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UNIVERSITE SAINT-JOSEPH
FACULTE DES SCIENCES DE L'EDUCATION
Mémoire de recherche en Sciences de l'éducation
Présenté par RICHA EL-KHOURY Liliane
L'IMAGE DE L'ARABE LANGUE MATERNELLE
CHEZ LES ADOLESCENTS EN CLASSE DE EB9 AU SEIN DES ECOLES
HOMOLOGUEES AU LIBAN
A Monsieur TOHME Antoine, directeur du mémoire
Et à Madame Abourjeilé Suzanne, second lecteur
Beyrouth
2007
Remerciements
Mes remerciements vont particulièrement à mes
professeurs pour leur accompagnement et leur
encouragement, ainsi qu'à tous ceux qui m'ont soutenue
tout au long de mon parcours.
1
L'IMAGE DE LA LANGUE MATERNELLE
CHEZ L'ADOLESCENT DE EB9 AU SEIN DES
ECOLES HOMOLOGUEES AU LIBAN
Page
Introduction …………………………………………………………………………… 5
Première partie : A l'entrecroisement des différents cadres théoriques……… 17
Chapitre I : L'identité linguistique aux confins du collectif et du subjectif
1- L'identité linguistique, un thème sociolinguistique …………… 19
2- Identité personnelle et identité collective ……………………… 21
3- Le sujet apprenant modèle identificatoire ……………………… 24
Chapitre II : Les liens entre les politiques éducatives et les politiques
Linguistiques
1- Finalités nationales des politiques éducatives …………………. 28
1-1- Les objectifs des politiques éducatives…………………. 28
1-2- Les stratégies de mise en œuvre ………………………… 32
1-3- Les méthodes et les contenus …………………………… 34
2- Les politiques linguistiques au service des politiques
linguistiques nationales ………………….…………………….. 35
2-1 Politiques linguistiques entre l'explicite et l'implicite…… 36
2-2 La politique linguistique au Liban ……………………… 38
3- Politiques linguistiques au service des objectifs culturels
des politiques éducatives ………………….…………………… 38
Chapitre III : Retour à la sociolinguistique
1- Les politiques linguistiques du point de vue sociolinguistique … 41
1-1 Les différentes définitions des politiques linguistiques en
sociolinguistique………………….……………………… 41
1-2 Définitions de la planification linguistique ……………… 42
2
2- Les domaines d'action des politiques linguistiques et leurs
applications au niveau de la planification ……………………… 44
3- Les domaines d'action et leurss applications au niveau de la
planification au Liban ………………….………………………. 45
Chapitre IV : Rapport identité/Langue en sociolinguistique
1- Identité culturelle et culture ………………….…………………. 48
2- Politique linguistique et identité culturelle …………………….. 50
3- Identité culturelle et identité linguistique ……………………… 52
4- Identité linguistique et communauté linguistique ……………… 54
Chapitre V : Bilinguisme, diglossie et politique linguistique
1- Identité linguistique et multi/bilinguisme ………………………. 59
2- Bilinguisme ou diglossie ………………….…………………… 62
3- Diglossie et langue arabe, conflit ou cohabitation ? …………… 64
4- Un multilinguisme éducatif pour une compréhension
internationale ………………….………………….…………… 65
Conclusion : Les politiques linguistiques éducatives plurilingues au service du
développement culturel international ………………………………. 66
Deuxième partie : Du théorique au pratique
Chapitre I : Les techniques de l'enquête sur le terrain
1- Techniques d'échantillonnage ………………….………………. 71
1-1 Etude de la population………………….……………….. 71
1-2 Etude de l'échantillon………………….………………… 72
2- L'enquête sur le terrain
2-1 L'enquête par entretien………………….……………… 73
2-1-1 Protocole d'entretien………………….………….. 74
2-1-2 Le guide d'entretien ………………….…………… 75
3
2-2 L'enquête par questionnaire ……………………………. 75
2-2-1- Protocole de passation du questionnaire………… 76
3- Déroulement de l'enquête ………………….…………………… 77
3-1 L'entrée sur le terrain………………….………………… 77
3-2 Les difficultés …………………………………………… 78
4- Techniques d'analyse ………………….……………………….. 79
Chapitre II : Les représentations identitaires des enquêtés
1- Les caractéristiques identitaires des enquêtés ………………….. 81
2- La valeur identitaire de l'arabe langue maternelle chez les
enquêtés ………………….………………….…………………. 83
3- Habitudes et représentations de l'arabe langue maternelle ……… 86
3-1 Choix et habitudes linguistiques ………………………… 87
3-2 Représentations et sentiments envers l'arabe langue
maternelle………………….………………….………… 91
Chapitre III : Les politiques linguistiques éducatives des écoles vues par
ses auteurs
1- Objectifs des politiques linguistiques éducatives vues par les
enseignants ………………….………………….……………… 95
2- Domaines d'application ………………….……………………… 98
2-1 les paramètres de la tâche éducative…..…………..……. 98
2-1-1 La répartition linguistique des périodes………….. 99
2-1-2 Les langues de communication…………………… 100
2-1-3 les cœfficients de notation ……………………….. 101
2-1-4 Le choix des manuels …………………………….. 103
2-2- Les pratiques de classe…………………………………… 106
2-2-1 Les méthodes d'enseignement ……………………. 107
2-2-2 Le système d'évaluation ………………………….. 109
4
Chapitre IV : La valeur de l'arabe langue maternelle dans les
représentations des apprenants
1- Influence des représentations de l'enseignant sur celles des
apprenants …………………………………………………….. 112
2- Les représentations des apprenants en fonction de l'image
des enseignants et de la discipline dont ils sont responsables…. 114
Chapitre V : Discussion et validation des hypothèses
1- l'influence des paramètres de la tâche éducative sur les
représentations des apprenants ………………………………… 121
2- L'influence des pratiques sur les représentations des apprenants 123
3- L'influence des représentations des enseignants sur les
représentations des apprenants ………………………………… 125
Conclusion Générale : Un plurilinguisme éducatif au service de l'édification
d'une identité nationale fédératrice ……………………… 126
Bibliographie ………………………………………………………………………… 131
Annexes ……………………………………………………………………………… 138
5
L'IMAGE DE LA LANGUE MATERNELLE
CHEZ L'ADOLESCENT DE EB9 AU SEIN DES ECOLES HOMOLOGUEES
AU LIBAN
Introduction
"Ce qui fait le charme des langues, c'est leur aspect humain. Des
générations y ont laissé la trace de leur vie […] Les langues sont des
trésors millénaires où sont déposés nos souvenirs familiaux" (Dezso
Kosztolanyi 1996, p. 143- 144)
Environ 6 000 langues sont aujourd’hui utilisées dans le monde ;
Cependant, seulement, 4 % de la population totale parle 95 % de ces
langues, dont deux environ meurent chaque mois. La diversité culturelle
est menacée. Alarmée par ces chiffres, l’UNESCO se mobilise et adopte
la déclaration universelle de la diversité culturelle: l'organisation
proclame le 21 février Journée internationale de la langue maternelle.
Partout dans le monde, des peuples réclament le respect et la
conservation de leur langue maternelle pour défendre leur identité
« menacée ».
Que pourrions-nous dire de notre langue maternelle ?
Fournissons-nous assez d'efforts pour la sauvegarder ?
6
Quand nous cherchons la meilleure école pour nos enfants,
pourquoi choisissons-nous celle qui a un bon niveau en langues
étrangères ?
Enseignants, parents, adolescents, enfants à l’âge préscolaire, sont
même parfois fiers de ne pas parler leur langue maternelle, notre langue
maternelle, «l’arabe».
Prospectus, publicités, affiches, panneaux, notre langue maternelle
y est rarement présente; même les factures et les reçus de nos achats
quotidiens les plus banals sont rédigés en langues étrangères.
Quelles composantes identitaires s’enfouissent-elles dans la
conscience collective du Libanais ?
Quelle valeur attribue t-il à la langue maternelle ?
Quelle identité dans ce chaos ?
Valorisée ou marginalisée, l’image de notre langue maternelle dans la
conscience collective de l’adolescence libanaise reste la co- responsabilité
de l’Etat, des médias, de la société, de l’école et de la famille.
Au sein d’une période fondatrice que nous vivons au Liban après
de longues années d’occupations étrangères, nous ressentons de
douloureuses tensions et nous sommes conscients des divisions qui
menacent l’identité nationale. Au moment où il nous semble que les
fondements mêmes de notre identité sont remis en question, le secteur
éducatif est supposé jouer un rôle principal pour dépasser le seuil du
danger. Cet engagement passe entre autres par le rôle fédérateur de la
langue maternelle, composante de l’identité nationale, instrument de
communication et de dialogue, et outil d’une culture ouverte à la
diversité.
Ce n’est pas en vain que la politique éducative nationale, lors de la
réforme des programmes (1997), a mis au point de nouvelles directives
7
pour l’éducation à la citoyenneté. La traduction de ces directives s’est
réalisée par le manuel unique d’éducation civique en langue arabe,
obligatoire pour tous les Libanais, dans toutes les écoles publiques et
privées.
Cependant, les établissements scolaires privés payants au Liban
comptent 36.7% de la totalité des établissements scolaires au Liban. Ils
sont fréquentés par 51.7% des élèves (CRDP-2005/2006).
Dans quelle mesure les écoles susmentionnées remplissent-t-elles la
mission qui leur est confiée : former des apprenants citoyens rattachés
aux composantes de leur identité, et plus précisément à la langue
maternelle ?
Quel devrait être alors le rôle de l’enseignement privé dans la
valorisation de l'arabe langue maternelle, en tant que composante de
l’identité de l’adolescent libanais?
1- Les objectifs de la recherche
La présente étude répond à une préoccupation personnelle fondée sur
des observations et des discussions dans un entourage social riche en sa
diversité. Elle soulève également une problématique pressentie au niveau
éducatif et national qu’elle tend à éclairer : la valeur de la langue
maternelle, dans les représentations de l’adolescent libanais, à la
lumière du statut et de la fonction que lui "accorde" l’enseignement au
Liban.
En d’autres termes, entre l’explicite de la politique éducative
nationale et l’implicite de l’influence de l’environnement scolaire, une
image se forge dans l’inconscient de l’adolescent libanais. Le présent
8
mémoire s’efforcera de dévoiler cette image et de vérifier l’influence du
milieu scolaire sur l'édification de cet adolescent.
Enfin, un lien fin et presque impalpable s'établit entre les adolescents
et leur environnement scolaire, au fil de leur parcours. La recherche vise à
étudier les représentations diffusées par l’entourage scolaire qui
influencent inconsciemment les représentations des adolescents face à
l’arabe langue maternelle.
La problématique repose sur l’influence implicite des politiques
éducatives des écoles privées et sur la construction d’une image positive
de la langue. Elle s’articule autour des facteurs qui insinuent des
stéréotypes, des préjugés sur la valeur d’une langue ce qui inspire des
prises de position de la part de l’adolescent face à l’une ou l’autre des
langues parlées et enseignées au sein de l’école homologuée.
Au Liban 3.41% des établissements scolaires privés payants sont des
écoles homologuées2. Elles sont fréquentées par 10.10% des élèves des
écoles privées payantes et sont considérées des écoles élitistes,
"réservoir" des grandes personnalités nationales et des décideurs dans
tous les domaines. (Edition NDJ, 2000 et an-Nahar, 2005)
La problématique de l'étude émerge de cette situation perplexe. Au
sein des politiques éducatives nationales et au sein du secteur privé,
quelles valeurs et quelle culture prédominent dans la formation de
l’apprenant citoyen ? Dans l’aménagement de ces politiques, quelle place
est réservée à la valorisation de la culture libanaise exprimée par l'arabe
langue maternelle ?
Calculé à partir des statistiques du CRDP 2005/2006 – Détails dans la deuxième partie de
l'étude. 2 Les écoles homologuées sont les établissements scolaires soumis à une quadruple tutelle: le
Ministère libanais de l’Education nationale, l'Etat français, l'AEFE (Agence pour
l’enseignement français à l’étranger) et la Mission laïque française et par suite leur politique
éducative doit obéir aux principes de l’homologation qui font référence aux textes officiels français (annexe I).
9
Par suite, l’image de l’arabe langue maternelle y est-elle suffisamment
valorisée pour motiver les adolescents à la parler, l’apprendre et être fiers
de s’y identifier ?
En d’autres termes, les politiques éducatives des écoles
homologuées au Liban favoriseraient–elles l’identification de
l’adolescent à l'arabe langue maternelle ?
L'adolescence étant une tranche d'âge qui succède à l'enfance et
précède l'âge adulte. Cette période s'étale sur plusieurs années de vie
environ de douze à vingt ans, (Le nouveau Petit Robert, 2007, p.36).
Dans les limites du présent mémoire, l'adolescent de la classe de EB9
(13/14 ans), fait ses premiers pas vers la cristallisation de son identité. Il
vit la première expérience de certification sociale, le brevet. Cette période
constitue celle où l'adolescent commence à se sentir en voie de devenir
adulte. Ses propos récoltés lors d'une enquête sur le terrain peuvent
rapporter des données d'une certaine franchise sur leurs représentations
envers l'arabe langue maternelle, vu la spontanéité qui distingue les
adolescents à cet âge.
Emettre des hypothèses en réponse à cette problématique suppose
avant tout la définition des trois concepts de bases à savoir, la langue
maternelle, l'identification, la politique éducative.
2- Définitions des concepts
William Mackey (1997, p.184) et Louise Dabène
(1994, p. 10)
s’accordent qu’une définition du concept "langue maternelle" prête à la
confusion et à l’ambiguïté. Ils proposent différents critères qui permettent
d’attribuer à une langue le qualificatif de "maternelle" dont, la "langue la
mieux connue", la "langue de la mère", la "première acquise", "langue du
10
foyer", la "langue acquise naturellement", le "parler usuel" et la "langue
ethnique".
Or, au Liban, pour 93,7 % de la population, la langue maternelle est
l'arabe levantin du Nord, appelé aussi arabe libanais ou arabe syro-
libanais (Liban, Jumhuriyah al Lubnaniya, 2007) ou parler arabe
libanais (Srage, 2003) qui obéit à plusieurs des critères sus mentionnés.
C’est dans ce contexte que la langue maternelle sera abordée dans cette
étude, sans oublier de noter que "l’arabe classique (du Coran) n’est parlée
comme langue première nulle part, par aucun membre de la communauté
arabophone de Beyrouth" (Ibid, p. 77) et/ou du Liban.
En psychologie sociale l’identification intervient dans les
phénomènes de construction de la personnalité. L’identification à autrui
consiste à vouloir adopter les caractéristiques du groupe auquel on veut
adhérer. Elle relie une personne et un modèle identificatoire (Dortier
Jean-François,p 320).
Elle est motivée par le désir d’un individu de ressembler à une
personne qu’il estime. On se conformera alors à ses valeurs, à ses
opinions… (Vallerand, 1994, p. 163)
C’est aussi l'action de s’identifier à un autre, c'est à dire d’adopter
son comportement, ses sentiments, l’ensemble de sa personnalité. Elle
n’implique ni sympathie ni désir. La rencontre avec l’autre peut être un
effet inconscient.
Un motif affectif peut aussi provoquer l’identification
(Dictionnaire de la langue pédagogique, p 250).
« Il y a politique éducative à partir du moment où une
organisation collective entre en jeu : Un établissement scolaire peut avoir
une politique. » (Legrand, 1988 p.5) L’essentiel d’une politique éducative
11
réside dans le projet (conceptions morales et philosophiques, une
conception de l’homme et de la vie en société), la détermination de ses
moyens (structures, contenus, méthodes), et sa mise en œuvre. (Ibid., pp.
5 à 48)
L’étude s’oriente vers les représentations de l’adolescent. Ce sont
elles qui justifient ses jugements de valeur lors de la constitution de son
identité. Il les puise consciemment ou inconsciemment dans son
entourage. Les influences inconscientes se traduisent par des préjugés,
des idées stéréotypées qui conditionnent positivement ou négativement
son jugement et ses orientations dans son cheminement pour construire
son identité en adoptant des référents dans tous les domaines identitaires
et particulièrement au niveau culturel et linguistique.
D’où l’hypothèse principale,
Les représentations de l’adolescent face à l’arabe langue
maternelle, dépendraient de la politique éducative au sein de l’école
homologuée au Liban.
3- Etude des variables
Les représentations de l’adolescent face à l’arabe langue maternelle
sont au centre de la recherche. L’hypothèse émise suppose que la
politique éducative (variable indépendante) oriente les représentations
(variable indépendante) suivant qu’elle accorde ou non, à l’arabe langue
maternelle et aux disciplines enseignées en arabe, un statut et une
fonction prioritaires ou égaux aux autres langues et/ou disciplines
enseignées dans les autres langues. Cette relation apparaît soit à travers le
projet de l’établissement, c'est à dire ses finalités et ses objectifs, soit par
la détermination de ses moyens (structures, contenus, méthodes), et de sa
mise en œuvre.
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L’étude prend en compte que les finalités et les objectifs, ainsi que
les moyens sont implicitement dévoilés quand ils sont mis en œuvre. Elle
étudie les indices de la variable indépendante (politique éducative) à
travers les contenus (Les paramètres de la tâche éducative), les méthodes
révélées par les pratiques de classe.
Il est évident que l’enseignant constitue l’un des modèles
identificatoires auquel l’adolescent est sensible. Il sera donc pris en
compte lors de l’élaboration des hypothèses en privilégiant les
représentations qu’il exprime verbalement et qu’il laisse entrevoir à
travers ses comportements et ses attitudes.
L’étude tend à vérifier les hypothèses qui postulent que :
Les paramètres de la tâche éducative (la répartition linguistique
des périodes, le choix des manuels, les coéfficients de notation, la langue
de communication) agissent sur les représentations de l’adolescent
apprenant en EB9 au sein de l’école homologuée au Liban face à
l’arabe langue maternelle.
Les pratiques de classe (les méthodes et les outils pédagogiques et
informatiques, le système d’évaluation) mises en œuvre dans
l’enseignement en langue maternelle au sein de l’école homologuée au
Liban, conditionnent les représentations de l’adolescent apprenant en
EB9 face à la langue maternelle.
Les représentations des enseignants face à l’arabe langue
maternelle au sein de l’école homologuée au Liban influencent celles
de l’adolescent apprenant en EB9.
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De nouveaux concepts à définir
Les représentations, terme emprunté aux sciences humaines
qui le tiennent elles-mêmes du vocabulaire de la philosophie. Le terme
désigne une forme courante et non savante de connaissance, socialement
partagée, qui contribue à une vision de la réalité commune à des
ensembles sociaux et culturels. (Gueunier, 1997, p. 246)
Les exemples de représentations exprimées dans des figures
rhétoriques citent des cas libanais1 (Gueunier, 1997, p. 251)
Les paramètres de la tâche éducative sont les "éléments
importants dont la connaissance explicite les caractéristiques essentielles
de l'ensemble d'une question" (Le nouveau Petit Robert, 2007, p. 1800,
sens 2). Ici c'est la tâche éducative qui est en question. Elle est employée
dans le sens de mission, telle qu'elle est définie dans Le nouveau Petit
Robert, (2007, p. 2495, sens 2), c'est-à-dire, ce qu'il faut faire, conduite
commandée par une nécessité ou dont on se fait une obligation.
L'expression "paramètres de la tâche éducative", employée dans la
première hypothèse, prend le sens, des éléments essentiels utilisés par
l'enseignant au cours de son travail en classe. A savoir, la répartition
linguistique des périodes, le choix des manuels, les cœfficients de
notation, la langue de communication.
1 "Métonymie : "L'arabe, c'est la langue des chameaux/ du désert/ des Bédouins", disent
certains Libanais francophone- et d'ailleurs polyglottes- manifestant une attitude négative
vis-à-vis de l'arabe, qu'ils ressentent comme une menace contre leur propre
occidentalisation." (Geunier, 1993) "Antithèse : "Le français, c'est penser, l'anglais c'est pour compter", énoncé fréquent
chez les mêmes Libanais, opposant cette fois les deux langues occidentales en usage au
Liban et manifestant la crainte de voir l'anglais, langue du pouvoir économique,
l'emporter sur le français auquel ils sont politiquement et culturellement attachés."
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Les pratiques de classe sont les activités réalisées par
l'enseignant lui-même face aux apprenants dans la salle de classe. Il s'agit
des activités concrètes ou procédures directement observables.
(Dictionnaire de Didactique du français langue étrangère et seconde,
2003).
4- Cadre théorique
Deux champs disciplinaires s’entrecroisent encadrant théoriquement la
présente étude.
L'approche sociolinguistique du rapport identité/langue, du
bi/multilinguisme comme phénomène social et comme politique
linguistique éducative semble répondre aux besoins de l'étude. Les
politiques éducatives multilingues sont de plus en plus recommandées par
l'UNESCO au niveau international, dans la perspective d'une éducation
multiculturelle en vue d'une compréhension internationale.
Cependant, les cas étudiés par la sociolinguistique même dans le
domaine arabe ne s'appliquent pas au terrain libanais, surtout du point de
vue identitaire. Un recours à la théorie de « l’identité sociale » de
Kauffman dans son approche psychosociale, introduira la conception de
l'identité adoptée par l'étude.
5- Champ de la recherche
Bien que l'interaction des influences exercées par les médias, la
société, l’école et la famille soit évidente, le contexte scolaire représente
néanmoins un échantillon révélateur de l’emprise des facteurs
susmentionnés sur les phénomènes sociaux en général et, en particulier,
sur le phénomène identitaire chez l’adolescent.
15
Cependant, l’école ouvre aux adolescents, en pleine construction
identitaire, un terrain riche en modèles d’identification. Ils y puiseront des
référents pour forger leur identité individuelle, culturelle, linguistique,
professionnelle et nationale…
Néanmoins, l’école dispose du mandat d’exécuter la politique
éducative et linguistique nationale exprimée dans les instructions
officielles. A partir de là, elle contribue à la formation de l’image de la
langue en tant qu’élément constitutif de l’identité nationale.
Dans les objectifs généraux des curricula (1997) une place
prépondérante fut réservée à l’éducation à la citoyenneté, à
l’appartenance et à la cohésion nationales, ce qui confirme la part de
responsabilité de l’école dans ce domaine.
L'étude privilégie l’école comme champ d’étude, vu la facilité du
travail au sein du secteur scolaire, la pertinence des données recueillies
auprès des enseignants et des adolescents qui constituent la population
visée par le présent mémoire, ainsi que l’économie de temps, d’énergie et
de coût.
L’image de la langue dans laquelle on naît, la langue du cœur, de
l’amour et de la douleur, sera donc étudiée dans le cadre de l’école
homologuée qui réunit près de 10 % des apprenants au Liban1.
6- Méthodologie de la recherche
L’étude comprend deux parties.
La première étudiera dans un premier chapitre, une des "théories de
l’identité sociale", celle de Jean-Claude Kaufmann et l'effet de cette
nouvelle conception de l'identité sur le paradigme du sujet apprenant.
1 cf. à la deuxième partie, Techniques d'échantillonnage, p. 67
16
Les deux chapitres suivants soulignent le rôle des politiques
éducatives nationales, en particuliers les politiques linguistiques
éducatives, dans la valorisation des langues, notamment au Liban.
Enfin, la littérature sociolinguistique produite autour du rapport
identité/langue, ainsi qu'autour du dualisme des concepts
diglossie/bilinguisme sera examinée dans les deux derniers chapitres. Une
conclusion de synthèse clôture cette première partie théorique avant
d'aborder la deuxième partie pratique.
La deuxième partie à dominante pratique, exposera les techniques
de recueil des données sur le terrain, l’échantillonnage et analysera les
résultats. Elle sera consacrée à la discussion des données recueillies en
fonction des hypothèses.
Le recueil de données en rapport avec les représentations d’une
population est d’ordre qualitatif. L’enquête indirecte s’avère la technique
la plus pertinente et la mieux adaptée.
Le public réel de l’étude ne pouvant pas être enquêté, surtout que la
recherche est qualitative. L’enquête touche un échantillon représentatif
composé de 20% des écoles homologuées.
Des entretiens collectifs et semi-directifs menés auprès de groupes
d’enseignants volontaires de la classe d’EB9 des écoles homologuées,
faisant partie de l’échantillon, assure une certaine pertinence objective
dans un domaine subjectif par excellence (les représentations), vu la
relative liberté d’expression accordée aux personnes questionnées dans ce
genre d’enquête.
Un questionnaire comportant plusieurs questions ouvertes, portant
sur les représentations des adolescents et leurs sources collectera les
données auprès des apprenants de la classe de EB9 (population réelle de
l’échantillon).
17
Première partie
A l'entrecroisement
des
différents champs théoriques
18
Introduction
Au vingtième siècle, avec l’expansion de la recherche dans les
domaines scientifiques et la contamination de la déclaration de la Charte
des Droits de l’Homme, une "déviation" dans la pensée scientifique en
faveur de l’Homme en tant qu’acteur social s'est introduite dans les
champs d’études. On a assisté également, à l’éclosion des courants de
pensées humanistes, libérales, communistes et autres qui se sont
mobilisées en fonction de l’Homme et pour le bien de l’Humanité.
Dès lors, les tendances à tout étudier et à tout expliquer par rapport
à l’individu et en se centrant sur son "soi" augmentent et on voit
s’annoncer de nouveaux courants d’interdisciplinarité. Les préfixes
"socio", "psycho" annoncent toutes les innovations dans les domaines de
la recherche scientifique.
La quête de l'identité et la crise de l'identité préoccupèrent les
chercheurs en psychologie sociale de l'époque et continuent de le faire
jusqu'à nos jours.
La linguistique n’échappe pas à la règle et développe un champ
novateur "la sociolinguistique".
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Chapitre I
L’identité linguistique aux confins du collectif et du subjectif
1- L'identité linguistique, un thème sociolinguistique
La linguistique a envisagé la langue en elle-même et pour elle-
même comme unique et véritable objet d'étude. Elle l'a considérée comme
la partie sociale du langage ou aussi comme une institution sociale. Les
langes étudiées comme fait social, et par-là même comme un système où
tout tient, les Marxistes les ont traité en tant que reflets de la lutte des
classes sociales et ont voulu engendrer une nouvelle langue unique, en
vue d’une société sans classes. La sociolinguistique, notamment avec
Labov, qui s'intéressa au rapport de la langue et de l'identité, s'imposa en
tant que discipline quand des chercheurs américains étudièrent la (les)
langue(s) dans le contexte social. Ils développèrent chacun un champ
particulier de la linguistique. Fergusson quant à lui, s’occupa
particulièrement de la diglossie et du domaine arabe. La langue devient
dès lors facteur d'identification et facteur identificatoire.
Cependant, l’essor de la sociolinguistique dans le domaine arabe tarda
et se limita à l’étude de la langue classique et les études dialectales,
notamment la diglossie et le continuum dialectal/ fusha. (Miller, 2005).
Ces études ne correspondent pas à la conception du sujet à traiter.
L'arabe visé par l'étude est l'arabe langue maternelle. L'analyse voudrait
mettre en évidence les représentations telles qu'elles sont perçues par les
enquêtés face à leur langue maternelle. Le débat fusha/dialecte ne compte
20
pas dans ce cas. Donc la sociolinguistique arabe ne peut jusqu'à présent
être d'une grande aide.
Pour les autres domaines riches et variés, ils analysent des situations
qui vont à l'encontre de la situation au Liban. Les études analysent des
situations où des pays plurilingues au départ et visent soit une unification
linguistique privant des communautés minoritaires sur leurs territoires de
leur droit au développement de leur langue maternelle et de leur culture,
soit la gestion d'un plurilinguisme témoignant d'une lutte politique
interne.
La situation sociolinguistique ne ressemble à aucune autre dans le
monde arabe, ni dans les pays étudiés par la linguistique. Les études
effectuées approchent le rapport identité/ langue arabe d'un point de vue
lié à l'islam. Le rapport n'est pas totalement applicable au terrain libanais,
surtout que cette approche ne convient pas à la conception de l'identité
souhaitée au Liban. Sans fuir la réalité de la primauté de l'appartenance
confessionnelle sur l'appartenance nationale chez beaucoup de Libanais,
la présente étude ne peut se permettre d'établir la catégorisation des
apprenants, futurs citoyens, selon leur confession. Ce serait une atteinte à
leurs droits d'être traités en tant qu'individus sans discrimination aucune
selon le sexe, la race, la couleur, la confession …
Néanmoins, si les sciences du langage ont connu des progrès énormes,
c'est sans doute en raison d'un choix qui les a engagées sur la voie de
l'étude du fonctionnement pratique et non plus du point de vue
philosophique. D'où la nécessité d'une enquête sur le terrain encadré par
un cadre théorique "sur mesure", fondé sur les propos de Labov, que la
sociolinguistique ne peut être que la linguistique, ce qui fait que toute
étude d’une langue prend nécessairement en considération l’aspect social
indissociable de l’aspect identitaire.
21
A partir de là, la psychologie sociale contemporaine, notamment
les "théories de l'identité" qui proposent que l'identité soit justement une
construction sociale, un processus social (Kaufmann, 2004) semble un
passage obligé avant d'aborder la sociolinguistique.
2- Identité personnelle et identité collective
"L'identité c'est la différence […] L'identité c'est l'appartenance
commune" (Dubar, 2001 p.3). Deux définitions distinctes qui semblent
paradoxales. Cependant le paradoxe est tout à fait significatif. La
première déploie la singularité de l'identité personnelle, l'identité du Je, la
seconde renvoie à l'identité collective, celle du Nous.
Dubar distingue quatre formes identitaires : narrative, réflexive,
culturelle et statutaire.
L'identité narrative est l'histoire racontée par le Je pour lui-même.
L'identité réflexive est celle qui résulte d'une conscience réflexive
désirant faire reconnaître la face du Je par des Autrui significatifs.
Quant à l'identité culturelle, elle désigne l'appartenance à un
groupe local et à sa culture héritée (la langue, les croyances, les
traditions).
Enfin, l'identité statutaire se construit sous contraintes
d'intégration aux institutions (la famille, l'école, les groupes
professionnels, l'Etat) (Ibid.).
Pour simplifier, il serait bénéfique de faire appel à la définition
interactionniste de l'identité chez H. Chauchat. C'est une construction
dont le sujet tire permanence et singularité, mais aussi c'est un rapport au
monde. Dans ce sens, l'identité personnelle ou individuelle (nous
préférons la nommer personnelle, appellation qui renvoie à la singularité
de l'individu sans l'opposer à la collectivité) ne peut être que sociale. En
22
tenant compte que le rapport de l'individu au monde est une
représentation de cet environnement et, par suite, l'identité sociale se
définit comme la représentation que le sujet se fait de son environnement,
mais surtout c'est la représentation que le sujet se fait de lui-même
(Chauchat, 1999).
Aller plus loin avec Kaufmann nous guide vers les deux modalités
selon lesquelles opère la construction identitaire.
Une première, strictement subie par les héritages de la société se
procurant le sens de la vie, du destin, sans intervention réflexive. Une
seconde, fondée sur une intervention consciente parfois, inconsciente
d'autrefois. Intervention pouvant orienter, décider et rectifier le cours de
l'existence (Kaufmann, 2004).
On est donc face à une articulation permanente entre la mémoire
collective et la réflexivité du sujet dans la quête d'un sens à son Moi. En
d'autres termes, le processus d'identification suppose des situations ou le
sujet trouve un sens à sa vie. Processus de reformulation quotidien sinon
l'individu perdra le sens de son existence et fragilisera tout l'ensemble
social (Ibid.).
Cependant, ce processus intrinsèque ne se limite pas à une libre
invention subjective laquelle est ancrée dans l'histoire du sujet et est le
fruit de l'échange avec son environnement social. C'est un équilibre que le
sujet établit entre l'évasion vers des horizons de son choix avec la
possibilité de retrouver ses racines au moment opportun.
Une objection peut apparaître sur l'emploi de racines en référence à
Amine Maalouf qui préfère parler d'origines non des racines qui
"s'enfouissent dans le sol, […] retiennent l'arbre captif, […] (Argaud,
2006)
23
Cependant, il faut dire que l'aspect concret du terme racine illustre
l'intensité du sentiment d'appartenance et d'attachement, et pour
compléter l'image est-ce que ce ne sont pas ces mêmes racines qui servent
de crochets repères pour de nouvelles identifications, de nouvelles
appartenances ?
Néanmoins, les appartenances multiples de l'individu moderne sont
le fruit d'une invention permanente débouchant dans des ressources
d'identification collective telle que l'idée nationale. Cette dernière est une
application à la nouvelle conception du collectif sociétaire en
remplacement au collectif communautaire. Ce qui rejoint l'idée de l'Etat
moderne où la laïcité a remplacé, dans beaucoup de sociétés, la religion et
l'ethnie comme référent de l'identité collective. Un désir qui tend de plus
en plus à effleurer les rêves des jeunes libanais. Une bonne raison pour
justifier le rétrécissement de la place accordée à l'identification religieuse
dans cette étude. Ce choix réfléchi marquera peut-être le début d'un dur
cheminement vers une nouvelle conception du Libanais, la conception du
citoyen en remplaçant le concept de "sujet" dépendant d'une communauté
confessionnelle.
Cependant l'identification collective représente une sorte de
première étape historique obligée du processus identitaire. D'ailleurs, elle
sert d'instrument de confirmation d'un sens particulier de la vie.
L'identité est l'histoire de soi que chacun se raconte. Estime de soi
et fierté nourrissent toute histoire de vie. Plus le Nous incarne de
solidarité plus le Moi se valorise, par son appartenance à la collectivité, et
valorise cette appartenance, développant la fierté et l'estime de soi.
Avant de nous introduire plus profondément dans les théories de
l'identité, il serait profitable de synthétiser tout ce qui précède en quelques
lignes.
24
L'identité est une invention du sens de la vie quotidienne d'un Je
ancré dans un Nous. Ce dernier sert de mémoire collective dans laquelle
le Je puise des repères de valeurs, au besoin dans sa trajectoire réflexive.
La dominance de l'une sur l'autre n'est jamais irrévocable. Elle dépend
des circonstances et de la situation vécue. Aspect conflictuel pour
certains, nous préférons le voir sous un angle différent, celui de la
dynamique qui marque une orientation vers le progrès et le
développement.
Dans la même dynamique, la reformulation de l'identité ne peut
échapper à l'héritage culturel du groupe d'appartenance (la langue, les
croyances, les traditions), ni fuir les contraintes d'intégration aux
institutions (la famille, l'école, les groupes professionnels, l'Etat).
Par là même l'identité s'inscrit dans un système évolutif en
permanente interaction oscillant entre le Je et son aspiration à voler de ses
propres ailes pour se distinguer dans son unicité d'une part, et du Nous
qui le soutient et le guide conformément aux normes de son groupe
d'appartenance, au moment où il en sentira le besoin, d'autre part.
Un Je réflexif en pleine évolution et un Nous gardien de valeurs
veillant au non égarement du Je et à son rattachement au Nous.
Complémentarité enrichissante pour l'individu moderne et pour la société
moderne, d’où l'adaptation de cette dernière au développement des
théories de l'identité et leur adoption notamment au niveau culturel, au
sein des institutions et dans l'éducation au sein de l'école. Cette
intégration se traduit précisément par les nouvelles politiques éducatives
qui ont implanté une nouvelle vision contemporaine du sujet apprenant
acteur autonome de son apprentissage.
2- Le sujet apprenant modèle identificatoire
25
Dubar (2001) tend à affirmer que le nouveau modèle éducatif,
officiellement désigné en France, par "faire de chaque élève un sujet
apprenant", est à la fois un modèle d'apprentissage et un modèle
identitaire.
Il suppose que le nouveau modèle exige un engagement de la
subjectivité et "un ancrage dans des activités signifiantes". En d'autres
termes la nouvelle pédagogie active est un engagement personnel. C'est
là, la clé de voûte de tout apprentissage réussi : donner un sens subjectif
relié à une pratique sociale ou à un projet personnel. Connue sous le nom
de motivation dans le monde de l'éducation contemporaine, cette activité
mentale et affective est effectivement une construction identitaire
réflexive.
A l'encontre de l'auteur, nous pensons qu'il est peu probable que le
nouveau spécimen subjectif soit en rupture avec l'ancien modèle
communautaire (identité culturelle et statuaire). La notion de crises
identitaires développée tout au long de l'ouvrage renvoie plus à l'idée de
conflit entre les deux paradigmes sur la primauté de l'un des deux. A en
croire les théories interactionnistes c'est plutôt un débat intérieur
permanent où le subjectif réflexif est face à une prise de décision qui peut
être du côté d'un modèle ou de la part de l'autre. Il ne rompt jamais
suffisamment pour se cantonner dans son Moi, par contre il effectue des
allers-retours pour s'ancrer à un port rassurant, au sein de l'un ou de
l'autre de ses groupes d'appartenance. Sinon à quoi servira une politique
éducative et les remaniements au sein du système, si ce n'est l'ancrage de
l'apprenant aux nouvelles tendances de son groupe d'appartenance donc
sociétaire ? C'est donc une évolution et non une révolution. Le sujet
apprenant est amené à entreprendre une trajectoire active réflexive dans
son apprentissage et débuter un processus identitaire subjectif. Guidé
26
dans une démarche interactive entre son Moi et un environnement,
réservoir de valeurs et de modèles identificatoires, le sujet apprenant
dispose d'une marge de liberté de choix envers ce qui lui est présenté.
Pour simplifier, sous l'influence de la montée des "nouvelles
théories de l'identité", la politique éducative (en France et puis dans
d'autres pays dont le Liban) s'est lancée dans une nouvelle perspective
avec un nouveau regard sur l'élève en le traitant en tant que sujet
apprenant. Ne disposant pas du choix de refuser ou d'accepter, l'élève
apprenant peut soit s'engager dans le processus, l'intérioriser et en
profiter, soit se limiter à faire son métier d'élève sans s'y intégrer.
Dans le premier cas, l'élève se transforme de son propre gré en
sujet apprenant. Il gagne en matière de motivation donnant une
signification subjective aux savoirs scolaires et les investissant dans un
projet personnel. Ce processus d'apprentissage débouche sur un processus
identitaire réflexif.
Dans le second cas, faute d'une conception signifiante des savoirs
scolaires, l'élève se trouve décontextualisé, et démotivé. Il trouve du mal
à s'ancrer dans un projet personnel ou à trouver du sens à son
apprentissage. Il trouve du mal à s'investir au niveau de son apprentissage
et même au niveau de la mise en œuvre d'un projet identitaire réflexif.
On est donc devant une nouvelle problématique. Comme démontré
plus haut, le processus expose les sujets à une permanente interaction
avec l'environnement notamment avec leurs partenaires éducatifs, les
enseignants. Les expériences relationnelles au sein de l'établissement
scolaire semblent avoir une influence décisive sur ce processus de
réflexivité qui dépend des modèles identificatoires intériorisés de l'ancien
modèle, de l'estime de soi. L'enseignant transformé en éducateur, en
27
animateur, en accompagnateur est incapable de mener à bout sa tâche si
lui-même n'a pas adopté le nouveau modèle.
Pour ne pas nous éloigner du sujet de mémoire, les théories de
l'identité sont évoquées dans un contexte explicatif pour éclairer l'aspect
interactif du processus identitaire personnel réflexif. C'est à dire le Moi de
l'apprenant raconté pour lui-même et pour autrui ancré au sein du Nous
culturel hérité (la langue, les croyances, les traditions) et statuaire (la
famille, l'école, les groupes professionnels, l'Etat).
En particulier, cette évocation met en évidence la position de la
langue dans le cadre identitaire collectif celui du Nous, notamment au
sein de l'école.
Dans ce sens, la langue peut être considérée l'un des référents de
l'identité collective, comme l'héritage inscrit dans la mémoire collective,
développé et transmis par l'intermédiaire de l'école en exécution aux
politiques éducatives et linguistiques de l'Etat.
28
Chapitre II
Liens entre les politiques éducatives et les politiques
linguistiques
1- Les finalités nationales des politiques éducatives
L'éducation est un ensemble de contenu et de méthodes. Cette
structure est en principe uniforme dans tout le pays en vue d'une cohésion
nationale. Elle est l'apanage d'un travail gouvernemental en général qui en
supervise de près la bonne application. Appelée également politique
éducative, cette structure est fondée sur trois axes fondamentaux : les
objectifs, la méthodologie et le contenu, la mise en œuvre.
Rappelons que la (les) langue(s) constitue(ent) l'élément essentiel
de toute activité au sein de l'école et son (leur) choix repose sur des
critères d'ordre politique, d'où l'intérêt porté à ce chapitre.
1-1- Les objectifs des politiques éducatives
"L'éducation, par excellence, est projet. Agir sur l'enfance pour
former l'adulte de demain implique nécessairement détermination de fins
lointains" (Legrand, 1988, p. 5). Au niveau de conceptions morales et
philosophiques, c'est une conception de l'homme, de sa signification dans
le monde et de sa destinée. Au niveau social et psychologique, c'est une
conception de l'homme social, du citoyen dans ses crises identitaires
subjectivité/objectivité, singularité/conformisme, intégration/libération…
29
Pour les sciences humaines l'éducation est un processus à long terme, elle
concerne l'enfant pour préparer l'adolescent à devenir homme.
Dès lors, les objectifs de l'éducation formelle, dans les sociétés
démocratiques, peuvent "se résumer ainsi : a) objectif économique : les
qualifications ; b) objectif social : l'éducation peut favoriser la
démocratisation à la fois des personnes et des groupes ; c) objectif
culturel : la transmission et la négociation des valeurs ; d) objectif
pédagogique : l'épanouissement personnel (y compris l'acquisition de
compétences favorisant la créativité et la pensée critique) (Batelaan,
1995, p. 135). Or, pour les parents et dans certaines sociétés, la fonction
première de l'école est l'enseignement des matières académiques en vue
d'une qualification donc, c'est l'objectif économique qui prime.
Dans d'autres sociétés, "en l'absence de démocratisation et si les
groupes et les personnes ne s'émancipent pas, la culture est réduite aux
intérêts de la classe supérieure dominante et de la classe moyenne, et elle
est définie en fin de compte en fonction des arts et des sciences
traditionnels de l'Occident" (Ibid., p. 135). En d'autres termes, en
l'absence de l'objectif social, l'objectif culturel fonctionne dans un sens
unique vers la surestimation des cultures dominantes et la mésestimation
des cultures nationales et/ou minoritaires.
En somme, les politiques éducatives nationales tendent à mettre en
harmonie des objectifs économique, social, culturel et pédagogique pour
un rendement éducatif maximal.
En France par exemple, les objectifs politiques éducatives depuis la
IIIe
République , sont répartis sur l'économique, le social, le culturel et le
pédagogique : la laïcité, la gratuité, l'obligation de l'enseignement, la
valorisation de l'enseignement scientifique, l'enseignement d'une morale
conservatrice libérée de ses attaches religieuses, la formation du citoyen
30
républicain dans la mise en perspective positiviste de l'histoire nationale
et humaine avec l'exaltation du progrès humain (Legrand, 1988, p. 14).
Tout un système de valeurs est visé par cette politique. Elle s'est
métamorphosée et a évolué au profit du citoyen en fonction des
mouvements sociaux et politiques qui se sont succédés au pouvoir.
Cependant, membre de l'Union Européenne, la France accorde de plus en
plus d'importance à l'objectif culturel par le biais de l'enseignement des
langues et la communication interculturelle et par une adaptation de
certains programmes (histoire, sciences sociales) de telle sorte qu'ils
intègrent les valeurs démocratiques communes de la civilisation
européenne (Auduc, 2005, P. 360).
Dans le même sens de diversité culturelle et d'ouverture,
l'enseignement catholique en France a rénové ses statuts en 1992. Son
devoir essentiel, consistant à respecter les lois, les programmes de
l'Education nationale et à "vivre son caractère propre". Cependant, il
s'associe à l'Etat par contrat (Auduc, 2005, p. 206), à l'encontre de
l'enseignement catholique au Liban qui profite d'une liberté sans contrôle.
De toute façon, au Liban, suite à la guerre sanglante qui l'a ravagé,
le retour à la paix s'accompagne de réformes au niveau de la constitution
libanaise notamment aux niveaux identitaires, politiques, administratifs,
économiques … en harmonie avec l'accord de l'entente nationale conclu à
Taef qui a marqué, selon Denise Ammoun (2004), la naissance de la IIe
République ou de la IIIe République (CRDP, 1997)
Les réformes éducatives se sont révélées nécessaires pour
accompagner la nouvelle situation nationale. Les finalités de la nouvelle
politique éducative sont traduites par les curricula, dans les objectifs
généraux. Elles privilégient surtout le côté identitaire d'un citoyen fier de
son appartenance à un Liban arabe et unifié. (CRDP, 1997)
31
En 1997, l'équipe du Centre de Recherches et de Développement
(CRDP) achèvera la rédaction des curricula qui expriment les finalités de
la politique éducative. Les objectifs généraux axés sur deux orientations
reposent sur des principes généraux aux niveaux intellectuel et humain,
national et social. Inspirés de la Charte des Droits de l'Homme et de la
constitution libanaise, ces principes inspirent la politique éducative
libanaise. Cette dernière vise particulièrement, le développement de
l'individu autonome dans les différents domaines, cognitif, affectif et
psychomoteur ainsi que la formation d'un citoyen multilingue, fier de
son appartenance nationale, identitaire, culturelle et historique, adoptant
la langue arabe comme langue officielle et nationale, maîtrisant au moins
une langue étrangère en vue d'une ouverture culturelle. Les valeurs
universelles tels que l'éducation à la paix, à la tolérance, à la santé, à
l'environnement et à l'auto apprentissage ne sont pas négligées par les
décideurs de la politique éducative.
La liberté accordée au secteur privé et religieux en matière
d'éducation est soumise théoriquement aux instructions officielles
libanaises selon les règlements publics promulgués par l'Etat concernant
les instructions publiques (Les curricula, CRDP, 1997). Cependant,
aucune inspection ne contrôle les établissements scolaires privés au
Liban.
Les objectifs généraux ainsi déclarés par les fondés de pouvoir
libanais semblent prendre en considération l'économique, le social, le
culturel et le pédagogique.
L'essentiel dans ce qui est présenté démontre la tendance des
politiques éducatives à mettre en évidence les particularités nationales
tout en prenant en compte les nouvelles tendances internationales de
dialogue et de communication interculturels, d'aspiration à la paix dans
32
une société internationale solidaire. Des exigences qui supposent une
vigilance de la part de la communauté internationale pour éviter de glisser
vers la globalisation privant les peuples moins influents, des avantages
de la mondialisation.
Les politiques éducatives ainsi conçues manifestent la conception
du citoyen (objectif social), les valeurs à promouvoir ainsi que les
cultures à préserver et à diffuser ou celles à faire adopter (objectif
culturel). Précisément ces politiques sont énoncées par une ou des
langues. Ces choix linguistiques dans le domaine éducatif sont des choix
politiques à finalités nationales. Ils peuvent être classés dans une
politique linguistique exprimant des prises de positions économiques,
sociales, politiques ou culturelles.
Le niveau stratégique définit les objectifs que l’action politique
entend atteindre, les résultats qu’elle entend avoir, et pour ce faire les
dispositifs qu’elle souhaite mettre en oeuvre ainsi que les moyens qu’elle
doit mobiliser.
1-2- Les stratégies de mise en œuvre ou planification
Le niveau stratégique d'une politique relève de la mise en oeuvre
d’une dynamique d’action qui explicite ses ambitions, ses attentes, ses
besoins, sa démarche pour mettre en oeuvre la politique éducative et les
objectifs qu’elle comporte.
La mobilisation des acteurs éducatifs par la mise en oeuvre de la
méthodologie, d’un système d’observation est l’une des stratégies
possibles qui permet de définir des domaines d’action donnés,
d’enclencher les processus à engager, de décrire les techniques à utiliser
et les compétences à trouver au regard des résultats attendus (projet
éducatif).
33
A ce niveau, la présente étude s'intéresse à mettre en évidence
particulièrement l'intérêt porté aux objectifs "culturels" par le biais de
cette planification (nombre d'heures consacrées aux langues enseignées,
les disciplines enseignées dans chaque langue, les cœfficients de
notation…) Passons en revue l'exemple des horaires.
Tableau 1- Horaire de l'élève de troisième dans le système français
Le système éducatif, Auduc, 2005, p.67 (adapté) Horaire de l'élève
Français 4h30
11h30
38.7 % Langue vivante étrangère 4h
Langue vivante 2 (étrangère ou régionale) 3h
Mathématiques 4h 4h
31.7 %
Sciences et techniques :
- sciences de la vie et de la terre
- physique et chimie - technologie
1h30
2h 2h
5h30
Histoire - Géographie - Education civique 3h30 3h30 11.4 %
Enseignements artistiques :
- arts plastiques
- éducation musicale
1h
1h 2h
17.2 %
Education physique et sportive 3h 3h
Total 29h30 29h30 100 %
Enseignement facultatif
Découverte professionnelle
Ou langue vivante 2 (étrangère ou régionale) Ou langue ancienne (latin, grec)
3h ou 6h
3h 3h
Total 32h30 100%
Heure de vie de classe : 10 heures annuelles
Tableau 2- Horaire de l'lève de EB9 dans le système libanais
Basé sur le tableau II, des programmes CRDP, 1997, p. 9 Discipline Nombres d'heures Total Pourcentage
Langue arabe 6
14
40% 1
ère langue étrangère 6
2nde
langue étrangère 2
Education civique 1
4
11.4%
Histoire 1
Géographie 2
Mathématiques 5 5 14% + 20% =
34% Sciences 6
7 Technologies 1
Informatiques 1
5
14.3% Activités artistiques 2
Education physique 2
Total 35 100%
* L'instruction religieuse est facultative dans les écoles officielles (2 h vendredi, 2h dimanche)
34
Cette planification étudiée de près reflète l'attention portée à
chacune des disciplines en fonction des objectifs déclarés dans les
curricula en traduction concrète aux finalités visées par les politiques
éducatives nationales, dans les deux pays, 38 et 40 %, le temps de
l'enseignement consacré aux langues est plus important que le temps
consacré aux matières scientifiques.
1-3- Les méthodes et les contenus
Le niveau tactique concerne l’élaboration des plans d’action,
l’organisation et la coordination des moyens, la mise en place des
dispositifs et des outils d’évaluation, (l’organisation des plans de travail,
la conception des supports de communication, …)
Dans ce sens, l'activité se réfère à des objectifs évaluables, elle
concerne l'enseignant et l'apprenant.
De toutes manières, concernant l'organisation temporelle, la
répartition hebdomadaire et annuelle des heures des cours, la part de
chaque discipline, le choix des notions, des thèmes, des courants
culturels, des évènements historiques et d'autres détails ne se fait pas
gratuitement. Les décideurs tendent à user de leur pouvoir pour insinuer
des points de vue et des orientations qu'ils jugent dignes d'être enseignés.
Mais finalement le résultat est une traduction concrète de la politique
éducative dessinée par l'autorité compétente.
Elles déterminent de même, les nouvelles compétences de
l'enseignant qui dépassent les compétences disciplinaires pour s'élargir à
une nouvelle "éthique" comportementale, relationnelle et même affective.
Les méthodes, traduisent de même une conception de l'être
apprenant futur citoyen, sera-t-il un acteur dynamique participant à la vie
collective de sa cité et de sa société, un travailleur producteur, un
35
technicien, un idéologue ou un croyant pratiquant….? Le choix des
méthodes aide à former l'un ou l'autre des modèles.
Sans s'attarder sur ce point, déjà démontré plus haut1, l'influence
des "théories de l'identité" sur la nouvelle conception du sujet apprenant
acteur autonome dans le processus de son apprentissage apparaît dans le
domaine des politiques éducatives. Adoptée par les Français et puis par
les Libanais, cette orientation se traduit dans les textes français comme
dans les textes libanais.
En somme les politiques éducatives avancent des orientations, qui
seront explicitées par des stratégies et des tactiques donnant du sens aux
objectifs, aux plans d'actions pour l'organisation et à la coordination des
méthodes (les activités de l'enseignant dans la salle de classe appelées
dans cette étude les pratiques de classe), et des contenus (les paramètres
de la tâche de l'enseignant).
Pour revenir au sujet de l'étude, c'est la politique éducative qui par
la planification, les méthodes et les contenus témoigne de l'importance
accordée à l'enseignement des langues ainsi qu'aux objectifs de cet
enseignement. Figurant dans des textes officiels, la planification révèle
évidemment une politique nationale réfléchie en matière de politique
linguistique éducative.
2- Les politiques linguistiques au service des politiques linguistiques
nationales
La question des politiques linguistiques est souvent liée aux
politiques éducatives. Les deux sont étroitement unies lorsqu’il s’agit de
décisions concernant les langues étrangères. Cependant, on tend de plus
en plus à appeler ces politiques culturelles, par rapport aux politiques
1 Cf. au premier chapitre § 2, Le sujet apprenant modèle identificatoire, p. 23
36
éducatives qui réservent une place à l'apprentissage des langues. C'est
qu'elles contribuent à l'intégration des compétences linguistiques et
discursives dans l'ensemble des compétences culturelles ou
interculturelles. Au delà des dimensions plus proprement identitaires
qu'elles peuvent contenir et promouvoir, en visant les aspects les plus
significatifs de la vie culturelle, c'est surtout la production, la diffusion et
la commercialisation des biens culturels qu'elles considèrent en priorité.
Dans ce sens, les manuels scolaires, les outils pédagogiques, les
instruments informatiques et autres sont également des biens culturels.
2-1- Les politiques linguistiques entre l'explicite et l'implicite
Le dictionnaire de Didactique du français, langue étrangère et
seconde, (2003, p. 196) considère que : "la politique linguistique n'est pas
à distinguer fondamentalement de la politique proprement dite, …" Il
poursuit plus loin, «elle est toujours du ressort des Etats à travers leurs
institutions, officielles ou non. Le choix de la langue est généralement lié
de façon très étroite aux questions ayant trait à l'unité nationale» puis
ajoute, "la politique linguistique participe également de la volonté des
Etats de montrer leur appartenance à telle ou telle sphère économique et
culturelle, aux yeux de la communauté internationale". C'est
particulièrement le cas des pays anciennement colonisés. Dans ce sens la
politique linguistique s'inscrit dans un champ conceptuel purement
politique, car elle traite essentiellement des fonction et statut des langues
choisies aux niveaux officiel ou national sans négliger les conséquences
de ce choix en présence de plusieurs langues parlées, accompagnée de
conflits internes ethniques dans beaucoup de cas. Des législations
linguistiques et des mesures de préservation de la langue s'inscrivent dans
le domaine politique. Ces politiques sont très diverses.
37
Or, si le choix linguistique relève d'une politique linguistique
concernant plus les pays décolonisés, les autres pays auraient des
préoccupations plus pertinentes en matières de préservations et de
promotion de leurs langues et par suite de leur culture, ce qui constitue le
fondement de leurs politiques linguistiques nationale et internationale.
Certains optent, à l’instar de la France, pour un dispositif juridique
et institutionnel propre à garantir l’usage de leur langue nationale dans de
nombreuses situations. D’autres adoptent des mesures plus incitatives ou
ciblées sur des domaines dans lesquels leur langue est en recul, par
exemple les sciences.1
Toutefois, le gouvernement de la République Fédérale Allemande
estime que des législations linguistiques réglementant l’utilisation de la
langue nationale (l'allemand) dans les différents domaines de la vie
publique ne sont pas nécessaires. Le gouvernement fédéral considère que
l’allemand n’a jamais été une langue «pure». La langue s’est, au
contraire, au cours des siècles, constamment enrichie en empruntant de
nombreux termes à d’autres langues.
En matière de consommation, le gouvernement allemand considère
que la présentation d’un produit n’exige une information en allemand que
1 En France, la loi du 4 août 1994 crée un « droit au français » applicable dans les domaines
suivants :
- la consommation : l’information relative aux biens et services proposés aux consommateurs (modes d’emploi, notices d’utilisation, factures, garanties, etc.) ainsi que la publicité qui en
est faite doivent être en langue française ;
- le travail : différents documents nécessaires à l’intégration du salarié dans l’entreprise
(contrats de travail, règlements intérieurs, documents de maintenance, etc…) doivent être rédigés en langue française ;
- l’enseignement : le français est la langue dans laquelle sont dispensés les cours et les
examens ; - les sciences : tout participant à un colloque scientifique se déroulant en France a le droit de
s’exprimer en français et de disposer d’un programme en français.
L’inobservation des dispositions relatives à la consommation, au travail et aux
sciences est assortie de sanctions pénales. Il s’agit de contraventions passibles d’amendes dont le montant unitaire maximum est de 750 euros. (Francophonie en Europe)
38
lorsque la sécurité ou la santé du consommateur pourraient être en jeu,
par exemple pour les notices d’utilisation de médicaments.
D'autre part, Jean- Claude Corbeil, (2002), déclare que l'anglais est
la langue des États-Unis, sans qu'il ait été nécessaire d'en préciser le statut
dans la constitution américaine. Or, pour contrer l'expansion de
l'espagnol, un groupe de pression, sous un nom qui est tout un
programme, For English Only, a réussi avec un certain succès à imposer
un noyau de politique linguistique en faveur de l'anglo-américain, puisque
25 états de l'Union ont déclaré l'anglais seule langue officielle.
Cet aspect de la politique linguistique peut être retenu par la
présente étude dans le sens où le Liban est l'un des vingt-neuf états à
hétérogénéité linguistique, cependant on y observe un bilinguisme se
développant peu à peu vers une politique plurilingue.
2-2- La politique linguistique au Liban
Au Liban, la langue française est restée langue officielle au coté de
la langue arabe jusqu'à la fin du mandat en 1943. Cependant l'article no
11
de la Constitution Libanaise revu déclare "l'arabe langue nationale et
officielle" et garde la possibilité de l'emploi de la langue française dans
des situations qui seront déterminées par une loi (Ayoub, 2004, p. 30).
Hormis ce texte législatif, nous observons une quasi absence de
législations linguistiques à tous les niveaux. Les correspondances au sein
des sociétés privées, des banques, des supermarchés, … se rédigent en
langues étrangères.
3- Politiques linguistiques au service des objectifs culturels des
politiques éducatives
39
Cependant, l'éducation est demeurée dans le prolongement de la
politique éducative de l'Etat mandataire. Une politique bilingue, insistant
sur la primauté de la langue et de la culture françaises, unifie les
programmes et les examens officiels. Elle institue un système
administratif central en gardant la participation du secteur privé.
(Curricula, 1997, p.p. 8-9)
Cette situation confuse, hésitante, a engendré une politique
implicite dont les résultantes observables se lisent comme suit :
En premier lieu les missionnaires Jésuites français et Protestants
anglophones sont venus fonder des établissements scolaires. Chez les
Jésuites, un enseignement de qualité privilégie la culture française, à
travers sa littérature et ses courants de pensée, ses valeurs transmises par
ses auteurs. Ils se sont trouvés conformes à la politique de l'Etat
mandataire, et se sont développés en effectifs et en qualité promouvant
leur langue et leur culture. À citer à titre d'exemple l'un des
établissements les plus renommés, celui de la Mission des Pères Jésuites,
qui est devenu l'Université Saint-Joseph. Les établissements jésuites
demeurent jusqu'à nos jours le "réservoir" qui a fourni les grands hommes
politiques, les grands fonctionnaires de l'Etat, les décideurs, dont six
présidents de la République Libanaise, anciens élèves du Collège Notre
Dame De Jamhour.
Alors qu'une culture américaine est diffusée par les missionnaires
Protestants anglophones, c'est l'American University of Beyrouth qui elle
aussi a fourni un contingent remarquable de décideurs.
En second lieu, le choix politique qui donne "la liberté au secteur
privé et aux institutions religieuses en matière d'éducation" (Ayoub, 2004,
p. 30) a encouragé l'expansion de ces établissements ou des
40
établissements oeuvrant à leur exemple qui ont réussi, particulièrement à
avancer le bilinguisme franco-arabe ou anglo-arabe.
En troisième lieu, le secteur public jouit de cette liberté linguistique
sous la supervision officielle des ministères qui se sont succédés après
l'indépendance.
Cet état linguistique des lieux peut être classé dans le champ de la
politique. De ce point de vue, il peut être expliqué, non par
l'appartenance à la sphère économique et culturelle française mais c'est
par marque de non rupture avec l'Etat mandateur. Il peut être aussi mis au
compte de l'aspiration ambitieuse vers un modèle réussi, une image
prestigieuse d'un système linguistique valorisé.
En l'absence de toute politique linguistique claire et de textes
législatifs obligatoires, l'UNESCO cite l'arabe et le français comme
langues officielles au Liban (Langues officielles au monde arabe).
Pour synthétiser, il est bien d'évoquer Jean- Claude Corbeil (2002),
qui considère, que le besoin, la volonté de promouvoir une langue
découle de la fonction identitaire qu'elle assume au sein d'une
communauté. La langue n'est pas un simple moyen de communication,
comme on le dit souvent. C'est aussi, et surtout, un puissant facteur
d'intégration et un puissant agent de cohésion sociale. D'où l'acharnement
des pays concernés, des organisations régionales et internationales à
élaborer des politiques linguistiques.
De ce fait, de Corbeil à Labov qui considère que toute étude d’une
langue prend nécessairement en considération l’aspect social
indissociable de l’aspect identitaire, le retour obligé à la
sociolinguistique est de rigueur.
41
Chapitre III
Retour à la sociolinguistique
1- Les politiques linguistiques du point de vue sociolinguistique
La majorité des états souverains ont pour langue officielle, unique
ou non une des langues les plus parlées du monde, l'anglais, le français,
l'espagnol, l'arabe, le portugais. Les langues les plus répandues sont aussi
celles qui appartiennent aux entités politiques les plus structurées
(Hagège, 2002, p. 185).
«Les états, en règle générale, ont tendance à être unilingues, qu'ils
soient mono ethniques – Etats nations – ou pluri ethniques. Dans les deux
cas la langue, tantôt "officielle", tantôt "nationale", est le ciment de l'unité
du pays.» (R. Breton et all., 1991p. 24).
La question de la langue est donc une affaire politique. Implicite ou
explicite, cette politique linguistique est reliée sinon confondue avec la
planification linguistique et/ou l'aménagement linguistique. (Boyer, 1991;
Calvet 1993, 1999; Robillard, 1997; Cuq, 2003; Baylon, 2005)
1-1-Les différentes définitions des politiques linguistiques en
sociolinguistique
Pour Calvet (1993, p. 111; 1999, p. 155), «les politiques
linguistiques sont l'ensemble des choix conscients concernant les rapports
42
entre langue et vie sociale.» Cette définition est le point de repère
commun aux différentes définitions consultées, chez différents auteurs.
Cependant, si on considère que, «La politique linguistique consiste
en la formulation de finalités dépendant d'objectifs à l'échelle sociale,
suite à l'évaluation d'une situation faisant apparaître des aspects
perfectibles, soit dans le corpus d'une langue, soit dans le statut des
langues.» (Robillard, 1997). La confusion s'atténue entre politique,
planification et aménagement. La relation devient plus explicite. La
définition d'objectifs suite à une évaluation en vue d'améliorations
prévues, constitue un projet. Ce dernier suppose une planification pour
une mise en œuvre, une exécution du projet. Les concepts donc se
trouvent distinctement clarifiés et mis en fonction l'un de l'autre.
En effet, définir la politique linguistique par la sociolinguistique
ramène cette dernière à son champ initial "la politique" réservant à la
sociolinguistique le soin d'œuvrer sur la planification.
1-2- Définitions de la planification linguistique
La définition la plus simple est celle de Calvet (1993, p. 111;
1999, p. 155), "la planification linguistique est la recherche et la mise en
œuvre des moyens nécessaires à l'application d'une politique
linguistique."
Boyer (1991, p. 101) précise que "c'est un passage à l'acte
juridique, la concrétisation sur le plan des institutions (étatiques,
régionales, voire internationales) de considérations de choix, de
perspectives qui sont ceux d'une politique linguistique". Plus large et
plus précise que la précédente, elle implique la législation qui, à notre
avis, appartient plus à la politique qu'à la planification. Elle détermine les
43
acteurs et les champs d'exécution et ouvre sur des alternatives de choix en
application à la politique linguistique.
Plus globales et précises sont les définitions de Cuq (2003, p. 196)
et de Robillard (1997, p.228).
Pour le premier, "elle est l'ensemble des opérations qui visent à
définir la programmation et les modalités de la réalisation des objectifs
définis par la politique en fonction des moyens disponibles et des
procédures envisagées pour cette mise en œuvre."
Pour le second, elle suit "logiquement la phase de l'élaboration
d'une politique linguistique et consiste à traduire celle-ci en une stratégie
d'ensemble composée d'actions viables, programmée dans le temps, dont
les agents sont identifiés, les moyens (financiers, humains,
scientifiques…) prévus."
Les deux définitions disposent d'un nombre d'éléments
indispensables à la planification qui forment un ensemble, une entité. La
programmation dans le temps qui est explicitée davantage par
Robillard dans le même article, dans le sens où elle s'étend sur une longue
durée et doit donc prévoir des phases d'évaluation. L'identification des
moyens et le choix des procédures de réalisations qui vont exiger la
refondation du système éducatif, la conception de nouveaux manuels
scolaires, une nouvelle conception de programmes télévisés ou
radiodiffusés…, ainsi que l'identification des agents qui selon les cas
varient entre une institution chargée de la totalité de la planification ou
plusieurs auxquelles seront confiées un ou des aspect(s) de la tâche.
Tous ses éléments contribuent à rendre l'action menée viable et
réalisable.
En d'autres termes, une planification linguistique est
nécessairement fondée sur une politique linguistique à finalités bien
44
définies. Néanmoins, toute politique linguistique n'est pas nécessairement
planifiée et mise en œuvre, notamment les politiques linguistiques
concernant des groupes restreints, des communautés cœxistant avec
d'autres communautés : les sourds-muets, les diasporas, les minorités
linguistiques.
Dans ce sens, la politique linguistique agit dans un champ large
qu'il faudrait délimiter ainsi que ses applications au niveau de la
planification.
2- Les domaines d'action des politiques linguistiques et leurs
Applications au niveau de la planification
L'intervention des Etats sur les langues à travers les politiques
linguistiques touche deux domaines le statut et la forme selon Baylon
(2005) et deux fonctions symbolique et pratique selon Calvet (1991). Une
fonction pratique se transforme en fonction symbolique faute de
planification et d'application. La fonction pratique peut agir soit sur la
langue soit sur les langues.
Dans le premier cas, l'action vise la forme de la langue,
l'orthographe, le lexique, les formes dialectales, la planification œuvre
dans un domaine linguistique, dans le sens de diffusion d'ouvrages, de
dictionnaires …, et sociolinguistique dans le sens d'études et de
recherches pour préparer le terrain aux changements et y adapter le plan
d'action.
Dans le second cas, l'action intervient dans les situations
plurilingues, quand il faut choisir une langue nationale parmi plusieurs
langues en présence, ou au moment de changement de statut d'une langue
et la promotion d'une langue locale au statut de langue nationale, décider
des langues d'enseignement, de communication médiatique… c'est le
45
statut de la langue qui est visé. Dans ce cas la planification, opère sur le
système éducatif, les manuels scolaires, les textes et les documents à
étudier, la formation des enseignants.
Dans les deux cas, à notre avis, des travaux de traduction de qualité
doivent accompagner la dynamique mise en œuvre.
3- Les domaines d'action des politiques linguistiques et leurs
applications au niveau de la planification au Liban
La politique linguistique d'un pays peut s'exprimer dans sa
constitution et dans ses lois, ou, implicitement, par les usages
généralement observés dans les rapports entre le gouvernement et ses
citoyens.
A ce niveau, la politique linguistique au Liban est exprimée par
l'article 11 de la Constitution libanaise qui décrète que "l'arabe est la
langue officielle au Liban".
En l'absence de toute autre législation linguistique, cette politique
implicite ne nécessite aucune planification, aucune intervention de la part
de l'état libanais.
Pratiquement, sur le terrain l'arabe est la langue de l'administration,
des tribunaux, des annonces et des publicités officielles et d'ordre public.
N'empêche qu'un grand nombre de correspondances, de publications
officielles sont rédigées et diffusées en langues étrangères.
Dans le secteur privé, la liberté de choisir la langue de travail est
laissée aux établissements, aux institutions … . Liberté qui sous prétexte
de modernisation et d'ouverture, a permis un envahissement des langues
étrangères dans notre quotidien.
46
Dans le domaine de la santé, les langues étrangères prédominent
les ordonnances, les rapports, les factures et parfois l'entretien oral avec
les membres du service médical, (médecins, infirmiers).
Pour ce qui est des banques et de l'aéroport à part le contrat rédigé
en trois langues dont l'arabe toutes les correspondances électroniques et
ordinaires sont faites en langues étrangères, surtout en anglais.
En matière d'information du consommateur, le mode d'emploi,
ingrédients n'existent pas nécessairement en langue arabe.
Dans le domaine de l'éducation, sujet de la présente étude, comme
noté plus haut, toute politique linguistique explicite est absente, sauf les
clauses des objectifs qui orientent vers une ouverture culturelle par le
biais de l'enseignement d'une première langue étrangère débuté au
primaire, et d'une seconde langue étrangère dont l'enseignement
commence au complémentaire. A remarquer que dans bon nombre
d'écoles privées, l'enseignement de la seconde langue étrangère est donné
également à partir du primaire.
Pour ce qui est des matières scientifiques il n'est dit nulle part dans
les curricula dans quelle langue elles doivent être enseignées. Là aussi la
liberté est laissée aux établissements scolaires d'opérer leurs choix.
L'étonnant est que les écoles officielles, sous tutelle des autorités
compétentes, dispose de la même liberté. Les curricula des
mathématiques et des matières scientifiques sont rédigés dans les trois
langues arabe, française, anglaise, sans aucune distinction de priorité
fonctionnelle ou statuaire, les questions d'examen au brevet et au bac sont
offertes aux apprenants dans les trois langues (l'arabe, le français,
l'anglais).
Néanmoins, d'après les statistiques du CRDP la plupart des écoles
au Liban enseignent les matières scientifiques en langues étrangères. Un
47
équilibre fictif est établi dans le nombre de matières enseignées en langue
arabe (civisme, histoire, géographie, langue) et en langue étrangère (math,
physique/chimie, biologie, langue). Or, le nombre de périodes est
majoritaire au profit de la langue étrangère. N'est-ce pas une politique
implicite pour promouvoir et avancer la ou les langue(s) étrangère(s) ?
En conclusion, il semble que l'état libanais en l'absence d'une
politique linguistique explicite, tend à encourager l'ouverture culturelle
par le biais de l'ouverture linguistique au sein de l'école. En conséquence,
les établissements scolaires jouissant de cette liberté, en profitent pour
encourager leurs apprenants à devenir bilingues voire multilingues les
armant d'un bagage scientifique et linguistique et par suite culturel
consistant pour faire face à l'avenir.
Pourtant, l'UNESCO souligne "le droit des personnes et des
groupes ethniques à préserver leur identité culturelle, dont leur langue est
un des véhicules les plus importants" (Ohsako, 1995, P. 77).
Comment la sociolinguistique envisage t-elle le rapport entre
identité et langue, et comment établit-elle l'équilibre entre plurilinguisme
et préservation des langues maternelles ?
48
Chapitre IV
Rapport identité/langue en sociolinguistique
1- Identité culturelle, éducation et langue
"La culture peut être définie comme l'ensemble des manières de
penser, d'agir et de sentir d'une communauté" et "L'identité culturelle est
l'identification à un ou plusieurs groupes culturels déterminés" (Abou,
1981).
Or Abou affirme, en substance, que les groupes culturels sont le
groupe ethnique ou la nation ou parfois une instance internationale. Et
que de toute façon, l'identité culturelle plonge ses racines dans l'identité
ethnique. Cette dernière est fondée sur des données objectives telles une
langue, une race, une religion voire un territoire, des institutions ou des
traits culturels. La langue transcende les autres éléments dans la mesure
où elle a le pouvoir de les nommer, de les exprimer et de les véhiculer.
Cependant, les nouvelles "théories de l'identité" ont mis le point sur
des données plus subjectives, notamment la langue, les croyances et les
traditions, dans une optique plus ouverte qui remplace la religion par les
croyances et la race par les traditions. Ces pratiques libératrices laissent à
la personne un espace aéré de réflexivité, une distance de recul où son
choix identitaire dépend de son jugement délibéré dans le contexte
temporel et spatial de chaque situation. Cette évolution dans les
49
représentations offerte par les nouvelles théories de l'identité implique le
remplacement de communauté par société.
En d'autres termes, la langue est une donnée de l'identité culturelle
par laquelle une société exprime son histoire, ses croyances et ses valeurs.
Or, la société représentée par les institutions nationale (l'Etat) et
internationale (l'UNESCO) intervient dans la régulation de la
transmission de ces cultures, de leurs interactions et de leur
développement en vue d'une compréhension internationale et nationale
interculturelle (Ohsako, 1994).
La société nationale s'étale sur le territoire étatique, qui englobe la
multitude des communautés-sociétés. L'état sous ses différentes doctrines,
par le biais de ses politiques nationales, s'efforce d'établir une intégration
culturelle en vue d'une cohésion nationale dans le respect des droits de
l'homme.
Les différentes politiques privilégient le système éducatif en tant
qu'agent de transmission culturelle, et d'ouverture interculturelle. Elles
avouent l'importance de la langue en tant que "reflet de la culture d'un
groupe", "véhicule d'instruction", "elle révèle l'histoire culturelle d'une
nation et l'évolution de sa société".
Néanmoins, les Etats tendent vers des politiques unilingues en
raison d'unification nationale, de préservation du patrimoine culturel
national, des valeurs et des croyances exprimés et véhiculés par la (les)
langue(s) nationale(s).
L'éducation multiculturelle exige une éducation multilingue et les
Etats s'efforcent de promouvoir leur propre culture via leur propre langue.
Ce paradoxe peut déboucher sur des conflits au sein d'un même Etat.
Cependant, la gestion de la complexité de la diversité relève de la
50
responsabilité d'une politique linguistique et éducative à finalités claires
et bien définies.
2- Politique linguistique et identité culturelle
De toute évidence une politique linguistique adéquate favoriserait
l'aboutissement de l'Etat à ses finalités d'unification et de cohésion
nationales. La mission peut sembler difficile surtout que les Etats ne se
composent pas de groupes ethniques homogènes qui parfois cœxistent et
se côtoient mais ne vivent pas nécessairement ensemble, motivés par la
volonté d'un destin commun. La situation balance entre le consensuelle et
le conflictuelle, comme la décrit Abou (Ibid.). Les politiques linguistiques
varient selon les Etats. Les uns confèrent un statut d'égalité à toutes les
langues en présence, d'autres tendent vers une assimilation linguistique et
culturelle dans une langue unique tout en laissant aux groupes la liberté
de garder leur langue d'origine.
Or, dans le premier cas, le statut d'égalité n'est pas nécessairement
réel, une langue jouit souvent d'un prestige et d'une suprématie sur les
autres langues en présence, marquant par-là même une menace
d'assimilation.
Dans le second cas, les revendications des groupes assimilés ne
tardent pas à réclamer le droit de promouvoir leur langue et leur culture
d'origine.
Les politiques linguistiques des Etats décolonisés présentent une
situation tout à fait complexe. Se référant aux droits de l'homme, ces Etats
ont droit à une politique linguistique promouvant leurs langues et leurs
cultures en vue de développer une identité nationale dans la dignité et le
respect de ses citoyens.
51
Or, selon l'auteur, ces Etats sont aussi dans l'obligation d'assurer à
leurs citoyens l'accès à la communication internationale et à la culture
scientifique et technologique modernes. Ce qui les oblige à maintenir la
langue de la colonisation, sinon ils "voueraient les générations montantes
à un dénouement culturel inhumain." Il donne l'exemple de certains pays
du Proche- Orient dont la langue était, dans le passé, une grande langue
de civilisation, mais qui se trouve aujourd'hui fortement handicapée pour
véhiculer la culture scientifique, en l'occurrence la langue arabe. Notant le
recul culturel de ces pays faute de liquidation prématurée de la langue du
colonisateur.
Néanmoins l'arabe est l'une des six langues de l'UNESCO, l'une
des cinq langues les plus anciennes au monde, l'une des cinq langues les
plus parlées au monde (Hagège, 2002, p. 185), l'une des langues
passerelles de cultures à travers les traductions. L'arabe est également une
langue vivante surtout avec la modernisation qu'elle acquiert avec la
révolution technologique, informatique, médiatique.
On se demande à ce stade si cette politique est prématurée ou bien
si elle manque seulement de bon sens. Une politique, comme remarqué
plus haut, est une planification à long terme et suppose des évaluations et
des réajustements en cours d'exécution. Ce n'est pas un choix définitif et
stable dans le temps. Donc adopter la langue du colonisateur ou une
langue nationale dans une politique linguistique suppose une stratégie
mobile et flexible dont la finalité est de promouvoir la ou les culture(s)
nationale(s).
Au Liban, la politique linguistique explicite est exprimée par
l'unique article 11 de la Constitution qui décrète que l'arabe est la langue
officielle au Liban.
52
Par contre, la liberté linguistique adoptée au Liban est perçue
comme une ouverture culturelle, c'est "construire l'image de son identité
et de son monde, en interaction avec, l'autre, reconnu, à la fois comme
différent et comme partenaire" (Tohmé 2001, p. 144), comme "un élan
vers la primauté du culturel et des valeurs" (Tabet 2001, p. 113), c'est
également, une "culture métissée qui distingue profondément le Liban des
autres pays arabes du Mashrek" (Abou, 2003, p.49), comme "facteur de
développement" (K. Haddad, 1997 p. 388), comme une carte de crédit
dans le monde des études supérieures et professionnelles. C'est tout à fait
correct et valable mais il y est resté une place pour une culture d'origine
véhiculée par l'arabe langue maternelle. Cette politique ouverte s'est
glissée dans ce que craignait Abou (1981, p.123) en parlant de la
promotion des langues minoritaires dans les Etats plurilingues et par
analogie cela s'applique à la politique linguistique au Liban. Cette
politique "n'implique jamais le rejet de la langue nationale ; quand un tel
excès se manifeste, il est le fait de groupuscules politiquement manipulés.
L'Etat peut donc s'attacher essentiellement à la promotion des langues et
des cultures ethniques, (remplacer cultures ethniques par cultures
étrangères) si elle est bien conçue et organisée, cette promotion se
traduira par un enrichissement de la langue et de la culture nationales
elles-mêmes."
3- Identité culturelle et identité linguistique
L’identité culturelle se construit dans le temps. Elle se développe à
travers les représentations qu’un peuple se forme de lui-même. Les
représentations ne sont pas fictives. Par contre, elles se déposent dans des
réalités : dans des formes de paysage, dans des styles de maison, dans des
littératures orales et dans des textes, dans des rites, dans des musiques ou
53
dans des danses, dans des institutions. Elles se cristallisent dans des
objets et dans des œuvres. Les identités linguistique et culturelle,
dépendent, pour exister, des représentations que les hommes se font de
leurs langues et de leurs cultures. (Lenclud, 2003)
D’autre part, c’est par la langue orale et écrite, sujet de la présente
étude, que se conservent et se transmettent la culture et l’histoire des
peuples. La formation des citoyens, l'acquisition d'une histoire et d'une
culture et le développement du sentiment d'appartenance se réalisent par
la langue, instrument d’insertion sociale et professionnelle pour les
citoyens, elle est également pour les migrants un facteur d’intégration
dans les sociétés d'accueil qui se fait d’abord par le partage d’une langue
commune (De Vabres, 2004)
Néanmoins, une langue n’existe pas dans le vide. Elle existe pour
exprimer une réalité sociale et culturelle. Elle est, par excellence, le
moyen d’expression de la culture. Museler la langue d’un peuple équivaut
à étouffer du même geste les valeurs culturelles de celui-ci. (Adiafi, 2006)
Par suite, les rapports entre langue(s) et vie sociale sont à la fois
des problèmes d’identité, de culture, d’économie, de développement,
problèmes auxquels n’échappe aucun pays (Calvet, 1996).
La dimension identitaire très forte et fondamentale comprise dans
une langue, et son rôle comme marque identitaire, peuvent être très
politisés, surtout quand la langue définit l’unité d’un groupe social
(Laponse, 1984).
Néanmoins, la notion d’identité linguistique est liée à celle de
communauté linguistique (Mufewène, 1997).
54
4- Identité linguistique et communauté linguistique
Labov a démontré, à partir de ses recherches sur les parlers new
yorkais et à Martha’s Vineyard, que toute communauté linguistique
s’identifie à sa langue et par sa langue. Au moment où un individu évalue
positivement sa langue et /ou son parler, il s’y identifie en résistant à la
pression du changement et cette évaluation se traduit par une défense
identitaire et un accrochement territorial, patrimonial, économique.
(Labov, 1976)
Par ailleurs il faut mettre au clair le concept de communauté
linguistique.
Serait-ce une communauté de langue, une communauté de parole
ou de répertoire, une communauté politique, nationale ou ethnique, une
communauté partageant les mêmes normes ou faut – il l’aborder sous un
angle différent?
Les communautés linguistiques ne poseraient aucun problème
d’identification, si on les percevait comme communauté de langue.
Elles coïncideraient donc avec les groupements humains
géographiquement et/ou socialement définis par l’usage commun d’une
langue (Baggioni, 1997).
Or, en faisant prévaloir le point de vue social dans l’approche de
cette notion, nous sommes amenés à examiner les différents types
d’interactions et à déterminer quel volume chacun occupe dans les
échanges des différents membres de la communauté. Cela nous renvoie à
une communauté de parole ou de répertoire comme la définissent
Gumperz et Fishman. Ces derniers postulent que « les communautés
linguistiques se définissent par la manière dont leurs membres mettent les
langues en contact et la façon dont ils connectent les réseaux de
55
communication, en utilisant plusieurs codes linguistiques de manières
différenciées selon les rôles qu’ils ont à tenir dans la vie sociale. » (Ibid.)
Toutefois, il serait acceptable « d’assimiler communauté
linguistique et entité politique, nationale ou ethnique. » (Ibid.)
L’exemple de la France peut être révélateur de la justesse de cette
assimilation (politique et nationale). La vitalité des patois et des dialectes
était telle, à la fin de l’ancien régime, qu’une enquête menée par la
Convention révéla que douze millions de Français, soit la moitié de la
population de l'époque, étaient incapables de parler le français. Il a fallu
donc une intervention politisée de la part des révolutionnaires de 1789,
pour asseoir une langue unifiée, standardisée, une langue nationale, " une
langue de l’unité nationale." (De Genouvrier, 1986)
Par ailleurs, il est vain de faire coïncider communautés
linguistiques et entités politiques nationales surtout si la définition des
identités sociales ne passe pas par un sentiment d’appartenance à une
communauté nationale.
En outre, il paraît intéressant d’évoquer le cas des juifs qui, à partir
d’une langue (entre autres facteurs, la religion, l’ethnie …), ont fondé une
communauté politique nationale unifiante qui constitue leur identité. Et
le cas des Arméniens, qui sur les débris de leur situation d’entité politique
et nationale continuent à développer ce sentiment d’appartenance à une
communauté ethnique à laquelle ils s’identifient.
Pourtant, Labov considère que l’élément fondateur d’une
communauté linguistique est la référence à des normes communes.
(Labov, 1976)
Alors que Fishman (1971) propose qu’«une communauté
linguistique existe dès l’instant où tous ses membres ont au moins en
commun une seule variété linguistique, ainsi que les normes de son
56
emploi correct. Ainsi, une communauté linguistique peut se réduire à un
groupe de personnes refermé sur lui-même, (les tribus, les groupes
isolés) ». Mais il ajoute deux composantes caractéristiques d’une
communauté linguistique, le contact verbal et l’intégration symbolique.
D’où il constate que « la nation et la région représentent une communauté
linguistique et la langue normalisée-langue nationale, ou la langue
régionale représentent alors la variété correspondante.» (Ibid, pp. 43- 44)
Christian Baylon parle de «normes partagées» qui unifient la
communauté linguistique (indicateurs, marqueurs et stéréotypes) et
permettent de dévoiler comment évaluent les membres d’une même
communauté, les variétés de leur langue (les formes de prestige, les
marques de statut) et leurs représentations face aux normes linguistiques.
(Baylon, 2005)
Cependant, l’article 1 de la Déclaration Universelle des Droits
linguistiques postule : «La présente Déclaration entend par communauté
linguistique toute société humaine qui, installée historiquement dans un
espace territorial déterminé, reconnu ou non, s'identifie en tant que peuple
et a développé une langue commune comme moyen de communication
naturel et de cohésion culturelle entre ses membres. L'expression langue
propre à un territoire désigne l'idiome de la communauté historiquement
établie sur ce même territoire.»
Ainsi une communauté linguistique est composée d’un ensemble
de locuteurs qui partagent, en effet, non seulement une langue, mais aussi
un ensemble de normes et de valeurs d’ordre sociolinguistique. Ils
adoptent des attitudes linguistiques semblables, des règles d’usage
communes. Les membres de cette communauté sont donc capables de se
reconnaître à travers leurs pratiques langagières. (Duchêne, 2002)
57
Néanmoins "se reconnaître" ne décrit pas suffisamment la réalité de
la relation qui gouverne les interactions, les émotions et les
représentations au sein de la communauté linguistique, il vaut mieux dire
s’identifier qui semble plus pertinent et plus révélateur de la notion
d’intégration et d’identité comme elle sous-entend l’histoire, la culture et
le patrimoine d’un peuple, d’une région, d’une ethnie, d’une classe
sociale, d’un groupe professionnel, d’un groupe de pairs.
De toute façon, la sociolinguistique a souligné la nécessité de
comprendre les mécanismes de fonctionnement, de variation et,
d’évolution des langues en regard de leurs contextes socio-historiques et
par conséquent, des communautés humaines, sociales, institutionnelles et
politiques, dans lesquelles elles sont en usage (Bretegnier, ). D’où on peut
déduire qu’à la limite une communauté linguistique peut être définie en
fonction des besoins de toute étude sociolinguistique, tout en prenant en
considération les facteurs à étudier du point de vue variété de langue,
normes ou langue, le contact avec d’autres variétés de langues ou d’autres
langues, la taille du groupe à étudier, son territoire, le facteur
d’appartenance ou de cohésion.
En tout cas, il est peu probable d’imaginer une communauté
linguistique sans l’existence d’une identité linguistique, surtout si on
adopte une approche libérale et si on accepte que tout individu a droit à
choisir son groupe d’appartenance et, par suite, à adopter ses normes, sa
langue, à adhérer à l’élaboration de son histoire, à faire partie d’une
communauté à identité distinguée des autres. Ces marques d’appartenance
et de différenciation sont tout à fait courantes dans le groupe des pairs, les
membres d’un club, les élèves d’une même section de classe, voire d'une
même école; les membres d’un même groupe adoptent un style
58
vestimentaire ou d'autres traits distinctifs : accessoires, coiffures, et des
attitudes linguistiques propres au groupe qui les distinguent des autres
marquant par-là leur territoire identitaire.
En d’autres termes une identité linguistique ne s’affirme qu’au sein
d’une communauté linguistique et ne se développe qu’en interagissant
avec d’autres communautés et d’autres langues.
Quel serait donc la situation de l’identité linguistique en présence
d’une situation de multi/ bilinguisme ?
59
Chapitre V
Bilinguisme et diglossie
1- Identité linguistique et multi/bilinguisme
Le bilinguisme est considéré traditionnellement comme le fait
d’individus très particuliers qui, pour des raisons personnelles, se sont
trouvés apprendre en même temps deux langues premières de statut social
et national identique. Il y aura donc des bilingues franco-anglais, des
bilingues franco-espagnols, des bilingues germano-russes. Il s’agit
d’individus isolés et de deux langues de prestige, apprises en même temps
au cours de la tendre enfance.
De même qu’on n’a pas deux mères, on ne saurait avoir deux
langues maternelles. Ce qui paraît normal que tout homme ait une langue
en quelque sorte naturelle, et que cette langue soit maîtrisée à la
perfection.
Or, l’expérience montre qu’un individu n’a pas de
langue "naturelle", en ce sens que, lorsqu’il vient au monde, il est
susceptible d’apprendre "parfaitement" n’importe quelle langue, celle du
milieu où il vit.
"De toute façon aucune langue n’est jamais maîtrisée à la
perfection qu’il s’agisse de la première acquise dite "maternelle" ou de
toute autre langue. Il vaudrait mieux dire que cette langue est maniée à
satisfaction de l’entourage." (Martinet, 1989, p. 72)
60
Pour Bloomfield, (cité par Dabène 1994) "un individu est considéré
bilingue s’il fait preuve dans deux systèmes linguistiques d’une
compétence égale à celle d’un locuteur natif."
Par contre MacNamara (Ibid) estime que le bilingue est un sujet
qui possède une compétence minimale dans une des quatre habiletés
linguistiques : comprendre, parler, lire et écrire dans une langue autre que
sa langue maternelle.
Par ailleurs, R. Titone (Ibid) définit le bilinguisme comme la
capacité d’un individu de s’exprimer dans une seconde langue en
respectant les concepts et les structures propres à cette langue plutôt
qu’en paraphrasant sa langue maternelle.
Mackey (1976, p.9) considère le bilinguisme, "comme l’alternance
de deux ou plusieurs langues" et que le "bilinguisme naît du contact des
langues" d’où la nécessité de l’existence de deux ou de plusieurs
communautés linguistiques différentes.
Christian Baylon trouve que plurilingue et plurilinguisme sont des
termes plus généraux que bilingue et bilinguisme. Il élabore une même
définition pour les deux termes : "un bilinguisme est l’usage indistinct de
l’une ou l’autre langue, et le passage de l’une à l’autre quels que soient
les circonstances et les thèmes abordés." (Baylon, 2005, p.148)
Fishman (1971) distingue entre le bilinguisme, fait individuel
relevant de la psycholinguistique, et la diglossie comme phénomène
social et représente d’une manière simple les relations possibles entre
bilinguisme et diglossie.
En revanche, un individu devient bilingue parce qu'il désire
communiquer avec des personnes qui parlent une autre langue. Les
raisons pour apprendre une langue sont donc d'ordre social et
économique. C’est le bilinguisme social qui se développe au sein des
61
communautés bi/multilingues (professionnelles, familiales, ethniques…)
Dans les situations de bilinguisme social, il importe d'assurer à la langue
maternelle une certaine dominance, sinon les risques de mutation
linguistique (transfert ou changement de langue) demeurent élevés. (Le
multilinguisme: un phénomène universel, 2002 )
Or, Sur un total de 224 états, seulement 29, soit 12,9% de
l’ensemble, sont linguistiquement homogènes dans une proportion de
90% ou plus. Les 29 états linguistiquement homogènes, Cuba (11,1 M),
le Portugal (10,4 M), la Pologne (38,6 M), le Bangladesh (124,7 M), la
Corée du Nord (25,5 m), la Corée du Sud (44,8 M) et le Japon (125,1 M).
Le Liban se situe parmi les sept autres états au-dessus de trois millions
d'habitants: Haïti, le Paraguay, l'Uruguay, l’Albanie, l'Autriche, le
Danemark (Ibid).
Parmi ses Etats, 87,1 % sont dans une situation de bilinguisme
étatique ou institutionnel (ce qui permet à chacun des groupes en présence
de pratiquer l'unilinguisme). Politique, planification et aménagement
linguistiques entrent en jeu pour exécuter une politique qui opte ou non
pour un bilinguisme officiel et / ou national.
Peut être faut-il chercher les circonstances et les raisons de
l’adoption du bilinguisme (individuel ou institutionnel) et la communauté
linguistique au sein de laquelle l’étude du concept se développe, pour
décider d’une définition adaptée à chaque cas, afin de pouvoir analyser le
facteur identitaire en situation bilingue.
Faut-il supposer dans le cas d’un bilingue ou d’un multilingue qu’il
existe des identités linguistiques pour un même individu ?
Si la langue est l’expression de l’histoire vécue d’un peuple telle
qu’elle est transmise par un patrimoine culturel oral et écrit, de génération
en génération, il est difficile de supposer l’existence d’"identités
62
linguistiques" plutôt d’une seule "identité linguistique", comme d’une
seule "identité nationale".
Si on suppose que tout individu est libre de choisir son identité qui est
en évolution permanente tout au long de sa vie, et que "les locuteurs
portent souvent plus d’une identité et la langue qu’ils choisissent de
parler est fonction des circonstances et de la manière dont ils veulent y
être perçus" (Mufewène, 1997), et que la langue n'est pas seulement un
instrument de communication, mais un symbole d'identification à un
groupe, parler une langue ou une autre lorsqu'on est bilingue est parfois
considéré comme un acte d'intégration ou de trahison sociale.
De toute façon, il existe des communautés où l’on utilise
systématiquement deux langues à des fins différentes. C’est ce
phénomène de divergence linguistique selon la fonction sociale qui est
connu sous le nom de diglossie.
2- Bilinguisme et diglossie, une situation conflictuelle
Fergusson en 1959 fut le premier à répandre le concept de
diglossie pour désigner "la coexistence dans une même communauté de
deux formes linguistiques qu’il baptise variété haute et variété basse
donnant l’exemple de l’arabe classique et de l’arabe dialectal dans les
pays arabophones" (Calvet, 1993).
Gumperz étend le champ à des situations mettant en présence
différents dialectes ou registres, même s’ils ne sont pas apparentés.
Fishman reprend le problème en élargissant l’étude de la notion au
niveau de la nation ou d’une société entière, il distingue alors entre le
bilinguisme, fait individuel relevant de la psycholinguistique, et la
diglossie, phénomène social qui représente d’une manière simple les
relations possibles entre bilinguisme et diglossie. (Fishman, 1971)
63
Dabène (1994), Srage (2003), Baylon (2005), Boyer (1991) et
Biniamino (1997) reprennent la même définition pour l’appliquer à de
nouveaux terrains de travail et à d’autres communautés linguistiques.
Les critères de Fergusson restent la référence de base pour les
sociolinguistes précités : précisément en ce qui concerne la répartition des
rôles de chacune des variétés et le statut dominant de l’une d’elles,
(variété haute, langue prestigieuse de culture et des relations formelles et
variété basse celle de la vie commune et est d’habitude la langue
naturellement acquise).
La discussion est surtout centrée sur la question du conflit des
langues en contact et sur la stabilité de la situation diglossique.
Or, quand on parle de langue dominante et de langue dominée la
situation est forcément conflictuelle, surtout quand la langue dominante
reflète la puissance d’une colonisation. Les représentations vis-à-vis des
deux langues en contact décident de la stabilité de la situation de langue
dominante/ langue dominée, et Boyer (1991, p. 94) parle de "culpabilité"
sociolinguistique. Sinon, dans beaucoup de cas le conflit semble plus
dissimulé, les variations s’introduisent plus ou moins pacifiquement et les
statuts des langues se renversent jusqu’à la quasi-disparition de la langue
devenue dominée.
Calvet voit que "la diglossie est en perpétuelle évolution", et
évoque "le cas de la Grèce, que Ferguson prenait comme l’un de ses
exemples, est ainsi, trente ans après, complètement modifié : la variété
"basse" de Fergusson, le grec démotique, est aujourd’hui langue officielle
et l’ancienne variété "haute" ne sera bientôt qu’une langue morte".
(Calvet, 1993)
On considère donc qu´une idéologie diglossique repose sur la
production de deux représentations des langues en présence : une
64
représentation de la langue dominante (A) et une représentation de la
langue dominée (B), parfaitement antagonistes. (Boyer, 2004)
De toute façon la langue est une activité sociale et la
sociolinguistique l’étudie comme telle. D’où la nécessité de prendre en
considération toutes les influences sociales, économiques, politiques,
ethniques, même psychologiques qui entrent en jeu dans chaque cas,
même si on suppose qu’il existe des situations similaires.
Donc, la stabilité est relative, elle peut être déclenchée par un
changement brutal (décolonisation, décision institutionnelle ou nationale),
ou par une modification progressive pour des raisons d’évolution
naturelle dues à la modernisation, par exemple, du changement de statut,
ou sous pression de mouvement de défenseurs de langues minoritaires…
Cette instabilité est due à l’existence d’une situation conflictuelle;
en cas de diglossie, il serait bénéfique de distinguer plusieurs cas de
figure et d’en tenir compte séparément. Ainsi l’on parle de conflit
linguistique (le modèle catalan) ou de fonctionnements diglossiques (le
modèle occitan), les rapports entre langue dominante et langue dominée
sont des rapports conflictuels, et la domination est de type politique.
(Laroussi, 2006)
Qu'en est-il du cas de la langue arabe, notamment au Liban ?
3- Diglossie et langue arabe au Liban, conflit ou cohabitation ?
Dans le cas de la diglossie arabe, il est difficile d’imaginer un
conflit entre les dialectes ou les parlers et la langue dite standard moderne
et l’arabe classique (Coranique). Chacune d'elles possède sa fonction
sociale; l'une standardisée, écrite, employée dans l’administration, dans
les discours politiques, dans l’enseignement et la religion, dans les médias
écrits, radiodiffusés et télédiffusés. L'autre tirée des dialectes ou parlers
65
(libanais, égyptiens, marocains, algériens…), l'arabe fonctionne plutôt
comme une seule langue même si les parlers maghrébins sont
incompréhensibles au Proche-Orient (Blanchet, 2004), ne sont pas écrits,
sont les premiers acquis ou naturellement acquis, représentent la seule
variété parlée au quotidien, au sein des familles, entre amis, … alors que
l’arabe classique, coranique, comme toute autre langue, peut être
maximalement valorisé sans être offert à l'usage. Admettons que ces
langues échappent au champ pratique de la diglossie. Jusqu’à présent
elles ne sont pas en conflit, elles cohabitent et se complètent. (Sauzet)
Conflit ou cohabitation tout dépend des circonstances dans
lesquelles les langues ou les variétés de langues évoluent et des
représentations que développent leurs locuteurs ainsi que des politiques
adoptées par les autorités qui les gouvernent.
Néanmoins, le bi/multilinguisme centré surtout sur deux langues
occidentales essentiellement, l'anglais et le français, est devenu
phénomène international. Intégré dans l'éducation, il présente un défi de
gestion équilibrée et adaptée aux cultures des peuples qui l'adoptent.
4- Un multilinguisme éducatif pour une compréhension
internationale
"Non seulement l'éducation est un agent de transmission culturelle,
mais elle doit encourager, modifier et stimuler le développement culturel"
(Ohsako, 1995, p.63). Dès lors, l'éducation prend un qualificatif à
dimension culturelle, voire multiculturelle.
A partir de là, l'éducation multiculturelle exerce un nombre de
fonctions, de rôles, et de responsabilités universelles dans le
développement international multiculturel. Elle aide l'apprenant à
s'instruire sur sa propre culture, sur les autres cultures et sur les éléments
66
culturels communs. Elle l'aide de même à comprendre la nature et la
signification de la culture, la façon dont les diverses cultures agissent les
unes par rapport aux autres, et dont elles évoluent et changent. Par-là
même elle dote l'apprenant des moyens efficaces pour réagir face aux
racines culturelles des problèmes de malentendus culturels, des préjugés,
de l'ethnocentrisme et du racisme.
Des politiques linguistiques éducatives qui adoptent des
programmes d'apprentissage et d'enseignement sur les droits de l'homme,
le respect la compréhension et la tolérance des différences culturelles,
contribuent à la culture de la paix. (Dubeldam, 1995)
Une culture multilingue ainsi conçue est le passeport vers une
compréhension internationale dans le respect des Cultures; toutes les
cultures dont les langues sont le véhicule essentiel. Une culture comme
telle abolit les cloisonnements linguistiques, institue une compréhension
interculturelle dans des rapports d'égalité et de respect mutuel.
Conclusion : Les politiques éducatives plurilingues au service
d’un développement culturel international
Au-delà des frontières territoriales, des discriminations ethniques et
racistes, les langues, reflets des cultures, semblent porter remède à
beaucoup de maux. S'il est impossible de se passer du dialogue et de
l'échange verbal, il est également impossible de se passer de langues,
instrument indispensable de toute activité humaine. A chacun sa langue,
peut avoir le sens de dresser des frontières stables autour de systèmes de
valeurs, reconnus comme communs et identitaires. Or, avec la prise de
conscience de la dynamique du processus identitaire, il semble légitime
d'espérer qu'un plurilinguisme, préservant à tout un chacun sa dignité en
tant que singulier parmi des semblables, puisse déboucher à un pluralisme
67
culturel. Nul ne peut supposer que ce dernier conduirait nécessairement à
la cœxistence pacifique, mais du moins, que les affrontements et les
conflits feraient partie intégrante de la dynamique culturelle.
Dès lors, les politiques linguistiques éducatives sont invitées à
œuvrer pour les objectifs culturels à égalité avec les objectifs économique
et pédagogique, pour mettre le tout au profit de l'objectif social. Ce
dernier servira de passerelle à double sens pour le nouveau citoyen du
village planétaire, puisant dans les cultures véhiculées par les langues,
développant sa culture et le citoyen d'une nation et répandant à son tour,
de par sa langue, une culture renouvelée.
Toutefois les politiques éducatives plurilingues réussies sont celles
qui peuvent opter pour des objectifs adaptés aux besoins nationaux, dans
une perspective d'ouverture interculturelle et d'évolution future sans
grande perturbation. Ces politiques pourront œuvrer surtout à éviter
l'imposition de certains schémas, valeurs et comportements culturels
typiques de ceux qu'on appelle des "pays centraux", et qui menacent
l'identité des cultures dites "périphériques".
En somme, le plus grand défi des systèmes éducatifs consiste à
élaborer une politique qui permet de participer et de réagir aux
mouvements culturels mondiaux tout en préservant leur identité culturelle
exprimée par leurs valeurs, leurs croyances et leur langue.
A partir de là, "le Liban mission d'ouverture et de paix" selon les
propos du Pape Jean-Paul II, semble renoncer à son rôle de médiateur
culturel dans son milieu, en négligeant l'importance de l'arabe langue
maternelle en tant que composante de l'identité libanaise. Théoriquement
démontrée, la langue, véhicule de culture des peuples et facteur principal
de son identité nationale, entre dans la dynamique de construction de
l'identité personnelle. Dès lors, le Liban gagnerait à adopter des politiques
68
linguistiques pour la préservation et la promotion de sa langue et de sa
culture, afin de préserver son rôle de pionnier dans le monde arabe. Ces
politiques ne renonceront pas pour autant, au plurilinguisme et au
pluriculturalisme, qui, depuis l'institution de l'Etat libanais, contribuent,
sans cesse à son développement culturel et économique.
L'arabe langue maternelle est un héritage à conserver et à mettre en
valeur, pour les générations futures. A ce niveau, il est l’objet de mission
de la politique éducative nationale, déléguée particulièrement à l'école.
Cette dernière prendra en considération tous les paramètres de la tâche
éducative pour hausser l'image de l'arabe langue maternelle, démontrer
son importance pour le développement de l'identité libanaise, pour la
cohésion nationale ainsi que pour le rôle de tout un chacun dans
l'évolution de la culture libanaise de par la promotion de sa langue
maternelle.
Toutefois, l'enseignant acteur principal de l'acte d'enseignement/
apprentissage, de par ses pratiques de classes en particulier, contribuera à
la formation d'un citoyen capable de faire face aux défis des
stigmatisations de la mondialisation et de se forger des identités multiples
en vue d'une identité singulière.
Qu'elle image de l'arabe langue maternelle, l'enquête sur le terrain
libanais, révèle t-elle ?
Et, dans quelle mesure les politiques éducatives des écoles
homologuées contribuent-elle à la formation de cette image ?
69
Deuxième partie
Du théorique au pratique
70
Introduction
Si les sciences du langage ont connu des progrès énormes, c'est sans
doute en raison d'un choix qui les a engagées sur la voie de l'étude du
fonctionnement pratique et non plus du point de vue philosophique. D'où
la nécessité d'une enquête sur le terrain en complément d'un cadre
théorique sociolinguistique qui considère que toute étude d’une langue
prend nécessairement en considération l’aspect social indissociable de
l’aspect identitaire.
Toutefois les représentations des apprenants deviennent de plus en plus
le champ privilégié de toutes les disciplines de recherche, notamment les
sciences de l'éducation.
Cependant, à l'entrecroisement de la sociolinguistique et la
psychologie sociale, la présente étude analyse les représentations
identitaires de l'arabe langue maternelle au sein des établissements
éducatifs et au service de l'éducation d'un citoyen libanais.
L'enquête sur le terrain a adopté deux techniques pour le recueil des
données, le questionnaire et l'entretien semi-directif.
71
Chapitre I
Les techniques de l'enquête sur le terrain
1- Techniques d'échantillonnage
1-1- Etude de la population
Les établissements scolaires privés payants comptent 36.7% de la
totalité des établissements scolaires au Liban. Ils sont fréquentés par
51.7% des élèves (Bulletin de statistiques – CRDP-2005/2006)
Les écoles homologuées et conventionnées constituent 3.41 % des
établissements scolaires privées payants.
Tableau 3
Répartition des écoles officielles/ privées au Liban Type
d’écoles
Répartition
Ecoles
officielles
Ecoles privées Total
écoles privées
Total
Non payantes Payantes Homologuées Non
homologuées
Total
Nombre des écoles
1 399 364 35 990 1025 1389 2788
Pourcentage en
fonction du
total des écoles
50.2 % 13.15% 1.25 % 35.50% 36.75% 49.80 100 %
Pourcentage en fonction du nombre des
écoles privées payantes 3.41 % 96.58 % 100%
Chiffres calculés à partir des statistiques du CRDP 2005/2006
72
Tableau 4
Répartition des élèves dans les écoles officielles/ privées au Liban
Type d’écoles
Répartitions
des élèves
Ecoles
officielles
Ecoles privées Total
Non payantes
Payantes
Homologuées Non
homologuées
Total
Effectif des élèves 324 651 115 254 47651 423 758 471 409 911 314
Pourcentage en
fonction du total des
écoles
35.7 %
12.6 %
5.22%
46.5%
51.7 %
100 %
Pourcentage en fonction du nombre des écoles privées payantes
10.10 % 89.90 % 100%
Elles sont fréquentées par 10.10% des élèves des écoles privées
payantes et 5.22 % du total des élèves du Liban.
1-2- Etude de l’échantillon
Sept écoles constituent un échantillon représentatif égal à 20 % du
nombre total des écoles homologuées et conventionnées au Liban (soit
20% de 35 égale à 7 écoles)
Vu la diversité du terrain scolaire libanais des points de vue
socioculturel, socio-économique, confessionnel, régional et géographique,
la technique de l’échantillonnage stratifié semble adaptée à l'établissement
un échantillon représentatif.
La variable géographique sera prise en considération dans le sens où la
région de résidence de l’école représente une communauté plus ou moins
homogène. Les établissements scolaires sont répartis selon la région de
leur résidence, chaque mohafazat constitue une strate.
Les écoles homologuées choisies par échantillonnage stratifié sont
définies comme suit :
73
Les écoles homologuées de Beyrouth, au nombre de dix,
représentent 28.57% du total des écoles visées et par suite l’échantillon
qui les représente est égal à 1.99, soit 2 écoles de Beyrouth.
Les écoles du Mont Liban au nombre de 21, représentent 60% du total
des écoles visées et par suite l’échantillon qui les représente est égal à
4.2, soit 4 écoles du Mont Liban.
Au nombre de 4 (2+2), les écoles du Liban Nord et du Liban Sud
représentent 11.4% des écoles homologuées (5.7% +5.7% ), l’échantillon
qui les représente est égal à 0.79 (0.39 + 0.39) soit une seule école tirée
au sort quelle que soit la région (nord ou sud).
A la Békaa, il n’y a pas d’écoles homologuées.
Les écoles retenues par tirage au sort à l’intérieur des strates régionales
sont codées et réparties dans le tableau qui suit.
Tableau 5
Les écoles de l' échantillon
Strate Beyrouth Mont Liban Liban Nord
Code de l'école
B1 M1 N1
B2 M2
M3
M4
La présente étude prévoit deux techniques de récolte de données,
l'enquête par entretien adressée aux enseignants et l'enquête par
questionnaire destinée aux adolescents apprenants en classe EB9 des
écoles choisies par l'échantillon.
2- L'enquête sur le terrain
2-1- L’enquête par entretien
Un entretien collectif, semi-directif s’adresse aux enseignants de la
classe de EB9 des écoles homologuées faisant partie de l’échantillon déjà
défini.
74
Les enseignants de toutes les disciplines sont invités à participer. Les
enseignants de langues arabe, française et autre, ainsi que les enseignants
des matières scientifiques et d’histoire, géographie, civisme, éducation
artistique et physique, sont priés de s’exprimer sur ce sujet. Un guide
d'entretien et un protocole d'entretien ont été élaborés avant l'entrée sur le
terrain.
2-1-1- Protocole d'entretien
L'entretien prévu cherche à dévoiler durant une heure de temps, les
représentations face à l’arabe langue maternelle, que nourrissent les
politiques éducatives et linguistiques des écoles homologuées au Liban.
Recueilli sur un enregistreur digital à haute sensibilité, l'entretien
débute par une première question à objectifs multiples dont l'un est le
choix de la langue du questionnaire (arabe ou français). Trois cas de
figure se présentent.
Tous les enseignants présents choisissent la même langue de
communication. Dans ce cas, aucun problème ne se pose.
Les choix diffèrent et toutes les personnes présentes sont
capables de se faire comprendre dans une langue commune
donc le groupe s'exprime dans la langue préférée par la
majorité.
Les choix diffèrent mais parmi les personnes présentes, une
ou plusieurs trouve(nt) une difficulté avec la langue choisie
par la majorité du groupe, la liberté lui est laissée de
s'exprimer dans la langue qu'elle préfère, et le groupe se
prononcera dans la langue choisie par la majorité.
75
2-1-2- Le guide d'entretien
A titre indicatif, les rubriques développées dans le guide d'entretien
(élaboré en langues arabe et française, annexe II-1) rassemblent les
informations à récolter auprès des enquêtés. Aucune limite au
déroulement de l'entretien n'est exigée ni dans l’ordre des rubriques ni au
niveau du contenu. Les enquêtés peuvent s’exprimer librement et les
thèmes mentionnés dans les rubriques du guide d'entretien orientent la
régulation de son déroulement dans les meilleures circonstances.
2-2- L’enquête par questionnaire
Quant au questionnaire, il s’adresse aux adolescents apprenants des
sept écoles homologuées choisies par l’échantillon.
Il est élaboré dans les deux langues arabe et française, (annexe II-2)
et chacun est libre de répondre dans la langue qu’il préfère. Argumenter
le choix de la langue nous permet de rechercher ce que pensent les
adolescents des deux langues proposées et nous éclaire sur de nouvelles
pistes.
De même, il vise, à partir de questions fermées et préformées, à
explorer de façon plus ciblée, l'image de l’arabe langue maternelle telle
qu'elle est perçue par les adolescents apprenants enquêtés, ainsi que les
sources de leurs représentations au sein de l’école.
Des questions ouvertes aident à faire émerger librement les
opinions, les sentiments et les représentations des adolescents face à
l’arabe langue maternelle, en dehors de toute contrainte influente.
La première série de questions cible des informations personnelles;
de façon indirecte, elle dévoile les représentations identitaires
insoupçonnées chez les adolescents de l’échantillon.(I- Informations
personnelles)
76
Quant à la deuxième série, elle cherche à découvrir les attitudes et les
comportements linguistiques des adolescents enquêtés dans les situations
différentes de la vie quotidienne non scolaire, en d’autres termes quand
ils s’expriment spontanément en dehors des situations d’apprentissage.
(II- Comportements et attitudes linguistiques)
La troisième série cherche à connaître dans quelle mesure les
adolescents établissent une relation entre l’arabe langue maternelle et
l’identité libanaise. (III- Rapport identité/langue maternelle)
La quatrième série vise à découvrir le statut et les fonctions réservés à
l’arabe langue maternelle à travers la recherche des préférences, de
l’opinion, et des sentiments des adolescents envers l’arabe langue
maternelle et surtout la motivation à l’apprendre en tant que matière
principale. Elle essaie ainsi, d’examiner les sources qui agissent sur la
formation des représentations des adolescents au sein de l’école :
L’identification à l’enseignant, les idées déduites d’après la
valorisation de telles ou telles disciplines aux dépens des autres. (IV-
Représentations et motivations des pratiques linguistiques).
La cinquième série de questions directes nous informe sur le
pressentiment des adolescents à propos de l’influence implicite de
l’enseignant sur la formation de ses opinions et de ses choix. (V-
Influence de l’enseignant dans les choix des élèves)
Une dernière série de questions nous permet de savoir ce que pensent
les adolescents enquêtés et ce qu’il sentent envers l’arabe langue
maternelle. La question finale peut nous informer sur le degré de stabilité
des propos des enquêtés et de leur cohérence tout au long du
questionnaire (VI- Statut de l’arabe langue maternelle).
2-2-1- Protocole de passation du questionnaire
- Durée : 25 à 35 minutes
77
- L'enquête se déroule en classe sous surveillance de
l'enquêteur.
- Le code de l’école est celui qui figure dans le tableau(5)
des écoles échantillon.
- Le code de l’élève est son numéro sur la liste des noms
adoptés en classe sur la section. Par exemple pour un
élève dont le numéro est 12 sur la liste des élèves de la
section A, son code sera 12 /A.
- Chaque enquêté reçoit le questionnaire en même temps
en arabe et en français. Son choix se fait en toute
discrétion sans aucune influence extérieure.
- Pour toutes les questions plusieurs réponses sont
possibles.
- Dans la série IV, l'enquêté est prié de numéroter les
réponses par ordre de préférence (1, 2,…) au lieu de les
cocher.
- Pour la case « autres », l'élève est prié de citer la réponse
qu'il juge adéquate.
3- Déroulement de l'enquête
3-1- L'entrée sur le terrain
Un document envoyé par courrier électronique et/ou livré à la main
après contact téléphonique, nous a introduit sur le terrain.
Ce document comporte, une lettre de présentation émise de la part de
la faculté des Sciences de l'Education, de l'Université Saint Joseph
(annexe II-3), une lettre de présentation personnelle (annexe II-4), les
deux adressées aux responsables des écoles choisies, le guide d'entretien,
78
des exemplaires du questionnaire en versions arabe et française et le
protocole de passation du questionnaire.
3-2- Les difficultés
Si le contact avec certaines écoles a été aisé et facile, avec d'autres il a
fallu attendre des mois pour avoir une réponse. Parfois, le recours au
piston (wasta à la libanaise) semblait nécessaire pour y accéder par
téléphone et un recours supplémentaire pour pouvoir fixer un rendez-
vous, (du début de janvier jusqu'à la de fin juin !!).
Enfin, après une série de contacts ratés, deux écoles ont refusé
catégoriquement de nous recevoir. Annulés à la dernière minute, les deux
rendez-vous étaient difficilement remplacés.
En somme, à peine cette première difficulté de nature temporelle
franchie, qu'ont apparu d'autres difficultés au niveau du déroulement de
l'enquête.
Au niveau de l'entretien, il a été extrêmement difficile de mener
l'entretien jusqu'au bout en raison de la courte durée des périodes que les
enseignants ont pu consacrer à l'enquête.
Les enseignants se tinrent sur la défensive dès qu'ils surent que
l'entretien sera enregistré. Une fois la difficulté franchie, apparaît une
autre au moment de la prise en connaissance du sujet. (Sujet tabou pour
eux).
Malgré les réticences observées au début, pour la plupart, la question
s'est transformée en sujet de réflexion objective et fructueuse, à
l'exception de certaines personnes qui se sont montrées plutôt agressives
et méfiantes.
La plus grande difficulté est venue du manque d'un espace tranquille
adapté à ce genre d'enquête.
79
Quant au niveau du questionnaire, la première excuse exprimée par la
plupart des écoles fut l'impossibilité d'introduire une personne étrangère
en classe. Pour y remédier, le protocole de passation a dû être explicité au
responsable qui s'est chargé de le faire passer aux enquêtés.
Dans certaines écoles, le questionnaire est présenté aux enquêtés en
quelques minutes et ils se sont engagés à y répondre et à le rendre plus
tard.
En définitive, dans une seule école les questionnaires sont passés
conformément au protocole de passation, deux écoles ont affirmé avoir
respecté le protocole et le questionnaire est passé en classe sous
surveillance. Deux autres ont considéré que perdre une période de cours
était un grand sacrifice et que la surveillance au sein de l'école n'était pas
nécessaire. Il suffisait de demander aux enquêtés de se conformer aux
consignes.
Enfin, dans une école, la communication avec la direction était
tellement difficile qu'on a dû imposer la version française aux enquêtés.
Une fois les techniques de recueil des données élaborées, comment
analyser les données ainsi récoltées par l'enquête effectuée sur le terrain.
4- Les techniques d'analyse
La présente étude analyse les représentations des adolescents de la
classe de "EB9" (ou 3e) des écoles homologuées au Liban envers l'arabe
langue maternelle en tant que composante de l'identité libanaise et le
rôle de l'école dans la valorisation de cette image.
L'enquête par questionnaire vise en premier lieu l'étude des
représentations des adolescents à travers des questions portant sur :
80
- Les représentations des adolescents apprenants enquêtés sur
l'arabe langue maternelle à travers leurs attitudes et leurs
comportements linguistiques.
- L'influence de l'environnement scolaire sur l'image qu'ils se font
de la langue maternelle telle qu'ils la perçoivent eux-mêmes.
- L'influence de l'enseignant sur le renforcement de cette image.
Le questionnaire dépouillé est saisi avec le logiciel de statistique
SPSS.
Les chiffres quantitatifs des résultats traités avec SPSS auront plus de
sens, s'ils sont analysés d'un point de vue qualitatif.
Pour cela, les données récoltées auprès des apprenants, en réponse au
questionnaire, sont étudiées essentiellement à partir des analyses de
fréquence, en fonction des propos des enseignants exprimés dans les
entretiens, et en comparaison avec eux.
Ces derniers sont dépouillés textuellement puis transformés en grille
explicite.
Une analyse du contenu des listes des manuels scolaires et des emplois
de temps adoptés dans les écoles enquêtées a clôturé les analyses, avant
de travailler sur la validation des hypothèses.
81
Chapitre II
Les représentations identitaires des enquêtés
1- Les caractéristiques identitaires des enquêtés
La quasi totalité de la population enquêtée est de nationalité
libanaise.
La population des adolescents comporte une faible proportion
d'adolescents à double nationalité. Certains prétendent avoir acquis la
nationalité libanaise !
Alors que parmi les (25) enseignants enquêtés seulement une dame a
une double nationalité elle est "franco libanaise" et une autre est
marocaine.
Tableau 6
Nationalité des adolescents apprenants enquêtés
94.1% 3.7%
1.8% 7.2%
2.2% 7.2%
77.1%
1.8% 4.7%
100.0% 100.0%
Libanais
e Français
e Americaine/cana dienne/anglaise Aucun
e Autre
s Tota
l
%
Nationalité d'origine
%
Nationalite acquise
82
Dans un pays à homogénéité linguistique, où 93 % des citoyens
parlent l'arabe, comment se présente la situation linguistique de la
population de l'échantillon étudié ?
La quasi-totalité des adolescents enquêtés sont Libanais. Cependant,
seulement 82% d'eux considèrent l'arabe comme leur langue maternelle !
Ils prétendent que le français l'est aussi. Or le français n'est pas parmi les
langues maternelles des minorités libanaises et les 12% dépassent de loin
la proportion des enquêtés qui ont déclaré être d'origine française (1.8%)
et/ou qui l'ont acquise (7.2%).
Révélations qui rejoignent celles des enseignants (au nombre de 22)
dont deux considèrent la langue française comme langue maternelle, l'une
d'elles est "Franco Libanaise" du côté de sa mère. Deux autres (une
Marocaine et un Libanais) ont refusé systématiquement de considérer
l'arabe comme leur langue maternelle préférant le "marocain" et le
"syriaque". Une quatrième a hésité un long moment avant de décider que
l'arabe est sa langue maternelle. (cf. grille de dépouillement de l'entretien
annexe III).
82.0% 1.5%
14.6% 12.3%
1.3% 2.0%
.5% .5%
.2% 1.0% 83.4%
.3% .3%
100.0% 100.0%
Arabe
Français Anglais Armenien
Italien
Aucune
Autre
Total
%
Langue
maternelle %
Deuxième langue
maternelle
Tableau 7
Langue maternelle des adolescents apprenants
enquêtés
83
Il est peu probable qu'un français ou un canadien veuille acquérir la
nationalité libanaise, vu la difficulté de cette acquisition. Alors c'est le
contraire qui se passe d'habitude. Serait-ce une image à refléter, une
identification de compensation ou une fuite de la réalité ?
Une tranche de la population adolescente tend à considérer la langue
française comme une deuxième langue maternelle et à l'adopter comme
telle. Dans la même optique certains enseignants revendiquent
ouvertement leur refus de l'arabe comme langue maternelle.
Quelle valeur identitaire cette population attribue t-elle à l'arabe
langue maternelle dans ses conceptions ?
2- La valeur identitaire de l'arabe langue maternelle chez les
enquêtés
Le questionnaire a permis aux apprenants enquêtés de classer de 1 à
13 les composantes de l'identité selon leur priorité. Les composantes
classées entre 10 et 13 sont assimilées à la dixième classe (schéma 1).
495 100
429 166
509 86
439 156
395 200
487 108
356 239
370 225
456 139
298 297
328 267
403 192
420 175
Identité/territoire
Identité/histoire
Identité/famille
Identité /drapeau
Identité /religion
Identité /langue
Identité /destin
commun Identité /patrimoine
Identité /culture
Identité /héros
Identité /monnaie
Identité /valeurs
Identité /coutumes
Valide Manquant
e
N
Tableau 8
Composantes de l'identité (apprenants)
84
Les cases restées vides indiquent que l'enquêté a négligé le concept ne
le considérant pas comme un référent identitaire, d'où les valeurs
manquantes dans le tableau 8.
Plus des trois quarts des adolescents enquêtés (487) considèrent
que la langue est une composante de l'identité, (108 considèrent qu'elle ne
l'est pas). La famille et le territoire dominent les deux premières classes :
509 en faveur de la famille, 495 pour le territoire.
Presque la moitié des adolescents enquêtés (44%) qui considèrent
la langue comme un référent identitaire lui accordent les trois premières
places prioritaires privilégiant surtout la troisième (soit 21.5% des
adolescents enquêtés qui la rattachent à l'identité).
Par ailleurs les enseignants tendent à admettre que la langue est une
composante de l'identité parmi d'autres, elle est également un facteur
identificatoire et fédérateur au niveau national, à l'exception de trois
22.18%
3.29%
2.67
% 2.67% 4.31%
9.45%
15.4%
18.28
%
21.15
%
13.76%
9.03%
Manquante
2
1
Schéma 1
Rapport identité/langue
(apprenants)
3
4 5
6
7
8
9
10
85
enseignants qui ont nié tout rapport entre la langue arabe et l'identité
libanaise.
Ainsi, la plupart des enquêtés, apprenants et enseignants,
tendent à établir un lien entre langue et identité. Pour les premiers elle
occupe une place avancée aux côtés du territoire et de la famille. Pour les
seconds, elle a plusieurs fonctions identitaires. Par ailleurs, le maillon
faible de la chaîne réside dans le débat langue arabe/parler libanais qui
pousse les uns à fuir vers des langues étrangères, et les autres à se réfugier
dans une arabité dont la véritable signification leur échappe.
Ce rapport tel qu'il est établi est fondé sur une définition propre à
chacun.
Des enquêtés (9.7 %) ont ajouté une nouvelle définition (la langue
dont on est fier, à laquelle on appartient), à celles proposées dans le
questionnaire, ce qui donne à la langue maternelle, du point de vue de ces
derniers, un aspect affectif relié à la subjectivité de l'individu.
Les résultats montrent une sensible préférence pour définir la
langue maternelle en tant que langue du pays de naissance, plus de la
moitié confirme l'aspect identitaire que les adolescents enquêtés tendent à
percevoir. Ils semblent l'assimiler au territoire (composante identitaire
perçue comme étant de première importance par les enquêtés) du groupe
d'appartenance d'origine rappelant l'identité collective héritée.
45.2% 45.4% 56.1% 32.8% 31.4% 9.7%
53.9% 53.8% 43.0% 66.4% 67.9% 89.6%
.8% .8% .8% .8% .7% .7%
100.0% 100.0% 100.0% 100.0% 100.0%
Oui
Non Sans réponse
Total
%
La première
acquise
%
Langue maternelle
parents
%
Langue pays de
naissance
%
Langue pays où on vit
%
Langue
maîtrisée
%
À laquelle on est fier
d'appartenir
100.0%
Tableau 9
Définition de la langue maternelle par les adolescents enquêtés
86
Toutefois définir la langue maternelle comme la première acquise
ainsi que celle des parents renvoie à la composante famille classée
seconde en priorité par les adolescents enquêtés (tableau 8 ci-dessus).
Néanmoins, le tiers des adolescents enquêtés pensent que la langue
maternelle est celle du pays de résidence.
Le plus remarquable est la rareté des réponses uniques à cette
question. Les adolescents enquêtés ont tendance à assembler plusieurs
critères pour définir une langue maternelle.
En somme, les enquêtés enseignants et apprenants tendent à
enraciner l'arabe langue maternelle dans leur processus identitaire.
Chez les adultes l'entretien a permis l'expression libre autour des
pressions sociales, et les idées reçues qui ont abouti à la non adoption de
l'arabe "langue maternelle".
Les adolescents enquêtés en pleine évolution identitaire, semblent
également sous pression sociale, en raison du classement qu'ils ont choisi
pour les composantes de l'identité (territoire, famille, langue). Les deux
premières renvoient à l'identité statutaire et la troisième à l'identité
culturelle.
En d'autres termes, dans le cas de l'adoption ou de la non
adoption de la langue, comme composante identitaire, les adolescents
enquêtés semblent peu capables de mettre en jeu leur réflexivité, ils
activent plutôt le processus identitaire narratif présentant l'image qu'ils
désirent se raconter. Sinon, c'est l'identité collective qui prime.
Par ailleurs, les adolescents, de par leurs attitudes linguistiques
reflètent l'image qu'ils ont d'une langue. Quelle image de l'arabe langue
maternelle reflètent-ils pour autrui ?
3- Habitudes linguistiques des enquêtés et représentations de
87
l'arabe langue maternelle
Les habitudes linguistiques dévoilent des représentations inavouées
envers les langues. Quelles sont celles des enquêtés ?
3-1- Les choix et les habitudes linguistiques des enquêtés
Les adolescents enquêtés ont choisi, dans leur majorité, de
répondre au questionnaire proposé en langue française. (Le questionnaire
est élaboré en langues arabe et française). Cependant, les enquêtés de
l'école N1 ont subi le choix du chargé de passation du questionnaire
marquant par là le manque d'espace pour une réflexivité de l'individu.
Notons que les apprenants de cette école constituent 5% de la population
totale, ils n'affectent pas les résultats de l'étude.
Par contre, à ce niveau là, les enseignants ont choisi pour la plupart
de parler arabe lors de l'entretien. Deux ont trouvé une difficulté à
s'exprimer en arabe malgré leur choix délibéré et trois ont choisi de parler
le français.
En fin de compte, les entretiens avec les enseignants se sont
déroulés "à la libanaise, en franco arabe" selon l'expression de certains.
Arabe
Français
85 %
15 %
Schéma 2
Choix de la langue pour le questionnaire
88
Dans le quotidien, les habitudes linguistiques se présentent sous un
aspect différent.
Les enquêtés (52% + 26%) tendent à employer une langue
étrangère à l'écrit; la langue française est privilégiée par la moitié des
questionnés. L'arabe semble une langue moins au goût des jeunes
enquêtés à l'écrit.
Egalement, les enseignants semblent moins habitués à correspondre
en arabe, sauf en cas d'obligation.
Tableau 10 Pratiques des langues à l'écrit (apprenants)
28.6%
69.6% 1.8% 52.4% 45.7% 1.8% 26.4% 71.8% 1.8%
95.1% 4.9% 28.1%
68.9% 3.0% 50.6% 46.2% 3.2% 23.4% 73.3% 3.4%
95.5% 4.5%
% Correspondance arabe
% Française % Anglaise % Autres % Journal arabe % Journal français % Journal anglais % Journal autres
Oui Non Sans réponse Aucune Autres
Pratiques des langues au quotidien
28.2% 16.0% 18.3% 22.4% 12.3% 2.9% 13.3% 30.1% 24.7% 22.5% 6.6% 2.9% 65.2%
20.2% 7.9% 4.2% 1.0% 1.5% 1.8% 3.4% 7.6% 10.1% 16.6% 60.5%
16.8% 18.8% 13.1% 18.5% 26.7% 6.1%
38.7%
30.6% 15.5% 8.6% 4.2% 2.5% 23.0% 25.5% 20.2% 19.2% 7.7% 4.4%
.7% .8% .7% 2.4% 22.2% 73.3% 68.1%
17.1% 7.9% 4.0% 1.7% 1.2% 19.2% 28.7% 17.5% 18.8% 11.3% 4.5% 1.2% 11.9% 18.5% 34.5% 26.1% 7.9% .7% .7% .5% 3.2% 24.2% 70.8%
75.1%
14.6% 4.4% 1.8% 2.4% 1.7% 11.1% 24.9% 16.0% 13.1% 26.6% 8.4% 2.0% 6.9% 10.4% 21.2% 46.9% 12.6%
.5% 1.5% 26.4% 71.6%
% Chansons arabes
% Chansons françaises
% Chansons anglaises
% Chansons autres
% Lecture parasc arabe
% Lecture parasc française
% Lecture parasc anglaise
% Lectures parasc autres
% Discussion arabe
% Discussion française
% Discussion anglaise
% Discussions autres
% Discus chaude arabe
% Discus chaude française
% Discus chaude anglaise
% Discus chaude autres
Toujours Souvent Parfoi
s
Rare Jamai
s None
Tableau 11
89
Si pour les chansons et les lectures les résultats semblent similaires,
les discussions entre pairs tendent à présenter un aspect différent.
Les lectures parascolaires des adolescents tendent toujours et souvent
à s'opérer au profit du français (38% + 30%) ; ne s'intéresse à la lecture en
arabe que le tiers de la population enquêtée (16% + 18%) et près d'un
tiers qui ne lisent jamais dans cette langue (26.7%).
Quant à la plupart des enseignants, ils réservent les lectures en langue
arabe aux sujets politiques. Presque toutes les lectures professionnelles et
les recherches sur Internet s'effectuent en langues étrangères.
Par contre, l'anglais remporte la majorité absolue en matière de
chansons, (65% + 20%) et cela est révélateur dans l'option jamais (1%).
Par ailleurs, face aux deux refus catégoriques pour les chansons
arabes, les enseignants ont souligné une nostalgie pour les classiques de
Oum Koulthoum et pour Fayrouz et les frères Rahbani en particulier, tout
en laissant à l'humeur du moment à la compagnie de décider de la langue
des chansons à écouter.
A l'opposé, pour les discussions entre pairs et les discussions chaudes,
la plupart des enquêtés les font en langue arabe en marquant une quasi
disparition de l'option jamais.
Pourtant, la plupart des enseignants déclarent que rêver, prier,
exprimer la colère ou donner des directives est un privilège de l'arabe
langue maternelle. Les discussions au quotidien s'adaptent aux
interlocuteurs en présence et à la situation sociale ambiante.
En d'autres termes, plus l'acte linguistique est conscient et reflète une
image du Moi envers autrui, plus les enquêtés s'expriment par une (des)
langue(s) étrangère(s). Plus l'expression exige la spontanéité, l'expression
d'une opinion personnelle ou la nécessité d'argumentation autour de sujets
90
relatifs aux croyances, plus l'arabe prime, comme si c'est le reflet du Moi
enraciné dans son environnement.
Peut-être également, s'exprimer en arabe langue maternelle semble
plus aisé que l'arabe standardisé employé à l'écrit surtout pour les
adolescents. Certains d'ailleurs ont noté qu'ils s'amusent à écrire en
"libanais".
Par ailleurs, quelles représentations les adolescents enquêtés se font-ils
de l'arabe langue maternelle et comment perçoivent-ils le rapport de leurs
compatriotes Libanais à la langue ?
L'enquête explore les représentations des adolescents à travers les
justifications de leur choix linguistique et d'après leur conception sur le
rapport des autres à leur langue maternelle.
Se référant à l'annexe IV, tableaux 1, 2, 3, l'observateur remarque que
les enquêtés choisissent d'écrire dans une langue en dehors des
obligations scolaires pour des raisons en rapport avec l'appartenance
identitaire, avec les apparences et le prestige, avec l'influence de
l'environnement scolaire (école, enseignants, surveillants, copains, …)
et par amour pour la langue.
La maîtrise de la langue et l'habitude semblent être les raisons
principales citées par les adolescents des écoles enquêtées.
Les enseignants également expriment des justifications identiques
à plusieurs reprises au cours des entretiens.
En synthèse, le choix d'une langue dépend de la situation, du
destinataire et de l'image que le sujet désire envoyer avec son message.
91
L'aspect qui tend à prédominer est celui de l'image du Je raconté
par lui-même aux Nous de son groupe d'appartenance (scolaire). Preuve
en est, les réponses des adolescents enquêtés d'après les tableaux maîtrise
des langues, (annexe IV-4 et IV-5), dans lesquels ils déclarent en leur
majorité qu'ils maîtrisent l'arabe oral parlé (57%), l'arabe oral est compris
(52%) et l'arabe écrit (34%) est plus apprécié que les autres langues. La
maîtrise de la lecture demeure un champ privilégié du français, ce qui
peut être mis au compte de la fréquence des lectures parascolaires en
français (68%).
3-2-Représentations et sentiments envers l'arabe langue maternelle
Les représentations des enquêtés de la langue mises en valeur
également par leur perception du rapport à la langue maternelle chez les
autres, notamment chez leurs compatriotes libanais
Une grande majorité des apprenants enquêtés tend à croire que le
Libanais est moins attaché à sa langue maternelle pour des raisons que les
uns évaluent comme étant normales (émigration) et les autres trouvent
inacceptables (honte, prestige).
24.9%
65.7%
9.4%
100.0% 85.5% 5.0
%
9.4%
100.0% 24.0
%
66.6%
9.4%
100.0% 49.2% 41.2
%
9.6%
100.0% 9.7
%
80.7%
9.6%
100.0% 34.1% 56.3
%
9.6%
100.0% 9.1
%
81.3%
9.6%
100.0% 27.2
%
63.5%
9.2%
100.0% 23.7
%
67.1%
9.2%
100.0% 12.4
%
78.3%
9.2%
100.0%
Cas du Français
Cas du Libanais
Cas de l'Anglais
Immigration
Honte et infériorité
Manque de pratique
orale Par prestige et snobisme
Liban multicuturel/ fr ang internationaux
Intégration dans d'autres cultures
Manque de fierté et d'appartenance
Ou
i Non
Sans
réponse Total
Tableau 12
Rapport à l'arabe langue maternelle
92
Pour ces adolescents, les étrangers (Français et Anglais) ont plus de
loyauté envers leur patrie et par suite envers leur langue maternelle;
De plus, ces derniers, ne sont pas obligés de parler une autre langue
même s'ils vivent à l'étranger car la leur est universelle.
Ces opinions sont très rapprochées de celles des enseignants, avec
des justifications plus avancées débutant à la période du mandat français,
dépassant le présent conflictuel, débouchant sur un futur peu sûr au
niveau de l'avenir de l'arabe langue maternelle dans la conscience
collective des Libanais.
Choix justifiés et raisonnés, représentations dévoilées, le
fondement de telles révélations peut être également d'origine affective.
Quel(s) sentiment(s) éprouvent les enquêtés envers l'arabe langue
maternelle ?
93
Apparemment l'arabe langue maternelle tend à inspirer chez la
moitié des adolescents enquêtés, un sentiment d'appartenance. En
revanche pour l'autre moitié elle n'inspire pas la fierté.
Certains enseignants n'ont pu cacher leur révolte envers les
Libanais qui parlent entre eux, en permanence, une langue étrangère ce
qui leur signifie un sentiment d'infériorité envers les étrangers et leurs
langues. Ils trouvent également, que les Libanais sont coupables de ne pas
faire des efforts pour imposer leur langue aux étrangers qui viennent
travailler et/ou visiter le Liban.
D'autres sont plus convaincus que c'est une pratique quotidienne
justifiée en raison de l'universalité du français et de l'anglais et de leur
utilité dans les études et le travail.
Une troisième catégorie à l'exemple de certains adolescents
enquêtés tend à refuser et à fuir l'arabe pour échapper au label diffusé par
les médias étrangers ; arabe équivaut à terroriste.
48.9 49.6%
1.5% 56.1 42.4
%
1.5% 8.2
%
90.3%
1.5% 3.7
%
94.8%
1.5% 2.7
%
95.8%
1.5% 5.2
%
93.3%
1.5%
Fierté face à l'arabe
Appartenance face/arabe
arabe Confusion face /arabe
Gêne face /arabe
Rejet face /arabe
Neutre face /arabe
Oui Non Sans réponse
Tableau 13
Sentiments des apprenants envers l'arabe langue
maternelle
94
En somme, l'arabe langue maternelle est une langue à laquelle on
appartient (56.1%) mais dont on n'est pas nécessairement ou pas
suffisamment fier (48.9 %).
Le rapport des enquêtés à l'arabe langue maternelle revêt l'aspect
d'un conflit intérieur entre les sentiments d'appartenance et de loyauté et
un besoin de se faire une image moderne et de valeur. Ce besoin
identitaire les adolescents apprenants semblent le compenser par
l'identification à et par les langues étrangères valorisées dans leurs
représentations.
Toutefois, les adolescents apprenants puisent ces représentations au
sein d'établissements scolaires sensés contribuer à l'édification d'une
identité collective chez les apprenants. Cette dernière ne peut se dispenser
de l'identité culturelle dont la langue est une composante.
Les politiques éducatives et linguistiques des écoles enquêtées
développent-elles une image positive de l'arabe langue maternelle ?
95
Chapitre III
Politiques linguistiques éducatives des écoles enquêtées
vues par ses acteurs
En l'absence d'un projet d'établissement connu les enseignants
dans certaines écoles enquêtées, la plupart de ces derniers tendent à lier
l'école homologuée surtout à la francophonie et à l'image prestigieuse
et distinguée qui est considérée comme un label au service de l'image de
l'école, une identité distinguant l'établissement par un profil
d'excellence selon des normes internationales. Les adolescents
apprenants semblent exprimer leur adhésion à cette image de marque
dans leurs propos "mais je suis dans un(e) lycée (école) français(e)".
Les objectifs des politiques linguistiques éducatives des écoles
mises en faveur de ce profil, comment sont-ils perçus par les enseignants?
1- Objectifs des politiques linguistiques éducatives vues par les
enseignants
Certains enseignants tendent à croire que les politiques éducatives
de l'école homologuée se distinguent par le contenu de l'enseignement,
les pratiques éducatives, le niveau des programmes, le niveau des
manuels, la possibilité de la dispense d'arabe, le niveau du français, le
support pédagogique assuré par l'AUFE et l'inspection du Ministère de
l'Education Nationale Français.
96
D'autres enquêtés privilégient les valeurs véhiculées par le système
politique et éducatif français (la laïcité, la tolérance, l'acceptation des
différences…).
Plusieurs estiment que l'éducation à l'autonomie, à la pédagogie de
la découverte sont exclusifs à la politique éducative du système français,
alors qu'ils sont clairement décrétés par les instructions officielles
libanaises.
Les enseignants enquêtés tendent à lier les objectifs des politiques
éducatives à l'image de marque qu'offre la culture française à travers
l'enseignement du français et en français, à leur établissement.
Les objectifs ainsi présentés par les enseignants enquêtés semblent
être les objectifs des politiques linguistiques éducatives inspirés des
politiques françaises. D'ailleurs les établissements homologués ont le
statut d'écoles françaises à l'étranger.
La politique éducative bi/multilingue, les disciplines à enseigner et
la langue dans laquelle elles sont enseignées ne contredisent pas les
instructions officielles libanaises, ce qui permet aux apprenants, après
adaptation, de passer les examens officiels libanais et français en
parallèle. Les objectifs de cette politique éducative plurilingue exprimés
par les enseignants enquêtés peuvent être résumés en trois grands titres :
ouverture aux cultures et aux connaissances (objectif culturel), accès
facile aux études supérieures au Liban et à l'étranger à travers le double
Bac notamment, c'est-à-dire les qualifications qui assurent à leurs
apprenants un bagage linguistique favorisant l'accès au monde
professionnel donc à faire face aux difficultés d'intégration dans les pays
d'émigration (objectif économique), l'éducation à l'autonomie, et à l'esprit
critique en vue de l'épanouissement personnel de l'apprenant (objectif
pédagogique).
97
L'éducation du citoyen (objectif social) n'est pas cité comme
objectif de la politique éducative linguistique que dans deux écoles
seulement et comme étant un standard français de l'éducation. D'ailleurs
ce modèle semble présenter la principale raison qui motive certains
établissements à adopter le système français à travers l'homologation.
Cependant, théoriquement, l'objectif principal de toute politique
éducative nationale est la formation d'un citoyen et de son identité
nationale. Il est déclaré clairement dans les instructions officielles au
Liban et en France.
Le point a été abordé avec les enseignants par questions directes.
Néanmoins, les enseignants des matières scientifiques tendent à
croire qu'ils ne sont pas concernés et déclarent que "c'est peut-être la
mission de l'enseignant de l'éducation civique". Malheureusement, les
écoles tendent à ne plus enseigner l'éducation civique, matière d'examen
offficiel, sauf dans la classe de EB9, ou à enseigner l'éducation civique
française dans les autres classes.
Certains enseignants notamment des langues arabe et française, se
sentent concernés par l'éducation du citoyen. Ils transmettent
indirectement les valeurs culturelles dans leur enseignement (objectif
culturel de l'éducation).
Néanmoins, certains estiment que la conception du citoyen dans les
curricula libanais diffère de celle perçue par le système éducatif français.
Alors que d'autres pensent que l'image du bon citoyen au Liban est
brouillée.
Les uns jugent que les grandes valeurs citoyennes sont universelles
à quoi bon se poser cette question ? Les autres estiment que le citoyen
libanais est plus proche du modèle présenté dans les manuels français que
celui offert par les manuels libanais.
98
La plupart des enseignants enquêtés tendent à voir que c'est la
politique éducative des écoles homologuées qui favorise l'ouverture
d'esprit, l'autonomie, le développement de la personnalité et l'acceptation
de l'autre. Alors que d'autres proposent que des valeurs propres à chacun
entrent en jeu dans le développement de la personnalité.
Cette divergence dans la perception du citoyen au sein d'un même
établissement et dans les différents établissements semble être le reflet
d'une politique peu claire, au niveau de l'établissement qui se manifeste
dans la conscience des enseignants. Ces derniers connaissent à peine les
instructions officielles françaises et libanaises, quelques-uns les ignorent
totalement. D'autres ne savent pas que la formation du citoyen est une
conception politique propre à chaque Etat traduite en partie par les
instructions officielles émises par les ministères d'Education, et que la
politique éducative plurilingue vise entre autres à développer une identité
culturelle bien réfléchie chez les futurs citoyens l'école étant chargée
d'exécuter la politique élaborée par l'Etat.
De toute façon, la politique linguistique éducative de l'école,
pourrait être étudiée à travers ses manifestations à travers les paramètres
de la tâche éducative et des pratiques de classe.
Quelles manifestations de la politique linguistique éducative des
écoles enquêtées les enseignants perçoivent-ils dans les différents
domaines d'application ?
1- Domaines d'application
(Rappelons que l'analyse est fondée sur les représentations des enquêtés non
sur des évaluations objectives. Donc c'est l'école vue par ses acteurs enseignants et
apprenants et son influence sur l'image de la langue qui est visée par l'étude.)
2-1- Les paramètres de la tâche éducative
99
La langue prédominante dans les écoles enquêtées est le français.
2- 1-1- La répartition linguistique des périodes
Normalement, le nombre des disciplines enseignées en langue
arabe en EB9 au sein des écoles enquêtées s'élève à quatre et celles
enseignées en langue française au nombre de cinq. La différence semble
négligeable.
3ème C
Heures Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi
7h45min-8h45min Arabe Français Informatique Physique Physique
8h45min-9h40min Sport Anglais Géographie Français C.D.I.
9h40min-10h35min Sport Histoire Anglais Anglais Maths
10h35min-10h55min récréation !! récréation !! récréation !! récréation !! récréation !!
10h55min-11h50min Chimie Maths Français S.V.T. Arabe
11h50min-12h45min Français S.V.T. Maths Maths Educ. civique
12h45min-1h10min récréation !! récréation !! récréation !! récréation !! récréation !!
1h10min-2h05min Arabe Arabe Français Dessin Catéchèse
2h05min-3h00min Français Maths Chimie Arabe Maths
Tableau 14 Emploi de temps école B2
Cependant, d'après les propos de certains enseignants de la classe
de EB9 et les emplois de temps récupérés dans les écoles enquêtées
(annexe V- 1) les périodes réservées aux disciplines enseignées en langue
arabe varient entre sept et neuf périodes par semaine. Les disciplines
enseignées en langues étrangères s'élèvent jusqu'à neuf dans certaines
écoles (histoire/géo, éducation civique, anglais) ce qui entraîne une
augmentation des périodes consacrées à l'enseignement en langue
étrangères à vingt ou vingt cinq périodes par semaine.
Les apprenants de EB9 dans les écoles enquêtés sont en contact
avec une langue étrangère quatre fois plus qu'avec l'arabe langue
maternelle. Cela explique la facilité qu'ils trouvent à s'exprimer dans la
langue à laquelle ils sont habitués surtout aux niveaux de la lecture et de
l'écriture. (Tableaux 1,2,3, annexe IV)
100
Précisons que le contact avec une langue ne se limite pas aux
pratiques scolaires et/ou parascolaires au niveau de l'écrit, mais également
à la communication dans une société bien déterminée qui est l'école.
2-1-2- Les langues de communication
D'après les propos des enseignants, la communication au sein des
écoles enquêtées se passe surtout en langues étrangères. Elle est
obligatoire pendant l'enseignement des disciplines en langues étrangères.
Grand nombre de disciplines dites d'éveil les séances (arts, EPS) se
déroulent en langue étrangère ainsi que la catéchèse dans certaines écoles,
pourtant les enseignants dans les mêmes écoles déclarent qu'ils prient,
méditent et rêvent en arabe !
Les circulaires, les affichages, la communication interne sont pour
la plupart réalisés en langue étrangère, en français. Les circulaires
envoyées aux parents sont pour la plupart en français et rarement
bilingues. La communication enseignants/direction, apprenants/direction
est dans la plupart des écoles obligatoirement en français. Dans la
majorité des écoles, les enseignants discutent en français, les enseignants
d'arabe y compris, parfois en "franbanais".
En somme, l'ambiance générale des écoles enquêtées est
francophone, et les apprenants baignent vraiment dans un environnement
qui privilégie la langue française à tous les niveaux. Cela favorise
l'emploi de la langue française et la rend "plus facile" selon leurs propos,
et/ou leurs sentiments d'appartenance à un milieu scolaire francophone
qui les pousse à privilégier la langue qui y est répandue et adoptée
légitimement ("mais je suis dans une école française").
101
Ce contact restreint avec l'arabe langue maternelle au sein des
écoles enquêtées inspire aux apprenants, une certaine image concernant
l'utilité de la langue arabe surtout au sein de l'environnement scolaire.
Cela limite en effet leurs motivations à parler l'arabe langue
maternelle à l'usage uniquement dans le milieu familial.
Toutefois la fréquence du contact avec la langue au sein de l'école
n'est pas le facteur unique qui contribue à la construction d'une image
utile et valorisée de la langue, les coefficients de notation consacrés à une
langue et aux disciplines enseignées dans cette langue joue un rôle dans la
conception de cette image.
2-1-3- Les coefficients de notation
A l'exception d'une seule école où toutes les disciplines ont les
mêmes coefficients de notation, sport et arts plastiques de même, ces
coefficients reflètent les idées reçues sur l'importance accordée à l'une ou
à l'autre des disciplines.
74.8% 25.0% .2%
63.5% 36.3% .2%
33.3% 66.6% .2%
75.3% 24.5% .2%
56.0% 43.9% .2%
26.2% 73.6% .2%
48.4% 51.4% .2%
29.9% 69.9% .2%
46.6% 53.3% .2%
24.9% 75.0% .2%
11.8% 88.1% .2%
35.8% 64.0% .2%
19.2% 80.7% .2%
17.0% 82.9% .2%
3.0% 96.8% .2%
Langue maternelle Langue m des parents Langue m d'un parent
Pr raisons identitaires identitaires Pr comm familiale Volonté parents
Comme copains
Pr études
Pr communication
Pr profession
Langue scientifique Pr culture
Pr prestige
Pr affaires
Volonté personnelle
oui non sans reponse
Tableau 15
Motivations pour parler l'arabe
102
Le coefficient de notation des langues (arabe, français) sont
équivalents; or, dans les examens officiels, l'arabe est noté sur 60 alors
que la langue étrangère est notée sur 40, ce qui pour certains enseignants
motive des apprenants à fournir des efforts au niveau de la langue arabe
en EB9 pour maximiser leurs chances de réussite. Cette motivation
redevient plus modérée en classe de seconde selon le même enseignant.
Un autre croit que les langues intéressent peu les apprenants en général
parce que les coefficients des matières scientifiques sont beaucoup plus
élevés, ce qui les rend plus importants et plus avantageux dans les
représentations des apprenants. Ces derniers leur consacrent plus de
temps à la maison, leur donnent la priorité et les étudient avant les autres
disciplines selon les propos d'autres enseignants enquêtés.
5.9% 93.9%
12.4% 87.4%
13.6% 86.2%
9.2% 90.6%
14.5% 85.4%
7.2% 92.6%
11.8% 88.1%
25.9% 73.9%
33.1% 66.7%
65.5% 34.3%
44.7% 55.1%
48.2% 51.6%
53.9% 45.9%
35.5% 64.4%
41.8% 58.0%
53.3% 46.6%
27.2% 72.6%
33.3% 66.6%
% Math inutile % Physique inutile
% Chimie inutile
% Bio inutile
% Arabe inutile % Francais inutile
% Anglais inutile
% Hist géo inutile % Edu civique inutile
% Math utile % Physique utile % Chimie utile
% Bio utile % Arabe utile % Français utile
% Anglais utile
% Hist géo utile % Edu civique utile
Oui Non
Tableau 16
L'utilité des disciplines aux regards des apprenants
103
Les apprenants enquêtés semblent du même avis que leurs
enseignants. La discipline la plus utile pour eux correspond à celle qui, en
général, a le coefficient le plus élevé (les mathématiques), alors que les
disciplines les moins utiles sont l'histoire, la géographie et l'éducation
civique qui, généralement, ont le coefficient le plus bas.
Finalement, les chiffres semblent avoir un pouvoir même au sein
du système éducatif. Ils disposent du droit de décider de la réussite ou de
l'échec des apprenants. Il est normal donc de supposer qu'en accordant
aux disciplines des coefficients plus élevés, les Ministères Libanais et
Français de l'Education Nationale considèrent qu'une place privilégiée
leur est accordée. Cela s'applique logiquement aux langues, quand les
disciplines supposées plus importantes sont enseignées dans une langue
déterminée. Cette dernière est considérée comme étant le levier ou l'outil
pour réussir la discipline. Ainsi, il est tout à fait normal de croire que
l'image de la langue étrangère dans laquelle sont enseignées toutes les
disciplines à coefficients élevés soit la plus importante pour les
enseignants et pour les apprenants. Ce qui prive l'arabe langue maternelle
de l'image favorable en tant que référent identitaire, porteuse de culture.
Néanmoins les apprenants étudient dans des manuels pour pouvoir
réussir. Y a-t-il dans ces manuels ce qui compense cette carence dans
l'image de l'arabe langue maternelle ?
2-1-4- Le choix des manuels
104
Tableau 17
Le nombre des manuels scolaires selon les éditions
(Fondé sur les listes des manuels scolaires 2006-2007 en annexes)
Classe EB8 EB9
Manuels en langues
étrangères
Ecole
Editions
locales
Editions
étrangères
Editions
locales
Editions
étrangères
B1 0 10 3 7
B2 12 10 12 10
M1 4 6 4 5
M2 4 13 6 11
M3* - - - -
M4* - - - -
N1 1 6 4 5
*Les listes ne sont pas disponibles mais les enseignants enquêtés ont déclaré
que les manuels sont plutôt en éditions étrangères
N.B. La présentation des chiffres dans les listes de EB8 – EB9 est faite exprès
pour montrer que le chiffre augmente au profit des éditions locales pour des
raisons en rapport avec les examens officiels.
Le tableau ci-dessus montre que le nombre de manuels des disciplines
enseignées en langues étrangères, en édition locale est beaucoup moindre
que ceux adoptés en éditions étrangères.
Certains enseignants choisissent les manuels des éditions
étrangères parce qu'ils croient qu'ils sont meilleurs du point de vue
maquette et présentation ainsi que du point de vue contenu. La plupart des
autres justifient leurs choix par leur tendance à se conformer aux
obligations de l'homologation.
Les enseignants des disciplines scientifiques semblent trouver une
analogie au niveau du contenu et y apprécier l'aspect ludique qui manque
dans les éditions locales.
La majorité des enquêtés croit que l'approche et l'esprit y sont
différents notant "le manque de rationalité" de certains auteurs libanais
francophones.
En somme, les apprenants sont aussi en présence de manuels
étrangers qui selon les propos de certains enseignants reflètent la culture
105
francophone exprimée par ses auteurs. Ces derniers véhiculent les
grandes valeurs universelles mais aussi et surtout les valeurs françaises et
l'histoire de tous les courants de la pensée.
Par contre, les manuels des disciplines enseignées en arabe sont
évidemment des éditions locales (publiques ou privées). Les enseignants
les évaluent plutôt négativement. Du point de vue forme et présentation
ils sont peu attirants et peu motivants, les enseignants croient qu'au
niveau du contenu conforme au programme libanais, ils manquent de
morale et de culture.
Pourtant, certains enseignants ne connaissent effectivement que
peu la variété des collections de manuels édités au Liban dans toutes les
disciplines. Cependant, les éditeurs libanais sortent de plus en plus des
collections de bonne qualité à tous points de vue qui rivalisent avec les
collections éditées en France.
Finalement les enseignants ont avoué leur tendance à favoriser les
cultures véhiculées par les manuels des éditions étrangères ainsi que les
modes de réflexion, l'approche, la méthodologie et la présentation.
Cela rejoint les représentations des apprenants enquêtés dont la
moitié parlent le français parce qu'il a l'image d'une langue de culture
(49.4%) et de prestige (46.6%) (Tableau des motivations pour parler une
langue, (annexe IV, Tableaux 7, 8, 9), alors que la langue arabe ne
représente une langue de culture que pour 35.8% et de prestige que pour
19.2% des apprenants enquêtés.
Cette image qui met en valeur une (des) langue(s) aux dépens
d'une (des) autre(s) ne résulte pas seulement des paramètres de la tâche
éducative. Le rôle de l'enseignant ne peut être négligé en tant qu'acteur
principal dans le milieu scolaire soit à travers ses pratiques dans la classe,
106
soit en tant qu'influent dans le processus identitaire social de ses
apprenants. (Ce rôle social sera traité dans un chapitre propre à cet effet).
Passons aux pratiques de classe et à leur rôle dans l'édification de
l'image de la langue maternelle.
2-2- Les pratiques de classe
Les enseignants enquêtés trouvent que la politique éducative
appliquée au sein des écoles homologuées a une répercussion positive sur
les pratiques de classe pour les disciplines supervisées par l'Etat français.
En suivant les stages proposés par l'AUFE et suite au suivi post-
formation, les enseignants peuvent améliorer leurs pratiques de classe, ce
qui la distingue de la politique éducative libanaise selon leur conception.
Certains croient que les pratiques divergent entre les disciplines
enseignées en arabe et celles enseignées en langues étrangères. D'autres
trouvent qu'elles se rapprochent.
Dans les deux cas, les enseignants croient que les pratiques
appliquées dans l'enseignement des disciplines en langue étrangère sont
plus motivantes et, par suite, jouissent d'une image plus positive chez les
apprenants.
Les propos des apprenants semblent aller dans la même orientation.
Leurs réponses sur l'image des disciplines (Annexe IV, Tableaux 10 à 18)
montrent leurs tendances à développer une image plus positive pour les
maths et les sciences et, parmi les langues, c'est l'image du français qui
prévaut.
Néanmoins, dans les pratiques de classe l'étude prend en
considération les méthodes d'enseignement et les modes de réflexion ainsi
que le système d'évaluation.
107
2-2-1- Les méthodes d'enseignement
Les enseignants tendent à juger qu'en application aux stages exigés
et/ou offerts par les organismes chargés du service d'homologation, ils
modernisent leurs méthodes d'enseignement : formation à l'enseignement
interdisciplinaire, à l'éducation, à l'autonomie …; ce que plusieurs
enseignants supposent absents dans les instructions officielles libanaises.
Certains croient que ces méthodes ne s'appliquent pas et/ou ne sont pas
appliquées dans l'enseignement des disciplines en langue arabe.
Par contre nombre d'enseignants assurent qu'au sein de leur
établissement les mêmes méthodes s'appliquent dans toutes les
disciplines.
Toutefois, tous s'accordent à dire que les méthodes d'enseignement
déterminent en partie le niveau de motivation des apprenants.
Or, en référence aux réponses des apprenants, (Annexe IV,
Tableaux 19 à 27), ces derniers tendent à croire de même que les
enseignants des disciplines en langue arabe sont les plus ennuyeux et les
moins efficaces, ils maîtrisent moins leur discipline. Ceci est en nette
relation avec l'image positive ou négative de la discipline.
Pour certains enseignants enquêtés, la politique éducative des
écoles homologuées exige des modes de réflexion diversifiés différents de
ce qui est habituellement adopté en cours magistral employé en arabe. Le
système français, à leur avis, donne à l'élève une grande autonomie et une
liberté de réflexion, ce qui n'est pas le cas du système libanais qui
contrôle la réflexion, la moule et la planifie.
Notamment les enseignants de langue arabe enquêtés ont relevé ce
point et l'ont mis en relation avec le système des examens officiels qui
contribue à donner de la langue arabe une image de discipline difficile et
compliquée.
108
Les méthodes actives et l'animation du cours ainsi que le
comportement de l'enseignant ne sont pas absents des opinions des
adolescents autour d'un sujet peu facile à traiter. Dire que les apprenants
peuvent percevoir la maîtrise de l'enseignant de sa discipline et sa passion
pour son métier ne serait pas exagéré.
De toute évidence, les méthodes d'enseignement contemporaines
ont pour objectif principal de développer l'esprit critique, les compétences
d'analyser, de synthétiser, d'évaluer et de former la logique de l'apprenant,
en lui permettant de prendre des décisions, ce qui le transforme en
individu autonome.
Cependant, les méthodes dites actives exigent des outils non
traditionnels qui ne se limitent pas au livre et au tableau noir à craies,
pour assurer plus de motivations à l'enseignement/apprentissage.
Les outils pédagogiques et informatiques peuvent-ils être employés
dans toutes les disciplines et quel serait leur effet sur l'image des
disciplines enseignées?
Toutes les écoles sont équipées d'outils pédagogiques et
informatiques conformément aux conditions de la convention
d'homologation, et les enseignants de langue française et des disciplines
scientifiques sont les plus nombreux à les employer. Or, ils tendent à
supposer que les enseignants d'arabe ne le font pas.
109
Certains prétendent que même pour l'histoire, la géographie,
l'éducation civique, quand elles sont enseignées en français, l'enseignant
recourt aux outils pédagogiques et informatiques alors que quand elles
sont enseignées, en arabe c'est le cours magistral qui est adopté.
Dans d'autres écoles, les enseignants tendent à affirmer que
l'enseignement est le même dans toutes les disciplines et dans toutes les
langues.
En somme, les enseignants tendent à supposer que les méthodes
actives d'enseignement et le recours aux différents supports pédagogiques
et informatiques doivent être les mêmes dans toutes les disciplines
quelque soit la langue d'enseignement. Cependant, ils ont tendance à
croire que les disciplines enseignées en langue arabe manquent à ce
niveau ce qui se répercute sur le mode de réflexion des apprenants et sur
leur motivation.
Toutefois les méthodes d'enseignement supposent des systèmes
d'évaluation adéquats et vice-versa. Un enseignement magistral ne peut
être évalué qu'au niveau de la restitution d'informations mémorisées. Par
contre un enseignement fondé sur la découverte, l'analyse et la synthèse
s'évalue à ces niveaux.
Le système d'évaluation aurait-il une influence sur l'image de la
discipline et, par suite, de la langue dans laquelle elle est enseignée ?
2-2-2- Le système d'évaluation
Pédagogie de la réussite, approche par compétence, évaluation
diagnostique,… telles sont les distinctions dans le système français selon
les représentations de certains enseignants qui croient qu'ils sont seuls
capables de pratiquer une pédagogie avancée. D'autres avis s'élèvent d'ici
et de là pour rejeter ces idées; pour ces enseignants, les mêmes
110
instructions sont formulées dans les programmes officiels libanais, et leur
application relève de la responsabilité des écoles.
En tout cas, d'après les propos de certains enseignants la différence
apparaît surtout lors des examens officiels. Dans le système français
expliquent les enseignants, les questions suscitent la réflexion et la
créativité des candidats et leur demandent un travail d'analyse et de
synthèse. Par contre, aux examens officiels libanais c'est la mémorisation
qui est visée par les questions. Quelqu'un a parlé de la dissection de la
langue française dans les compositions de français critiquant le barème
qui décompose la note en quart et demi point.
Un autre point important est à relever : la plupart des écoles
enquêtées tendent à privilégier le bac français et permettent aux
apprenants désireux de se dispenser du Brevet libanais et du brevet tout
court quand ils sont dispensés d'arabe. Ils donnent effectivement un soin
particulier et parfois une priorité aux examens officiels français sous
différents prétextes dont une plus grande confiance et un meilleur
niveau.
L'essentiel exprimé par les enseignants est que la politique
éducative de l'école révélée par les pratiques de classe, (les méthodes
d'enseignement, le mode de réflexion, le système d'évaluation) et les
paramètres de la tâche éducative (la répartition linguistique des périodes,
la langue de communication adoptée dans l'environnement scolaire, les
coefficients de notation et les manuels choisis) peuvent influencer la
motivation des apprenants et contribuer à former une image de la
discipline enseignée. Et comme la langue est l'outil de compréhension et
d'expression et constitue un facteur fondamental dans l'apprentissage de
toute discipline, son image sera en rapport avec l'image de cette dernière.
111
La tâche éducative et les pratiques de classe constituent les
manifestations de la politique linguistique éducative de l'école.
Cependant, l'acteur chargé de l'exécution de cette dernière est
l'enseignant. Si une influence quelconque de cette politique peut agir sur
les représentations des apprenants, l'enseignant aurait-il la même
empreinte ?
112
Chapitre IV
La valeur de l'arabe langue maternelle dans les représentations
des apprenants
1-Influence de l'enseignant sur les représentations des apprenants
Apprécier une discipline et la préférer aux autres dépendent de
beaucoup de facteurs, dont l'enseignant. Questionnés sur les raisons qui
les poussent à préférer une discipline, les apprenants ont privilégié trois
raisons : un motif relevant de la discipline, les deux autres renvoient à
l'enseignant.
Les apprenants enquêtés tendent à privilégier en premier lieu
l'utilité de la discipline pour leur avenir.
Le fait qu'ils la maîtrisent et qu'elle soit intéressante, deux raisons
qui rappellent le rôle de l'enseignant dans le processus
d'enseignement/apprentissage. Cependant c'est l'enseignant de par ses
65.5% 32.1% 2.4%
51.4% 46.2% 2.4%
36.1% 61.5% 2.4%
71.9% 25.7% 2.4%
61.2% 36.5% 2.4%
41.5% 56.1% 2.4%
25.9% 71.8% 2.4%
Discipline préférée/ intéressante
Agréable
Facile Utile pour l'avenir
La plus maîtrisée
Par sympathie pour l'enseignant Intelligente
Oui Non
Sans
réponse
Tableau 18
Raisons de motivation pour apprendre
dans une discipline
113
pratiques actives et motivantes qui rend la discipline intéressante et
agréable ce qui facilite la maîtrise de la discipline.
Toutefois le rôle affectif de l'enseignant (la sympathie pour
l'enseignant) n'est pas sans influence et ce n'est pas un facteur
négligeable.
Néanmoins, l'influence de l'enseignant tend à s'imposer davantage
quand la question est posée de façon directe.
Pour près des trois quarts des enquêtés, l'amour de l'enseignant leur
inspire un sentiment positif pour la discipline qu'il enseigne. L'influence
touche plusieurs domaines dévoilés par les enquêtés.
Près de la moitié des adolescents apprenants semblent attacher une
importance à l'aspect affectif qui distingue leur rapport avec l'enseignant.
Ils tendent à assimiler leur sympathie pour leur enseignant à leur
préférence pour la matière qu'il enseigne.
L'aspect relationnel revêt presque la même importance pour les
adolescents apprenants. Ils semblent établir un rapport étroit entre la
qualité de la relation enseignant/apprenants et son effet sur la notation et
la réussite. Cette dernière constitue pour eux le noyau de la réussite et de
la motivation scolaire.
69.7% 19.0% 8.4% 2.9%
3.4% 88.2% 8.4%
32.6% 59.3% 8.1%
45.5% 46.4% 8.1%
46.9% 44.7% 8.4%
28.9% 63.2% 7.9%
Préférence par sympathie
pour l'enseignant Prof modèle identificatoire
Influence méthodologique
Influence relationnelle
Influence affective
Influence comportementale
Oui Non Sans réponse Pas
Nécessaire
ment
Tableau 19
Influence de l'enseignant sur ses apprenants
114
Les méthodes actives et l'animation du cours ainsi que le
comportement de l'enseignant ne sont pas absents des opinions des
adolescents autour d'un sujet peu facile à traiter. Dire que les apprenants
peuvent percevoir la maîtrise de l'enseignant de sa discipline et sa passion
pour son métier ne serait pas exagéré.
Par ailleurs, l'enseignant reste un modèle identificatoire pour une
faible proportion des adolescents.
Toutefois ces propos rejoignent ceux des enseignants qui ont
trouvé que l'influence diminue en classe de EB9 mais pour la plupart des
enseignants enquêtés, elle demeure remarquable dans le domaine cognitif
et disciplinaire surtout. En d'autres termes, si les apprenants apprécient
leurs enseignants leur rendement augmente sensiblement. Cette influence
se manifeste parfois au niveau de la méthodologie et du mode de
réflexion. Dans les domaines affectif et comportemental, les enseignants
enquêtés tendent à minimiser l'influence mais elle est quand même
présente.
2- Les représentations des apprenants en fonction de l'image des
enseignants et de la discipline dont ils sont responsables
115
L'analyse des représentations des adolescents avec spss montre que
quand les apprenants trouvent que l'image de l'enseignant est positive, sa
discipline l'est de même.
L'analyse des différents tableaux (10 à 18, annexe IV) se rapportant
aux réponses des apprenants enquêtés concernant l'image perçue de
chaque enseignant, montre que l'enseignant qui a l'image la plus positive
est celui des mathématiques (intelligent 75%, maîtrise sa discipline 50%)
suivent les enseignants des sciences. Les enseignants qui sont perçus
comme les moins intelligents sont les enseignants de langues.
L'enseignant qui, selon l'avis des apprenants enquêtés semble avoir
l'image la moins positive est l'enseignant d'arabe. Il est aimable, c'est vrai
pour 40.5%, pourtant il est considéré également ennuyeux (37.1%). Ils
tendent à le trouver le plus ennuyeux, alors que l'enseignant de
mathématiques est le moins ennuyeux. (Cf. aux tableaux 20 et 21
suivants)
75.8% 24.2%
27.6% 72.4%
32.1% 67.9% 20.0% 80.0%
35.6% 64.4%
13.1% 86.9%
39.2% 60.8%
42.5% 57.5%
50.3% 49.7%
Ens math intelligent
Ens sévère
Ens intéressant
Ens indulgent
Ens aimable
Ens ennuyeux
Ens efficace
Ens organisé
Ens maîtrise sa discipline
Oui Non
Tableau 20 L'image de l'enseignant de mathématiques
(apprenants)
116
Néanmoins l'image de la discipline et l'image de son enseignant
s'équivalent dans les représentations des adolescents enquêtés.
Les mathématiques sont considérées par plus des deux tiers des
enquêtés comme une discipline intelligente, indispensable et utile, il en va
de même pour l'enseignement des sciences.
34.3% 65.7%
15.5% 84.5%
29.6% 70.4%
31.8% 68.2%
40.5% 59.3%
37.1% 62.9%
23.9% 76.1%
34.5% 65.5%
37.0% 63.0%
Ens arabe intelligent Ens sévère Ens intéressant Ens indulgent
Ens aimable Ens ennuyeux Ens efficace
Ens organisé Ens maîtrise sa discipline
Oui Non
Tableau 21
L'image de l'enseignant d'arabe
66.4% 33.4% .2%
47.6% 52.3% .2%
50.6% 49.2% .2%
69.6% 30.3% .2%
39.5% 60.3% .2%
11.1% 88.7% .2%
31.3% 68.6% .2%
5.4% 94.5% .2%
65.5% 34.3% .2%
5.9% 93.9% .2%
Math indispensable Math obligatoire
Math intéressant
Math intelligent Math agréable
Math ennuyeuse
Math difficile
Math insignifiante
Math utile Math inutile
Oui Non Sans réponse
Tableau 22
L'image des maths
117
Alors que l'arabe est plutôt une discipline contraignante
(obligatoire à l'école). C'est vrai que cette langue représente aussi une
discipline indispensable, cependant, elle figure parmi les trois disciplines
les moins utiles (histoire/géo, éducation civique) et à l'image de son
enseignant les enquêtés trouvent qu'elle est la discipline la plus
ennuyeuse.
En somme, les apprenants enquêtés tendent à développer une
image négative de la langue arabe aux profits des langues étrangères. Et
une image similaire des disciplines, dites secondaires, mais qui sont au
service de l'objectif social de l'éducation, c'est-à-dire l'histoire, la
géographie et l'éducation civique. Ces dernières sont censées être
enseignées en arabe. Cela implique une image défavorable des matières
enseignées en arabe qui s'ajoute à l'image négative de l'arabe.
Toutefois qu'est-ce qui pousse ces adolescents à parler et à
apprendre l'arabe ?
Les mêmes motivations incitent les apprenants à parler et à
apprendre l'arabe.
42.2% 57.6% .2%
44.2% 55.6% .2%
22.2% 77.6% .2%
11.3% 88.6% .2%
19.2% 80.7% .2%
33.1% 66.7% .2%
25.9% 73.9% .2%
9.2% 90.6% .2%
35.5% 64.4% .2% 14.5% 85.4% .2%
% Arabe indispensable
% Arabe obligatoire
% Arabe intéressant
% Arabe intelligent
% Arabe agréable
% Arabe ennuyeux
% Arabe difficile
% Arabe insignifiant
% Arabe utile
% Arabe inutile
oui non sans reponse
Tableau 23
L'image de l'arabe
118
Cependant, les raisons qui poussent la plupart des adolescents à
parler l'arabe, se limitent aux raisons identitaires (langue maternelle) et à
l'influence de l'environnement (communication familiale, comme les
copains). Pourtant pour près du tiers des enquêtés, elle est un véhicule de
culture et pour un peu moins que la moitié, l'arabe langue maternelle est
un instrument de communication.
Par contre, les raisons fonctionnelles et de valeur sont réservées
aux langues étrangères (annexe IV, tableaux 7, 8). Les enquêtés parlent
une langue étrangère parce qu'ils croient à son utilité pour les études
supérieures (65% français, 47% anglais), pour la profession (57%
français, 65% anglais), pour les affaires, sans concurrence, c'est l'anglais
qui prime 56%.
Les enquêtés auraient-ils des motivations pour apprendre l'arabe
langue maternelle, analogues à celles qui les poussent à la parler ?
74.8% 25.0% .2%
63.5% 36.3% .2%
33.3% 66.6% .2%
75.3% 24.5% .2%
56.0% 43.9% .2%
26.2% 73.6% .2%
48.4% 51.4% .2%
29.9% 69.9% .2%
46.6% 53.3% .2%
24.9% 75.0% .2%
11.8% 88.1% .2%
35.8% 64.0% .2%
19.2% 80.7% .2%
17.0% 82.9% .2%
3.0% 96.8% .2%
Langue maternelle
Langue m des parents Langue m d'un parent
Pour raisons identitaires identitaires Pour comm familiale Volonté des parents
Comme les copains
Pour les études
Pour la communication
Pour la profession
Langue scientifique
Pour la culture
Pour le prestige
Pour les affaires
Volonté personnelle
Oui Non Sans réponse
Tableau 24
Motivations pour parler l'arabe
119
Par contre, les motivations qui poussent ces mêmes adolescents à
apprendre l'arabe semblent être des raisons imposées soit par une
évidence (langue maternelle), soit par une des obligations inévitables
(obligatoire à l'école). Les raisons qui les motivent à apprendre une
langue étrangère (Annexe IV, Tableau 28) semblent plus favorables pour
l'anglais (études supérieures 65%, profession 68% et affaires 62%), le
français perd de sa vigueur, même s'il garde son importance pour les
études au même rang que l'anglais (61%). Il est obligatoire à l'école pour
64% des apprenants enquêtés, c'est-à-dire plus que l'arabe.
Finalement, l'arabe langue maternelle est une composante de
l'identité pour une grande majorité des apprenants adolescents. Ils
développent des représentations négatives envers cette langue et lui
accordent une fonction limitée à la communication familiale et une
fonction identitaire qui n'inspire de fierté que pour près de la moitié des
enquêtés. Ils sont démotivés pour l'apprendre et certains trouvent normal
de ne pas la parler. Ils tendent à croire quelle n'est pas utile dans les
études supérieures, ni pour la profession encore moins pour les affaires.
L'arabe n'est pas pour la plupart d'entre eux, une langue de culture, ni une
langue de prestige encore moins une langue scientifique.
28.2% 71.4% .3%
72.8% 26.9% .3%
41.0% 58.7% .3%
26.9% 72.8% .3%
25.9% 73.8% .3%
12.4% 87.2% .3%
36.8% 62.9% .3%
18.7% 81.0% .3%
18.7% 81.0% .3% 6.6% 93.1% .3%
Volonté des parents
Langue maternelle
Obligatoire à l'école Pour les études supérieures Pour la profession
profession Langue scientifique
Pour la culture
Pour le prestige
Langue des affaires
Volonté personnelle
Oui Non Sans réponse
Tableau 25
Motivations pour l'apprentissage de l'arabe
120
Chapitre IV
Discussion générale et validation des hypothèses
L'interprétation qualitative des résultats a mis en évidence la valeur
identitaire de la langue maternelle chez les adolescents apprenants
enquêtés et leurs enseignants. Elle a de même extériorisé les
représentations négatives qui débouchent sur le refus d'une identification
qui, à leur avis, porte atteinte à l'image désirée. Dès lors l'individu fuit
vers une langue dont l'image porte une culture et reflète une histoire riche
et une renommée universelle.
Il semble évident que les Libanais, en général, souffrent depuis
l'institution de la République Libanaise, de la fragilité du système fondé
sur un régime communautaire aboutissant à une instabilité politique,
économique et sociale. Les guerres sanglantes résultant de la primauté de
l'appartenance communautaire sur la cohésion citoyenne semblent être le
motif essentiel de l'image brouillée des concepts fondamentaux de
l'identité nationale.
Dès lors, la politique éducative exprimée par les réformes des
programmes (1997), malgré les efforts fournis pour instituer un système
éducatif au service d'une éducation à la citoyenneté et pour une cohésion
nationale, l'application de cette politique semble buter sur des résistances
de tous genres. La liberté octroyée au secteur privé en matière d'éducation
et l'absence de toute inspection éducative nationale, les changements
démographiques qui ont créé des sociétés cloisonnées où le public
121
scolaire appartient à une communauté unique, sans négliger les facteurs
d'ordre politique, économique et l'influence des médias ont empêché
l'atteinte des objectifs visés. Ajoutée aux facteurs précités, l'insuffisance
des formations des enseignants dans le domaine de l'éducation à la
citoyenneté et la résistance de ces derniers au changement, semble
présenter un obstacle de poids dans la valorisation de l'appartenance
nationale en primauté relativement à l'appartenance religieuse.
En somme, il semble selon les propos des enquêtés, que le rapport
entre la fierté d'appartenir à un Liban unifié et la volonté de s'identifier à
l'arabe langue maternelle soit évident.
Le passage obligatoire doit se faire par une réévaluation au niveau
national, des représentations des Libanais quant aux composantes
identitaires en vue d'une nouvelle réforme de la politique linguistique
éducative. Cette dernière aura au centre de ses intérêts la question de la
valorisation de la culture libanaise véhiculée par la langue arabe au sein
du système éducatif libanais, dans une perspective d'ouverture culturelle
qui respecte à égalité toutes les langues. Dès lors la langue elle-même
sera valorisée et digne d'être parlée et apprise aux yeux des Libanais. Elle
inspirera par-là même la fierté d'y être identifié.
Toutefois les analyses de la présente étude ont pris en compte
l'influence de la politique linguistique éducative au sein de l'école sur
l'édification d'une image positive de l'arabe langue maternelle. Les
paramètres de la tâche éducative constituent l'un des facteurs.
1- L'influence des paramètres de la tâche éducative sur les
représentations des adolescents apprenants
Les analyses des propos des enseignants recueillis lors des
entretiens, étudiées en fonction des contenus des emplois de temps et les
122
listes des manuels scolaires, adoptés pour la classe de EB9 au sein de ces
écoles et comparées aux analyses des réponses récoltées auprès des
apprenants de EB9 au sein de sept écoles homologuées au Liban tendent à
confirmer cette hypothèse. Il a été démontré plus haut, que l'importance
accordée à la langue arabe, dans la répartition linguistique des périodes et
les coefficients de notation, semble décisive dans la formation de son
image de valeur, aux niveaux de l'utilité pour l'avenir notamment.
Ainsi la culture libanaise semble timidement présente dans les
manuels mis entre les mains des apprenants adolescents ce qui influence
ces derniers. Dès lors ils tendent à apprécier l'histoire d'un peuple dont on
connaît la géographie, la culture et la langue, à le choisir comme terrain
familier pour les études supérieures, le tourisme et même en tant que
refuge quand ils veulent fuir les instabilités des situations politiques
conflictuelles.
Cette situation est particulièrement visible au sein des écoles
homologuées soumises à la tutelle du ministère de l'Education Nationale
Français et à son inspection, surtout qu'elles s'intéressent essentiellement
à préparer leurs apprenants aux examens officiels français. La vigilance
est de rigueur face aux demandes d'homologation croissantes ; elle
s'impose, pour éviter le risque de faire glisser le système éducatif dans
des voies peu désirables, voire nuisibles pour la cohésion nationale.
Si au niveau des matières scientifiques enseignées en langue
étrangère la question semble difficile à résoudre actuellement au Liban, il
serait primordial et urgent d'imposer l'enseignement de l'éducation
civique, de l'histoire (il est temps de produire des manuels d'histoire) et de
géographie du Liban en langue arabe et de surveiller de près cet
enseignement.
123
L'objectif d'une telle proposition serait de fournir aux apprenants
des données culturelles qui leur permettront d'activer leur processus
identitaire réflexif et leur donner différents paradigmes identitaires
équitablement présentés parmi lesquels ils pourront choisir.
Au niveau de la culture véhiculée par les manuels scolaires et
parascolaires locaux, des efforts peuvent être fournis au niveau de
l'amélioration au niveau de la qualité des éditions locales adaptées à une
conception citoyenne de valeur, puisant du patrimoine libanais une
culture évolutive et non folklorique. Il faut apprécier et soutenir la
révolution qui s'annonce à ce niveau au sein des maisons d'édition
libanaises et espérer une diffusion prochaine vers le monde arabe et
occidental.
Le rôle du secteur privé, aussi important soit-il, ne peut oeuvrer
qu'en cohérence et en harmonie avec une politique éducative nationale
qui prévoit des objectifs culturels clairs et valorisants. Sans porter atteinte
à la liberté éducative protégée par la Constitution Libanaise, la politique
linguistique éducative est invitée à étudier l'urgence d'imposer des
orientations fermes dans ce domaine, au sein de tout le secteur éducatif
officiel et privé.
L'image de l'arabe langue maternelle résultant des paramètres de la
tâche éducative est-elle compensée par les pratiques de l'enseignant au
sein de la classe ?
2- L'influence des pratiques de classe sur les représentations
des apprenants
Les pratiques de classe, variable indépendante, sont étudiées
d'après l'image perçue par les adolescents à travers leur opinion positive
ou négative envers la méthodologie de l'enseignant (son organisation, son
124
efficacité, sa maîtrise de la matière), ses attitudes relationnelles (sévère,
indulgent, aimable) et sa compétence au niveau de la motivation
(intéressant, ennuyeux). Les analyses ont montré la validité de cette
hypothèse dans le sens où les enseignants des disciplines les plus
valorisées (maths et sciences) semblent aux yeux des apprenants, les plus
organisés, les plus efficaces et les moins ennuyeux. Par contre, les
apprenants tendent à croire que les enseignants de langue arabe et les
enseignants des disciplines enseignées en arabe (les disciplines les plus
inutiles et les plus ennuyeuses) sont les plus ennuyeux, les moins
efficaces et les moins intelligents.
Toutefois, comme l'étude repose surtout sur les représentations des
apprenants et de leurs enseignants, il semble bénéfique de rappeler que
cette interprétation ne porte aucun jugement de valeur. Ce sont les
représentations telles qu'elles ont été exprimées par les apprenants, et
leurs enseignants qui supposent à l'exemple que le manque de motivation
dans la langue arabe est surtout dû aux méthodes traditionnelles et à
l'enseignement magistral adoptés pour l'arabe et pour les disciplines
enseignées en arabe.
Les enseignants se sont prononcés clairement sur ce point même si
certains supposent que les mêmes méthodes peuvent et/ou sont adoptées
au sein de leurs établissements. Par ailleurs, leurs propos sur le système
d'évaluation libanais au Brevet laisse à douter que l'enseignement des
disciplines en arabe, notamment la langue arabe n'exige pas de la part des
enseignants des efforts pour aller plus loin que le cours magistral.
L'influence des pratiques de classe sur l'image de l'arabe ainsi
démontrée, il reste à savoir si les représentations négatives récoltées
auprès des enseignants agissent sur les représentations de leurs
apprenants.
125
3- L'influence des représentations des enseignants sur les
représentations des apprenants
Les questions directes posées lors des entretiens avec les
enseignants, et dans le questionnaire des apprenants affirment l'influence
de l'enseignant sur ses élèves aux niveaux cognitif, relationnel, affectif et
comportemental, telle qu'elle est exprimée explicitement par ces derniers.
Ainsi, si l'enseignant influe sur les représentations de ses élèves et
si les deux parties possèdent les mêmes images pour un même objet on
peut confirmer l'hypothèse.
Les trois hypothèses ainsi confirmées impliquent la confirmation
de l'hypothèse principale qui postule que "les politiques éducatives,
notamment les politiques linguistiques éducatives, influencent les
représentations des apprenants de la classe de EB9 au sein des écoles
homologuées au Liban."
126
Conclusion générale
Un plurilinguisme éducatif
au service de l'édification d'une identité nationale fédératrice
Les missions principales confiées à l'école, par les Etats
démocratiques se résument par : l'instruction ou l'acquisition des
connaissances et des méthodes de travail, la formation ou l'insertion dans
la vie sociale, professionnelle et l'éducation ou le développement de la
personnalité et l'apprentissage à vivre avec d'autres, autrement dit "la
citoyenneté". Cependant, sous l'influence des "nouvelles théories de
l'identité", la nouvelle conception de l'étudiant apprenant a pris son
importance surtout, avec la mondialisation et l'ouverture aux échanges
économiques, politiques, informatiques et communicationnels, dans un
monde rétréci à la mesure d'un village planétaire.
Dès lors, des politiques éducatives plurilingues, élaborées dans une
perspective interculturelle, sont mises en œuvre, partout dans le monde,
sous l'égide de l'UNESCO et/ou selon ses directives.
Toutefois, l'élaboration de ces politiques reflète, par le choix des
langues à enseigner et des langues d'enseignement, le statut accordé à
telle ou telle langue et les fonctions qui lui sont vouées. Ce reflet est
également, celui d'une image plus ou moins importante, de la culture
véhiculée par chaque langue. Cela peut s'opérer aux dépens de la (des)
langue(s) nationales et ou maternelle(s), menaçant par là-même un
127
référent identitaire, et nécessitant une intervention au niveau des
politiques nationales.
Ainsi, la menace, que représente l'anglais pour la langue française,
a engendré une action politique linguistique très large, pour la
préservation et la promotion de la langue et de la culture françaises, "la
francophonie".
En effet, dans un pays comme le Liban, qui est multilingue par
tradition, une politique éducative plurilingue suppose une réflexion
profonde, sur les effets d'une telle politique, sur l'avenir de l'arabe langue
maternelle, en tant que composante de l'identité libanaise et en tant que
facteur fédérateur du peuple libanais. Cette vigilance est notamment
souhaitable dans l'enseignement au Liban.
Le multilinguisme au sein de l'école fera un levier pour hausser
l'image de l'arabe langue maternelle, dans la mesure où le respect des
langues des autres, toutes les autres, passe par le respect de sa propre
langue.
En effet, l'enquête a montré que les apprenants de la classe de EB9
des écoles homologuées tendent à voir l'arabe langue maternelle comme
une langue défavorisée et indigne, à tel point, que certains ont honte de
s'y identifier. Ces résultats sont très proches de ceux d'une étude menée,
en 1993, auprès de 100 adultes qui ont exprimé presque les mêmes
représentations (Gueunier, 1993)
Ce renoncement alerte sur un aspect plus grave. Il est peut-être en
rapport avec l'élan croissant des Libanais, à acquérir une deuxième
nationalité. De toute façon, abandonner l'arabe langue maternelle, en tant
que référent de l'identité collective, voire nationale, signifie le
dénigrement de la culture et de l'histoire du peuple libanais, d'où le risque
de l'émigration définitive des jeunes libanais. Un autre inconvénient,
128
aussi important, est celui qui résulte de la confusion et de l'instabilité
vécues par les jeunes, vivant au sein d'un environnement méprisé, tout en
s'identifiant à d'autres cultures. Cette situation pourrait provoquer une
altération à l'image de soi.
En somme, l'influence des politiques éducatives et linguistiques, au
sein des écoles enquêtées est confirmée par les résultats de l'enquête. Ces
derniers orientent vers une nouvelle hypothèse : ces représentations
dévalorisées de la langue et de la culture libanaise ont régi l'élaboration
des politiques éducatives nationales et scolaires. Elles sont celles des
décideurs qui, eux-mêmes, étaient étudiants dans les mêmes écoles, ou
celles des parents et/ou enseignants éducateurs des nouvelles générations.
Il parait urgent, d'intervenir pour briser le cercle et pour s'orienter
vers un changement de mentalité, vers une modification de la perception
de l'importance de l'arabe langue maternelle, et de sa place au sein du
système éducatif, en tant que matière principale, véhicule de notre culture
et expression de notre histoire.
L'enquête, dans les limites qu'elle s'est tracée, a étudié
exclusivement, l'influence de l'environnement scolaire sur l'édification
d'une image positive de l'arabe langue maternelle.
Cependant, cette image de l'arabe langue maternelle semble être la
résultante de divers facteurs, soient les politiques de l'état, l'école, les
médias et la famille.
La présente étude suscite une prise de conscience des
représentations négatives, envers l'arabe langue maternelle. Ces dernières
peuvent être nuisibles à l'identité nationale. D'où la nécessité d'une
politique linguistique nationale explicite, impliquant les secteurs éducatif,
médiatique et de la recherche, qui œuvre pour la promotion de notre
langue et de notre culture, dans toute sa distinction et son ouverture.
129
L'éducation scolaire, par le biais de politiques éducatives
plurilingues, dans une perspective interculturelle, pourra mettre en valeur
toutes les cultures à égalité. Elle pourra ainsi, donner à l'arabe langue
maternelle, sa bonne place dans la formation d'un citoyen fier d'appartenir
à sa langue, à sa culture et à sa patrie.
Dans la pratique de sa mission éducative, l'école transmettra
également, le respect de l'individu et de ses droits tels qu'ils sont définis
par la Charte Universelle des Droits de l'Homme. Dès lors, toute
atténuation de l'importance d'une culture, de par la langue qui la véhicule
ou les valeurs et les croyances qu'elle véhicule serait une atteinte à la
dignité du peuple auquel elle appartient. Cela s'applique à plus forte
raison à l'arabe langue maternelle.
D'autre part, les médias sensibiliseront le public, à se rattacher à la
langue et la culture libanaises, en privilégiant l'emploi de l'arabe langue
maternelle, en encourageant les productions de films et de feuilletons
libanais de qualité et en organisant des débats portant sur des sujets
linguistique, culturels et identitaires.
Les deux secteurs éducatif et médiatique peuvent ainsi, soutenus
par une politique linguistique nationale, fondée sur des recherches
scientifiques, modifier les représentations identitaires sur la culture et la
langue. Cette modification fera l'effet de boule de neige au sein de la
société libanaise et peut-être pourrions-nous espérer voir les décideurs au
Liban défendre la cause de notre langue et de notre identité et voir notre
langue au statut des langues internationales.
Cela rappelle un passage de Calvet (2007), " […] certaines langues
régionales demeurent les victimes d'un impérialisme linguistique dont
l'un des masques les plus récents est peut-être celui de la francophonie.
Une linguistique consciente de ces implications politiques ne peut être
130
que militante. C'est aux linguistes concernés, dans leurs pays respectifs,
dans leurs régions, qu'il appartient d'assumer cette prise en charge, ce
combat pour la défense et l'épanouissement de leur langue et de leur
culture propres".
Le Liban débutera t-il prochainement son combat pour la défense
de l'image identitaire de l'arabe langue maternelle ?
Quel rôle pour l'éducation scolaire dans le renforcement de l'image
de l'identité libanaise, chez l'apprenant, citoyen futur du Liban, pour qu'il
se sente digne d'être citoyen du monde en s'enracinant de plus en plus
profondément dans son identité libanaise ?
131
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