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1 UNIVERSITE PARIS XII - VAL DE MARNE UFR DE LETTRES ET SCIENCES HUMAINES THESE Pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’ UNIVERSITE DE PARIS XII Discipline : Littérature francophone Présentée et soutenue Par Charles Edgar MOMBO Le 9 juillet 2004 Titre : RECEPTION EN FRANCE DES ROMANS D’AHMADOU KOUROUMA, SONY LABOU TANSI ET DE CALIXTHE BEYALA Directeur de thèse : M. le Professeur Papa Samba DIOP JURY M. le Professeur Francis CLAUDON, Président M. le Professeur Papa Samba DIOP M. le Professeur Janos RIESZ M. le Professeur Khalid ZEKRI Année Académique : 2003-2004

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UNIVERSITE PARIS XII - VAL DE MARNE UFR DE LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

THESE

Pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’ UNIVERSITE DE PARIS XII

Discipline : Littérature francophone

Présentée et soutenue

Par

Charles Edgar MOMBO

Le 9 juillet 2004

Titre :

RECEPTION EN FRANCE DES ROMANS D’AHMADOU KOUROUMA, SONY LABOU TANSI ET DE CALIXTHE

BEYALA

Directeur de thèse : M. le Professeur Papa Samba DIOP

JURY

M. le Professeur Francis CLAUDON, Président

M. le Professeur Papa Samba DIOP

M. le Professeur Janos RIESZ

M. le Professeur Khalid ZEKRI

Année Académique : 2003-2004

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DEDICACE

A vous père Charles MOMBO

A vous mère Agnès NDOMBI

A vous tous neveux et nièces, frères et sœurs Charles MOMBO

Pour ce désir que nous partageons, Yolande OBONO ALLOGHO

Que cette écriture serve d’exemple à nos chers enfants Glenn et Sheldon

A tonton Fianny

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REMERCIEMENTS

Parfois les mots ne signifient rien devant l’immense richesse

intellectuelle que l’on reçoit.

Au Professeur Papa samba DIOP, Merci

Merci à tous les enseignants

A tous mes amis d’école, Merci

AVANT- PROPOS

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Il ne peut se mener d’études sur les romanciers que nous voulons questionner

sans préciser le contexte général de production du roman africain. Cependant,

le but n’est pas d’en faire une histoire littéraire. L’essentiel étant d’indiquer les

conditions de naissance de cette littérature, d’en montrer les différentes

influences subies1 et, surtout, d’énumérer le(s) pionnier(s) qui constituent le

départ d’une littérature qui prévaut.

A ses origines, l’Afrique n’a jamais connu de genre romanesque. En effet, elle

avait depuis longtemps une littérature adaptée à sa propre existence, à son

milieu. C’est une littérature principalement composée de contes, de mythes,

d’épopées, de proverbes, de devinettes, et donc une littérature d’expression

orale. Ce sont tous des genres narrés ou racontés. Ils le restent d’ailleurs

jusqu’aujourd’hui quand bien même les contextes de la société africaine se

disloquent. Cette littérature, même si le concept a été difficilement accepté par

certains colonisateurs, était principalement tournée vers l’apprentissage du

milieu culturel et des règles qui régissaient la société. L’écriture, au sens

occidental, demeurait alors quasi inexistante. Et le roman, du moins dans sa

dénomination actuelle, n’apparaissait point dans les genres africains. Roland

Colin qui a ressassé les différents genres de la littérature orale africaine,

reconnaît que le roman a toujours été absent. Makhily Gassama, critique

sénégalais, corrobore le fait :

1 Même si la recherche se tourne vers une démonstration historique, loin de nous l’idée de présenter tous

les moments de la naissance de cette littérature africaine d’expression française. Nous nous fondons sur un

système de pensée brève qui tienne compte des faits essentiels.

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« Il s’agit d’un genre complètement ignoré de notre

littérature traditionnelle. »1

La question de l’ « ignorance » du roman dans la littérature africaine est la

conséquence d’une société dont les schèmes d’écriture ne ressemblent pas à

ceux des occidentaux. Même si pour Alain Ricard le roman

« est le genre qui attire le plus de lecteurs ; c’est aussi

celui à travers lequel peut se recomposer le monde ou

au contraire s’exprimer sa décomposition »2,

le contexte africain d’hier, et peut-être d’aujourd’hui, ne se remettait pas

exclusivement à la charge d’un quelconque genre pour exprimer ou remettre en

cause une situation donnée. En d’autres termes, le roman ne semblait pas

encore nécessaire… Les palabres étaient les lieux de recomposition du monde,

pour les Africains.

On peut postuler donc l’idée selon laquelle, l’Afrique, dans ses moments

« paradisiaques », n’avait point besoin d’un autre ou d’un nouveau moyen de

« recomposition » de sa société. Tout apparemment se tenait bien.

1 Cité par KONE (A.) dans Des textes oraux au roman moderne, « Etude sur les avatars de la tradition

orale dans le roman africain », Verlag für Interkulturelle kommunikation, 1993, p. 9. 2 RICARD (A.), Littératures d’Afrique noire. Des langues aux livres, CNRS éditions et Karthala, 1995, p.

226.

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L’individualisme n’existant pas, la société africaine ne pouvait souffrir de ce

qu’on pouvait noter dans la société occidentale de la seconde moitié du 19ème

siècle : l’individualité. Aussi tout était-il concentré sur le groupe.

L’individualité n’avait pas droit de cité. Plusieurs romanciers ont d’ailleurs fait

un retour à ce qui pourrait s’appeler « l’ancienne Afrique », afin de pouvoir en

démontrer l’unité et la cohésion des groupes. Nazi Boni en est un exemple1. Le

roman est apparu dans les nouveaux rapports entre l’Africain et l’étranger.

Surtout le contact avec l’école blanche et l’entrée de la civilisation européenne

dans les milieux les plus austères du monde noir. Il est né donc de la

décomposition de la société communautaire face aux éléments « perturbateurs »

qui ont entraîné une nouvelle vision du monde, importée par les marchands

d’esclaves et les missionnaires de diverses origines. Dans la plupart des cas, ce

furent souvent les missionnaires qui introduisirent véritablement l’instruction.

C’est pour cette raison que les « premiers instruits » de l’école européenne

vinrent des missions protestantes ou catholiques.

Cette situation ne devait ni offusquer ni offenser certains chercheurs, d’autant

moins que l’écriture occidentale, détentrice du roman, n’est apparue en Afrique

noire que dans les années vingt et trente. Ce qui expliquerait la présence, peut-

être tardive, mais capitale des premiers romans noirs. Le « retard », s’il en est

un, tiendrait du fait que le contact des Noirs avec l’école occidentale se serait

réalisé presque’ à la fin de la première moitié du XIXème siècle. La référence à

la nécessité importe dans la mesure où le futur romancier est toujours déjà

1 BONI (N.), Crépuscule des temps anciens, Paris, Présence Africaine, 1962.

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obligé de se rendre à l’école du « Blanc» afin d’apprendre sa langue, les

méthodes qui l’accompagnent et les codes qui régissent le roman. Il est vrai que

ceux qui allaient à l’école à cette époque ne prétendaient pas tous devenir

romanciers ou poètes. Mais ce contact était devenu utile pour la vie quotidienne

car il fallait balbutier la langue du colon pour prétendre à ses faveurs. Plusieurs

romans de la période coloniale comptent des personnages qui se traduisent

comme des Blancs, c’est-à-dire avec condescendance à l’égard des leurs, parce

qu’ils servent d’interprètes. L’école devenait plus importante pour ceux qui se

destinaient (un jour) à l’écriture. Du reste, les premières œuvres ont longtemps

souffert de lacunes inhérentes à l’utilisation d’une langue étrangère, « souvent

mal assimilée.» L’écriture d’une œuvre romanesque pour (tout) futur écrivain,

surtout africain, obéit à des contraintes propres au genre littéraire. Makouta

Mboukou parle même de face douloureuse et pénible de l’écriture du roman par

le nouvel écrivain noir. En effet, pour Jean Pierre Makouta Mboukou,

« l’adoption par les écrivains négro-africains du

terme roman qui désigne une espèce littéraire,

signifie déjà pour eux une allégeance, un acte de

soumission aux règles qui régissent le roman.»1

On peut dire que la remarque reste fondée. Cependant il n’ y a rien qui demeure

extraordinaire dans ce que Makouta Mboukou énonce. Tout individu qui

s’engage dans la voie romanesque s’astreint à respecter les règles qui régissent 1 MAKOUTA MBOUKOU (J.-P.), Introduction à l’étude du roman négro-africain de langue française,

‘’Problèmes culturels et littéraires’’, Les Nouvelles Editions Africaines, 1980, p.199.

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le genre romanesque. Cela est valable même dans la société oralisée. Celui qui

veut devenir un merveilleux conteur ou diseur d’épopée a le devoir de s’aligner

derrière des prescriptions qui établissent les lois et les modalités du genre

choisi. Alors « la soumission aux règles qui régissent le roman » reste urgente

pour tout écrivain. Toutefois, le caractère douloureux s’explique dans la mesure

où toute initiation le demeure, c’est-à-dire qu’il n’existe d’apprentissage sans

souffrance. Et pour les romanciers africains, il y a douleur dans le sens où,

partant d’une littérature principalement orale, l’initiation au roman ne pouvait

qu’être pénible. D’ailleurs, cette exigence continue de se lire aujourd’hui chez

tout écrivain, qu’il soit du Nord ou du Sud.

En somme, la littérature africaine écrite est née de la rencontre entre les

Occidentaux et les Africains, jusqu’ici baignés par l’oralité. C’est un

phénomène assez récent qui prend source dans une situation où (seule) la parole

est primordiale ; ce que les colonisateurs ont manqué de reconnaître, souligne

Amadou Koné. De fait, ceux-ci ont conclu à l’infériorité d’« un peuple sans

histoire, sans civilisations.» C’est alors que l’apprentissage de l’écriture

occidentale, loin de les opprimer, deviendra tout de suite le lieu « le moins

contesté » par l’Africain, dans la mesure où l’écriture sera le dépositaire d’une

situation de revendications individuelles et communautaires passées sous

silence. Aussi, dans ce contexte, l’Africain tentera-t-il d’adopter d’apprivoiser

une langue qui n’est pas sienne :

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« Il ne veut pas seulement apprendre à lire et à

écrire. A peine est-il alphabétisé qu’il veut écrire,

produire de la littérature.1»

Les propos ici rapportés sont d’une créativité telle que l’on ne distingue guère

l’écrivain du critique littéraire. Ayant appartenu à une génération d’écrivains

africains, Amadou Koné fera de la langue française l’instrument de

dévoilement de la société africaine, comme tous les auteurs. En tout état de

cause, Ecrire, deviendra pour les nouveaux lettrés africains, le lieu où

retentiront les gongs de la revendication humaine et raciale d’un peuple

« longtemps oublié. »

Les conditions de naissance de cette littérature demeurent multiples. Comme en

littérature occidentale, la naissance du roman en général et de son évolution

s’origineraient dans le contexte historico-social des époques établies. Mais

avant de démontrer ces conditions dans le cas africain, une définition du roman

semble s’imposer.

Il est certain que le roman revêt une kyrielle de sens. En Occident, la définition

du « roman » a toujours correspondu à son époque. Toutes les ères ou presque

trouvent dans le roman « un genre nouveau venu dans les lettres ». Son origine,

1KONE (A.), « J’écris donc je suis :Perspectives sur la problématique de l’écriture chez les Africains », in

Littératures et sociétés africaines, sous la direction de Papa Samba Diop et Hans-Jürgen Lüsenbrink,

Gunter Narr Verlag Tübigen, 2001, p. 70.

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comme l’a su bien noté Marthe Robert1, demeure roturière, c’est-à-dire venant

des genres populaires très bas et qui aurait réussi à s’ingérer « au milieu des

genres séculairement établis 2», telles que les épopées, la poésie, etc. En outre,

dans sa désignation actuelle, le roman est assez récent. Ainsi, quelques critiques

reconnaissent Don Quichotte comme premier roman moderne. Pour d’autres, il

s’agirait de Robinson Crusoé. Qu’à cela ne tienne, le roman s’est imposé ; on

pourrait même dire que de nos jours, il supplante les autres genres qui, pourtant,

lui sont antérieurs (tels que l’essai, la nouvelle, etc.)

Selon Marthe Robert, si le roman connaît le succès qu’on lui doit actuellement,

c’est parce qu’il a su bien s’imposer et se faire imposer. Bien plus, le roman a

su « coloniser ses voisins.» En effet,

« passé du rang de genre mineur et décrié à une

puissance probablement sans précédent, [le roman]

est maintenant à peu près le seul à régner dans la

vie littéraire. 3»

Ce « règne », pour revenir à ce qui nous concerne, s’étendra jusqu’en Afrique

où le roman se trouve déjà bien présent. Le succès romanesque tenant

également du succès commercial, au-delà du succès esthétique que l’on ne peut

nier, ses conditions de naissance varient selon qu’on se trouve en Occident ou

1 ROBERT (M.), Roman des origines et origines du roman, Paris, Editions Bernard Grasset, 1972. 2 Idem p. 11. 3 Ibidem., p. 13-15.

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en Afrique. Un fait cependant se lit et lie toutes les conditions : le roman tire

son origine toujours des contextes qui le constituent. Ce sont : l’historique,

l’économique, le social et même le psychologique. Le roman reflète son temps,

son ère, son époque financière, ses conditions de vie et ses émotions. Tout cela,

repris dans une esthétique propre, peut produire une oeuvre d’esprit. C’est dans

cette vision que plusieurs critiques ont établi des théories visant à interpréter et

à classifier les textes littéraires. Ce sont entre autres Georg Lukács1 et Mikhaïl

Bakhtine2.

Pour George Lukács, par exemple, les structures sociales, la place de l’individu

et ses rapports au monde déterminent le roman. De façon contemporaine, le

roman traduirait le divorce entre le monde extérieur et l’homme. Lequel divorce

s’opère, selon Lukács, par le rejet de l’épopée, genre qui prônait « l’unité du

monde et la conscience subjective. » Pour le dire en termes simples, le roman

naîtrait de l’incohérence du monde et du manque d’affirmation de soi, de l’être.

Le roman peut être vu chez Lukács comme une de tentative de reconstruction

de l’équilibre entre le monde et l’individu. De plus, il ne devient qu’un pur

produit de l’Histoire ayant rompu avec l’harmonie naturelle. Georg Lukács le

prouve bien quand il déclare :

« le roman est l’épopée d’un temps où la totalité

extensive de la vie n’est plus donnée de manière

immédiate d’un temps pour lequel l’immanence du 1 LUKÁCS (G.), La Théorie du roman, Paris, Gallimard (pour cette édition), 2001. 2 BAKHTINE (M.), Esthétique et théorie du roman, traduction de Daria Olivier, Paris, Gallimard, 1978.

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sens à la vie est devenue problème mais qui,

néanmoins, n’a pas cessé de viser à la totalité. 1»

A travers ces propos, on est tenté de voir que le roman devient le lieu où « se

réfugie » l’individu afin de trouver et d’atteindre à une « totalité. » Le terme

« totalité » se réfère à la nature épique qui constituait, selon l’auteur de ces

mots, la vraie nature humaine. On voit donc apparaître la structure sociale,

ébranlée par le divorce entre l’individu et cela même qui le constituait : la

vision épique l’épopée.

En comparant le roman aux autres genres, Mikhaïl Bakhtine insiste sur le fait

que le roman est la conséquence de la rupture dans l’histoire des sociétés

européennes. Il indique également que le roman surgit alors que le monde

s’enfermerait dans une nouvelle dynamique des relations sociales. Pour ce

théoricien de la littérature, les nouveaux rapports qui apparaissent (comme les

différents rapports économiques et internationaux ) provoquent une rupture

entre l’homme et ses conditions de marché et de langues. Et le roman devient le

seul réceptacle qui puisse contenir l’individu. Il naîtrait donc de la relation entre

l’être profondément ébranlé et les nouvelles relations qui se posent et

s’opposent à l’homme. Il est clair que c’est l’économie qui demeure au centre

de l’aspect de la théorie bakhtinienne dans une vision complètement marxienne.

1 LUKACS (G.), op. cit., p. 49.

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S’il y avait une troisième dimension, elle serait à regarder du côté de Ian Watt.

Repris déjà par Amadou Koné, la conception « wattienne » du roman prendrait

source dans « l’échec » de l’âge classique et se dirigerait vers une « orientation

individualiste et psychologique de l’âge romanesque. » En d’autres termes, le

roman est le fruit de la rupture (une fois de plus) entre l’individu et son

environnement. C’est donc de la crise psychosociale que naît le roman, selon

Ian Watt.

Ces trois théories corroborent l’idée énoncée plus haut selon laquelle le roman

ne naît pas « ex nihilo », Mais des conditions socio-historiques, économiques et

même psychologiques des auteurs, des individus qui composent la société. Que

ce soit la conception de Lukács, celle de Bakhtine ou celle de Watt, une rupture

est toujours déjà annoncée. Ce divorce demeure dans tous les cas la

conséquence d’une condition qui a prévalu. Condition d’Homme qui, n’ayant

plus de repères, se trouve un nouveau moyen de reconnaissance et de

reconstruction, fût-il par la fiction et l’imaginaire. Appliqués à la littérature

africaine, comment entendre ces trois moments du roman ?

Jusqu’à une certaine tradition poétique ou romanesque, seule la définition de

George Lukács pouvait s’accorder au contexte africain. Plusieurs romans

africains n’ont pas cessé de repeindre la vie et les us d’antan, répondant ainsi à

l’envie de repartir vers les Anciens. C’est le cas de Nazi Boni (déjà cité) et de

bien d’autres écrivains. Cette conception s’appliquerait aussi à la Négritude qui

a toujours tiré dans le « retour aux sources » le moyen de se sentir plus proche

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des aïeux en puisant dans ce qui constitue l’héritage ancestral le plus

nécessaire. D’ailleurs, cela est remarquable chez les écrivains africains. Ce sera

l’apanage véritable des écrivains africains, en général. On peut affirmer que les

romans africains obéissent à ces mêmes circonstances de créativité. L’Histoire

a une grande part (de responsabilité) dans l’élaboration des romans d’Afrique

noire. En effet, de la Traite Négrière -même si l’on dénombre moins de romans

traduisant cette époque -aux moments actuels, en passant par la Colonisation et

les Indépendances, les écrivains africains ont toujours puisé aussi bien dans

l’histoire que dans leur quotidien. Cette muse historique continue d’émerger

actuellement. Le dernier roman de Kourouma, Allah n’est pas obligé 1 prend sa

source dans les événements du Libéria où une guerre civile n’a pas fini de faire

des morts. C’est donc une littérature qui voyage avec son histoire : l’Histoire

des peuples africains.

Quant à la conception presque marxisante de Bakhtine, plusieurs romanciers

l’ont su adopter. Devant les nombreuses mutations des sociétés africaines, les

écrivains francophones n’ont pas failli à leur devoir, celui de présenter une

Afrique en perpétuel devenir. On peut citer entre auteurs, Seydou Badian dans

Sous l’orage, Sony Labou Tansi dans La vie et demie… Ces romans

représentent les peuples africains, d’une part, dans le conflit des générations

(Sous l’orage) et, d’autre part, en proie à la dictature des chefs d’Etats africains

après les indépendances. Moments inquiétants pour les temps à venir.

1 KOUROUMA (A.), Allah n’est pas obligé, Paris, Editions du Seuil, 2000, 233 p.

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En ce qui concerne la conception de wattienne du roman psychologique, les

écrivains africains francophones ne l’auraient pas complètement intégré. Peu ou

rien ne montre l’écriture au sens psychologique du roman…Seule la

consistance des personnages est souvent évoquée. Dans la plupart des romans,

les écrivains peignent surtout les aspects physique et extérieur de l’homme.

L’intérieur étant la plupart de temps occulté. En d’autres mots, les romanciers

africains, même ceux d’aujourd’hui, délaissent les descriptions et valeurs de la

« psyché » des protagonistes.

Ainsi, quel que soit l’univers dans lequel on se place, les conditions de

naissance du genre romanesque peuvent se vérifier en Occident, comme en

Afrique noire d’expression française. En revanche, du point de vue thématique

et langagier, une nette différence se rencontre au sein même desdits écrivains.

Pour la première génération, composée des tenants de la Négritude, la langue

française doit être maîtrisée et sue comme à « l’école », tandis que pour des

écrivains comme Yambo Ouologuem, Ahmadou Kourouma ou Sony Labou

Tansi, la langue devient un objet de jeu entre les doigts des romanciers. La

démonstration en sera faite dans la seconde partie lorsqu’il s’agira d’indiquer

les romanciers et la langue française.

La totalité de la critique s’accorde à reconnaître un fait irréfutable : l’Afrique

traditionnelle n’a jamais connu de genre romanesque ; et le roman demeure un

fait assez « moderne. »Pour Amadou Koné une fois de plus,

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« la littérature africaine écrite est un phénomène

relativement récent. L’Afrique précoloniale avait

surtout développé une littérature orale abondante et

complexe qui, même aujourd’hui tente de survivre… 1»

Ce constat reste inchangé, à savoir que la volonté d’écrire est subséquente à la

rencontre des cultures africaines avec l’école blanche. En dépit du fait que les

premiers romanciers « n’ont pas su maîtriser les formes de ce nouveau genre »,

comme il a été indiqué plus haut, les premiers romans sont nés en France dès

les années vingt. Pourtant, cette même critique se rend compte de la complexité

à ordonner les temps qui ont donné naissance à la littérature noire d’expression

française. Aussi, situer les premiers moments romanesques de cette littérature

n’en est que plus difficile et compliqué. Mais en ce qui concerne ce travail,

deux événements de grande portée ont retenu notre attention : le premier

demeure la publication de Batouala2, premier roman de René Maran. Le second

reste la Négritude ; moment presque de rejaillissement de cette littérature.

L’insistance se fera sur le premier instant qui demeure indispensable dans

l’examen de la signification et des fondements de la littérature négro- africaine

française. La Négritude n’étant plus totalement objet de démonstration, elle ne

sera point soumise dans cette pensée.

Il serait adéquat de concevoir que la littérature noire d’expression française doit

son impulsion à l’auteur de Batouala, dont l’influence continue jusqu’à nos 1 KONE (A.), op. cit., p. 70. 2 MARAN (R.), Batouala, Paris, Albin Michel, 1921.

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instants. « Véritable roman nègre », Batouala est paru dans une situation où le

colonialisme sévissait au milieu des peuples africains, où l’impérialisme régnait

en maître. Personne ne pouvait en dire mot. Pourtant une voix s’est levée pour

dénoncer les méfaits d’une occidentalisation forcenée des pays africains.

Né à la Martinique de père guyanais, Maran se sentit très tôt près de ses

« frères » de race dont il se fit défenseur. Après avoir accompli ses humanités à

Bordeaux, il décide de trouver très tôt un travail afin de « se décharger des

pauvres parents », comme le souligne Senghor1. Ainsi, il devient Fonctionnaire

dans l’administration coloniale. Il sera affecté en Oubangui-Chari en qualité de

Commis. Entre l’Administration qui l’emploi et la soif de (re) connaître la vie

des « Africains », Maran se propose une familiarité avec les coutumes et usages

des autochtones dont il comprendra finalement la langue. Cette familiarité

favorisera la prise des notes. Ce sont ces notes qui par la suite permettront la

rédaction du roman.

Un fait presque troublant se remarque dans la lecture de cette œuvre. Loin de

faire un réquisitoire contre le colonialisme et ses tenants, René Maran se borne

simplement à mettre à jour les abus et les excès d’un pouvoir. Pour Jacques

Chevrier, par exemple, le comportement de René Maran de cette époque, donne

une autre lecture de son roman :

1 SENGHOR (L.-S.), « Hommage à René Maran », Présence Africaine, Paris, 1965.

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« Si l’on doit aujourd’hui éviter une lecture

anachronique d’une œuvre qui, loin de récuser le

système colonial, se limite à en dénoncer les excès, il

n’en reste pas moins qu’elle trahit à l’évidence les

contradictions inhérentes à la situation de son

auteur1. »

Cette attitude de non-engagement de la part de Maran peut se comprendre dans

la mesure où, à l’époque de l’écriture de ce roman, il occupait des fonctions

dans l’administration coloniale. Et donc critiquer énergiquement les colons

alors qu’il en faisait partie, aurait été vu comme une provocation qui lui aurait

valu sûrement des menaces de toutes espèces…(hypothèses). D’ailleurs,

quoique l’ouvrage n’ait pas fait des critiques acerbes, l’auteur en avait payé de

ses frais… C’est peut-être pour cette raison qu’il préféra orienter sa lutte contre

l’ignorance. Ainsi que le dit Gérard Tougas : Maran se fit défenseur de sa race

« non par des prises de positions fracassantes mais

par une tenace et encourageante opposition aux

forces de l’ignorance1 . »

1 CHEVRIER (J.), Littératures d’Afrique noire de langue française, Editions Nathan Université, 1999, p.

12. 1 TOUGAS (G.), Les écrivains d’expression française et la France, Collection Essai, Editions Denoël,

Paris 7è, 1973, p. 61.

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En fait, pour René Maran, la véritable lutte passe par l’école. L’instruction

deviendrait le moyen le plus actif de cerner et de dénoncer les actions des

colonisateurs. En sus, l’école se muterait en lieu de revendication de la race

noire ; principal thème qui sera repris en chœur par la Négritude. Contrairement

à ce que feront plusieurs autres écrivains par la suite, Maran considère

qu’assurer son « africanité » ne signifie pas mettre dehors ou rejeter tout ce que

l’Occident, et donc la France, avait apporté à l’Afrique. Bien au contraire,

« il s’était tôt persuadé que l’Afrique sort agrandie

de sa cohabitation avec l’Europe et l’Européen

humanisé de son contact avec l’Afrique2 . »

La conception des relations franco-africaines par René Maran peut paraître

paradoxale. En effet, une espèce de déchirure pourrait se lire dans ce

comportement. Une déchirure due non seulement à sa condition de nègre,

d’Homme noir, mais aussi de fonctionnaire colonial. Car comment pouvait-il

trancher alors qu’il se trouvait dans le même système qui réprimait les noirs ?

Cet état d’esprit se lit quand paraît Batouala.

Devant d’énormes difficultés relatives à son roman, Maran fut dans l’histoire

francophone, « le premier que l’on somma de choisir entre ‘’Ecrivain français

et l’Homme noir’’ », remarque Senghor. Question tragique pour l’auteur. Pour

toute réponse, l’auteur imposa le silence, le « non-choix ». Ce qui dénotait

2 Idem.

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toujours de l’originalité de la personnalité de l’auteur. Pourtant, le fait de

n’avoir pas choisi lui valut néanmoins plusieurs reproches de la part de certains

de ses pairs noirs. De toutes les façons, les foudres allaient lui tomber dessus,

quel qu’en soit le camp opté. D’où son mutisme…Toutefois, en adoptant le

principe de non-choix, on pourrait penser que Maran soutenait l’idée d’une

certaine cohabitation entre l’Europe et l’Afrique, et dont l’essentiel demeura

l’affranchissement par l’instruction et l’humanisation des Européens au seul

contact des Africains.

Le paradoxe « Maran » peut encore se lire lorsqu’une fois en Afrique, il décide

de « cohabiter avec les siens », quand bien même il ne se reconnaît pas dans

leurs modes de vie. Aussi, dans une correspondance de 1909, Maran déclare-t-

il :

« Je sens que je suis sur le sol de mes ancêtres,

ancêtres que je réprouve parce que je n’ai pas leur

mentalité primitive ni leurs goûts. Mais ce n’en sont

pas moins mes ancêtres1. »

C’est néanmoins dans cette atmosphère que va germer le projet littéraire de

René Maran. Il décide de rendre compte d’une partie du monde à partir des

points de vue des Noirs qu’il côtoie tous les jours. Ainsi, entre l’art du bien

écrire et du bien dire (Maran a toujours voulu écrire comme ses «pairs» et ses

maîtres, et peut-être bien plus ) et la volonté de donner un reflet authentique de

1 Cité par ANTOINE (R .) et repris par CHEVRIER, op. cit. p. 12.

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la réalité, Maran ouvre la voix d’une littérature « qui ne dit pas encore son

nom». C’est donc à partir des entretiens et des rapprochements incessants que

le roman Batouala naîtra. Il aurait pu être un ouvrage sociologique,

ethnologique ou anthropologique si l’imaginaire et l’orignilaté stylistique ne

l’avaient pas emporté sur l’exposition des habitudes de la population et des

témoignages recueillis.

Pensant faire une œuvre quasi originale, Maran dut, sans peut-être l’avoir

décidé ni pressenti, ouvrir la voie et la voix d’une littérature nouvelle. Il dut

donner, comme le note Michel Hausser

« l’un de ses premiers textes à une littérature

nouvelle1. »

Si Batouala est perçu comme le premier roman en littérature négro-africaine,

c’est parce que les thèmes abordés relèvent de ce qui sera chez les poètes de la

Négritude, « l’âme noire ». La présentation des thèmes tels que la danse

africaine, les coutumes et les us, la présence des devinettes, etc, exhalte d’une

manière ou d’une autre la couleur et le peuple noirs. C’est en cela que certains

écrivains, poètes et critiques trouvent en lui un « précursseur ». Pour Léopold

Sédar Senghor, Maran reste le « père » du mouvement de la Négritude. Aussi,

1 HAUSSER (M.), Les deux Batouala, Ottawa, Editions Naaman, Sherbrooke, p. 9.

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est-il entendu comme celui qui balise le chemin de ce qu’on pourraoit nommer

ici « l’école de Paris. »1

En fait, la proximité entre l’Africain et le Français aura été bénéfique et pour

l’un et pour l’autre. Mais sa lutte peut apparaître paradoxale dans la mesure où,

ne prenant pas position outrageusement contre le colonialisme, il s’oppose

plutôt aux forces de l’ignorance pour reprendre les propos de Gérard Tougas.

L’ambivalence de l’attitude de René Maran est d’autant plus évidente, voire

éloquente, qu’elle traduit l’œuvre d’un Négro-Africain qui est, par ailleurs,

fonctionnaire de l’administration coloniale.

On pourrait comparer, « mutatis mutandis » René Maran à Moïse ouvrant la

voie de la traversée de la mer rouge à son peuple. Pris métaphoriquement, la

mer rouge paraît ici comme le long chemin de l’écriture pour les Africains

d’expression française. L’odyssée continue de s’affirmer. C’est pour cela que

Batouala, ce nous semble reste le parangon de cette littérature.

Pourtant dans ce voyage littéraire qui commence en 1921, certains romanciers

ne semblèrent point répondre à l’idée que René Maran était le précurseur. Ce

sont entre autres les Sénégalais Bakary Diallo (Force Bonté, 1926), Massyla

Diop (Le réprouvé, 1926), Ousmane Socé, qui publia tour à tour, Karim et

Mirages de Paris ; du Dahoméen Félix Couchoro (L’esclave, 1929). Pour Jean

1 Par l’Ecole de Paris s’entend, tous les mouvements et toutes les tentatives des Afro-antillais dans la

volonté d’affirmer des valeurs noires au bord de la Seine.

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Pierre Makouta Mboukou1, ces romans qui n’eurent aucune influence de René

Maran, constitueraient à leur tour une certaine avant-garde de la littérature

africaine. Mais la datation prouve bien que Batouala est paru avant toutes ces

œuvres. Ce qui lui confère une autorité littéraire et romanesque sans précédent.

Le constat du théoricien paraît recevable. Cependant, il est à noter que parmi

les romanciers qui se démarquent de la figure de Maran comme précurseur, il y

a l’écrivain Bakary Diallo. Ce dernier avait non plus été épargné par la critique

lors de la parution de son roman. Forcé bonté a été souvent jugé comme une

œuvre qui se sépare des thèmes abordés dans le contexte socio-historique de

l’époque. Il était plutôt distingué comme un roman qui « encenserait » que ne

se prononcerait sur les méfaits de la Colonisation. Souvent, il n’est cité que

pour respecter la chronologie de la production romanesque africaine. Car

comment concevoir un roman de ces instants qui s’écarte de son contexte ?

Toutefois le bémol apporté par Makouta Mboukou n’altère en rien la

conception selon laquelle René Maran semble le ‘’Pater’’ d’une littérature qui

va éclore, et que les années vingt restent celles qui enclenchèrent le processus

d’une nouvelle littérature en Afrique sub-saharienne.

Ainsi, à petits pas, l’on va assister à une émergence de la littérature négro-

africaine de langue française. De l’époque coloniale à nos jours, en passant par

le moment des indépendances, on note une progression constante de cette

1 MAKOUTA MBOUKOU, op. cit., p.195.

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littérature. Aujourd’hui, elle se situe à la lisière des temps de la démocratie et

de plusieurs écueils qui jonchent les chemins des jeunes Etats. L’’ensemble de

ce travail permet de voir comment cette littérature est reçue et perçue

aujourd’hui en France au-delà de ces parcours historiques et sociaux.

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INTRODUCTION GENERALE

Nier aujourd’hui l’existence de la littérature négro-africaine de langue française

reviendrait à contester la présence effective d’un univers socioculturel propre et

de ses écrivains. Nombre d’anciennes colonies africaines de la France ont

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adopté la langue française comme outil de travail, comme langue officielle

après qu’ils eurent accédé à l’indépendance. D’ailleurs, dans certains pays

comme le Cameroun (partiellement anglophone), la Côte d’Ivoire et le Gabon,

la prédominance du français est telle qu’elle constitue la langue maternelle des

jeunes générations, réduisant ainsi l’espace dévolu aux langues nationales. Le

sort des langues nationales est meilleur dans des pays comme le Sénégal, le

Togo ou le deux Congo grâce, respectivement, au dynamisme du Wolof, du

Mina et du Lingala.

La langue française demeure, par conséquent, celle que l’on apprend à l’école

et celle qui sert de dialogue entre différents groupes sociaux. Et les pionniers de

la littérature africaine qui ont grandi dans cette sphère linguistique usent du

français comme langue de transmission et de dévoilement des contextes

sociaux, même si l’imaginaire l’emporte dans les romans.

Au fil des années, en effet, plusieurs ouvrages en langue française paraissent de

façon ascendante. Les institutions scolaires, les librairies et les bibliothèques

participent à leur diffusion. De nombreuses études critiques telles que : les

mémoires, les thèses, les ouvrages théoriques, les journaux, etc. consacrent une

part fort belle à la littérature noire africaine d’expression française. La

multitude des soutenances dans les académies, l’abondance des colloques et des

actualités prouvent combien l’attirance pour cette littérature atteint des

proportions autrefois inespérées. De la thématique à la réception desdites

œuvres, tout a été presque énoncé. Qu’il s’agisse des travaux des théoriciens

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connus à l’instar de Jacques Chevrier, de Lilyan Kesteloot, de Bernard

Mouralis ou de Iyay Kimoni1, l’évolution de la littérature africaine et de son

histoire, le rapport avec la société ont été déjà étudiés. D’autres analyses ont

porté sur la réception de cette littérature en désignant l’importance du discours.

Parmi ces travaux, celui de Guy Ossito Midiohouan (‘’Etude de l’accueil et de

la réception critique en France de 1808 à1948’’, thèse de doctorat soutenue à la

Sorbonne en 1979). Tous ces travaux ont montré les relations qui peuvent

exister entre la société et le texte littéraire africain en mettant l’accent sur le

texte lui-même et ce qui l’entoure. Pourtant aucun de ces travaux n’a encore

analysé, du moins à ce qu’il paraît, la réception de la littérature africaine non

plus dans sa totalité mais dans sa singularité en France, en insistant sur

l’institution scolaire et tout ce qui a trait au contexte de production et de

diffusion du texte. L’une des rares, voire la seule qui ait fait l’ébauche dans ce

sens demeure celle de Françoise Cevaër soutenue à Paris 13 (intitulé

‘’littérature d’Afrique noire : les conditions de production et de circulation du

livre de 1960 à nos jours’’ en 1992.) Seulement, le propos de Cevaër se borne à

certaines généralités, à telle enseigne qu’il ne mentionne que les conditions

d’élaboration éditoriale. Notre ambition est d’aller donc au-delà du dernier

travail pour tenter de présenter la réception des romans d’Ahmadou Kourouma,

de Sony de Labou Tansi et de Calixte Beyala en France. Le développement

s’efforcera de montrer les conditions de naissance en tant qu’écrivain, les

conditions de diffusion, de critique et de lecture de ces romanciers.

1 KIMONI (I.), Destin de la littérature négro-africaine ou problématique d’une culture, Kinshasa, Presses

Universitaire du Zaïre/Sherbrooke, Editions Naaman, 1975.

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Aussi, l’assortiment de ce sujet demeure-t-il la résultante d’un constat, peut-être

inconscient, remarqué du côté de ceux qui continuent de nier ou de reléguer la

littérature africaine en général, et francophone en particulier, au dernier plan

des littératures. Ce travail serait, pour ainsi dire, la concrétisation ou

l’expérience finale des travaux antérieurs. Il n’a pas la prétention de cerner la

complexité de la réception de ces écrivains. Il se propose d’en donner un nouvel

éclairage, d’enrichir les précédentes études. Il s’inscrit dans la conception de la

sociologie littéraire à la suite des démonstrations de Robert Escarpit, Hans

Robert Jauss ou de Pierre Bourdieu. Même si ces trois théoriciens

n’appartiennent pas à la même école, leur présence intervient pour une

meilleure compréhension de la réception. Enfin, cette analyse n’a pas la

prétention de conclure en tous points, mais d’apporter quelques éléments

nouveaux, d’en esquisser le sens, et d’inciter à la réflexion et à la lecture des

textes de Kourouma, de Sony et de Beyala particulièrement et partant de tous

les textes africains francophones.

Précisons que ce constat n’est certes pas nouveau étant donné que plusieurs

théoriciens l’ont déjà fait. Parmi eux, Jacques Chevrier. Au terme d’une de ses

études consacrées à la littérature africaine, et indexant la part que réservent

certains journaux à cette littérature, il atteste :

« Il y a là un phénomène de blocage qu’on n’explique

mal et sans conteste une grave injustice vis- à-vis d’une

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production littéraire qui ne cesse, au fil des années,

d’affirmer sa richesse et sa diversité. »1

Dans l’introduction à son ouvrage sur la Francophonie, Dominique Combe

corrobore les propos de Chevrier :

« …En France, les littératures d’expression française

restent méconnues, voire un peu méprisées… » 2

Pour Chevrier, Dominique Combe et d’autres africanistes, le regard des

Occidentaux, des Français singulièrement, devrait changer d’autant plus que

ladite littérature pénètre et continue de le faire dans les réseaux des

bibliothèques et des enseignements. Ils vont très loin lorsqu’ils dénoncent de

manière « grave » l’« injustice » à l’égard de la production littéraire pourtant

féconde. Il est peut-être temps de lever ce « blocage » dans lequel se trouvent

incrustés non seulement les critiques mais aussi le public français. Car certaines

réalités peuvent sembler troublantes quand, par exemple, l’on énonce sans

pudeur que la littérature canadienne a plus d’adeptes que la littérature négro-

africaine. Pourquoi cette différenciation alors que toutes les deux littératures

1 CHEVRIER (J.), ‘’L’Afrique : Le Tournant’’ dans Cahier du C.E.R.C.L.E.F, Etudes en Littératures

Négro-Africaines II, n°4, Université Paris XII. 2 COMBE (D.), Poétiques Francophones, Hachette Livre, ‘’Contours Littéraires’’, Paris, 1995, p.3.

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citées appartiennent à la francophonie ? De là, on pourrait se poser la question

de savoir quel est donc « le vrai sens de la francophonie ?1 »

Puisque tout travail scientifique nécessite l’explicitation des termes du sujet,

songeons à ne pas faillir à la tâche en expliquant l’unique concept important.

La « réception » est à rechercher du côté de la sociologie de la littérature. Il

désigne la manière dont une œuvre d’art parcourt un circuit défini : de la

production à la consommation, en passant par les différentes étapes qui sont les

maisons d’éditions, la publication d’une œuvre, la relation entre l’éditeur et

l’écrivain, l’accueil du public et de la critique littéraire ; sans oublier l’âge de

l’écrivain, si c’est un romancier… C’est une définition qui obéit à celle

qu’énonce Robert Escarpit dans Sociologie de la littérature2 et reprise dans Le

Littéraire et le social3. Il est donc aisé de dire que la « réception » que nous

emploierons s’origine dans la terminologie des sociologues de la littérature, qui,

ce nous semble, participent d’une autre dimension de la connaissance de la

littérature. S’appuyant sur l’objectif que s’assigne Locha Mateso dans La

Littérature africaine et sa critique4, selon lequel :

1 Cette question a déjà été posée par Faten KOBROSLI dans sa thèse sur « la dimension culturelle de textes

francophones du XX ème siècle », soutenue en 1995 à Nice. Dans ce travail, l’auteur présente une étude

comparatiste de trois écrivains femmes de pays différents et essaie de comprendre à travers des textes ce

qui peut les lier. Parmi ces femmes, il y a Beyala. 2 ESCARPIT , (R.), Sociologie de la littérature, Paris, PUF, « Que-Sais-Je ? », 1958 (6ème édition) 3 ESCARPIT (R.), Le Littéraire et le social, « Eléments pour une sociologie de la littérature », Paris,

Editions Flammarion, 1970. 4 MATESO (L.), La Littérature et sa critique, A.C.C.T et Editions Karthala, 1986, 399 pages.

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« l’esthétique de la réception peut significativement

éclairer l’histoire littéraire africaine »1 ,

il s’établit que l’idée de réception qui sous-tend le sujet procède de la

démonstration de l’accueil des romans de nos écrivains en France. D’autant

plus que l’objectif à atteindre est de savoir comment les œuvres de Kourouma,

de Sony et de Beyala sont perçues et accueillies dans un espace-temps

déterminé, dans le lieu originaire de la langue française.

En outre, traiter de la réception reviendrait à présenter déjà ou presque les

orientations de ce travail, sinon la méthode et l’objet. Il convoque largement un

regard « critique », lequel regard permet d’observer les remarques formulées à

l’égard de ces écrivains par les « professionnels » ; ceux qui font du travail de

la critique le moyen de parler des livres et qui « en écrivant sur les livres des

autres font les leurs. »Cette définition va être largement dépassée en ce que ce

travail se voudrait critique des critiques, c’est-à-dire un ensemble de réflexions

sur les parutions critiques des écrivains négro-africains de langue française que

nous étudions. Il s’agira essentiellement de la critique journalistique qui, dans

« le vif de l’actualité, s’attache à discriminer, juger,

inviter à lire ou à ne pas lire » 2

1 Idem. p. 8. 2 JARRETY (M.), La Critique littéraire française au XXème siècle, Paris, PUF., ‘’Que-sais-je ?’’, 1988,

p.3.

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tel ou tel autre texte de roman africain. Donc l’aspect de cette réflexion se situe

bien plus au niveau de la critique des spécialistes français vis-à-vis de la

littérature africaine. Sous ce même nom de réception, nous voulons faire

intervenir tous les instants de l’histoire sociale et culturelle consacrée à la

naissance de l’écrivain, à la diffusion et à la lecture des romans en France1.

L’aire dans laquelle se situe ce sujet est bien sûr francophone. Ce découpage

linguistique permet de circonscrire la réflexion et d’éviter toutes malversations

interprétatives. Car ne voulant pas user de la totalité des littératures africaines

(anglophone, lusophone, etc.)- ce qui serait une gageure- cette limitation permet

de prévenir au maximum une trop grande généralisation du travail, des auteurs,

de la méthode et des idées. Par idées s’entend la conception du plan et surtout le

tissu argumentaire qui composent l’ensemble de ce labeur. Dans la même pensée,

les frontières qui marquent le choix des romanciers demeurent sûrement

arbitraires. Mais elles s’autorisent de l’aspect créatif et de la rupture en littérature

africaine francophone. D’autant plus que les années soixante-huit sont pour cette

littérature le temps de la transfiguration de ce moment de déchirure interne, de

cela qui constituait la thématique africaine. En d’autres termes, les années qui

suivent les indépendances des pays africains offrent une nouvelle

« thématisation » aux romanciers de cet âge littéraire. Et les écrivains actuels

continuent de perpétuer cet héritage.

1 Même si la réception actuelle s’attèle à ne présenter que l’affect du texte posé par le lecteur, il convient, en ce qui concerne cette étude, d’indiquer tous les moments essentiels qui désignent la définition que nous donnons au concept de « réception ».

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Si tous les théoriciens de la francophonie s’accordent sur le fait que l’ « avenir

de la francophonie coïncide avec les aspirations du peuple du monde entier »,

pourquoi continue-t-on de reléguer la littérature francophone au dernier plan ?

Pourquoi la francophonie ne jouerait-elle pas le rôle d’instigatrice de la

reconnaissance véritable, non biaisée de la littérature africaine ? Si l’intérêt

général repose essentiellement sur les questions de langue, de quels manques

souffriraient alors les textes africains ?

Le questionnement sur la littérature africaine francophone mérite d’être au

centre des débats littéraires. Aussi, quelle critique pour quelle littérature ? Et

quelle est la véritable raison de désengagement des Français à l’égard des textes

africains ? Que recherchent-ils dans la littérature africaine ? Qu’est-ce qui

demeure la source véritable de blocage des lecteurs français devant cette

littérature ?

De ce fait, les hypothèses qui sous-tendent ce travail s’orientent vers l’analyse

de l’ensemble des systèmes de réseaux qui entrent dans la composition des

œuvres romanesques étudiées au sein de la grande famille francophone ; et

d’étudier les différentes critiques qui en résultent souvent de façon incertaine.

En d’autres termes, elles portent sur l’intérêt à prendre les romanciers

francophones d’Afrique Noire au même titre que les autres écrivains

francophones qui sont souvent les plus connus et les plus lus. Dans cette

volonté de regarder de plus près les grands moments du sujet, les auteurs qui

serviront d’exemple demeurent Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi et

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Calixte Beyala. Les deux premiers restent intéressants en ce qu’ils ont participé

au renouvellement non seulement thématique mais surtout langagier du roman

africain d’expression française. Ils représentent, entres autre auteurs, le

prototype de la nouvelle génération d’écrivains de langue française qui ont pu

se faire un nom dans le public français. Calixte Beyala, leur benjamine (en âge

et en entrée littéraire), intervient dans ce travail afin d’indiquer la réception

d’un auteur qui vit et écrit en France, en tnant compte de sa médiatisation

littéraire depuis l’attribution du prix littéraire par l’Académie française.

Tous ces auteurs, qui ne sont pas pris au hasard, justifient largement

l’orientation fixée au départ.

Les questions qui interpellent ce sujet commandent l’élaboration d’un plan

assez complexe en apparence. Car sa longueur ne s’explique que par la volonté

de disséquer le sujet sans omettre un seul point qui ne traverse et ne repasse

notre travail. Ainsi le plan se divise-t-il en trois grandes parties en liaison avec

les thèmes abordés.

La première partie ou ‘’vers le romanesque’’ présente la naissance des écrivains

et leur(s) langue(s). On se propose ici d’engager une démonstration des

romanciers dans leur début romanesque. Mieux, il s’agira d’indiquer le style

propre à chaque auteur afin de montrer qu’ils participent de l’écriture en

langue française, en tenant compte des conditions et des lieux de production.

Cette première partie intervient pour présenter non seulement la naissance des

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écrivains mais surtout pour indiquer non seulement que les romanciers peuvent,

comme d’autres, écrire en langue française, sinon la remanier et peut-être en

inventer certains codes.

‘’La diffusion et la réception des romans de Kourouma, de Sony et de Beyala’’

constituent le deuxième point de ce grand ensemble. En effet, une nouvelle

archéologie des relations entre ces écrivains et leurs maisons d’éditions

prouvera combien les auteurs noirs africains ont ou non, des difficultés à se

faire publier par des éditeurs français. Il s’agira ensuite de regarder la part de

succès qui confirme ou infirme la réussite de ces écrivains.

Enfin la troisième partie de ce cheminement présentera les différentes critiques

adressées aux trois écrivains qui font l’objet de cette étude. Ces critiques seront

de deux ordres : critiques universitaire et journalistique. Par critique

universitaire, nous entendons la critique amorcée par les spécialistes de la

question littéraire francophone. Quant à la critique journalistique, elle désigne

la part que donnent les journaux à la littérature d’Afrique noire francophone, à

travers ces romanciers. Un autre et dernier chapitre convoquera la dimension

lectorale, en ce qu’il montrera les aspects de la lecture en France, l’avènement

du lecteur et notamment des « clefs » de lecture. Les clefs de lecture sont une

présentation assez brève de quelques moyens de lecture qui ne sont, en réalité,

que des propositions.

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PREMIERE PARTIE : VERS LE ROMANESQUE

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INTRODUCTION PREMIERE PARTIE

« Pourquoi écrire ? 1» Question presque tragique et existentielle soulevée

toujours déjà par la littérature et la critique. Jean Paul Sartre en a fait toute une

réflexion dans la mesure où il expose de façon juste les motivations de

l’écriture. Aussi pense-t-il qu’au-delà de ces motivations, les auteurs ont des

visées « plus profondes et plus immédiates » en ce qu’ils dévoilent souvent ce

qui est commun à tous. Bien sûr, Sartre souligne qu’un texte publié constitue

déjà un acte social, qui engagerait ‘’de facto’’ l’être humain. Toutes ces

conceptions s’appliquent à tous les écrivains y compris Ahmadou Kourouma, à

Sony Labou Tansi et à Calixthe Beyala .

Ahmadou Kourouma et Sony Labou Tansi adoptent le romanesque au moment

où les Etats africains traversent des instants post-indépendances. Bien plus, ils

décident de prendre la plume afin de dénoncer les malversations de nouveaux

dirigeants du continent noir. Associant parfois la poésie, la nouvelle ou / et le

théâtre, Kourouma et Sony Labou Tansi vont de plus en plus s’orienter vers le

roman. Cette orientation n’est pas gratuite en ce que les futurs romanciers

voudraient non seulement décrire ce qui leur est propre et personnel, mais

surtout ils veulent s’attaquer, du moins dénoncer les régimes dictatoriaux qui

gangrènent la société africaine. Le parcours romanesque vise dans ce cas la

liberté des peuples, comme l’avait bien vu Sartre :

1 Sartre (J.-P.), Qu’est-ce que la littérature ? , Paris, Editions Gallimard, 1948, p. 45-72.

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« …L’écrivain, homme [qui veut s’adresser] à des

hommes libres, n’a qu’un seul sujet : la liberté. »1

Dès lors, le romanesque sera « hic et nunc » le lieu de la revendication des

libertés confisquées par les « soleils des indépendances ».

Afin de comprendre dans le détail les conditions de naissance des écrivains, un

regard assez bref de l’actualité de cette époque nous aidera à mieux apprécier

les motivations des écrivains. Mais encore faut-il pour l’entreprendre, avoir

d’abord spécifié un peu davantage les faits inhérents aux indépendances.

Pour ne pas revenir sur les écrits de l’avant-propos, il est à rappeler que la

littérature africaine d’expression française n’est pas née avec les

indépendances. Elle n’a pas attendu ces instants pour produire le romanesque2.

Pour exemplifier ces propos, il faut dire que dès 1921, la littérature africaine se

portait aux fonds baptismaux avec le roman de René Maran : Batouala.

L’évocation de ce roman demeure intéressant à plus d’un plus d’un titre. En

effet, au-delà du fait qu’il ouvre en « véritable roman nègre » le processus

d’une littérature noire africaine, il est aussi celui dont la réception à cette

époque en France fut presque scandaleuse. L’ouvrage qui reçut le Prix

Goncourt la même année souleva un tollé au sein de la critique française…

Avec Maran, on assiste à une « révolution » de la production sur l’Afrique,

jusqu’ici réservée aux seuls ethnologues ou sociologues européens, qui (bon gré 1 Idem, p. 70. 2 CHEVRIER (J.), La Littérature nègre, Paris, Armand Colin/Her, , 1999, p. 101.

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mal gré) présentaient une Afrique toujours « non civilisée.» En outre, le

mouvement de la négritude offrait une autre vision de l’Afrique à travers la

poésie. La poétique de la Négritude était essentiellement orientée vers la

revalorisation de l’Homme noir et de son affirmation.

Le roman, quant à lui coïncidant son évolution autour de la colonisation. C’est

à partir des années soixante effectivement que le genre romanesque s’est

épanoui. Plusieurs romanciers se sont illustrés. Les uns ont écrit pour dénoncer

les méfaits de la colonisation. Les autres magnifièrent leur enfance idyllique au

sein d’une Afrique souffrante. C’est le cas de Camara Laye avec L’enfant noir1

qui lui valut par la suite des reproches de Mongo Béti. Ce dernier qui ne

comprenait pas qu’au moment où toutes les énergies luttaient contre le

colonialisme, un auteur africain se permît d’écrire une autobiographie…Bref,

pour l’essentiel, le roman devenait donc le lieu de la contestation. Et écrire, à ce

moment-là, revenait à mettre à nu les malversations des colons. C’étaient donc

les romans coloniaux (Eza Boto, Jean Malonga, etc.)

Ensuite vinrent les romans post-coloniaux. Ces romans présentèrent un léger

écart avec les précédents en ce qu’ils s’inscrivirent dans une perspective

historiciste et didactique. Ce sont les romans dits historiques (Thomas Mofolo,

Djibril Tamsir Niane, Nazi Boni, etc.) et les romans d’apprentissage. Les

romans d’apprentissage se sont totalement mis à l’opposé des autres dans la

mesure où ils se sont limités à raconter la formation de l’individu à travers son

1 CAMARA (L.), L’Enfant noir, Paris, Plon, 1953.

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univers, ses aventures et les différentes épreuves qu’il devrait affronter au

cours de son initiation (Bernard Dadié, Camara Laye, Seydou Badian, etc.)…

Quant aux romans historiques, ils ne révélèrent que les exploits et les batailles

des héros africains.

Puis vinrent le temps des indépendances en 1960. Après l’avènement des

romans historiques, contestataires et didactiques, apparurent les romans que

nous nommons, après Chevrier, les romans de la ‘’désillusion’’. Aussi, après le

phénomène de décolonisation entrepris dès les années cinquante, la majorité

des pays africains aspirèrent à leur liberté. Les indépendances étaient alors

nées ; quelques fois arrachées par des révoltes et des guerres. L’heure sonnait la

fin de plusieurs temps de soumission occidentale. En 1960 donc, l’Afrique

noire entra dans l’Histoire en optant pour le processus intégral de liberté. Les

indépendances furent proclamées et chantées. L’euphorie atteignit même les

coins les plus reculés. La joie de ne plus se sentir sous le joug du colonisateur

se lut. Tout était enfin prêt pour redonner aux peuples l’espérance. Tous

aspiraient à l’amélioration de leurs conditions d’existence. L’Afrique venait de

tourner une page…

Pourtant une nouvelle ère, sanglante et mortifiante, s’ouvrait. Quelques années

passées à peine, l’Afrique retombait dans une espèce d’eschatologie propre et

certaine. Les déchirures internes des jeunes Etats se ressentirent rapidement.

Les chants entonnés il y a dix ans se muèrent bientôt en deuil. Les temps

devinrent sombres. Noirs. Devant cette déchirure, Lilyan Kesteloot qui a retracé

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‘’le contexte politique et économique’’ de l’Afrique, se demande si « les

indépendances étaient-elles prématurées ou pas1. » Précaires ou non, les

indépendances étaient désormais une autre réalité. Les pays africains se

transformaient en un espace, en un lieu où les guerres civiles et partis uniques

trouvèrent (grand) refuge. Les coups d’Etats militaires devenaient légion. Les

affrontements se firent au jour le jour. Cette situation se lisait presque dans tout

le continent noir. Bien qu’étant un pays anglophone, le Nigéria qui se situe au

sud du Sahara dût connaître une guerre civile atroce qui dura trois ans (1967-

1970.) Cette guerre eut des répercussions autour de plusieurs pays voisins qui

furent obligés de recueillir plusieurs réfugiés. Comme bien d’autres situations

meurtrières, ces affrontements causèrent des conséquences assez dramatiques

dans plusieurs pays africains, qui semblaient pourtant détenir une économie

grandissante2. C ‘est cette situation qui amena René Dumont à publier

L’Afrique noire est mal partie3. Spécialiste agricole, Dumont lançait déjà un

avertissement aux nouveaux dirigeants. Mais cette mise en garde ne reçut aucun

écho au sein de la communauté africaine, qui n’en vit qu’un mauvais présage.

Pourtant la suite des événements lui donna raison. En Afrique francophone, on

assistait, les coups d’Etats aidant, à des changements ininterrompus de

candidats à la présidence des Etats. Elle entrait de plain-pied dans une nouvelle

vision du monde : vision sadique et manichéenne perpétrées par les nouveaux

« maîtres ». C’est ainsi que tombèrent sur L’Afrique des indépendances,

1 KESTELOOT (L.), Histoire de la littérature négro-africaine, Karthala-AUF, Paris, p. 231-232. 2 Idem. 3 DUMONT (R.), L’Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962.

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« comme une nuée de sauterelles. » Au point que le narrateur des soleils des

indépendances1 ne put s’empêcher de se demander :

« Mais alors, qu’apportèrent les Indépendances à

Fama ? Rien que la carte d’identité nationale et celle

du parti unique2. »

Interrogation sûrement naïve au départ, mais pleine de signification par la suite,

d’autant plus que ces dirigeants vont se révéler de véritables « dictateurs

sanglants. » Ainsi, des arrestations massives d’opposants fictifs ou réels se font

au quotidien. Parfois ils étaient voués à l’exil, du moins pour les chanceux ;

sinon c’était l’incarcération, voire l’élimination physique.

Dans La vie et demie3 du Congolais Sony Labou Tansi, par exemple, on voit

comment les dictateurs usent de toutes les stratégies pour non seulement mettre

aux arrêts les opposants mais aussi les éliminer de leur main. De plus en plus,

les régimes deviennent des machines dont le but reste « la confiscation pure et

simple de l’appareil de l’Etat à des fins personnelles4 . » Selon une vision

historiciste, Philippe Decraene présente les nouveaux Etats et leurs dirigeants

inhumains. Dans cette démonstration évolutive, l’historien indique la part des

1 KOUROUMA (A.), Le soleil des indépendances, Paris, Seuil, 1968. 2 Idem, p.25. 3 SONY (L.-T), La vie et demie, Paris, Seuil, 1979. 4 DECRAENE (P.), Vieille Afrique et jeunes nations, Paris, PUF, 1982, p. 155.

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dictatures en Afrique. Pour lui, comme pour bien d’autres « politologues anglo-

saxons »,

« le temps des indépendances et des partis uniques

s’identifient [au] one man system, dans lequel le

pouvoir s’identifie ou s’incarne en un homme plus

ou moins charismatique.1 »

Tout pouvait se confondre. L’individu seul incarne le pouvoir absolu. Philippe

Decraene reconnaît par exemple l’existence d’« une véritable administration

parallèle2 » au sein des jeunes Etats, orchestrée par l’émergence desdits partis.

En somme, l’administration se réduisait à un simple instrument devant l’organe

d’exécution qui est le parti unique. C’est souvent le « bureau politique » qui est

amené à prendre des décisions qui auraient dû l’être par l’administration elle-

même. Dadou, personnage principal de L’anté-peuple de Sony est bien plus

tracassé par le Secrétaire Général du parti que par la justice. On assiste donc à

une substitution des institutions, par des caprices individuels en ce que la

justice, par exemple, n’est plus tenue par les magistrats professionnels, mais par

les membres du parti. Et le pouvoir ressemble désormais à la direction d’une

maison familiale. Le président est devenu le chef de famille :

‘’ La conception du pouvoir est que le président

sera toujours le père des autres citoyens. Quand- 1 Ibidem., p. 157. 2 Idem, p. 163.

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même les autres ne deviennent pas ses choses, ils

restent ses enfants 1.’’

Cette vision du pouvoir élaborée par le président des ‘’deux rives’’ explique la

dérive totale du pouvoir en Afrique. Quand bien même le narrateur essaie

d’atténuer la virulence des propos en ne chosifiant pas les autres citoyens, le

président est compris comme celui qui incarne non la volonté populaire, mais la

sienne. Par conséquent, les autres sont entièrement réduits à de simples

« enfants » obéissants. Les rebelles, eux, sont arrêtés ou tués. Tous les

nouveaux présidents prirent le titre « chef suprême » autour duquel le

ralliement de l’opinion et la mobilisation des masses étaient de rigueur. Il

exerce par delà tout, comme le montre Philippe Decraene,

« la totalité et la réalité du pouvoir même s’il n’en

détient pas les attributs. 2 »

Le peuple, quant à lui, est réduisait au silence. Il n’existait que pour le « Guide

providentiel ». Il était la machine du pouvoir, en ce sens qu’il servait le pouvoir

et ses alliés. Le peuple est ainsi assujetti à l’idéologie et aux ‘’tropicalités’’ du

guide. La quotidienneté était désormais réservée aux slogans et aux louanges au

« Grand Président. » Dans la nouvelle Afrique, l’homme est comparable à une

‘’machine’’ dictatoriale qui ne sait que reprendre indéfiniment, sans penser,

tout ce que lui commande son « chef .» Dans La vie et demie, Sony Labou 1 SONY (L.T), L’Anté-peuple, op. cit., p.89. 2 DECRAENE (P.), op. cit., p. 175.

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Tansi présente la situation d’un peuple croulant sous le poids d’une dictature

insoutenable. Dans la peur et la hantise de se faire brutaliser, il demeure

totalement fidèle aux idées du « nouvel homme fort .» Et le président n’est plus

vu comme un tyran, mais comme un être surnaturel et plein de ‘’lumière’’

venant éclairer l’obscurité du peuple. Du reste, l’auteur dévoile un peuple, qui,

au-delà de la souffrance, écrit et chante des poèmes au « guide » :

« Le village aussi avait été loué d’avoir laissé grandir dans la

joie et la simplicité le guide multidimensionnel. La poésie

exclamative du poète officiel Zano-Okandeli suivit les

commentaires :

Ô guide éclair

Eclairé

Eclairant

La ténébreuse masse katalamanasienne

Vienne

Sur chaque cœur –pierre

Qui bat nos frontières

L’ombre de ton nom et1… »

Dans ce poème, bien plus qu’une invocation religieuse, le romancier prend le

guide au même rang que le sauveur des chrétiens. Il présente le dictateur

comme le seul capable de sortir le peuple du ‘’noir’’. L’Afrique post-

1 SONY (L.-T.), La vie et demie, op. cit., p. 52-53.

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indépendante présente donc des hommes « divinisés » par le peuple. C’est en

ces termes que se résume la conception du pouvoir aux temps de la

Katamalanasie et de l’anté-peuple. Les pays africains sombrent dans un

totalitarisme où la négation de toute liberté et de toute initiative en dehors du

parti demeurent un délit. D’où l’émergence des pouvoirs barbares et inhumains.

Selon Alain Touraine,

« le totalitarisme mérite son nom [en Afrique] parce

qu’il crée un pouvoir total où l’Etat, le système

politique et les acteurs sociaux sont fusionnés et

perdent toute leur spécificité pour ne plus être que

des instruments de la domination absolue exercée

par un appareil de pouvoir, presque toujours

concentré autour d’un chef suprême et dont la

puissance arbitraire s’exerce sur l’ensemble de la

vie sociale1. »

Les propos de Touraine rapportés confirment ici l’hypothèse dictatoriale dans

laquelle se confinent les pays africains.

Devant ce phénomène inattendu, le roman devient presque le lieu privilégié qui

permet de poser les problèmes d’obscurantisme politique et d’économie. Il

atteint la dimension la plus manifeste du marxisme qui, selon l’idée 1 TOURAINE (A.), cité par YILA (A.), ‘’L’œuvre de Sony Labou Tansi : une poétique de la modernité’’ in

La Quête permanente du sens, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 197.

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goldmanienne, présente la lutte de conscience de classe. Dans ce sillage,

Amadou Koné affirme au sujet de l’écrivain africain :

« conscient ou pas de cet « héritage », l’écrivain

africain, sans doute contraint par son contexte ne

peut écrire que pour lutter1. »

La « lutte » qu ‘énonce le théoricien et l’écrivain Amadou Koné semble poser

un paradoxe. En effet, il peut s’agir de la lutte à travers l’écriture pour réclamer

une société plus juste, tout en dénonçant les abus des nouveaux pouvoirs. Il

peut aussi faire intervenir l’engagement sartrien au sens où l’écrivain peut

arrêter d’écrire pour « prendre les armes. » Sartre le dit :

« On n’écrit pas pour des esclaves (…) Et ce n’est

pas assez que de les défendre par la plume. Un jour

vient où la plume est contraint de s’arrêter et il faut

alors que les écrivains prennent les armes2. »

L’engagement de type sartrien énoncé ‘’hic et nunc’’ avait son sens dans la

société française de son époque. Mais rattachée à l’Afrique, cette conception

n’a pas suffit à évincer les dictatures africaines. Certains écrivains qui ont voulu

combattre ces pouvoirs par les armes se sont tous ou presque vus « avaler » par

1 KONE (A.), ‘’Le rôle de l’écrivain dans l’Afrique contemporaine » in Nouvelle du Sud, Essai, Silex,

Paris, p. 15. 2 SARTRE (J.-P.), op. cit., p.71-72.

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ceux-là même qu’ils ont voulu combattre. Au pire, ils se retrouvent, une fois

pris par le piège de l’argent et du pouvoir, dans la position des dictateurs

‘’combattus’’. Le seul combat, ce nous semble, est celui qui reste purement

littéraire.

Avec l’apparition des indépendances, une nouvelle thématique littéraire émerge

des cendres de la revendication des valeurs nègres et de la lutte anti-

colonialiste. Cette thématisation qui se situe entre 1968 et 20001 pourrait se

nommer ‘’littérature de désillusion’’ (comme l’a fait Chevrier) ou ce que nous

désignons sous le terme de ‘’littérature désillusionniste’’. Il va sans dire que

cette prochaine thématique a entraîné aussi un style particulier dans les romans

africains d’expression de cette période. Désormais les romanciers n’écrivent

plus pour dénoncer ni les forfaits de la colonisation ni ceux de la

christianisation des peuples. Mais ils se penchent plus sur la présentation et la

dénonciation des nouveaux « maîtres » d’Afrique noire. Toute la production des

indépendances et celle d’après relatent donc les violences des jeunes Etats par

leurs dirigeants. Le combat, au sens sartrien, n’est plus orienté vers les

‘’Blancs’’, plutôt du côté de ‘’leurs propres frères’’ qui ont décidé d’entraver la

vie à d’autres citoyens. Et le roman devient à cet instant le ‘’ meilleur véhicule

pour l’expression littéraire du monde noir2’’. Il apparaît finalement que

1 Certains critiques ont trouvé juste de marquer encore des divisions au sein de cette sphère littéraire. Nous

l’acceptons. Mais pour nous, de 1968 à 2000, la littérature africaine francophone ne réclame qu’une seule

chose : la liberté des peuples africains. Seules les parts des auteurs sont nettement différentes dans cette

thématisation. Nous y reviendrons. 2 KESTELOOT (L.), op. cit., p.255.

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l’hypothèse1 selon laquelle le roman est né en Afrique dès que l’ordre a été

bousculé se concrétise davantage avec les écrivains de la génération de 1968.

La remarque est que, de la période coloniale et ce à nos jours, le roman est

toujours déjà le moyen le plus expressif de la société enserrée dans les étaux

coloniaux et dictatoriaux. Cela pour répondre au fait énoncé en préambule, à

savoir que l’Afrique précoloniale ne connaissait pas de genre romanesque

(comme véhicule de la société). Mais dans les temps modernes, cette

conception se gomme de façon effective, car d’autres circonstances participent

à l’émancipation du romanesque. La précision est recevable en ce que, à partir

de 1968, des écrivains foisonnent. Les citer tous relèverait de la valeur

anthologique. Quelques figures emblématiques demeurent tout de même

incontournables. Il y a entre autres Yambo Ouologuem, V.Y. Mudimbe, W.

Sassine, H. Lopes, A. Koné, F. Oyono, etc. La liste des romanciers ne tiendrait

pas dans ce travail. Au-delà de la production des textes souvent publiés en

France, il existe des romans publiés à compte d’auteurs ou en Afrique même et

qui ne sont pas toujours connus en France. L’essentiel pour nous est que tous

ces romanciers participent de la création et de la réception littéraires. Ayant

rompu avec la dénonciation colonialiste et ce que Kesteloot nomme ‘’la vision

utopiste de la négritude2’’, la génération (de 1968) opte pour un dévoilement de

l’Afrique dans ses moments immédiats et présents. Les écrivains adoptent une

voie (pas totalement nouvelle) qui consiste en l’exploration du réel. Le roman

devient un instrument qui visite le réel, le vrai. Il est toujours en contact de

1 Hypothèse introduite dans les prolégomènes. 2 Expression que nous reprenons à notre compte. KESTELOOT annonce seulement les différents instants qui ont

engendré les romanciers d’Afrique noire ; cf. Histoire de la littérature négro africaine, Karthala-AUF, 2001.

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‘’figuration’’, de l’analyse des temps qui constituent sa propre histoire. C’est

désormais une écriture ‘’mimétique’’ qui voyage avec son moment. Certains

romanciers frisent ‘’le témoignage sincère’’, quand d’autres deviennent très

proche de la ‘’verve journalistique’’. L’ensemble étant de montrer, comme le

disait Sony Labou Tansi, de « flanquer » au monde la vision globale des

horreurs. C’est ainsi que la dénonciation des faits coloniaux, la présentation

parfois sèche du visage de l’Afrique (avec ses tyrans), la liberté et ses

corollaires deviennent l’objet idoine de la production romanesque. Les

nouvelles problématiques des pouvoirs qui sont l’expression la plus originale

existent « consubstantiellement » à la littérature des années 68 à nos jours. Née

désormais du fait des ‘’soleils’’ des indépendances, et dans une large mesure en

réaction contre les « néo-colonialistes », la littérature africaine francophone

manifeste une particulière réceptivité à toute une kyrielle de situations nées des

dictatures.

Dans la volonté de construire une thématique moderne, la majorité des

écrivains ne lésinent pas sur le style. Ils adoptent toujours des héros qui sont

victimes de la méchanceté des dictateurs ( c’est le cas de Martial dans La vie et

demie) ou victimes d’une société en mutation, oubliant le respect et l’honneur.

Dans le cas de Martial, l’auteur présente la victime du ‘’Guide’’ à l’instar de

tout produit de boucherie. Ici, Martial est victime de la boucherie dictatoriale du

‘’Guide éclairé’’. Pour sa part, Fama, personnage principal des soleils des

indépendances de Kourouma, illustre bien ces propos. Ancien prince, Fama

devient celui qui se fait traiter de moins que rien par les autres, alors que bien

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plus tôt, il avait des sujets qui le respectaient du matin au soir, tous les jours de

sa vie. Aujourd’hui, il n’est réduit qu’à un simple individu commun que les

indépendances ont déchu et qui peine à se faire une place:

« Lui, Fama, né dans l’or, le manger, l’honneur et

les femmes ! Eduqué pour préférer l’or à l’or, pour

choisir le manger parmi d’autres, et coucher sa

favorite parmi cent épouses ! Qu’était-il devenu ?

Un charognard1… »

L’animalisation de Fama peut laisser croire qu’il a atteint une telle défaillance

que la dernière solution est de lutter pour survivre des restes de la société,

comme le ‘’charognard’’ qui se nourrit des carcasses d’autres animaux… Ce

sont donc tous des héros qui subissent la dégradation des mœurs et la

déliquescence de la société elle-même.

Nous le constatons : plusieurs moments caractérisent la nouvelle thématique du

roman. De la simple critique à la satire, on assiste à une re-formulation du

schéma littéraire africain d’expression française. Par conséquent, les critiques

n’ont pas manqué d’en faire une classification afin d’indiquer les principaux

instants de ladite littérature. Enoncée déjà par Lilyan Kesteloot, par exemple,

cette taxinomie tient compte des thèmes abordés et, surtout, du style des

auteurs. Bien plus, c’est un répertoire qui associe l’auteur à sa façon d’énoncer

1 KOUROUMA (A.), Les Soleils des indépendances, op. cit., p. 12.

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les malfaisances des indépendances. Ainsi, pour Kesteloot, on dénombre trois

classes d’écrivains :

La première classe renfermerait les romanciers acerbes. Pour la critique, ce sont

notamment les auteurs guinéens qui remplissent cette catégorie. Ce classement

s’entend dans la mesure où l’histoire des peuples de la Guinée Conakry a été la

plus meurtrière sous le régime de Sékou Touré. Ce sont entre autres A.

Fantouré et W. Sassine. Ces écrivains présentent très sévèrement des régimes

qui ne font plus de différence entre le parti et l’Etat. Le totalitarisme ayant

atteint son paroxysme, tandis que les peuples se retrouvent emprisonnés.

Kesteloot présente en second classement des auteurs qui dévoilent des atrocités

guerrières. Ce sont des romanciers qui offrent ‘’un tableau inquiétant des

mœurs politiques en vigueur1’’, pense la théoricienne de littérature.

Enfin la troisième classe est celle qui peint l’Afrique à travers le rire. A cet

effet, les écrivains choisissent d’associer le pittoresque au rire pour mieux

dessiner «le pourrissement de la société. » Henri Lopes au Congo pourrait être

le parangon de cette liste avec Le pleurer-rire paru en 1979. A ces différentes

classes (que nous ne partageons pas nécessairement), une quatrième peut être

adjointe. Elle engloberait les romanciers qui préfèrent la démesure et

l’aggravation dans la présentation des mœurs qui composent les indépendances.

Et ici, Sony Labou Tansi et, dans une moindre mesure, Ahmadou Kourouma

1 KESTELOOT (L.), op. cit., p.256.

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sont représentatifs de cette littérature. Ainsi sont arrivés au romanesque

Kourouma et Sony Labou Tansi. Beyala « naissant » dans une toute autre

dimension, celle du dépassement, en ce que son combat est bien plus orienté

vers la libération des femmes qui subissent encore le poids de la tradition et de

l’homme. La condition féminine est effectivement peu enviable en Afrique, y

compris dans les villes, du fait du poids des traditions, de la phallocratie.. Mais

l’exposition de ces faits indique les sérieuses motivations d’écrire de chaque

romancier. Apprécions dès à présent le cas de chaque auteur.

Le prochain chapitre expose essentiellement l’un des axes méthodologiques qui

consiste à montrer le commencement de l’écriture, l’âge des auteurs. I est donc

un lieu qui présente les trois auteurs dans « leur état de naissance » en

littérature. Il demeure une espèce de « curriculum vitae » romanesque de

chacun, dont l’importance se justifiera tout au long du travail.

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Chapitre 1. ‘’Balbutiement de l’écriture’’ ou naissance

des écrivains

1. 1. Ahmadou Kourouma

Ahmadou Kourouma, comme presque l’ensemble des écrivains noirs d’Afrique,

est venu en littérature « tardivement ». Il a quarante-quatre ans lorsqu’il publie

son premier roman.

Très souvent, l’arrivée tardive des écrivains africains dans le monde littéraire

est due à plusieurs paramètres extérieurs qui empêchent les écrivains de publier

‘’mâtinalement’’ et de s’épanouir. Ces causes parfois lointaines peuvent, entre

autres, provenir du fait que le futur écrivain exerce déjà un emploi difficilement

compatible avec l’écriture. Kourouma est avant tout actuaire. Il est donc

‘’scientifique’’ avant d’être romancier. Ce constat est valable pratiquement

pour tous les autres écrivains.

La vie de Ahmadou Kourouma, à l’instar de son œuvre, demeure prolixe. Elle

est aussi jonchée de multiples péripéties comme le sont les différents

personnages de son entière œuvre. Aussi, la biographie de l’écrivain semble-t-

elle nécessaire pour le reste du développement. Né en 1927 au Nord de la Côte

d’Ivoire, Kourouma est élevé par son oncle, alors infirmier1. Le lieu de sa

naissance demeure cependant incertain. A ce sujet, répondant à Bernard

1 Pour certains critiques, c’est son père qui était infirmier tandis que son oncle restait maître chasseur.

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Magnier, Kourouma déclare qu’il est plutôt né dans un autre village qu’à

Boundiali, comme l’ont toujours écrit certains chercheurs. Il se confie :

« C’est à Boundiali qu’il y avait un état-civil ,

sinon, c’est dans un autre petit village que je suis

né1. »

La rectification de l’écrivain revêt un intérêt particulier en ce qu’il replace le

lieu de sa naissance, souvent délocalisé. Ce fait n’est pas nouveau dans la

mesure où, pour les Africains nés pendant la colonisation, les dates et le lieu de

naissance se trouvent souvent erronés. Et c’est lorsque l’enfant aura grandi qu’il

pourrait reconstituer, d’après les témoignages de la famille, les véritables

instances de sa naissance. Ainsi, «le petit village » auquel Kourouma fait

allusion se nommerait Togobala2, comme celui d’où sortira Fama, le héros de

son premier roman.

Plongé au cœur de la tradition de son milieu, Ahmadou Kourouma s’imprègne

totalement des coutumes et de la sagesse malinké. Tout cet ensemble favorisera

l’imagination et l’accentuation de son langage romanesque3. Dans le second

ouvrage qu’il publie en 1990, l’écrivain ivoirien définit son nom dont le sens se

rapporterait à « guerrier ». Dans cette partie de l’Afrique, les guerriers font

partie de la caste des nobles malinké. Or, Ahmadou Kourouma est un guerrier,

1 Entretien avec Bernard MAGNIER in Notre Librairie, n°87, ‘’Littérature de Côte d’Ivoire’’, II, p. 10. 2 Fait déjà relevé par Jacques CHEVRIER in Littérature africaine, Paris, Hâtier, 1987, p. 268. 3 Cf. chapitre 2.

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donc il fait partie de cette grande classe guerrière (malinké) et de sa noblesse.

Cependant, le malinké demeure tout d’abord la langue maternelle du romancier

dont les influences s’étendront à travers ses œuvres. D’ailleurs, Kourouma

échangera sa lance de guerrier malinké contre la plume pour chasser le mot et le

mal qui mine les sociétés africaines.

A vingt-deux ans, alors qu’il entreprend des études au Mali, il est accusé de

mener un mouvement contestataire des étudiants. Il est « banni » du Mali. A

travers cette prise de position au sein de l’université malienne, on peut lire la

précocité d’un engagement qui aura des conséquences lourdes dans sa vie.

Après cette « débâcle » malienne, l’étudiant ivoirien est enrôlé par l’armée

française. Il est alors nommé chargé de « la répression des indépendantistes de

l’Afrique de l’ouest1 » pendant quatre ans. Ayant refusé de participer à une

répression contre le RDA ( Rassemblement Démocratique Africain), il perd son

grade de caporal et est envoyé comme tirailleur en Indochine. De retour

d’Indochine, Kourouma se réoriente vers l’école et devient actuaire.

En 1960, à peine la Côte d’Ivoire devenait indépendante, plusieurs de ses amis

et lui même sont soupçonnés de « comploter contre le peuple ». Sous le

pouvoir du président Félix Houphouët-Boigny, tous ses camarades sont arrêtés.

Parce que marié à une Française, Kourouma échappe à la torture. Mais il reste

privé du droit de travail. Pendant cette période de trêve, il décide de romancer

1 BORGOMANO (M.), Ahmadou Kourouma, Le guerrier griot, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 8.

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la nouvelle Afrique, et surtout de rendre hommage à ses amis. Il déclare à ce

propos :

« …Le premier livre que j’ai écrit, « Sous le soleil

des indépendances », je l’ai fait pour mes copains.

Mes camarades ont été mis en prison et j’ai voulu

écrire pour les défendre 1. »

Pour l’auteur ivoirien, le premier moment catalyseur de l’écriture demeure en

quelque sorte l’arbitraire des indépendances. Il écrit pour dénoncer les abus du

nouveau pouvoir. Il reconnaît aussi que Les soleils des indépendances sont l’un

des premiers opus de la littérature africaine qui ose s’attaquer ouvertement aux

nouvelles ‘’valeurs’’. Mieux, c’est un livre qui défend l’Autre, arrêté et molesté

pour faux complot. Cette première écriture de Kourouma est énoncée par le

critique Djo Tunda Wa Munga comme « une écriture par nécessité » :

« A la lecture [du roman] de Kourouma, on sent

tout de suite cette immédiateté des sentiments de

l’auteur ou pour l’exprimer autrement, on est

frappé par [son récit] comme si on participait

activement à la lutte des personnages. L’approche

de l’auteur qui décrit son travail comme une

1 DJO TUNDA (W.-M), ‘’Ahmadou Kourouma, Entre réalité et fiction’’ in Le Courrier ACP-UE,

septembre-octobre 2001, p. 55.

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rencontre entre le hasard, la colère et la nécessité

y est certainement pour beaucoup.1 »

Les propos du critique Djo Tunda soulève un ensemble d’éléments intrinsèques

à la trame romanesque de Kourouma. Ils décrivent la verve « kourouméenne »

comme immédiate, en ce que l’auteur fait de la « mimesis » son champ

d’action. L’auteur puise dans l’instant présent ses personnages et ses histoires.

On peut en cela estimer que Kourouma écrit la révolte et la colère dans un pays

aux multiples facettes dictatoriales.

A quarante-quatre ans donc, Kourouma rentre dans le monde romanesque. Sa

naissance littéraire produit Les soleils des indépendances. Le parcours de ce

balbutiement sera lui aussi terrible et difficile. Cet ouvrage sera refusé par tous

les éditeurs, tant africains que français. Le refus essuyé par les éditeurs africains

est recevable dans le sens où ils ne voulurent point prendre des responsabilités

devant les dictateurs qui étaient désignés dans le roman. Mais pour les éditeurs

français, le roman était ‘’mal écrit’’. Pourtant en 1968, le manuscrit est reçu à

Montréal. Il y reçoit un succès sans précédent au point que le « prix de la

Francité » lui est décerné la même année. Il aura fallu attendre1970, c’est-à-dire

deux ans après pour que les Editions du seuil acceptassent de le publier. Le

succès est là encore inattendu. Le roman obtient le prix de l’Académie

française. Officiellement, l’écrivain Kourouma venait de naître. Pourtant une

1 Idem.

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question se pose : pourquoi les éditeurs français avaient d’abord refusé le

manuscrit, mis à part le fait qu’il « n’était pas bien écrit » ?

Qu’à cela ne tienne, la publication de son premier roman lui ouvrit, comme par

un dé magique, les portes de la gloire. Et depuis, sa côte ne cesse de grandir au-

delà de la sphère francophone1. Sa naissance d’homme de lettres est aussi

secouée par la deuxième hypothèse qui l’aurait entraîné à l’écriture : réagir

contre les lourdes études ethnologiques et sociologiques d’antan qui

présentaient une « image fausse » de l’Afrique. A ce propos, l’auteur prend la

voie de ses aînés de la Négritude et le sillage tracé par René Maran.

Contrairement à ces derniers, il opte pour le roman à la place de la poésie et

change de thématique. Kourouma ne revendique plus la belle Afrique chantée

des ancêtres. Il décide de romancer les malversations des pouvoirs africains

après les indépendances. Aussi, le premier roman de Kourouma semble-t-il

appartenir à une sorte de sociologie de l’Afrique indépendante. Madeleine

Borgomano n’en dit pas moins :

« Ecrire des romans, c’est pour Ahmadou Kourouma

une façon de faire une sociologie vivante2. »

1 Quelques uns de ses ouvrages sont traduits en Anglais et en Espagnol. Récemment, l’auteur nous livrait

que certaines œuvres devraient être publiées en japonais et en chinois. Cela pour indiquer combien l’œuvre

de KOUROUMA se situe au-delà de la francophonie. 2 BORGOMANO (M.), op. cit., p.8.

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Après la publication de Les soleils des indépendances en 1970, Kourouma

entra dans une sorte de somnolence littéraire. Il publia en 1972 une pièce de

théâtre intitulée Tougnantigui ou le diseur de vérité. Mais une fois encore,

« à la suite de cette représentation, [déclare

Borgomano], Ahmadou Kourouma connaît de

nouveaux ennuis et doit encore une fois s’exiler au

Cameroun, où il reste neuf ans, puis au Togo, à

partir de 19831. »

En fait, la pièce fut qualifiée de « révolutionnaire ». Ce qui lui valut bien-sûr

l’exil. Le départ forcé va mettre en « epokê » ou en suspend sa carrière

d’écrivain. L’auteur doit désormais s’occuper de son poste d’actuaire à

Yaoundé au Cameroun. Ce qui justifie notre idée antérieure selon laquelle, la

plupart des écrivains africains ne vivent pas forcément de leur art. Ils ont

toujours ce que nous nommons un métier principal. Ce qui n’est du reste pas

une mauvaise chose, d’autant moins que le livre ne se vend pas toujours bien en

Afrique pour qu’un écrivain en vive. Et le cas de Kourouma à cette époque

illustre bien ce fait.

Vingt ans après, Kourouma sort de son silence littéraire et publie le second

roman : Monné, outrages et défis2. Ce long silence avait pu faire craindre que

l’auteur en restât à sa première œuvre, comme ce fut le cas de plusieurs 1 Idem. 2 KOUROUMA (A.), Monné, outrages et défis, Editions du Seuil, 1990, 277 p.

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romanciers et poètes de cette génération, notamment Yambo Ouologuem. En

effet, Ouologuem ne publia qu’un seul et unique roman : Le devoir de violence

paru chez Seuil en 1968 et réédité Chez Le Serpent à plumes en 2003 grâce au

courage et à l’abnégation de sa fille.

Le deuxième roman de l’Ivoirien relate les méfaits de la colonisation et des

conflits interculturels. L’auteur démontre comment la collaboration entre

Blancs et Noirs fut un échec. En outre, cet ouvrage présente le rôle de la femme

dans la société malinké et africaine dans son ensemble. La parution de ce roman

conforta le romancier dans son rôle de « diseur de vérité ». Le roman s’origine

ainsi d’un écœurement à l’égard des relations Nord-Sud. Ici l’écriture participe

de « l’odeur du père » en ce que le roman naît de la confrontation de l’être à

l’égard du peuple. L’auteur s’extériorise :

« Monné, outrages et défis » est né d’un

écœurement : les Français, les pays d’Europe, les

Occidentaux ont eu quatre ans d’occupation

allemande. Ils veulent que le monde entier les

pleure ! Les larmes doivent couler pour ce qui a été

fait aux Russes, les remords doivent nous étrangler

pour ce qui a été fait aux juifs. Mais chez nous, on

a eu plus d’un siècle de colonisation, sans parler

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d’esclavage, et on ne parle pas de nous. Alors j’ai

décidé de prendre la plume. »1

L’extériorisation de Kourouma se passe de tout commentaire. Dans ce roman,

l’auteur présente au monde et à la face de l’humanité les injustices et atrocités

commises à l’égard des peuples africains. On assiste là à une écriture de

dévoilement. En fait, ce roman aurait dû être publié en 1973. Mais pour avoir

été dérobé et corrigé plusieurs fois, la version finale retenue par l’éditeur ne fut

publiée qu’en 1990. Aussi, à travers ce roman, il peut se lire une certaine

confirmation de l’écrivain ou, osons-le dire, une maturation de l’écriture dont

les bases furent jetées avec Les soleils des indépendances. Et quoi que l’auteur

ait quelque peu rompu avec la « cocufication » de la langue française, il est

juste de dire que Ahmadou Kourouma a atteint une évolution d’écriture sans

précédent2.

Dans une tout autre mesure, les années 1990 ouvrent une nouvelle ère

romanesque de Kourouma. En effet, en 1998, l’auteur publie le troisième

roman : En attendant le vote des bêtes sauvages. Ce roman est en quelque sorte

la continuité des soleils des indépendances. Dans cet ouvrage, le romancier

renoue, du moins à travers le langage, à sa geste d’antan. A travers le

« donsomana », modèle traditionnel qui se rapprocherait de l’épopée, l’auteur

présente les effets de la guerre froide. Une fois de plus, il transforme la réalité

en une fiction imaginaire, qui donne au roman une luxuriance et une originalité 1 DJO TUNDA (W.-M), op. cit., p. 55-56. 2 Le chapitre 2 le démontrera plus exactement.

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sans précédent. C’est encore un ‘’topos’’ où l’auteur déploie sa verve dans une

dimension griotique. Répondant à Djo Tunda toujours, Ahmadou Kourouma

déclare à propos de son opus :

« ‘’En attendant le vote des bêtes sauvages’’ était

pour moi une manière d’aborder les effets

désastreux de la guerre froide chez nous, mais

personne n’en parlait avant. J’écris avec beaucoup

de colère. Ce sentiment s’apaise une fois que les

mots sont couchés sur le papier »1.

Par ces paroles, on peut sentir l’exaspération et la déception de l’écrivain

devant le mutisme concédé à l’Afrique. Mais cela n’aurait pas sûrement suffi à

en faire un très bon livre. L’important est de regarder à travers la geste épique

la vie du personnage principal, Koyaga dans tous ses rebondissements. Le livre

s’inspire d’un fait réel ; comme toujours, l’écrivain transforme la réalité en

fiction par les effets de style et de langue. Et par une imagination particulière,

l’auteur opère une transmutation de la société et du personnage principal qui

est, du reste, un certain leader africain que le romancier aura longtemps côtoyé.

Dans cette situation mimétique, l’auteur présente les méfaits de la guerre froide.

Une guerre qui aurait favorisé l’arrivée au pouvoir d’une certaine classe

dirigeante à la tête des pays africains dont Koyaga. Le romancier, reconnaît-il,

1 DJO TUNDA (W.-M), op. cit., p. 56.

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n’a fait que falsifier le récit dont le fond est extrait directement des réalités

éclatantes d’un pays Ouest africain que l’on nommerait sans hésiter : le Togo.

L’ouvrage qui est publié six ans après Monnè, outrages et défis, constitue une

espèce de lieu cathartique où l’auteur vient (comme pour) annihiler toutes les

impuissances du peuple devant le dictateur Koyaga. En attendant le vote des

bêtes sauvages reste un chef d’œuvre. Et comme dans la totalité de son œuvre,

Kourouma présente un rapport à la magie. En effet, afin de mieux se maintenir

dans ses fonctions présidentielles, le personnage éponyme du roman fait

plusieurs fois intervenir des pouvoirs magiques. Il triomphe du reste de tous ses

adversaires parce que ces pouvoirs seraient plus puissants que ceux de ses

« ennemis » qui en ont aussi, bien sûr. La puissance et la magie noires

s’associent pour donner l’extrême force au dirigeant. Dans cette Afrique peinte,

la sorcellerie tient toujours une place de choix, même auprès de ceux dont le

pouvoir ne souffre d’aucune contestation… C’est par elles que Koyaga devient

invulnérable. Pourtant, il est un fait inéluctable à la fin du récit : dépassé par

certains événements, le dictateur est contraint de céder aux « élections

démocratiques ». Le « sora », un des griots des chasseurs du « maître » termine

sa geste purificatoire en insistant sur le fait que, quoi qu’il advienne, Koyaga

sera toujours réélu. S’adressant au maître, le sora dit :

« Quand vous aurez recouvré le Coran et la

météorite vous préparerez les élections

présidentielles démocratiques. Des élections au

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suffrage universel supervisées par une commission

nationale indépendante. Vous briguerez un nouveau

mandat avec la certitude de triompher, d’être réélu.

Car vous le savez, vous êtes sûr que si d’aventure les

hommes refusent de voter pour vous, les animaux

sortiront de la brousse, se muniront de bulletins et

vous plébisciteront1. »

Le côté ubuesque et burlesque du livre qui clôt le roman représente un temps

fort intéressant de la vie politique de plusieurs leaders africains, du moins de

ceux qui sont toujours à la tête des pays. Il caricature la majorité des présidents

dont l’unique emploi est de rester « président à vie ». Si le sora de Koyaga veut

faire intervenir les « animaux », c’est dans le but de ne pas voir son maître

échouer aux élections présidentielles, car Koyaga n’y va pas de main de

gagnant. C’est peut-être une autre façon de tromper le peuple. L’auteur

reconnaît d’ailleurs que ‘’le vote des bêtes sauvages est l’ultime recours des

dictateurs en perdition’’.

En attendant le vote des bêtes sauvages, véritable réquisitoire des dictatures

africaines, entame tous les problèmes liés à la guerre froide énoncés déjà dans

Monnè, outrages et défis.

1 KOUROUMA (A.), En attendant le vote des bêtes sauvages, Editions du Seuil, 1998, p. 358.

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Le dernier ouvrage, Allah n’est pas obligé1, paru en 2000, peut être perçu

comme le résultat de nouvelles conséquences de la guerre froide. En effet, ce

serait lors d’une conférence que l’auteur aurait été habité par la muse. Ce sont

surtout les enfants qui lui auraient suggéré de relater une histoire sur fond de

guerres tribales en Afrique. Pour pouvoir donner une dimension originale à

l’histoire, l’auteur choisit de prendre pour personnage principal, Birahima, pour

raconter les atrocités de ces guerres. Il se positionne en narrateur « omniscient »

pour mieux présenter les faits. Ainsi, à travers le récit de cet enfant, Kourouma

va relater les terribles moments de la Sierra Leone et du Libéria, tous deux pays

limitrophes et succombant aux déchirements internes et ethniques. Par une

geste tout aussi simpliste et naïve, l’auteur présente, par le biais de « l’enfant-

soldat », un des nouveaux aspects du Continent noir. Il essaye une fois de plus

de rester fidèle à la réalité, même si elle est ramassée, réfectionnée et

représentée par l’ordre mimétique. Allah n’est pas obligé se présente comme un

véritable roman de son époque, un roman contemporain et actuel. A ce sujet,

Kourouma déclare :

« J’essaye d’être vrai, par rapport à la réalité que

j’ai connue tout en lui donnant une forme

contemporaine, notamment dans la manière dont

ils s’expriment : ils parlent comme les jeunes

d’aujourd’hui, un français africanisé. »2

1 KOUROUMA (A.), Allah n’est pas obligé, Editions du Seuil, 2000, 233 p. 2 DJO TUNDA (W.-M), op. cit., p.56.

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La dimension contemporaine, évoquée plus haut, s’inscrit aussi dans le langage

employé par les personnages du roman. Un langage à la mesure du contexte

socio-éducationnel de Birahima. Tous ces ingrédients littéraires participent de

la volonté de l’auteur de faire passer le message à toutes les catégories de

compréhension et de niveau de langue aux lecteurs.

Pour conclure ce point « kourouméen », il est juste de dire que l’auteur est

arrivé à l’écriture très tardivement. Sa naissance littéraire reste liée quasiment

aux événements qui minent la société africaine. Quatre romans en soixante -dix

années de vie. Ce n’est peut être pas assez. Mais écrire de véritables romans

équivaut-il aux parutions exponentielles ? Quoi qu’on dise, l’ensemble de son

œuvre donne une somme où la réalité se lie (et se lit) à la fiction afin de donner

un univers imaginaire et exceptionnel, mélangé de créations langagières

soutenues. Contrairement à certains écrivains, Ahmadou Kourouma a gardé son

nom officiel pour la signature de ses œuvres. Il ne s’est donc pas rebaptisé. Ce

qui n’est pas le cas de l’écrivain congolais Sony Labou Tansi qu’il importe de

présenter maintenant.

1. 2. Sony Labou Tansi

La naissance du Congolais Sony Labou Tansi en tant qu’écrivain revêt une

double valeur. Des trois écrivains que nous étudions, il paraît le plus prolifique,

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lorsque nous tenons compte de sa production entière1. En effet, Sony Labou

Tansi n’a pas seulement écrit des romans. Il s’est également illustré dans le

théâtral et le poétique. C’est dans le théâtre particulièrement qu’il a plus été

honoré sur la scène internationale. Mais des trois genres adoptés par l’auteur, le

roman semble le seul qui lui ait permis d’atteindre à l’universel, en ce que les

thèmes abordés demeurent au cœur de l’histoire et la part du style tout à fait

singulière. Dans tous ses romans, l’auteur a écrit sur l’Homme et tout ce qui le

touche au premier chef : la liberté, le pouvoir, la vie…

La seconde raison qui le distingue de Kourouma et de Beyala est que Sony

reste celui qui a signé sous un nom de plume. Acte important qui nécessite

qu’on s’y attarde un peu.

Tous les romans écrits par l’auteur congolais sont signés sous le pseudonyme

de « Sony Labou Tansi ». La « re-baptisation » de la personne de l’auteur

présenterait plusieurs hypothèses. Elle peut paraître comme une certaine ruse de

l’écrivain en vue de dissocier celui qui écrit de la personne de Marcel Nstony2

(de ses vrais nom et prénom). Par ce geste qui porte la nouvelle signature de

l’auteur, il peut se lire également une sorte de démarcation du concept de

« pacte autobiographique » élaboré par Philippe Lejeune3. Lequel pacte ne lie

1 Les différentes publications de Sony Labou Tansi sur la poésie et le théâtre notamment apparaîtront dans

la bibliographie générale. 2 Certains critiques écrivent « Nsony » au lieu de « Ntsony ». Cependant les deux noms évoquent le même

concept de la « honte ». 3 LEJEUNE (P.), Le pacte autobiographique, Paris, Editions du Seuil, collection « Poétique », 1975.

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plus nécessairement le signataire à l’acte d’écrire ou plus précisément à

l’auteur.

En extrapolant, on peut penser que ce nom de plume est un moyen d’échapper

aux pièges tentaculaires des dirigeants de cette époque. Pourtant, publier sous

une autre identité peut être vu comme une trahison de la part de l’écrivain qui a

toujours souligné le rapport étroit entre le nom et la personne nommée. En

Afrique, reconnaît-il, ‘’un nom n’est jamais donné au hasard. Il doit refléter un

événement, une histoire qui vont avec la personne à qui l’on attribue ledit

nom’’. Nous parlons ainsi d’« anthropologie onomastique » pour désigner le

rapport (des Africains) avec le fait de choisir et de proposer des noms aux

progénitures. Et dans le cas de Sony Labou Tansi, plusieurs critiques ont dû

voir dans son véritable nom ‘’Ntsony’’ une caractérisation de la honte. Dérivée

de sa langue maternelle, Ntsony signifie donc l’opprobre, la « honte ». Honte de

son enfance volée pour être né du « deuxième lit », comme le remarque Devésa.

Ce qui expliquait auparavant le rejet d’une évocation quelconque de « cette

naissance honteuse1. » Sony avait toujours refusé qu’on parle de lui parce qu’

« il ne voulait pas raviver les plaies que [cette

naissance] avait provoquées2 . »

1 DEVESA (J.-M), Sony Labou Tansi, Ecrivain de la honte et des rives magiques du Kongo, Paris,

L’Harmattan, 1996, p.63. 2 Idem.

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La honte d’être né d’un second lit avait toujours préoccupé l’auteur. A cause de

ce déshonneur, Sony n’avait jamais voulu parler de sa vie ni évoquer sa

biographie. Il renvoyait les critiques et les lecteurs à sa seule production

romanesque, estimant que seule sa pensée comptait et suffisait. Mais bien plus

tard, il révisait sa position. Aussi, la conséquence de cette situation est que toute

sa production demeure teintée d’une recherche et d’une quête identitaire,

« culturelle et de l’enracinement qui en a fait un

champion de la revendication nationalitaire

kongo1. »

Et pour l’auteur congolais, la bonne façon de se défaire d’une telle situation est

de pouvoir changer de nom, du moins il s’en propose un de plume : ‘’Sony

Labou Tansi’’. Pour justifier ce surnom, l’auteur remonte justement aux trois

identités différentes qui en sont à l’origine : le père, la mère et la grand-mère

maternelle. L’union, peut-on dire, de ces trois personnalités, suppose le désir de

ne point rompre les liens de sang qui les unit et que l’auteur porte en lui. C’est

sûrement une autre manière d’affirmer une identité qui s’est retrouvée prise

entre « deux rives » et qui aurait été aussi trahie par le prénom

occidental « Marcel » qu’il porte à la naissance. A propos du choix du nom de

plume, l’écrivain déclare :

1 DEVASA (J.-M.), Sony Labou Tansi, écrivain de la honte et des rives magiques du Kongo, L’Harmattan,

Paris 1996, p. 64.

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« Tous ceux qui écrivent cherchent un nom de

plume. C’est logique par rapport à la personnalité.

Chez nous, quand il y a harmonie du couple, c’est

la mère qui donne un nom à l’enfant, du moins

traditionnellement. Ainsi, ma mère m’a appelé

Sony. Comme nom de plume, j’ai conservé ce

prénom auquel j’ai ajouté une partie de mon père

(Labou) et le diminutif de ma grand-mère qui

s’appelait Banatansi1. »

Comme on peut le constater, l’auteur adopte son nom de plume à partir des

composantes familiales. C’est peut-être une nouvelle manière de se recréer une

unité. L’usage du pseudonyme, selon Bernard Mouralis dans Questions

générales de littérature2 peut avoir trois motivations essentielles. La première

est que l’écrivain cherche à établir une distance entre son existence littéraire et

privée. La seconde répondrait à une volonté d’échapper à toute censure, tant

morale, sociale, religieuse que politique. Enfin une troisième motivation est le

refus catégorique de porter le nom du père. Dans ce cas, l’écrivain abandonne

le nom paternel en ce qu’il rentre en conflit avec ce dernier, marquant une nette

séparation entre le père et l’auteur. Il y aurait une sorte de « parricide. » Toutes

ces orientations s’appliquent principalement à Sony Labou Tansi dont l’issue

est de pouvoir devenir trois (père, mère et grand-mère) en une seule personne.

1 DJIBRIL (D.), ‘’Entretien avec Sony Labou Tansi’’, 2 juin 1987 et repris dans Sony Labou Tansi, le sens

du désordre, textes réunis par Blachère (J.-C.), Université Paul-Valéry, Montpellier, 2001, p. 173. 2 MOURALIS (B.), FRAISSE (E.), Questions générales de littérature, Paris, Seuil, p. 25-30.

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Et le contexte du Congo de cette époque lui permettait également de publier

sous un pseudonyme. Pourtant, on pourrait également soutenir que ce

pseudonyme n’en est pas un, d’autant que le nom principal Ntsony subit une

simple modification orthographique qui, au demeurant, n’entraîne pas la

moindre altération sémantique (Sony, la honte.)

Pour revenir à sa naissance biologique, Marcel Ntsony vit le jour à Kimwanza

dans l’ex Zaïre (aujourd’hui République Démocratique du Congo), le 5 juin

1947. Il est né de père zaïrois et de mère congolaise. C’est un fait qui ne sera

pas fortuit quand l’auteur s’en rendra compte. Car la double appartenance aux

deux Congo jouera sur toute sa production à venir, en ce qu’il évoquera

toujours le grand fleuve qui relie les deux pays : le Fleuve Congo. En fait,

l’auteur ne veut rien perdre des deux cultures qui, en somme n’en font qu’une

seule, grâce au souvenir du royaume Kongo qu’il convoquera souvent. Pourtant

la tentative de se retrouver par l’union onomastique et matrimoniale des parents

ne résoudra rien, car Sony s’identifie davantage à une rive du Congo qu’à

l’autre, c’est-à-dire du Congo Brazzaville (chez ses parents maternels).

D’ailleurs, il y restera toute sa vie durant. Ce choix peut-être recevable en ce

que Sony Labou Tansi, étant de lignée matriarcale, opte de vivre du côté de ses

parents maternels. Ce qui constitue plus une situation de fait qu’un choix réel.

Après des études primaires à Mbonza-Nganga, Ntsony rentre au collège Boko.

De là, une vocation littéraire se dessine de façon précoce qu’il s’intéresse

particulièrement à la composition française et à la poésie. C’est du reste dans la

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poésie qu’il commencera l’écriture. Ensuite, il est admis au lycée Savorgnan de

Brazza de Brazzaville. La curiosité intellectuelle le conduit à lire entre autre

Rabelais, dont une certaine influence sera visible tout au long de ses œuvres. Il

affectionne aussi la lecture de tous les ouvrages ou presque qui ont un rapport

avec son prénom. Ainsi,

« J’avais un prénom, Marcel. Alors, évidemment, je

me suis intéressé à tous les auteurs qui portaient le

même prénom que moi : Marcel Proust, Marcel

Aymé, Marcel Pagnol, etc. Je lisais leurs ouvrages

en cherchant s’il y avait une parenté entre eux et

moi… Parce que chez nous, le prénom[occidental],

ça ne veut rien dire… Ntsoni, Labou, Tansi, je

savais ce que cela voulait dire mais Marcel, non1. »

On peut deviner jusqu’où porte la curiosité du jeune Ntsony. Il ne cherche pas

seulement à connaître les auteurs qui portent le même prénom que lui, mais

aussi à en trouver des parentés. Et il revient une fois de plus à l’importance des

noms (en Afrique) quand il évoque leur explication et leur connaissance

exactes.

En 1968, Ntsony rentre à l’Ecole Normale où il devient enseignant de langue

anglaise. En 1975, après avoir dispensé des enseignements dans plusieurs villes 1 SONY (L.-T.), Entretien avec MAGNIER (B.) et repris par DEVESA (J.-M), Sony Labou Tansi,

Ecrivain de la honte et des rives magiques du Kongo, op. cit, p. 67.

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du Congo, il obtient une promotion au ministère de la culture. Il y rencontre

J.B. Tati Loutard alors ministre et déjà écrivain. En même temps, il se met à

lire les romans sud-américains, notamment ceux de Gabriel Garcia Marquès

dont il retrouvera « des parentés tropicales ». Le détachement au ministère de la

culture lui sera d’un bénéfice inouï dans la mesure où il rencontrera des

écrivains de hauteur à l’instar de Sylvain Bemba (avec qui il gardera des

relations très privilégiées) et Henri lopes. Quatre ans plus tard, Ntsony crée une

troupe théâtrale nommée ‘’le Rocado Zulu théâtre’’ ; à la même époque paraît

aux éditions du Seuil, La vie et demie1. Nous notons au demeurant que ce

roman n’est pas le premier ‘’balbutiement’’ de l’auteur.

En effet, la première œuvre romanesque qui aurait pu faire entrer l’auteur dans

l’écriture et le monde littéraire devait s’intituler Le premier pas. C’est en 1966

que Sony présente pour la première fois un manuscrit chez Seuil. Même s’il fut

rejeté par l’éditeur parisien, on peut prétendre que Le premier pas a fait de

Sony un auteur et non un écrivain. A l’instar de Kourouma, le premier

manuscrit proposé dut être refusé pour des raisons de langue. Sony raconte à ce

propos qu’à l’époque,

« Les éditions du Seuil l’avaient refusé prétextant

qu’on y décelait certes un souffle, mais qu’il y

manquait du travail2. »

1 SONY (L.T.), La vie et demie, Editions du Seuil, Paris, 1979. 2 HERZBERGER-FOFANA (P.), « A l’écoute de Sony Labou Tansi, Ecrivain », article cité.

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Est-ce que ce premier manuscrit aurait suffi pour que Sony devînt écrivain ? La

nuance entre les concepts ‘’auteur-écrivain’’ n’est pas à l’ordre du jour dans ce

travail. Cependant, on peut se poser la question de savoir si les trois romanciers

sont auteurs ou écrivains dès lors qu’ils ne sont pas publiés. Pour répondre à

cette interrogation faussement naïve, nous empruntons l’une des vois tracées

par Viala1. Selon ce théoricien qui a exposé sur « la naissance de l’écrivain au

17ème siècle », n’est écrivain que

« celui qui reste publié en définitive et qui répond

aux besoins d’une société, la sienne. 2»

Cependant celui qui n’a que de manuscrits n’est encore qu’un ‘’auteur’’ dit-il.

Pourtant l’on a tendance à toujours mélanger ces deux concepts qui sont

devenus au fil des ans une seule et unique acception.. Nathalie Heinich3, dans

Être écrivain, a tenté elle aussi de démêler les significations du terme écrivain.

Selon la sociologue, n’est écrivain que celui qui a ouvert une partie de lui ( par

l’écriture) pour autrui par le biais de l’édition et donc par la publication.

L’idée de l’écrivain élaborée par Viala n’est pas très éloignée de celle de

Heinich énoncée plus tard. Si l’on prend ces définitions qu’on applique à

Kourouma, Sony et Beyala, on s’aperçoit que ces auteurs sont à part entière des

écrivains, non plus par l’entremise des manuscrits, mais par la publication de

1 VIALA (A.), Naissance de l’écrivain, Les Editions de Minuit, Paris, 1984, p. 270-299. 2 Idem., p. 278. 3 HEINICH (N.), Être écrivain, Création et identité, Editions La Découverte et Syros, Paris, 2000.

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leur (premier) chef d’œuvre, partageant ainsi ce qu’ils avaient d’eux, de plus

intime, ils sont devenus écrivains, racontant leur société respective et ouvrant

ainsi une brèche sur le monde extérieur. Auquel cas, ils seraient restés à l’étape

« primaire », et peut-être jamais écrivains, si l’on en croit Viala et Heinich.

Le balbutiement romanesque de Sony Labou Tansi commence alors qu’il n’a

que dix-neuf ans. Il rédige Les premiers pas. On peut dire qu’il est bien ‘’trop

jeune’’ pour être écrivain. Cette jeunesse littéraire le conduit à écrire des

romans dont l’accueil dépassera les frontières congolaises. Pourtant il faut

attendre 1979, c’est-à-dire trente-quatre ans plus tard pour que Sony devienne

écrivain, si l’on reste dans la pensée de Viala. Ainsi parut cette année-là aux

éditions du Seuil la première œuvre de Sony Labou Tansi. L’auteur devient

alors écrivain.

Après une percée littéraire et romanesque originales, Sony Labou Tansi

s’affirme et confirme son succès tous les deux ans ou presque. Les romans

suivants paraissent donc de façon ‘’vertigineuse’’ : L’état honteux est publié en

1981, L’anté-peuple en 1983 ; Les sept solitudes de Lorsa Lopez en 1985. Les

yeux du volcan en 1988 et le dernier, Le commencement des douleurs en 1995.

Tous ces romans sont publiés aux éditions du Seuil.

D’une manière générale, Sony met l’accent sur le caractère des personnages et

brosse un tableau lugubre et burlesque du pouvoir africain post colonial et

surtout des indépendances. Dans La vie et demie par exemple, l’auteur insiste

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sur le thème de la dictature. Effacée derrière une fable, Sony Labou Tansi fait

ressortir la férocité du pouvoir qui ne veut admettre aucune opposition. Avec la

publication de L’état honteux, Sony marque une subtile distinction au niveau du

genre. Il passe de la satire à la bouffonnerie et au burlesque, en mettant en

scène l’accent des personnages, surtout la responsabilité des dirigeants quant à

l’avenir des Etats africains.

Comme Ahmadou Kourouma, Sony écrit La vie et demie en mémoire à

certains de ses amis assassinés en 1977 par le pouvoir congolais de l’époque.

Ces derniers auraient mené une tentative de coup d’état contre le président du

Congo. A travers l’écriture, Sony rend un hommage aux siens, aux camarades

pris sous l’étau de la dictature. Avec ce roman, il se remarque une fois de plus

que ce qui déclenche véritablement l’acte d’écriture ici, c’est l’enfermement

dictatorial dans lequel se trouvent l’auteur et ses « frères ». Le pouvoir

infortuné des nouveaux dirigeants et leurs manières d’exercer ledit pouvoir ont

longuement influencé la génération de Kourouma et celle de Sony Labou Tansi.

L’essentiel est de retenir que, quel qu’en soit le motif, l’écriture de Kourouma

et de Sony ont un dénominateur commun : les nouveaux dirigeants et leurs

pouvoirs. A quelques variantes près, notamment géographique et linguistique,

les deux écrivains sont parvenus à l’écriture par la même voie/voix.

Regardons à présent la voie empruntée par Calixte Beyala pour venir à

l’écriture, et parlons de sa naissance en tant qu’écrivain.

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1. 3 Calixthe Beyala

Dialoguer avec les textes de Calixte Beyala semble essentiel dans la somme de

ce travail. Et l’intérêt en demeure double : l’écrivain camerounais est l’auteur

dont la réception de certains de ses romans a provoqué un tollé de la critique

tant universitaire que journalistique. Elle est aussi celle qui a choisi ce que nous

appelons l’ « exil littéraire », (ici- la France) où elle ne cesse de publier. Beyala

ne dit pas le contraire quand elle répond à Françoise Cévaër dans une interview

accordée à la critique littéraire. Pour l’auteur, la France reste l’endroit idéal

pour la production intellectuelle et romanesque. Elle présente, par opposition, le

cadre familial africain comme n’étant pas du tout le cadre propice à l’écriture.

Car son système ne favoriserait point l’éclosion d’une production. Elle déclare :

« On ne se perçoit mieux qu’en étant à Paris. Quand

on est au pays, on est happé par le système, la famille.

Surtout la famille africaine qui est très puissante, très

dominatrice qui me fait penser à un boa avaleur des

gens, d’esprit, de liberté. Ici [en France], je me sens

beaucoup plus détachée de tout le monde, je peux plus

facilement m’adonner à mon travail1 »

.

A regarder de près les propos de Beyala, il se dégage l’idée selon laquelle la

société africaine reste un « grave » danger, sinon un écueil à la création 1 CEVAER (F.), Ces écrivains d’Afrique noire, « Calixthe Beyala », Paris, Editions Nouvelle du Sud,

1998, p.45.

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littéraire et à son épanouissement. Pire, l’écrivaine compare la famille africaine

à un « boa avaleur » qui prendrait tout sur son passage, y compris l’ « esprit » et

la pensée libératrice. Nous lui accordons la pertinence de ses mots. Mais, à ce

qui semble, elle se fie à un « réductionnisme » du milieu africain sans raison.

D’autant que plusieurs écrivains et de bons écrivains africains sont toujours

restés chez eux. Kourouma et Sony témoignent largement du contraire de

Beyala. On peut écrire partout, même sous la torture…De toutes les façons, on

estime que le « bon » écrivain est celui qui vit tous les jours les problèmes de

ses contemporains. Comment apprécierait-on (critiquerait-on) une société si

l’on vit en apesanteur, c’est-à-dire loin de celle-ci ? Même certains grands

écrivains français comme Voltaire, Diderot ou Balzac, etc. ont témoigné de près

de l’existence quotidienne de leurs contemporains. La participation de Diderot

et de Voltaire à la Révolution de 1789 n’est certes qu’indirecte, c’est-à-dire par

les Lumières qu’ils ont répandues. Mais cela reste anecdotique par rapport à

l’ascendant qui, pourtant, n’était plus de ce monde lors de la prise de la Bastille.

On n’oublie pas non plus que Voltaire a souvent pris les chemins de l’exil. Si

nous nous situons dans le cas de l’engagement (ce qui est l’apanage de Beyala

contre la tradition), ces auteurs ont participé aux multiples ‘’Révolutions’’ par

exemple, en s’engageant par la plume quand un gouvernement venait à

commettre des inimitiés contre le peuple. L’exemple n’est peut être pas

assimilable à l’Afrique. L’important est de savoir que l’on peut écrire en restant

chez soi et en publiant des livres intéressants ailleurs. Certes les raisons

évoquées par Beyala peuvent paraître suffisantes et son choix acceptable. Mais

elles ne peuvent pas s’entendre absolument. Heureusement que l’auteur se

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rattrape en ce que certaines de ses trames romanesques et ses héroïnes

reviennent toujours de l’Afrique.

Parmi les trois romanciers qui constituent notre sujet, Calixthe Beyala est celle

dont l’œuvre évolue au bout de deux années. Sa publication est plutôt

ascendante et ne souffre d’aucune coupure, comme c’est le cas de Kourouma

ou de Sony dont l’œuvre s’est arrêtée en 1995 avec son décès. Pourtant, à la

question de savoir si elle est un écrivain prolifique, Beyala répond modestement

qu’elle n’est qu’une ‘’dilettante de l’écriture’’, d’autant que pour elle, l’écriture

devient un métier, un simple plaisir, un travail. C’est pour cela qu’elle

s’imposerait une discipline de quelqu’un qui voudrait réussir à tout prix. Pour

l’auteure camerounaise, le fait d’écriture ne s’explique pas. Il se vit et se

concrétise matériellement. Ainsi elle déclare :

« Quand on aime écrire, on aime le faire comme

certains aiment peindre, danser, sortir en boîte.

Evidemment, ce n’est pas comparable, sur le plan

de la productivité et de l’utilité. Mais je dirai que

l’écriture est pour moi une drogue. Ma vie est

localisée autour. C’est mon univers. Et j’aimerais

non laisser non pas quatre romans, mais cinquante

ou davantage s’il le faut1. »

1 Entretient avec MOUELLE KOMBI (N.), Amina, août 1992.

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Rude ambition que s’assigne l’écrivain. En comparant l’écriture à une

« drogue », Calixte Beyala voudrait atteindre le degré suprême de sa passion. Y

arrivera-t-elle ? L’avenir est ouvert. Un fait important marque tout de même une

rupture. Beyala entre dans la scène romanesque à vingt-sept ans. Bien plus jeune

que Kourouma et Sony Labou Tansi. C’est sûrement cette jeunesse qui va la

pousser à demeurer prolifique, même si elle ne le reconnaît pas.

Pour revenir à sa personne, Beyala est Camerounaise. Les indépendances

africaines, du moins de son pays, avaient un an quand naissait la petite Beyala.

1961. Une enfance « déstructurée ». Séparée très tôt de sa mère et de son père,

elle grandit seule avec sa sœur aînée de quatre ans. D’où le tempérament

solitaire qu’on lui reconnaît, qui, d’une manière ou d’une autre motivera son

désir d’écrire. En outre, elle reste frappée par l’extrême pauvreté qui l’entoure.

A l’école, elle se passionnerait pour les mathématiques. Ce qui prouve une fois

encore que dans la plupart des cas, les écrivains africains sont d’abord

passionnés par autre chose que l’écriture.

Comme son aîné Ahmadou Kourouma, Calixte Beyala choisit de publier sous

son propre nom. On ne lui connaît point de pseudonyme. Son grand-œuvre

constitue une sorte de regard sur l’ensemble des problèmes relatifs à la femme

africaine d’abord et universelle en général. Ce sont des tableaux et des fresques

dont les protagonistes évoluent souvent dans un contexte de pression,

énigmatique, incompris, voire de désinvolte. A vingt-sept ans donc, elle s’ouvre

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la voie romanesque par une première œuvre : C’est le soleil qui m’a brûlée1. La

première publication de Beyala retrace la vie de Ateba, personnage central. Une

jeune fille de dix-neuf ans qui réside chez sa tante. Derrière un tempérament

« sage, rangée et obéissante », va se dévoiler une attitude « brûlante » qui,

jalonnée de désirs, des aspects traditionnels de plus en plus contraignants et

oppressifs, va se lire elle-même sous un autre regard. C’est un roman, osons-le

souligner, dans lequel le personnage central est présenté comme une victime de

la tradition, de la coutume possessive et parfois contraignante. Ne pouvant

refuser la consultation « de l’œuf », Ateba subit l’une des plus grandes

humiliations de son enfance. En fait la consultation de « l’œuf » est une façon

de savoir si la jeune fille est dépucelée ou non. Elle s’effectue par une ancienne

femme à qui on remarque beaucoup de pouvoirs magiques. Elle seule est donc

habilitée à dire si oui ou non la fille est encore vierge. Contre cette attitude,

Atéba réagit presque douloureusement et pense qu’il faudrait que la coutume,

change, évolue :

« Courir après d’autres images, d’autres pensées

rien que pour se donner la force de continuer, de

marcher, de sprinter après la coutume écrasante,

figée dans son désir de vérifier le bon état de tous

ses membres et de toutes ses dents […] Demander

1 BEYALA (C.), C’est le soleil qui m’a brûlée, Paris : Stock, 1987.

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à la coutume d’apprendre d’autres langues que

celles de sa mémoire1. »

La naissance de Beyala se remarque de façon extraordinaire. Elle s’attaque à

l’un des problèmes les plus vieux et les plus connus de la littérature africaine :

la tradition et son poids. Plusieurs écrivains avant elle s’étaient déjà penchés sur

les pesanteurs de la tradition.. Mais l’originalité apparaît quand elle demande,

par les propos de Atéba, qu’il est impératif d’apprendre d’autres habitudes que

celles léguées par les ancêtres. C’est le soleil qui m’a brûlée peut paraître

comme un roman de dénonciation.

Devant cette situation quasi oppressante et humiliante des femmes, la narratrice

souligne avec force que le temps viendra où la femme aura le pouvoir de

décider pour elle. Les commentaires de la narratrice prouvent bien ce que nous

disons :

« Les adultes auront toujours leurs yeux au bord du

gouffre. Les vieillards crameront avec le déclin du

crépuscule. Quant aux femmes, Atéba sait qu’un

jour le pays leur appartiendra2. »

S’il est vrai que ces propos ne sont pas de l’auteure elle-même, on pourrait

néanmoins y lire la volonté de libérer la femme du joug traditionnel et de la 1 Idem. p. 80. 2 Ibidem, p. 132.

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lourde coutume. Du reste, refusant de parler au nom de la communauté, dans la

mesure où, « jusqu’ici l’écriture des écrivains africains était centrée sur le

groupe1. » Beyala ouvre une nouvelle voie de la littérature africaine, qui est

centrée désormais sur l’individu. Elle voudrait désormais raconter non plus

l’histoire d’une communauté donnée, mais celle d’un personnage pris

singulièrement. Elle ouvre par-là la voie à une nouvelle vision de l’écriture

africaine qui se sépare de la revendication holiste ou de la communauté.

Vu la densité de la production romanesque « beyalienne2 », nous faisons

l’économie des détails des œuvres en ne présentant que les textes qui

interpellent le plus… Avant tout, une idée sous-tend cette œuvre monumentale

dans sa quantité : l’œuvre, la grande de Beyala est une dénonciation et une

représentation des conditions drastiques de la femme dans les sociétés

africaines dominées par le « machisme », selon elle. Dans Les honneurs perdus3

par exemple, l’auteur dépeint la descente aux enfers d’une Afrique misogyne et

interpelle plusieurs intellectuels africains exilés en France. Une fois de plus, le

roman demeure exactement l’espace littéraire où le vécu – le non-vécu, le

présent – l’absence se croisent pour donner une ‘’vérisimilitude’’. Pourtant, son

dernier ouvrage, à l’heure où nous l’étudions, vient rompre la thématique

classique de l’auteur : Les arbres en parlent encore4 décrivent

1 CEVAER (C.), op. cit., p. 45. 2 Nous forgeons un néologisme à partir de Beyala. 3 BEYALA (C.), Les Honneurs perdus, Paris, Albin Michel, 1992. 4 BEYALA (C.), Les arbres en parlent encore, Paris, Albin Michel 2002.

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l’incommunicabilité et le dialogue sourd entre les Africains et les anciens

colons.

Revenant au cycle de parution, un an après C’est le soleil qui m’a brûlée, c’est-

à-dire en 1988, Calixte Beyala soumet au lecteur une autre version de la vie des

femmes dans Tu t’appelleras Tanga1. Deux jeunes dames prisonnières se

retrouvent dans une même cellule par le fait du hasard. Tanga l’Africaine est

une débauchée et une misérable. Un jour, elle se trouve violée par son propre

père. Sur le point de mourir, elle décide de s’ouvrir à sa co-cellulaire et lui

raconte toute sa vie. Cette seconde dame d’origine française s’est retrouvée en

prison alors qu’elle était venue rechercher son ancien amour de France. Les

deux personnages finiront par devenir un seul par le fait de la narratrice. A la

fin du roman, une nouvelle figure romanesque apparaît : celle de

l’appropriation du nom ‘’Tanga’’ par l’Européenne. Mais cette geste narrative

se lirait comme une ruse de l’auteur pour pouvoir captiver son lectorat. Tu

t’appelleras Tanga est donc une fois de plus un roman qui épluche les

problèmes de la femme africaine serrée dans les mailles traditionnelles. Pour

éclairer cette obsession de « la femme » chez Beyala, une remarque importante

s’impose : l’émancipation politique des jeunes Etats s’accompagne

paradoxalement, peu après, d’une restriction des libertés individuelles. D’où le

désenchantement. Ce qui pourrait laisser croire que l’auteure s’attache

irrésistiblement à la liberté, au sens large et à celle de la femme singulièrement,

dans la mesure où elle assimilerait la vie de la femme à l’inorganisation et à

1 BEYALA (C.), Tu t’appelleras Tanga, Stock, Paris, 1988.

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l’immaturité de l’homme. Cet état de chose reviendrait aussi à déclarer que

Beyala demeure la voix centrale du rétablissement de l’honneur perdu de la

femme pendant la période des indépendances.

Beyala fait partie des auteurs qui publient à un rythme effréné. Le cycle de

publication est de deux ans, voire un an. Entre ses deux premiers romans parus

respectivement en 1987 et 1988, la Camerounaise est éditée régulièrement, ne

laissant pas souvent au lecteur le temps et le soin d’apprécier l’œuvre

précédente. Cette rage d’écrire peut être assimilée à une envie de découdre avec

la société masculine qu’elle qualifie de « machiste », où seule la force de

l’homme seul y est prise en compte.

Voici de ce fait la liste de tous les romans publiés jusqu’au moment où nous

rédigeons ce travail, et en plus de ceux que nous avons déjà cités :

1990, Seul le diable le savait

1992, Le petit prince de Belleville

1993, Maman a un amant

1994, Assèze l’Africaine

1996, Les honneurs perdus

1998, La petite fille du réverbère

1999, Amours sauvages

2002, Les arbres en parlent encore

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De tout ce qui précède, il est juste de penser que l’entrée de Beyala en

littérature a été marquée fortement par l’envie incessante de sortir la femme du

carcan traditionnel. A travers l’écriture, elle cherche à se connaître et à

communiquer quelque chose qu’elle aurait découvert et qu’elle ne pourrait

garder pour elle. Partant de la recherche d’une réponse par l’écriture, l’auteure

déclare :

« C’est à la fois, un accomplissement, une remise

en cause permanente de soi et des autres. Il y a une

connaissance profonde qui passe par l’écriture

qu’on ne retrouve pas avec la parole1. »

Comme on le perçoit, l’écriture est le prolongement d’une parole qui ne peut

être dite. Une parole qui se mure dans un silence de cathédrale. La parole

devient ce moment de dévoilement, de dépassement de l’être. Pourtant, Beyala

a toujours refusé de se substituer à ses personnages, même si l’on croit souvent

retrouver plusieurs éléments de sa biographie dans ses trames romanesques.

Par rapport au cycle de production, la création romanesque de Beyala est la plus

féconde des trois auteurs. Sa naissance en tant qu’écrivaine est marquée par la

volonté de découdre avec une société qui a toujours relégué la femme au

second plan. Mais ce qui impressionne le plus, c’est le fait qu’elle soit arrivée

en littérature assez jeune, contrairement à ses aînés. Mais une nette différence

1 Interview de C, BEYALA réalisée par BAH DIALLO Assiatou et publiée dans Amina en 1998.

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se fait jour lorsqu’il s’agit d’évoquer le style et la part de chaque auteur dans

l’écriture romanesque. Ce qui nous conduit à apprécier le rapport entre ces

écrivains et la langue française. Pour cette partie qui suit, mentionnons

d’emblée que les passages vont demeurer inégaux parce que les travaux de

Kourouma et deSony Labou Tansy présentent une plus grande démonstration

au niveau du style que les textes de Beyala. Nous estimons et, c’est peut-être

arbitraire, que Kourouma et Sony demeurent plus représentatifs à ce niveau de

la question que Beyala.

En revanche, rien ne permet d’affirmer que tel ou tel autre romancier étudié est

plus écrivain que l’autre. Car la notion d’écrivain est vaste et contient plus de

sens que l’on imagine. Dans Etre écrivain, Nathalie Heinich pose un ensemble

d’interrogations relatives à la notion d’écrivain. En effet, la sociologue pense

qu’« être pris au sérieux » par une maison d’édition ou par ses pairs ne confère

pas obligatoirement au romancier le titre d’écrivain. Selon Heinich,

« Être pris au sérieux, ce n’est pas forcément être

considéré comme ‘’un grand écrivain’’, ni même

un ‘’bon écrivain’’. L’écrivain ‘’sérieux’’ est celui

qui apparaît comme un véritable, un

‘’authentique’’ écrivain, qui pourra éventuellement

être qualifié de ‘’mineur’’ ou de ‘’médiocre’’, mais

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dont personne ne contestera qu’il est bien ‘’un

écrivain’’1. »

La réflexion de Heinich engage un débat qui peut être interminable, vu la

densité idéologique que la notion recouvre. Mais, à ce qui semble, la distinction

de ‘’grand écrivain’’ n’est pas (assimilé) à tout écrivain. Encore moins les

critères de qualification de ‘’bon écrivain’’ ou d’écrivain ‘’médiocre’’. Dès

lors, dans ce travail, nous n’insisterons pas sur ladite notion. Il n’est pas non

plus question de jugement de valeur ni sur Kourouma ni sur Sony encore moins

sur Beyala. Sachant que tout jugement est souvent subjectif et donc aléatoire.

Pourtant, à travers la naissance de nos romanciers, nous pouvons inférer qu’ils

sont tous écrivains à part entière quand bien-même les uns (Kourouma et

Sony) font de l’écriture un objet de création et l’autre un métier.

Par ‘’objet de création’’, nous entrevoyons l’idée que Beyala revendique l’acte

d’écrire comme un métier au même titre que toutes les autres fonctions. Tandis

que Kourouma et Sony placent cet acte au niveau purement esthétique, du côté

de l’idéel au sens du Bien platonicien. La professionnalisation de l’écriture

qu ‘évoque Beyala est d’ordre quasiment économique et rejoint la

professionnalisation sartrienne. Car pour Jean-Paul Sartre qui a décrit « la

situation de l’écrivain en 1947 », l’écriture reste un métier. Mais un métier qui

se situe dans la même réalité que tout autre travail. Sartre a en fait indiqué la

1 HEINICH (N.), Être écrivain, op. cit., p. 23.

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place de l’écrivain dans la nouvelle société de consommation. C’est peut-être

dans ce sens que Beyala perçoit le terme d’écrivain..

Encore une fois, ne s’agit-il pas pour nous d’approfondir cette notion de

profession d’écrivain. On essaie plutôt de comprendre que dans cette

« naissance » qu'on vient d'indiquer, il existe une grande différence entre

Kourouma et Sony, d’une part, et Beyala de l’autre, au niveau de l’acte

d’écrire. Il serait beaucoup plus aisé pour nous de comprendre Beyala dans la

mesure où elle assimile le terme de « profession » à la recherche extrême de la

technique d’écriture. Car ici, l’écriture devient le moment où l’auteur doit user

de son « professionnalisme » dans l’élaboration de son œuvre, à la manière

d’un peintre sur sa toile, d’un sculpteur sur de la pierre ou sur du bois.

A en croire les propos de Beyala, l’écriture est un travail comme tous les autres

ou « ne faire que ça1 » est le plein temps du métier, c’est-à-dire consacrer le

« plus de temps possible à son art, et à lui seul2. » Pourtant, on peut comprendre

cette différence entre Beyala et le duo Kourouma / Sony dans la mesure où

Beyala n’a peut-être jamais exercé d’autres métiers que celui d’écrivain.

Kourouma étant d’abord actuaire et Sony ayant été enseignant d’anglais,

l’écriture n’était pas vue de la même façon. Qu’à cela ne tienne, la naissance de

ces écrivains a entraîné une autre naissance de l’écriture et de leur style.

1 Idem, p. 26. 2 Ibidem. Sur la question de la profession de l’écrivain, voir le sous-chapitre sur « les obstacles au

professionnalisme » décrit par Heinich dans le même ouvrage.

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Chapitre 2 : Rapports entre romanciers et langue française

Certes le chapitre qui s’ouvre actuellement n’est pas original, mais il demeure

opérationnel en ce qu’il présente l’apprentissage de la langue française par les

écrivains que nous étudions. Ensuite, il permet de revisiter les rapports qui

existent entre les différents romanciers et la langue de Molière. Enfin, à l’aide

de quelques exemples précis, choisis parmi certains romans, ce chapitre

voudrait démontrer la part de l’originalité de la création de chaque auteur.

L’introduction de la langue française en Afrique noire est avant tout le fait de la

colonisation et surtout de l’école. Au départ, pour s’adresser aux peuples, les

colons employaient des interprètes, souvent moins outillés. C’est bien plus tard

qu’ils comprirent l’urgence d’implanter des écoles, car la scolarisation, à

travers l’évangélisation devrait atteindre désormais toutes les couches de la

population. Cela afin d’établir une « meilleure » communication et surtout

d’asseoir une nouvelle « domination » de leurs sujets. Pour lever un paradoxe

séculier et « raciste », Bernard Mouralis souligne que, contrairement à ce

qu’ont pensé plusieurs critiques, le caractère essentiel de la colonisation

demeurait ‘’strictement’’ sur le plan culturel. Il dit :

« [La scolarisation] ne se traduit pas par

l’introduction en Afrique de la culture européenne

ni par la rencontre de deux cultures mais [elle]

doit être définie au contraire comme une tentative

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visant à instaurer une culture spécifique, la culture

coloniale1. »

Sans entrer dans une polémique idéologique aporétique, la définition de la

scolarisation énoncée par Mouralis peut être recevable. Si l’on pousse la

réflexion, cette même définition présente des carences en son sein. Des non-

dits, sous-tendant bien sûr une idéologie coloniale et donc européenne,

subsistent car quelle est la « culture coloniale » qui ne soit actuellement

européenne ?

Revenant à la scolarisation des peuples africains, celle-ci devrait poursuivre un

double engagement. Mouralis, dans une autre acception, énonce la dualité

suivante :

« Il s’agissait d’abord de former un certain nombre

d’individus qui soient capables de remplir les

tâches d’exécution pour occuper des emplois

nouveaux au bon fonctionnement de

l’administration et de l’économie, et puissent

également être aptes à jouer un rôle

d’intermédiaires entre le pouvoir et le reste de la

population. Il fallait d’autre part essayer de

toucher au maximum, les masses pour justifier le

1 MOURALIS (B.), Littérature et développement, Editions du Silex, Paris, 1984, p. 101.

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bien fondé de l’entreprise de colonisation et les

gagner à la cause du colonisateur1. »

Le projet scolaire colonial est clair : dans tous les cas, il s’agit de faire en sorte

que le colonisateur jouisse de plus grands avantages dès que l’Africain aura su

lire et écrire sa langue. On peut dire que ce dessein avait porté ses fruits, car

tous ceux qui prirent des responsabilités n’étaient là que pour mieux servir le

colon. Mais parmi les Africains qui fréquentèrent cette école, il eut ceux qui

décidèrent, à partir de cette langue, de « forcer le destin colonial » par

l’écriture, notamment en présentant au monde les multiples facettes de la vie

traditionnelle et coloniale. Or, cette dernière était souvent occultée par ces

nombreuses études anthropologiques d’antan. Ainsi s’établissait le premier

contact avec l’écriture. Pour ce qui est de Ahmadou Kourouma, Sony Labou

Tansi et Calixte Beyala, comme de tous les écrivains francophones d’Afrique

noire, la rencontre avec la langue française est aussi le fait de l’école. On peut

cependant dénombrer quelques autodidactes tel que Sembène Ousmane qui sont

arrivés à la littérature sans vraiment passer par l’école. Mais ce qui ne signifie

pas être analphabète.

La plupart du temps, cet apprentissage ne s’est pas fait sans douleur. Kourouma

et Sony, et dans une moindre mesure Beyala, ont dû passer par l’épreuve du

symbole afin de mieux assimiler la langue française, en plus des enseignements

dispensés. L’usage du « symbole » (souvent un objet faisant peur ou puant)

1 MOURALIS (B.), Littérature et développement, Editions du Silex, Paris, 1984, p. 101-102.

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était porté au cou par tout élève surpris en train de parler sa propre langue

maternelle. Le français devenait donc la seule langue employée dans

l’enseignement, l’administration, la presse et même la famille, acquérant par-là

même « un statut dominant1 . » Ce fait justifie largement l’une de nos

hypothèses selon laquelle la langue française, à l’heure actuelle, est devenue

l’une des « langues maternelles » des Africains, à des variantes près de diction

et de prononciation.

L’usage de la langue française comme langue de dialogue narratif ou poétique

par Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi et Calixte Beyala indique que ces

écrivains appartiennent bien à une sphère linguistique qui leur est désormais

propre et certaine, au même titre que le autres écrivains francophones de

France, du Canada ou d’autres pays ayant la langue française comme langue

d’écriture. Et chaque spécificité auctoriale relève toujours du milieu culturel de

chaque romancier. C’est pour cette raison que le même français associé aux

idiomes maternels des auteurs donne une « certaine luxuriance » et une

variabilité de la nouvelle langue desquelles les ‘’classiques’’ devraient

s’accommoder.

Pourtant l’écrivain africain en général bute toujours devant ce mur

idéologique : dans quelle langue écrire afin de mieux rendre compte de la

réalité qui l’entoure ? La réponse demeure rude, car écrire dans sa propre

langue présente deux avantages non négligeables. Le premier est de savoir que

1 Idem., p. 111.

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si un écrivain décide de faire son œuvre dans sa langue maternelle, il est sûr

qu’il serait moins lu et par ses propres « frères » et par les autres lecteurs. Le

second aspect est aussi important que le précédent. Il se poserait mieux

qu’aujourd’hui des problèmes d’éditeurs et de diffusions de ces livres. Bien des

tentatives ont été menées à ce jour avec ou sans grands succès. Mais en ce qui

concerne nos écrivains, le choix d’écrire en français n’est plus à démontrer.

Toutefois, il leur faudrait pratiquer correctement cette langue pour pouvoir la

soumettre aux différentes transformations. C’est ainsi que les rapports

entretenus par les romanciers avec la langue française sont d’autant moins

faciles à situer que Kourouma, Sony et Beyala pensent conçoivent leurs romans

dans leur langue maternelle, avant de les retranscrire en français. Vérité naïve et

caduque. Mais la maîtrise d’une langue étrangère ne passe-t-elle pas le bon

maniement de la sienne ? La retranscription et non la traduction de ces

différentes langues au français, parfois brutale, avec toute la charge des mots

malinké et kikongo (respectivement chez Kourouma et Sony) que cela suppose,

laisse penser que le lecteur lit plutôt des romans dans ces langues au lieu du

français. Cette stratégie, montre qu’il est possible d’écrire dans sa langue ; nous

faisons allusion à la question des langues africaines romancées.

Aussi avec l’ère des indépendances et des partis uniques, voire, une nouvelle

thématique, un nouveau style et un nouveau langage des romans africains

surgissent (clairement). Les thèmes récurrents des romans des années coloniales

sont délaissés. Sont abandonnés aussi le style, l’écriture radicale de ce genre

narratif. On est donc passé d’une écriture appelée ici de « l’ancienne école »,

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jalonnée par le goût et l’art de bien écrire à une écriture « moderne » ou

« nouvelle école ». La nouvelle école rompt totalement avec l’ordre ancien,

souvent prête à élaborer une écriture bien agencée par la rhétorique et une

grammaticalité concise. Le nouveau est à rechercher dans la manière à

schématiser et à représenter le réel afin qu’il devienne un élément presque

nouveau. Au fond, il se lit une figure de la nouveauté découpée par ce que

Jacques Dubois désigne sous le vocable de « l’illusion réaliste de la socialité1. »

De plus, contrairement aux écrivains des années soixante, les auteurs des

indépendances ou de la modernité usent désormais d’un style qui n’est plus à

chercher et à prendre du côté des maîtres (entendons les romanciers français qui

influencèrent peu ou prou les premiers écrivains francophones). En outre, ils

font de l’écriture l’une des plus audacieuses armes de la lutte anti-dictatoriale,

comme le firent déjà les premiers romanciers et poètes à l’encontre de la

Colonisation. Et pour mieux faire passer leur objet, ils n’hésitent pas à utiliser

leur propre idiome, car il est plus douloureux, pensent-ils souvent, de penser et

d’écrire dans une langue étrangère…Pourtant au fil des années, une espèce

d’osmose et une originalité vont se lire dans les nouvelles œuvres négro-

africaines ; la cohabitation entre la langue maternelle et le français offre une

nouvelle aire et une mesure de la langue française. Kourouma et Sony sont des

cas illustratifs de cette symbiose linguistique. Bien plus, ils ont su exploiter et

intégrer dans le français « apparemment classique le langage de leur peuple »,

relate Makhily Gassama. Même si les « classiques » ont pensé observer en cela

(arrivée de langues maternelles dans le français) une chose insidieuse, il reste

1 DUBOIS (J.), Les romanciers du réel, Editions du Seuil, Paris, 2000, p. 46.

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que cet apport demeure d’un bénéfice et d’une richesse insurmontables,

notamment sur les plans sémantique et syntaxique. Ces langues apportent un

souffle nouveau, une nouvelle dynamique dans une double réalité : africaine

d’abord et francophone ensuite dans un mouvement diachronique. Sans vouloir

définir largement la langue, et surtout rentrer dans la signification du style,

regardons quand-même ce qu’il est du côté de nos écrivains.

En reprenant les définitions énoncées par Roland Barthes sur la langue, il se

perçoit qu’elle est « l’aire d’une action, la définition et l’attente d’un possible1.

» Qu’est-ce à dire ? Pour Barthes, en effet, la langue est le lieu non pas d’un

seul individu mais d’une communauté. Elle est donc un « objet social par

définition et non par élection2 . » En d’autres termes la langue, est une donnée

qui s’impose presque culturellement à l’homme. Partant de ce postulat, la

langue n’appartient pas à l’écrivain seul, même s’il peut en user librement par

la suite. La définition barthésienne qui s’est montrée opérante dans tout le

champ littéraire obéit de la même façon dans la littérature africaine. Cependant

on remarque que dans ce « tout » commun, l’écrivain peut avoir le choix dès

lors qu’il décide de retravailler la langue de l’ensemble. Et dans le cas de nos

écrivains, il y a (un) autre choix qui consiste en l’addition de leur langue

maternelle dans celle de l’écriture de leurs œuvres. Bien sûr, Barthes ne

songeait pas forcément au cas des romanciers qui devraient « refaire » la langue

française comme certains écrivains non français. Nous osons dire que c’est

1 BARTHES (R.), Le degré Zéro de l’écriture, suivi de nouveaux essais critiques, Paris, Editions du Seuil,

Paris, 1972, p. 15-20. 2 Idem. p. 15.

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peut-être ce fait qui l’entraîna aussi à établir une distinction entre langue et

style. Pour notre part, il sera question de présenter la langue des auteurs qui

deviendra par la suite style personnel. Toutefois nous nous accordons sur la

définition de Barthes du style qu’il nomme aussi « langage autarcique ». En

effet, le style plonge le lecteur dans la « mythologie personnelle et secrète de

l’auteur1 . » Et ne pouvant rien changer de la langue (parce que

communautaire), ce qui reste à l’écrivain est cette part personnelle, corporelle

qui se dégage de l’action d’ensemble pour pouvoir en tirer l’élément

exceptionnel et précis de son langage.

La signification barthésienne du style s’applique également aux écrivains

francophones, particulièrement à Ahmadou Kourouma et à Sony Labou Tansi.

Ces deux écrivains utilisent la langue de leur terroir, la transforment ensuite et

l’intègrent au français, afin de produire une part de mythologie. Le style desdits

écrivains demeure, en tout état de cause, « une donnée culturelle2 » qui incarne

« l’expression d’une communauté3 . » En d’autres termes, les auteurs

empruntent à l’ethos commun ce qui deviendra leur part, leur style, leur

langage, à travers la magie de la création. Selon Georges Ngal dans l’un de ses

derniers essais intitulé Esquisse d’une philosophie du style, l’auteur ne crée pas

« ex nihilo ». Il puise toute son imagination dans l’espace culturel dont il est

issu. La véritable part de l’écrivain se dégage après s’être « retiré » de la

société. Ce pseudo retrait aura pour conséquence ce que nous nommons ici le

1 Idem. 2 NGAL (G.), Esquisse d’une philosophie du style, Edition Tanawa, La Courneuve, 2000, p. 207. 3 Idem.

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« fait spécifique » de l’écriture et le style. Le schéma ci-après tente de

reconstruire et d’éclairer le fond de notre pensée :

Communauté

⇓⇓⇓⇓

Espace culturel

⇓⇓⇓⇓

Individu / auteur

⇓⇓⇓⇓

Reformulation

De la langue

⇓⇓⇓⇓

« Nouvelle langue »

====

Style de l’auteur

A travers ce schéma, il apparaît clairement que l’écrivain puise toute la

puissance créatrice dans sa communauté ou son espace culturel. Ensuite, à

partir de son imaginaire, l’individu, issu de cette communauté, tente de

reformuler la langue collective pour trouver une langue spécifique. De cette

« supra langue » sortira enfin ce que Barthes appelle la part autarcique de

l’auteur. On pourrait parler de métalangage en ce que l’écrivain se donne, par le

biais de son style, de la marge par rapport au sociodialecte. Ainsi, que l’on se

trouve du côté occidental ou du côté africain, on remarque que la définition du

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style puise sa source dans l’ensemble linguistique commun qui constitue ce

style. Elle sert par de là tout de point de départ, de socle pour le nouveau

langage de l’auteur. Et ce même langage pris métaphoriquement et associé à

l’imaginaire de l’écrivain produit un effet de style sans précédent à un moment

donné de l’histoire. C’est dire que le style est le fruit de l’Histoire et qu’il peut

évoluer au rythme de cette même Histoire. Regardons à présent comment

s’opèrent les rapports entre de la langue française et les trois écrivains.

Sachant que pour paraître plus concret deux ou trois œuvres (plus

représentatives du style) de chacun sont choisies pour illustrer notre pensée.

2. 1 La langue d’Ahmadou Kourouma1

L’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma est à la fin du XXème et du début du

XXIème siècle l’auteur le plus en vogue de toute la littérature francophone.

Muni souvent d’un verbe inattendu et fin, il manie la langue française avec

beaucoup de subtilité, y joignant par la même occasion les marques de sa

langue maternelle. En cela, il reste l’un des écrivains qui ait pu orchestrer l’une

des grandes ruptures dans la littérature africaine d’expression française. On

peut dire que Kourouma est celui qui va engendrer un « parricide », au sens où

son écriture et son style bravent l’écriture « paternelle » des grandes époques de

la littérature francophone. Et le rapport qu’il entretient avec cette langue

demeure quasi dualiste. La dualité apparaît dès l’instant où l’auteur réussit à

1 C’est aussi le titre de l’essai de MAKHILY Gassama que nous citons.

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intégrer, sinon à créer au sein du macrocosme linguistique français une

nouvelle langue qui est la sienne. C’est ici que se trouve pointé ce que nous

désignons sous le vocable de « style kourouméen » ou la « langue d’Ahmadou

Kourouma ». D’autre part, l’écrivain, par l’introduction de sa langue

maternelle-le malinké-fait « se rajeunir » le français. Il opère ainsi un écart avec

certains romanciers de sa génération ou celle d’avant.

L’originalité de son œuvre en général réside dans la volonté à exprimer et à

faire dire tous les moments de l’Histoire à travers le mot malinké de la part de

ses protagonistes. A part Monnè, outrages et défis1, les autres romans,

notamment Les soleils des indépendances, demeurent une reproduction de la

« façon de penser des malinkés2 » après les indépendances. En attendant le vote

des bêtes sauvages et Allah n’est pas obligé prennent une nouvelle voix de

l’écriture de Kourouma. Ces romans présentent respectivement la vie d’un

ancien dictateur à qui l’on récite « le donsomana » ? D’une part et la guerre

civile en Sierra Leone et en Angola, d’autre part. Pourtant la caractéristique

commune à toutes ces œuvres réside dans la manière de romancer les faits.

La construction de la structure linguistique de Kourouma débute avec son

premier roman. Elle s’affirme tant bien que mal avec le second et atteint son

acmé avec les dernières œuvres. Cependant, de toute la production littéraire de

l’auteur, Les soleils des indépendances reste de loin la plus réussie, la plus

« savamment » construite. En effet le cheminement du phénomène de 1 KOUROUMA (A.), Monnè, outrages et défis, , Paris, Editions du Seuil, 1990. 2 Propos recueillis par LEFORT (R.) et MAURO (R.), op.cit., p. 1.

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« malinkénisation » se lit dès le titre de l’œuvre : ‘’Les soleils des

indépendances’’. Le titre, qui évoque la période des indépendances africaines,

peut paraître difficile défini. Entendre l’évocation du pluriel du mot « soleil »

reviendrait à imaginer que l’auteur aurait séjourné dans le surréalisme ou ferait

carrément de la poésie. Pourtant Kourouma n’a été ni surréaliste ni poète ( ?) Il

n’emprunte même pas aux autres genres narratifs. Mais il retranscrit

simplement ce terme « soleil » pris dans sa langue propre, dont le sens serait

« jour » dans sa totalité. Totalité sémantique qui refigure le mot « jour ». Le

romancier s’amuse presque avec ce mot. Tout le roman est, peut-on affirmer,

écrit dans un nouveau produit de deux idiomes : le français et le malinké. Cette

somme linguistique est le symbole d’une exemplification de l’intégration

identitaire francophone en ce que la langue française gagnerait beaucoup à

prendre en considération plusieurs apports extérieurs. De la langue de

Kourouma dans Les soleils des indépendances, plusieurs lecteurs et critiques en

furent déçus, voire « écœurés ». Mais d’une déception constructiviste, c’est-à-

dire qui finit par l’emporter sur la lassitude de la lecture. Makhily Gassama,

l’un des critiques ‘’chagrinés’’ le montre :

« A la première lecture du roman d’Ahmadou

Kourouma, j’étais écoeuré par les contradictions,

les boursouflures grotesques et la sensualité

débordante ou l’érotisme du style ; par le caractère

volontaire scatologique du récit, le goût morbide

pour le symbolisme animal, végétal et minéral et,

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en conséquence, par l’incohérence des images et

des éléments entrant dans l’architecture de

l’œuvre.1 »

De prime abord, lorsqu’on lit cette impression du critique, on se rend compte

qu’il réagit comme l’aurait fait n’importe quel lecteur ou censeur de la

littérature habitué au langage « classique ». Mais Makhily se ressaisit très vite

quand il découvre l’originalité du texte de Kourouma. La lecture de ce roman

ne peut en effet que laisser perplexe le lecteur, en ce qu’il se trouve déjà hanté

par l’architecture interne de l’œuvre qui n’obéit plus à celle que l’on connaît

depuis toujours : l’architecture traditionnelle. Et la réaction presque

épidermique du critique sus-cité dénote du comportement de tous ceux qui

ouvrent ce roman la première fois. La réaction, encore une fois, semble logique

car on reste tout de suite dérouté par la langue et le style employés par l’auteur.

On ne lit pas Les soleils des indépendances comme on parcourrait L’enfant

noir2 ou Le pauvre Christ de Bomba3, par exemple. Devant « ces

incohérences » langagières, le critique paraît plutôt bouleversé :

« J’étais d’autant plus dérangé par ce style

scabreux et provocateur à souhait.4»

1 MAKHILY (G.), La langue d’Ahmadou Kourouma ou le français sous le soleil d’Afrique, Edition ACCT

et Khartala, 1995, p. 17. 2 CAMARA (L.), L’enfant noir, op. cit. 3 BETI (M.), Le Pauvre Christ de Bomba, Paris, Laffont, 1956. 4 MAKHILY (G.), op. cit., p. 18.

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Poursuivant son « égarement » devant l’immensité de l’ouvrage, le critique

doit comprendre que c’est peut-être à cause de ce style que le manuscrit eut été

refusé à Paris. Ecoutons-le :

« Il fallut, dit-il, la compréhension du Canada pour

que [l’œuvre] vit le jour (…) Cet esprit d’avant-

garde, ce goût inné du risque, hérités de la culture

nord-américaine ont sauvé l’une des plus grandes

œuvres de la littérature nègre de langue

française1. »

Les derniers mots du critique sénégalais sonnent le lieu d’une certaine

délocalisation de la langue française. Le livre de Kourouma a été « sauvé » non

par la France mais par le Canada, l’une des grandes nations francophones.

C’est peut-être dû au « risque » de cette culture, du nouveau que le livre a été

publié et qui plus est, récompensé au Canada.

Dans une interview accordée à René Lefort et à Mauro Rosi, Kourouma revient

sur la part de son style et notamment sur le refus, essaye en France du côté des

Editions. Il déclare :

« Il y avait d’une part une certaine originalité de

mon style, due à une utilisation particulière de la

1 Idem.

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langue française, qui s’est avérée déroutante pour

certains lecteurs. D’autre part, la conception du

roman ne plaisait pas trop1. »

L’auteur est sans conteste conscient du « choc » du lecteur. Même si au départ

rien n’affirme cette volonté à « déstructurer » le roman, il se trouve que

Kourouma a réussi son pari : amener le lecteur à s’identifier à lui pour

comprendre son message. Il reste donc au lecteur d’entendre l’objet orchestré

dès l’incipit. L‘auteur sûrement contraint par une certaine censure dut clôturer

sont texte par une espèce de document historique qui met en scène les années

« folles » des indépendances et leurs conséquences. On peut dire qu’il y a ici

une réelle décision de se délier du roman traditionnel dont le fil de l’histoire

allait jusqu’à la clôture de l’œuvre. Par cette écriture, Kourouma ouvrait donc la

voie/voix d’un « nouveau roman africain de langue française. »

Afin de mieux illustrer l’apport kourouméen, analysons quelques exemples de

création. Par création ou néologisme, nous comprenons « invention », « donner

vie »… C’est une double dimension de la reconstruction du mot français. La

seconde dimension est la retranscription catégorique du malinké, ce qui

dénature quelques fois le sens et la définition.

Dans le premier cas, Ahmadou Kourouma reprend les concepts et mots de

langue française pour en jouer. Ils deviennent des objets entre l’écriture du

romancier. L’originalité du style surgit dès lors qu’il introduit dans un contexte

1 Propos recueillis par René (L.) et Mauro (R.), op. cit.

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qu’il décrit, comme celui des indépendances, sa force réelle et incitative à la

création au nouveau. Pour le lecteur non averti, il est des pures « grossièretés »

langagières. Pourtant cette espèce de déconstruction sinon de ‘’défondation’’

tient lieu de la marque de ‘’l’odeur’’ personnelle de l’auteur. De nombreuses

comparaisons et métaphores décrites dans Les soleils des indépendances

donnent au style de l’écrivain ivoirien une autre considération de l’écriture et

du jeu de mots. En voulant recopier sa langue maternelle dan son roman,

Kourouma étonne une fois de plus le lecteur. Il arrive à plaquer des clichés, des

mots crus malinkés sans jamais traduire. On peut voir dans cette non traduction

une invitation lancée au lecteur afin qu’il découvre le malinké. On pourrait

aussi penser que si l’auteur ne traduit pas certaines expressions de sa langue,

c’est probablement parce qu’il n’y aurait pas de mots justes en langue française

qui sachent rendre la portée de ces expressions. Et l’autre explication serait que

les langues autochtones offriraient plus de synonymes à un mot. A ce sujet,

Kourouma déclare :

« Contrairement à ce que l’on peut penser, il me

semble que les langues africaines sont, en général,

beaucoup plus riches que les langues européennes.

Elles disposent d’un grand éventail de mots pour

désigner une même chose, de nombreuses

expressions pour évoquer un même sentiment, et de

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multiples mécanismes permettant la création de

néologismes1. »

A en croire l’auteur, la multiplicité de choix de termes dans les langues

africaines permettrait au mieux la création de nouveaux mots. Fort de cette

conscience, Kourouma va ainsi retravailler les expressions malinké pour leur

attribuer une nouvelle vie et un sens nouveau dans son langage.

« Il y avait une semaine qu’avait fini dans la

capitale Koné Ibrahima. 2»

La phrase qui ouvre l’œuvre est un décalque en français du malinké. En

français soutenu, il aurait sûrement écrit : ‘’Voilà une semaine que Koné

Ibrahima était mort / décédé’’ Pour rendre la « mort » moins effrayante ou pour

le dire avec euphémisme, l’auteur choisit un style particulier de langage qui

rend plus concret l’acte subi par ‘’Koné Ibrahima’’ La polysémie joue ici un

rôle refondateur (du sens) dans la mesure où Kourouma estime qu’il est plus

juste d’énoncer sa pensée d’abord dans sa langue avant de la transcrire en

français.

1 « Ahmadou Kourouma, ou la dénonciation de l’intérieur », propos recueillis par Lefort (R.) et Mauro

(R.), op. cit. 2 KOUROUMA (A.), Les soleils des indépendances, op. cit., p. 9.

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Les caractéristiques du malinké apparaissent également lorsque l’écrivain

intègre les adages et surtout les comparaisons appartenant à sa communauté

dans le texte :

« Les journées d’harmattan comme les chefs de la

même pintade pointaient et tombaient les unes

semblables aux autres1. »

ou encore

« Fama piqua le genre de colère qui bouche la

gorge d’un serpent d’injures et de bas et lui

communique le frémissement des feuilles2. »

Dans le second exemple, il est quand même difficile de comprendre le sens de

la gravité de la phrase. A ce sujet, il faudrait presque faire référence au terroir

de l’auteur pour en tirer l’explication véritable, au risque de ne se retrouver

qu’avec une bribe de signification. Pourtant cet exploit relève de la création de

l’auteur pris dans son contexte culturel.

Kourouma, avons-nous déjà indiqué, est parmi ceux qui ouvrent la voie d’une

nouvelle écriture. L’auteur ivoirien pense et écrit son roman les soleil des

indépendances en malinké. Il a réussi à introduire des expressions de son milieu 1 Idem, p. 120. 2 Ibidem. p. 101

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dans une langue figée et pipée au départ. En cela, on peut lire le style de

Kourouma. Cependant au fil des temps, plus l’auteur confirme sa verve moins

on a l’impression que la préoccupation stylistique se déploie. C’est peut-être à

ce moment que la question du « rythme de l’histoire » effleurée plus haut

s’énonce. Les futurs textes de l’auteur vont le démontrer. Dans la vision du

rythme historique dans le style, Ngal stipule que « Le style [en fait] partie

d’une époque de l’homme1. »

Ce style évoluerait en fonction des mutations sociales et historiques. Les textes

de Kourouma, ce nous semble, obéissent à cette dimension ; son style

également. Le style kourouméen est à ce jour et depuis la première œuvre,

témoin de son histoire. Fils de son temps. Avec Les soleils des indépendances,

l’auteur a adopté un style et une méthode de langage propres aux

indépendances africaines. Tandis qu’avec Allah n’est pas obligé, l’écrivain

choisit une écriture qu’on peut qualifier de « guerre », conjointe aux instants de

« sales guerres » fratricides qui minent le Continent noir. Par conséquent, les

hypothèses de Barthes et de Ngal sur le style et le temps desquelles est tiré ce

style se vérifient. Le style, vu comme le « génie singulier », se confond avec ce

qu’il faut nommer ici, le

« […] climat d’une époque, expression d’une

époque et traduction d’une époque2. »

1 NGAL (G.), op. cit., p. 16. 2 Idem.

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En plus de cette espèce de cohabitation séculière et historique, la part de

l’auteur se retrouve murée derrière une certaine osmose qui ferait ressortir

l’illumination de son « individuation ». L’individuation est vue par Gilles

Deleuze et par Ngal ensuite, comme « structuration langagière de l’individu1»

et de son style. Dans ce voyage sur le style de Kourouma pourtant, l’auteur et

Borgamano peuvent surprendre quand ils récusent le terme de ‘’langue’’ de

l’auteur pour adopter celui d’ « écriture. » Pour notre part, nous soutenons bien

que Kourouma ait bien une langue et un style. Et comme nous l’avons déjà

montré, ce style est la résultante de deux idiomes : le français et le malinké dont

seul l’auteur et son milieu détiennent la clef interprétative. Toutefois la

juxtaposition de ces deux langues donne à l’écriture des romans une autre

dimension de la littérature africaine d’expression française. Kourouma le

reconnaît de manière implicite quand il dit :

« Puisque nous Africains, nous sommes

francophones, il nous faut faire demeure dans le

français […] nous faisons des efforts pour

africaniser le français ; nous faisons une

chambre où nous serons chez nous dans la

grande maison qu’est la langue de Molière2. »

1Idem. 2 Entretien avec Ahmadou Kourouma (Yves Chemla), Le Serpent à plumes, n° 8, 1993, p. 157. Repris par Borgomano in Ahmadou Kourouma, op., cit., p. 37

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Les paroles de Kourouma ci-devant signalées citées sont d’une accentuation

inouïe. Elles résument pratiquement son œuvre et, surtout, son style. La

« chambre » évoquée n’est rien d’autre que la part de l’originalité de tout

auteur.

Avant de conclure la partie sur Kourouma, revenons un moment sur la question

du style et de l’histoire dans les textes de l’écrivain. En effet, voyageant avec

son temps, l’écriture des romans de Kourouma étonne. Même si la présence de

son propre idiome n’est plus tout à fait de mise, les derniers ouvrages offrent

une nouvelle trame, de nouvelles perspectives du roman. L’auteur sait s’adapter

et adapter son « opus » à l’évolution de l’histoire.

Dans En attendant le vote des bêtes sauvages, l’auteur reprend la fiction à partir

des réalités de littérature « orale » africaine : la veillée. En Afrique

effectivement, la veillée représente le moment idoine pour raconter les faits et

gestes des héros au travers de contes ou des devinettes. Dans ce roman, il est

également question de romancer le « donsamana », sorte d’épopée malinké. Le

narrateur livre son récit à la manière d’un diseur d’épopée, avec toutes les

particularités qu’on lui connaît. Mais le donsomana est perçu comme le

moment de louanges faites à un président, vaillant guerrier et chef coutumier.

Le « récit purificatoire » est donné dans le but où Koyaga, personnage central

est en quelque sorte purifié des actes « diaboliques » engendrés à l’encontre du

peuple. Au-delà du récit, c’est le nouveau chemin de la norme romanesque que

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Kourouma inaugure. Une fois encore, l’auteur met à contribution le malinké

pour sortir une trame hors du commun.

Allah n’est pas obligé, quant à lui, est le roman ‘’paroxystique’’ de l’auteur.

Sans changer de style, il introduit pour la première fois l’univers de l’enfance à

travers un ensemble de guerres. La geste impressionne toujours. Elle s’empare

des origines afin de bien expliquer la suite du texte. Ce sont toutes des origines

d’une Afrique galvaudée par l’entrée en scène aussi bien des dictateurs que des

guerres et de rébellions. L’évolution romanesque suit son cours. Elle s’écoule et

s’achève dans le perfectionnement de la langue de l’autre. Bien plus,

l’originalité se dévoile dans cette nouvelle trame dès lors que l’auteur fait

apparaître le langage de « bon p’tit nègre ». Et son écriture est perçue comme

une mise en abyme. Elle retranscrit le langage quotidien du jeune soldat

Birahima qui, une fois encore se présente, comme une des victimes de ladite

guerre. Elle présente le méfait de cette guerre qui enrôle même les enfants.

L’incipit éloquent le signale. Une langue qui tout au long du récit sera

accompagnée d’explications, si possible. D’emblée, le protagoniste lève le

paradoxe sur sa façon de parler la langue française en situant lecteur :

« M’appelle Birahima. Suis p’tit nègre. Pas parce

que je suis black et gosse. Non ! Mais suit p’tit

nègre parce que je parle, mal le français, c’é

comme ça1… »

1 KOUROUMA (A), Allah n’est pas obligé, op. cit., p. 9.

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Les mots du petit soldat présentent une nouvelle variation du langage

romanesque chez Kourouma. Dans cette aventure, il modifie une fois de plus la

forme romanesque en employant contre toute attente une écriture « puérile »

qui fait chaque fois intervenir des explications des dictionnaires pour se faire

comprendre.

Pour conclure ce point sur Ahmadou Kourouma, disons qu’en quatre

publications romanesques, l’auteur n’a pas cessé de surprendre. Il a su garder sa

verve des origines, avec le premier roman. Bien plus que certains écrivains de

sa génération, il se joue du roman « traditionnel » grâce à un style et un langage

‘’malinké-français’’ qui occasionnent des effets inattendus et magiques de la

langue, sa langue. On peut donc affirmer, non sans peur que Kourouma a su

« adopter » la langue française.

A l’instar de Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi a lui aussi fait de la

langue française un « objet » entre ses doigts et son écriture.

2. 2 Le style de Sony Labou Tansi et/ou « dislocation 1»

L’étude de l’écriture du romancier Sony Labou Tansi revêt un caractère

important qu’elle puisse paraître comme un indice de dislocation et de refonte

1 Terme emprunté à NDONGO (J.-F.), Le prince et le scribe, Editions Berger-Levrault, 1988, p. 185.

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de la langue française. En effet, le choix de son langage et de son « paysage »

d’écriture laisserait imaginer la ferme volonté de « retravailler » la langue

française afin de mieux faire prévaloir l’idée qu’il défend. C’est ainsi qu’à

travers la syntaxe et la néologie, Sony choisit un type d’écriture bien particulier.

Répondant à A.-S. Malanda, Sony dit à propos du choix de son langage :

« Un écrivain, qu’on le veuille ou non, c’est

quelqu’un qui va dans la forêt du langage et qui se

met à débroussailler et à éclairer le paysage où il

va planter1. »

L’image définie par l’auteur est exacte en ce qu’elle permet de comprendre le

rôle de l’écrivain. Ce rôle qui peut avoir plusieurs indices consiste en la

transformation de la langue populaire, de la réalité de cette « forêt » en une

langue et une socialité retravaillées. Nous y voyons la spécificité de l’écrivain

ou simplement son style. Aussi, la relation directe de l’artiste et de la

communauté ne se trouve-t-elle que dans le produit finit qui est le Texte. Même

si certains théoriciens pensent qu’un écrivain ne crée pas puisqu’il ne fait que

transformer la réalité, il n’en demeure pas moins que ce dernier détient une part

d’originalité (et de soi) qui se tient dans la production achevée. Toutefois, de ce

travail de « dislocation » et de « déconstruction » ressort comme le montre

Cécile Lebon

1 MALANDA (A.-S.), « Le projet littéraire de Sony », Le mois en Afrique, n°205-206, mars 83, p. 144.

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« Une architecture (…) baroque et luxuriante, qui

fait éclater les canons esthétiques traditionnels. 1»

Par l’éclatement des ‘’canons traditionnels’’, l’auteur vise à la liberté du

peuple, ainsi qu’à la sienne propre. C’est dans cette optique qu’il soutient que

les

« Indépendances ont fait que les écrivains ont cessé

de regarder l’autre pour se regarder eux-mêmes et

[La Vie et demie, par exemple, est un regard sur

nous-mêmes] la volonté de créer notre propre

langage dans la langue française.2 »

C’est ici que peut s’entendre la question cruciale du langage dans la langue

française, du point de vue des écrivains francophones. Dans les lignes qui vont

suivre, il sera question de démontrer comment Sony Labou Tansi a réussi à se

« créer » une langue au sein de la langue française. En ce sens, nous étudierons

la syntaxe, la néologie et la création du nom. Dans deux ouvrages qui semblent

transcrire nos intentions : La vie et demie et L’anté-peuple.

D’abord la syntaxe. C’est à la fin des années 60 que les romanciers négro-

africains francophones ont adopté une écriture qui ne répond plus totalement aux

exigences du code linguistique français. Il en est certains qui aient voulu rompre

avec le français de Vaugelas pour se frayer de nouveaux chemins et de nouveaux 1 LEBON (C.), « Sony, rêver un autre rêve », Notre Librairie, n°125, janvier-mars 96, p. 106. 2 Propos recueillis par MAGNIER (B.), Antoine m’a vendu son destin, op.cit., p.131.

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canaux de langage et d’écriture. Parmi eux se trouve et se remarque Sony. Mais

avant qu’il ne se manifeste à partir des années 79-80, il y eut bien sûr la

génération de 68 composée de Kourouma, Mudimbé, etc. Le refus des

contraintes stylistiques se rencontre déjà chez les pionniers de la Négritude

comme Aimé Césaire (Cf. Le cahier d’un retour au pays natal.) La langue est

belle, châtrée, poétique tout en s’affranchissant des règles de la versification de la

langue française, telles qu’elles sont visibles de Molière à Char, en passant par

Hugo…

L’écrivain congolais tente de sortir des formes avilissantes de la syntaxe

traditionnelle en « bousculant les formes de la langue française1. »

En « bouleversant » la langue française, Sony va entreprendre de faire une

réappropriation de la syntaxe afin de rendre plus claire sa pensée. De ce fait,

naît la liberté de langage chez l’auteur. Cette liberté montre que l’auteur « tue »

la phrase française pour la remplacer par une autre qui ne répond plus aux

normes grammaticales recommandées. Aussi, passe-t-il par une sorte de

négation des œuvres traditionnelles. Cécile Lebon pense, à juste titre, que Sony

« rejette toutes les formes d’académisme et de

néologisme qui caractérisaient les premières

1 Idem, p. 131.

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générations d’auteurs négro-africains pour adopter

le polylinguisme1. »

Le « polylinguisme » trouve son sens dans les œuvres de Sony dans la mesure

où le sens des phrases devient plus ou moins difficile à cerner. Il écrit comme

par intermittence (et par à coups). On a l’impression que le personnage manque

d’imagination au point de prononcer des demi-mots. Les phrases ci-dessous

peuvent le montrer :

« Oui chérie. C’est des mots-graines. Qu’on plante.

Qu’on attend. Qui germent. Qui fleuriront et

porteront des fruits. Des mots de vie2. »

Ces « micro phrases » n’auraient pu former qu’une seule si l’auteur n’avait pas

usé de l’écriture filmique qui consiste à nommer par séquence. Cette

transcription entraîne le fait que Sony n’emploie plus souvent des prédicats :

« Nos odeurs. Les profondeurs. Ta profondeur

aussi (…) Mais les mots3. »

A ce moment, l’écriture laboutansienne s’apparente à celle de V.-Y. Mudimbé

1 LEBON (C.), op. cit., p.101. 2 SONY (L.-T.), L’anté-peuple, op.cit., p. 112. 3 Idem.

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qui, lui, a usé de l’écriture de la « neutralité » comme le souligne Ditougou1.

De plus, la syntaxe de Sony est idiosyncrasique. Elle peut renfermer deux

propositions, voire davantage, par le jeu des juxtapositions, des coordinations ;

ce qui en fait de paragraphes. Dans ce cas, la forme n’est plus au service du

fond ; l’écriture cesse d’être un instrument et un ornement pour revêtir une

valeur en soi. Nous nous situons désormais dans une sorte d’épopée sémantique

et syntaxique, comme le note Jacques Fame Ndongo2 à propos des écrivains

post-indépendances. La phrase, participe de la légende comme le récit tout

entier.

Voici un exemple de phrase tentaculaire et volontairement « choquante » :

« La loque-père ne répondit pas, le Guide

Providentiel lui ouvrit le ventre du plexus à l’aine

comme on ouvre une chemise à fermeture éclaire,

les tripes pendaient, saignées à blanc, toute la vie

de la loque-père était venue se cacher dans les

yeux, jetant le visage dans une telle crue

d’électricité que les paupières semblaient soumises

à une silencieuse incandescence, la loque-père

respirait comme l’homme qui vient de finir l’acte

d’amour, le Guide Providentiel enfonça le couteau

1 DITOUGOU (L.), ‘’Poétique de l’eschatologie dans L’Ecart de Mudimbé’’, Rapport de Licence,

Université de Libreville, 95-96. 2 NDONGO (J.F.), op. cit.

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dans l’un puis dans l’autre œil, il en sortit une

gelée noirâtre qui coula sur les joues dont les deux

larmes se rejoignaient dans la plaie de la gorge, la

loque-père continuait à respirer comme l’homme

qui vient de finir l’acte1. »

A la page 16 de La vie et demie, nous avons une autre phrase aussi choquante et

qui contient presque les trois quarts de la page :

« Le guide Providentiel se fâcha pour de bon, avec

son sabre aux reflets d’or il se mit à tiller à coups

aveugles le haut du corps de la loque-père, il

démantela le thorax, puis les épaules, le cou, la

tête ; bientôt il ne restait qu’une folle touffe de

cheveux flottant dans le vide amer, les morceaux

taillés formaient au sol une sorte de termitière, le

Guide Providentiel les dispersa à grands coups de

pieds désormais avant d’arracher la touffe de

cheveux de son invisible suspension ; il tira de

toutes ces forces, d’une main d’abord, puis des

deux, la touffe céda et, emporté par son propre

élan, le Guide Providentiel se renversa sur le dos,

se cogna la nuque contre les carreaux ; il en serait

1 SONY (L.T.), La vie et demie, op. cit., p.12-13.

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mort sur le coup, mais ce n’était pas un homme

fragile, il constata que ses mains étaient devenues

noires, d’un noir d’encre de Chine ; plus tard, le

Guide Providentiel passa des journées à vouloir

laver ce noir de Martial à tous les savons et à tous

les dissolvants du monde, le noir ne disparut pas. »

Comme on le constate, la syntaxe de Sony est très « écartelée » car elle se

trouve aux antipodes de la norme « logique. » Aussi, sans faire d’étude logique

(à l’ancienne), on peut affirmer que le nombre des verbes conjugués déduisent

indubitablement le même nombre de propositions. Ainsi, dans la première

phrase, quatorze verbes induisent quatorze propositions. La seconde phrase

recèle seize verbes pour seize propositions. Si nous restons dans cette logique,

les deux phrases complexes se seraient divisées en quatorze et seize phrases

simples respectivement. Or, chez l’auteur, et ainsi que nous l’avons indiqué, la

tendance est à l’écartèlement (total ou partiel) de la norme. Cette écriture

choquerait le lecteur non averti ou le grammairien « orthodoxe ». La volonté de

choquer le lecteur conduit l’auteur à

« la démesure, l’accentuation des ruptures et l’aggravation des

contrastes1. »

1 DEVESA (J.-M), Sony Labou Tansi, écrivain de la honte et des rives magiques du Kongo, Paris,

L’Harmattan, 1996, p. 104.

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Adieu la « juste mesure ». L’équilibre. La raison et les bienséances ont disparu.

Avec Sony, l’écriture se veut violente comme son contenu ; tandis que

l’aggravation de la phrase minimale intègre « certains procédés de composition

en usage en Kikongo et transposés en français. En ce sens que la coulée de

l’écriture de Sony intégrerait la « coulée verbale » de son terroir en faisant

intervenir à la fois (en même temps) sa langue maternelle et le français. C’est

dire aussi que la transposition de ces procédés participerait largement du désir

violent de « désacadémiser » la syntaxe. Dans la mesure où l’auteur écrit

comme il parle… tout devrait couler…tout devrait s’écouler…dans la

revendication certaine des libertés des peuples africains soumis aux dictateurs

de leurs « frères ».

A travers la syntaxe, les romans de Sony ne sont plus l’écriture d’une aventure

mais l’aventure d’une écriture. Car ils apparaissent comme l’une des

illustrations les plus éblouissantes de la « dislocation » de l’écriture. Et cette

nouvelle forme phrastique chagrine l’auteur dans son intention première : la

libération des peuples. D’autant plus que les mots qu’il emploie sont des mots

de Vie, nous rappelle-t-il dans L’anté-peuple.

Dans la vision d’écartèlement de la phrase, Sony introduit la néologie. En effet,

il use de plusieurs mots nouveaux, ou encore il emploie des mots connus mais

pris dans un sens différent. Généralement, Sony plaque ce sens nouveau selon

les contextes dans lesquels sont incrustés les mots. Le néologisme sonyien

découle, à partir des œuvres mises à notre disposition, d’une éventuelle

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application systématique du processus de dérivation pour des termes qui,

souvent ne possèdent pas des dérivés en français. Ainsi, la formation des mots

« nouveaux » obéit ici généralement aux règles du français standard mais

désormais « gauchisé » pour reprendre un terme de Balandier. Mais le

« gauchissement » dont fait état Balandier n’est rien d’autre que la recherche de

nouvelles significations caractéristiques le milieu sociolinguistique de Sony

Labou Tansi. En d’autres termes, le néologisme de Sony obéit toujours

implicitement à la volonté de demeurer dans sa société, tout en retravaillant les

mots. Issa Ibrahima le perçoit bien lorsqu’il déclare :

« Le néologisme [de Sony] est un fait indéniable

dans le texte (…) C’est une stratégie d’écriture que

Sony a consciemment choisie pour donner à son

écriture une « luxuriance » faite d’invention

verbale relevant de l’imaginaire de l’écrivain pour

exprimer une vision du monde dans une langue qui

lui a été imposée1. »

Selon notre entendement, il est question ici de la description des pouvoirs

dictatoriaux qui se rencontrent sur le continent africain. C’est sous cette

rubrique qu’apparaissent les jeux de mots ou calembours. Sony Labou Tansi

manie les mots, les « invente » et leur donne vie. De cette invention sortira une

1 IBRAHIMA ( I. ), ‘’La Rhétorique du rire dans la composition romanesque de Sony’’, Rapport de

Licence, 96-97 p.12.

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123

langue agglutinée, agglutinante, proche de celle appréhendée par le théoricien

et romancier Georges. Ngal1.

Les mots inventés se lisent dans tous les ouvrages de l’auteur. Il n’en n’est pas

un qui en soit épargné. Aussi, le tableau qui suit permet-il de voir dans deux

ouvrages de l’auteur que nous avons choisis quelques « créations » de l’écrivain

du Kongo. Il s’agit essentiellement de La vie et demie et de L’anté-peuple.

La vie et demie L’anté-peuple

Néologie Explication

Dérivation

Néologie Explication

Dérivation

Excellentiel

p.13

Excellence Viande

p.14

Corps

féminin

Tropicalité

p.55

Tropical Le train onze

p.15

Les pieds/Marche

Pygmologie

p.113

Pygmée Femme terminée

p.16

Femme âgée

Regardoir p.132 Isoloir Beugler p.23 Parler comme un

boeuf

Perruchot[er]p.175 Perruche/

bavarder

Fierots

p.27

Fiers/hautins

Chevelu de Nazareth

p.54

Jesus/messie Fermée p.35 Vièrge/pucelle

Providentia p. 17 Providence S’encochonner

p.48

S’emmerder

1 NGAL (G.), « L’œuvre de Sony : une poétique de la modernité » in Sony Labou tansi ou La quête

permanente du sens, Paris, L’Harmattan, 1997.

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Machine de

provocation

p.54

Corps/femme Blanconneries

p.61

Vins

occidentaux

… Vastement p.61 vaste

Queue

p.81

Verge/penis

NB : Certains mots sont formés à partir des noms déjà préexistants. D’autres

sont purement trouvés par l’auteur.

La création sonyienne peut aussi relever des termes dits orduriers, c’est-à-dire

qui choquent, mais qui participent de la création. Le langage de Sony frise un

langage qui obstrue la morale, comme celui noté par l’écrivain français Louis-

Ferdinand Céline dans Voyage au bout de la nuit. Cette envie de nommer et

d’appeler les choses par leur nom participerait surtout de la volonté de braver

l’interdit du langage romanesque. Ces termes sont les plus expressifs dans les

romans étudiés

La vie et demie L’anté-peuple

Con p.34 Con p.14

Merde p.40 Putin p. 23

Cul p.42 Merde p.24

Bander p.55 Couillon p.40

… Foutre p.54

… Chianterie p.61

Bordel p.63

Caca p.68

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Foutaise p.68

Queue p.81

Cul p.86

Comme chez Kourouma, Sony Labou Tansi fait intervenir des expressions et

adages de sa société, tout en les reformulant. Une fois répertoriées, ces

expressions toutes faites et ces adages subissent des transformations selon le

degré d’intentionnalité qu’ils portent et selon le contexte dans lesquels ils

demeurent utilisés. Un même mot, une même expression repris et retravaillés

plusieurs fois font entrevoir de nouvelles définitions et de nouveaux sens. Cette

ruse est la conséquence des interférences lexicales caractérisées par le transfert

culturel des langues locales vers la langue française. Ces interférences

apportent du sang neuf à la langue française. Selon Edit Kouba-Fila,

« les dérivations abusives et les déviations

constituent les moyens les plus répandus de la

création et de l’enrichissement du lexique du

français [parlé] au Congo1. »

Etant congolais, Sony use de cette structure de création dans ses romans. C’est

ainsi que l’on retrouve dans les deux romans une présence quasi certaine de

l’aspect sémantique, mais également de l’aspect morphologique des termes

employés par l’auteur. Sans changer dans la plupart des cas l’explication

1 KOUBA-FILA (E.), « Le français au Congo » in Le français dans l’espace francophone, tome2, publié

sous la direction de ROBILLARD (D.) et BENIAMINO (M.), Paris, Honoré Champion Editeur, 1993.

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originelle des lexies, la transformation du sens se fait sous des procédés dont

seul l’auteur a connaissance, et qui répond aux définitions et aux besoins de son

écriture.

Dans L’anté-peuple, le terme « moche » et ses dérivées est réécrit dans la

plupart des trente cinq pages, soit cinquante fois dans le roman. Seulement, il

change de signification chaque fois qu’il est énoncé. Dans

« un merdier, un moche merdier, ce monde1 »,

le syntagme « moche » qui pourrait dire « absurde ou invivable » ne porte pas

le même sens que le « moche » qui est dans :

« c’est moche ce qu’ils ont fait2. »

Et qui signifierait sûrement « anormal ou/et inconvenable »… Nous retrouvons

presque la même typologie dans La vie et demie avec le terme « tropical » et ses

constituants. Le mot « tropical » apparaît, plus de seize fois dans ce roman.

Une fois de plus, la recherche du sens de « tropical » est à prendre dans le

contexte d’énonciation.

« Il bandait tropicalement, mais sur le lit où il

s’était tropicalement jeté, ses yeux encore embués 1 SONY (L.T.), L’anté-peuple, op.cit., 65. 2 Ibidem, p.136.

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de vapeur de champagne providentiel, ses

premières caresses rencontrèrent non le corps

formel de sa femme, mais simplement le haut du

corps de Martial saignant noir et frais sur son lit

de noces1. »

Le premier adverbe « tropicalement » pourrait signifier

« sauvagement/durement » tandis que le second dirait peut-être « bizarrement

ou impoliment. » Comme il se note, le terme « tropical » renvoie lui aussi à de

multiples significations. Sony Labou Tansi a une forte tendance à l’anaphore.

Nous pouvons le constater avec le mot « enfer » qui est employé onze fois dans

un même paragraphe :

« L’enfer, l’enfer que Martial Layisho voyait son

agonie. L’enfer des mouches. L’enfer de fumée

sans feu. L’enfer des puanteurs. L’enfer des

graisses. L’enfer des crânes où les conceptions du

guide n’étaient pas entrées. L’enfer que peut-être

Martial avait voulu éviter en demandant à

Chaïdana de partir. On disait : l’enfer c’est le

bleu. L’enfer c’est les FS. Ils cherchaient

naïvement car l’enfer c’était eux2. »

1 SONY(L.T.), La vie et demie, op.cit., p.55. 2 Idem, p.145-146

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La répétition (à l’intérieur des phrases) du mot « enfer » pourrait faire penser

aux rythmes poétiques des anaphores cherchant à donner une plus grande

impression du mot cité plusieurs fois ou même créant une certaine invocation

du terme. Elle peut aussi indiquer une sorte de leitmotiv montrant le caractère

monstrueux du pouvoir de la Katamalanasie. Les exclamations inexistantes

auraient pu conférer aux phrases une dimension encore poétique. Ce type de

répétition se trouve également dans L’anté-peuple :

« Qu’on plante. Qu’on attend. Qui germent. Qui

fleuriront et porteront des fruits. » (p. 112)

La répétition est accentuée sur le pronom relatif « que » qui donne l’allure d’un

martèlement des coups sur quelqu’un ou quelque chose.

Dans un élan tout autre, Sony détourne les expressions et les adages populaires.

Il les réécrit selon son désir, sa volonté et son contexte. Il les adapte à sa

situation d’écriture. Tout cela participe bien sûr de la force stylistique de

l’auteur. L’impression qui se dégage est qu’il recrée de sens originaux. C’est le

roman L’anté-peuple qui renferme plusieurs cas. L’adage « anguille sous

roche » devient chez l’auteur

« anguille sous cœur » p.16

« anguille sous pirogue » p.126

« anguille sous béret » p.143

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« anguille sous natte » p.175

Chaque expression transformée trouve son sens dans le contexte duquel il est

tiré. Dans le même sens, Sony n’hésite pas de changer des proverbes. Le « on a

toujours besoin d’un plus petit que soi » devient : « On a toujours besoin d’un

plus grand que soit » p.32

Ensuite, le « on ne vend pas la peau de l’ours sans l’avoir tué » devient :

« Ne vantez pas le vagin de votre mère avant d’avoir tué

votre homme » p.185

Enfin les expressions à « coups de pouce » et « coup de foudre » deviennent

respectivement :

« A coups de cousins », « à coups d’oncle » p.63 et

« coups de chair » p.107

Enfin, Sony Labou Tansi imagine des noms. Ils sont dans la plupart des cas des

noms composés. Les noms composés qu’invente Sony sont essentiellement des

noms qu’il attribue aux personnages qui, eux, sont les enfants de Chaïdana-fille

et des vierges du Guide dans La vie et demie, surtout… Ce sont souvent des

noms qui rendent compte de la réalité et de la complexité de chaque personnage

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et qui incarnent en même temps le rôle de chaque personnage, comme dans

une pièce de théâtre. Pour Ngal, ces noms rythment

« Un sujet dont le destin est comme tracé par

[leurs] sonorités et [leur]musicalité1 »

car

« Chez nous, dit Sony Labou Tansi, le nom est

rendu par sa signification. Il porte le sceau du

destin2 »

L’illustration suivante en est une preuve :

Jean-Brise-cœur ;Jean-Cœur-de-Pierre ; Jean

Coriace ; Jean-Oscar-Cœur-de-Père ; Jean

Chlorure ; Jean Vulvani ; etc.

En somme, par les procédés stylistiques que nous venons de développer, nous

pouvons dire que Sony Labou Tansi participe de ce que nous nommerions « la

nouvelle écriture » des écrivains francophones d’Afrique noire. Et ces procédés

parfois inventés ou récréés donnent une liberté d’écriture et de langage qui

confirment à son tour le style de l’auteur dont l’objectif est de mettre le doigt

sur les abus des dictateurs africains, évitant par là-même tout obstacle langagier

1 NGAL (G.), « l’œuvre de Sony : une poétique de la modernité » in Sony Labou Tansi ou la quête

permanente du sens, op. cit., p.44. 2 Idem.

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131

ou formel. Une fois encore, Sony, à l’instar de Kourouma, a un rapport à la

langue française que le lecteur averti peut déceler, notamment par certains

indices. Un rapport dont le symbole du langage est à tirer dans le dialogue des

langues « française et kikongo » utilisées par l’auteur. Dans une toute autre

dimension, les textes de « l’écrivaine » camerounaise ne répondent pas toujours

à l’association des idiomes parlés par l’auteur. Et par conséquent, son rapport à

la langue française se situe aux antipodes de celui de Kourouma et de Sony.

Voyons tout de même ce qui pourrait se lire dans son style, à travers son souffle

romanesque.

2. 3. L’écriture de Calixthe Beyala

Jusqu’à ce jour, nous ne connaissons point de travaux qui portent sur le style

« stricto sensu » de Calixthe Beyala. De nombreuses recherches se sont limitées

à présenter l’auteur camerounais comme l’une des figures emblématiques de

l’écriture féministe d’Afrique. Pourtant, son écriture garderait, à l’instar de tous

les écrivains, une part ‘’propre’’ et certaine. Contrairement à ses aînés, Calixthe

Beyala adopte un style dénonciateur et « développe » surtout

« le discours féminin en écartant davantage les pans

du voile déchiré1. »

1 BRIERE (E.-A.), Le roman camerounais et son discours, Paris, Editions Nouvelles du Sud, 1993, p.222.

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‘’Le voile’’ auquel fait référence Eloise A. Brière est le langage tenu jusqu’ici

par les hommes. En effet, la trame romanesque de Calixthe Beyala présente

toujours le comportement et la vie de la femme devant celui de l’homme :

inégal et irresponsable. Le voile fait également un renvoi à la langue française

et à l’entrée des femmes dans le romanesque jusqu’ici abordé uniquement par

les hommes. Le style des textes de Calixthe Beyala adopte un ton un peu plus

rude à l’égard des hommes. Il leur donne une nouvelle dimension de la

littérature africaine. Etudiant singulièrement les romans de Calixthe Beyala et

de Werewere Liking, Anny-Claire Jaccard mentionne qu’elles ont permis à la

littérature camerounaise de devenir

« la plus originale et la plus novatrice de toutes les

littératures féminines de l’Afrique francophone1. »

Et Eloïse A. Brière, elle-même de corroborer le fait en déclarant que :

« leurs innovations techniques transforment le

terrain jusqu’ici masculin de l’écriture2. »

Le nouveau abordé par Calixthe Beyala est à regarder du côté des techniques

narratives qui induisent et suggèrent désormais ce que Brière nomme « le non-

dit du discours féminin ». Ce non-dit peut être perçu comme le fait de nommer

les choses avec crudité. Calixthe Beyala n’hésite pas, comme Sony Labou 1 Cité par BRIERE, Idem. 2 Ibidem. p.222.

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133

Tansi à appeler les choses réprimées, cachées qui ont toujours fait souffrir la

femme africaine. Le langage est dorénavant doublé du désir de rompre

totalement avec la culture africaine qui enferme la femme, selon elle, et la

volonté de donner à la même femme la parole qui lui était alors confisquée.

Pourtant dans l’élan qui consiste à donner la parole aux protagonistes, On note

un certain de mutisme de la part des personnages de Calixthe Beyala. Dans Tu

t’appelleras Tanga, par exemple, on peut lire ce mutisme dans le

comportement de la protagoniste qui n’arrive plus à ne rien dire durant des

heures. La narratrice explique ce fait par les nombreux événements qui sont

intervenus dans la vie du personnage :

« Ces phrases restent cerclées autour de ma

langue. Trop de malheurs l’ont nouée1. »

A travers ces paroles, l’auteur replace la femme dans un contexte

d’impossibilités qui ne favorise pas le dialogue, encore moins l’ouverture. Le

terme de fermeture de dialogue suggère l’image godotienne de l’attente. La

femme africaine attend-t-elle nécessairement quelque chose indéfiniment ?

C’est contre ce mutisme et cette longue attente que l’auteur décide d’écrire.

Dans C’est le soleil qui m’a brûlée, le livre présente Atéba, une jeune fille en

lutte, bien qu’elle ne soit ni en prison ni enchaînée, contre une situation qui

l’accable. Elle souffre de l’héritage séculier des femmes qui se prolonge jusqu’à

elle. Un héritage teinté de douleurs et de misère. Le ton de ce premier roman est

1 BEYALA (C.), Tu t’appelleras Tanga, op. cit., p.121.

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presque autobiographique, en ce qu’il est écrit à la première personne du

singulier. Mais l’auteur réussit tout de même à s’en éloigner en mettant en

scène des événements qu’elle n’aurait pas vécus. Denise Brahimi et Anne

Trevarthen avaient déjà perçu cette ‘’tricherie’’ dès la publication de

l’ouvrage :

« Ce livre [C’est le soleil qui m’a brûlée] a été d’un

grand choc dès sa parution en 1987 et même un

scandale peut-être parce qu’il est écrit partiellement

à la première personne, par une très jeune femme

qui, vraisemblablement, porte témoignage, même et

surtout si elle se dissimule un peu1. »

Calixthe Beyala conserve par conséquent un style de type « ancien » où l’on

retrouve le schéma traditionnel du roman. On peut dire qu’elle ne fait pas du

style une préoccupation première. Ce comportement pourrait se comprendre

dans la mesure où l’auteur ne pense d’abord qu’à présenter la pénibilité de la

vie de la femme au quotidien. Son écriture demeure une lutte contre la

phallocratie. Aussi se met-elle à écrire le corps de la femme dans toute sa

symbolique. La marque de la corporéité féminine apparaît plus dans les

premières œuvres dans lesquelles la Camerounaise se sert du corps pour

exprimer ce qui demeure enfermée dans ses personnages. A ce sujet on peut

dénombrer quelques travaux qui parlent aisément de la part du corps chez 1 BRAHIMI (D.), TREVARTHEN (A.), Les femmes dans la littérature africaine, portraits, Editions

Khartala et Ceda, 1998, p.198.

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Calixthe Beyala1. Les différentes contributions qui relatent la part du corps dans

l’œuvre montrent en général comment l’auteur se sert de ce corps sinon du sexe

pour mieux situer l’évolution de ses histoires. On peut y lire des figures de la

prostitution allant de la mère à la fille en passant par des amies. Beyala écrit le

corps comme on écrirait n’importe quel sujet de la vie. Le corps de la femme ne

lui appartenant plus du tout, il devient à la merci de tous les hommes et femmes

qui peuvent en abuser. A partir de cette écriture, Calixthe Beyala, avons-nous

déjà dit pose la question de la femme et du sexe dans une civilisation qui ne

cesse d’aller à vau l’eau. Odile Cazenave qui a établit les fonctions de la

prostitution dans l’œuvre de Calixthe Beyala estime qu’elle

« nous force à repenser le monde et questionner

chaque concept, afin de rechercher à remédier la

nonchalance de la société2. »

L’écriture de Calixthe Beyala se situe donc dans une dénonciation des écueils

de la société moderne africaine. Elle peut s’identifier à un langage du réel dans

lequel le style de l’auteur est englué dans les rapports de ses protagonistes au

monde.

1 On peut citer entre autres travaux : ceux d’Odile CAZENAVE dans Femme rebelles : naissance d’un

nouveau roman africain au féminin aux éditions L’Harmattan, parut en 1996 et d’Eloise A.BRIERE dans

Le roman camerounaise et ses discours, op.cit., 1996. y compris plusieurs mémoires et thèses en cours. 2 CAZENAVE (O.), Femmes rebelles, op.cit., p.92.

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Conclusion première partie

A partir de « vers le romanesque », nous avons essayé de montrer l’arrivée des

écrivains à l’écriture et les moments qui leur ont permis d’écrire. En outre, il a

été question de présenter le rapport des ces écrivains à la langue française. Cette

première argumentation a dénombré deux instants primordiaux qui constituent

le sujet indiqué : ‘’le balbutiement’’ de l’écriture et la langue des auteurs.

Il a été question en effet de présenter non seulement l’aire dans laquelle ces

écrivains sont parvenus à l’acte solitaire d’écriture, mais aussi à indiquer les

motivations de cette écriture. Une troisième chose est qu’il a été vu qu’en

dehors de Beyala, les deux premiers romanciers sont venus à l’écriture très

tardivement. C’est dans une Afrique déboussolée et « anarchique » que

Ahmadou Kourouma et Sony Labou Tansi ont pris la plume pour pouvoir

dénoncer les malversations de l ‘Afrique noire, notamment en Côte d’Ivoire

(pour A. Kourouma) et au Congo Brazzaville, pour ce qui est de Sony. Le

contexte socio-politique qui est donc à l’origine de l’écriture, aura favorisé une

écriture « cathartique » et contestataire. Dans la mesure où le roman devient le

lieu unique qui purge toutes les passions et toutes les pathologies dues aux

dictateurs. Quant à leur cadette littéraire, les conditions d’écriture se situent

dans une autre dimension de la vie des Africains. Laquelle dimension demeure

le « mépris » de la femme par l’homme. Calixthe. Beyala prend le roman

comme une espèce de lieu de dénonciation des conditions de la femme. Vivant

dans une société que l’auteur qualifie de « machiste », où l’homme seul

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règnerait en maître absolu, Beyala prend la plume pour dénoncer ces faits. Son

écriture devient aussi le lieu où se rencontrent dénonciation du mépris de la

femme et sa mise à l’écart. Mieux, la romancière cède désormais la parole aux

femmes jusqu’ici confisqués par les mêmes hommes.

‘’Le balbutiement de l’écriture’’ a exposé l’avènement des auteurs ou de leur

naissance en tant qu’écrivain. En élaborant la différence entre auteur et

écrivain, nous avons choisi, après Alain Viala de présenter Ahmadou

Kourouma, Sony Labou Tansi et Calixthe Beyala comme des véritables

écrivains, par le fait qu’ils ont écrit et surtout publié. Une particularité frappe

l’observateur : à part l’écrivain d’origine camerounaise, Kourouma et Sony

sont venus en littérature très tardivement, c’est-à-dire au-delà de la trentaine.

Fait quasi-important selon la vision de Robert Escarpit de l’entrée en littérature

d’un futur écrivain. Car l’âge d’entrée en littérature tient du même principe que

celui de la fin de l’écriture qui se situe à la fin de la vie de l’auteur.

Le second temps de la première partie est une sorte de continuité de la

naissance des écrivains. Il présente les romanciers dans leur pratique d’écriture

et surtout dans leur particularité stylistique. Il ressort qu’après avoir investi la

langue française, Kourouma, Sony et Beyala (dans une moindre mesure) ont su

apporter à cette langue une nouvelle structure. Ainsi participent-ils de la re-

création et de la reformulation de la langue française. A travers leur style

particulier, les romanciers adoptent une manière différente d’écrire en y

joignant leur « singularisme » culturel. A base de deux romans de chaque

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écrivain, nous avons essayé de présenter leurs originalités. Des originalités

langagières qui se lisent particulièrement dans la création verbale et dans la

recherche de l’originalité. Ahmadou Kourouma et Sony labou tansi, par

exemple, puisent directement dans leur propre idiome pour tenter de donner à la

langue française une dimension quasi inégale. Même si certains mots peuvent

paraître « barbares », il ressort que ces écrivains renouvellent une trame, surtout

une écriture romanesque longtemps restées à la suite des « Pères. » On peut

donc inférer qu’ils orchestrent-là un parricide au sens où ils tuent

symboliquement le père (quand ils décident de réorienter la langue française.)

En somme, cette première partie ouvre l’intégral du sujet que nous traitons.

Elle ouvre également la voie aux écrivains qui devraient être désormais pris en

compte non par leur origine mais par le fait qu’ils écrivent en langue française.

Le fait d’écrire dans une langue européenne entraîne l’idée selon laquelle ces

écrivains de langue française devraient bénéficier des mêmes conditions de

diffusion et de promotion en France. Pourtant la partie qui relève un paradoxe.

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DEUXIEME PARTIE :

MAISONS D’EDITION, DIFFUSION DES ROMANS ET

REUSSITE DES ECRIVAINS

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Introduction deuxième partie

De prime abord, il est juste de préciser que cette partie ne consiste pas en la

redéfinition de l’histoire de l’édition ou de celle du livre, encore moins celle de

la diffusion. Elle tente d’élucider les différents rapports et éléments qui

contribuent à la réception des romanciers que nous examinons. Elle se voudrait

ainsi explicative et démonstrative en ce qu’elle soumet chaque auteur selon sa

spécificité éditoriale et surtout selon les lieux de sa diffusion. Mais cela

n’empêche, le cas échéant, de faire un tour dans l’histoire éditoriale pour

exprimer tel ou tel autre fait.

Ayant indiqué la part de « naissance » de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou

Tansi et de Calixthe Beyala dans le monde littéraire, les chapitres qui suivent se

proposent effectivement de regarder les moments et les processus de diffusion

de leurs ouvrages (une fois publiés). Nul besoin de rappeler que nous nous

situons toujours dans la perspective de l’institution littéraire, qui permet de

considérer aussi les voies empruntées par les livres après leur(s) publication(s).

Il sera également question, dans ce temps, de présenter les différents prix

littéraires que les romanciers se sont vus attribuer et quelques fois discutés par

la suite.

Avant de penser à se faire publier et connaître, la littérature africaine

francophone a su se trouver elle-même. C’est ainsi que Ahmadou Kourouma,

Sony Labou Tansi et Calixthe Beyala, abandonnant l’imitation parfois servile

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de la littérature de la première génération, ont orchestré une fusion entre leur

imaginaire et leur « africanité1 ». Du coup, ils trouvent la meilleure

« partition », celle qui attire l’attention des éditeurs et du public.

Pourtant, en dépit de nombreux efforts déployés par certains chercheurs et

théoriciens de la littérature africaine francophone, l’accueil qui lui est réservé

en France demeure encore toujours assez tiède ; la conquête du public français

ne saurait être imputée aux écrivains, mais aux infrastructures de diffusion en

général. Cela est d’autant plus frappant que pour se faire connaître dans

l’Hexagone, l’écrivain africain doit y être publié, diffusé et lu. Nous pouvons

également affirmer sans peur que la diffusion du livre africain demeure souvent

« confidentielle » dans la mesure où il ne reçoit pas toujours le même

engouement que le livre publié par un Français ou par un autre écrivain

étranger peu ou bien connu. Il est rarissime qu’un écrivain africain soit reçu à

une émission spéciale au cours de laquelle il peut présenter son œuvre. Seuls

quelques rares instants leur sont offerts où parfois l’on passe rapidement sur

l’essentiel de l’ouvrage. Alors que l’on sait que la présentation à une émission

de télévision peut contribuer largement à faire connaître un romancier. A cet

égard, Ahmadou Kourouma et Calixthe Beyala sont illustratifs, eux qui ont

connu ce privilège. Sony n’étant plus de ce monde. (Ce qui paraît sûrement

logique). Qu’en serait-il si le livre africain était publié de façon soutenue chez

lui ?

1 Cf. Chapitre de la première partie : « Rapports entre romanciers et la langue française ».

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De façon générale, les écrivains d’Afrique noire francophone demeurent

confrontés aux multiples écueils relatifs à la publication et à la diffusion, voire

à la lecture de leurs textes ; bref à la réalité incertaine des maisons d’édition.

Cette situation, qui est ancienne, avait été déjà répertoriée par certains critiques,

comme Bernard Mouralis :

« le livre [africain] est tributaire d’un marché trop

étroit qui limite son expansion et tend ainsi à

favoriser l’intervention des pouvoirs publics 1»

La remarque de Mouralis nécessite qu’on s’y attarde un moment, car elle

résume presque l’ensemble des problèmes qui touchent l’ « expansion » du

livre (en Afrique). En effet, la rareté des maisons d’édition comporte de lourdes

conséquences sur les écrivains et leurs œuvres, y compris sur le public.

L’étroitesse de la distribution est due à l’absence totale ou partielle des

éléments ou moyens, capables de soutenir une maison d’édition locale. Ce qui

justifie largement le fait qu’un Africain ne puisse pas toujours recevoir un livre

aussi facilement qu’un Français. A ce sujet, Françoise Cevaër, qui a étudié,

entre autres, ‘’le marché du livre africain’’2 indique que le livre coûte cher et

qu’il est encore difficile pour un Africain de se donner le loisir de s’en offrir3.

En d’autres termes, le problème des maisons d’éditions locales est un handicap

1 MOURALIS (B.), op. cit., p. 58. 2 CEVAËR (F.), Littérature d’Afrique Noire : les conditions de production et de circulation du livre de

1960 à nos jours, Thèse de doctorat, Paris 13, juin 1992. 3 Idem.

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majeur non seulement pour l’écrivain, mais aussi et surtout pour le potentiel

lecteur dans la mesure où il ne peut rentrer en possession dudit livre, y compris

des paramètres économiques qui subsistent (manifestement). Ce qui a fait dire

une nouvelle fois à Cevaër et à bien d’autres théoriciens qu’il est aujourd’hui

difficile pour un Africain de se procurer un ouvrage. Vu sous cet angle, on

pointe alors des causes relatives au manque cruel de maisons d’éditions. Ces

nombreuses causes demeurent palpables. Elles peuvent être d’ordre

« endogènes », comme elles peuvent être d’ordre « exogènes. »

Les causes endogènes, propres aux pays africains, demeurent essentiellement la

faiblesse des moyens financiers. Car ni les particuliers, ni les Etats eux-mêmes

n’osent pas (souvent) investir dans le domaine éditorial. Le plus souvent, les

Etats n’investissent que sur commande, c’est-à-dire qu’ils orientent leurs

investissements sur des livres purement didactiques, feignant d’ignorer

l’absence ou la présence des maisons locales1. Un autre problème est celui du

coût d’achat du livre. Ayant dit plus haut qu’il est toujours difficile de s’en

procurer, eu égard à la chèreté du produit. L’Africain moyen ne peut se

permettre de dépenser de l’argent pour un ouvrage alors qu’il a autre à acheter

pour nourrir le sens. En fait la pauvreté des pays africains est un autre pan de la

question qui freine brusquement l’expansion du livre. Le livre demeurant

presque l’objet de luxe pour une certaine catégorie sociale. Il y a aussi que le

problème de l’illétrisme grandissant et de la culture générale, plusieurs africains

1 Dans la plupart des cas, les Etats africains préfèrent donner les parts de marché aux éditions françaises

qu’autochtones. Ainsi, Hâtier, Hachette… demeurent des modèles du genre. Pourtant quelques maisons

locales pourraient obtenir ces marchés si ces Etats investissaient dans ce domaine.

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scolarisés ou non abandonnent cet objet culturel au profit d’autres besoins. Les

freins socio-économiques sont : étroitesse du marché, public majoritairement

analphabète, faiblesse du pouvoir d’achat… C’est un tableau qui n’incite pas à

s’investir pour le livre, à quelque niveau que ce soit, à moins d’être un

passionné. L’industrie du disque, en comparaison, est moins chétive parce

qu ‘elle demande de compétence.

Parmi les causes exogènes, il y a l’implacable concurrence avec les pays

occidentaux, la France notamment, qui perdure. En effet, plus nantie que

l’ensemble des pays africains, elle se taille la part de l’ensemble éditorial des

auteurs dûment connus ou qui le deviennent. Du reste, certains auteurs sont

convaincus que pour vendre et éventuellement être lus, il faut être publié en

France. D’ailleurs, certains spécialistes ne disent pas le contraire. Jean-Yves

Mollier, qui avait présenté la maison d’éditions ‘’Actes Sud’’, estime que Paris

demeure toujours le centre éditorial le plus propice à la diffusion des œuvres, y

compris pour les étrangers dont la reconnaissance dans leur pays passe par la

publication en France. Même s’il décrivait la situation des écrivains dans les

années 1945-1950 et 1960, il n’en demeure pas moins que Mollier restitue le

propos séculier qui fait de Paris l’un des plus grands centres de l’édition au

monde. Il s’explique :

« Quels que soient l’intensité ou le caprice des

événements qui se déroulaient en France, Paris

demeurait la capitale éditoriale du pays et même

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celle des autres nations. De 1945 à 1958, rien ne

changea, et les auteurs nés dans les limites de

l’ancien empire colonial durent encore transiter

par Saint-Germain-des-Prés pour se faire

reconnaître dans leur pays d’origine, qu’ils se

nomment Kateb Yacine, Mohammed Dib, Albert

Memmi ou Sembène Ousmane. L’implantation de

foyers d’imprimerie en Afrique noire après 1960 se

révéla incapable de modifier cette situation, et, si

l’on en croit Pascal Casanova, le tropisme

littéraire de Paris n’a rien perdu de son

magnétisme à la fin du XXème siècle1. »

Ces propos de Mollier demeurent d’actualité, eu égard à la rareté des éditeurs

locaux, aux clichés de « suprématie » et prestige du Quartier latin (d’antan et

qui perdure). Il rend donc opérant l’hypothèse selon laquelle la plupart des

écrivains africains sont obligés de passer par Paris pour se faire un nom2.

1 MOLLIER (J.-Y.), ‘’ Actes Sud et la revanche des régions’’ in Où va le livre ?, Editions La Dispute,

2000, p. 113. C’est nous qui soulignons cette phrase afin de mieux la valoriser. Disons aussi que cette

situation avait déjà été évoquée par MOLLIER dans un de ses textes intitulé ‘’Paris, capitale éditoriale des

mondes étrangers’’ in Le Paris des étrangers depuis 1945, sous la direction d’Antoine MARES et Pierre

MILZA, Publication de la Sorbonne, 1994, p. 373-394. 2 Comme nous l’énoncions, si cette attitude qui consiste à revaloriser Paris pour les Africains persiste, c’est

parce que les nations africaines n’arrivent toujours pas à donner plus de moyens et de chances aux éditeurs

locaux qui émergent des cendres d’une économie souvent brisée. Et tant qu’aucune politique du livre

n’existera pas, le tropisme parisien survivra. Peut-être faudra-t-il désormais intégrer cette situation comme

allant de soi chez les Africains.

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Au-delà de ces multiples péripéties éditoriales, les ouvrages africains en France

restent toujours méconnus, y compris ceux qui y sont publiés.

Afin de mieux comprendre ce que nous voulons présenter « hic et nunc », il

convient de donner les sens du terme « diffusion » examiné et ainsi ne pas

perdre de vue la réalité que nous tentons d’atteindre. Cependant, de temps à

autre, il sera vu également le parcours du concept de " publication". La notion

de publication apparaît ici parce qu’il ne peut se faire de diffusion sans

publication d’ouvrages au préalable. Par la même occasion, il sera question de

parler de la « distribution » desdits ouvrages dans l’espace français uniquement.

Les lignes suivantes permettent de regarder les chemins et surtout les endroits

qui participent de la « vulgarisation » des œuvres littéraires, notamment celles

des écrivains africains dont Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi et

Calixthe Beyala..

Selon Le Petit Larousse Illustré1,‘’diffuser2 ‘’ revêt quatre principales

significations. La première, qui ne nous touche pas derechef, est l’action de

‘’répandre dans toutes les directions.’’ On peut l’assimiler à la dispersion. La

seconde acception est relative à l’idée de ‘’retransmettre une émission par la

radio, la télévision’’. Diffuser prend dans ce cas le sens de propager. La

troisième définition de l’idée de diffuser est le fait ‘’d’assurer la distribution

1 Le Petit Larousse Illustré, 1999, p. 334. 2 Il est utilisé ici le verbe au lieu du transitif ‘’diffusion’’ car le verbe englobe, ce nous semble, la force du

concept. Il résume, du moins en ce qui concerne cette partie du travail, la totalité explicative du concept.

C’est pourquoi pour faire une nette différence, nous avons jugé utile de donner d’abord toutes les

définitions de ‘’diffuser’’ avant d’en extraire celles qui touchent à notre question.

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commerciale d’une publication’’. Enfin on peut voir dans ce concept ‘’la

promotion et la représentation de certains produits, en particulier des livres ou

des réalités culturelles’’.

De ces quatre définitions, il convient de ne retenir que la troisième et la

quatrième qui concernent d’emblée notre travail. A la rigueur, la seconde

définition pourrait entrer dans notre observation en ce que dans l’idée de faire

connaître une œuvre _ici le roman_, la radio et la télévision peuvent intervenir

afin de ‘’propager’’ la parution de tel ou tel autre ouvrage des auteurs. Les

définitions du Petit Larousse rejoignent celle énoncée aussi par Pingaud et

Barreau, « pris verbalement », selon laquelle, ‘’diffuser’’ c’est,

« commercialiser, c’est-à-dire susciter la commande

des acheteurs,(détaillants, bibliothèques, librairies,

enseignants…) par l’intermédiaire d’un réseau de

représentants et pour le compte d’un ou plusieurs

éditeurs1. »

Cette définition résume un tant soit peu toute l’activité qui tourne autour de la

diffusion. Bien plus, elle touche le côté commercial de cette activité qui est

souvent mis ‘’sous le boisseau’’ et qui pourtant, existe.

1 Définition reprise par CEVAËR (F.), Littérature d’Afrique noire, op. cit. p. 140.

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L’acte d ‘écrire suppose toujours déjà un acte solitaire. Dans la plupart des cas,

les écrivains se créent un espace et un endroit solitaires qui puissent leur

procurer la muse. Ils s’échouent loin des autres. Loin du monde quotidien.

Cependant une fois terminée, l’œuvre acquiert une autonomie que même son

auteur ne soupçonnait pas au moment de son écriture. Pour qu’elle existe

absolument, une œuvre doit faire cavalier seul et se doit de rencontrer ceux qui

seront censés la retenir ou la rejeter par l’autre acte solitaire qui demeure la

lecture1. Aussi, les romans de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de

Calixthe Beyala suivent-ils des chemins « libres » de leur sort. Ils obéissent à la

définition de Robert Escarpit2 sur le concept de publication. En effet, publier

une œuvre selon ce sociologue de la littérature,

« C’est la parachever par son abandon à autrui.

Pour qu’une œuvre existe vraiment en tant que

phénomène autonome et libre, en tant que créature,

il faut qu’elle se détache de son créateur et suive

seule son destin parmi les hommes3. »

Les propos d’Escarpit déterminent clairement ce que devient une œuvre. Une

fois édité, le livre se « détache » de son créateur. Elle commence un chemin

unique qui peut s’achever entre les mains d’un lecteur ou d’un critique…

Escarpit présente le fait de publier comme celui d’un détachement, d’une

1 Cf. Troisième partie où nous reviendrons longuement sur l’autre pendant de l’auteur, le lecteur. 2 ESCARPIT (R.), Sociologie de la littérature, ‘’Que-sais-je’’ ? Paris, PUF. 1ère édition, 1964, 127 p. 3 Ibidem.., p. 58.

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séparation du créateur – l’écrivain- de sa création – le roman. Pour que cette

œuvre ait un sens, il faut absolument qu’elle ‘’s’autonomise’’, qu’elle devienne

indépendante. Le sociologue de la littérature parle d’une sorte de ‘’violation’’ et

de ‘’naissance’’ au sens de procréation. En somme, Escarpit compare cette

violation à l’acte de publier. Un acte qui correspondrait à un ‘’accouchement’’,

qui selon lui demeure une effraction,

« une séparation douloureuse d’une part, mise en

circulation d’un être nouveau autonome et libre de

l’autre1. »

De cette nouvelle définition, il ressort que l’acte de publier est un moment

terrible, un acte douloureux mais qui permet à la création -le livre- de mener

son propre destin. Cependant, ne pouvant mener seule cette destinée, les

maisons d’édition et les éditeurs ( appelés, aussi par Escarpit, ‘’accoucheurs’’)

participent de ce chemin qui fait connaître la nouvelle œuvre. Nous pouvons

assimiler ce destin du livre aux circuits de distribution, lesquels sont

généralement les librairies, les grandes ou petites surfaces, et l’institution

scolaire. On parle donc de la diffusion du livre.

Ayant emprunté à Robert Escarpit la métaphore de ‘’l’accouchement’’, le sens

que l’on peut donner à la diffusion, telle qu'on la conçoit, peut être vu comme

les premiers pas d’un nouveau -né. Son premier envol. Tout au plus, la

1 ESCARPIT (R.), Sociologie de la littérature, ‘’Que sais-je’’, ? Paris, PUF, 1ère édition, 1964, p.58.

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diffusion du livre est perçue comme la promotion dudit livre, comme le

moment où l’œuvre va « s’exilant » dans un monde qu’il ne maîtrise pas

souvent, du moins économiquement. Laquelle promotion entraîne toutes les

méthodes relatives à faire connaître ‘’la disponibilité d’un titre, du nouveau’’.

Ce qui correspondrait pratiquement au ‘’lancement de sa vie’’

Pour Nathalie Heinich1, qui a étudié entre autres ‘’la sociologie de l’art’’ et

l’épreuve de la grandeur’’, la publication ressemblerait à l’instant suprême qui

fait se changer l’état d’un écrivain. Ne devient écrivain que celui qui est passé

de l’écriture « pour soi » à l’écriture « pour l’autre. » En d’autres termes, le

principe de publication est relatif à l’instant où l’écrivain se détache de son

œuvre pour la laisser à autrui. Il y a donc comme une séparation de l’auteur

avec son ouvrage. On constate que Heinich reprend (tant bien que mal) la

conception de Escarpit sur la publication, qui est du reste, l’appréciation

générale de ce principe. Au vu de ce qui précède, publier reviendrait à se

détacher de son œuvre pour la mettre hors de soi. Et diffuser serait donc

l’appréciation de toute idée positive pouvant faire acheter un livre. Ce qui

constitue un des moments idéaux de la réception des auteurs. D’autant plus que

la diffusion et surtout la production et la consommation d’une œuvre

demeurent, comme l’a noté B. J. Warneken et repris par Hans Robert Jauss,

1 HEINICH (N.), Être écrivain, création et identité, Editions La Découverte & Syros, Paris, 2000, p. 70.

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« les moments d’un processus dont la production

est le véritable point de départ, et donc le facteur

prédominant.1 »

En somme, la production ou la publication de l’œuvre, complètement

marxisante peut faire évoluer ladite œuvre vers une diffusion et une réception

absolues, c’est-à-dire en produisant l’effet et le sens escomptés sur le public. En

évoquant la conception marxisante du livre, nous atteignons la part du marché

qui ressort dans la publication d’un ouvrage. Dans ce sens, l’ouvrage est pris

comme tout autre objet commercialisable. Et tous ces phénomènes – la

production, la publication et la diffusion – prennent évidemment appui dans les

circuits de marché et d’expansion du livre.

Aussi, pour paraître plus concret, peut-on penser que les ouvrages de

Kourouma, de Sony et de Beyala bénéficient-ils de la véritable diffusion ? Si la

réponse est positive, pourquoi alors rencontrent-ils ‘’des obstacles’’ devant

leurs réceptions en France ? Ainsi, l’idée de la réception émise en ce moment

peut être confondue à celle de l’accueil. Et pour qu’il y ait un véritable accueil,

il faudrait d’abord que les moments de celui-ci soient respectés : la production,

la diffusion et la distribution. Ici, nous n’atteignons pas encore l’autonomie de

l’œuvre dont l’esthétique de la réception est à regarder dans l’effet et la

signification du texte, tels qu’ils avaient été élaborés par Hans Robert Jauss.

1 JAUSS (H.-R), Pour une esthétique de la réception, Paris, Editions Gallimard, 1978, pour la traduction

française et la préface, p. 272.

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L’objet de cette partie consiste donc en la présentation des chemins pris par les

romans de Kourouma, de Sony et de Beyala et principalement les endroits de

diffusion de ces œuvres. Cependant, nous regrettons le manque de coopération

des maisons d’édition pour certaines informations qui nous auraient aidés à

mieux présenter cette partie. Toutefois, afin de rester le plus concret possible,

une série de questionnaires, dont l’objectif a été de recueillir de nombreux avis

sur les différents romanciers et leurs ouvrages, a permis de mieux traiter ce

chapitre. Comme échantillon, nous avons choisi celui qui demeure le plus

représentatif, à savoir, deux lycées, deux universités, deux bibliothèques

universitaires et municipales et une dizaine de librairie. Bien sûr, toutes ces

études n’apparaîtront qu’après avoir présenté les deux principales maisons

d’édition, Le Seuil et Albin Michel qui publient Kourouma et Sony, d’une part,

et Beyala, d’autre part.

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Chapitre 3 : Maisons d’éditions et rapports entre

Editeurs/Ecrivains.

3 .1 Les maisons d’éditions

3. 1. a Les éditions du Seuil

La création des éditions du Seuil par le publicitaire Henri Sjöberg remonte à

l’année 1935. Depuis 1945, Le Seuil se trouve au 27 rue Jacob dans le

cinquième arrondissement parisien.

Orientées dès le départ vers un public « intellectuel », les éditions du Seuil

publient des ouvrages bien plus théoriques que généraux. Pourtant, de nos

jours, Le Seuil se voudrait ‘’œcuménique’’, en ce qu’il réunit des genres variés.

Cette maison édite non seulement des œuvres philosophiques, psychologiques,

scientifiques, etc., mais aussi des livres purement littéraires, notamment des

romans. En somme, toutes les sciences y ont leur place.

En littérature essentiellement, Le Seuil s’est fait connaître à partir des années

1950 avec « la série des Don Camillo de Giovanni Guareschi1. » Bien plus

tard, c’est le premier prix Goncourt de 1959 décerné à André Schawrz- Bart

pour son ouvrage Le dernier des justes, qui fera de la « maison un compétiteur

important pour les prix littéraires », raconte Pascal Fouché2.

1 FOUCHE (P.), et al., L’Edition française depuis 1945, Electre-Editions du Cercle de la Librairie, 1998, p.

794. 2 Idem.

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C’est aux éditions du Seuil que l’on doit la véritable approche dans le domaine

du livre du format de poche ou de collection de poche. En effet, après ses

voisins anglais et Albin Michel en France, Le Seuil décida de se lancer dans le

format de poche. Facilement transportable, le petit format devient le

compagnon du lecteur dans tous les lieux. Avec ses dimensions réduites, il

devient le livre ou le format du livre le plus apprécié. Malgré les réticences de

certains ‘’conservateurs’’1 ( qui voient toujours dans ce format une dépréciation

du livre), le livre de poche joue un rôle principal dans l’édition. En 1993, par

exemple, plus de 110 millions d’exemplaires ont été commercialisés. Ce qui a

permis aux éditeurs de se faire un chiffre d’affaires important. Aujourd’hui, le

format de poche continue son expansion avec son prix réduit.

Contrairement à certaines maisons d’édition, Le Seuil détient ses propres

équipes de diffusion et a participé même de la diffusion des autres maisons.

Aussi, Le Seuil a-t-il

« un outil de distribution performant [qui] assure

ses services pour les Editions de Minuit à partir de

1981. En 1984, il prend en diffusion les Editions

1 A propos de l’apparition du livre de poche en France, plusieurs théoriciens virent que ce fut de la culture

au rabais ou encore de la ‘’culture de poche’’. Car selon eux, la culture, la vraie demeure rare et

inaccessible. A notre avis, ceux-là confondirent la relation entre le livre, comme support matériel, et livre

comme élément de diffusion de culture justement. Parmi ceux qui défendirent la livre de poche, on peut

citer Sartre, qui, estima à juste titre qu’il ne fallait pas diaboliser ce format accessible à tous. Aujourd’hui le

débat est épuisé dans la mesure où le livre de poche est devenu un objet de culture comme tous les autres

formats.

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Arléa créées par Jean Claude Guillebaud, et en

1986, les Editions Odile Jacob1. »

A suivre Pascal Fouché, on s’aperçoit que Le Seuil représente plus qu’une

moyenne maison d’édition, comme l’aurait souligné Françoise Cevaër dans sa

thèse sur ‘’la littérature d’Afrique noire et ses conditions de production’’. Car la

puissance de distribution dont le Seuil dispose dépasse largement les limites

d’une petite maison ou d’une dizaine des maisons d’éditions africaines réunies.

D’ailleurs, Le Seuil, maison indépendante demeure l’une des rares maisons qui

ait réussi.

Selon les responsables du Seuil, cette maison d’édition a un rôle exclusivement

littéraire et culturel. D’où le nom « Seuil » qui caractérise l’entrée, l’ouverture

dans le monde de l’esprit. Le Seuil symbolise en effet, non seulement la

diversité des écrivains conversant entre eux, mais aussi le dialogue des cultures

aux portes de la littérature. Répondant à Cevaër sur la diversité des littératures,

Gilles Carpentier, un des ses responsables, déclare :

« Je fais de la littérature (…) Il s’agit de produire

des biens culturels d’un type déterminé, dont la

distinction s’établit seulement esthétiquement, qui

vont à l’encontre de la tradition littéraire et des

1 FOUCHE (P.), op. cit., p. 794.

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exercices du style ‘’scolaires’’ pour la réalisation

d’une essence singulière1. »

A y regarder de près, les propos de Carpentier corroborent ce que nous

énoncions plus haut. A savoir que Le Seuil attache son nom aux multiples

événements marquants de la vie intellectuelle. Bien plus, il accorde une grande

valeur à la norme linguistique et langagière, au-delà de tout exercice didactique.

Il s’agit pour Le Seuil de prendre en compte la primauté de ‘’l’écart’’ et de la

création ‘’atypique’’. En outre, il permet à l’auteur d’attendre une singularité et

une ‘’esthéticité’’ bien particulières. Ainsi, la maison d’édition, va à la

découverte des jeunes romanciers et grands écrivains étrangers. C’est, pour

parler de nos écrivains, l’une des raisons pour lesquelles Le Seuil publie

Ahmadou Kourouma et Sony Labou Tansi, dont l’originalité et la différence ne

sont plus à prouver ni à démontrer sur le plan esthétique justement. C’est donc

à travers cette différenciation stylistique que Le Seuil englobe les œuvres tant

françaises qu’africaines « dans un ensemble indifférencié », nous-dit Cevaër2

En outre, du seul point de vue esthétique, d’autres maisons d’éditions comme

Hâtier, qui, selon Gilles Carpentier « ne fait pas de la littérature mais de la

culture au rabais 3», voudrait s’identifier au Seuil.

1 CEVAËR (F.), Littérature d’Afrique noire, op. cit., p.354. 2 Idem, p. 355. 3 Idem, p. 356.

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L’exclusion, ici de Hâtier (fondée en 1880 par Alexandre Hâtier), du domaine

« littéraire » se comprend dans la mesure où il est intéressant d’indiquer la

différence des missions du Seuil et de cette maison. La grande publication de

Hâtier en effet reste des ouvrages didactiques et scolaires1. On doit à Hâtier la

mise en circulation du célèbre livre d’apprentissage de la conjugaison

‘’Bescherelle’’ par exemple. Et selon l’éditeur, en 1970, la maison s’investit

dans le parascolaire. D’ailleurs, cette maison d’édition intervient presque dans

toute l’Afrique francophone en ouvrages scolaires, avec le concours des

ministères de l’éducation nationale. La caractéristique de Hâtier à ne se baser

que sur la production scolaire et parascolaire, fait que cette maison ne peut pas

rentrer dans le « champ de production littéraire 2», élaboré par Pierre Bourdieu.

Pour le sociologue de la littérature, toute maison d’édition qui fait autre chose

que de la littérature « pure » ne peut être prise en compte dans ce grand champ

littéraire. Par rapport à ce que nous venons de voir, il y a une sorte de

classification et de catégorisation des maisons d’éditions. Dans le même ordre,

une nouvelle exclusion se pointe dans la présentation des œuvres, cette fois au

sein du Seuil.

Malgré le fait qu’il englobe tous les textes ‘’dans un ensemble indifférencié’’,

Le Seuil avait élaboré une stratégie qui consistait à ‘’écarter’’ les œuvres

africaines du grand champ littéraire français, du moins à en produire

1 Comme nous l’évoquions en introduction de partie, Hâtier est bien plus présent dans l’institution scolaire

que dans la production théorique. 2 BOURDIEU (P.), ‘’L’Economie de la production des biens’’ in Actes de la recherche en sciences

sociales, février 1977, p.7.

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doublement une même œuvre. Un livre africain édité chez Seuil peut paraître

sous deux formes. Le livre broché, avec ruban rouge et plus joli à regarder est

destiné au public français, tandis que le livre de poche ou livre ‘’de grande

consommation’’ est envoyé en Afrique. Cette culture différentialiste peut

conduire à des incidences ‘’psychologiques’’ pour les avertis, d’autant plus

qu’une division du lectorat se fait dès la maison d’édition jusqu’à la

présentation de l’ouvrage au public. Françoise Cevaër avait déjà remarqué cette

différence abusive :

« Les livres brochés sont destinés à un public

d’intellectuels, au public de la littérature ; aux

fidèles du Seuil vivant essentiellement en France.

Au contraire, les titres parus dans la collection de

poche sont destinés à un public moins ‘’ciblé’’,

plus large, au public du pays d’origine, destinés en

tous cas à l’exportation1. »

Et les propos ci-après de Gilles Carpentier accentuent cette forme d’exclusion.

En insistant sur le format et leur présentation, Carpentier fait naître une

distinction de production économique, en séparant les ouvrages publiés :

« Pour ces livres-là [livres de poche], Le Seuil

avait adopté une politique différente qui consistait

1 CEVAËR (F.), op. cit., p. 357.

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à les publier dans une édition bon marché, destinée

à l’exportation. En principe, ces livres ne sont pas

vendus en France. Ainsi, les œuvres pourraient

atteindre leur public naturel1. »

L’écho des mots de Carpentier cités par Cévaër renvoie directement à des

réalités, à des contextes socio-historiques déterminés. L’universel peut-il

procéder d’une généralisation- c’est-à-dire un processus qui part d’un

particulier ou, au contraire, désigne-t-il un phénomène transversal- c’est-à-dire

interculturel préexistant ?

Même si les conditions économiques semblent défaillantes, les raisons

invoquées dans la justification de cette différenciation manquent purement et

simplement d’objectivité, en ce que ce qui devait compter seul est le Texte et le

Message délivré. Cependant, l’auteur de ces propos s’en repent quand il parle

de ce qui fait l’essence d’un texte : le style.

Quoi qu’on lise une exagération des propos de Cevaër et de Carpentier, il

convient de mentionner, et c’est réel, qu’il existe une différence sur le plan de

la conception du livre chez Seuil. D’emblée nous nous situons une fois de plus

dans un subjectivisme séculier et inopérant. Toutefois, Le Seuil demeure l’une

des rares maisons qui ait su s’ouvrir aux écrivains africains francophones2 et

1 Propos recueillis par CEVAËR, Ces écrivains d’Afrique noire, op. cit., p.165. 2 Même si cela s’est fait avec beaucoup d’égard. Nous y reviendrons lorsqu’il sera question des relations

entre Editions et auteurs.

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dont la notoriété va crescendo. Voyons à présent la présentation du côté de

Albin Michel qui publie la romancière Beyala.

3. 1. b. Les Editions Albin Michel

C’est dans les années 1900 qu’Albin Michel fonde la maison d’édition qui porte

son nom. En 1910, le 22 rue Huyghens devient le siège de l’entreprise. Bien

plus que Le Seuil, Albin Michel diversifie sa production. Elle diffuse en effet

des ouvrages scolaires, des romans, des guides techniques et pratiques.

Dès 1945, alors que Robert Esménard vient de prendre la direction de la

maison, un an plus tôt, l’activité éditoriale redémarre avec plusieurs

publications. Dans le domaine littéraire, c’est l’année 1953 qui voit paraître les

premiers romans de trois auteurs (appelés) à (grand) succès : Robert Sabatier

avec Alain et le nègre, Machel Ragon avec Drôle de métier et Georges

Conchon avec La grande lessive. Ce dernier écrivain obtiendra en 1964 le prix

Goncourt pour L’Etat sauvage. Pour Albin Michel, c’est l’éclosion totale d’une

maison qui perdure, car dès 1917, Henri Malherbe se voit couronné du prix

Goncourt pour La flamme au poing. Depuis, la maison va de succès en succès.

On peut noter, entre autres prix, le Goncourt de 1921 attribué à René Maran

pour Batouala, roman nègre qui déclencha une rude querelle.

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Sur le plan de la diffusion, Albin Michel, qui s’était toujours édité et distribué

seul, décide sous l’impulsion d’un des fils de Robert Esménard-Francis- d’unir

ses forces commerciales et logistiques à deux autres maisons : Stock et Robert

Laffont. Ainsi, en 1963, les trois maisons d’éditions créent une commune

société de distribution nommée Forum. Mais en 1972, Albin Michel se retire de

cette organisation pour se faire distribuer par Hachette.

Dans les années 80, la maison se structure en plusieurs départements littéraires :

la littérature française, la littérature étrangère, les livres pratiques et les beaux

livres, etc. A ce qui semble, Albin Michel ne fait aucune démarcation entre les

auteurs français et les auteurs étrangers. Il publie tous les écrivains sans

distinction formelle. C’est ainsi que Calixthe Beyala, depuis 1993 est éditée et

publiée chez Albin Michel. En plus du prix de l’Académie Française en 1996

pour Les honneurs perdus, la romancière s’exporte de plus en plus à l’étranger,

notamment aux Etats-Unis où elle est étudiée et où elle organise de nombreuses

conférences. Pour l’éditeur, Beyala est considérée comme l’un des auteurs

majeurs de la francophonie et mérite une attention particulière.

Les années 90 se caractérisent par une forte croissance. En 1991, Albin Michel

devient l’actionnaire principal du Grand livre du mois avec 33% des parts. Au

quatrième rang des éditeurs français, le groupe Albin Michel, incluant les

groupes Magnard ( Editions Magnard et Vuibert), Mila éditions, la Sedrap,

Dervy, arrive en tête des éditeurs de sa taille toujours indépendants.

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Depuis 1992, Albin Michel publie environ 450 nouveautés par an contre 100

en 1967. Et pas une année ne s’est écoulée sans qu’un auteur ne figure parmi

les meilleures ventes annuelles de l’édition française. Et sans qu’il n’y ait

d’écrivains inscrits aux tableaux des récompenses littéraires.

Aujourd’hui, comme pour confirmer la tendance des années 90, Albin Michel

est en tête du classement des maisons d’éditions indépendantes, en même temps

que les prix littéraires continuent de récompenser ses auteurs. Aussi, est-il juste

de retenir dans ce champ éditorial, qu’Albin Michel ne cède pas à la

différenciation des écrivains. Tous les romanciers y sont logés à la même

enseigne. Seul compte le génie artistique pour s’y faire publier. Et

contrairement à ce que nous avons vu chez Seuil, il n’existe pas de

catégorisation sur le plan formel. Un même ouvrage de Beyala est publié sous

une seule et unique forme, et il n’y a pas de romans propres au lectorat français

ni au lectorat d’origine. Albin Michel a donc su s’élever au-dessus des clivages

« d’origine ». Et c’est en cela qu’il est intéressant et ‘’novateur’’.

Après cette présentation laconique des maisons d’éditions Le Seuil et Albin

Michel, il convient de regarder les rapports qui lient ces deux maisons aux

romanciers dont il est question dans ce travail.

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3. 1. c. Rapports Editeurs et Ecrivains

En introduisant cette deuxième partie, il a été question de désigner les

difficultés relatives aux maisons d’édition pour les auteurs en général et

singulièrement pour les auteurs africains. Une fois trouvée, la maison d’édition

(via son responsable souvent) et les écrivains entretiennent des relations qui

peuvent être sains ou conflictuels, selon les cas.

Dans la plupart des ‘’procès’’, les auteurs dénoncent la part des liaisons qui leur

est souvent réservées par les éditeurs. En fait ces derniers les cataloguent

d’emblée d’écrivain ‘’africain’’ au lieu de ne présenter que le seul concept

‘’d’écrivain’’ qui devrait seoir à tous les auteurs. Dans tous les cas, on parle

toujours d’écrivain africain et non de la désignation de la nationalité de ce

dernier. Par exemple, il est rare de parler de Kourouma en tant qu’Ivoirien, de

Sony Labou Tansi, en Congolais et de Beyala en Franco-camerounaise, comme

si l’Afrique pouvait se réduire à un pays. On pourrait croire également que les

éditeurs brisent déjà le mur des littératures nationales pour rentrer dans la

littérature africaine globalisante, c’est-à-dire qui ne tiendrait plus compte des

diversités culturelles. Pourtant, cette façon d’apprécier les écrivains africains

peut obliquer la réception d’une œuvre en France dans la mesure où les lecteurs

voulant (sûrement) lire un auteur particulier, se trouvent en butte devant

l’aspect générique du livre africain qui lui est souvent proposé. Même si les

auteurs disent, vivent et retranscrivent à peu près la même chose, on devrait se

défaire de l’amalgame rapide trop souvent opéré dans ce cas. La littérature

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européenne englobe toutes les littératures française, hollandaise, allemande, etc.

soit, mais il y a toujours une différence au niveau de la pratique en ce que les

littératures sont nommées sous le vocable de littérature nationale d’abord et

européenne ensuite. Or, dans le cas des auteurs africains, tous ou presque sont

connus sous l’étiquette « d’écrivain africain ». Il faudrait peut-être réparer cette

faute.

Devant la carence d’informations du côté des éditeurs1 et dans une moindre

mesure des écrivains, il y a un véritable écueil à gloser paisiblement sur les

rapports entre les écrivains et les trois auteurs. De la même manière, il est

presque difficile de dresser un tableau expressif et complet desdits rapports.

Ainsi ce qui suit est d’ordre général et théorique parfois fondé sur les

expériences de Kourouma et de Beyala.

D’une façon générale, il est toujours difficile de dessiner un tableau des

rapports qui lient un écrivain à son éditeur. Car plusieurs paramètres agissent en

faveur ou non de ces relations. Il peut s’agir par conséquent, selon qu’on est

écrivain néophyte ou consacré. Dans ce cas, l’auteur confirmé ne peut plus

avoir ou, du moins, ne devrait plus avoir trop de peur à se faire éditer ou à

trouver sa place dans le milieu littéraire français. L’autre paramètre fait

référence aux ventes. Selon que les ventes se portent bien ou non ou selon que

la diffusion des livres se déroule normalement ou pas, les relations entre

1 Malgré de nombreux courriers adressés aux éditeurs, nous n’avons jamais reçu de réponse. C’est une

situation bien préjudiciable, car nous aurions voulu présenter un ensemble de problèmes relatifs à toute

l’orientation de ce travail.

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l’éditeur et l’édité peuvent connaître des changements. Toutes ces réalisations

dialectiques de l’édition peuvent fausser ou rendre agréables les relations entre

éditeurs et écrivains. Dans la plupart de cas, l’éditeur est très mal apprécié des

écrivains. Dans ses Mémoires de la vie littéraire1, J. H. Rosny a su présenter les

ambiguïtés des rapports entre écrivains et éditeurs, et surtout l’avis ‘’négatif’’

des écrivains sur les éditeurs :

« Pour beaucoup d’écrivains, l’éditeur est la bête

des abîmes, la pieuvre aux tentacules homicides

(…) L’éditeur ne diffère pas de beaucoup d’autres

animaux qui se servent du langage articulé. Il en

est d’abominables, il en est d’indifférents, il en est

qui mérite notre amitié et notre estime2. »

A en croire Rosny aîné, les jugements portés par les écrivains sur les éditeurs

sont parfois excessifs. Bien plus, les écrivains les prennent pour des ‘’bêtes de

somme’’ ou de dangereuses machines, prêtes à les happer. Cependant, comme

nous l’annoncions déjà, s’il est parfois plus facile de regrouper les réactions des

écrivains, il est toujours, à l’opposé, plus rude de récolter les avis des éditeurs.

Et donc le débat peut être faussé, car il peut aussi s’agir de problème personnel

ou individuel dans le sens où les tempéraments ne sont pas toujours fixes. En

fait, les rapports varient d’une personnalité à une autre. Beyala par exemple

prétend qu’elle n’a jamais eu d’anicroches avec son éditeur principal Albin 1 ROSNY aîné, (J.-H.), Mémoires de la vie littéraire, Paris, Crès, 1927. 2 Idem., p. 191.

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Michel tant sur le plan humain, c’est-à-dire relationnel, que sur le plan du

travail lui-même. Alors que Ahmadou Kourouma et Sony Labou Tansi se sont

vus refuser leurs premiers manuscrits par leur éditeur, à l’aube de leur

« naissance littéraire ». Cette situation a dû fragiliser ces écrivains en ce temps,

même s’ils publient toujours chez Seuil. Revenant sur les rapports parfois

nuancés entre les auteurs et les éditeurs, Christophe Charle qui a montré les

rapports parfois animés, pense que toute relation entre les deux entités fluctue

quasiment avec le temps que les cours de vente ou de « conception » de travail.

Il dit :

« Tout est affaire de rapports de forces mais aussi

de tempéraments individuels, de conjonctures

historique et économique, de conception de métier

aussi 1.»

Les propos de Charle résument, toutes proportions gardées, ce que nous

relations déjà, à savoir que les relations éditeurs/écrivains peuvent changer en

fonction des éléments propres à l’édition, comme le cours de vente. Il ajoute

pourtant de nouveaux éléments en introduisant particulièrement le principe de

marché dans lesdits rapports. En effet, le cours de vente des livres peut

influencer les rapports tant sur le plan économique qu’individuel ; comme si les

bons rapports n’apparaissaient qu’avec les bonnes ventes et les mauvais

rapports avec les méventes des ouvrages. Nous atteignons, sans véritablement 1 CHARLE (C.), ‘’Le champ de la production littéraire’’, in Histoire de l’édition française, le temps des

éditeurs : du romantisme à la Belle Epoque, Promodès, 1985 pour la première édition, p. 147.

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l’écarter, la tendance à privilégier l’aspect économique sur de l’aspect

simplement littéraire. Ce qui justifie également l’idée selon laquelle un éditeur

est toujours d’abord un commerçant ou un chef d’entreprise. Ici se lit donc la

valeur des ‘’biens’’ (les livres) évoquée par Pierre Bourdieu1. Les rapports

‘’économiques’’ sont entamés dès lors que les courbes de diffusion et de vente

déclinent ou augmentent ; selon que l’éditeur réalise à ‘’court et long’’ termes

des bénéfices. Ainsi dans ce que Bourdieu nomme ‘’l’industrie du livre’’ en

France, on peut voir par exemple une différence assez notoire entre les

ouvrages africains tirés dans le temps, à long terme et ceux des écrivains

français, souvent à tirages limités.

Dans le premier cas, il est bien sûr difficile de vendre la totalité d’exemplaires,

souvent limités lors du premier tirage. Et par conséquent, ni le bénéfice ni le

succès ne peuvent être immédiats. A ce sujet, Bourdieu, une fois encore a su

rendre compte de ce ‘’cycle de production’’. En parlant du ‘’marché des biens

symboliques’’, le sociologue présente en effet deux ‘’cycles de production’’

relatives à ‘’une demande préexistante, et dans les formes préétablies2’’. C’est

dire que toute vente est d’abord souvent anticipée selon les futurs acheteurs du

bien. La majorité des écrivains africains publiant en France passe par ce chemin

qui consiste en la production à long terme de leurs ouvrages. Car ce cycle est

fondé sur :

« l’acceptation du risque inhérent aux investissements

culturels et surtout à la soumission aux lois 1 BOURDIEU (P.), Les Règles de l’art, Paris, Editions du Seuil, 1992, 1998 pour cette édition, p. 236-237. 2 Idem., p.236.

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spécifiques du commerce de l’art : n’ayant pas de

marché dans le présent, cette production tout entière

tournée vers l’avenir tend à constituer des stocks de

produits toujours menacés de retomber à l’état

d’objets matériels1.»

Ces mots « bourdieusiens » valent pratiquement pour l’ensemble des

romanciers africains. Effectivement, les éditeurs prennent un risque à publier un

tel écrivain, car son marché reste trop étroit. Mais l’essentiel demeure le fait

que cette production soit rallongée dans le temps, quand bien même le succès

n’est pas immédiat. En plus, avec ce cycle long qu’on peut coller aux auteurs

africains, il y a comme une sûreté devant la part du marché à venir. Les livres

qui ne paraissent qu’en petite quantité dès la première édition finissent par se

vendre mieux dans le temps. A ce sujet, l’exemple Les soleils des

indépendances de Ahmadou Kourouma démontrent et actualisent les propos de

Pierre Bourdieu et notre analyse. En effet, Gilles Carpentier, éditeur de

Kourouma présente le tirage de ce roman comme celui qui a su, par la force du

temps se faire vendre. Il pense que l’ensemble des romans africains se vend

plus dans le futur que dans le présent. Ecoutons ce qu’il raconte à propos du

tirage Les soleils des indépendances :

« Curieusement, ces livres [d’auteurs africains] ont

une vie plus longue et lente mais plus durable. On

1 Idem.

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est à plus de 80 000 exemplaires vendus pour les

Soleils des indépendances. Très peu de romans et

de premiers romans peuvent se vanter de pareils

tirages ; même s’il a fallu vingt ans pour en

arriver-là, à raison de 4000 exemplaires par an 1.»

Le discours de Carpentier rapporté par Cevaër montre que si Les soleils des

indépendances peuvent être un modèle de réussite de vente, il n’en demeure pas

moins que cette vente se soit étalée sur « vingt ans ». Et c’est seulement plus

tard que l’éditeur peut rentrer dans ses fonds propres. On ne sait pas dans le cas

de ce roman si l’éditeur a pu avoir de bénéfices ou non. Mais à ce qui semble,

on peut le penser. Car le sens contraire n’aurait pas entraîné l’éditeur à

continuer les tirages et à publier l’auteur Ivoirien. Ainsi, avec ce qui vient

d’être dit, la prétention à inclure les écrivains africains dans le « cycle long »

élaboré par Bourdieu s’explique.

Le second cas ou « le cycle court » construit par Bourdieu indique l’idée que

l’éditeur peut rentrer dans ses fonds dans l’immédiat. Grâce à la vente qui peut

parfois friser le ‘’best seller’’ dès la sortie du livre, l’auteur et l’éditeur se

trouvent en parfaite ‘’odeur de sainteté’’. C’est le cas le plus souvent des

ouvrages français bénéficiant d’une campagne médiatique sans précédent.

1 CEVAËR (F.), op. cit., p. 78.

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Tous ces éléments et tous ces signes ont été rassemblés parce qu’ils peuvent

influencer de près ou de loin les rapports entre les éditeurs et les auteurs en

général. Cependant, une synthèse pourrait rétablir la confiance des deux parties

en ce que le ‘’commerce’’ du livre ne répond pas forcément à celui de tout

autre objet de consommation. Et comme le démontre Bourdieu, l’appartenance

de l’édition au ‘’champ littéraire’’ se manifeste par la volonté de dissocier

l’entreprise du livre de l’entreprise cherchant à cumuler des profits et à ne

favoriser que le côté ‘’intellectuel’’. Pour le sociologue, en effet, on ne peut

assimiler l’éditeur à un entrepreneur, quoi qu’il ait une forme d’entreprise, car

on ne peut vendre un bien symbolique. Il dit à ce sujet :

« …toutefois, l’appartenance de ces entreprises

[maisons d’éditions] au champ se marque par le

fait qu’elles ne peuvent cumuler les profits

économiques d’une entreprise économique

ordinaire et les profits symboliques assurés aux

entreprises intellectuelles qu’en refusant les

formes les plus grossières du mercantilisme en

s’abstenant de déclarer complètement leurs fins

intéressées1 »

Comment se manifestent donc ces relations chez Kourouma, Sony et Beyala ?

1 BOURDIEU (P.), op. cit., p. 236.

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Mis à part le fait que leurs premiers manuscrits furent refusés aux éditions du

Seuil, Ahmadou Kourouma et Sony Labou Tansi sont restés publiés chez le

même éditeur. Le premier depuis 1968 avec la publication des soleils des

indépendances et le second depuis 1970 avec La vie et demie. La fidélisation au

Seuil peut laisser penser que les deux écrivains, Ivoirien et Congolais,

entretiennent de bons rapports avec leur éditeur. On ne peut malheureusement

en savoir plus d’autant moins qu’une fois encore l’éditeur est demeuré muet.

Pour ce qui est de Calixthe Beyala, quelques mots peuvent s’y déployer.

En effet, Beyala publie depuis 1992 chez Albin Michel. Cependant elle a eu

deux autres maisons d’éditions. L’une, les éditions Stock, a publié les deux

premiers romans de l’écrivaine camerounaise : C’est le soleil qui m’a brûlée et

Tu t’appelleras Tanga. L’autre maison, Le Pré aux Clercs a édité en 1990 Seul

le diable le savait. Sans omettre qu’elle a aussi sorti deux autres œuvres chez

deux nouveaux éditeurs : Spengler et la collection J’ai lu, respectivement Lettre

d’une Africaine à ses sœurs et La négresse rousse. Le plus intéressant est de

remarquer qu’en dépit de ce foisonnement d’éditeurs, Beyala est restée presque

fidèle à Albin Michel où elle a été du reste couronnée en 1996 du Grand prix de

l’Académie Française pour Les honneurs perdus. Répondant à Cevaër sur

l’accueil qui lui avait été réservé par son éditeur, Beyala répond :

« Oui, [j’ai été bien accueillie] parce qu’il m’a

considérée comme un écrivain, point. Non pas

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avant tout comme une Noire. Et ça c’est très

important1. »

La réponse de Beyala indique que ses rapports avec son éditeur sont simples,

justes et vraies. Profitant de cette tribune, Beyala fustige bien évidemment le

comportement de certaines maisons d’éditions qui ‘’parquent’’ les auteurs

africains dans ce qu’elle désigne sous le vocable de « ghetto » littéraire.

Poussant une sorte de désarroi devant la manière qu’ont ces maisons de traiter

les écrivains africains, Beyala estime que lesdites maisons ne favorisent pas

l’épanouissement des écrivains, les entraînant parfois vers ce qu’elle appelle

« la mort » de l’écrivain :

« Il faut que le comportement de l’éditeur soit

identique quelle que soit votre nationalité. Parce

que les maisons d’éditions qui se disent tiers-

mondistes et autres – je ne cite pas de nom –

conduisent les Africains à ne pas s’épanouir, à

écrire les mêmes choses. Et je me demande si la

mort de certains écrivains africains (..) qui publient

dans ces maisons d’éditions, n’est pas due à

cela2. »

1 CEVAËR (F.), op. cit., p. 48. 2 Idem, p. 49.

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Pour Beyala, il existe des maisons d’édition qui n’acceptent aucune

émancipation stylistique et thématique de leurs auteurs, du moins africains.

Nous lui laissons bien sûr la responsabilité de ces propos. Mais nous pouvons

quand-même penser que ce que dit Beyala mérite une attention particulière. Car

dans la plupart des cas, les éditeurs voudraient voir sortir de la plume des

Africains cet exotisme d’antan ; refusant ainsi toute autre forme d’écriture.

Beyala va jusqu’à penser que chez ces éditeurs, tous les ouvrages d’écrivains

africains se ressemblent tant sur le plan thématique que sur le plan de l’écriture.

Préférant certaines maisons à d’autres, elle dit :

« Je suis fantaisiste, j’aime mieux par exemple être

chez Stock parce que c’est beaucoup plus libre,

plus fantaisiste. Comme chez Belfond, chez Stock

on trouve diverses littératures, différentes façons

d’écrire. Tandis qu’au Seuil ou Chez Grasset

l’écriture, en dehors de quelques écrivains, ne

diffère pas d’un livre à l’autre. On dirait qu’ils

n’ont plus de plume ! Moi, je le vis comme ça.1 »

On le voit, Beyala choisit son camp en ce qu’elle n’apprécie pas les stéréotypes

dans lesquelles se trouvent confinés certains écrivains. Lesquels écrivains ne

sont pas « libres » de concevoir leur propre style et leur propre idée du roman.

Une fois de plus, nous lui accordons la « maternité » de ces propos.

1 Ibidem, p. 48.

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Sur un tout autre pan de la question du changement des éditeurs, l’exemple de

Beyala paraît intéressant dans la mesure où elle pourrait énoncer quelques

postulats non innocents.

Plusieurs hypothèses s’ouvrent dès qu’on se pose la question de savoir quelles

raisons l’ont poussée à publier dans plusieurs maisons successivement. A notre

niveau de connaissance de l’auteur, nous avons deux hypothèses. La première

serait que l’écrivaine camerounaise n’avait pas encore réussi à enchanter les

autres éditeurs ni à rentrer dans le moule de l’esprit de ces maisons. Ce qui ne

pouvait bien sûr les mettre en odeur de sainteté. Cette première supposition

peut-être vite ébranlée dans le sens où, publiant déjà chez Albin Michel, la

romancière a édité en 1995 deux livres dans deux maisons d’édition différentes.

Pourtant, on peut comprendre ce bémol en stipulant qu’en fait ces ouvrages

parus en dehors d’Albin Michel (alors qu’elle y est déjà), ne peuvent contenir

toute la forme romanesque. Nous les situons plus du côté des essais ou des

pamphlets que du côté romanesque. Et partant du fait que ce n’était pas de

véritables romans, Albin Michel ne pouvait les éditer.

La seconde hypothèse, qui mérite plus d’attention et d’objectivité est fondée

l’éclectisme de Calixthe Beyala. La multiplicité des sujets présents dans

l’œuvre de la romancière serait aussi à l’origine du changement des maisons

d’édition. Et par le choix des topos et topiques, l’auteur peut décider de publier

là où ses choix et ses idées se trouvent respectées et acceptées. Quand on

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regarde du côté de la définition du terme éclectisme, l’on se rend compte que

Beyala remplit toutes les conditions pour être éclectique. Car est éclectique,

selon Le Petit Larousse toute personne ou individu

« qui manifeste une aptitude à apprécier les choses

très diverses, un ensemble d’idées, sans esprit

exclusif1. »

Ayant réfléchi plus tôt sur la question du changement des éditeurs, Christophe

Charle mentionne :

« Plus un écrivain a des positions littéraires

éclectiques, plus il change fréquemment des

éditeurs2. »

Ces paroles de Christophe Charle prouvent la pertinence de nos propos sus-

indiqués. Et Beyala, auteur prolifique de cette fin de XXème siècle, fournit sa

matière à plus de cinq maisons d’éditions, selon la diversité des sujets traités.

Tandis que les écrivains confinés dans une même attitude d’écriture et de

langage sont toujours fidèles à l’ensemble des règles de leur maison d’éditions.

Ce qui non plus n’est pas mauvais, surtout pour les écrivains d’Afrique en

général, d’autant qu’il est plus difficile de rencontrer un nouvel éditeur que

d’en perdre. 1 Le Petit Larousse illustré, Larousse/HER 1999, p.359. 2 CHARLE (C.), ‘’ Le champ de la production littéraire’’, op. cit. p. 150.

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Pour conclure ce moment sur les rapports entre écrivains et auteurs, on peut

prétendre que Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi et Calixthe Beyala (du

moins depuis l’arrivée chez Albin Michel) entretiennent des rapports positifs

avec leurs éditeurs respectifs. Et obéissant à des contrats signés dès le départ,

les écrivains se sentent plus ou moins à l’aise avec ceux qui les publient. Et cela

est probable, il existe des problèmes qu’on ne connaît pas et qui participent

éventuellement desdits rapports.

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Chapitre 4 : Diffusion des romans

Une fois la présentation des maisons d’éditions et des relations auteurs/éditeurs

faites, il est juste de montrer les chemins pris par les ouvrages de Ahmadou

Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Calixthe Beyala.

Les théoriciens de la littérature africaine d’expression française sont

unanimes : l’accueil réservé à cette littérature est tiède. Pour Jacques Chevrier

par exemple, ces littératures ont une « position marginale et leur réception très

médiocre 1.»

La marginalité et la médiocrité de cette réception survivent dans la mesure où la

littérature africaine demeure toujours relativement méconnue. Elle n’est même

pas « relayée par les médias » qui pourraient propager non seulement la sortie

de nouveaux titres africains, mais également contribuer au rapprochement de

ces écrivains avec le public français. Car, pour qu’un livre soit connu et lu, il

devrait passer par un certain nombre de phases ou d’intermédiaires. Ce sont

entre autres les maisons d’éditions, les colloques, les revues et médias, les prix

et distinctions…

Les maisons d’éditions qui contribuent à la réalisation des livres doivent

adopter une politique de propagation qui ne soit pas différente de celle des

auteurs français. Autrement dit, une fois publiées, les œuvres de Kourouma,

1 Propos recueillis par Françoise CEVAËR ,op. cit., p. 172-176.

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Sony et de Beyala, par exemple, doivent passer par les moules de ces phases

intermédiaires dont l’unique but est d’atteindre à un plus grand nombre de

lecteurs.

Pourtant, Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi et Calixthe Beyala en

particulier seraient frappés d’ostracisme, quoiqu’ils soient plus ou moins

connus. Cela peut paraître incertain car ces trois écrivains sont lus et peut-être

étudiés. L’ostracisme apparaît dès lors qu’une fois édités, les écrivains

africains se trouvent presque laissés à leur propre compte. Les rares fois où les

médias ont pu « aider » ces écrivains ont consisté le plus souvent à évoquer le

côté exotique de la littérature africaine. Comme si cela suffisait. L’essentiel ne

consiste plus dans cette fade comédie de l’exotisme. Il réside désormais dans

cette « part de feu » langagière et stylistique qu’entretiennent les auteurs dans

leurs œuvres. Bien sûr, l’exotisme littéraire est un fait irrécusable, car il en

existe dans toutes les littératures. Mais curieusement, c’est l’exotisme africain

qui attire davantage dès qu’un tel livre paraît.

Au-delà de cette digression, il se lit en France quelques principaux lieux de

légitimation, de diffusion et de réception des œuvres de nos trois romanciers.

Ce sont les milieux scolaires et universitaires, les bibliothèques et les grandes

surfaces. Dans sa Littérature nègre1, Chevrier présente trois cadres principaux

de diffusion du livre en Afrique qui sont : ‘’le cadre commercial – le cadre

scolaire – les centres culturels.’’ Chaque cadre participe de la présentation et de

1 CHEVRIER (J.), Littérature nègre, op. cit., p. 215-217.

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la diffusion du livre en milieu africain, qui est en fait le fait des lettrés. Par

lettrés, il faut comprendre ceux qui sont allés à l’école… Pris dans le sens

inverse, c’est-à-dire en France, on peut prétendre que cette trilogie de Chevrier

sur la diffusion des œuvres africaines (et sûrement de toutes les littératures en

général) s’y applique. Bien plus, au-delà des cadres commerciaux, scolaires et

universitaires, les centres culturels sont remplacés en France par de grandes

bibliothèques municipales jouant presque le même rôle. Voilà pourquoi, afin de

mieux présenter ce que nous tenons à démontrer, nous avons mentionné deux

bibliothèques municipales en plus des bibliothèques universitaires. Aussi, le

schéma de diffusion du livre tel que nous pensons l’élaborer tiendra-t-il compte

de la ligne et des axes suivants : le premier axe est celui des universités et des

lycées français ; le second est l’axe des bibliothèques universitaires et

municipales et le troisième axe enfin est celui qui décrira les grandes surfaces et

les librairies. Il est juste de préciser que pour les pages qui suivent, il a été

question des sondages précédés par un ensemble de questionnaires dont les

résultats sont exposés ici même. Concernant les sondages, domaine qui peut

paraître « nouveau » en littérature parce que « jusqu’alors réservés au

marketing commercial ou politique 1», ils se sont « révélés des instruments

précieux pour mesurer la différenciation des conduites2 » devant tel ou tel autre

phénomène littéraire analysé ou présenté. D’ailleurs, Pierre Bourdieu fut le

1 HEINICH (N.), La Sociologie de l’art, Editions La Découverte, Paris, 2001, p. 46. Il faut signaler que les

sondages ont été souvent exploités dans le marketing commercial ou politique. Ils peuvent être utilisés en

psychologie et en sociologie. En littérature, c’est avec Bourdieu que l’on voit les sondages occuper la scène

littéraire. Ce fait est donc nouveau et sûrement surprenant pour ceux qui n’ont jamais embrassé la

sociologie littéraire. 2 Idem..

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principal initiateur de cette ‘’importation’’ de l’enquête dans le monde de la

culture. Ce sont donc des sondages qui répondent à une demande

« institutionnelle » de la littérature africaine en France. D’ailleurs, nous l’avons

vérifié, ces investigations empiriques ont entraîné et confirmé des conclusions

plus ou moins connues. Ils ont ouvert en même temps de nouvelles

problématiques sur les littératures d’expression française en France. En

espérant que cette pratique universitaire change la vision des lecteurs français

pour cette littérature.

4. 1. Les universités et les lycées.

Cela est vraisemblable, la France a su intégrer certaines œuvres de la littérature

africaine francophone dans ses programmes officiels. C’est surtout le cas de

Léopold Sédar Senghor qui était souvent étudié en classe de première « L ». Et

de tous les milieux d’apprentissage et didactiques, les universités et les lycées

demeurent les lieux privilégiés de la diffusion des œuvres africaines

d’expression française.

Ces différentes instances restent l’endroit idéal où certains écrivains d’Afrique

francophone sont étudiés et différemment appréciés. Il n’est plus rare, et ce

depuis un peu plus d’un quart de siècles, de constater des départements qui

consacrent cette littérature par la création des spécialisations et des centres de

recherches dans ce domaine. Il n’est plus rare non plus que des colloques

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nationaux et internationaux sur ces littératures soient organisés. Tout cela peut

paraître comme des signes de reconnaissance des écrivains d’Afrique noire

francophone ayant atteint leur maturité. Mais un hic peut se sentir dans la

mesure où le plus souvent, les enseignements de la littérature africaine sont

inscrits dans le programme des littératures comparées avec pour dénomination

de ‘’littératures francophones’’. Ces littératures francophones englobent

assurément l’ensemble des littératures écrites en langue française et extérieures

à l’Hexagone. De plus, contrairement aux lycéens et étudiants des pays

africains, les jeunes français ne rentrent en contact avec des écrivains de la

littérature africaine que trop tard, c’est-à-dire soit à l’université même soit par

simple curiosité ou pure découverte. Une fois initiés à cette littérature, certains

jeunes en deviennent « spécialistes » tandis que d’autres n’auront jamais

entendu parler de tel ou tel autre auteur1. Les étudiants d’Afrique francophone,

au contraire reçoivent dès le collège des enseignements de la littérature

française et acquièrent moult connaissances sur un certain nombre d’auteurs

français qu’africains, quelques fois. Et cet état de choses subsiste toujours. Bien

sûr la faute est d’emblée aux pays africains qui n’arrivent pas à réorganiser leur

système éducatif littéraire en tenant compte des productions africaines. Prenant

jusqu’ici appui sur la France, ils collent de pâles copies de programmes français

à leurs réalités, qui parfois ne coïncident pas nécessairement2. De plus, même

s’il est difficile de se procurer un ouvrage en Afrique, la culture des oeuvres

françaises est dûment amorcée. Ce qui n’est pas, à proprement parler une

1 Les résultats des sondages suivants vont démontrer ce que nous sommes entrain de dire. 2 Nous ouvrons là une brèche sur d’éventuelles recherches sur les systèmes éducatifs africains. Il pourrait

qu’on se questionne sur l’héritage demeuré séculier du système français dans ces pays.

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erreur ; ce « biculturalisme » des jeunes africains leur permet d’obtenir un

apprentissage hétéroclite, plus ouvert. Ce qui n’est pas souvent le cas en

France.

Avant de présenter les principaux rapports de questionnaires soumis aux élèves

et aux étudiants, une brèche importante s’ouvre. En effet, nous pensons que si

cette population scolarisée n’est pas au courant des productions littéraires

francophones d’origine africaine, c’est parce que les textes romanesques et

poétiques ne sont pas du tout inscrits dans les programmes de l’éducation

nationale. Même si l’institut pédagogique national (IPN) reconnaît

implicitement la réalité de ces littératures, il reste qu’elles n’intègrent pas les

classes. Dans le Bulletin Officiel n° 3 du 30 août 2001, il est dit dans ses

finalités que l’enseignement de la littérature en série L (Littéraire) en classe de

Terminale a pour objet de

« former la pensée par une forte culture littéraire

et de donner les connaissances appropriées. Un

accent particulier est mis ici sur les contenus

ouverts tant sur le passé que sur l’immédiat

contemporain, tant dans le domaine français

qu’étranger .»1

1 ‘’Programme de l’enseignement de la littérature en classe de terminale de la série littéraire’’ in Le

Bulletin Officiel n°3 du 30 août 2001.

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Belle orientation que s’assigne l’éducation nationale. Pourtant, on assiste une

fois de plus à cette distinction établie entre la littérature française et celle

produite par les ‘’étrangers’’. Le terme étranger qui apparaît dans la définition

de l’enseignement littéraire en Terminale en France indique la séparation des

littératures et laisse peu de place à cette littérature étrangère, car elle intervient

en quatrième position selon le classement de l’enseignement en série L. A ce

sujet, l’éducation nationale française propose quatre grands domaines1 d’étude

dans cette série : le premier domaine est celui intitulé’’ Grands modèles

littéraires- Modèles français du Moyen Âge à l’âge classique’’. Le second

domaine est ‘’Langage verbal et images-Littérature et langages de l’image’’ ; le

troisième domaine est ‘’Littérature et débat d’idées- L’homme : nature et

société’’ ; enfin le quatrième domaine dans lequel pourrait se trouver la

littérature africaine est ‘’Littérature contemporaine-œuvres contemporaines

françaises ou de langue française.’’

Dans la série ‘’Accompagnement des programmes de littérature en classe de

Terminale de la série littéraire’’2 en France de l’année 2002 et qui reste

opérationnel aujourd’hui, on retrouve encore pourtant mentionner la présence

des textes francophones. Dans sa définition, le ministère de l’éducation

nationale française mentionne ce qui suit :

1 ‘’Programme de l’enseignement de la littérature en classe de terminale de la série littéraire’’ in le Bulletin

Officiel n° 3 du 30 août 2001. 2 ‘’Accompagnement des programmes de littérature en classe de terminale’’ in CNDP, août 2002, p.29.

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« La littérature contemporaine, en tant que domaine

d’étude de programme de la classe de terminale, peut

concerner tant les œuvres françaises ou francophones

qu’étrangères. »1

Cependant l’éducation nationale se rendant sûrement compte de la non

application de cette définition, vient de rectifier la première définition en

nuançant désormais ses propos et en mettant l’accent sur la question de

reconnaissance et de notoriété des œuvres contemporaines. Le programme de la

classe de terminale indique dans ses finalités une approche de

« ‘’l’immédiat contemporain’’ ; aussi pour la

France, s’accordera-t-on à considérer notamment

les œuvres publiées à partir des années 1980 ; mais

pour les productions étrangères et certaines

œuvres françaises, le temps nécessaire à leur

diffusion et à leur reconnaissance impose une

chronologie bien plus large. »2

Ainsi, les ouvrages contemporains qui peuvent faire partie du programme

d’enseignement de littérature en terminale doivent d’abord s’imposer sur le

plan éditorial, attendre la reconnaissance par la critique ou par les réseaux de

légitimation et de consécration desdits ouvrages, notamment les prix littéraires. 1 ‘’Accompagnement des programmes de la littérature en classe de terminale’’ in CNDP, août 2002, p. 29. 2 Idem, Les termes ‘’l’immédiat contemporain’’ sont mis en entre griffe par l’éducation nationale.

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Aussi, une œuvre non connue ne sera jamais mise au programme. Et comme la

plupart des cas, les romans africains demeurent ‘’incertains et méconnus’’,

alors ils n’auront pas la chance d’être enseignés un jour en France. A moins

que l’on donne une part de liberté aux enseignants afin d’en dire quelques mots

au sujet d’un Senghor ou d’un Laye Camara, comme l’indique de façon

insidieuse le programme des classes de troisième.

Pour la rentrée 2003-2004, par exemple, aucun auteur francophone d’Afrique

n’est inscrit dans le programme français1, même Ahmadou Kourouma qui a

pourtant reçu le prix Goncourt lycéen. En classes de seconde et de première, on

retrouve presque les mêmes dispositions. Mais les enseignants, à l’instar de

ceux de la classe de troisième, peuvent de façon personnelle faire étudier un

auteur africain de leur choix. Les décisions de l’éducation nationale française

demeurent non sans conséquences sur la suite de la méconnaissance des

romanciers d’Afrique noire francophone et de tous les textes africains en

général. Les enquêtes menées dans quelques collèges, lycées et universités

montrent que l’institution française, « l’école », ne permet point la

connaissance des auteurs africains. Elle ne contribue pas non plus à sa

connaissance et sa diffusion. Pourtant, l’école devrait être le lieu où toutes les

littératures du monde se côtoient.

1 Seul MANDELA (N.) avec son autobiographie titré Un long chemin vers la liberté est inscrit au

programme de troisième. Cependant notons que MANDELA est plutôt anglophone et son ouvrage est donc

traduit de l’anglais.

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Pour mentionner la « méconnaissance » des textes africains par la population

estudiantine et lycéenne, une série de questions a été proposée. L’échantillon

choisi est bien sûr une frange des lycéens et des étudiants qui sont entre la

classe quatrième et le doctorat. Le choix de cette tranche d’âge scolaire est

pour le moins déterminant. Il permet de localiser, dans le système éducatif

français, le comportement ou l’appréciation de ces jeunes devant la littérature

africaine en général et Kourouma, Sony et Beyala en particulier. Mieux, il

semble répondre aux attentes recherchées dans cette démonstration. Ainsi, pour

rester plus ouvert, notre questionnaire a été soumis à cinq cents jeunes.

S’agissant par exemple de la connaissance de nos romanciers, sur cinq cents

réponses enregistrées, une diversité d’opinions se lit : 350 ne les connaissent

« pas du tout », 55 les connaissent « un peu » (notamment Kourouma et

Beyala1), 60 prétendent2 les connaître et 35 demeurent sans opinion.

Une autre question d’ordre général a produit des réponses presque sans

surprise. La suite de la réponse demeurée « logique » est l’évocation du poète

Senghor qui est revenu plusieurs fois (250 fois). Au regard de ces deux

principales questions, et surtout des réponses qui s’en suivent, un sentiment de

scepticisme domine. Sans dire que la population interrogée reste la plus

représentative, il se comprend tout de même que la littérature africaine, hormis

1 Selon les questionnés, les deux romanciers Kourouma et Beyala semblent émerger parce qu’ils les auront

vus ou suivis par hasard dans une émission de télévision ou de radio. 2 Ceux qui prétendre les connaître le disent pour avoir été en contact ou feuilleté un de leurs ouvrages mais

sans les lire absolument.

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quelques auteurs semble encore « inconnue » en France1 jusque dans les

milieux censés ouverts aux lettres, fussent-elles étrangères.

En plus de l’enquête initiée, nous avons recensé, sur une période de dix ans,

plusieurs thèses qui ont été soutenues dans deux universités sur la littérature

africaine. A Paris 12 par exemple, une cinquantaine de thèses (du moins jusqu’à

la date de notre découverte), ont été soutenues entre 1980 et 2003. Sachant que

plus d’une dizaine de travaux devront l’être d’ici à 2005. C’est dire pourtant

que cette littérature attire de nombreux étudiants et si les ‘’moyens matériels’’2

étaient plus présents, il y aurait sûrement plus de travaux. A l’université Paris

IV, depuis 1980, plus de 150 thèses ont été soutenues. Pourtant un bémol vient

ternir ces statistiques. Sur ces différentes thèses, seules une vingtaine sont

présentées par des étudiants d’origine française. Le reste étant partagé entre les

Africains eux-mêmes et les autres communautés européennes.

Comme nous le constatons, même si nous ne spécifions pas d’études sur

Kourouma, Sony et Beyala, il existe tout de même des zones d’apprentissage et

de légitimation de la littérature africaine en France qui sont les lycées et les

universités. En même temps, nous fustigeons le fait que cette littérature ne soit

pas encore rentrée totalement dans la « nature » et les pratiques scolaires des

Français. Dans les bibliothèques, par exemple, on peut remarquer qu’on a

1 Nous insistons sur le fait que pour nous, le lieu où cette littérature, comme toute autre, doit être

réellement apprise est le lycée ou/et l’université. 2 Par moyens matériels, nous entendons l’ensemble des ouvrages de la littérature africaine dans les

bibliothèques universitaires et surtout la présence effective de cette littérature dans l’enseignement.

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affaire à deux genres de bibliothèques : il y a ce que nous désignons les

bibliothèques de « ghetto », qui consistent à ranger toujours les littératures

selon leur origine et des bibliothèques « uniformes », c’est-à-dire celles qui

tentent d’ignorer ces différences… A présent, regardons de plus près ces

nouvelles instances de diffusion.

4. 2 Les bibliothèques universitaires et municipales.

En plus des universités et des lycées, il existe d’autres lieux de diffusion des

œuvres des écrivains francophones africains en France. Ce sont des

bibliothèques. Avant de présenter l’étude consacrée aux romans de Kourouma,

Sony et de Beyala dans l’ensemble de réseaux de diffusion, il est juste de poser

ici quelques fonctions que puissent jouer ces endroits de culture.

Les bibliothèques, en général, peuvent être présentées comme les lieux par

excellence de la diffusion de toute œuvre, en ce qu’elles participent de la

découverte des anciens et des nouveaux auteurs, des anciens et récents

documents culturels. Bien plus, elles sont perçues comme une sorte de

« musée du livre1 » et comme la « source principale » pour toute recherche

intellectuelle. Autrefois, les bibliothèques universitaires uniquement étaient

réservées aux enseignants-chercheurs, aux chercheurs et aux étudiants dans un

cadre tout particulier, celui de la connaissance et de « l’éclectisme ».

1 PALLIER (D.), Les Bibliothèques, Paris, PUF, septembre 2002 pour la dixième édition, p. 70.

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Aujourd’hui, elles dépassent le cadre élitiste d’autant plus qu‘elles s’ouvrent à

tous les publics et à tous les âges. Ces bibliothèques vont être relayées par

celles que les municipalités créent dans leur département et qui, actuellement,

jouent presque le même rôle que les bibliothèques universitaires. Anne-Marie

Bertrand, qui a écrit sur les bibliothèques municipales, démontre que ces

endroits sont de loin les plus fréquentés par les Français1. Ils seraient plus de

dix millions d’inscrits actuellement. Selon Christophe Pavlidès, les

bibliothèques municipales offrent une nouvelle dimension de la connaissance

par le fait qu’elles incluent tous les publics. Par leur taille, ces bibliothèques

municipales ouvrent des perspectives de diffusion et de réception de la

littérature sous toutes ses formes. Pavlidès écrit à propos des bibliothèques

municipales:

« Ces bibliothèques font face à un public

hétérogène où la part des scolaires et des étudiants

est centrale, et elles offrent des collections de plus

en plus variées (…) Elles offrent des locaux qui

atteignent maintenant quasiment cinq mètres

carrés par habitant desservi avec près de quatre

places assises pour mille habitants ; la demande de

1 BERTRAND (A.-M.), Les Villes et leurs bibliothèques : légitimer et décider, 1945-1985, Electre-

Editions du Cercle de la Librairie, Paris, 1999.

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consultation sur place croît avec le développement

des services informatisés, en ligne ou hors ligne1. »

Présentant ces bibliothèques, Pavlidès évoque également des éléments qui

favorisent leur intérêt au sein de la population qui les fréquente. Comme Anne-

Marie Bertrand, il place les bibliothèques au premier rang des lieux privilégiés,

non seulement de la rencontre intellectuelle, mais aussi celle des lecteurs. Ce

sont aussi des endroits qui favorisent non seulement la découverte de nouveaux

auteurs mais aussi leur lecture, ainsi que celle des anciens.

Toutes les bibliothèques concourent ainsi à toutes formes de diffusion et de

réception des ouvrages. En France, les bibliothèques ont chacune des rayons

spécialisés de littérature. On peut y rencontrer des littératures germanique,

britannique, grecque, et même africaine souvent associées à l’ensemble des

littératures francophones (regroupant les auteurs de langue française d’Afrique

noire, du Maghreb et des Créoles). Ce que nous voulons montrer ici, c’est qu’il

existe bien des œuvres d’Afrique noire francophone dans ces lieux du savoir.

Pourtant, une fois encore nous pensons que leur représentativité semble de

moindre importance, vu la somme d’exemplaires dans chaque rayon et par

auteur et vu le nombre croissant des lecteurs dans chaque bibliothèque. L’étude

qui suit permet d’indiquer la présence effective des romans de Ahmadou

Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Calixthe Beyala dans ces milieux de

lecture. 1 PAVLIDES (C.), ‘’Du livre aux bibliothèques : nouveaux espaces, nouvelles normes’’ in Où va le livre ?,

Editions La Dispute, 2000, p. 192.

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4. 2. a Les bibliothèques universitaires.

Installées dans les campus universitaires, les bibliothèques universitaires sont

parues dans la seconde moitié du 19ème siècle. Elles sont l’endroit ou comme le

dit Denise Pallier, des lieux « d’éducation et de diffusion d’une culture

commune écrite1 »

Ce sont des centres qui accompagnent chercheurs et étudiants dans la vie

scientifique quotidienne. S’agissant de la « culture » africaine, elle s’offre dans

une sorte de classicisme romanesque dans la mesure où l’on retrouve souvent

les classiques africains à l’instar de Senghor, Laye Camara, Mongo Béti... Il s’y

rencontre également de nouveaux auteurs africains. Seulement, on est loin du

compte quand il s’agit de regarder la somme littéraire de chaque écrivain. En

ce qui concerne nos trois écrivains, Kourouma et Sony sont présents à faible

échelle tandis que Beyala existe de façon presque permanente grâce à ses

premières œuvres. Carence, négligence ou simple oubli ? Quelles que soient les

réponses données, les raisons qui pourraient s’observer çà et là dans l’ensemble

des bibliothèques choisies présentent des inquiétudes liées à ce que nous

nommons ici ‘’le désastre intellectuel’’ des écrivains africains. A travers ce

concept qui semble choquant, nous entendons l’idée que les écrivains africains

ne sont pas suffisamment présents dans ces lieux privilégiés de diffusion des

livres. Et que naturellement, si l’institution scolaire et littéraire ne commence

pas à leur faire une place de choix, aucune autre ne le ferait.

1 PALLIER (D.), op. cit. p. 70.

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Pour prouver « l’absence » des œuvres et le « désastre » annoncé de chaque

écrivain que nous examinons, une étude comparative des bibliothèques de deux

universités s’avère essentielle. Il s’agit des bibliothèques de l’université Paris

XII, Val de Marne et de la bibliothèque centrale de la Sorbonne. L’option de

ces centres universitaires obéit à des critères qui demeurent purement

subjectifs. A savoir le fait d’y être inscrit pour Paris XII et par le fait d’y

travailler souvent en ce qui concerne la Sorbonne. Ces universités paraissent

comme de véritables échantillons pour notre démonstration. Aussi, l’ensemble

de ces données reste soumis à des tableaux qui définissent la totalité des œuvres

des écrivains trouvées dans ces bibliothèques. Tout tableau désigne non

seulement les titres de chaque roman mais aussi le nombre exact des

exemplaires desdits romans trouvés, du moins ceux qui sont recensés et soumis

à notre investigation1. Ce sont par conséquent des schémas explicatifs du

fonctionnement des œuvres de chaque écrivain. Ces schémas apparaîtront

également dans la suite du travail pour rester bien-sûr pragmatique.

A l’évidence, voici les tableaux récapitulatifs des romans de Ahmadou

Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Calixthe Beyala à l’université Paris XII,

Val de Marne.

1 Les catalogues qui ont servi à l’élaboration de ces tableaux sont ceux utilisés par l’ensemble des bibliothèques universitaires. Nous avions, au préalable, travaillé sur ‘’Armada’’ à Paris 12 et sur ‘’Amica’’ à la Sorbonne. Aux dernières recherches, le support le plus utilisé reste le catalogue ‘’Sudoc’’.

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Tableau 1 : Romans de KOUROUMA à Paris XII

Romans

Les soleils des

indépendances

Monnè,

outrages et défis

En attendant le

vote des bêtes

sauvages

Allah n’est pas

obligé

Total

Nombre

2

0

0

0

2

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194

Tableau 2 : Ouvrages de Sony Labou Tansi

Romans

La vie et demie

L’anté-peuple

L’Etat- honteux

Les sept solitudes de Lorsa Lopez

Les yeux du volcan

Le commencement des douleurs

Total

Nombre

0

0

0

0

0

0

0

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Tableau 3 : Ouvrages de BEYALA

Romans Amours

sauvages

Assèze

l’Africaine

Les

honneurs

perdus

Maman

a un

amant

C’est

le

soleil

qui

m’a

brûlée

Tu

t’appelleras

Tanga

La

négresse

rousse

La petite

fille du

réverbère

Le petit

prince de

Belleville

Les

arbres

en

parlent

encore

TOTAL

Nombre

0 0 0 1 0 0 0 0 1 0 2

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196

Les tableaux des romans de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de

Calixthe Beyala demeurent peu loquaces. A la rigueur, la situation semble

insoutenable. Malgré la présence d’un centre d’études francophones (CIEF), il

manque cruellement des romans, ne serait-ce que pour des raisons de lecture et de

curiosité intellectuelle. L’ensemble des œuvres des écrivains peut paraître nul.

L’avantage aurait été au moins l’obtention ou la présence symbolique de chaque

roman, surtout ceux de Sony Labou Tansi.

Revenons à l’explication de chaque tableau. Sur quatre romans de Kourouma (cf.

tableau 1), la bibliothèque universitaire de Paris XII n’en détient que deux pauvres

exemplaires des soleils des indépendances. Les trois autres romans sont inexistants

ou ne sont pas répertoriés.1 Le cas est pire pour l’écrivain congolais Sony Labou

Tansi (cf. tableau 2). Il n’existe aucun roman du romancier, pourtant il y a des

travaux en cours sur cet écrivain. Pourtant de nombreux travaux sur cet écrivain sont

en cours. Paris XII sauve quand-même « son honneur » avec la présentation de deux

exemplaires de théâtre de l’auteur, à savoir : Moi, veuve de l’empire, suivi de

Témoignage contre l’homme stérile et La parenthèse de sang, suivi de Je soussigné

cardiaque. Comme les pièces de théâtre ne font pas partie de notre objet d’études,

elles sont signalées à titre indicatif. Pour ce qui est de Beyala, seuls deux

exemplaires de deux romans différents paraissent sur une dizaine d’ouvrages

recensés. Ce sont : un exemplaire de Le petit prince de Belleville et un autre de

Maman a un amant. Tous les autres ouvrages ou ne figurent pas sur les fichiers de la

1 Il nous est toujours permis de rappeler que cette étude tient du moment de la rédaction de ce travail. Les

données peuvent donc varier depuis.

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197

bibliothèque universitaire de Paris XII. A ce manque des romans de Kourouma,

Sony et Beyala, il y a aussi que les ouvrages théoriques sur ces romanciers souffrent

également d’une absence remarquée. A la bibliothèque centrale de la Sorbonne dont

il importe de dresser les tableaux à présent, le ton est tout autre.

Tableau 4 : Romans de Kourouma à la Sorbonne

Romans

Les soleils des

indépendances

Monnè,

outrages

et défis

Allah n’est

pas obligé

En attendant

le vote des bêtes

sauvages

Total

Nombre

7

4

3

2

16

Page 198: UNIVERSITE PARIS XII - doxa.u-pec.frdoxa.u-pec.fr/theses/th0221251.pdf · Selon Marthe Robert, si le roman connaît le succès qu’on lui doit actuellement, c’est parce qu’il

198

Tableau 5 : Ouvrages de Sony Labou Tansi à la Sorbonne

Romans

La vie et

demie

L’Anté-

peuple

Les yeux

du volcan

L’Etat

honteux

Les sept

solitudes

de Lorsa

Lopez

Le

commencement

des douleurs

TOTAL

Nombre

4

2

1

2

2

1

12

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199

Tableau 6 : ouvrages de BEYALA à la Sorbonne

Romans Amours

sauvages

Les

arbres en

parlent

encore

Assèze

l’Africaine

Les

honneurs

perdus

Maman a

un amant

C’est le

soleil qui

m’a

brûlée

Tu

t’appelleras

Tanga

La

négresse

rousse

Le petit

prince de

Belleville

La petite

fille du

réverbère

Total

Nombre 2 1 3 2 2 3 2 1 2 3 21

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200

Le constat, si différent qu’il se signale, paraît simple. L’étude de la bibliothèque

centrale de la Sorbonne révèle une large totalité différentielle au niveau de la

réception des œuvres des romanciers. En effet, tous les romans y sont représentés,

même si c’est toujours à courte échelle. Mieux qu’à Paris XII, on peut estimer que

les lecteurs peuvent lire chaque ouvrage des auteurs. Pourtant, dans les deux cas et

au regard des travaux sur les auteurs et du nombre potentiel des lecteurs, le nombre

d’exemplaires est infiniment petit.

De tous les tableaux présentés, il ressort que les romans de Beyala demeurent les

plus nombreux. Si on avait à classer les écrivains selon le nombre d’exemplaires

trouvés, Beyala prendrait la première place, car elle totalise 23 ouvrages dont 2 à

Paris XII et 21 à la Sorbonne. Ensuite viendrait Ahmadou Kourouma avec 18

romans dont 2 à Paris XII et 16 à la Sorbonne. Enfin Sony Labou Tansi qui totalise

12 romans (0 à Paris XII et 12 à la bibliothèque de la Sorbonne).

C’est alors ici et maintenant que s’entendraient les réponses à la question de savoir

pourquoi ne retrouve-t-on pas tous les ouvrages de Ahmadou Kourouma, de Sony

Labou Tansi et de Calixthe Beyala dans ces bibliothèques universitaires. Selon

certains spécialistes rencontrés, deux principales réponses ressortent. Le manque des

moyens cuisant ferait en sorte que ces bibliothèques ne se munissent pas de tous les

romans, fussent-ils africains ou français ( ?). La deuxième raison souvent invoquée

sans grande conviction de notre part est la rupture de stock. Car selon les

bibliothécaires, dans le cas des romans d’Afrique francophone, il est toujours

difficile de se procurer de nouveaux exemplaires après une publication. Poussant

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201

leur réflexion et au regard du nombre d’exemplaires par auteur, nous estimons que le

véritable esquissé des bouts des lèvres reste le manque de lecteurs potentiels de cette

littérature, d’autant plus que parmi les milliers d’étudiants inscrits à Paris XII et à la

Sorbonne, seule une large minorité a accès à cette littérature. Et cette minorité est

constituée d’étudiants et chercheurs (professeurs y compris ) qui travaillent sur cette

littérature. Les autres ne lorgnant qu’un d’un œil furtif…

Les analyses de ces spécialistes peuvent s’entendre. Cependant, on peut réfuter

toutes ces réponses. Même s’il n’y a qu’une minorité de lecteurs, cela ne justifie pas

l’absence de l’ensemble romanesque des écrivains dans un endroit censé légitimer

une œuvre : l’école/l’université. Selon Bourdieu1, et nous l’avons déjà effleuré,

l’école, à l’instar de l’Eglise, devrait « canoniser » le livre, car c’est elle qui

« prétend au monopole de la consécration du livre. » Si l’institution scolaire qui

devrait rendre non seulement au livre ses lettres de noblesse mais aussi sa force de

pérennité ne le fait pas, un risque menace alors le livre africain francophone : celui

de voir un jour le roman d’expression française d’Afrique se perdre dans ce que nous

nommons ici « l’oubli intellectuel ». L’oubli intellectuel est à notre sens le fait que si

le livre africain ne se lit pas en France, nous justifierions toujours l’hypothèse selon

laquelle cette littérature demeure mineure2. Alors que plusieurs publications se font

au quotidien.

1 BOURDIEU (P.), Les Règles de l’art, op. cit., p. 244-245. 2 La troisième partie sur la lecture des romans présentera au mieux ce que nous voulons exprimer par

‘’l’oubli intellectuel’’.

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202

Sortant du milieu de l’institution scolaire et poursuivant la démonstration sur

‘’l’absence’’ des romans , il importe de regarder dans deux autres bibliothèques, non

plus universitaires mais municipales afin de noter la ‘’présence’’ spécifique des

romans de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Calixthe Beyala. Ces

sont la Bibliothèque de Cachan et La Bibliothèque Publique d’Information ou la

B.P.I1 du Centre Georges Pompidou. Curieusement, à l’inverse des bibliothèques

universitaires ou BU, les bibliothèques municipales ont une gamme assez diversifiée

et plus intéressante des œuvres des écrivains.

4. 2. b. Les Bibliothèques municipales

4. 2. b. 1. La bibliothèque de Cachan

Située en plein centre de la ville de Cachan dans le département du Val de

Marne, la bibliothèque du même nom a été créée en 1980. Il regroupe trois

catégories de lecteurs : les enfants, les juniors et les seniors. En plus de la

bibliothèque elle-même, cet espace est également doté d’une médiathèque.

La bibliothèque de Cachan participe de la diffusion des œuvres en général. On

y trouve toutes les littératures. Pour une fois, il n’existe pas de rayon spécialisé

pour chaque littérature. Tous les auteurs sont placés et rangés par ordre

alphabétique. C’est la première fois que l’on ne retrouve pas de distinction entre

1 Le choix de ces bibliothèques municipales ne tient qu’à la relativité du milieu de vie, plus proche (pour la

première) et à la fréquentation de ces lieux pour la deuxième. Comme tout choix, il peut paraître

‘’arbitraire’’. Mais l’essentiel est de constater ce que nous tenons à démontrer.

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203

écrivains, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de catégorisation de littérature ni des

romanciers, comme c’est le cas dans d’autres bibliothèques. Toutes les

littératures sont présentées sous la rubrique ‘’Romans’’. Selon l’une des

bibliothécaires, la bibliothèque municipale de Cachan ne fait aucune distinction

d’origine sur le plan littéraire.

Tous les romans sont pris au même titre sur le plan culturel et stylistique.

D’ailleurs, depuis près de dix ans, une expérience consiste à faire en sorte que

chaque littérature « étrangère » soit connue dans la ville, à travers des

animations en rapport avec cette littérature. Un travail thématique et régional est

ainsi élaboré en vue de diffuser et de faire connaître ces différentes littératures.

En 1991, par exemple, une vitrine sur la littérature africaine avait été ouverte au

public cachanais et environs1. Une nouvelle journée est aujourd’hui en gestation.

L’éclosion de la littérature africaine à Cachan, selon Madame Fournier2, tient

d’un des buts fixés par la municipalité. A savoir, faire connaître toutes les

littératures partageant la langue française. Cette expérience n’est peut-être pas

unique en son genre. Mais l’important est de noter qu’au-delà des institutions

littéraires, il y a d’autres endroits de diffusion de cette littérature. L’étonnant,

aussi, est de remarquer que la bibliothèque de Cachan dispose de plus

d’ouvrages des romanciers que Paris XII, par exemple. Les tableaux ci après le

démontrent :

1 De février à mars 2004, une nouvelle exposition sur la littérature d’Afrique noire a été faite à Cachan. 2 Madame FOURNIER est une des bibliothécaires de Cachan.

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204

Tableau 7 : Ouvrages de Kourouma à Cachan.

Romans

Les soleils des

indépendances

Monnè,

outrages

et défis

En attendant le vote

des bêtes sauvages

Allah n’est pas

obligé TOTAL

Nombre

1

1

1

2

5

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205

Tableau 8 : Romans de Sony

Romans La vie et

demie

L’Anté-

peuple

Les yeux du

volcan

L’Etat

honteux

Les sept

solitudes de

Lorsa Lpoez

Le

commencement

des douleurs

TOTAL

Nombre

1

0

1

0

1

1

4

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206

Tableau 9 : Romans de Beyala

Romans

Amours

sauvages

Les

arbres

en

parlent

encore

Les

honneurs

perdus

Maman

a un

amant

C’est

le

soleil

qui

m’a

brûlée

Tu

t’appelleras

Tanga

La

négresse

rousse

Le

petit

prince

de

Belle-

ville

Assèze

l’Africaine

La petite

fille du

réverbère

Total

Nombre

0

1

2

1

1

1

1

1

2

2

12

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207

A travers les tableaux 7, 8 et 9, on s’aperçoit d’emblée que les romans de

Beyala sont une fois plus nombreux que ceux de Kourouma et de Sony. Elle

dispose de 12 exemplaires parmi l’ensemble de son œuvre. A part Amours

sauvages qui n’est pas répertorié, tous les autres romans de Beyala sont

visibles. Et chacun de nos auteurs y est représenté. Kourouma ne détient que 5

exemplaires totalisés dont 2 pour Allah n’est pas obligé. Tandis que Sony

Labou Tansi n’a que 4 exemplaires. L’anté-peuple et L’état honteux n’y

figurant pas dans la liste. Comme dans les bibliothèques universitaires, Beyala

détient le plus grand nombre d’exemplaires. De ces manquements et disparités,

deux raisons fusent immédiatement lorsqu’on interroge les bibliothécaires. La

première est que des trois romanciers, en France, Beyala reste la plus

médiatisée suivi Kourouma, tandis que Sony Labou Tansi est presque

« oublié ». La deuxième raison fait référence, selon les spécialistes de la

bibliothèque, aux thèmes évoqués par la romancière franco-camerounaise. Elle

aborderait des thèmes qui se concentrent autour de la femme africaine « prise »

dans les carcans de la tradition1 et qui interpellent l’humanité féminine en

général. En outre, Beyala revendique les égalités entre l’Homme et la Femme,

élément central qui se retrouvent dans toutes les sociétés actuelles. Ses activités

extra littéraires et « syndicales » lui permettent de s’établir dans les médias2.

Par conséquent sa diffusion et sa réception demeurent plus soutenue que celles

des autres.

1 A ce propos, cf. le chapitre sur l’écriture de Beyala. 2 Beyala fait partie d’une association qui lutte pour l’intégration des minorités en France.

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208

Qu’à cela ne tienne, la bibliothèque municipale de Cachan fournit un

échantillonnage assez important pour notre étude. Même si le nombre

d’exemplaires des romanciers semble insuffisant, il n’en demeure pas moins

qu’ils soient tous les trois représentés. Et contrairement aux autres lieux de

diffusions en général, ils ne sont plus classés dans des rubriques « spécifiques.»

4. 2. b. 2. La Bibliothèque Publique d’Information ou la B.P.I.

La Bibliothèque Publique d’Information est un « organisme » rattaché au centre

Georges Pompidou. Le projet de réalisation de ce qui deviendra l’un des plus

grands centres culturels de Paris, peut-être de France, remonte à 1959. Il fallut

attendre 1977 pour que son ouverture soit effective. Depuis cette date, la B.P.I.

met à la disposition du public des milliers de colletions de références et des

ouvrages tant théoriques que pratiques. Elle est comparable, à l’heure actuelle,

à une encyclopédie1 qui regorge de toutes les sommes du savoir. Elle répond

notamment « aux besoins de la vie courante », comme l’a noté Jean-Pierre

Séguin2. Le rôle assigné à la B.P.I. est de rassembler tout public sans distinction

aucune, en veillant à la formation de l’élite et des intellectuels. Pour Séguin,

l’un des premiers directeurs de la bibliothèque,

« La BPI est un assez ‘’vaste ténébreux empire’’ (…)

des livres en tous genres et de tous âges, conservés

1 BARBIER-BOUVET ( J.-F.), ‘’La Bibliothèque ou le savoir faire de la ruse’’ in Publics à l’épreuve, p.

10. 2 SEGUIN(J.-P.), Comment est née la BPI. Invention de la médiathèque, 1987, p. 16.

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209

dans un état de veille à l’intention de l’élite, des

chercheurs français1. »

Au-delà de la catégorisation spécifique des intellectuels à l’origine, la B.P.I. va

s’ouvrir à tous les lecteurs sans distinction de niveaux scolaires et

universitaires. Elle participe ainsi de la diffusion des œuvres quelles qu’elles

soient. Selon Séguin, toujours, la B.P.I. est aussi

« un libre accès (…) aux collections pour un public

indifférencié [où sont] abolies les barrières du

savoir et des diplômes, les rites d’initiation, la

sacralisation de l’acte de la lecture, qui devenait

ici naturel, familier, à la portée de tous2. »

A travers les mots de Jean-Pierre Séguin, il se construit trois définitions de la

B.P.I. La première est qu’elle est le lieu où tous les ouvrages ont droit de cité,

en ce que la B.P.I. recèle de tous les genres de livres rares et nouveaux. La

deuxième définition est que la B.P.I. est le lieu où se côtoient tous les savoirs.

Aucune barrière n’existe du point de vue « instruction » devant la lecture.

Enfin, elle démocratise et désacralise la lecture en permettant à tous les lecteurs

de pouvoir y exercer pleinement leur rôle dans un silence « indissocié.» Il n’y a

plus de différence entre lecteurs « initiés » et lecteurs « profanes.»

1 Idem. 2 Ibidem,

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210

A propos des « livres en tous genres », il peut se trouver que, Jean- Pierre

Séguin pense à l’immense richesse culturelle et romanesque qu’on retrouve à la

B.P.I. Avec un fonds de plus de 350.000 livres, elle associe journaux, romans et

ouvrages théoriques. On y rencontre également toute la composition des

sciences humaines, celle de la pensée scientifique et technique. Tous les savoirs

se bousculent.

Dans ce foisonnement indiscutable de milliers d’ouvrages se trouve également

la littérature africaine francophone. Cependant en ce qui concerne les œuvres

de Kourouma, Sony et Beyala, le constat est une fois encore décevant et

préoccupant. Sachant que notre but n’est pas de voir absolument des milliers

d’exemplaires des trois écrivains, il est inquiétant de noter que dans cet

ensemble d’ouvrages et de plus de 14000 lecteurs par semaine, il y a à peine 21

titres romanesques des écrivains que nous étudions. En voici, comme pour les

autres bibliothèques la composition, par auteur des ouvrages représentés à la

B.P.I. :

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211

Tableau 10 : Romans de Kourouma à la BPI.

Romans Les soleils des

indépendances

Monnè,

outrages et

défis

En attendant le

vote des bêtes

sauvages

Allah n’est pas

obligé TOTAL

Nombre

1 1 2 2 6

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212

Tableau 11 : Ouvrages de Sony

Roman

s

La vie et

demie L’Anté-peuple

Les yeux du

volcan

L’Etat

honteux

Les sept

solitudes

de Lorsa

Lopez

Le

commencement

des douleurs

TOTAL

Nombre

1 1 1 1 1 0 5

Page 213: UNIVERSITE PARIS XII - doxa.u-pec.frdoxa.u-pec.fr/theses/th0221251.pdf · Selon Marthe Robert, si le roman connaît le succès qu’on lui doit actuellement, c’est parce qu’il

213

Tableau 12 : Romans de BEYALA

Romans Amours

sauvages

Les

arbres en

parlent

encore

Assèze

l’Africaine

Les

honneurs

perdus

Maman

a un

amant

C’est le

soleil qui

m’a

brûlée

Tu

t’appelleras

Tanga

La

négresse

rousse

Le petit

Prince

de

Belleville

La petite

fille

du

réverbère

TOTAL

Nombre

1

0

1

1

1

0

0

0

0

0

4

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En plus des titres purement romanesques, on retrouve également quelques

ouvrages de théâtre et ce qu'on peut qualifier d’essais. Pour Ahmadou

Kourouma, il existe un exemplaire de la pièce de théâtre Le diseur de vérité.

Pour Sony Labou Tansi, il y a deux exemplaires de pièce de théâtre et un

inédit. Ce sont : Conscience de tracteurs, Théâtre francophone et L’autre

monde ; écrits inédits. Et pour Beyala, on note deux exemplaires de Comment

cuisiner son mari à l’africaine et un exemplaire de Lettre d’une Africaine à

ses sœurs occidentales. A la vue des tableaux 10, 11 et 12, il y a comme une

inversion des faits, si l’on en croit les précédents tableaux. En effet à la BPI,

Ahmadou Kourouma prend la tête avec seulement 6 exemplaires. Vient ensuite

Sony avec 5 ; enfin Beyala qui s’en tire avec 4 exemplaires en dépit de sa ligne

exponentielle de publication.

La réaction qui peut surgir après la lecture de ces tableaux est que les ouvrages

de Kourouma, Sony et Beyala ne sont qu’une infime partie de la somme de tous

les ouvrages représentés, eu égard à la fréquentation du milieu. Tous les romans

de chaque écrivain n’y sont pas totalement présents. Peut-être noyés dans cet

amas livresque, les romans de Kourouma, Sony et Beyala ne paraissent-ils que

de façon étriquée. Mieux que Paris XII en tous cas et pire que Cachan, la BPI

n’offre qu’une pauvre gamme d’exemplaires. Sur plus de 350.000 ouvrages, on

n’y rencontre que 15 romans. Pourtant cette bibliothèque qui accueille des

milliers de lecteurs cosmopolites sombre également dans cet « oubli » des

romanciers. La diffusion et la réception de ces romans sont à une moindre

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215

échelle. En plus de ces lieux de diffusion première des ouvrages, certaines

librairies spécialisées et les FNAC, par exemple, n’en font pas mieux.

4. 2. b. 3 Du côté des librairies et de la FNAC.

Sans avoir la prétention d’achever cette deuxième partie de notre

démonstration, le temps est venu de présenter les librairies et les centres

commerciaux dont certains sont spécialisés dans la diffusion des biens

culturels. Ces instances participent largement de cela même qui constitue l’un

des pôles primordiaux du livre : la diffusion et la distribution. Ce sont des lieux

privilégiés où le livre, objet fini et prêt à la consommation, attend d’être acheté

par un éventuel client-lecteur.

Les librairies, prises singulièrement, peuvent être vues comme les principaux

centres de vulgarisation et de réception du livre. Elles participent, plus que les

centres commerciaux et les bibliothèques, de ce qu’il convient de désigner sous

le nom de ‘’liaison’’ entre les maisons d’édition et le public. Elles servent de

relais et de lien entre l’éditeur et le lecteur. Elles demeurent aussi l’endroit où

toutes les nouvelles publications se côtoient et se retrouvent avec d’anciens

ouvrages, parfois très rares. Reprenant les propos de l’éditeur Jérôme Lindon en

1988, Philippe Lane, un des spécialistes des librairies en France, souligne

l’importance des librairies dans la société française. En effet, selon Lindon, les

librairies sont des

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216

« lieux où l’on trouve les nouveautés le jour de leur

parution, mais aussi des ouvrages anciens, connus

ou non, dont le choix est la plus juste expression

d’une personnalité. Des lieux où l’on peut parler des

livres à des gens qui les ont lus, qui peuvent vous

informer, voire vous conseiller. Où chacun est en

mesure de se constituer sa propre bibliothèque.

L’avenir du livre repose sur ces librairies.»1

La définition de Jérôme Lindon sur les librairies englobe un ensemble de

micro-définitions qui gravitent autour de l’idée principale. D’abord, les

librairies sont décrites comme des endroits où le lecteur peut forger sa

« personnalité » en trouvant le livre qui lui sied. En d’autres termes, les

librairies contribuent à la formation de l’Individu à travers le livre. On pointe

déjà le rôle de la lecture.

Ensuite, elles permettent au public-lecteur de se retrouver, de s’informer et

discuter soient avec des libraires, soient avec d’autres lecteurs, de nouvelles

publications. Elles s’autorisent ainsi de partager des avis et expériences de

lecture et même d’édition.

Enfin, les librairies sont la source de base de toute constitution de bibliothèque

personnelle. Dans ce cas de figure, à travers le geste d’achat et par le fait 1 Propos repris par LANE (P.), ‘’La librairie, nouveau moteur de l’édition ? in Où va le livre ? o.p. cit. p.

81-82.

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d’accumulation, le lecteur élabore (consciemment ou non) une vitrine de livres

pouvant aller d’un seul à plusieurs ouvrages. Les librairies sont, par conséquent,

l’amont d’une culture personnelle ou collective. En terminant ses mots,

l’éditeur Lindon estime que l’ « avenir du livre repose » bien sûr sur les

librairies que sur autre chose. On ne peut pas penser le livre sans faire appel aux

librairies. Et les centres commerciaux demeurent en quelque sorte la continuité

des librairies.

Bien qu’ils ne soient pas des lieux par excellence de diffusion et de distribution

des livres au départ, les grands centres commerciaux participent à la promotion

et à la connaissance des auteurs et de leurs livres. Faisant partie des endroits les

plus fréquentés en France, les FNAC, par exemple, contribuent à la diffusion

des romans. Leur progression se développe au point de créer des espaces de

librairie en leur sein. Elles peuvent ainsi « lancer » des nouveaux titres et

maintenir les ventes des romans au sommet. Une nette différence s’inscrit au

niveau des prix affichés selon qu’on achète un livre dans une librairie

spécialisée ou dans une FNAC. A la FNAC, les livres (presque tous)

bénéficient d’une réduction actuelle de cinq pour cent. Tandis que les prix

affichés dans les librairies sont généralement ceux des éditeurs. Cet écart des

prix, si minime soit-il, favoriserait aujourd’hui l’éclosion des rayons d’ouvrages

dans chaque grand centre commercial. Et le lecteur moins nanti se dirige vers

ces lieux que vers les librairies spécialisées.

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Revenant à ce qui nous préoccupe, lorsque nous regardons les rayons de

certaines librairies françaises, notamment parisiennes1, le constat est là encore

très amer. Il est regrettable de noter que les ouvrages des romanciers africains

francophones demeurent toujours inexistants. Pour paraître plus concret, une

dizaine de librairies2 ont été choisies « au hasard » afin de localiser les romans

de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Calixthe Beyala. A la

surprise générale, toutes ces librairies ne disposaient pas ou peu des romans de

ces écrivains. Trois librairies sur dix ont présenté à peine deux ou trois

exemplaires des ouvrages de Kourouma et de Beyala. Les romans de Sony

Labou Tansi n’y figurant pas du tout. Parmi les romans trouvés dans ces trois

librairies, seuls quelques exemplaires de Allah n’est pas obligé, les soleils des

indépendances et En attendant le vote des bêtes sauvages semblaient sortir des

rayons pour Kourouma. En ce qui concerne Beyala, un ou deux exemplaires du

Petit prince de Belleville, de Les arbres en parlent encore, Maman a un amant

et Tu t’appelleras Tanga qui reviennent souvent. Tous les autres romans n’y

sont pas.

A la question de savoir pourquoi une telle rareté des romans des trois

romanciers et d’autres auteurs africains, les libraires se sont presque retenus de

dire que ces romanciers ne se vendent pas bien. Et en dépit du fait que

Kourouma et Beyala ont été primés par le Renaudot et le Grand prix de

1 Dans cette approche démonstrative, nous omettons d’associer les librairies qu’on qualifie d’africanistes

en ne s’intéressant qu’aux librairies générales. Lesquelles librairies ne sont pas nombreuses. 2 Pour des raisons d’éthique, il nous est interdit de divulguer les noms de ces différentes librairies visitées à

Paris. Peut-être n’avons-nous pas trouver les bonnes.

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l’Académie française respectivement, ils finissent par retrouver le fil

‘’quotidien’’ de leur vente qui consiste en une vente saccadée et rallongée dans

le temps. Ces deux auteurs, d’après notre démonstration sur ‘’le succès

littéraire1’’, se sont plus vendus au firmament de leur ‘’couronnement’’ que

dans la vie commerciale de tous les jours. Cette argumentation est ainsi

déployée par les libraires questionnés. Au fil de temps, malgré une pseudo

évolution éditoriale et commerciale, ces romanciers se retrouvent dans la

tradition éditoriale africaine d’antan qui consiste à se faire vendre

« diachroniquement » ou par étapes. En outre, la rareté des romans de

Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Calixthe Beyala dans ces

librairies parisiennes reposerait essentiellement sur deux principaux arguments.

Le premier argument est que quoi qu’on dise, il n’existe pas véritablement de

motivation pour la lecture des textes africains. A part les universitaires et

quelques lecteurs occasionnels français, ces romans sont en général envoyés en

Afrique, lieu ‘’originel’’ de leur public. Les lecteurs français ‘’ne trouveraient

pas ce qu’il y a d’extraordinaire dans cette littérature’’. En d’autres termes, il

n’y a de lecture de romans africains par les Français que par simple curiosité et

de découverte exotique. Le plaisir de la lecture, ici, ne convainc pas. Selon les

libraires, toujours, le second argument qui tienne est que dans la plupart des

cas, ces romans ne sont publiés qu’à faible tirage. Bien-sûr dans la crainte pour

les éditeurs de se voir retourner ou obliger de garder le reste des stocks non

vendus. Cette situation contraint souvent les libraires à refaire des commandes

supplémentaires chez les éditeurs. A ces deux opinions (des libraires), il faut

1 Cf. Prix littéraires, supra.

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220

ajouter une troisième consécutivement effleurée et qui semble juste : les raisons

de cette absence-rareté des romans sont à trouver du côté de la croissance

économique, en ce que les libraires, comme les éditeurs demeurent toujours-

d’abord des ‘’commerçants’’ dont le seul but n’est pas seulement de vendre des

objets culturels, mais également de réaliser des bénéfices. Or pour le faire, il

faudrait que la valeur marchande soit à même d’être écoulée sur le marché.

Avec les ‘’biens symboliques’’ de Kourouma, de Sony et de Beyala pour parler

comme Pierre Bourdieu, aucun bénéfice ne peut véritablement s’effectuer

rétorquent les libraires. Est-ce que ces raisons suffisent à ne pas exposer ces

‘’biens’’ ?

Devant ces problèmes, les libraires n’hésitent donc pas à faire de choix dans les

livres à vendre et qui peuvent être écoulés le plus tôt possible. Certains estiment

à juste titre qu’il vaudrait mieux ne pas s’engager dans la vente des ouvrages

africains qui tiennent dans le temps. Or, le public et le lectorat des textes

francophones d’Afrique noire étant réduits, il est plus facile, pour les libraires et

les commerçants, de les ignorer en privilégiant les ouvrages qui se vendent

bien. Et sachant que la demande crée l’offre, dans notre cas, il apparaît

clairement que la demande des textes romanesques de nos écrivains reste

pratiquement nulle. Dans la mesure où sur une dizaine d’acheteurs, seul 0,1%

des Français souhaiteraient lire un roman africain. Car mis à part les

enseignants et chercheurs, le lectorat de ces livres est souvent limité et

parcellaire.

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221

Le constat est à tout à fait surprenant et autre quand on regarde les centres

commerciaux comme la Fnac. Effectivement, mieux que certaines librairies, la

Fnac offre une variété des romans d’auteurs africains rangés sous le concept de

« Romans africains et antillais.» Même si ce rayon n’occupe qu’une petite

portion de la très grande librairie de la Fnac, on retrouve tout de même des

exemplaires des ouvrages des trois écrivains. Ici encore, comme dans les

librairies spécialisées, tous les romans ne sont pas répertoriés. A ce point précis

de la démonstration, il peut se lire une inversion des rôles entre la Fnac et ces

différentes librairies. Car au lieu que les librairies et plus haut les bibliothèques

universitaires fournissent les romans de nos écrivains, ce sont plutôt les FNAC

qui participent peu prou à leur diffusion et distribution. Ce qui confère aux

FNAC et aux nouveaux modes de diffusion une place de choix dans la

distribution des romans en général. A l’heure actuelle et tous livres confondus,

les grandes surfaces représenteraient, selon Pascal Fouché, un pourcentage

beaucoup plus élevé dans la distribution et la diffusion des ouvrages que les

librairies spécialisées. Il dit :

« Globalement, les grandes surfaces spécialisées

(Fnac, Virgin, Extrapole, etc.), les hyper et

supermarchés, les maisons de presse et les

kiosques représentent déjà plus de 60 % du

commerce du livre de détail (…) Dès 1996, on

estimait que la librairie traditionnelle ne

représentait plus que 21% des ventes, celle-ci

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incluant des librairies de chaînes et des librairies

d’éditeurs1. »

Quoique l’étude ne porte pas spécifiquement sur les livres d’origine africaine

dans leur entièreté, on retient l’idée que les FNAC et les grandes surfaces, en

général, contribuent, peut-être plus à la diffusion et à la distribution nettes des

ouvrages que certaines librairies. Les pourcentages ici esquissés témoignent

vraisemblablement de l’engouement de rendre le livre plus accessible à toutes

les couches de la population, y compris le livre africain2. Pourtant, selon

Chantal Horellou-Lafarge et Monique Segré3, les FNAC, malgré leur

développement sur le plan éditorial, sont remis en question, car certains

éditeurs de « littérature générale et de sciences humaines » auraient noté une

baisse de « 30% de leur réassortiment ». Cette baisse proviendrait de la

présence d’un concurrent sérieux qui talonne de près ces hypermarchés :

Virgin.

Même si nous n’en avons pas parlé longuement, il est aussi possible de se

procurer, au-delà des chemins traditionnels du livre (librairies, bibliothèques ou

1 FOUCHE (P.), « Irrésistible chute de la librairie indépendante ? », Le Monde, 1er juillet 1999, et L’Edition

française depuis 1945, sous la direction de Pascal Fouché, op. cit. 2 Il est vrai que parmi les grandes surfaces désignées par Pascal FOUCHE nous n’avons retenu que la Fnac

car selon notre observation, elle offre plus de diversité de livres africains que d’autres. 3 HOURELLOU-LAFARGE (C.) et SEGRE (M.), Regards sur la lecture en France. Bilan des recherches

sociologiques, Paris, L’Harmattan, p. 257-264. Dans cet ouvrage, les sociologues présentent un ensemble

d’éléments quasi importants sur la diffusion des ouvrages et de leurs lieux de vente en France. Elles

constatent notamment la présence des grandes surfaces qui tendent à surpasser celle des librairies générales

qui, faute de moyens n’arrivent plus ou peu à faire vendre le livre.

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223

grandes surfaces), les ouvrages africains par des commandes spéciales et par

internet. Ces moyens mis à la disposition des publics participent également de

la diffusion des livres1. Cependant, contrairement aux librairies, les centres

commerciaux ne se limitent qu’à la vente exclusive des ouvrages. Les vendeurs,

moins spécialisés que les libraires n’offrent pas toujours d’autres alternatives

dans le choix des livres. C’est ici que le libraire demeure indépassable.

De tout ce qui précède, il est terrible de constater que les librairies qui devraient

proposer une gamme de romans de nos romanciers le font moins ou presque

pas. Elles n’offrent pas beaucoup de choix devant les romanciers d’origine

africaine même ceux qui semblent être connus comme Kourouma et Beyala en

France. Tandis que dans les FNAC, même si c’est à courte échelle, on retrouve

un tout petit rayon de romans d’Afrique où sont exposés quelques rares

exemplaires des trois écrivains. Pourtant on peut (tout de même) s’obstiner à

penser que ces romanciers ont pu bénéficier d’une promotion intéressante et

d’une médiatisation inouïe en France. Le paradoxe est que même si les

ouvrages de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Calixthe Beyala,

se confinent dans un coin de librairie ou des FNAC, il n’en demeure pas moins

que ces écrivains ont été reconnus et primés en France.

1 Nous ouvrons là une brèche pour des travaux futurs.

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224

Chapitre 5 : Réussite des écrivains

5. 1. De la promotion des œuvres de Kourouma, de Sony et de Beyala.

Le Chapitre qui s’ouvre (actuellement) aurait pu appartenir à la section

précédente, relative à la publication et à la diffusion. Car faire de la promotion,

c’est toujours déjà inviter et inciter le public à « consommer » l’objet dont on

vante les mérites. Et dans ce chapitre, les objets complimentés demeurent les

romans des écrivains dont nous cernons la réception en France.

Pourtant, nous avons choisi de placer cette « promotion » ici et nulle part

ailleurs en ce que la promotion desdites œuvres augurent les distinctions qui se

liront sous la rubrique des prix littéraires. Pris dans ce sens, la promotion d’une

œuvre peut être perçue comme le moment qui précède une récompense ou une

consécration. En se créant des réseaux internes et externes des relations, les

promotions se créent des marchés de vente pouvant aboutir à des consécrations

littéraires à travers les différents prix décernés chaque année. Et l’une des

grandes orgues de la promotion demeure la critique journalistique-que nous

verrons dans la troisième partie- qui consiste la plupart du temps à flatter dans

un article de presse écrite (notre cas) l’écrivain et son éditeur. Comme le note

si bien Fabrice Thumerel, la promotion par les journaux est un des moyens

essentiels de la reconnaissance et de consécration. Selon Thumerel,

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225

« la meilleure façon de s’attirer la bienveillance de

leurs semblables est de flatter dans un article, un

palmarès, un panorama, etc., ou de favoriser leur

entrée[dans l’histoire]. »1

Une fois publiés, en effet, les livres (des écrivains) s’exposent à la diffusion à

travers les lieux de consécration et de légitimation que nous avons cités plus

haut, par exemple. En même temps qu’un ouvrage s’épanouit dans les réseaux

de distribution et de réception, il fait se connaître et reconnaître son auteur. Et

pour certains théoriciens, c’est en cela que réside le premier instant lié à la

reconnaissance et à la gratification de l’écrivain. La promotion serait déjà

l’instant précurseur d’une réussite. Mais, pour Alain Viala et d’autres

sociologues de la littérature, les prémisses d’une réussite se situent bien avant la

promotion, c’est-à-dire dès la publication de l’œuvre. En cela même que la

parution d’un livre par tel ou tel autre auteur peut faire de lui un écrivain

« connu » ou peu connu, voire non connu dans des cas extrêmes. Dans les deux

cas, des interrogations majeures subsistent encore : le fait de publier une œuvre

ou d’en faire sa promotion reste-il suffisant pour dire qu’un écrivain a réussi ?

De quelle réussite s’agit-il?

1 THUMEREL (F.), La Critique littéraire, Collection Cursus, série « lettres », Armand Colin, Paris, 1998,

p. 102.

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226

Reprenant la logique de Robert Escarpit dans son Littéraire et le social1, nous

tentons une « compréhension dialectique » et suivie de nos auteurs. Par

dialectique de réussite peuvent s’entendre tous les moments qui suivent la

publication et la diffusion d’un roman avant d’atteindre sa consécration, soit par

le public-lecteur, soit par les institutions littéraires qui sacralisent les œuvres

romanesques. C’est pour cette raison que nous insistons sur le fait que la

réussite d’une œuvre – et partant de son auteur- ne peut dépendre de l’écrivain

seul. L’achèvement de ladite œuvre par son couronnement tient donc de tous

les phénomènes qui naviguent autour de sa publication. Comme l’a souligné

Escarpit, on atteint là « une possibilisation du ‘’projet ‘’ de l’écrivain 2» en ce

que le succès n’est pas toujours acquis d’avance. Finalement, à en croire

Escarpit, il peut s’imaginer que dans l’arrière plan, un écrivain penserait, au-

delà du message délivré dans son livre, à un éventuel succès ou à une grande

notoriété. Pourtant, de façon générale, lorsqu’on interroge les écrivains, rien ne

laisse présager une envie de recevoir des récompenses, car l’important disent-

ils est l’objet de leur livre. D’ailleurs, de façon générale, les succès peuvent

devenir éphémères quand ils deviennent contraires aux aspirations des

écrivains3. Le cas le plus usité est celui de la réussite commerciale. En effet, ne

1 Dans Le littéraire et le social, ESCARPIT présente le ‘’succès et la survie d’une œuvre’’ sous deux

pôles : ‘’le succès commercial et la réussite de l’écrivain’’ qui passe par la réussite éditoriale. Pour notre

part, une tentative de dépassement de ces deux moments se fait jour en y ajoutant l’importance des prix

littéraires dans la carrière d’un écrivain, à l’heure actuelle. 2 ESCARPIT (R.), Le Littéraire et le social, op. cit., p. 130. 3 A ce sujet, Nathalie HEINICH a démontré dans l’incipit de L’Epreuve de la grandeur tous les

comportements qui peuvent surgir après la réception d’un prix littéraire. Mais en ce qui concerne

Kourouma et Beyala surtout, on ne peut pas prétendre dire quoi ce soit à propos de leur vie avant et après

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pouvant pas maîtriser les cours de vente, un écrivain peut passer d’auteur

anonyme à auteur connu frisant le « best-seller », comme il peut tomber dans le

silence total, en dépit des différentes promotions.

S’agissant des écrivains qui nous concernent, aucun n’a jamais émis le vœu de

se voir primé. Du moins rien ne le montre. Ils préfèrent tous se situer à l’écart

des succès et des réussites médiatisées. L’essentiel résidant dans ce que les

poètes du 19ème siècle nommèrent en leur temps « la théorie de l’art pour l’art »,

au lieu de la théorie de l’art pour le succès. L’objectif final d’un écrivain

n’étant pas son couronnement littéraire, encore moins des recettes gagnées à la

suite du négoce de « ses biens », ce dernier se doit de penser à ce que Bourdieu

a désigné sous le vocable de « bien symbolique », c’est-à-dire l’effet qu’une

œuvre doit provoquer chez tout lecteur. En fait, en parlant de la valeur des biens

symboliques, nous excluons toute ‘’association’’ avec le mercantile et donc

avec les signes du marché. Pourtant, nier la relation au marché dans le

processus de l’édition d’une œuvre ne reviendrait-il pas à écarter l’aspect de la

valeur des biens dans le sens où l’éditeur est d’abord un employeur ? La

réponse est bien connue. Escarpit et tous ceux qui ne cessent de montrer la

filiation de l’édition à un travail (comme tout autre emploi) ont déjà tranché

cette interrogation. Sur le plan marxiste, l’éditeur est un marchand comme tous

les autres et un « chef d’entreprise ». Donc l’aspect financier l’intéresse. Sur le

plan métaphysique, il participe de la diffusion des idées. Pour notre part, nous

leurs prix littéraires. Une fois encore nous déplorons que toutes les lettres écrites pendant la rédaction de ce

travail à ce propos soient restées lettres mortes.

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228

penchons pour le deuxième sens sans non plus voiler le caractère pécuniaire de

l’édition.

Ainsi, quel que soit le côté où l’on se positionne, il appert que l’écrivain peut

être gratifié de son œuvre. Et cette reconnaissance passe inexorablement par

une belle promotion des ouvrages et leur médiatisation. Faire de la promotion

d’un livre reviendrait donc à faire apprécier ce livre en vue de le faire connaître,

de le « médiatiser » comme le souligne Hubert Nyssen dans Du texte à

l’œuvre1. Selon Nyssen, la promotion et la médiatisation demeurent les temps

les plus importants de la vie d’un livre. Analysant ces deux éléments

fondamentaux, ce théoricien présente la promotion comme acte d’appréciation

faisant partie, comme la médiatisation, des

« ‘’paratextes’’ (ce par quoi le texte se fait

livre) qui sollicitent l’ouvrage pour en assurer

l’existence et la reconnaissance 2»

Le concept de ‘’paratexte’’ emprunté à Gérard Genette par Nyssen fait

référence à tout

« un ensemble des éléments textuels

d’accompagnement d’une œuvre écrite

(titre, dédicace, préface, notes, etc.) 3»

1 NYSSEN (H.), Du texte à l’œuvre, les avatars du sens, Editions Nathan, 1993, p. 94-98. 2 Idem, p. 89. 3 Le Petit Larousse Illustré, op. cit., p. 747.

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En outre dans la dimension éditoriale, le terme de « paratexte » est compris

comme tout élément extérieur qui fait non seulement connaître une œuvre mais

aussi la fait vendre. A ce stade de la réflexion, la promotion des romans de

Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Beyala, comme celle de tous les

écrivains, donne l’importance au livre en tant qu’ « objet de marché », qui doit

être (aussi) vendu. C’est dans ce cas seulement que se vérifie la loi du marché

dans le domaine de l’édition ; durant la promotion, il est plus question de

l’argent que de tout autre chose. On se soucie bien moins de la signification que

peut renfermer le texte que des bénéfices qui peuvent être engrangés par la

vente de l’ouvrage. Et l’éditeur, à travers un service de presse plutôt doué, doit

flatter les mérites dudit ouvrage, et dans la plupart des cas de sa maison

d’édition. Afin de mieux marquer la promotion du livre, l’éditeur ne lésine pas

sur les moyens dont le seul but est d’en tirer profit. Cela est palpable de la

qualité de la couverture employée à la qualité de la calligraphie, en passant par

la qualité des feuilles utilisées ; la quatrième de couverture joue aussi un rôle

notable dans la présentation du livre à promouvoir.

Généralement, les éditeurs disposent d’un grand ensemble de réseaux de

communication et de médiatisation qui permettent une bonne promotion des

ouvrages. Les réseaux de compétences communicationnels désignés souvent

sous la rubrique de « dossiers de presse » ou d’informations procèdent de la

promotion des auteurs. Par cet ensemble « paratextuel », l’éditeur participe

ainsi de la connaissance de l’œuvre au milieu des milliers d’exemplaires parus.

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Et les attachés de presse de chaque maison d’éditions suivent l’évolution de

ladite promotion. Ayant indiqué l’importance de la promotion, voire de la

publicité qui touche le livre, Hubert Nyssen fait le constat suivant :

« … Tous les acteurs [de l’édition] conviennent

qu’aucun de ces livres [disposés à la vente] n’a de

chance de s’imposer à l’attention publique s’il

n’est porté par des initiatives extérieures sinon

étrangères à son contenu1. »

Les propos de Nyssen prouvent l’essentiel de ce que nous venons de dire. Il

illustre l’avenir du nouveau livre sous les termes de « chance » ; pour que ce

livre s’impose au public, il lui faut bénéficier des paramètres « extérieurs » qui

le hissent. La promotion demeure l’instant où les éditeurs forcent presque la

main des acheteurs et des lecteurs à travers des moyens argumentaires assez

solides,

« telles des fusées éclairantes [attirant] l’attention

des lecteurs dispersés dans l’ombre. 2»

Si à la parution d’un ouvrage, rien de tout cela n’est déclenché, le livre peut

sombrer dans le strict silence et dans l’oubli total. Dans la plupart des cas, les

ouvrages africains en France souffrent de ce manque de promotion ou de

« bonne » promotion. Cependant, durant ces multiples stratégies 1 NYSSEN (H.), op. cit., p.90. 2 Idem, p. 94.

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promotionnelles, les « initiatives extérieures » ne favorisent pas toujours la

connaissance du sens. En effet, selon les mots de Nyssen, tout ce qui contribue

à la connaissance d’une œuvre est à l’écart de ce qui devrait être primordial : le

sens. Pendant la promotion, la recherche du sens n’existe pas ou presque. Le

« contenu », reste ‘’inaccessible’’. Tout est plutôt bâti pour la réussite

commerciale. Partant de ce fait, on s’écarte d’emblée de l’idée du bien

symbolique énoncée plus haut. Toutefois, dans ce dispositif communicationnel,

où les aspects de l’écriture et du langage textuel sont évacués, on aboutit à ce

que Nyssen nomme « l’adynamie du texte », c’est-à-dire l’ensemble des actes

qui favorisent l’ouverture d’un marché potentiel du livre. On comprend

aisément la signification de la promotion du livre dans les pays de longue

tradition romanesque, comme la France, quand on sait que plus de trente mille

titres paraissent chaque année. Tout éditeur opte pour la stratégie qui lui sied le

mieux.

S’agissant de nos écrivains, le problème est encore plus complexe. Plus

difficiles aussi restent toutes les procédures de promotion de leurs ouvrages en

France. Pour des raisons moins connues, la publicité qui s’attache à la

promotion et à la diffusion de leurs œuvres est lente. Pourtant, à en croire les

éditeurs, il n’existe pas de différences de promotion chez les écrivains non

Français vivant en France. Mais sur le terrain, l’écart se fait criard au regard de

la méconnaissance des textes africains. Il est pareillement rare de constater des

artifices publicitaires qui annoncent la parution des ouvrages d’un Ahmadou

Kourouma, d’un Sony Labou Tansi ou d’une Calixthe Beyala. Le plus souvent,

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quelques rares articles sur les auteurs mis en petit encadré dans des journaux de

presse écrite mentionnent péniblement les dernières parutions des écrivains.

Puis le silence. Il est encore plus difficile de noter le passage d’un des deux

écrivains (Sony étant décédé) à une émission de télévision qui demeure quand-

même en France l’un des lieux les plus sûrs de la promotion et même de la

consécration des écrivains. En dehors de quelques apparitions furtives et

rarissimes, il est difficile de voir Kourouma ou Beyala dans une émission

spéciale sur la littérature francophone (pourquoi pas ?) ; sachant que cette

instance de médiatisation compte parmi les moyens qui peuvent non seulement

favoriser l’achat1 mais aussi la découverte et la lecture des romanciers

présentés. L’expérience a montré qu’après une émission de forte audience, un

téléspectateur ou un auditeur « non averti » peut décider de devenir lecteur des

œuvres de l’écrivain mis sur la sellette. Pour exemplifier nos propos, il se

souvient de son passage à l’émission ‘’Apostrophes’’ de Bernard Pivot en 1985

où le roman L’amant2 de Marguerite Duras dut toucher certains milieux qui lui

restaient encore « hostiles ». Mieux, il atteignit les plus grosses ventes de son

histoire littéraire. En effet, grâce au travail de sa maison d’édition et surtout à

son passage à ladite émission (par la promotion et la médiatisation ), les

courbes de vente durent monter subitement, frisant à la fin, les 780.000

exemplaires. Du reste, à partir de cette date, tous les romans de l’auteur furent

1 Il est évident que tous ceux qui achètent un livre ne sont pas absolument de potentiels lecteurs, car ils

peuvent l’offrir sans jamais l’avoir lu. 2 Duras (M.), L’Amant, Paris, Editions de Minuit, 1984.

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pris d’assaut par de nouveaux lecteurs1. Le cas de Duras, comme de tous les

autres romanciers qui ont connu ce succès médiatique, nous apprend qu’une

bonne promotion par les moyens médiatiques favorise non seulement la

connaissance de l’auteur mais également celle de ses œuvres, tout cela bien sûr

pour le bien de l’éditeur. A l’heure actuelle, on ne pourrait pas avoir un tel

exemple parmi les auteurs illustrés. Car une fois de plus, nous n’avons pas eu

accès à plusieurs informations de la part non seulement des éditeurs mais aussi

des auteurs eux-mêmes.

On ne peut non plus nier qu’aujourd’hui, les œuvres de Kourouma, de Sony et

Beyala connaissent un regain d’attention dans la société française. Pris

singulièrement, ces auteurs bénéficient d’une certaine promotion souvent

réduite à la hauteur de leur personne, c’est-à-dire que chaque écrivain a une

publicité propre et différente de celle des autres. Cela dépend aussi des

matériaux mis à la disposition par les maisons d’édition respectives. La

promotion de Kourouma chez Le Seuil n’est pas la même que celle de Beyala

chez Albin Michel. Mais comme nous l’avons déjà indiqué, la promotion et la

médiatisation de ces écrivains ne sont pas aussi efficaces que celles de leurs

pairs français. Pour preuve, à part quelques mots parus dans certains journaux,

rares sont les médias qui annoncent la parution de leurs nouveaux ouvrages. Et

à aucun moment, ces auteurs n’ont figuré dans le classement des meilleures

ventes ni des romans les plus lus en France. Cette situation présente donc des

1 Cette étude avait été faite en 1999 dans le cadre d’un séminaire sur les archives de Duras à l’université de

Caen. Dans ce travail, nous présentions l’importance des médias et des journaux dans le succès de

L’Amant.

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carences éditorialistes dans la mesure où les auteurs auraient une bonne

audience si les maisons d’édition jouaient pleinement leurs rôles. Pourtant ces

auteurs publient dans des maisons très connues et prisées en France, voire dans

l’environnement éditorial international.

De tout ce qui précède, nous retenons deux grandes choses. La première reste

l’importance de la promotion du livre. Elle est l’un des moments, sinon

l’unique, dans l’histoire du livre après sa parution en ce qu’elle permet non

seulement la connaissance du livre mais également celles de la maison

d’éditions et de son auteur. La survie du livre peut en dépendre. Le deuxième

temps fort de ce point nous a spécifié que la promotion de nos écrivains n’est

pas la même que celle de leurs pairs français. Et qu’il faudrait que les maisons

d’éditions s’efforcent à leur faire plus de publicité, car quoiqu’on en dise, leurs

romans n’ont pas encore atteint suffisamment les milieux populaires français.

Et bien sûr, la courbe de leur vente s’échelonne bien plus dans le temps qu’aux

premières années de leur publication1. En fait, la promotion se situe plus du

côté de l’éditeur que du romancier et de son œuvre. Et c’est à ce moment que le

sens est abandonné au profit d’autres éléments extérieurs au texte. Si la

promotion du livre est bien faite ou pas, les conséquences semblent multiples :

le livre s’assure une longévité et une reconnaissance inestimables ou non ; son

auteur peut ne pas entrer dans la légende. Et donc risque ou non de ne pas se

1 On n’oublie pas l’exemple des Soleils des indépendances de Kourouma énoncé par Gilles Carpentier au

sujet de la vente de ce roman. En effet, cette vente s’étale plus dans le temps. C’est un roman qui se vend à

long terme. C’est peut-être le propre des grands classiques. En tous cas, aucun de nos romanciers n’ait eu la

surprise de se « vendre » à des milliers d’exemplaires grâce à une éventuelle émission.

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voir primer un jour. Ce qui n’est pas le cas de Kourouma et de Beyala qui

manifestement se sont vus récompenser plusieurs fois.

5. 2 Des prix littéraires

Gloser sur les prix littéraires, c’est revenir sur le succès mais aussi sur

‘’l’insuccès’’ des auteurs que nous examinons dans le paysage littéraire

français. Car une fois de plus, il s’agit non pas des prix littéraires africains

décernés mais ceux qui le sont ou l’ont été en France et qui garantissent une

certaine renommée. Universalité dans la mesure où décerné en France, un prix

littéraire aurait plus d’impact sur le public que s’il l’était en Afrique (à l’instar

de ce que nous dévoilions sur l’impact de la publication en France). Loin de

nous l’idée de dévaloriser les prix africains. Il s’agit pour nous de rester dans

notre sphère de réception littéraire qui est la France.

En effet, recevoir un prix littéraire, c’est voir couronner une œuvre romanesque

(dans notre cas1) ou l’ensemble de la production d’un auteur. Dans la plupart

des cas, le prix est octroyé à un romancier pour un ouvrage. Depuis leur

apparition effective au début du XXème siècle, les prix littéraires suscitent

fascination, reconnaissance et « gloire ». Parfois, ils peuvent avoir des

conséquences négatives dans la vie du primé. Pour ce travail, il ne sera question

1 Naturellement, il existe plusieurs prix sur la poésie, la nouvelle… L’important ici est de présenter l’aspect

proprement romanesque. Peut-être serions nous amener un jour à faire des comparaisons entre les prix

littéraires romanesques et poétiques décernés aux créateurs africains en France.

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que de l’aspect positif du prix littéraire même si par moments on effleure

quelque aspect négatif dans une moindre mesure1. Mais qu’est-ce qu’un prix

littéraire ? A quoi peut-il servir ? Quelles sont les conditions d’attribution ?

Qu’en est-il de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Beyala ?

Il n’existe point de définition type du ‘’prix littéraire’’. Plusieurs significations

viennent s’accrocher à cette expression qui n’est pas tout à fait reconnue par les

universitaires et spécialistes de la littérature. Ces derniers, comme l’a souligné

Nathalie Heinich2, considèreraient les prix littéraires comme un objet

« indigne », vu « la rareté des travaux existant sur ce sujet ». Le fait que les

universitaires et les théoriciens de la littérature3 ne s’intéressent peut-être pas

aux prix littéraires n’altère en rien l’idée que ces prix existent et font presque

partie de la littérature aujourd’hui4.

De façon générale, deux sens contribuent à éclairer le terme ‘’prix littéraire’’. Il

peut être perçu comme la reconnaissance de l’écrivain et de son œuvre. Il peut

signifier également la réussite dudit écrivain. Laquelle réussite lui permet de

rentrer dans une sorte de « grandeur » (pour ne pas reprendre Heinich). Ces

1 Il s’agira, en effet, de montrer qu’après avoir obtenu un prix littéraire, un auteur ou / et son ouvrage

peuvent être l’objet de critiques acerbes sur des bases probablement objectives. Beyala en fera les frais. 2 HEINICH (N.), L’Epreuve de la grandeur, Prix littéraires et reconnaissance, Editions La Découverte,

p.29. 3 Deux ou trois thèses sur les prix littéraires ont été soutenues à l’heure actuelle dont celle de Sylvie Ducas,

La reconnaissance littéraire. Littérature et prix littéraires : les exemples du Goncourt et de Femina,

Université Paris-VII, 1998. 4 Il suffit de s’en rendre compte lors de chaque rentrée littéraire où les éditeurs se bousculent afin de

« faire passer » leur(s) livre(s) dont le seul but est de se voir primés.

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reconnaissance et réussite sont ‘’attribuées’’ par un jury au terme d’un vote

autour de deux ou plusieurs auteurs et ouvrages nominés. Et en France, la

majorité, sinon l’essentiel des prix littéraires sont décernés en automne,

précisément dans la première quinzaine du mois de novembre, laissant ainsi le

temps aux différents membres des jurys le soin d’apprécier les œuvres. Même

si les spécialistes ont tendance (et de plus en plus) à contester les méthodes de

distribution des prix, il n’en demeure pas moins qu’ils occupent, l’espace d’un

temps automnal, la vie littéraire en tous points.

Comme nous l’avancions déjà, les conséquences des prix littéraires sont

multiples. Grâce au prix littéraire reçu, pour donner un exemple, une œuvre

prise esseulée dès sa publication peut passer de ‘’l’inexistence ‘’ au plus grand

succès de son histoire, de la mévente aux meilleures courbes de vente, de la

méconnaissance à la reconnaissance de son auteur et de toute son œuvre

entière. Bref, un prix littéraire assure la reconnaissance du public (intellectuel,

profane, critique…) Il participe tant bien que mal à la promotion dudit écrivain

et de sa maison d’édition, en donnant ce que Nathalie Levisalles appelle « un

label qualité française à un roman de grand public1. » Les prix littéraires

suscitent un véritable engouement, peut-être pas pour les écrivains dans

l’immédiat mais pour leur (s) maisons (s) d’éditions. Car les prix littéraires

demeurent un moyen non seulement de reconnaissance mais également de plus

grandes espérances économiques.

1 LEVISALLES (N.), ‘’Le prix Goncourt ou cent ans de sollicitude. Enquête sur une exception française au

lendemain d’un coup de théâtre’’ in Libération ‘’Livres’’, octobre 2003, n° 6981. I.

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Si l’on en croit certains membres des jurys, les conditions d’attribution ne sont

guère extraordinaires. Pour qu’un roman soit déjà repéré en vue d’un éventuel

prix, il lui faut développer deux choses essentielles :

� une thématique nouvelle. Aujourd’hui, selon certains jurys, une œuvre

devrait toucher le quotidien, car la littérature évolue avec son temps.

� Un style de plus en plus singulier et un langage assez simple pour

pouvoir décrire sans trop faire du mimétisme. Il s’agit de découvrir la

part de l’auteur dans sa façon d’écrire.

Bien évidemment ces deux éléments ne doivent pas ôter tout principe

définitionnel du romanesque. Ces particularités des prix littéraires avaient pour

but, du moins en ce qui concerne le Goncourt par exemple, d’aider les jeunes

talents. En effet, Les frères Goncourt, créateurs dudit prix souhaitaient dans leur

testament que le prix soit attribué ‘’à la jeunesse, à l’originalité du talent, aux

tentatives nouvelles et hardies de la pensée et de la forme’’. Ces principes de

distribution du Goncourt résument un tant soit peu toutes les conditions

relatives à la distribution de tous les prix qui existent. Mais à l’heure actuelle,

ces faits ont été presque délaissés car on compte parmi les écrivains primés

plusieurs « grands écrivains » de la littérature française en général qui ont déjà

fait leurs preuves.

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En général, il existe plus de trois- cent- cinquante prix littéraires en France dont

les principaux1 sont : le prix Goncourt, le Renaudot, le Grand prix de

l’Académie française... Cette présentation tient lieu non pas de leur date de

création mais de leur importance économique aujourd’hui dans la littérature

française.

Dans leur totalité, il est rare de constater l’immédiateté du succès littéraire des

romanciers d’Afrique noire francophone en France. En d’autres termes, ces

écrivains ne sont pas ou jamais couronnés dès la publication de leur première

œuvre. C’est généralement bien plus tard, c’est-à-dire après deux ou trois

romans qu’ils sont éventuellement primés. Pourtant quelques exceptions

viennent « confirmer la règle ». Certains noms peuvent faire l’objet d’une

attention spéciale. Ce sont entre autres René Maran2, Yambo Ouologuem3,

Ahmadou Kourouma4… Ces romanciers se sont vus octroyer des prix littéraires

lors de la première publication romanesque.

L’une des conséquences la plus immédiate du prix littéraire est qu’il participe à

la réception de ces écrivains dans le milieu littéraire français. D’autant plus

qu’il se constate que le fait d’être seulement sur la liste des nominés peut

1 Nous ne faisons aucune classification au niveau des prix littéraires. Mais parmi tous ceux qui sont

répertoriés et par rapport à leur valeur pécuniaire, le Goncourt, le Renaudot, le grand prix de l’Académie

française se trouvent devant les autres. 2 MARAN reçut le prix Goncourt en 1921 pour Batouala, sa première œuvre 3 En 1968, OUOLOGUEM reçut le prix Renaudot pour Le Devoir de violence. 4 Même si ce n’est pas un prix français, KOUROUMA fut primé en 1970 par le Canada du prix de la

Francité pour Les soleils des indépendances.

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augmenter les chances de se voir lire et surtout s’acheter. Et des romanciers que

nous examinons, Ahmadou Kourouma et Calixthe Beyala ont tout de même une

bonne audience auprès du public français.

Parmi les trois romanciers qui constituent notre objet d’étude, seul Sony Labou

Tansi n’a jamais reçu de prix littéraire pour son œuvre romanesque en France.

Ahmadou Kourouma et Calixthe Beyala étant déjà plusieurs fois récompensés.

Dans cette partition des prix, Ahmadou Kourouma reste sans conteste l’écrivain

le plus primé. En quatre décennies de vie romanesque, Kourouma a été nominé

plusieurs fois à des prix littéraires, allant du Goncourt au Renaudot sans oublier

le Grand prix de l’Académie française, le Prix interallié… A l’heure actuelle,

on peut recenser chez l’auteur ivoirien plus de dix titres sur une vingtaine de

nominations au moins depuis 1968. L’année 2000, par exemple, fut pour

l’écrivain, celle de toutes les récompenses car son dernier roman Allah n’est

pas obligé dut recevoir deux titres et non des moindres successivement : le prix

Renaudot et le Goncourt des lycéens1 (comme on l’appelle !) et le prix Amerigo

Vespucci Saint-Dié-des-Vosges. Auparavant, l’écrivain malinké avait obtenu

d’autres prix. En 1970 Les soleils des indépendances arrachèrent le prix de la

Francité, le prix de la Tour-Landry de l’Académie française et le prix de

l’Académie royale de la Belgique. Son second roman Monnè, outrages et défis,

sera récompensé du prix des Nouveaux Droits de l’homme, du prix CIRTEF et

1 Nous nous opposons fortement à cette dénomination ‘’Goncourt des lycéens’’. Sans nier le rôle des

lycéens dans l’herméneutique des textes littéraires, il n’est pas quand-même ‘’prudent de laisser juger

certains textes par eux, surtout quand il s’agit des prix. Et à notre avis, Allah n’est pas obligé aurait pu

obtenir le prix Goncourt directement. Est-ce pourquoi il reçut le Renaudot ?

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le Grand prix de l’Afrique noire. En attendant le vote des bêtes sauvages eut en

1998 le Prix Tropique, le Grand prix de la Société des Gens de Lettres et le

Livre Inter en 1999.

Tous ces différents prix reçus par Ahmadou Kourouma ont contribué (et

continuent de le faire) à faire connaître l’auteur dans le milieu français. Et par

conséquent, on peut oser avancer qu’il est non plus seulement l’un des grands

écrivains d’Afrique noire francophone mais un des grands romanciers du 20ème

siècle dans la littérature francophone entière. Par littérature francophone, nous

intégrons non seulement toutes les littératures en langue française (comme

aiment à la classer certains théoriciens) mais aussi les écrivains français

d’origine. Aujourd’hui les romans de l’écrivain ivoirien peuvent se prévaloir

d’une certaine notoriété éditoriale en ce que En attendant le vote des bêtes

sauvages, par exemple, atteignit déjà avant la proclamation du prix Livre Inter

en 1999 plus de vingt mille exemplaires. Cela reste quand-même un record de

ventes chez les écrivains d’origine africaine francophone. Au regard de ces

distinctions, deux remarques importantes émergent rapidement :

1 – Tous les ouvrages de Ahmadou Kourouma ont été primés au moins une

fois. Si l’on juge la qualité d’une œuvre par sa capacité à se voir distribuer un

prix, pourrait dire que Kourouma entre dans une légende littéraire. D’ailleurs le

style et le langage de l’auteur ont participé également à cette réussite. Ce qui

semble un moment non négligeable.

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2 – De mémoire, on ose affirmer qu’aucun écrivain d’Afrique noire

francophone n’avait jamais reçu autant de signes distinctifs et de

reconnaissance en France. En quarante années de vie littéraire, Ahmadou

Kourouma a atteint les plus grands mérites et succès : le succès thématique, le

succès stylistique et les prix littéraires.

En revanche chez Beyala, bien qu’elle ait reçu deux prix littéraires, la critique

n’avait pas été en odeur de sainteté avec elle. Comme nous l’annoncions déjà

dans la première partie de ce travail sur ‘’la naissance des écrivains’’, Calixthe

Beyala demeure l’auteur le plus prolifique. La création romanesque de

l’écrivain d’origine camerounaise se dresse au rythme des saisons. Mais

contrairement à Ahmadou Kourouma, de son entière œuvre, seules deux œuvres

restent couronnées. On a inventorié Assèze l’Africaine et Les honneurs perdus

qui acquirent respectivement les prix François Mauriac en 1994 et le grand prix

du roman de l’Académie française. A l’instar de son collègue ivoirien, ces prix

demeurent pour Beyala l’un des moments importants où elle acquit une plus

grande reconnaissance. Et du côté des ventes, ce fut un succès total lorsque

après la proclamation du prix de l’Académie française, un nouveau tirage avait

porté à 650.000 exemplaires Les honneurs perdus en 1996. Du coup, l’auteur se

classa sur la liste des meilleures ventes de l’année. Une fois encore, c’est grâce

aux prix littéraires que l’auteur aurait atteint le paroxysme éditorial.

Cependant avec Beyala, on aborde le côté « néfaste » des prix littéraires tel

qu’il est abordé par Nathalie Heinich. En effet, la désignation de Beyala au prix

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de l’Académie française (et surtout après l’avoir reçu) avait laissé à l’auteur et

aux lecteurs un arrière-goût amer et une sorte d’inachèvement. D’autant

qu’après l’avoir distinguée, Calixthe Beyala s’est vite fait descendre de son

piédestal par la critique en la taxant de « plagiaire 1». En évoquant le côté

« négatif » du prix littéraire –ici celui de Beyala- il nous revient de penser

qu’elle n’est pas le seul écrivain à avoir subi les foudres des critiques sûrement

fondées. Devant ce fait, nous constatons deux attitudes. La première est qu’à la

suite de René Maran et de Yambo Ouologuem, Beyala est celle qui se voit

discuter son prix littéraire. Les raisons des uns et des autres demeurent

invraisemblablement le plagiat et l’idée que Ouologuem, par exemple, n’aurait

pas écrit lui-même son ouvrage2. Parfois, les textes africains peuvent souffrir

des jugements cuisants. La plupart de temps associés au plagiat (Beyala) ou au

dénigrement pur (Ouologuem), les romans qui sont jugés de « mauvaise

qualité » peuvent profiter de leur « silence » pour se réhabiliter. Mis à l’écart

(comme Le devoir de violence) pendant un long temps, ces romans, loin de

s’exiler définitivement trouvent là comme un espace capable de prolonger sa

durée historico-littéraire. Aujourd’hui, par exemple, Le devoir de violence ou

Batouala, qui auront pris une « distance3 », expriment toute la lisibilité de

l’Afrique. En d’autres mots, le silence dans lequel ont sombré ces œuvres après

leur mésaventure des prix littéraires obtenus doit être perçu non comme un

1 Il ne s’agira pas pour nous d’en parler. Ce qui bien-sûr ne fait pas partie de l’objet de notre travail.

Cependant quelques conséquences sont à tirer. Parmi lesquelles les deux attitudes que nous évoquons à la

suite. 2 Devant ces attitudes, nous laissons une fois libre interprétation aux responsables de ces propos. 3 BLANCHOT (M.), L’Espace littéraire, Collection Essais, Editions Gallimard, Paris, 1955, p.269. Par le concept de ‘’distance’’, Blanchot présente le fait suivant : une œuvre n’étant pas forcément bien accueillie dès sa parution, elle finit par s’imposer comme une grande œuvre au fil des temps. Et selon notre analyse, les œuvres comme le devoir de violence et Batouala obéissent à cette logique.

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silence de mort, mais comme instant de renouvellement. Car bien plus qu’hier,

ces ouvrages reçoivent une nouvelle audience auprès des lecteurs.

Toutefois, le fait de voir une œuvre primée faire l’objet de plusieurs tractations

suscite des questionnements sur les modes de désignation des œuvres à primer :

� Est-ce qu’un jury de prix littéraire prend la peine de mieux apprécier

une œuvre avant de la distinguer ?

� Peut-on primer un auteur sans connaître exactement son œuvre ?

Les réponses qui peuvent découler de ces deux interrogations se retrouvent, à

notre avis, dans ce que nous indiquions plus haut, à savoir la contestation des

méthodes des membres des jurys des prix littéraires. Et cela pourrait justifier

ainsi la méfiance des spécialistes de la littérature quant aux modes de choix et

de distribution desdits prix.

La seconde attitude est que s’agissant singulièrement de Beyala, plusieurs

reproches ont été faits aux Académiciens après la découverte de multiples

pages et lignes « recopiées » chez un écrivain américain1. M.-C. Imbault par

exemple, parlant des Académiciens, estime que malgré ces preuves (de plagiat),

1 BEYALA aurait repris quelques lignes dans Quand j’étais jeune, je m’ai tué de Howard Buten dans son

roman Le petit prince de Belleville (Albin Michel, 1992).

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« ils n’ont par ailleurs guère été troublés par la

condamnation pour contre façon dont la romancière

a fait l’objet1 . »

Le comportement des membres du jury du Grand prix de l’Académie française

face aux accusations portées à la suite du couronnement de l’œuvre de Beyala

avait, semble-t-il, frustré certains spécialistes. Pour les ‘’Grands hommes’’ de

la littérature, qui n’ont jamais du reste regretté le choix de Beyala en 1996, tout

est déjà écrit et qu’un auteur de fin du 20ème siècle ne peut plus rien inventer. Ici

encore, nous leur laissons la responsabilité de leurs réponses parce que tout est

discutable.

Ce que nous voulons montrer ici, c’est l’idée qu’un prix littéraire peut

occasionner comme conséquences au-delà des gloires. Et Pierre Assouline

souligne que c’est grâce à ce prix particulièrement que l’on a découvert la

« supercherie » de l’auteur camerounais… et de Brigitte Bardot (Prix Paul

Léotard, 1996). Ecoutons Assouline :

« Si des jurys littéraires n’avaient pas cru bon de

les distinguer, on n’y reviendrait pas (…) A

l’annonce de ces récompenses, nous sommes un

1 IMBAULT (M.-C.), ‘’ Calixthe Beyala couronnée par les académiciens’’ in Lire Hebdo du 01/11/1996.

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certain nombre à avoir hésité entre éclat de rire et

la consternation1. »

Néanmoins, ces propos qui ne manquent pas d’intérêt n’invalident aucunement

le prix décerné à Beyala lequel l’a d’ailleurs aidée à mieux « se comporter » sur

la scène littéraire française.

En somme, les prix littéraires sont importants à plus d’un titre, surtout pour les

écrivains francophones en France. Ils participent de la diffusion du livre et

surtout de la reconnaissance des bénéficiaires. Ils participent également de

l’aspect éditorial en ce qu’ils font, dans la plupart des cas, multiplier les ventes

des ouvrages. On peut prétendre que les prix décernés à Kourouma et à Beyala

en France trouvent un écho favorable dans le milieu littéraire.

Sur un tout autre plan, les prix littéraires en France ressemblent plus à une

espèce de ‘’chasse-gardée’’ de certaines maisons d’éditions. En effet, sur une

étude quasi comparative, Antoine de Gaudemar2 indique par un diagramme que

depuis 1903, seules quatre maisons s’arrogent le droit se faire couronner. Ce

sont : Les éditions Gallimard, Grasset, les éditions Albin Michel et le Seuil qui

se partagent le Prix Goncourt.

Gallimard est la première maison avec trente trois prix. La deuxième place

revient aux éditions Grasset avec seize prix, la troisième maison est Albin 1 ASSOULINE (P.), ‘’Provocations’’ in Lire Hebdo, 1996, article cité. 2 DE GAUDEMAR (A.), ‘’Vase Clos’’ in Libération n°6980, 22 octobre 2003, p.6.

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Michel avec dix prix et la dernière est Le Seuil avec cinq prix. Les trente-six

autres prix se partagent entre les vingt-quatre maisons d’éditions qui restent.

Sans rentrer dans une vaine polémique, on remarque que le prix Goncourt-

pour ne citer que ce dernier- est donc le « bien » des quatre (seules) maisons les

plus en vogue à Paris. Les conséquences d’une telle situation est que d’autres

maisons d’éditions ne seront jamais récompensées. Sachant que la plupart des

écrivains africains francophones publient dans ces maisons moins connues, ils

ne peuvent donc prétendre à aucun prix littéraire. Cette lecture des faits sur les

prix littéraires est comparable à la lecture que l’on pourrait également faire sur

le plan éditorial. De façon concise, aujourd’hui, et à la suite de la vision sur les

petites maisons d’éditions, il peut se remarquer qu’elles sont vouées à la mort,

car l’apparition des grands ensembles éditoriaux ne favoriserait pas du tout la

publication des jeunes auteurs africains (qui ont déjà du mal à se faire accepter.)

Aussi, l’avenir des écrivains publiant chez ces « petits » éditeurs est-il voué à la

disparition. Michèle Rakotoson1, dans un article publié au journal Le Courrier

dit la même chose quand elle parle de « la mort de l’écrivain africain » édité par

les petites maisons. Elle achève son article en ces termes que nous épousons et

qui se passent de tous commentaires :

« Certaines politiques économiques mises en œuvre

[en France], vont laminer les petites maisons

d’éditions, les petites librairies et à terme les

écrivains. La situation de la littérature africaine est

1 RAKOTOSON (M.), ‘’L’auteur et son public’’, Le Courrier, n° 174, mars-avril 1999, p. 62-63.

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extrêmement précaire, elle est en danger ? Peut-

être beaucoup plus de danger qu’on le croit.»1

Relisant l’idée de Antoine de Gaudemar à propos de la disparité des prix

littéraires, nous constatons que sur les quatre vingt dix-neuf prix Goncourt

décernés2, seuls deux, celui de 1921 (René Maran) et l’autre de1987 (à Tahar

Ben Jelloun pour La nuit sacrée) ont été distribués aux écrivains d’origine

africaines…

Cette situation entraîne une autre qui se situe au-delà de l’aspect positif du prix

littéraire. Actuellement, les prix littéraires n’offrent qu’une dimension assez

virtuelle, en ce sens qu’aux yeux des lecteurs et des critiques, ils ne sont plus

qu’une simple association des maisons d’éditions. En fait, le ‘’combat’’ se

passerait plus entre ces maisons d’éditions. Les écrivains eux-mêmes ne servant

que de simples supports à la réussite des différentes maisons.. Pour preuves, les

lecteurs français préfèrent désormais ne plus se fier à ces multiples prix devant

leur choix de lecture. Cet état d’esprit occasionne des problèmes de notoriété et

de vente et surtout du crédit des prix. A ce sujet, Antoine de Gaudemar estime :

« Depuis plusieurs années, les libraires contestent

la baisse d’audience de ces lauriers auprès du

public, qui préfèrent de plus en plus souvent suivre

1 Idem. p. 63. 2 Le prix de 1914 n’avait pas été décerné pour cause de guerre. Ce qui porte le nombre de primés à 99 au

lieu de cent.

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l’avis de jurys prétendument moins prestigieux,

comme ceux de certaines radios ou même du

Goncourt des lycéens, mais beaucoup plus à

l’écoute de l’air du temps et des goûts des

lecteurs. 1»

Cette réflexion de Gaudemar nous plonge au cœur des réalités des prix

littéraires, qui, au lieu d’attirer les publics, finissent par les épuiser et les

« dégoûter ». Préférant ainsi passer outre les romans souvent choisis par les

jurys, les lecteurs optent pour une proposition de choix plus personnel. Les

lecteurs sont de plus en plus attirés par des prix décernés par eux-mêmes ou par

des prix des auditeurs, comme celui du Livre Inter de Radio France

Internationale. On peut donc estimer, après ces propos de Antoine de

Gaudeamus, que vu les reproches qu’on lui fait aujourd’hui, le prix Goncourt,

par exemple, comme tous les autres prix de l’automne n’attirent plus de public.

Cette ‘’négativité’’ des prix littéraires conduit à apprécier une autre, celle qui

consiste en l’orientation du lecteur par la critique.

1 DE GAUDEMAR (A.), ‘’vase clos’’, op. cit. p.6.

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CONCLUSION DEUXIEME PARTIE

En somme, la seconde partie de ce travail est d’une importance singulière dans

la compréhension du sujet. En effet, à partir d’une série de tableaux

comparatifs, nous avons le nombre d’exemplaires de romans de chaque auteur,

à la fois dans ce que nous estimons être les lieus sûrs et par excellence de

diffusion et de réception. Ces endroits sont principalement les bibliothèques

universitaires et deux bibliothèques municipales, les librairies et les FNAC. A

ce moment de la démonstration, une inquiétude est perceptible quant au nombre

d’échantillons romanesques de chaque auteur dans ces différents lieux de

diffusion. De cette étude, il s’ensuit l’idée que les romans de ces auteurs ne sont

pas bien représentés dans ces lieux privilégiés. Et que cela supposerait que les

ouvrages ne sont pas, dès lors bien ‘’reçus’’ et diffusés en France. Ou encore

que ces romanciers ne sont pas suffisamment lus dans le principal marché de la

langue française. En outre, après avoir mentionné les difficultés relatives à

l’édition des textes africains en France, nous avons présenté les deux maisons

d’édition qui publient les auteurs, à savoir : les éditions du Seuil (Kourouma et

Sony) et Albin Michel pour Beyala. A partir de cette étude comparative, on

pourrait dire que l’institution scolaire française ne favorise pas la vulgarisation

de ces romanciers à travers leurs œuvres. A cela s’ajoute le manque de

promotion véritable par le biais des canaux traditionnels. A part quelques

journaux de presse écrite qui en parlent, les autres médias demeurent

pratiquement silencieux devant ces écrivains. Pourtant, malgré cette tiédeur au

niveau de la diffusion, il ressort que ces écrivains ont été primés par de

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nombreux prix littéraires français. Ce qui peut sembler une fois de plus

paradoxal, eu égard à l’accueil de ces œuvres en France. Et nous pensons, à

juste titre, que s’ils ont été primés, c’est bien parce qu’ils l’auront mérité. Alors

pourquoi cette insistance dans une attitude de « rejet » de la part des lecteurs

français ? Cette interrogation ouvre la troisième partie du travail qui consiste

par conséquent à indiquer la part de la critique française devant ces romanciers

et à présenter quelques moyens ou « clefs » de lecture qui peuvent contribuer à

la connaissance des textes de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de

Calixthe Beyala.

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TROISIEME PARTIE : CRITIQUE ET LECTURE DES

ROMANS

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INTRODUCTION TROISIEME PARTIE

Il ne nous est point autorisé de faire une présentation1 de l’avènement de ces

deux paradigmes qui constituent les derniers instants de la réception en France

des romans de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Calixthe

Beyala. En ce point ultime, il nous est loisible d’examiner les effets produits

par l’ensemble romanesque de ces écrivains à travers quelques éléments de la

critique. Sans omettre de traiter la question de la lecture, qui demeure l’une des

grandes relations aux textes présentés, et qui est l’un des moments idoines de la

réception des œuvres.

Ayant choisi d’indiquer ces deux concepts de façon dialectique, nous voulons

comprendre et savoir tous les éléments possibles qui fondent la critique des

romans avant et surtout après leur parution. Car c’est à partir de la critique que

les lecteurs peuvent ou non apprécier ces œuvres et les amener à y adhérer par

le lien de la lecture.

La critique revêt une kyrielle de sens et selon les époques et les courants

littéraires. Au cours de ces deux derniers siècles, la critique s’est presque

constituée en discipline autonome et « scientifique ». Elle aide les lecteurs à

avoir un avis favorable ou non sur un texte donné. La critique littéraire, par

exemple, fait percevoir dans une œuvre toutes les dimensions qui peuvent aider

1 Au sujet de l’histoire de la critique et de la lecture, nous pensons que plusieurs textes existent déjà. Il

s’agit pour nous de faire une démonstration pratique de ces deux concepts qui participent de la

compréhension de notre argumentaire.

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le lecteur à la saisir, à la comprendre. D’autant plus qu’une fois publiée, une

œuvre littéraire n’est véritablement œuvre que lorsqu’elle appartient désormais

au lecteur. Cependant le critique est d’abord cet autre lecteur qui se situe « au-

dessus du lecteur simple » et qui invite le second à apprécier un roman ou ne

pas le faire. Il est ce que l’on peut appeler, pour paraphraser Gérard Genette un

« métalecteur », un lecteur au-dessus du lecteur. En plus de cet aspect

d’orientation, la critique littéraire répond de facto à la réception des œuvres,

comme l’a noté Fabrice Thumerel. En effet, le critique est :

« une plaque sensible qui réagit à ce qu’il lit, il (ré)

évalue les œuvres pour ses contemporains ; qu’ il

soit écrivain, journaliste ou professeur, il est doté

d’un important pouvoir de consécration. C’est dire

qu’il constitue la plaque tournante de la réception

des œuvres et de la transmission des valeurs

littéraires. »1

La définition du « critique » élaborée par Thumerel présente déjà les différents

aspects de la critique qui peuvent exister : la critique journalistique,

universitaire et celle des écrivains.

Pour ce qui est de ce développement, il ne sera retenu que les deux premiers

aspects de la critique : journalistique et universitaire que l’on retrouve sous les 1 THUMEREL (F.), La Critique littéraire, Collection Cursus, série « Lettres », Armand Colin, Paris, 1998,

p. 9.

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noms de critique journalistique et professorale chez Thumerel. Car ces deux

types de critique semblent procéder de ce que nous voulons démontrer, à savoir

les différents points de vue relevés à travers-elles afin de savoir si ces critiques,

en France, ont favorisé ou non la lecture des romanciers qui nous servent

d’échantillons.

Aussi, le rôle du critique, sans se substituer au lecteur est d’une importance

inouïe et inconditionnelle. Sa fonction se trouve résumée dans les propos du

ministre français de l’Instruction publique du 04 juillet 1911 et qui fonde

presque le rôle de la critique. Ces propos ont été repris par Jean-Thomas

Nordmann dans La critique littéraire française au XIXème siècle1. Sans les

discuter, en voici la substance :

« Votre mission est d’être les guides du public, de

les mettre en garde contre la fausse sentimentalité,

contre la brutalité grossière et contre un vain

savoir que l’on confond trop aisément avec le

talent. Si votre effort ne détourne pas la foule de

certaines administrations frelatées, du moins votre

attention en éveil lui signale les œuvres de

conscience et de foi dignes de retenir son suffrage.

C’est vous qui révélez les talents inconnus, vous

qui réhabilitez les talents méconnus, vous qui 1 NORDMANN (J.-T.), La Critique littéraire française au XIXème siècle, Librairie Générale Française,

2001, 306 p.

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forcez, pour le compte du génie qui se cache

modestement, les portes de la gloire. »1

Quand bien-même ces mots datent du début du siècle dernier, ils résument

nettement l’activité du critique littéraire. Lequel consiste principalement à faire

évaluer une œuvre littéraire dès sa publication. C’est un rôle plutôt primordial

qu’on lui assigne à cet égard en ce que le critique a un devoir de révélation des

jeunes auteurs talentueux et de les faire connaître auprès du public. Et les

écrivains que nous étudions, étant considérés par certains critiques français

comme des jeunes talents pour ‘’la nouvelle littérature’’, participent de cet

objet. Dans Figures V2, Gérard Genette qui revient sur les aspects de la critique

journalistique et universitaire présente les deux genres comme faisant partie de

la critique littéraire à part entière, mais en situant les niveaux de différences.

Aussi soutient-t-il que la critique journalistique est le fait de « compte rendu 3»

ou de « recension ». Elle est fondée principalement sur la brièveté des

informations dans un délai aussi immédiat que possible. Tandis que la critique

universitaire, relative à la dimension essayiste, s’étend dans une relation

« temporelle à son objet 4» et reste beaucoup plus indéterminée. Autrement dit,

la critique universitaire s’étale, selon l’importance du sujet sur le temps que la

critique journalistique, souvent ponctuelle, voire quotidienne. Comment sont

donc « jugés » les romans de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de

1 NORDMANN (J.-T.), La Critique littéraire française au XIX ème siècle, Librairie Générale Française,

2001, p. 1. 2 GENETTE (G.), Figures V, Paris, Editions du Seuil, Collection Poétique, 2002, 354p. 3 Idem. p. 8. 4 Ibid.

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Calixthe Beyela par les critiques journalistique et universitaire ? Cette

interrogation entrevoit des incidences sur la lecture des romanciers. En effet, la

critique, qui est un discours sur un discours est aussi un

« un discours sur les œuvres littéraires qui met

l’accent sur l’expérience de la lecture, qui décrit,

interprète, évalue le sens et l’effet que les œuvres ont

sur les (bons) lecteurs, mais sur des lecteurs qui ne

sont pas nécessairement savants ni professionnels.

La critique apprécie, elle juge ; elle procède par

sympathie (ou antipathie), par identification et

projection : son lieu idéal est le salon, dont la presse

est un avatar, non l’université ; sa forme première

est la conversation 1. »

Ces propos d’Antoine Compagnon anticipent déjà sur l’importance non

seulement de la critique mais également celle du lecteur dans le processus de

cognition.

Aussi, la plupart du temps, il est étudié comment sont élaborés les romans, leur

distribution, leur parution etc. en oubliant le lecteur. Alors qu’il s’avère

judicieux dans l’étude de la réception de savoir et d'examiner les mécanismes

1 COMPAGNON (A.), Le Démon de la théorie. Littérature et sens commun, Paris, Le Seuil, Collection « Points Essais », 1998, p. 20. C’est l’auteur qui met les parenthèses.

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qui induisent le principe de lecture. Dans Lector in fabula1, Umberto Eco

estime à juste titre l’importance du lecteur à travers la structure du texte. Il

pense qu’il reste aussi

« important d’étudier comment le texte [une fois

produit] est lu et comment toute description de la

structure du texte doit-être, en même temps, la

description des mouvements de lecture qu’il

impose. »2

Pour Umberto Eco, l’impératif d’étudier le processus de toute lecture d’un texte

s’impose surtout si l’on veut en comprendre tous les mécanismes. Quand on

regarde de près la position d’Eco, on peut inférer qu’étudier la production d’un

texte semble intéressant. Bien plus, en étudier son lecteur, son destinataire

paraît mieux et idéal.

Parler du lecteur, c’est toujours faire en quelque sorte référence ou allusion au

procédé jakobsonnien de la communication. Du seul point de vue structuraliste,

le schéma communicationnel de Roman Jakobson montre qu’au sein d’un texte,

on retrouve le même principe de dialogue, de communication que dans l’oralité.

C’est cela que Bakhtine appelle ‘’le principe dialogique’’ d’un texte. Par

conséquent, tout texte soupçonne un émetteur, un destinataire et un contexte.

1 UMBERTO (E.), Lector in fabula, Paris, Editions Grasset et Fasquelle, pour la traduction française, 1985

et 1979 pour l’édition originale. 2 Ibidem, p. 8.

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Toutes ces catégories sont indispensables dans le processus communicationnel,

y compris celui de la lecture. Sans omettre totalement l’objet et le contexte,

encore moins l’émetteur des romans, il est question de regarder ce « lector » qui

se situe une fois de plus dans une structure que nous avons définie dès le départ

qui reste la France.

Pour l’élaboration du principe de lecteur ou de destinataire, deux autres

catégories semblent s’imposer : le contexte et les circonstances d’énonciation

possibles qui sont des éléments essentiels pour un dialogue véritable entre le

texte et son lecteur. Car pour qu’un lecteur, fût-il Français, assimile le discours

d’un auteur africain et pour qu’il y ait une véritable appréciation, il faudrait que

ce lecteur se sente non seulement en communion linguistique (par la langue

employée) mais aussi que ce lecteur partage toutes ou presque les circonstances

qui constituent les énoncés du texte. Cette observation avait déjà été faite par

certains critiques qui prennent en considération le contexte extra textuel en vue

de comprendre dans une œuvre littéraire. C’est le cas, une fois de plus de

Umberto Eco, qui à ce propos, estime que :

« contexte et circonstances sont indispensables pour

pouvoir conférer à l’expression sa signification

pleine et complète. »1

1 Idem. p. 6.

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En d’autres termes, afin de cerner l’élément vrai d’un texte ou sa littéralité, il

faudrait que les « contexte » et « circonstances » soient réunis. Pourtant une

interrogation se mure derrière ces mots. Les lecteurs français ont-ils besoin de

connaître les contextes et les circonstances de production et d’énonciation pour

lire les textes de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Calixthe

Beyala ? Cette question reste valable pour toute lecture d’un texte. La réponse à

ce questionnement trouvera écho tout au long de la démonstration.

Cependant une chose est déjà probable. Qu’il le prévoie ou non, absent ou

présent, un auteur écrit d’abord pour un lecteur. On parle ainsi

d’ « actualisation » de texte. C’est cela que reconnaît Umberto Eco :

« Un texte postule son destinataire comme condition

‘’sine qua non’’ de sa propre capacité communicative

concrète mais aussi de sa propre potentialité. En

d’autres mots, un texte est émis pour quelqu’un

capable de l’actualiser- même si on n’espère pas (on

ne veut pas) que ce quelqu’un existe concrètement ou

empiriquement. »1

Vus sous cet angle, les mots de Umberto Eco indiquent l’importance du

destinataire-dans notre cas du lecteur- d’un texte. Il est adéquat de signifier que

le lecteur dont il est question dans ce travail n’est plus le lecteur textuel au sens

1 Idem, p. 64.

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où l’entendent la narratologie, la poétique ou le structuralisme. En d’autres

termes, il ne s’agit plus du lecteur omniscient et intratextuel qui connaît tout du

récit. Il est désormais choisi ce lecteur réel et limité, pris avec ses émotions et

frontières, comme le dirait Antoine Compagnon dans Le démon de la théorie1.

Dans Qu’est-ce que la littérature ? Jean-Paul Sartre avait également annoncé la

nécessité du lecteur qui associe « tout sens à une conscience » dans une

dimension phénoménologique. Selon Sartre en effet,

« l’acte créateur n’est qu’un moment incomplet et

abstrait de la production d’une œuvre ; si l’auteur

existait seul, il pourrait écrire tant qu’il voudrait,

jamais, l’œuvre comme objet ne verrait le jour et il

faudrait qu’il posât la plume ou désespérât. Mais

l’opération d’écrire implique celle de lire comme

son corrélatif dialectique et ces deux actes connexes

nécessitent deux agents distincts. »2

En évoquant « le retour » du lecteur en littérature, Sartre le présente comme un

des éléments fondateurs d’un texte. Il associe l’auteur (qui n’est rien sans l’acte

de lire) au lecteur ( pour qui écrit l’auteur. Le théoricien pose là tout le

problème de la lecture et du lecteur qui est important dans le cheminement

d’une œuvre.

1 COMPAGNON (A.), Le Démon de la théorie, op.cit., p. 167. 2 SARTRE (J.-P.), Qu’est-ce que la littérature ? op. cit., p. 93.

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Avant d’aborder la question du lecteur français face aux textes de nos

romanciers, l’heure est à l’appréciation des différentes critiques retenues pour

la démonstration de cette partie du travail.

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Chapitre 6 : Critiques journalistique et universitaire

6. 1 De la critique journalistique.

Parler de la critique par les journaux revient à ressortir les aspects de cette

branche. Mieux, elle consiste en la présentation des différents éléments qui

favorisent peu ou prou la lecture et le choix des romans d’Ahmadou Kourouma,

de Sony Labou Tansi et de Calixthe Beyala en France.

Nos propos ne se résumeront pas en un jugement du jugement, c’est-à-dire en

posant des jugements de valeurs propres sur les éléments de la critique

journalistique qui nous serviront de base. Il convient plutôt d’en dégager les

spécificités et de les illustrer sur nos romanciers. Rappelons également qu’il

s’agit pour ce chapitre de dresser quelques critiques des journaux français à

l’égard des écrivains qui nous servent d’études. Aussi toutes les démonstrations

seront-elles tirées des coupures de presse de certains quotidiens et mensuels1.

Mais en fait, qu’entend-on par critique journalistique ?

Depuis le 17ème siècle, la critique journalistique est définie comme la critique

qui

1 Sans nier la présence de la presse audio visuelle et radiophonique qui nous auraient aidés à mieux

développer ce chapitre, nous n’avons tenu qu’à présenter la presse écrite. Laquelle a été plus facile à

trouver chez les éditeurs des écrivains.

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« prétend représenter le goût du public. Elle tire sa

naissance au XVIIème siècle où elle prit la forme

des libelles qui circulent dans les salons.»1

Cette définition tirée du Grand Larousse peut s’actualiser en ce qu’elle s’adapte

aujourd’hui l’ensemble de la critique journalistique. Elle détermine déjà le rôle

de cette critique qui consiste en la représentation des différents éléments

attrayants des ouvrages. Aussi, le rôle principal qui s’en dégage est-il alors

celui de

« renseigner et de guider le public qui fait

confiance à son impartialité. Sans doute cette

objectivité peut parfois être nuancée par des

opinions politiques et religieuses ou par des

préférences artistiques (…) L’opinion des critiques

[journalistiques], auxquels la diffusion de la presse

moderne-écrite et parlée-donne une large autorité,

peut déterminer le succès ou l’échec [d’un

livre]. »2

Dans cette seconde acception de la critique journalistique, cohabitent trois sens.

Le premier fait référence au renseignement et au guide du public. La critique

journalistique est celle qui informe et oriente le public vers tel ou tel autre 1 Le Grand Larousse Encyclopédique, 1961, p.660. 2 Idem..

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ouvrage. Et le public lui retourne la confiance en comptant sur sa responsabilité

devant le choix qu’il lui confère.

La deuxième définition consiste en l’impartialité de la critique. En effet, suivant

la définition, le critique journalistique devrait être neutre et équitable. Il ne

devrait pas normalement pas poser de jugement subjectif pouvant influencer le

futur lecteur. La troisième signification qui se dégage ici est celle qui octroie

l’ « autorité » à cette critique de « déterminer le succès ou l’échec » d’un livre.

Le critique journalistique joue un rôle primordial en ce qu’il participe même de

la survie ou de la mort d’une œuvre. Le rôle majeur que s’assigne ce critique.

Tous ses sens accordent a priori à la critique journalistique une vocation au

jugement à susciter l’engouement du public pour un ouvrage. De cette

entreprise dépend le succès de celui-ci dans les ventes ou, au contraire, ses

difficultés.

En outre, la critique journalistique est celle que l’on désigne en général par le

compte-rendu. Le journaliste, qui peut-être écrivain (lui-même), universitaire

ou journaliste de formation dresse un compte rendu d’un livre qui vient de

paraître ou qui a paru il y a peu. Ce compte-rendu comprend ce que Gérard

Genette nomme les trois fonctions1 qui sont :

1 GENETTE (G), op. cit.

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1. l’information des lecteurs, des auditeurs à la radio ou des

spectateurs à la télévision, de la sortie d’un livre ;

2. la description (naturellement) ; laquelle consiste à dire ce qu’il y a

dans un livre ;

3. la destination qui met en avant la fonction que la critique savante

ou universitaire laissait un peu à l’arrière ou à l’écart, c’est-à-dire, bien sûr, la

fonction d’appréciation.

Selon Genette, ce sont toutes des ‘’fonctions cardinales’’, en ce sens qu’elles

dépendent de l’offre sociale. L’offre sociale étant perçue ici comme le fait

« d’informer et de conseiller un public, censé

demander s’il doit lire un livre1… »

Ces différentes fonctions sont donc pour l’essentiel des expositions (au sens des

tableaux), d’information, de jugement, d’évaluation qui se proposent de

renseigner et d’éclairer, et d’orienter le public.

Pour résumer, la critique journalistique informe d’une parution du livre, décrit

et apprécie ledit livre. Ces trois fonctions ont pour conséquences l’invitation à

lire ou à ne pas lire tel ou tel autre ouvrage indiqué. Elle est donc une critique

du jugement. Et comme tout jugement (personnel) est subjectif par nature, alors

cette critique, comme l’ont indiqué plusieurs recherches ne mérite plus assez

d’attention. Ce qui fait croire aux sceptiques que malgré la confiance qu’on

1 Idem, p. 8.

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peut accorder à la critique journalistique, le public ne ‘’confirme pas toujours

son jugement’’ et rappelle aux journalistes que ‘’l’arbitrage de cette critique

n’est pas toujours décisif’’. Il y a donc une sorte de rejet de ladite critique. Par

ces seuls avis, la critique journalistique demeure essentiellement sociologique

en ce qu’elle conduit, voire influence le lecteur sur tel ou tel autre choix. On

pourrait même inférer qu’elle se dresse en censeur parfois.

Les journalistes outrepassent quelques fois leur compétence en déconseillant

carrément la lecture d’un livre. Or, n’étant pas les mieux outillés de la place, on

peut légitimement penser que certains livres, parce qu'incompris, ont subi ce

sort. C’est pourquoi nous pensons que si les ouvrages d’origine africaine

avaient bénéficié d’une plus grande audience dans les médias, leurs résultats de

vente seraient nettement dans la fourchette de leurs équivalents français. Pour

rendre plus concret, ce que nous venons de dire au sujet de la mission de la

critique journalistique au niveau de la promotion, nous faisons nôtre la

remarque de Jean-Philippe Domecq :

« le journaliste est au marché de l’édition littéraire

ce que le mécène était à l’art d’Ancien Régime. Il

peut tout –tout : encenser un livre, ou lui faire la

mort sans phrase, rayer d’un trait de plume tout

contradicteur, ironiser en passant sur la critique de

la critique littéraire. Et ce dont le journaliste n’a

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pas idée, ce dont il n’a pas l’intuition littéraire, il

l’étouffe, sans même le vouloir. »1

Les termes de Domecq entrevoient l’idée qui consiste à penser que la critique

journalistique est l’un des moyens les plus évidents de « faire passer » une

œuvre, en conseillant ou en déconseillant à un public plus large. Elle sert donc à

faire vendre non seulement le livre et son auteur mais aussi son éditeur, en

pratiquant ce que nous désignons présentement du « marketing littéraire ». Pour

la promotion, cette critique tient bien sa mission : celle d’encenser une œuvre.

Autrement dit, la critique littéraire, telle qu’elle se pratique chez les

journalistes, favorise l’éclosion, la publicité et l’emprise sur les lecteurs et le

public.

Pour revenir à ce qui nous préoccupe particulièrement, à savoir la critique

journalistique française à l’égard des romanciers et de leurs ouvrages, un choix

d’articles a permis de cadrer notre démonstration pour ne pas rester évasif. A

ces articles se sont ajoutés les romans qui y sont traités.

Les articles choisis pour présenter les commentaires critiques sur Ahmadou

Kourouma sont pris essentiellement dans Le Magazine littéraire, numéro 370

de novembre1998 et de septembre 2000 ; dans L’Humanité du 14 septembre

2000 ; dans Art Sud Méditerranée de janvier 2001 et dans Le Courrier de

l’Unesco de mars 1999.

1 DOMECQ (J.-P.), Qui a peur de la littérature ? Paris, Editions Mille et une nuits, 2002, p. 36.

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Pour ce qui est des articles sur Sony Labou Tansi, nous avons opté pour le

numéro 339 du Magazine littéraire paru en janvier 1996, du journal Croissance

de janvier 1995 et d’un numéro de La Lettre des musiques et des arts africains,

qui est un mensuel paru le 05 janvier 1995.

Enfin, les articles retenus au sujet de Calixthe Beyala sont : le numéro 349 du

Magazine littéraire de décembre 1996, d’un article de Africultures, numéro 19

du juin 1999…

Au vu des articles choisis, trois remarques s’imposent. La première est que

toutes les coupures de presse sont parues, pour la majorité, dans des quotidiens.

Seule une revue importante reste mensuelle. A ce sujet, nous pensons à la suite

de Genette, que

le « compte rendu journalistique (de rythme,

aujourd’hui, typiquement hebdomadaire, puisque

même dans les quotidiens les rubriques culturelles

paraissent en général un fois par semaine) est de

réaction plus rapide et d’orientation plus

pragmatique que le compte rendu de revue »1

1 GENETTE (G.), op. cit., p. 9. Les parenthèses sont mises par GENETTE, lui-même.

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La seconde observation que l’on peut formuler est que les romanciers Ahmadou

Kourouma, Sony Labou Tansi et Calixthe Beyala ont chacun été mentionné

dans Le Magazine littéraire, qui est en France, en ce qui concerne la critique,

l’une des références. En fait, paraître dans ce magazine est illustratif d’une

qualité littéraire indéniable, ne serait-ce que parce qu’il est spécialisé et que, de

fait, les auteurs sont soumis à une critique plus objective, moins aléatoire.

Cependant, comme d’autres écrivains d’origine étrangère, nos trois romanciers

paraissent sous la rubrique « Domaine français » du magazine. Cette intention

qui n’est point anodine n’est pas non plus à négliger, d’autant que sous cette

rubrique, se rencontrent tous les écrivains, Français ou non. La spécificité

« francophone » n’existe plus. Ce qui est souvent rare dans ce genre de support.

En d’autres termes, Le Magazine littéraire ne fait aucune différence entre les

écrivains francophones d’origine étrangère et les Français. Consciemment ou

non, Le Magazine littéraire détruit ainsi toutes les barrières séculières qui

consistent à ranger ou à fondre les écrivains non français dans un même moule.

Et ce journal critique contribue largement à la reconnaissance des romanciers.

Dans la démarche démonstrative de la critique journalistique et afin de rester

plus concret, un choix de romans a été réalisé évidemment sur ceux qui ont fait

l’objet des critiques par les journalistes. Aussi, pour Ahmadou Kourouma, ce

sont les romans suivants : En attendant le vote des bêtes sauvages et Allah n’est

pas obligé. De Sony Labou Tansi, nous avons pris Le commencement des

douleurs. Et pour l’écrivain Calixthe Beyala, seuls les romans Tu t’appelleras

Tanga, Les honneurs perdus et Les arbres en parlent encore ont été pris. A la

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suite du choix des romans, on note que mis à part Tu t’appelleras Tanga, paru

plus tôt, tous les autres ouvrages sont les derniers titres des écrivains. Cela

parce que non seulement, les archives soumises à notre disposition étaient plus

centrées sur ces deniers ouvrages, mais ils présentent un nombre intéressant

d’articles à leur sujet.

A la première lecture des articles triés, on note, après la démonstration faite par

Théophile Gautier1 au 19ème siècle sur la catégorisation de la critique

journalistique, trois sortes de critiques ; lesquelles recoupent presque celles

énoncées par Gautier. Cependant au lieu de quatre catégories, comme c’est le

cas chez Gautier, nous avons décelé trois sortes de critiques journalistiques. La

première critique est celle que nous pointons sous le vocable de ‘’critique

d’encensement ou d’enjolivement’’. La deuxième critique est celle qui est en

rapport avec le dialogue ou la ‘’critique par l’interview’’. La troisième façon de

juger une œuvre par les journalistes est nommée ‘’critique biographique’’.

Toutes ces formes de critiques participent du grand ensemble de la critique

journalistique dont le but principal est de pouvoir faire apprécier et faire vendre

une œuvre récemment parue.

1 Illustré par THUMEREL (F.) in La critique littéraire, op. cit., p.103. Dans la préface à ‘’Mademoiselle de

Maupin en 1834, GAUTIER fait un tour d’horizon des différentes critiques journalistiques. Il en décèle

pratiquement quatre catégories de critiques. La première catégorie est appelée les ‘’journalistes moraux’’

(qui tiennent de beaux serments et n’hésitent pas à substituer à l’œuvre la personne de l’auteur…) ; la

deuxième catégorie est celle des ‘’critiques utilitaires (qui voudraient servir les livres au progrès de

l’humanité) ; la troisième catégorie est désignée sous le terme des ‘’journalistes blasés (qui ont vu, senti,

éprouvé, entendu tout ce qu’il est possible de voir, de sentir, d’éprouver et d’entendre) ; enfin la quatrième

catégorie repose sur le nom des ‘’critiques prospectifs’’ (qui, sous couvert d’une impartialité, dénient toute

œuvre nouvelle, rejetant l’œuvre belle dans un hypothétique avenir)

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D’abord la critique d’encensement ou d’enjolivement. Comme l’indiquent ces

termes, elle est une critique qui consiste à flatter, à auréoler et à vanter non

seulement l’écrivain et son texte, mais également son éditeur. Elle participe

ainsi de l’édification d’un lectorat peu ou pas connu qui, par le simple fait de la

glorification de l’auteur, peut être amené à lire le livre vanté. Dans la plupart

des cas, les journalistes utilisent des formules incitatives et flatteuses. A la suite

de la parution de En attendant le vote des bêtes sauvages de Ahmadou

Kourouma, par exemple, Leïla Sebbar commence par classer l’écrivain ivoirien

comme « quelqu’un qui de la chance d’habiter le continent des multiples

dictateurs 1.» Cette chance pourrait lui conférer alors la facilité d’écrire un tel

roman. La journaliste continue sa lancée en estimant que l’auteur, à cet instant,

ne pouvait rédiger une œuvre que celle-là. Elle dit :

« Kourouma ne pouvait pas écrire un autre roman

(…), il se trouve dans la position du juste et il ne

se détournera pas de cette mission. »2

L’auteur de ces propos fait en quelque sorte ce que définissait déjà Théophile

Gautier dans ces quatre catégories de la critique journalistique, notamment celle

qui consiste en la substitution de la personne de l’auteur. On a donc

l’impression que Leïla Sebbar en sait plus que l’écrivain lui-même. Dans cet

article, un enjolivement du texte se fait jour dans la conclusion de la 1 SEBBAR (L.) in Le Magazine littéraire n° 370, novembre 1998. 2 Ibidem.

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journaliste où elle fait de façon voilée une invitation à la lecture de ce texte.

Elle conclut son article en ces termes : « Un beau roman de l’Afrique

politique.»1

Dans la plupart des cas, ce sont les titres des articles qui servent de publicité

aux lecteurs-publics. Pour son interview à propos d’Allah n’est pas obligé avec

l’auteur, L’Humanité donne le ton avec le titre suivant : ‘’Dans l’ombre des

guerres tribales’’. Avec ce titre, le journal présente déjà de manière résumée la

force de la trame romanesque de Kourouma et interpelle le lecteur sur un point

précis : celui des guerres tribales en Afrique. En 1996, peu après sa mort, lors

de la parution de son livre posthume, Yves Laplace présente Le commencement

de douleurs de Sony Labou Tansi avec un titre aussi moral qu’il paraît : « Sony

l’incrédule. » A travers ce titre, Laplace fait de sa présentation une ‘’utilité’’ en

vue d’atteindre une plus grande masse des lecteurs, habitués ou non aux

ouvrages de Sony. De son côté, dans le numéro 349 de décembre 1996 du

Magazine littéraire, Tirthankar Chanda nomme son article sur Les Honneurs

perdus de Calixthe Beyala : « Des honneurs perdus de la femme

africaine. »Dans ce cas de figure, Tirthankar se retrouve dans ce que nous

nommons à la suite de Gautier la critique morale, en ce que l’auteur va même

au-delà de la pensée de l’écrivain en suggérant un titre qui aurait pu devenir, à

lui seul, le titre d’un roman. Il y a une sorte d’anticipation des propos de

l’écrivain de la part du journaliste.

1 SEBBAR (L.), in Le Magazine littéraire n°370, novembre, 1998.

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Mis à part les titres, la critique d’enjolivement paraît plus explicite dans le

langage des journalistes. En effet, étant des écrivains francophones d’origine

africaine, tous les articles cités (ou non) présentent la part de style des écrivains

comme particulière. Les critiques qui voudraient absolument faire savoir qu’ils

ont vraiment lu les livres à commenter, exposent leur savoir-faire dans la

presse. A ce sujet, nous avons relevé quelques exemples. Dans un article

récapitulatif sur l’auteur congolais intitulé : « Sony Labou Tansi ou la

responsabilité de l’écrivain’ » Chantal Boiron expose le style de La vie et demie

comme celui d’une

« révélation d’une écriture, personnelle et originale,

qui éblouit par des images le rythme de la

langue1. »

Cette façon de promouvoir le style de l’écrivain reste une autre manière

d’enjoliver son texte en vue de le faire partager avec un public connu ou

méconnu. On retrouve pratiquement cette exposition du style dans tous les

articles qui parlent des romanciers. Aussi, pour interpeller le lecteur à propos de

Allah n’est pas obligé, Héric Libong dans son introduction, n’hésite pas à

revenir sur ce que l’on sait de l’écriture de l’Ivoirien avec plus de force, en

prenant appui sur Les soleils des indépendances dûment lu et relu. Il dit :

1 BOIRON (C.), ‘’Sony Labou Tansi ou la responsabilité de l’écrivain’’, La Lettre des musiques et des arts

africains, 5 janvier, 1995, p. 9.

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« l’auteur impose à la structure de la langue

française le rythme et la syntaxe du malinké. »1

Et sur l’écriture proprement dite de Allah n’est pas obligé, Libong pense que le

livre est écrit comme

« un reportage de journaliste, ce dernier Ahmadou

Kourouma respecte scrupuleusement le déroulement

historique des atrocités commises… »2

Pour sa part, Tirkhantar Chanda trouve dans l’écriture du roman de Beyala, Les

honneurs perdus,

« une arme que l’écrivain manie avec dextérité,

mêlant le sarcasme au fantasme, le rire à la

révolte »3

Un autre exemple d’encensement du discours demeure l’article de Jean-Claude

Lebrun au sujet de Allah n’est pas obligé. Sous le titre flatteur de « Ahmadou

Kourouma : le prodigieux blablala d’un p’tit nègre » Le journaliste commence

son texte avec des expressions, dira-t-on toutes jolies et attirantes :

1 LIBONG (H.), ‘’Dans l’ombre des guerres tribales’’ in L’Humanité, jeudi 14 septembre 2000. 2 Idem. 3 CHANDA (T.), ‘’Des honneurs perdus de la femme africaine’’ in Le Magazine littéraire, n° 349,

décembre 1996.

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« Voici un livre immense. Une œuvre âpre et

violente, qui en même temps vous transporte et

vous glace les sangs. »1

Comme nous le constatons, la critique d’encensement tire son existence dans le

fait d’enjoliver un texte en vue de le faire désirer du grand public. Les

techniques et les moyens déployés semblent corroborer l’idée d’enjolivement

qui transparaît dans la présentation des romans. Les appréciations pourtant

positives des romans de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de

Calixthe Beyala ne sont pas liées essentiellement aux jugements de type

esthétique. Tous ces textes des critiques journalistiques accordent dans leur

ensemble, une place relativement secondaire aux questions qui touchent à la

forme et au style des auteurs qui devraient également participer de l’originalité

des œuvres. Cet aspect est quasi absent dans les deux critiques qui suivent,

même si on note quelques références allusives à l’écriture des textes.

Ensuite, il y a la critique désignée sous le nom de critique par l’interview. La

critique de l’interview ou par l’interview est une critique de plus en plus

employée par les journalistes. Ces derniers estiment que l’un des meilleurs

moyens d’atteindre la grande masse est de pouvoir faire participer l’auteur lui-

même à sa propre révélation au public. A travers ce ‘’genre’’, le journaliste

laisse la place au(x) romancier(s) dans le dessein de lui faire avouer le non-dit 1 LEBRUN (J.-C.), ‘’Ahmadou Kourouma : le prodigieux blablabla d’un p’tit nègre’’ in L’Humanité, jeudi

14 septembre 2000.

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du texte. C’est une pratique utilisée le plus souvent par la presse audiovisuelle

et qui se retrouve petit à petit chez les journalistes critiques des romans. La

critique par l’interview, ainsi que celle de l’encensement, consiste à accrocher

le public en vue de susciter des futurs lecteurs. Selon Gérard Genette1, la

critique par l’interview reste un genre de critique qui remplacerait aujourd’hui

le compte rendu médiatique ( radio, télévision) qui se perd.

Dans cette deuxième critique de la critique journalistique, on peut également

lire trois phases de l’interview. La première est relative à la présentation de

l’œuvre ou de son auteur avec une accroche certaine. En général, les interviews

commencent toujours par une présentation concise soit de l’écrivain soit de son

œuvre entière jusqu’au dernier ouvrage qui fait l’objet d’interview. C’est ce

principe qu’adoptent presque tous les journalistes qui ont écrit sur Kourouma,

du moins s’agissant des articles retenus. Héric Libong commence son

interview par une question dont la réponse est susceptible d’engendrer un

résumé du roman évoqué :

« A quoi fait référence le titre de votre dernier

livre, Allah n’est pas obligé ? »2

L’interrogation quasi ‘’déjà entendue’’, et qui a tout d’une ouverture de la

critique, permet à Ahmadou Kourouma de dévoiler la trame romanesque de son

ouvrage. Bien souvent, l’interrogation première détermine en quelque sorte le 1 GENETTE (G.), op. cit. 2 LIBONG (H.), ‘’Dans l’ombre des guerres tribales’’, op. cit.

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ton du débat à venir, qui tient toujours au but final, celui de faire apprécier

l’œuvre et de la faire lire.

La deuxième phase de la critique par l’interview est le moment où l’écrivain est

obligé de parler de son écriture. Contrairement à la critique d’enjolivement où

c’est le journaliste qui rend compte du texte de l’écrivain, ici, c’est le romancier

lui-même qui le fait en répondant bien sûr aux questions posées. Il s’agit

essentiellement de la démonstration par l’écriture, sinon de l’ « auto-

présentation » de l’écrivain au public, du domaine sacré, celui du style. On peut

le voir dans l’interview que Kourouma accorde à Catherine Argand1. En effet,

après ‘’l’étalage’’ de l’ouvrage, l’auteur est poussé par la journaliste à faire une

démonstration purement de son écriture littéraire. L’auteur, en fin de dialogue

est même invité à répondre à la question sartrienne, « à quoi sert la littérature ?

»

Enfin la troisième phase de l’interview souvent accordée aux écrivains relève

de la « naissance de l’écrivain » en tant que romancier. Les journalistes dont

l’objectif est d’atteindre le plus grand nombre de lecteurs possible, demandent

souvent aux écrivains, confirmés ou non, de raconter leur arrivée à la littérature.

Ces trois différents genres critiques de la critique par l’interview se

caractérisent par des entretiens assurant aux auteurs une promotion plus

efficace Elles dispenseraient par la suite le journaliste d’une lecture fastidieuse

1 ARGAND (C.), Interview réalisée lors de la parution de Allah n’est pas obligé , article cité.

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avec un avantage certain, celui de plaire aux lecteurs, a en croire les mots de

Genette1.

Enfin il y a la critique biographique, qui permet aux journalistes de s’étendre

sur la vie des auteurs. Il s’agit ni plus ni moins que du biographisme au sens de

Sainte-Beuve. Elle commence la plupart du temps par la présentation

« biologique » de l’auteur, c’est-à-dire que les journalistes invitent le lecteur à

découvrir la date et le lieu de naissance des écrivains. Par ce procédé, les

journalistes cherchent à attirer le public-lecteur à connaître presque ce qu’il y a

de plus intime chez les auteurs. Ainsi, pour Ahmadou Kourouma, c’est encore

Héric Libong qui use de cette stratégie. Décrivant la personnalité de l’auteur

ivoirien en fin autobiographe, Libong présente « l’acte de naissance » de

Kourouma :

« Né en côte d’Ivoire en 1924, Ahmadou Kourouma

est l’écrivain des soleils des indépendances .»2

En outre, c’est la critique Aliette Armel qui fait carrément la plus longue

biographie de l’auteur avant de procéder à l’interview avec Ahmadou

Kourouma dans Le Magazine littéraire. En voici quelques éléments :

« Ahmadou Kourouma est né en 1927 à Togobala.

Ce village malinké appartenait alors à l’Afrique 1 GENETTE (G.), op. cit., p. 10. 2 LIBONG (H.), ‘’Dans l’ombre des guerres tribales’’, op. cit. C’est l’auteure qui souligne dans son texte.

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Occidentale française, et au pays mandingue, zone

d’Afrique de l’Ouest islamisée dès le XIè

siècle… »1

La présentation de Kourouma par Aliette Armel va au-delà de la simple

biographie, en situant complètement le lieu de naissance de l’auteur

géographiquement. A partir de ces lignes, le futur lecteur de Kourouma détient

déjà tous les renseignements sur lui et peut ne pas poursuivre sa connaissance

en tant qu’écrivain. Poursuivant sa présentation, Aliette Armel fera une espèce

de rappel du parcours initiatique de l’auteur ivoirien comme d’une oraison

(littéraire). Elle fait le tour de sa scolarité et de ses débuts en tant que

romancier. Elle fait en quelque sorte ce que nous avons présenté dans la

première partie de ce travail, à savoir « la naissance de l’écrivain ». Elle finit sa

présentation par montrer non seulement les premières œuvres, mais également

la dernière, à savoir Allah n’est pas obligé.

Comme on voit, la critique biographique est une autre manière de présenter

l’auteur au public. Elle se conçoit dans une sorte de vulgarisation de l’auteur en

ce qu’elle permet au futur lecteur de s’habituer à la connaissance de la vie

dudit auteur. Elle participe également de l’invitation à lire.

Pour conclure ce chapitre, il convient de dire que les articles consacrés par la

presse française aux romans de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et à

1 ALIETTE (A.), ‘’Entretien avec Ahmadou Kourouma’’ in Magazine Littéraire, septembre 2000, p. 99.

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ceux de Calixthe Beyala, sont dans l’ensemble élogieux. Le ton de ces articles

ne diffère pas d’ailleurs de manière sensible avant et après la consécration des

écrivains, notamment Kourouma et Beyala. Après l’obtention de leurs prix,

aucun périodique n’a manqué de sacrifier, ne serait-ce que quelques instants, à

un roman qui vient de remporter l’un des trois ou quatre prix littéraires

français, avec tout ce que cela signifie au plan de la promotion commerciale.

Qu’en est-il alors de la critique universitaire ?

6. 2 La critique universitaire

Contrairement à ce que qui se lit à travers la critique journalistique, la critique

universitaire demeure l’apanage des universités, du moins des institutions

littéraires. Comme nous l’annoncions précédemment et à la suite de Genette,

elle est aussi une sorte de « compte rendu ». Cependant c’est un compte rendu

qui se situe à la lisière de celle adoptée par les journalistes puisqu’il relève

« explicitement ou implicitement du genre de l’essai, reconnaît Genette1. » En

d’autres termes, selon Gérard Genette, la critique universitaire est celle qui

s’emploie par le genre essayiste à donner plusieurs aspects d’un ouvrage

récemment ou anciennement paru.

Mais par rapport au ‘’douloureux’’ constat que nous avons décelé au sujet de la

connaissance des écrivains qui font l’objet de notre étude, une certaine

1 GENETTE (G.), op. cit., p.10.

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contradiction se dessine. En effet, depuis deux décennies pratiquement, la

littérature africaine est entrée dans les circuits des françaises. A lire les propos

du théoricien Locha Mateso, dans sa littérature africaine et sa critique1, la

littérature africaine, quoi que tièdement assimilée, ait réussi à pénétrer les

institutions françaises. Il dit :

« Longtemps considérée comme simple appendice

de la littérature française, et vouée de ce fait aux

‘’strapontins’’ dans les amphithéâtres, cette

littérature commence[africaine] à bénéficier d’un

plus grand intérêt depuis une dizaine d’années,

comme en témoignent le ‘’rapport de la mission

d’enquête sur les études relatives au monde

francophone’’ établi par l’A.UP.E.L.F (Association

des Universités partiellement ou entièrement de

langue française) en 1977, ainsi que le fichier

central des thèses de l’Université Paris X

Nanterre. »2

Sans entrer dans une quelconque ‘’aporie’’ et sans nier les propos de Locha

Mateso, il convient de dire tout de même que ces mots pourraient appartenir à

une certaine époque. Car depuis 1977, année des études réalisées par

l’A.U.P.E.L.F., plusieurs éléments ont changé. Certes la littérature africaine 1 MATESO (L.), La Littérature africaine et sa critique, A.C.C.T. et Editons Khartala, 1986, 399p. 2 Idem., p. 145.

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existe bien dans des universités, mais soulignons que son existence n’apparaît

qu’à partir de la licence relative. Le premier cycle universitaire étant réservé

aux littératures françaises et européennes. L’introduction de la littérature aurait

eu beaucoup plus d’impact si elle avait été faite depuis l’enseignement

secondaire, comme c’est le cas, inversement de la littérature française dans les

anciennes colonies. Cependant, nous ne réfutons pas ces quelques efforts

pressentis par les universitaires, en particulier, les chercheurs. Et c’est ici que

les dires de Mateso reprennent tout leur sens. De nos jours, plusieurs thèses, du

moins celles recensées, portent sur cette littérature. Cet engouement sous-tend

un certain paradoxe pouvant être imputé à l’évolution des mentalités du côté

des décideurs français. Les travaux portant sur Ahmadou Kourouma, Sony

Labou Tansi et Calixthe Beyala connaissent tout de même un regain d’intérêt

des milieux universitaires. En plus des travaux purement théoriques (publiées

par les chercheurs et enseignants), plusieurs thèses se font de plus en plus non

seulement par les Africains eux-mêmes, mais aussi par les Français.

Etant donné que le Fichier central de thèse de France est l’organe qui recense

toutes les thèses à soutenir ou déjà soutenues, il appert que l’ensemble des

travaux des écrivains Ivoirien, Congolais et Franco-camerounais a atteint de

proportions inestimables. Voici ici quelques travaux chiffrés couvrant la

période de 1986 à 20031.

1 Dans les annexes, il ne sera question que de présenter les travaux de chaque auteur en cours de 1986 à

2003 de moins, celles recensés par le Fichier Central de Thèse (F.C.T.)

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Sur Ahmadou Kourouma, il est dénombré à l’heure actuelle une quinzaine de

travaux universitaires présentés ou en voie de l’être. Sony Labou Tansi compte

dix huit thèses dont cinq ont été soutenues depuis 1986. Ecrivant sur Calixthe

Beyala, selon le fichier central de thèse, seuls six étudiants rédigent une thèse

de doctorat sur l’écrivain camerounais. Sur les six travaux, un seul, celui de

Boniface Mongo-Mboussa a été présenté en 19931.

Lorsqu’on regarde l’ensemble de ces thèses en cours et qu’on les associe à

celles déjà soutenues avant la période choisie (1986-2003), il est possible de

penser que la réception par la critique universitaire est de plus en plus pratique.

Pourtant un seul regret se remarque que parmi ces différents travaux recensés,

la majorité d’auteurs est constituée d’Africains. Notons tout de même qu’il

existe plusieurs travaux de mémoires soutenus par des étudiants français et qui

contribuent largement à la réception de la littérature africaine en France. Il y

aurait cependant plus d’attrait et d’entrain si les étudiants d’origine française

s’impliquaient davantage dans l’édification de ces littératures. D’autant plus

que l’objectif poursuivi est de noter la présence massive et effective des

romanciers africains dans le cadre universitaire français. Du côté des

enseignants et des chercheurs, il est à noter que de plus en plus, plusieurs

études sur la littérature africaine sont produites par les Français ; sans nier bien

sûr la participation des chercheurs africains eux-mêmes. Ainsi, la pluralité des

1 Nous renvoyons les lecteurs à la bibliographie et aux annexes. Il est juste de préciser que toutes ces thèses

ont été recensées sur le Fichier central de thèse située à l’université de Paris X, Nanterre, à un moment

donnée de nos recherches. Il se pourrait donc que le nombre des travaux ait été revu à la hausse. Ce qui

serait normal, vu la densité des travaux qui se font actuellement.

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sujets des thèses, de publications (recueils d’articles, actes des colloques,

dossiers ou numéros spéciaux de revue…) participe de l’enrichissement et de la

compréhension non seulement des auteurs étudiés mais aussi des contours

généraux de la littérature africaine francophone. Le seul regret est de constater

que ce sont toujours les mêmes enseignants et chercheurs français qui

s’activent depuis plus de trente ans pour certains autour de cette littérature1.

Maintenant que la France s’est tournée résolument vers l’Europe, une

intégration pourrait se poser sur le sort de la littérature francophone africaine

en France dans un avenir assez proche, comme dans un avenir lointain.

A lire les jugements émis sur Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi et

Calixthe Beyala, on constate que la réception par les critiques journalistique et

universitaire semblent s’opposer aux études menées sur la ‘’diffusion et la

distribution’’ de leurs romans. Malgré les difficultés relatives à l’édition et à la

distribution, voire à l’accueil en milieux scolaires et universitaires français, les

avis sur les romans de ces auteurs demeurent nettement positifs. Dans la

plupart des cas, toutes les critiques qui paraissent à la suite d’une publication

d’un de ces romanciers sont résolument convaincantes. Donc possible d’inciter

à la lecture et de créer des lecteurs potentiels. Il y a potentialité dans la mesure

où les critiques des spécialistes comme celles des journalistes ‘’littéraires’’

devraient suffire à devenir des éléments déclencheurs de la lecture. D’où

l’appréciation du « rôle » de la lecture de ces écrivains en France

métropolitaine. Mais avant de constater cet autre fait de la littérature et qui 1 Notons pêle-mêle les travaux de tous les théoriciens de la littérature nationale africaine et les

incontournables de la littérature écrite : Chevrier, Mouralis, Noura, Griaule, etc.

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concerne notre problématique, disons qu’il est difficile d’obtenir exactement le

nombre de lecteurs de tel ou tel autre romancier. Même si l’étude est menée

chez les libraires et les éditeurs, il ne peut se faire de constat véritable de

lecteurs. Car un acheteur n’étant pas obligatoirement un lecteur. A la question

posée sur le nombre des lecteurs des textes de Le Clézio, par exemple, Alain

Viala1 pense qu’on ne peut obtenir de réponse plausible d’autant plus que des

informations font défaut. Selon Viala, on ne peut pas absolument mesurer la

quantité véritable du lectorat d’un écrivain ( ici Le Clézio). Cette remarque

reste valable aussi pour tous les écrivains, y compris ceux qui nous concernent

ici. Cependant les lignes qui suivent présentent non seulement l’avènement du

lecteur français des textes africains d’expression française, mais aussi quelques

éléments qui peuvent aider à comprendre une œuvre africaine. A ce moment de

la question, nous nous situons dans l’ordre des possibles. En d’autres termes,

parler e la lecture plutôt que du lecteur ressemble à un exercice complexe en

ce que la lecture est d’abord avant tout une « relation » et le lecteur, celui qui

crée ladite relation avec le livre. La lecture des textes (ou nos propositions),

telle qu’il en sera présentée est un objet à construire. Il s’agit d’examiner

quelques éléments pouvant conduire à une lecture « simple » des textes

romanesques des romanciers, qui, avons-nous remarqué posent quelques

grandes difficultés aux lecteurs français. Tout cela bien sûr dan l’optique de

faire susciter le goût de la lecture.

1 VIALA (A.) , MOLINIE (G.), Approches de la réception, Sémiostylistique et sociopoétique de Le Clézio,

coll., ‘’Perspectives littéraires’’, P.U.F., Paris, 1993, p.277-289.

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Chapitre 7 : De la lecture des romans

7. 1 Avènement du lecteur

Le chapitre précédent a fait référence à la réception des œuvres de Ahmadou

Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Calixthe Beyala par les deux critiques

annoncées : journalistique et universitaire. Le chapitre que voici, et qui « clôt »

l’argumentation générale, s’attache à indiquer l’autre pendant de l’auteur,

longtemps ignoré par les théoriciens de la littérature en général, et ceux de la

littérature africaine francophone en particulier. Elle apparaîtra pour ainsi dire

plus explicative, en ce qu’elle précisera l’avènement du lecteur français et

quelques modes de lecture des textes des auteurs qui composent notre objet

d’étude.

Il n’existe pas, à proprement parler, des textes relatifs au(x) lecteur(s) des textes

africains en France. Ce manque épistémologique n’est pas propre aux textes

francophones d’Afrique. Car même en Occident, la place du lecteur a été

longtemps mise en suspens ou oubliée au bénéfice de l’écrivain seul. De tout

temps, le lecteur a toujours été relégué au dernier plan, d’autant qu’il y

paraissait comme une évidence. Cette certitude a occasionné l’inégalité du

couple auteur-lecteur pendant longtemps, comme l’a indiqué Emmanuel

Fraisse1.

1 FRAISSE (E.), « Lire, lire l’autre » in Questions générales de littérature, op.cit., p. 200. Dans ce

quatrième chapitre qui compose l’ouvrage de Mouralis et de Fraisse, l’auteur expose la naissance du

lecteur et son rapport au processus de ‘’cognition’’ du texte.

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Depuis plus de trois décennies, ‘’l’oubli’’ est en train d’être réparé en

littérature. Plusieurs théoriciens ont dû « proclamer » la naissance du lecteur. Et

aujourd’hui, grâce à la théorie de la réception qui en assume pleinement

l’affirmation, le lecteur devient un objet d’étude au même titre que l’auteur. Ce

terme, qui au départ ne semblait pas attirer l’attention des chercheurs (par son

évidence même), devient un paradigme fort intéressant, comme le note Vincent

Kaufmann:

« Une grande partie des travaux de la critique et

de la théorie littéraire s’articulent aujourd’hui

autour de la question de la lecture [et du

lecteur]. »2

En d’autres termes, la « question de la lecture », partant du lecteur, occupe de

plus en plus une place de choix dans les études littéraires et de ses recherches. Il

faudra cependant préciser que si cette notion est arrivée un tardivement en

littérature, les autres aspects des sciences de l’homme, tels que la sociologie

(avec Bourdieu, Michel de Certeau et Auguste Girard…), l’histoire et

l’anthropologie avaient déjà impliqué cet objet d’étude dans leurs champs de

travail. C’est du reste à partir de ces différents travaux que la notion de

‘’lecture’’ a atteint la sphère littéraire. Une autre source d’avènement du lecteur

pouvant se comprendre comme une rupture épistémologique, est en rapport

2 KAUFMANN (V.), ‘’De l’interlocution à l’adresse’’, Poétique, n°46, p. 171.

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avec la fin de l’auteur ou « la mort de l’auteur » et de la proclamation de la

naissance du lecteur au sens barthésien, sous couvert du structuralisme. Selon

Roland Barthes, en effet, l’avènement du lecteur ou de la lecture ne sont que la

conséquence d’une théorie textuelle, au sens où le texte, objet matériel, devrait

être considéré et perçu comme production ou processus de « signifiance » et

donc avec des variantes communicationnelles. Il déclare :

« La théorie du texte amène la promotion d’un

nouvel objet épistémologique : la lecture (objet à

peu près dédaigné par la critique classique, qui

s’est intéressée essentiellement soit à la personne

de l’auteur, soit aux règles de fabrication de

l’ouvrage, et qui n’a jamais conçu que très

médiocrement le lecteur, dont le lien à l’œuvre,

pensait-on, était de simple projection. »1

A écouter les propos de Barthes, on peut se demander si ce grand théoricien du

structuralisme et de la sémiotique (qui pense que le sens est immanent au texte

seul et dans sa structure interne, à travers des éléments linguistiques), sort de

son cadre théorique. Il n’en est vraiment pas question. Pour Roland Barthes et

bien d’autres théoriciens de la littérature, même s’il faillait étudier le sens d’une

œuvre à travers sa propre structure interne, il n’en demeure pas moins que cette

1 BARTHES (R.), Texte [théorie du], [1973], in Encyclopaedia Universalis, Paris, Encyclopaedia

Universalis Editions, 1968-1975 ; nouvelles éditions, 1989, tome 22, 370-374 ; p. 373, collection 3. C’est

Barthes qui souligne dans son texte.

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oeuvre est d’abord orientée vers un lecteur, non plus intra textuel, mais un

lecteur vivant, réel et obéissant aux règles de la communication et du dialogue.

Dialogue avec l’autre se situant dans le texte. Le lecteur dont il est question ici

n’est plus l’instance textuelle. Il s’agit du ‘’lecteur-réel’’, au sens de celui qui

tient un livre ouvert. Nous dépassons, pour ainsi dire, le lecteur supposé des

textes à travers toute une série des moyens (comme la linguistique, la

narratologie, l’autobiographie) qui participe à l’élaboration des sens textuels. A

l’heure actuelle, cette question de (la) lecture ou ce « nouvel objet » semble

s’imposer presque à l’inverse des thèses structuralistes dans la mesure où le

lecteur n’est plus à rechercher dans le texte même, mais dans son extériorité. En

effet, dans la démonstration qui consiste à présenter la « rhétorique du lecteur »,

Alain Viala1 emprunte une homologie entre la rhétorique-au sens traditionnel-et

la rhétorique de la lecture dont les quatre principales opérations s’accomplissent

dans un mouvement dialectique juste. Le premier principe annoncé par Viala

est celui appelé « inventio » et qui consiste dans le choix des textes à lire. Mais

ce choix, précise-t-il pourrait être influencé par les médias, l’entourage et

surtout par l’école qui joue le plus grand rôle dans la sélection des ouvrages. Le

second principe est celui qu’il désigne sous le terme d’ ‘’orientation’’ ou la

« dispositio » rhétorique. La dispositio implique l’objectif visé par la lecture.

Pourquoi lit-on et dans quel intérêt ? Le troisième principe nommé « elocutio »

ou transposition est l’ensemble des compétences dont dispose le lecteur pour

prendre en charge la transcription du texte. Le quatrième principe ou « actio »

est relatif à l’ensemble des pratiques matérielles de lecture (vitesse et rythme) 1 VIALA (A.), ‘’L’enjeu en jeu : Rhétorique du lecteur et lecture littéraire’’, La lecture littéraire, sous le

direction de Michel Picard, Editions Clancier-Guenarud, p. 15-31.

Page 291: UNIVERSITE PARIS XII - doxa.u-pec.frdoxa.u-pec.fr/theses/th0221251.pdf · Selon Marthe Robert, si le roman connaît le succès qu’on lui doit actuellement, c’est parce qu’il

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de lecture, souvent difficile à analyser. Toute cette démonstration est introduite

pour mentionner véritablement l’importance de la lecture, mais plus encore

l’essentiel des composantes de la lecture. Mieux encore, Viala présente le

lecteur non plus fictif mais réel qui participe avec ses émotions et ses

connaissances à l’acte de lire.

Avec la thèse de Barthes et l’explication de Viala sur l’avènement de la lecture

(lecteur), il y a comme un truisme en ce qu’ils orchestrent une véritable rupture.

Roger Jérôme n’affirme pas le contraire lorsqu’il dit dans sa Critique littéraire

à propos de la lecture qu’elle survient

« comme à contre-courant de la thèse structuraliste

de l’autonomie de la littérature ou de son

autoréférentialité .»1

Aujourd’hui, comme précédemment indiqué, la lecture et son pendant le

lecteur occupent une place essentielle dans les études littéraires par

l’intermédiaire de la notion de réception introduite par d’autres disciplines des

sciences humaines. En introduisant le principe de lecteur, il s’agit pour cette

étude de regarder du côté du « destinataire » des œuvres des romanciers1. Car

comme le note Hans R. Jauss, la vie littéraire d’une œuvre ne pourrait se faire

sans la participation du lecteur2. Aussi, est-ce grâce aux travaux de l’Ecole de

1 JERÔME (R.), La Critique littéraire, Editions Nathan/Herr, Paris, 2001, p. 75. 1 JAUSS (H.-R.), Pour une esthétique de la réception, op. cit. 2 Idem.

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Constance avec Jauss, Hans G. Gadamer et W. Iser et Paul Ricoeur en France

que le destinataire a été profondément révélé dans les études littéraires comme

objet essentiel de la réception d’un texte. Tous ces théoriciens pensent qu’il

faudrait intégrer la dimension du lecteur en ce qu’il contribue, au même titre

que l’auteur au « travail de création. » C’est dans cette optique que ce travail se

propose d’apporter quelques moyens de lecture qui puissent amener les

lecteurs français à lire non seulement les textes des romanciers étudiés ici, mais

aussi ceux de la littérature africaine francophone en général.

Cette présentation de l’avènement de la lecture et du lecteur nous permet de

nous pencher sur l’appréciation des textes de Ahmadou Kourouma, de Sony

Labou Tansi et de Calixthe Beyala par les lecteurs français. Parler en effet de la

lecture aujourd’hui reviendrait à hypostasier ou à répondre à la grande question

sartrienne : « pour qui écrit-on ? », laquelle interrogation a déjà fait école dans

la critique littéraire. Cependant elle peut s’actualiser dans la mesure où l’on

pourrait se demander pour qui les écrivains africains francophones écrivent?

Ou pour quel lectorat sont destinés leurs textes ? Mais avant d’atteindre le

lecteur français proprement dit, un bref rappel de la situation sur la pratique de

lecture en France s’impose. Cette présentation semble obligatoire en ce qu’elle

constate que la lecture est devenue au fil des ans en France une « activité moins

importante. »

7. 2 Regard sur la lecture en France.

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Il est judicieux de mentionner qu’il est difficile de savoir le nombre exact des

lecteurs d’un ouvrage. Même si des études ont été menées dans ce sens par

beaucoup des chercheurs avec la collaboration des éditeurs et des libraires, il

ne peut être donné de façon affirmative et juste la quantité de lecteurs d’un

texte ; d’autant qu’un acheteur par exemple n’est pas forcément un lecteur.

Cependant dans notre cas, à partir de la démarche hypothético-déductive

employée dans la seconde partie du travail, les réponses données à la

connaissance de Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Calixthe

Beyala, tenteraient un balbutiement de réponses au nombre des lecteurs. On a

vite écarté cette hypothèse car il ne s’agissait pas de connaître, parmi

l’échantillon choisi, le nombre de lecteurs afférents aux romanciers. Donc la

difficulté demeure. Toutefois, ces obstacles n’empêchent pas qu’il y ait des

tentatives de compréhension relatives à la pratique de la lecture.

Dans une approche assez claire et simple de la lecture, Chantal Horellou-

Lafarge et Monique Segré1 ont exposé et élaboré différents « regards sur la

lecture en France » (leur titre). De cette étude, il ressort l’idée générale

suivante : les Français ne lisent plus ou presque pas. Cette carence on ne peut

plus terrible aurait des causes assez proches du milieu scolaire. En effet, à la

suite de plusieurs chercheurs, les deux sociologues estiment que l’institution

scolaire serait à l’origine de ce problème. Elle contribue bien sûr à

l’alphabétisation des peuples mais en impose les lectures. D’une manière

1 HORELLOU-LAFARGE (C.), SEGRE (M.), op. cit.

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générale, les élèves ne lisent que des œuvres qui leur sont imposées et inscrits

aux programmes des cours. Et dans la plupart des cas, une fois sortis du circuit

scolaire, ces élèves ne continuent plus la lecture. Tirant une conséquence par

rapport à notre étude, il peut se comprendre que dans les livres aux

programmes des lycées et collèges, la primauté est donnée aux auteurs

autochtones. Ainsi, les romanciers étrangers ne sont que parfois cités pour

élucider tel ou tel autre aspect du cours. Par voie de conséquence, les écrivains

africains ont encore moins de chance à être étudiés. Il est vrai que si l’on

considère la lecture comme moment d’isolement pour écouter ce que dit le

texte et lire entre les « espaces-blancs », la lecture scolaire ne peut pas

favoriser cette autre lecture des textes qui nécessite le ‘’sérieux’’ du genre.

Ensuite, selon les deux sociologues toujours, en dépit du nombre croissant des

bibliothèques et divers espaces de lecture en France, on dénombre une

moyenne relativement faible de lecteurs, eu égard au nombre de la population

scolarisée. Cette situation serait due, pour Horellou-Lafarge et Segré à

l’utilisation excessive des nouveaux modes de connaissance comme internet.

Devant ces faits, on peut penser que si les Français n’arrivent pas à lire leurs

propres textes, il sera difficile de lire des romans « étrangers . » Une fois

encore, les résultats du sondage effectué dans ce travail prouvent que les

lecteurs français ne connaissent pas nos écrivains. Que faire alors pour inviter

les lecteurs français à parcourir les textes de Kourouma, de Sony et de Beyala ?

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7. 3 Clefs de lecture

De prime abord, le principe de la lecture voudrait qu’on lise une œuvre bien

qu’elle demeure impénétrable au départ1 ou obscure. L’essentiel est que le

lectorat français apprenne à mieux connaître, soigneusement, à dépasser les

limitations individuelles et culturelles afin d’atteindre à l’Universel. Loin de

porter un jugement inopérant des lecteurs français des romans de Kourouma,

de Sony et de Beyala, la nécessité théorique de la lecture approchée et

objective, en passant par la scolarité, demeurent accessibles. En un mot, le

lecteur français devrait se départir de tous préjugés qui circulent autour des

œuvres africaines d’expression française, dont la seule vision exotique

obnubile certains lecteurs.

Afin de mieux cerner les textes d’Ahmadou Kourouma, de Sony Labou Tansi

et de Calixthe Beyala, deux éléments fondamentaux restent à préciser : l’entrée

des romanciers dans les programmes scolaire et universitaire et la prise en

compte de l’ancrage « situationnel » des romans ou les conditions de

l’énonciation.

A l’heure actuelle, et comme nous l’indiquions dans la seconde partie de ce

travail, il est regrettable de constater qu’aucune œuvre littéraire d’Afrique

francophone n’apparaît dans les programmes scolaires en France. Ou s’ils s’y

trouvent, c’est par fragments de textes ou par extraits. Encore que pour cette 1 Dans le cadre spécifique de travail, nous ne parlerons pas du lecteur africain qui, selon certains théoriciens, constitueraient l’essentiel du public des romanciers écrivant en langue française. Ce pourrait être une autre ouverture des travaux futurs.

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année 2003 par exemple, aucun n’écrivain africain francophone n’a-t-il été

retenu. A part le texte traduit de l’anglais de Nelson Mandela (Un long chemin

vers la liberté.) Estimant encore une fois que si l’école est le lieu par

excellence d’apprentissage de la lecture, il serait idoine d’introduire quelques

écrivains africains dans les programmes de français et de littérature. Cette

introduction, même à courte échelle des romanciers africains conduirait petit à

petit à la connaissance partielle ou totale des écrivains « d’ailleurs », qui en

réalité ne le sont pas. D’autant plus que par le simple fait d’écrire en langue

française, les romanciers d’Afrique francophone devraient avoir une grande

audience en France. Pourtant, la plupart de ces écrivains contribuent à

l’épanouissement de cette langue qui n’est plus la propriété exclusive des

Français. Ainsi l’entrée dans la scolarité française favoriserait non seulement la

familiarité littéraire des œuvres africaines mais aussi leurs connaissances.

L’institution scolaire est dans une certaine mesure l’étendard de la diffusion

des œuvres littéraires, comme l’aura déjà remarqué Pierre Bourdieu.

L’autre frange de la question, qui semble désintéresser le lecteur français, est le

fait qu’il trouve souvent impénétrable les romans africains. Malgré la volonté

de lire qui peuvent les animer, ils demandent confrontés à des réalités de

sociétés et d’énonciation. Reprenant et dépassant le travail de Lucien

Goldmann sur la notion de « reflet », A. Viala introduit celle de « prisme »,

plus complexe. En effet, cette notion de Viala fait référence aux multiples

médiations et relations qui peuvent exister entre l’écrivain et le lecteur, entre

les propriétés du texte et sa rhétorique (choix du texte, façon d’aborder la

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lecture de ce texte, d’en construire le sens, de lire, bref, ce que nous évoquions

plus haut). Aussi, ce prisme permet-il de se découvrir chez nos romanciers,

sachant qu’ils sont de culture différente de celles des lecteurs français. En

d’autres termes, comment les lecteurs français peuvent-ils lire ces différents

textes ?

Tout texte véhicule un message. Vérité absolue. Pour que ce message atteigne

le public-lecteur, il faudrait qu’il soit compris par les deux parties. En d’autres

termes, l’auteur et son lecteur doivent se résoudre dans une situation de code

commun afin de produire le schéma communicationnel. A priori, les textes

francophones en général et ceux de Kourouma, de Sony et de Beyala ne

poseraient pas de problème presque ils sont écrits en langue française. . Vu

qu’ils utilisent les mêmes codes de langage. Bien qu’il y ait des cas de

glossolalie ( interprétation quasi inexistantes de certains mots que même

l’auteur ne pourrait saisir) ou de néologie (invention de nouveaux mots,

comme c’est le cas chez Sony et Kourouma), le lecteur français s’en sortirait

mieux que son homologue allemand, par exemple1. Les intrusions de langue

ou « barbarismes » devraient être lus comme de nouvelles créations1. En dépit

de ces cas « non codifiés » de langue, l’auteur peut agir, comme l’a noté

Umberto Eco, en prenant en considération la réaction du lecteur. Cette réaction

entraîne une espèce d’anticipation qui se traduit par le fait que malgré

1 D’après les informations relatives à la réception de textes africains, il s’avère que l’Allemagne se situerait

bien au-dessus de la France, en ce qu’elle aura intégré depuis longtemps les ouvrages africains dans son

système scolaire. 1 Nous renvoyons le lecteur à la partie sur l’écriture pour mieux comprendre l’importance de ces intrusions.

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l’incompréhension de départ, le lecteur trouvera toujours un moyen de pouvoir

comprendre le texte. L’anticipation peut aussi venir de l’auteur lui-même. Dans

Allah n’est pas obligé, Ahmadou Kourouma use de cette stratégie en faisant

intervenir chaque fois les dictionnaires afin d’élucider tel propos paru

incompris du lecteur et employé parle narrateur ou le personnage principal.

Par le fait qu’ils emploient la langue française, Kourouma, Sony et Beyala

prévoient en quelque sorte ce que Umberto Eco2 nomme les ‘’lecteurs

modèles’’. Le lecteur modèle est celui qui est capable de coopérer à

l’actualisation du texte, dit- Eco. Et cette coopération passe de la sphère

linguistique au lexique et au style de chaque écrivain. A ce sujet, on peut

inférer que les trois écrivains bénéficieraient de ces lecteurs modèles mais qui

tardent à se faire connaître en masse. En outre, le lecteur postulé (ici le lecteur

français) par les trois écrivains demeurent un lecteur qui tiendrait compte de

l’évolution des faits socio-historiques des évènements romanesques.

La lecture des textes de Kourouma, de Sony et de Beyala passe aussi par la

connaissance avérée de la situation d’énonciation. N’écrivant pas ‘’ex nihilo’’,

ces écrivains, ainsi que leurs pairs du monde entier, puisent la souvent leur

inspiration dans leur terre d’origine ou sein du métier dans lequel ils vivent. Et

le lecteur, pour se faciliter la compréhension des textes romanesques, gagnerait

à étudier l’histoire culturelle et linguistique dont sont issus les auteurs. Aussi,

pour comprendre Les soleils des indépendances, par exemple, ne serait-il point

2 UMBERTO (E.), Lector in fabula, op.cit., p. 68.

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d’entreprendre des voyages en Côte d’Ivoire. Plusieurs textes relatifs à la

situation historico-sociale des pays africains existent déjà. Au besoin, le lecteur

se doit de se familiariser avec cette langue s’il veut véritablement comprendre

le sens de ce texte. Il devrait également avoir des connaissances sur la période

des indépendances et leurs conséquences en Afrique, s’il veut lire correctement

La vie et demie de Sony Labou Tansi, Les soleils des indépendances

(Kourouma) ou Les arbres en parlent encore de Beyala. Ces efforts

supplémentaires et ces « lectures croisées » donnent nécessairement des

interprétations variables et occasionnent une bonne lecture en conversant avec

les moments passés pour ne pas paraphraser Descartes. C’est à ce moment là

que le lecteur pourrait atteindre ce que Jauss appelle des ‘’horizons d’attente’’,

c’est-à-dire cet instant où le lecteur, en lisant les textes de Kourouma, de Sony

ou de Beyala, entendrait et atteindrait l’orientation de ses intérêts esthétiques

en se référant aux textes passés et à son milieu social. Ne perçoit-t-on pas le

style de Sony Labou Tansi à la lisière de celui de Louis-Ferdinand Céline, par

exemple ? Le concept d’horizons d’attente de Jauss est perçu ici comme le

temps du déclenchement du processus de souvenir et des ressemblances du

texte lu à une société donnée (à des sociétés données devrons-nous dire.) On

parlerait alors d’intertextualité ou de « transtextualité » au sens défini par

Gérard Genette dans Palimpsestes1.

Ainsi, la lecture des romans de Kourouma, Sony et Beyala, comme celle de

tous les écrivains nécessite une double connaissance. La connaissance de 1 GENETTE (G.), Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982 ; nouvelle édition,

collection « Points Essais », 1992.

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l’ancrage situationnel, qui présente les conditions d’énonciation d’écriture du

texte. L’atteinte de l’horizon d’attente qui passe par le truchement des lectures

appropriées et croisées, qui encouragent la connaissance des textes. Cette

dualité participe largement de la compréhension et notamment de la lecture des

romanciers étudiés. Lesquels écrivains demeurent aujourd’hui des

« classiques » africains. Sans totalement vouloir que le lecteur français

recherché participe au souvenir de la « genèse » des romans de Ahmadou

Kourouma, Sony Labou Tansi et Calixthe Beyala, il devrait prendre part à

l’œuvre comme

« déroulement de quelque chose qui se fait, à

l’intimité de ce vide qui se fait être (…) [et qui]

fonde l’essence du genre romanesque. 2»

Comme l’indique Maurice Blanchot, cette manière de lire deviendrait par la

suite celle des critiques qui cherchent à savoir comment une œuvre est faite. Ce

serait sûrement trop demander au lecteur. Mais à travers cette lecture, le

lecteur, moins que le spécialiste, pourrait non seulement trouver les

fondements d’une œuvre mais aussi ce qui fait évidemment sa singularité. Les

œuvres de Kourouma, de Sony et de Beyala prises seules favorisent l’accroche

réceptive de la lecture. Et le lecteur français moins spécialisé lirait ces textes

comme siens dans un dialogue avec les gens et cultures d’Afrique noire.

2 BLANCHOT (M.), L’Espace littéraire, op. cit. p. 269.

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Conclusion troisième partie

Au terme de la troisième partie du travail sur la critique et la lecture des textes

des écrivains que nous étudions, il est juste de penser à une note plutôt

objective et positive. Car, des deux critiques élaborées dans cet ultime moment

de l’argumentation générale, on lit des figures ou des relents de critiques assez

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positifs sur ces écrivains. Ayant choisi la critique journalistique et la critique

universitaire comme objet d’appréciation, nous avons procédé à une critique de

la critique en présentant chaque fois les caractéristiques de chaque critique

élaborée. Ces deux positions de la critique jouent des rôles différents en ce que

la critique journalistique procède de l’appréciation « rapide » et moins

« scientifique » des romans. Elle réagit pour faire non seulement vendre une

œuvre, mais encore à chercher à lui trouver des lecteurs potentiels à travers des

formules généralement toutes faites. Cette critique a des fonctions plus ou

moins idéologiques. Elle contribue plus ou moins à la littérature du « goût » et

à l’invitation au voyage du lecteur. Mais dans notre cas, à part quelques

discrédits à l’endroit de Beyala, toutes les coupures de presse réagissent plutôt

bien pour ces écrivains.

Plus élaborée et moins subjective, la critique universitaire française demeure

assez réservée. En dehors des travaux de thèses, de mémoires ou des travaux

théoriques par les spécialistes de la littérature africaine d’expression française

en France, il n’existe pas véritablement de lieux de consécration de cette

littérature. Une fois encore, l’institution universitaire est en deçà son rôle. Elle

privilégie les auteurs francophones du Nord (Québec, Belgique) que ceux

d’Afrique. Aussi, pour demeurer concret, l’analyse du questionnaire de la

deuxième partie, a permis d’indiquer que les jeunes français « ne connaissent

pas » les auteurs étudiés et donc ne les lisent pas. C’est pourquoi, pour

favoriser la lecture des romanciers africains (cela reste valable pour toute

lecture), et si l’on veut atteindre le(s) « horizon(s) d’attente » des lecteurs, il

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faudrait que ces derniers arrivent à s’intéresser aux romanciers. Mais l’intérêt

ne saurait être singulier. Il faudrait, une fois de plus, que l’institution scolaire et

universitaire prennent en charge tous les procédés relatifs à la diffusion de ces

romanciers. Faire lire est peut-être déjà un début d’appréciation, même si après

leur scolarité, les publics se diversifient ou changent de lecture..

Dans ce parcours final de développement, la fausse note aura été le détour vers

les jugements parfois arbitraires, faits aux différents auteurs d’Afrique

francophone après la réception de leurs prix littéraires. Ici, le cas « beyalien »

est plus patent que ceux, bien plus tôt, de René Maran ou de Yambo

Ouologuem. Pourtant, au-delà de ces limites, l’espérance de la littérature

francophone d’Afrique noire peut encore luire des méandres des préjugés.

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CONCLUSION GENERALE

‘’Réception en France des écrivains Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi

et Calixthe Beyala’’. Sujet aussi vaste qu’ambitieux. En effet, le libellé, tel

qu’il apparaît, a permis de regarder, à la suite de plusieurs travaux antérieurs,

comment sont perçus et reçus ces écrivains en France. Etant parti de l’idée que

ces écrivains, comme l’ensemble des auteurs francophones, ont choisi d’écrire

en langue française, ce travail a tenté de présenter les différents moments de

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leur vie littéraire dans ce que nous appelons l’aire d’origine de la langue

française : la France.

Ainsi, l’enjeu est-il que ce modeste tâche apporte une contribution à la

sociologie de la réception, en prenant appui sur des auteurs non français

d’origine. Cet enjeu, qui n’est pas des moindres, consiste en la démonstration

du sujet à travers une série d’hypothèses variées qui ont occasionné notre

démarche argumentaire. Mais l’hypothèse qui a servi de base est celle qui

consiste à penser que les écrivains francophones d’Afrique noire de langue

française, à travers les trois auteurs choisis, ont encore et toujours du mal à être

reçus en France. Dans un plan évolutif et démonstratif, nous avons essayé

d’examiner notre hypothèse de départ. Aussi, l’argumentaire a-t-il paru s’étaler

dialectiquement en indiquant, partie après partie, chapitre après chapitre tout le

raisonnement.

Ainsi, trois grandes parties ont déterminé l’architecture du texte. La première a

été de regarder les conditions de naissance en tant qu’écrivains de Ahmadou

Kourouma, de Sony Labou Tansi et de Calixthe Beyala. Dans une étude mêlant

biographie et historiographie, l’essentiel de cet axe a permis de mentionner la

voie qui a conduit ces trois romanciers à l’écriture. De là, il ressort que si

Kourouma et Sony sont venus à l’écriture par le biais de la réalité politique de

leur milieu (la Côte d’Ivoire et le Congo), ce n’est pas le cas de l’écrivain

d’origine camerounaise Beyala. La romancière est sortie de l’ombre

romanesque afin de présenter à la face humaine ce que subissent les femmes,

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en général, et celles d’Afrique, en particulier, dominées par le pois traditionnel.

Ahmadou Kourouma et Sony Labou Tansi, appartenant pratiquement à la

même période romanesque (celle des années 68-70), ont écrit et dénoncé les

horreurs de leurs réalités respectives qui sous-tendent celles du monde africain

d’après les indépendances. De cette naissance, il convient de lire qu’en dehors

de Beyala qui est apparue très jeune sur la scène littéraire, ses « deux aînés » le

sont devenus à peu près tardivement, si l’on considère leur âge biologique (ici

40 ans ). Mais cette sorte de retard n’a pas empêché aux auteurs de devenir

deux grands romanciers d’Afrique pris aujourd’hui comme classiques.

Après avoir indiqué ce que nous nommions le « balbutiement de l’écriture », il

s’est agi de désigner la part personnelle du langage ou le style de chacun de ces

romanciers. La question du rapport entre les romanciers et la langue française

est intervenue pour identifier, en effet, ce qui, dans les textes de ces écrivains,

fait office de littérarité et de style. En s’appuyant sur quelques romans des

auteurs, il a été question de montrer que ces romanciers, écrivant en langue

française, peuvent insuffler une nouvelle vie à cette langue, laquelle sert d’outil

de communication à bon nombre d’écrivains d’horizons divers. Ainsi, ce

moment a-t-il été convoqué afin de dire à l’aide de plusieurs démonstrations

que ces auteurs sont capables d’Ecrire. Surtout, en y ajoutant leur langue

maternelle, il se lit une nouvelle langue agglutinée sur la langue française (qui

devrait d’ailleurs tenir compte de ces particularismes linguistiques africains et

d’ailleurs dans un sens diachronique)

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Evoluant dans une perspective démonstrative, la seconde partie de ce labeur a

présenté les différents liens logiques qui existent entre l’écriture, la diffusion et

les prix littéraires. Les écrivains, qui sont devenus de véritables romanciers

francophones, ont malgré cette volonté d’écrire toujours eu, au départ, des

problèmes d’éditions. Sans revenir totalement sur les conditions de production

du livre en Afrique, rappelons que tous les romanciers africains, y compris

ceux qui font l’objet de notre étude ont eu du mal à se faire publier en France.

Dans une moindre mesure, Beyala s’en est mieux sortie que les deux autres.

Peut-être a-t-elle bénéficié du travail de ses pairs. Toutefois, cela ne fut point

aisé pour Kourouma et Sony de se faire publier. Leurs premiers manuscrits

proposés aux éditions françaises furent rejetés simplement. Il fallut donc

attendre que le succès vînt d’ailleurs pour que les éditeurs français

reconnussent leur arrivée en écriture. En outre, après la publication des romans,

il peut se vérifier ici aussi l’idée que ces romanciers, à l’instar des autres

africains, ne bénéficient pas d’une forte médiatisation en vue de les faire

connaître non seulement en milieu scolaire et universitaire, mais encore dans

les autres lieux de consécration telles que les bibliothèques. Et cela en

opposition avec l’importance des prix littéraires reçus en France, notamment

par Ahmadou Kourouma et Calixthe Beyala, qui furent honorés de certaines

grandes distinctions littéraires françaises. D’où le paradoxe littéraire et africain

et des romans de ces écrivains.

Une similarité s’est lue quand il s’est agi de présenter la troisième partie de ce

travail sur la critique et la lecture des œuvres des romanciers. En effet, malgré

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la présence incitative des critiques journalistique et universitaire, on note tout

de même un manque d’engouement devant ces romanciers. En essayant de

comprendre le fait de lecture aujourd’hui en France, il pourrait se remarquer

que les Français ne lisant pas assez « leurs » livres, il serait difficile de lire les

livres africains francophones, d’autant que la lecture des romanciers africains

que nous avons présentés nécessite une connaissance moyenne de l’histoire des

peuples africains, par exemple pour Kourouma et Sony et les mœurs desdits

Africains. Certes, une lecture pourrait se passer de ces considérations pour ne

rechercher que le fait littéraire des textes. Mais afin de percevoir les « horizons

d’attente » des lecteurs, il faudrait que ces derniers arrivent à mieux percevoir

déjà le sens caché des œuvres. C’est pourquoi nous insistons sur l’anticipation

historiographique pour prétendre connaître le « dieu caché » de la littérature

africaine.

Ce travail qui est en quelque sorte une exposition des faits a été conduit suivant

la méthode ou plutôt les méthodes de la sociologie réceptive et littéraire. En

axant le choix sur l’institution scolaire principalement, ce moyen de

connaissances a permis de faire des applications pratiques afin de pouvoir

analyser notre corpus. Ainsi, en élaborant la ‘’naissance des écrivains, en

présentant leur diffusion et surtout en indiquant la part de la réception qui leur

est faite par les critiques et la lecture, ces sociologies de la littérature, de la

réception ont conduit à prouver que Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi et

Calixthe Beyala participent de cette grande famille des écrivains francophones.

Même s’ils se trouvent toujours relégués au « second plan ». Pourtant, dans ce

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climat délétère, ces écrivains, du moins Kourouma et Beyala se sont vu primer

de plus grandes distinctions littéraires. C’est inférer qu’ils ont eu tout de même

une audience en France. Lorsqu’on regarde de façon plus pratique la présence

de leurs œuvres dans quelques lieux de diffusion, on s’étonne, qu’au regard de

la présence des études africaines littéraires à l’université notamment, le nombre

de leurs romans est quasiment nul. Eu égard au nombre des étudiants ou au

nombre de lecteurs (pour les bibliothèques municipales).

Au terme des exposés de notre argumentaire, une autre interrogation peut

encore surgir des restes :sommes-nous parvenus à nos fins scientifiques ? La

réponse pourrait avoir des relents idéologiques (dans la mesure où il serait

facile de penser que les Français n’aiment pas la littérature africaine quoique

partageant toujours la même langue.) Pourtant la probité intellectuelle ne

voudrait point qu’on n’entre dans une telle polémique. Toutefois, ce que nous

n’arrivons pas à comprendre jusqu’à l’heure où nous achevons de rédiger, c’est

le fait que l’institution scolaire française ne tienne pas en compte la vie réelle

de nos romanciers, en les mentionnant principalement dans les programmes

scolaires et universitaires. Il se trouve qu’à ce niveau, les lenteurs subsistent

toujours malgré l’apparition de plus en plus des filières francophones

regroupant les littératures d’expression française extérieures à la France.

Paradoxe des paradoxes quand on écrit et parle la même langue. C’est ici le

moment de poser une question dont on n’a jamais compris le sens : qu’est-ce

que la francophonie?

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Sans épuiser le sujet, s’il est une chose que nous voudrions réaliser, c’est bien

l’idée de comparer un jour la réception des littératures nord-américaines à

celles de l’Afrique francophone, à travers une série pratique des questions de

lecture. Peut-être participerions-nous à faire prévaloir cette littérature africaine

qui n’a pas fini d’éclore.

BIBLIOGRAPHIE GENERALE

1/ OUVRAGES DES ECRIVAINS

a/ Ahmadou Kourouma

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2/ Romans choisis pour l’écriture des romanciers

a/ Amadou Kourouma

Les soleils des indépendances

b/ Sony

- La vie et demie

- L’Anté- peuple

c/ Beyala

- Tu t’appelleras Tanga

- C’est le soleil qui m’a brûlé

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329

sudoc.abes.fr

INDEX DES AUTEURS

- A -

ARISTOTE, 319 ARLETTE, 324 ASSOGBA, 317 ASSOUUNE, 324

- B -

BARBIER-BOUVET, 208, 324 BARTHES, 97, 289, 319, 324 BERTRAND, 189, 317 BETI, 103, 320 BEYALA, 27, 28, 30, 31, 34, 35, 37, 53, 68, 75, 77, 78, 80, 81, 83, 84, 85, 86, 87, 89, 90, 93, 94, 95, 131, 132, 134, 135, 136, 137, 140, 146, 148, 151, 152, 160, 161, 162, 163, 164, 165, 170, 171, 172, 173, 174, 175, 176, 177, 178, 186, 187, 188, 190, 191, 192, 196, 200, 202, 206, 207, 210, 214, 218, 223, 224, 226, 229, 231, 233, 235, 236, 240, 242, 244, 245, 246, 250, 253, 260, 263, 269, 270,

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330

273, 275, 276, 281, 283, 284, 285, 287, 292, 293, 295, 297, 298, 300, 301, 302, 305, 307, 309, 311, 312, 326 BLANCHOT, 243, 300, 320 BOIRON, 274, 324 BONI, 6, 320 BORGOMANO, 56, 59, 313 BOURDIEU, 157, 167, 170, 201, 320, 324 BRAHIMI, 134, 313 BRIERE, 131, 132, 135, 313

- C -

CAMARA, 39, 103, 320 CAZENAVE, 135, 313 CEVAËR, 142, 147, 156, 158, 159, 169, 172, 177, 313, 324 CHANDA, 275, 325 CHARLE, 166, 175, 325 CHEVRIER, 18, 20, 29, 38, 55, 178, 313, 325 CLEMENT, 317 COMBE, 29, 320 COMPAGNON, 257, 261, 321 CORNEVIN, 313

- D -

DE GAUDEMAR, 246, 249, 325 DECRAENE, 42, 44, 314 DERRIDA, 321 DEVESA, 69, 73, 120, 314 DJIBRIL, 71, 325 DJO TUNDAWA, 325 DOMECQ, 268, 321 DUBOIS, 96, 321 DUMONT, 41, 314 DURAS, 321

- E -

ESCARPIT, 30, 148, 149, 226, 317

- F -

FOUCHER, 317 FRAISSE, 71, 288, 321

- G -

GENETTE, 256, 265, 269, 277, 279, 281, 300, 321 GERARD, 314

Page 331: UNIVERSITE PARIS XII - doxa.u-pec.frdoxa.u-pec.fr/theses/th0221251.pdf · Selon Marthe Robert, si le roman connaît le succès qu’on lui doit actuellement, c’est parce qu’il

331

GOLDMANN, 317 - H -

HAUSSER, 21, 322 HEINICH, 75, 89, 150, 179, 226, 236, 318 HERZBERGER, 74, 325

- I -

IBRAHIMA, 122, 326 IMBRAULT, 326

- J -

JARRETY, 31, 322 JAUSS, 151, 292, 317

- K -

KAUFMANN, 288, 326 KESTELOOT, 41, 48, 49, 52, 314 KIMONI, 27, 314 KOBROSOSLI, 326 KONE, 5, 16, 47, 314, 326 KOUBA-FILA, 125, 314 KOUROUMA, 14, 15, 27, 28, 31, 33, 35, 37, 50, 52, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 60, 62, 64, 66, 67, 68, 74, 75, 77, 79, 80, 81, 88, 89, 90, 93, 94, 95, 96, 98, 100, 101, 102, 103, 104, 105, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 116, 125, 131, 136, 137, 140, 146, 148, 151, 152, 156, 163, 164, 166, 168, 170, 171, 176, 177, 178, 185, 186, 187, 188, 190, 191, 192, 196, 197, 200, 202, 204, 207, 210, 211, 214, 218, 223, 224, 226, 229, 231, 233, 234, 235, 236, 240, 241, 242, 246, 250, 253, 256, 260, 263, 268, 270, 272, 273, 275, 276, 277, 278, 279, 280, 283, 284, 285, 287, 292, 293, 295, 297, 298, 300, 301, 305, 307, 308, 309, 311, 312, 313, 315, 324, 325, 327

- L -

LANE, 216, 326 LEBEL, 315 LEBON, 115, 117 LEBOU, 327 LEBRUN, 276, 327 LEJEUNE, 68, 322 LEVISALLES, 237, 327 LIBONG, 275, 279, 327 LUKÁCS, 11, 322

Page 332: UNIVERSITE PARIS XII - doxa.u-pec.frdoxa.u-pec.fr/theses/th0221251.pdf · Selon Marthe Robert, si le roman connaît le succès qu’on lui doit actuellement, c’est parce qu’il

332

- M -

MACHEREY, 318 MAGNIER, 55, 73, 115, 327 MAKHILY, 100, 103, 315, 327 MAKOUTA-MBOUKOU, 315 MALANDA, 114, 327 MARAN, 16, 239, 322 MBANGA, 315 MICHEL, 318 MOLINIE, 286, 318 MOLLIER, 145, 318 MOURALIS, 71, 92, 93, 142, 315, 321

- N -

NDONGO, 113, 118, 316 NGAL, 98, 109, 123, 130, 322, 327 NYSSEN, 228, 230, 318

- P -

PALLIER, 188, 191, 319

- R -

RAKOTOSON, 247, 328 RICARD, 5, 316 RICOEUR, 323 ROBERT, 10, 323 ROGER, 323 ROSNY, 165, 323

- S -

SARTRE, 47, 261, 323 SEBBAR, 272, 273, 328 SEGUIN, 208, 319 SENGHOR, 17, 328 SOLLERS, 323 SONY, 14, 15, 27, 28, 31, 33, 35, 37, 42, 43, 44, 46, 50, 52, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 79, 80, 81, 88, 89, 90, 93, 94, 95, 96, 98, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 120, 121, 122, 123, 124, 125, 127, 128, 129, 130, 132, 136, 137, 140, 141, 146, 148, 151, 152, 156, 163, 166, 170, 171, 176, 177, 178, 186, 187, 188, 190, 191, 192, 194, 196, 198, 200, 202, 205, 207, 210, 212, 214, 218, 219, 223, 224, 229, 231, 233, 236, 240, 250, 253, 256, 260, 263, 269, 270, 273, 274,

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333

276, 280, 283, 284, 285, 287, 292, 293, 295, 297, 298, 300, 301, 305, 307, 308, 309, 311, 312, 314, 315, 324, 325, 326, 327, 328

- T -

TODOROV, 323

- U -

UMBERTO, 258, 298, 319 - V -

VIALA, 75, 286, 290, 318, 319, 329 - Y -

YILA, 46, 328

- Z -

ZIMA, 319

TABLE DES MATIERES Dédicaces 2

Remerciements 3 Avant – propos 4

INTRODUCTION GENERALE 25

PREMIERE PARTIE VERS LE ROMANESQUE 36

Introduction première partie 37

CHAPITRE 1 BALBUTIEMENT DE L’ECRITURE OU

NAISSANCE DES ECRIVAINS 51

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334

1.1 Ahmadou Kourouma 54

1.2 Sony Labou Tansi 67

1.3 Calixthe Beyala 78

CHAPITRE 2 RAPPORTS ENTRE ROMANCIERS ET LANGUE

FRANCAISE 91

2.1 La langue d’Ahmdou Kourouma 100 2.2 Le style de Sony Labou Tansi 113 2.3 L’écriture de Calixte Beyala 131

Conclusion première partie 136

DEUXIEME PARTIE MAISONS D’EDITIONS, DIFFUSION DES

ROMANS ET REUSSITE DES ECRIVAINS 139

Introduction deuxième partie 140

CHAPITRE 3 MAISONS D’EDITION ET RAPPORTS

ENTRE EDITEURS/ECRIVAINS 153

3.1 Les maisons d’édition 153

3.1.a Les éditions du Seuil 153

3.1.b Albin Michel 160

3.1.c Rapports entre éditeurs et écrivains 163

CHAPITRE 4 DIFFUSION DES ROMANS 177

4.1 Les universités et lycées 180

4.2 Les bibliothèques universitaires et municipal188

4.2.a Les bibliothèques universitaires 191

4.2.b Les bibliothèques municipales 202

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335

4.2.b.1 La bibliothèque de Cachan 208

4.2.b.2 La Bibliothèque Publique d’Information 205

4.2.b.3 Du côté des librairies et de la FNAC 215

CHAPITRE 5 REUSSITE DES ECRIVAINS 224

5.1 De la promotion des œuvres de Kourouma, de Sony et de Beyala 224 5.2 Des prix littéraires 235 Conclusion deuxième partie 250

TROISIEME PARTIE CRITIQUE ET LECTURE DES ROMANS 252

Introduction troisième partie 253

CHAPITRE 6 CRITIQUE JOURNALISTIQUE ET

UNIVERSITAIRE 263

6.1 De la critique journalistique 263 6.2 La critique universitaire 281

CHAPITRE 7 DE LA LECTURE DES ROMAN 287

7.1 Avènement du lecteur 287 7.2 Regard sur la lecture en France 293 7.3 Clefs de lecture 295 Conclusion troisième partie 302

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336

CONCLUSION GENERALE 304

BIBLIOGRAPHIE 311

INDEX DES AUTEURS 330