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- 4 - Université Paris VI –Denis Diderot UFR GHSS CANTIN Yann Les sourds-muets de la Belle Epoque Mémoire de Maîtrise d’Histoire Sous la direction du Professeur Gabrielle HOUBRE - Septembre 2004 -

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Université Paris VI –Denis DiderotUFR GHSS

CANTIN Yann

Les sourds-muets de la Belle Epoque

Mémoire de Maîtrise d’HistoireSous la direction du Professeur Gabrielle HOUBRE

- Septembre 2004 -

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Les Sourds-Muets de la Belle Epoque, une communauté en déclin depuis 1880

Introduction

Chapitre I : Les origines de la communauté sourde-muetteA) L’émergence des associationsB) La naissance d’une nouvelle classe socialeC) Des évolutions culturelles

Chapitre II : la situation socialeA) Les différences entre les générationsB) La situation des sourdes-muettesC) Les associations d’assistance et de mutuelle

Chapitre III : le contexte culturel et artistiqueA) L’affaiblissement des associationsB) Une activité artistique importanteC) Une littérature militante

Conclusion

Bibliographie

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Introduction

Au seuil d’un nouveau ère, en 1880, un congrès tire un trait de plume sur un siècle de

changements fructueux d’une petite communauté. La communauté en question, en cette année

de1880, connaît depuis une vingtaine d’années des coups de butoirs de la part de certains

médecins et théoriciens. En effet, les sourds-muets qui composent cette communauté

particulière sont perçus comme des déviants usant un mode de communication qui semble les

isoler de la société et donc renforcer leurs caractères déviants.

Ces craintes sont rejetées par les sourds-muets d’élite qui tentent de défendre les acquis des

années 1800-1880 où des professeurs, des artistes sourds-muets en sont issus et leurs

compétences reconnues. Or, ce qui est reconnu en 1850 est rejeté en 1890. Cette évolution de

l’image du sourd-muet, passant de l’infirme incapable de l’Ancien Régime vers l’intellectuel

fréquentant les hautes sphères de la Restauration jusqu'à l’image de l’assisté parasitant des

ressources de l’Etat de la Belle Epoque. Ce changement de l’image du sourd-muet est assez

rapide en un siècle et cela marque en profondeur les mentalités de la communauté. Résistant

avec difficulté à ces coups qui ont failli être fatal à la communauté, ses membres ont crée des

cercles sportifs et des réunions annuels en dépit des cris d’effraie des spécialistes de

l’éducation du sourd-muet, dont le dernier terme « muet » a mué en « parlant » avec la

généralisation de l’oralisation, c’est-à-dire faire parler les enfants sourds-muets. Mais des

divisions et des mutations ont fini par faire transformer les associations militantes de défense

de la langue des signes en centres de relais des communiqués médicaux. L’affaiblissement des

sourds-muets d’élite et artistes après 1900 renforce ce caractère.

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Le Congrès de Milan, réuni durant quatre jours en septembre 1880, fait rassembler la plupart

des pédagogues du sourd-muet du monde entier. Bien que ce congrès soit officiellement réuni

pour trouver un moyen d’améliorer le sort du sourd-muet, dont effectivement une grande

majorité est illettrée, la volonté réelle des organisateurs de ce congrès est de faire disparaître

la langue des signes. Ce choix paraît incongru quand on sait qu’à la première moitié de ce

siècle, la méthode d’enseignement par les signes a donné des résultats probants. Mais il faut

compter avec les idéologies en vogue dans les années 1870-1890 avec la montée des

nationalismes et de l’influence croissante de l’eugénisme. Ces deux vecteurs font que la

communauté est une cible désignée car hors norme. Cette apparente anormalité a incité un

groupe d’éducateurs pour sourds-muets à repenser une nouvelle méthode d’éducation plus en

rapport avec la mentalité ambiante de l’époque. Cette volonté de réformer aboutit en dépit de

la résistance des sourds-muets et de certains éducateurs. Cette réforme, comme on l’a

remarqué plus haut, marquera fortement la communauté sourde-muette à un point où celle de

la Belle Epoque différencie en beaucoup de points de celle de la Restauration.

Ces mutations chez les sourds-muets ont un grand intérêt historique car on peut percevoir au

sein de cette communauté tous les grands changements sociaux et culturels dans la société

française de la Belle Epoque. C’est en quelque sorte un concentré avec quelques particularités

qui attirent le regard de quelques observateurs contemporains. Ce sont ces quelques

particularités qui font la différence entre la société française et d’une de ses composantes, la

communauté sourde-muette qui s’y intègre tout en étant différente au plan linguistique. Ce qui

est le plus intéressant, c’est la transformation visible du statut de la femme sourde-muette au

sein de cette communauté. En effet, l’invisible sourde-muette de l’époque de Sicard laisse

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place à la militante de la Belle Epoque, ce changement rapide en un siècle est à l’image des

évolutions sociales de la France avec la montée du féminisme français. Ceci s’accompagne

avec une évolution de la famille sourde-muette. Ces mutations sont certes difficiles à analyser

avec le manque relatif des documents leur concernant, mais les premières naissances

d’enfants sourds-muets issus des parents de la même situation ont attiré l’attention des

médecins influencés par l’eugénisme provenant des Etats-Unis où un enseignant fortuné a fait

la promotion de l’oralisme pur et dur doublé d’une volonté d’isoler le sourd-muet au sein de

la société afin d’éviter les naissances de ce type déjà nombreuses et anciennes dans ce pays.

Or, dans un contexte d’une volonté politique d’aplanir les différences culturelles dans

le pays comme l’on a vu avec le Breton ou le Basque par exemple, ajoutée à une volonté

médicale de faire disparaître la spécificité des sourds-muets afin d’éviter une augmentation de

déviances dont la pensée eugéniste a en horreur, le sourd-muet dût s’adapter au contexte et la

naissance des clubs sportifs est une réponse à tout ceci. Or, ce qui n’est pas prévu, c’est que

ces clubs sportifs vont constituer des refuges pour la langue des signes rejetée des écoles et

méprisée dans la société. C’est cette conséquence imprévue qui aura des effets quatre-vingt

années plus tard.

Le principal effet de cette conséquence sont la renaissance de la communauté à la fin

du XXe siècle. Mais ce sont les racines de cette communauté qui nous intéresse, et surtout

celles qui concernent la famille, la culture et les associations.

Chapitre I : Les évolutions depuis la fin du XVIIIe siècle

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Entre la seconde moitié du XVIIIe siècle où des sourds-muets commencent à se faire

connaître jusqu’à la Belle Epoque, un siècle d’évolutions et de bouleversements ont modelé le

visage de la communauté sourde-muette française. Il y a peu en commun entre la communauté

de la Belle Epoque et celle de l’époque de l’Abbé de l’Epée, bien qu’il y ait quelques liens

immuables. La richesse des éléments retrouvés dans les sources impose la nécessité de

consacrer un chapitre sur ces évolutions durant ce siècle et demi avant de comprendre les

nuances et les tensions qui traversent la communauté sourde-muette de la Belle Epoque.

Ce qui semble la plus essentielle dans cette étude, c’est la place du sourd-muet dans la

société. Le stéréotype du sourd-muet illettré et incapable est présent durant cette période, mais

cette image est rapidement contredite par les actions des sourds-muets qui ont cherché des

moyens de briser les préjugés, il semble qu’ils y arrivent partiellement en 1850 avec

l’acceptation de l’existence des sourds-muets enseignants. Mais cela n’explique pas pourquoi

et surtout comment en à peine un siècle, l’illettré sourd-muet de 1756 puisse parvenir à être

candidat aux élections législatives en 1848. Le témoignage de Desloges sur la période

1770-1779 est l’une des plus précieuses sources dont nous disposons à l’heure actuelle.

Desloges est l’un de ces sourds-muets ouvriers dans les faubourgs de Paris de la fin de

l’Ancien Régime. Il est l’un des rares à savoir lire et écrire, mais c’est surtout le premier à

critiquer les attaques contre la langue des signes. Dans son unique ouvrage et de ses deux

lettres postérieures à la publication du livre, on peut trouver des informations uniques sur la

communauté sourde-muette de Paris des années 1770-1780. Et c’est ce qui lui confère une

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portée unique dans l’histoire des sourds où les sources sont principalement datées du XIXe

siècle.

Après Desloges, l’ouvrier-écrivain, succèdent des enseignants sourds-muets

représentatifs de l’ascension sociale du sourd-muet et surtout de la reconnaissance de ses

capacités intellectuelles. Parmi eux, Ferdinand Berthier, qui a influencé la pensée sourde-

muette en rejetant l’oralisation à tout prix. Berthier est l’un de ceux qui ont porté la culture

sourde-muette à son plus haut niveau. C’est également celui qui a fait partie des candidats aux

élections de 1848.

En même temps que leur place dans la société se modifie, les sourds-muets font évoluer leur

image en créant des sociétés, en militant pour la défense de la langue des signes que l’on

appelle à cette période langage mimique. Ce militantisme confère aux sourds-muets une

puissance d’influence assez élevée à la fin de la Restauration, mais cette influence se dilue au

fil du Second Empire avec l’émergence de nouvelles générations moins soucieuses de la place

de la langue des signes, mais également en raison des évolutions idéologiques et morales au

lendemain de la guerre de 1870.

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A) Les changements sociaux

1) Les débuts

On ne peut réellement connaître les débuts de l’émergence de la communauté sourde-

muette. Les plus anciennes sources connues de l’existence de l’usage des mains pour

communiquer datent de l’Antiquité mais celles qui mentionnent des sourds-muets qui se

regroupent remontent seulement à la Renaissance. Ces récits laissent penser que les sourds-

muets se regroupent déjà entre eux dans les grandes cités, bien avant que ce que la légende

répandue dans l’actuelle communauté dit que c’est grâce à l’Abbé de l’Epée que les sourds-

muets disposent d’une langue et par conséquent se regroupent entre eux.

Or, les sources indiquent le contraire. L’une de ces sources prouve que les sourds-

muets semblent disposer d’une langue visiblement déjà dotée de sa complexité, et le témoin

en question, Montaigne, célèbre philosophe et auteur d’Essais, ouvrage philosophique sur

l’éducation et la culture explique dans l’ouvrage cité que l’absence d’audition et de parole

n’handicape en rien l’intelligence, il prend pour exemple des sourds-muets qu’il aurait aperçut

discuter vivement avec les mains1. Ce témoignage est essentiel si on essaie de comprendre, au

niveau linguistique qu’une langue ne peut exister que s’il y a un nombre suffisant de

personnes et qu’elle puisse se développer au fil des années. Mais, il reste cependant une

grande incertitude car Montaigne n’est pas connu pour maîtriser la langue des signes, et il

s’agit qu’une observation extérieure d’un homme qui découvre une nouvelle langue. Malgré

la rareté des sources directes, on peut estimer que l’existence de ces communautés pourrait

1 Charles-Michel de MONTAIGNE, Essais, Livre II, Chapitre XII.

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remonter à plusieurs siècles dans le passé. Mais, il faut garder à l’esprit que ce genre de

communautés ne peut exister dans les campagnes, ni au sein de la noblesse pour plusieurs

raisons.

Pourquoi est-ce qu’il n’y aurait pas de communauté sourde-muette dans les campagnes et au

sein de la noblesse ? En dehors des villes, les sourds-muets sont souvent assimilés à des

idiots, dont l’isolement ne permet pas à un développement intellectuel, et encore moins à une

naissance d’une communauté2, sauf s’il dispose d’une nombreuse fratrie sourde-muette auquel

cas, il n’est pas isolé, on retrouve cela dans de nombreuses sources. Jean Massieu, issu d’une

nombreuse fratrie sourde-muette, explique lors d’une conférence organisée à la Société des

observateurs de l’homme que durant sa jeunesse passée à la campagne, il avait un système de

language gestuel qu’il a crée avec ses frères et soeurs et qu’il a passé son enfance à errer dans

les campagnes et à garder les moutons, à laisser l’imagination s’envoler3. Cette vie montre

bien la situation des sourds-muets des campagnes, à l’opposé de ceux des villes dont

Montaigne a dressé les traits généraux. Une existence plutôt solidaire, en butte aux moqueries,

surtout ceux qui n’ont aucune fratrie sourde-muette. L’un des rares autobiographies écrites par

un sourd-muet montre la jeunesse isolée à la campagne. François-Lucien Guillemont a publié

une autobiographie axée sur sa jeunesse passée en dehors des grandes villes. Ouvrage bref et

pourtant riche en renseignements sur ce que pourraient ressentir le sourd-muet de la

campagne. Pour résumer l’ouvrage, Guillemont, qui a perdu sa mère, est méprisé par la

seconde épouse de son père. Pour échapper à ce mépris, il erre dans les champs et les routes

2 Bill MOODY, Introduction à l’histoire et à la grammaire de la langue des signes entre les mains des sourds,Vincennes, International Visual Théatre, 1983, p.17.

3 Harlan LANE, Quand l’esprit entend, histoire des sourds-muets, Paris, Editions Odile Jacob, 1999 (1991), pp 32-34.

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jusqu’à qu’il soit aidé par quelqu’un4. Ce qui est instructif, c’est que l’auteur raconte les

moqueries et les rejets qu’il fait l’objet, la souffrance et le sentiment de l’injustice existe

malgré tout. L’image de l’aliéné qui ne comprend pas tout ce qui l’entoure est en grande partie

contredite par ces témoignages. On comprend mieux pourquoi nombre de sourds-muets des

campagnes partent s’installer en ville où l’anonymat est garanti par la grandeur de la ville.

Desloges fait partie de ces individus qui partent se « réfugier » en ville pour surtout échapper

à ces attaques morales des habitants du village où tout le monde se connaît. Ce choix de partir

ailleurs là où personne ne puisse le reconnaître est assez fréquent chez les sourds-muets dont

la mobilité puisse surprendre. Pierre Desloges raconte dans son ouvrage qu’iil a quitté son

village de la région de Touraine pour Paris, ce qui équivaudrait à presque deux cents

kilomètres. Mais, ceci reste valable pour les hommes. Les migrations des femmes sourdes

sont totalement inconnues à ce jour, et les sources sont muettes sur ce sujet.

A propos des sourds-muets de la noblesse, la situation est radicalement différente de celle du

peuple. On songe au sourd-muet de la région d’Amiens, Etienne de Fay qui entra dans

l’Abbaye Saint-Jean dans les années 1675 pour y passer la vie. Ce dernier est l’un des plus

représentatifs des sourds-muets nobles. Né autour de 1670 d’une famille de nobles d’Amiens,

Etienne est interné dans l’abbaye pour y recevoir une éducation complète, puis il décide d’y

rester jusqu’au terme de sa vie en exerçant des charges d’économe, d’architecte de la nouvelle

abbaye Saint-Jean d’Amiens et d’enseignant5. Ensuite, on peut remarquer que dans les

sources qui mentionnent des sourds-muets nobles, on retrouve à chaque fois un moine ou un

4 François-Lucien GUILLEMONT, Histoire d’un sourd-muet écrite par lui-même, 4ème ed., Paris, Borrani, 1856, 36 p.

5 Harlan LANE, Quand l’esprit entend, histoire des sourds-muets, Paris, Editions Odile Jacob, 1999, pp 85-86.

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monastère qui ait un lien plus ou moins important avec un sourd-muet. La présence des

moines est donc primordiale dans l’éducation de cette catégorie de sourds-muets. Tout

d’abord, l’existence d’un système de langage gestuel au sein des couvents et des monastères

fait que les moines deviennent plus appropriés et plus compétents pour éduquer les enfants

sourds-muets nobles ou bourgeois. Ce système de langage est crée suite à l’application de la

règle de Saint-Benoît, qui, rappelons-le, régit la plupart des monastères. Cette règle comprend

entre autres le vœu de silence pour permettre à une meilleure concentration envers Dieu.

Cependant, comme l’humain est un animal social, la tentation de bavarder est difficile à

maîtriser, ce point de la règle est donc contourné en usant des mains. Ainsi le silence existe,

mais le dialogue continue. Ce système s’est perfectionné au fil des siècles jusqu’à disposer

d’une complexité suffisante pour pouvoir éduquer les sourds-muets.

L’importance de l’éducation monastique est l’une des caractéristiques de la noblesse sourde-

muette. L’autre caractéristique, c’est leur isolement par rapport au sourds-muets du peuple. Il

semble qu’il n’y ait pas de communauté sourde-muette noble, et encore moins de

fréquentation entre ces derniers et ceux du peuple jusqu’à l’époque de l’Abbé de l’Epée où

l’isolement semble se diluer6. Ensuite, il semble également que la langue des signes française

actuelle n’est en aucun cas issue de cette catégorie.

Ensuite, des sources laissent penser que nombre de familles auraient fait le choix de laisser

ces sourds-muets dans des monastères ou des couvents pour dissimuler leur honte d’un rejeton

infirme. D’après un auteur du XIXe, Léon Vaïsse, ces sourds-muets sont assez souvent

6 Il faut retenir que l’organisation sociale sous l’Ancien Régime ne laisse guère de place à la mobilité sociale,et encore moins aux échanges entre la noblesse et le peuple. Dans le cas des sourds-muets, la coupure est encore plus nette.

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internés. Voici ce qu’il en dit : « Les parents d’un sourd-muet se croyaient frappés de la

malédiction céleste. Riches, ils le confinaient dès son enfance dans l’obscurité de quelque

cloître »7. Cet extrait montre la honte des familles. Dans une société assez religieuse comme

celle du XVIIIe siècle, le fait d’être infirme est perçut comme le résultat de la punition divine

des péchés des parents. Cela expliquerait l’internement de ces sourds-muets. Mais surtout des

sourdes-muettes.

Voici donc les sourds-muets du peuple des villes d’où la communauté de la Belle Epoque est

issue. Ce que dit Léon Vaïsse à leur sujet : « ...pauvres, ils l’envoyaient mendier son pain dans

les rues, où, suivant quelques chroniqueurs, l’infortuné s’efforçait d’attirer l’attention des

passants en agitant une clochette. »8 La mendicité sourde-muette est en effet assez forte à cette

époque mais vraisemblablement de même dans les périodes antérieures. Ces sourds-muets, en

mendiant, s’exposent aux foudres de la maréchaussée et risquent d’être envoyés dans des

centres d’internement des idiots et des aliénés. L’assimilation du sourd-muet à l’aliéné est

assez répandue au sein de la population de l’époque. Cette image négative semble avoir existé

depuis aussi longtemps que le sourd-muet ait existé. La réflexion d’Aristote sur les sourds-

muets où il leur rejette l’existence de la raison et les comparant à des animaux est à l’image de

ce que l’individu « normal » puisse imaginer du sourd-muet. Mais, on peut aussi constater que

les quelques rares sources montrent également que ces sourds-muets ne sont pas toujours des

7 Léon VAISSE, Essai historique sur la condition sociale et l’éducation des Sourds-Muets en France par Mr Léon Vaïsse, professeur à l’institut royal des sourds-muets, membre de la société asiatique, Paris, typographie de Firmin Didot frères, Imprimerie de l’Institut de France, 1844, p.2

8 Ibid p. 2.

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mendiants car il existe ceux qui exercent une profession. Desloges nous a montré l’existence

d’un sourd-muet domestique travaillant chez un acteur de la comédie italienne9.

Mais le sourd-muet ouvrier ou domestique est également exposé aux mépris et aux

moqueries des individus. Desloges raconte dans une de ses lettres qu’il a souffert de

moqueries et de critiques après la publication de son ouvrage. On voit bien que certaines

personnes ont du mal à accepter qu’un sourd-muet puisse réfléchir et répliquer. Voyons ce que

dit Pierre Desloges : « Plusieurs personnes paraissent surprises que je me sois donné

l’épithète d’auteur étrange, d’espèce singulière. Elles ignorent qu’il n’y eut jamais d’écrivain

dans une situation pareille à la mienne. Je vous fais juges, messieurs. Sourd Muet depuis l’âge

de sept ans, abandonné à moi-même et n’ayant reçu aucune instruction depuis cette époque

où je savais seulement lire et un peu écrire ; venu à Paris à vingt et un ans, mis en

apprentissage contre le gré et l’avis de mes parents qui me jugeaient incapable de rien

apprendre ; obligé de chercher de l’ouvrage pour subsister ; sans appui, sans protection, sans

ressource, réduit deux fois à l’hopital, faute d’ouvrage ; forcé de lutter sans cesse contre la

misère, l’opinion, le préjugé, les injures, les railleries les plus sanglantes de parents, d’amis,

de voisins, de confrères qui me traitent de bête, d’imbécile, de fou qui prétend faire le

raisonneur et d’avoir plus d’esprit qu’eux, mais qui sera mis quelques jours aux Petites-

Maisons.. »10 Cet extrait de cette première lettre publiée dans le Mercure de France du 18

décembre 1779 montre dans tout son éclat la perception du sourd-muet et la place qu’il doit

tenir dans la société de cette époque. Mais, cette image du sourd-muet docile commence à se

9 DESLOGES Pierre, Observations d'un sourd et muet sur un cours élémentaire d'éducation des sourds et muet, Paris, B. Morin,1779, p. 13

10 Roch-Ambroise BEBIAN, Essai sur les sourds-muets et sur le langage naturel, ou introduction à une classification naturelle des idées avec leurs signes propres, Paris, J.-g. Dentu, 1817, p 7.

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transformer avec les actions de l’Abbé de l’Epée qui fournit aux élèves silencieux un bagage

culturel assez conséquent.

Contrairement à la pensée répandue de nos jours sur le fait que les sourds-muets

d’avant l’Abbé de l’Epée est illettré et donc exclu des tendances et des informations qui

circulent, le sourd-muet du XVIIIe siècle est assez souvent au courant des dernières actualités.

Desloges explique que parmi les sourds-muets, il y en a qui savent lire et aussi écrire. Ces

derniers servent de traducteurs pour les illettrés pour ce qui est affiché sur les murs, et sur les

journaux publiés11. Ainsi, le témoignage de Pierre Desloges montre clairement qu’il existe

une communauté soudée et que les uns soutiennent les autres afin que chacun soit mis au

courant des évènements. Cette aide mutuelle semble être l’une des caractéristiques de cette

communauté, et donc, on peut penser, à travers cet témoignage de Desloges, que les sourds-

muets ont choisi de se regrouper pour pouvoir se préserver des coups durs. Or, en analysant

un peu la structure sociale des villes du XVIIIe siècle, on peut remarquer que les sourds-muets

ne sont pas les seuls à se regrouper. Il suffit de penser aux corporations, mais également aux

groupes d’individus ayant les mêmes caractéristiques. Ce choix de se réunir répond en fait à

un contexte où le gouvernement ne s’occupe pas des affaires sociales et que la charité

religieuse, quand elle peut, essaie de pallier la pauvreté. Il se peut qu’il y ait une structure plus

poussée chez les sourds-muets comme le sont des corporations mais rien, dans les sources

connues, ne peut l’indiquer.

L’Abbé de l’Epée, en introduisant l’instruction gratuite aux jeunes sourds-muets du

peuple, ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire de la communauté en permettant aux plus

11 Pierre DESLOGES, Observations d'un sourd et muet sur un cours élémentaire d'éducation des sourds et muets, Paris, B. Morin,1779, p. 15.

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pauvres d’entre eux une espérance de progression sociale. La rencontre, en 1759, entre l’Abbé

de l’Epée et les Sœurs Jumelles, sourdes-muettes, a permis aux sourds-muets d’améliorer leur

condition et donc de prendre en charge leurs destinées. Il a combattu les préjugés de son

temps en essayant d’inclure le savoir profane et sacré aux élèves. Il organise même des

exposés et des cours publics auprès des grands de l’époque pour véhiculer des nouvelles idées

sur l’intelligence des sourds-muets. En réalité, il s’est consacré aux sourds-muets parce qu’il

se souciait du devenir de leurs âmes. Il craint en effet que le sourd-muet, privé d’éducation

religieuse, s’expose au purgatoire sans le vouloir. Ensuite, l’orientation janséniste de l’Abbé

de l’Epée lui dicte d’œuvrer pour le bien des exclus afin que Dieu lui accorde sa bénédiction.

Dans le premier temps, l’influence de l’Abbé de l’Epée a permis à ce qu’il y ait moins

d’internement systématique du sourd-muet mendiant dans des asiles d’aliénés. De plus, bien

que ce soit une vingtaine d’années après la mort de l’Abbé de l’Epée, les autorités font appel à

des sourds-muets d’élite pour servir de traducteurs auprès des illettrés pour que ces derniers

comprennent les propos des policiers sous le Premier Empire. C’est le premier signe d’un

changement social et surtout de mentalités en France. Le stéréotype du sourd-muet incapable

va sembler disparaître.

D’autre part, le sort des sourds-muets s’améliore au niveau législatif, en particulier au

sujet des mariages et des héritages. Le Code Napoléon, rédigé en 1804, quinze années après la

mort de l’Abbé de l’Epée, stipule que le sourd-muet peut hériter et disposer de ses biens à

condition qu’il puisse manifester ses intentions par écrit12. La plus complète analyse du Code

12 Ferdinand BERTHIER, Le code napoléon, code civil de l’Empire Français mis à la portée des sourds-muets, de leurs familles et des parlants en rapport journalier avec eux, Paris, Librairie du petit journal, 1868, 527 p.

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Napoléon en ce qui concerne des droits et des responsabilités des sourds-muets a été réalisée

en 1868 par Ferdinand Berthier qui est l’un de ces sourds-muets d’élite. L’importance de

l’écriture trouve sa place au sein de la communauté qui ne cessera de l’utiliser au fil du siècle

suivant. L’usage de l’écriture est l’un des principaux vecteurs du changement social sourd-

muet qui prendra forme au lendemain d’Austerlitz.

2) L’émergence d’une élite

S’il est difficile de dater précisément les débuts de l’émergence d’une élite sourde-

muette, on peut cependant observer qu’il existe une période de transition ou de gestation qui

correspond en fait à la direction de Sicard de l’institut National puis Impérial et enfin Royal

des Sourds-Muets de Paris entre 1790 et 1822. C’est dans les années 1840 que le terme d’élite

sourde-muette a été forgé. Pour cette génération, le sourd-muet d’élite est celui qui exerce une

profession gratifiante comme enseignant ou de profession libérale tout en participant aux

cercles dirigeants des sociétés sourdes-muettes. En résumé, le sourd-muet d’élite est celui qui

est à la tête de la communauté, en ayant une grande influence et en oeuvrant pour la défense

de la langue des signes. Ce terme sera utilisé tout au long du XIXe siècle dans les ouvrages et

dans les revues. Cependant, le terme « sourds-muets d’élite » qui désigne ceux qui sont, par

les études, parvenus au sommet de la communauté et qui disposent d’un niveau intellectuel

élevé, se retrouve qu’un demi-siècle après la mort de l’Abbé de l’Epée, et que durant le même

laps de temps, rares sont ceux qui ont publié des ouvrages

Donc, l’émergence de cette élite débuterait après 1789. Remplaçant l’Abbé de l’Epée à la tête

de l’institution des sourds-muets devenue l’institution nationale des sourds-muets en 1790,

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l’Abbé Sicard est accompagné de Jean Massieu qui a été son élève avant la Révolution. Les

contemporains de l’époque décrivent Massieu comme un individu intelligent mais original sur

les bords. Sa passion des livres et des montres, qu’il achète dans les brocantes et dans les

marchés, fait qu’il entasse ses achats dans les poches de son manteau. La traduction de son

nom en langue des signes est : « celui qui sort la montre de sa poche » ce qui montre cette

marotte.Il est donc le premier sourd-muet d’élite connu de la communauté. Dans le domaine

social, son rôle est surtout d’avoir servi de modèle à la génération des années 1800. Le fait

qu’il y ait un sourd-muet enseignant a permis à certains de cette génération en question de

commencer à prendre en main leur destinée et de commencer à agir pour le bien de la

communauté, et surtout, visiblement avec la publication d’ouvrages. De plus, Laurent Clerc

fait partie de cette génération qui se trouve entre celle de Jean Massieu et celle de Ferdinand

Berthier, c’est donc la génération qui a amorcé l’émergence de l’élite sourde-muette dont la

suivante donnera les contours définitifs.

Les premiers sourds-muets d’élite les plus connus de la communauté sont donc Jean Massieu,

pour avoir été le premier enseignant puis le premier de sa génération à devenir directeur d’une

école et Laurent Clerc pour avoir lancé le développement de la communauté américaine. Ils

ont également œuvré sous la Révolution et sous le premier Empire à l’amélioration du sort des

sourds-muets, en intervenant auprès des autorités pour servir de traducteurs aux vagabonds

sourds-muets, et en présentant au public les capacités des sourds-muets éduqués lors des

grandes expositions organisés par l’Abbé Sicard. Mais, la vraie émergence des sourds-muets

d’élite commence dans les années 1830, après la mort de l’Abbé Sicard survenue en 1822.

Roch-Ambroise Bébian est celui qui a véritablement permis à la nouvelle génération de

prendre conscience de l’importance pour le sourd-muet d’avoir une bonne situation. En

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dehors de la réforme pédagogique qui sera expliquée dans la seconde partie de ce chapitre,

Bébian a également contribué à donner confiance et l’estime de soi aux sourds-muets en leurs

capacités. Ce qui différencie la première génération de la seconde, c’est l’audace que

montrent la génération Berthier pour le progrès social. Cette audace ne s’est jamais vue dans

le passé où le sourd-muet est habitué à être plus discret et à ne pas prendre d’initiatives seul.

Ainsi la première de ces audaces a été le mariage entre les sourds-muets. A l’époque, ceci a

été l’un des plus grands bouleversements au sein de la communauté, en brisant les interdits

instaurés par la société malgré les mentions explicites du Code Napoléon qui n’interdisent en

aucun point le mariage entre les sourds-muets.

En 1844, un ouvrier sourd-muet de Bordeaux décide d’épouser une sourde-muette de

Paris. Ce mariage a totalement surpris les contemporains dans le sens où ce sont deux sourds-

muets qui se marient, situation totalement inédite en France. Le fait de briser une sorte de

tabou présente dans la communauté a fait libérer les esprits des blocages culturels et sociaux

qui y sont présents. Voyant qu’aucune difficulté particulière n’entrave ce mariage, d’autres

sourds-muets ont repris l’exemple avec plus ou moins de succès selon des municipalités. Un

témoin oculaire raconte que ce mariage a totalement bouleversé les mentalités et surtout

favorisé, avec du temps, la situation de la sourde-muette13. En effet, ce mariage représente une

date historique pour l’histoire sociale de la communauté. On voit de plus en plus de mariages

entre sourds-muets et surtout, c’est ce qui est crucial, la naissance de familles de sourds-muets

qui semblent se développer aux environs des années 1850-1860. Ces familles vont donner un

nouveau visage à la communauté, créant ainsi une nouvelle voie de transmission culturelle

13 Louis REMOND, « Les vieilles lunes d’un sourd », Journal des sourds-muets, n°56, 15 juin 1897, pp 83-84.

- 22 -

entre les générations, favorisant ainsi la naissance d’une nouvelle identité communautaire

basé sur l’héritage.

Avec ce mariage, bien que les sources soient muettes sur ce point, une nouvelle

caractéristique apparaît : l’existence des familles de sourds-muets. C’est un point essentiel qui

marquera la culture sourde-muette dans les années à venir. En laissant le mariage entre les

sourds-muets, le Code Napoléon a laissé un imprévu : le désir de fonder une famille de

sourds-muets et par la suite, façonner une sorte d’identité culturelle plus forte. Que s’est-il

passé entre 1800 et 1844 pour qu’un mariage arrive enfin ? Une des explications vient de

Ferdinand Berthier. Il dit que les sourdes-muettes dégainent souvent d’utiliser la plume et la

dactylologie pour converser avec les sourds-muets. Or, rappelons-nous que l’éducation des

sourdes-muettes se base essentiellement sur les travaux « féminins » et moins sur la lecture et

l’écriture. Berthier nous montre les faiblesses de l’éducation scolaire chez les femmes : leur

faible niveau en français écrit alors que les hommes brillent par leur érudition littéraire,

principalement chez les élites. Comme le sourd-muet d’élite considère comme vitale la

maîtrise de l’écriture, il se trouve en difficultés auprès de la sourde-muette qui est nettement

en retrait comme l’a mentionné Berthier. Cela expliquerait que le sourd-muet épouse

volontiers une entendante qui maîtrise mieux l’écriture et donc la lecture14. Ainsi, la faiblesse

éducative des femmes et leur isolement social semble avoir découragé les prétendants

jusqu’en 1844. Mais, il reste encore des points où les sources sont muettes, il s’agit de ce qui a

déclenché ce mariage, les origines de l’audace de l’ouvrier sourd-muet bordelais, et surtout de

14 Ferdinand BERTHIER, Sur l’opinion de feu le Docteur Itard relative aux facultés intellectuelles et aux qualités morales des sourds-Muets, réfutation présentée aux Académies de Médecine et des Sciences Morales et Politiques, Paris, Michel Levy, 1852, p. 75.

- 23 -

la frilosité du sourd-muet d’élite a faire le premier pas. Ces points-là restent encore à

comprendre.

Ensuite, c’est à partir de cette période que l’on peut voir les débuts de la participation

des sourdes-muettes à la vie de la communauté, plus fortes après le congrès de Milan dont le

rôle dans la vie sociale est relativement important. Mais entre 1800 et 1880, la femme sourde-

muette d’élite semble être inexistante et surtout, quasiment pas de sources ne mentionne de

sourde-muette littéraire et, quelques rares sources ont dévoilé quelques noms d’artistes

sourdes-muettes à l’époque de Sicard, mais rien après 1820 jusqu’à la Belle Epoque. Ce

silence ne peut être compris qu’en connaissant les mentalités du XIXe siècle qui ont façonné

l’image de la femme discrète et docile, s’occupant de l’éducation des enfants et de la tenue du

domicile. Cette stéréotype prend tout son importance quand on jette un œil sur le programme

éducatif de la sourde-muette, programme qui est totalement en rapport avec l’idéal de la

femme du XIXe siècle. Mais, comme la sourde-muette est perçue comme une personne fragile

et naïve, il est nécessaire, selon les enseignants non sourds-muets15 de l’époque, de la protéger

des manipulations.

Dès la fondation de l’Institution Nationale des Sourds-Muets en 1790, les sourdes-muettes

sont séparées de leurs homologues masculins et suivent des cours séparés. On sait que les

programmes des cours sont complètement différents par rapport aux sourds-muets. D’après

les sources et les constats des sourds-muets, les filles sont éduquées, au début à la lecture et à

l’écriture durant deux années, puis le reste de leur scolarité est essentiellement consacré aux

15 Les sourds-muets sont en majorité en désaccord sur le fait de protéger à tout prix la sourde-muette. Ce désaccord est particulièrement fort après 1850, mais dont la génération précédant cette année semble silencieuse, sauf quelques rares exceptions.

- 24 -

tâches ménagères, à l’apprentissage de la tenue d’un foyer et aux activités dites féminines,

c’est-à-dire le repassage, la blanchisserie, la couture et la cuisine. Mais, ce qui choque les

auteurs sourds-muets de l’époque, c’est que peu entre elles sortent de l’école. Nombre entre

elles passent leurs vies dans des centres qui sont en majorité tenus par des religieuses. Les

enseignants et ceux qui prennent en charge les centres de ce genre expliquent que les sourdes-

muettes ne sont pas réellement capables de se défendre face aux risques et aux dangers de la

société. Ils disent qu’il vaut mieux que ces sourdes-muettes passent leurs vies sans connaître

les souffrances de l’amour et donc accepter au mieux le « célibat sans peine »16. Ce discours

est vertement critiqué par les sourds-muets qui contestent le fait que la sourde-muette soit

incapable de se défendre seule et qu’avec ce prétexte, on les prive des joies de l’existence de

la famille et de la réalité de la vie, Laurent Clerc est l’un de ceux qui rejettent la justification

donnée17.

En tout cas, le mariage de 1844 est la première révolution sociale chez les sourds-

muets, la seconde survient quatre années plus tard, en 1848. Avec la chute de la Monarchie de

Juillet et l’instauration de la Seconde République la même année, Ferdinand Berthier et ses

consorts usent de toutes leurs relations politiques pour instaurer le droit de vote pour sourds-

muets au moment où le suffrage censitaire de la Monarchie de Juillet est remplacé par le

suffrage universel. Le gouvernement provisoire où siègent Adolphe de Lamartine et Ledru-

Rollin, deux des proches de la communauté sourde-muette, décide alors d’accorder le droit de

16 Harlan LANE, Quand l’esprit entend, l’histoire des sourds-muets, Paris, Editions Odile Jacob, 1991, p. 27-28

17 Ibid.p. 265-266.

- 25 -

vote aux sourds-muets. Rappelons que le vote des femmes surviendra en 1944. Mais, la vraie

nouveauté, c’est la participation de Ferdinand Berthier aux élections législatives de 1848 pour

un siège de député. Cette participation à la vie politique du pays est totalement inédite et

montre bien que le changement des mentalités chez les sourds-muets est assez profond pour

permettre à un sourd de se porter candidat18.

B) Les évolutions culturelles et idéologiques

1) Les premières revendications

Retrouver la trace des premières revendications sourdes-muettes aurait été une mission

impossible sans l’existence de l’ouvrage de Pierre Desloges. L’auteur en question est

réellement l’un des premiers militants sourds-muets qui revendiquent la fierté d’utiliser la

langue des signes. Bien que Saboureux de Fontenay soit l’un des premiers sourds-muets qui

aient publié des ouvrages, ce dernier n’a jamais pris la mesure de l’importance de la langue

des signes au sein de la communauté à la différence de Desloges. Cette défense face aux

critiques se retrouvera au fil des générations dont Pierre Desloges semble être le premier

d’entre eux à prendre le drapeau de la revendication et surtout d’attaquer les critiques envers

une méthode pédagogique usant des signes. On peut donc voir que les sourds-muets, surtout

d’élite, ont pour principe de préserver la fierté de disposer d’une langue spécifique et

considèrent comme injustifiables les arguments sur l’intelligence des sourds-muets qui

18 Yves DELAPORTE et Armand PELLETIER, Aux origines du mouvement sourd, Ferdinand Berthier (1803-1886), Second volume, Louhans, CLSFB, 1999, p. 55.

- 26 -

utilisent la langue des signes au quotidien. Cette constance se repose principalement sur leur

conscience du rôle de ciment et même de pilier de la langue des signes pour la communauté

sourde-muette.

Cette prise de conscience s’accentue au lendemain de la crise des années 1830-1834

où, par des circulaires, l’administration de l’institut des sourds-muets décide de faire

subordonner les enseignants sourds-muets aux enseignants entendants, signant par là leur

infériorité intellectuelle. En effet, les sources montrent bien que les sourds-muets d’élite se

sont rendus compte de leur faiblesse dû à l’absence d’organisations représentatives auprès des

autorités afin de faire entendre leurs voix. Les banquets annuels sont la première

manifestation de ce souci et le signal d’une réorganisation de la communauté en de nouvelles

structures articulant, non de façon anonyme, mais désormais autour d’organisations reconnues

légalement et surtout le début d’un recentrage de centres de décisions où des dirigeants se font

désormais connaître alors qu’auparavant, ceci ne semble pas exister19. Ensuite, la seconde

revendication est le droit à l’égalité intellectuelle entre les sourds-muets et les entendants.

Cette volonté de prouver à tout prix, par le biais des publications, des expositions, des

conférences et même au sein des banquets où ils invitent des personnalités de l’époque, que le

sourd-muet est capable de faire tout ce que l’entendant peut faire. Ceci répond bien à la

volonté de faire changer définitivement l’image du sourd-muet assisté et incapable de se

subvenir seul à ses besoins. Le sentiment de fragilité de la communauté semble combattue par

la volonté de sensibiliser la société de leur particularité et de leur vœu de voir cette société

respecter la petite communauté. Vœu qui sera vain, en effet.

19 Ce constat se repose sur le regroupement de nombreuses sources, depuis les revues en passant par des ouvrages et les compte rendus des banquets et des associations. De nombreux indices semblent en effet s’accorder pour montrer que le sentiment de fragilité de la communauté semble se développer suite à la crise de 1830.

- 27 -

La participation de Ferdinand Berthier aux élections de 1848 est l’aboutissement du travail

d’information pour prouver les capacités des sourds-muets. Mais, est-ce que ces

revendications ont porté leurs fruits ? En premier, la défense de la langue des signes, qui a

débuté par un ouvrier-relieur de la seconde moitié du XVIIIe siècle, porte essentiellement sur

la préservation de ce qui existe déjà, c’est-à-dire mode de communication entre les sourds-

muets. Sur ce domaine-là, on pourrait dire que les sourds-muets semblent avoir renforcé les

liens existants dans la communauté. Mais on verra bien que ces liens ne résisteront pas au

coup de force de Milan, du nom d’un congrès réunissant les principaux enseignants et

directeurs des écoles européennes et américaines en1880. Ce congrès, par une écrasante

majorité, a adopté une méthode pédagogique qui utilise uniquement l’oralisation, sans la

langue des signes, ni l’écriture ou le dessin pour éduquer les sourds-muets. Cette méthode,

mise au point dans les écoles allemandes depuis le XVIIIe siècle, est appelée méthode

allemande ou méthode orale pure. Elle est fortement combattue par les sourds-muets français

sans succès.

Ensuite, la revendication de l’égalité à l’accès aux connaissances se développe

principalement depuis les années 1820, où de plus en plus d’enseignants sourds-muets

apparaissent. Cette revendication est à double sens puisqu’elle répond à leur souci de

préserver leurs professions tout en essayant d’ouvrir au plus grand nombre l’accès à la culture.

Cette revendication a évoluée au fil de ce siècle. On peut constater qu’au départ destiné à la

défense des droits, cette lutte finit par se mêler avec la défense de la langue des signes au

lendemain de l’année 1880. En effet, avec la réforme de Milan, il y a un changement dans

l’ordre des priorités sur la défense des droits du sourd-muet. Bien que la génération Berthier

- 28 -

soit connue pour son combat, ceci est essentiellement concentré sur la lutte contre les préjugés

et de tenter de briser ces stéréotypes afin de faciliter la vie de la communauté. La langue des

signes est l’un des éléments de ce combat mais pas l’unique. C’est ce qui va différencier avec

la génération de la Belle Epoque où la langue des signes devient la pointe de la lutte contre

l’injustice et des préjugés encore tenaces à cette époque en dépit des succès de la génération

précédente20.

2) Les débuts des sociétés sourdes-muettes

La crise de 1830-183421, opposant les enseignants sourds-muets au directeur de l’école

de Saint-Jacques, Désiré Ordinaire, a été l’étincelle qui a déclenché la naissance des sociétés

de sourds-muets. Au départ organisés partiellement sur le modèle de banquets des

républicains opposants à la Monarchie de Juillet, c’est-à-dire sans structure officielle et

destinés à réunir des sourds-muets d’élite ou non dans la mémoire de l’Abbé de l’Epée, le

choix de la date est en effet symbolique puisque ceci est organisé un jour de la fin de la

semaine la plus proche du 24 novembre, jour de naissance de l’abbé. C’est donc une date à

portée fortement symbolique qui a permis aux sourds-muets de trouver une raison d’organiser

des banquets annuels. En réalité, les discussions durant ces banquets tournent principalement

20 Cette analyse se base encore sur le croisement de nombreuses sources, provenant pour l’essentiel des auteurs sourds-muets, et sur la comparaison des déclarations durant des congrès ou des banquets pour comprendre qu’il y a une évolution assez radicale entre deux générations dans la nature des revendications.

21 Pour résumer la crise de 1830-1834, le directeur de Saint-Jacques, Désiré Ordinaire, voulut réformer l’organisation à l’intérieur de l’école en donnant pour priorité l’instruction par la parole. Or, comme les enseignants sourds-muets sont nombreux à cette époque, ces derniers seront donc rétrogradés comme assistants des enseignants entendants. Cette dégradation du statut de professeur sourd-muet a soulevé une vague d’indignation et des actions sont menées pour protester. Une grève des élèves est organisé jusqu’à faire appel au ministère de tutelle, le ministre de l’intérieur, Adolphe Thiers. Finalement, les sourds-muets obtiennent gain de cause et le directeur débouté.

- 29 -

sur la volonté de préserver la langue des signes des attaques venant des oralistes et sur les

moyens de contrer ces attaques. D’autre part, c’est aussi l’occasion d’inviter des sourds-muets

étrangers et des amis entendants comme Laurent de Jussieu ou Alphonse de Lamartine. Victor

Hugo a été invité de nombreuses fois bien qu’il ne soit jamais venu à ces banquets22. On peut

comprendre, à ces invitations que les organisateurs veulent leur donner une grande portée et

aussi fournir à la communauté des moyens de se défendre et de préserver ses acquis sociaux.

Ensuite, d’après ces comptes-rendus, on mesure l’importance de ces banquets pour les

militants sourds-muets puisqu’ils leur donnent l’occasion de se faire entendre de la part de

personnalités les plus influentes du moment. Et même de les initier à la langue des signes

comme Jussieu qui a même fait un discours lors du quatrième banquet en 1838. Mais, un petit

détail peut s’avérer intéressant. Laurent de Jussieu fait partie du comité gestionnaire de l'école

de Saint-Jacques et est l'un des adversaires de Cuvier. Or, Cuvier, connu pour ses recherches

en biologie, est aussi un partisan de l’oralisation des sourds-muets. Ainsi Ces rivalités au sein

des personnalités entendantes a été mise à profit par les sourds-muets pour gagner le combat.

La « conversion » de Jussieu semble être dans une suite logique des évènements de

1830-1834 et un moyen utilisé par les sourds-muets dans leur lutte pour la reconnaissance

sociale et culturelle.

La décision de fonder une société en 1838 semble être une volonté de donner un cadre

légal à ces réunions. Les sources semblent muettes sur les véritables raisons de cette

fondation. Mais avec le recul, on peut comprendre que la communauté est en effet dénuée

d’interlocuteur reconnu après la mort de Sicard en 1822 et l’exil puis la mort de Bébian une

22 Comptes rendus, Banquets d’hommage de la naissance de l’abbé de l’Epée :-1834-1842, Tome 1, Imp. De Corson, Paris, 1842-1849-1863, Tome 2, Hachette et Cie, Paris, 1869

- 30 -

dizaine d’années plus tard. Sans personnalité d’envergure pour leur soutenir, les sourds-muets

d’élite se sont vus obligés de retrousser leurs manches et de s’accorder pour créer un unique

interlocuteur. Il n’est pas étonnant que durant presque un demi-siècle, qu’il n’y ait pas d’autre

société d’envergure que celle de Ferdinand Berthier. Donc la Société Centrale d’Education et

d’Assistance des sourds-muets de France, comme son nom l’indique, se charge d’aider les

plus démunis des sourds-muets, tout en défendant leur éducation. Cette double orientation

répond à un souci de ne pas léser à une grande majorité de la communauté encore en dehors

des écoles. A cette époque, en effet, rares sont ceux qui ont pu être éduqués et nombreux sont

illettrés.

Ensuite, le comité fondateur de la société semble être entièrement constitué de sourds-

muets. C’est une nouveauté pour l’époque et un état révélateur de la nouvelle mentalité au

sein de la communauté. La volonté de se charger seule sa destinée semble être le credo du

sourd-muet d’élite des années 1830 tout en essayant de créer des liens avec les plus grandes

personnalités du moment. L’organisation des banquets annuels et la fondation de la société

sont deux moyens pour arriver à un objectif : défendre la langue des signes et donc la

profession de la catégorie la plus haute de la communauté, les enseignants. Ensuite, durant

une trentaine d’années, la Société Centrale semble avoir réussi ses objectifs puisqu’il n’y ait

plus de conflits de méthodes, encore moins de tentatives de grande envergure d’oralisation

des sourds-muets. Mais, la fermeture en 1867 de la première société au monde et de son

remplacement par la Société Universelle des sourds-muets semble être un indice de conflits

larvés. Comment expliquer ce changement quand tout semble aller pour le mieux ?

- 31 -

Il existe peut-être une seconde explication. Ses dirigeants semblent peut-être vouloir

réunir les sourds-muets du monde au sein d’une seule société afin de montrer, qu’en dépit des

frontières, l’unicité sourde-muette. Un semblable état d’esprit se fait remarquer durant les

banquets annuels quand des sourds-muets étrangers se présentent.

Mais l’ambition semble être placée trop haute puisque le nom va être encore changé au

début de la Belle Epoque pour devenir une association purement locale, celui de la Seine. Une

ambition révisée à la baisse pour être plus en rapport avec le contexte de la période

1895-1910. Période connue pour son développement associatif sourd-muet.

*

* *

La période 1756-1880 est une période où nombre d’évolutions ont transformé le

visage de la communauté. La peur de la précarité, répandue à l’époque de Pierre Desloges,

devient de moins en moins visible sous Berthier à mesure que des sourds-muets sortent des

institutions avec une maîtrise de l’écrit, élément essentiel dans la vie à une époque où l’école

n’était pas encore obligatoire. Les protestations de Pierre Desloges ont donné naissance à un

siècle de militantisme sourd-muet, après une période de gestation entre 1780 et 1830. Le coup

de force de Désiré Ordinaire a entraîné un réveil du militantisme à un point où des sourds-

muets se décident de fonder une société de défense des droits, société destinée à donner un

interlocuteur unique à la communauté, pour faciliter les contacts entre la communauté et le

reste de la société française.

- 32 -

Mais, cette période est aussi connue pour les difficultés des femmes sourdes-muettes.

En particulier avec l’éducation qui ne leur prépare pas à la vie sociale, encore moins dans la

production d’œuvres artistes. Cela explique qu’il y ait quasiment pas d’artistes femmes. Ce

cas, bien que ceci ne soit pas propre aux sourds-muets mais dû à la mentalité du XIXe siècle,

est particulièrement dramatique quand on sait que ces sourdes-muettes sont pour un grand

nombre entre elles, internées dans des centres protégés, destinés à les protéger contre les

dangers de la vie sociale.

Cette situation dure jusqu’en 1844 où un mariage brise un tabou, un mariage de

sourds-muets qui est totalement inédit en France. C’est le premier signal d’une révolution de

mentalités au sein de la communauté avec une lente mais inexorable progression des femmes

sourdes-muettes, de plus en plus impliquées dans la vie de la communauté, par ces mariages.

Or, ces mariages ont un grand rôle dans la transmission de la culture de la communauté aux

nouvelles générations, élément crucial au moment de la réforme de Milan.

Chapitre II : Le contexte culturel et idéologique

- 33 -

Depuis la rencontre entre l’Abbé de l’Epée et les Sœurs Jumelles, la culture et l’art de

la communauté n’ont jamais cessé d’évoluer. La Belle Epoque représente pour cette

communauté le sommet de sa croissance artistique et littéraire où une grande activité créatrice

brille. On peut dénombrer à cette époque près d’une dizaine d’artistes les plus connus, et un

grand nombre de revues sont éditées mensuellement. Cette prospérité culturelle semble

continuer pour des dizaines d’années. Mais, c’est seulement en apparence seulement. Car, il

ne s’agit que le sommet et le début d’un déclin irrémédiable dont les effets de la réforme

éducative de 1880 se font réellement sentir vingt années plus tard.

Le souci des élites sourdes-muettes réside dans le remplacement des défunts par de

nouveaux héritiers afin de perpétuer la culture sourde. Or, en 1900, les héritiers ne se trouvent

plus à la hauteur de leurs ascendants. Ces nouvelles générations brillent par l’absence de leur

esprit d’initiative, et surtout artistique. On verra de moins en moins d’artistes, et de moins en

moins de revues réellement indépendantes dans le sens où c’est écrit et géré par des sourds-

muets eux seuls.

Enfin, il existe un autre domaine où ce déclin frape également, il s’agit du domaine

associatif. Bien que la charité se porte bien, c’est le militantisme sourd-muet qui se relève mal

de ses échecs successifs depuis 1880. Ces échecs ont porté des dissensions au sein des

militants jusqu’à ôter leurs capacités à freiner les progressions de la méthode orale pure. Mais

surtout, les sociétés, puis les associations de la loi 1901, vont devenir des «  chambres

d’enregistrement » et des centres d’information sur la surdité et sur les moyens pour remédier

à cette infirmité. En effet, le militantisme ne trouve plus de successeurs à la Belle Epoque…

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A) Le déclin de l’art et de la littérature

1) Une prospérité en trompe d’œil

L’art sourd-muet n’est pas un art spécifique comme l’est l’art africain ou asiatique. On

considère sourd-muet les œuvres réalisées par des sourds-muets eux-mêmes. En fait, pour

faire plus clair, les artistes sourds-muets réalisent des œuvres souvent en rapport avec les

évolutions du pays. On peut voir dans ces œuvres toutes les influences et les tendances

artistiques de la France du XIXe siècle. On peut ainsi comprendre que les artistes sourds-

muets ne sont pas isolés mais sont profondément intégrés dans la société française. Mais ce

qui leur caractéristique, c’est leur choix de montrer leur spécificité physique pour prouver les

capacités réelles des sourds-muets. Ils combattent à travers leurs créations tous les préjugés de

l’époque qui tendent à dessiner le portrait du sourd-muet infirme et totalement illettré,

incapable de faire que ce soit. Ces artistes veulent briser ce stéréotype en montrant dans des

expositions publiques et dans des publications la beauté de leurs œuvres, et en participant à

des concours comme le Prix de Rome dont quelques sourds-muets auraient remporté.

C’est pourquoi la communauté met un point d’honneur de publier à chaque prix

remporté comme une victoire dans le combat contre les préjugés. Les journaux sourds-muets

sont remplis d’articles de ce genre. Ceci prouve en effet que ces artistes sont réellement

impliqués dans la vie de la communauté tout en étant intégrés dans la société française. Ce

- 35 -

choix de se trouver dans deux mondes à la fois est un choix politique pour contredire les

déclarations des tenants de l’oralisme que les sourds-muets signeurs ne sont pas intégrés. Or,

dans les faits, la situation va sensiblement évoluer.

L’art semble être présent dans la communauté depuis une date très ancienne. On peut

citer Etienne de Fay, au XVIIe siècle qui aurait dessiné l’Abbaye de Saint Jean d’Amiens,

actuellement école de médecine23. Mais le premier artiste sourd-muet digne de ce nom est

Claude Deseine. Il a vécu sous la Révolution et sous le Premier Empire et sa vie est marquée

dramatiquement par le refus de sa famille de lui accorder sa confiance quant à la gestion de

ses revenus personnels. En effet, il est frappé de tutelle car son frère, puis à la mort de ce

dernier, son neveu sont chargés de contrôler le sourd-muet. Mais sa réputation ne vient pas de

là, ce sont ses œuvres qui parlent pour lui. Il a en effet réalisé entre autres un buste de

Mirabeau qui se trouve actuellement au Musée des Beaux-Arts Rennes, et un masque

mortuaire de la femme de Danton. Il a également réalisé l’un des premiers bustes de l’Abbé

de l’Epée à l’insu de ce dernier durant les cours24.

L’autre artiste le plus connu et le plus marquant est Frédéric Peyson (1807-1877) qui

représente l’ère de croissance de la communauté. Nombre de ses œuvres se trouvent à

l’institut national des jeunes sourds de Paris. Le célèbre tableau où l’Abbé de l’Epée meurt,

entouré de ses élèves et des représentants de l’assemblée constituante est de son travail basé

sur les déclarations des témoins de la scène. En effet, Peyson s’est contenté de suivre les

23 Session de Formation des Jeunes, Les sourds racontent leur histoire, Bourges 8 au 10 Juillet 1993. Association Etienne de Fay, p 3.

24Ibid, p 7.

- 36 -

explications des sourds-muets présents pour dresser la scène aussi fidèlement que possible. La

facilité dont la langue des signes peut dresser les détails d’un endroit a permis à l’artiste

d’immortaliser le moment. La présence de l’artiste au sein des banquets annuels en l’honneur

de la naissance de l’abbé de l’Epée, et au sein de la première société sourde-muette au monde

marque l’implication militant de l’art sourd-muet. Peyson influencera les successeurs qui vont

continuer l’image de l’artiste militant.

Ferdinand Berthier, plutôt connu pour ses ouvrages littéraires et d’histoire de la

communauté, l’est également pour avoir peint un tableau représentatif de l’image de

l’oralisme perçu par la communauté. Le tableau en question représente un homme au rictus

diabolique, une langue qui se transforme en vipère, il tient un masque angélique devant son

visage25. Ce tableau résume toutes les inquiétudes de la communauté des années 1850 et c’est

l’un des rares tableaux aussi frappants et si proches de la représentation sourde-muette du

combat militant.

Ensuite, au lendemain de 1880, il y a beaucoup plus d’artistes qu’avant cette année.

Pourquoi cette soudaine explosion artistique ? Il est difficile de porter un avis clair sur la

question, mais l’absence d’artistes sourds-muets au lendemain de la première guerre mondiale

fait que ceux des années 1890-1914 semblent nombreux. Cependant, il existe aussi une autre

possibilité, c’est le résultat d’un siècle d’évolutions culturelles de la communauté sourde-

muette, les jeunes prenant modèle aux anciens et essayant de dépasser les limites. Cette

chaîne d’artistes a permis un développement graduel d’art sourd-muet durant un siècle. Or, ce

25 Alexis KARACOSTAS (sous la dir.), Le pouvoir des signes, sourds et citoyens, Bicentenaire de l’institution nationale de jeunes sourds de Paris,Exposition-Chapelle de la Sorbonne, Paris 13 décembre 1989-2 janvier 1990, Paris, imprimerie Borel,1989, p 186.

- 37 -

qui est intéressant, c’est qu’il n’y a pratiquement pas de successeurs aux artistes de la Belle

Epoque. Ces artistes représentent donc le sommet d’un siècle de progrès culturels et surtout

un siècle de combats pour donner confiance aux capacités réelles des sourds-muets face aux

préjugés.

René Princeteau (1843-1914) fait partie de ces sourds-muets reconnus par le monde

des Beaux arts 26. Ce dernier doit sa réputation à Toulouse-Lautrec qui a été son élève pendant

un temps. Leurs parents respectifs ayant été des amis. Ensuite, les œuvres de l’artiste sont

surtout des peintures animalières et des représentations d’hommes à cheval, et de chasses à

courre. On peut encore voir certains de ses œuvres dans des musées de beaux-arts.

Ensuite, Paul François Choppin et Félix Martin est de ces statuaires sourds-muets les

plus connus. La statue de l’Abbé de l’Epée sur la cour d’honneur de l’Institution Nationale

des Jeunes Sourds de Saint-Jacques à Paris est l’œuvre de Martin qui symbolise le combat

militant des artistes au lendemain de 1880. En effet, la statue a été réalisée et placée en 1886

afin de préserver la mémoire de l’Abbé de l’Epée auprès des nouvelles générations malgré la

séparation entre les jeunes oralisés et les anciens. Paul Choppin a fait nombre de statues dans

des lieux publics et participé à des concours. Il semble que certaines de ses statues seraient

refondues pour récupérer le bronze durant les deux guerres mondiales ce qui expliquerait que

l’on ne les trouve plus dans ces lieux publics.

26 Sa réputation peut se vérifier en consultant sur internet la valeur de ses tableaux et le nombre de sites qui mentionnent son nom. Et il existerait un ouvrage qui est consacré à ses œuvres : René Princeteau, l’éloquence de la main, Somogy 2001, 111 pages. Ouvrage non encore consulté, mais il semble que ce soit le premier sourd-muet artiste qui soit ainsi publié dans un ouvrage de Beaux arts.

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Cette courte liste d’artistes n’est que le sommet de l’iceberg. En effet, on peut trouver

près d’une vingtaine pour la période 1890-1914. En voici la liste des artistes qui participent au

Salon des Artistes Silencieux en 1912 : M. Vivien, O. Chéron, A. Colas, F. Martin, V.

Collignon, G. Hennequin, B. Thollon, A. Legrand, J. Ebstein, L. Lambert, Mlle J. Bonsel

(l’une des rares sourdes-muettes artistes), J. Gras, Mlle Léothaud, R. Hirsch, E. Moulin, F.

Plessis, M. Colas, M. Morice, G. Picaud, P. Choppin, F. Hamar27, et Y. Uffler 28. Cette liste

non exhaustive montre bien la grande santé artistique de la Belle Epoque. Mais, cela va

décliner rapidement avec la mort des artistes vieillissants dont quasiment peu de jeunes

viennent remplacer. Cette absence de successeurs dessine le drame de la communauté sourde-

muette. Il n’y a pas que les artistes que ce déclin frappe. Dans la littérature, cette situation

s’observe également.

Chez les littéraires, le moment le plus brillant de la littérature sourde-muette se trouve

au lendemain de 1880 bien qu’il y ait eu nombre d’ouvrages sous le Second Empire. En effet,

la réforme de Milan a produit un climat de contestation et de militantisme accru au sein des

sourds-muets d’élite. Et cela a permis à certains entre eux de se démarquer par la richesse et le

ton des textes produits. La distinction entre la génération de Berthier et celle d’après 1880 se

trouve dans le style des textes publiés car le ton est beaucoup plus posé et plus courtois avant

la décision de Milan. Voyant que les déclarations des sourds-muets ne sont pas entendues, les

auteurs sont passés à une phase plus critique et plus acerbe. L’un des revues les plus critiques

contre la réforme de Milan est celui de La Défense des sourds-Muets, un journal connu pour

27 A propos de Hamar, cet artiste sourd-muet a réalisé une statue d’un maréchal français de la Guerre d’Indépendance américaine. Cette statue se trouve tout en face de la Maison Blanche. On voit ainsi que la réputation de l’art sourd-muet français n’a pas de frontières.

28 Cette liste se repose sur le relevé des noms mentionnés dans des revues, en particulier La revue de l’éducation des sourds-muets qui en est la liste la plus complète possible des sourds-muets ayant participé aux concours.

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ne pas avoir un ton diplomatique. Ses articles montrent régulièrement les déboires et les

difficultés que connaisse l’oralisme dans les écoles, et démontre les ennuis que rencontrent les

sourds démutisés dans la société. Cependant cette édition n’a survécu que deux années avant

de disparaître, faute de financement. Après sa disparition, d’autres prendront son relais, mais,

on ne retrouvera plus le style qui caractéristique La Défense. Nombre de journaux n’ont

survécu que deux années voire trois avant de s’écrouler faute de moyens et de lecteurs. Cette

succession de disparitions est assez rapide entre 1800 et 1910. On peut en dénombrer une

dizaine, rien que pour les défenseurs de la langue des signes. Or, après 1900, les journaux

contestataires semblent être de moins en moins visibles. L’échec du Congrès de Paris en 1900

a été l’une des causes du déclin de la littérature sourde-muette.

Ces journaux ont permis à des individus de se révéler, parmi eux, Joachim Ligot est

l’un des plus ardents militants de la défense de la langue des signes. Son style et surtout son

niveau de français écrit représente de ce qui est le meilleur que la communauté a pu produire.

Toute sa vie se résume à un combat contre l’ignorance et l’injustice. En effet, à son entrée

dans l’école de Saint-Jacques, il est considéré comme irrécupérable par les enseignants à

cause de son intelligence estimée très faible. Mais Ferdinand Berthier insiste pour faire une

tentative durant une année, cela lui est accordé. Durant l’année, l’enseignant sourd-muet met

tout en œuvre et le résultat surprend car l’élève fait preuve des capacités insoupçonnées. Ligot

fait preuve d’une grande intelligence et devient rapidement répétiteur à Saint-Jacques avant

d’être renvoyé suite à la réforme de Milan29. Il va combattre la réforme à travers ses

publications dans le Journal des sourds-muets jusqu’à sa mort. Ses articles, quand cela

concerne l’éducation, tournent principalement sur une question : quelle utilité de cette réforme

29 Henri GAILLARD, Congrès international des sourds-muets 1900, compte-rendu des débats (section des sourds-muets), Paris, Imprimerie d’ouvriers sourds-muets, 1900, p 69-70.

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si les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances déclarées. Mais, ses écrits auront peu de

portée avec sa mort prématurée survenue en 1899 après une longue maladie. C’est l’un des

plus grands journalistes amateurs sourds-muets. Il faut comprendre qu’il n’y a pas de

journalisme professionnel à cette époque faute de financement suffisant. Après Ligot, Henri

Gaillard mérite le titre de journaliste sourd-muet. Il en est le successeur et surtout le rédacteur

en chef de nombreuses revues. Son travail a permis à une augmentation de la production des

ouvrages de sourds-muets en créant une entreprise d’imprimerie consacrée à la publication de

ces ouvrages.

2) Raisons de ce déclin

Comment expliquer ce déclin alors qu’il y a une profusion d’artistes, de militants et de

littéraires ? Comment comprendre cette décadence intellectuelle dans la communauté alors

qu’une cinquantaine d’années plus tôt, la situation est totalement inversée  ? Ces questions

trouvent leur réponse dans les mêmes publications sourdes-muettes. Les auteurs craignent à

juste titre que les nouvelles générations ne soient pas taillées pour supporter la charge qui leur

sera dévolue. Cette incapacité n’est que la partie visible de l’iceberg dont l’ampleur est

résumée dans le rapport d’Alfred Binet.

Le déclin débute visiblement aux années 1880 qui correspondent au sursaut

intellectuel consécutif au congrès de Milan. Ce sursaut est surtout le dernier chant du cygne

de l’age d’Or de la communauté. En dépit des efforts des sourds-muets d’élite, ce déclin est

en effet irrémédiable. Les conséquences de la réforme de Milan se font sentir à grande échelle

aux environs de 1910-1920 avec la disparition massive des derniers sourds-muets d’élite. Il

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suffit de voir la liste des ouvrages publiés par les sourds-muets eux-mêmes dont après la

première guerre mondiale, leur nombre chute rapidement. La méthode orale pure semble être

à l’origine de ce déclin dont tous les témoins s’accordent sur un point, le congrès de Milan a

tout transformé à une telle profondeur que la communauté s’est complètement transformée en

à peine une vingtaine d’années. Cette transformation a fait que les sourds-muets d’élite

occupant des professions intellectuelles deviennent de moins en moins nombreuses jusqu’à

représenter une infirme minorité de la communauté30. Accéder à un métier d’administration,

naguère à portée de tout sourd-muet des années 1860 est devenu un rêve inaccessible pour

celui des années 1910 alors que les deux sont issus de la même institution, la plus

représentative de toutes, celle de l’école de Saint-Jacques.

Avant d’aller au sein de la communauté, faisons un crochet chez celui qui a rédigé le

fameux rapport. Alfred Binet, l’un des premiers psychologues de l’intelligence. Jean Charcot

a été le mentor de Binet à l’hôpital de la Salpêtrière. Puis, durant sa carrière, Binet s’est

penché sur le développement de l’intelligence et a mis au point une grille d’évaluation qui

connaîtra une grande prospérité, le Quotient Intellectuel plus connu sous le nom de Q.I.

Comment Binet s’est-il intéressé aux sourds-muets ? C’est qu’à cette époque, le sourd-muet

est souvent, de façon stéréotypée, représenté comme un individu dénué d’intelligence dont

l’école se charge de remplir le cerveau du savoir moderne. C’est en quelque sorte ce que

déclarent les enseignants postérieurs au congrès de Milan, publicité que dénoncent les sourds-

muets d’élite.

30 Cette situation est particulièrement vraie après la Première Guerre Mondiale, mais les premiers effets se font sentir dès cette période.

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Toute cette publicité et ce débat d’idées a attiré l’attention du célèbre médecin. Binet a

déclaré, au début de son rapport31 publié dans La psychologie française, en 1909, qu’avec

toute cette publicité sur la méthode orale pure et sur ses effets positifs sur l’intelligence du

sourd-muet démutisé, il a voulu vérifier si l’efficacité de la méthode est réelle ou pas. Pour en

juger, il a choisi comme échantillon de prendre les moins intelligents des élèves des deux plus

grandes institutions de France, l’Institut Nationale des Jeunes Sourds de Paris, et l’Institut

Départemental Gustave Baguer. Le choix de prendre la faction la moins intelligente, explique-

t-il, est la meilleure façon de juger sur l’efficacité d’une méthode pédagogique. Si les élèves

de cette faction progressent, alors on peut en déduire que la méthode est en effet en rapport

avec les déclarations. Il a donc pris dix élèves dans chacune des deux écoles, ils les a fait

passer des tests basés sur de simples questions et il a interrogé le personnel enseignant des

élèves choisis. Ensuite, il est allé voir les familles des élèves, mais aussi des anciens élèves

pour voir ce qu’ils font à la sortie de l’école. Or, ce qu’il en tire de ces recherches, c’est que la

méthode orale pure ne tient pas ses promesses. Il a expliqué ce qu’il voit comme causes de cet

échec dans le rapport. Il estime que cette méthode ne semble pas porter ses fruits sur les

moins intelligents des élèves sourds-muets, et il semble que cela aggrave leur situation déjà

difficile en brisant leur autonomie involontairement.

D’après l’auteur, les familles des anciens élèves déclarent que leurs enfants n’arrivent pas

d’être autonome et qu’ils ne semblent pas êtres capables de s’intégrer dans la société alors

qu’ils sont démutisés. Sans travail, les anciens élèves deviennent des charges financières pour

les familles. Cette situation est assez surprenante quand on songe que l’adoption de la

méthode orale pure répond au souci de faire mieux intégrer et accentuer l’autonomie des

31 Dr Alfred BINET et Dr Théophile SIMON, « Etude sur l’art d’enseigner la parole aux sourds-muets », l’Année psychologique, année 1909, pp. 373-396

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sourds-muets. Binet montre aussi la difficulté du personnel enseignant de faire des cours

purement orales. L’auteur en s’est rendu compte de cette difficulté quand il a posé des

questions toutes simples, qui sont souvent utilisées dans la vie de tous les jours. Ces questions

sont « Montrez vos dents ! Touchez votre nez avec votre doigt ! Donnez-moi des allumettes !

Donnez-moi du vin ! Qu’avez-vous mangé hier soir ? » Ces questions d’une simplicité

enfantine restent incompréhensibles oralement pour la majorité de l’échantillon sélectionné. Il

a fallu plusieurs minutes et des explications avec des gestes proches du mime pour se faire

comprendre des élèves. De plus, dans ses entretiens avec le personnel enseignant, et aussi des

inspecteurs d’examen, Binet a noté que les examens oraux durent très longtemps, bien plus

que ce qui est prévu car les candidats présentent des difficultés de compréhension lorsque

l’examinateur pose des questions. L’intervention du professeur ou même du directeur de

l’institution est souvent nécessaire pour faire comprendre la question. Toutes ces difficultés

sont en totale opposition avec les déclarations dans des revues spécialisées sur l’efficacité de

la méthode orale pure. De surcroît, les conseils prodigués par les enseignants aux parents

choquent l’auteur qui critique l’isolement social désastreux pour la santé mentale de l’enfant.

Les enseignants disent qu’il faut éviter à tout prix que les enfants aillent dans des réunions de

sourds-muets, pour éviter que la parole se perde malgré les efforts prodigués. C’est pourquoi

l’auteur déclare que les sourds-muets sont naturellement disposés à employer les signes et que

tous les moyens imaginables ne sont pas efficaces sans faire de dommages sur le plan

psychologique. Il conclut que la méthode orale pure, bien qu’efficace sur quelques-uns, est

trop chère pour une éducation de masse car il a remarqué qu’il existe des sourds-muets

anciennement éduqués par la méthode mimique et qui s’en sortent bien professionnellement et

socialement.

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Ce rapport est le premier depuis le Congrès de Milan qui pointe du doigt les

principaux défauts de la méthode orale pure déjà démontrés par les sourds-muets d’élite mais

dont les critiques ont peu d’écho. Or, la réputation d’Alfred Binet a permis à une grande

médiatisation et donné naissance à une polémique entre les opposants et les défenseurs de la

méthode orale par des journaux grand public interposés comme Le radical et L’éclair. Les

sourds-muets d’élite ont attribué à Binet le titre d’Ami des Sourds-Muets, titre qui éclaire tout

le bonheur après des années d’avertissement sans succès. Or, ce qui est intéressant, c’est que

la méthode orale pure semble être progressivement abandonnée en faveur d’une méthode plus

assouplie après 1911, soit deux années après la publication du rapport ce qui est loin d’être un

hasard. En effet, de nombreux témoignages de sourds-muets et d’enseignants font état d’usage

de dactylologie et d’écriture au tableau, la méthode orale pure n’est donc plus utilisée

dogmatiquement à la veille de la Grande Guerre32.

En quoi consiste la méthode orale pure ? Cette méthode a pour objectif de faire

démutiser les sourds-muets. Pour y arriver, il faudra s’y pencher durant sept années d’études.

Les quatre premières années se concentrent sur la démutisation en priorité, et les études du

français écrit commencent seulement vers la troisième année de façon plus approfondie avec

l’analyse grammaticale plus poussée que les deux premières années où cela est presque

inexistant 33. De plus, en classe, le professeur doit utiliser seulement la parole seule, rien ne

32 Ces témoignages se trouvent dans de nombreux ouvrages, citons entre autres le témoignage de Louise Walser concernant l’Institution de Bordeaux, et les travaux de Monique Vial, Joêlle Plaisance et Henri-Jacques Stiker.pour l’Institut d’Asnières. Ce sont surtout des ouvrages et des revues partisanes de la méthode mimiques qui sont des sources de ces témoignages. On n’en trouve pas tout naturellement dans les revues proches de la méthode orale pure comme La Revue de l’Education du Sourd-Muet.

33 « Documents officiels, programmes d’enseignement de l’institution nationale des sourds-muets de Paris approuvés par le ministre de l’intérieur » Revue Française de l’Education des Sourds-Muets, 5eme année, n°7, pp 149-159.

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doit interférer sur la parole. C’est-à-dire que le professeur ne doit utiliser l’écrit, ni les signes,

pas même les dessins car l’élève se doit de se concentrer sur l’articulation. Cette méthode est

assez différente de la méthode mimique qui fait commencer dès la première année l’étude du

français. Ensuite, le contenu des cours choisis par les écoles ne prêtent pas au développement

intellectuel poussé. Ils ne permettent visiblement pas à donner envie au sourd-muet démutisé

à avoir envie de lire ou de produire des œuvres quelque soient des livres ou des créations

visuelles. Or, c’est ce qui est fascinant, la méthode mimique semble avoir produit beaucoup

d’auteurs et d’artistes que la méthode orale pure. Mais, comment expliquer qu’il y ait

quelques succès dans la nouvelle méthode ? Il faut comprendre que les sourds-muets ne sont

pas tous entièrement sourds ou muets, il existe des devenus sourds de fraîche date ou des

demi-sourds, c’est chez ces derniers que la méthode orale pure a des succès. Or, chez les

autres sourds, la méthode orale pure semble avoir une efficacité moindre. Cela s’est vérifié

dans les périodes postérieures à la Belle Epoque. Comment trouver une raison à tout ceci ?

Les sourds-muets d’élite apportent une explication à travers leurs expériences et des

témoignages de ceux qui ont vécu les applications de la méthode orale pure. Ces déclarations

se retrouvent régulièrement depuis le Congrès de Milan jusqu’à la Première Guerre Mondiale.

Ce qui est frappant dans tous ces témoignages recueillis principalement dans des journaux de

sourds-muets, ou dans des ouvrages, c’est l’apparente incompréhension quasi totale des

paroles de l’enseignant en classe. L’élève semble contraint à essayer de deviner les paroles, et

pour certains, tout en essayant d’ignorer les odeurs désagréables venant de l’estomac de

certains enseignants. Souvent les élèves, à la fin des cours, discutent entre eux pour

s’échanger des bribes d’informations comprises en classe. Tous ces témoignages sont certes

rejetés par les enseignants. Louise Walser, femme d’Henri Gaillard, et l’une des premières a

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avoir fait un discours devant un public lors d’un congrès international de sourds-muets, a

expliqué que durant sa jeunesse, elle a dû suppléer les manques des enseignantes lors des

cours. Or, Walser est devenue sourde à l’âge de huit ans, suffisamment avancé pour qu’elle se

souvienne du français. Elle déclare « que la méthode orale pure ne peut être favorablement

appliquée qu’aux enfants ayant perdu l’ouie dans un âge assez avancé, vers 4, 5, 6 ou 7 ans,

ou que ce soient des sujets d’une intelligence extraordinairement développée et qui, par cette

raison, ont pu se pénétrer de la signification de tous les mots du langage parlé. » Elle ajoute

même ceci : « C’est alors que moi qui fut une élève toujours docile, je le dis sans orgueil, par

pitié pour mes pauvres élèves d’un jour, je dus prendre mon courage à deux mains pour me

servir des signes défendus là-bas, et tout en parlant et mimant, je parvins à les faire se pénétrer

de la leçon qu’elles comprirent mieux que jamais. Et elles furent enchantées, mes pauvres

grandes sœurs, elles me remercièrent en m’embrassant et m’exprimèrent leur désir de me voir

toujours à leur tête, déclarant qu’avec moi, ou pour mieux dire avec la méthode mixte, elles

avaient fait plus de progrès. »34 Cet extrait du discours montre dans toute son ampleur la

situation dans les écoles, constamment montrée par les sourds-muets, constamment démentie

par les enseignants. Ce conflit perdra de son ampleur progressivement à mesure que les

sourds-muets d’élite deviennent moins nombreux.

B) Un changement d’orientation militante

1) Un affaiblissement du militantisme signeur

34 Louise WALSER, De l’Enseignement religieux, constatation faite pendant mon séjour à l’Institution (bordeaux) 1891-1904 (sic). Paris, 1913 pp 1 et 2.

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L’affaiblissement des associations militantes en faveur de la méthode mimique est l’un

des principaux effets de la réforme de Milan. Comment expliquer cela alors qu’aux années

1830, l’intervention des sourds-muets a fait capoter la tentative de Désiré Ordinaire de faire

adopter l’oralisation dans l’école de Saint-Jacques et repousser pour une cinquantaine

d’années l’abolition de la méthode mimique ?

La réponse se trouve justement dans les écoles, et les nouvelles générations moins

influencées par la langue des signes. Dans ces écoles, après Milan, outre le choix de se

concentrer sur la démutisation seule, les enseignants ont fait de leur possible pour stigmatiser

la langue des signes, la rendre aussi sauvage que possible. On comprend mieux quand, à la fin

de la Belle Epoque, le terme utilisé pour désigner la langue des signes est « gestes » au lieu de

« mimique » ou « langage des signes », même dans des journaux de sourds-muets.

L’affaiblissement du militantisme sourd-muet commence dans les années 1890, où des

divisions deviennent de plus en plus visibles au point qu’ils ne peuvent plus être masquées. Il

se peut qu’il y ait des conflits avant cette période, mais les procès-verbaux des assemblées

générales, et les articles des journaux laissent peu voir ces rivalités. C’est seulement après

1885-1890 que ces rivalités prennent toute leur ampleur. Comme le congrès de Dijon, en

1898, qui réunit des sourds-muets pour statuer sur la méthode orale pure35. En dépit des

interventions assez vigoureuses des anciens professeurs sourds-muets qui témoignent leurs

difficultés de vivre après la perte de leurs professions, le congrès, à la fin des débats, déclare

que la méthode orale pure est la seule méthode qui soit la meilleure pour l’éducation du

sourd-muet. C’est un coup de tonnerre au sein de la petite communauté et le premier signe

35 Joseph CHAZAL, Dijon 1898. Le Congrès international des sourds-muets. Agen, Imprimerie et lithographie agenaises, 1899, 94 p.

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visible à grande échelle d’une grande fracture entre les opposants et les partisans de la

méthode orale pure. Or, l’organisateur du congrès de Dijon, Joseph Chazal est remarqué dans

certaines revues comme quelqu’un qui agace certains sourds-muets d’élite. On peut voir ainsi

qu’il y a des divisions de plus en plus grandes, et que tout semble commencer par l’ambition

de quelques-uns. Ce qui est intéressant, dans la liste des participants du Congrès de Dijon,

c’est que les plus grandes personnalités sourdes-muettes de l’époque n’y sont pas présentes.

Cela montre qu’il y a un certain antagonisme entre sourds-muets et que certains vont l’utiliser

à profit pour se faire connaître. De surcroît, la plupart des opposants de la méthode mimique

au sein de la communauté semblent être issus de la nouvelle génération, celle qui a grandi

dans le bain de la méthode orale pure36.

En effet, on peut constater que les nouvelles générations sont plus acquises à la méthode

orale pure que celles qui sont éduquées par la méthode mimique. Cette fracture de générations

rend encore plus illusoire la transmission du mouvement militant en faveur de la méthode

mimique. Or, à la Belle Epoque, ceux qui restent en faveur de l’ancienne méthode sont les

plus âgés ou les réfractaires à la méthode orale. Ces derniers sont en majorité illettrés, et

laissent de plus en plus la place dirigeante des associations à ceux qui maîtrisent le mieux le

français écrit, c’est-à-dire les demi-sourds, mieux lotis que les autres avec la nouvelle

méthode. De surcroît, ces demi-sourds sont beaucoup plus proches du courant oraliste qui les

protège depuis un siècle avec la décision du docteur Itard de créer une classe spéciale pour les

demi-sourds dans l’école de Saint-Jacques, classe spéciale essentiellement orientée sur

l’éducation de la parole. Donc l’affaiblissement des associations militantes semble être dû

36 Cette analyse se base sur la lecture d’articles des revues de sourds-muets conservés à l’Institution Nationale des Sourds de Paris sur la période 1880-1910 dont Le Journal des Sourds-Muets qui est l’un des plus importantes sources d’informations de cet antagonisme.

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aux deux principaux facteurs : le vieillissement de la génération mimique et le conflit entre les

générations par l’influence de Milan. Mais la réalité est plus complexe que cela, car le

contexte social et culturel de la Belle Epoque ne laisse pas de place à toute volonté de

différenciation par rapport aux autres. La norme est l’uniformisation culturelle avec

l’étouffement des langues bretonne et basque à titre d’exemple. Dans les autres pays, la

situation est sensiblement pareille, il suffit de voir le problème irlandais au Royaume-Uni ou

bien l’unification italienne sur le plan linguistique, ou alors la restauration du pouvoir

impérial japonais. Dans ce climat où toute particularité est réprimée plus ou moins

sévèrement, les sourds-muets ne sont donc pas l’exception.

Mais, ce qui est particulier aux sourds-muets, c’est que privés de leur langue, de leur

structure culturelle, les sourds-muets disparaissent rapidement dans la société et deviennent

rapidement des individus dépendants des familles ou de la charité, pour cause d’éducation

scolaire inadaptée. C’est précisément ce qui est dramatique dans cette situation.

L’affaiblissement du militantisme « signeur » se fait en plusieurs phases étalées sur environ

d’une trentaine d’années, entre le Congrès de Milan et la Première Guerre Mondiale. On peut

constater que l’organisation du Congrès de Milan a été le signal d’un manque d’organisation

militant de la communauté qui a été prise de court par le courant oraliste qui est plus puissant

en 1880 qu’en 1830. Ce manque de préparation dû à un demi-siècle de calme où il n’y a

quasiment pas de débats houleux sur la méthode à adopter, les habitudes prises ont été

difficiles à changer. On peut remarquer que dans l’année qui suit le congrès de Milan, les

réactions des sourds-muets d’élite ont manqué de vigueur, et surtout de concertation. La lettre

de Forestier à un inspecteur d’académie et les publications de Chambellan se concentrent sur

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les comparaisons entre les deux méthodes, avec des exemples à l’appui. Mais, le problème est

que l’époque ne se prête pas à l’écoute aux revendications des minorités. La génération

vieillissante qui a réussi à faire échouer la tentative d’oralisation des élèves de Saint-Jacques

entre 1830 et 1834 n’a pu empêcher l’instauration de la méthode orale en 1880. Cet échec a

décrédibilisé la brillante génération de Berthier aux yeux des jeunes qui ont baigné dans la

glorification des succès des sourds-muets dans leurs combats contre l’injustice. La disparition

de Ferdinand Berthier représente un tournant dans l’histoire de la communauté et du

militantisme sourd-muet. Berthier représente le sourd-muet militant et enseignant aux yeux

des jeunes, tout ce qui est une référence sociale et professionnelle. Or, sa mort laisse un grand

vide, et surtout des rivalités se développent pour lui succéder. Durant plus qu’un demi-siècle,

Berthier a occupé une place centrale dans la communauté, en faisant, avec plus ou moins de

succès, taire des divisions afin de présenter une image d’une communauté unifiée auprès de la

société.

La mort de Ferdinand Berthier en 1886, puis de ses camarades de classe dans la décennie qui

suit à rapidement déclenché des rivalités et des divisions entre les sourds-muets. Ces rivalités

ne vont jamais cesser tout au long de la Belle Epoque et s’alténuer qu’avec la prise de

contrôle des associations et des revues par des sourds-parlants acquis à la méthode orale pure.

Désormais, il existe officiellement une faction acquise à la nouvelle méthode adoptée à Milan.

L’image de la communauté unie est désormais brisée en 1898, après des années de tensions et

de rivalités. L’organisation du congrès de Paris est donc mal parti, et les promoteurs de la

méthode orale pure ont conscience qu’ils ont en face des sourds-muets divisés, bien que plus

nombreux à venir à ce congrès.

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La revue La Défense des Sourds-Muets est fondée en 1886, l’année de la mort de Ferdinand

Berthier. L’objectif de ce journal est de démontrer les effets pervers de la méthode orale pure.

En réalité, la fondation de La Défense fait suite au licenciement des derniers enseignants

sourds-muets de l’école de Saint-Jacques la même année avec la dernière génération d’élèves

éduqués avec la méthode mimique. Désormais, il n’existe plus, en cette année 1886, de

personnel enseignant sourd-muet sauf dans quelques petites écoles comme celle de Lyon,

dirigée par Claudius Forestier qui fermera en 1891 à la mort de son directeur. Pour remédier à

la perte de contrôle des écoles, la communauté a dû avoir recours à surveiller les sorties des

élèves et les questionner sur les conditions en classe. Cette méthode à donné naissance aux

articles où nombre d’anecdotes laissent entrevoir les conditions dont l’élève sourd-muet est

plongé. La Défense se consacre principalement sur les critiques contre la méthode orale pure,

en espérant que la société s’indigne des méthodes employées dans les écoles. Mais, la faillite

de la revue et le peu de changement survenu par la publication des articles montre que le

problème de la méthode soulève peu d’intérêt au sein de la société et de la faiblesse du

militantisme sourd-muet.

Malgré l’échec de La Défense, les sourds-muets d’élite continuent cependant à essayer

d’informer par tous les moyens les « monstruosités » et les problèmes engendrés par la

méthode orale pure. Ils font tout pour décrédibiliser.une méthode qui semble horrible à leurs

yeux, car pour eux, vouloir supprimer à tout prix une langue qui fait le ciment de la

communauté est incompréhensible, de plus, leur constat de l’inefficacité de la méthode orale

pure sur une éducation à grande échelle rend encore plus injustifiée la réforme de Milan.

Durant la Belle Epoque, les derniers sourds-muets d’élite ne cesseront jamais de citer des

références à la période 1820-1880 qu’ils considèrent, à juste titre, comme l’âge d’or de la

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communauté. Malgré ces références, les nouvelles générations sont moins sensibles d’autant

qu’ils comprennent mal comment des sourds non démutisés puissent s’intégrer dans la société

et réussir leurs vies. L’image de Claudius Forestier, devenu directeur d’école, alors qu’il est

sourd-muet, est devenu une utopie pour les nouvelles générations. D’ailleurs, il suffit de voir

que les banquets annuels en faveur de l’Abbé de l’Epée deviennent de moins en moins

spectaculaires, et de plus en plus conventionnels comme si toute substance s’est tarie.

L’absence d’un leader indiscutable au sein de la communauté, depuis la disparition de

Ferdinand Berthier semble être une autre raison du déclin du militantisme. Sans leader, les

divisions sont destinées à perdurer et c’est ce qui est arrivé à cette période. Et ces divisions

ont entraîné une profileration d’associations et de journaux antagonistes, cette situation est

particulièrement vraie entre 1890 et 1900 où deux revues se lancent des noms d’oiseaux et

s’accusent mutuellement de trahir l’héritage de l’Abbé de l’Epée.

L’organisation du congrès de Paris en 1900 fait partie d’une suite de tentatives pour restaurer

la méthode mimique ou mixte. Avec l’échec des revues de lutte, les sourds-muets d’élite vont

tenter d’utiliser à leur profit la médiatisation de l’exposition universelle de Paris en 1900.

Mais ceci va aboutir à une confirmation de la méthode orale pure.

L’échec du Congrès de Paris est le coup de grâce pour le militantisme sourd-muet qui ne se

consacrera plus qu’à chercher à pallier les effets secondaires de la méthode orale pure. Que

s’est-il passé durant ce congrès au point d’achever les militants sourds-muets ? En premier

lieu, le Congrès de Paris, de son vrai nom Congrès International des Sourds-Muets, dispose de

deux sections totalement imperméables l’une de l’autre : la section des entendants gérée par le

Docteur Ladreit de la Charrière, et la section des sourds-muets dirigée par Henri Gaillard et

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Ernest Dusuzeau. La séparation en deux groupe est une volonté du docteur Ladreit malgré les

oppositions de Gaillard, les raisons officielles en sont de faciliter les échanges sans perte de

temps car il aurait fallu traduire les paroles vocales en langues des signes pour les sourds-

muets. Ensuite, malgré la volonté de Gaillard d’obtenir le vote en commun des deux sections

à la session de clôture, cette proposition n’est finalement pas acceptée. Ce qui est intéressante,

c’est que d’autres sourds-muets n’ont pas soutenu la position de Gaillard, signe d’une division

entre sourds-muets et de leur faiblesse politique37 . En réalité, ce que souhaitaient les

organisateurs sourds-muets, dans l’éventualité que les deux sections soient réunies en un seul,

le congrès de Paris aurait été l’antithèse de celui de Milan, c’est-à-dire qu’il aurait déclaré que

la méthode orale pure est une méthode inefficace. De surcroît, ce congrès est organisé durant

l’exposition universelle de 1900, et donc une médiatisation encore plus grande que celui de

Milan. Sachant que les médias seraient présents, les sourds-muets sont venus en masse pour

appuyer les organisateurs à faire plier les défenseurs de la méthode orale. Or, la séparation en

deux sections rend caduque cette stratégie puisque la section des sourds-muets, bien que

nettement plus peuplée, est moins écoutée par les médias et les autorités que la section des

entendants38. Contrairement à ce qu’espéraient les dirigeants sourds-muets, le congrès de

Paris s’est achevé par une acclamation de la méthode orale pure de la part de la section des

entendants, alors que celle des sourds-muets déclare être partisane de la méthode mixte. Cette

cacophonie fait disparaître toute portée symbolique et consacre au chant de cygne du

militantisme sourd-muet.

37 Henri GAILLARD, Congrès international des sourds-muets 1900, compte-rendu des débats (section des sourds-muets), Paris, Imprimerie d’ouvriers sourds-muets, 1900, pages XIV-XVI

38 Un intervenant sourd-muet, Bertrand a fait ce constat terriblement lucide sur le fait que les conclusions de la section sourde-muette ne seront pas écoutée. Déclaration faite au troisième jour de ce congrès. Pages 92-94 du compte-rendu du congrès de Paris, section des sourds-muets.

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Ce qui devrait arriver arriva, les sourds-muets s’accusent mutuellement de ne pas avoir fait

plus d’efforts, et les revues de la communauté sont remplies de regrets et de déceptions, mais

également de critiques assez acerbes contre la stratégie adoptée pour faire adopter une

nouvelle réforme.

Mais, il ne faut pas oublier qu’à ce moment-là, les sourds-muets n’ont plus d’appui politique

suffisamment influent pour faire une nouvelle réforme pédagogique. Et le climat politique

n’est pas mûr pour laisser une langue minoritaire prendre place dans les écoles, c’est l’époque

du nationalisme acerbe avec les tensions ponctuelles entre les pays. Donc, l’échec de Paris

prend place dans une suite continue de mutations et de tentative de plus en plus désespérées.

Les congrès de sourds-muets dans les années suivantes n’ont plus aucune influence, ni portée

médiatique. Bien que réunis, ces congrès ne font que répéter ce qui a été discuté

précédemment. Cela montre l’affaiblissement du militantisme sourd-muet en Europe et dans

le monde.

Après cela, les nouvelles générations deviennent de moins en moins conscientes de leur

particularité linguistique et culturelle. Par contre, elles deviennent de plus en plus soucieuses

de dissimuler leur « infirmité » et de s’intégrer le plus possible dans la société. Devenir

invisible semble être la norme de la nouvelle génération.

2) « Médicalisation » des associations

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L’échec du congrès de Paris où la tentative des sourds-muets d’élite de restaurer la

méthode mimique vient de se briser contre l’intransigeance des défenseurs de l’oralisation,

montre l’état de faiblesse, et surtout de division chez les sourds-muets comme la mésentente

entre sourds-muets d’élite lors de la préparation du Congrès de Paris. Or, on peut constater

rien qu’en lisant des journaux de sourds-muets qu’il y a une nette évolution du contenu des

articles. De même qu’en parcourant les procès-verbaux de quelques principales associations

de l’époque, il y a une forte impression que le pouvoir a changé de mains. C’est en effet ce

qui s’est passé. La défaite des sourds-muets d’élite à Paris a permis à certains de la nouvelle

génération d’évincer les anciens et donc devenir les porte-parole de l’oralisation au sein de la

communauté. Cette mutation ne peut se comprendre que par la faiblesse du niveau

d’éducation dans les écoles. Or, ceux qui sont les mieux éduqués sont tout simplement ceux

qui ont de meilleures capacités de parole et même d’audition.

Alors qu’auparavant, il n’y a pas de nette distinction entre ceux qui peuvent parler et

ceux qui ne le peuvent pas, la Belle Epoque voit naître cette catégorisation de capacités

physiques au détriment de l’intellect. Cette catégorisation, débutée dès les années 1830 s’est

amplifiée après 1880 où les enseignants comme Ludovic Goguillot ont estimé nécessaire, à

l’image des écoles allemandes où la méthode orale est en usage depuis le XVIIIe siècle, de

faire le tri parmi les élèves afin de regrouper ceux considérés comme arriérés et ceux qui sont

intelligents sur la base de l’évaluation des capacités orales et auditives. Or, comme l’adhésion

dans les écoles commence vers 7 ans environ, les enfants qui sachent parler à cet âge sont en

majorité des devenus sourds ou des demi-sourds qui ont acquis le langage parlé durant ce laps

de temps. Pour les autres sourds que l’on peut considérer comme profonds et congénitaux, ils

sont souvent évalués comme peu intelligents. Cette distinction ajoute une nouvelle fracture à

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la communauté. Ensuite, la première catégorie reçoit les meilleurs enseignements possibles

pour leur permettre de progresser dans la société. Or, les sourds de la seconde catégorie, bien

que démutisés, ont de grandes difficultés à comprendre le français. Donc tout naturellement,

ces derniers délaissent la lecture et par conséquent participent moins aux débats qu’ils

comprennent mal. Participer à la gestion d’une association implique une capacité de lecture et

d’écriture, or le rapport de Binet laisse voir qu’une grande majorité de sourds démutisés sont

tout simplement illettrés, constat repris par les derniers sourds-muets d’élite.

Henri Gaillard, bien que demi-sourd, critique cette catégorisation et rejette la méthode

orale pure qui est injuste car elle ne tient pas compte des capacités intellectuelles réelles de

chacun. L’image du sourd-muet arriéré semble renforcée, alors que la communauté s’est

efforcée de la combattre durant un siècle. Donc, les associations, auparavant gérées par des

sourds-muets ou des sourds-parlants signeurs deviennent de plus en plus contrôlés par les

nouvelles générations démutisées et surtout intolérantes envers la langue des signes. Le

Journal des Sourds-muets, géré par Henri Gaillard jusqu’en 1902, connu pour ses critiques

contre la méthode orale pure devient subitement, aux environs de 1902-1903, une revue qui

rejette de plus en plus l’ancienne méthode et ouvre de surcroît ses articles aux enseignants et

aux médecins qui y procurent des conseils pour s’intégrer dans la société et sur les moyens

d’éviter d’utiliser la langue des signes et le fondateur de la revue remplacé par un nouveau

rédacteur proche du courant oraliste.

L’affaiblissement des associations militantes et leur transformation en « chambres

d’enregistrement » des réflexions des milieux pédagogiques écarte de fait les sourds-muets de

leur choix d’intervenir dans des décisions concernant l’éducation des jeunes. Cette mise à

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l’écart s’amplifie de plus en plus au fil des années à mesure que les nouvelles générations se

sentent de moins en moins concernées par les discussions et les débats pédagogiques souvent

incompréhensibles pour eux. Ils ont donc fait le choix de ne pas participer à ce qui leur

semble trop loin de leurs préoccupations immédiates a fait que les nouvelles cercles

dirigeantes ont régulièrement approuvées les orientations choisies par les écoles. Cette

absence d’opposition est particulièrement visible à la fin de la Belle Epoque, et encore plus

dans les décennies suivantes où toute opposition est quasiment muette.

Mais, ce silence de la masse n’est qu’en apparence, car, faute de capacités pour

débattre par textes interposés, la majorité des sourds-muets ont fait le choix de fuir les

associations où ils ne s’y sentent pas. Ce déplacement se fait surtout au profit du sport et des

banquets, situation qui ouvre une nouvelle page dans l’histoire associative de la communauté.

*

* *

Alors que la communauté connaît une expansion culturelle et sociale sans précédent avec une

génération qui commence à récolter les fruits des combats de la génération précédente, celle

de Ferdinand Berthier, une situation toue nouvelle interpelle la génération de la Belle Epoque,

la méthode orale pure semble produire des sourds-muets illettrés. La disparition de la

génération de Berthier laisse un grand vide militant dont la génération suivante prend

conscience de la difficulté de la tâche. Elle eut toutes les peines pour remplir ce vide et elle

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n’y réussira pas tout simplement par ses divisions internes qu’elle n’a pas su faire taire. Ces

divisions, visiblement commencées par des ambitions personnelles de succéder à Ferdinand

Berthier, ont ensuite été reprises par les nouvelles générations, désireuses de s’échapper à

l’ombre de la méthode mimique pour briller au soleil avec la méthode orale.

L’incapacité des anciennes élites d’accueillir les nouvelles générations en dépit de la

profusion de revues, d’associations et même d’expositions d’artistes vient du fait que les

enseignants oralistes se soucient d’empêcher à tout prix la fréquentation des nouveaux élèves

avec les anciens. Cette coupure a produit une révolution culturelle en brisant la chaîne qui lie

les générations depuis des temps immémoriaux. Cette coupure a fini par affaiblir les

associations acquises à la cause de la langue des signes, et faire échouer les tentatives de

restauration de cette langue dans les écoles. La langue des signes ne retrouvera plus sa place

première qu’elle avait dans les années 1800-1880.

Ensuite, avec l’affaiblissement militant, suit le déclin artistique car les écoles ne se prêtent

pas à l’éclosion artistique du sourd-muet. Le choix de se concentrer sur l’articulation et non le

développement intellectuel de l’élève a entraîné une défection des nouvelles générations sur

les choses intellectuelles comme les discutions d’idées et de la gestion des associations. Or,

les seuls qui puisse assumer ces tâches sont ceux qui ont étudié dans des classes spéciales au

sein des écoles, c’est-à-dire ceux qui ont une partie de l’audition ou ont une parole de bon

niveau. Cette minorité finit par faire étouffer tout militantisme en faveur de la langue des

signes et la masse sourde-muette finit également par déserter les associations en choisissant

une nouvelle catégorie d’associations et de clubs, ceux de sport.

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Chapitre III : La situation sociale

Après le coup d’arrêt milanais qui a chassé les professeurs sourds-muets des écoles, la

situation sociale, en particulier professionnelle a totalement changé puisque des débouchés se

ferment aux sourds-muets. Ensuite, dans un contexte de rivalité entre les nations, le fait de

déclarer d’être un peu différent de la norme nationale est très mal perçu, surtout quand on

emploie une langue particulière et que l’on est vu comme infirme. Ces difficultés n’ont

entamé les progrès des mariages entres les sourds-muets, une particularité spécifique à cette

communauté commencée en 1844. Particularité que les médecins et les enseignants oralistes

voudraient bien voir disparaître au nom de la pureté de la race humaine, voire blanche pour

les plus extrémistes entre eux comme l’américain Bell.

Comme les débouchés professionnels se réduisent pour les sourds-muets exclus des

professions d’enseignement, et que les nouvelles générations deviennent de plus en plus

illettrées par une méthode inadaptée pour une éducation de masse, inadaptation constatée par

un psychologue de renom, Alfred Binet dans son étude sur les sourds-muets démutisés par

deux institutions : l’Institut Baguer à Asnières, et l’Institution Nationale des Jeunes Sourds à

Paris. L’illettrisme de plus en plus important des sourds-muets a une conséquence sur le

niveau moyen de la qualification de la communauté. Ces absences de qualifications sont

sévèrement critiquées par les derniers sourds-muets d’élite qui déplorent la médiocrité de

l’enseignement et du retard dans l’apprentissage, et surtout la proposition des professions les

plus faiblement rémunérées. En effet, le sourd-muet est exposé aux manipulations au travail.

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Il est surtout victime de tromperies, et cantonné aux catégories professionnelles les plus

précaires. La faiblesse du niveau de français accentue la précarité du sourd-muet.

Isolé, précaire et exposé aux difficultés de la vie, le sourd-muet finit, à la fin de chaque

semaine, par retrouver ses semblables afin d’y trouver une bouffée d’air frais et surtout de

conseils et d’informations sur des problèmes rencontrés en cours de semaine. Ces réunions

deviennent de plus en plus vitales pour les sourds à mesure que des générations passent. Or,

les professionnels de l’éducation du sourd-muet déconseillent les parents de laisser leurs

enfants d’aller à ces réunions. Un conseil vertement critiqué par Alfred Binet dans son

rapport. Malgré ces avis, les sourds, désormais le terme sourd-muet disparaît de plus en plus

après 1910, se réunissent de plus en plus dans des rencontres sportives où il y a souvent un

troisième mi-temps. Ces réunions vont devenir des niches de refuge de la langue des signes et

surtout des points de rencontre des couples à une époque où les sexes sont séparés dans les

écoles et qu’une majorité de sourdes-muettes se trouvent dans des centres gérés par des

religieuses. Ces niches vont constituer, au fil du temps, des ferments pour la future

renaissance sourde à la fin du XXe siècle.

A) La place de la famille et du travail

1) Le cercle familial

La famille sourde-muette devient le centre de toutes les attentions à la fin du XIXe

siècle, que ce soit du côté sourd-muet ou entendant. Ce qui est frappant dans ces attentions,

c’est qu’il y a une grande divergence de points de vue sur la famille en question. Un petit

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rappel s’impose sur un point particulier. Après la guerre de sécession aux Etats-Unis, une

certaine pensée « scientifique » commence à se développer. Elle estime nécessaire de faire un

tri dans l’espèce humaine afin de mettre de côté la frange déviante qui pourrait mettre en

cause la pureté de la race humaine. Il s’agit en effet de l’eugénisme, théorie forgée par le

neveu de Charles Darwin, sir Francis Carlton et ses successeurs. Dans les années 1880,

l’immigration massive venue de l’Europe du Sud et de l’Est aux Etats-Unis ont cristalisé les

craintes de certains individus de voir la « race américaine » se diluer dans la masse d’êtres

inférieurs. C’est cette pensée que les sourds-muets vont recevoir de plein fouet dans le

Nouveau Monde.

En effet, l’un des plus importants promoteurs oralistes et l’un des plus zélés pour la

disparition de l’importante communauté sourde-muette américaine est Alexander Graham

Bell, l’inventeur du téléphone. Ce dernier s’est adhéré à la pensée eugéniste en voyant

l’augmentation de naissances d’enfants sourds-muets dont au moins un parent l’est également.

Il s’en émut et a déclaré qu’il est nécessaire de prendre des mesures pour éviter que cette

situation se prolonge et qu’il y ait une augmentation dramatique de cas de surdité aux Etats-

Unis. Ce qui a pour conséquence, dans les faits, un rapide développement des écoles oralistes

après 1880 dans ce pays.

Concernant la France, l’influence de Bell, bien que moindre, se fait sentir. Surtout

quand on peut remarquer les conseils des enseignants oralistes aux parents qui consistent à

faire isoler le sourd-muet à la sortie de l’école et à éviter à tout prix les réunions de sourds-

muets. Bien que cela soit peu important par rapport aux Etats-Unis, cette situation est assez

mal perçue de la part des sourds-muets français car cela signifierait pour eux la mort de leur

communauté si de nouvelles générations ne peuvent venir. Comme les sourds-muets ont

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commencé à se marier entre eux qu’en 1844, le nombre de sourds-muets issus de ces mariages

semblent être moins nombreux. Mais cela suffit pour entraîner des déclarations et des conseils

pour éviter la fréquentation entre les sexes. On peut comprendre que ces déclarations,

officiellement pour éviter que l’élève ne perde ses capacités de la paroles apprises dans

l’école, soient en fait des tentatives pour surtout empêcher la transmission de la surdité aux

nouvelles générations, une tare qui est considéré comme insupportable car assimilée à

l’idiotisme, voire au statut animal. Cette perception du sourd-muet considéré comme idiot

sans la parole est une régression dans les mœurs et donc consacre l’échec du combat d’un

siècle de la communauté sourde-muette.

Malgré ces difficultés, les sourds-muets continuent à s’unir entre-eux. Jules Rémond,

le témoin oculaire du premier mariage sourd-muet, expose ses arguments en faveur de ce

mariage. Il déclare, en présentant sa profession que l’on pourrait comparer à un éducateur

social, qu’il a vu maintes couples sourd-entendant se disputer et que cette mésentente est

souvent en défaveur de l’élément sourd du couple. Il explique que le sourd-muet ou la sourde-

muette devient rapidement la victime, non par volonté, mais par la difficulté de se défendre

quand on n’a reçu une instruction plutôt médiocre et qu’on n’a pas les moyens de se défendre.

L’auteur ajoute même qu’il a déjà vu des hommes sourds-muets battus par leur épouse

entendante, et même abandonné, pour un cas par une femme qui est partie en lui laissant les

enfants. Rémond conclut par une réflexion qui consiste à dire que les sourds-muets se

connaissent mieux, et surtout se comprennent mieux39. Il ne s’agit donc pas d’une volonté

délibérée de concevoir des enfants sourds-muets, mais de trouver une moitié qui comprenne

rapidement, sans explications, ses particularités. La compréhension mutuelle est l’essence

39 Louis REMOND, « Pour faire suite à mon premier article sur le mariage des Sourds-Muets entre eux », Journal des sourds-muets, N°59, 15 Septembre 1897, pp 131-132

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même du bonheur en couple. Cependant, une chose peut surprendre si on songe qu’avant

1844, quasiment tous les couples sont constitués du sourd-entendant. Comment expliquer

alors cette mutation, et surtout cette généralisation du mariage sourd-muet au point de devenir

la norme communautaire ?

Outre les explications de Louis Rémond, il faut prendre en compte le fait que la

réforme de Milan a bouleversé le visage intellectuel de la communauté en produisant, non des

intellectuels, mais des individus éduqués pour exercer que des professions manuels avec une

forte faiblesse du français écrit. Or, si le sourd-muet ou plutôt sourd-muet démutisé essaie de

prendre contact avec un entendant ou une entendante, pour une affaire de grande importance,

souvent, dans la grande majorité des cas, il fait appel à un proche de la famille pour se faire

aider. Cette situation peut devenir embarrassante quand on veut essayer de demander la main

de quelqu’un. Ce constat, moindre dans les plus hauts niveaux intellectuels de la communauté

de la Belle Epoque, c’est-à-dire ceux qui ont reçu les meilleurs enseignements, les demi-

sourds, est beaucoup plus fort dans les milieux modestes. Cette gène, les sourds-muets

modestes veulent l’éviter à tout prix, et en même temps retrouver leur indépendance. Car la

dépendance du sourd-muet envers les familles est particulièrement forte à cette époque, dont

le Rapport Binet illustre l’importance. C’est donc une des raisons du mariage sourd-muet au

sein de la communauté.

Rappelons qu’en fin de semaine, les sourds-muets se réunissent dans des clubs ou des

petits réunions amicales d’anciens élèves. Ces points de rencontres sont particulièrement

importants dans la vie de la communauté, et surtout les couples, en très grande majorité, s’y

forment. Le développement du mariage sourd-muet n’a pas été entravé par les réformes de

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Milan, mais ils l’ont plutôt accéléré et renforcé en brisant les relations entre la communauté et

le reste de la société. Le choix de se marier à l’intérieur de la communauté est une réponse

aux difficultés engendrées par la faiblesse du niveau d’instruction. Un sourd-muet peu instruit

est beaucoup plus en précarité qu’un entendant de même niveau car il n’a pas les moyens

d’agir à sa guise. La dépendance envers la famille revient encore dans cette situation. Donc le

mariage sourd-muet, en dépit des oppositions des enseignants des écoles et des médecins, se

développe sans entrave. Et il faut aussi penser qu’il y a des naissances de sourds-muets issus

de ces mariages. Ces naissances représentent seulement dix pour cent et pourtant, leur

retentissement est fort. On sait que les sentiments sont mitigés et ils varient

2) Le travail

La vie professionnelle du sourd-muet est l’un des domaines où des débats font rage

entre les partisans de l’oralisation et ses adversaires. C’est en partie pour faire intégrer les

sourds-muets que l’oralisation de masse est réalisé. Mais, dans les faits, est-ce qu’il est

réalisé ? D’après les sources, bien qu’il y ait quelques succès, on peut estimer que les sourds-

muets, tout en exerçant la vie professionnelle ne sont pas complètement détachés de la

communauté puisqu’ils reviennent à la fin de chaque semaine retrouver leurs semblables.

Henri Gaillard a publié un ouvrage sur la question de la profession, il estime que les écoles

préparent mal les élèves à la vie du métier. De surcroît, d’après l’auteur, le faible nombre

d’apprentissages proposés par les écoles est en inadéquation avec les évolutions dans le milieu

professionnel. Mal préparé, il doit lutter pour son existence et pour garder son poste. Or,

d’après Gaillard, «   la plupart des sourds-muets de valeur exercent des métiers manuels,

souvent grossiers et mal rétribués, d’un surmenage et d’un aléatoire désolants. Et comme il est

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rare que ceux qui ont l’intellectualité trop intense soient d’excellents ouvriers, on comprend

de suite à quelle vie de misère et d’expédients sont réduits la plupart des intellectuels

silencieux français. »40 Cet extrait montre la déception d’un sourd-muet d’envergure face au

choix des écoles de préparer uniquement les élèves aux professions manuelles peu qualifiées.

Or, un autre sourd-muet émet un avis différent sur la même question.

Henri Jeanvoine déclare que des sourds-muets, dans les usines, font partie des

meilleurs ouvriers par leur abnégation et leur concentration41. « ils comptaient au nombre des

meilleurs ouvriers, tant par leur habileté que par leur attachement aux patrons »42 . L’auteur

déplore cependant que des compagnies d’assurances insistent pour que des sourds-muets ne

travaillent pas dans des usines pour des raisons de sécurité. L’auteur met en avant les réussites

des ouvriers sourds-muets dans la suite du rapport. Ce qui est intéressant, c’est l’inquiétude

des sourds-muets d’élite de la Belle Epoque face à la réduction de perspectives

professionnelles, en premier avec l’affaiblissement au niveau de l’écrit qui fait cantonner à

l’exercices des professions manuelles, ensuite avec le faible niveau de qualification ce qui

force les sourds-muets à accepter des postes moins rémunérateurs et plus difficiles

physiquement.

Or, bien qu’il existe des exemples de brillantes réussites, qu’en est-il des cas d’échec

professionels? Dans cette situation, nombre de sources montrent en effet des difficultés

40 Henri GAILLARD, Publication faite au Congrès International des Sourds-Muets de Saint-Louis (Etats-Unis), La situation des sourds-muets en France au début du XXeme siècle, Paris, Echo des Sourds-Muets, 1904. p. 2

41 Henri JEANVOINE, « Congrès International de Saint-Louis, Situation morale, intelelctuelle, industrielle et sociale des Sourds-Muets en France, Journal des Sourds-Muets », année 1904, n°9 –10-11.

42 Ibid, n°11, p. 122.

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rencontrées par les sourds-muets dans le milieu du travail. Rappelons que Binet lui-même a

montré les difficultés, mais de la part des employeurs à faire comprendre des directives aux

sourds-muets43. Ceci est particulièrement vrai pour les catégories les moins favorisées. Or,

nombre de sourds-muets vivent d’assistance publique, faute de pourvoir trouver un métier ou

de patron compréhensif. Cette difficulté se remarque particulièrement par le nombre

d’associations d’assistance destinées aux sourds-muets chômeurs ou errants. «  Ce qu’on

appelle les parasites, plutôt les paresseux, encore que quelques-uns s’en défendent et accusent

leur situation irrégulière les patrons qui refusaient de les employer : je veux parler des sourds-

muets colporteurs, qui vont aux terrasses des cafés, vendre pour un sou ou deux sous, des

alphabets manuels renfermés sous des enveloppes sur lesquelles sont des suscriptions

bizarres, par lesquelles ils essaient d’attendrir la pitié sur leur infirmité. Ce genre de sourds-

muets est la plaie de la nation silencieuse.  » Cette phrase d’Henri Gaillard montre bien

l’image du sourd-muet colporteur et de la réaction des sourds-muets d’élite à leur encontre est

révélatrice de la crise qui traverse la communauté à cette période. Les sourds-muets d’élite

accusent les défavorisés de ternir l’image du sourd-muet responsable car les arguments sur les

capacités se trouvent en effet contredites par l’existence de ces colporteurs.

En dehors de ces exemples, il existe cependant des situations tout a fait normales où le

sourd-muet se contente de faire sa vie, sans chercher à aller plus loin. Cette discrétion est

assez majoritaire au sein de la communauté, et Henri Gaillard lui-même reconnaît que des

ouvriers vivent en bonne intelligence avec leurs collègues. L’auteur fait aussi remarquer, et

c’est particulièrement vrai dans cette période, que le sourd-muet, en sortant de l’école,

n’exerce pas toujours la profession auquel il a été formé à l’école. « Combien meilleur est le

sort des sourds-muets qui sortent d’écoles où l’on n’enseigne aucun métier et qui, d’emblée,

43 Alfred BINET et Theophile SIMON, « Etude sur l’art d’enseigner la parole aus sourds-muets », l’Année psychologique, année 1909, p. 387

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leurs études scolaires terminées, sont placés en apprentissage, suivant leur vocation, leurs

dispositions naturelles ou acquises, dans des ateliers ou des usines, avec des entendants-

parlants. Outre qu’ils s’habituent plus tôt à la vie ouvrière, se familiarisent avec la bonne

camaderie, dépouillent toute timidité, se font connaître et apprécier par ceux avec lesquels ils

travaillent, ils s’initient mieux aux choses de leur métier et s’y perfectionnent, et se font

attacher par leurs patrons qui, d’abord intéressés à eux, en viennent à les priser à leur valeur.

Je le répète, c’est dans cette catégorie que se trouvent les sourds-muets à salaires élevés. »44.

Pour résumer, le paysage professionnel sourd-muet va des professions d’administration ou

intellectuelles plutôt réservées à ceux qui maîtrisent le français écrit, jusqu’aux colporteurs,

qui s’y trouvent, par faute de choix, ( manque de capacités ou faute d’opportunités) en passant

par la majorité laborieuse et surtout silencieuse. Cette majorité prend souvent des professions

rien en rapport avec ce qu’ils ont appris dans les écoles. Ce paysage est plutôt vrai pour le

sourd-muet, mais quid de la femme ?

Nous revenons encore au rapport dressé par Henri Gaillard, qui est l’un des plus

complets à ce jour. Il attaque dans ce rapport les écoles tenues par les religieux, pour ne pas

avoir préparé les sourdes-muettes à la vie professionnelle. Cette critique se retrouve

également à l’époque de Laurent Clerc, un demi-siècle plus tôt. « Trop de leurs institutions,

celles dirigées par les congréganistes, se désintéressent, non seulement de leur éducation

professionnelle, mais de leur éducation ménagère, et visent plutôt à leur faire apprendre des

métiers d’ouvroir ou de couvent, sans valeur aucune pour une ouvrière abandonnée seule dans

la vie, profitables uniquement au travail collectif et qui sont une ressource pour la

congrégation, si bien qu’elle spécule sur la prétendue infirmité, la fausse incapacité des

44 Henri GAILLARD, Publication faite au Congrès International des Sourds-Muets de Saint-Louis (Etats-Unis), La situation des sourds-muets en France au début du XXeme siècle, Paris, Echo des Sourds-Muets, 1904. p. 5

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sourdes-muettes, le danger imaginaire qu’elles peuvent courir dans le monde, pour les amener

à entrer dans des asiles annexés aux institutions et qui sont un affront à la dignité des sourds-

muets et un attentat au droit des femmes de vivre par le travail libre, à leur droit d’aimer. »45.

La situation des sourdes-muettes dans les ouvroirs est en effet critiquée par la majorité

des sourds-muets, soit par l’isolement social, soit par la faiblesse des compétences

professionnelles. Mais dans l’ensemble, c’est surtout que la sourde-muette, quand elle sort des

ouvroirs, elle est en effet mal préparée à la vie sociale. Mais, qui fréquente ces ouvroirs

alors  ? Les sourdes-muettes issues de familles aisées n’y fréquentent pas, car la politique

officielle de ces centres protégés est d’accueillir des jeunes filles issues de milieux pauvres ou

de familles nombreuses afin de leur préserver des difficultés consécutives de leurs situations.

La différence avec la période des années 1800-1880 est que la sourde-muette n’est

plus en effet mise à l’écart, ni systématiquement internée dans des centres protégés. Cette

socialisation de la sourde-muette est l’un des principaux changements de la Belle Epoque,

sous l’influence de la société qui tolère la profession féminine avec la mécanisation dans les

usines et le développement des professions qui nécessitent une main-d’œuvre nombreuse et

peu qualifiée.

B) Le sport et son importance chez les sourds-muets

1) Origines du sport sourd-muet

45 Ibid, p. 7

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Les origines du sport sourd-muet remontent à la Restauration où la gymnastique est

Introduit dans l’institution royale des sourds-muets de Paris. Cette introduction répond à un

souci de faire préparer la respiration du sourd-muet à la parole qui suppose une meilleure

contrôle du souffle. Mais la véritable naissance du sport sourd-muet a été la décision de

choisir la méthode orale pure dans les écoles à la place de la méthode des signes. Or, les

promoteurs de cette méthode se soucient de la capacité respiratoire des sourds-muets. Ils ont

remarqué qu’il y a un grand nombre de cas de maladies pulmonaires chez les élèves et en ont

déduit que le fait de ne pas parler n’évacue pas l’air vicié des poumons. Ce constat soi-disant

médical est faussé car les locaux de l’institution sont en effet humides en hiver et les années

1880-1910 sont en effet connues pour être des périodes de maladies pulmonaires comme la

tuberculose.

Cette vision est illustrée par un ouvrage, best-steller à son époque : Comment on fait

parler les sourds-muets de Ludovic Goguillot, édité en 1889. Dans cet ouvrage, l’auteur

déclare sincèrement que « par suite du manque d’exercice, ces organes sont peu accommodés

aux fonctions de la parole. Le poumon, surtout, et les muscles inspirateurs et expirateurs, qui

favorisent le jeu de cet organe, ne sont pas en état de produire l’effort nécessité par l’émission

d’une phrase, d’un mot, d’une simple voyelle quelquefois. En développant les uns et les

autres, par des exercices appropriés et progressifs, on leur rend les aptitudes que l’inaction

leur avait fait perdre. On améliore par surcroît la santé générale de l’enfant. »46 Cet extrait est

représentatif de ce que les promoteurs de la parole pensent du silence sourd-muet.

46 Ludovic Goguillot, Comment on fait parler les sourds-muets, Paris, Masson et cie,1889 page 30.

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De plus, une note en bas de la même page du livre indique que les sourds-muets « se

trouvent en état d’infériorité vis-à-vis des agents pathogènes de la tuberculose ; autrement dit :

ils sont bien moins armés que d’autres contre les attaques de l’ennemi, si le hasard les place

dans un milieu morbide. (Dr Causit, De la prédisposition du sourd-muet à la phtisie.) »

L’influence de l’eugénisme est passée par là. Ainsi, on voit bien dans l’ouvrage en question

que l’auteur veut démontrer que la parole préserve la santé des sourds-muets. Le lien parole-

santé est maintes fois présenté dans le livre, mais également dans d’autres éditions qui

concernent la santé des sourds-muets. Les revues médicales des années 1880-1900 disposent

de nombreuses références quant à la faiblesse des poumons sourds-muets et recommandent

les activités physiques pour pallier cette faiblesse, doublés à l’éducation de la parole.

Les activités sportives se multiplient donc dans les écoles, surtout à Saint-Jacques et dans

l’institut Baguer à Asnières. Les élèves y prennent goût rapidement. Mais, pas comme le

pensaient de nombreux auteurs de ces ouvrages. En effet, à la sortie des écoles, en particulier

chez les hommes qui se retrouvent dans leur lieu de travail si ce n’est que chez leurs parents

en cas d’incapacité physique ou intellectuelle, ils ressentent un certain isolement social. Et

surtout, victimes des moqueries et des tromperies, les sourds de la Belle Epoque ressentent de

plus en plus le besoin de se réunir entre eux en dépit des avertissements des enseignants. Les

actions des générations précédentes ne facilitent pas en effet le suivi des conseils des

enseignants. Mais, ce qui est intéressant, c’est un ennui certain qui se remarque dans cette

génération postérieure à Milan. Ennui marqué par un illettrisme qui les isole du monde. Ce

constat a été fait par Alfred Binet dans son rapport.  Cet isolement social et intellectuel

n’arrange pas la santé mentale du sourd. Ca explique l’explication d’un des fondateurs du club

sportif des sourds-muets en 1911  : «  Leur but est de procurer la joie de vivre aux jeunes

déshérités de l'ouïe et de la parole, déclassés socialement par la pratique saine du sport en

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plein air. »47 Le terme « déclassés socialement » est très fort, cela montre la situation des

jeunes sourds de la Belle Epoque déjà expliquée par le Rapport Binet.

L’instauration de la méthode orale pure dans les écoles françaises a entraîné une situation que

les participants du Congrès de Milan n’ont pas envisagée. La forte majorité des jeunes sourds

sont quasiment illettrés alors qu’il y a nettement plus d’écoles qu’avant 1880. Ensuite,

l’isolement social semble faire des dégâts au plan psychologique, et d’autre part,

contrairement à ce que déclarent les promoteurs de l’oralisme pur, les jeunes sourds sont

nombreux à être dépendants de leurs parents. Constat dressé par Binet encore. C’est pourquoi

les sourds-muets d’ancienne génération ont agi pour faire développer les clubs sportifs afin

d’éviter que la situation ne soit encore plus dramatique après vingt années d’oralisme pur. Ces

clubs sportifs sont donc créés à l’origine pour pallier les effets négatifs de la méthode orale

pure instaurée depuis 1880.

2) Les réunions, ferments de la renaissance

Ces réunions sportives vont constituer une sorte de refuge pour la langue des signes, et

surtout les héritiers des banquets annuels en l’honneur de l’Abbé de l’Epée. La tradition

instaurée par Ferdinand Berthier et leur organisation par les associations militantes s’est en

effet diluée à mesure que l’on se rapproche de la Première Guerre Mondiale. Par contre, lors

des rencontres sportives, en particulier pour le football et le cyclisme, des sourds-muets s’y

réunissent pour s’échanger des informations, retrouver d’anciens camarades de classe, et

surtout, c’est le point le plus important, trouver l’âme sœur. C’est ce qui est intéressant, car,

47 Jacques DEPASSE, 80e anniversaire de la fondation, Club Sportif des sourds-muets de Paris et de la région parisienne, Paris, 1991, p. 7.

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désormais, les clubs sportifs sourds-muets animent la vie de la communauté, et non plus les

associations militantes traversées de crises et de tensions internes entre le camp oraliste et le

camps signeur.

Mais, à long terme, sur un demi-siècle, les effets sont en effet surprenantes car la

renaissance de la communauté dans les années 1980 trouve leur origine dans ces mêmes clubs

sportifs où ses membres font des voyages à l’étranger comme aux Etats-Unis où ils y

découvrent un autre monde. Mais revenons à la Belle Epoque. Le principal rôle de ces

associations, à court terme, a été de pallier le sentiment d’isolement au sein de la société et de

limiter les difficultés rencontrés dans la vie. Rappelons-nous qu’Alfred Binet se soucie des

effets de l’isolement du sourd-muet, voulu par les enseignants des écoles. Et que les premiers

clubs sportifs se sont développés qu’après 1910. Soit ce n’est qu’un pur hasard, soit ceci est

une action des dernières élites sourdes-muettes pour tenter d’éviter une désocialisation

aggravée.

D’autre part, ces lieux sont aussi un moyen pour la sourde-muette de fréquenter leurs

homologues masculins, et donc on voit ainsi un début de féminisation des associations

sourdes-muettes. Certes, les comités dirigeants restent masculins, mais la participation aux

bals et aux banquets de la part des femmes prouve que la communauté évolue encore dans les

mœurs.

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*

* *

En concluant ce chapitre, on voit ainsi que les sourds-muets de la Belle Epoque sont dans une

vague de changements qui finit par balayer les derniers éléments de l’Age d’Or. Cette vague,

commencée à l’époque de Milan, en 1880, a certes brisé les réalisations de la génération de

Ferdinand Berthier, dans le domaine professionnel. Mais elle ouvre également la voie à un

futur changement.

La fin du militantisme sourd-muet et la fin des professions d’enseignement ouvertes aux

sourds-muets ont entraîné à un développement du sport sourd-muet, plus accessible pour les

nouvelles générations. Ces générations sont en effet moins motivées pour les débats

intellectuels et préfèrent des discutions plus en rapport avec leurs besoins réels. Les anciennes

élites l’ont comprise et ont donc favorisé le sport sourd-muet.

L’ouvrier sourd-muet est souvent celui qui travaille laborieusement et modestement. Mais, il

est aussi celui qui fréquente régulièrement les clubs sportifs et a une épouse sourde-muette.

Dans certains cas, il a également des enfants sourds-muets qui fréquentent des écoles qu’il a

lui-même usé les bancs. Cette archétype de sourd-muet est devenu la norme de la nouvelle

communauté et non plus celui du sourd-muet d’élite, écrivant des ouvrages et discutant d’égal

à égal avec des entendants. La Belle Epoque a donc donné naissance à une nouvelle image qui

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restera tenace durant un siècle. Mais elle a également déposé des germes de la future

renaissance qui aura lieu un siècle plus tard.

Conclusion

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En conclusion de cette étude, les sourds-muets de la Belle Epoque ont connu une période de

grandes mutations avec la disparition d’une génération qui a vécu la méthode mimique. Le

congrès de Paris représente le sommet de la lutte entre la méthode orale et la méthode

mimique et la dernière tentative d’ampleur de la part des sourds-muets d’élite pour tenter de

restaurer l’usage des signes dans les écoles. Cette tentative a échoué en premier par les

divisions internes de la communauté. Ces divisions ont ôté aux sourds-muets d’élite les

moyens de préserver les derniers acquis de l’Age d’Or. Or, avec cet échec, ouvre un nouvel

ère de changements qui s’étend jusqu'à la veille de la Seconde Guerre Mondiale avec la

disparition des derniers artistes sourds-muets qui sont véritablement les derniers militants de

la cause mimique.

En parallèle de ces rivalités et de ces luttes, la masse silencieuse vit laborieusement, en

essayant de franchir des écueils de la vie. En cas de difficultés, la plupart entre eux patientent

avant de retrouver les siens lors des réunions sportives pour s’échanger des informations et

même des conseils. Ces rencontres deviennent de plus en plus vitaux pour la communauté à

mesure que les associations militantes n’assurent plus leur rôle de défense des droits du sourd.

Mais ces lieux revêtent un nouveau rôle : celui des rencontres amoureuses. Souvent, des

couples de sourds-muets se forment durant les bals après les rencontres sportives. Ces bals,

assurés par les associations de sport sourd-muet sont l’occasion pour ces personnes de

retrouver des connaissances et d’y trouver de la joie avant de rentrer chez eux. Ces lieux

constituent donc des points de transmission des traditions de la communauté et donc des

niches de refuge au sein d’une société qui rejette toute particularité et toute différence.

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La fin des associations militantes et le développement du sport sourd-muet sont les deux

principaux caractéristiques de la Belle Epoque sourde-muette. Le sport a permis, par le plus

grand des hasards, à la préservation de ce qui reste de la langue des signes et donc de

préserver l’existence de la communauté sourde-muette.

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Sources

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A) Divers

Comptes rendus, Banquets d’hommage de la naissance de l’abbé de l’Epée :-1834-1842, Tome 1, Imp. De Corson, Paris, 1842-1849-1863, Tome 2, Hachette et Cie, Paris, 1869

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B) Presse

L’ami des sourds-muets, 1838-1843

L’abbé de l’Epée,1888-1890.

L’Alliance silencieuse 1890-1910

La défense des sourds-muets, 1886-1888

Le journal des Sourds-Muets, 1895-1905

Le Monde silencieux, bulletin administratif de l’union nationale des sociétés de sourds-muets, Aout 1907 – Octobre 1913. La Revue de l’éducation des sourds-muets, 1887-1890

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LIMOSIN Lucien, « Les enfants sourds-muets réduits à essuyer les haleines puantes des Chevaliers de l’articulation. » Défense des sourds-muets. 1886, 2, pp 31-33, 43-45, 55-57, 67-69.

LIMOSIN Lucien, « Les vautours de Prométhée des sourds-muets. » Défense des sourds-muets, 1886, 2, p 127-129

RÉMOND Louis, « Les vieilles lunes d’un sourd », Journal des sourds-muets, n°56, 15 juin 1897 pp 83-84

RÉMOND Louis, « Pour faire suite à mon premier article sur le mariage des Sourds-Muets entre eux », Journal des sourds-muets, N°59, 15 Septembre 1897, pp 131-132

II) Ouvrages sur les sourds-muets

A) Congrès et rapports

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B) Divers

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C) Discours

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WALSER Louise, De l’Enseignement religieux, constatation faite pendant mon séjour à l’Institution (bordeaux) 1891-1904 (sic). Paris, 1913, 2 p.

D) Autobiographies et biographies

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BERTHIER Ferdinand, L’abbé Sicard, Précis historique sur sa vie, ses travaux et ses succès ; suivi de détails biographiques sur ses élèves sourds-muets les plus remarquables, Jean Massieu et Laurent Clerc, et d’un appendice concernant des lettre de l’abbé Sicard au baron de Gérando, Paris, Douniol, 1873, 259 p.

BERTHIER Ferdinand, Histoire du prétendu Comte de Solar, Paris, Imprimerie de E. Donnaud, 1872, 8p

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MAYEUR Jean-Marie, Les débuts de la IIIe République, 1871-1898. Paris, Editions du Seuil, 1973, 256 p.

PLESSIS Alain, De la fête impériale au mur des fédérés, 1852-1871, Paris Editions du Seuil, 1979, 253 p.

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