblesse native en sTy aban-

donnant ou que, cooperant a Taide qu'elle regoit,

elle developpe tout ce qu'elle a de force et de bonte

possibles, jamais ne s'efface completement en elle

aucun des traits de notre complexe nature. Jamais,

si degeneres ou si perfectionnes qu'ils puissent

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AVANT-PROPOS. vn

etre, ses representaats ne cessent de nous donner

ou des avertissements ou des encouragements,

dont la ressemblance qui nous unit a eux nous

donne le moyen et nous impose le devoir de

tirer parti. Tel est Tesprit dans lequel a ete com¬

pose ce nouvel essai (1).

(l) Les matieres que j'ai traite'cs dans le present livre el a lent souvent bien d^licates. Je suis heureux de remercier ici M. Monier, Superieur de I'l^cole des Hautes etudes ecclesias- tiques^ qui a bienvoulu revoir mes e'preuves et me faire pro¬ filer de son grand savoir theologique autant que de son ex¬ perience de leltre'.

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PSYCHOLOGIE DES SAINTS

CHAPITRE I

IDEE DE LA SAINTETE DANS LES DIFFERENTES RELIGIONS.

ieamcule. — L'id^e de la saintet6 : son histoire. — Le saint chez les Chinois. —Chez les Bouddhistes.— Chez les Mahomelans. — Dans I'Ancien Testament. — Dans le Nouveau. — Dans Ics principales frac¬ tions de I'tglise chretienne. — Le saint dans le Catholicisme. — Le grand homme et le saint. — Rapports el difierences. — 11 y a chez le saint plus d'unite, plus de liberl6, un progres plus indiiOni. — Les saints et leur milieu. — Le saint et le mystique. — Tous les mystiques ne sont pas saints. — Tous les saints sont-ils mys¬ tiques?— Les fausses definitions du mysticisme.— La vraie defi¬ nition : Le myslicisme e'est Tamour de Dieu. — Le saint est un liomme quisert Dieu heroiquement et par amour.

Une piete ignorante a bien souvent alterc la phy- tonomie des saints : le dilcttamisme de plus d'tin eo-chretien d'aujourd'hui ue risque pas moins de a defigurer. On les avail mis tellemcnt au-dessus ■e riiumanite, qu'ils paraissaient en dehors d'ellc : omme dlt avee tant d'energie Mgr Dupanloup, on e demandait vraiment « si e'etaient la des hommcs, les fils d'Adam, de chair et d'os comme nous. » ilaintenant on voudrait tout expliquer en eux par

PSYCUOLOGIE DES SAINTS. 1

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2 PSYCIIOLOGIE BES SAINTS.

Ics influences naturelles etpar les influences sociales auxquelles peut 6tre soumis chacun de nons. On fait meme de beaucoup d'entre eux des malades, dos hysleriqucs, des suggeslionnes ou des suggesiiou- nants, des telepathes, des gens que la delicatesse innee ou aequisc de leur svsteme nerveux a doues de la scconde vue, comme de celebres somnambules rehabilites par les merveilles desormais authentiques de rhypnotisme. Ou bien encore on va, selon la mode du jour, a quelques saints ou a quelques sainlcs qu'on n'a voulu etudier que pour mieux com- prendre certaines parties de Thistoire de Tartou de la Jitterature populaire. Aussilot se font des decou- vertes inattendues... de celui qui s'en felicite. II croyait n'avoir afTaire qu'a un saint : il rencontre un liommc, il rencontre une fenime; il en est charme sans doute, niais surpris. II trouve piquant de s'en cxpliquer devant ses lecteurs habituels. II le fait du ton de quelqu'un qui n'estpassur de ne point passer pour un amateur de paradoxes; mais en homme d'esprit qu'il est, il ne s'en eflraye pas Irop. II est vrai que, s'il apercoit dans son personnage le culte de Tesprit plus que de la lettre, une grande liberte. beaucoup d'initiative, de la tendresse, le respect de la conscience, I'amour du beau et meme le souci de la prop re le, il croit avoir fait la decouverte d'un cas rare. II signale comme un exemple de regression ou d'atavisme cette revanche soudaine de la nature ou- tragee; ou bien il gratifie Theresie d'un precurseur ou d'un disciple inconscient de plus.

II ne faut pas cependant se plaindre de ces diverses

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L'IDEE DE LA SAINTETE.

fantaisies. D'abord qaclqaes-unes sont trcs jolies; puis elles ont ea le merite de montrer que non seulement la litteralure, mais la psychologie, mais la science, pouvaient trouver dans les saints un inte- ressant sujet d'etude.

Cette etude assurement n'est pas facile. C'est une raison de plus pour I'essayer.

Un pr6tre einineiit? membre de TlnsUtut, dircc- teuv de 1'Ecole francaise dc Rome, a trouble plus d'une ame naive ou routiniere en touchant, — avec respect, est-il besoin de le dire? —• aux legendes des saints. II fallait bien y toucher cepcndant, comme on touche a nos belles cathedrales pour les debar- rasser du bric-a-brac qui les defigure et les rendre a la purete de leur style primitif. Ce qu'on a fait en architecture et en histoire est-il possible et desi¬ rable en psychologic? Je le crois. Gardons-nous sans doute de ces « restaurations » ou de ces recons- titutions oil la fanlaisie arbitraire d'un artiste mo- derne collabore indiscretement avec les anciens ct leur impose des idees qu'ils n'ontjamais cues. Mais pour plus d'une de ces figures une cc restitution » est necessaire, et elle est un acte de piete autant que de gout. S'il est des homines a propos desquels il faille compter avec confiance ou, pour mieux dire, avec foi, sur la valeur el sur le bien fait de la pure verite, ce sont assurement les saints.

Mais avant d'aborder les saints de plus pres, il

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4 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

convicntcle se demander ce que les langues humaines cntendentpar un saint. C'est la une etude qui a son prix. Kidee de la saintete n'est pas nouvelie, et elle n'a pas toujours ete entendae, tant s'en faut, de la m6me (aeon. En resumer Thistolre, chercher comment on l a comprise dans telle ou telle civilisa¬ tion est done prendre en quelque sorte la mesure d'une des aspirations les plus sublimes — ou les plus orgucilleuses — de Tespecc luimaine.

Qn'on nous pardonne de remonter un pen haul Lc christianisme a « rcformc » la nature; et nous crovons, nous, qu'en la reformant, il I'a forlifiee et lihcree; mais le meme Dieu qui Ta rachetee I'avait d'abord creee, et creec « admirablement »> selon le mot de la liturgie. Dans TinterYalle, cette nature a sou vent fait de grands efforts, avec des succes tres inegaux, pour s'elever a de hautes vertns. S'est-elle elevee a la saintete? Elle en a eu au moins le desir, la pretention, si Ton veut, et elle a ainsi senti en elle quelque chose qui en etait comme le pressenti- nient.

li a fallu cependant pour cela qu'elle sortit de la sauvagerie despeuples ditspriniitifs. Quand lapauvre humanite se croyait surtout parente avec les 6tres infcricurs, avec les animaux, avec les pi antes, avec la pluie, le vent et le soleil, quand le courage ou la vertu d'un homme dependaient de la facon dont il s'appropriait la nature du buffle, de I'ours ou du re- quin, soit en les mangeant, soit en prenant le nom de Tun ou de Tautre, quand les faiseurs de pluie, les sorciers et les chefs demandaient leur pouvoir a

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de si etran^es alliances avec les elements inanimes on avec les b^tes, certes rhomme avail plutot I'envie de se materiaiiser que I'ambition de devenir plus spirituel et plus pur. Le semblant de religion qu'ii trouvait dans les recils traditionnels de sa tribu ne pouvait rien y changer, puisquCj dans sa m^'lho- logle — malgre toutes les varietes qu'elle nous ofFre ■—- les « esprils » sont generalement malfaisanls et mcchanLs. Pour que Tidee de saintete commence a poindre, il faut que rinlelligcnce de rhomme en arrive a desirer, a esperer, a cherchcr le moyen de s'affranchir de ces miseres ; il faut que Tidee d'une existence meilleure Tattire et le remue. Tout an moins faut-il qu'il ait pris en pltie les jouissances grossieres ct les terreurs deprimantes dans Ics- quelles la plupart de ses pareils s'agitent ou croupis- sent.

Lepcuplc chinois passe, non sans ralson, pour un peuple peu idealiste, ne comprenant pas un royaume qui ne serait pas de ce monde; mais dans la nature humaine ses philosophes ont de bonne heure dis¬ tingue plus d'un degre. Au-dcssus de rhomme vul- gaire i!s mettent le sage qui respcctc sa propre raison, la cultive, fait des efforts incessanls pour appliquer les principes deja connus de la nature ver- tueuse et, s^il se peut, en deeouvrir de nouveaux. Puis au-dcssus de Thomme sage ils placentle saint ou Thomme parfait, vivant « a Tinstar des espi lls, )> praliquant veritablement, sans effort cette fois, avec calme et tranquillite, la loi du ciel, e'est-a- dire la perfection et la verite pures de tout mc-

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G PSYCHOLOGIE DE3 SAINTS-

Inng-c (i). Quelle est pour eux rorigine de cetleloi ou comme clit Tun de leurs livres sacres, de ce mandnt celeste (2)? A quelle source va pniserla vertu de ceux qui rexecutent? Des que le probleme m eta physique fait mine de se poser, le lettre chinois se tait. Ceux qui se flattent d'avoir penetre le fond de sa pensee nous disent que pour lui la saintete de rhomme est le produit de riieredite, ce qui n'est que reculer la dilliculte. Mais ne demandons pas a cette nation de nous reveler ce qu'elle-mSme ne s'est pas souciee de decouvrir. C'est assez de constater qu'a ses veux, la saintete e'est Tetat le plus parfait de la nature, que ratleindre est la loi de rhomme, et qu'enfin cette loi consacre une opposition fondamentale entre la terre et ce que — sans Texpliquer ni le definir — ses ecri- vains appellent le ciel.

Si l idee de Taction divine reste tres va^ue dans la notion que la Chine se fait de la saintete, i! n'en est plus tout a fait de meme enGrece.

II est remarquable que les Grecs virent le plus souvent dans la vertu le resultat d'une action pure- ment humaine, mais que, quand ils parlaient de saintete, ils en associaient Fidee a celle d'un rappro¬ chement plus intime avec la divinite. Nous avons un dialogue de Platon intitule VEuthyphron ou la Saintete. II roule tout entier sur cette question :

(i)Un ancien missionnaire, M. Tabbe Coldrc, qui a passe (juin/e ans enChine, me clit que ce qui lui a paru dominer clans celle conception, e'est Tide'e de la rectitude absolue.

(a) Voyez de Lanessan, la Morale des philosophcs chinois, PariSj 189G.

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L'IDKE DE LA SAINTETE.

« La saintcte est-elle la saintcte parce qu'elle est ajrreable aux dieux? ou esl-elle a^reable aux clienx D O parce qu'elle est la saintete? J) Cette seconde solu¬ tion est naturellement celle de Platon; il veut prouver que toute verlu est telle par son essence immuable et eternelie, et que, si cette essence se confond finalement avec le Bicn supreme, qui est Dieu, elle ne depend pas de la volonte arbitraire de divinites capricieuses. Platon cependant ne definit pas la saintete. II le fera, dit-il, <( une autre fois »; e'est la une formule qu'il adopte volontiers pour toutesles questions delicates. Mais enfm Tidee de la saintete et Tidee de ce qui e.st particulierement agrea- ble a la divinite lui ont bien apparu commc liees Tune a Tautre.

Le mot de saintete etait si familier aux esprits d'elite, qu'on le retrouve m6me chez Epicure. C'est Ciceron qui nous Tapprend (i). « Epicure avail ecrit des livres sur la saintete, sur la piete envers les dienx. )> II est vrai que Ciceron ajoute : « Ici rhomme se moque de nous (ludimur ab homine). » Ciceron entend qu'il est impossible de parler serieu- sementde saintete et de piete envers les dieux quand on croit que tout est forme par la rencontre for- tuite de certains atomes, et qu'en rhomme, veritc, bonheur et vertu, tout vient des sens. Mais cette fois encore ce rapprochement de Fidec de saintete et de Tidee de piete envers les dieux est a signaler.

De toutes les religions (autres que la notre), il n'en

(i) Ciceron, c/e la Nature des dieux, ii} 4T

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8 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

est pas qui ait insiste sur la saintete autant que le bouddhismc. Mais la, I'idce que le saint est un etre qui plait a Dieu ou qui sert Dieu mieux que le restc dcs homines, cette idee a completement disparu. Le saint bouddhiste croitbien fitre saint parce qu'il a cteint ou aneanti en lui la nature; mais il s'en tient la et nc juge pas a propos d'allera un Dieu qui lui communique une partie de sa vertu. Les dieux eux- m^mes il les rcgarde comme des etres produits par les metamorphoses indcfinies d'une nature eternelle et etcrnellement mauvaise. Ces dieux, ainsi que les cicux qu'ils habitent, font partie de ce monde de- teste; ils en sont d'autant plus, qu'iin etre qui a ete dieu peut redevenir homme ou animal. II y a sans doute entre eux une hierarchic, et il en est de plus elcvcs que les autrcs ; mais la plus haute classe souffre encore d'un reste d'impurete tcrrestre qui la separe du terme aussi desirable pour elle que pour les hommcs. Et quel est ce terme? C'est le Nirvana!

Pour v atleindre, les dieux ne sont a rhomme d'aucun secours. C'est a lui de trouver le moven d'cchapper pour jamais a cos ahernatives sans but de naissances et de morts, dont le dieu non plus, du moment ou il cxiste, n'est pas dclivre. C'est a luide se sauver lui-meme, de se delivrer lui-meme, de se sanctifier lui-meme : ces trois derniercs expressions sont synonymes pour le bouddhiste. A ses veux, la saintete, c'est la delivrancc ; et la delivranee, c'est Tcxtinction du mal; c'est done la fin de tout, puisque tout est mal : c'est le Nirvana.

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L*ID£E m LA SAlXTITfi- §

Plus A*un philosapha^ ^tonn# da ecitc religion saas Dleu et de cette aspiration vers 1c ncaut, a cru pouvoir affirmer que m ncant m devait 6tre quc le repos ium la plenilud© d'une vie desorraals im~ muabla, Mais ce\uf aucun text© hicdou m I© dit. Tout ce que Tou pent alleguer, e'est qa'aucun tcxte hindou naditle contraire; et ce quiparait encore le plus certaia, e'est que e'est la nm qacstion a laquolle Bouddha nfa pas %*m\u repondr© {i}t et n© Fa pas voulu de parti pris. ficliappcr au perpeiuel reeom- mencement des existences lui scmhlait d'une im- portance tdle, que cc souci devait primer tows les autreg* Riea de plus mi en ce seas que ce tele cu~ rieux ; m Le parFait fit-il ou ne mt~i\ pas aprli la mort? Le sublime Bouddha n'a rien enscigne a ce sujet: il a'a pas revel# eela. Parca que ceta me Mrt pas mm mMtf que cela ne sen pas a la vie pieuse, an detacbement des choses terrestres, a la cessalioE, au repos, a la conuaissance, a rilluminatLon, au Isir- vana; pour cette raison, le Sublime n'a riea re- vele. n

Ce qtf& a revill srax siens en toute oeeaiion, e'est qu'il faut aneantir en soi tout disir et renoneer

(i) le recent volume, plein d'autoritti, de Oldenderg {trad, franpise) : Bouddha, sa vie, m dmMne, m mmmrn- nauti* — Ce®t a ce travail que j'emprante les chat Ions qni vont suivre. Quant a ceux qui persisteraienl a douter de Texistecice individuelle du personnage appele Bouddha^ ils n'ont qu'a 1m substhuer le groupe d'esprits qui a till former et propager cette doctriae| k comparaison qae je viens d'es- quisser subsistera tout entiere

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10 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

a toule espece cl'oeuvre; car oeuvre et desir ne sont au fond qu'une seule et meme chose, cc Da desir depend la nature de rhomnie. Tel est son desir, telJe est sa volonte, telles sont ses oeuvres, telle est ['existence qui lui echoit. » Or, puisque toute exis¬ tence est douleur, il n'y a de voie de salut que dans la suspension de tout desir. Cellc suspension ne tuera pas immediatement la vie presente; mais elle fera beaucoup mieux : elle tuera dans leurgerme les vies a venir, et c'est la le but par excellence. Les fideles ont done eu bien soin de retenir et de mediter ces paroles de Bouddha : « Tandis que je me livrais a ces contemplations, mon a me etait delivree du peche de convoitise, du peche d'attachement aux choses l.errestres, du peche d'erreur, du peche d'ignorance. Dans le delivre s eveille la conscience de la deli- vrance ; la necessite de renattre est abolie, lasaintete atteintey le devoir rempli; je ne reviendrai pas en ce monde. )> Etce monde, e'est celui ou sont les dieux aussi bien que celui ou sont les homines, puisque Bouddha avail ete dieu.

On voit comment les esprils superficiels ou desi- reux de discrediler le christianisme ont eu ici occa¬ sion de se faire illusion. On a compare souvent le moine bouddhisie et le « saint » bouddhiste au moine et au saint du christianisme. Pourquoi? Parce que le bouddhisie, dit-on, s'il veut etre saint, doit d'abord etre moine, et que le moine de Tlnde doit renoncer a la vie domestique, a la famille, a lapro- prlete, faire profession de pauvrete et de continence absolues, mendier sa nourriture, pratiquer la con-

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L'IDEE DE LA SAINTETE. 11

templation passive, et s'abinier, s'il le pent, dans I'extase. Mais d'ou yient qu il meprise aiusi la chair et lout ce qui interesse la chair? Est-ce parce qu'elle est sujette a la corruption et a la mort? Pas du tout! Ccst parce qu'elle est « sujette » a Texis- tence indefinie. Voila pourquoi il ne s'agit pas de reformer le monde ou de propager une vie nouvelle en deployant telle ou telle forme d'activile. II s'agit de se detacher enlierement du monde, present et a venir. Le saint bouddhiste renonce ainsi a toute oeuvre comme a tout desir, pour s'aflranchir de la necessite de renaitre : cet affranchissement, encore une fois, e'est, a ses yeux, la saintete meme, et la saintete n'est pas autre chose.

II est difficile de trouver un contraste plus frappant que celui qui existe entre le fond de la conception bouddhiste et celui de la conception mahometane. Je dis : le fond, parce que, si on s'en rapporte aux apparences, on peut trouver qu'un moine bouddhiste et un marabout musulman se ressemblent bcauconp. Comme le premier, le second renonce au monde; il cherche la retrahe el la solitude; il pratique la veille prolongee, 1-e jeune, Tabstinence; comme le premier, il aspire aux visions et a I'extase, et il nous donne a croire qu'il y parvient. Mais, tandis que le premier poursuit la suppression des existences, le second desire une renaissance perpeluelle de ses facultes corporelles, et, s'il renonce, dans cette vie, k un certain nombre de plaisirs, c'esl pour en re- trouver beaucoup dans une autre. Tandis que le premier se passe des dieux, le second aspire a s'en-

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treteuir avec le dieu qu'il Jnvoque. Aussi, alors que^ clans rindc, saint veut dire cc delivre dansl lslani, ie mot dc cc marabout », qui designe rhommc deja inilic ou prepare a la saintete, veut dire, au con- traire, cc lie » ou « enchaine ». Lie ou cncliaine a qui? A Dieu Le saint proprement dit, e'est Youali, Tami de Dieu. a Le marabout qui alteint a ce degre de perfection (I'extase) est dit ouali, ami dc Dieu, saint; et il est vencrc par Jes fideles, lesqucls, npres sa mort, sediscntsesservitcurs religieux. Dansceseon- ditions, il est orthodoxe d'iniplorer son intercession par la pricre auprcs de Dieu et de son prophete (i). »

Par quels sixties cclte intercession, qui est elle- meme le fruit et la recompense dc la saintete, se manifeste-t-elle? Par de nombreux miracles, dit le musulman ; et il lui est d'autant plus aise d'en racon- tcr d innombrablcs, que, d'un cotc, il tient pour mi- raculeux tout phenomene naturel qui n^est pas habi- tucl et quotidien, prevu et attendu, et que, d'autre part, aucun clerge n'ayant jamais vcrifie pour lui les legendesdes cc saints )), il accepte toutcs les histoires conime eel les des montairnes rcntrant sous tcrre ou O de la lune fendue en deux.

Malffrc ccs abstinences et mal^re tout ce merveil- leux, 1c saint de rislam ne s'oublie pas, pas plus que son prophete ne Ta oublie dans la dispensation des joies dc son paradis. cc Nous devons reconnaitre, dit un commentatcur (2) de cettc singuliere hagiogra-

(t) Colonel Trumelet, les Saints de llslani} introd., xix. (2) Id., ibid. Lvnr.

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phic, que, pour ics musulmans, le but ou la cause dcterminanle des miracles se ressentent tves seusi- Ijlement de la materlalite da mahometismc, et qne rinteret pavticulicr du saint y prime trop frequcm- nient celui dc la divinite qui lui delegue une partie de sa puissance. En un mot, le saint de Tlsiam opere trop souvent pour son propre compte ct au profit de ses passions. »

Que conclure de ces premiers rapprochements? Qu'au-dcssus de la rectitude ct de rhonnetete, au- dessus de la sagesse ct du talent, au-dessus de la grandeur inteliectucllc, Fhomme a de bonne heure concu Fidee d'un mode d'existcnce plus par fa it encore. Tous les pen pies n'ont pas compris que ccUe perfection ne pouvait 6lre due qiva une sorte de societe conclue avec un dicu : quelques-uns meme Tont nie deliberemcnt; mais la plupart ont senti qu'il etait impossible d'elever si haul la nature sans ceder a un attrait, sans etre reconforte par un secours veritablement divin. C'est bien a rintelligcnce dc ce cc mandat celeste » que tendent, m6me chez les Chinois, ceux qui veulent s'expliquer Tidce de la saintete.

* *

C'est surtout dans le pcuple hebreu et dans la Bible que Tidee de saintete va se montrer a nous toute pleine, pour ainsi dire, de Tidee de Dieu. Dans VExode, dans le Lew'tique, dans le Deutcronome,

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14 PSYCHOMGIE sm SAINTS-

Dieu mul estsaint; ©t, si urn partisde celta saialeli 10 communlqae a m creatar©, celt© conimumcatbn est reflet d'un decrct special, le signe d'uue faveur partieuliferc, assuii© par um coniteatiom visible; c'csi aussi un don gratuit, et qui ne suppose tout d'abord aucua inerite humain ; il peut itr© eoni&ri a des choses inaniinees. C'est ainsi qu'il y a des licux saiots, des jours saints, une aaetion g&mte, dm v^iemcnls saints, des holies saiates, im chairs sainics.

(( Vous ferez, est4I dit dans ltEmde$ mae lama d'or trfes pur sur laquclle vous ferez graver par un ouvrier habile s La saintete mt cm Smgnmir*** Vous rttiacherez sur la tiare, et Aron aura toujours celte lame sur le front, afin que le Seigneur lui soit fa¬ vorable. » — Les prltres lout saints : cek vent dire qu'ils sont consacres comnie la victime qufils doiventimiiioIer« « Las pr6trcs ne se rasaront ni lis eheveux ni la barb©.,, Ils presentent Feneens m Scig-neur et ils offrent les pains de leur Dieu : e'est pourquoi ils mnl saints^ »

Pi-is clans son enseniblej le people d'lsrasl lui- m^me mt saint, non pas certes par Filevation de ses vertus ni park grandeur de ses mgrites, mais parce que Dieu a fait ehoix de lui et Ta consacrc a son ser¬ vice. II est ecrit dans le LevHiqm : « ¥ous serez raon peuple saint parce que je suis saint, moi qui suis le Seigneur, et qweje vous ai sipares de tous les autres pen pies afin que vous fussiez partieulidrement a moi. n Et dans le Deuterono/ne : « Vous dtes un peuple saint, eonsacrii I Dieu. »

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Dans rAncien Testament m^me, cependant, les idees nc dcmcurentpas immobiles et infecondcs. La tradition a commence par le ceremonial, par la ne- cessite de la fidelite litterale a uu rile materiel et charnel. Mais il etait impossible que raction divine ne tendit pas a penetrer du dehors an dedans. Deja dans les livres que j'ai cites? les etres purifies et consacres sont invites a ressembler, autant qu'ils le peuvent, au Dieu qui les a elus. « Qu'ils soient saints, dit le Levitique, comme je suis saint moi- meme, moi qui suis le Seigneur qui les sanctifie. » Et dans \zDenteronome : cc Dieu g-ardera les pieds de ses saints, et les impies seront reduits au silence. » Mais dans les Rois, Tidee pure men t morale se degage de plus en plus, tout en gardant avec Tidee de Dieu et du service de Dieu la plus etroite relation. Ellcse precise surtout par des oppositions d idees dont les for mules sont nouvclles : cc Vous serez saint avec les saints, parfait avec les forts; vous serez pur avec les purs et vous paraitrez mechant avec les me¬ diants. » Ainsi s'exprime David dans run de ses cantiques. Lui a son tour sera qualifie de « serviteur de Dieu », mot consacre par Dieu lui-memc qui a dit : (c mon serviteur Job en attendant que celui- ci, dans le livre de Tobie, soit designe par ces mots : cc le saint homme Job ». Peu apres, Elie est pro- clame I homme de Dieu, etd'EJisee il est dit : cc Je crois que cet homme est un homme de Dieu, un saint. »

Or, en quoi desormais le saint ou rhomme de Dieu se distingue-t-il de Timpie ou m6me du profane ?

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IG PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

Est-ce uniqucment par la fidclite aux sacrifices et aux iunncs ceremonielles? Ce n'est pas ce qu'enscignent ics exemplcs de Job, ni ceux des hommes qui, dans la suite des livrcs saints, rappellent les vertus des cc saints patriarches ». Ce n'est pas enfin ce qu'en- scignc la parole des prophetcs, puisque Isaie et Je- rcmie s^qipliquent, avec cette energie qui a si bien inspire 11 a cine, a fa ire passer la purete du cceur avant la purification par le sang des boucs ou des genisscs.

Ainsi, — sera-ce la pour quelqucs esprits prcve- nus un paradoxe? — si nous nous reportons un ins¬ tant vers les comparaisons que nous resuniions tout a Theure, c'est la religion sans Dieu qui se fait de la saintctc Tidee la plus austere, on peut meme dire la plus efTravante. C'est qu'en efTet, Dleu supprime, la nature n'est pas afl'ranchic; clle tombe au contraire sous rimpitoyable esclavage d'une fatalite dont rien ne permet ni de comprendre le sens, mde prevoir la fin. C'est done, a tout prendre, un spectacle tou- chant et faisant honneura la nature degeneree, que cet efFort desespere de tant de millions d'hommes pour se delivrer des liens d'une chair dont ils ont senti a la fois tout le vide et tous les tourments. Le musulman, lui, croit et espere en Dieu; niais vrai- ment il attend de Dieu des choses qui rendent la saintete bien attravante pour ceux qui n'ont renonce qu'en apparence aux joies de Torgueil et a celles de la concupiscence. Enfin, le croyant de I'Ancien Testament a commence par se sentir completement entre les mains d'un Dieu qui garde pour lui la sain-

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tete, ne reclame que Tobcissance ponctuellc ? et promet en echange le bonheur tcrreslrc. C'cst pen a peu que rhonime « marchant dans les voics de Dicu » s'est senti tire encore plus que son scrvitcur, qu'll a forme dans son propre cceur un clnn plus Ubre ct plus soutenUj et qu'il a pense que Tamour devait rc- pondre a ramour, partout, chez tons les hommcs et au-dela de la vie. La vraic croyance ctalt done plus qu'ebauchee, qnand rauteur du livre de Tobie dit de ses deux jeuncs epoux : « Ils pcrsevcrcrcnt avec tantde fidelile dans la bonne voie et dnns une con- duite sainte, qu'ils furent aimcs de Dleu et des hommes ».

Nous arrivons ainsi au Nouveau Testament. II cst vrai que ses licriticrs se sont dlvises; mais

c'cst surtout sur rintcrcession el sur le culle des saints qu'tls ont engage entre eux des disputes si vives, car ils croicnt a la saintete les uns ct les autres. Parmi les sainls qai figurent an calendrler, depuis saint Paul jusqu'a saint Francois d'Assisc et jusqu'aux approches de la Reforme, il en est beau- coup que les protcslants d'airourd'hui qualifient comme les catholiqucs, efdont ils recommandent tres ardemmcnt, cux aussi, de rechcrchcr la socicle spirituclle, en vuc de les iniiler.

11 est un point sur lequel ['accord elait encore plus precieux entre les catholiques ct les proicsiants croyant a quelque chose depositif. Dieu est la sain¬ tete par excellence, ainsi que la Bible Ta proclame; mais cctte saintete s'est ofTerlc a nous sous une forme molns inaccessible quand elle s'est proposee

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comme un modele et comme un secours dans la personne dc Jesus. Si je prends du moins les graiules publications d'il y a vingt ans, le proLes- tantisme croit que cc la saintete a ete realisee pour la premiere fois sur la terre par Jesus-Christ. Depuis sa venue dans le monde, non seulement nous sa- vons, mais nous avons contemple ce qu'est la sain¬ tete veritable dans les conditions de la vie hu- maine ».

Les mfimes theologicns protestants (i) precisent leur opinion par la distinction qu'ils etablissent entre rhomme juste et Thomme saint. Le juste ou le justifie, disent-ils, a obei au precepte de Jesus- Christ disant : « Venez a moi » ; mais le saint ou le sanctific ne s'est pas contente d'aller a Jesus, il a fait un pas de plus; il a obei a Fappel qui lui disait : « Denieurez en moi, et je demeurerai en vous. )) EnGn, et tout en se souvcnant de la variete indefinie des formules propres aux sectes protes- tantes, il est permis de s'arreter sur celle-ci : « La sanctification reclame les bonnes oeuvres procedant

(i) Voycz 1 'Encyclopedic religieusc. Paris, Mschbaclier, 1887. Articles Saint et Sain tele. II faut reconnnilre (jwe ces idees ditTerent assez senslblement de celles de Luther ou que du moins elles en aUenuentj par le silence, Pesprit sectaire et e\clusif. Pour Luther, la saintete nVtait chez les ehretiens qu'nne saintete imputativc, ne changeant pas le fond de notre moi, jetant simplement sur nos perversite's natives le manteau des me riles du Christ; et quant a ces merites ils nous e'laient impute's par la foi senle sans qu'il fut necessaire d'y joindre les bonnes oeuvres.

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dc la regeneration du cceur par la foi. » Or, la foi, il n'y a pas ici a subtillser, c'est la foi dans la divi- nite du Christ, c'est la foi dans la possibillle de par- ticiper a la divinite de celui qui de son cole a voulu participer a notre humanile.

Qu'il nous suffise d'etre ainsi remonle a la source commune. A tout point de vue, on comprendra que nous voulions surtout considerer les saints dans I'Eglise catholique. Ceux qui, en dehors de toule controverse sur le dogme, voudraient n'etudier la sainlete qu'au point de vue de la psychologic et pour connailre les ressources profondes de Tame humaiiiCj se diront tout de suite que, quand on parle des saints, il s'agit des saints verifies, proclamcs, honores, racontes et chantcs par TEglise catholi¬ que. Pour Fhistorien, pour le litterateur, pour le psychologue, tout aussi bien que pour le pcuple, voila veritablement les saints, \oila cette famillc d'^tres extraordinaires, a propos desquels il est bon de se demandcr comment, de quelle maniere, a quel prix et avec quel fruit ils depassent la portee moyenne dc rhumanite.

Cette parente des saints avec Jesus nous a ete expliquee par celui qui a peut-6tre etc, intellectuel- lement, le plus rapproche de lui, puisqu'il a ete I'A- potre par excellence. Si, comme le reconnaissent les proleslants, il a etc necessaire que la saintctc de Dieu se montrat plus pres de nous, dans Jesus, n'a- t-il pas ete salutaire qu'a son tour la sainlete de Jesus se montrat plus humaine encore dans ses dis¬ ciples immediats, et notamment dans celui dont il a

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etc dit (i) quc son coeur ctait le coeur mcmc dii Christ. : Cor Pauli cor Christi erat? Noire huma- nile etait deja dans son maitre; mais qui cut pu se defendre de Tidce qu'une humanite liee si etroite- ment a resscnce divine etait encore trop au-dessus de nous? Avec la saintete de Fapotre, nous retrou- vons done cc coeur du Christ, mais cette fois avec les faibiesses morales et non pas seulement corpo- rellcs de riiumanite, avec la nature debutant dans toute Taprete du peche et, mcme apres la conver¬ sion la plus eclatantc, conscrvant dans des tentations rcnouvclees les traces a peine efTacees des miseres de noire race.

On ne peut faire autremcnt quc de s'arrcter ici devant une semblable figure. Beauconpde chretiens ne connaissent TApotre que par la lecture des grands textes lus dans les offices de TEglise. Detaches ainsi et inseres dans les manifestations les plus augustcs du culte, ils ont une grandeur surnaturelle : e'est la voix meme de TEgHse universelle joignant le Nou- veau Testament a rAncien ct fixant rinterprelation des mvsleres. Mais ce qui les consacrc ainsi dans le respect picuxdu fidele ne leur enleve-l-il pas pour le lectcur distrait d'uu moment une partie de leur va- leur historique?

Cette valcur reparait quand on lit avec suite les Epitres memes. On sent alors Taccent tout fremis-

(r) Par saint Jean Chrysostome. Ces mots servent d'epigra- phe a run des chnpitres da livrc si iiiltressant de M. Pabbe Founrd sur saint Paul (Paris, Lecoflte).

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L'IDHE DE LA SALNTETE.

sant cTun homme qui a rccueilli la Iraclition vivante de Jesus et qui Fa vu clans la nuee. Les evenements si authenliques auxquels il a pris part etablissent un lien visible entre sa predication etcelle du Christ; en

s'v intercalant, les texles decisifs prennent un sens humain et personnel, sans rien pcrdre de la grandeur qu'ils doivent a la revelation qu'ils nous apportent.

Si enfin on replace exactement ces Epitres dans les milieux sociaux, geographiques, historiques, ou elles ont etc composces, elles font entendre un ac¬ cent plus individuel encore. On sent ce qu'elles ont coute de peines, d'efforts, d'angoisses, de combats, alternant avec les illuminations de la grace; on est surpris de voir les dogmes les plus sublimes exprimes a une heure dite, en face d'un peril connu, avec tou- tes les nuances familieres d'une langue emue et par- fois avec les precautions obligees de la prudence humaine. Lc celeb re forte pugnse, intus ti mores se devine pariout, et il semble bien que ce puisse etre la desormais la devise des saints, ne montrant aux ennemis qu'un courage fait pour le martyre, ne ca- chant point aux amis, confessant tout a fait aux su- pcrieurs et aux egaux les peines interieures, les tcn- tations, les heures de doute, se laissant enfin voir au reste des disciples avec une nuance intermediairc, faite de mo ins d'ardeur pour le combat, ma is aussi de moins de tristesse, afin de ne pas decourager les ames faibles ou inccrtaines.

Done, le grand apotre ne nous explique pas seu- lement le dogme : il doit nous expliquer aussi ce que e'est que la saintetc de la vie nouvelle

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22 PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

Penelre de Tidee qu'en mournnt pour tous les hommes, Notrc-Seigneur les avail convies tous a vivre en lui ct a vivre ainsl de la vie sainte, il ap- pelle souvent du nom de saints les fideles qtii avaient connu Jesus-Christ, puis ceux qui, au milieu de la soeiete pai'enne, separesdeses superstitions, vivaient les uns pres des autres afin de mieux conserver le depot de la foi. Ce sens du mot persislait encore du temps de saint Jerome. La vie chretienne et la vie sainte semblaient devoir ne faire qu'une seule et mdme chose ; et du reste, dans le dogme catholique, nous n'avons jamais cesse d'etre convies tous a de- venir saints. Est-ce a dire qu'aux veux de saint Paul, il sulFise d'avoir renonce au paganisme et de s'dtre donne a Jesus-Christ pour arriver du meme coup a la saintete parfaite? Non assure men t, puisqu'il re- connait dans TEglise de Dieu non-seulement tant de ministeres et d'olfices, de dons spirituels divers, de graces inegales, mais tant de dcgrcs dans cette eharite dont la vertu est superieure a celle de la prophetic, de Tapostolat et des miracles. Qu'il reservat done la part d'une elite avant pousse jus- qu'au bout sa separation d'avec le siecle, cela n^est pas douteux; a cette elite encore plus qu'a la foule, a la turba magna des elus, il devait appliquer cette parole : « Ceux que Dieu a connus par sa prescience, il les a predestines a <kre conformes a Timage de son fils, afin qu'il fut lui-me me le premier-ne entre beaucoup de freres. »

Ces freres se contentent-ils maintenant d'habiter et de reposer dans la famille sainte? N'ont-ils

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L'IDEE DE LA SAINTETE.

qu'a se conserver pars et a ne pas se renclre in- dig-nes du choix qui a cte fait d'cux? En ctanl les serviteurs de Dieu, nc sont-ils qne ses servi- teurs? Non; le grand apolre, ce <c frerc » venu si vite apres le (c premicr-ne » a trace de la saintele une caracterlstiqne bien plus haute quand il a ccrit ces mots etonnants : « J'accomplis en moi ce qui manque a la passion du Christ (i). )> Quand Bossuet se trouve en face de celte parole inattendue, il Tin- terprete en disant que Jesus n'avait souffert quTa Je¬ rusalem et qu'il fallait que la croix fut portee en Grece, a Rome, et de la danslereste du monde (2). Je trouve une interpretation plus profonde dans un de ses contemporains, moins grand ecrivain a coup sur, mais certainement aussi plus rapproche de la saintete, puisqu'on poursuit sa canonisation en ce moment m&me. Je veux parler de M. Olier, le fon- dateur de Saint-Sulpice. <c La fete de tous les saints, dit-il(3), me parait plus grande en quelque maniere que celle de Paques ou de I'Ascension; car e'est ce mystere qui rend Notre-Seigneur par fait; car Jesus, comme chef, n'est parfait ni accompli s'xl n'est uni avec tous ses membres, qui sont les saints. )) — <c Cette f^te, dit-il encore, estglorieuse parce qu'elle manifeste au dehors la vie cachee de I'interieur de Jesus-Christ; car toute Texcellence et la perfection des saints n'est rlen qu'une emanation partagee de son esprit repandu en eux tous. »

(1) Colossi, 24. (2) Voyez le Pancgyriquc dc saint Paul. (3) Lettres> n, p. 473. (Edition Lecoffre).

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2-1 PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

Dans vie la chretienne, encore une fois, celte par¬ ticipation devrait (Hre le lot de tous les fideles. En fait, nous ne la voyons bicn realisee quc dans un petit nombre; et c'est a ce petit nombre que 1'Eglise, dans sa langue courante, a du reserver le nom des sa i n Is.

Done, si nous comprenons bien ce beau texte de SI. Olier, les saints sont destines a manifester au dehors la vie « cachee n du Sauveur. Us ont pu, ils out du d'abord commencer par le « cacher » lui- nicme en leur cocur. C'est ce que disaicnt de saint Francois d'Assise les fameux « trois compagnons » qui ont raconte sa vie et qui lui appliquaient cet a in re mot de saint Paul : « II s'appliquait a cacher Jesus dans son homme interieur. Studebat in inte¬ rior cm hominem recondcre Jesum Christum. » Slais ces deux pensees, nous aurons a le voir plus ample- ment, ne sont pas contradictoires. De cet interieur unc fois rempli jail lit, com me de sa vraie source, Taclion cxterieure qui, solt par une voie, soit par unc a litre, fcconde le champ ou s'accomplissent les travaux utiles de rhumanitc.

II y a ici de quoi provoquer le scepticisme des esprits pour qui le saint est necessairement un £tre qui meprise et la nature et la societe. Slais il n'y a de quoi etonncr aucun de ccux qui sont habitues a voir la main et Fempreinte des saints dans toutes les evolutions ou revolutions de notre espece. Le saint, qui est un homme de Dieu, est d'abord un homme : et c7est un homme qui ne s'est pas seule- mcnt eleve, qui n'a pas seulement grandi, sous Fac-

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L'IDEE DE LA SAIXTETE.

tion de la grace, dans le sens du surnaturel et de reternilc. Bossuet (i) appelle les saints « ces grands hommes qai ont plante I'Eglise de Dieu ». II est bon de se demander en quoi ils ressemblent a ceux qu'on appelle les grands hommes au sens puremcnt humain et profane, et en quoi ils en different.

J'ecarte — cela va de soi — la comparaison trop facile entre les vertus qui, chez les nns, reussissent a grandir les plus humbles et les faiblesses qui n'em- p£chent pas les autres d'etre grands par Tart ou par la science.

De ces deux grandeurs, quelle est celle qui est la plus eloignee de notre portee et qui parait devoir rosier le plus inaccessible a Timmense majorite d'entre nous? Beaucoup diront que rien n'est plus difficile que la saintete; et certes, a regarder aux obs¬ tacles que nous dressons nous-memes devant nous, on estbien tente de le croire. Peut-6tre m&mefaut-il dire que nous le croyons parce que nous voulons le croirectquenotre attachementa la viesensuelle nous faitchercherlaplusqu'une excuse..une justification pour nos faiblesses. C'est pourtant, nous venons dc le voir, une des verites essentielles du christianismc, que nous sommes tous appeles a la saintete. Le genie a besoin de preparation, d'occasion, de materiaux

(i) Yoyez le Sermon pour la Toussaint, 2

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SG PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

cxceptionncls : il lui faut des precurseurs, un lieu d'aclion favorable, une connaissance etendue des besoins du temps, un theatre qui I'aUende, une foule qiu le reclame el qui le porte a la puissance exterieure, au bruit, a la gloire mondaine. Je ne dis pas qu'on ne trouve rien de semblable chez les g-rands saints, chez ccux qui, par le gouverncment ou la defense de Teglise, ont etc meles aux combals ct aux victoires de la civilisation. Mais a cote de ceux-la, combien d'autres qui se sont contentes d'etre le sel de la terre, en relevant comme ils Tout fait, le gout des devoirs obscurs etdcs missions en apparence les plus sacri¬ fices! II serait impossible et contradictoire m&me de soutenir qu'on puisse £treun grand homme dans quelquc condition que ce soit; mais des saintsI'Eglise nous en oflre dans tous les etats possibles.

Si nous faisons attention a la profession, aban- donnee sans doute au moment de la conversion, mais pratiquee pendant de longues annees, nous trouvons dans les listcs de saints des comediens et beaucoup d'anciennes courlisanes. Si nous relevons les professions memes que 1'homme ou la femme sanctifies ont pucontinuerd'exercer,nous voyons que Teelise a canonise non seulement des moines a cote O de dues etde duchesses, de rois et de reines, d'eni- pcreurs et d'imperatrices, mais des marchands, des mailres d'ecole, des jardiniers, des laboureurs, des bergers et des bergeres, des avocats et des medecins, un cabaretier, un ancien bourreau, d'anciens geoliers, des agents du fisc et des magistrals, des mendiants et des domestiques, des artisans, cordonniers, char-

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L'IDEE DE LA SAiyTETfi.

pentiers et forgerons, sans oublicr les p&cheurs! a Pour canoniser un serviteui' de Dieu, dit Be-

noitXIV, il suffitqu'on ait la preuve qu'il a pratique a un degre eminent et heroi'que les vevtus dont I'occa- sion lui etait offerle, selon sa condition, selon son rang et selon Tetat de sapersonne (i). »

L'eglise demande seulement que cet licroi'sme n'ait pas ete rinspiration d'un moment, mais qu'il se soit manifeste toute la vie par des actes multiplies et varies. Si, pour un grand nombre de martyrs, elle s'est contentee du temoignage que cette mort a rendu d'eux, c'est que le sacrifice qu'ils ont fait de leur vie a leur foi est tcnu pour rcsumer en cet acte insigne etTheroisme qui a du le preparer dans la vie deja ecoulee et celui qui n'ctit pas manque de sanctifier le reste de leur existence, si celle-ci eut ete appelee a se continuer sur la terre. Tclle est 1'explication que donne encore BenoitXIV.

C'est ce qui fait que la vie intcrieure a chez les saints une importance beaucoup plus considerable que chez les grands personnages du siecle. Un

(i) Benoit XIV, De la beatification et de la canonisation des saints, III, 21.

Puisqtie je cite cehu-ci pour la premiere fois, e'esh le moment detlire que ce qui caracterise son grand ouvrage, ce n'est pas tant une sorte de regie imposee d'auloritea la sain- tete des fideles, mais un resume, pour axnsi dire, experi¬ mental dn ce que la vie seculaire du Christian isme et le deve- loppement spontane de la saintete ont nivele successivemenl ;i tous les docteurs et a tous Ics pasleurs de TEglise. La esl 1'in- te'reL non seulement doctrinal, mais historique et psycholo- gique de ce traite.

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PSYCUOLOGIE DES SAINTS.

simple moment de reflexion vous en averlit, et toute riiistoire des saints nous le demontre — il n'est point de saints sans prieres cxtraordinaires, sans elans interieurs et contlnus vers Dleu, sans meditations et sans amour de la retralte. Le grand hommc propre- ment dlt est plus avlde de succes extericurs; ces succes ont beau elre d'un ordre plus eleve que les succes passagers de la mode, 11 n'en est pas moins entraine par eux dans les polemiques, dans les dis¬ putes des ecoles, et surtout dans les conflits de la politique. II veut s'assurer des creatures qul consen- tent a executer pour lui line grande partie de ses desselns; il veut &tre aime du public et forcer son admiration. C'est ainsi qu'il commande aux evene- ments, change les convictions ou modlfie les gouts de tout un penple; mais il est rare qu'il y parvienne sans avoir flatte bien des passions, sans leur avoir procure des satisfactions qui ont commence par trou- bier violemment les amcs, par mettre en danger la paix des csprils ou mcmc la paix des nations. Le saint ■—■ alors qu'il agit le plus puissamment — ne ehcrche, quant a lui, qu'a se rctirer du monde, a vivre ignore et meprisc, satisiait de repandre dou- cement autour de lui par roraison et le sacrifice la paix qu'il a taut desiree pom1 lui-meme!

Le grand homme, si grand pour les ionics et pour tons ccux qui ne voient que les rcsultats cxterieurs de ses travaux, estsouvent petit pour ceux qul Fap- prochent et qui connaissent toutes les faiblesses de son caractere. N'est-ce pas la runique sens du pro- verbe qui veut qu'il n'y ait pas de grand homme

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l/IDUE DE LA SALNTETli. 29

pour son yalcL de chambre? C'est au contrairc pour ceux qui Tont approchc de plus pres que le saint est le plus saint; ce sont eux qui, temoins de ses vertus cacliees, de sa tendresse ignorec, de son credit aupres de Dieu et de son invisible action sur les ames, auront le plus souvent a eclairer Tigno- ranceeta dissipcr les prejuges quite meconnaissent.

De cettc difference en resulte une autrc. L/ame du saint est plus libre que celle du grand homme. — Quoi! plus libre, avec eel amour de la leltre, de la discipline, avec cettc soumission a la grace qui Ta transforme et subjugue? — Oui, et pour repon- dre a robjection, il rTest m6me pas necessaire d'avoir recours a la thcologie. La philosophic la plus elementaire, celle des pai'ens ne nous dit-clle pas avec Seneque qu'obeir a Dieu, e'est la liberte : Par ere Deo lihertas estl Ne montre-t-clle pas que la regie librement choisie n'aneantit pas, mais con- sacre et fortifie la liberte qui en avait pressenti, qui ne tarde pas a en gouter pleinement tous les bien- faits? Je ne suis pas de ceux qui croient que le genie est un produit de l lnconscient, et que la des- tinee des grands hommcs est ecrite par la fatalile soit de leur temperament, soil des circonstances et du milieu (i). Mais, quel que soit rheroisme re- fleclii qu'ils aient a deployer pour tirer de ces donnees le parti brillant qu'ils en tirent, que de cotes par ou ils en subissent la tyrannic! Tyrannic

(i) Sur ces diverses questions, je me permets de renvoyer a mon livre la Psychologic des grands homines^ ae edition. Paris, Hachette.

2.

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ties sens, tyrannic de In passion et de rnmbition, tyrannic des fails qu'ils ont crees et qui si souvent sc retournent contre eux, tyrannic des iausses admi¬ rations, tyrannic plus imperieusc et plus desastreuse encore des faux amis dont ils ont irrite les convoi- tises! Qucl est le grand homme qui ne se soit pas senti humilic, tourmente, malheureux, de ces ussauts multiplies? Je ne crois pas plus a ia folie necessaire ou inevitable des grands hommes que je ne crois a la fatalite de leur deslinee; mais, si nul genie n'a commence par la maladie mentale, il n'est pas rare d'en trouver qui ont fini par elle. On ne connait point de cas semblable chez les saints.

La maladie physique, les obstacles, les epreuves, la resistance des amis aussi bien que celle des enne- mis, la connaissance hnmiliec de soi-meme, le saint a experimente tout cela; mais rien de tout cela ne le domine ni ne renchaine; car il y trouve precise- ment ralimcnt quotidien dc sa saintete. Comme dit saintc Thercse, c'est la 1c pain avcc Icquel il faut qu'il mange sa plus sublime et sa plus exquise nour- riture. II s'interdit a hn-m^me de gouter Tune sans Taulre; et c'csl mt^me ce pain grossier qui, selon son propre temoignage, forme et soutient la partie la plus solide de son temperament spirituel.

De cette liberte inattaquable resulte dans la vie des saints une unite qu'on ne retrouve pas au meme deere dans celle des grands hommes. Dans celle-ci a o assurement il en est une qui vient de I'idee maitresse et du grand dessein a la realisation duquel leperson- nage travaille dans les trois quarts de sa vie. Tout

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hommc de genie apporte a I'humanile on tout au moins a ses concitoyens un style nouveau, unc me- ihode nouvelle, des solutions nouvelles, une tactique nouvellc...; et c'est cette nouveaute militante et ti'iomphante qui fait Tunite de sa destinee histori- que. Mais dans toute la sphere de son existence qui n'est pas interessee directement au succes de la conception dominante, que de parties malsaines, que de desordres et d'incoherenccs ! Combiende fois n'arrive-t-il pas que cette region inferieure arrive a gater Tautre et a I'entrainer dans une decadence prematuree! Que d'eclipses! que de sacrifices, inu- tiles ceux-la et lamentables! que d'accrocs sanglants et douloureux!

Aussi un dernier caractere distingue-t-il le saint de rhomme de genie : c'est le progres constant et indefini. Ici encore, ce n'est pas que j'admette toutes les fantaisies qu'on a risquees sur la precocite in- vraisemblable des grands homines, sur la soudainete de leur vocation, sur la perfection immediate de leurs oeuvres —ce qui permet, dit-on, de comprendre la chute rapidc d'un si grand nombre d'entre eux, comme s'ils obeissaient a un instinct mysterieux qui, du jour ou son travail est accompli, se retire en les laissant desarmes. Toutes ces assertions sont d'une exactitude tresrelative. II est desgrancls hom- mes qui sont tres precoces; il en est qui le sont moins ou qui m&me ne le sont pas du tout. En somme, il en est peu dont la vie n'offre pas I'exem- ple de progres achetes par le travail etpar la lutte Mais, d'autre part, ce progres ne parait pas chez

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32 PSYCIIOLOGIE DBS SAINTS,

cux une loi necessaire, ni une loi sans exceptions. II en est qui ne finissent que clans une defaile pro- voquee par Tabus qu'iis ont fait cle leur sysleme ou cle leur pouvoir. Alexandre se tue par Tivresse. Louis XIV el Napoleon laissent la France epuisee et nuuilee. Corneille finit par des tragedies telles que Pertharite etSurena. La main du grand sculpteur ou du grand peintre fmit toujours par ne plus pouvoir tenir Tebauclioir ou le pinceau : le cervcau de New¬ ton s'affaisse apres une tension demesuree et il cede a une apathie senile.

Le saint — qui ne le sait? — granclit en saintete jusqu'au dernier jour Qu'on explique ses miracles comme on le voudra (je ne traite pas en ce moment cette question), e'est encore a son lit de mort qu'il en fait le plus; e'est cc jour-la qui, plus encore que tous les autres jours de sa vie, le consacre, parce que e'est lui qui parait le plus pleiu de vcrtu et d'efficacite.

Ces differences toutcfois ne suppriment pas les points de contact. La saintete et le genie ont ete assez souvent reunis dans lememehomme, ce qui suffirait a prouver que Tun n'est pas forcemcnt rennemi de Tautre. En saint Augustin, en saint Thomas, en saint Louis, en saint Gregoire le Grand, en saint Gregoire VII, aucun de ces deux personnages n'a nui a Tautre, son associe... On clira que cette ren¬ contre est, en somme, un evenement peu ordinaire. Cela est vrai; carle saint fuit, plus qu'il neles cher- che, les occasions d'agir exterieurement sur les evenementsnationaux et m&me sur les intelligences;

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LIDfiE DE LA SAIXTETfi. M

mais, dans son mode de d^veloppemcntat d'action, il a cnmm avec le grand homme eertains points de ressemblance qul meritent d^lre moles,

Ni Tun ni Tautre ne restent vraiment isoles dnns le milieu, ici Hlfeiraire, artistiqae, polilique, la moral, picmx, charitable, ou ils apparaisscul cepcn- dant comrae une elite rare et imprevue. La saiiuete a en quelque sorte des centres de creation qui, par bon nombre de efitis, sont bumains et liistoriques. Ce sont lesgroupes qni, a une certaine epoqne, aspi- rent au desert pour fair le paganisme des moears encore plus que celui des institutions et des idees; ce iont le$ communautdsj m sont les phaknges da moines dlfricheurs et oonfertlsieurs; m sont Im lieux ou plus d'an croyant veut affroiHer le mar- tyre; ce sont encore les lieux oitbaaucoup d*espri£f sine^res sentent 1@ besoin d'une profonde refonne. Dans des siecles de sensualite paienne, il faut rap- peler rindlpendanee de la fcrnme par k pratique volontaira et respectee dc la chastete : saint Jerdme et saint Ambroise muliiplient ates leurs appcls au eilljat monastiqut! de mime que plus tarfl, dam des moments ou le clerg-e corrompu sera rempli dc con- eubinaires, un roi et une rein© le reformeront par Fexemple solennel qulls donneront de k plus dif* ficile des continences (i). II se trouvera toujours des saints pour faire aimer le desinteressement et k pauvret^ devant une barbarie pilkrde et usurifere,

(i) Voyez la nouvelle Fie d§ saints Mmlwigc, Paris, BloucI et Barral.

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3! PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

pour ouvrir des convents de travailleurs de la terre dcvant une barbaric balailleuse, et des couvents d'crudits devant une barbaric destructive et igno- rnnl.c : on en trouvera plus tard pour grouper des religieux s'astreignant a une obeissance absolue en face dc Tcsprit de revoite ct de dissidence et d'aban- don a son sens personnel; on en trouvera pour ouvrir des pepinieres libres de pretres seculiers en face d'un regime oil la naissance donne tout, jus- qu'aux plus hautes dignites episcopales, et ainsi de suite... renumeration complete serait bien lon- gue...

Est-ce a dire que ces creations successives de la saintctc soient autant d'expedicnts momentanes conlrc le peril d'un jour? Non, car les ennemis qu'elles combattent sont rarement les ennemis d'un jour, et de ccs grandes fondations on n'en voit guere qui ne se mainliennent en restaurant, quand il le faut? et en intcrpretant exactement le pur et fecond esprit de Icur premier a incur. Mais quand un de ces besoins permanents de I'liumanite se fait sentir avec une intensite plus pressante et dans des conditions plus difficiles que jamais, alors surgit un personnage qui, sans rien detruire, ajoute une force nouvelle a toutes eel les qui etaient deja ;i la disposition de la chretientc. — Ainsi dans I'ordre purctnent humain font les genies qui servent tout a la fois et leur temps et la posterite.

Enfin, si aucun pavs n'est exelu du privilege de fournir des saints, il en est qui out celui de consacrer les plus illustres d'entre eux etde mcnager

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L'IDEE DE LA SA1NTETE.

a leur action un rayonnement universel. On a sou- vent remarque que si la litterature francaise clait moins spontanee, mo ins national e et mo ins populairc que beaucoup crautres, elle avalt en revanche un caractere de raison souveraine qui attirait dans son orbite un plus grand nombre d'initiations et de vocations, d'adhesions, d'orientations venues des iit- teratures les plus divcrses. Eh bien! quelque chose d'analogue a ete observe pour les saints. « Chose remarquable, a-t-on dit (i), que presque tous les ordres religieux ne se soient developpes, n'aient envahi le monde qu'apres avoir louche le sol fran- cais! saint Benoit vit et meurt en Italie; mais son premier et plus illustre disciple, saint Maur, se hate de s'etablir en France. Saint Colomban y vicnt aussi d'Irlande, saint Bruno des bords du Hhin, saint Nor- bert du fond de TAllemagne, saint Dominique de la Caslille(2), saint Ignace de Pampelune, tons etran- gers, tous amenes mysterieusement en France; soil que Dieuayant predestine cette nation a 6tre la fille aince de I'Eglise, ait voulu lui reserver I'honneur de mettre la main a toutes les grandes ceuvres catho- liques, soit que le genie francais, avec ses belles qua- lites de lumiere et de chaleur, soit plus propre qu'au- cunautre acommuniquer aux ceuvres ce caractere de simplicite, de clarte, de grandeur et de grace qui triomphe de tous les esprits et qui seduit tous les coeurs. »

(1) Mer Bougaudj Histoire de sauite Chanlal, 1, 519. (2) lit; apres lui, saint Thomas d'Aqnin de Tllalie, elc,

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Apres les lieux viennent les temps. Le i^apport du personnage avec son milieu, il faut le reconnaitre, se fait encore plus sentir dans Faction emanee de lui que dans celle qui a prepare sa propre venue. Mais c'est la aussi le cas du grand homme. Celui-ci kute quelquefois long-temps pour faire accepter son ceuvre, sa decouverte, sa strategic. Quand il a une (bis reussi, la distance qui separait de lui soit ses concitoyens, soit le reste de Thumanitese trouve en parlie comblee : c'est m&me a ce signe qu'on recon- nait le plus souvent que Toeuvre a ete vraiment creatricc, et que celui qui Ta accomplie merite d'etre place au rang des grands hommes. N'y a-t-il rien de semblable chez le saint? Quel est done Tapotre^ le fondateur d'ordre, 1c revelateur ou Tinitiateur d'une devotion destinee a devenir universelle, le reformateur de I'Eglise, qui n'ait eu a souffrir, je ne dis pas de ses ennemis, mais de ses amis, de ses freres et de ses soeurs dans la foi? C'est que tout ce qui est grand, soit par le genie, soit par la saintete, commence par etonner, par efFrayer, par scandaliser toutce qui vit dans la mediocrite et dans la routine. Contrc celui qui demande des efforts et des sacrifices auxquels on n'etait pas prepare se dressent inevita- blement les objections, les doutes, les sonpeons et les accusations — de bonne ou de mauvaise foi. Mais, quand I'epreuve a ete faite, une force nouvelle est mise a la disposition des ames : les yeux qui cherchaient une lumiere plus pure sont heureux de suivre celle qui brille devant eux; les coeurs qui souffraient d'un inexplicable degout battent a 1'appel

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L'IDfiE de la salntete. 37

nouveau, et il devient, slnon facile, au moins possi¬ ble pour de plus faibles de gravir une route desor- mais frayee.

Done, si grande que soit la distance entre la na¬ ture et la grace, entre la vie rcligicuse et la vie so- ciale, il n'y a point separation radicale ; il n'y a point impossibilite de rapprochement ct de rappro¬ chement intime; encore moins y a-t-il hostilite.

Si on croit souvent le coatraire, e'est que Ton confond trop completement la saintete avec le mys- ticisme, et surtout qu'on sc fait du mysticisme une idee qui n'est pas juste

* * *

Qu'est-ce que le mysticisme? 11 est d'abord defini par les philosophes et no-

tamment par Victor Cousin qui nous dit : e'est le contre-pied du rationalisme, e'est le desespoir de rintelligence qui, doutant de refficacite de la rai- son, r&ve une communication directe avec Dieu, e'est une foi aveugle et portee jusqu'a Toubli de toutesles conditions imposees a la nature humaine, ne voulant reconnaitre entre Dieu et Thomme au- cun intermediaire, ni celui de Tunivers sensible, ni celui de la raison, pretendant ainsi non-seulement apercevoir Dieu face a face, mais s'uuir a lui, tantot par le sentiment, tantot par quelque autre procede cache, supprimant la reflexion, attaquant jusqu'a

PSYCHOLOGIE DES SAINTS. 3

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la liberte, substituant a FefTort une contemplation sans pensee et presque sans conscience...

Est-il necessaire de dire que ce mysticisme n'est pas celin des catholiques, a plus forte raison celui des saints? Certainement ceux-ci n'ont point dans la raison humaine une confinnce illiniitee; ils croient qu'elle a du recevoir de Dieu la revelation de certaines verites qu'elle n'eutpu trouver par eile- mftmc; mais s'ils voient les bornes de la raison, ils sont bien loin de la frapper d'une suspicion radi- cale et de la decourager de I'effort. D'autre part insinuer qu'ils refusent tout intermediaire —je dis memetout inlermediairenaturel (i) — entreDieu et rhommc ne serait verltablement pas serieux. Lq mysticisme des saints n'a done aucun rapport avec ]e mysticisme alexandrin et avec celui qu'on rencontre ca et la dans Thistoire des systemes philosophiques.

Aprcs les metaphysiciens viennentles sociologues ou les moralistes qui ecrivent : C'est le contre-pied du naturalisme, c'est le discredit jete surlavie terres- trc de rhomine, c'est le mepris de la societe, de la nature, jugees egalement mauvaises. ct Le type de cet etat d'esprit, c'est le moinc, » ayant depouille tout ejoi'snie, mais aussi toute personnalitej sans fa- millc etsanspatrie, plein de charite pour les miseres,

(i) « Bien comprendre cette verite, que tout ce qui nous lie de maniere a nous enlever Pusage de Toraison doit nous etre suspect et que jamais par la on n'amvera a la liberte de I'es- prit, car un des caracteres de eelle liberte est de trouver Dieu en toutes choses et de s'elever a lui par le moyen de ses creatures. » (Sainte The'rese, le Livrc desfonclations^ cb, VI. )

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mais etant lui-m&me une proie toule prcte et loule docile « pour le despotisme et pour la supersti¬ tion (i) ». Et Ton croit achever de donner une ex¬ plication salisfaisante en disant : cr Le mysticisme est bien anterieur au christianisme : il est le fonde- mentm^me du bouddliisme. »

Ce qu'on a lu plus haut sur Fidee de la saintete dans le bouddhisme montrc deja combien ce rap¬ prochement est artificiel : ce qui va suivre achevcra de le demontrer. Le mystique catholique ne mcprise pas plus la nature qu'il ne meprise la raison. 11 croit simplement que ni Tune ni Tautre ne peut se suffire et qu'a y pretendre elles s'affaiblissent et se gatcnt toutes deux. C'est done faire un proces arbitraire de tendance que de lui imputer une insouciance et un dedain qu'il n'ajamais professes.

Sans aller jusque-la, il y a encore des ehretiens et m6me des catholiques qui pensent quele mysticisme est Tapanage reserve des purs contemplatifs, qu'il est exclusif de tout inter^t porte aux choses de la terre, exclusif de Taction proprement dite et de la culture intellectuelle. Volontiers done ils souscri- raient a cette double proposition, que tous les saints ne sont pas mystiques, et que tous les mystiques ne sont pas saints.

Est-ce entierement exact? Oui, si le mvsticisme 7

(i) Yoyez le feuilleton philosophique da Journal des Da- bats dujeudi soir S aoiit iSgS. Naturalisme et Mysticisme, par 3VI. J. Bourdeau. (L'auteur previent qu'il resume cer- taines lecons inedites de Taine, ce qui donne a ces citations plus d'iinportance.)

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40 mrcmwm am msm

ml tel qu'ils la dilnissent m m le repr^sentent; car il mt buss evident que tous les saints n'ont pas vecu dans les doItpaif que beaucoup d'entre eux ont mis k muiu mx ufMrnn humames, qm plusiears ont conilrult dei ijitimii d@ philosophie! que plusieurs ont t*£i mari^s, qalls out coann Im imotions les plus iilieato el les plus mm ie Famour humain, et qu'ils lei ml I Fipoque mfema oii Tas- sentimcal de Ffiglis© Mt mmtmtm leor saintete.

Mab je m'adwie k an homme (i) qui, sur ces matieres, a une aiatorili pmsie a plus d'une source. II me repond trfes delibcrimem : « Non, tous les mvstiques ne sont pas saints! » Quant a la pre¬ miere parlxe de la proposition a tous les saints ne sont pas mystiques », il me fait voir bien vite qu'il ne sauraitFaccepter, car il me donne du mysticisme cette definition, la plus simple et la plus claire de toutcs : « Le mysticisme, c'est Famour de Dieu! »

Que cette definition n'ait aucun besoin d'etre complfitie m difeloppie, |e ne le pretends pas; car Famour qn'on mm k mu Dleu ne pent ressembler entierement k celoi qu'on porte I nn tlm liumain; il a done bei^in i%tm idairi et gnldi* On pourra sans donto dire qme d'apris le bean my the de PI a ton, Famour sera toujours fils de la ridbesse et de la

paawetij mr il donne et il mqml; oni, mais dans des Men in%ales- Le petit enfant qui aime m mfere attend text d'elle, et en effet il re$oit

(i) II mu permettra le lu nommer : e'est Fabbe Huvelin, dont fti eu I'honneur litre le camarade I i'^cole normale.

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tout cTelle : le dleu paternel qui aime sa creature donne egalement tout a celle-ci. Dans ses amours terrestres chacun de nous donne ou recoit plus ou moins, selon la richesse et la generosite de sa nature. Mais lorsqu'au lieu d'aimer Tun de ses semblables, le mystique aime son Dieu, n'est-il pas evident que, si desireux qu'il soit de porter sa croix et de partager son sacrifice, il doit cependant lui dcmander, c est- a-dire le prier et attendre ainsi de lui infiniment plus qu'il ne pretend pouvoir lui oflrir? Nous aurons a revenir sur ces delicates questions. Mais que Ta- mour de Dleu soit bien le fond et Tessence pre¬ miere du myslicisme catholique, e'est ce qui parait indiscutable. Saint Francois de Sales le dit tres ex- plicitement : « La theologie speculative tend a la connaissance de Dieu, la mystique a Tamour de Dieu L'oraison et la theologie mystique ne sont qu'une seule et meme chose... L'oraison et la theo¬ logie mystique n'est autre chose qu'une conversa¬ tion par laquelle Tame s'entretient amoureusement avec Dieu de sa tres aimable bonte, pour s'unir et joindre a icelle » (i).

(i) Traite del*amour de Dieu, IVj i. Ed. d'Annecy, p. 3o3. A cote de ces diflerentes de'finhions il y a celles des linguis-

tes qui merilent qu'on s'y arrete. Le dictionnaire de 1'Academie dit : mystique} qui raffine sur

les matieres de devotion, sur la spiritualite... » e'est-a-dire (dTapres une autre definition du meme dtctionnaire) sur la vie interieure. * Assurement le mystique est un de'vot, e'est un ami de la vie interieure et de la spiritualite. Mais la definition n'en est pas moins tres vague, d'autant plus que a raffiner j

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4-2 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

Rcflechissons ua instant. Tout amour, quel que soit Tobjet auquel il s'adresse et quelle que soit la sincerite du coeur dont il cmane, pent avoir ses ecarts, scs defaillances et ses exces. II peut ^tre trop exigeant, trop jaloux; il peut demander plus qu'il ne luiest d&etne pas assez considerer ce qu'il doit lui-m£me; d'autres fois, i! pourra ne pas sentir tout ce que consacre de droits, tout ce que reclame

est un de ces mots legerement desapprobatears, mais pen francs, et Uesignant une tendance dont chacun peut avancer on reculer a son gre les limites permises.

Littre ramene le mysticisme a la spiritualite, et il de'finit celle-oi : « Ce qui a rapport aux exercices intcrieurs d'une ame cle'gagee ties sens, qui ne cherclie qu'a se perfectionner aux yeux de Dieu ». La formule est interessante, et elie n'est pas incxacte; mais quiconque a frequente les livres des mys¬ tiques sent tout de suite que, si elle pretend definir indirecte- mcnt le mysticismcj elle est incomplete. On en dira autant de la definition de VEncyclopedic des sciences reUgieuses, pour latpieUe les choses mystiques sont simplement les choses ca- clides a notre esprit dans les conditions de la vie actuelle, que nous sentons cependant exisler et auxquelles nous porte las- piration spontane'e de notre ame : le mysticisme n'est ainsi pour Tauteur que la religion completant, dans le for indivi- dud, 1'enseignement a solide, mais borne' » de la philosophic. — Toutes ces explications omettent le fait de rainour de DieU; e'est-a-dire ce qui, chez les mystiques dont I'autorile est le moins re'cusable, constitue Tame meme du mysticisme, S'il y a une connaissance mystique^ connaissance experi men tale et ineffable, elle ne peut elle-meme provenir que de I'amour. Ainsi 1'entendait Gerson, dans cette definition justement van- lee : « L'objet dc la theologie mystique est une connaissance experimentale de Dieu, produite dans 1'etreinte de I'amour unitif. » (Consider. aS).

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L'IDEE DE LA SAINTETE. 43

de clig-nitele commerce qui Thonorc. Ce sont la cles perils auxquels Tamour de Dieu n'echappe pas. Fenelon I'a prouve : d'autres ames moins hctireuse- ment donees on plus mal dirigees le prouveraient en¬ core mieux.

Le rnvsticisme veritable — aulremcnt dit Tamour de Dieu — est done le premier pas vers la saintete, et e'estunpas evidemment necessaire. Mais ce n'est qu'un premier pas, ouvrant une carriere longue, epineuse, ou la vie de I'esprit et ce que nous nppe- lons la vie active sont aussi invitees que la vie du coeur a prodiguer leurs efforts, a multiplier leurs creations. Tout chretien en etat de grace aimc Dieu et, dans une mcsure plus ou moins grande, cst un mystique. Mais <c le mystique » par excellence, comme celui que nous appelons desormais « le Saint » est un homme dont la vie tout enticrc est enveloppee et penetree de I'amour de Dieu.

Loin de moi la pretention — qui serait ridicule — de vouloir ecrire un traite dogmatique de la saintcte ou de donner des conseils a ceux qui auraient I'am- bition de devenir saints. IL s'agit ici (et la tache est deja bien assez delicate) de chercher en quelque sorte experimcntalement comment se developpe et vit Tame du saint dans ce qu'elle a conserve de sem- blable a la notre. Nous savons que le saintpropre- ment dit est un serviteur heroi'que de Dieu, par con¬ sequent un homme aime de Dieu et aimant Dieu, puisant dans cette reciprocite d'amour une force extraordinaire. Nous savons que cette saintcte doit fetre non point Taneantissement, mais I'achevement

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44 PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

de notre nature, puisque, comme Ta ecrit Spinoza(i), « la perfection de rhomme croiten raison de la per¬ fection de Fobjet qu'il aime par-dessus tous les autres, et reciproquement ». II n'est pas defendu de chercher comment cetle saintete transforme, chez les 6tres privilegies qui Font recue, les facultes qui leur etaient et qui leur sont restees communes avec ceux par Jes miseres desquels ils ont passe, selon I'expression de Bossuct.

(i) Traitc thc'ologico-politique^ ch. IV.

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CHAPITRE II

LA NATURE CHEZ LE SAINT.

La sainted et les dons naturcls. — Les saints ne sent naturellcment ni des simples, ni des d^biles. — Les diversity's dans les caractfe- res des saints. — Jusqu'ou elles vont. — Elles apparaissent dans les grandes choses et dans les petites: sens de ce dernier mot, appIiqtuS aux saints. — Le saint liumoristique. — Les gouts et les habitudes corporelles.

Avant de chercher ce que Ja saintete fait des dons naturels qu'elle a rencontres dans les ames, il est utile de se demander si elle exige quelques-nns de ces dons, etlesquels. Je sals qu'ici le mot « exigcr » risque de parailre tcmerairc; on pensera qu'en pa- reil sujet il convient de reserver toujours la part des coups mysterieux de la grace et des souleve- ments operes par TEsprit qui souffle oil il veut. Je vois cependant que tous ceux qui ont vraiment etu- die les saints et ont eu mission d'en parler ne negli¬ gent jamais ce fond primitif que la saintete transfi¬ gure sans le supprimer.

Aucune autorite prudente ne permettra Faeces de la vie sacerdotale ou de la vie religieuse a des esprits mal servis par une organisalion insuffisante (i). Le

(i) Insuffisante surtout pour le but auquel tend la vie reli¬ gieuse. II ne faut pas abuser du mot ce'lebre de Fontenelle dt- sant qu'avec sa fatble complexion Malebranche etait dcslin^

3.

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4G PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

beau traite du sacerdoce de saint Jean Chrysostome a dcpuis long-temps demontre que, pour exercer le ministcre, « il ne suffit pas d'etre pur, mais qu'il faut encore beaucoup de savoir et d'experience ». On sait egalement tout ce que la solitude reserve de reves perilleux aux ames trop faibles ou trop ardcnles ou trop diffieiles a ponderer. Un pretre amenait a sainte Therese une de ses penitentes dont il vantait Tangelique piete. La grande sainte n'en hesitait pas moins a lui ouvrir les portes de son mo- nastere, et elle disait : « Voyez-vous, mon pere, Notre-Seigneur eut donne ici a cette jeune fille de la devotion, et on lui enseignerait la nianiere de faire oraison ; mais, si elle n'a pas de jngement, elle n'en aura jamais; et, au lieu de servir la communaute, elle lui sera toujours a charge. » — « Un bon es¬ prit, disait-elle encore, est simple et soumis; il reeonnait ses torts et se laisse conduire; un esprit etroit, borne, ne voit pas ses fautes, m£me quand on les lui montre; et toujours content de lui, il marche toujours de travers (i). »

Certes, je n'hesiterai point a soutenir ici une pro¬ position analogue a celle que j'examinais en parlant

a Telat ecclesiastique par la nature et par la grace. On avouera sans peine que Malebranche avail tout au moins une organi¬ sation intellectuelle qui lui eiit perm is de faire par tout bonne figure connne philosophe et comme ecrivain.

(i) Ilistoire dc sainte Therese) (Vaprcs tcs Bollandtstes. Paris, Retaux, II, /(oS. Ce livre, du a une carnielitc, est un des phis charmanls et des plus solides qui aient cte ocrits par unc femnie et sur une fern inc. (Je cite d'apres Tedition de 18S8.)

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LA NATURE CHEZ LE SAINT. 17

des mystiques, ct a dire : Tous les moines ne sont passaints, et tousles saints ne sont pas moines. Mais, si la vie sainte differc de la vie simplement religieuse ou monastique, on m'accordera que e'est surtout parce qu'elle la depasse. Placons-nous a un point de vue purement humain. Personne ne niera que TE- glise ait fait dc gran des c hoses dans I'or d re scienti- fique et dans Tordre social. Qu'on les jugc discuta- bles : en tout cas, elles ne le sont pas plus que les oeuvres des politiques ou que les systemes des me- taphysiciens. Si done I'Eglise a marque profonde¬ ment son emprcinte dans I'histoire temporelle des peuples, sielle a defriche, instruit, civilise, conquis, organise tant de contrees et tant de nations, il serait bien etrange que les saints marchant a sa tete n'eus- sent pas ete les artisans par excellence de ce qu'elle a execute de plus bienfaisant. Or, soutenirque dans ce surcroit extraordinaire tout est don gratuit et don miraculeux serait excessif.

Depuis que Ton a commence a mettrc en lumiere la saintete dc Jeanne d'Arc, a-t-on diminue en elle la jeune fille ou la guerriere? Loin de la : on les a de plus en plus grandies et glorifiees dans tous les camps. Rien n'a ete sacrifie des eloges que Qui- cherat, Michelet, Sainte-Beuve, avaicnt faits de sa beaute, de sa grace simple, de son esprit, de la vi- vacite de ses reparties, de sa promptitude a saisir deja certaines nuances fines de la langue francaise. D'apres I'ouvrage plus recent d'un de nos officiers, elle ne fut pas moins prompte a deviner les regies essentielles d'une tactique rationnelle, elle s'enten-

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AS PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

dit particulierement a faire bon usage cle rartillerie naissantc. Aussi Tun des meilleurcs psychologues de !a Compagnic de Jesus resumait-il avec bonheur tous ces temoignagcs en ecrlvant : cc Qu^on ne s'y trompe pas, Jeanne d'Arc n'est pas rinstrument aveugle et passif d'une puissance surnaturelle. Une intelligence exterieure n'est pas venue se subsli- tuer a son intelligence, une volonte a sa volonte. La liberatrice de la France n'est pas un 6tre mixte ou des puissances d'origines diverses se donnent rendez-vous pour un temps. Jeanne a sa personna- lite franchement accusee; elle le sait, elle le dit, et elle en donne la preuve par rindependance de ses determinations et de ses actes, par la resistance m6me qu'elle oppose quelquefois aux impulsions de ses voix. »

Faut-il changer beaucoup de chose a ce jugement pour qu'il s'applique a la plupart des saints (i), et pour qu'on puisse dire avec le mcme religieux : « Quand Dieu prepare unc de ses creatures pour quelque mission extraordinaire, il a presque tou- jours soin de lui donner des aptitudes naturellcs qui la disposent merveilleusement a cette distinction. »

Cc que le P. de Bonniot affirme la de Jeanne d'Arc, on I'a eflectivement reconnu d'une foule de grands saints, a commencer par saint Paul. Sans doute il

(i) De ceux qu'on a bien voulu connaitre et faire connaitre a fond. — Yoyez en tete de YHisioire dc sainte Chanial, de

Bou^aud, la remarquable lettre de ^Isr Dupaaloup sur la man!ere d'e'crire les vies des saints.

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LA NATURE CHEZ LE SAINT.

ne faut pas en dire ici plus qu'il n'cst juste. 11 fnut se garder d'oublicr ce que les thcologiens out rcpete si souvent sur les paradoxes ou le scandale de la croix, sur ces vicloircs obtenucs par une faiblesse voulue dans Temploi des moyens tcmporels, sur cette autorite qui, selon Texpression de Bossuet, n'est due qu'a la servitude, sur cette puissance nee de rhumilite, sur la chastete inspirant aux fideles restes dans le monde cette belle fecondile qui se tarit chez les peuples sceptiques et jouisseurs. Oui, pour agir, comme ils le font, sur rhomme et sur la terre, les saints ont des moyens qui viennent de haul. Mais il n'est pas prouve que ces moyens ne soient pas lies a des qualites naturelles qui, avant d'etre metamorphosees par la saintcte, doivent com- mencer par exister. Pourquoi ne reconnaitrait-on les dons de Tesprit que chcz ceux qui s'attachent aux faits exterieurs et a Texplication des vcrites abstrai- tes? Pourquoi la vue claire de ses proprcs defauts, pourquoi la sensation delicate du peril moral, pour¬ quoi Taptitudc ii eclairer des reflets de Tideal divin les parties saincs de son ame, pourquoi la bonte, enfin, ne seraient-elies pas de I'iutclljgcnce? Ce n'est pas Socrate qui, revenant au milieu de nous, me- connaitrait la valeur de cette connaissnnce de soi- m6me, lui qui resumait toute la philosophic dans ces deux mots. Pour parler plus simp]ement, les saints trouvent leurs grands moyens d'action dans ces verius qu'on appelle la foi, Tesperance, la cha- rite. Or, selon la theologie catholique, ces trois vertus viennent de Dieu. Mais, selon cette m6me

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50 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

iheolo^ic^ elles demandcnt le concours de vertus natnrcllcs dont les Docteurs de TEglise n'ont pas ci ainl d'cmprunter la nomenclature aux philosophes pai'cns et qu'ils ont appelees vertus cardinales, c'est- a-dire fondamentales (i) : la prudence, la force ou grandeur d'ame, la temperance et la juslice.

Cc sont done la des vertus qu'on pent s'attendre a trouver dans la vie des saints, m6me a cette pe- riodc de leur existence ou leur saintete se preparait par des voies souvent bien detournees. Y sont-elles alors au complet et toutes egalement developpees? Non, puisque la saintete a si souvent exige la conver¬ sion, e'est-a-dire le renoncement a tel ou tel genre dc vie sur lequel il est inutile d'insister. Tons les saints ne commencentpas comme saint Louis de Gon- zague. II suffit de citer les noms de sainte Madeleine, de sainte Marie rEgvptienne, de sainte Afra, de sainte Marguerite de Cortone (des courtisanes), de saint Paul (cjui fut un violent), de saint Augustin (qui eut tant de peches a confesser), dc saint Francois de Borgia (que Leibniz aimait a citer pour la me- thode ingenieuse a laquelle il avait eu besoin d^avoir recours a fin de se guerir d'un amour immodere du

(i) Scion Benoit XIV (It, 21) il faut que ccs qua Ire vertus se ret rou vent, elles aussi, u un cleg re' eminent^ clans la vie du serviteur de Dieu qu'on se propose de be'atifier. — Je n'exa¬ mine pas id la question tlie'ologique du rapport des vertus naturelles avec les vertus surnaturelles, de la transformation que la grace leur imprime, etc. Je me contente de rappeler que les unes ne dispensent jamais des autres, pas plus chez les saints que chez nous tous, etjedevrais dire encore moins.

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LA NATURE CHEZ LE SAINT. 51

vin)... Parmi ceux qui nc sont pas revenus de si loin, combien n'y en a-t-il pas qui ont eu de prime- abord a lutter contre la fougue de leur tempera¬ ment! Pour resister a un trouble ne d'un regard, le jeune Bernard, futur abbe de Citeaux, etait oblige de se jeter dans un etang et d'y rester jusqu'a ce que Taction physique de Teau eut refroidi ses sens. Saint Vincent de Paul — qui le croirait? — etait « d'un naturel bilieux et fort sujet a la colere ». Ce n'est pas seulement lui qui nous le dlt, — son seul temoignage serait trop suspect (i) — c'estson dis¬ ciple et son ami Abelly. Tout le monde sail que ce fut aussi la le cas de saint Francois de Sales.

En se rappelant ces exemples, auxquels on pent en ajouter beaucoup d'autres, on se persuade que, parmi les vertus naturelles, ce n'est pas tant la tem¬ perance facile ni surtout I'absence de tout desir ou de toute passion qui est d'habitude le fondement naturel de la saintete. M. Renan a pu traiter David de brigand : il n'a pu rien lui enlever dc son grand cceur, de sa tendresse si ardente et si sincere au sein m&me du crime. Quand le Christ est venu, il a pardonne beaucoup plus facilement au debauche qu'a Tavare; et saint Augustin n'a fait, plus tard, qu'interpreter sa doctrine, quand il a ecrit ce mot audacieux (dont Tesprit est facile a comprendre) :

(i) Lui dit encore plus. Il pretend que^ sans la gr;1ce de Dieu, il fut reste' « d'une humeur seche et rebutante, rude et rebarbative «. 11 me semble que j'enlends plus d'un lecteur se dire a part lui : C^st un comble!

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52 PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

« Aimcz, et faites ce que vous voudrcz! » C'cst cet amour qui inspire Ics sacrifices et qui clonne seul la force cTame nccessaire pour les accomplir.

Mais, pour donner a son Dieu cette preuve d'a- mour, ne fallait-il pas que le saint eut beaucoup a lui sacrifier?

Si Ics saints renoncent a tant de joies de la nature, ce n'est done pas parce que la nature elle-mcme avait paru les leur refuser. Les maladies qui les affligcnt si souvent ne doivent pas nous donner le change. Elles sont le resullat de leurs sacrifices voulus, de leurs ansterites, de leurs lulles intcrieu- res, de leurs souffrances morales ct des persecu¬ tions qui> en tout temps, leur sont si peu menagees. Eux-memes y voiont le plus souvent un « don )> de Dicu, qui, du jour ou il les sait resolus a monter plus haut que le reste des homines, les cc visite » et les cprouve; mais on a beau chcrcher, on n'en trouve guere qui aient cte voues a la saintete par une faiblesse native ou par une constitution les condamnant, par exemple, a une vie courte. Les saints morts tres jeunes ont generalement fini par mort violente; mais, parmi ceux qui n'ont pas ete proprement des martyrs, les cas de longevite ne sont pas rares. Nous savons que saint Jean I'Evan- geliste avait prcs dc cent ans quand il mourut. C'est un age qui fut souvent atteint, m6me depasse, par les celebres Peres du desert, par saint Simeon, par saint Paul ermite, par saint Antoine, et, plus tard, par saint Bertin, par saint Romuald, par saint Maur. Saint Jerome mourut a soixante-douze ans, saint

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LA NATURE CHEZ LE SAINT. 53

Angustin a soixante-dix-neuf, saint Remi a quatre- vingt-treize, saint Jean Climaque a quatre-vingts, saint Vincent Ferrier a soixante-clix, snint Francois de Paule a quatre-vingt-onze, saint Vincent de Paul a quatre-\ingt-cinq, saint Philippe de Neri a quatre- vingts, saint Paul de la Croix (canonise sous Pie IX) a quatre-vingt-deux. Saint Pierre d'Alcantara, dont sainte Therese jngcait la penitence et les privations « humainement incomprehensibles «, ne laissa pas d'aller jusqu'a soixante-trois ans, ainsi que saint Bernard et, du reste, un grand nombre d'autres.

Je ne serais pas etonne que les saintcs, vivant d'une \ie plus sedentaire, et tenant a compenser par leurs penitences ce que leur sexe leur intcrdit ordinairement d'heroVsme exterieur, fussent sujettes a une fin plus prcmaturee. Cependant, sainte Ca¬ therine de G6nes, dont les tourments physiques furent aussi prodigieux que Tetait I'ardeur de son amour, atteignit soixante-trois ans; sainte Therese, qui ne vouiait que souffrir ou mourir, depassa soixante-sept; sainte Jeanne de Chantal soixante-dix. Cest l age oil mourut sainte Gertrude, la contem¬ plative par excellence : car ses biographes nous disent qu'elue abbesse a trcnteans, elle exerca c-ette charge pendant quarante annecs. Parmi les saintes que notre siecle parait avoir enfantees, on cite la mere de Sales Chappuis, dont le diocese de Troycs espere fermemcnt obtenir la beatification prochaine : elle vecut jusqu'a quatre-vingt-deux ans.

Si Tame des saints a ainsi ofTert a la grace autre chose qu'un receptacle vide ou qu'une matiere inerte

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51 PSYCIJOLOGIE DES SAIXTS.

et passive, il ne faut pas s'etonner quc cliacun d'eux ait eu un temperament et un caractere a lui. Sous ce rapport, la diverslte de saint Pierre et de saint Paul est proverbiale; et il n'est pas dit qu'elle ait ete sans influence sur leur facon de comprendre la direction de rKglise. Uun <c restait sous I'empire de la grace, tel d'instinct et de nature que le montre TEvangile, bon, timide, aussi prompt que genereux dans ses elans, par la ni6me ouvert aux vives im¬ pressions, et y cedant sur I'heure; sautant de sa barque avee une foi qui le soutlent sur les eaux, rinstant d'apres doutant et perdant pied..., aussi facile a abaltre qu'a relcver ». De Tautre on a pu dire : cc Sous raction de la grace qui le maitrisait, le scribe fou drove subsistait : me me ame, m6me feu de parole, m&me inspiration dans Faction (i). jj

Dans la suite de TEglise, s'ofFrent a nous conime des lignces de saints qui personnifient, les uns Fac¬ tion afTectueuse et tendre, les autres I'action ener- gique et Tesprit de propagande ardente. N'oppose- t-on pas saint Francois d'Assise a saint Dominique, saint Bonavcnture a saint Thomas d'Aquin, saint Vincent de Paul a saint Ignacc, eomme on oppose Bossuet a Fenelon; nous pouvons m6me dire eomme on oppose Raphael a J\Iichel-Ange, et Mozart a Beethoven? La difference est que, chez les saints, la diverslte se fait beaucoup moins sentir par la lutte et la controverse que par le besoin qu'ils ont les uns des autres et par Taide mutuelle qu'ils doi-

(i) Abhi; Fouai'd, oavragc citd

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f LA NATURE CHEZ LE SAINT. 55 I j vent se donner. Si Bossuet et Fenelon eusscnt cte I non seulement de grands ev6ques et de beaux £C- nies, mais de vrais saints, au lieu d'ecrire Tun contre Tautre, ils eussent ressenti un imperieux besoin de se rencontrerseul aseul dansuneretraite commune; et la chacun d'eux eut emprunte a Tautre ce qui lui manquaitj comme Font fait saint Dominique et saint Francois d'Assise.

Ces diversites qui se completent et qui ne s'en ac- cusent pas moins, nousles retrouvonsla oubeaucoup d'autres ne les altendraient guere. Nous les surpre- nons dans les etats ou Tame s'est efforcee de se dcpouillcr de tout souvenir sensible, de toute incli¬ nation pcrsonnelle ct presque de tout choix. Avoir passe par la « nuit » dcs sens et par la nuit de Tes- prit, avoir laisse « lier )> toutes ses facultes pour mieux se livrer a Faction du Dieu que Ton contem- ple et auquel on se donne sans reserve, n'est-ce pas la, dira-t-on, un etat dans lequel toutes les diffe¬ rences individuelles onl du necessairement s'efTacer? Non, cependant! Car tout grand mystique garde son caractere qui se refletc jusque, nous ne dtrons pas dans sa doctrine, mais dans la predilection invo- lontaire qui le portc a mettre en relief ou Tun ou Tautre aspect de la doctrine totale. Ceux qui ont le mieux etudic les problemcs de la mystique n'ont pas manque de Tobscrver; saint Jean de la Croix ct sainteTherese, saintFrancoisde SalesetsainteJeanne de Chantal, ont ete, non seulement des amis, mais des collaborateurs, collaborateurs dan's I'action, dans la doctrine meditee, appliquee, eprouvec, eerite et

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56 PSYCHO LOG IE DES SAINTS.

propagee. Or cc coincidence curieuse! Au Carmellare- formatrlce et lereformateur, a la Visitation le fonda- teur et la fondatrice semblent appartenir a des ecoles mystiques rivales (i) ». Ce n'est la, il est vrai, qu'une apparcnce; dans chacun des deux groupes nul n'a rien oublic, a plus forte raison rien meconnu. Des deux phases si souvent alternantes de la vie mys¬ tique, le besoin douloureux et la possession joveuse, aucune n'a ete ignoree ni de Tun ni de Fautre ; mais saint Jean de la Croix et sainte Chantal ont in- siste davantagesurlanuclite, sur lessecheressesetsur les tourmenls qu'il faut vaillamment subir comme cux; sainte Thcrese et saint Francois de Sales ont mieux decrit les enivrements on les douceurs qu'ils avaient cepcndant, eux aussi, bien paves par leurs rudes epreuves. Rcconstituons main- tenant ces deux groupes, tels que rhistoire nous les donue : dans chacuo d'eux le consolateur sou- riant a vccu a cote du lutteur meurtri; et ainsi dans les saintes emulations de la vie surnaturelle tout comme dans les grandes affections du mondeetde rhistoire des lettrcs, nous rctrouvons ce contraste aussi necessaire a la reforme mutuelle des caracte- res qu'au charme de ramitic.

Dans quelle mcsure cet element naturel se me- lange-t-il a TcBuvre des saints et y fait-il sentir

(i) Le P. A. Poulain S. J. — La mystique de saint Jean cle la Croix, 1893, broclmre fort inleressante cju'on aiine a rap- procher de cclle qu'a pnhliee presque en meme temps le P. Liulovic cle Besse, Edaircisscment sur les ceuvres mystiques de saint Jean de la Croix.

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; LA NATURE CHEZ LE SAINT. 57

son action? C'est la ce qui est difficile a preciser. « Si Dieu veut faire dcs saints quelque cliose de digne de lui, dit Bossuet, il faut qu'il les tourne de tous les cotes pour les faconner entiercmcnt a sa mode, et qu'il n'ait egard a leurs dispositions na- turelles qu'autant qu'il le faudra pour nc pas leur faire violence (j). » Est-il defendu de dire que dans cette maniere de comprendre Tetendue, aussi rcs- treinte que possible, des dispositions naturelles chez les saints, Bossuet cedait lui-m6meala pente de son caractere, plus ami de robeissance absolue que de la recherche d'une « opinion » ? Mais ici encore son contemporain, M. Olier, — esprit pourtant si se¬ vere et ame si pleinement retranchee du monde — me parait avoir eteplus hardi. A ses yeux, pour 6tre saint, il ne suffitpas d'avoir une sorte de disposition generale a la piete, a I'amour de Dieu, a la recti¬ tude de la vie. « Autrement, dit-il, tout chretien persuade de la beaute et de la saintete de TEvangile aurait pareille vocation. » Non! II a fallu que (c ces grandes ames outre les raisons gcncrales de la perfection de la vie religieuse... eussent dedans leur interieur inclination et attrait d'embrasser 1'etat qu'elles ont embrasse (2). )) Puis, ailleurs, il donne de ces paroles un commentaire encore plus net! « Dieu, dit-il, a traite sainte Therese autrement que sainte Gertrude, sainte Catherine de Sienne autre¬ ment que s-ainte Therese, sainte Catherine de G£-

(1) Sermon de la Toussa'mt. (a) Lcttrcs, eel. LegofTre, I, 543.

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58 PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

ncs autrement que sainte Catherine dc Sienne; et cependant il les a toutes traitees selon le fond de leurs dispositions interieures (i). »

M. Olier nomme la sainte Catherine de Sienne- Elle aussi aimait a se representer les diversites de la vie mystique. Elle le faisait dans des termes ou Leibniz eut cu plaisir a louer Tintelligence meta- phvsique da « discernement » necessaire des ^tres : tel dc nos contemporains y releverait plutot la mar¬ que italienne d'une complaisance esthetique pour la variete inherente a Texpression de la beaute. « Les saints qui jouissent de la vie eternelle out tons suivi la voie de la charite, mais de diverscs manieres, car Tun ne ressemhle pas a I'autre. li v a la meme dif¬ ference parmi les anges, qui ne sont pas egaux. Aussi, line des joies de Tame dans la vie eternelle, c'est de voir la grandeur de Dieu clans la variete des recompenses qu'il donne a ses saints. Nous trouvons la m^me variete dans les choses creees, qui different toutes d'une maniere ou dc Tautre; et cependant Dieu les a creees toutes avec un meme amour (2). »

Ccs diversites intimes sont si bien liecs a la na¬ ture, que souvent elles expriment des caracteres propres a une famille ou a line cite. La douce vierge de Sienne disait elle-m^me de ses concitoyens qu'il n'y avait pas « de gens plus faciles qu'eux a pren-

(1) Leitres, ed. Lecoffre^ 11^ 4S2. (2) Lcttres, traduction francaise, in-80, ed. Poussielgue,

11, 124.

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dre par ramour », et elle demandait qu on sc servit de cet altrait pour les gagner a la cause de la re- forme de TEgHse et de la pacification de I'ltalie (i). Plus tard, saint Bernardin de Sienne con firm era ce temoignage : II sewgne sanese e uno sang tie dolee^ dira-t-il. Nous comprenons alors qu'en depit de scs austerites et de scs extases, et a travers ses nego- ciations si epineuses, lajolie sainte eutdes abandons si naTfsj qu'elle aimat tant les fleurs, les eaux, la campagne et les belles scenes de lumiere dans 1c ciel toscan, qu'elle eut plaisir a envoyer a ses amis des bouquets fails par elle, qu'elle couvrit les petits enfants dc baisers, et qu'appelee a converiir un con- damne a mort de vingt ans elle voulut, avant de Tas- sister pres du billot, le consoler longuement dans sa prison en oflrant pendant une nuit tout entiere, sa poitrine au malheureux et en le laissant y reposer sa tete.

Sainte Therese n'etait pas moins qu'elle une grande amante de Jesus; maisjusque dans sa facon d'aimer on sentait bouiHonner le sang espagnol. Dans sa ville natale, Avila, surnommee TAvila des Chevaliers, les femmes avaient soutenu un siege en Tabsence de leurs marls ; et celle qui les avail com- mandees s'etait vu conferer, pour elle et pour sa posterite, le droit de voter dans les assemblees pu- bliques. La sainte, nee dans un tel milieu, pouvait s'en souvenir quand elle parlait si volonliers de la

(i) Lettres, traduction fran^aise, ia-80, eel. Pousslelgue, 64.

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CO PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

forLeresse en haut de laquolle die arborait a la bannlcre de Dieu », ou quand elle parlait des femmcs qui, eprises de Tespm d'apostolat, enviaient quelquefois auxhommes la Hbcrte qu'ils out de ser- vir au milieu du siecle « le Dieu des combats ». Elle n'etait cependant pas line heroine batailleuse, avide de commandement et dedaisncuse de son sexe. « Mon fils, disait-elle un jour a un religieux, quand j'elais jeune, on m'a dit que j'etais belle, et je Tai cru; plus lard, on m'a trouve de la prudence, et je Tai encore cru trop facilement r aussi me suis-je confessee de ces deux vanites-la. » Appelee aux extases et aux revelations les plus sublimes, elle se souvenail toujours qu'elle etait femme. Elle n'etait m^me pas sans elre reconnaissante a Dieu de Tavoir crcee telle; car elle estimait que les hommes recc- valent moins souvent les faveurs du ravisscment et de runion, et elle disait, pcut-ctre avec une pointe de malice legere, que les raisons qu elle en aperce- vail et cellcs que lui avait expliquees Pierre d'Alcan- . tara ctaient toutes a Tavantage des femmes (i). Elle etait doncnaturellement aussi fiere qu'elle etait fine, aimante et gracieuse, si passionnee pour I'honneur, qu'au temps oil, a Ten croire, elle aimait le monde el les lectures romanesques, elle trouvait deja dans ce sentiment un rempart inattaquable contre les tcnlations et mdme contre les images importunes. Plus tard, quand Jesus lui dit : « Mon honneur sera le tien, et ton honneur sera le mien », il put lui

(i) Sa viei ecrite par elle-meme, ed. I.ccoirre, p. 5-26.

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sembler qu'elle les defendait Tun et Tautre avec autant de confiance et de noble securite qu'elle en avait eu (i) dans la garde de sa jeunesse. Enfin, ce qu'elle avait surtout da caractere hereditaire, c'etait son eloignement pour ce qu'elle a appele « la voie de la crainte et surtout de la « crainte servile » dans le service de Dieu. Non-seulement elle voulait qu'on marcliat a sa suite avec <c un male courage » (expression qui revient a chaque instant sous sa plume), mais elle aimait aussi a dire qu'il fallait le Servir « gratuitement, comme les grands seigneurs servent le roi ».

Ces differences qui se sentent, meme dans les grandes choses, s'apercoivent a plus forte raison dans les petites. En est-il done de telles chez les saintsPOui, pourvu qu'on n'attache ace motcc petit » aucun sens defavorable, et qu'on songe a la pa¬ role du Christ offrant Tinnocence des enfants en modele a ses disciples. Beaucoup de saints done ont eu des gouts nai'fs, dont ils auraient cerlainement fait le sacrifice si on le leur eut demande, maisaux- quels ils s'abandonnaient dans les actes indifferents ou dans les moments de recreation.

II etait difficile qu'un grand nombre n'aimat pas les arts, puisque le culte catholique leur falsait une obligation de les cultiver presque tous. Mais en dehors des ceremonies de TEglise, il en est qui ont aime tout particulierement et on pcut mcmc

(i) « Je n'ai jama is senli en moi le inoindre altrait jiour ce (jui aurait pu fletrir Tinnocence. » Id., p. jg.

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dire passionnement la musique. Saint Francois cTAs- slse, quand il etait pris d'enthousiasme, faisait comme les enfants : avec un morceau de bois et une regie il feignait de jouer du viol on, pour mieux rythnicr le concert ideal que son imagination ra- vie lui donnait(i). De saint Ignace de Loyola, Barloli nous dit que la musique le transportnit, lui aussi, hors de lui-mcme, au point de suspendre ses douleurs La vue des fleurs lui causait encore un plaisir tel que, quand il se laissait aller a les regarder, il etait a son tour un spectacle curieux pour les Peres vi- vant avec lui.

Ce fut pour plus d'un saint une autre recreation que de jouer, de convcrscr avec les b6tes. On con- nait assez Taniour de saint Francois pour tousles ani- maux de la creation, mais surtout pour les tourte- rclles : il leur faisait preparer beaucoup de nids, afm qu'elles elevassent beaucoup de petits dans le voisinage de son monastere. Tclaulre, comme saint Philippe de Neri, aimait sa vieille chatte et la soi- gnait avec une sorte de manie.

Ce dernier saint est celebre, du reste, pour ce qu'on aappele quelquefois ses excentricites... (Goethe qui se ielicitait d'avoir un tel saint pour patron... disait, plus respectueusement : « ses saillies hu- moristiques »). II est vrai que ces saillies etaient sou- vent pleines de sens, comme celle qu'il se permit le

(i) Je viens d'avoir I'honneur de toucher au monastere de Sainl-Josepli d'Avila, la petite flute et le tambourin dont sainte The'rese aimait a jouer les jours de fete.

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jour oil le pape I'envoya, dans un monastere voisin de Rome, se rendre compte dc lasaintete d'une re- ligieuse dont on vantait les revelations et les ex- tases. II faisait un temps abominable : Philippe, qui etait parti sur une mule, arrive au couvent, tout trempe et tout crotte. On luiamene la soeur, pleine de componction et de suavite. Pour tout examen theologique, il s'assied, lui tend la jambe et lui dit : « tirez-moi done mes bottes! » A ces mots, la reli- gieuse prend une attitude scandalisee. C'en est assez pour Tenvoye du saint-pere; il ramasse son chapeau ets'en vient expliquer au Vatican comment une reli- gieuse si pen humble ne saurait avoir ni les graces nilesvertus qu'on lui pr6te (i).

Dans d'autres circonstances, e'etaient ses pro- pres disciples, ses enfants qu'il tenait a humilier de- vant la foule. S'il en voyait un trop heureux de rev^tir pour la premiere fois son habit religieux, il lui mettait un appendice ridicule, comme une peau de renard qu'il lui attachait derriere le dos, etiU'envoyait se montrer ainsi dans les rues. D'au< tres fois il faisait faire a ses religieux (des hommes instruits, des oratoriens!) je ne sais quel demena- gement de leur batterie de cuisine. Enfm lui-meme

(i) II parait qu'une epreuve analogue a ete tenue egalemenl pour suffisante en notre sicule. Une certaine Rose Tamisier passait pour favorise'e de graces extraordinaires. Un eccle'sias- tique prudent vient a elle et lui dit: ■ C'est vous, n'est-ce pas, qui etes la sainte? a — Et il entend qu'elle lui re'pond :

1 « Oui, mon Pere ! » —La fantasmagorie ou I'illusion e'taitpar la me me dissipe'e.

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prcnait tres souventsa part dans cette methode pen commune de se sanctifier.

Les biographes nous disent a Tenvi que c'etaient la des inventions de son humilite, desireuse de ca- cher des tresors de piete et de science sous les de- hors d'une bizarrerie vulgaire, confinant presque a la folie. Goethe, sur ce point, parle comme un ve¬ ritable hagiographe. « Neri, dit-il (i), availrenferme sa doctrine principale dans un court proverbe : me- priser le monde, se mepriser soi-meme, mepriser le mepris qu'on inspire. Et en effet, cela disait tout. Un esprit hvpocondriaque se figure bien quelquefois qu'il pourra satisfaire aux deux premiers points 7

mais pour s'assujettir au troisieme, il faut 6tre sur la voie de la saintete. » — Je ne nie pas le senti¬ ment profond et la part de verile que recele cette phrase. Le genie olympien de Tilluslre allemand etait fait pour apprecier... et meme pour exagerer le dedain des choses terrestres chez les saints (2).

(r)Voyez Voyage en Italic, ceuvres completes^ edit. Porchat IX, 364 saiv.

(a) On pent etre tent^ de croire que Goethe a pris quelque plaisir a rabaisser son illuslrc patron; mais on se tromperait singulierement. Voici la page remarquable qu'il Uii consacre; il est etonnant que son dernier biographe ne Tait point re- produite.

« A tant de facnlte's mysterieuses, etranges, se joignait le bon sens le phis net, restiniation ou plutot la me'sestime la plus franebe des choses terrestres, la charite la plus active, vouee aux sonffrances corporelles et spirituelles de ses sem- blubles... II ohservait rigoureusement tons les devoirs impo¬ ses a un ecclesiastique.. II s'occupait aussi de 1'education de la j cuncsse, la fonnait a la musique et a Teloquence, lui pro-

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Mais pourquoi ne pas croire que saint Philippe cle Neri s'abandonnait aussi quelque pen a son tempe¬ rament naturel? Qu'apres coup et tres vite il vit la unmoyen tout trouvede temperer I'admiration qu'il inspirait, n^en doutons pas. Mais il fallait d'abord qu'il y fat porte par un mouvenient involontaire ; car, quel que soit le penchant universel de tons les saints pour la pratique de rhumilite, on ne voit guere, avouons-le? la plupart d'entre eux inventant de pareils precedes; il n'est point dans leurs idee? de se forcer pour se donner des vertus artificieilcs. Que, par exemple, un saint pcrsonnage ait des dis¬ tractions legendaires, comme tel grand savant, et qu'il accepte qu'on en rie! Qu'il aime m^me qu'on les tourne en ridicule, soit! maisil n'ira point ima- giner des distractions apparentes. La simplicite, jus- que dans les etats les plus extraordinaires, est une caracteristique des saints.

On peut en dire a peu pres autant au sujet de certaines habitudes de proprete ou (il fautbien ap- peler les choses par leur nom) de salete. S'il est

posant des sujets religieux et meme aussi ingenieux et provo- quant des conversations et des disputes propres a aiguiserresprit. Ce qu'il y apeut-etre de plus singulier, e'est qu'il faisait tout cela de son propie mouvement, qu'il poursuivait constamment son chemin pendant nombre d'anne'es, sans appartenir a au- cun ordre, meme sans avoir e'te ordonne prutre ■ mais il doit sembler encore plus e'trange que cela se passTit au temps meme de Luther et qu'au milieu de Rome, uu homme actif, habile^ pieux, e'nergique, eut la pensee dTunir Pecclesiastique et meme le sacreavec le se'culier, d'introduire les choses divines dans le sieple et par la de preparer aussi une reformation. »

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un cle ccs deux etats qui ait etc rccommande ou loue par rimmense majorite des saints, c'est ccr- taincment le premier. Sainte Therese y insiste plus d'une fois : die voulait m&mc qu'on mit expresse- ment dans les constitutions de son ordre la neces- silc de la proprete. Elle n'avait sans doute pas les m&mes repugnances que saint Augustin qui ne put jamais manger autrement qu'avec une cuillerd'ar- gcnt et que ce meme Philippe de Neri qui ne pou- vait se rcsigner ni a boirc dans le verre d'un autre ni mumc (chose plus ctonnante) a celebrcr la messe avcc un calice autrc que le sien. Mais du moins elle eut dil volontiers commc ce dernier : « J^ime la pauvrete, non la malproprete )); et elle avait com¬ munique a scs lilies les memes dispositions.

Qu'on lise, par exemple, ce joli recit... La sainte avait voulu essayer dans le convent d'Avila une nou- velle tunique faile d'une etoffe tres rude. « Elle la porte d'abordj non sans en souffrir, mais sans in- convenients sericux, et elle donneensuite aux autres scours la permission desirec. L'cpreuve gene rale fut moins heureuse et suivie de Tinvasion de redonta- bles petits inscctes. La sainte mere qui rangeait, comme saint Francois de Sales, la proprete au nombre des pelites vertus, n'avait pas prevu ce genre de mortification parmi les austerites du Carmel. Elle se mit done en oraison pour demanderau Seigneur de les delivrer de cette nouvelle plaie d'Egypte. Tandis qn'elle priait, les soeurs organiserent une procession; la croix en t&te elles se dirigerent vers Tendroit ou leur sainle mere etait agenonillee, en

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chantant ce refrain a : Puisque tu nous a donnc ce v^tement —6 Roi du ciel — delivre d'nne si mau- vaise engeancenos tuniques de bure. » —Thercse aussitotpoursuivit, et? sur la meme cadence et le meme ton, improvisa trois couplets, ravissanls dans 1c Lexte original. » II parait qu'elle fut exaucee et que de- puis lors, tons les carmels, malgre la grossierete des v^tements, jouissent da privilege d'etre exemptes de I'engeanee ineivile (i).

Nous voila loin de saint Benoit Labre ! Et alors que dirons-nousde celui-ci? Qae s'il fut canonise, ce ne fut pas precisement pour avoir recherche ce que fuyaient les Carmelites d'Avila. Emp&chc, malgre son tres vif desir, d'entrer chezles Chartreux, ecarte par consequent d'un genre de vie ou il eut ete sou- mis a une discipline et a une regie, il s'abandonna a un mepris de son propre corps qui etait peut-&tre dans son caractere naturel : seulemcnt il y vit un moyen de mortification; il s'y abandonna done dans des vues assez elevees et y trouva le moyen de pratiquer des vertus assez grandes pour donner a ce genre dc resignation ou d'ascetisme une va- leur qu'assurement de lui-m6me il n'eut pas eue. Quoi qu'il en soit, il sera permisde rnppeler ici la pa¬ role de saint Jean Chrysostome que <c tout n'est pas egalementsaint dans la vie des saints » et de Tappli- quer aux habitudes de saint Benoit Labre aussi bien qu'aux repugnances un peu delicates de saint Augus- tin et de saint Philippe de Neri.

(i) La Vie de sainte Thercse, par une Carmelite, I, 334.

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CHAPITRE III

LES FAITS EXTRAOnDINAIRES DE LA. VIE SAINTE.

Les etats extraordinaires et les 6tats maladifs chez les saints. — La saintet6 est-elle une n6\Tose ? Rapprochements avec certains fails r^cemment etudies d'audition mentale, de vue a distance ou de clairvoyance. — Ce que ces plicnomenes sont chez les saints. — Les revelations, les visions, les propheties: ce ne sont pas dies qui font la saintete, e'est la saintete du personnage qui seule fait leur prix et leur valeur. — Temoignage de saint Jean de la Croix, de sainte Thcrese, de sainte Chantal.— Doctrine de Benoit XIV. — Eile s'applique aux miracles memes. — Les trois sortes d'exta- ses. — Comment Texp^rience des saints les distingue. — La prtften- due hysterie des saints. — Le Pcre Hahn et M. Pierre Janet. — Les phenomfcnes accidentcls vaincus ou Lransformes. — 11 n'y a chez les saints ni desagrdgation, ni rtHrecissement, ni dedoublement, mais une evolution dans un sens absolument oppos6

Quiconque voudra etudier a part et a fond la vie des saints les mieux connus y fera facilemcnt de semblables decouvertes. Mais contentons-nous ici de ces exemples, et voyons maintenant ce que la vocation, une fois affermie, fait des dons naturels du saint. Nous savons qu'elle ne les a pas suppri- mes : nous voudrions savoir, autant qu1il est possi¬ ble, comment se fait Taccord. Le saint a renonce aux joies du monde, ou bien il a resolu d'en user avec une extreme humilite. Pcut-etre s'est-il retire

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clans une comniunaute qui, toute consacree qu'elle est ou parait etre au service de Dieu, conserve plus (Tune des faiblesses de I'amour-propre et de la va- nitc : alors il a du faire des efforts plus difficiles encore que les precedents pour achever de tout epu- rcr en lui et autour de lui. Enfin, tout ce qu'il a pu decouvrir d'elranger a Tamour de Dieu et du pro- chain, il Ta consume. II apparait desorniais comme affranchi de la nature, comme la tenant sous ses pieds. II continue cependant a vivre, a penser, a imaginer, a agir, a ressentir du plaisir et de la dou- Icur, a souflrir et a aimer. Qu'est-ce que cette transformation de tout son 6tre a fait en lui de ces diverses facultcs?

On a vu plus haut que les saints ne sont pas ne- cessairement des gens dcbiles et condamnQS a une mort prematuree. IIs n'en sont pas moins affectes de maladies nombreuses, dont ils benissent les epreu- ves. Parmi ces maladies, il en est qui interessent peu le psychologue. Malgre toutes leurs varietes, la gaslralgie, la cirrhose et la pneumonie se ressem- blent, en somme, chez les malades de toute origine; et si la saintete est pour beaucoup dans la facon de supporter les rhumatismes, elle change vraisembla- blement peu de chose a la facon dont les muscles et les nerfs sont affectes par le mal. II est cependant une partie de Torganisme qui touche de plus pres a Tame et a ses fonctions : e'est le systeme nerveux; car e'est a travers son reseau que vont et viennent les influences reciproques du physique etdu moral; e'est en lui particulierement qu'evoluent les etats re-

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LES FAITS EXTRAORDINAIRES DE LA VIE SALNTE. 71

cemment tres etudies de la degenerescence et de la nevrose.

Lanevrose! Cest a elle en effet qu'une certaine critique, appuyce sar de reccnles theories psycholo- giques ou medicates, a pretendu ramener les fails les plus extraordinaires de la vie sainte. Elle s'y est appliquee avec d'autant plus de zele que, par une erreur tres pardonnable chez le peuple, moins ex¬ cusable chez les lettres, c'est dans ces fails extra¬ ordinaires qu'on a longtemps ete chercher le carac- tere dominateur de la saintete. Un saint etait un homme chez qui le surnaturel agissait seul et agis- sait par un bouleverseraent au moins apparent du cours regulier de la nature. Si done, pensait-on, la science pouvait expliquer ces pretendues merveillcs par des lois connues de pathologic, Tedifice thcolo- gique soutenu par les vertus des saints croulait tout entier. II n'etaxt plus necessaire de se trainer dans Torniere voltairienne en tournant tous les temoi- gnages en ridicule et en accusant d'imposture les heros les plus desinteresses de rhumanite. Une ex¬ plication naturelle etant toute prete, il n'y avait plus le m6ine inconvenient a accepter les faits en tant que faits : on n'avait qu'a les expliquer (i) et

(i) Quandje parle (Texplications, j'emploie un mot fort in¬ dulgent. II est vrai qu'on veut nous donner comnie un nxiome qu'expliquer un fait c'est simplement le faire entrer dans un groupe de faits deja dument constates. Mais constater n'est pas toujours expliquer* bien souvent, les faits plus gene'raux a ux que Is on s'efforce de ramener les autres res tent eux-me- mes obscurs : et c'est bien le cas de ceux dont il est question en ce moment.

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a conclure par rinnocente naivete de « la foi da moyen age ». Car il est bien convenu, dans certains milieux, que cc le moyen age » seul a eu de la foi et que d'autre part il a eu seul le privilege de la shnplicite, de la grossierete et de I'ignorance.

Ainsi, dans un de nos recueils les plus connus, la Revae scientifique, deux medecins prennent dans rhistoire la figure de saint Vincent Ferrier, Tun des plus celebres « thaumaturges », Tun de ceux a qui la legende a certainement pr&te le plus de miracles. Nos deux critiques ne se donnent pas la peine de dis- cuter le degre d'authenticite de ces divers recits. IIs paraissent les accepter tous en bloc, heureux meme d'y trouver si ample matiere pour une sorte de veri¬ fication retrospective de leurs theories. Seulement, tous ces faits miraculeux qu'ils ne nient pas, ils les ramenent a des phenomenes comme les suivants : lucidile ou vue a distance, hallucinations telepathi- ques, suggestions et fascinations. —Or, nous avons nous-m&mes a chercher (etant donne le caractex^e psychologique de cet essai) quelle peut etre la place de ces phenomenes dans la vie mentale et morale de nos saints.

Non-seulement ces faits ne sont pas tous, il s'en faut, les marques par excellence de la saintete; mais il est beaucoup d'entre eux qui se retrouvent a la fois chezles saints et chezdes gens qui ne sont saints a aucun degre ! Par bonheur, il n'a pas ete difficile

(i) 6 septembre 1B93, article des docteurs Corre et Lau¬ rent, intitule la Suggestion dans Vhistoire.

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LES FAITS EXTRAORD IN AIRES DE LA VIE SAIXTE. 73

de remarquer chez les uos etchez les autres des dif¬ ferences tres interessantes a relever.

Lapenetration des sentiments d'autrui et ce qu'on appelle la secondevue, voila un phenomene qui est loin d'etre rare chez nos heros. Chez sainte Cathe¬ rine de Sienne il est presque continue!. Tres frequent chez saint Vincent Ferrier, on le volt souvent aussi chez sainte Therese qui, d'apres les temoi-gnages les plus precis de ses religieuses, n'avait souvent qu'a passer aupres de Tune d'elles pour deviner ses desirs ou ses tentations; elle en profitait soit pour dissiper celles-ci, soit pour apaiser ceux-la, en leur promettant ou en leur refusant definilivement, selon les cas, toute satisfaction. Cette divination est-elle possible chez des sujets ordlnaires? Oui, quand ces sujets ont Thabitude de vivre, de penser, de sentir aupres d'une autre personne et avec elle. Un mari et une femme se surprendront a avoir en meme temps la m6me idee sur les affaires qui les interessent eux et leurs enfants. Un maltre pent egalement deviner a quoi pense ou r6ve son eleve distrait, s'il le connait de longue date et s'il sait in¬ terpreter ce que, dans des circonstances donnees, veulent dire une attitude, un geste, un regard. II n'est pas impossible du tout que certains elats ner- veux, prepares ou non, donnent une acuite et une delicatesse exceptionnelle a ce genre de tact ou de clairvoyance.

Nous entrons dans un domaine beaucoup plus mysterieux jusqu'a present, lorsque nous arrivons aux suggestions mentales, comme celles que des

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experiences tres methodiques ont mises en lumiere clcpuis quinze ans. II ne semble pourtant pas dou- leux que des sujets hypnotises dcvinent bien des choses. Leur cerveau, ferme aux sensations da monde ambiant, est ouvert a la seule action de I'o- perateur, et ils reservent toute leur inipressionnabi- litepour les influences invisibles qu'ils en recoivent. Ils n'obeissent pas seulement a ses ordres explicites et hautement declares; ils obeissent, meme a dis¬ tance a ses suggestions silencieuses.

Ici, est-ce le cas? Non! puisque les divinateurs, sainte Catherine de Sienne, saint Vincent Ferrier, sainte TheresCj pcnetrent les pensees, non de ceux dont ils subissent I'ascendant, mais de ceux qui subissent le leur, et que, par consequent, il faudrait Jes comparer, non point aux hypnotises, mais aux hypnotiseurs. Or, ces derniers (fut-ce des Charcot) dans les experiences dont on a fait tant de bruit, sont devines et non devinants. On a, par exemple, beau- coup reproche aux experimentateurs de la Salpe- triere de produire eux-memes, par tine action in- volontaire, une grande partie des desordres qui eclatent dans les malades qu'ils manient (i). Ce

(i) Com me je I'ai dit dans une e'tude specinle, « le sujet hypnotise est, com me le somnambule nature I, done'm omen- tan e men t d'une sensibilite et d'ane de'licatesse de reaction tout a fait exquises. II est done affeete, meme a distance, il est done emu et modifie par ces effllives infiniment petits, comine un rhumatisant d'Europe est affeete' par les sympto¬ mes naissants d'un changement de tempe'raturc dont les de'- buts se passent peut-etre encore en Amcrique. » {VUypno- tismc et la suggestion. V. le Correspondant du 10 mai 1891).

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qu'on pourrait conjeclurer, c'est qne 1'ame du saint sur laquelle glissent, sans y pcnclrcr, tant cl'imprcs- slons mondaines, dispose, pour tout cc qui touche a la vie de Tesprit et de la conscience, d'une delica- tesse refusee au commun des hommcs. II y a la comme un translert de sensibilite qui se comprend parfaitement bien. Ajoutons — c'est une conse¬ quence de ce qui precede — que cette divination penetrante ne s'applique pas chez eux a des faits in- signifiants etvulgaires : elle s'applique a ce qui me- rite de provoquer leur sympathie de directeurs, de convertisseurs ou d'apotres. Or, im tel etat, mani- feste par un devouement surhumain, n'est point un pur echange de sensations entre deux systemcs ncr- veux dont Tun au moins est altere par une irritabi- lite maladive; c'est la sympathie d'une charhe qui est devenue maitresse de I'etre tout entier, mais qui est elle-m&me penetree de I'esprit divin.

Ces reflexions ne sont-elles pas de nature a expli- quer certains faits de la vie de M. Olier (i)? II s'agit d'abord d'une personne qui? selon toute probabilite, est M110 du Yigean. M. Olier connait de loin la ten- tation qui, un instant, cherche a Tecarter de la vie religieuse ; puis il connait son retour a la vocation, etil raconte de quelle facon il la connait. « Pour me mettre en repos d'une peine qui me tenait au fond du coeur, la sainte Yierge m'expliqua Tetat d'une ame qui etait a Paris et que j'apprehendais 6tre troublee sur sa vocation. Je la vis dans une delectation

(i) Voyez Let I res cleM. Olier, iu-80. Paris, LecoITrej I} 367.

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de cceur, dans une joie et jubilation merveiileuse qui fut cause que je dis a M. de Bretonvilliers : je ne suis plus en peine de Mlledu V.; elle est en paix et en grande joie. EtenefTet, deux jours apres, je recus de ses lettres qui me firent connaitre sa disposition toute semblable a ce que j'en avais porte et ressenti au dedans de moi-m6me. » En d'autres termes, en pensant a cette personne, le saint pretre ressentait un etat ou de trouble ou de joie qui lui donnnit la conviction que cet etat correspondait a celui de Tame pour laquelle il priait. Cest ainsi, dira-t-on, que, selon les mag-netiseurs les moins indignes d'etre ecoutes, quand une somnambule sincere croit deviner le mal d'un consultant, elle ne le devine qu'apres I'avoir eprouve elle-m6me. Le leger soup- eon qu'elle en a recu a mis en branle son imagi¬ nation surexcitee, celle-ci produit de toutes pieces un etat dont la conscience ou rillusion lui sert de point de depart a un mouvement en sens inverse; elle se reporte vers I'^tre qui Toccupe et elle lui attribue la m&me souffrance ou la m&me joie que celle qui vient de la remplir. Soit! Je ne prends pas a mon compte une semblable explication; mais je concede qu'elle n'est pas impossible. La ressem- blance partielle des deux etats, pour vraisemblable qu'on la suppose, n'exclut pas les differences : c'est un tout autre objet qui est en jeu, ce sont de tout autres agents qui produisent les deux etats, c'est un tout autre but qui est poursuivi; ce sont de tout autres resultats qui sont obtcnus. Nous en di- rons autant de cette etroite union de pensee que

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M. Olier eut encore avec Marie dc Valence : « Je ressentais en moi, dit-il (i), la presence de cette ame qui me faisait eprouver son etaL et ses disposi¬ tions interieures, me faisant entendre le dessein dc Dieu qui desirait que j'entrasse en pnrlicipation de son esprit et de sa vie. » Son biographc confirme ces paroles en nous expliquant comment le fruit de Tunion de ces deux ames fut de faire penetrer de Tun dans Tautre la meme devotion intense pour Tun des mysteres de la religion.

Semblera-t-il maintenant plus surprenant que certaines personnes voient ou entendent des faits materiels qui se passent a de grandes distances? II estcerlain qu'on en trouve des exemples et de par- faitement aulhentiques dans la vie des saints. Le bienheureux Raymond de Capoue raconte lui-m^me comment il entendit, a G&nes, les paroles que sainte Catherine de Sienne, prononcait pour lui en mou- rant dans sa ville natale (2). « J'enlendis une voix qui n'etait pas dans Fair et qui prononcait des paroles que saisissait mon esprit, non mon oreille; et cepen- dant je les percevais plus distinctcment en moi- meme que si elles m'etaient venues d'une voix exte- rieure; je nc sais autrement rendre cette voix, si on peut appeler voix ce quin'avait aucun son. Cette voix disait des paroles et les presentait a mon esprit... » D'autre part, ceux qui avaient assiste aux dernicrs moments de la sainte rapporterent ces paroles et

(1) Lcttrcs, I, 429. (1) Dans sa Ugenrfe^ IV, 4.

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PSYCHOLOGIE DES SAINTS

Raymond y reconnut celles qui elaient arrivees jus- qu'a son ame (i).

On trouvcra plus merveilleuse encore la vision de sainte Thcresc (2). Le 26 juillet 1070, etant enoraison, elle se voyait transportee sur TOcean, et elle assistait en esprit a la mort de quarante pretres ou novices de la Compagnie de Jesus, massacres par des cor- saires sur le navire qui les transportait au Bresil. Elle cntendait les voix des victimes et reconnaissait parmi elles Francois Serez Godoi' son parent. Une fois la vision disparuc, elle Tavait racontee au P. Balthazar Alvarez; et un mois apres, quand la nou- velle du martyre des quarante jesuites parvenait of- ficiellement en Espagne, le Pere Alvarez reconnais¬ sait rexactilude des. moindres details que la sainte lui avail donnes au moment meme de I'evenement.

L'histoire de rhypnotisme, de la suggestion et de tous les phenomenes qui s'y rattachent nous offre, il est diificile de le nier, desexemples de faits apeu pres pareils. On n'a qu'a lire les enquetes tres se- rieuses conduites en Angleterre par la Societe des rechernhes psychiques qui a compte ou compte en¬ core parmi ses inembres, M. Balfour Stewart, M. Gladstone, M. Ruskin, le poele Tenyson, le naturaliste Alfred Wallace et qui a eu en France pour correspondants Taine, et MM. Th. Ribot et Charles Richet. Cette societe a tenu pour prouves

(1) a Dites-hu qu'il ne faiblisse jamais. Je serai avec Uii au milieu de tous les perils; s'il tombe, je I'aiclerai a se relever. »

(a) Voyez Bollandistcs, nos 602, 309, 5io.

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sept cas d'apparitions d'incUvidus vivants, mais absents, en realite, de I'endroit ou ils apparais- saient, sept cas dans lesqucls il n'y avait trace, ni de manoeuvres de charlatanisme, ni de folic, ni meme de nevrose chronique. Or, les recherches avaient ete conduites avec des precautions, un soin, une critique auxquels un esprit aussi pen crcdnle que possible, Scherer a du rendre justice : il avouait que des recits comme ceux qu'il analysait la etaient de nature a sinjmlierement elar^ir le cadre de nos o o notions psychologiques.

Dirons-nous que les faits rapportes dans les vies des saints viennent s'ajouter aux dccouvertes des psychologues contemporains? Ou prefererons-nous dire que celles-ci sont faites pour procurer plus forte creance aux recits des hagiographes? Chacune des deux assertions est specieuse; mais chacune aussi, je le reconnais, risque desembler peu respectueuse, car elles troubleront les habitudes d'esprit de ceux qui jugent plus simple d'attribuer a une action sur- naturelle tout ce qui se passe dans I'elite des servi- teurs de Dieu. Mais je ferai observer que cette der- niere opinion n'est pas celle des plus hautes auto- rites de TEglise catholique; elle n'est pas celle des saints eux-m^mes. Que le naturel se mele constam- ment au surnaturel dans leur existence, cela ne fait aucun doute. 11 suffit d'invoqucr le temoignage de sainte Thcrese qui le repete si souvent et dans des termes si categoriques. Rien done ne nous defend de supposer que ces cas de longue vue, comme les cas de vue interieure, peuvent se retrouver egale-

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mcnt chez les personnages qui nous occupent et ehez d'autres qui ne se distinguent nullement de la majoritc d'enlre nous. Dans ces dernlers sujets, on ignore encore a quelle combinaison extraordinaire dans les efTets des lois naturelles sont dus ces pheno- menes, qu'ils ont peut-etre eprouves une fois dans leur vie. Mais ce que nous savons d'eux par les en- qu^tes ne nous demontre pas du tout qu'ils fussent des malades ou tout au moins des nevropathes comme ceux qu'on ctudie dans les experiences d'amphitheatre. Le rapprochement que nous ve¬ nous de tenter ne serait done nullement a invoquer pour qui voudrait assimiler la saintete a la nevrose. Mais d'autrc part les fails rnpportes par les societes de purs psychologues ne repondent, on peut s'en souvenir, a aucune fin vraiment utile, a aucune ins¬ piration (je prends le mot dans son sens tout naturel) patriotique, humanitaire, feconde, en un mot. Non; ce sont des cas curicux comme ont pu Tetre long- temps certaines manifestations ignorees a cote des- quelles nos aieux passaient sans les voir. Chez le saint, la clairvoyance ne peut 6tre separee ni des vertus qui la precedent, ni surtout de celles qui la suivent et qui en font toute la signification. II y a certaincmcnt un lien entre ce don extraordinaire et rensemble de la vie du heros, la tendresse de ses amities, sa mission dans PEglise, les soucis de son apostolat. Cost surtout a ce tilre que le phenomene signale compte comme un resultat et une manifes¬ tation de la saintete.

On peut en dire autant des revelations qui ac-

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LES FAITS EXTRAORDINAIEES DE LA VIE SAINTE. SI

compagaent souvent les visions et apparitions soil de la Vierge ou du Christ a un saint, soit d'un saint, mort ou vivant, a un autre saint. Eilcs sont surtout nombreuses, dira-t-on, dans les legendes. Sans doute; mais elles sont encore tres suffisantes dans les temoiffnasres les moins contestables, comme le D D ' sont, par excmple, ceux que sainte Thcresc nous a fournis sur ellc-m6me. Toule question de foi mise a part, je ne sais pas quel temoignage on ac- ceptera en quoi que ce soit, si on repousse ceux que la grande carmelite nous donne avec des distinc¬ tions si precises et des explications si lumineuses. C'est elle qui, en analysant tous ces phenomenes, nous apprcnd, nous repete qu'ils ne sont pas tous « de Dieu », que souvent ils viennent du demon ou de la faiblesse de la nature. Son illustre ami, saint Jean de la Croix insiste encore plus fortement qu'elle sur cette consideration, qne les visions, les revelations, les phenomenes exterieurs, comme les suspensions, les stigmates sont des graces sujettes a une foule de pieges, de contrefacons et d'iliusions. Aussi un savant jesuite, interprete dc sa doctrine, dit-il avec exactitude (i) : « S'il y a un auteur inca¬ pable d'exalter Timagination en faveur des revela¬ tions et des visions, c'est assurement Jean de la Croix; le saint eprouve pour ces choscs une sorte d'antipathie, non seulement a cause des mille trom- peries que le demon et rimagination produisent par leur moyen, mais en vertu de son idee fixe, qui

(i) I\. P. Aug. Poulain, la Mystique de saint Jean dcla Croix, p. 41.

5.

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est (Tccarler tout ce qui n'est pas Dleu » Ecoutons cTailleurs le grand mystique en per-

sonne. Nul n'a plus travail I e a fixer cette tradition catholique, que ces phenomenes sont extr&mement loin de constituer la saintete. II faut dire plus : dans les milieux ou se forment et ou s'honorent le plus les saints, ces fails conimenccnt toujours par pro- voquer rinquietude et le soupcon. On craint qu'ils ne proviennent d'un certain desordre ou qu'ils n'en produisent un en mettant a une trop rude epreuve I'esprit et I'organisation de celui qui les ressent. Ce qu'a la suite de Jean de la Croix on en dit de moins defavorable, est qu'il ne faut pas en 6tre ennemi de parti pris ni maltraiter ceux qui les eprouvent : c'est asscz deleur en montrer les perils et de les en detourncr doucement. « On doit, lisons-nous dans la Mo nice da Carmel (i), conduire ces ames par la foi en les detournant peu a peu de ces impressions surnaturellcs, en leur apprenant a s'en denuer, afin qu'elles profitent davantage en la vie spirituelle. On leur persuadcra que ce chemin est le nieilleur, qu'une seule action et qu'un seul acte de la volonte en la charite vaut mieux et est plus precieux de- vant Dieu que tout le bien qu'on pent esperer de ces revelations; on ajoulera que plusicurs qui ont ete prives de ces dons sont devenus plus saints sans comparaison que ceux qui les ont recus du ciel avec profusion. )> Ainsi parle a chaque instant sainte Therese.

(l) II, 25.

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LES FAIT3 EXTRAORDIN*AIRES DE LA VIE SAIXTE. S3

Dans une cles lettres les plus curieuscs qu'on ait conservces de saint Francois de Sales (i), nous trouvons un jugemcnt analogue. 11 s'agit d'une fille qui avail des revelations et des extases. A premiere vue, le grand saint les Irouve suspectes, preci- sement parce qu'elles sont frequentes. II raconle alors riiistoirc d'une aulre fille dont Tapparente saintete avail fait illusion a son eonfesseur, aux autres religieuses, a celle fille meme enfin; car ct elle etait la premiere irompee... n'y ayant de son cote aucune sorte de faute, sinon la complaisance qu'elle prenait a s'imaginer qu'elle etait sainte.., et le vain amusement qu'elle prenait en ses vaines imaginations ». Mais elle en eut tant qu'a la fin cela la rendit suspecte aux gens d'csprit, et on s'apereut qu'il n'y avail en elle autre chose cc qu'un amas de visions fausses )). L'illustre ami et conseil- ler de sainte Chantal conclut done qu'il faul temoi- gner a cctle religieuse cc une totale negligence et un parfait mepris de ses imaginations et lui parler des solides vertus et perfections de la vie religieuse, et particulierement de la simplicite de la foi par la- quelle les saints ont marche sans revelations ni visions quelconques, se con ten tant de croirc fer- mement a la revelation de TEcriture Sainte et de la doctrine apostolique et cathoiiquc ». C'est toute cette tradition que rcsumera Benoit XIV (2) quand, apres avoir rappele les revelations de sainte Ca¬ therine de Sienne et de sainte Drigilte, il ecrira :

(1) Elle acte attribute;! tort a sainte Chantal par Barthelemy. (2) Livre III, chap, dernier, i5.

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« Bicn que plusieurs de ces revelations aient ete approuvees, nous ne devons ni ne pouvons leur donner un assenliment de foi calholique, mais simplement un assenliment de foi humaine et selon les regies de la prudence, quand ces regies nous permettent de jngcr ees predictions probables et dignes d'une pieuse crcance. ))

Cette pieuse creance, sur quoidonc se gouverne- t-elle? Sur les caracleres memes des revelations et des visions, mais plus encore sur le caractere dc cclui qui en a ete favorise. D'abord, on Ta vu par le jiigeinenl de saint Francois dc Sales, une grande frequence les rend plus que suspectes, et on en aper- coit aiscmem ia raison. Une repetition habituelle donne a croire qu'a Ketat ancien et lentement forme du porsonnage s:est substituee une nature nouvelle, un etat enticrement different, definitive- mcnt doue d'attributs d'un autre ordre et les ma- nifestant par une sorte de necessite interieure. Une pareille melamoiphose ne laisserait de choix qu'enlre deux hypotheses : ou celle d'une pertur¬ bation toute pathologique (ainsi Talienation men- tale, quand elle eclate, change radicalement le ca¬ ractere du malade), ou celle d'une transfiguration glorieuse. Or, m6me chez les plus grands saints et dans les plus sublimes etats de spiritualite, la na¬ ture, quoique puissamment affermie, subsiste en¬ core, avec la possibilite du peche. Ce sont toujours les saints qui nous le disent; ils ajoutent que ce sont la des faveurs que Dieu donne comme il lui plait, a titre de recompense ou d'epreuve ou pour le bien

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LES FA1TS EXTRAORDIXAIRES DE LA VIE SAINTE. 85

; I'Eglise, et qu'il retire ensuite comme il lui plait, >ur des motifs qui lui sont connus, que ce sont [fin la des biens « dont nous ne connaitrons la leur que dans Tautre monde (i). » Mais si la repetition habituelle ou frequente suf- a discrediter ces phenomenes, est-ce a dire que

nr rarete suffise a leur donner une consecration in- scutable? Non. Tantot cette revelation est faite une personne ignorante et simple ou a un enfant peine instruilde ses devoirs de chretien; alors c'est contraste m^me du merveilleux inattendu du re-

; avec la naivete ou la grossierete habituelle de lui qui le fait, qui emeut TEglise. Celle-ci cepen- nt veut encore observer les suites, et ce sera sur caractere persistant des eflets qu'elle reglera sa

ntence. D'autres fois, ce sera le caractere seul du rsonnage qui imposera le respect d'abord, et en- ite une adhesion reflechie. Mais alors qu'est-ce a re? Que ce n'est pas tant la revelation, ni la vi- )n, ni la prophetie, ni la faveur visible, quelle felle soit, qui fait la saintete du sujet, mais que 3st au contraire la saintete bien eprouvee du su- t qui rassnre les esprits sur la valeur des phe- tmenes qu'il a ete donne d'observer. Ceci est vrai ^me des miracles. Cette derniere assertion pourra etonner quelques srsonnes. Elle ne fait pourtant que reproduire la adition constante des saints et des souverains pon¬ es. Tout le monde connait Tepitre ou saint Paul

(i) Voyez samte Therese, III, 97 et 549.

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dit qifavoir la charite vaut mieux qne de transpor¬ ter les montagnes. On connait moins cet admirable passage d'une lettre de saint Gregoirc le Grand au moine Augustin : « Songe que ce don des miracles ne t'est pas donne pour toi, mais pour ceux dont le salut t'est coniie. 11 y a des miracles de reprou- ves, et nous ne savons m£me pas si nous sommes elus. Dieu ne nous a donne qu'im seul signe pour rcconnaltre ses elus, c'est de nous aimer les uns les aulres. » Ailleurs, le grand pape distingue deux cspcces de miracles : les miracles proprement dits, qui sont les miracles corporels, et les miracles spi- rituels qui ne sont autres que les vertus portees jus- qu'a la perfection et a rheroi'sme. Or, dit-il, « ces miracles corporels moiitrent quelquefois la saintete, mais ils ne la font pas; les miracles spirituels qui s'accomplisscnt dans le fond de Tame, ne montrent pas au dchors la vertu de la vie, mais ils la font. Les premiers sont aceessibles m6me aux mcchants; jouir des seconds, les bons seuls le peuvent. N^al- Icz done pas, mes tres chers freres, vous altacher a ces signes qui nous sont communs avee les re- prouves; mais aimez ces autres miracles de charite et de piete que je viens de vous dire; ils sont d'autant plus surs qu'ils sont plus caches, et Dieu en recom¬ pense d'autant plus qu'ils procurent moins degloire auprcs des hommcs. j)

De longs siecles plus tard, Benoit XIV observait, lui aussi, que les miracles peuvent <Hre des signes de la saintete, mais qu'ils n'en sont point les signes essenticls et principaux; que d'ailleurs, si les saints

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de I'ancien testament faisaient surtout des miracles de leur vivant, les saints du nouveau en font sur¬ tout apres leur mort, ce qui veut dire unc fois leur saintete devenue definitive. Et il concluait : « dans le jugement rendu soit pour la beatification, soit pour la canonisation, on n'aborde rexamen des miracles qu'apres avoir constate les vertus heroiqucs ou le martyre du serviteur de Dieu. Ce sont ces ver¬ tus qui donnent le premier et le plus decisif te- moignage sur la saintete; les visions, les propheties et les miracles ne viennent qu'en second lieu, et on n'en tient meme aucun compte si la preuve des ver¬ tus heroi'ques n'apas ete prealablement fournic. »

Lorsqu'on rentre ainsi dans la vie personnel le du saint, on s'apercoit d'abord que les faits extraordi- naires et les miracles qui se passent en lui ne sont pas accidentellement superposes a savertu. Consi- derer celle-ci com me le fondement sur lequel le reste repose ne suffit meme pas. Nous avons deja vu qu'entre Taction plus exterieure et Faction plus in- time il y a un echange continuel d'influences mar- quant de leur sceau les facultes mystcrieuses dont nous sommes bien obliges d'avouer Texistence II en est de meme pour les miracles, soit pour ceux quine laissentaucun doute, soit pour ceux qu'onpeut essayer de ramener a certaines formes rares, mais natureiles, de ['ascendant, du prestige et de la con- fiance irresistiblement inspiree (i).

(i) On comprewl aisement la difference. La guerison d'un grand nombre de maladies petit ctre rangc'e dans la soconde

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ss PSYCIIOLOGIE DE5 SAINTS.

D'abord, dc meme qu'il n'a des revelations que de loin en loin, le saint, en general, fait peu de mira¬ cles. C'estce qu'affirment les autorites les plussur<5s: il nous suffira de citer les Bollandistes. Dans leur vie de saint Ignace de Loyola, ils constatenl que leur bien-aime fondateur en fut si peu prodigue qu'on disculait pour savoir s'il en avait jamais fait; et, apres avoir rappele les tcxtes de saint Gregoire le Grand que je viens de citer, ils ajoutent : (i) a Quels miracles avons-nous de saint Au^ruslin, de saint O ' Jean Chrysostome, dc saint Alhanase, de saint Gre¬ goire de Nazianze, de saint Gregoire de Nysse? Peu assurement... Saint Augustin disait que mieux vaut convcrtir un peeheur que de ressusciter un mort. »

On me dira : <( Pensez-vous done qu'ils pouvalent avolonle en faire ou n'en pas faire? » Non! )> — Eh bicn! si e'est Dieu qui, comme vous le croyez les accomplit en eux, pourquoi cette intervention supericure serait-elle limitee, soit dans le noinbre, soil dans la grandeur des merveilles qu'elle execute ? » Je repondrai qu'en effet ce n'estpas a nous a la res- trcindrc pas plus qu'a Telargir, mais que Jesus lui- meine s'est plaint de ceux qui, pour croire, exi- geaient dc lui des prodiges et que e'est dejala pour nous une lecon. Or, les saints qui demandent a Dieu de faire par leurs mains tel ou tel miracle, connais- sent cette lecon, ils se la sontcertainementappliquee.

categoric, non la guerison subite d'tin avengle et encore moins la resurrection tl'un mort.

(r) 784- E — 7S7. c.

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LES FAITS EXTRA0RD1NAIRES DE LA VIE SAINTE. 89

Mais du reste, ecoutons-Ies, et rccucillons sur cc point leurs maximes et leurs tradilions.

Avanttoutjle saint estime que le don des miracles nevaut absolument rien, qu'il n'est qu'une illusion ou le pire de tous les dangers, s'il n'est complete- ment subordonne a deuxvertus qui valent infiniment davanta^e : la charite et rhumilite. Nul ne s'eton- nera, je pense, de voir ces deux vertus placees cote a cote : rien n'est si oppose a Tamour des autres que la complaisance pour soi-m6me et, a plus forte rai- son, que IWgueil. Or, c'est deja pour ce molif que le saint redoute, avec la frequence d'un semklable. don, la frequence des tentations qui rlsqueraient de Faccompagner. Son humilite n'est-elle done point mise, en quelque sorte, a Fabri ? Si; car nous aurons plus d'une occasion nouvelle de le rappeler, e'est la sublimite m6me de son commerce avec Dieu, e'est Tintensite de Tamour par lequel il s'efForce d'y cor- respondre qui lui fait mesurer toute Tel-cndue de la mxsere humaine. S'il est eleve prodigieusement au- dessus d'elle, il a eleve encore plus haut son ideal. C'est pourquoi la conscience de ce don qu'il croit immerite vient si souvent, et surtout dans la por¬ tion militante de sa vie, le troubler; et ce n'est pas la, qu'on me permette de le dire en passant, une des plus faibles preuves de la realite du miracle meme.

Ecoutons ce que raconte si bien le dernier his- torien de saint Bernard : « Un point obscur tour- mentait sa pensee; e'etait le souvenir des miracles qu'il avait accomplis. A la fin il s'en ouvrit a ses compagnons de route. <t Comment Dieu, leur di-

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sait-il, s'cst-il servi d'un homme tel que moi pour opcrer ccs mcrveilles? D ordinaire les vrais miracles sonl I'ceuvre dcs grands saints; les faux miracles O 7

Tceuvre des hypocrites. Or, il me semble que je ne suis ni run ni Taulre (i) )). Personne n'osait expri- mer la rcponse qui etait au lond de tous les cceurs et qui cut offense sa mo des lie. Soudain il crut avoir trouve le mot de Tenigme : « Je le vois, ces miracles ne sont pas le signe de la saintete, ils ne sont qu'un moyen de gagner les ames. Dieu les a faits, non pour me glorifier, mais pour edifier le prochain. Entre ces miracles et moi il n'y a doncriende commun. »

Yoila pour riuimilite. Quant a la charite, je dirai que les saints croiraient la blesser, s'ils obtenaient, s'ils desiraient surtout quelqu'une de ces merveilles inutiles ne tendant immediatement ni a Tedifica- tion, ni a la consolation du prochain.

Ainsi eclaire par sa propre experience, mil n'est plus apte qu'un vrai saint a demeler les fausses saintetes et a en fuir la contagion. Lorsque sainte Therese commencait a recevoir les faveurs divines eta entrer « dans les voies extraordinaires elle etait tour men tee par une sorte de frayeur de res- sembler a une clarisse (2) qui pendant trente ans avait excite renthousiasme de I'Espagne, mais qui avait fini par avouer qu'elle n'avait ete qu'une crimi- nelle dupant la chretiente presque entierc. cc Ellc ffouverna non seulement les Clarisses de Cordoue, O '

(1) L'abbe Vacanclnrd, fie de saint Bernard, tome It, a32. (a) Madeleine de la Ooix, clarisse de Cordoue.

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mais devint Toracle des autres couvcnls dc 1 Es- pag^ae. Les princes, lesrois, les pontifcs enx-memcs la consullaient suv les affaires de leurs etals ou de leurs dioceses. Elle leur revelait des secrels cn ap- parence impeneLrables, decouvrait des cvenemcnls qui s'accompllssaient loin d'clte et voyait, par excmple, Francois Ier rendre son cpee a Pavic, Rome pillee par les Imperiaux. Des procliges ac- compagnaient ses predictions, prodiges qui ne res- semblaicnt en rien aux miracles du Bon Maitre de TEvangile et frappaient les sens d'ctonnemcnt sans eclairer les ames ni fortifier les cceurs. La foule se- duite aclmirait toujours, et sa veneration croissante exaltait de plus en plus Madeleine. Aux jours de grande f6te, elle tombait en cxtase et s'elevait sou- vent a deux ou trois pieds au-dessus du sol... etc, etc... Un jour enfin, en i546, un rayon de grace traversa les tenebres de cette femme. A la conster¬ nation gencrale elle se jeta aux pieds d'un visiteur de son Ordre, et, depouillant le masque de son hy- pocrisie, elle avoua quc par des ruses sacrileges et des conventions faites avee le demon, elle avaitin- dignement trompe la confiance des soeurs comme Topinion publique... Elle completa ses premiers aveux... Transportee hors de la ville, elle acheva ses jours en penitente, loin du cloitre qu'elle avait deshonore. )> Ces evenements eurent un retentisse- ment immense. Toute I'Espagneen trembla, dit This- torien auquel nous venons d emprunter ce recit (i).

(i) His to ire dc saint e Thr'rese, par une carm elite, I, 14 5.

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Combien difierente fut I'histoire de sainlc The- rese. Loin de rechercher les dons surnalurels, elle se sentait, « toujours plus inquiete », elle senLait « croitre ses alarmes )) (ce sont ses propres expres¬ sions) a mesure que ce qui s'accomplissait en elle lui paraissau surpasser les forces de la nature. Ce n'est qu'apres des annees d'epreuves, de combats, de comparaisons et d'experiences reiterees que, rassu- ree par sa bonne foi, vaincue par Tamour, elle s'a- bandonne enfin sans defiance et par consequent sans reserve. Elle etait sure de Tamour de son Dleu el sure d'cllc-mfcme : il n'etait plus aucun don qu'elle n'acceptat et qu'elle ne consentit a decrire et a ex- pliquer pour Ja gloire de I'Eglise et le bien des ames : elle en usait avec gratitude, on pourrait presque dire avec familiarite et simplicite, comme elle avait use jusque-la des dons naturels dont son cocur avait etc si rempli et son esprit si orne.

Pen de saints out connu sans doute a ce degre celle jouissance lucide et paisiblc a laquelle eile arriva dans les cinq dernieres annees de son exis¬ tence. Sainte Chantal vieillissante fut eprouvee par des tourmenis spintuels dont elle eut beaucoup de peine a triompher. Mais celte difference — devons- nous dire cette inferiorite? — n'enlcve riena Tauto- rite de la fondatrice de tant de couvents, de la di- reclrice de tant de religieuses, qui sut toujours (i) preserver les autres supericurcs contre les dangers des dons extraordinaires etdece qu'elle appelleavec

(r) Yoyez Leltres citees> I, 5oo.

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tant crenergle « le traflc de revelations )>. Avcc quelle force encore ne rappelait-elle pas a I'une cl'elles qu'aa dernier jour plus d'un faisear de mi¬ racles et plus d'un prophete serait traite d'ouvricr d'iniquite! Eile ne parlait m6me pas de faux mi¬ racles ni de fausses propheties, mais de faiseurs de miracles et de prophetes ct qui n'auraient pas ete (c doux et humbles de coeur » comme le leur dc- mandait avant tout le divin mailre.

Dans les visions, dans les revelations, dans les miracles, la part de ce qui est apporte du dehors et d'en haut est assurement tres preponderante, et la part de la saintete doit 6tre plutot cherchee dans la facon dont le heros accepte ces dons et dans la facon dont il en use. On peut croire qu'il n'en est pas tout a fait de m6me dans ces phenomenes qui resument tant d'eflbrts et d'elans de la vie sainte et qui conduisent, par les divers degres de Toraison, au sfentiment de Tunion, au ravissement et a I'ex- lase. II est done temps de descendre, autant qu'il est possible, dans ces profondeurs eclairees par Texperience reflechie des saints eux-m6mes. La est probablemcnt la source de ce que la nature fournit dans les merveillcs dont nous venons de purler lout a Tlieure; car Benoit XIV nous apprend (i), par exemple, que les visions et les revelations ne sont gcneralement donnees qu'a ceux qui ont deja connu les extases et les ravissements.

Tout saint est-ii un extatique et tout extatique

(i) OEuvrc citee, III, 49.

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est-il un saint? II est surlout evident que tout exta- lujuc n'est pas saint. Alfred Maury, qui etait a la fois un erudit et un psvchologue, et qui est souvent rcvenu sur ces questions, a cru pouvoir dire : cc Les ihi-oloyiens ont regarde Textase comme une des fa¬ vours les plus signalees qu'ait jamnis accordees le creatcur a sa creature : aussi Rome a-t-elle mis au nombre des saints la plupart de ccux qui Font eprouvee. » II n'y a rien de moins vrai que cette assertion. (Test un lieu commun de la theoloffie o que, lorsqu'il est question de canoniser un serviteur de Dieu, on ne tient pas compte des extases, que du moins on ne les approuve jamais comme mira¬ cles speciaux, a moins qu'elles ne soient accompa- gnees de quelque prodige evidemment surnaturel.

Mais, a la suite de Benoit XIV et des saints, dont il resume I'experience, essayons d'aller plus avant. Le traite de la beatification et de la canonisation dis¬ tingue trois sortes d'extase : Textase naturelle, qui est une maladie — Textase diabolique — et Textase divine.

Pour les distinguer Tune de Tautre, il Auit faire attention tout a la fois aux antecedents dela crise, a scs svmptomes propres et aux consequences de tout ordre qui en dccoulent.

Si Textase est periodique et arrive a des inter-- valles determines, si, avec le temps, Fextatique tombe en paralysie, est frappe d'apoplcxie on de quelque autre maladie semblable, si Textase est suivie de lassitude, de paresse des membres, de lourdeur d'esprit et d'obscurite intellectuelle, de

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perte de mcmoire, de paleur ou de lividile du vi¬ sage et de Iristesse de Tame, on vcrra la autant de signes d'une extase purement naturelle. On en sera encox^e plus assure si le sujet, par Teffet de desirs tefrestres, est saisi d'acces de chagrin ou de ter- reur.

On reconnaitra une extase diabolique si le sujet se trouve etre un homme de nvauvaises moeurs ou si sa crise est accompagnee d'une distorsion exageree des membres, d'un bouleversement (non pas insolite, il le sera dans Textase divine), mais desordonne du corps; a plus forte raison si ces mouvements sont indecents. On pourra encore accuser Faction dia¬ bolique si Textatique provoque ou suspend sa crise a volonte, s'il parle en homme dont Tintelligence esttroublee ou s'il scmble que ce soit un autre que lui qui parle par sa bouche (quasi alius loquatur per euni); si apres avoir etc ainsi aliene d'avec lui- mdniej il ne se souvient de rien de ce qu'il a dit et ne peut pasle repeter, si enfin il se laisse ainsi fre- quemment ravir dans un lieu public ou en presence d'une foule nombreuse de spcctateurs.

L'absence de tous ces caracteres fera done tout d'abord pressentir la nature divine d'unc cxlase; mais on n'en doutera plus si les paroles de Texta- tique n'ont d'autre effet que d'exeiter les autres a I'amour divin, si, revenu a lui-meme, il se montre de plus en plus affermi dans la charile, dans riiurailite et dans la securite du cceur.

Dire qu'une telle extase est divine, e'est assez dire ce qu'elle doit a une action surnaturelle. Dans

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une religion ou la inoindre vertu suppose une grace, comment de tels etats n'en exigeraient-ils pas une? Mais il est des sources spirituelles ou se fait comme une preparation personnelle a ce sublime etat. BenoitXIV en remarque trois qui sont : rintensite de Fadmiration, la grandeur de I'amour, la force de I'exaltation ou de la joie. Nous void loin de cet etat d'aneantissement qui passe pour 6tre la carac- teristique de Textase. II est vrai qu'on m'objectera qu'il faut distinguer entre la preparation de la crise ct la crise meme, que, dans la preparation, il se peut que la vivacite de ces sentiments ait communique a rintelligence tout entiere tin surcroit d'activite, de- passant les ressources ordinaires de la nature; mais precisement, dira-t-on? la consequence necessaire de cette exaltation est un epuisement general, et rimmobilite du corps traduit alors tres clairement i'arr&t momentane des fonctions de la vie.

^experience des saints permet de repondre a cette objection ; car les recits qu'ils nous ont laisses nous font distinguer a notre tour deux ordres de facultes ou de fonctions. Que les fonctions inferieures soient arretees, la respiration m&me suspendue, oui, cela est exact, II est exact encore que cet etat de Torga- nisme pent, selon la complexion naturelle et le tem¬ perament de la personne, 6tre accompagne de phe- nomenes parfaitement semblables a ceux des diffe- rentes sortes d'extase que les medeeins etudient et decrivent cliez leurs ma la des. IMais selon I'expres- sion de sainte Therese, tandis que Tame est en- dormie aux choses temporelles, eile est cveillee aux

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choses du ciel. « Ce que j'ai remarque, dit-clle en¬ core, en cette sorte de ravissement, c'est que Fame n'a janiaisplus de lumiere qu'alors pour comprendre les choses de Dieu. » Elle ajoute, il est vrai : « Si ron me demande commentil peutse faire que ionics nos puissances et tous nos sens etant tellement sns- pendus qu'ils sont morts, nous enlendions et com- prenions quelque chose, je reponds que c'est la un secret que nulle creature peut-6tre n'entend et que Dieu s'estreserve ainsi que tant d'autres. )> Elle n'en affirme pas moins que dans le ravissementj Tame se sent comme illuminee : <c I'entendement, suspend Lien ses operations dlscursives; mais la volonte reste fixee en Dieu par Tamour, elle domine en souveraine. » C'est alors que ce vide apparent de Fintelligence est rempli par les visions. PaiTois ce sont des visions intellectuelles qui sont plutot comme une conscience inebranlable de la presence de Dieu et de reflet indicible qu'elle produit dans Tame. Plus souvent ce sont des visions imaginaires, sujettes a plus d'illusions sans doute, mais mieux en harmonie avec la faiblesse de notre nature; car la vision une fois finie, Tame, soutenue par la survi- vance des images, peut mieux reconstituer la scene evanouie (i).

Ne perdonspas de vue ces deux aspects de Textase des saints : le sommeil du sens etl'eveil des facultes

(i) D apres sainte Therese, les visions intellectuelles durent plus longtempSj et, quand elles se prolongent, I'elat qu'elles accompngnent ne saurait plus elre appele proprement une extase. Voyez III, Sod, Six. Cf. Benoit XIV, III, 49.

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supcricures. Quand le premier se montre seul et isole, c'est la fausse extase; avec le second et par hii apparait Texlase divine.

Fails qui viennent du demon, faits qui viennent d'une inlcrvenlion speciale de Dieu, tout cela, dira- t-on, est hors de la science et n'a rien a voir avec la psychologic. C'est une erreur. Continuous a bien delimiter le champ de la controverse. On peut re- server toute discussion sur la nature et roriffine O du fait mysLerieux et chercher comment Fame hu- maine se comporte devant ce fait ou a la suite de ce fait. Le miracle ne suspend pas toutes les lois naturelles dans I'etre ou il eclate. La baguette de MoVse fait jaijlir Teau du rochcr; mais I'eau qui coule a cet appel obeit aux lois de la pesanteur et de la mecanique hydraulique; le labarum, une fois apparu dans le ciel de Cons tan tin, y a brille selon les lois de la physique : il a ete vu selon les lois de Foptique, etc.

Or, prenons ces phenomenes extraordinaires soit du vrai, soit du faux mysticisme. L'opinion juste- mcnt accreditee estime qu'il y a dans Tun et dans Tautre un determinisme, un ensemble lie, dans lequel le fait inattendu s'intercale sans en detruire, autant qu'on le croit, reconomie naturelle. II est vraisemblable que ce fait est le point d'arrlvee d'une suite d'etats (r) et qu'il est le point de depart d'une suite d'autres, comme le sont, d'ailleurs, dans la

(i) Ce qui nc veut pas dire qirils le produisent par leur seule vertu.

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vie ordinaire, certains actes decisifs, dependant plus complelement da libre arbitre de Findividu. Ainsi encore la pathologic nouvelle nous apprend quc le germe d'une maladie pent venir du dehors; ce n'en est pas moins un organisme prepare et dispose de telle ou telle maniere qui le recoit, qui le conserve etle developpe ourelimine. Peu maitre de son ima¬ gination, excessif dans ses austerites, triste par consequent (i), avide de graces exceptionnclles, in¬ discipline dans ses oraisons, plus desireux d'aimer et surtout de se croire aime que d'agir avec une humble patience, le faux mystique merite, pour ainsi dire, de devenir le jouet de ses illusions; et quand ces illusions arrivent, il en prolonge lui- m6me dans toutes ses facultes reffet desastreux. Humble et prudent, attentif a garder en tout la vraie mesure, persuade qu'il ne doit pas seulement demander, mais offrir, ne pas seulement recevoir, mais donuer, e'est-a-dire se devouer en « servant le Seigneur dans la justice avec un male cou¬ rage (2) )>, le vrai mystique ne \eut reconnaitre le caractere divin de ses propres visions qu'autant qu'il en sort plus parfait; or, ce perfectionnement (quelle que soit la grande part qu'il fasse a i'action

(1) Dans son excellente histoire de saint Francois tl'Assise (a vol., Paris, Lecoffro). M. Tabbe Le Monnier donne comme authentiques ces paroles du saint : « Ilfaut user d'une grande discretion dans le traitement que nous imposons au corps, notre frere, si nous ne voulons pas qu'il excite en nous une tempete de tristesse. » (11^ p. SqS.)

(a) Sainte Tlie'rese, Sa vie% par elle-mcme, p. 11 3.

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cle Dieu), il sail bien qu'il ne peut pas le realiser sans eflorts personnels; c^est pourquoi il fait ces eflorts avec perseverance, en depit de tous les obs¬ tacles qui lui viennent soit de lui, soit des autres.

CerteSj ces obstacles il ne les ignore pas; car ici coinnie partout ailleurs, on est etonne de voir avec quelle suretc, quel bon sens et quelle exactitude, les saints ont reconnu, traite, gueri la iausse extase. Ce melange de faiblesse corporelle et de reverie, cet abattement physique, accru par I'abandon de la vo- lonte, cette melancolie qui livre Tame a la seduction on a la tvrannie d'une idee fixe, cette illusion de rimagination qui prend pour de I'extase un evanouis- scment vulgaire , cette erreur a demi cherchee d'un mvsticisme trop orgueilleux ou d'un desir trop mal soulcnu par une energie ou une prudence insuffi- sanies, tout cela iis Toutvu, ils Tont signale, its I'ont redoute pour eux aussi bien que pour ceux dont ils avaicnt la conduite.

11 est en clTct tres curieux de voir que quand des physiologistcs contemporains, confondant le mys- ticisme (de quelque nature qu'il soit) et la saintete, croient nous expHquer les merveilles des saints par les maladies des mystiques, ils decouvrent une foule de choses que les saints eux-memes ont par- failcinent connu et avoue. L'humanite est toujours la me me, et de parcils malades qui, au lieu de r6ver de grandeurs ou d'amour humain, s'eprennent de bonne foi pour les joies melancoliques d'un com¬ merce imaginaire avec les anges et avec la divinite, il y en a de nos jours, com me il y en avail dans tous les

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siecles precedents. On en rencontre clans tous les milieux pieux : lespr&tres qu'ils persecutent de leurs exigences et de leurs scrupules les connaissent bien. Pourquoi essaierons-nous de dissimuler qu'il y en a dans les couvents, puisque sainte Therese et sainte Chantal en ont trouve si souvent dans les leurs et qu'elles Font dit? Que de fois, en effet, ne se sont- elles point attaquees a cette mauvaise methode qui commence par Tabandon a certains plaisirs sensibles de la devotion, continue par un abattement a demi- volontaire, s'aggrave par le manque de nourriture, se continue par un affaiblissement progressif du corps et aboutit enfin a un mode d'extase qui ne contient que des dangers! L'erreur que nous tenions a combattre est de conclure de cette triste et inno- cente contrefacon de la saintete a Tetat constant, des vrais saints : c'est la un raisonnenient aussi aventure que celui qui, sur des exemples d'habitudes crapuleuses recueillies chez des ecrivains ou des artistes de troisieme ordre, fait de ces habitudes un des ingredients inevitables du genie (i).

Nierai-je que jamais ces etats troubles du systemc

(i) Ainsi LombrosOj ayant rencontre pres tie Bergame un nommeZola « escroc et homme de ge'nie », af/irme-t-il, voyait dans ce fait un exemple decisif a I'appui de sa the'orie sur la parenle du ge'nie, du crime et de la folie. Le plus piquant est que Lombroso fit part de ceUe decouverte a noire celebre romancier dans une lettre expressement ecrite a ceUe inten¬ tion. (EUe a ete publiee dans les Archives cVanlhropologic eriinincllc de Lyon,) II croyait sincerement que la nouvelle flaiterait notre compatriote. — Voyez notre livre sur la Psy¬ chologic des grands homines, a® e'dilion.

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ncrveux, ccs attaques suivies de prostration, ces douleurs violentes alternant avec rinscnsibilite physique, ne soient a observer dans la vie des saints? Non. Plusieurs d'entre eux ont explique comment ils avaient eu a souffrir de pareilles crises. Ils les ont racontees avec details et, je dirai, loyalement. Sainte Therese, par exemple, a decrit la catalepsie avec une exactitude remarquable : elle la decrivait de souvenir et d'apros son experience personnelle (i). Mais a I'inverse de ceux avec lesquels on affecte de les comparer, les saints ne song-ent pas a denaturer le caractere de ces miseres : ils n'ont pas plus Tidee de s'en g-lorlfier que la faiblesse d'y chercher un pretexte pour se condanmer eux-memes a la la¬ mentation perpetuelle et a Tinertie. Souvent, a la verite, ils y voient, nous Tavons dit, une action du demon arme du droit de les frapper comme il avait frappe le saint homme Job. Souvent aussi, c'est pour eux une simple defnillance de la pauvre nature. Sans entrer dans aucune analyse d'ordre medical (2), ils sont assez humbles pour penser que leurs nerfs ne sont pas plus a I'abri du mal que ne 3e sont leurs poumons, leur estomac ou leurs vertebres; mais ce qu'ils voient tout d'abord dans ces abattements

(1) Voyez Sa ^7?, par elle-me me, ch. xx. (a) Et cependant sainte Therese etait ici dime aptitude

remarquable. J'ai eu occasion de montrer comment elle avait devance les mcdecins conlemporains dans la distinction et Tanalyse des quatre especes de mclancolie telles que la science Jcs ciractmsc de nos jours. — Yoyez la Sainte Thaesc de cette Collection, ch. ix, p. 192 et suiv.

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etdans ces secousses, c'est bel-et bien'line rlrdl-aSrc; et si elle se prolonge, ils entendent qu'c-n -a mie- risse. ^ ' '' *

Et comment essayent-ils de la guerlr? Oh! la sublime sainte Therese n'y va pas — qu'on me par- donne Texpression — par quatre chemins : et le medecinle plus positif ne trouvera rien aredire a sa therapeutique, aussi peu sentimentale que possible. Ecoutez-la (i). Elle nous a parle de ces personnes qui, par suite de leurs austerites, de leurs oraisons et de leurs veilles, ou mfeme uniquement par suite de la faiblesse de leur complexion, <c ne pcuvcnt recevoir une consolation spirituelle, que leur nature n^en soit aussitot abattue. En meme temps qu'clles eprouventun certain plaisirdans Tame, elles sentent dans le corps defaillance et faiblesse... : elles s'a- bandonnent a une sorte d'ivresse. Puis, cctte fai¬ blesse augmentant parce que la nature s'afFaiblit de plus en plus, elles la prennent pour un ravisse- ment et lui donnent ce nom, quoique ce ne soit autre chose qu'un temps purement perdu et la mine de leur sante. Je connais une personne a qui il arrivait de rester huit heures dans cet etat. Son confesseur et d'autres s'y etaient trompes... Mais une autre personne (2) a qui Dieu donnait lumiere, decouvrit le piege; sur son conseil, on obligea la pauvre extatlque a diminuer ses penitences, a dormir et a manger damntage, et, a I'aide de ce remadet

elle fut guerie. »

(1) Lc Chateau inlerieur, /('s tlcmcurcs, HI. {1) La sainte ellc-mume.

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. l.(H .. ... PSYCHOLOGIE DES SAINTS. ; -• Mws+a saintc, elle, ::evoulait pas^trcguerie (i)! — /EU pouv'Qiio: aurait-elle voula I'&tre? puisque chez

elFe con.rnc chez ses pareils cet aflFaiblissement momentane de I'extase n'est d'abord que partiel et qu'ensuite il n'est qa'unc courte crise entre deux periodes de vie spirituelle intense; car il suceede a renerg-ie des desirs et il precede Tenergie de Taction. Sansdoute, au moment precis de Textase sainte et immediatement apres elle, le corps est demeure sans forces, beau coup moius parce qu'il les avnit perdues de lui-m6me que parce que cc Tame les lui avail toutes enlevees ». Mais d'abord, si Tame les lui a prises, ce n'est pas en pureperte, on I'a vu; ellc les tient toutes ramassecs dans une intuition percante, dans un don genereux et complet de tout son 6tre, dans un desir ineflablement assouvi. Elle les laisse ensuite s'ecouler de la, comme d'une source, dans les differ en les facultes qu'elles ra vis- sent. En (in elle les fait deseendre m&me jusqu'au corps et lui rend beaucoup plus qu'elle ne lui avail arrache; car « souvent infirme et travaille de grandes douleurs avant I'extase, il en sort plein de sanle et admirablement dispose pour raclion (2). » Voila I'etat vraiment divin : e'est celui oil Tame, se sent finalement plus lib re, plus ealme et plus forte,

(1) Je parle ici, bien entendu, de Tensemble de ses habi¬ tudes mystiques et de son commerce spirituel avec Dieu. Je ne parle point des fievres ou des fatigues auxquelles elle pou- vait etre sujette, comme toute autre et pour lesquelles elle se laissait soigner.

(2) Sainte Therese, Sa vie) 20S.

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elou le corps lui-m^me parlicipe a cette renaissance de la sante totale.

Etait-ce la une faveur speciale a sainte Theresc? Etait-ce un efTet de son temperament espagnol ou de la vigueur native de sa constitnUon qui, malgre ses maladies (et ses medecins, car elle en eut de bien maladroits!), lai permit d'alteindre soixante- dix ans? Mais le m6me fait se retrouve au moins aussi remarquable chez la frcle vierge de Sienne, destince a mourir si tot. Nous savons qu'elle dicta ou ecrivit un grand nombre de lettres etant ellc-m6me en extase; et celles-la nous les connaissons : son con- fesseur Raymond de Capoue et ses secretaires nous les ont marquees. Or, elles sont pleines de lucidite, de fermete et de courage. Ce qui Ics caracterise n'est pas un clan continu de piete contemplative : c'est la surete des conseils donnes sur les affaires les plus graves au pape, aux anciens de la ville de Sienne, a des princes : Tune traite des devoirs du mariage, une autre de la justice; presque toutes ont rapport a ces inextricables difficultes politiqnes dont elle reussit presque seule a tirer son pays et I'Eglise.

Et cependant ce n'est pas seulement chez les au- tres que les saints ont vu et reconnu la fausse extase. On ne comprend guere en autrui que ce qu'on a res- senti, au moins partiellement, dans son propre <Hre. Qu'on m'entende bien! Je ne veux pas dire que chez les saints le faux se soit m&le au vrai, ni que les etats que je viens de decrire alternent avec leur con- trefacon. Je veux simplement dire deux choses : la premiere, qu'ainsi qu'ils le racontent eux-m6mes,

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ils scntaient, de moins en molns sans doule en s'a- vancant dans la vie, mais enfin sentaient ce qu'ils appellent les menaces et le pouvoir du demon; la seconde, que la maladie qui les visitait souvent les mettait bien des fois sur la pente de ces etats pure- ment naturels auxquels ils voyaient d'autres person- ncs glisser pour s'y arreter et y languir, qu el que fois meme s'y perdre!

En d'autres termes, les perils auxquels deplus fai- bles succombaient, eux en triomphaient. Mais ils n'en triomphaient qu'apres en avoir senti la pointe et qu'apres avoir lutte pour s'en delivrer.

C'est une pensee qu'on retrouve, avec des traits extremement originaux, dans sainte Therese et dans sainte Chantal, qu'il ne faut pas considerer comment un phcnomene quelconque, un etat d'ame, un genre de vie commencent, mais bien comment ils se eontinucnt et surlout comment ils finissent. Or, tantot c'est la nature qui, troublee ou non, com¬ mence le mouvement, etcelui-ci, rectifie, va s'ache- ver en Dieu : tantot le mouvement est venu de Dieu, et il a devie. Mais Taehevement par rhumilite ou la deviation pax1 Torg-ueii sont le fait de Thomme; et e'est la qu'est a tons egards Tinter^t dramatique de Texistence des saints.

Bcaucoup, je le sais, diront encore : « Comment se fait-il que des phenomenes si divers se retrouvent a la fois chez des saints et chez des gens qui ne le sont guere, que des mecreants aient des visions ou accomplissent des miracles, et que des elus de Dieu puissent subir le contact de Tcsprit du mal? » La re-

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LES FAITS EXTRAORDINAIRES DE LA VIE SAINTE. 107

ponse, bien simple, est qu'il nc peut y avoir de sain- tete sans heroYsme et qu'il n'y a pas d'heroVsme sans victoire difficile et couteuse. Anssi en fait n'y a-t-il rien de plus faux que Topinion qui creuse une separation absolue entre la nature ct le surnaturel, qui croit qu'aucun homme inspire ne peut se trom- per, qu'une creature favorisee de quelque revela¬ tion ne peut pas la mal interpreter, que d'autre part celui qui a commence par un mouvement malsain et maladif nepeut, a force de bonne volonte, le trans¬ former en elans des plus spirituels. Oui, le saint co- toie longtempsplus d'un etat qui a une ressemblance specieuse avec la faiblesse ou avec le mal. Tout d'abord fausse ou douteuse, cette ressemblance peut devenir reelle et s'accentuer (et il le sait), s'il se laisse aller a la tristesse ou a la vanite ou au desir de jouir trop sensiblement des faveurs recues. Mais la dissemblance, si petite qu'elle ait ete dans le de¬ but, peut, elle aussi, s'accentuer jusqu'a ce que Tame soit entrainee vers un pole absolument op¬ pose de la vie psychologique.

Done, pourle dire une derniere fois, qu'il s'agisse de revelations, de propheties, de visions, d'actes mi- raculeux, de ravissements et d'extases, ou d'autres phenomenes merveilleux comme on en trouve dans la vie des saints, ce n'est pas le fait extraordinaire qui nous donne a pronostlquer la saintete ; e'est la saintete effective, e'est la vertu residant dans Tame et se manifestant dans les ceuvres qui fixe le carac- tere reel de ces faits. Sans doute, le saint n'a pas tarde, dans son experience, a distinguer les inspira-

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ICS PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

lions qui viennent cleDieu. « Les revelations venues de DieUj dit sainte Therese (i), se discernent des autres par les grands biens spirituels dont elles lais- sent Fame enrichie. » Et plus loin : « tout desir qui vient de Dieu est aecompa^ne de lumiere, de discre¬ tion et de sagesse. )> Mais d'autre part voyezce que dit la nidme sainte : « Quand une ame est veritable- tucnt humble, une vision, fut-elle de Tesprit des tenebres, ne peut lui causer aucun dommage; mais aussi quand rhumilite lui manque, une vision, eut- elle Dieu pourauteur, ne lui rapportera aucun profit. Si, au lieu de s'humilier d'une pareille faveur, elle s'en glorlfie, elle sera semblable a Taraignee qui con- \Fertit en poison tout ce qu'elle mange, tandis que par Thumilite elle imiterait I'abeille qui convertit en miel tout ce qu'elle tire des fleurs. ))

Ici cependant, je soupconne qu'un doute naitra dans Fesprit de quelque lecteur philosophe. — « Oui, dira-t-il, e'est bien dans la volonte indivi- duelle, e'est bien dans le cceur qu'il faut aller cher- eher la saintete : rhumilite vaut plus que les pro- pheties, la charite vaut plus que les miracles. Mais pourquoi ne pas aller plus loin? Pourquoi ne pas rcconnaitre que ces grands biens spirituels, que cctte vaillance, que cette lumiere, que cette sagesse qu'ils croient recevoir d'une inspiration exterieure et d'une lumiere surnaturelle, les saints les ont en- tierement tires d'eux-mfimes, et que e'est par un exces d'humilite qu'ils en ont rapporte Thonneur a

(i) A'oyc/ ses a'uvros (edit. Lecorfre); t. TIf. /j. ioo: 10S.

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LES FAITS EXTRAORDINAIRES DE LA VIE SAINTE. 109

une intervenlion mvstericuse? Ce quils croyaient trouver dans les visions et clans les extases, n'etait-ce pas tout simplement le reflet exterieur de leur pu- rete, de leur amour, en un mot de leur perfeciion deja consacree par de longs efforts? Ainsi existent dans rintimite de chacun de nous, dans nos dispo¬ sitions tristes ou gaies, courageuses ou deprimees, les causes de la joie ou du chagrin que nous nous figurons venir a nous du dchors et rcmplir malgre nous notre ame de sentiments inattendus. »

Comme ce n'est pas ici precisement un traite d'a- pologetique que j'ai entrepris, je ne m'attarderai pas a demontrer comment, dans le dogme chretien aussi bien que dans la verite psychologique, le dedans et le dehors, I'action de Fhomme et Faction de ce qui resiste a riiomme ou le soutient et I'attire, sont in¬ separables Tune de Tautre. Je me bornerai a re- pondre : Si vous croyez que le saint altribue bene- volement a une grace d'en haut ce qui n'esl que Texpression de lagenerosite de sa propre nature, ne dites plus que e'est une maladie qui fait les visions des saints, qui les constitue ou qui les acheve; ou bien alors expliqucz comment un fond de sante spiri- tuelle renfermant de si grands biens s'accommode- rait avec un etat digne d'dtre quallfie d'hallucina- toire et de maladif!

Nous voici peut-6tre prepares a comprendre PSYCIIOLOGIE DES SAINTS. 7

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comment des e sprits serieux et sin ceres (i) ont pu croire qu'ils trouvaient Thysterie chez les saints,

(i) Je veux parler ici — non seulement de medecins — mais d'un savant jesuitej le P. Hahn^ dont le travail intitule : Phcnomcnes hystcriques et revelations et i rise re dans la Picvuc des Questions scientijiqucs, de Bruxelles (iSSS), fat d'abord coaronne' par I'Academie de Salamanque, lors d'un concours ouvert —et juge par les plus hautes autorite's eccle'siasliques de 1'Espagne — en Thonneur de sainte Therese. Le me'moire du P. llalin n^en fut pas moinsmis a Ftnclex, ce qui ne veut pas dire d'ailleurs qu'il fut condamne formellement, mais qu'on y trouva sans donte des propositions insuflisamment explique'es ou de nature a tromper plus d'une intelligence.

La Congregation de I'Index ne donne pas les motifs de ses decisions, qui quelquefois ne sont que provisoires et ne font (jiiindiquer quelque chose de scabreux, d'inopportun, de sujet a revision. Mais voici ce qu'on peut conjecturer.

La principale theorie du P. Hahn est que sainte The'rese ay ant eprouve, d'un cote', des phenomenes liyste'riques, de Tautre des phenomenes surnatureis, elle sut si bien distinguer les uns et les autres que cette double expe'rience conslitue chez elle une ga ran tie imprevue et tres precieuse : la connais- sance qu^elle a eue du premier groupe de faits nous prouve qu'elle ne se trompait pas quand elle decrivait le second. Elle ne confondait pas parce qu'elle e'tait a meme de comparer et qu'elle com pa rait surement. — On peut croire que ce prin- cipe a eu les suffrages tres ca leu les du jury de Salamanque et qu'il n'en etait pas indigne. On me permettra de dire qu'a- \ant d'avoir jm me procurer le travail du P. Hahn, j'avais, dans mes premiers articles de la Quinzaincy dit quelque chose d'analoguej je m'attache a le preciser, a le rendre, au- tant que possible, irreprochable.

D'autre part, une lecture attentive de la Revue des Ques¬ tions scicnlijiqucs montre bien, a mon avis, ce qui a pu moti- ver la decision de I'Index.

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LES FAITS EXTRAORDINAIRES- DE LA VIE SAIXTE. Ill

et comment ils se sont tres gravement irompes. Qa'ou nous pardonne d'insister encore sur ce point delicat : c'est ici que nous rencontrons les objec¬ tions les plus subtiles et les diflicultes les plus epi- neuses sur le vrai caractere des saints.

L'hysterie est une maladie : mais une maladie n'est pas constituee par un accident ou une faiblesse momentanee; c'est une tendance, malheureusement

La Congregation a-t-elle pense que le lecteur ordinaire serait encore trompe' par ce mot d'hysterie qui a si longtemps designe a tort de pretenclues ardeurs de temperament et que le savant jc'suite s'etait permis la un rapprochement premature, inopportun? Peut-etre : mais le me'moire avail deux torts beaucoup plus graves.

D'abord, il ne faisait pas une distinction assez precise entre les phenomenes accidentels qui peuvent faire craindre une maladie et cette maladie meme constltue'e, e'voluant de toutes pieces. On peut avoir des douleurs sans etre un rhumatisant ou un goutleux; on peut eprouver des phe'nomenes dyspnei- ques sans eU'e un aslhmatique* on peut pre'senter accidentcl- lement du sucre ou de 1'albumine... sans etre un diabJtique ou un albuminurique. On ne re'siste pas a rinvasion des pre¬ miers symptomes ou on les surmonte; la question est la.

En second lieu, ces phe'nomenes accidentels eu\-memes, le P. Hahn en exogere beaucoup le nombre et le caractere. On en jugera quand j'aurai dit ([tie pour trouver chez sainte Therese (si pleine <le bon sens et tres souvent de gniete) des acces frequents de melancoliej il invoque la description si energique d'ailleurs, qu'elle nous fait de la d on lour dont elle fut frappee quand, pour entrer chez les Carmelites, elle quitta la maison de son pere. II faut vraiment bien abonder el su- rabonder dans le sens de si\ these, pour transformer la dou- leur inevitable d'une telle crise en un symptome de nielanco- lie maladive.

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PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

trop efficace, aun desordrepermanent etcomplet (i). Depuis quelques annees, on a essaye, non sans suc- ces, de mettre un peu d'unite dans cette trop riche confusion des maladies nerveuses n'allant pas jus- qu'a la folie (2); et voici comment on a caracterise la tendance qu'elles revelent (3).

L'essence de la vie normale et same, c'est Tuni- fication progressive des facultes, c'est Tassociation croissantc et de plus en plus harmonieuse de leurs actes, de leurs ctats et de leurs habitudes. L'essence de la vie morbide, — dont I'hysterie est, selon les idees du moment, le principal type — c'est la dis¬ sociation ou la desagregation de ces m6mes facultes. Probablement victime d'un epuisement dont la me- decine n'a pu decouvrir jusqu'ici ni le siege ni le

(1) Ce desordre cesse d'etre permanent et il ne parvient pas a etre complet si I'intervention de la medecineou une reaction vietoriease des forces saines le guerit 5 mais il est dans la loi deson e'volation d'allerjusque-la si rien ne larrete. Or, il est difficile tTarrcler une deviation comnie celle qui se manifeste par des desordres tels que ceux-ci : perversions de la sensibi- lite'j anestlie'sies prolon^e'es, pertes de conscience, modifica¬ tions du caractere, de'lires varies, attaques upileptitonnes, alternant avec des crises de lethargic...

(2) Je n'ai pas cru devoir parler ici de ceux qui voientchez les saints des especes de foils, comme ils en outvu chez les grands homines. Il ne faut pas faire a certains paradoxes plus de succes qu'ils n'en meritent.

(3) Parmi ccs travaux, je citerai surtout les deux volumes, • tres pleins, Ires clairs et tres intercssants, de M. Pierre Janet. Etat mental des hyste'riques. Paris, Rueff. Je vais y puiser largement.

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LES FA ITS EXTRA0RD1NAIRES DE LA VIE SAINTE. 113

mecanlsme (i), I'hysterique ne pent plus — si ce n'est trcs mal — s'assimiler ses proprcs souvenirs en les clnssant et en les faisant rentrer dans runito de sa vie personnelle. Ses souvenirs lui reviennent bien, mais au hasard, comme une troupe dcbandec qui se refuse a poursuivre avec attention et disci¬ pline aucune operation faite avec suite en vue d'un but. Sa volonte ne s'associe plus avec dcs concep¬ tions reflechies. Tantot ses actes obeisscnt a des idees qui lui sont suggerees, c'est-a-dire, en langage medical, qui lui arrivent subitement du dchors, sans qu'il le veuille et sans qu'il s'en doute, et qui determinent en lui une tendance irresistible a passer de Tidee a Tacte. Plus souvent sa volonte demeure immobile et cesse d'entendre I'appel non seulement de la raison, mais m^me du besoin. II pent manger, il peut digerer, il peut marcher; mais il s'est ima¬ gine qu'il ne pourrait ni Tun ni I'autre : des loi's il ne fait ni Tun ni I'autre, si ce n'est quand il n'y pense pas, dans un moment de distraction ou sous Tempire d'une suggestion a laquelle il ne coopere pas plus qu'il ne lui resiste. C'est ce qui explique que tout sonmainbule cache un hysterique et que tout hysterique se pr&te facilcment a toutes les ma¬ noeuvres du somnambulisme artificiel. Si, d'autre part, il apprend ou s'imagine tout a coup que telle

(i)M. leProfesseur Grassct, de Montpellier, en fait un phe- nomene infectienx * les centres ncrveux sont empoisonnes, done troubles, desorganise's^ frappe's d'un commencement de destruction par 1'action des toxines microbiennes. Cette the'o- rie a dej:i gagne beau coup de terrain.

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Ill PSYCIIOLOGIE DE3 SAINTS.

ou tellc partie cle son corps est plus sensible que Ics aulrcs, il y ressent line douleur absolument dispro- portionnee, dont le rctcntisscment exagere gngnc tout son elre. II s'est suggeslionne lui-meine sans s'cn douter, et il subit la tyrannie de son idee, commc il subirait celle que lui imposerait du dehors un opcratcur ct un mcdecin...

Malgre ces emotions imaginaires, le champ de sa conscience, com me on dit en langage technique, se retrccit : il a bicn encore des idees, mais dont beaucoup semblent floiler dans une region etran- gere ct surajoutee ou tout parait automatique. C'est la ce qu'on appelle encore le dedoublement de la personnalite; la personnalite ancienne et la per- sonnalite d'origine morbide alternent Tune avec Tautre, ramcnant successivement tout le cortege de leurs souvenirs separes et se supplantant reci- proquement. Dans cette lutte ou plutot dans cette anarchic se developpe, la plupart du temps, une idee fixe; et bien des fois on prend pour de I'ima- ginalion, pour de l1 esprit, pour de la force de vo- lonte, ce qui n'est que 1'obeissance passive a cette idee lixe. Do mine par elle, le sujet simule des aflfections qu'il ne ressent veritablement pas; U se conforme a ce qu'il devrait (>tre si ces afTections elaient reelies. <c II le fait, dit Charcot, avec une ruse, une saga cite, une ten a cite inouies, mais qui ne s'cmploient qu'a tromper les gens, et cela sans inter£t, sans but, souvent sans conscience. » — « Orcf, conclut M. Pierre Janet, Tlivsterie est une forme de desagregation men tale caracterisee par la

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LES FAITS EXTRAORDIKAIEES DI LA VIE SAINTE. 115

tendance au dMoublement complel et permanent de la personnaliti, »

Apres nm telle desmpdon, pins d'ua lecteur croira qu'en m'efforcant de refuter une opinion qpi voit rhysterie Ghei les saints, jejne ball contre un moulin a vent. Mali sans revenxp sur le mimoire du R. P. je dlnmi ce paiiag@ dn lm% si savant d'aillenrs, anqnd j@ toui da beauconp em- prunter. M- Pierre Janet reprodult me page oft sainte Therfese mmn qn'ua jonr, foulant lire k \rw d'un saint, elle en lut quatre ou cinq fois de suite quelques lignes mm y rien comprendre, m qui lui fit jeter le liirre; et la mime mhm®$ dit»elle, lui arriva dlverscs fois. I/auteur voit II un phlnom^ne caracterise d\ aprosexie n (ou xneapacite d'atten- tion), et il dit : « Les hysteriques d'aujourd'kui ne manquent pas de suivre sur ce point, comme sur bien d'autres, Texemple de leur illustre patronne. Cest, en effet, en leur demandant de lire avec atten¬ tion quelques lignes etd^expliquer ensuite ce qu'elles ont compris, qu'on mettra le miens: en evidence, dans les cas simples^ leur aprosexie. )) Aussi se Mte-t-il de rapprocher de ee dingnostic ritros- pectif le cas qu*il a observ# k h Salplriire, ehez une malade appdie Justine*^

S'il fallait juger I'etat mental dsune personne mv des accidents de eette nature^ \m alienistes et lei ne- vrologistes auraient une belle elientfele. Ma^, enfin, il y a plus d'un© diffirenee entre sainte Thiriie et Justine, Ilest necessaire, ee semble, de reprendre la difficult^ d'un peu plus baut et plus eompltomeitt.

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116 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

Le saint qui a sacrifie sante, plaisir, ricliesses, hon- neurs mondains a Tappel de la vocation, et qui voit eelle-ei confirmee par des revelations et des extases, est-il un tire qui subisse des suggestions comme celles qui agissent sur le somnambule et Thvpno- tiso? Pas de la ineme maniere, en tous cas! J'ai indique tout a rheure les doutes que provoquaient tout d'abord ces phcnomenes chez ceux qui en ctaicnt les premiers confidents et les premiers ju- ges. Mais chez ceux qui les eprouvent, le fait est bien loin d'avoir cettc simplicite brutale de I'idee qui prend possession de Tesprit du malade. L'hu- milite du saint personnage commence par en fctre cflVavee ; il ne se trouve pas digne d'une pareille favcur, et il v resiste comme a un exces d'amour qu'il ne croit pas avoir merite. L'historien si com¬ petent (i) de Marie Alacoque nous le raconte en termes touchants : « Quand elle eut fait profession, les douceurs et les consolations qu'elle avail deja goutees dans son noviciat continuerent a inonder son amc. Elle commenca a s'en etonner et a s'en inquieter. Elle avail epouse un Dieu crucifie, aneanti, humilie, soufflete : elle ne voulait pas d'autre sort Elle se plaignit a Notre-Seigneur. cc Eh! mon Dieu! lui disait-elle, vous ne me laisserez done jamais

(i) MB' Bougaud, Fie de Marguerite-Marie, p. iBfi.

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LES FA ITS EXTUAORDINAIRES DE LA VIE SAIXTE. 1L7

souffrir! » — C'est pourquoi, commc avait fait sainte Thercse, elle « se confcsse » cle ces graces, craignant que le peche ne se fut gllssc en die a leur suite. Ce n'est que qnand elle a obtenu la permis¬ sion expliquee, raisonnee, qu'entin elle cede a Tattrait, et alors seulcment elle sc tlonne tout en- tiere avec transport et avec ivressc.

En sainte Therese, la suite cle ces elats etait si peu etrangere a sa conscience, qu'elle a su non sen- lement nous les decrire, inais nous les analyser, nous les expliquer, nous les commeater par des observations metaphysiques cle la plus grande pro- fondeur, et introduire dans la psychologic qu'elle en donne des distinctions extremement precises. Ainsi, elle ne nie pas les visions malsaines, puisqu'elle les a experinicntees; mais elle sait d'autant mieux reconnaitre, par le contraste, le caractere de celles qui ne le sont pas...

cc II y a done, dit-elle (i), entre ces visions une souveraine difference; et je ne doute pas que m6me une ame qui n'est arrivee qu'a Toraison de quie¬ tude ne les distingue facilement. Ces visions portent chacune des caracteres proprcs et comme Tem- preinte de leur auteur; ainsi, pourvu qu'une ame ne veuille pas se laisser tromper, et qu'elle marche dans rhumilite et la simplicite, je ne crois pas qu'elle le puisse etre. II suffit d'avoir vu Notre- Seigneur une seule fois pour reconnaitre sur-le- champ une vision qui est Touvrage de Tesprit des

(i) Sa vie, p. 312. 7.

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tenebres. En vain commence-t-il par fa ire gouter un certain plaisir, Tame le rejctle avee je ne sais qucllc horreur, elle le trouvc souverainemcnt difie- rcnt dc cclui qu'clle goute dans line vision vraie; clle volt, cn outre, que Tainonr qu'on lui lemoigne ne [)orle pas Ics earacteres d'un amour chaste et pnr; cn sorte qiron tres pen de temps, elle de- con vrc et rcconnait rennemi. Cest ce qni me fait dire que Ic demon ne saurait causer aucun mal a une ame qui a de Texperience. »

A ndee des demons, substituez, si vous le vou- lez, l idee d'une influence ne relevant que de la maladic : sur ce terrain (i) tout psychologique, ni sainte Thercse, ni les saints ou saintes qui lui ont ressemble3 ne se laisseront prendre en defaut. La suggeslion de rhysterique, qui ressemble tant a celle du demoniaque, oui, elles la connaissent, elles Tont vue venir, dies Tout reconnue; mais elles Tont repoussee victorieusement; et e'est grace a leur encrgic qu'elles ont laisse regner en elles une autre inspiration qui ne ressemble absolument pas a la premiere.

(i) Nous pouvons cTautant inieux y transporter (provisoi- remcnl an mo ins) la discussion, que, selon le P. de Bonniot, les deux e'lals se res^emb'ent bcaucoup. (t Dans un cas, dit- il, e'est le demon; dans I'autre, rexpe'rimentateur qui pos- sede le sujet. La est presque toute la difference. » — « Re'ci- proquement, ajoule-L-il, les possessions sonl des cas d'hypnose, ou un esprit infernal joue le role d'hypnotiseur. » Je ne sais si cette opinion est consaere'e et deTmitivej mais elle est^, en tout cas, tres inte'ressante et tres spe'eieuse.

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LES FA1TS EXTRAORDINAIRES DE LA VIE SAINTE. 119

Elle n'y ressemble pas, d'aborcl, par ses carac- teres intellectuels; car elle est non seulement per- cue, mais raisonnee, consentie, et, en un sens, par- iaitement voulue. Elle nTy ressemble pas non plus par ses effets. La suggestion qui tombe sur les purs nevroses est comme rhallucination : elle cst de- primante, elle est desorganlsatrice, et elle est ste¬ rile. Pour nier que ce soit la le sort des stigrnates de saint Francois d'Assise, des revelations de sainte Thercse et des visions de Marguerite-Marie, je n'ai meme pas besoin d'invoquer la fecondite indeGnie de leurs creations spirituelles; je n'ai pas besoin de discuter avec celui qui nierait que la religion, comprise et pratiquee comme elle doit I'^tre, est la plus grande force de Thumanite. Sainte Therese, avec son admirable fa mil ia rite et son bon sens plus admirable encore, nous permet un raisonnement plus terre a terre.

Au debut de sa pratique de I'oraison, elle a besoin de faire effort. « Bien des fois, je Tavoue (i), j'aurais prefere la plus rude penitence au tourment de me recueillir pour Toraison. Je faisais nean- moins effort sur moi-m&me, et Dieu venait a mon secours. Mais, pour me vaincre, j'avais besoin de tout mon courage, qui, dit-on, n'est pas petit. »

Ce courage, pourtant, ne cesse pas de sitot d'etre mis a Tepreuve. « Oui, dit-elle (:>), telle est notre triste condition ici-bas. Tant que la pauvre ame cst

(i) Sa vie? p. 85. (a) Sa vie} p. 114.

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120 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

unic ii ce corps mortel, elle en est prisonniere; elie parlicipe a ses infirmites. Victime des change- ments cles temps et de la revolution des humeurs, elle se voit souvent, sans qu'il y ait de sa faute, dans rimpuissance de faire ce qu'elle veut... Plus on veut la forcer, plus le mal s'aggrave et se pro- longe... II faut que ces personnes comprennent qu'elles sont malades. »

Se complaira-t-elle done dans cet etat d'abatte- ment? (C'est le mot par lequel elle le designe). — Se laissera-t-elle ainsi tomber dans cet aneantisse- ment universe], dans cet ennui mortel, dans ce degout de !a vie, dans ce decouragement, dans ces terreurs, dans cet extreme desespoir, qui sont, selon les medecins, le lot des hysteriques (i)? Non; car voici les conseils — et les exemples — qu'elle donnc a ceux qui peuvent se trouver dans le meme etat qu'elle : « Si faible qiron soit devenu, il est, dit-elle, des ceuvres de charite et d'utiles lectures auxquelles I'ame peut s'occuper. » — « Qu'on se recree par de saintes conversations, qu'on aille res- pirer Tair de la campagne... : en quelque etat que I'on soit, on peut servir Dieu. Son joug est doux, et il est souverainement important de ne pas tenir Tame abattue et decouragee, ma is de la conduire avec douceur, pour son plus grand avancement. »

La sainte avance done d'un pas raffermi. Son corps a beauresister ouplier; quand on lui objecte sa sante, elle repond : « II importe peu queje meure! )>

(i) Pierre Janet, ouvrage cite.

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LES FA ITS EXTRAORDIXAIRES DE LA VIE SAINTE. 1*21

—■ « Mais par le fait, nous dit-elle, dopuis que je me traite avcc moins de soins et de delicatcsses, je me porte beaucoup mieux (i). » Nous voici loin de rhysterique qui pourrait manger, marcher, sou- lever un poids, et qui croit en 6lre incapable. La situation qui est sous nos yeux est renversee. Si la sainle n'ecoutait que la nature, elle resterait immobile, aneantie par les secousses nerveuses qui Febranlent, clouee par les infirmites ou par la fievre, arr^tee par des degouts violcnts, perdue dans les explications desesperees et inutiles que son imagination vagabonde essayerait de lui donner. Mais non! elle veut agir, et, sans parler des gueri- sons extraordinaires qu'elle obtient pour elle ou plus souvent encore pour les autres, elle impose a la nature souffrante toute la quantite et surtout toute la qualite d'action que reclame le devoir.

Sans doute, Timagination est chez elle, comme chez les autres, un veritable « traquet de moulin » mobile et bruyant, — c'est sa propre comparaison; mais elle ne perd pas son temps a Tecouter pares- seusement « sans faire sa farine ». Elle souffre des epreuves; elle n'en est pas la dupe: elle tra- vaille a moudre son grain, bon gre mal gre ; car elle a la confiance que Dieu I'aidera, si elle s'y pr6te, a tirer de cet etat non-seulement des merites, mais des forces morales de plus.

La volonte — cette volonle si frappee chez les hysteriques — s'unit ici a Dieu plus etroitement

(i) Sa vie; p. 1^6. Cf. p. 177,

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122 PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

encore que rintelligence et la memoire. « Ce rTesfc pas, dit encore sainte Thcrese, uu sommeil spiri- tuel. La seule volonte agit. » C'cst clle qui? pen¬ dant que les aulres facuUes cedent a la nature, lenr Cfarcle en Dieu un asile fixe. Selon la cracicuse o D image de la sainte, elles y reviendront cc comme des colombcs qui, mecontentes de la nourriture cher- chee a droite et a gauche, se hatent, apres nne vaine recherche, de revenir au colombier. Ail- leurs, elle compare cette volonte patiente et ferme a la prudente abeille qui se tient recueillie dans sa ruche, mais pour v transformer les fleurs passa- geres que lui apportent ses compagnes : cc Car si, au lieu d'entrer dans la ruche, les abeilles s'cn allaicnt toutes a la chasse les unes des autres, comment le miel se ferait-il (i)? »

Ainsi done, les grands saints et les grandes saintes peuvent ressentir des phenomenes patholo- gi que s don tun docteur en maladies nerve uses est fort tente de s'emparer. Mais ces accidents ils en triom- phent, et comment? Par ce qui leur reste d'une forte et saine organisntion? Peut-etre 1 Mais beaucoup plus encore par leur volonte orientee sur le devoir, par rhabitude qu'ils ont prise de se vaincre et de tirer parti de tout ce qui leur arrive de plus dou¬ loureux ou de plus humiliant. Leur temperament se modifie done et leur caractere aussi : cc De mon naturel, dit sainte Therese, quand je desire line chose, je la desire avec impetuosite, mais Dieu met

(i) Sa vie} p. i3S, 1/19.

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LES wm iETOAORDIXAIRES DE LA TIE SALTTE. m

a present ta&t da calme dans mos aspirations que lorsque co que je souhaite, c'est a pain® m j'en 6prouvo de h joia. » C'cst ainsi qu'aprfcs avoir subi dei erira tsmbles, dont elle nous a d0Brai 3a description iilk et minuticuse, elle a sa fermir de plus en plus dans un etat mental qui, loin de ressembler, dans sa suite et dans son en¬ semble, a riiysterie, en est, peut-on dire, le conLre- pied.

En effets est-ii acceptable que les etats spirituels des saints nccusent « un rltrecissement du champ de la cGXtsaextee »? Ceux qui ne font attention qn'aus faits dont est remplie la vie quotidienne des trois quarti des hommes diront: « N'est es p&s miimlf Est-ce que Time du saint ne se ferae pas sueeeisi- vement a tout m qui nous interesse et nous imeut? Est-ce que le nombre des choses auxquelles elle ne pense m&me plus ne va pas en augmentant tous les jours? Est-ce que plusieurs ne se sont pas com¬ pares aux habitants d'une maison dont on ferme successivement Im portes et les fenltres pour les contraindre a ne plui regarder et a ne plus respirer que du efiti du del? n

— Pour quo ml argument fut psychologique- ment valable, il faudrait que Flme mystique ne remphflt par aucune idee chacune des idies qtfelle s'interditj il faudrait que la vie interieurc fftt plus vide, et la pens6e de la vie eternelle plus pauvre que ne le sont la vie du mondain et les pensees de la terre; il faudrait que le souci de la gloire de Dieu et de la conversion des pecheurs^ il faudrait

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121 PSYCHO LOG IE DES SAINTS.

que la conduite des ames, la fondation d'un ordre, la direction d'une eglise, et a plus forte raison, la reforme de TEg-Hse universelle ne reclamassent que des efforts inferieurs a ceux des hommes qui ne rcehcrchent que la reputation et ramusement.

En fin, y aurait-il dans ces existences un cc dedou- blcincnt de la personnalite »? Quelques-uns Taf- lirmcront; et peut-6tre prendront-ils lexte de ces ravisseinents apres lesquels Tame retombe a terre, incapable de se soutenir si haut par ses prop res forces. Mais la scission qui serait necessaire pour nous fa ire croire a Tlivsterie ne s'apercoit pas. Pen d ames out ete aussi enivrecs de Tamour de Dleu que celle de sainte Catherine de Genes; peu en ont eprouve aussi violemmcnt le martyre dans leur corps et dans leur ame. Cependant son bio- graphe nous dit naiveinent : cc Elle ne laissait pas de faire ponctuellement toutes les choses neces- saires, selon ce qui se pi^esentalt des afTaires de la vie humainc. )) Et plus loin : « Elle avail un marl d'un nature I etrange et desordonne qui lui fit souf- frir de grandes miseres; mais Dieu lui faisait tout endurcr sans murmure, avec silence et dans une patience extreme. )> —■ Est-il possible, dira-t-on, que ces deux existences s'accordent et se fondent Tune avec Tautre? Oui, cela est possible, et cela m&me est precisement Toeuvre par excellence de la saintete. Sainte Catherine de Gthies les unit si bien, qu'elle demanda perseverainnient et finit par ob- tenir la conversion de son mari.

C'est, du reste, renseignement uuanime des saints

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LES FAITS EXTRAORDINAIRES DE LA VIE SAINTE. 125

et dcs saints les plus mystiques, que les besogncs les plus grossieres, les devouemcnts les plus humbles et les plus rebutanls doivent 6tre le lot prefere de ceux qui sont honores des visions et des extascs. Bien loin que ces deux existences se substituent Tune a Tautre et que Tune ignore rnulre, chacune des deux s'allmenle et se fortifie au commerce de Tautre. Pour parler encore le langage de sainte Therese, Marlhe et Marie ne cherchent pas a se supplanter dans Tame sainte. D'abord, celle-ci sait « qu'elle no doit pas vouloir Gtre Slarie sans avoir travaille avec Marthe (i) ». Puis, quand elle s'est elevee a I'etat de Marie, <c elle pent en mfeme temps remplir TofTice de Marthe. Ainsi elle mene en quelque sorte de front la vie active et la vie contemplative, et, tout en restant unie a Dieu, elle pent s'occuper d'ocuvres de charite, de lectures et d'affaires relatives a son etat. » Enfin, quand elle cst arrivee au plus haut degrc de son union avec Dieu, loin de se sentir moins en etat de revenir sur terre, elle se compare a Toiseau qui, du jour ou ses ailes lui ont permis de monter et de planer plus haut, a aussi plus de force pour redescendre promptement et sans peril : cc Tout me servait de moyen pour mieux connaitre Dieu et pour Taimer plus que jamais. »

* * *

C'est assez, je crois, poursuivre cette compa-

(i) S.iinte Tharuse, Sa ivV, p. 23o. Cf. p. ififi, 111.

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PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

raison. Elle aura eu, clu moins, ravantage dc re- mettre groupes sous nos yeux quelques-nus des caracteres les plus surprenants de Tame da saint.

Non, la saintete n'est pas, comme la nevrose, une « dcsagregalion » des forces mentales; c'est une <t agregation » plus etroite que toute autre et qui doit sa force au principe superleur sous la dominalion duquel elle se forme et se maintient.

Elle n'est pas un cc retrecissenient du champ de la conscience »; elle est rouverture d'un champ plus vastCj ouvcrture qui, a la verite, est payee (si le mot est juste) par le retrecissenient du champ des sensations mobiles et des illusions inutiles.

Elle n'est pas un a dedoublement de la person- nalile bicn qu'elle cree assurement, au prix de nombreux sacrifices et de dures soufFrances, une personnalite nouvelle; mais d'abord celle-ci, loin de se subdiviser en desordre, offre une cohesion, une fcrmete, une unite, dont la psychologic ne trouve nulle part un semblable exemple. On ne sau- rait nier davantage que cette personnalite nou¬ velle laisse subsister de la personnalite primitive ce que ccllc-ci avait de meilleur, et qu a ces ele¬ ments survivants elle assure la paix et Taccord avec les elements surajoutes.

C'est ce que nous verrons, d'ailleurs, avec plus de detail et plus de precision en etudiant les facultes diverses des saints, leur intelligence, leur amour, leur aptitude a Taction.

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CHAPITRE IV

LES SENS ET L.'IMAGINATION. L'ENTENDEMENT ET LA CONTEMPLATION.

La psycliologie Iheorique des saints : 1c secours qu'ils demnnrtent aux sens, la primaute qu'ils donnent a la volonte mise sous la dbpendance de I'amour. — Lc saint malc^rialise-t-il ses conccplions ou est-ce la spmlualit<5 qui domine cnlui?—I.a distinction qu it fait enire I'esscncc ctcrnclle dc Dteu et Dicu incarn^ dans I'liu- mrmitfi du Sauveur. — Errcur des quiotistes. — Commenl I'ima- gination redcvicnt tibte, une fois epuive.— Tli6orie de saint Jean de la Croix. — Ce que le saint demande a rintelligence propre- racnt dite, c'est surtout de so tourner a aimer. — La rcdexion et le doute : le sceptiquc et riiomme de foi, I'li^rctique et le saint. — Ce que rintelligence du saint demande et doit a la prifcre. — L'etude de soi-meme chcz le saint. — Experience de sainle Chantal. — Principesde Bossuet. — La conscience de la sainted. — La con¬ templation ou 1'oraison dite passive, effet ct cause d'un travail opiniatre et efficacc. — Hdllexion et pi(H<5 accumulecs.

Aller des fails cxlraordinaires de la vie sainte a la continuite plus cacliee de celte existence, a ses cpreuves quotidlennes, a ses efforts incessanls, ce ne sera done pas descendre; ce sera plutot rcmonler a une source que la tradition la plus solide nous a appris a venerer.

Si le saint est un homme de Dieu, il ne faut pas s'etonner que ses facultes subissent un travail pro- fond ou tout ce qui est contraire au service de Dicu s'elimine, oil tout ce qui y conduit, y dispose, y ha-

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128 PSYCH0L0G1E DES SAINTS.

biluc, grandlsse et se fortifie. C'est ce que les saints cux-memes ont explique blen des fois. Sans jouer sur les mots, il y n. toute une psychologic des saints qui cst l^ensemblc de leurs idees sur la nature de Tame ct sur rharmonie de ses facultcs. Cette psycho¬ logic theorique dont leurs ecrits sont remplis ne pent qu'oclairer d'une lumiere precieuse leur psycholo¬ gic vceuc.

II cst, en efTct, une division des facultes de Tame qui, introduite par saint Augustin, est devenue fa- nnliere a ses successeurs : on la retrouve a chaque pas dans sainte Catherine de Sienne, dans sainte Therese, dans saint Jean de la Croix, dans saint Ignace de Loyola; elle rcdnit les puissances de Fame a trois : la me moire, Yin te 11 igence ou Ten ten dement, et la volonte.

« Sa vie est rcglee, dit sainte Catherine de Sienne (i), parce qu'il a regie les trois puissances de son ame : sa me moire retient les bienfaits de Dieu par 1c souvenir; son intelligence s'applique a com- prendre sa volonte, et sa volonte a I'aimcr. » — « C'est la, dit-elle ailleurs, la regie de toute la vie spinluelle ct corporelle, en tout lieu, en tout point, cn toute circonstance qu'il se trouve... II faut que les trois puissances de Tame s'accordcnt : la me- moire a retenir les bienfaits de Dieu; I'intelligence h comprcndre sa bontc; la volonte a Taimer telle- ment, qu'elle ne puissc rien aimer et desirer hors de lui. )>

(i) Voyez Lcltres, 261,367

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LES SENS ET L'lMAGINATION. 1-20

Ainsx encore le premier « exercice » de saint Ignace demande que la meditation porte sur le pre¬ mier peche, qui fut celui des anges rebelles. Get exercice se decompose en trois : exercice de la me- moire, qui doit se bien rappeler ce peche; exercice de Tentendement, qui a reflechit plus en detail »; enfin, exercice de la volontej qui devra cc exciter en elle des affections en consequence. »

Assurement, cette division tripartite n'exclut pas les subdivisions ; elle n'exclut pas celles qui eclairci- raient, par exemple, la grande complexite de la vo- lonte, ni celle qui distinguerait rimagination de la memoire, et ainsi de suite. II faut le remarquer ce- pendant, ceux qui ont use de cette division n'ont pas tenu a faire une part bien grande aux sens et a ces impressions exterieures, oil les methodes mo- dernes voient la source de toute connaissance et de toute science. Ils n'ont pas tenu a faire de la sensi- bilite une faculte separee; ils n'ont pas rattache Ta- mour a cette sensibilite passive et emotive, qui scm- ble a nos contemporains d'autant plus interessante a etudier qu'elle se montre plus maladive et plus de- sordonnee. Ils n'ont pas voulu voir dans la volonte une faculte arbitraire et indiffercnte ; mais, en Tu- nissant aussi etroitement a I'amour, ils ont eu cons¬ cience d'en faire toucher du doigt toute la de pea- dance et toute la force : ■—- la dependance, puisque, pour eux, une volonte qui n'aiine pas et qui n'aime pas Fobjet le plus digne d'elle est une puissance morte; —la force, puisque Tamour qui est destine a la soutenir est plus fort que la mort. Bref, dans

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PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

Icurs theories courtes, mais precises, autant que dans leur vie pratique, la premiere place est reservee a une volonte soulevee par ramour et eclairee par une intcllig-ence plus soucieuse (il ne faut pas s'en ctonner) de la fidelite que de rinvention.

II faul bien cependant commencer par les sens et par rimagiuation qui en conservej en prolonge, en rcnouvelle, en diversifie les impressions. Le saint est-il un homme qui meprise rimagination et qui s'attache a reteindre? Est-il un homme qui la cul- tive ct qui en use? Certainement il faut faire la part du temperament original qui subsiste, du milieu so¬ cial dont il est impossible de s'abstraire, du genre d'elude, enfin, auquel Tesprit a pu se plier. II n'v a done rien d'etonnant a ce que saint Jerome, saint Francois d'Assise, sainte Therese, saint Francois de Sales, aient beaucoup plus d'imngination natu- relle que saint Thomas d'Aquin, sainte Jeanne de Chantal, ou le venerable M. Olier. Mais, ceci re- connu, il reste toujours que le caractere du dogme et de la morale catholique, que la lecture des livres saints, que la pratique de certains ouvrages consa- cres (comme VImitation), que la meditation, la re- traite et les habitudes des communautes, que la tradition enfin, out du exercer une influence suivie sur la lournure d'esprit des grands mystiques; or nous avons reconnu que tous les saints ont ete tels.

Parmi les philosophes contemporains qui s'inte- ressent ou croient s'interesser a la psychologic des saints, je trouve le passage que voici : « L'amour, Textase, le desir de perfection, la tendance a mate-

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LES SENS ET ^IMAGINATION. 131

rialiser et a se representer la divinite sous une forme concrete, sont les elements essentiels du mysti- cisme (i). » Voila des elements bien disparates on tout an moins bien inegaux. L'amour, oui, a coup sur, en cst un; et le desir de perfection le suit de pres. L'exlase, on Ta vu, est deja un element plus rare. Quant a la tendance a materialiser, il y a ici de quoi nous arreter. Qui ne suit combien de fois on a employe le mot tout different de « spiritualite » pour designer les aspirations et les habitudes d'es- prit des mystiques? De ces deux expressions contra- dictoires, laquelle est la vraie?

En general, les saints ne meprisent aucun des dons de Dieu. cc Que chacune nous fasse profiler au- jourd'hui de son esprit, disait sainte Therese a ses religieuses un jour de recreation; personne rien a trop. » Non, certes, personne n'en a trop; mais le probleme est d'en bien user. L'imaginalion, en par- ticulier, sera condamnee si elle detourne de Dicu, e'est-a-dire si elle attache Thomme a la terre, si die lui fait anliciper, prolonger, raffiner les plaisirs des sens, si dans chaque aspect de la nature elle lui de- couvre Tavant ou Tarriere-gout d'une jouissance desiree ou regrettee. Mais ceci est trop evident pour que j'aie besoin d'insister.

Les saints tiennent encore l'imaginalion pour dan- gereuse si, sous pretexte d'engager Tame dans les voies de Dicu et de son amour, elle le rcpresente sous des formes qui le defigurent. — Est-ce que,

(i) Paulhax, les Caractercs, Paris^ Alcan,

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132 PSYCHOLOGIE DE3 SAINTS.

dira-t-on, tout ce qui est sensible ne « dcfigure » pas la divinite? —Au sens absolu, oui, sans doute; et les saints en sont plus persuades que qui que ce soit. Cette complaisance pour les formes imaginaires leur scmble m6me a surveiller a deux points de vue. IIs redoutent d'abord Tillusion qui fait prendre pour des inspirations d'en haut ce qui n'est qu'un echo de voix emanees des profondeurs secretes ou Torgueil et la scnsualite travaillent presque a Tinsu dc celui qui s'v abandonne. A force de s'dtre eprou- vee, unc sainte Therese finit par distinguer nette- ment les cas oil Tame parle et ceux ou elle ecoute. Mais que d'efforts il lui a fallu pour en arriver la ! Aussi celui qui a partage quelquefois ses extases, saint Jean de la Croix, met-il les ames bien en garde contre la tentation de croire qu'elles ecoutent, quand clles ne font que parler. « II y a des per- sonnes, dit-il, qui, n'ayant qu'ime legere teinture dc la meditation, sentent quelques-unes de ces pa¬ roles interieures, et s'imaginent qu'elles sont de Dieu. L'amour qu'elles ont pour ces paroles et le desir qui les porte a y parvenir est cause qu'elles se repondcnt a elles-memes, et qu'elles se persuadent que c'est Dieu qui leur fait ces reponses : voila pour- quoi ces gens-la tombent dans de grandes extrava¬ gances (i). ))

Une autre extravagance dont se garde le saint, c'est de ravaler Faction divine a ces phenomenes sen- sibles et de croire que de tels phenomenes puissent etre les signes les plus authentiques de I'union de

(x) Ouvragc ciL-} p. x3 i. Cf. p. 82.

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LE3 SENS ET L'IMAGINATION. I:i3

Tame avec Dieu. « Toutes les rcpreseatations ima- ginaires, dit encore saint Jean de la Croix, sont cn- fermees dans des bornes tres etroites, et la sagesse divinej a laquelle rentendement doit s'unir, cst in- finie, toute pure7 toute simple, et n'est bornee d'au- cune connaissance distincte, particuliere et finie. II cst done necessaire qae Tame qui vcut s'unir a la sagesse divine ait quelque proportion et quclque ressemblance avec elle, et, consequemment, qu'clle soit affranchie des especes de Timagination, qui lui donneraient des limites. II faut qu'elle ne soit atta- chee a aucune connaissance particuliere et qu'elle soit pure, simple, sans bornes, sans idees mate- rxelles, afin d'approcher en quelque maniere de Dieu, qui n'est resserre dans aucune espece corporelle ni dans aucune intelligence particuliere. »

Voila done un saint chez qui le mystlcisme ne consiste guere a cc materialiser » ni a « se reprc- senter Dieu sous une forme concrete ». Qu'on en soit bien convaincu, sa doctrine (si fortement ap- puyee sur ce qu'il a lui-m^me experimente) estcelle de tous les saints. Quand Tauteur auquel j'ai em- prunte la phrase heteroclite de tout a I'heure veut donner des exemples, il tombe sur la vie de la bien- heureuse Marie d'Agreda, et il est amene a dire lui-m6me, malgre sa theorie, qu'aussitot qu'elle senlait que les visions et les locutions venaient par Timagination et par les sens, et qu'elle en aperce- vait les effets, elle s'y refusait en quelque sorle et « se mettait dans I'indifTerence » Elle ne permet- tait pas (c que la partie animale et sensitive jouit des

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134 PSYC1I0L0G1E DES SAINTS.

cloiix cfTets de la misericorde du Seigneur; mais elle tachait de la laisser deserte (i) ». Qu'on lise avec soin sainle Therese, sainte Catherine de G6nes et leurs pareilles, on trouvera chez dies a tout ins¬ tant des declarations identiques.

Est-ce a dire qae les saints et les saintes aient reussi a chasser Louie representation devancant ou renouvelant les visions dont quelques-uns d'entre eux furent favorises? Cette prctention a ete celle des quictistes. Une des erreurs que TEglise a condam- nees dans leurs theories consistait a exclure de leurs oraisons tout souvenir de Thumanite m&me de Jesus-Christ, en soutenant que de telles images ctaient des obstacles a la contemplation parfarte. Aucun saint, on pent raffirmer, nTa pousse la spiri- tualile jusque-la. La raisonen est bien simple : c'est que la distinction entre Dlen concu dans son essence eternelle et Dieu connu dans le mvstere de I'lncar- nation est le fond m&me du chrisdanisme. Sainte Therese, qui n'a pas seulement toul pratique, mais tout compris et tout explique des profondeurs de la vie sainte, s'exprimc ici, comme partout, avec un qracieux et ferme bon sens.

cc Sansdoute, dit-elle, il est bon de s'eloigner de tout ce qui est corporel, puisque des personnes si spirituelles le disent; mais, a mon gre, on ne doit le fa ire que lorsque Tame est Ires avancee, car, jus¬ que-la, il est evident qu'on doit chercher le Crea- leur par les creatures (2). » Elle soutient que vou-

(1) Paulhun, ouvragc cile} p. 191. (2) Sa vify p. 229.

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LES SENS ET L;IMAGINATION. 135

loir allcr par une autrevoic c'estvonloir faircTangc, clle le clit avant Pascal; et cTest a ce point do vue qu'ellenous explique ellc-m^me les devotions scnsi- bles de tant de saints qui Font devancee : devotion a Tenfance de Jesus, devotion a ses plaics, devotion a sa croix, devotion a sonsan^. Car qu'est-ce qu'ime « devotion », sinon une habitude reflcchie de se donner en imagination et en esprit a Tun des myste- res que Fame croyante veut a la fois contcmpler et mediter?

Da Christ, rimagination des saints aime a se por¬ ter ensuite aux souffrances, aux cpreuves, aux con¬ solations et aux triomphcs des autres saints, puis aux ceremonies qui les rappellent, aux fttes dans lesquelles leurs vertus sont celebrees e.t symboli- sees. Enfin, tout evenement de Thistoire et toute partie de la nature, a plus forte raison tout miracle qui leur rappellera la toute-puissance de Dieu, sc- ront autant de degres qui sembleront s'offrir d'eux- m^mes a la faiblesse humaine pour Felever peu a pen jusqu'a Tessence eternelle de Fespritpur.

Que Fimagination consented se laisser epurer.et diriger, la saintete luipermettra tout Felan que com- porte la nature la plus ardente et la plus eprise des splendeurs du monde. Tantot clle lui mettra sous les yeux, dans Fenfance du Christ, la fraicheur d'un age qui est Finnoccnce, qui cst la faiblesse et qui cst Fesperance. Tantot ellc lui fera entonner avec saint Francois d'Assise le cantique da solcil. Tan¬ tot, enfin, ellc lui permettra de gouter la poesic da Cantique des cantiques et de s'en inspirer dans les

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13G PSYCI10L0GIE DES SAINTS.

comparaisons les plus hardies ; elle lui suggerera ces apostrophes a Dieu ou ces dialogues si tendres, ces allegories et ces peintures si brulantes, oil le lecteur superficiel ou prevenu serait tente de voir comme la revoke d'un amour sensuel affranchide sa contrainte.

Dans sainte Gertrude, ilesttelle eflusion qui res- semble a une sorte de symphonic a laquelle parti- cipcraicnt tons les sens. Dans ces elans vers Dieu, elle pa rait tout enivree de parfums, de breuvages, de murmures et d'harmouies. Mais cet abandon apparent aux sens ne fait tort a rien dc ce que peut exiger soit la mctaphysique la plus epuree, soit la charite la plus paliente et la plus deslnteressee.

Ceux qui parlent d'une tendance a materlaliser ont done a la fois tort et raison, comme ceux qui ne voient que spiritualite. II est certain que le saint spiritualise tout ce qui parle a rimagination et aux sens, de meme qu'il tient a associer sa nature a la possession de la vcrile. Avec moins de liberte, avec molns decharme que saint Francois d'Assise, sainte Gertrude, sainte Thercse et saint Francois de Sa¬ les, parce qu'il y met plus de « procede saint [gnace de Loyola ne manque pas de dire (2e semaine) qifil est lUiie d'exerccr les cinq sens de rimagina¬ tion : (c Jc vcrrai des veux de rimagination; j'enten- drai ii Taide de rimagination; je gouterai a I'aide de rimnffinalion... » Les uns comme les autres, mal- O gre la diversite de leurs temperaments, sontfideles et a la doctrine religieuse de rincarnation et a cette partie si considerable de la philosophic peripatcti- cicnne qui a passe dans renscignement thomiste.

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LES SENS ET L'IMAGINATIOX. 137

Ici, d'ailleurs, comme parLont, il faut dans la vie spiritnelle des saints dislinguer piusieurs phases. Le mystique meurt, etilrenait : il meurt au mondc sensuel, agite, troublant, ami de la corruption et perissable; il renait aumondetransfigure. Ou bleu en¬ core, pour emprunter ses propres expressions, il passe par lanuit des sens pour ouvrir ensuite ses yeux pu¬ rifies a une lumicre plus eclatante. (Au fond, c'est Tallegorie de la caverne, c'est cette sublime partie de la metaphysique platonicienne qui, avant I'illumina- tion de la raison, demande la purification des sens.) Mais ce qu'il nous importe le plus de remarquer en ce moment, c'est qu'a ces objets sensibles, le saint yretournera plus tard, pour en jouir, a sa manicre sans doutej mais avec autant d'intensite que qui que ce soit. II y retournera d'autant plus volontiers, que, si les sens auxquels parlent ces creatures etaient jadis soullles ou troubles, la faute n'en etait preci- sement ni aux sens ni aux creatures elles-m6mes : la faute en etait a I'esprit. « C'est dans i'esprit, dit profondement saint Jean de laCroix, que les desor- dres de la partie animale ont leur force et leur ra- cine (i). )> C'est done par la purification de I'esprit que se sera accomplie la purification des sens : si I'esprit est gueri, le sens qu'il anime a perdu sonve- nin. Sainte Therese, lisions-nous tout a Theure, pensait qu'il fallait d'abord chercher le Createur par les creatures. Elle eut done pu dire aussi — et ne Ta-t-elle pas dit? — qu'une fois avancec du cote de la

(i) Saint Jean de la Croix, ouvrage citc} p. 1S1. 8.

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138 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

perfection, Tame devait retrouver les creatures par le Createur, les retrouver pures et dignes d'etre toutes ornees comme elles I'etaient dans Fere de Tinnocence. C est ce que dans un language plus abs- trait expliquait son grand ami Jean de la Croix.

« II est evident que Dieu ne veut pas detruire la nature, mais, au contraire, la perfectionner. )> — a L'ame (unie a Dieu) torn be d'abord dans un grand oubli. Elle se comporte ensuite, a I'egard des choses exterieures, avec une negligence si notable et un si grand mepris d'elle-m&me, qu'etant tout abimee en Dieu, clle'oublie le boire et le manger, et elle ne sait si elle a fait quelque chose ou non, si on lui a parle ou non... ^lais, lorsqu'elle s'est afTermie dans I'habitude de Funion, qui est son souverain bien, elle ne soufTre plus de ces oubliances dans les choses raisonnablcs, dans les choses morales et dans les choses naturelles. Au contraire, elle est plus parfaite dans les operations convcnables a son etat, quoiqu'elle les produise par le ministere des images et des connaissances que Dieu excite d'une facon particuliere dans la memoire. Toutes les puissances de Tame sont comme trans for mees en Dieu (i). »

De rimagination et de la memoire il nous sera aise de passer a rintelligence proprement dite ou a rcntendement.

(i) Outrage p. 14^.

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L'ENTENDEMENT ET LA CONTEMPLATIOX. 139

II ne faut pas demander a Dieu de multiplier les miracles. La saintete pent rapprocher Lien des Ames dans Tegalite acquise d'un m6mc amour et d'nn m^me devouemcnt : nous ne devons pas espercr qu'elle transforme a ce point les intelligences. On le sait deja, le cervcau de saint Paul est restc jusqu'au bouttres superieur a celui de saint Pierre. Et cepcn- dant qui fut plus rapproche qu'eux de la source par excellence de la lumiere et de la verite? A plus forte raison pouvons-nous dire : le dernier des compa- gnons de saint Francois Xavier pouvait avoir a un degre aussi sublime que lui rheroifsme du martvre; mais Dieu ne lui devait pas plusTesprit de direction du grand apotre qu'il ne devait a tant de pieux ou saints moinesle genie metaphysique dc saint Angus- tin et de saint Thomas ou le genie createur de saint Vincent de Paul.

L'intelligcnce est done une faculte qui, plus que toutes les autres, peut, dans ce qu'elle a de naturel, varier considerablement chez les saints. II y a eu des saints relativement simples d'esprit, tres igno- rants m6me au sens humain : e'est a eux qu'on pense quand on se figure (comme le font beaucoup de gens) que la saintete est liee, aux yeux de TEglise, a une mortification qui comprime et qui etouffe les dons de la naissance. Puis, quand on se reporte a d'autres saints qui passent pour avoir eu du genie, on ne veut voir en ces derniers qu'une foi qui s'est aveuglement soumise; on croit qu'ils ne se sont rendus saints qu'en sacrifiant en cux la nature et en se reduisant artificiellement a Fhumble

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etat cm cLaicnt nes et o(i etaient toujours demeures les anlrcs. Mais c'est la une erreur grossiere. En rea- lile, ce n'est pas rig-norancc qui a fait la saintete dc Lellc jeunc innocente martyre, pas plus que ce n'est 1c genie qui a fait la sainlcte de saint Thomas. La psychologie des saints n'a done pas a expliquer Je degre d'iiUelligence ou se sont arr£tces ni celui oil se sont elcvees les ames de tels ou tels bienheu- reux. Elle clierche seulement ce qu'ils font les uns et les autres de leur intelligence et ce que celle-ci, petite ou grande, tend a devenir sous I'action de la saintete.

Aucune connaissance, aucune science ne leur est suspecte en raison de son objet. A coup sur, le saint aime mleux mediter sur la vie du Christ et sur celle de i'Eglise que sur la vie des plantes ou sur la cons¬ titution des mineraux; mais, chez les autres, et memc dans la mission qui a pu lui etre imposee, il respecte tons les travaux, et il ne meprise aucune connaissance, tout ce qui est susceptible d'etre etu- die etant egalement Toeuvre de Dieu.

Ce dont le saint demande le plus compte a la science, c'est de Tesprit dans lequel elle est cher- chee, acquise et propagce. Tout pcut se resumer dans le mot celebre de Bossuet : « Malheur a la science qui ne se tourne pas a aimer! » Or aimer veut dire ici agir, agir pour la gioire de Dieu, pour la justice et pour le soulagement des miseres. C'est pourquoi le saint reprouve la science orgueilleusc, parce que rorgueilleux n'aime pas. II proscrit aussi la science temeraire, parce que la tcmerite est ijne

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des formes cle rorgueil. Mais, quand la science n'est ni orgueilleuse ni temeraxre, le saint en apprecie toute la valeur; car il croit que raction el la charite doivent toutes deux 6tre dirigees par le savoir. Deja les Evangiles avaient recommande de ne pas mellre la lumiere sous le boisseau; et saint Paul avait dit aux slens : cc Ce que je demande, c'est que volre charite deplus en plus abonde en science et en toule intelligence, pour que vous choisissiez ce qu'il y a de meilleur (i). » C'est la une parole qu'oublient souvent les ames imprudentes... ou paresscuses; mais un saint Vincent de Paul ne Toublie pas, lui qui a la charite spontanee, irreflechie et sans me- thode, nous a precisement appris a substituer la charite organisee et prevoyante.

Sans doute, le saint est tres souvent un homme d'intuiuon. Ou il est ne tel ou il 1'est devenu, et Ton dit volontiers que c'est la grace qui, reclairant d une lumiere subite, lui tient lieu de reflexion et le dis¬ pense de chercher. Je ne nie pas ces inspirations; je n'examine pas, d'autre part, si parmi les saints il y a plus ou il y a moins que chez les hommes ordi¬ naire s des esprits intuitifs et de prime-saut a mettre en face d'esprits patients et reflechis. En tout cas, les exemplcs de ceux qui ont Jong temps cherche, longtemps hesite, sont loin d'etre rares parmi eux. Le saint qui a consacre tant de veilles et tantdc ma¬ tinees a examiner sa conscience —■ et cclle des autres — nc tient pas tout le monde au courant de

(-1) Phil., I, 9, io.

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ses experiences et de ses raisonnements. De temps a autre, quelques maximes ou meme quelques mots (Tune admirable plenitude sont arraches a son hu- milite ou a son amour du silence. Lorsqu'on les creuse, on y trouve tout ce qu il y a accumule de reflexions et de souvenirs.

M. Tabbe Le Monnier, par exemple, a bien rai- son de dire qu'il y a tout un traite d'education con¬ dense dans ces sept mots que saint Francois-d'As- sise confie au frere Elie : « Veitle — avertis — tra¬ vail le — nourris — aime — attends—■ crains (i). )>

II est permis de raffirmer, ce n'est pas au debut de sa vocation que 1c saint peut resumer en si peu de mots un si puissant enseignemcnt : c'est apres avoir beaucoup seme, beaucoup cultive, beaucoup moissonne, et beaucoup trie en lui et en les autres.

Cependant, dira-t-on, le saint ne doute pas! — Si Ton vcut dire qu il ne doute pas de sa foi, on a raison ; mais, si Ton en tend par la qu'il est to uj ours pret a aller de Tavant sans y regarder et en s'aban- donnant a une inspiration sur laquelle il compte aveng"lcment, on se met aux antipodes de la verite.

Pour le comprendre, on n'aqu'a comparer autour de soi le sceptique et rhomme convaincu. Le vrai sceplique ne croit ni a une providence gouvernant le mondc, ni a un ordre prcetabli, ni a une justice cternelle, ni a des regies immuables; il ne voitd'ine-

(i) Lc latin est encore pins express!f : I'igila, admonc, la- bora, pascc, ama, cxpccta, time. — Le mot pascc, a lui seul, ne veut-il pas dire : gnrde-les, condnis-les dans les bons pa- lurages, ct fais qifils s'en nourrissent... ?

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branlables fondernents ni aux convictions ni aux vertus des gens. La consequence est qu'il juge tout possible et que, la piperie des dcsirs et des fantai- sies aidant, il n'apercoit pas ce qu'il pent lui &tre interdit d'esperer, le cas echeant de tenter, et fina- lement d'affirmcr. Les objections n'ont pas plus de quoi Tarr&ter que les scrupules. Aussi peut-on dire sans paradoxe que le sceptique se reconnait bien souvent ace qu'il ne doute de rien.

Le croyant, lui, sait avec quoi il est oblige de compter. Assurement, il sait ce qui le soutient; inais il sait aussi ce qui le contient et lui resiste. Plus Tordre de choses dont il fait partie lui semble solide et fecond, plus il en entrevoit les infinics perspec¬ tives. C'est pourquol, les jugeant bien diificiles a sonder pour une creature de passage et isolee, il doute loyalement jusqu'a ce qu'il ait vu et reconnu les caracteres de la verite (i).

Si du croyant nous remontons au saint, nous trouverons chez lux plus de foi encore dans la verite totale; mais, par suite, aussi plus de defiance dans les lumieres d'une intelligence imprudente, preci- pitee, prevenue ou egoi'ste. C'est pourquoi la vie intellectuelle de laplupart des saints est un melange si extraordinairement interessant de liberte , d'au- dace meme, et, en ni6me temps, de besoin d'union.

(i) On lit dans une lettre fort curicuse de sainte Catherine de Sienneala reine Jeanne: « Si vous diles : je donlc encore, restez neutre au moins, jusqu'a ce que vous voyicz avec evi¬ dence... Reclierchez les explications et les conscils de ccu\ que vous voyez craindre Dieu. » (Letlres} I, aiS).

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On croit generalement que dans TEglise catholique c'est ce dernier Pjesoin qui, en imposant la soumis- sion, decourage tous les autres et finalement les tue. En rcalite, ce n'est pas la le spectacle qae nous donne Felite de ses servilears. L'union, a conpsur, les sainls la veulent. Si, pour la realiser, il fallait absolunient se taire, ils se tairaient; et surtoui, s'il fallait mourir, ils mourraient volontiers. Mais, s'ils croient qu'ils puissent Tobtenir en parlant, ils par- leront; et si, au lieu de se voir obliges de ceder, ils sont convaincus qu'ils peuvent faire ceder les autres et que, d'ailleurs, I'inter^t de la verite Tcxige, alors ils y consacreront tout le temps, tous les efforts ettoutes les prieres qui leur sembleront necessaires. Les premiers doutes qui avaient arr&te si longtemps leur prudence et leur humble defiance d'eux-m&mes font place a la foi non-seulement courageuse, mais « violente » dans le sens du texte sacrc.

A tout prix, saint Paul voulait marcher avec saint Pierre; mais, du jour ouil crut que celui-ci errait en adoptant une pratique dont la vocation des gen- tils pouvait gravement souffrir, il le reprit publique- ment, et il le persuada. C'est ainsi qu'ont agi a I'egard des papes des saints tels que saint Bernard, salute Catherine de Sienne et vingt autres. II est raconte dans TEvangile que saint Jean courutplus vite que saint Pierre au torabeau de Jesus, qu'il y arriva et sut 3r regarder avant lui, mais qu'il ne voulut pas y entrer le premier. Les llieologiens voicnt la comme un symbole de ce qui se passe ha- bituellement dans TEglise. Tous les grands saints,

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fondateurs ou reformateurs, ont devance le Papc dc leur epoque; ce qu'ils attendaient de lui, c'etait, non pas rinitiative, mais la reconnaissance defini¬ tive et la peiMnission de compter sur une consecra¬ tion universelle.

Je vais dire une chose qux au premier abord eton- nera peut-etre quelques lecteurs. On afTccte souvent de croire que dans TEglise les vues oriyinalcs, Ics innovations hardies, les inventions fecondes, le souci des problemes interessants sont le fait des heresiarques, tandis que les saints, qui, malgre eux, dit-on, sont restes soumis a la hierarchic, ne representent que la resistance et rimmobilite. II n'y a rien de plus faux. Si le mot d'heresie n'avait pas recu a un certain moment, puis definllivement conserve une acception defavorable, il faudrait dire que les plus grands heresiarques, c'est-a-dire les decouvreurs les plus hardis, les plus noblement passionnes de verites — sinon nouvelles dans leur fond et dans ce qu'elles tiennent du dogme ou elles ont leurs racines, du moins nouvelles pour la gene¬ ration qui les ecoate — eh bien! ce sont les saints. De quoi done est compose renseignement de 1 E- glise sinon de renseignement de ses docteurs? et n'est-il pas aussi vrai de dire que les saints font FEglise que de dire que I'Eglise fait et consacre les saints?

La difference enure les heresiarques (i) (je re-

(i) « Ce mot, qui ne se prend a pre'sent qu'en mauvaise part, ne designait dans I'origine qu'un clioix, un parti, une

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prencls ici le mot dans son sens actuel) et les sainls oil est-elle? En ce que les premiers suppriment, re- tranchent, resserrent et appauvrissent et que ee fameux « choix » dont ils se vantent n'est jamais qu'une exclusion, exclusion de la grace au profit apparent de la liberte ou exclusion de la liberte pour Tapparente gloire de la grace seule, suppres¬ sion de Tune des deux natures du Christ, etc. Le saint, lui, fait bien choix d'une veinte qu'il va de- velopper, d'un besoin du peuple ou de I'Eglise qu'il va satisfaire, d'une mis ere qu'il va soulager, d'une oeuvre qu'il va fonder; mais s'il developpe, il ne de- truit rien et il ne fait qu'ajouter un rejeton de plus a Tarbre immortel.

Dans ces efforts que fait leur intelligence, les saints, avons-nous rappele, prient beaucoup. La ve- rite est fort banale. ]Mais pourquoi prient-ils exac- tement? Pour obtenir une revelation miraculeuse qui les dispense de reflechir et de penser? II ne le semble pas, puisque ces revelations, quand elles arrivent (et elles sont rares), inaugurent plutot qu'elles ne terminent chez les saints la periode des plus grands combats. Ce qu'ils attendent de la

seete bonne ou mauvaisc; cVst le sens du grec aVpECis, de'rive de atpofjjLi^ jc prcnds, je choisis, fembrasse. Les philosophes appelaient heresie ch relief me la religion enseignee par Jesus- Christ. Saint Paul declare que dans le Judai'sme il avait suivi Vheresie pharisienne, la plus estimable qiul y eut parmi les Juifs. Si he're'sie avait signifie' pour lors une erreur, ce nom aurait mieux convenu a la secte des sadduceens qu'a celle des pliarisiens. # (Bergier, Diet, de Theologie.)

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pviere, c'est surtout d'ccnrler cle leur intelligence tout ce qui, etant etranger a deux on trois idees essentielles, ne peut que renibrouiller, Tof- fusquer, Tegarer (i). Ils demandent d'avoir Toeil net dont parle TEvangile, net c'est-a-dire purifie.., purifie de quoi? Mais des causes d'erreur qu'ana- lyseut soigneusenient nos logiques classiques. II ne s'agit pas tant de multiplier les demonstrations : il s'agit de faire tomber les voiles que tendent I'ab- sence de simplicite, I'inquietude, Texageration, I'opiniatrete, ramour-propre, en un mot la passion Le faux mystique se complait dans les raffinements de ses aspirations personnelles, dans les subtilites et dans les mysteres; le vrai mystique demande la clarte, celle-la m&me ou plutot celle-la surtout qui met dans tout son jour la necessite des sacrifi¬ ces.

J'ai eu occasion d'opposer, dans une certainc mesure, Bossuet et M. Olier. Ici, je les trouve re- marquablement d'accord dans rhommage empresse qu'ils rendent au bon sens. Le premier applique aux saints cette parole que saint Jean met dans la bouche de Jesus s'adressant a son Pere : « La clarte que vous m'avez donnee, je la leur ax donnee a mon tour. )> Pour lui done, la saintete, e'est la lumiere recue et communiquee. De son cote, M. Olier, de- veloppant le sens interieur de cette pen sec, recom-

(i) C'est pourquoi la Bible clil : a LMme d'un saint de- couvre quelquefois mieux la verite que sept scntinelles qui Sont assises dans un lieu eleve pour de'couvrir tout ce qui se passe. » (Ecclesiastique, XXXVII, 18.)

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MS PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

mandc (i) a une fillc spirituelle de lie pas se laisser « cmbrouiller » par les opinions nouvelles (il pcnse \l\ tout paruculicrement aux jansenistes) qui lui fe- raient perdre la « nettete ». — « Je prie Notre-Sei- gneur de vous Yy conserver comme etant une des choses les plus necessaires a la parfaite saintete. La nettete de la luniiere est le privilege du ciel et des anies solitaires que Dieu a delivrees du siecle et des tenebres ou il abonde. Je vous en prie, ne laissez pas offusquer votre esprit. » Et il termine par ces paroles justifiant bien ce que je disais tout a Fheure de rhomniage rendu au bon sens : « Ne songez pas a une perfection elevee et extraordinaire (2) ».

Cette simplicite qui ne cherche ni dessous, ni exceptions, ni faux-fuyants, mais qui va droit au but, elle n'est pas seulement un bienfaitpour ceux que leur condition, leurs gouts ou plutot leur voca¬ tion ecartent de la science proprement dite; elle est precieuse a ceux qui cultivent cette science, et ils en sentent tellement le besoin, que, quand ils debutent dans la vie sainte, c'est la ce qu'ils re- cherchent par-dessus tout. Encore jeune, saint Philippe de Neri, le futur fondateur de TOratoire d'ltalie, vend ses livres et en donne le prix aux pauvres. Saint Dominique avait fait de m&me. Mais le recent biographe (3) de saint Philippe doit ajou-

(1) A la marquise tie Portes. Lettres, I, p. 4G7. (2) Ces tie u\ mots tloivent etre pris cam grano sal is. Je

ne crois pas avoir besoin de les expliquer. (3) Yoyez Saint Philippe de Neri, par la comlesse d'Es- ;

tienne. Paris, Lecoffre.

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ter, pour etre exact, ct que plus lard il rcviendra aux livres et ne craindra plus de joindre a la science sacree qu'il aura acquise celle des chefs-d'oeuvre de Tesprit humain ». Ainsi ont fait mi grand nom- bre de saints, allant d'abord au plus presse, quit- tant le livre ecrit pour le livre vivant, apprenani la vie spirituelle par le detachement, par rhumilite, par Faction, mais revenant a la science quand leur amour et leur volonte se sont affermis. Us senlent alors avec sainte Therese que « la piete sans la science peut jeter les ames dans rillusion et les por¬ ter a des devotions pueriles et niaises ». C'est en exprimant cette conviction que la grande sainte disait tant aimer « les hommes eminents en doc¬ trine « et proclamait si haut que les demi-savants nuisaient gravement aux ames. EIlc ajoutait : <c J'ai pu experimenter que, quand ils ont de bonnes mceurs, il vaut mieux pour eux n'avoir pas da tout d'etudes que d'en avoir de mediocres. Alors, du moins, ils se defient de leurs lumieres, et ils pren- nent conseil de g-ens vraiment eclaires. »

Souvent done les saints eux-memes sentent le besoin d'une division du travail que rend necessaire 'la division des conditions, des sexes, des vocalions, des aptitudes. Tous ne peuvent pas realiser inte- gralcment le beau prog-ramme que trace Bossuet a propos des Peres de I'Oratoire : (c Avoir ton jours en main les livres sacres pour en poursuivre sans relache la lettre par I'etude, I'esprit par Foraison, la profondeur par la retraite, refTicace par la pra¬ tique, et la fin par la charite, alaquelle tout se ter-

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mine... » Mais, si tel ou tel saint ne peut faire tout a lui soul, par ses propres forces, plusieurs doivent le faire ensemble pour le bien commiin, et chacun doit savoir en profiler. Si les ordres religieux ont fait plus de saints que n'en a fait la vie du siecle, la en est, croyons-le bien, la meillcure explication.

Nous laisserions de cote une partie considerable de la vie de nos heros si nous n'examinions mainte- nant deux etats en apparence tres opposes par les- quels la plupart d'entre eux ont passe : je veux dire, d'un cote, leur esprit de reflexion, leur art de s'in- terro^er et de se juger, puis, a un aulre pole, leur abandon a cette oraison dite passive on il semble que la perfection a laquelle ils aspirent soit subor- donnee a la suspension de leurs operations ration- nelles. On sait Timportance que chacun de ces deux etats a dans la pratique mystique : on connait les longues discussions qu'ils ont provoquees; car ici la theologiese mele intimement a la psycholog-ie. llien n'estplus delicat que de bien interpreter ces aspects caracteristiques des facultes propres aux saints.

Les saints se croient-ils interdit de reflechir et de s'etudier? La question peut paraitre a bon droit bizarre dans une religion oil la meditation etsurtout la confession apres examen de conscience tiennent une place si considerable. Mais la verite, en elle- in6me tres simple, acte ici, comme en beaucoup d'au- tresmatieres, embrouilleecomme a plaisir. Poar re- mettre tout a sa place, relisons d'abord ces deux articles de la conference d'Issy, ecrks de la plume de Bossuet :

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L'ENTEXDEMENT ET LA CONTEMPLxVTlON. 151

« XVL Les reflexions sur soi-meme, sur ses ac- tes et sur les dons qu'on a recus, qu'on voit partout pratiquees par les prophetes et par les apotres pour rendre graces a Dieu de ses bienfaits et pour d'au- tres fins semblables, sont proposees pour exemples a tous les fideles, m6me aux plus parfaits ; et la doc¬ trine qui les eloignerait est erronee et approche de I'heresie.

« XVII. II n'y a de reflexions mauvaises et dan- gereuses que celles ou lTon fait des retours sur ses actions et sur les dons qu'on a reeus, pour repaitre son amour-propre, ou chercher un appui humain ou s'occuper trop de soi-mSme. »

Telle est bien en eflet la double conviction des saints. Avanttoutils s'examinent, etpourquoi? Pour discerner l1 esprit auquel ils obeissent, pour mesu- rer leur correspondance a la grace, pourdoser, si on peut s'exprimer ainsi, ce que Taniour-propre ou la sensualite peuvent glisser de poison cache dans les tourments ou dans les delices qui travaillent leur ame. Loin de fuir la connaissance d'eux-m6mes et de se derober a la vue de ce qu'ils sont, ils osent regarder en face tous les dons qu'ils reeoivent, et ils en retirent, je ne dis pas toujours, mais tres souvent, la conscience involontaire de leur saintete.

Ceci est-il incompatible avec rhumilite dont ils font le premier fondement de la vie chrctienne? Non. Nous trouvons-la une des peripeties les plus interessantes, et je dirai volontiers les plus dramati- ques de leur existence spirituelle. On a vu plus haut les doutes naVfs de saint Bernard au sujet de ses

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152 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

propres miracles. Plus d'un de ses pareils a passe par la mdme cpreuvc; plus d'un, vaincu par Ten- dence, a du reconnaitre, en les bcnissant, les bien- faits par lesquels Dieu le faisait saint. Saint Francois de Sales avouait a Madame de Chantal que sa cano¬ nisation n'etait pas impossible; saint Vincent Fer- rier avail, dit-on, annonce lasienneet predit au fu- tur pape Calixte III que c'etait Juiquila decreterait

Un psvcholog-ue, qui a sans doute recueilli quel- ques-uns de ces traits, ecrit, en parlant des saints, que « rorgueil et rhumilite s'exaltaient reciproque- ment dans leurs umes. » C'est se crever un des deux ycux pour mieux voir, et c'est d'ailleurs vouloir al- lier deux expressions incompatibles. Non! Les saints n'unissent pas Torgucil a rhumilite; mais ils unissent a leur propre humilite la conscience re- fleehie de ce que Dieu a fait en eux [fecit mihi magna qui patens est). Saint Paul n'a aucun orgueil quand il ccrit : tc Je suis le moindre des apotres, et je nc suis pas digne d'etre appele apotre, mais e'est par la grace de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grace n'a pas etc sterile en moi)) (I Corinth.,xv, g-io). C est pourquoi il dit encore avec une noble simpli- cite : « Sovez nies imitateurs, comme je le suis du Christ. » [Ibid.y iv, 16 ct xi, i.) Combien d'autres apres lui ont tenu a decrire ce que Dieu operait dans leurs ames! Sainle Catherine de Sienne se crovait obligee de reveler ses visions a son confes- seur pour qu'il jugeat ses peches sur les graces qu'elle recevait. Sainte Therese en faisait autant, et e'est la ce qui explique ces remords dont nous sommes sur-

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LTOTINDEMEIT If LA COITUUFLATIOI, IS

pris, ces accusations d'infidellte qu'ellc porte contre elle-mtoe- Oui, le saint qui a conscience des dons recus ae mud parMtement compte des devoirs qui en deconle&l pour Im s da la, nun cet orgaei]f mais cette aclion dc grace et celte glorification a laquelle se mMe une tres sincere et tres perspicace hunailite.

Cette habitude de se scriuer et dc sapprofondir mnsmmmmt n'offire-t-elle pas des dangers? Oui certes; mais ici encore il faut dire ; nul m ies a mieux compris que les saints, et precisemenE parce qu'ils wyaient de prii les abus possibles do la re- flexioas ik les ont i^nales dans del terraes dont on a essayi de se prifaloir pour eondamner mm- pletement, et fort a tort, la pratique dc la reflexion.

11 s'est passe a ce sujet dans sainte Chantal quei- que chose d1 analogue k ee qu'avait iprouvi iainte Therfese qoaml ello nvnit si bic.v dlcrit les dangers — sentis, mais vaincus — de la tristesse, dela mh- lancolie? dela souffrance nerveuse. « Je n'ose retire cette lettre, 6crmit-elle un jour, de peur d'ouvrir la porle aus reflexioBS it regards sur lout ee qui se passe dam mon intirieur, a cause de ractiviti de mon esprit. » Mais il ne faut pas prendre ce texte isolement* Cette cc aelivite » qu'elle redoute, e'est Tacdmti qui s'affaiblit en se didouMant et qul, en se regardant trop agir, alt fere la simplicity et dimi- nue Tenergie de son action. « Retranchez, 6crit- elle ailleurs, les reflexions inutiles* » Puis, apres les inutiles, il y a celles qui sont pirilleuses parce qu'elles sont inspirees par la complaisance, par Fa- mour-propre, peut-itre aussi par une velleit# de pa-

9.

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154 PSYCH0L0G1E DES SAINTS.

resse, plus satisfaitc de se regarder et de s'analyser que de surmonter ses hesitations ou sa langueur. Chaque chose a son temps; la grande fondatrice le rappelie avec une force singuliere. « En la souf- france, souflYir; en Taction, agir; en la jouissance jouir humblcment sans penser que nous faisons faute a ceci ou a cela ; car ce n'est que Tamour- propre qui fait telle reflexion ». A cote de Tamour- propre qui seduit le cceur, est la seductrice de rentcndcment et du bon sens, c'est-a-dire Timagi- nation. Lui pr6ter trop d'attention, n'est-ce pas precisenien't la provoquer? Aussi est-il dit a une des sceurs : « J'estime que ce qui se passe dans votre intericur est de Dicu; mais regardcz-Ie pen, crainte de complaisance; n'examinez pas curieusement si votre imagination y a sa part, ce regard lid en don- nerait. )> Quclle psychologic n?y a-t-il pas la! Et quellc connaissance encore du coeur humain dans cette apostrophe : tc Vous me mandez trois choses fort fachenses en Tesprit de notre novice : qu'elle est portec a son propre jugement et volonte, qu'elle n'a pas de simplicite et qu'elle se consume toute en reflexions... Elle est d'autant plus dangereuse qu'elle a bon esprit; car ccs grands esprits-la, quand ils ne s'adonnent pas a la devotion soumise et mor- tifiee, sont pour ravager toute une maison religieuse, oui meme toutun ordre (i). )>

Qu'on relise maintenant les deux articles d'Issy; on verra bien vite comment le precepte qu'ils con-

(i) Voyez Lcltres, e'd. citee, pages aSaj 448, 476 etc.

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L'ENTENDEMENT ET LA CONTEMPLATION. 155

tiennent n'est que le resume fidele de Texperience des saints, de leur habilete consommee a mctlre tout en son temps et a sa place, sans rien exagerer, sans rien sacrifier.

II faut dire exactement la m£me chose sur le pre- tendu etat « passif )> de Toraison ou de quietude ou d'union.

Souvenons-nous d'abord que, m&me chez les plus grands saints, cet etat n'est jamais que transi- toire, qu'il ne devient possible que tardivement. II est comme le repos dans la journee d'un bon tra- vailleur. Recompense d'efforts soutenus, il en ra- masse et en fixe les resultats lentement acquis, mais il n'arr&te pas, il sollicite plutot de nouveaux efforts, rendus plus faciles et plus efficaces. Ecoutons saint Jean de la Croix (i). II nous dira que pendant long- temps « il faut des images, des idees, des connais- sances, des raisonnements, de Toraison mentale et des objets materiels qui frappent les sens exte- rieurs et Finiagination pour disposer a la vie inte- rieure eta la perfection. )) C'est a la fin seulement qu'il est expedient de se degager de cette forme na- turelle de Tactivite mentale. Alors, entre les deux modes d'opcration il y a la m6me difference qu'en- tre une chose qui se fait actuellement et une chose qui est deja faite, entre ce que nous souhaitons d'acquerir et ce que nous avons acquis. « Hors de ce temps-la... Tame, dans tous ses exercices spiri- tuels, dans tous ses actes, dans toutes ses ocuvres,

(l) fid. citee; page i/tj.

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15G PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

doit sc servir de la memoire et des meditations pour augmenter sa devotion et Tutilite qu'elle en recoil; mnis surtout elle considerera la vie, la pas¬ sion et la niort du Sauveur, afin que ses actes et sa vie soicut conformes a ce divin modele. »

Croire que Tame du saint pratique habituelle- ment et necessairement la suspension de son acti- vite intellectuelle est done une opinion contraire aux faits d'abord, puis aussi peu raisonnable que celle qui assimile les grands hommes a des som- nambules recevant sans s'en douter les suggestions ou les inspirations de Tlnconscient. On a bien voulu approuver cette formula que j'ai donnee de I'inspi- ration des hommes de genie, en disant qu'elle est de la reflexion accumulee..., quel'eclair s'en degage commc il se degnge de nuages charges de Telectrx- cite qui s'y condense. De la contemplation dite pas sivc des grands mystiques, ne peut-on dire egale- ment qu'elle est de la piete , de la meditation active et de la resolution... accumulees?

Non seulement cc le discours )>, comme dit Bos- suet, e'est-a-dire la suite des operations discursives et des efforts a necessairement precede; mais dans le temps meme de Toraison cette passivite n'est ni universelle, ni continue. « L'ame se donne comme Tepouse se donne a Tepoux; elle se donne aussi activement et aussi librement que Dieu se donne a elle, parce que Dieu eleve Taction de son libre arbi- tre a son plus haut point, afin de se faire choisir plus librement; e'est ce qu'a voulu exprimer saint Clement d'Alexandrie en disant crue Thomme pre-

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L'ENTENDEMENT ET LA CONTEMPLATION. 157

destine Dieu, comme Dieu predestine 1'homme (i). » Yoila ces cc operations plus relevees » que les

operations discursives. Ce sont celles dont sainte Therese traite si admirablcment (2) quand elle parle des ames qui, sans perdre (loin de la!) le souvenir et la connaissance des mysteres, sont devenues ca- pables de les embrasser « d'un seul regard » et ne paraissent impuissantes a en discourir que parce qu'elles « jouissent » dans rimmobilite de leur re- pos, de tout ce que leurs meditations anterieures ont si bien grave dans leur memoire et rendu pre¬ sent a leur esprit. Mais si elle resume en un acte simple tous les mouvements qui I'ont precedee, cette oraison rend-elle incapable de reflexions nou- velles? Bossuet ne Fa point pense quand il a ecrit : « Ilsemble que, par sagrande simplicile, cette orai¬ son soit moins apercue en elle-m&me que dans ses effets. » Enfin, est-ce que sainte Therese a trouve la la derniere des demeures du chateau de Tame? Non; car ce qui a caracterise le progres des cinq dernieres annees de son existence, c'est la posses¬ sion, c'est rexercice, calme sans doute, mais plus vigoureux que jamais des « forces apostoliques » succedantaux ravissements et aux visions!

(1) Bossuet, Des itats cCoraison, ier Traite, livre VII. (a) Voyez surtout le Chateau de l'dmc} p. 499.

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CIIAPITRE V

LA SENSIBILITE, L'A.MOUR ET L'ACTION.

La sensibilite des Saints. — Part qu'y a rorganisme et modifications que ce dernier subit en eux. — Rdle preponderant du coeur. — Exemples memoraliles. — Aptitude du saint a la souffrance et a I'dmotion. Par quoi est-il <5mu? — De la sensibility commune, il ne sacriGe que I'amour-propre. — Affections humaines et naturclles, affections surnaturelles et celestes. —Amiti6 et < plaisirs Idlers ». L'amour de Dieu cliez les saints. — Ses rapports avec la souflrance, accept^e, demandee, cherchce. — Pes rapports avec Taction. — Comment I'gptitude des saints a Taction cst entrctenue par leur amour meme de la souffrance, par la fa^on dont ils pratiquenl la contemplation, par la nettetS de leur foi. — La joie dans la dou- leur : Tenfantement moral.— Le grand precepte de saint Ignace sur les resolutions prises au temps de la consolation. — La vie active des saints et son programme. — Conclusion.

II y a moins de prejuges "a dissiper pour montrer que les saints aiment beaucoup ou plutot que leur ame est tout amour. Mais je voudrais d'abord etu- dier avec quelque detail « la sensibilite » des saints.

C'est une Yerite bien acquise dans la philosophic chretienne, que la sensibilite — saint Thomas di- sait simplement, et dans un sens ires general, la passion— appartient au « Compose humain » (Pas- sio per se co?ivenit composito) (i). Cela veut dire

(i) Certatnes recherches contemporaines^ combattant ties theories trop purement intellectualistes, ne font guereque re-

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PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

que les phenomenes si complexes da plaisir et de la douleur, de la passion et de remolion, sont de- lermines a la fois par des ctats physiques et par des etats mcntaux. II me parait impossible de nier ce que remolion doit aux. habitudes d'esprit, a Fedu- caiion bien ou mai donnee, a la pratique bien ou mal dirigee du raisounement, aux tendances de Ti- magination, aux idecs, enfin et surtout aux croyan- ccs. Mais on ne peut meconnaitre davantage ce que la sensation des troubles physiques, des mouve- ments circulatoires et des divers actes reflexes inte- ressant chacun de nos organes aux modifications de tous les autres, apportent de promptitude ou de langueur, de calmc ou d'intensite aux emotions qui nous travaillent.

La sensibilile des saints ne saurait evidemment echapper a la loi commune : elle se trouve tout d'a- bord sous ia dependance de leur temperament. Si, par exemple, les femmes sont en general plus scnsibles et plus emotives que les hommes, on s'en apercevra memc chez les saintes. Adhere-t-on a ce mot de Schopenhauer : « la femme paie sa dette a la vie, non par I'aclion, mais par la souffrance (i) » ; on ne pourra s'empecher de I'appliquer aux he¬ roines de TEglise. Or, il est evident que la consti¬ tution physique joue ici un grand role : e'est uu

p rend re cettc tradition, en y ajoutunt beau coup de fa its as- surement tres curieux, mais aussi fies exagcrations pen sou- tenables V. Le Conespondant du 25 avril 1897.

(1) A quoi M. FouiNe'e dit justement qu'il faut ajouter : « et par Tamour i>.

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LA SENSIBILITE, L'AMOUR ET L'ACTION. 161

point sur lequel on me dispensera d'insister. Mais I'existence des saints nous offre-t-elle, dans les mo¬ difications de leur vie corporelle, de quoi nous eclairer sur les mouvements de leur sensibilite? II semble au premier abord que ce soit la un pro- bleme de pure fantaisie. Cherchons cependant.

On a pu croire — et cette opinion a semble con¬ firmee par une lecon celebre de Claude Bernard — que dans la sensibilite tout se passe entre le cceur et le cerveau, et que ce sont la les deux seules pieces du mecanisme de I'emotion. A coup sur, ce sont les deux pieces maitresses; c'est par le cerveau que rimage, arrivant par surprise et repoussee, ou bien au contraire evoquee, retenue, caressee, agit sur les mouvements du cceur; puis, c'est bien le coeur qui, sous Faction d'une pression plus ou moins forle, envoie son sang a plein jet ou bien le retient; il livre ainsi le cerveau soit a 1'excitation d'un afflux sanguin qui nous empourpre, soit a un ralentissement qui nous fait palir et nous enleve jusqu'au sentiment de notre existence.

Mais il ne parait pas que ce soit la toute la ve- rite. 11 est encore bien des organes qui concourent a modifier nos sentiments autant que nos sensa¬ tions; car, d'un cote, leurs mouvements propres ou leurs secretions affectent les nerfs qui doivent regler Le rytlime des grands organes, et d'un autre ils recoivent eux aussi le contre-coup des mou¬ vements da cceur, quand le sang leur est soit re¬ fuse, soit trop liberalement envoye. Un observa- teur qui n'est point a dedaigner Tavait remarque

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102 PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

tlepuis longtemps, et Favait enseigne dans ses apho- rismcs sar la bile, sur le fiel, sur la rate... La science experimentale de nos jours s'efforce de nous inieux donner le deter minis me des difTerentes par¬ ties du phenomene ; mais elle est tres loin de le nier. Peut-^tre m<hiie a son tour en exa^ere-t-elle Timportance quand, par exemple, elle avance, sur certains faits pathologiques ou sur des experiences d'amphitheatre, qu'une anesthesie plus ou moins factice de la peau, des muqueuses et de certains visceres pourrait amener une disparition « des phe- nomenes affectifs de tout ordre » (i). Quoi qu'il cn soit, il est certain que nos devancicrs n'avaient tort ui quand ils faisaient si largement la part du cceur, ni quand ils reservaient celle d'autres orga- nes : ils avaient peut-etre mal explique, mais ils avaientbien observe.

Etaient-ils egalemcnt dans le vrai, quand ils attri- buaient a la sensibilite du cceur un role plus noble, quand ils en faisaient Torgane du courage, de Ta- mour, de renthousiasme, de la souflFrance morale franchement et fortemcnt acceptee et qu'ils attri- buaient aux autres organes une influence plus mar¬ quee sur les tourments de la jalousie cachee, de I'envie secrete, de la tristesse rongeuse? Tout porte a le croire; il n'est pas temeraire de I'expliquer par le lien plus etroit qui existe entre le cceur d'une part et d'autre part le cervcau, organe des images

(i) Voyez Revue pkilosophirjue tie mars 189^ urlii'Ie tlu Dr Sollier.

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LA SENSIBIL1TE, L'AHIOUR ET L'ACTION. 1G3

les plus lumineuses, les plus soumises a Taction de notre volonte, les mieux fixees par noire libre adhe¬ sion.

Mais n'oublions pas que la vie humaine est un ensemble complexe d'aclions et de rcaclions ou le corps et resprit se modifient alternativement Tun Tautre. S'il est des dispositions natives de tellc ou lelle partie de Torganisme qui concourent h une passion plutot qu'a une autre, il est aussi des habi¬ tudes volontaires qui enrayent ou qui accelerent ce monvement, qui creent meme dans cette sensibilite mixte des courants plus ou moins puissants. Bien des hagiographes I'ont remarque a Toccasion de lours personnages : la colere, la haine, la douleur eontractent les vaisscaux, ralentissent le mouve- ment des fluides et produiscnt des obstructions, tandis que Tesperance, la joie de I'amour divin cc qui est toujours regulier » dilatent le cceur et les vaisseaux, « aclive !c mouvement des fluides et aug- mente les esprits ». Tel est du moins le vieux lan- gage quin'estpas si cloignc qu'on pent le croire des theories de la physiologic conlemporaine.

Reportons-nous maintenant a nos saints. II sufTit de rappeler d'un mot le genre de vie de rimmense majoritc d'entre eux pour etre convaincu que leur sobriete, leur continence, leurs austerites ont du simplifier en eux bien des mouvements emanes des organes de la vie vegetative ou animale. Chaque cel¬ lule des Chartreux offre sur sa porle exterieure une devise latine. La premiere sur laquelle je tombais dans ma visite au grand couvcnt du Dauphine, con-

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mi 9 psyciologie des

\mnil eei mots s m estote lobriii sirapliccs et quicti». Sobriltij simplicity} tranquilliti, bell® gradation, daas laquelle 1c premier lerme cnlratne neeessaire- meiit lea Amx mtrm I Celui qm Favait, timm&e ainsi ilmt Men d'accord mm nn fa phi ingenieux mo- ralistes de rantiquite. A imm repriies differentes, Slnfeque tffirmt qm to Hen-fitre e§t Faliment de la cotera.^ «r Le principal Elrnient de la colfere, dit-il encore axIJeu^ eit le lase elk mollesse. » Paradoxe apparent, viriti pmfonde (i), quej'ai eu plus d'une fois Toccasion de virifier dans )e monde du crime oil, malgre certains prejuges entretenus par les mondains, il faut moins se defier de ceux qui souf- frent que de ceux qui jouissent! Mats ne nous ecar- tons pas! Contentons-nous de maintenir que par repercussion physiologique non moins que par un ensemble dliabitudes imposces a toutes les facul- tes de Fesprit mime, Fapaisement des appedts doit amener Fapaisement d'nne partmn considerable de la senalbilltfL

11 n'en est pas de mime dn cmur proprement dit et du mode de lensibiHti qull gou%*erne. C'est un document iymboliqne! al Fon vent, ires instruc- tif a coup que Fantopaie falte fa) de saint Phi¬ lippe de Ndri. Les organei Inflrieurs itaient atro- pbiis j mais le cmnt avail subi une dilatation telle

(i) Oterrfitw seulement qun le liixe est une chase rela¬ tive el que ce qni pmft BBesqttiH paur ttn Parisien pent en* com mremier rur^ttdl ct k SBniasIitl d'un villagcois.

ja) Far Cwlpias ft deux aiitres diirargiens celebres du temps, Parcil fail a itl relevl sur les resies du P. fie Condren.

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LA SENSIBIL1TE, L'AMOUR ET L'ACTION. 105

qu'il avait du, pour se faire place, re fouler une des cotes et s'ouvrir une sorte de cavite artificiellc. De la chez lui une circulation intense et une chaleur generale qui defiait toutes les froidures : de la aussi — on peut le penser — ces acces de verve humo- ristique entrecoupant les effusions de cet amour ar¬ dent qui lui faisait dire : « Rien n'est dur comme de vivre a qui aime vraiment Dieu. »

Ces phenomenes singuliers de Forgane physiolo- gique du coeur, on sait qu'ils sont frequents chez les saints. Je n'examine pas ici les cas les plus ex- traordinaires et ceux que la piete catholique a le droit de tenir pour vraiment surnaturels, comme la transverberation du coeur de sainte Therese et comme ces visions dans lesquelles plus d'un mys¬ tique a send, dit-il, que le Christ lui-m6me lui donnait son coeur en echange du sien. Sans doute il n'est pas defendu de voir dans la plupart de ces re- cits TefFet d'une imagination qui, du sentimentd'ua trouble corporel se laisse emporter a une vision symbolique et la prend innocemment pour une rea- lite. En tout cas, s'il est vrai que le miracle m&me, pour se realiser, met en jeu des forces naturelles, il a bien fallu que le personnage eprouvat un chan- gement physique dans cette partie de son orga- nisme. Or non-seulement il I'a senti; mais les re- sultats dela modificaLion materielle, soitsur le coeur meme, soit sur des organes frappes d'afflux sanguin et de stigmates, ont ete constates bien des fois dans des proces-verbaux authentiques.

« Des que je le vis (Jesus) clairement des yeux de

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PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

ramc, comme je Tavais demande, pauvre, doulou¬ reux, meprise (dit la Bienheureuse Angele de Foli- gno) je sentis une douleur poignaute, com me si mon coenr allait se briser... » —■ Ce n'est peut-Stre la quc I'exprcssion a peine exageree de ce qu'eprou- venl, dans les grandes circonstances de la vie, les plus sensibles d'entre nous. II yavait deja plus chez Madeleine de PazzL Notre-Seigneur lai apparut un jour pour lui montrer son cceur; et, a parlir de ce moment, « pour soulager Fincendie qui Ja devorait, ellc etait obligee d'entrouvrir ses habits ou de se repandre en d'interminables paroles qui ressem- blaient a des chants. » Sainte Catherine de Gthies croyait avoir une plaie dans la poitrine. Pour re- mede elle tenait souvent la main sur son cceur, qui halelait. Dix-huit mois apres sa mort, elle fut exhu- mee; son corps etait intact; rensemble de la peau etait jaune, « mais la peau qui repondait au coeur etait encore toute rouge. )) On sait que des pheno- menes analogues etplus surprenants encore out ete remarques sur les coeurs de sainte Jeanne de Chan- tal et de saint Francois de Sales.

Ces merveiHes meritent bien des coinmentaires... qui ont d'ailleurs ete faits avec aulant d'eloquence que d'autorite. Ici, et au point de vue particulier qui nous occupe, j'en retiens surtout ceci: elles nous ex- pliquent comment la sensibilite des saints a bien eu ce caractere cordial qui se pr&te plus que tous les autres a une etroite union entrele corps et I'esprit, entre le mouvement du sang et le mouvement des idees.

On le comprendra maintenant, ce qui importe le

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LA SEX3IBILITE, L'AMOUR ET L'ACTIOX. 107

plus pour joger la sensibilite de ces homines d'cliic, ce n'est pas encore tant lenr capacite de jouir ou de souffrir, c'est leur disposition a jouir ou a soul- frir pour telle cause ou pour telle idee. La croyance commande ramour, Tamour commande les images, et celles-ci provoquent les emotions qui traduisent visiblement les sentiments interieurs. Or, le monde croit volontiers que le mystique est devenu insen¬ sible parce que la terre ne Pemeut plus, et le mys¬ tique croit au contraire que c'est dans les annees anterieures a sa conversion que sa sensibiiite etait morte, et que c'est la grace qui Pa ravivee. cc Alors, dit sainte Therese, mon cceur etait si dur que j'au- rais pu lire toute la passion sans verser une seule larme, et une telle insensibilite me desolait. » Et plus loin : tc ces larmes, fruit en quelque sorte de nos efforts soutenus par le secours divin, sont d'unc inestimable valeur, et ce n'est pas assez de tous les travaux du monde pour en acheter une seule. »

Quandle saint souffre ainsi avec le Christ, cessc- t-il de ressentir ses propres soufFrances? Cesse-t-il d'etre emu par les passions communes de Phumanite ? Quelquefois oui; mais plus souvent, selon les ex¬ pressions de Benoit XIV, le sens n'est pas eteint, ii n'est quesoumis. Qu'il s'ngisse du martyre physique et des tortures materielles qui PaccompagnenU ou qu'il s'agisse de ce martyre moral qui a cprouve tant de grandes ames, on peul leur appliquer ces paroles de saint Bernard (i) : cc Quest alors Pamedu

(i) Sermon 61. (Reproduites par beaucoup de saints qui sans mil doute y avaient retrouvu leur Drop re experience.)

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1C8 PSYCIIOLOGIE DE3 SAINTS.

vaillant? Elle est en surete : car elle est dans les entrailles de Jesus. Si elle etait dans les siennes propres et les fouillait de son regard, elle sentirait [e fer qui les perce, la douleur lui deviendrait into¬ lerable, elle y succomberait ou la repousserait. Mais ne nous etonnons pas si, volontairement sortie de son corps, elle n'en sent plus les douleurs : la sensi- bilite chez lui n'est pas aneantie, elle n'est que vaincue; et ce qui Tavait transformee, ce iiest pas la stupeur, c est Varnour. » Non stupor, sed amor! Voila encore une formule d'une precision toute la- tine en m^me temps que toute scientifique. Qu'elle nous serve a distinguer de mieux en mieux Tetat psychologique des saints de Tetat de ceux qui n'ont avec lui qu'une si trompeuse ressemblance, les moines bouddhistes, les fakkirs, les malades et, puis- qu'il faut les nommer une fois de plus, les hvste- riques.

L'auteur des deux recents volumes sur rhys- tcrie, qui a appele sainte Therese « la patronne ;> de ses malades, a du penser plus d'une fois a elle et a ses pareilles quand il a traite ca et la des alte¬ rations des emotions. Tantot il insiste avec ses de- vanciers sur les emotions cc exagerees et perverties » dont les attaques hysteriques sontleplus souvent des manifestations : ailleurs il montre comment Te- motion familiere du sujet se developpe isolement et sans contre-poids. Cette derniere observation le conduit a une autre qui ne la contredit qu'en ap- parence et qui parait tres juste : c'est que les hyste¬ riques ont en realite moins d'emotions qu'on ne le

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LA SENSIBILITE, L'AMOUR ET FACTION. 169

croit; car cc leur caractere principal est ici, comme toujours, une diminution des phenoinenes psycho- logiques... Ces malades sont, en general, fort indlf- ferents, au moins pour tout ce qui ne se rattache pas a un petit nombre d idees fixes... Leurs emo¬ tions sont exagerees, disproporlionneeSj mais mo¬ notones et peu nombreuses. »

Je Tayouerai sincerement, je crois que si sainte Therese — qui a donne une si etonnante et si exacte description des quatre grandes formes de la melancolie — lisait ces lignes, elle y reconnaitrait sans hesiter I'etat de plus d'une de ces religieuses qu'elle se voyait obligee de soigner(i). Mais ici pas plus qu'ailleursil ne faut confondre le mystique ma- lade avec le saint. Qui voudrait, sous une semblable description, retrouver les caracteres si riches et si divers d'une sainte Therese, d'une sainte Chantai, d'un saint Bernard ou d'un saint Francois de Sa¬ les?

Je sais bien que Ton dira : cc Yos personnages ont, en presence d'un crucifix, des emotions qui les bouleversent, et ils apprendront sans emotion une revolution qui troublera tout un pays! » Admet- tons-le. D'autres repondront que parmi ceux qui font cette objection, plus d'un sera tourmente par

(i) Et particulicrement de la « pauvre extatique » qu'elle avait guerie — en la faisant mieux manger. — Je ne crains done pas de rapprocher encore ce souvenir du passage suivant de M. Pierre Janet : a Souvent, grace au repos, a une meil- leure alimentation^ a plus de sommeil, la malade va mieux; alors elle retrouve des e'motions qui avaient disparu, »

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170 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

des fictions inutilcs et sera insensible a la passion clu Christ qui a sauve rhuraanite. INIais Targument le plus subtil cle I'alieniste ne serait-il pas cache clans cette partie cle son observation? : cc Les hyste- riques perdcnt surtout les emotions sociales? altruis- tes, quisontles plus complexes de tonics (i). ))

Eh bien! les saints ont-ils perdu ces emotions? Lc chercher sera penetrer encore dans la psycho- loi^ie inlime de nos heros, tout en achevant d'6- clairer les traits exterieurs cle leurs physionomies et de leurs personnes. Demandons-nous done ce qu'aiment les saints.

Qui ils aiment? Dieu, assurement. De cette verite personne ne cloute. Osons mdme dire qu'on est porte a Texagerer en ce sens quTon croit assez faci- lementqu'ils n'aiment que Dieu.

Ici encore il faut se rendre compte du develop- pement graducl de la sain tele (PI a ton eut dit de sa dialectique, et beaucoup diraient aujourd'hui de son evolution). On se tromperait done cerlainement, si Ton pretendait surprendre et fixer en quelque sorte la saintete au moment precis oil elle fait ses plus penibles sacrifices. Mais le moine et le religieux n'existent-ils que le jour ou ils aspirent a couper les

(r) Elles devraient Petre en tons cas ,• mais si I'assertion parail exacle en theorie^ I'est-elle toujoui's en fait? L'analyse d'un La Rochefoucauld simplifie terriblement cette com- plexite' en ramenant toutes les inclinations sociales a Ta- mour-propre. Or quelles sont les ames die/ lesquelles risque de se verilier la ibrmule de I'impitoyable moraliste? Sont- ce les ames vulgaires ou les ames des saints?

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LA SENS1B1L1TE, I/AMOUR ET L'ACTION. 171

derniers liens qui les enchainentau monde? Sainte Chantal n'a-t-elle ete sainte que quand elle a passe sur le corps de son fils? II serait plus juste de dire qu'elle accomplissait la un acte que sa saintete pro- longee devait justifier et pouvait seule justifier. Saint Jean de la Croix nous a appris qu'il fallait pas¬ ser par une certaine nuit des sens et de la mcmoire pour arriver ensuite an plein jour d'une imagina¬ tion et d'une intelligence iiluniinant les choses m&mes de la terre. Ainsi faut-il dire que le saint passe par une nuit du coeur, mais qu'il n'y reste pas. Le lendemain de sa prise d'habit, une reli- gieuse (i) ecrivait : « Selon la regie du noviciat, j'avais brise toutes mes correspondances... Ce sont surtout ces sacrifices de cceur, ce detachement uni- versel que Dieu nous demande, a nous, pauvres filleSj qui n'avons plus sur terre ni pays, ni patrie, ni parents, ni amis... )) Mais, arrivee la, elle se re- prcnd vite, et, sans meme interrompre sa phrase, elie poursuit en disant : « Ou plutot je me trompe, le monde entier nous est ouvert, puisque saint Yin- cent de Paul nous I'a dit, et notre amour enveloppe le monde entier. »

La jeune religieuse parlait la, en cffet, le lan- gage des saints. Avant saint Vincent de Paul, sainte Catherine de Sienne aimait a dire : cc Ce qui fait que les serviteurs de Dieu aiment tantla creature, c'est qu'ils voient combien I'aime le Christ : et la condi-

(i) Voyez la f'ic de la Mere Marie de Sales-Chap puts (a la Visitation de la rue de Vaugit'ard)^ p. 353.

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172 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

lion de ramour, c'est d'aimer ce qu'aime celui que nous aitnons. » C'est la une pensee qu'elle repete Lien dcs fois (i). Aussi les contemporains parlent-ils des innonibrables reconciliations qu'elle operait et qui furcnt une des causes principales de sa grandc influence sur les affaires publiques de son pays. Mais bien d'autres saints-encore, qui n'ont agi qu'en secret ou dans des ceuvres cacheeSj ont exprimc celte m6nie verlte, que, quand Jesus cru- cifie cntrait dans une ame, il y amenalt avec lui ceite humanite dont il avait porte sur la croix tou- tes les afflictions et toutcs les esperances

La loi de la saintete est de se detacher de tout ce en quo! on ne se com plait que par amour-propre. CeUe regie est tellement absolue qu'elle s'etend jusqu'aux cc consolations spirituelles. » Oui, c'est la un principe de tons les grands mystiques, que « les aridites et les secheresses » ont pour fin et pour utilite principale de detacher rame, non pas des biens surnaturels, ma is de Tamour sensible et per¬ sonnel qu'ellc pent leur porter. Une fois queFamour- propre est aneanti, la barriere tonibe; et non-seu- lemcnt il n'est plus present de se detacher de tout, mais il est ordonne de tout aimer, pourvu que ce soit « pourramour de Dieu. »

On m'arretera ici pour me dire : aimer le monde entier, c'est n'aimer personne, et cet amour uni- versel est precisement ce qui tue les affections na- turelles.—■ Est-ce n'aimer personne, repondrai-je,

(i) Voyez LcttreS) 287 j II, 327.

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LA SENSIBILITE, L'AMOUR ET LVVCTIOX. 173

que cTexercer la charite, ainsi que Tont fait les saints, envei's les pauvres pour lesquels ils se de- pouillent tie leurs vGtemenls et se privent de nour- riture — envers les malades dont ils baisent les plaies — envers les pelerins et les etrangers dont ils se font les hotes gratuits — envers les orphelins et les enfants trouves auxquels ils rendentune famille — envers les lepreux, les leigneux et les pestiferes dont ils affrontent la contagion sans autre defense que leur foi et leurs prieres — envers les captifs qu'ils rachelent au prix de leur propre liberte — envers les esclaves qu'ils afTranchissent — envers les negres qu'ils defendent contre I'emportement beUiqueux du vainqueur — envers les galeriens ou condamnes a mort qu'ils assistent comme le faisait la vierge de Sienne —envers les filles pauvres et exposees au mal, auxquclles ils ouvrent des refuges — enfin et surtout envers les affliges, les pechetirs et les pecheresses, pour lesquels ils ressentent la pitie passionnee et la mlsericorde de Jesus? II n'y a point de pasteur, point d'apotre, point de Pere digne de ee nomqui ne doive s'ccrier, a chaque ins¬ tant du jour7 avec saint Paul : cc Qui est faible sans que je m'affaiblisse avec lui? Qui est scandalise sans que je brule? ))... Qui souffre, a ma connais- sance, de quelque maniere que ce soit, sans que je souffre avec lui?

Quant aux affections naturelles, je crois qu'elles sont toujours chez eux egalement, quoique diver- sement, puissantes. La facon particuliere dont ils les ressentent depend des conditions d' « etat »

10.

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174 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

clans lesquclles ils se trouvent places. L!n saint ou une sainte sont-ils engages dans les liens du ma- riage ; il leur arrivera d'etre les modeles des epoux, je dis au regard ni6me de Tamour humain. Ni sainle Brigille, ni saint Louis, ni sainte Elisabeth de Hongrie, ni sainte Chantal — quels qu'aient ete les progres ulterieurs de leur saintete — n'ont ja- mais eprouve aucune difficulte a concilier cet amour humain et Tamour divin. Est-ce par le premier qu'ils avaient debute? II n'y aurait eu la rien d'im- possible. Tout devoir d'etat accompli scion la loi et avec cceur mene a Dieu. CTest du pere scion la na¬ ture que renfant s'eleve ou se laissc conduire a I'i- dee du Pere qui est aux cieux. Pourquoi, de Ta- mour qu'elle a pour son epoux selon la chair, la femme ne se scntirait-elle pas portec a un amour plus vif encore pour celui que le langage mystique appelle si frequemment I'Epoux de Tame? Saint Hernard a ecrit textueliement (i) : « L'amour com¬ mence par la chair et il finit par Tesprit. » Et sainte Catherine de Sienne, avec un langage encore plus precis, ecrit que rien ne triomphe du coeur de Fhomme comme Tamour : « car, dit-elle, il a ete fait par amour, et c'est pour cela qu'il est porte a aimer. L'homme est fait par amour quant a Tame et quant au corps... Par amour, Dieu Ta cree a son image et ressemblance; par amour aussi, son pere et sa mere lui ont donne Texistence. )>

(i) l5p. II, cite'e dans la nouvelle Vie de saint Bernard\ par lTabl)e Vacandard, I, i83.

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LA SENSIBIUTE, L'AMOUR ET L'ACTION. 175

II est vrai que, lorsqu'elle redesccnd au pere ou a Tepoux temporel, Tame redescend avec un amour qui s'est epure. Mais s'epurer n'estpas s'amoindrir. L'accord en tout cas paraissait aux saints si facile, que cette sorte de mouvement alternalif n'exi^eait d'eux o ni longue preparation ni longues phases, et il se re- nouvelait pour eux tous les jours. Sninte Elisabeth de Hongrie s'ingeniait avec son mari a trouver les moyens de le quitter le moins possible; car ils s'ai- maient, dit un contemporain, au-dela de ce qu'il est possible de croire [supra rjuarn credi valeat). Le jour ou, fouillant familierement dans raumoniere de son mari, elle apprit par hasard qu'il s'etait en¬ gage a partir pour la croisade, la premiere emo¬ tion qu'elle en eprouva fut si violente, qu'elie s'e- vanouit. Lorsqu'il fallait qu'elle restat seule, elle se precipitait sur les appareiis de la penitence, et elle en usait comme si elle n'eut eu d'amour que pour son Dieu. Des qu'on lui annoncait le retour de son epoux, elle se parait selon son rang etde son mieux, pour lui plaire, bien que sa beaute naturelle et leur afFection reciproque y eussent amplement sufifi. Dans leur latin nai'f et sans crainte, les chroniques du temps racontent que le soir elle se mortifiait durement pour aller ensnite au lit conjugal avec son agrement et sa gaiete (i) [ad lectumque mariti reversa hilarem se exhibuit et jncundam), Mais, re- tournee du service de Dieu a ses devoirs de femme,

(i) Je n'ai pas besoin de renvoyer ah delicieuse Fie de sainte Elisabeth, par Montalembert. Paris, Leeoffre.

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170 PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

ce n'etait pas seulement a son marl qu'elle ouvrait un ca3ur dilate : c'ctait aux pauvres, aux mencliants, aux endettes, aux malades abandonnes et aux mou- ranls: il luiarrivait d'cnsevelir elle-m6me des morts dans des draps de son propre lit et de suivre avec recuelllcmcnt le cercueil da dernier de ses su- jels.

Soil! dira-t-on. Mais que faites-vons des saints qui out rompu avec la famille et avec le monde? — Je dirai qu'ils ont rompu de chers liens pour les re- nouer d'une autre maniere. Ils avaient besoin de les rcnoucr: leur nature leleur demandait autant queleur devoir. La plupart de ceux qui quittent ainsi leur perc et leur mere se reeonnaitraient, je crois, dans ces paroles de sainte Therese : « Oui, je dis vrai, et le souvenir m'en est encore present, lorsque je sortis de la maison de mon pere, j'eprouvai comme les douleurs de Tagonie, et je ne crois pas que la der- niere heurc me puisse reserver des angoisses plus cruelles. Je sentis tons mes os qui allaient se deta¬ cher les uns des autres (i). » Aussi faut-il toujours se souvenir que, quand Tame du saint revient a la terre et lui rapporte avec son amour naturel Tamour nouveau qu'elle a puise au contact du coeur du Christ, ellc les distribue Tun et I'autre selon les re¬ lations que commandent les devoirs primordiaux et selon celles que permet la lih^rte des ames.

Ce n'est pas seulement saiute Chantal qui, apres avoir fonde son Ordre, ne s'ea occupe pas moins a

(i) Sa fit1; ]>, 3o.

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LA SENSIBILITE, L'AMOUR ET L'ACTIOX. 177

marier ses filles et son fils et obtient de ce dernier ce temoignage (i) que, si elle Tut restee dansle monde, son amour maternel et sa « non pareille prudence » n'auraient pu rien inventer demeilleur pour lui que ce qu'elle a su lui trouver. Ce n'est pas seulemeiu elle qui continue a aimer les siens avec une telle in- tensite; que la douleur qu'elle ressent ou de leur perte ou mcme des chagrins qu'iis eprouvent a leur tour par ]a perte d'un mari ou cYun enfant, met on danger sa propre existence. La grande carmelitc, elle aussi, du fond de son convent, suit ses freres et sceurs, les etablit et les marie, s'interesse a leurs aiffaires et les conseille. Pour le simple croyant dejii, comment la fa mi lie qui se continue au del a de la terre serait-elle diminuee devant la foi? Que sera- t-elle done pour une sainte qui pent raconter cc- que racontait sainte Therese, dormant la tout au moins le symbole des preoccupations intimes de son cceur : « Je me sentis transportee au ciel, et Ics premieres personnes que j'y vis furent mon pere et ma mere. »

De telles ames ne doivent pas seulement dire que cc personne n'a trop d'esprit », elles doivent elrc encore plus persuadees que personne n'a trop d'amour, et qu'a la condition de puiser a la vraie source, personne ne saurait en manquer pour quel- que creature que ce soit. Le premier de ces deux sentiments, je le retrouve non seulement dans sainte

(i) V. Mor Bougami, Histoire de sainte Chanlal, 11^ 3c), Cf. Ib417-

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178 PSYCHOLOGIE DES SALNTS.

Catherine de Sienne et sainte Therese, mais clans le severe fondateur de Saint-Sulpice. Consolant le marquis de Fenelon apres la mort de sa femme, xl lui dit (i) : « Mon cher enfant, votre Madeleine est allee au sein de Dieu, ou elle vit pour vous et ou elle attend votre eceur, saehant qu'elle n'y pent etre trop aimee. » Ainsi, dirai-je, quand deux ames sont deja

en Dieu elles ne peuvent trop s'y aimer. C'est la certainement la pensec de SI. Olier et celle des saints. Quant au second sentiment, il eclate dans I'amour naifque tant de saints ont porte meme aux animaux. Les effusions de saint Francois d'Assise parlant a ses sceurs les hirondelles sontbien connues, et on n'a qu'un tort quand on les admire, c'est d'y voir un phenomene tout a fait exceptionnel, propre a un doux reveur, a une ame innocente, mais plus tendre et plus poetique que ne Test habituellement i'ame d'un saint. Le foug-ueux et terrible saint Ber¬ nard, cet homme si dur a lui-meme, ne pouvait con tern pier une douleur, une faiblesse, une infir- mite, physique ou morale, sans etre saisi d'une im¬ mense compassion. On rcmarquait qu'il ne pouvait assister aux obseques d'un ctranger sans pleurer. Son humanite, dit un de ses biographes, s'etendait jusqu'aux animaux sans raison et jusqu'aux betes sauvages. A la vue d'un lievre poursuivi par les chiens ou d'un pauvre oiselet menace par un oiseau de proie, son cccur se serrait; il ne pouvait se tenir de tracer en Fair un signe de croix, afin de sauver

) Lcllrcs, I, 515.

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LA SEXSIB1L1TK, I/AMOUR ET FACTION. 179

les innocentes petites b^tes (i). Ainsi cctte sensibi- lite m6me, cette sensibilite emotive qu'ils ont d'a- bord amortie en lui refusant toute complaisance, elle se retrouve plus tard en eux, devenue plus riche et plus delicate par la violence de leur amour et par I'etendue indefinie de leur charite.

Elle s'y retrouve meme avec une condcscendance aimable pour ces plaisirs legers, qui font aimer la vie, dit Alfred de Musset, ou qui tout au moins aident a en supporter les trop lourdes charges. Ces plaisirs aucun de nos saints ne les recherche volontairement pour lui-m6me; mais au besoin, chacun s'ingenic a les procurer aux autres, surtout s'ils sont jeuncs ou malades ou affliges. Sainte Claire, sainte Therese se relevaient expressement pour aller preserver du froid celles de leurs soeurs dont la santc les inquietait. Saint Francois d'Assise faisait presque un miracle pour offrir a son medecin « un bon diner dont les reserves du monastere ne fournissaient guere les elements. En retour, quand le plus austere se voit entoure d'egards par un des siens, il accepte, et remercie Dieu de lui avoir donne un bon compa- gnon.

Comment s'etonner des lors de ces « amities » des saints auxquelles un ecrivain celebre eut voulu con- sacrer un livre tout entier? Comment s'etonner que « dans I'histoire de la plupart des saints qui ont exerce une action reformatrice et durable sur les institutions religieuses, on retrouve loujours le nom

(i) V. Vacandardj ouvrage citc\ II, 5x4.

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ISO PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

et Tinfluence d'une sainte femme associee a leur de- vouement et a leur coeur »... Sainte Paule a cote de saint Jerome, la comtesse Mathilde a cote de saint Gregoire VII, sainte Claire a cote de saint Francois d'Assise, sainte Therese a cote de saint Jean de la Croix, sainte Chantal a cote de saint Francois de Sales?

Mais il est temps d'arriver a cet amour qui trans¬ figure tous les autres, a Tamour de Dieu.

Je n'en considererai cependant que deux aspects : je chcrcherai le rapport qu'il a avec la souffrance, et le rapport qu'il a avec Taction. C'est, en effet, par la que Tamour des saints differe non-seulement de I'amour profane, cherchant avant tout la jouis- sance, mais de Tamour « quietiste » des faux mys¬ tiques.

* * *

« Je n'ai jamais doute, ecrit jM. Olier (r)? que le centre du christianisme ne fut dans la souffrance. » A sa confidente d'alors — une sainte femme appe- lee Marie Rousseau, — il avoue cependant ses an- goisses et les apprehensions que lui causent les sou- cis de la vie. II les supporte, est-il besoin de le dire? avec le plus grand courage. Dans une autre lettre (adressee, celle-lh, a son directeur) et qui

(i) Lcttres, X, 276. Cf. Ib890.

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LA SENSIBILITE, L'AMOUR ET L'ACTION. LSI

vient peu aprcs, il en donne la raison qui se presentc a 1'esprit la premiere : « Helas ! qu'il est aise d'ai- raer ea jouissant! Mais d'aimer en soufTrant, c'est ce qui est difficile, et c'est ce qui me paraissait etrc la veritable marque de ramour. )>

Aimer en soufTrant, cela pent s'entendre de deux manieres. On peut accepter la souffrance avec resi¬ gnation, en vue de la beatitude a gag-ner pour soi ct pour les autres. C'est la un premier deg-re que les saints ne tardent pas a franehir, et celui qui vient de parler I'a lui-m6me franchi bien vite. Apres avoir accepte de soufTrir, ce qui est encore a la portee de beaucoup de sages et d'ames fortement trempecs, — il offre de soufTrir. Pourquoi? Ici aussi il y a des degres.

Cette souffrance peut d'abord 6tre aimee comnie une condition, non pas d'une recompense accordec a une sortede devouement mercenaire, mais de refli- cacite d'efforts accomplis en vue d'un but valant par lui-m6me tous les sacrifices de Thumanite. <c Devc- nez, disait sainte Catherine de Sienne a Urbain YI(i), devenez semblable a votre chef le doux Jesus, qui toujours, depuis le commencement du monde jus- qu'a la fin, a voulu et voudra que rien de grand ne se fasse sans beaucoup souffrir. »

Si heroique que soit cette parole, il est permis de penser qu'en Tecrivant, la vierge inspiree menagenlt encore dans le Pontife-Roi quelque sentiment terrcs- tre, comme Tamour de la gloire, dont elle essayail de

(i) Lett res, I, 83. PSYCLIOLOG1E DES SAINTS. U

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PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

se servir. Mais le saint s'eleve cVun noiivcau de^re quand il se dit qu'en fin de compte, ces grandes cho- scs, c'est Dieu qui les accomplit par la main des hom¬ ines; alors il en arrive a dcsirer la soufTrance uniquc- ment pour consumer en lui tout ce qui y entrelicnt quelque mouvcmcnt personnel tcndant a le separer de Celui auquel il veut s'unir. « Je me disais en moi- meme, lisons-nous dans M. Oiler : Seigneur, je ne puis vous tcmoigner mon amour qu'en sou (Fran t. Helas! Seigneur, le moyen que je vive si je ne vous temoigne mon amour! Le soufFrir vous en donnera Tassurance. n

Ne crovons pas que cet heroi'sme n'ait dans la na¬ ture Immaine aucune racine (i). Le soldat vaillant ticnt a soufTrir pour sa patrie et pour sa gloire. L'homme d'Ktat passionne pour la puissance de son pays regrelte ies moments de distraction que lui imposenl les conventions de la soclete. Est-ce que ce n'est pas au plus positif d'entrc eux, a lord Pal- merston, qu'on atiribue ce mot ironique, mais pro- fond : cc La vie scrait encore tolerable si ce n'etait pas les plaisirs. » Trouverons-nous main ten ant si

(i) Je trouve clans an feuilleton dramatique de Jules Le- maitre (Debats da n aoat iSgS) ces lignes remarquables : « Fcfcondite merveilleuse de la douieur! Oai, e'est bien elle qui fait le cocur de Jocelyn si profontl, si large, si teudre. Chez les ames elevces la puissance d'aimer engendre la souf¬ Trance qui en est ie signe et la tnesure; et la souffrance a son tour agranclit et exalte la puissance d'aimer; de sorte quV'Hes ne se peuvent bientot emplir et satisfaire qu'en prenant a leur compte par la cliarite toutes les souffrances des a at res. »

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LA SEN SIB I LITE, L'AMOUR ET L'ACTION. 1S3

insenses tous ces saints qui, charges du souci du royaume de Dieu, repetent la parole de salnte The- rese : « Les soufTrances seules peuvent dcsormais me rendre la vie supportable. SouCTrir, voila ou tendent rues vceux les plus chers. Que de fois, du plus iutime de mon ame, j'eleve ce cri vcrs Dieu : Seigneur, ou soufTrir ou mourir, e'est la seule chose que je vous demande (i). »

Je ne crois pas que ce soil trop ra(finer que de dire qu'apres avoir ainsi accepte, qu'apres avoir ainsi offert de soufFrir, le saint n'est pas encore sa¬ tis fait, s'il ne va lui-m&me au-devant de la souffrance. C'est ici ce qu'on appelle Tascetisme. On s'en fait, je crois, une idee fausse, au moins pour ce qui con- cerne les saints, quand on n'y voit que reflet d'un degout sterile de la vie ou qu'une mortification ayant en vue de supprimer les tentations les plus grossieres de la chair. Aseetisme — d'apres Fetymologie m^me du mot — veut dire exercice. L'ascete est done un 6tre qui s'exerce, et a quoi? On dit : ITa- bord a supporter pa tie mm en t la souffrance, puis a raffronter en depit des repugnances de la nature, puis, enfin, a I'aimer. Soit! e'est la, en eflet, une gradation que nous venons de suivre tout a Theure. Mais il est evident que le saint — en souffrant vo- lontiers — s'exerce encore a autre chose : il s'exercc a vouloir et a agir, et e'est le moment de rappeler que dans la psychologic theorique des saints Tamour et la volonte ne font qu'un.

(i) Sa w, 5j:. Cf. Olier, Lettres, I, 890.

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IS-l PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

Une psychologic superficielle ou qai n'etudie que cles anies fort eloig-nees de celles qai nous occapeat professe que c'est le plaisir qui stimule I'action et que c'est la douleur qui Tarr^te. Oui, la douleur arr^te raction quand elle epuise les forces; elle Tarrete quand les souffrances qu'elle avive sont re- doulecs et qu'on ne peut ou qu'on ne sait les faire servir a ricn; elle Tarrete, enfin, quand reffort se heurterait a un malheur inevitable ou irreparable. Mais les soufTrances des saints ne connaissent au- cun de ces trois cas. Si elles epuisent parfois les forces du corps, elles n^epuisent pas celles de Tame, car elles sont elles-memes le produit de la vigueur d'une ame aimante, c'est-a-dire a vide de devoue- mcnt et de sacrifices. Elles ne decouragent pas raction qui sert a les renouvelei'j puisqu'en le fai- sant elles renouvellent ce que preclsement Tame desire, comme la plus haute perfection qu'elle puisse atteindre sur terre. Enfin, elles ne mettent point Tame en presence de Tirreparable, puisqu'elles hu donnent, au contraire, le moyen le plus efEcace de reparer la nature et de racheminer vers son etat ideal. Get etat sans doute, place a I'autre pole de la vie (de la vie totale), c'est la beatitude supreme dont le pressentiment soutient et console. Ainsi sc me- langent dans Fame du saint un commencement de bonheur qui se manifesto par une joie constante (i) et en meme temps une souffrance qui non-seule-

(i) Cette joie a paru tellement liee a Tetat de saintetrf que Be noil XIV fait de sa presence constante dans la vie du servi- teur de Dieu une des conditions de la beatification.

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LA SENSIBIL1TE, L'AMOUR ET L'ACTION. 185

ment n'est pas redoutee, mais est recherchcc et provoquee. Union de deux etats bien opposes en apparence : union incomprehensible pour ceux qui ne voient I'liumanite que dans la platitude de la vie ennuYee et inutile; union parfaitement intelligible et scientifiquement expliquee pour qui s'inspire d'une psychologic complete, c'est-a-dire embrassant toutes les parties de Tame humaine et les voyant dans leur ordre d'excellence.

+ *

Le point culminant de la vie salnte est done Fac¬ tion. Mais, loin d'etre parvenus ici au terme d'une etude complete, il semble que nous ne fassions que nous tenir sur le seuil; car, si sublimes que soient les paroles ou s'expriment les sentiments des saints, e'est a leurs actes surtout que I'humanite les juge; e'est pour leurs actes que chez les sceptiques eux- m6mes on les celebre et on les admire. Comme il nous faut cependant nous arreter (i), contciUons- nous de nous resumer et de conclude en montrant comment Taptitude a Taction et la puissance d'action sont etroitement liees chez les saints a tous les phe- nomenes psychologiques que nous avons etudies jusqu'ici.

« Celui-la fait beaucoup qui aime beaucoup, »

(i) Les vies qui suivront ce volume n'ont d'ailteurs d'autre but que de montrer la sain tele' meme en action.

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1SG PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

dit YImitation. Oui, I'amour en lui-m^me, ramour pris com me un mouvement de Tame a la fois trop riche et trop pauvre, cherchant a se donner et a se completer, I'amour est actif, et il merite ce qu'en dit le pieux ecrlvain. « II ne sent point sa charge, et les travaux ne le fatiguent point; Timpossible ne lui sert jamais d'excuse, puisqu'il croit que tout lui est permis et possible. » Mais il ne faut pas oublier quc cc le propre de Tamour est de transformer Tame en la chose qu'elle aime ». Voila pourquoi ceux qui s'interessent a une ame tremblent pour elle tant qu'ils n'ont pas vu sur quel objet son amour devait se porter. Or Tame des saints aime Dieu et le Fils de Dieu : c'est pourquoi, loin d'etre detournee de Faction, elle y est entrainee par sa volonte de suivre la croix ou de porter celle qui lui est echue. Elle se dit avec sainte Catherine de Sienne (2) que le prochain lui a ete donne pour montrer Tamour qu'elle porte a Dieu; car, dans 1'impuissance oil elle est de rendre service, comme elle le voudrait, au Blen supreme, elle est heureuse d'y reussir, autant qu'elle le pent, en servant, selon son etat, le pro- chain cher a son Dieu.

Si dans I'accomplissement de cette tache elle goiite ce qu'elle appelle de la tendresse et des douceurs, elle en est reconnaissante a celui qui les lui donne. Mais si ce sentiment lui est refuse, elle se dit que ramour veritable est dans le devouement

(1) OlieFj Lett res, IT, ^23. (a) LettreSj IT, 285.

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' LA SEXS1BIL1TE, UAJIOUR ET L'ACTION. IS?

gratuit, non dans le sentiment du plaisir goute : car selon les expressions toutes sembhibles de saint Jean do la Croix et de sainte Thercse, ramour est avant tout dans la force et dans Teflicace; aimer Dicu e'est le servir dans rhumilitc, dans la force et dans la justice.

L'action est encore imposee aux saints par leur desir de la souffrance et surtout par leur maniere de comprendre la soufTrance. Ce qu'ils aiment, en eflet, ce n'est pas la souffrance passive, ce n'est pas la tristesse : ils n'ont pas assez d'expressions pour la fletrir et pour la proscrire. Avec saint Francois d'Assise, ils y verront le mal « babylonien m. Avec sainte Catherine de Sienne, ils y denonceront relFct de ['action de Satan, dont la volonte expresse est de faire tomber Fame « dans Fennui, le trouble, la tristesse et les scrupules de conscience quand il n'a pas reussi a developper la sensualite qui ct ote la constance et rend le coeur etroit, faible et pusil- lanime ». Avec M. Olier, ils y trouveront un etat d'ame inevitablement porte a reclamer bientot les consolations de sentiments qui, quoique pretendant s'adresser a Dieu, n'en sont pas moins des amuse¬ ments nes de la chair et du mensonge. Plus familie- rement ils diront avec sainte Therese : « Je ne crains rien tant que devoir nos filles perdre cettejoie de Tame : je sais ce que e'est qu'une rel igieuse mecon- tente! »

Les souffrances qu'aiment les saints, — on Fa vu plus haul — ce sont les souffrances actives, ce sont ^le mot revicnt a chaque instant dans leur bouche),

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1S8 PSYCIIOLOGIE DE3 SAINTS.

cc sont les soufTrnnces de renfantement : oui, en- fnntement d'une ame qul nait ou renait a la vie spi- rituelle, enfantement d'une patrie, enfantement d une cilc nouvelle, enfantement d'une institution que la haine veut emp^cher de naitre, enfantement d un ordre laborieux, instruit, charitable, enfante¬ ment d'une eglise.. Ce sera parler encore le lan- gnge de tous les vrais mystiques que de dire qu'un tel enfantement est le produit et le signe de Ta¬ rn our.

L'action des saints est alimentee par la contempla¬ tion. Ce n'est pas ici un paradoxe. M. Renan a oppose les saints aux hommes d'action, sous pretexte que les premiers sont des idealistes, des hommes de contemplation et d'oraison. Son erreur est celle de beaucoup d'autrcs (i) : elle n'en est pas moins grave et ctonnante.

D'abord, nous Tavons vu, il est une faculte qui reste non-seulcment intacte, mais forte dans Tim- inobiiite de la contemplation la plus elevee, e'est la volontc intellectuelle. Les sens, la memoire, Tima- ginalion, le raisonnement, la volonte affective peu- vent ctre paralyses nu moins pour un temps : cette action simple de la volonte qui est le don libre de soi-meme ne Test jamais dnns « I'oraison)). Telleest la tradition des vrais mystiques. Puis il fauttoujours voir les faits psychologiques dans leur developpe-

(i) Elle nYUiit point pnrtagce par Henri Martin qui di- sait fort bien de Jeanne d'Arc : « La serieuse enfant offrait deja ce me'Ian^e de meditation solitaire et de puissante acli- vite qui caracte'rise les etres prom is a de grandes missions. »

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u niimimf, L'AaiouR et ukmm* m

ment et Amn leur smile. La coniemplatwm ml done etrmtgmtnt liin k Famotir et a ramotir aclif: rite ml Teffet d#ra am0iir diji exerce et deji intense; dlt est Fiflspiratrice et k dlrectrice d'un amour encom plus ardent. C'est du sein m^me de sa me si active, que saint Gr^goire le Grand (i) disait : « Qaand on veut alteindre la cltadelle de la contemplation, il faut commencer par s'exercer dans le champ du travail. Quiconque veut se consacrer a la contem¬ plation doit nieessairement s'interroger k fond pour savoir jusqm'a quel point il pent aimer j car cfest Fa- mour qui est to h\*mr de Fame. Lui ieul peut la soulerer etf Farrachant du moncle^ lui donner tout son eiior, » Ici le travail precede la contemplation | mais Mentfit la contemplation a son tour deman- dera le travail et le rendra plus efficace. Comment, en effet, s'dtre associe a la passion du Sauveur, com¬ ment avoir ecarte de soi tout ce qui emp&chait de voir et d*adorer ses soulTrances, sans se sentir ap- pele a les partager, dans le m6me esprit et pour la m6me fin, pour le rachat de i'liumaniti?

La contempladon sert encore a Faction^ parce que, selon Fexpirience des saints^ elle pent seule former comme mm rlservoir d'idee, d'amour et dsi« nergie qui sera fore# de donner de son trop-plein « Le canal, selon saint Bernard, r^pand tout ce qu'il regoit aussitdt qu'il Fa recu; le rdservoir at¬ tend qu'il soit rempli... » —« Helas! ajoulait-il, nous avons aujourd'hui dans FEglise fort peu de

(i) MomUni 37,

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iuo PSYCIIOLOGIE DES SAIXTS.

reservoirs ox beaueonp de canaux, tics ames avicles de commander avant de savoir se gouverner el!cs- mcmes. )>

Enfin, la puissance d'actlon que nous admirons cliez les saints ticnt a i'etat de leur intelligence, a O 7

la solidite et a la neltete de leur foi. J'ai dit que, certains du but ou ils tendent, ils sont circonspects ct prudents pour les moyens qu'ils emploient. C'est la une nouvellc difference qu'il v a entre eux el les scepliqucs : ceux-ci prennent les premiers moyens venus, mais ils se decouragent vite, parce qu'ils en arrivent vite a se demander: A quoi bon? Le saint, precisement parce qu'il a hesite, reflechi, doute meme avantd'agir, ne doute plus ni n'hesite plus une fois que ['action est engagec. « Quandonngit pure- mcnt pour Dieu, dit sainte Therese, il permet que Tame eprouve jenesaisquel effroi an moment ou elle aborde raclion. » Mais sainte Therese eut volontiers pris h son comptc cette autre maxime de sa sccur ita- liennCj que le serviteur de Dieu « ne tourne pas la t<He en arriere pour regarder la char rue ». Elle de- vait encore sininiUerement pouter ce conseil de saint O D [gnace : « Ne jamais changer, au temps de la deso¬ lation, les resolutions qu'on a prises avant d'y tom- ber : essaver de ne changer que ses dispositions in t eric tires, c'est-a-dire sa desolation m^me. »

Avant de terminer arr6tons-nous a cette maxime, une des plus merveilleuses que jamais conducteur d'ames ait formulees.

Qu'est-ce d'abord que chacun de ces deux etats? II ne faut pas songer a en donner une autre defini-

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LA IKSLSILOT* UUlOm ET FACTION. 191

lion qm cell® de I'aatcur des Exercices. 1m tra dition ne date pas de lui *, mais il Ta fixee an traits immor¬ tals :« I'appdle, dit-il» mns&lmiio/i toute augmenta¬ tion de foi, d'esperance etdc charitd et toute joteimc- rieure qui appelle it attire Fame aux. choses celesles etausoin deson salut, la tranquillisantet la pacifiant imsnon createur et seigneur. —J'appelle desatmiiou le contraire.les ten fibres et le trouble de rime, rinclination aux chosei basses et terrestres, lei di- Terses agitations et tentations qui la portent a la de¬ fiance et la kissent sans espimnce et sans amour, triste, tiede, paresseuse et com me separde de son criateur et seigneur. »

Ainsi, les saints estiment que le « bon esprit 0*est eelui qui fait predominer la joie^ an sein mime des souffrances accept^es ou cherch^es, et que le maum$ esprit, e'est eelui qui fait predominer le doute et la tinstesse au milieu des platsirs sensibles. Nous voila loin du a support® et abstiens-loi m da stoicisme! Le saint dit a son disciple ce qu'il s'est iit a lui-m^me: « &-tm inns eonfian ce et mm ekn; d^fie-toi, c*est le mauvais esprit qui le captive! As- tm leemmr en haul et te lens-tm joyeus et fort; m de Pavant, car e'est Dieu qui est avec toil « Est-il un pirns infaillible moyen d'entrainer Fame a Taetion? Car debuter par une action r^solue et s'y affermir par 1# lentimentde la jote virile qti'oa y iprouve est certes plus s&r que de debater par une jouissance tpeleonquepour riiquer i'y afFadir son coeur et d'y amollir son ^nergie.

Yenons main tenant a cette conclusion pratique z

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192 PSYCIIOLOGIE DES SAINTS.

profiler de la desolation comme d'un chatiment, d'une epreuvc et d'une lecon, reagir contre elle par la reflexion et la penitence, mais reagir surtout par la eonstance des resolutions qiTon avait prises, enfin ne jamais renoncer a ces dernieres quand elles avaient ete formees dans un temps de consolation. Ne voulat-on se placer qu'au point de vue touthu- main du succes, refficacite d'une telle regie appa- raitrait deja comme victorieuse de tons les regrets inutiles et de toutes les defaillances momentanees rin vain objecterait-on qu'il serait perilleux de con- fondre la consolation et Tillusion etque la desolation est peut-<Hre pour quelques-uns la vue plus claire des difficultes et des obstacles. Cette double confusion, les saints ne la font pas. On a vu combien ils tiennent a pratiquer le doute prealable quand ce doute a des raisons; car selon TEcriture sainte il y a temps pour tout : il y a un temps pour Thesitation et il y en a un pour la resolution. LTexecution trouve-t-elle des difficultes; il faut s'examiner avec plus de soin et prier avec plus d'ardeur. Pourquoi? Pour remettre tout en question? non pas! Mais pour retrouver, avec des lumieres nouvelles, un surcroit de force et de joie quipermette de mener a bien Toeuvre entre- prise.

Grace a une telle habitude, rien ne se perd des moindres forces constituees dans les elans de la foi, de Tesperance et de la charite : rien ne s'en laisse entamer par la tristesse ou par le doute. L'action, confiante etsure, dans laquelle elles se depensent, sert elle-ni6me a les reconstituer.

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LA SEXSIBIL1TE, L'AMOUR ET L'ACTIOX. 193

Cest ainsi que l^ptimisme des sainls, qui cst le seal oplimisme raisonnable, cst en meme temps la plus grande force du monde.

A quoi s'emploie-t-elle? Toutes les ccuvrcs de charite qui couvrent le globe le disent assez. Elles le diraient plus haul encore si cet amour que Thomme de Dieu porte au monde, le monde ne le repoussait pas. Saint Bernard depeint ainsi la vie active. « La vie active, e'est dormer du pain a celui qui en manque, e'est enseigner au procbain la pa¬ role de la sagesse, e'est ramener dans la droite voie celui qui s'egare, e'est rappeler les orgueil- leux a I'humanite, les ennemis a la concorde, e'est visitcr les infirmes, ensevelir les morts, e'est ra- cheter les captifs et les prisonniers, e'est veiller enfin a ce que chacun ait ce qui lui est neces- saire. » (Traite de la maniere de bien vivrc).

Quel champ un pareil programme n'ouvre-t-il pas aux saints de tous les temps et — osons le dire — aux saints que Dieu peut nous reserver pour Tavenir! Donner du pain a celui qui en manque, ce n'est pas seulement faire une charite banale, e'est organiser toutes les ceuvres, e'est creer tous les modes d'asso- ciation et de prevoyance qui doivent assurer a tous le pain quotidien ! Yisiter les infirmes, e'est offrir aux progres de la science le concours charitable sans lequel les prodiges m6mes de la medecine et de la chirurgie echoueraient souvent devant Tincurie ou devant la misere. Retablir la paix, e'est intervenir par les moyens qui permettaient jadis, qui permet- traient encore aujourd'hui, si on le voulait, aux

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191 PSYCHOLOGIE DES SAINTS.

p.nsicurs cles ames, de sauver le principe de la fa- millc, d'inspirer la concorde aux Etats chretiens, de desarmer les impitoyables concurrences, de faire pratiquer partout eg-alement et de bonne foi, les rondilions d'un travail sage, humain et modere. Les captifs ou plulot les prisonniers a consoler augmen- tenl helas! dans les prisons avec lenombre des cri- mincls qui travaillent a la desorganisation univer- scllc. Un saint, fondateur d'un ordre accepte par la sucietc civile, pourrait seal, de nos jours, assurer la rehabilitation des coupables et leur preparerune reniree utile dans cette societe qui essaie en vain de so debarrasser de leur contact.

La vie active du serviteur de Dleu, la voila. Pour la soutenir et la developpcr, ce n'est pas trop de toutc la lumicre, de toute la purete, de toute la rellcxion, de tout ramour, de tout I'esprit de sacri¬ fice ct en meme temps de toute la joie que nous a paru renfermer Tame des saints.

Deux ordres d'evolution s'accoinplissent sur terre. Ignace de Loyola en dccrivait line avec brie- veto quandil enumerait ces trois tennes : la chair-, le inondc et Satan, —■ la chair, avec ses convoitises et ses retours vers ranimalite — le monde, avec ses jalousies, ses luttes, ses coleres — Satan, ou la sui^estion exterieure de tous les vices dont chacun OO veut se faire des complices ets'assurer indefiniment des proselytes. Pour avoir le secret complet et em- brasser le clair resume de la vie sninte, prenons les trois termes opposes : Tesprit, I'Eglise, le Christ, — Tesprit, maitre et pacificateur de la chair remise

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LA SENSIBILITY L'AMOUE ET L'ACTION. 195

a sa place — FEglise, assemblee da tous les hommes de bonfie ToIoQt<§ — le Christ, enfin, modfelc 6ternel en qui nous retrouvons toute notre huma- mtei mais reparee et U-ansfigaree-

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LISTE DES SAINTS

B1ENHEUREUX OU VENERABLES

CITES DANS CE VOLUME

Sainte Afra, 50. Saint Ambroise, 33. Bienheureuse Angele de Foligno, 166. Saint Antoine, 52. Saint Athanase, 88. Saint Augustin (d'Hippone), 32, 53, 66, 88, 128, 139. Saint Augustin d'Angleterre, 86. Saint Benoit, 35. Saint Benoit Labre, 67. Saint Bernard, 51, 89, 144, 167, 169, 174, 178, 189, 193. Saint Bernardin de Sienne, 59. Saint Bertin, 52. Saint Bonaventure, 53. Sainte Brigitte, 83, 174. Saint Bruno, 35. Sainte Catherine de G6nes, 53, 57, 124, 134, 166. Sainte Catherine de Sienne, 57, 58, 73, 77, 83, 105, 106, 128,

143, 144, 152, 171, 174, 176, 181, 186, 187. Sainte Chantal, 53, 55,83, 92,101, 130, 153,166,169,171,174, 180. Sainte Claire, 179, ISO. Saint Clement d'Alexandrie, 156. Saint Colomban, 35. Saint Dominique, 35, 53, 55, 148. Sainte Elisabeth de Hongrie, 174, 175. Saint Francois d'Assise, 17, 53,55, 62,99, 119, 135, 142, 178, 179,

187. Saint Francois de Paule, 53.

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LUTE DEi SAINTS,

Saint Francois Xavier, ISO. MntFnii^ois de Mm9 41,51, IB, 110, lii, 106,109,180. Saiute Gerti-ade, 53,13G. Saint Grcgoire de Kazknze, S8. Saint Gregoire de Kyssc, S8» Saint. Or(>go\re le Grand, 32, 86, 189. Saint Grugoiro f II, 3i, 180, Sainlo Uedivige, 33. Saint Ignace d© Lojola, 53, ^ m, 12is 136, 191, 191. Saint Jean l,£mn§^listel52l 144. Saint Jean de la Croix, 55, 56, 81, 82, 128, 132, 133, 137, 138,

155, 171,180. Saint Jean, CUmaque, 53. Venerable Jeanne d'Are, 41. 188. Saint Jirdme, m, it, m ID. Saint Loui% roi de France, 32, 174. Saint Louis de Gonzague, 50. Saint® Madeleine, 50. Sainte Madeleine de Pazzi, 106. Bionheureuse Marie d'A^rcda, 133. Sainte Marie I'figyptienne, 50* Sainte Marguerite de Gortone, 50. Blanlieoreoie .Marguerite-Marie, 11% 118. Saint tourg 35, 52, Saint Morbert, S6. Vi«aemtJle Mr Olier, S3, §7,1% 130,147, Hi, 180, 183,187. Saint Paul, apdtre, 20, 33, 48,85, 139, 145, 173. Saint Paul, ermite, 52, Saint Pauldc la Cmix, 53. Sainte Pauls,-1§0. Saint Mlippe de Xlri, 53, ^ 6^ 66,148/107. Saint Pierre, 139, 144, 147. Saint Pierre d'Aleanlara, 53, Bienheureus Raymond de Capoue, 77, Saint Komuald, 52. Sainte ThMze, m, 40, li, mt 57, 5% il, 88, M* 7* 7^ 79, 81,

90, OS, 96,99,101,102,103,106, IDS, 110,115, 117,119,121,122, 128,132,134,137,149,152,157,189, 176,179,180,183,117,190.

Saint Thomas d'Aquin, 32, 35, 53, 130, 14ft 159. Saint Yincent Ferrier, 53, 72t 73,151. Saint Vincent de Paul, 51, 5% ISi, 141.

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TABLE DES MATIERES

CHAPITRE I

l'idee de l\ saintete dans les differentes RELIGIONS.

] Preamdcle. — L'idde de la sainletc : son liistoire. — Le saint chez

les Chinois. — Chez les Bouddhistes. — Chez les MahomtHans. — Dans I'Ancien Testament. — Dans le iNouveau. — Dans les principales rractions de I'Eglise chrclienne. — Le saint dans le Catholtcisme. — Le grand hommc et le saint. — Rapports et diET^rences. — II y a chez le saint plus d'unit6, plus de liberte, un progres plus indefini. — Les saints et leur milieu. — Le saint et le mystique. — Tous les mystiques ne sont pas saints. Tousles saints sont-ils mystiques? — Les fausses d^Onitionsdu myslicisme. —La vraie delinition : Le mysiicisme c'est I'amour de Dieu. — Le saintest un liommc qui sort Dieu h^ro'iquement et par amour

CHAPITRE II

LA NATUr.F. CHEZ LE SAINT.

La saintete et les dons naturels. — Les saints ne sont nalurelle- ment nides simples, ni des d^biles. — Les diversit^s dans les caract^res des saints. — Jusqu'ou elles vont. — Elles apparais- sent dans les grandes choses et dans les petites : sens de ce dernier mot, appliqud au\ saints. — Le saint humoristique. — Les gouts et les habitudes corporelles

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200 TABLE DES MATIERES.

CHAPITRE III

LES FA1TS EXTRAORDINAIRES DE LA VIE SAISTE.

I.cs i'taLs exlraordinaires et les 6lats maladifs cliez les saints. — La sainteto est-clle une ndvrose? Rapprochements avec cer¬ tains fails rcccmment 6tudi6s d'audition mentale, de vue a distance ou de clairvoyance. — Ce que ces ph^nomcnes sont chez les saints. — Les rdvdlations, les visions, les proph£ties: ce ne sont pas dies qui font la saintet6, e'est la sainted du pcrsonnage qui seule fait leur prix et leur valeur. — T^moi- gna^es de saint Jean de la Croix, de sainte Tlitfrese, de sainte Chantal. — Doctrine de Benoit XIY. — Elle s'applique aux mira¬ cles mcmes. — Les trois sortes d'extase. — Comment I'expe- rience des saints les distingue. — La prctendue hysl^rie des saints. — Le Pcre Hahn et M. Pierre Janet. — Les phdno- mtnes accidentels vaincus ou transformcs. — II n'y a chez les saints ni d^sagrtfgation, ni rclreeissement, ni d^double- ment, mais une Evolution dansun sens absolument oppose

CHAPITRE IV

LES SENS ET l/lMAGINATION. L'ENTENDEMENT ET LA CONTEMPLATION.

La psychologic thdorique des saints : le secours qu'ils deman- dent aux sens, la primautd qu'ils donnent a la volontd mise sous la ddpendance dc I'aniour. — Le saint malerialise-l-il ses conceptions ou est-ce la spirituality qui domine cn lui"? — La distinction qu'il fait cntre I'esscnce (Hernelle de Dien et Dieu incarnd dans rhumaniU* du Sauveur. — Erreur des quitHistcs. — Comment rimagination redevient libre, une fois cpurtje. — Th<5orie de saint Jean de la Croix. — Ce que le saint demande a Tintelligence proprement dite, e'est surtout de se tournera aimer. — La rcllexion ct le doute : le sceptique et riiomme de foi, rhtfnHique et le saint. — Ce que rinlelligence du saint demande et doit a la priere. — L'dtude de soi-mcme chez le

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TABLE DES MATIERES. 201

saint. — Experience de saiute Chantal.— Principesde Bossuct. — La conscience de la sainted. — La contemplation ou I'orai- son dite passive, effet et cause d'un travail opiniulre et efli- cace. — Reflexion et piet6 accumultSes 127

CHAPITRE V

LA SENSIBILITE, L'AMOUR ET L'ACTION.

La sensibilite des Saints. — Part qu'y a Torganisme, et motliflca- lions que ce dernier subit en eux. — ROle preponderant du cceur. — Exemples memorables- — Aptitude du saint a la souf- france et a rdmotion. Par quoi est-il 6inu? — De la sensibilite commune, il ne sacrifle que Tamour-propre. — Affections hu- maines et naiurelles, affections surnaturelles et celestes. — AmiUe et« plaisirs lexers >. L'amour de Dieu chez les saints. — Ses rapports avec la souffrance, accepttSe, demandee, cherchee. — Scs rapports avec Taction. — Comment I'aptitude des Saints a I'action est entrelenue par leur amour raeme de la souf¬ france, par la fagon dont ils pratiquent la contemplation, par la nettete de leur foi. — La joie dans la douleur : I'enfan- temeat moral. — Le grand precepte de saint Ignace sur les reso¬ lutions prises au temps de la consolation. — La vie active des saints et son programme. — Conclusion 159

TTPOGIUPniE FIRMIN-DIDOT ET C10, — MESN1L (EURE).

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j^aul, ses Missions. Quatrieme edition. I vol. in-8 orne de cartes et plans ~ fr. "

— Le mrine ouvrage. Sixieme cdHion. 1 vul. in-1^ i tL

Saint Paul, ses derniferes annees. I vol. in-S", orno d cartes et plans >.* T fr. £

—■■■J.e*niAm-p"oiH*ragi\ Quatrieme Edition. I \'ol. .... 4 1'

Histoire de saint Franfois d'Assise, par I'abbH L Monnirh, curi!' de Saint-Ferdinand des Ternes. QuahHem ed Hi on. ^ vol. in-8° 1)

Vie de sainte Ter6se, ecrite par elle-meme, traduite pa le Fi. P. Borix. QuatOi^ieme edition, t vol. in-1^..... A fr.

Une Fille de France : la Bienheureuse Jehanhe (146^ 1505), par la comtesse be Fi.avigny. Quatrieme edition ■ 1 vol in-12, orne d'une gravure 3 fr. 5

Le Livre de I'Apfttre, fragments recneillis par Marie-Th^ hkse de la Girexnerie, avec leltres de LL. Em. les Cardinau: Rampolla .el Ferrata, el de LL. (.ifi. NN. SS. Dusserre Fui.rert I^etit et De-nechai", el lettre-preface de S, <.t. Mg Ponnefov. T?,oisieme edition. 1 vol. in-12 :i 'l'

Le Bienheureux Colombini, histoire d'un Toscan ;ut ([ua torzieme siecle. par la Comtesse de Rambuteau. Quatrienh edition. 1 vol. in-12, ornr d'une belle gravure snr aeier. ^ IV

Saint Philippe de N6ri, avee une lettre-preface de Mgr J. m i. \ Passabdierk, de TOratoire deSahU-PliiUppe de Neri, de Rosea, par la comtesse d'Fstienne dsOrves. 1 yol. in-12 nrm^d'ime gravure. ■ • a iVi

:^Paris..— rmp. Devi LOIS, avenue dn Maine, 14-4

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201.5 Q200 c.1 Psychologie des saints

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