UNIVERSITE PARIS I – PANTHEON SORBONNE · CAE : Chambres africaines extraordinaires CCFAN : ......

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UNIVERSITE PARIS I – PANTHEON SORBONNE MASTER 2 RECHERCHE Droit international public et Organisations internationales Laboratoire d’accueil : IREDIES LES CHAMBRES AFRICAINES EXTRAORDINAIRES Aïssatou DIALLO Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Marc SOREL Année universitaire 2014-2015

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UNIVERSITE PARIS I – PANTHEON SORBONNE MASTER 2 RECHERCHE

Droit international public et Organisations internationales

Laboratoire d’accueil : IREDIES

LES CHAMBRES AFRICAINES EXTRAORDINAIRES

Aïssatou DIALLO

Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Marc SOREL

Année universitaire 2014-2015

LES CHAMBRES AFRICAINES EXTRAORDINAIRES

par

Aïssatou DIALLO

Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Marc SOREL

L’Université n’entend donner aucune approbation ou improbation aux propos tenus dans le présent mémoire. Ceux-ci sont propres à leur auteur.

REMERCIEMENTS

Au professeur Jean-Marc SOREL, que je remercie d’avoir accepté de diriger mon mémoire,

d’avoir été à l’écoute et disponible, et de m’avoir proposé ce sujet qui a su retenir mon intérêt

bien au-delà de mes attentes.

À Monsieur Hugo Moudiki JOMBWE, que je n’ai pas encore eu la chance de rencontrer et qui

malgré la distance m’a épaulé dans mon projet de me rendre au Sénégal et m’a permis de le

mener à bien.

À Madame Élise LE GALL, à Monsieur le Procureur M’Backé FALL, à Maître Yaré FALL, à

Monsieur Aly Siré BA, à Maître Assane Dioma NDIAYE ainsi qu’à Monsieur Momar DIENG

et à Monsieur Abdou Khadre LO, ma profonde reconnaissance et mes sentiments d’admiration.

Je remercie chacun d’entres eux pour leur accueil, pour le temps qu’ils m’ont accordé et pour

tous les conseils qu’ils m’ont prodigués.

À Monsieur Marcel MENDY, pour sa bienveillance, sa gentillesse et son humour qui m’ont

accompagnés lors de mon voyage au Sénégal.

À ma grande amie et sœur Marie DIALLO, à notre tante Marie NDIAYE et à toute ma famille

sénégalaise d’adoption. Je les remercie du fond du cœur de m’avoir accueillie chez eux à Dakar

et d’avoir rendue mon séjour si agréable, chaleureux et inoubliable.

À mon meilleur ami, mon frère, mon confident, qui se reconnaîtra dans ces descriptions, pour

son aide et son soutien indéfectible.

À Madame Milèn MICHEL, ma profonde et sincère gratitude pour toute l’aide qu’elle m’a

apportée.

À ma grande famille et à tous mes amis, qui m’ont supporté et soutenu tout au long de ce

travail.

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SOMMAIRE

INTRODUCTION : GENESE DES CHAMBRES AFRICAINES EXTRAORDINAIRES 1

PREMIERE PARTIE : LES CHAMBRES AFRICAINES EXTRAORDINAIRES,

NOUVELLE COMPOSANTE DE LA JUSTICE PENALE INTERNATIONALE 15

Chapitre 1er : La place des Chambres africaines extraordinaires parmi les juridictions internationales

pénales 15 Section I. Le phénomène de juridictionnalisation en droit pénal international 15 Section II. Les Chambres africaines extraordinaires et les juridictions pénales internationalisées 24

Chapitre 2 : Les caractéristiques des Chambres africaines extraordinaires 31 Section I. Présentation des Chambres africaines extraordinaires 32 Section II. Une juridiction originale et innovante 36

DEUXIEME PARTIE : LES CHAMBRES AFRICAINES EXTRAORDINAIRES, UN

NOUVEAU DEPART POUR LA JUSTICE PENALE AFRICAINE ? 45

Chapitre 1er : Le succès espéré d’une juridiction créée au cœur de l’Afrique 45 Section I. Une volonté africaine de rétablir la justice face aux atrocités commises au Tchad 45 Section II. La phase de l’instruction des Chambres africaines extraordinaires 54

Chapitre 2 : L’impact des Chambres africaines extraordinaires sur le développement de la justice pénale

internationale africaine 60 Section I. L’illustration d’un attachement à la fin de l’impunité en Afrique 61 Section II. Un renouveau pour la justice pénale internationale sur le continent 63

CONCLUSION GENERALE : LE DEFI DE LA LUTTE CONTRE L’IMPUNITE 73

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

AFDI : Annuaire français de droit international

AJ Pénal : L’actualité Juridique : Pénal

ATPDH : Association tchadienne pour la défense et la promotion des droits de l’homme

AVCRP : Association des victimes de crimes et répressions politiques

AVRE : Association des victimes de la répression en exil

CAE : Chambres africaines extraordinaires

CCFAN : Commandement des forces armées du Nord.

CEDEAO : Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest

CETC : Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens

CIJ : Cour internationale de justice

CPA : Cour permanente d’arbitrage

CPI : Cour pénale internationale

CPJI : Cour permanente de justice internationale

DDS : Direction de la documentation et de la sécurité

FAN : Forces armées du Nord

FANT Forces armées nationales tchadiennes

FAP : Forces armées populaires

FIDH : Fédération internationale des ligues de droits de l’Homme

FROLINAT : Front de libération nationale du Tchad.

GUNT : Gouvernement d’union nationale et de transition

HRW : Human Rights Watch

JPI : Juridictions pénales internationalisées

LTDH : Ligue tchadienne des droits de l’homme

ONU : Organisation des nations unies

ONDH : Organisation nationale des droits de l’homme

OUA : Organisation de l’unité africaine

PUF : Presses universitaires de France

RADHT : Réseau des associations des droits de l’homme du Tchad

RADDHO :Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme

Rec. : Recueil des arrêts, des avis consultatifs, des ordonnances de la CIJ

SIP : Service d’investigation présidentielle

TMI.: Tribunal militaire international (de Nuremberg ou de Tokyo)

TPI : Tribunal pénal internationalisé

TPIR : Tribunal pénal international Rwanda

TPIY : Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

TSL : Tribunal spécial pour le Liban

TSSL : Tribunal spécial pour la Sierra Leone

UA : Union Africaine

UNIR : Union nationale pour l’indépendance et la révolution

« Moi, personnellement, je ne peux pas croire que des hommes soient capables de telles atrocités. […]

Voyez-vous, notre police ne croit plus au châtiment divin. La foi est une chose précieuse, irremplaçable.

Ces agissement, ne font que montrer la portée relative et variable des lois humaines »1.

Témoignage de Zakaria Fadoul Khidir, victime parmi tant d’autres du régime d’Hissène Habré.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!1 FADOUL KHIDIR (Z.), Les moments difficiles dans les prisons d’Hissène Habré en 1989, Sépia, Saint-Maur, 1998, 174 p, p 150.

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INTRODUCTION : GÉNÈSE DES CHAMBRES AFRICAINES

EXTRAORDINAIRES

Le 22 juillet 2015, s’ouvre à Dakar le procès d’un ancien chef d’État africain accusé

d’avoir commis des crimes internationaux durant son exercice du pouvoir. Le jugement

d’Hissène Habré, ancien Président de la République tchadien, est un événement des plus

attendus. En effet, comme l’écrit Franck PETIT, « la poursuite d’Hissène Habré était devenue

au fil des ans une arlésienne, jalonnée d’échecs retentissants, portée par des irréductibles »2.

Ces irréductibles, ce sont les victimes du régime d’Hissène Habré, qui, regroupées en

associations, se sont engagées depuis plus de quinze ans dans un périple judiciaire dont la

première grande victoire est l’existence de la juridiction qui accueille le procès : les Chambres

Africaines Extraordinaires (ci-après CAE) au sein des juridictions sénégalaises.

Cette juridiction tant espérée et porteuse d’une promesse de justice, a vu le jour le 22 août

2012 à la suite un accord entre l’Union africaine et le Sénégal. Avant d’étudier en détail ce

tribunal spécial, il est important de faire un retour sur les circonstances très particulières qui ont

mené à sa création. À l’origine des Chambres africaines extraordinaires, une affaire marquante,

que l’on pourrait avec regret qualifier de commune en Afrique, tant le continent a été secoué

par les atrocités, les violations des droits de l’homme et les régimes sanguinaires : « l’affaire

Hissène Habré » (1). Ce dossier douloureux va suivre une trajectoire assez singulière qui va

petit à petit mener à l’éclosion du sentiment d’un devoir de justice en Afrique et au sein de la

Communauté internationale (2). Au bout d’une lente et presque interminable procédure, ce

sentiment se matérialise finalement avec la naissance des Chambres africaines extraordinaires à

Dakar (3), chargées de rendre la justice dans le cadre de « l’affaire Habré ».

1) L’origine : l’ « Affaire Hissène Habré »

Idéalement placé « au cœur de l’Afrique à cheval entre le Maghreb et l’Afrique

subsaharienne »3, le Tchad est l’un des plus grands pays d’Afrique avec une superficie de

1.284.000 km². Les multiples particularités du Tchad expliquent qu’il ait fait l’objet de tant de

convoitises et sont également à l’origine de sa grande fragilité. En effet, le Tchad « offre une

mosaïque de cultures, une multiplicité ethnique 4 à la charnière des civilisations arabo-

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!2 PETIT (F.), « Naissance d’un premier tribunal interafricain » in RCN Justice et Démocratie, « Sensibiliser sur les Chambres africaines extraordinaires », Bulletin n° 46, Décembre 2014, pp. 5-6, p. 5. 3 BEN YAHMED (D.) (Dir.), Atlas de l’Afrique : Atlas du Tchad, Les Editions J.A, Paris, 2006, 63 p., p 5. 4 En ce qui concerne la diversité ethnique, voy. FADOUL KHIDIR (Z.), « Ethnies Langues, religions », in BEN YAHMED (D.) (Dir.), Atlas de l’Afrique : Atlas du Tchad, Les Editions J.A, Paris, 2006, p 20

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musulmanes et négro-africaines et une diversité linguistique »5. Avant la colonisation, il

n’existait pas d’État tchadien au sens moderne du terme6, la société était structurée selon des

zones de population avec leur organisation propre, correspondant à un découpage à la fois

géographique et démographique7. La colonisation aurait eu pour effet d’emporter une « fracture

sociale et économique » à l’intérieur du pays du fait d’une « politique discriminatoire »8. À la

proclamation de l’indépendance du Tchad le 11 août 1960, commence une alternance de

régimes plus instables les uns que les autres et ayant pour point commun d’attiser la haine et la

rupture au sein de la population tchadienne9.

L’arrivée d’Hissène Habré à la tête de l’État du Tchad n’a pas été soudaine mais le fruit

d’un « long et tumultueux parcours vers le pouvoir»10. Entre 1971 à 1982, Hissène Habré

connaitra une succession d’alliances puis de séparations avec des personnages politiques clés

qui le mènera à terme à la tête de l’État. D’abord allié à des mouvements rebelles

(FROLINAT11 puis CCFAN12), il crée les Forces armées du Nord (FAN) qui vont lui donner

du poids dans les affrontements politiques qui ont lieu au Tchad au même moment. Hissène

Habré accède à la fonction de Premier ministre en 1979 avant qu’un autre conflit armé n’éclate.

Après l’intervention de l’Organisation pour l’Unité Africaine (OUA aujourd’hui UA), un

nouveau gouvernement arrive au pouvoir, le Gouvernement d’Union Nationale et de Transition

(GUNT) dirigé par son ancien allié G. Wedeyye et dans lequel Hissène Habré est nommé

Ministre d’État à la défense. En 1980, une nouvelle guerre civile « particulièrement destructrice

pour le pays13 » oppose, à N’Djamena, les FAN et les Forces Armées Populaires (FAP) de G.

Wedeyye. Hissène Habré en sort vainqueur et s’empare finalement du pouvoir le 7 juin 1982. Il

dissout alors les FAN qui deviennent les FANT (Forces Armées Nationales Tchadiennes), il

met en place un parti unique, l’Union Nationale pour l’Indépendance et la Révolution (UNIR)

et une police politique désignée comme le Service d’Investigation Présidentielle (SIP). Fort de

sa conquête réussie du pouvoir mais également paranoïaque à l’idée d’en être privé – étant

donné le contexte politique dans lequel sa victoire intervient – Hissène Habré fait tout pour

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!5 BEN YAHMED (D.) (Dir.), op.cit. p. 5. 6 Voy. DOUTOUM (M. A.), « Histoire », in BEN YAHMED (D.) (Dir.), Atlas de l’Afrique : Atlas du Tchad, Les Editions J.A, Paris, 2006, p 16. 7 Voy. DAY-VIAUD (V.), JOFFE (G.), World bibliographical series, Chad, Clio Press, Oxford, 1995, vol. 177, 191 p., p. 18. 8 Chambres africaines extraordinaires, Chambre Africaine Extraordinaire d’instruction, Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, 13 février 2015, RP N°01/13. Disponible sur [http://www.forumchambresafricaines.org/docs/OrdonnanceRenvoi_CAE_13022015.pdf]. Cette politique de discrimination a favorisé le développement du Sud et de sa population laissant le Nord du pays à de plus grandes difficultés. 9 Pour une chronologie des évènements, voy. HASSAN ABAKAR (M.) Chronique d’une enquête criminelle nationale. Le cas du régime de Hissein Habré 1982-1990, l’Harmattan, Paris, 2006, 183 p., pp 11-18 10 Rapport de la Commission d’Enquête Nationale du Ministère Tchadien de la Justice, Les crimes et détournements de l’ex-président Habré et de ses complices, L’Harmattan, Paris, 1993, 272 p., p. 17. 11 Front de Libération Nationale du Tchad. 12 Commandement des Forces Armées du Nord. 13 Ibid., p. 14.

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redresser le pays, au détriment de la population tchadienne. Il restera à la tête du Tchad

jusqu’au 1er décembre 1990, écarté de la présidence par Idriss Déby Itno, qui fut auparavant,

son chef d’État-major. Il se rendra alors au Sénégal où il obtiendra l’asile politique.

Ces huit années de règne marquent le point de départ de « l’affaire Habré », puisque c’est

au cours de celles-ci que vont être perpétrés les faits qui constitueront le fondement des

réclamations de milliers de victimes tchadiennes14. Ce régime est caractérisé par une répression

sans borne dont l’instrument principal est la DDS (Direction de la Documentation et de la

Sécurité), instituée par le président de la République par un décret du 26 janvier 1983. Cette

institution emblématique du régime de l’ancien chef d’État tchadien passe rapidement

d’appareil chargé de la sécurité intérieure et extérieure du régime à un véritable outil de

terreur15 , agissant comme une « véritable toile d’araignée s’étendant sur l’ensemble du

territoire tchadien chargé de repérer, renseigner la garde rapprochée d’Hissène Habré et mettre

hors d’état de nuire tout individu considéré comme ennemi du régime »16. Ses agents ont eu

recours de façon arbitraire, massive et systématique à des arrestations, détentions dans des

« prisons secrètes » 17, actes de tortures, meurtres et pillages pouvant viser toute personne dès

lors qu’elle était assimilée à un ennemi du régime. A titre d’exemple, nous pouvons évoquer le

récit de Zakaria Fadoul Khidir, qui fut arrêté par les agents de la DDS et emprisonné en raison

de son appartenance à une ethnie considérée comme nuisible pour le régime18. Alors que

certaines personnes ont pu avoir connaissance de la raison de leur arrestation et de leur

emprisonnement (opposant politique ou simple appartenance à un certain groupe ethnique19),

d’autres n’ont jamais su pourquoi ils ont été visés par la DDS. Outre ces actes de répression, le

règne d’Hissène Habré est marqué par les conflits armés à l’intérieur et à l’extérieur du pays

(conflit avec la Lybie), qui ont eux aussi donné lieu à la perpétration de violations des droits

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!14 Pour la reconstitution des faits : Voy., Rapport de la Commission d’Enquête Nationale du Ministère Tchadien de la Justice, Les crimes et détournements de l’ex-président Habré et de ses complices, L’Harmattan, Paris, 1993, 272 p. Cette commission avait été mise en place par le nouveau gouvernement (décret n°014/P.CE/CJ/90 du 29 décembre 1990) pour enquêter sur les crimes commis pendant le régime d’Hissène Habré. ; BERCAULT (O.), La plaine des morts, le Tchad de Hissène Habré 1982-1990, Human Rights Watch, Saint Andreu de la Barca, 2013, 715 p. Disponible sur [https://www.hrw.org/sites/default/files/reports/chad1013frwebwcover_0.pdf] ; Chambres africaines extraordinaires, Chambre africaine extraordinaire d’instruction, Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, 13 février 2015, RP N°01/13. 15 À propos la structure et le fonctionnement de la DDS, voy. Rapport de la Commission d’Enquête Nationale du Ministère Tchadien de la Justice, op. cit., pp 21-32 ; BERCAULT (O.), op. cit., pp. 84-107. 16 LE GALL (E.), « Le procès Hissène Habré ou le devenir de la justice pénale internationale en Afrique, in La revue du Collège juridique Franco-Roumain d’Etudes Européennes, Le nouvel endroit, N°1/2015, pp. 48-56, p. 49. 17 Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, op.cit., pp. 29-33.Il s’agit de centres de détentions « non répertoriés par la législation pénitentiaire en vigueur ». Elles ont été révélées par l’ONG Amnesty international et sont localisées dans la capitale tchadiennes et en province. Parmi elles : la « Piscine » ou prison souterraine, la prison dite « les locaux », le camp des martyrs, etc. 18 FADOUL KHIDIR (Z.), Les moments difficiles dans les prisons d’Hissène Habré en 1989, Sépia, Saint-Maur, 1998, 174 p. 19 A ce propos, le rapport de HRW indique que « le régime ne persécuta pas seulement les leaders de certaines ethnies qu’il percevait comme des menaces, mais tout le groupe dans son ensemble, notamment les Saras et d’autres groupes sudistes, les Arabes tchadiens, les Hadjaraïs ainsi que les Zaghawas. » BERCAULT (O.), op. cit., p. 80.

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humains. Pendant ces huit années à la tête du pays, Hissène Habré a plongé un Tchad déjà

meurtri, dans un climat de peur, de suspicion et d’insécurité avec pour seule échappatoire le

respect impérieux du culte de la personnalité qu’il avait instauré dès son arrivée au pouvoir.

La Commission d’enquête nationale tchadienne dresse un lourd bilan de ce règne

sanglant : plus de 40.000 victimes, 80.000 orphelins, 30.000 veuves et 200.000 personnes sans

soutien moral et matériel. Ce bilan est d’autant plus accablant que la Commission précise, au

début du rapport, que l’enquête « ne couvre en réalité qu’une infime partie de ce qui a été

commis sous la dictature Habré »20. À l’issue du rapport, elle fait quatorze recommandations

au gouvernement tchadien notamment « pour éviter que le Tchad ne retombe dans les horreurs

et l’injustice du passé » et « pour que le Tchad et les Tchadiens retrouvent la paix, la stabilité et

la concorde nationale ». Alors même qu’il avait commandé ce rapport, le gouvernement

tchadien est resté muet face à ces recommandations et le rapport de la Commission d’enquête a

été « définitivement classé par les pouvoirs publics »21. Quelques années après, Mahamat

HASSAN ABAKAR – ancien Président de la Commission d’enquête sur le Tchad – indiquait

que les victimes ou leurs parents avaient perdu « tout espoir de voir le dictateur sanguinaire,

Hissène Habré, jugé pour ses odieux crimes »22.

Cet espoir, pourtant, des milliers de victimes tchadiennes vont l’utiliser comme engrais

dans le combat qu’elles mènent pour la justice. C’est une graine qui est semée dans le but de

faire germer un devoir de justice vis-à-vis de ces victimes au sein de la communauté

internationale.

2) De la gestation du sentiment d’un devoir de justice envers les victimes du régime

d’Hissène Habré

Tantôt symbole, tantôt vertu, tantôt principe, tantôt institution, la Justice est au cœur de

toute société. Son sens le plus commun est celui de « principe qui exige le respect du droit et de

l’équité »23. Dans l’affaire Hissène Habré, la justice a été clairement bafouée. Ce régime n’a

respecté ni les droits humains ni le droit international qui les protège. Ce sens là de la justice,

les victimes tchadiennes l’ont perdu, ou ne l’ont même jamais connu. Pour rétablir cette

altération, une autre définition de la justice devait entrer en jeu, celle où elle est « l’action par

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!20 Rapport de la Commission d’Enquête Nationale du Ministère Tchadien de la Justice, op. cit., p 13. Il est précisé que son « travail ne couvre que 10% des crimes du tyran ». 21 HASSAN ABAKAR (M.), op. cit., p. 112. 22 Ibid. 23 Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, Librairie Larousse, Paris, 1984, Tome 6, p. 5919.

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laquelle le pouvoir judiciaire, une autorité, reconnaît le bon droit de quelqu’un, fait droit à sa

réclamation »24. C’est bien ce que réclament les victimes tchadiennes, qu’une autorité judiciaire

reconnaisse leur droit à voir leurs bourreaux répondre de leurs actes.

Bien que l’espoir d’un jugement des auteurs des crimes commis pendant le règne

d’Hissène Habré était néant sur le territoire tchadien, les victimes restèrent déterminées à voir

leurs bourreaux punis pour leurs actes. L’initiative sera lancée par Madame Delphine

Kemneloum Djiraïbé, en 1999. Alors présidente de l’Association Tchadienne pour la Défense

et la Promotion des Droits de l’Homme (ci-après ATPDH), elle lança toute une bataille

judiciaire en proposant à l’ONG Human Rights Watch de porter plainte contre Hissène Habré

au Sénégal, le pays où il avait trouvé refuge. La désignation de l’ancien chef d’État tchadien

comme étant le « Pinochet africain »25 ne fait pas seulement référence aux agissements

effroyables dont on l’accuse, mais également à cette stratégie de lutte contre l’impunité faisant

appel à l’idée selon laquelle les crimes internationaux les plus graves ne sauraient rester

impunis. En ce qui concerne l’action au Sénégal, une base légale existait, celle de la

Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains

et dégradants adoptée par l’Assemblée Générale dans sa résolution 39/46 du 10 décembre 1984.

Son article 7 dispose en effet que : « L'État partie sur le territoire sous la juridiction duquel l'auteur présumé d'une infraction visée à l'article 4

est découvert, s'il n'extrade pas ce dernier, soumet l'affaire, dans les cas visés à l'article 5, à ses autorités

compétentes pour l'exercice de l'action pénale. »

Le Sénégal ayant ratifié la convention le 21 aout 198626, la tenue d’un procès contre

Hissène Habré sur son territoire était loin d’être une idée farfelue. Afin de réaliser le travail

colossal dont dépendait cette perspective, un regroupement d’organisations non

gouvernementales internationales et sénégalaises et d’associations tchadiennes a été organisé

dans un Comité international pour le jugement équitable d’Hissène Habré27. Le 26 janvier

2000, une plainte avec constitution de partie civile28 fut envoyée, par sept ressortissants

tchadiens accompagnés de l’ATPDH au doyen des juges d’instruction auprès du Tribunal

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!24 Ibid. 25 Expression employée par Reed Brody, conseiller et porte-parole de Human Rights Watch BRODY (R.), Les poursuites contre Hissène Habré, un « Pinochet africain », disponible sur [http://www.sos-attentats.org/publications/brody.pdf] 26 Voy. liste et dates des ratifications sur [http://www.achpr.org/fr/instruments/uncat/ratification/]. 27 Piloté par Human Rights Watch, ce comité est composé de l’Association tchadienne pour la défense et la promotion des droits de l’Homme, de l’Association des victimes de crimes et répressions politiques (AVCRP), de la Ligue tchadienne des droits de l’homme (LTDH), de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO) et l’Organisation nationale des droits de l’homme (ONDH), d’Agir ensemble pour les droits de l’ homme, de la Fédération internationale des ligues de droits de l’Homme (FIDH), de l’Organisation Interights et enfin de l’Association des victimes de la répression en exil (AVRE). 28 Le contenu de la plainte est disponible sur [http://www.hrw.org/legacy/french/themes/habre-plainte.html].

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régional hors classe de Dakar. Le doyen, M. le juge Demba Kandji, mena alors une enquête

rigoureuse avant d’inculper Hissène Habré, le 3 février 2000, pour complicité de crimes contre

l’humanité, d’actes de torture et de barbarie. Hissène Habré contesta son inculpation et sa mise

en résidence surveillée en saisissant la Cour d’Appel de Dakar. La question qui se posait devant

la Cour, était de savoir si les juridictions sénégalaises étaient compétentes pour poursuivre un

étranger pour crime contre l’humanité et torture. En ce qui concerne la poursuite de Hissène

Habré pour crime contre l’humanité, la Cour de d’appel de Dakar répondit par la négative, au

motif que le droit positif sénégalais ne contenait pas l’incrimination de ce crime. Quant aux

actes de torture – qui constituaient une infraction autonome depuis une loi du 28 aout 1996 – la

Cour d’Appel de Dakar considéra que l’incrimination universelle ne se confond pas avec la

compétence universelle et que l’extranéité de cette affaire vis-à-vis du Sénégal rend

incompétente les juridictions sénégalaises en vertu de l’article 669 du code de procédure pénale

sénégalais29 qui exclut la compétence de celles-ci pour les « faits de torture commis par un

étranger en dehors du territoire sénégalais quelles que soient les nationalités des victimes »30.

L’affaire ne s’arrêta pas là puisque la Cour de Cassation fut également saisie par les victimes

tchadiennes qui demandèrent à la Cour d’annuler la précédente décision de la Cour d’appel de

Dakar. La Cour de Cassation rejeta leur demande et confirma l’arrêt de la Cour d’appel de

Dakar31.

L’enthousiasme autour de la première étape qu’avait constitué l’inculpation d’Hissène

Habré a été finalement affaibli en raison du contexte politique de l’époque. Les réticences à

juger un ancien chef d’État africain sur son sol amenèrent le nouveau pouvoir exécutif du

Sénégal à s’immiscer dans l’activité du pouvoir judiciaire et à contrarier l’opportunité de voir la

justice sénégalaise poursuivre Hissène Habré32. La déclaration d’incompétence des tribunaux

sénégalais a été vivement critiquée notamment parce qu’en statuant ainsi, ils contrevenaient

aux obligations du Sénégal découlant de la Convention de 1985 sur l’interdiction de la torture.

C’est sur ce fondement que des victimes tchadiennes déposèrent une plainte devant le Comité

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!29 Il s’agissait ici de l’ancien article 669 du code de procédure pénale qui disposait que « tout étranger qui hors du territoire de la République, s’est rendu coupable soit comme auteur, soit comme complice, d’un crime ou d’un délit attentatoire à la sûreté de l’État ou de contrefaçon du sceau de l’État, de monnaies nationales ayant cours, peut être suivi et jugé d’après les dispositions des lois sénégalaises ou applicable au Sénégal, s’il est arrêté au Sénégal ou si le gouvernement obtient son extradition ». 30 Cour d’appel de Dakar, Chambre d’accusation, Ministère Public et François Diouf contre Hissène Habré, Arrêt n°135 du 04 juillet 2000. Disponible sur [http://www.hrw.org/legacy/french/themes/habre-decision.html]. 31 Cour de Cassation, Chambre criminelle, Souleymane Guengueng et autres c. Hissène Habré, Arrêt n°14 du 20 mars 2001. [Disponible sur http://www.hrw.org/legacy/french/themes/habre-cour_de_cass.html]. 32 Pour beaucoup, l’élection d’Abdoulaye Wade aux élections présidentielles en 2000 a largement diminué les chances des tchadiens d’obtenir justice sur le sol sénégalais. D’une part, du fait de sa position marqué contre tout jugement de Habré au Sénégal, et d’autre part en raison des nombreuses anomalies qui ont affecté le déroulement de l’instance dès lors qu’il arriva au pouvoir. Voy. SAMB (M.), « État des lieux de la justice. Réflexions sur une gouvernance en crise. » in DIOP (M-C) (Dir.), Sénégal (2000-2012). Les institutions et politiques publiques à l’épreuve d’une gouvernance libérale, Cres-Khartala, 2013, pp 348-379, p. 367 ; HASSAN ABAKAR (M.), op. cit., pp ; 117-120.

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des Nations unies contre la torture, instituée par la précédente convention, le 18 avril 2001. Le

comité rendit sa décision le 18 mai 200633.

Dès lors qu’Hissène Habré fut inculpé par la justice sénégalaise, des signes de prise de

conscience ont commencé à apparaître au Tchad. L’État Tchadien se rendit compte qu’il avait

commis une erreur en ne donnant aucune suite au rapport de la Commission d’enquête

nationale. A partir de là, « le tabou imposé implicitement par les autorités tchadiennes contre

les poursuites des tortionnaires sur place a été levée »34. Les victimes ont, en effet, osé porter

plainte contre leurs tortionnaires au Tchad, où la justice aura difficilement mais finalement été

rendue au cours de l’année 201535.

Le sentiment du devoir de justice ne s’étant pas encore manifesté formellement sur le

continent, il a fallu trouver une autre alternative, hors d’Afrique. La Belgique, qui se présentait

alors comme un grand partisan de l’utilisation de la compétence universelle36, venait tout juste

de d’achever la refonte de sa législation en la matière et l’affaire Hissène Habré allait être une

occasion d’en observer l’utilité37. Nouveau réveil de l’espoir de justice pour les victimes,

puisque les juridictions belges après une instruction de plus de quatre ans, étaient fin prêtes à

poursuivre Hissène Habré pour crime contre l’humanité, crimes de guerre, génocide et torture.

Seulement, les circonstances politiques contrarièrent à nouveau le travail de la justice avec le

rejet absolu des multiples demandes d’extradition de l’ancien dirigeant tchadien faites par la

Belgique au Sénégal. La Cour d’appel de Dakar, dans une décision du 25 novembre 2005,

déclara les juridictions sénégalaises incompétentes pour statuer sur la demande d’extradition en

étendant l’incompétence qui avait concerné le jugement d’Hissène Habré à l’extradition : « Considérant que dès lors, la Chambre d'accusation, juridiction ordinaire de droit commun, ne saurait

étendre sa compétence aux actes d'instruction et de poursuite engagés contre un chef d'État pour des faits

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!33 Comité contre la torture des Nations Unies, Décision relative à la Communication N°. 181/2001: Souleymane Guengueng et autres contre Sénégal, Trente-sixième session, UN Doc. CAT/C/36/D/181/2001. Dans cette décision, le Comité contre la torture mit l’accent sur le fait que le Sénégal en tant qu’État partie « est tenu, conformément à l’article 7 de la Convention, de soumettre la présente affaire à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale ou, à défaut, dans la mesure où il existe une demande d’extradition émanant de la Belgique, de faire droit à cette demande ». 34 HASSAN ABAKAR (M.), op. cit., p.121. 35 « Tchad : sept accusés condamnés à perpétuité au procès de complices de l’ex-président Hissène Habré », Jeune Afrique, 25 mars 2015. Disponible sur [http://www.jeuneafrique.com/228054/politique/tchad-sept-accus-s-condamn-s-la-perp-tuit-au-proc-s-de-complices-de-l-ex-pr-sident-habr/] Consulté le 19 aout 2015. 36 La compétence universelle peut être définie comme un « système donnant vocation aux tribunaux de tout État sur le territoire duquel se trouve l’auteur de l’infraction pour connaitre de cette dernière et ce, quel que soit le lieu de perpétration de l’infraction et la nationalité de l’auteur ou de la victime ». LA ROSA (A-M.), Dictionnaire de droit international pénal, PUF, Paris, 1998, 118 p., p. 10. 37 En 2000, la législation belge en matière de compétence universelle était fondée sur une loi du 10 février 1999 qui couvrait les crimes de guerres, crimes contre l’humanité et le crime de génocide. La loi belge consacrait une compétence universelle in abstentia c’est-à-dire que la présence des criminels présumés sur le territoire belge n’était pas requise. C’est la nationalité belge de certains requérants qui a pu déclencher l’action contre Hissène Habré en Belgique. DE LA PRADELLE (G.), « Chapitre77, la compétence universelle », in ASCENCIO (H.), DECAUX (E.), PELLET (A.) dir., Droit international pénal, CEDIN, Pedone, Paris, 2e édition revisitée, 2012, pp. 1007-1025, p. 1014.

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prétendument commis dans l'exercice de ses fonctions; Que cette exception doit donc s'appliquer

nécessairement à la demande d'extradition »38.

A l’appui de cette extension, elle utilisa une argumentation assez étonnante se fondant sur

la décision rendue par la Cour internationale de Justice (CIJ) dans l’Affaire du Mandat d’arrêt

opposant la Belgique et la République Démocratique du Congo39. Dans cette affaire, la CIJ

avait jugé que « les fonctions d’un ministre des Affaires étrangères sont telles que, pour la

durée de sa charge, il bénéficie d’une immunité de juridiction pénale et d’une inviolabilité

totales à l’étranger »40. Cet arrêt a représenté un énorme frein à la lutte contre l’impunité et

surtout à l’effectivité de la compétence universelle. La Cour d’appel de Dakar appliqua donc

cette immunité à Hissène Habré alors même que celui-ci n’était pas dans la même situation : il

n’était plus en exercice et, par ailleurs, son immunité avait été levée par l’État tchadien à la

demande de la Belgique en 2001.

Même si elle fut infructueuse, l’action de la justice belge aura une influence décisive sur

l’émergence d’un attachement à un impératif de justice, autour du cas Hissène Habré, en

Afrique. En dépit de son refus de juger Hissène Habré ou de l’extrader vers la Belgique, l’État

sénégalais, était assez embarrassé par l’ampleur que prenait l’affaire. Il se tourna alors vers

l’Union Africaine à l’occasion du Sommet des chefs d’États et des gouvernements, le 27

novembre 2005, en lui demandant de « désigner la juridiction compétente pour juger cette

affaire ». Au nombre des principes de l’Union Africaine, figurent « le respect du caractère

sacro-saint de la vie humaine et la condamnation et le rejet de l’impunité, des assassinats

politiques, des actes de terrorisme et des activités subversives »41. L’organisation se saisit donc

de la question et mit en place un Comité d’experts auquel elle donna la mission suivante : « consider all aspects and implications of the Hissène Habré case as well as the options available for his

trial.42»

Quelques mois après, lors de la septième session ordinaire de la Conférence des Chefs

d’États et de gouvernements de l’Union Africaine à Banjul les 1er et 2 juillet 2006, la

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!38 Des extraits de l’arrêt sont disponibles sur [http://www.hrw.org/legacy/french/docs/2005/11/26/chad12091.htm] 39 CIJ., Affaire relative au Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République Démocratique du Congo c. Belgique), arrêt du 14 février 2002, CIJ Rec. 2002, p. 23, §54. 40 La Belgique – qui, aux fins des poursuites qu’elle engageait contre Abdoulaye Yerodia à l’époque Ministre des Affaires étrangères de la République démocratique du Congo, pour crime de guerre et pour crime contre l’humanité lança un mandat d’arrêt international contre lui – avait violé cette immunité. CIJ., Affaire relative au Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République Démocratique du Congo c. Belgique), arrêt du 14 février 2002, CIJ Rec. 2002, p. 30, § 70. 41 Acte constitutif de l’Union africaine, 11 juillet 2000, Article 4. 42 Cette décision intervient lors de la sixième session ordinaire de la Conférence de l’Assemblée de l’Union africaine tenue à Khartoum les 23 et 24 janvier 2006. Voy. Décision sur le procès Hissène Habré et l’Union Africaine, Assembly/AU/Dec.103 (VI), Doc.Assembly/AU/8 (VI), adoptée par la sixième session ordinaire de la Conférence de l’Union Africaine tenue Khartoum du 23 au 24 janvier 2006.

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! 9!

Conférence – en prenant soin de relever que l’Union Africaine ne disposait d’aucun organe

judiciaire en mesure d’assurer le jugement de Hissène Habré – « mandate la République du

Sénégal de poursuivre et de faire juger, au nom de l’Afrique, Hissène Habré par une juridiction

sénégalaise compétente avec les garanties d’un procès juste ». La nécessité de lutter contre

l’impunité, qui avait caractérisé l’affaire Hissène Habré, gagne avec cette décision, les plus

hautes instances du continent africain.

À partir de là, une addition d’actes en lien avec « l’affaire Hissène Habré » va petit à petit

conduire au jugement de l’ancien chef d’État sur le sol africain devant une nouvelle

juridiction : les Chambres africaines extraordinaires.

3) À la naissance des Chambres africaines extraordinaires

En 2007, le Sénégal entama une importante réforme législative et constitutionnelle43 pour

pouvoir accueillir le procès contre l’ex-dictateur tchadien conformément aux prescriptions de

l’Union Africaine. Cette réforme comprend deux volets : d’une part, elle intègre l’incrimination

des crimes internationaux au code pénal sénégalais44, et d’autre part, elle consacre le principe

de la compétence universelle dans le droit sénégalais45. Par ces modifications législatives, le

Sénégal s’est partiellement mis en conformité avec la Convention de 1984 sur la torture46, pour

autant le jugement d’Hissène Habré – devant se tenir en conséquence des obligations

conventionnelles du Sénégal – n’était pas la priorité du gouvernement d’Abdoulaye Wade. Cela

malgré le rappel qui avait été fait par le Comité contre la torture des Nations Unies le 18 mai

2006.

Pour contrer l’élan de justice qui gagnait le Sénégal, Hissène Habré saisit la Cour de

justice de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (ci-après CEDEAO),

afin qu’elle constate « l’obligation pour l’État du Sénégal de respecter les principes juridiques

qui font obstacle à la mise en œuvre de toute procédure à son encontre pour des incriminations

rattachables à la période où il était président du Tchad »47 et que le Sénégal cesse toute

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!43 Loi n°2007-02 du 12 février 2007 modifiant le code de pénal et loi n°2007-05 du 12 février 2007 modifiant le code de procédure pénale relative à la mise en œuvre du Traité de Rome instituant la Cour pénale internationale. 44 Code pénal sénégalais, Articles 431-1 à 431-6. Il s’agit des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre, du crime de génocide et autres violation du droit international humanitaire. 45 Code de procédure pénale sénégalais, Article 669. 46 Cette convention n’est pas d’applicabilité directe au sein des ordres juridiques internes puisqu’elle prévoit elle-même que les États parties doivent prendre des mesures pour intégrer ses dispositions à leur droit interne (article 4 et article 5 de la Convention). !47 Au nombre des principes juridiques revendiqués par le demandeur on trouve le respect des droits de l’homme, le principe non rétroactivité de la loi pénale, les garanties du procès juste et équitable et le principe d’égalité devant la loi et devant la justice. Il se fonde sur des conventions internationales ainsi que sur le protocole de la CEDEAO. Voy. Cour de justice de la CEDEAO, Affaire Hissein Habré c. Sénégal, arrêt n°ECW/CCJ/JUD/06/10, 18 novembre 2010.

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poursuite contre lui. La Cour rendit un arrêt le 18 novembre 201048, dans lequel elle juge qu’il

existe des « indices concordants de probabilité de la nature à porter atteinte aux droits de

l’homme de Monsieur Hissène Habré sur la base des réformes constitutionnelles et législatives

opérées par l’État du Sénégal » et « ordonne au Sénégal de respecter le principe absolu de non

bis in idem »49. Contrairement à ce qu’on pourrait penser cette décision ne mit pas fin à toute

poursuite d’Hissène Habré au Sénégal. En effet, l’intérêt essentiel de cet arrêt réside dans

l’obiter dictum que fait la Cour à la fin de son arrêt : « Dit que le mandat reçu par lui de l'Union Africaine lui confère plutôt une mission de conception et de

suggestion de toutes modalités propres à poursuivre et faire juger dans le cadre strict d'une procédure

spéciale ad hoc à caractère international telle que pratiquée en Droit International par toutes les nations

civilisées ».

C’est à la suite de cet arrêt, que sera lancée l’idée de faire juger Hissène Habré dans le

cadre d’une juridiction internationale spéciale50. En janvier 2011, l’Union africaine suivra cette

voie en demandant à la Commission de l’Union Africaine « d’entreprendre des consultations

avec le Gouvernement du Sénégal afin de finaliser les modalités pour l’organisation rapide du

procès de Hissène Habré au nom de l’Afrique »51. Même si la solution proposée par la Cour de

justice de la CEDEO a été préconisée par le Sénégal et l’Union Africaine – dans le souci du

respect de l’engagement de l’État sénégalais envers la CEDEAO – la décision de la Cour n’est

pas tout à fait cohérente. En effet, Madame Sarah WILLIAMS relève que l’institution d’un

tribunal à caractère international ne limite pas la portée du principe de non rétroactivité qui

s’applique même à une juridiction internationale52. Elle conclut donc que ce tribunal devra

donc montrer que les incriminations existaient avant les faits, notamment à l’aide de la coutume

internationale53.

Malgré cette initiative, les choses tarderont une nouvelle fois à se mettre en place. Une

ultime pression viendra de l’organe judiciaire principal des Nations Unies, la Cour

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!48 Cour de justice de la CEDEAO, Affaire Hissein Habré c. Sénégal, arrêt n°ECW/CCJ/JUD/06/10, 18 novembre 2010. 49 Pour une critique de cet arrêt, Voy., SPIGA (V.), « Non retroactivity of criminal law. A new chapter in the Hissène Habré Saga », in Journal of international criminal justice, 2011, pp. 1-19. 50 Bien avant l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO, alors que la bataille procédure était encore à ses débuts, CASSESE avait estimé que « l’affaire Habré » constituait une situation dans laquelle la création d’une juridiction pénale internationalisée serait opportune. Voy., CASSESE (A.), « The Role of Internationalized Courts and Tribunals in the Fight Against International Criminality », in Internationalized criminal courts: Sierra Leone, East Timor, Kosovo and Cambodia, Oxford University Press, Oxford, 2004, pp. 3-13. 51 SAMB (M.), « État des lieux de la justice. Réflexions sur une gouvernance en crise. » in DIOP (M-C) (Dir.), Sénégal (2000-2012). Les institutions et politiques publiques à l’épreuve d’une gouvernance libérale, Cres-Khartala, 2013, pp 348-379, p. 370. 52 WILLIAMS (S.), The extraordinary African Chambers in the Senegalese Courts, An African solution to an African problem ?, in Journal of international Criminal Justice, 11 (2013), pp. 1139-1160, p. 1159 53 Ibid.

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internationale de Justice (ci-après CIJ). Saisie le 19 février 2009 par la Belgique54 sur le

fondement de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements

cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, la Cour devait répondre aux questions

suivantes : - Est-ce que la Convention précitée contient une obligation de poursuivre

pénalement sinon d’extrader une personne visée par les articles 6 et 7 de la Convention ? - Si

oui, le Sénégal a-t-il violé cette obligation ?

En répondant à ces questions, dans un arrêt du 20 juillet 2012, la Cour internationale de

justice a eu l’occasion de préciser le contenu de l’obligation aut dedere aut judicare contenue

dans la Convention contre la torture. Dans un premier temps, la Cour constate que, le Sénégal

ayant procédé aux modifications législatives qui le mettent en conformité avec l’article 5 § 2 de

la convention avant que la Belgique ne dépose sa requête, elle n’était pas compétente pour se

prononcer sur l’obligation que contient cet article55 (§47-48). Elle indique, cependant que cette

obligation est une « condition nécessaire » pour mettre en œuvre les deux autres dispositions

litigieuses de la convention – à savoir l’article 6§2 (relatif à l’établissement d’une enquête

préliminaire et l’article 7 § 1 (relatif à la soumission de l’affaire aux autorités pénales

compétentes) (§ 75) – et que le Sénégal, en mettant tardivement en œuvre la première

obligation, a affecté l’exécution des deux autres.

Ensuite, la Cour considère que le Sénégal a manqué à son obligation découlant de

l’article 6§2 puisqu’il aurait dû procéder à une enquête préliminaire dès 2000, au moment où

les autorités sénégalaises ont eu connaissance de l’Affaire Habré et où des soupçons sur sa

responsabilité pour actes de torture ont commencé à peser sur Hissène Habré. S’agissant de

l’article 7 § 1 de la Convention – qui pose spécifiquement l’obligation « aut dedere aut

judicare »56 – la CIJ prendra le temps d’analyser son contenu avant d’indiquer si le Sénégal a

respecté ou non son application. En ce qui concerne la nature et le sens de l’obligation, la Cour

énonce que c’est bien la poursuite qui constitue le cœur de l’obligation alors que l’extradition

n’est qu’une option offerte par la Convention pour se libérer de celle-ci (§ 95). Puis elle rejette

chacune des justifications présentées par le Sénégal pour expliquer son inaction en considérant

que, pour respecter l’objet et le but du traité – celui d’accroitre l’efficacité de la lutte contre la

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!54 Dans ses conclusions finales, la Belgique demande à la Cour de juger que le Sénégal a violé les dispositions suivantes de la Convention contre la torture : article 5 § 2, parce qu’il a retardé l’intégration des crimes reprochés à Hissène Habré dans sa législation et de ce fait cela a entrainé un manquement aux articles 6 §2 et 7§1 de la Convention, car il n’y a eu de ce fait ni enquête ni poursuites à l’encontre de l’ancien président Tchadien. Voy. CIJ, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, 20 juillet 2012, Rec. 2012, p. 422, § 44. 55 L’article 5§2 de la Convention contre la torture dispose que « tout Etat partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l'auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne l'extrade pas conformément à l'article 8 vers l'un des Etats visés au paragraphe 1 du présent article. » Il s’agit de la mise en œuvre de la compétence universelle à l’égard du crime de torture. 56 Formule latine que l’on doit à l’école espagnole et plus précisément à Covarruvias et qui a été érigé en principe de la répression universelle par Grotius. MOULIER (I.) ; La compétence pénale universelle en droit international, Thèse de doctorat en droit, 2006 , Tome I, 555 p, p. 129

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torture – « les poursuites doivent être engagées sans retard » (§ 115). Par conséquent, le

Sénégal, qui n’a pas pris toutes les mesures nécessaires pour poursuivre ou extrader Hissène

Habré depuis la première plainte déposée devant ses juridictions, a également violé l’article 7§1

de la Convention contre la torture.

Pour finir, après avoir indiqué que ces violations constituaient un fait illicite à caractère

continu, la Cour avertit le Sénégal que, pour y mettre fin, il doit « prendre sans autre délai les

mesures nécessaires en vue de saisir ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action

pénale, s’il n’extrade pas M. Habré ».

Pour beaucoup cette décision marque la fin de l’impunité dans l’affaire Hissène Habré.

En réalité, elle n’a fait qu’accélérer un processus, qui trainait en longueur, mais qui était déjà en

marche avant le rendu de l’arrêt de la Cour internationale de Justice. Par ailleurs, l’arrivée d’un

nouveau gouvernement au pouvoir au Sénégal permit aussi de sortir de cette délicate situation.

Très rapidement après la décision de la CIJ, le 22 août 2012, l’Union Africaine et la

République du Sénégal signent l’acte de naissance57 des Chambres Africaines Extraordinaires,

manifestation finale du devoir de justice envers les victimes tchadiennes. À la suite de cet

accord, le Sénégal entérine l’intégration de ces chambres à son système judiciaire avec

l’adoption de la loi n°2012-29, le 28 décembre 2012. Les Chambres africaines extraordinaires

commencent officiellement à fonctionner le 8 février 2013. Vingt-cinq ans après la chute de

son régime, le jugement d’Hissène Habré a finalement lieu au Sénégal, devant une entité tout à

fait singulière. Il convient de préciser, à titre liminaire, que l’étude de ces Chambres ne prendra

pas en compte le procès qui a débuté le 20 juillet 2015.

Comme toute nouvelle entité, les Chambres africaines extraordinaires font l’objet de

nombreux questionnements. La première est de savoir si l’institution de ces Chambres répond

réellement aux prescriptions de la CIJ. Dans son opinion dissidente, la juge XUE répond à cette

question avant même la création des CAE, considérant que « même si l’Union Africaine décide

en fin de compte d’établir un tribunal spécial pour juger M. Habré, le fait que le Sénégal

remette ce dernier au dit tribunal ne saurait être considéré comme un manquement à

l’obligation que lui impose le paragraphe 1 de l’article 7, étant donné que le tribunal en

question est créé précisément pour réaliser le but et l’objet de la convention »58. Il est vrai que

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!57 Accord entre le gouvernement de la République du Sénégal et l’Union africaine portant création de Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises et Statut des chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises pour la poursuite des crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990, signé le 22 août 2012 à Dakar, entrée en vigueur le 28 décembre 2012 58 Voy., Opinion dissidente du juge Xue dans CIJ, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, 20 juillet 2012, Rec. 2012, p. 582.

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la Convention contre la torture ne précise pas que la poursuite d’un auteur présumé d’actes de

torture, doive obligatoirement se faire devant les juridictions nationales d’un État et n’interdit

pas non plus qu’elle ait lieu devant un tribunal spécial créé dans ce but.

La deuxième question que l’on peut se poser est le caractère de

« juridiction internationale » de ces Chambres africaines extraordinaires. En effet, comme elles

ont été intégrées au système judiciaire sénégalais on peut douter de leur caractère

de juridiction indépendante et qui plus est, internationale. Même si un certain nombre de

critères pourraient être examinés pour répondre à cette question59, une façon simple d’établir si

un tribunal est international est de se baser sur « la qualification de l’acte qui attribue le pouvoir

juridictionnel au tribunal »60. Ainsi, les Chambres extraordinaires africaines sont une juridiction

internationale car elles ont été créées par un accord international61. Cependant, nous verrons

que les CAE ont des particularités telles, qu’elles ne sont « ni un tribunal international

exclusivement, ni un tribunal national uniquement, mais plutôt un tribunal internationalisé et

plus encore le plus national des tribunaux internationalisés »62. Il faut noter que la question a

été tranchée par la Cour de Justice de la CEDEAO, à nouveau saisie par Hissène Habré, qui

jugea que : « les Chambres Extraordinaires Africaines, même si elles ont été créées au sein des juridictions nationales

sénégalaises n’ont pas moins un caractère international du fait de leur mode de création d’une part (Accord

international) et leurs règles de fonctionnement différentes de celles des juridictions nationales sénégalaises

(statut des Chambres), d’autre part »63.

Rationae materiae, les CAE sont compétentes à l’égard des crimes et violations graves

du droit international, de la coutume internationale et des conventions internationales ratifiées

par le Tchad64. Sur cette base, l’article 3 du Statut donne la faculté aux chambres de ne

poursuivre que les crimes les plus graves relevant de leur compétence. Ces crimes sont d’après

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!59 KOLB (R.), « Le degré d’internationalisation des TPI », in ASCENCIO (H.), LAMBERT-ABDELGAWAD (E.), SOREL (J-M.) (Dir.), Les juridictions pénales internationalisées (Cambodge, Kosovo, Sierra Leone, Timor Leste), Société de législation comparée, Paris, Unité mixte de recherche de droit comparé de Paris, Vol. 10, 2006, pp. 47-68. 60 KERBRAT (Y.), « Les conflits entre les tribunaux pénaux hybrides et les autres juridictions répressives (nationales et internationales) », in ASCENCIO (H.), LAMBERT-ABDELGAWAD (E.), SOREL (J-M.) (Dir.), op.cit., pp 189-209, p. 191. 61 Dans son Dictionnaire de droit international public, le professeur Jean SALMON présente une définition large du traité comme étant « tout accord conclu entre deux ou plusieurs sujets du droit international, destiné à produire des effets de droit et régi par le droit international ». Il apporte une précision à cette définition en citant l’article 2 de la Convention de Vienne sur le droit des traités entres États et organisations internationales ou entre organisations internationales qui dispose que l’expression traité s’entend d’un accord international régir par le droit international entre un ou plusieurs États et une ou plusieurs organisations internationales ». SALMON (J.) (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2001, XLI-1198 p., pp. 1088-1089. Le traité instituant les CAE est bien un traité international conclu entre un État (le Sénégal)et une organisation internationale (l’UA). 62 SAVADOGO (R. O.), « Les chambres africaines extraordinaire au sein des tribunaux sénégalais : quoi de si extraordinaires ? » in Revue Études Internationales, Vol. XLV, N°1, mars 2014, pp. 105-128. 63 Cour de justice de la CEDAO, Affaire Hissène Habré contre République du Sénégal, arrêt n° ECW/CCJ/RUL/05/13 du 5 novembre 2013. 64 Statut des Chambres africaines extraordinaires, Article 3.

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l’article 4 du Statut : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et

la torture. Pour ce qui est de la compétence ratione temporis, l’article 3 du Statut vise les

crimes et violations commis entre le 7 juin 1982 et le 1er décembre 1990, ce qui correspond aux

dates où Hissène Habré était au pouvoir au Tchad. Par ailleurs, la compétence ratione loci vise

uniquement les actes qui ont lieu au Tchad. En ce qui concerne, la compétence ratione

personae, l’article 10 du Statut des CAE dispose que les chambres sont compétentes à l’égard

des personnes physiques qu’elles soient auteurs ou complices sans prise en compte de leur

qualité officielle.

La naissance des Chambres africaines extraordinaires fascine et interroge 65 , nous

pouvons, cependant, nous demander si cette nouvelle juridiction présente un intérêt autre que

celui d’avoir mis fin à un « interminable feuilleton politico-judiciaire »66. Nous tenterons de

démontrer que la création des CAE a, en fait, ranimer de nombreuses interrogations sur le

développement de la justice pénale internationale.

Tout au long de ce mémoire, il conviendra donc de répondre à la question suivante : quels

sont les enjeux de cette nouvelle juridiction pénale internationale créée en Afrique, pour la

justice pénale internationale ?

En raison de leur objet, les Chambres africaines extraordinaires relèvent le nombre des

juridictions pénales internationales et se présentent comme une nouvelle composante de la

justice pénale internationale (Partie 1). Si au moment de leur institution, elles n’ont pas stimulé

l’intérêt de la communauté internationale, leur retentissement sur le continent africain a été

considérable. En effet, qualifiées de « révolution67 » ou encore de « nouveau départ »68 pour

l’Afrique, les CAE en plus d’être inédite, inspirent un réel espoir pour l’avenir de la justice

pénale en Afrique (Partie 2).

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!65 Le professeur William A. SCHABAS décrit la création des CAE comme « the establishment of something that must be without precedent in the annals of international criminal law and, indeed, in the annals of law: a national tribunal created by one State with exclusive jurisdiction over acts perpetrated in another State ». SCHABAS (W. A.), « Senegal’s Chambres africaines extraordinaires to judge Habré », en ligne le 5 février 2013 sur [http://humanrightsdoctorate.blogspot.fr/2013/02/senegals-chambres-africaines.html] (consulté le 07 juillet 2015). 66 Expression désormais célèbre empruntée à l’archevêque Desmond Tutu qui avait qualifié ainsi la procédure de l’affaire Hissène Habré. 67 RCN Justice et Démocratie, « Sensibiliser sur les Chambres africaines extraordinaires », Bulletin n° 46, Décembre 2014, 32p, disponible sur [ www.forumchambresafricaines.org ] 68 SANE (P.), « L’Afrique et le temps de la justice », en ligne le 23 aout 2013 sur [http://www.chambresafricaines.org/] (consulté le 2 juin 2015).

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PREMIÈRE PARTIE : LES CHAMBRES AFRICAINES

EXTRAORDINAIRES, NOUVELLE COMPOSANTE DE LA

JUSTICE PÉNALE INTERNATIONALE

Le professeur Salvatore ZAPPALÀ présente la justice internationale comme étant

« l’ensemble de règles et d’institutions qui disciplinent et organisent la punition des individus

responsables de grave violations du droit international » 69 . Les Chambres africaines

extraordinaires ont été créées pour poursuivre des auteurs présumés des crimes et des violations

du droit international. Elles alimentent donc l’aspect institutionnel de la justice pénale

internationale. Pour déterminer de quelle manière les CAE s’intègrent à celle-ci, il faut d’abord

s’interroger sur la place qu’elles occupent parmi les juridictions pénales internationales

(Chapitre 1) avant d’en présenter les caractéristiques propres (Chapitre 2).

Chapitre 1er : La place des Chambres africaines extraordinaires parmi les

juridictions internationales pénales

Les Chambres africaines extraordinaires sont la douzième juridiction pénale à être créée

depuis 1945. Il convient donc dans une première partie, d’étudier leur naissance à l’aune de la

juridictionnalisation du droit pénal international (Section 1). Nous étudierons ensuite la

catégorie spécifique à laquelle semble appartenir les Chambres africaines extraordinaires : les

juridictions pénales internationalisées (Section 2).

Section I. Le phénomène de juridictionnalisation en droit pénal international

Bien qu’il s’inscrive dans un mouvement général de juridictionnalisation du droit

international, « le droit pénal international apparaît de nos jours comme une terre de

prédilection pour la création de nouvelles juridictions internationales »70 (§1). Pour illustrer ce

phénomène, il conviendra de présenter l’ensemble de ces juridictions pénales internationales

(§2).

§ 1. Une matière favorable à la création de juridictions internationales

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!69 ZAPPALÀ (S.), La justice pénale internationale, Montchrestien, Collection Clefs politique, Paris, 2007, 154 p., 7 70 KARAGIANNIS (S.), « La multiplication des juridictions internationales dans un système archaïque », in SFDI, Colloque de Lille, La juridictionnalisation du droit international, Pedone, Paris, 2003 pp. 7-163, p. 59

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Selon le professeur Serge SUR, la constitution de juridictions internationales pénales –

« qui peuvent juger et condamner des individus en vertu d’incriminations résultant de normes

internationales, suivant des procédure internationales » – est la troisième et dernière étape de

l’internationalisation du droit pénal71. En même temps qu’il relève en cela un progrès du droit

international72, il dénonce l’échec que cela implique. En effet, si des juridictions internationales

pénales sont créées cela indique l’inaptitude du droit international à prévenir les crimes

poursuivis par ces juridictions. Il adresse une critique ferme à cette évolution du droit

international puisqu’il considère « la promotion des juridictions internationales pénales »

comme une « contrepartie d’un droit international de l’impuissance, qui ne peut qu’enregistrer,

déplorer et condamner les comportements criminels qui sapent ses bases mêmes »73.

L’actualité et les atrocités qui continuent à être perpétrées dans le monde nous montrent

que les propos du professeur Serge SUR sont d’une grande justesse. Néanmoins, malgré le

malaise qu’elle renferme, la juridictionnalisation du droit pénal international reste un

phénomène incontournable. L’existence des Chambres africaines extraordinaires en est la

preuve. Il convient alors d’envisager « le jugement des auteurs des violations par une

juridiction internationale » comme un « palliatif permettant au besoin élémentaire de justice des

victimes et, par l’exemplarité dissuasive des jugements rendus, de contribuer à la cessation des

violations »74.

S’il comporte évidemment un volet préventif, le droit pénal comporte également un

élément répressif75. Celui-ci oblige à poursuivre les violations des prescriptions qu’il contient.

Cela n’échappe pas au droit pénal international. Le fait qu’il concerne un plus vaste et

douloureux objet ne le prive pas de cette dimension répressive, bien au contraire. Le droit

international pénal s’est développé au fur et à mesure que la société internationale a créé des

normes juridiques pour affirmer que certains comportements sont des « crimes internationaux »

et pour organiser le châtiment de ceux qui les commettent »76. La création de juridictions

internationales est donc la conséquence logique de l’établissement de crimes internationaux

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!71 SUR (S.), « Le droit international pénal entre l’État et la société internationale », in HENZELIN (M.), ROTH (R.) (Ed.), Le droit pénal à l’épreuve de l’internationalisation, Paris, Bruxelles, Genève, L.G.D.J, Bruylant, Georg, 2002, pp. 49-68. Il précise même que c’est cette étape est décisive puisqu’elle marque le passage du normatif à l’institutionnel. 72 Le professeur Serge SUR considère qu’en apparence « le progrès du droit international est indiscutable » d’un point de vue technique et éthique. SERGE (S), ibid., p. 2 (selon la pagination du document en ligne). 73 Ibid, p.3. 74 JOINET (L.) (Dir.), Lutter contre l’impunité. Dix questions pour comprendre et pour agir, La découverte, Collection Sur le vif, Paris, 2002, 144 p., p. 49 75 Le droit pénal international est défini comme l’ensemble des règles gouvernant l’incrimination et la répression des infractions qui soit présentent un élément d’extranéité soit sont d’origines internationales. SALMON (J.) (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, XLI-1198 p., p. 391. 76 ZAPPALÀ (S.), La justice pénale internationale, Montchrestien, Clefs politique, Paris, 2007, 154 p., p 7.

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dont il faut punir la commission. Toutefois, les relations entre la définition de crimes

internationaux et la création de juridictions pénales internationales ne sont pas aussi simples.

En effet, ces incriminations ne précèdent pas forcément l’institution de juridictions pénales

internationales puisque certains crimes sont érigés et définis dans le statut même de la

juridiction instituée77. Pour autant, la répression reste l’essence des juridictions pénales

internationales.

Au-delà de l’explication inhérente à la matière juridique, le développement des

juridictions pénales internationales est également lié aux rapports entre les ordres juridiques

nationaux et l’ordre juridique international. La seule existence de crimes internationaux

n’exigeait pas la création de juridictions internationales puisque le droit pénal étant une matière

purement étatique, la poursuite de leurs auteurs présumés aurait pu rester à la charge des

tribunaux nationaux78 . D’autant plus que la responsabilité pénale internationale est une

responsabilité individuelle qui ne vise pas les États79. Cette solution se heurtait, toutefois, à

deux difficultés : d’une part, « la complexité de la sphère d’activité où l’on intervient et le fait

d’enquêter ou de mener des poursuites pénales contre des représentant de l’État »80 et d’autre

part, c’est après la perpétration de crimes jugés atroces que l’on a pensé la responsabilité pénale

internationale telle qu’elle existe aujourd’hui – en particulier après les deux guerres mondiales

– c’est-à-dire dans un contexte où le cadre étatique était largement dépassé par l’ampleur de ces

crimes. Les juridictions pénales internationales existent donc aussi pour « dépasser la justice

pénale nationale »81. Effectivement de nombreuses raisons rendent difficiles voire impossible la

poursuite de crimes internationaux par les tribunaux étatiques : défaillance du système

juridique, carence législative (en ce qui concerne l’incrimination par exemple), manque de

moyens, refus politiques, etc. Par ailleurs, cet état de fait explique les rapports entre justice

nationale et justice pénale internationale. Soit les juridictions pénales internationales sont

créées pour prendre en charge une situation pour laquelle elles écartent les juridictions

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!77 Le crime d’agression qui est l’un des principaux crimes relevant de la compétence de la cour pénale internationale en est une illustration. Le terme est employé pour la première fois dans le Statut de Rome et aucun autre instrument conventionnel ne le prévoit ou ne précise son contenu .Par ailleurs, le crime est longtemps resté indéfini ne Article 5 du Statut de la Cour pénale internationale. 78 D’après les professeurs Patrick DAILLIER, Mathias FORTEAU et Alain PELLET, la faculté de punir est vu par les Etats comme un « attribut de la souveraineté ». DAILLIER (P.), FORTEAU (M.), PELLET (A.), Droit international public, Paris, LGDJ, 8ème éd., 2009, 1709 p., p. 794. 79 Toutefois, il existe une réflexion sur le développement du droit pénal international et sur les perspectives d’une responsabilité pénale internationale des Etats. Voy. la thèse de QUIRICO (O.), « Réflexions sur le système du droit international pénal – La responsabilité ‘pénale’ des Etat et des autres personnes morales par rapport à celle des personnes physiques en droit international », Thèse de doctorat en Droit, Université des sciences sociales Toulouse I, Faculté de droit, Toulouse, 2005, 881 p. 80 ZAPPALÀ (S.), op. cit., p. 8 : Les crimes internationaux du fait de leur ampleur sont le plus souvent commis ou organisés au plus haut niveau de l’État. A l’époque, permettre à un juge national de juger les hauts responsables d’un autre État posait problème par rapport à la souveraineté et l’indépendance des États. En effet, selon le Pr. ZAPPALÀ « Intenter un procès pour crimes internationaux n’est jamais une tâche aisée, ni une décision aux conséquences purement juridiques et judiciaires. 81 Ibid.

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nationales, soit elles vont exercer leur compétence en complémentarité de celles des

juridictions nationales.

Dès lors, l’institution de juridictions pénales internationales peut s’avérer indispensable

selon que la situation l’exige ou non. Le premier contexte de créations des juridictions pénales

internationales a été l’amplitude des crimes commis pendant la Seconde Guerre Mondiale, au

terme de laquelle des tribunaux militaires ont été institués pour juger les criminels de guerre.

Dans le cadre de conflits armés au cours desquels ont eu lieu de graves violations du droit

international, de nouvelles juridictions pénales internationales – appelées « tribunaux pénaux

internationaux ad hoc » – sont créées dans le but de juger ces violations et par là rétablir la

paix. Ces conflits marquent la première utilisation par le Conseil de sécurité des Nations Unies

des pouvoirs qui lui sont conférés par le Chapitre VII de la Charte de l’Organisation des

Nations Unies (communément appelée ONU) pour instituer des juridictions internationales.

L’instrument juridictionnel en vue de rétablir la paix sera à nouveau employé avec la mise en

place d’un nouveau type de juridictions pénales à la fois nationales et internationales. C’est

cette nouvelle forme de juridiction qui va en grande partie contribuer à la juridictionnalisation

du droit pénal international. Elle va suivre l’évolution de la justice pénale internationale

dont « la ‘machine’ allait s’emballer dans diverses directions »82. En effet, celle-ci n’aura plus

pour seule raison d’être le rétablissement de la paix, mais également des objectifs de lutte

contre le terrorisme, d’administration de la justice, et de lutte contre l’impunité des dirigeants

de régimes dictatoriaux. Ce développement va amener à la création de la Cour pénale

internationale (communément appelée CPI) – première et unique juridiction pénale

internationale permanente – poussée par différents acteurs de la société civile83 désireux d’une

justice internationale plus stable. Il est cependant intéressant de constater que l’institution de la

CPI, même si elle a constitué une avancée majeure, n’a pas empêché l’essor des autres formes

de juridictions internationales. Ce que nous montre la naissance des Chambres africaines

extraordinaires dix ans après celle de la CPI84.

Entre une justice plus ancrée bien que rigide, et une justice flexible et proche des peuples,

l’apparition de juridictions pénales internationales n’est que le reflet du caractère mouvant du

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!82 SOREL (J-M.), « Les tribunaux pénaux internationaux Ombre et lumière d’une récente grande ambition », in Revue Tiers Monde, n° 205, 2011/1, pp. 29-46, p. 30. 83 Cette évolution a, en grande partie, été inspirée par le combat des victimes et familles en Amérique latine où l’utilisation systématique de lois d’amnistie avait rendu impossible la poursuite des auteurs de violations des droits de l’homme. Voy., JOINET (L.) (Dir.), op. cit., pp. 15-16. 84 À noter que d’autres juridictions pénales internationales ont vu le jour durant cette période.

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droit pénal international qui s’adapte à la société internationale. Il convient maintenant de

présenter chacune de ces juridictions.

§ 2. Panorama des juridictions pénales internationales

La juridictionnalisation du droit pénal international est un phénomène récent car c’est à

partir de la seconde guerre mondiale que débute la prolifération des juridictions pénales

internationales. Néanmoins, dès 1872, au sein de l’association Croix Rouge est évoquée « la

perspective d’une juridiction universelle, en réaction à la cruauté des crimes commis pendant le

conflit franco-prussien » 85 . On peut dénoter quatre grands mouvements de création de

juridictions pénales internationales. Les deux premiers concernent la création des tribunaux

militaires internationaux puis des tribunaux pénaux internationaux pour la Yougoslavie et le

Rwanda. Le troisième est celui de l’institution de la Cour pénale internationale. Enfin, la

dernière vague de création est celle des juridictions pénales internationalisées. L’apparition de

ces juridictions n’intervient pas dans un ordre strictement chronologique, d’autant plus que la

plupart des faits qui sont jugés par elles ont eu lieu à des époques équivalentes. Par ailleurs,

même les travaux et négociations qui vont mener à leur création ont pu se chevaucher dans le

temps, notamment en ce qui concerne les deux derniers mouvements.

Au cours de la Seconde Guerre Mondiale, la question du jugement des criminels de

guerre est très rapidement soulevée et donne lieu à des prises de positions très diverses et

tranchées86. Dès 1943, la Déclaration de Moscou met en avant la nécessité de punir les

criminels de guerre. La Conférence de Yalta du 4 au 11 février 1945, qui se tient peu après la

libération du camp d’Auschwitz, reprendra cet impératif, lequel sera réitéré dans la Déclaration

de Postdam du 26 juillet 1945. Après de longues négociations à propos des modalités du

procès, l’Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des

puissances européennes de l’Axe sera conclu à Londres le 8 août 1945. Le statut du premier

tribunal international militaire sera établi en même temps que cet accord. Le mandat de ce

tribunal – appelé Tribunal militaire international de Nuremberg en raison de sa localisation en

Allemagne – est fixé par l’Article 6 de son statut. Un an après, un autre tribunal militaire verra

le jour lors de la Conférence de Moscou avec la Déclaration du 19 janvier 1946 : le Tribunal

militaire international pour l’Extrême-Orient (aussi appelé Tribunal militaire international de

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!85 BERNARD (A.), BONNEAU (K.), « Chapitre 9 – Punir, dissuader, réparer. Quelle justice pénale internationale », in DEVIN (G.), Faire la paix, Collection « Références, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P), 2009, pp. 241-266, p. 243. 86 Les positions divergeaient entre une arrestation et une exécution pure et simple des principaux responsables nazis (position anglaise) ou la tenue d’un procès avec toutes les garanties nécessaires (position américaine). Voy., ZAPPALÀ (S.), op. cit., pp. 56-57

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Tokyo). Ces deux tribunaux militaires ont un fonctionnement similaire : une compétence limité

dans le temps et l’espace et visant les principaux responsables des deux grands perdants de la

guerre (Allemagne et Japon), une composition de juges des États vainqueurs, une base de

jugement fondée sur trois catégories de crimes (crime contre la paix, crimes de guerre, crimes

contre l’humanité). Ces deux tribunaux marqueront énormément le droit pénal international non

seulement parce qu’ils constituent un point de départ dans le développement de la justice

internationale mais également car ils vont donner lieu à de nombreuses réflexions sur des

aspects techniques du droit pénal international (imprescriptibilité, non-rétroactivité de la loi,

définition des crimes internationaux, etc.).

La deuxième génération de juridictions pénales internationales va également laisser une

empreinte importante sur le droit pénal international. Il s’agit des tribunaux Pénaux

internationaux pour l’ex-Yougoslavie (ci-après TPIY) et pour le Rwanda (ci-après TPIR). Ils

ont tous les deux fait l’objet d’une création originale par résolutions du Conseil de sécurité des

Nations Unies87 prises sur le fondement du Chapitre VII de la Charte de l’ONU. Le statut du

TPIY sera adopté le 27 mai 1993 par la résolution 808 du Conseil de sécurité et celui du TPIR

par la résolution 955 du 8 novembre 1994. Là encore, il s’agit de tribunaux « ad hoc » c’est à

dire qu’ils sont créés uniquement pour régir une situation particulière dont dépend leur mandat

et leur existence. Pour ces deux tribunaux, cette situation fait référence aux graves violations du

droit international, plus particulièrement, du droit international humanitaire commis sur le

territoire de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda à l’occasion de conflits armés très destructeurs

pour les populations. Outre le crime contre l’humanité88, ces deux juridictions ont compétence

pour poursuivre le crime de génocide89, les violations aux conventions de Genève90, et

violations des lois et coutumes de la guerre91. La jurisprudence de ces tribunaux pénaux

internationaux aura un impact indéniable sur le droit pénal international notamment en ce qui

concerne la définition et qualification des crimes internationaux. Le cas du Rwanda est

particulièrement intéressant par rapport aux Chambres africaines extraordinaires, car ce fut la

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!87 D’une part, la décision de créer ces tribunaux et d’autre part l’adoption de leur statut sont passées par la voie de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est une voie nouvelle qui a donné lieu à de nombreuses critiques notamment quant à la compétence du Conseil de sécurité pour prendre de telles résolutions par rapport à ce que prévoit la Charte des Nations Unies. Cette question sera étonnamment tranchée par les juridictions elles-mêmes. Voy. TPIY, Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, Affaire Dusko Tadic, 2 octobre 1995, IT-94-1-AR-72. 88 Article 3 du Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda et Article 5 du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. 89 Article 2 du Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda et Article 3 du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. 90Article 2 du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. En ce qui concerne, le TPIR, son statut vise uniquement les Violations de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II (Article 4 du Statut). 91 Ce champ de compétence ne concerne que le TPIY. Article 3 du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

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toute première juridiction internationale créée sur le continent à la suite de violations massives

des droits de l’homme. Par ailleurs, il avait même été proposé à l’Union africaine d’accueillir le

procès d’Hissène Habré au Rwanda, mais cette proposition fut rejetée par l’organisation

régionale.

Ces juridictions temporaires ont également eu une influence décisive pour l’institution

d’une juridiction internationale pénale permanente : la Cour pénale internationale. Instituée, le

17 juillet 1998 par le Traité de Rome – qui correspond à son Statut – la CPI est compétente

pour poursuivre les personnes physiques majeures accusées d’avoir commis des crimes

internationaux relevant de la compétence de la Cour. Ces crimes sont les crimes contre

l’humanité, les crimes de guerre, le crime de génocide et le crime d’agression (Article 5 du

Statut de la CPI). La compétence de la Cour vise les faits commis après l’entrée en vigueur de

son Statut, le 1er juillet 2002 (article 11 du Statut de la CPI). Une limite très forte à l’action de

la CPI est son caractère « complémentaire » par rapport aux juridictions pénales internationales

(Article 1 du Statut). Son champ de compétence est aussi limité par le fait que les crimes

doivent soit avoir été commis sur le territoire, soit par un ressortissant d’un Etat partie à son

Statut ou ayant reconnu la compétence de la Cour (Article 12 du Statut de la CPI). Néanmoins,

la Cour peut être compétente pour des faits se situant en dehors de ces deux cas si elle est saisie

par le Conseil de sécurité en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. La création

de la Cour pénale internationale représente une des plus importantes étapes du développement

de la justice pénale internationale. Toutefois, son évolution dans un contexte politique très fort

altère l’effet attendu de cette création par les membres de la société civile. Nous étudierons, par

la suite, la manière dont le fonctionnement de la CPI influence ou non l’avenir de la justice

pénale internationale.

L’expérience des tribunaux pénaux ad hoc ont eu un autre apport sur la

juridictionnalisation du droit pénal international en ce qui concerne leur mode de création. Ils

ont ouvert la voie à la création de plusieurs juridictions pénales internationales ayant fait

intervenir l’Organisation des Nations Unies. Ces juridictions ne suivront pas la forme des

tribunaux ad hoc et se présentent sous un nouveau genre que l’on appelle« tribunaux pénaux

internationalisés »92 (ci-après TPI). Ils ont la particularité d’être hybrides c’est-à-dire de

posséder à la fois des éléments de juridictions nationales mais aussi de juridictions

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!92 Ils sont qualifiés ainsi en ce qu’ils sont « crées sur la base d’un accord ou d’un acte international et empruntent largement au droit intrne de l’État concerné, tout en étant internationalisés par leur personnel, leur fonctionnement, et les catégories de crimes visés ». SOREL (J-M), « Chapitre 63- Tribunaux mixtes ou hybrides », in ASCENCIO (H.), DECAUX (E.), PELLET (A.) (Dir.), Droit international pénal, CEDIN, Pedone, Paris, 2e édition revisitée, 2012, pp. 825-843, p. 825.

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internationales. Avant l’institution des CAE, ces tribunaux étaient au nombre de six avec la

même particularité de faire l’objet d’une « création sur-mesure.93 »

Deux d’entre eux ont été créés dans le contexte de territoire sous administration des

Nations Unies dans le cadre d’opérations de maintien de la paix. Il s’agit premièrement, des

Chambres spéciales créées par l’Administration Transitoire des Nations Unies au Timor

Oriental (ATNUTO)94 pour juger les responsables de crimes graves commis entre le 1er janvier

et le 25 octobre 1999. Le second se présente sous la forme de nomination de juges et procureurs

internationaux au sein de panels intégrés au système judiciaire local, par la Mission

d'administration Intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) 95. Ce système – connu le

nom de « Panel requête 64 » ou « chambres 64 » – a été institué en complément de l’activité du

TPIY pour juger les responsables présumés de violations du droit international commises

durant le conflit qui a ravagé l’ex-Yougoslavie. Ces deux juridictions hybrides ont été mises en

place à la fois pour éviter la création d’une juridiction totalement nouvelle, à l’image des

tribunaux pénaux ad-hoc et également pour garantir une justice conforme aux principes et

garanties procédurales96.

Le Tribunal Pénal Spécial pour la Sierra Leone (ci-après TPSSL) qui est né d’un accord

entre les Nations Unies et le gouvernement sierra-léonais97, pour « juger les personnes qui

portent la plus lourde responsabilité des violations avec du droit international humanitaire et du

droit sierra-léonais commis sur le territoire de la Sierra Leone depuis le 30 novembre 1996 »98.

Le quatrième TPI a aussi été créé après sollicitation par gouvernement de l’aide des

Nations Unies pour mettre en place un tribunal spécial. Ainsi, en 1997, l’État du Cambodge fit

appel à l’ONU pour le jugement des Khmers Rouges, mouvement politique ayant imposé une

dictature sévère au Cambodge entre 1975 et 1979. Les Chambres extraordinaires au sein des

tribunaux cambodgiens (ci-après CETC) chargées de la « poursuite des crimes commis durant

la période du Kampuchéa démocratique » sont établies par une loi adoptée par l’Assemblée

Nationale cambodgienne le 2 janvier 2001. Cette loi a été adoptée par anticipation en raison des

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!93 PAZARTIS (P.), « Tribunaux pénaux internationalisés : une nouvelle approche de la justice pénale internationale », AFDI, vol 49, 2003, pp. 641-661, p. 643. 94 Créée par le Résolution 1272 (1999) du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour l’administration du Timor oriental (aujourd’hui Timor-Leste) jusqu’à son indépendance dont la perspective avait donné lieu à des actes de violences de la part de milices défavorables à celle-ci et soutenues par l’État indonésien. 95 Dans le cas du Kosovo, la MINUK s’est vu confier par la résolution 1244 du 19 juin 1999 du Conseil de sécurité de l’ONU, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire pour administrer le territoire du Kosovo et sa population. 96 Il s’agit plus largement de l’idée générale de toutes les juridictions pénales internationalisées. Voy. ASCENCIO (H.), LAMBERT-ABDELGAWAD (E.), SOREL (J-M.) (Dir.), Les juridictions pénales internationalisées (Cambodge, Kosovo, Sierra Leone, Timor Leste), Société de législation comparée, Paris, Unité mixte de recherche de droit comparé de Paris, Vol. 10, 2006, 383 p ; PAZARTIS (P.), « Tribunaux pénaux internationalisés : une nouvelle approche de la justice pénale internationale », AFDI, vol 49, 2003, pp. 641-661. 97 Cet accord fait suite à une proposition adressée aux membres du Conseil de sécurité par le gouvernement sierra-léonais le 10 août 2000 pour la création d’un « tribunal international » suite aux graves violations du droit international commises durant la longue guerre civile qui avait secoué le pays. Le Conseil de sécurité prend acte de cette proposition dans sa résolution 1315 (2000) du 14 août 2000 qui précède l’accord en date du 16 janvier 2002. 98 Statut du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone, 16 janvier 2002, Article Premier.

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difficultés à mettre au point un accord entre le gouvernement cambodgien et l’ONU pour la

mise en place du tribunal spécial. Un accord a finalement été signé le 6 juin 2003 et la loi de

2001 a été promulguée et amendée à travers une autre loi, celle du 27 octobre 2004

(NS/RKM/1004/006)99.

Les deux derniers TPI à avoir vu le jour sont très différents des précédents notamment en

ce qui concerne les raisons de leur création. Tout d’abord, une Chambre spéciale pour crimes

de guerre du Tribunal d’État de Bosnie-Herzégovine a été constituée pour désengorger le

Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie qui n’a finalement pu juger que les

principaux auteurs des violations graves du droit humanitaire commises sur le territoire de l’ex-

Yougoslavie contrairement à ce que prévoyait l’article 1er de son statut – qui visait largement

« les personnes » responsables. Cette création fait suite à la résolution 1503 (2003) et 1534

(2004) du Conseil de sécurité qui demandait aux tribunaux nationaux d’aider le TPIY dans sa

mission de juger les criminels de guerre. Cette chambre n’est pas directement rattachée aux

Nations Unies puisqu’elle a été créée sur la base des contributions volontaires de pays

donateurs. Inaugurée le 9 mars 2005, elle a compétence pour poursuivre les responsables

intermédiaires de crimes de guerre. Enfin, le dernier TPI existant avant la naissance des CAE

est le Tribunal Spécial pour le Liban (TLS), créé par la résolution 1757 (2007) du Conseil de

sécurité. Il s’agit du plus orignal des TPI en raison de son champ de compétence qui vise « les

personnes responsables de l’attentat du 14 février 2005 qui a entrainé la mort de l’ancien

Premier Ministre libanais Rafic Hariri et d’autres personnes et causé des blessures à d’autres

personnes »100. Il est également compétent pour les attentats terroristes survenus au Liban entre

le 1er octobre 2004 et le 12 décembre 2005, s’il estime qu’ils ont un lien avec l’attentat du 14

février 2005. C’est le premier tribunal spécial international qui fonde sa compétence sur des

actes terroristes. Il a été inauguré le 1er mars 2009 à La Haye, c’est donc également le premier

TPI à siéger en dehors du lieu où ont été commis les faits qu’il est en charge de juger.

Le professeur Jean-Marc Sorel indique que cette liste des TPI « n’a rien de définitive

puisque la formule de l’hybridité pourrait encore être retenue à l’avenir pour des situations

particulières ne pouvant notamment entrer dans le champ de compétence de la Cour pénale

internationale »101. Les Chambres africaines extraordinaires pourraient bien illustrer cette

affirmation et élargir la liste des tribunaux pénaux internationalisés.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!99 Loi sur la création des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, avec inclusion d’amendements, promulguée le 27 octobre 2004. 100 Statut du tribunal spécial pour le Liban, Article premier 101 SOREL (J-M.), « Chapitre 63- Tribunaux mixtes ou hybrides », in ASCENCIO (H.), DECAUX (E.), PELLET (A.) (Dir.), Droit international pénal, CEDIN, Pedone, Paris, 2e édition revisitée, 2012, pp. 825-843

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Section II. Les Chambres africaines extraordinaires et les juridictions pénales

internationalisées

Les tribunaux pénaux internationalisés méritent qu’on s’y attarde du fait de leur

développement et leur importance croissante dans la sphère du droit pénal international. Nous

nous permettons d’affirmer que même si elles se présentent comme de simples expériences, ces

TPI composent aujourd’hui une catégorie de juridictions internationales à part entière (§ 1). Il

conviendra ensuite de déterminer l’appartenance des CAE à cette catégorie à partir des critères

d’identification qui auront été relevés (§2).

§ 1. D’une simple expérience à une catégorie à part entière de juridictions

internationales

Les TPI ne constituent pas une catégorie juridique puisqu’aucun instrument de droit

positif ne les définit ni ne les pose comme formant une telle catégorie. C’est en fait une notion

doctrinale qui est née de la volonté de certains juristes d’appréhender un phénomène important

et loin d’être isolé. La doctrine s’est donc attelée à définir et poser des critères permettant

d’identifier les tribunaux pénaux internationalisés (A). L’étude de l’intérêt de ces tribunaux

permettra de saisir l’ampleur de ce phénomène et son impact sur la justice pénale internationale

(B).

A. Critères d’identification des tribunaux pénaux internationalisés

Une « catégorie » au sens non juridique du terme est une « classe à l’intérieur de laquelle

sont placés selon des critères sémantiques ou grammatical aux, les éléments d’un

vocabulaire »102. Pour envisager les TPI comme formant une catégorie, il faut donc déterminer

quels sont les critères permettant à une entité d’y appartenir.

Prenons tout d’abord la définition posée par Antonio CASSESE qui définit les tribunaux

mixtes ou internationalisés comme des « organes judicaires de composition mixte comprenant

des juges internationaux et des juges ayant la nationalité de l’État où le procès a eu lieu »103 .

Est-ce que cette définition suffit à établir une catégorie « tribunaux pénaux internationalisés » ?

On y dénote un certain nombre de critères : l’existence d’un organe judiciaire, la composition

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!102 Le Grand Robert de la langue française, Dictionnaires le Robert, Paris, 2e édition, 2001, p. 2001 103 Citée par le professeur P. PAZARTIS dans PAZARTIS (P.), op.cit., p. 643

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mixte de juges internationaux et de juges de l’État où le procès a lieu. Ces critères permettent

effectivement d’établir que tous les tribunaux cités précédemment à l’exception du TSL sont

des tribunaux pénaux internationalisés. En effet, celui-ci ne comporte pas de juge ayant la

nationalité des Pays-Bas alors qu’il s’agit de l’État où le procès a lieu. Nous pourrions nous

arrêter là et considérer que le TSL n’appartient tout simplement pas à la catégorie des TPI, mais

la complexité de la notion de TPI nous pousse à rechercher d’autres critères permettant

d’englober tous les tribunaux précédemment cités. En effet, la grande difficulté avec les TPI,

provient du fait que l’élément qui les caractérise le plus, est justement leur absence d’unité et

même leur « ad-hocisme »104.

Le professeur P. PAZARTIS ajoute deux éléments à cette définition : le fait que le

tribunal siège sur le territoire duquel les faits se sont déroulés et sa compétence pour réprimer

des crimes définis à la fois par le droit national et le droit international105. À partir de là il classe

les tribunaux en fonction de leurs similitudes et distingue ainsi les tribunaux internationaux

nationalisés et les tribunaux nationaux internationalisés. Cette différence fait renvoie aux

degrés d’internationalisation des TPI : si le tribunal est établi en dehors du système judiciaire

national, il s’agit d’un tribunal international nationalisé (TPSSL) et s’il est inséré dans le

système judiciaire national c’est un tribunal national internationalisé (CETC, Chambres

spéciales du Timor Oriental, Panel requête 64 du Kosovo et Chambre spéciale pour les crimes

de guerre de Bosnie-Herzégovine). Une nouvelle fois, ces critères ne prennent pas en compte la

particularité du TSL qui ne siège pas sur le territoire de l’État où les faits se sont déroulés.

Les traits communs posés par le professeur Robert KOLB semblent rectifier ce défaut106.

Il relève : la nature d’un tribunal exerçant une fonction judiciaire en matière répressive, le rôle

des Nations Unies dans l’établissement du tribunal, la nature mixte ou hybride, l’alliance

d’éléments de droit interne et de droit international pour la composition, le mandat et les crimes

sous sa compétence et la procédure et enfin leur caractère temporaire. Ces cinq critères sont

suffisamment larges pour envelopper toutes les juridictions pénales internationalisées citées

précédemment, même le Tribunal spécial pour le Liban. Ainsi, ces cinq critères attestent

l’existence d’une catégorie « tribunaux pénaux internationalisés » assez large. Nous verrons

ultérieurement si ces critères sont suffisamment vastes pour englober les Chambres africaines

extraordinaires et toutes les juridictions qui pourraient être établies sur la base de leur modèle.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!104 KOLB (R.), op.cit., p. 58. ; PAZARTIS (P.), ibid. 105PAZARTIS (P.), ibid. 106 KOLB (R.), op. cit., pp. 59-60.

!

! 26!

Nous avons choisi ici de considérer l’option selon laquelle les TPI formeraient une

certaine catégorie de juridictions. Cette affirmation n’est pas soutenue par tous les juristes,

certains d’entre eux – comme le professeur Jean-Marc SOREL – considèrent à juste titre que

leur typologie est impossible et qu’il ne s’agit que d’expériences répondant à des

circonstances107.

Les TPI sont une forme de juridiction établie à l’égard d’un contexte précis pour faciliter

le rétablissement ou même l’établissement de la justice. Par conséquent, s’ils forment une

catégorie, celle-ci ne peut pas être totalement rigide et doit pouvoir s’adapter aux exigences de

la justice pénale internationale sans compromettre l’intérêt de leur utilisation.

B. L’intérêt des tribunaux pénaux internationalisés.

Les TPI présentent un certain nombre d’avantages qui expliquent leur important

développement. Premièrement, il s’agit de juridictions temporaires créées spécialement pour

régir une situation. Cet aspect permet de régler de nombreuses contraintes propres aux

juridictions permanentes : acceptation de la juridiction, compétence, recevabilité, etc. Par

rapport aux juridictions nationales, elles ont l’avantage d’apporter un cadre matériel,

fonctionnel et juridique plus stable. D’autant plus, qu’elles interviennent principalement dans

des situations où le système judicaire étatique est défaillant ou compromis. A cet égard,

CASSESE considérait « these internationalized courts and tribunals may expedite

prosecutions and trials prosecutions and trials without compromising respect for international

standards on human rights and international criminal law »108. Le respect des garanties

procédurales internationales est bien un motif capital dans la décision de créer une juridiction à

caractère international dans toutes les situations que l’on a évoquées. Par exemple, pour le cas

du Timor oriental, l’État indonésien s’était engagé à poursuivre ses ressortissants au sein d’une

Cour ad-hoc sur les droits de l’homme au Timor Oriental109. Mais la fiabilité des promesses

était compromise notamment à cause de sa réaction ou son absence de réaction face aux actes

de violences.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!107 SOREL (J-M), « Introduction », in ASCENCIO (H.), LAMBERT-ABDELGAWAD (E.), SOREL (J-M.) (Dir.), Les juridictions pénales internationalisées (Cambodge, Kosovo, Sierra Leone, Timor Leste), Société de législation comparée, Paris, Unité mixte de recherche de droit comparé de Paris, Vol. 10, 2006, pp. 11-25, spéc. pp. 21-23. 108 CASSESE (A.), « The Role of Internationalized Courts and Tribunals in the Fight Against International Criminality », in Internationalized criminal courts: Sierra Leone, East Timor, Kosovo and Cambodia, Oxford University Press, Oxford, 2004, pp. 3-13. 109 SOREL (J-M), « Introduction », op. cit., p. 17.

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! 27!

Le caractère hybride de ces juridictions, qui est à l’origine de leur singularité, présente

également plusieurs atouts. Premièrement, il permet de tenir compte des spécificités de la

situation à régir et de laisser au droit national une certaine place dans la répression des crimes

internationaux. Par exemple, en ce qui concerne le Tribunal Spécial pour le Liban, le recours à

un TPI a été justifié par la volonté de conserver « le caractère libanais » de l’affaire110.

Un autre atout fondamental est le fait qu’il permet de rendre une justice de proximité, à

l’heure où les expériences du TPIY et aujourd’hui de la CPI montrent les « failles d’une justice

délocalisée »111. En effet, le professeur Y. KERBRAT souligne que cette proximité est

nécessaire à l’établissement d’une justice réconciliatrice112. Or, la justice pénale internationale

qui intervient dans des contextes de conflits armés, de génocide ou de répression de la

population, contient inévitablement cette dimension de réconciliation. Cette justice de

proximité présente deux avantages : d’abord un gain d’efficacité puisque les TPI font appel à

des juges nationaux qui ont une meilleure connaissance de la société où les crimes ont été

commis113, et ensuite, un intérêt sociologique car la population est plus proche et pourra plus

facilement accepter les décisions rendues. Par ailleurs, les professeurs Patrick DAILLIER,

Mathias FORTEAU et Alain PELLET indique que les tribunaux ad hoc comme la CPI, n’ont

« pas moins révélé leurs limites et suscité de vives critiques : coupées des réalités locales (et

des sociétés affectées par les crimes), ces juridictions sont mal outillées pour mener les

enquêtes permettant de confondre les coupables »114. Le caractère mixte des TPI permet

ainsi de renforcer les juridictions internes tout en palliant les insuffisances des juridictions

pénales internationales115.

Du point de vue de la forme, le recours à l’institution d’un TPI présente un intérêt

matériel car c’est une solution moins coûteuse que l’instauration d’une juridiction

internationale à part entière. Néanmoins, ce propos doit être nuancé car si la mise en place est

moins coûteuse par rapport aux autres juridictions pénales internationales, les fonds nécessaires

à leur création peuvent être difficiles à obtenir. En effet, les TPI dépendent fortement d’une

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!110 LELARGE (A.), « Le tribunal spécial pour le Liban », in Annuaire français de droit international, CNRS Editions, Paris, 2007, pp. 397-428, p 401. 111 Voy. NEDERLANDT (O.), Les juridictions pénales internationalisées, un nouveau modèle de juridictions de proximité ou la part d’une justice plus respectueuses des peuples, in Annales de droit de Louvin : revue trimestrielle, Bruylant, 2012, Vol. 2012/3, pp. 217-288. Disponible sur [http://hdl.handle.net/2078.3/152149]. 112 KERBRAT (Y.), op.cit., p. 189. 113 CASSESE (A.), op. cit., p. 6. 114DAILLIER (P.), FORTEAU (M.), PELLET (A.), op. cit., p. 810. 115 PAZARTIS (P.), op. cit., p. 22.

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! 28!

coopération internationale qui peut se révéler être à la fois un atout et un inconvénient pour leur

fonctionnement116.

Nous avons présenté quelques uns des avantages de recourir à la création d’un TPI pour

rendre la justice dans des circonstances particulières de violations du droit international. A côté

de ces atouts, il existe évidemment un certain nombre de difficultés pour la mise en place et le

fonctionnement des TPI (qui ne seront pas développés ici). Ce qui importe, c’est que l’intérêt

du modèle des TPI, a conduit à la création des Chambres africaines extraordinaires. Il convient

maintenant de déterminer l’impact de cette nouvelle juridiction sur la famille des tribunaux

pénaux internationalisés.

§ 2. La place des Chambres africaines extraordinaires parmi les tribunaux pénaux

internationalisés

Notre démarche se fondera ici sur une analyse faite par le professeur R. KOLB à l’égard

de quatre TPI (TPSSL, CETC, Chambres spéciales pour le Timor Oriental et les tribunaux

kosovars). Dans un premier temps, nous apprécierons l’appartenance des CAE à la catégorie

des TPI au regard des cinq critères posés précédemment. (A) Ensuite, nous tenterons de

déterminer le « degré d’internationalisation » des Chambres africaines extraordinaires. (B)

A. Inscription des Chambres africaines extraordinaires dans la catégorie des TPI

La nature de tribunal exerçant une fonction judiciaire en matière répressive ne pose pas

problème pour les CAE puisque d’après l’article 3 de leur Statut, elles ont pour fonction de

« poursuivre et juger » des auteurs présumés de crimes et violations du droit international. Le

fait qu’elles aient la forme de « chambre » n’empêche pas la qualification de tribunal puisque

celui-ci est largement défini comme le lieu où la justice est rendue. Le Statut des CAE nous

indique que cette juridiction réunie bien des éléments de droit interne et de droit international :

tout d’abord d’après l’article 11 du Statut, les CAE sont dans une certaine mesure composées

de juges nationaux (sénégalais) et internationaux (ressortissants d’un État membre de l’Union

Africaine) ; ensuite s’agissant de leur mandat, elles ont compétence à l’égard de crimes

internationaux localisés dans sur le territoire d’un seul État (le Tchad) ; le Statut régit de

nombreux aspects de la procédure, notamment en ce qui concerne les garanties procédurales, et

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!116 En effet, « la réussite des tribunaux internationalisés [est] largement fonction du degré de coopération qu’ils recevront des États dont ils dépendent plus encore que les tribunaux ad hoc ». DAILLIER (P.), FORTEAU (M.), PELLET (A.), op. cit., p. 811.

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! 29!

renvoie au droit sénégalais pour les cas non prévus. Tous ces éléments attestent de la nature

hybride des Chambres africaines extraordinaires même si les crimes qu’elles devront juger sont

exclusivement internationaux117. Enfin, les CAE ont un caractère temporaire, l’article 37 du

Statut disposant que « les Chambres africaines extraordinaires sont dissoutes de plein droit une

fois que les décisions auront été définitivement rendues ». Jusque-là, les Chambres africaines

extraordinaires font bien partie de la catégorie des juridictions pénales internationalisées.

Pourtant, un dernier critère, constant chez les autres TPI, est manquant pour les CAE, il s’agit

de la participation des Nations Unies dans la création du tribunal. En effet, les Chambres

africaines extraordinaires, ont été créées sur la base de négociations impliquant uniquement

l’Union Africaine et le Sénégal. La communauté internationale – dont l’ONU d’une certaine

manière – n’est intervenue dans le processus que par la pression (toutefois décisive) qui a été

faite à l’État sénégalais. Les Nations Unies n’ont donc eu qu’un rôle secondaire voire minime

sur l’institution des CAE.

Là encore la question se pose, est-ce que – à l’instar du TSL, précédemment – l’absence

de ce dernier critère rend impossible l’appartenance des CAE à la catégorie des tribunaux

pénaux internationalisés ? D’autant plus que les CAE ont également la particularité d’être

intégrées au sein du système judiciaire d’un État autre que celui sur le territoire duquel les faits

ont eu lieu. Peut-être faudrait-il une nouvelle fois, élargir ces critères afin de pouvoir englober

un large éventail de juridictions pénales internationales. C’est la position adoptée par le

professeur Y. KERBRAT puisqu’il considère que « font partie de cette catégorie les

juridictions qui présentent un élément d’internationalité dans leur création »118. Plus que la

question de l’appartenance à une catégorie, la naissance des CAE montre les faiblesses de cette

qualification et surtout la difficulté à en poser les contours.

Néanmoins, il ne peut être nié que les Chambres africaines extraordinaires entrent dans le

moule des juridictions pénales internationalisées. Il s’agit maintenant de déterminer leur degré

d’internationalisation.

B. Le degré d’internationalisation des Chambres africaines extraordinaires.

La question du degré d’internationalisation des tribunaux pénaux internationalisés a été

posée par le Pr. Robert KOLB alors qu’il tentait de déterminer si ceux-ci constituait des

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!117 Statut des Chambres africaines extraordinaires, Article 3. 118 Il classe ainsi le Tribunal Spécial pour l’Irak parmi les juridictions pénales internationalisées. KERBRAT (Y.), op. cit., p. 189.

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! 30!

juridictions internationales. Ainsi, il considère que, nonobstant le fait qu’il n’existe ait pas de

critères pouvant déterminer avec certitude si une juridiction est interne ou internationale, « une

approche élémentaire » permettait de « concevoir une internationalité de tribunaux par degrés »

119. Pour préciser le degré d’internationalisation de chaque TPI, il utilise les critères suivants:

la composition de l’organe, le droit applicable et la fonction et la procédure. Sans établir de

calcul précis, nous utiliserons ces indices pour établir le degré d’internationalisation des

Chambres africaines extraordinaires.

Tout d’abord, les CAE sont composées dans une infime proportion de juges autres que

sénégalais. En effet, en ne prenant en compte que les juges titulaires, un juge sur trois en

première instance ainsi qu’en appel, a une nationalité étrangère. Cependant, sur la totalité des

juges de toutes les chambres confondues, seuls deux juges sont étrangers et les treize autres

sont sénégalais.

Ensuite, s’agissant du critère de la loi applicable et de la fonction de la juridiction, le

Statut donne compétence aux CAE pour juger exclusivement des crimes internationaux et des

violations du droit international (Article 3). Cependant, il ne reprend pas rigoureusement les

définitions établies par le droit international coutumier120. En effet, selon une analyse de

Monsieur R. O. SAVAGODO, le statut des CAE contient des dispositions empruntées à

plusieurs instruments juridiques existants mais il reste taillé sur la base de crimes préalablement

commis121. En outre, le Statut des CAE ajoute également une incrimination empruntée au droit

interne sénégalais : le crime autonome de torture122. Par ailleurs, l’article premier de l’accord

sur la création des CAE précise dans son paragraphe quatre que les CAE ont un caractère

international et qu’elles appliquent « leur Statut, le droit pénal international, le code pénal et le

code de procédure pénal sénégalais et les autres lois sénégalaises »123. Néanmoins, cette

mention du droit international n’apparaît finalement pas dans le Statut des CAE puisque

l’article 13 relatif au droit applicable ne renvoie qu’au droit sénégalais pour les cas non prévus

par le Statut. C’est assez dommage, car même si le Statut a une valeur internationale, il aurait

été préférable de garder cette référence au droit international. Par ailleurs, tout au long de celui-

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!119 KOLB (R.), op. cit., p. 57. 120 Pour une étude des définitions employées par le Statut des Chambres africaines extraordinaires, Voy., SAVADOGO (R. O.), « Les Chambres africaines extraordinaires au sein des tribunaux sénégalais : quoi de si extraordinaire ? » in Revue Études Internationales, Vol. XLV, N°1, mars 2014, L’Afrique face à la justice pénale internationale, pp. 105-128, spéc. pp. 119-123. 121 Idem. 122 Ce crime existe depuis une loi 96-16 du 28 août 1996 complétant l'article 295-1 du Code Pénal (loi cité par la Cour D’appel du Sénégal dans son arrêt n°135 du 04 juillet 2000 cité en introduction). 123 Accord entre le gouvernement de la République du Sénégal et l’Union Africaine sur la création de Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises, 22 aout 2012, Article Premier.

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! 31!

ci, des renvois sont opérés au profit du droit sénégalais, ce qui montre une prépondérance du

droit interne par rapport au droit international.

Enfin, s’agissant du dernier critère, comme il a été dit précédemment le Statut des

Chambres africaines extraordinaires encadre assez bien la procédure qui se déroule devant

elles notamment en ce qui concerne le déclenchement de l’action publique124, la participation

des victimes125, les droits de l’accusé et de nombreux autres aspects procéduraux126. Cependant,

le droit sénégalais est encore très présent et intervient en complément pour les cas non prévus

par le Statut127.

Au regard de ces trois critères, on peut conclure à un assez faible degré

d’internationalisation des CAE pour lesquelles la domination du droit national sénégalais est

frappante. Cela s’explique par le fait que les Chambres africaines extraordinaires n’existent que

parce que les juridictions sénégalaises ont été rendues incompétentes par la Cour de justice de

la CEDEAO pour poursuivre à nouveau Hissène Habré. Les CAE montrent donc ici qu’une

juridiction peut être internationale en raison de la nature de l’instrument qui le fonde, tout en

ayant un très faible degré d’internationalisation.

En raison de leur forme, les CAE évoluent parmi les juridictions pénales internationales, aux

côtés des tribunaux pénaux internationalisés. Toutefois, cette nouvelle juridiction présente des

particularités qui semblent altérer un concept qui était alors présenté comme un modèle. Pour

compléter cette analyse il faut désormais, étudier les caractéristiques propres des Chambres

africaines extraordinaires.

Chapitre 2 : Les caractéristiques des Chambres africaines

extraordinaires

Comme tous les tribunaux pénaux internationaux, les Chambres africaines extraordinaires

possèdent un Statut élaboré « sur-mesure » et très imprégné par les circonstances qui ont

entouré leur naissance. Même si certains aspects de leur Statut ont été évoqués dans le chapitre

précédent, il convient de présenter les caractéristiques principales des Chambres africaines

extraordinaires (Section 1). Leurs attributs généraux ne permettent pas à eux seuls de montrer

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!124 Statut des Chambres africaines extraordinaires, Article 17. 125 Ibid., Article 14. 126 Ibid., Articles 21 à 27. 127 Ibid.,,, Article 17.

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! 32!

la grande singularité de cette juridiction qui se présente comme originale et innovante (Section

2).

Section I. Présentation des Chambres africaines extraordinaires

Les Chambres africaines extraordinaires ont été « créées au sein des juridictions de la

République du Sénégal »128. Pour autant, elles sont autonomes et s’organisent indépendamment

de celle-ci. Outre, la présentation de leur la gestion administrative (§1), il est important de

préciser comment se déroule la procédure devant les CAE (§2).

§ 1. La structure et l’organisation des Chambres africaines extraordinaires

La structure ainsi que la composition de la juridiction africaine sont prévues par son

Statut. Tout d’abord, les CAE sont composés de quatre chambres : une Chambre africaine

extraordinaire d’Instruction, une Chambre africaine extraordinaire d’Accusation, une Chambre

africaine extraordinaire d’Assises et une Chambre africaine extraordinaire d’Assises d’Appel.

Chacune de ces Chambres est composée de juges nommés par le Président de la Commission

de l’Union Africaine sur proposition du Ministre de la Justice du Sénégal129.

Les CAE possèdent leur propre Ministère public, en charge de l’action publique devant

les CAE, et composé d’un Procureur Général et de trois adjoints de nationalité sénégalaise

nommés de la même manière que les juges des Chambres130. Un autre élément important du

fonctionnement de la juridiction est l’Administrateur des Chambres africaines extraordinaires.

Il dispose de plusieurs attributions en vertu de l’article 15 du statut des CAE : il est « en charge

des aspects non judiciaire de l’administration et du service des Chambres africaines

extraordinaires » ; il représente les Chambres dans leurs relations avec la communauté

internationale ; il est également en charge de l’accompagnement et de la protection des victimes

et témoins ; enfin il contribue à l’établissement d’un mécanisme de coopération judiciaire entre

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!128 Ibid.,, Article 2. 129 Statut des Chambres africaines extraordinaires, Article 11. La Chambre africaine extraordinaire d’instruction est composée de six juges (dont deux suppléants) de nationalité sénégalaise. La Chambre africaine extraordinaire d’accusation est composée de quatre juges (dont un suppléant) de nationalité sénégalaise. La Chambre africaine extraordinaire d’assises comporte 5 juges, 4 d’entres eux (dont deux suppléants) sont de nationalités sénégalaise et le cinquième, le Président, est ressortissant d’un autre État de l’UA (en l’espèce, il est de nationalité burkinabée). Enfin, la Chambre africaine extraordinaire d’assises d’appel connaît la même composition que la Chambre africaines extraordinaires d’assises. 130 Ibid., Article 12.

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! 33!

le Sénégal et d’autres États. L’administrateur des CAE a donc un rôle important pour le

fonctionnement de la juridiction131.

Outre les prérogatives citées précédemment, l’administrateur des Chambres africaines

extraordinaires est en charge du budget. Ce budget montre également l’indépendance des CAE

en comparaison de ce qui a été prévu par exemple pour les Chambres Extraordinaires au

Cambodge. L’article 44 du Statut des CETC fait, en effet, une distinction entre les dépenses du

personnel cambodgien imputées au budget national cambodgien et les dépenses du personnel

international incombant à l’Organisation des Nations Unies. S’agissant des CAE, tout leur

financement provient du budget approuvé par une Table ronde des donateurs le 24 novembre

2010. Ce budget a été voté bien avant la naissance des CAE, au moment où l’Union Africaine

enjoignait au Sénégal de respecter ses engagements internationaux tout en demandant à la

Communauté internationale de lui fournir une aide pour le jugement d’Hissène Habré. Cette

demande a entrainé des négociations tendues puisque le Président de la République du Sénégal

à l’époque souhaitait recevoir une somme assez faramineuse. Un accord a finalement été arrêté

sur une somme de huit millions six cent mille euros132. Le procès ne pouvant avoir lieu devant

les juridictions sénégalaises, cette somme a été allouée au budget des Chambres africaines

extraordinaires. Elle couvre le fonctionnement de la juridiction pour une période de quarante

mois avec vingt-trois mois prévu pour l’instruction, dix mois pour la première instance, et sept

pour l’appel. En outre, l’article 3 de l’Accord du 22 août 2012 portant création des CAE

dispose que des ressources financières supplémentaires peuvent être mobilisées en cas de

besoin.

Le statut prévoit également pour tout le personnel des CAE un certain nombre de

privilèges et immunités. Ainsi, pour les juges de nationalité étrangère et leur famille, le Statut

renvoie aux privilèges, immunités, exemptions et facilités prévus par la Convention de Vienne

de 1961 sur les relations diplomatiques 133 . Les juges, les procureurs, les greffiers,

l’administrateur et les autres membres du personnel de nationalité sénégalaise se voient, quant à

eux, appliquer une Convention de l’OUA sur les privilèges et immunités134. Ces privilèges et

immunités font notamment références aux immunités de juridictions et à des exonérations

d’impôts.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!131 Voy. Annexe 4, Entretien avec Ciré Aly Bâ, Administrateur des Chambres africaines extraordinaires, le 11 juin 2015 à Dakar 132 Table ronde des donateurs pour le financement du procès de Monsieur Hissène Habré, Document final, Dakar le 24 novembre 2010. Disponible sur [http://www.hrw.org/sites/default/files/related_material/Table%20ronde%20donateurs%20document%20final.pdf] 133 Article 29§1 du Statut des Chambres africaines extraordinaires. 134 Article 29§2 du Statut des Chambres africaines extraordinaires.

!

! 34!

Les Chambres africaines extraordinaires siègent dans la capitale sénégalaise à Dakar, où

chacune des composantes citées précédemment, disposent de bureaux au sein d’un immeuble

affecté pour accueillir la juridiction. La location de cet immeuble entre également dans le

budget des CAE.

La structure et l’organisation de la juridiction sont les premières caractéristiques des CAE. Le

déroulement de la procédure est également un élément incontournable de toute juridiction.

§ 2. La procédure devant les Chambres africaines extraordinaires.

Les tribunaux pénaux internationalisés s’inspirent largement du droit interne en ce qui

concerne leur procédure. Néanmoins, celle-ci conserve tout de même une certaine mixité qui

n’est pas toujours aisé à concevoir135. En ce qui concerne les CAE, l’hybridité de la procédure

n’est pas très flagrante et l’influence du droit sénégalais reste importante.

Le droit sénégalais est un droit « romano-germanique fortement inspiré par le droit

d’origine napoléonienne »136. C’est donc un droit calqué sur le modèle français dans lequel la

procédure pénale est mixte c’est à dire inquisitoire dans la phase d’enquête et accusatoire au

moment du jugement. La procédure inquisitoire est une procédure dans laquelle le juge a un

rôle actif et possède des prérogatives pour rechercher des preuves à charge et à décharge afin

d’établir la vérité. Elle s’oppose à la procédure accusatoire, développée dans les systèmes

juridiques fondés sur la Common law et dans laquelle ce sont les parties qui ont un rôle actif et

où le juge a un rôle très réduit. Dans le Statut des CAE, on remarque plusieurs éléments

marqueurs de la procédure inquisitoire. Tout d’abord, les CAE possèdent un ministère public –

représenté par le Procureur Général et ses adjoints – exerçant l’action publique qui ne peut être

mise en mouvement que par lui137. L’article 12 du Statut précise que le Ministère public

dispose de pouvoirs à cet effet et renvoie au Code de procédure pénale sénégalais. Un autre

trait caractéristique de la procédure est l’existence d’une phase d’instruction et d’une Chambre

d’instruction chargée de la conduire. Le Statut des CAE ne donne pas de précisions sur le

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!135 La difficulté d’allier une procédure à la fois internationale et nationale est assez marquante dans le cas des Chambres Extraordinaires des Tribunaux Cambodgiens. Voy., BOYLE (D.), « Une juridiction hybride chargée de juger les Khmers rouges », in Droits fondamentaux, n°1, juillet-décembre 2001, pp. 215-229. 136 NTAMPAKA (C.), Introduction aux systèmes juridiques africains, Presses Universitaires de Namur, Namur, 2005, 190 p., p. 6. 137 Statut des Chambres africaines extraordinaires, Article 17§3.

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! 35!

déroulement de cette phase, le code de procédure prend donc le relais. Cette phase d’instruction

a déjà eu lieu devant les Chambres africaines extraordinaires et sera présentée ultérieurement.

Des manifestations d’une procédure accusatoire apparaissent dans la phase de

jugement devant la Chambre africaine extraordinaire d’assise et la Chambre africaine

extraordinaire d’assise d’appel : les débats sont oraux et contradictoires et les audiences sont

publiques138. En outre, même si la procédure est principalement menée par les juges, le Statut

prévoit un certain nombre de garanties à la fois pour les victimes et les accusés. L’égalité des

armes et les droits de la défense sont au nombre des garanties procédurales incontournables du

droit international. Le Statut des CAE octroie des droits aux accusés en son article 21 comme le

droit d’être entendu équitablement et publiquement, le droit de disposer de l’ensemble des

moyens nécessaires à sa défense (informations sur son accusation, temps pour préparer la

défense, assistance d’un conseil). En outre, l’accusé peut « interroger ou faire interroger les

témoins à charge et obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les

mêmes conditions »139.

Toujours au regard de l’influence marquée du droit national sénégalais, le Statut

accorde un statut particulier aux victimes devant les Chambres africaines extraordinaires : elles

ont la possibilité de se constituer partie civile dès le début de la procédure140. Ces dispositions

sur les victimes et les accusés montrent que les rédacteurs du Statut des CAE avaient à cœur

d’établir une juridiction respectueuse des droits fondamentaux et en accord avec les objectifs de

la justice pénale internationale141.

D’autres aspects de la procédure sont réglés par le Statut des CAE. Tout d’abord, il y est

fait référence au principe non bis in idem. C’est un principe classique de la procédure pénale

qui veut qu’une personne ne soit pas jugée deux fois pour les mêmes faits. Les CAE respectent

ce principe en y posant des conditions – qui sont également celles de la Cour pénale

internationale142 – à l’article 19§3 : l’autre juridiction, d’une part, ne doit pas avoir « pour but

de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale pour des crimes relevant de la

compétence des Chambres africaines extraordinaires » et d’autre part, elle doit avoir été menée

de façon indépendante et impartiale dans le respect des garanties d’un procès équitable prévues

par le droit international. Cette disposition confirme le constat qui a été fait précédemment, sur

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!138 Ibid.,, Article 22. 139 Ibid.,, Article 21§4 e). 140 Ibid.,, Article 14. 141 Voy. CHIAVARIO (M.), « Droits de l’accusé... et autres dans la perspective de la justice pénale internationale », in CHIAVARIO (M.) (Dir.), La justice pénale internationale entre passé et avenir, Dalloz, Giuefrè Editore, Milan, 2003, 399 p. 142 Voy. Statut de la Cour Pénale Internationale, Article 20.

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! 36!

la volonté des CAE de satisfaire aux principes procéduraux du droit international. Le Statut des

CAE organise également un double degré de juridiction à l’article 25 du Statut qui dispose que

la Chambre africaines extraordinaire d’assises d’appel est compétente pour examiner en dernier

ressort les appels interjetés par le Procureur ou les personnes condamnées ou les parties

civiles ».

Le statut règle également les questions relatives à la sentence 143 , aux peines

applicables144, aux mesures de détention provisoire et à l’exécution des peines145.

En définitive, la procédure devant les CAE est une procédure à la fois calquée sur la

procédure pénale sénégalaise mais aussi inspirée des autres juridictions pénales internationales

guidées par le respect des principes procéduraux internationaux du procès pénal. Pour autant,

les Chambres africaines extraordinaires se démarquent de ces influences et contiennent de

nombreuses innovations.

Section II. Une juridiction originale et innovante

Les CAE présentent des spécificités qui les démarquent des autres juridictions pénales

internationales et qui apportent de nouvelles perspectives pour la justice pénale internationale.

Tout d’abord la juridiction est bâtie sur une coopération inédite entre États (§1) qui est liée au

contexte de sa création. Ensuite, elle se démarque des autres juridictions pénales internationales

avec la place qui est accordée aux victimes dans la procédure (§2).

§ 1. Une participation inédite de la Communauté internationale à la création et au

fonctionnement d’une juridiction internationale hybride.

La création des CAE est attachée à une affaire et à une procédure remarquable, qui ont circulé à

travers les systèmes juridiques étatiques et internationaux (A). Cette particularité de l’affaire

Hissène Habré a beaucoup imprégné le fonctionnement des CAE qui repose sur un concours

large de la Communauté internationale (B).

A. Une affaire à « mobilité internationale » à l’origine des Chambres africaines

extraordinaires !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!143 Statut des Chambres africaines extraordinaires, Article 23. La sentence doit être écrite, motivée et rendue en audience publique à la majorité des juges de la Chambre africaine extraordinaire d’assises. 144 Ibid.,, Article 24. Les CAE peuvent prononcer des peines d’emprisonnement allant de trente ans ou plus à la perpétuité, auxquelles elles peuvent ajouter amendes et confiscations des biens et avoirs tirés du crime. 145 Ibid.,, Article 26.

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! 37!

La naissance des Chambres africaines extraordinaires est le fruit d’un long processus

auquel ont pris part de nombreux États, des organisations internationales, des organisations non

gouvernementales et également des juridictions internationales.

Le premier État à intervenir est le Tchad qui a, malgré lui, initié tout ce chantier en ne

prenant pas, les mesures nécessaires pour juger, dès le départ, les responsables des crimes et

violations du droit international commis sur son territoire durant le règne d’Hissène Habré.

Néanmoins, au cours de la longue procédure qui mena à la création des CAE, l’attitude du

Tchad sera celle d’un appui à la Communauté internationale pour le jugement des faits commis

sur son territoire durant le régime de l’Ancien dictateur. Il faut également rappeler l’action

considérable de la Belgique qui a en quelque sorte ranimé l’importance du principe de la

compétence universelle, alors que celui-ci s’essoufflait face à la réticence de la Communauté

des États d’en faire l’application. Le professeur Eric DAVID souligne « l’opiniâtreté de [son]

pays, à obtenir, soit l’extradition de H. Habré, soit l’engagement de poursuites pénales contre

lui par le Sénégal, qui a, enfin, conduit ce dernier à traduire H. Habré en justice »146. Les États

membres de l’Union Africaine ont également été au cœur de ce processus – notamment le

Rwanda – et ont fait de l’affaire Habré une problématique africaine à laquelle il fallait coûte

que coûte trouver une solution.

Pour ce qui est des Organisations internationales, « l’affaire Hissène Habré » a fait

intervenir des organisations régionales – principalement l’Union Africaine et l’Union

européenne – mais aussi l’Organisation des Nations Unies. Cela montre une adhésion large de

la Communauté internationale aux principes de la justice pénale internationale. Cela est

confirmé par l’action de nombreuses ONG pour que la cause des victimes tchadienne soit

entendue.

L’internationalisation de « l’affaire Hissène Habré » apparaît également dans la sphère

juridictionnelle. En effet, « entre les juges nationaux et les juges internationaux, qu’ils soient

Africains ou non, les victimes auront frappé à toutes les portes pour s’assurer que les crimes

dont elles ont souffert soient punis »147. Nous avons cité en introduction, les juridictions

nationales sénégalaises et belges, la Cour de justice la CEDEAO et la Cour internationale de

justice. Il faut ajouter que la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (ci après

CADHP) a également été saisie de l’affaire le 11 août 2008 par un ressortissant tchadien

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!146 La Libre.Be, Hissène Habré et le rôle de la Belgique, 19 aout 2013, en ligne [http://www.lalibre.be/debats/opinions/hissene-habre-le-role-de-la-belgique-521193a935708f18276ea4e8] 147 ADJOVI (R.), « Une saga judiciaire autour d’un ex-chef d’Etat africain, Hissène Habré », in Annuaire africain de Droit international, n°19, 2014, pp. 375-393

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! 38!

résidant au Tchad. Il demandait à la Cour de suspendre le mandat donné au Sénégal par l’UA

et d’enjoindre la création par le Tchad et le Sénégal d’une commission « Vérité, justice,

réparation et réconciliation ». Dans un arrêt du 15 décembre 2009, la CADHP s’est déclarée

incompétente au motif que le Sénégal n’avait pas fait de déclaration de reconnaissance

compétence de la Cour, prévue par l’article 34 (6) du Protocole portant création de la

CADHP148.

Cette mobilité de « l’affaire Hissène Habré » n’est pas seulement une particularité

contextuelle de la création des Chambres africaines extraordinaires, elle fonde toute

l’édification de cette juridiction. En effet, à la fois l’hybridité mais aussi les modalités de

fonctionnement de la juridiction sont liées au parcours étonnant de ce cas au départ purement

national, devenu international au fil du temps.

B. Un concours large des États au fonctionnement des Chambres africaines

extraordinaires

Ce concours des États a d’abord une dimension budgétaire. En effet, les CAE ont pu voir

le jour grâce aux contributions volontaires de plusieurs Etats et organisations internationales.

Lors de la table ronde du 24 novembre 2010, les donateurs (ainsi que leur intentions de

contributions) se présentaient ainsi : l’Union Africaine (un milliards de dollars), le Tchad

(deux milliards de francs CFA), l’Union européenne (cinq cent mille euros), la Belgique (un

million d’euros), la France (trois cent mille euros), le Luxembourg (cent mille euros) et les

Pays-Bas (un million d’euros)149. L’Organisation des Nations Unies a également apporté sa

contribution avec une assistance technique et la gestion du fonds par le Bureau des Nations

Unies pour les services d’appui aux projets150.

La participation d’États au fonctionnement des CAE prend également la forme d’une

coopération judiciaire. Cette coopération judiciaire est prise en compte à l’article 18 du Statut

qui dispose que : « Les Chambres africaines extraordinaires prennent toutes les mesures nécessaires pour la coopération

judiciaire, la réception et l’utilisation, en cas de besoin, des résultats des enquêtes menées par les autorités

judiciaires d’autres États pour les crimes visés par le présent Statut ».

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!148 Pour une analyse de l’arrêt, Voy., TIWANG WATIO (R.), « Affaire Hissène Habré : où en est la justice ? », in Annuaire africain de droit international, Vol 17, 2009, pp. 370-409, spéc. pp. 380-391. 149 Table ronde des donateurs pour le financement du procès de Monsieur Hissène Habré, Document final, Dakar le 24 novembre 2010 150 Idem.

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! 39!

Il est normal que le Statut des CAE mette l’accent sur une coopération entre États au

regard de ce qui a été énoncé précédemment. Leur fonctionnement nécessite en premier lieu la

possibilité d’enquêter en dehors du territoire sénégalais, dans le respect de la souveraineté

étatique. Les CAE doivent également pouvoir tirer profit de l’internationalisation de « l’affaire

Habré » vis-à-vis des procédures qui ont déjà eu lieu dans d’autres État, notamment la

Belgique.

La coopération judiciaire se manifeste principalement par la signature le 03 mai 2013,

d’un accord de coopération judiciaire entre la République du Sénégal et la République du

Tchad pour la poursuite des crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin

1982 au 1er décembre 1990. Cet accord a été signé spécialement pour faciliter le travail des

Chambres africaines extraordinaires grâce à une « assistance légale et judiciaire la plus large

possible »151. Son champ d’application est assez large, il englobe notamment la notification des

décisions judiciaires, la réception de témoignages, la citation de témoins et d’experts, le

transfert de personnes détenues, etc. Cet accord de coopération judiciaire est très important, les

faits ayant été commis sur le territoire du Tchad, il était indispensable que les CAE puissent

compter sur la collaboration de l’Etat tchadien.

Enfin, il faut évoquer la mise en place du Consortium de sensibilisation aux CAE

composés d’ONG Tchadiennes, belges et sénégalaises. La mise en œuvre d’actions de

sensibilisation n’est pas une nouveauté des CAE puisque cela avait déjà été développé par

d’autres TPI (au Sierra Leone et au Cambodge) qui avaient organisé l’information des

populations sur leurs activités. Ce qui est nouveau ici c’est, encore une fois, la participation de

plusieurs Etats à ce travail de sensibilisation prévu expressément dans le Statut des CAE152. Le

consortium de sensibilisation travaille sous la coordination de la Cellule de Communication des

CAE et mène ses activités (conférence de presse, rencontre des populations, organisation de

débats public, etc.) principalement au Tchad153 et au Sénégal mais aussi sur une grande partie

du continent africain154.

§ 2. Mise en place d’une procédure accordant un statut particulier aux victimes

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!151 Accord de coopération judicaire entre la République du Sénégal et la république du Tchad pour la poursuite des crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990, signé le 3 mai 2013, Article 1 152 Il s’agit d’une activité encadrée par l’Administrateur des CAE qui peut « conclure les accords appropriés pour la mise en œuvre d’actions de sensibilisation et pour informer l’opinion publique africaine et internationale au sujet du travail des Chambres africaines extraordinaires. 153 La question de la sensibilisation est également réglé par l’article 17 de l’Accord de coopération judicaire entre la République du Sénégal et la république du Tchad pour la poursuite des crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990. 154 Voy. le site internet du Consortium de sensibilisation, [http://www.forumchambresafricaines.org/].

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! 40!

La place de la victime dans le procès pénal international est aussi une préoccupation qui a

suivi le développement de la justice pénale internationale. En effet, c’est au fur et à mesure que

des juridictions pénales internationales se mettaient en place, que l’on s’est intéressé au statut

qu’il fallait accorder à la victime. Pourtant, cette question est majeur car comme l’indique

Maitre Mariana PENA, « l'incorporation des victimes en tant qu'acteur dans le procès judiciaire

vise à rendre effectif leur droit à la vérité en permettant à la Cour de bénéficier d'une meilleure

compréhension de leur histoire et leurs souffrances »155 . Cela vaut d’autant plus à l’égard

« [de] crimes internationaux tels que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, [qui]

engendrent des répercussions qui s’étendent sur des générations de victimes »156. Néanmoins,

ni les tribunaux militaires de Nuremberg et Tokyo, ni les Tribunaux pénaux ad hoc pour le

Rwanda et pour l’Ex-Yougoslavie n’ont envisagé la participation des victimes à la

procédure157. C’est avec l’avènement de la justice pénale internationale permanente, que la

victime va passer de la « quasi-inexistence » au centre des préoccupations158. Le Statut de

Rome du 17 juillet 1998 intègre la victime au procès pénal international non seulement en lui

accordant une protection mais aussi en lui permettant d’intervenir sous la forme d’une

participation régie par l’article 68 du Statut. Ainsi, l’article 68 §3 dispose que ; « Lorsque les intérêts personnels des victimes sont concernés, la Cour permet que leurs vues et

préoccupations soient exposées et examinées, à des stades de la procédure qu'elle estime appropriés et d'une

manière qui n'est ni préjudiciable ni contraire aux droits de la défense et aux exigences d'un procès

équitable et impartial Ces vues et préoccupations peuvent être exposées par les représentants légaux des

victimes lorsque la Cour l'estime approprié, conformément au Règlement de procédure et de preuve ».

La question qui s’est posée était celle de savoir si les victimes avaient la qualité de partie

devant la CPI. Le Statut de la CPI ne donnant pas de définition d’une partie, ni de précisions

sur les personnes qui ont ce statut, les juges de la CPI ont dû trancher la question. Dans un arrêt

du 11 juillet 2008 rendu à l’occasion de l’affaire opposant le Procureur à Thomas Lubanga, la

Chambre d’Appel de la CPI indique que seules l’accusation et la défense sont parties au procès

et confirme le statut de « participant » à la procédure159. Même si cette position a été critiquée

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!155 PENA (M.), « Un accès effectif à la justice ? La mise en œuvre des droits des victimes devant la Cour pénale internationale », in, Actualité Juridique Pénal, Dalloz, 2013, n°6, mai 2013 pp. 251-254. 156 NGUYEN (D.), Le statut des victimes dans la pratique des Juridictions Pénales Internationales, Thèse de doctorat en droit public, Université Jean Moulin, 2014, 785 p., p. 24. 157 Le TPIY n’envisageait la victime que dans la mesure où elle pouvait participer à la manifestation de la vérité. MABANGA (G. M.), La victime devant la Cour pénale internationale. Partie ou participant ?, L’Harmattan, Paris, Collection Logiques Juridiques, 2009, 177 p., p. 16. 158 NGUYEN (D.), op.cit, p. 10. 159 CPI, Chambre d’appel, Affaire Le procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt relatif aux appels interjetés par le Procureur et la Défense contre la Décision relative à la participation des victimes rendue le 18 janvier 2009 par la Chambre de première instance I, ICC-01/04-01/06-1432-tFRA, 11 juillet 2008. Pour une analyse de la décision, Voy. MABANGA (G. M.), op.cit., pp. 63-74.

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! 41!

par beaucoup, Maître Ghislain M. MABANGA considère que « sans la proclamer

expressément partie, la cour a reconnu à la victime les prérogatives essentielles d’une partie au

procès pénal international »160 Une autre critique a été adressée au système prévu par le Statut

de Rome, celle d’être « long, lourd et complexe » pour les victimes161. En effet, le règlement de

procédure de la CPI pose un certain nombre de conditions soumises à l’appréciation des juges,

ce qui entrave l’exercice par les victimes, des prérogatives accordées par le Statut162 .

Néanmoins, la jurisprudence de la Cour évolue vers une simplification du système de

participation des victimes163.

S’agissant des TPI, l’évolution la plus avancée de la place de la victime au procès pénal

international est envisagée par les CETC devant lesquels la victime devient une véritable partie

à la procédure. C’est la règle 23 du Règlement des CETC qui précise les modalités de l’action

civile des victimes devant la juridiction cambodgienne. Comme pour la CPI, un certain nombre

de conditions sont requises pour que les victimes puissent se constituer partie civile164 et

également pour les modalités de participation des parties civiles à la procédure. En ce qui

concerne la constitution de partie civile, Madame Déborah NGUYEN indique que les juges

admettent facilement la qualité de parties civiles aux victimes lorsque deux critères sont

remplis : d’une part un préjudice doit avoir été subi et d’autre part il doit être lié à un crime

relevant de la compétence des CETCT165. Les modalités de participation des victimes sont,

elles, plus encadrées en raison du grand nombre de demandes166.

Devant les CAE, la question de la place des victimes est réglée directement par le Statut

dont l’article 14 prévoit qu’elles peuvent participer à la procédure en qualité de partie civile.

La constitution de partie civile est une garantie procédurale très appréciable pour les victimes :

non seulement elle leur donne le statut de partie au procès – et de ce fait, il leur est accordé les

mêmes droits procéduraux que les autres parties – mais elle leur donne également

automatiquement droit à réparation167. Dans le système prévu par le Statut de Rome, la

réparation est distincte de la participation des victimes à la procédure168.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!160 Ibid., p. 131. 161 PENA (M.) op.cit., p. 251. 162 Pour une étude des conditions requises devant la CPI, Voy. NGUYEN (D.), op. cit., pp. 283-303 et pp. 330-334. 163 PENA (M.), op. cit., 251. 164 NGUYEN (D.), op. cit., pp. 303-330 et 334-336. 165 Ibid., p. 325. 166 Ibid., p. 336. Les juges restreignent la participation des parties civiles en conditionnant celle-ci soit à l’intérêt personnel des parties civiles d’obtenir réparation soit à un intérêt lié l’objectif de manifestation de la vérité de la juridiction. Déborah NGUYEN critique cette approche car elle omet un aspect important du système de constitution de partie civile à savoir « l’intérêt propre aux victimes de participer à la procédure ». 167 PENA (M.), op. cit., 252 168 Voy. Article 75 du Statut de Rome. Au §1 il est indiqué que « la Cour peut, sur demande, ou de son propre chef dans des circonstances exceptionnelles, déterminer dans sa décision l'ampleur du dommage, de la perte ou du préjudice causé aux

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! 42!

L’article 14§1 indique que « la constitution de partie civile peut avoir lieu à tout moment

au cours de l’instruction et se fait par demande écrite de la victime ou son ayant droit au

greffier » qui communique la demande à la Chambre compétente, ainsi qu’au ministère public

et à la défense. Le Statut encourage les victimes à se constituer en groupes et à être représentées

par un ou plusieurs représentants communs169. Les CAE fournissent une aide aux victimes

lorsqu’elles ne peuvent pas choisir de représentants ou lorsqu’elles n’ont pas les moyens de le

faire170. L’article 14§4 précise, enfin, que les modalités de la participation des victimes sont

régies par le Code de procédure pénale. Il faut donc se référer au droit national sénégalais pour

déterminer les conditions encadrant la constitution de partie civile.

Le Statut évoque seulement la « Chambre compétente » pour désigner la formation qui

sera en charge de statuer sur les demandes de constitution de partie civile. Les demandes de

constitution de partie civile ayant lieu, d’après le Statut, au cours de l’instruction, c’est

logiquement la Chambre africaine extraordinaire d’instruction qui est compétente pour statuer

sur les demandes. Néanmoins l’article 31 du Statut dispose que « lors de la phase d’instruction,

les juges de la Chambre africaine extraordinaire d’accusation sont saisis et statuent sur tout

recours qui leur sera déféré en vertu du Code de Procédure pénale du Sénégal ». Les juges de la

Chambre africaine extraordinaire d’Accusation peuvent donc également se prononcer sur les

demandes de constitution de partie civile, en cas de recours contre la décision prise par la

d’Instruction.

La phase d’instruction étant achevée, nous pouvons déjà apporter des précisions

pratiques, sur la demande de constitution de partie civile devant les CAE. Tout d’abord, trois

associations ont été admises parties civiles devant les CAE : l’AVCRP, l’AVCRHH – déjà

citées précédemment – et le Réseau des associations des droits de l’homme du Tchad

(RADHT).

Pour analyser ce système de demande de partie civile, il est intéressant de citer la

demande de constitution de partie civile faite par l’Etat du Tchad le 21 mai 2014. Ce fut la

première fois qu’un Etat demande à se constituer partie civile devant une juridiction

internationale. Le Statut des CAE ne l’interdisait pas et le code de procédure à l’article 76

indique simplement que « toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut, en

portant plainte devant le juge d’instruction, se constituer partie civile ». A l’appui de cette

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!victimes ou à leurs ayants droit, en indiquant les principes sur lesquels elle fonde sa décision ». Le passage souligné par nos soins, montre l’absence d’automaticité de la réparation qui doit être demandé ou à titre exceptionnel relevée par la Cour elle-même. 169 Statut des Chambres africaines extraordinaires, Article 14§2. 170 C’est l’Administrateur des Chambres qui est chargé de cette aide soit par la désignation d’un ou plusieurs représentants à la demande de la Chambre compétente (article 14§3) soit par une assistante aux victimes qui en font la demande (article 14§5).

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! 43!

demande, le gouvernement tchadien invoquait le préjudice économique, financier et moral que

l’Etat du Tchad avait subi suite aux pillages commis par l’ancien Président de la République

tchadien sur son territoire. Dans une ordonnance du 21 mai 2014, la Chambre africaine

extraordinaire d’instruction rejette la demande pour irrecevabilité au motif que l’Etat du Tchad

ne peut avoir la qualité de « victime » des crimes relevant de la compétence du Tchad car d’une

part, le crime de pillage allégué ne peut être commis que par des forces ennemies, et d’autre

part ce crime ne fait pas partie des charges retenues par le Procureur à l’encontre d’Hissène

Habré et de ses complices171. L’Etat du Tchad interjeta appel de l’ordonnance devant la

Chambre africaine extraordinaire d’accusation. Il soutint notamment que la Chambre

d’Instruction des CAE n’était pas compétente pour statuer sur sa demande puisque que seule

une juridiction de jugement pouvait le faire et conteste la décision d’irrecevabilité de la

Chambre d’Instruction. La CAE d’Accusation dans une ordonnance du 27 aout 2014, rejeta

également la demande de l’Etat Tchadien en reprenant le raisonnement de la Chambre

d’Instruction et précisa les conditions entourant la demande de constitution de partie civile172.

Deux conditions sont donc nécessaires pour la constitution de partie civile devant les Chambres

africaines extraordinaires : l’existence du préjudice allégué et son lien directe avec les

infractions prévues par le Statut des CAE. Ces conditions sont relativement larges et montrent

la volonté des CAE d’assurer une participation effective des victimes à la procédure. En

l’espèce, si le Tchad n’a pas bénéficié de ce droit, ce n’est pas en raison de sa qualité d’Etat ou

même en raison des contestations qui étaient faites face à une telle éventualité – même si les

victimes tchadiennes ont été autorisées à s’opposer à la demande de l’Etat tchadien. La

Chambre d’Accusation s’est uniquement fondée sur les dispositions du Statut des CAE et du

code de procédure pénale sénégalais et la demande du Tchad ne satisfaisait pas aux conditions

juridiques découlant de l’analyse de ces textes.

Outre la participation à la procédure, la constitution de partie civile présente l’intérêt

d’ouvrir droit à réparation aux victimes. L’article 27 du Statut donne des précisions sur les

réparations qui peuvent être accordées la forme de restitution, d’indemnisation, et de

réhabilitation (article 27§1). A ce titre, l’article 28 du Statut des CAE prévoit l’ouverture d’un

Fonds au profit des victimes de crimes relevant de la compétence des CAE et de leurs ayants

droits. Comme pour le budget des CAE, le fonds doit être alimenté par des contributions

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!171 La décision n’étant pas publiée, Voy. LE GALL (E.), « De la décision de rejet de la constitution de partie civile de l’Etat du Tchad ». En ligne depuis le 22 septembre 2014 sur [ https://chroniquesinternationalescolla.wordpress.com/] (consulté le 20 aout 2015) 172 Chambre africaine extraordinaire d’accusation, Ministère Public contre Hissein Habré et autres, Arrêt n°3 du 27 août 2014, RP N°01/2013/PG/CAE.

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! 44!

volontaires de la Communauté internationale. Néanmoins, il n’y a pas encore eu de réactions

pour l’alimentation de ce fonds. Il n’existe donc que de manière théorique173.

CONCLUSION DE LA PARTIE 1

Les Chambres africaines extraordinaires sont la preuve que la justice pénale

internationale est en constante évolution. Leur mode de création introduit une nouveauté dans

le champ des juridictions pénales internationalisées qui permet de remettre en cause les critères

qui avait été posés à l’égard de cette classe. En effet, les Chambres africaines extraordinaires

pourraient bien contribuer à l’élargissement de la catégorie des tribunaux pénaux

internationalisés, si les modalités de leur création sont utilisées pour l’institution d’autres

juridictions pénales du même type. L’existence des CAE peut avoir une autre incidence sur les

TPI, celle de montrer que cette catégorie n’en est pas une. On pourrait ainsi considérer, comme

le soutient le professeur Jean Marc SOREL qu’il n’y a pas d’évolution du concept mais une

dilution de celui-ci174. En réalité, les CAE sont la manifestation du phénomène « d’autopoïèse

»175 qui touche les tribunaux pénaux internationalisés qui permet à leur catégorie de s’adapter

aux évolutions et aux besoins de la justice pénale internationale.

Outre leur forme, les Chambres africaines extraordinaires présentent des caractéristiques

qui, elles aussi, peuvent influer sur l’évolution de la justice pénale internationale. D’une part, le

Statut des CAE montre que les principes, notamment procéduraux, du droit international sont

toujours au cœur des préoccupations au moment de l’instauration d’une nouvelle juridiction. Et

d’autre part, il révèle que des progrès sont toujours réalisables pour ancrer le respect des droits

de l’homme à la conception de la justice pénale internationale. De ce fait, le statut des victimes

devant les CAE témoigne de cette volonté de poursuivre les efforts pour une meilleure prise en

compte de tous les acteurs de la justice pénale internationale.

Les CAE ont été créées au cœur de l’Afrique. Si l’on présage déjà les profits de leur

création à l’égard de la justice pénale internationale, on peut estimer que cette juridiction

originale apportera un souffle nouveau au continent africain.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!173 Voy. Annexe 4, Entretien avec Ciré Aly Bâ, Administrateur des Chambres africaines extraordinaires, le 11 juin 2015 à Dakar 174 SOREL (J-M)., « Introduction », op.cit., p. 175 Cité par Jean-Marc Sorel lors de son cours en 2013-2014 à propos des juridictions internationales. Du grec auto, soi-même, et poièsis, production, création, l’autopoièse est la propriété d'un système de se produire lui-même, en permanence et en interaction avec son environnement, et ainsi de maintenir sa structure malgré le changement de composants. Le terme et le concept d’autopoièse ont été inventés par Humberto Maturana et Francisco Varela (1948-2001), dans l'article «Autopoietic Systems», qui parut dans la revue Biosystems, participation qu’ils présentèrent dans un séminaire de recherche de l'Université de Santiago du Chili en 1972.

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! 45!

DEUXIEME PARTIE : LES CHAMBRES AFRICAINES

EXTRAORDINAIRES, UN NOUVEAU DEPART POUR LA

JUSTICE PÉNALE AFRICAINE ?

Nous avons vu précédemment que la création des Chambres africaines extraordinaires a

intéressé toute la communauté internationale, mais c’est en Afrique qu’elle a eu le plus grand

retentissement. C’est une institution sans précédent par laquelle l’Afrique s’est engagée à

« juger ses propres fils »176 pour les atrocités qu’ils ont commis sur le continent. Cette

perspective fait naître de nombreuses attentes sur le continent. La première est certainement le

succès de la juridiction sans laquelle les CAE ne demeureraient qu’une simple promesse de

justice. A cet égard, des efforts ont été, et devront être fournis par les fondateurs de la

juridiction mais aussi par les CAE elles-mêmes. (Chapitre 1). La deuxième attente, qui est

également très importante, concerne les retombées de la naissance des Chambres africaines sur

le développement de la justice pénale internationale en Afrique. (Chapitre 2).

Chapitre 1er : Le succès espéré d’une juridiction créée au cœur de

l’Afrique

Un bilan positif du fonctionnement des Chambres africaines extraordinaires indiquerait

que l’objectif principal entourant leur création a été rempli, à savoir celui de rétablir la justice

face aux horreurs qu’a connues la population tchadienne (Section 1). Même si le jugement –

phase la plus attendue – est en cours, les CAE ont commencé à fonctionner depuis 2013 et la

phase d’instruction a pris fin en février 2015. L’analyse de cette étape nous permettra de jauger

le potentiel de réussite des Chambres Africaines (Section 2).

Section I. Une volonté africaine de rétablir la justice face aux atrocités

commises au Tchad

La création des Chambres africaines extraordinaires est le fruit d’une réunion de volontés.

La première est celle de l’Union africaine qui a accepté de prendre en charge une situation

complexe (§ 1) et la seconde vient de l’Etat Sénégalais qui, s’étant engagé à rendre justice aux

victimes tchadiennes, a dû montrer son implication dans la réalisation de cet engagement (§2). !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!176 Expression empruntée à Maître Assane DIOMA NDIAYE, Voy. Annexe 5, Entretien avec Maitre Assane DIOMA NDIAYE, avocat des parties civiles devant les Chambres africaines extraordinaires, le 12 juin 2015, à Dakar.

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§ 1. La prise en charge d’une situation complexe par l’Union Africaine.

Le 9 septembre 1999, lors du Sommet de Syrte, les États membres de l’Organisation de

l’Unité Africaine – sur l’initiative du chef d’État libyen, Mouammar Kadhafi – signe un

engagement solennel en vue de l’institution d’une nouvelle organisation internationale. Elle est

envisagée en tant que successeur de l’OUA qui peinait à remplir ses objectifs sur le continent

africain. L’acte constitutif de l’Union Africaine est finalement adopté le 11 juin 2000 et

l’Organisation commence à fonctionner officiellement le 9 juillet 2002. Cette institution qui

comprend tous les États du continent – sauf le Maroc – a été dotée d’une structure développée

et d’un certain nombre de prérogatives en vue de l’accélération de l’intégration économique,

politique et sociale du continent177. « L’organe suprême » de l’organisation est la Conférence

de l’Union Africaine composée des chefs d’État et de gouvernement178. Elle possède des

pouvoirs importants d’organisation, d’intervention, et de sanction vis-à-vis des Etats

membres179. Les deux autres organes pléniers de l’Organisation sont le Conseil exécutif et le

Comité des représentant permanents. L’organisation est également composée d’un Parlement

panafricain, d’une Cour de justice, d’une Commission, de Comités techniques spécialisés, d’un

Conseil économique, social et culturel ainsi que d’institutions financières180. Elle comporte

aussi des organes créés ultérieurement conformément à l’article 5 de l’Acte constitutif de l’UA

qui prévoit que « la Conférence peut décider de créer d’autres organes ».

L’article 3 de l’Acte constitutif de l’UA présente une série d’objectifs assignés à

l’organisation. L’objectif premier de l’UA – qui montre sa continuité avec l’Organisation de

l’Unité Africaine – est de « réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays africains et

entre les peuples »181. Plusieurs objectifs nous intéressent particulièrement par rapport à la

création des Chambres africaines extraordinaires : la promotion et la défense « des positions

africaines communes sur les questions d'intérêt pour le continent et ses peuples »182 ainsi que la

promotion et la protection « des droits de l'homme et des peuples conformément à la Charte

africaine des droits de l'homme et des peuples et aux autres instruments pertinents relatifs aux

droits de l'homme »183. L’article 4 de l’Acte constitutif de l’UA énumère, quant à lui, les

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!177 Acte constitutif de l’Union Africaine, adopté le 11 juillet 2000 à Lomé, entrée en vigueur le 26 mai 2001, Article 3 c). 178 Ibid.,, Article 6. 179 Voy., TCHIKAYA (B.), Le droit de l’Union africaine. Principes, institutions et jurisprudence, Berger-Levrault, Paris, 2014, 247 p., pp. 61-73. 180 Acte constitutif de l’Union Africaine, Article 5. 181 Ibid, Article 3. 182 Ibid., Article 3 (d). 183 Ibid., Article 3 (h).

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! 47!

principes de l’organisation dont le « respect du caractère sacro-saint de la vie humaine et

condamnation et rejet de l’impunité, des assassinats politiques, des actes de terrorisme et des

activités subversives »184 et le « droit de l'Union d'intervenir dans un Etat membre sur décision

de la Conférence, dans certaines circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le

génocide et les crimes contre l'humanité »185.

Ces principes et objectifs ont conduit l’organisation à jouer un rôle clé dans la création

inattendue des Chambres africaines extraordinaires186. En effet, comme l’indique le professeur

Konstantinos D. MAGLIVERAS, « legal provisions in the text of the constitutive instruments

of international organizations have a meaning only when they are respected and rigorously

implemented »187. Par ailleurs, dans la préface d’un ouvrage relatif à l’Union Africaine, le

professeur Alain PELLET indiquait que l’Afrique devait « prendre son destin en main, sans

s’en remettre à d’autres – et de le faire collectivement, en laissant de côté le souverainisme en

tout cas lorsque sont en jeu les principes sacrés les plus fondamentaux du droit international

contemporain »188. Ainsi, l’UA prit le destin de l’Afrique en main, en considérant « le Dossier

Hissène Habré comme le dossier de l’Union Africaine » et en mandatant « la République du

Sénégal de poursuivre et de faire juger, au nom de l’Afrique, Hissène Habré » 189.

L’historique de l’UA montre que la décision finale de créer une juridiction pénale

internationale spéciale au Sénégal était loin d’être une solution évidente. Effectivement,

l’organisation avait adopté une position très méfiante à l’égard du principe de la compétence

universelle, souvent utilisée par des États occidentaux contre des hommes politiques

africains190. En outre, le conflit entre l’Union Africaine et la Cour Pénale Internationale a

entravé le développement de la justice pénale internationale sur le continent. Pourtant, les États

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!184 Ibid., Article 4 (o). 185 Ibid, Article 4 (h). 186 Dans sa première décision concernant le jugement d’Hissène Habré, la Conférence de l’Union Africaine précise que les crimes reprochés à Hissène Habré entrent dans la compétence de l’Union africaine en vertu des articles 3 (h), 4 (h) et 4 (o) de l’Acte constitutif de l’Union africaine. Voy., Décision sur le procès Hissène Habré et l’Union Africaine, Assembly/AU/Dec.103 (VI), Doc.Assembly/AU/8 (VI), adoptée par la sixième session ordinaire de la Conférence de l’Union Africaine tenue Khartoum du 23 au 24 janvier 2006. 187 MAGLIVERAS (K. D.), « Fighting impunity uncessfuly in Africa : critique of the African Union’s handling of the Hissène Habré affair », in African Journal of international and comparative Law, 22.3 (2014), pp. 420-447, p. 421. 188 PELLET (A.) « Préface », in TCHIKAYA (B.), Le droit de l’Union africaine. Principes, institutions et jurisprudence, Berger-Levrault, Paris, 2014, pp. 9-12, p 11. 189 Décision sur le procès Hissène Habré et l’Union Africaine, Assembly/AU/Dec.103 (VI), Doc.Assembly/AU/8 (VI), adoptée par la sixième session ordinaire de la Conférence de l’Union Africaine tenue Khartoum du 23 au 24 janvier 2006. 190 Voy, MUBIALA (M.), « Chronique de droit pénal de l’Union Africaine. Vers une justice pénale régionale en Afrique » in Revue internationale de droit pénal, Vol 83, 2012/3, pp. 547-557, spéc. pp. 548-551. Le Pr. Mutoy MUBIALA nous explique que cette critique de l’utilisation abusive de la compétence universelle, visant des États européens comme la France, la Belgique ou l’Espagne, a mené à un conflit entre l’Union Africaine et l’Union Européenne. Les deux organisations chargèrent alors un groupe d’experts techniques ad hoc de les éclairer sur le principe de la compétence universelle. L’UA considérait que les États européens violaient le principe du respect de la souveraineté nationale et ternissaient l’image des dirigeants africains. Le groupe d’experts recommanda finalement à l’Union Africaine de mettre en œuvre la proposition d’extension des compétences de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples vers une compétence pénale pour juger les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

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! 48!

africains ont été les premiers à soutenir l’activité de la CPI à la fois par les adhésions au Statut

de Rome mais également par le transfert d’un certain nombre d’affaires à la Compétence de la

Cour191. Aujourd’hui, la coopération entre l’Afrique et la CPI souffre d’un grand désaccord

politique lié au « déséquilibre géographique » des procédures lancées par la juridiction192. La

position de l’Union africaine a fait l’objet de controverses, notamment au regard des graves

crises humanitaires qui secouent le continent. En réponse aux critiques, « l’UA ne s’est pas

contentée d’appeler ses membres à refuser de coopérer avec la CPI, elle dépense une énergie

considérable à mettre en place des alternatives crédibles »193. Avec l’affaire Hissène Habré

l’UA a donc eu l’occasion de mettre en œuvre une de ces alternatives et de montrer qu’elle

pouvait prendre en charge une situation loin d’être isolée sur le continent194.

La décision Assembly/AU/Dec. 127 (VII) de la Conférence de l’UA est analysée par le

professeur Mutoy MUBIALA comme « l’émergence d’une «compétence régionale de l’UA en

matière pénale »195. Cette compétence attribuerait à l’Union Africaine « le pouvoir de juger, et

à défaut […] de faire juger par un État africain […], les auteurs présumés de crimes prévus par

l’Acte constitutif de l’UA »196. Même si cette décision n’est pas directement au fondement de la

création des Chambres africaines extraordinaires, elle a permis le déblocage de « l’affaire

Habré ». Jusqu’à la création des CAE, l’Union Africaine a joué un rôle actif pour que le

Sénégal respecte son engagement de juger l’ancien chef d’État du Tchad. Il faut noter que

l’UA a eu une fonction d’accompagnement et qu’elle a laissé au Sénégal une assez large liberté

de manœuvre – qui a sans doute contribué à la lenteur de la procédure – sans jamais le

contraindre vraiment. Ainsi, les CAE sont nées dans le cadre d’un « processus de création

sage »197 et le Statut de la juridiction reflète le respect scrupuleux de la souveraineté de l’État

sénégalais. Par ailleurs, l’organisation n’est que bailleur des CAE et intervient très peu dans

son fonctionnement198.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!191 Voy., MOUANGUE KOBILA (J.), « L’Afrique et les juridictions internationales pénales », Cahier Thucydide n° 10, Étude Février 2012, 61 p. Disponible sur [http://www.afri-ct.org/IMG/pdf/10-L_Afrique_et_les_JIP.pdf] 192 GIBERT (M.), « La cour pénale internationale et l’Afrique, ou l’instrumentalisation punitive de la justice internationale ? », in Revue internationale et stratégique, n°97, 2015/1, pp. 111-118, p.111. 193 GIBERT (M.), ibid., p. 118 194 MAGLIVERAS (K. D.), op. cit., p. 421. « The AU has had a unique opportunity to show not only to the victims of the atrocities committed during his reign in Chad but also to African populations and to the world at large that it is capable of handling a case which is similar to others that have happened before and will probably occur again ». 195 MUBIALA (M.), op. cit., p. 548 196 Ibid. 197 LAMBERT-ABDELGAWAD (E.), « Quelques brèves réflexions sur les actes créateurs des TPI », in ASCENCIO (H.), LAMBERT-ABDELGAWAD (E.), SOREL (J-M.) (Dir.), op.cit., pp 27-45, p. 28. Le processus de création d’un TPI est dit « sage » lorsqu’il est créé sur la base d’un traité international. 198 L’organisation intervient seulement dans la nomination des juges des Chambres africaines extraordinaires. Voy. Article 11 du Statut des Chambres africaines extraordinaires.

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! 49!

L’intervention de l’Union Africaine a permis de mettre fin à l’impunité qui caractérisait

« l’affaire Hissène Habré ». Néanmoins, la coopération du Sénégal était indispensable pour la

mise en place des Chambres africaines extraordinaires.

§ 2. L’implication de l’État sénégalais pour respecter son engagement de juger Hissène

Habré

Le Sénégal a montré sa volonté de rendre la justice à l’égard des victimes tchadiennes

d’une part en procédant à une importante réforme du droit sénégalais (A) et d’autre part en

accueillant la juridiction chargée de juger les crimes commis au Tchad durant le règne

d’Hissène Habré (B).

A. L’importante réforme du droit sénégalais

Le Sénégal est un considéré comme un État émergent en Afrique non seulement en raison

de son développement économique et social mais également par rapport à la protection des

droits de l’homme sur le continent. En effet, l’État sénégalais est partie à un nombre important

d’instruments internationaux de protection des droits de l’homme et a été le tout premier État à

avoir ratifié le Statut de Rome, le 2 février 1999. Même si la saisine des juridictions

sénégalaises était motivée par le fait qu’Hissène Habré résidait dans le pays, quand les victimes

du régime d’Hissène Habré se sont tournées vers le Sénégal en 2000, elles avaient toutes les

raisons de croire au succès de leur action. D’une part, le Sénégal était partie à la Convention

contre la torture et autres traitements inhumains et dégradants du 10 décembre 1984 (ci après

Convention contre la torture) et l’avait ratifiée depuis le 21 août 1986. Et d’autre part, cette

Convention contient des obligations qui ont pour objectif de faciliter la poursuite des auteurs

présumés de crimes de torture – qui font partie des actes reprochés à l’ancien Président de la

République du Tchad – par les Etats parties. Pourtant, contre tout attente, les juridictions

sénégalaises n’ont pas suivi la voie de la lutte contre l’impunité, et ont finalement décidé

qu’elles n’étaient pas compétentes pour juger Hissène Habré.

Il est intéressant de revenir sur la décision de la Cour d’Appel de Dakar du 04 juillet

2000. Lorsqu’il contesta son inculpation et sa mise en résidence surveillée en saisissant la Cour

d’Appel de Dakar, la question de l’interprétation de la Convention contre la torture était au

cœur des débats. Avec l’aide de ses avocats, il arguait de l’illégalité du procès-verbal

!

! 50!

d’inculpation notamment199 en raison de son incompatibilité avec l’article 669 du Code de

procédure pénale sénégalais qui limite les cas selon lesquels un étranger peut être poursuivi au

Sénégal. L’ancien chef d’État tchadien et ses avocats niaient toute interférence de la

Convention de 1984 sur l’interdiction de la torture au motif que l’inculpation avait été fondée

seulement sur le droit sénégalais et que le Sénégal, contrairement aux exemples belges et

français, « n’a pas pris de lois de procédure » pour établir la compétence de ses tribunaux »200.

La contre argumentation de la partie défenderesse reposait sur la primauté de la Convention de

1984 sur le droit sénégalais « au nom de la hiérarchisation des normes juridiques » et

s’appuyait sur un arrêt de la Cour Suprême du Sénégal allant dans ce sens. Elle critiquait

également la lecture de la Convention de New-York de 1984 faite par Hissène Habré et ses

avocats en se fondant sur l’article 27 de la convention de Vienne201 sur le droit des traités que le

Sénégal avait ratifié. La question était donc de savoir si les juridictions sénégalaises étaient

compétentes pour poursuivre un étranger pour crimes contre l’humanité et torture. En ce qui

concerne la poursuite de Hissène Habré pour crime contre l’humanité, la Cour de d’appel de

Dakar répondit que :

« Le droit positif sénégalais ne renferme à l'heure actuelle aucune incrimination de crimes contre

l'humanité, qu'en vertu du principe de la légalité des délits et des peines affirmé à l'article 4 du

Code Pénal, les juridictions sénégalaise ne peuvent matériellement connaître de ces faits »202

Les crimes de torture étaient bien incriminés par le droit sénégalais mais la Cour d’appel

de Dakar précisa que :

« Aucun texte de procédure ne reconnaît une compétence universelle aux juridictions sénégalaises

en vue de poursuivre et de juger, s'ils sont trouvés sur le territoire de la République, les présumés

auteurs ou complices de faits qui entrent dans les prévisions de la loi du 28 août 1996 portant

adaptation de la législation sénégalaise aux dispositions de l'article 4 de la Convention lorsque ces

faits ont été commis hors du Sénégal par des étrangers »203

La décision de la Cour d’appel de Dakar a été vivement critiquée notamment car le

Sénégal, à l’instar de la France, possède un système juridique de type moniste à primauté du

droit international. En effet, l’article 98 de la Constitution sénégalaise dispose que :

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!199 L’argumentation reposait également sur la prescription d’une partie des faits et l’absence de base légale du procès-verbal d’inculpation. Voy. BRODY (R.), op.cit., p. 200 Cour d’appel de Dakar, Ministère Public et François Diouf contre Hissène Habré, Arrêt n°135 du 04 juillet 2000. Disponible sur [http://www.hrw.org/legacy/french/themes/habre-decision.html] 201 Selon cet article, « une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un traité ». 202 Cour d’appel de Dakar, Chambre d’accusation, op.cit. 203 Idem.

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! 51!

« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité

supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre

partie »204.

Le professeur Konstantinos D. MAGLIVERAS a ainsi considéré que même si aucun

instrument législatif n’intégrait les dispositions de la Convention contre la torture, au moment

de la décision de la Cour d’appel, les actes de tortures supposés commis par Hissène Habré

entre août 1986 et décembre 1990 devaient être considérés comme entrant dans l’ordre

juridique sénégalais205. Pour d’autres auteurs, comme Madame Valentina SPIGA, cette

disposition de la Constitution sénégalaise ne concerne que les « self-executing treaties » et ne

s’applique pas aux conventions qui requièrent des États l’adoption d’une loi pour en donner

plein effet, tel que la Convention de New-York sur l’interdiction de la torture206. Elle considère

donc que « Senegal could not carry out the mandate of the African Union without adopting an

incorporating law or amending the legislation into force »207.

La Cour d’appel de Dakar a clairement suivi cette seconde position et lança même un

appel au législateur sénégalais, afin qu’il prenne des mesures visant la mise en œuvre effective

du principe de la compétence universelle, dans l’obiter dictum suivant : « Considérant que la législateur sénégalais devrait parallèlement à la réforme entreprise dans le Code Pénal

apporter des modifications à l'article 669 du Code de Procédure Pénale en y incluant l'incrimination de

torture, qu'en le faisant il se mettrait en harmonie avec les objectifs de la convention et reconnaîtrait par

conséquent le principe de la compétence universelle »

Sept ans après l’arrêt de la Cour d’Appel de Dakar, le législateur sénégalais entreprend

une réforme législative. Dans un premier temps, par la loi n°2007-02 du 12 février 2007

modifiant le code de pénal, le législateur sénégalais intègre la définition des crimes

internationaux prévus par le Statut de la CPI au code pénal Sénégalais208. Ensuite, par la loi

n°2007-05 de la même date, il consacre le principe de compétence universelle à l’article 669 du

code procédure pénale sénégalais : « Tout étranger qui, hors du territoire de la République s’est vu reproché d’être l’auteur ou le complice

d’un des crimes visés aux articles 431-1 à 431-5 du code pénal, d’un crime ou d’un délit d’attentat à la

sûreté de l’État ou de contrefaçon du sceau de l’État, de monnaies nationales ayant cours ou d’actes visés

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!204 Constitution de la République du Sénégal du 22 janvier 2001, Article 98. Disponible sur [http://www.gouv.sn/IMG/pdf/constition_sn.pdf] 205 MAGLIVERAS (K. D.), op. cit., p. 423. 206 SPIGA (V.), op. cit., p. 13. Elle se fonde sur l’article 4 de la Convention contre la torture qui demande aux États d’incriminer les actes de tortures et d’en juger les responsables présumés. 207 Idem. 208 Loi n°2007-05 du 12 février 2007 modifiant le code de procédure pénale relative à la mise en œuvre du Traité de Rome instituant la Cour pénale internationale, Article premier. Ces cimes sont définis aux articles 431-1, 431-2, 431-3 et 431-5 du codé pénal et sont imprescriptibles par leur nature.

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! 52!

aux articles 279 à 279-3, 295-1 du code pénal peut être poursuivi et jugé d’après les dispositions des lois

sénégalaises ou applicables au Sénégal, s’il se trouve sous la juridiction du Sénégal ou si une victime

réside sur le territoire de la République du Sénégal, ou si le gouvernement obtient son extradition »

Cette consécration de la compétence universelle est très importante, et pas seulement en

ce qui concerne « l’affaire Hissène Habré ». Les avis sur la compétence universelle sont très

mitigés. En effet c’est un principe qui est, d’une part, considéré comme un principe important

et utile pour la justice pénale international et d’autre part, un principe qui attise beaucoup de

méfiance et de prudence209. S’agissant de la poursuite des crimes internationaux, il est

largement reconnu que l’institution de la compétence universelle est recommandée au nom de

l’efficacité du droit pénal international210. Cependant, même dans ce cadre, l’utilisation

abusive de la compétence universelle a été relevée notamment en ce qu’elle servirait

uniquement des intérêts politiques. L’utilisation de la compétence universelle a quand même

connu une évolution importante depuis son institution et son regain d’intérêt avec l’arrestation

de Pinochet au Royaume-Uni le 16 octobre 1998211. L’Affaire Hissène Habré permet elle aussi

de faire surgir l’intérêt de la compétence universelle en Afrique puisque le Sénégal est le

premier État africain à application du principe212.

Il est intéressant ici d’évoquer le fondement de l’institution de la compétence

universelle par le Sénégal et les modalités de mise en œuvre de celle-ci. Dans la loi du 12

février 2007, le Sénégal ne fait pas référence à la Convention contre la torture, et ne consacre

pas seulement le principe de compétence universelle à l’égard des actes de tortures. Ce n’est

donc pas sur simple base de la Convention contre la torture que le Sénégal introduit la

compétence universelle dans son droit, même si l’affaire Habré est à l’origine de ce

changement législatif. Il s’agit en fait d’une mise en conformité de l’État sénégalais vis à vis de

nombreux instruments internationaux ratifiés par le Sénégal comme les quatre conventions de

Genève du 12 août 1949 relatives au droit des conflits armés, le Statut de Rome et la

Convention de New-York contre la torture précitée213.

Par ailleurs, les chefs de compétence universelle prévus par le code de procédure pénale

sénégalais sont peu contraignants. Le premier critère est classique : il vise la situation où

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!209 MOULIER (I.) ; La compétence pénale universelle en droit international, Thèse de doctorat en droit, Université Paris I-Panthéon Sorbonne, 2006 , Tome I, 555 p. 210 DE LA PRADELLE (G.), « Chapitre77, la compétence universelle », in ASCENCIO (H.), DECAUX (E.), PELLET (A.) dir., Droit international pénal, CEDIN, Pedone, Paris, 2e édition revisitée, 2012, pp. 1007-1025, p. 1007. 211 Voy. STERN (B.), Pinochet face à la justice », in Études, 2001/1, tome 394, pp. 7-18. 212 « Senegal is the first state in the region to attempt to exercise universal jurisdiction ». WILLIAMS (S.), The extraordinary African Chambers in the Senegalese Courts, An African solution to an African problem ?, in Journal of international Criminal Justice, 2013, Vol. 11, n°5 pp. 1139-1160, p. 1153. 213 TIWANG WATIO (R.), « Réflexions sur les lois du 12 février 2007 portant modification du code pénal sénégalais et mise en œuvre du statut de la cour pénal international » In Revue africaine de droit international, 2007, Vol. 15., pp. 285-302.

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! 53!

l’auteur présumé d’un des crimes ou délits prévus par l’article 669 du code de procédure pénale

sénégalais est sous la juridiction du Sénégal214. Le deuxième chef de compétence vise le cas où

la victime, cette fois, réside sur le territoire de la République du Sénégal. Maître Raphaël

TIWANG WATIO salue la consécration de critère qu’il qualifie de « compétence universelle in

abstentia » notamment parce ce qu’il s’agit d’un critère très peu admis pour la mise en œuvre

de la compétence universelle215. Le troisième chef de compétence concerne le cas où le

gouvernement obtient l’extradition du criminel ou délinquant présumé. C’est un chef de

compétence surprenant qui semble encore plus large que les deux précédents. Interprété

littéralement, il s’agit d’une forme de compétence universelle in abstentia très poussée qui ne

requiert ni la présence de l’auteur présumé des crimes ou délits, ni celle de la victime sur le

territoire sénégalais. Cependant, les conditions de mise en œuvre de l’extradition sont

juridiquement encadrées, ce qui rend difficile l’évaluation de ce dernier critère.

La consécration du principe de la compétence universelle par le Sénégal ne fonde pas la

naissance des CAE, mais sans elle, l’intervention du Sénégal n’aurait pas eu de justification

légale. En effet, le conformément à ce que prévoit le droit international un État doit avoir un

titre de compétence pour pouvoir agir à l’égard d’une situation216. Or, le Sénégal ne possédait

pas de titre de compétence territoriale, ni de titre de compétence personnelle à l’égard de

l’affaire Habré. C’est donc en vertu du titre de la compétence universelle – précisément en

application du premier critère, Hissène Habré étant dans la juridiction de l’État – que le Sénégal

a pu accueillir le jugement de l’ancien dictateur.

B. L’accueil des Chambres africaines extraordinaires par le Sénégal

L’accueil des Chambres africaines extraordinaires est de trois ordres : il s’agit d’abord d’un

accueil politique, puis d’un accueil législatif et enfin d’un accueil logistique.

L’accueil politique des CAE par le Sénégal concerne l’engagement, et les efforts fournis

par le gouvernement Sénégal pour mettre en place la juridiction. Si l’UA et le Sénégal ont

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!214 Le critère de la présence sur le territoire est le chef de compétence le plus répandu pour la mise en œuvre de la compétence universelle. On le désigne sous l’appellation de « compétence universelle territoriale ». TIWANG WATIO (R.), « Réflexions sur les lois du 12 février 2007 portant modification du code pénal sénégalais et mise en œuvre du statut de la cour pénal international », op. cit., p 288 215 Ibid, p. 290. Il ajoute que « le Sénégal fait donc désormais partie, aux côtés de pays comme l’Espagne, la Nouvelle Zélande et l’Allemagne, du groupe d’États qui attribuent compétence à leurs juridictions pour connaître des crimes graves de droit international, commis en dehors de leur territoire et en l’absence des auteurs de ces crimes sur leur territoire » 216 CPJI, Affaire du « Lotus » (France/Turquie), arrêt, 7 septembre 1927, Série A, n° 10, p. 4 ; CPA, Affaire de l’Ile de Palmas (Pays-Bas c. États-Unis d’Amérique), sentence arbitrale, 4 avril 1928, RSA, vol. II, pp. 829-871. ; Tribunal ad hoc, Affaire du lac Lanoux, sentence arbitrale, 16 novembre 1957, RSA, vol. XII, pp. 281-317

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! 54!

choisi de suivre la voie de la 217création d’une juridiction pénale spéciale ad hoc conformément

à l’arrêt de la Cour de justice CEDEO du 18 novembre 2010, ils n’en étaient nullement tenus

car cette proposition ne faisait pas partie de la décision en elle-même. Il y a donc eu une

véritable volonté politique du gouvernement sénégalais en faveur de la naissance des Chambres

africaines extraordinaires.

L’accueil législatif des CAE par la République du Sénégal s’est fait par la loi n°2012-29,

le 28 décembre 2012 qui intègre les CAE à l’appareil juridictionnel sénégalais. Par ailleurs,

chaque Chambre des CAE est rattachée à une juridiction sénégalaise : la Chambre africaine

extraordinaire d’instruction est créée au sein du Tribunal Régional Hors Classe de Dakar et les

Chambre Africaines Extraordinaires d’Accusation, d’Assises et d’Assises d’Appel sont au sein

de la Cour d’appel de Dakar218.

L’accueil logistique des CAE est tout aussi important. Même si la juridiction fonctionne

indépendamment de l’État sénégalais et loue ses locaux à des personnes privées219, le Sénégal

apporte dans une certaine mesure son soutien aux CAE. Dans le Statut des CAE, il est prévu

que l’État sénégalais intervienne dans la nomination des juges et des greffiers (article 11 à 13

du Statut) et également dans la protection des parties et témoins au procès ainsi que des témoins

et experts au cours de la procédure (Article 34 et 35 du Statut). En outre, le Sénégal met à la

disposition des CAE, la plus grande salle du Palais de Justice de Dakar pour toute la durée du

procès.

Les Chambres africaines extraordinaires sont donc nées de la collaboration entre le

Sénégal et l’Union Africaine qui par leur volonté commune de rendre justice aux victimes du

régime d’Hissène Habré, ont œuvré – dans leur champ de compétence respectif – pour la mise

en œuvre de la juridiction pénale hybride. Désormais instituées, le flambeau passe aux mains

des Chambres africaines extraordinaires qui doivent assurer la mission qui leur a été confiée.

L’étude de la phase d’instruction des CAE permet déjà de pressentir la volonté de la juridiction

de réussir celle-ci.

Section II. La phase de l’instruction des Chambres africaines extraordinaires

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!217 L’obligation de respecter les arrêts de la Cour de justice de la CEDEAO s’impose au Sénégal et non à l’Union Africaine, mais celle-ci avait choisi d’accompagner le Sénégal dans le respect de ses engagements internationaux dont fait partie le Traité constitutif de la CEDEAO signé à Logos le 28 mai 1975 (révisé le 11 juin 2006 à Abudja). 218 Statut des Chambres africaines extraordinaires, Article 2. 219 Voy. Annexe 4, Entretien avec Ciré Aly Bâ, Administrateur des Chambres africaines extraordinaires, le 11 juin 2015 à Dakar.

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! 55!

Le bilan des Chambres africaines extraordinaires est loin d’être établi puisque la

juridiction n’est qu’au début de son fonctionnement. Toutefois, la phase d’instruction devant

les CAE, clôturée en février 2015, nous permet d’entrevoir les premiers pas de la juridiction

avant le jugement d’Hissène Habré (§1). Cette phase est également importante en ce qu’elle

indique le potentiel de réussite des CAE (§2).

§ 1. Les premiers pas de la juridiction avant le jugement d’Hissène Habré

Il convient de faire un rappel sur le fonctionnement de la Chambre africaine

extraordinaire d’instruction (ci-après CAEI) (A), avant de présenter le déroulement de

l’instruction devant les CAE (B).

A. Le déroulement de l’instruction devant les Chambres africaines extraordinaires.

Comme il a été dit dans la partie précédente, l’existence d’une chambre d’instruction au

sein des CAE, est le signe d’une assimilation importante du système juridique sénégalais dans

le fonctionnement du tribunal. Ainsi, devant les CAE, le jugement est précédé d’une phase

d’instruction durant laquelle des juges nommés à cette effet sont chargés d’enquêter à charge et

à décharge et d’examiner les faits dans l’unique but de parvenir à la manifestation de la vérité.

L’action de ces juges d’instruction, n’est pas hasardeuse et suit une procédure encadrée

juridiquement. Le Statut des Chambres africaines extraordinaires ne donne pas de précision sur

le déroulement de cette phase, il faut donc se référer au code de procédure pénale sénégalais.

Dans ce système d’inspiration civiliste, l’instruction est amorcée par l’ouverture d’une

information judiciaire par le Procureur de la République. Devant les CAE, c’est le Procureur

Général qui détient ce pouvoir et qui peut conformément à l’article 17 du Statut, « ouvrir une

information d’office ou sur la foi des renseignements obtenus de toutes sources ».

Une fois l’information ouverte, les juges d’instruction sont saisis. Les juges d’instruction

de la CAEI ont été nommés dès la première étape de création des CAE220. L’article 72 du code

de procédure pénale sénégalais présente certains des pouvoirs dont dispose le juge d’instruction

notamment la possibilité pour le juge de procéder à tous les actes d’information qu’il juge utiles

à la manifestation de la vérité. Une fois l’enquête terminée, l’article 175 du code de procédure

pénale sénégalais indique la suite et la fin de la procédure d’instruction :

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!220 Statut des Chambres africaines extraordinaires, Article 31.

!

! 56!

« Si le juge d’instruction estime que les faits constituent une infraction qualifiée de crime par la loi, il rend

une ordonnance de mise en accusation devant la Cour d’Assises. Il peut également saisir cette juridiction

des infractions connexes.

La décision de renvoi devant la Cour d’Assises doit être précédée d’une ordonnance de prise de corps

contre l’accusé.

L’ordonnance de mise en accusation contient à peine de nullité, l’exposé et la qualification légale des faits

objets de l’accusation, et précise l’identité de l’accusé ».

Les Chambres africaines extraordinaires ont été inaugurées le 8 février 2013 à Dakar. Peu

de temps après le 2 juillet 2013 le Procureur général des CAE déclenchait l’action publique.

Après vingt-trois mois de travail, la Chambre africaine extraordinaire d’Instruction mit fin à la

procédure d’instruction par une ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de

renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’Assises du 13 février 2015. Un premier

bilan – très succinct – de cette étape peut d’ores et déjà être dressé.

B. Le bilan de la phase d’instruction des Chambres africaines extraordinaires

L’ordonnance de la Chambre d’instruction des CAE commence par rappeler qu’elle a été

saisie par le Procureur Général des CAE dans un réquisitoire introductif du 02 juillet 2013

concernant l’information ouverte contre Hissène Habré ainsi que cinq autres responsables

présumés contre qui des mandats d’arrêts internationaux furent lancés dans la foulée221.

Hissène Habré est inculpé pour crime contre l’humanité, crime de guerre et torture tandis que

les cinq autres personnes le sont uniquement pour crime contre l’humanité et torture.

Après avoir présenté les conditions de leur création, l’ordonnance rappelle le champ de

compétence des CAE ainsi que le droit applicable par la juridiction. Cette présentation du droit

applicable est intéressante puisque l’ordonnance va au-delà de ce que prévoit le Statut en son

article 14 et cite le droit international conventionnel et le droit international coutumier avant la

loi sénégalaise. L’ordonnance donne ensuite des précisions sur la notion de « charges

suffisantes »222 et sur les règles sur le cumul en matière de qualification223 ainsi qu’en matière

de formes de responsabilité. Il est intéressant de constater que pour ces deux sections, la

Chambre africaine extraordinaire d’Instruction ne se fonde pas uniquement sur le droit !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!221. Il s’agit de Saleh Younouss, Guihini Korei, Abakar Torbo Rahama, Mahamat Djibrine dit El Djonto et Zakaria Berdel. Chambres africaines extraordinaires, Chambre africaine extraordinaire d’instruction, Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, 13 février 2015, RP N°01/13, pp. 1-2 222 Elle conclut qu’à « ce stade de la procédure, il s'agit donc d'apprécier la force probante des charges réunies et, le cas échéant, de renvoyer en jugement les personnes contre qui il existe des charges suffisamment sérieuses pour conclure à une probable culpabilité ». Voy. Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, op. cit., p. 5 223 Selon la Chambre d’instruction, un seul et même fait pourra revêtir deux qualifications différentes de crime contre l’humanité et crime de guerre « car chacune de ces infractions comporte un élément distinct ». Voy. Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, op. cit, p. 6

!

! 57!

sénégalais et qu’elle prend appui sur la jurisprudence antérieure des autres juridictions pénales

internationales224.

Un rappel de la procédure nous apprend que le travail de la Chambre d’instruction des

CAE s’est appuyé sur de nombreux actes de procédures comprenant sept commissions

rogatoires internationales, neuf ordonnances d’expertise, deux délégations judiciaires, des

auditions au Sénégal et au Tchad, ainsi que diverses ordonnances 225. La Chambre décrit

ensuite, de manière très détaillée le contexte et l’exposé des faits en se basant sur différentes

auditions, sur les archives de la DDS et sur le rapport d’expertise historique et politique du

Tchad.

Après tout ce travail préliminaire, l’ordonnance entre dans le vif du sujet avec la

qualification des faits. Elle procède à un examen minutieux des crimes cités par le Statut des

CAE en déterminant le droit applicable et en reprenant leurs éléments de définitions pour en

tirer des conclusions juridiques.

L’ordonnance commence par la qualification de crimes contre l’humanité définit par

l’article 6 du Statut des CAE. De cette définition, elle tire tout d’abord trois éléments

contextuels du crime contre l’humanité – à savoir, l'existence d'une attaque dirigée contre une

population civile, le caractère généralisé ou systématique de cette attaque et le lien entre cette

attaque et le crime commis – qu’elle examine successivement226. Elle se penche ensuite sur les

éléments spécifiques du crime contre l’humanité à travers la liste d’actes cités dans sa

définition. Elle vise spécifiquement : l’homicide volontaire, la pratique massive et systématique

d’exécutions sommaires, l’enlèvement de personnes suivi de disparition et la torture et les actes

inhumains227.

Elle procède de la même manière pour le crime de guerre qui est défini par le statut des

CAE à l’article 7 en examinant ses éléments contextuels228 – qui sont l’existence d’un conflit

armé et d’un lien de connexité entre les crimes et les conflits – puis les infractions sous

jacentes constitutives du crime de guerre dont elle retient l’homicide volontaire, la torture et les

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!224 S’agissant de la notion de charges suffisantes elle cite l’arrêt rendu le 29 janvier 2007 par la CPI dans l’Affaire Procureur c. Thomas Lubanga. En ce qui concerne les règles sur le cumul en matière de qualification, elle cite à nouveau un arrêt de la CPI, cette fois rendu dans le cadre de l’Affaire Procureur cl Jean Pierre Bemba, le 15 Juin 2009 et elle se fonde également sur l’arrêt de Chambre d'appel du TPIY rendu dans l’affaire Procureur cl Zejnil Delalic et autres du 20 février 2000. Enfin, pour préciser les règles de cumul en matière de formes de responsabilité elle cite les arrêts rendus par le TPIY dans l’affaire Thomas Blaskic. Voy. Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, op. cit., p. 5-6 225 Voy. Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, op. cit., pp. 8-10 226 Voy., Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, op. cit., p. 43-58 227 Ibid, pp. 58-87. 228 Ibid., pp. 90-115.

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! 58!

traitements inhumains, la destruction et l’appropriation des biens, la privation des prisonniers

de guerre et de toutes autres personnes de leur droit d'être jugés régulièrement et

impartialement, la détention illégale et le transfert illégal229.

Enfin, elle se penche sur le crime autonome de torture230 défini par le Statut à l’article 8.

Elle examine les éléments matériels puis le mens rea ou élément intentionnel du crime231.

La dernière phase de l’ordonnance, consiste en l’examen de la responsabilité pénale

individuelle. Après un rappel du droit applicable en la matière et une présentation des formes

de responsabilité individuelle en droit pénal international, la Chambre d’instruction des CAE

conclut à la responsabilité de Hissène Habré d’une part pour crimes contre l’humanité et torture

au titre de l’entreprise criminelle commune et d’autre pour crime de guerre en qualité de

supérieur hiérarchique232. Quand aux autres personnes inculpées, quatre sur les cinq sont, selon

l’ordonnance, impliquées dans la commission des faits criminels qui viennent d'être décrits.233

Toutefois, en raison d’une impossibilité matérielle, elle conclut que « le statut d'inculpé ne peut

être reconnu aux susnommés et qu'ils ne peuvent donc être renvoyés devant la juridiction de

jugement »234. Elle conclut également à un non-lieu partiel concernant deux actes sous-jacents

du crime de guerre en raison d’une absence de charges suffisantes justifiant le renvoi d’Hissène

Habré pour ces crimes235.

Hissène Habré – finalement seul inculpé – est donc mis en examen et renvoyé devant la

Chambre africaine extraordinaire d’Assises en raison de charges suffisantes indiquant,

premièrement, qu’il a commis sur les populations civiles, les Hadjerai, les Zaghawa, les

opposants et les populations du sud, des actes constitutifs de crimes contre l’humanité236.

Ensuite, en raison des preuves permettant de penser qu’il a « commis la torture au sens

des article 8 et 10 du Statut des CAE »237.

Enfin, la CAEI considère qu’il existe des charges suffisamment sérieuses pour conclure à une

probable culpabilité qu’Hissène Habré a,

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!229 Ibid, pp. 116-128. 230 Pour une analyse de la particularité de cette incrimination autonome de la torture, voy., SAVADOGO (R. O.), op. cit., pp. 122-123. 231 Voy. Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, op. cit., pp. 133-145. 232 L’ordonnance détaille le contenu de la responsabilité d’Hissène Habré, voy., Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, op. cit., pp. 156-179. 233 Ibid., p. 184. 234 Ibid. 235 Ibid., p.185. Il s’agit des crimes de privation d'un prisonnier ou de toute personne protégée de son droit d'être jugé régulièrement et impartialement et de Destruction ou appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire. 236 Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, op. cit, pp. 185-186. 237 Ibid., p. 186.

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! 59!

« commis dans le cadre d’un conflit armé international entre les FANT et le GUNT et d’un conflit armé

non international entre les FANT et les CODOS, des actes constitutifs de cimes de guerre au sens des

articles 7 et 10 du statut des CAE sur les prisonniers de guerre, les membres des Forces armées et les autres

personnes protégées par les dispositions des Conventions de Genève du 12 Août 1949 »238.

Outre cette décision finale de renvoi en jugement d’Hissène Habré, l’ordonnance de la

Chambre africaine extraordinaires d’instruction des CAE présente de nombreux éléments

permettant d’avoir un aperçu du potentiel de réussite de la juridiction.

§ 2. Un aperçu de l’ambition des Chambres africaines extraordinaires

L’ordonnance du 13 février 2015, est le premier acte important des CAE, même si les

décisions ont été rendues par la Chambre d’instruction et la Chambre d’Accusation au cours de

l’instruction. Ce premier acte peut donner des indices sur la « crédibilité de la juridiction »239.

La méthodologie employée par la Chambre d’instruction montre que les CAE ont la

volonté de s’inscrire dans la lignée des juridictions pénales internationales. D’une part, le droit

international occupe une place importante dans l’ordonnance aussi bien dans la partie

introductive que dans les parties concernant la qualification des faits et la responsabilité pénale

individuelle. D’autre part, la jurisprudence internationale antérieure est abondamment citée

dans l’ordonnance ce qui montre encore que la juridictionnalisation du droit n’empêche pas une

harmonisation des jurisprudences.

La Chambre d’instruction des CAE s’est basée sur un travail minutieux parfois assez

technique et très imprégné par la coopération internationale. L’un des aspects négatif de cette

phase d’instruction est qu’elle montre les limites de cette coopération. En effet, si Hissène

Habré se retrouve seul sur le banc des accusés c’est parce « qu'en dépit des multiples

sollicitations qui leur ont été adressées, notamment dans le cadre de l'exécution des CRI, les

autorités judiciaires tchadiennes n'ont ni notifié les mandats, ni dressé de procès-verbal de

vaines recherches »240. On peut néanmoins, relever que les juges d’instruction ont malgré tout

privilégié le respect des principes du procès équitable, qui empêche qu’une personne soit

poursuivie devant une juridiction sans avoir été inculpée c’est-à-dire mis au courant des

charges qui pèsent contre elle. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!238 Ibid. 239 SOREL (J-M), « Les premiers pas des juridictions internationales : maladresse, péché de jeunesse ou affirmation ? », in COT (J-P) (Dir.), Liber amicorum Jean Pierre COT : le procès international, Bruylant, Paris, 2009, pp. 283-308, p 283. 240 Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, op. cit, p. 184.

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! 60!

C’est donc un premier test qui est plutôt positif pour la juridiction. A cet égard, Madame

Elise LE GALL, relève que l’une des premières réussites des Chambres africaines

extraordinaires est « d’avoir réussi à boucler une instruction dans un délai fort raisonnable au

regard de l’envergure exceptionnelle de l’affaire, des moyens dont elles disposaient et des aléas

inévitables découlant d’une coopération des États »241.

Le défi pour les CAE pendant la phase de jugement, sera de continuer sur cette lancée,

dans le respect des principes du procès équitable notamment par rapport aux droits de la

défense. Ceux-ci seront un enjeu important car « toute l’attente du procès est portée sur

l’attitude que va avoir la défense »242.

Que ce soit au niveau de la création des CAE ou celui du fonctionnement de la

juridiction, des efforts sont déployés pour réaliser avec succès la poursuite des crimes

internationaux commis au Tchad entre le 7 juin 1982 et le 1er décembre 1990. Au-delà de cet

objectif, les retombées de ce succès potentiel sur le développement de la justice pénale

internationale en Afrique représentent un enjeu majeur.

Chapitre 2 : L’impact des Chambres africaines extraordinaires sur le

développement de la justice pénale internationale africaine

Selon le professeur Pacifique MANIRAZIKA, si « l’Afrique ne peut revendiquer la

palme de l’exclusivité » de la criminalité et de l’impunité, « la plupart des crimes graves qui

interpellent la communauté internationale et qui restent impunis ont été commis sur le continent

africain, principalement » 243. Néanmoins, l’Afrique n’est pas totalement indifférente aux

atrocités subies par sa population et se trouve « au cœur du projet d’une justice internationale

pour les crimes les plus graves »244. Ce projet a été mis en marche bien avant la naissance des

CAE, au moment de la création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Bien que la

relation entre la justice pénale internationale et le continent africain ait connu des hauts et des

bas, la naissance des Chambres africaines extraordinaires indique que son développement est

toujours en cours. D’une part, elles illustrent un attachement à la fin de l’impunité en Afrique

(Section 1) et d’autre part, elles marquent un renouveau pour la justice pénale internationale

africaine (Section 2). !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!241 LE GALL (E.), « Le procès Hissène Habré ou le devenir de la justice pénale international en Afrique, op. cit., p. 52. 242 Annexe, Entretien avec Elise Le GALL, Assistante du Procureur Général des CAE, Le 29 mai 2015, à Dakar. 243 MANIRAZIKA (P.), « L’Afrique et le système de justice pénale internationale », in African Journal of Legal Studies, N°3, 2009, pp. 21-52, p. 22. 244 BERNARD (D.), « Un possible apport africain à la justice internationale pénale » in Études Internationales, Vol. XLV, N°1, mars 2014, pp. 51-66, p. 52.

!

! 61!

Section I. L’illustration d’un attachement à la fin de l’impunité en Afrique

Homicides, extermination de populations, actes de tortures, disparitions, enrôlement

d’enfants soldats, viols de masse, etc. Longue est la liste des horreurs subies par la population

africaine. Pourtant, celle des personnes jugées et punies pour leur commission, l’est nettement

moins. Même si cette question de l’impunité est liée à un manque de volonté politique pour

poursuivre les responsables présumés de crimes internationaux, d’autres éléments sont à

prendre en considération.

Tout d’abord, cet état de fait peut être en partie attribué à une conception particulière de

la justice en Afrique, qui « a fortement évolué en raisons de facteurs comme la justice

précoloniale, la colonisation ou les religions »245. Du fait de leur histoire mouvementée, les

États africains possèdent un système judiciaire assez lacunaire au regard des standards posés

par le droit international. Les Chambres africaines extraordinaires sont la quatrième juridiction

pénale internationale à intervenir en Afrique après le TPIR, le TSSL et la CPI. Cette importante

action des juridictions pénales internationales en Afrique indique à la fois un échec dans la

prévention des crimes internationaux sur le continent mais également une incapacité des

tribunaux nationaux africains à prendre en charge la répression de ceux-ci. En même temps,

l’accueil par l’Afrique de toutes ces juridictions démontre un certain attachement à la fin de

l’impunité sur le continent.

Ensuite, le fait que la lutte contre l’impunité vise principalement les dirigeants ou ex-

dirigeants africains, est lié constat que « les atrocités massives qui ont endeuillé l’Afrique

prennent souvent origine dans des problèmes socio-politiques qui n’ont jamais été réglés de

manière satisfaisante » 246 . Ainsi, la punition des responsables de violations du droit

international est difficile à concevoir lorsque l’ensemble de la population est concerné et que la

reconstruction du tissu social est la seule priorité pour les autorités instituées après les conflits.

C’est dans ce cadre qu’intervient la notion de justice transitionnelle définit comme « l’éventail

complet des divers processus et mécanismes mis en œuvre par une société pour tenter de faire

face à des exactions massives commises dans le passé, en vue d’établir les responsabilités, de

rendre la justice et de permettre la réconciliation »247. Le Tchad après la chute d’Hissène Habré

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!245 LE ROY (E.), Les Africains et l’Institution de la Justice. Entre mimétismes et métissages, Dalloz, Paris, 2004, 284 p., p. 7 246 MANIRAZIKA (P.), op. cit., p. 29. 247 Secrétaire général des Nations Unions, Rapport concernant Rétablissement de l’état de droit et administration de la justice pendant la période de transition dans les sociétés en proie à un conflit ou sortant d’un conflit, S/2004/616 du 23 août 2004, §8

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! 62!

s’est retrouvé dans ce cas de figure, où une partie de la population réclamait la poursuite des

responsables des crimes commis pendant le régime de l’ancien Président de la République alors

même que certains d’entre eux sont encore au pouvoir 248.

La mise en place des Chambres africaines extraordinaires, plus de vingt ans après la fin

du régime d’Hissène Habré, illustre une forte hésitation des responsables politiques africains à

juger un de leurs pairs. Sans la persévération des victimes tchadiennes, Hissène Habré serait

resté au nombre des anciens chefs d’États africains vivant paisiblement dans un État voisin

après leur destitution, sans jamais avoir répondu des actes commis pendant leur mandat. En

cela, le Sénégal a enclenché un mouvement très important vers la fin de l’impunité en Afrique à

la fois pour les anciennes générations mais aussi et surtout pour les générations futures. En

outre, la consécration du principe de la compétence universelle dans le droit sénégalais a

introduit en Afrique une nouvelle voie pour les victimes de crimes restés impunis quelque soit

le lieu où les faits se sont déroulés. Les juridictions sénégalaises s’apprêtent à accueillir le

procès d’un ancien chef de la police congolaise accusé de la mort et de la disparition de deux

militants des droits de l’homme au Congo249. Ce sont les familles des victimes, résidant au

Sénégal, qui ont saisi les juridictions sénégalaises sur le fondement de la compétence

universelle. Le Sénégal a donc fait plus que consacrer le principe de la compétence universelle,

elle met en œuvre son effectivité.

Même si cette perspective est de bon augure pour le développement de la justice pénale

internationale en Afrique, on peut se demander si le développement du recours à la compétence

universelle par des États africains pour juger des africains, n’essuiera les mêmes critiques qui

avaient été faites aux États occidentaux. Il était principalement reproché à ces États d’abuser du

principe de la compétence universelle en ne l’utilisant que contre des dirigeants africains et de

porter atteinte à la souveraineté des États africains. Il est encore trop tôt pour répondre à cette

question puisque le mouvement vient tout juste d’être amorcé. Toutefois, on peut constater que

le développement de la lutte contre l’impunité en Afrique va de pair avec le souhait d’une

régionalisation de la répression pénale c’est-à-dire que les Africains souhaitent eux-mêmes

punir les responsables de crimes et violations du droit international perpétrés sur le continent.

L’ «affaire Hissène Habré » illustre encore cette idée car malgré l’insistance de la Belgique

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!248 Voy. SEROUSSI (J.), « L’internationalisation de la justice transitionnelle : l’affaire Hissène Habré », in Critique internationale, n° 30, 2006/1, pp. 83-101. 249FIDH, RDC / Affaire Chebeya-Bazana : 5 ans après, la justice sénégalaise reste plus que jamais un recours pour la vérité, en ligne le 2 juin 2015 sur https://www.fidh.org/La-Federation-internationale-des-ligues-des-droits-de-l-homme/afrique/republique-democratique-du-congo/affaire-chebeya-bazana-5-ans-apres-la-justice-senegalaise-reste-plus] (consulté le 2 septembre 2015).

!

! 63!

pour obtenir l’extradition de l’ancien dirigeant tchadien, cette solution n’a pas été préconisée.

Pourtant la Belgique était largement en mesure d’accueillir ce procès, elle avait les moyens et la

volonté de le faire contrairement à l’État sénégalais à l’époque. Pourtant, même lorsque

l’Union Africaine fut saisit en 2006, elle pris position en faveur d’une « africanisation »250 de

l’affaire en demandant précisément au Sénégal de « juger Hissène Habré pour l’Afrique ».

Si, comme le rappelle le professeur Pacifique MANIRAZIKA, « les États africains ont

joué un rôle important dans la mise en place du système actuel de justice internationale » 251, la

création purement africaine des Chambres africaines extraordinaires sur le sol africain indique

que ceux-ci sont peut-être près à aller dans le sens d’un renouveau de la justice pénale

internationale sur le continent.

Section II. Un renouveau pour la justice pénale internationale sur le continent

Avec la naissance des CAE, l’Afrique passe d’un rôle passif de collaboration à l’essor de

la justice pénale internationale à un véritable rôle d’acteur de celui-ci en apportant à la justice

pénale africaine de nouvelles perspectives (§1). Comme nous l’avons signalé précédemment les

CAE sont la sixième juridiction pénale hybride à voir le jour et certainement pas la dernière.

Elles posent donc la question de l’incidence du modèle hybride sur la justice pénale

internationale africaine (§2).

§ 1. Les nouvelles perspectives d’une justice pénale continentale

Les Chambres africaines extraordinaires n’ont pas seulement un impact psychologique

sur le continent africain visant la recrudescence de la lutte contre l’impunité, elles ont aussi

intérêt pratique qui vise d’un coté, la réintroduction du modèle hybride sur le continent (A) et

de l’autre, une possible influence sur la mise en place effective d’une juridiction pénale

permanente en Afrique (B).

A. Les CAE, un modèle pour de futures juridictions hybrides sur le continent

Les Chambres africaines extraordinaires sont la deuxième juridiction pénale hybride à

surgir sur le continent africain – après le Tribunal Spécial pour la Sierra Léone. En 2004, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!250 MAGLIVERAS (K. D.), op. cit., p. 428. Voy. également WILLIAMS (S.), The extraordinary African Chambers in the Senegalese Courts, An African solution to an African problem ?, in Journal of international Criminal Justice, 11 (2013), pp. 1139-1160. 251 MANIRAZIKA (P.), op. cit., p. 28.

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! 64!

CASSESE indiquait les situations qui, selon lui, étaient appropriées pour la création d’un

tribunal pénal internationalisé : « countries where there is a total collapse of the judicial

system, or where the judiciary is not in a position to render justice because civil commotion,

civil strife, or hatred at the ethnic or religions level simply bring the national administration of

justice to a stalemate »252. Ces situations citées par Antonio CASSESE sont très répandues sur

le continent africain qui vit au rythme des crimes humanitaires graves, des guerres civiles, de

l’instabilité politique, du terrorisme, des crises épidémiques, etc. Dans ces conditions, il est

difficile voire impossible de fixer un cadre solide et stable pour la justice nationale. Ainsi,

l’Afrique occupe une « place de choix dans la relance des juridictions internationales

pénales »253.

Nous avons examiné en première partie les caractéristiques des CAE qui organisent une

conciliation entre le respect de la souveraineté étatique, et le respect des exigences

internationales du droit à un procès équitable tout en permettant aux africains de livrer eux-

mêmes le combat contre l’impunité. C’est un modèle qui pour l’heure, semble tout à fait

satisfaisant pour le développement de la justice pénale internationale en Afrique et qui est

diffusé à travers différents moyens.

Le premier moyen est la mise en place d’un consortium de sensibilisation par la cellule de

communication des CAE. C’est une structure externe composé de trois organisations : Primum

Africa Consulting (cabinet d’études et de communication basé au Sénégal), MAGI

Communications (cabinet de consultants et experts dans les domaines sociaux, juridiques et

communicationnels basé à Ndjanema) et RCN Justice & Démocratie (ONG basée à Bruxelles).

Ce consortium est également composé d’experts en communication, en sciences politiques et

en justice internationale qui assure une parfaite mise en œuvre du programme de

sensibilisation sur les Chambres africaines extraordinaires. Ce programme vise principalement

à « faire connaître le rôle des CAE sur le continent et dans le monde »254 à travers la mise en

place d’outils d’information (site internet, bulletin d’information, spots radios etc), d’ateliers

d’informations et de formations (pour les journalistes notamment), de débats publics, de

journées de dialogues avec les victimes, etc. Cela permet de développer l’un des intérêts de la

mise en place d’une juridiction pénale internationalisée à savoir la proximité avec la

population.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!252!CASSESE (A)., op. cit., p. 10. 253 MOUANGUE KOBILA (J.), L’Afrique et les juridictions internationales pénales, Cahier Thucydide n° 10, Étude Février 2012, 61 p., p 6. Disponible sur [http://www.afri-ct.org/IMG/pdf/10-L_Afrique_et_les_JIP.pdf] 254 Voy. Site internet du Consortium de sensibilisation, Principes Clés. [http://www.forumchambresafricaines.org/] (dernière consultation le 3 septembre 2015).

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! 65!

L’autre mode de diffusion du travail des CAE est la captation l’enregistrement et la

retransmission des audiences devant les CAE prévus à l’article 36 du Statut des CAE. Cette

transmission a pour objectif dans un premier temps, de permettre à la population tchadienne de

suivre un procès historique qui a une importance particulière pour eux, et de montrer à

l’ensemble de la communauté africaine et internationale que l’Afrique peut se donner les

moyens de juger les crimes internationaux commis sur le continent.

Un exemple très récent de création d’une juridiction hybride en Afrique atteste des

retombées des Chambres africaines extraordinaires sur le continent. Le 03 juin 2015, la

République de Centrafrique a promulgué une loi portant création, organisation et

fonctionnement d’une Cour pénale spéciale « chargée d’enquêter, poursuivre et juger les

violations graves des droits humains commises sur le territoire depuis 2003 »255. Cette création

est très intéressante car la Cour Pénale Internationale était déjà saisie à propos des violations

commises en Centrafrique mais les autorités nationales de transition, ont décidé de suivre une

autre voie de lutte contre l’impunité. Une collaboration entre les deux juridictions devra donc

être organisée afin que le travail de chacune d’elles puisse remplir les objectifs de la justice

pénale internationale. Cette Cour pénale spéciale est également étonnante car c’est la première

mise en place purement nationale d’une juridiction hybride, sans participation d’une

organisation internationale. Les Chambres africaines extraordinaires soutiennent et

accompagnent ce projet puisque le Consortium de sensibilisation sur les CAE a organisé des

évènements en Centrafrique pour familiariser la société civile et les jeunes centrafricains à cette

forme de justice pénale internationale256.

Comme le Sénégal, la Centrafrique ne sera peut être pas un exemple isolé de mise en

place d’une juridiction pénale hybride sur le continent, de nombreuses situations d’impunité y

perdurent encore. Toutefois, ces créations relancent le débat autour d’une autre alternative :

l’institution effective d’une juridiction pénale permanente en Afrique.

B. L’influence sur un modèle de justice pénale permanente en Afrique

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!255 Human Rights Watch, Un nouveau niveau de justice : la Cour pénale spéciale en République Centrafricaine. En ligne le 13 juillet 2015 sur [https://www.hrw.org/fr/news/2015/07/13/un-nouveau-niveau-de-justice-la-cour-penale-speciale-en-republique-centrafricaine] (consulté le 28 août 2015). 256 Les différents évènements sont présentés sur le site internet du Consortium de sensibilisation, [http://www.forumchambresafricaines.org/] (dernière consultation le 3 septembre 2015)

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! 66!

La mise en place d’une juridiction pénale régionale s’inscrit dans la volonté

d’autonomisation de l’Afrique par rapport à une justice internationale considérée comme « une

sorte d’outil de néocolonialisme et d’impérialisme judiciaires »257.

En juin 1981, la Conférence des chefs d’États et de gouvernement de l’Organisation de

l’Unité Africaine adopta une Charte Africaine des Droits des l’Homme et des Peuples,

instrument de protection des droits de l’homme principal en Afrique 258 . Pour assurer

l’effectivité des droits et libertés inscrits dans cette charte, une Cour Africaine des Droits de

l’Homme et des Peuples (CADHP) fut créée par l’Union Africaine dans un protocole à la

Charte africaine adopté le 10 juin 1998. L’article 3 du protocole du 10 juin 1998 dispose que : « La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie

concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument

pertinent relatif aux droits de l’Homme et ratifié par les Etats concernés ».

La mise en place de cette CADHP, est encore une illustration de la lenteur des États

africains mettre en œuvre leur décisions. En effet, le protocole instituant la CADHP n’est entré

en vigueur que le 25 janvier 2004 avec seulement 24 ratifications au 11 octobre 2011259. Face

aux difficultés pratiques de l’institution de cette Cour et pour la rendre plus opérationnelle260,

les chefs d’États de la Conférence de l’UA, lors de sa troisième session ordinaire tenue à

Addis-Abeba du 4 au 6 juillet 2004, ont décidé de faire fusionner la Cour de Justice de l’UA261

et la CADHP.262 Des comités d’experts ont été successivement mis en place en vue de la

rédaction du protocole de cette nouvelle Cour. Le Protocole portant statut de la Cour Africaine

de Justice et des Droits de l’Homme fut adopté par la Conférence de l’Union Africaine lors de

sa onzième session ordinaire tenue à Sharm El-Sheikh du 30 juin au 1er juillet 2008263. En

attendant l’entrée en vigueur de ce texte – trente jours après le dépôt des instruments de

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!257 MANIRAZIKA, op. cit., p. 23. 258 Charte Africaine des Droits de l’homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981 à Nairobi, entré en vigueur le 21 octobre 1986. 259 Voy. Site internet de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. [http://www.achpr.org/fr/about/afchpr/] (consulté le 5 septembre 2015). Par ailleurs, les juges premiers juges de la Cour n’ont prêté serment qu’en 2006. 260 De nombreuses raisons ont menées à ce projet notamment les difficultés matérielles de l’UA pour faire fonctionner deux juridictions, le chevauchement des compétences entre les deux Cours. Voy. FIDH, Guide pratique, La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples vers la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme. Disponible sur [https://www.fidh.org/IMG/pdf/GuideCourAfricaine.pdf] 261 Officiellement instituée, le 11 juillet 2003 par le Protocole de Maputo, la Cour de justice de l’UA (CJIU) est d’après l’article 5 du Traité Constitutif de l’UA, « l’organe judiciaire principal de l’UA ». 262 Décision sur les sièges de l’Union Africaine, Assembly/AU/Dec.45 (III), adoptée par la troisième session ordinaire de la Conférence de l’Union Africaine tenue Addis-Abeba du 06 au 8 juillet 2014. 263 Décision sur l’instrument juridique relatif à la fusion de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et de la Cour Africaine de Justice, Assembly/AU//Dec. 196 (XI), Doc. Assembly/AU/13 (XI), adoptée par la onzième session ordinaire de la Conférence de l’Union Africaine à Charm el-Cheikh, le 1er juillet 2008.

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! 67!

ratification de quinze Etats membres264– la CADH continue à fonctionner265. Surprenant

hasard, la première décision de la Cour a été prise dans le cadre de l’Affaire Hissène Habré

dans l’arrêt du 15 décembre 2009 cité précédemment. La CADH est assez active puisque

« jusqu’en janvier 2012, la Cour avait reçu 24 requêtes et avait déjà rendu une dizaine de

jugements »266.

Il est prévu que la Cour unique comporte deux sections : une section des affaires

générales et une section des droits de l’homme et des peuples267. L’intérêt de cette Cour unique

par rapport à la justice pénale internationale est un projet de l’Union Africaine d’en étendre les

compétences et de mettre en place une Section de droit international compétente pour

poursuivre les crimes internationaux commis en Afrique268. Cette institution constituerait une

importante avancée dans la lutte contre l’impunité en Afrique, mais elle pourrait également

entrainer des complications dans l’exercice de la compétence de la CPI. En effet, une des

craintes de la société civile africaine est que les États africains maintiennent une attitude de

défiance à l’égard de la CPI et paralysent son fonctionnement269.

La création des CAE et leur succès potentiel pourraient avoir une influence sur la

concrétisation de cette idée. Pour le professeur Mutoy MUBIALA, « les Chambres africaines

donnent plus de consistance au projet de l’Union africaine (en cours de négociation) relatif à

l’élargissement des compétences de la Cour africaine de Justice et des droits de l’homme aux

affaires de droit international pénal »270. En montrant la capacité de l’Afrique à organiser eux-

mêmes un procès pénal international, les CAE pourraient conduire à une prise de conscience

des États africains pour l’institution effective de la Cour de Justice et des Droits de l’Homme et

l’extension concrète de ses compétences. Néanmoins, un effort important devra être fourni par

les États africains qui auront à apporter des ressources suffisantes pour le fonctionnement de

cette juridiction.

Si les Chambres africaines extraordinaires ouvrent de nouvelles perspectives à la justice

pénale africaine, elles pourraient avoir pour conséquence de transformer la conception de la

justice pénale internationale sur le continent.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!264 Protocole portant statut de la Cour Africaine de Justice et des Droits de l’Homme, adopté le 1er juillet 2008 à Charm el-Cheikh, Article 9. 265Ibid., Article 7. 266 TCHIKAYA (B.), op. cit., p. 174. 267 SOMA (A.), « Vers une juridiction pénale régionale pour l’Afrique » in BERNARD (F.), NIANG (F.) (Ed.), Colloque sur les droits humains. Mécanismes régionaux et mise en œuvre universelle. Université de Genève – Global Studies Institute, Genève, 2014, pp. 121-140, p. 130. Disponible sur [http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42872] 268 Pour une présentation de la structure et de la compétence de cette Section de droit international pénal, Voy. SOMA (A.), op. cit., pp. 131-140. 269 MANIRAZIKA, op. cit., p 50. 270 MUBIALA (M.), op. cit., p. 556.

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! 68!

§ 2. L’incidence du modèle hybride sur la justice pénale internationale en Afrique

Les Chambres africaines extraordinaires appartiennent à un mouvement récent de

prolifération des juridictions pénales hybrides. Il est remarquable que ces juridictions pénales

temporaires et spéciales évoluent malgré l’existence et le fonctionnement d’une juridiction

pénale permanente (A). Les rapports entre ces deux formes de justice pénale internationale –

d’un coté, permanente et universelle, et de l’autre coté temporaire et exceptionnelle – méritent

d’être étudiés (B).

A. La Cour pénale internationale face à l’hybridation du droit pénal international

La Cour pénale internationale souffre de nombreux handicaps qui expliquent le recours

parfois privilégiés à la création de tribunaux pénaux internationalisés.

Tout d’abord, la compétence ratione temporis de la CPI est le principal désavantage de la

juridiction. Elle n’est compétente que juger pour les crimes internationaux commis après le 1er

juillet 2002, alors que de nombreuses situations de violations du droit international ont eu lieu

avant cette date et échappent donc à la compétence de la CPI. C’est le cas de « l’affaire Hissène

Habré » qui visent des crimes et violations du droit international commis entre le 7 juin 1982 et

le 1er décembre 1990.

Ensuite, le fonctionnement de la CPI dépend presque essentiellement de la volonté des

États. Cela n’est pas étonnant ni contestable au regard du caractère volontariste du droit

international et du contexte dans lequel la juridiction est née. Mohammed BENNOUNA, juge à

la Cour internationale de justice, indique, en effet, que : « pour des raisons tenant à une conception étroite de la souveraineté, dans le monde bipolaire qui prévalait

alors, l’idée de création d’une juridiction pénale internationale dotée de l’indépendance nécessaire n’avait

pas mûri au pont de susciter les appuis internationaux suffisant pour sa consécration »271.

La CPI est donc dépendante des ratifications de son Statut par les États ou de leur

déclaration de compétence, de leur coopération pour la bonne marche des poursuites qu’elle

mène et également de leur participation au budget annuel de la juridiction272. Face à cette

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!271 BENNOUNA (M.), « Chapitre 62 – Cour pénale internationale », in ASCENCIO (H.), DECAUX (E.), PELLET (A.) (Dir.), op.cit., pp. 809-824, p. 810. 272 BERNARD (A.), BONNEAU (K.), op . cit., p. 255.

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! 69!

situation, certains observateurs craignent une « instrumentalisation de la Cour à des fins

politiques »273.

En ce qui concerne l’Afrique, la CPI souffre de la grande méfiance des États africains à son

égard, dont certains, notamment par le biais de l’UA, ont décidé de « tourner le dos »274 à la

juridiction. Selon Monsieur Jean-Baptiste JEANGÈNE VILMER, la défiance croissante d’États

africains a pour explication la liste des situations faisant actuellement l’objet d’une procédure

devant la Cour : Soudan (Darfour), Ouganda, République démocratique du Congo, République

centrafricaine, Kenya, Libye, Côte d’Ivoire et Mali275. Il ajoute que « La propagande africaine

anti-CPI est apparue en 2005, en réaction à la saisine de la Cour pénale internationale par le

Conseil de sécurité au sujet du Darfour, mais s’est surtout développée à partir de l’émission des

mandats d’arrêt contre El-Béchir (2009- 2010) »276. Cette situation encombre le travail de la

CPI en Afrique. Néanmoins, toutes ces critiques peuvent être nuancées. Pour le professeur

Pacifique MANIRAZIKA, « l’apparente sélectivité actuelle [de la Cour] peut être due au fait

que ce sont les États africains qui ont été les premiers à inviter la CPI pour enquêter et, le cas

échéant, engager des poursuites contre des suspects criminels internationaux »277.

Le recours à la création de juridictions pénales hybrides semble remédier à ces nombreuses

faiblesses de la CPI. En effet, elles ont l’avantage d’être instituées spécifiquement pour prendre

en charge une situation donnée. Ainsi, elles ne subissent pas les difficultés liées à la saisine des

États et souffrent moins de celles liées à l’établissement de leur compétence. En outre, elles

constituent une alternative pour les États africains encore réfractaires vis-à-vis de la CPI. Cette

alternative a été initiée par l’UA et le Sénégal – bien que dans ce cas la saisine de la CPI était

impossible en raison de l’absence de compétence ratione materiae – et nous avons vu

précédemment avec l’exemple centrafricain, qu’elle continue à être employée. Nous pouvons

donc nous demander si finalement les tribunaux pénaux internationaux, s’ils continuent à se

multiplier, ne constituent pas un modèle concurrent et peut-être dangereux pour l’efficacité de

la Cour pénale internationale.

B. La confrontation de deux formes de justice pénale internationale.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!273 MANIRAZIKA (P.), op. cit., p. 36. Cette instrumentalisation est d’autant plus crainte que le Conseil de Sécurité à la possibilité de déférer des situations à la CPI alors même que trois États membres permanant du Conseil de Sécurité (Etats-Unis, Chine et Russie) ne sont pas parties au Statut de la Cour. 274 GIBERT (M.), « La cour pénale internationale et l’Afrique, ou l’instrumentalisation punitive de la justice internationale ? », in Revue internationale et stratégique, n°97, 2015/1, pp. 111-118, p. 112. 275 JEANGÈNE VILMER (J-B.), « Union africaine versus Cour pénale internationale. Répondre aux objections et sortir de la crise. », in Revue Études Internationales, Vol. XLV, N°1, mars 2014, pp. 5-26, p. 6. 276 Ibid. 277 MANIRAZIKA (P.), op. cit., p. 34.

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! 70!

La Cour pénale internationale a été instituée comme une juridiction intervenant en

complément de l’action des États, conformément à l’article 17 du Statut de Rome qui dispose

que : « Une affaire est jugée irrecevable par la Cour lorsque : a) L’affaire fait l’objet d’une enquête ou de

poursuites de la part d’un État ayant compétence en l’espèce, à moins que cet État n’ait pas la volonté ou

soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites »

Cette disposition pose le principe de complémentarité de la compétence de la Cour à

l’égard des juridictions nationales. La question qui se pose alors est de savoir si cette règle peut

être appliquée aux juridictions pénales internationalisées puisque leur nature hybride fait d’elles

des juridictions à moitié nationales. Le professeur Yann KERBRAT indique que cette règle ne

s’applique pas aux TPI qui ont un caractère de juridiction internationale puisque l’article 17 du

Statut de Rome fait référence aux poursuites engagées par un État278. Cette règle pourrait donc

s’appliquer à la Cour Pénale Spéciale instituée en Centrafrique, qui est fondée sur une loi

nationale. Pour les TPI ayant un caractère international, il n’est plus question de

complémentarité mais de concurrence.

La question d’un éventuel conflit de juridictions entre les tribunaux hybrides et la CPI ne

sera pas abordée ici. L’interrogation porte plus généralement sur les différentes formes de

justice pénale internationale qui découlent de ces deux types de juridictions. D’une part, nous

avons la forme permanente et universelle intégrée par la CPI et d’autre part la forme temporaire

et spéciale représentée par les TPI. Avec l’avènement des juridictions pénales hybrides en

Afrique, nous pouvons nous demander laquelle de ses deux formes est préférable dans l’optique

du développement de la justice pénale sur le continent.

La création des CAE, puis dernièrement celle de la Cour Pénale Spéciale centrafricaine

semble révéler une certaine faveur africaine envers les juridictions pénales hybrides alors que la

CPI est mise de coté. En recueillant l’avis de principaux protagonistes des Chambres africaines

extraordinaires, il s’avère que la réponse à cette question n’est pas si tranchée. Du coté du

bureau du Procureur Général des CAE, le développement des juridictions pénales hybrides en

Afrique est une voie essentielle qu’il faut préserver. Monsieur Mbacké FALL, Procureur

Général auprès des CAE, estime qu’un modèle a été mis en place, selon une formule

intéressante et dont il faudra faire l’évaluation279. Madame Elise LE GALL, assistante du

Procureur Général, considère, quant à elle, « que le devenir de la justice pénale internationale, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!278 KERBRAT (Y.), op.cit., 208. Le professeur Y. KERBRAT considère que certains TPI ont un caractère national alors que d’autres ont un caractère international. Il se établir cette distinction il se base sur la « qualification de l’acte qui attribue l e pouvoir juridictionnel au tribunal ». Ibib., p. 191 279 Voy. Annexe 3, Entretien avec Monsieur Mbacké FALL, Procureur Général auprès des Chambres africaines extraordinaires, du 1er juin 2015 à Dakar.

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! 71!

dans ce contexte de défiance et de crise envers la CPI par les africains, se passe à domicile, au

plus proche des populations pour qu’elle soit connue et reconnue »280. La position des avocats

de la Défense auprès des CAE est beaucoup plus nuancée voire plus réfractaire à l’idée d’un

essor des TPI au détriment de la CPI. Maître Yaré FALL, analyse l’institution des CAE comme

un « test pour l’Afrique » et comme un pas vers la lutte contre l’impunité tout en rappelant que

cette lutte ne doit pas avoir seulement lieu sur le continent africain. Maître Assane Dioma

NDIAYE a une position plus tranchée puisque selon lui, « l’avènement de la CPI devrait tendre

vers la disparition de ces tribunaux ad hoc »281. En outre, il affirme que la volonté de l’Afrique

de s’émanciper de la CPI est une crainte pour les ONG qui sont sceptiques à l’idée d’une

régionalisation du droit pénal. De son avis, il ne faudrait pas que l’Afrique oublie son

engagement envers elle et renforce l’action de la CPI.

Nous avons donc deux conceptions de la justice pénale internationale en Afrique. La

première prône une expansion du phénomène des TPI en raison de leur caractère plus adapté à

la situation du continent africain dont « le peuple s’approprie de plus en plus l’enjeux de

l’effectivité de la justice pénale internationale »282. La seconde vise plutôt un renforcement du

rôle de la CPI qui a vocation à s’inscrire dans la durée et qui continue d’incarner le

développement de la justice pénale internationale. Ces deux formes de justice ont chacune leurs

qualités ainsi que leurs limites, il n’est donc pas forcément nécessaire de les opposer. Pour le

moment, l’existence des TPI n’entrave pas l’action de la CPI – qui a déjà de nombreuses

affaires en cours. Par ailleurs, les TPI s’organisant dans le respect des principes procéduraux du

droit international, leur instauration ne représente pas une menace pour la justice pénale

internationale tant que ces principes sont respectés. Quant à la CPI, même si elle a de

nombreuses difficultés à surmonter, le professeur James MOUANGUE KOBILA rappelle à

juste titre, que son universalité et sa permanence « fonde des espoirs qu’elle pourra demain

s’attaquer à d’autres situations qui surviennent ou qui sont survenus dans d’autres parties du

monde » que l’Afrique283. Quant à la critique d’une instrumentalisation de la justice, celle-ci

est inhérente à la matière du droit international qui repose sur la volonté des États et concerne

aussi bien la CPI que les TPI284.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!280 Voy. Annexe 2, Entretien avec Madame Élise LE GALL, assistante du Procureur Général des Chambres africaines extraordinaires, du 28 mai 2015 à Dakar. 281 Voy. Annexe 5, Entretien avec Maître Assane Dioma NDIAYE, Avocat des parties civiles devant les Chambres africaines extraordinaires, du 12 juin 2015 à Dakar. 282 Voy. Annexe 2, Entretien avec Madame Élise LE GALL, assistante du Procureur Général des Chambres africaines extraordinaires, du 28 mai 2015 à Dakar. 283 MOUANGUE KOBILA (J.), op. cit., p. 34 284 L’exemple des CAE nous le prouve avec les difficultés de coopération avec le Tchad pendant l’instruction. Voy. Chambres africaines extraordinaires, Chambre Africaine Extraordinaire d’Instruction, Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre africaine extraordinaire d’Assises, 13 février 2015, RP N°01/13.

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! 72!

CONCLUSION DE LA PARTIE 2

Les Chambres africaines extraordinaires sont à bien des égards une source de

développement de la justice pénale internationale en Afrique. D’un point de vue conceptuel,

elles relève l’attachement croissant des africains à la lutte contre l’impunité, qui est d’ailleurs

sont seul objet contrairement aux autres TPI qui visaient également le rétablissement de la paix

ou la reconstruction de l’État285. Ensuite dans un angle institutionnel, les CAE lance le concept

de la création exclusivement africaine de juridiction pénale hybride, en même temps qu’elles

relance le projet de mise en place d’une juridiction pénale permanente en Afrique. Il est

difficile d’établir un modèle à partir des CAE tant leur institution est exceptionnelle : c’est le

premier et seul tribunal pénal internationale spécial, qui vise des faits qui se sont déroulés sur le

territoire d’un autre État que celui qui établit la juridiction. Par ailleurs, même si les CAE sont

une illustration de la possible émancipation de l’Afrique par rapport à la communauté

internationale, elles enseignent aussi que la justice pénale régionale peut et doit évoluer aux

cotés de la justice pénale universelle. Par la création des Chambres africaines extraordinaires,

l’Union Africaine et le Sénégal ont montré que l’Afrique pouvait se doter de ses propres outils

pour lutter contre l’impunité. Il est déplorable que la prise de conscience d’un devoir de justice

envers les victimes tchadiennes ait été aussi tardive sur le continent. Néanmoins, les CAE

montrent une véritable volonté de respecter les préceptes internationaux en matière de justice.

Il faudra bien évidemment, attendre que la phase de jugement soit achevée, pour tirer des

enseignements plus complets et certains sur cette juridiction qui se présente comme un

véritable objet du droit international et non comme une simple expérimentation africaine.

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!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!285 KHELIFA (J.), « Chambres extraordinaires africaines au Sénégal, modèle ou exception ? », publié le 15 décembre 2013 sur [https://chroniquesinternationalescolla.wordpress.com/] (consulté le 31 juillet 2015).

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! 73!

CONCLUSION GÉNÉRALE : LE DÉFI DE LA LUTTE CONTRE

L’IMPUNITÉ

« L’affaire Hissène Habré » a été érigée en symbole de la lutte contre l’impunité. Elle a le

mérite de rappeler que, comme l’affirmait Antonio CASSESE, « in the struggle against

impunity there is no single panacea available » 286 . L’affaire Hissène Habré est une

démonstration de cette multiplicité de moyens qui compose la justice pénale internationale. La

naissance des Chambres africaines extraordinaires est, en effet, le résultat d’une association

entre l’instrument institutionnel (création de la juridiction) et l’outil du principe de la

compétence universelle (base de la création). L’alliance de ces deux éléments est une véritable

originalité voire une étrangeté en Afrique et plus largement dans l’ensemble de la communauté

internationale. Si nous nous permettons de parler d’étrangeté, c’est parce que le fondement

même de la compétence universelle est d’éviter le recours à une instance internationale pour la

poursuite des crimes internationaux en privilégiant le caractère étatique de l’activité de

répression. Néanmoins, les circonstances très exceptionnelles du cas Hissène Habré impliquait

la création d’une juridiction extraordinaire.

Cette juridiction n’est pourtant pas si étonnante dans son fonctionnement : elle suit les

canons du droit international et s’inscrit même dans une catégorie déjà existante, celles des

juridictions pénales internationalisées. Toutefois, elle apporte un nouvel éclat à la justice pénale

internationale en montrant qu’au nom de la lutte contre l’impunité, celle-ci peut et doit toujours

aller dans le sens du progrès. Cela notamment en faveur des victimes des crimes internationaux,

qui ont montré à l’occasion de cette affaire, qu’elles étaient un acteur principal de cette lutte.

L’institution des Chambres africaines extraordinaires a une résonnance particulière en

Afrique. Souvent critiqués pour leur inaction, les États africains ont montré à travers l’Union

Africaine qu’ils pouvaient prendre en charge et régler une situation d’impunité. Il est très

souhaitable que ce mouvement soit la première pierre de la construction d’une véritable justice

pénale régionale. Cela confirmerait l’analyse du professeur Diane Bernard selon laquelle

l’Afrique pourrait être un « moteur (doté d’une voix) des réactions aux atrocités collectives de

l’humanité » et plus seulement un sujet (asservi) du droit pénal international »287. Toutefois, la

lutte contre l’impunité nécessite la mise en œuvre effective de tous les outils du droit pénal

international, le développement d’une justice pénale internationale ne doit donc pas se faire au

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!286 CASSESE (A), op. cit., p. 3 287 BERNARD (D.), op. cit., p. 63.

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! 74!

détriment de la Cour pénale internationale, qui reste tout de même la grande figure de la justice

pénale internationale.

Plus qu’elles ne l’incarnent, les Chambres africaines extraordinaires réactualisent de

nombreuses interrogations sur la lutte contre l’impunité des crimes internationaux. La première,

concerne la participation des États à la poursuite et au jugement des crimes les plus graves

commis dans le monde. Celle-ci concerne, à titre principal, les crimes commis sur le territoire

d’un État qui doit lui-même se charger de les poursuivre, et en cas de défaillance, elle fait

référence à l’action des autres États qui, par le biais du principe de la compétence universelle,

peuvent prendre le relais de la poursuite des criminels. Le Sénégal a décidé d’adopter cette

seconde attitude en intégrant le principe de la compétence universelle à son droit mais surtout

en le mettant en œuvre. Si le Sénégal n’est pas le premier État au monde à exercer la

compétence universelle, il remet en avant ce principe qui a connu de nombreux

affaiblissements. Les États sont eux-mêmes à l’origine de ces atténuations par les nombreuses

critiques qui ont été adressées au principe – principalement celui de ternir les relations entre les

États – mais la Cour Internationale de Justice a elle aussi affaiblit le principe avec son arrêt du

11 avril 2000, Affaire du Mandat. La CIJ décide dans cet arrêt, de faire primer l’immunité de

juridiction des hauts responsables de l’État au détriment de l’exercice de la compétence

universelle.

Les avis concernant l’utilisation de ce principe sont toujours mitigés. Cependant, de

nombreux spécialistes du droit international continuent à plaider pour celle-ci, comme le

professeur Serge SUR qui estime que « la technique la plus efficace pour assurer l’ubiquité de

la répression et la mise en procès des criminels qui violent en quelque lieu que ce soit le droit

humanitaire est l’exercice par l’ensemble des Etats […] d’une compétence pénale

universelle »288. Cette exercice est bien entendu conditionné par les moyens dont disposent les

États.

Le seconde interrogation sur la lutte contre l’impunité qui retiendra notre attention est

celle de savoir quel est le meilleur moyen pour la réalisation de son objectif. Monsieur Jean-

Baptiste JEANGÈNE VILMER relève justement que « la lutte contre l’impunité n’est pas

qu’un principe moral, c’est aussi un moyen d’atteindre la stabilité et la prospérité »289. Le

jugement des auteurs des crimes internationaux n’est pas le seul – et peut être pas le meilleur –

moyen d’atteindre les buts de cette lutte. En effet, d’après le professeur Diane BERNARD

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!288 SUR (S.), op. cit., p.10. 289 JEANGÈNE VILMER (J-B), op. cit., p.20.

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! 75!

« certains vécus latins et africains ont démontré qu’après un conflit le lien social était moins

reconstruit par des procès que par des mécanismes transitionnels locaux, juridictionnels ou non-

des mécanismes hors droit pénal stricto sensu »290 . L’un de ces mécanismes transitionnels est

la mise en place de Commissions Vérité-Réconciliation (CVR). Instituées pour la première fois

en Amérique latine et de façon emblématique en Afrique du Sud, ces commissions ont pour

objet la réparation du tissu social – souvent abimé par la souffrance inhérente aux graves

crimes internationaux— à travers leur mise en lumière et leur reconnaissance. Dans le cadre de

l’affaire Habré, cette dimension de réparation et de reconstruction de l’État n’apparaît

clairement. En effet, les Chambres africaines extraordinaires étant établies à l’extérieur du

territoire tchadien, on peut se demander si leur impact pourrait tendre à une réconciliation

nationale du peuple tchadien qui a beaucoup souffert des rivalités ethniques. La mise en place

de la Commission d’enquête nationale tchadienne a été la seule action du gouvernement qui a

succédé au régime d’Hissène Habré alors même que la situation se prêtait à l’institution d’un

mécanisme de justice transitionnelle 291 . Il faut néanmoins tempérer la portée de ces

mécanismes puisque seuls, ils sont souvent jugés insuffisants pour la reconstruction solide des

systèmes étatiques visés. Une combinaison de l’aspect répressif et de l’aspect de rétablissement

de la vérité, est donc la meilleure voie pour la lutte contre l’impunité. Celle-ci a d’ailleurs déjà

été mise en place en Afrique, dans le cadre du conflit en Sierra Leone292.

La naissance des Chambres africaines extraordinaires montre que « l’Afrique est peut-

être aussi l’avenir du monde »293, elle a connu les pires maux et tente aujourd’hui de penser ses

plaies. Malheureusement, le mouvement de la lutte contre l’impunité par les africains et pour

les africains doit surpasser la lenteur dans la mise en place de solutions concrètes ainsi que les

difficultés matérielles que peuvent avoir certains États africains (moyens financier, structure,

formation des juges au droit pénal international, etc.).

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!290 BERNARD (D.), op. cit., p. 52. 291 Voy. SEROUSSI (J.), « L’internationalisation de la justice transitionnelle : l’affaire Hissène Habré », in Critique internationale, n° 30, 2006/1, pp. 83-101. 292Voy. SCHABAS (W. A), « La relation entre les commissions vérité et les poursuites pénales : le cas de la Sierra Leone », in ASCENCIO (H.), LAMBERT-ABDELGAWAD (E.), SOREL (J-M.) (Dir.), op. cit., pp. 209-240. 293 PELLET (A.), op. cit., p.9.

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! 76!

BIBLIOGRAPHIE

I. LEGISLATION : SOURCES INTERNATIONALES – INSTRUMENTS

CONVENTIONNELS DROIT DERIVE ET SOURCES NATIONALES

A. INSTRUMENTS CONVENTIONNELS (classés par date de signature)

- Accord entre le gouvernement de la République du Sénégal et l’Union africaine portant

création de Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises et Statut

des chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises pour la poursuite

des crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982 au 1er décembre

1990, signé le 22 août 2012 à Dakar, entrée en vigueur le 28 décembre 2012.

- Acte constitutif de l’Union africaine, adopté le 11 juillet 2000 à Lomé, entrée en vigueur le 26

mai 2001.

- Accord de coopération judicaire entre la République du Sénégal et la république du Tchad

pour la poursuite des crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982

au 1er décembre 1990, signé le 3 mai 2013.

- Charte Africaine des Droits de l’homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981 à Nairobi,

entré en vigueur le 21 octobre 1986.

- Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création

d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, adopté le 10 juin 1998 à Addis-

Abeba, entré en vigueur le 25 janvier 2004.

- Protocole portant statut de la Cour Africaine de Justice et des Droits de l’Homme, adopté le

1er juillet 2008 à Charm el-Cheikh.

- Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté à Rome le 17 juillet 1998, entré en

vigueur le 1er juillet 2002.

B. ACTES ET RESOLUTIONS D’ORGANISATIONS INTERNATIONALES

Union Africaine

- Décision sur le procès Hissène Habré et l’Union Africaine, Assembly/AU/Dec.103 (VI),

Doc.Assembly/AU/8 (VI), adoptée par la sixième session ordinaire de la Conférence de

l’Union Africaine tenue Khartoum du 23 au 24 janvier 2006.

!

! 77!

- Décision sur l’affaire Hissène Habré, Assembly/AU/Dec.401 (XVIII), Doc. Assembly/AU/12

(XVIII)), adoptée par la dix-huitième session ordinaire de la Conférence de l’Union Africaine

tenue Addis-Abeba du 29 au 30 janvier 2012

- Décision sur les sièges de l’Union Africaine, Assembly/AU/Dec.45 (III), adoptée par la

troisième session ordinaire de la Conférence de l’Union Africaine tenue Addis-Abeba du 06 au

8 juillet 2014.

- Décision sur l’instrument juridique relatif à la fusion de la Cour Africaine des Droits de

l’Homme et des Peuples et de la Cour Africaine de Justice, Assembly/AU//Dec. 196 (XI), Doc.

Assembly/AU/13 (XI), adoptée par la onzième session ordinaire de la Conférence de l’Union

Africaine à Charm el-Cheikh, le 1er juillet 2008.

C. DROIT NATIONAL

- Constitution de la République du Sénégal du 21 janvier 2001.

- Loi n°2007-02 du 12 février 2007 modifiant le code de pénal.

- Loi n°2007-05 du 12 février 2007 modifiant le code de procédure pénale relative à la mise en

œuvre du Traité de Rome instituant la Cour pénale internationale.

- Code pénal sénégalais.

- Code de procédure pénale sénégalais.

II. JURISPRUDENCE INTERNATIONALE

A. JURISPRUDENCE DE LA COUR PERMANENTE DE JUSTICE INTERNATIONALE (CPJI)

- CPJI, Affaire du « Lotus » (France/Turquie), arrêt, 7 septembre 1927, Série A, n° 10, p. 4.

B. JURISPRUDENCE DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE (CIJ)

- CIJ., Affaire relative au Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République Démocratique du

Congo c. Belgique), arrêt, 14 février 2002, Rec. 2002, p. 23.

- CIJ, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt,

20 juillet 2012, Rec. 2012, p. 422.

- Opinion dissidente du juge Xue dans CIJ, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou

extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, 20 juillet 2012, Rec. 2012, p. 582.

!

! 78!

C. SENTENCES ARBITRALES

- CPA, Affaire de l’Ile de Palmas (Pays-Bas c. États-Unis d’Amérique), sentence arbitrale, 4

avril 1928, RSA, vol. II, pp. 829-871

- Tribunal ad hoc, Affaire du lac Lanoux, sentence arbitrale, 16 novembre 1957, RSA, vol. XII,

pp. 281-317

D. COMITE CONTRE LA TORTURE

Comité contre la torture des Nations Unies, Décision relative à la Communication N°.

181/2001: Souleymane Guengueng et autres contre Sénégal, Trente-sixième session, UN Doc.

CAT/C/36/D/181/2001

E. TRIUBNAL PENAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

- TPIY, Arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle

d’incompétence, Affaire Dusko Tadic, 2 octobre 1995, IT-94-1-AR-72.

F. CHAMBRES AFRICAINES EXTRAORDINAIRES

- Chambres africaines extraordinaires, Chambre africaine extraordinaire d’accusation,

Ministère Public contre Hissein Habré et autres, arrêt n°3 du 27 août 2014, RP

N°01/2013/PG/CAE.

- Chambres africaines extraordinaires, Chambre Africaine Extraordinaire d’Instruction,

Ordonnance de non-lieu partiel, de mise en accusation et de renvoi devant la Chambre

africaine extraordinaire d’Assises, 13 février 2015, RP N°01/13. Disponible sur

[http://www.forumchambresafricaines.org/docs/OrdonnanceRenvoi_CAE_13022015.pdf]

G. COUR DE JUSTICE DE LA CEDEAO F. TRIUBNAL SPECIAL POUR L’EX-YOUGOSLAVIE

- Cour de justice de la CEDEAO, Affaire Hissein Habré c. Sénégal, arrêt

n°ECW/CCJ/JUD/06/10, 18 novembre 2010.

- Cour de justice de la CEDAO, Affaire Hissène Habré contre République du Sénégal, arrêt n°

ECW/CCJ/RUL/05/13 du 5 novembre 2013.

!

! 79!

III. JURISPRUDENCE NATIONALE

- Cour d’appel de Dakar, Chambre d’accusation, Ministère Public et François Diouf contre

Hissène Habré, arrêt n°135 du 04 juillet 2000, Disponible sur

[http://www.hrw.org/legacy/french/themes/habre-decision.html]

- Cour de Cassation, Chambre criminelle, Souleymane Guengueng et autres c. Hissène Habré,

arrêt n°14 du 20 mars 2001. [Disponible sur http://www.hrw.org/legacy/french/themes/habre-

cour_de_cass.html

- Cour d’appel de Dakar, Chambre d’accusation, Demande d’extradition de Hissène Habré,

Arrêt n°138 du 25 novembre 2005. Extraits disponibles sur

[http://www.hrw.org/legacy/french/docs/2005/11/26/chad12091.htm]

IV. DOCTRINE

A. OUVRAGES

1) OUVRAGES GÉNÉRAUX

- DAILLIER (P.), FORTEAU (M.), PELLET (A.), Droit international public, LGDJ, Paris,

8ème éd., 2009, 1709 p.

- LA ROSA (A-M.), Dictionnaire de droit international pénal, PUF, Paris, 1998, 118 p.

- SALMON (J.) (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2001,

XLI-1198 p.

- DAY-VIAUD (V.), JOFFE (G.), World bibliographical series, Chad, Clio Press, Oxford,

1995, vol. 177, 191 p.

- FADOUL KHIDIR (Z.), Les moments difficiles dans les prisons d’Hissène Habré en 1989,

Sépia, Saint-Maur, 1998, 174 p.

- HASSAN ABAKAR (M.) Chronique d’une enquête criminelle nationale. Le cas du régime

de Hissein Habré 1982-1990, l’Harmattan, Paris, 2006, 183 p.

- JOINET (L.) (Dir.), Lutter contre l’impunité. Dix questions pour comprendre et pour agir, La

découverte, Collection Sur le vif, Paris, 2002, 144 p.

- LE ROY (E.), Les Africains et l’Institution de la Justice. Entre mimétismes et métissages,

Dalloz, Paris, 2004, 284 p.

- LOMBART (L.), Le tribunal pénal spécial sierra-léonais. Description et prospective d’une

juridiction sui generis, Publibook, Paris, 97 p.

!

! 80!

- NTAMPAKA (C.), Introduction aux systèmes juridiques africains, Presses Universitaires de

Namur, Namur, 2005, 190 p.

- MABANGA (G. M.), La victime devant la Cour pénale internationale. Partie ou

participant ?, L’Harmattan, Paris, Collection Logiques Juridiques, 2009, 177 p.

- TCHIKAYA (B.), Le droit de l’Union africaine. Principes, institutions et jurisprudence,

Berger-Levrault, Paris, 2014, 247 p.

- ZAPPALÀ (S.), La justice pénale internationale, Montchrestien, Collection Clefs politique,

Paris, 2007, 154 p.

2) OUVRAGES COLLECTIFS

- ASCENCIO (H.), DECAUX (E.), PELLET (A.) (Dir.), Droit international pénal, CEDIN,

Pedone, Paris, 2e édition revisitée, 2012, 1280 p.

- ASCENCIO (H.), LAMBERT-ABDELGAWAD (E.), SOREL (J-M.) (Dir.), Les juridictions

pénales internationalisées (Cambodge, Kosovo, Sierra Leone, Timor Leste), Société de

législation comparée, Paris, Unité mixte de recherche de droit comparé de Paris, Vol. 10, 2006,

383 p.

- BEN YAHMED (D.) (Dir.), Atlas de l’Afrique : Atlas du Tchad, Les Editions J.A, Paris,

2006, 63 p.

- CHIAVARIO (M.) (Dir.), La justice pénale internationale entre passé et avenir, Dalloz,

Giuefrè Editore, Milan, 2003, 399 p.

3) THÈSES

- MOULIER (I.), La compétence pénale universelle en droit international, Thèse de doctorat en

droit, Université Paris I-Panthéon Sorbonne, , 2006 , Tome I, 555 p.

- NGUYEN (D.), Le statut des victimes dans la pratique des Juridictions Pénales

Internationales, Thèse de doctorat en droit public, Université Jean Moulin, 2014, 785 p.

- QUIRICO (O.), Réflexions sur le système du droit internationale pénal – La responsabilité

« pénale » des Etat et des autres personnes morals par rapport à celle des personnes physiques

en droit international, Thèse de doctorat en droit, Université des sciences sociales Toulouse I,

Faculté de droit, Toulouse, 2005, 881 p.

B. ARTICLES

!

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- ADJOVI (R.), « Une saga judiciaire autour d’un ex-chef d’Etat africain, Hissène Habré », in

Annuaire africain de Droit international, n°19, 2014, pp. 375-393.

- BENNOUNA (M.), « Chapitre 62 – Cour pénale internationale », in ASCENCIO (H.),

DECAUX (E.), PELLET (A.) (Dir.), Droit international pénal, CEDIN, Pedone, Paris, 2e

édition revisitée, 2012, pp. 809-824.

- BERNARD (A.), BONNEAU (K.), « Chapitre 9 – Punir, dissuader, réparer. Quelle justice

pénale internationale », in DEVIN (G.), Faire la paix, Collection Références, Presses de

Sciences Po (P.F.N.S.P), 2009, pp. 241-266.

- BERNARD (D.), « Un possible apport africain à la justice internationale pénale », Études

Internationales, Vol. XLV, N°1, mars 2014, pp. 51-66.

- BOYLE (D.), « Une juridiction hybride chargée de juger les Khmers rouges », in Droits

fondamentaux, n°1, juillet-décembre 2001, pp. 215-229.

- CASSESE (A.), « The Role of Internationalized Courts and Tribunals in the Fight Against

International Criminality », in Internationalized criminal courts: Sierra Leone, East Timor,

Kosovo and Cambodia, Oxford University Press, Oxford, 2004, pp. 3-13.

- DAVID (E.), « Hissène Habré : le rôle de la Belgique », publié le 22 aout 2013 sur

[http://www.chambresafricaines.org/] (consulté le 2 juin 2015).

- DE LA PRADELLE (G.), « Chapitre 77, la compétence universelle », in ASCENCIO (H.),

DECAUX (E.), PELLET (A.) (dir.), Droit international pénal, CEDIN, Pedone, Paris, 2e

édition revisitée, 2012, pp. 1007-1025,.

- DOUTOUM (M. A.), « Histoire » in BEN YAHMED (D.) (Dir.), Atlas de l’Afrique : Atlas

du Tchad, Les Editions J.A, Paris, 2006, p 16.

- FADOUL KHIDIR (Z.), « Ethnies Langues, religions », in BEN YAHMED (D.) (Dir.), Atlas

de l’Afrique : Atlas du Tchad, Les Editions J.A, Paris, 2006, p 20.

- GIBERT (M.), « La cour pénale internationale et l’Afrique, ou l’instrumentalisation punitive

de la justice internationale ? », Revue internationale et stratégique, n°97, 2015/1, pp. 111-118.

- JEANGÈNE VILMER (J-B.), « Union africaine versus Cour pénale internationale. Répondre

aux objections et sortir de la crise. », Études Internationales, Vol. XLV, N°1, mars 2014, pp. 5-

26.

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(Cambodge, Kosovo, Sierra Leone, Timor Leste), Société de législation comparée, Paris, Unité

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Leone, Timor Leste), Société de législation comparée, Paris, Unité mixte de recherche de droit

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- SOREL (J-M), « Les premiers pas des juridictions internationales : maladresse, péché de

jeunesse ou affirmation ? », in COT (J-P) (Dir.), Liber amicorum Jean Pierre COT : le procès

international, Bruylant, Paris, 2009, pp. 283-308.

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grande ambition », Revue Tiers Monde, N° 205, 2011/1, pp. 20-46.

- STERN (B.), Pinochet face à la justice », Études, 2001/1, tome 394, pp. 7-18

- SUR (S.), « Le droit international pénal entre l’Etat et la société internationale », in

HENZELIN (M.), ROTH (R.) (éd.), Le droit pénal à l’épreuve de l’internationalisation,

L.G.D.J/Bruylant/Georg, Paris/Bruxelles/Genève, 2002, pp. 49-68.

- TIWANG WATIO (R.), « Réflexions sur les lois du 12 février 2007 portant modification du

code pénal sénégalais et mise en œuvre du statut de la cour pénal international » in YUSUF

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TIWANG WATIO (R.), « Affaire Hissène Habré : où en est la justice ? », In Annuaire africain

de droit international, 370-409.

- WILLIAMS (S.), « The extraordinary African Chambers in the Senegalese Courts, An

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2013, pp. 1139-1160.

C. THESES

- MOULIER (I.) ; La compétence pénale universelle en droit international, Thèse de doctorat

en droit, Université Paris I-Panthéon Sorbonne, 2006 , Tome I, 555 p.

- NGUYEN (D.), Le statut des victimes dans la pratique des Juridictions Pénales

Internationales, Thèse de doctorat en droit public, Université Jean Moulin, 2014, 785 p.

- QUIRICO (O.), « Réflexions sur le système du droit internationale pénal – La responsabilité

‘pénale’ des Etat et des autres personnes morals par rapport à celle des personnes physiques en

droit international », Thèse de doctorat en droit, Université des sciences sociales Toulouse I,

Faculté de droit, Toulouse, 2005, 881 p.

IV. AUTRES SOURCES

- BERCAULT (O.), La plaine des morts, le Tchad de Hissène Habré 1982-1990, Human Rights

Watch, Saint Andreu de la Barca, 2013, 715 p. Disponible sur

[https://www.hrw.org/sites/default/files/reports/chad1013frwebwcover_0.pdf]

!

! 85!

- FIDH, Guide pratique, La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples vers la Cour

africaine de justice et des droits de l’Homme. Disponible sur

[https://www.fidh.org/IMG/pdf/GuideCourAfricaine.pdf]

- Human Rights Watch, Questions et réponses sur l’Affaire Hissène Habré devant les

Chambres africaines extraordinaires au Sénégal, consultable sur

https://www.hrw.org/fr/news/2015/08/27/questions-et-reponses-sur-laffaire-hissene-habre-

devant-les-chambres-africaines#19] [ (actualisé le 27 aout 2015)

- MOUANGUE KOBILA (J.), « L’Afrique et les juridictions internationales pénales », Cahier

Thucydide n° 10, Étude Février 2012, 61 p. Disponible sur [http://www.afri-ct.org/IMG/pdf/10-

L_Afrique_et_les_JIP.pdf]

- Rapport de la Commission d’Enquête Nationale du Ministère Tchadien de la Justice, Les

crimes et détournements de l’ex-président Habré et de ses complices, L’Harmattan, Paris, 1993,

272 p.

- RCN Justice et Démocratie, « Sensibiliser sur les Chambres africaines extraordinaires »,

Bulletin n° 46, Décembre 2014, 32p, disponible sur [ www.forumchambresafricaines.org ]

- Table ronde des donateurs pour le financement du procès de Monsieur Hissène Habré,

Document final, Dakar le 24 novembre 2010. Disponible sur

[http://www.hrw.org/sites/default/files/related_material/Table%20ronde%20donateurs%20docu

ment%20final.pdf]

- « Tchad : sept accusés condamnés à perpétuité au procès de complices de l’ex-président

Hissène Habré », Jeune Afrique, 25 mars 2015. Disponible sur

[http://www.jeuneafrique.com/228054/politique/tchad-sept-accus-s-condamn-s-la-perp-tuit-au-

proc-s-de-complices-de-l-ex-pr-sident-habr/] (Consulté le 19 aout 2015)

V. SITES INTERNET

- Site internet de l’ONU [http://www.un.org]

- Site internet de la CIJ [http://www.icj-cij.org]

- Site internet des Chambres africaines extraordinaire [http://www.chambresafricaines.org/]

- Site internet du Consortium de sensibilisation des Chambres africaines extraordinaires

[www.forumchambresafricaines.org]

- Site internet de l’Union Africaine [http://www.au.int/fr/]

- Site internet de Human Rights Watch [https://www.hrw.org/fr]

- Site internet de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples

[http://www.achpr.org/fr/about/afchpr/]

!

! 86!

Annexe N°1 Accord entre le gouvernement de la République du Sénégal et l’Union africaine portant création de Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises et Statut des chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises pour la poursuite des crimes internationaux commis au Tchad durant la période du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990, signé le 22 août 2012 à Dakar, entrée en vigueur le 28 décembre 2012. Voy. document joint.

!

! 87!

Annexe N°2

Entretien avec Madame Élise LE GALL, Assistante du Procureur Général des Chambres Africaines

Extraordinaires. Le 29 mai 2015, à Dakar.

• Présentations

Je suis docteure en droit de l’Université de la Sorbonne et en même temps avocat-stagiaire à l’EFB.

Précédemment, j’ai œuvré auprès de l’équipe de défense de l’ancien ministre Calixte Nzabonimana

devant le Tribunal Pénal International pour le Rwanda. En rentrant, j’ai décidé de faire une thèse sur la

lutte contre l’impunité menée au sein des juridictions pénales internationales à travers le prisme de

l’opportunité des poursuites du procureur international. J’ai donc fait cette thèse tout en occupant les

fonctions de coordinatrice de la Coalition Française pour la Cour Pénale Internationale (CFCPI) qui

travaille notamment sur toutes les questions relevant de la compétence universelle en France. J’ai

soutenu ma thèse en décembre 2014 et j’ai été engagée par la suite, par le Procureur des Chambres

Africaines extraordinaires du Sénégal en raison de mon expérience et de mon travail de recherche sur la

poursuite des crimes internationaux et sur les juridictions pénales internationales.

• Comment les garanties du procès équitable sont-elles envisagées pour le jugement

d’Hissène Habré ?

Le procureur vous l’expliquera plus en détails, mais ce qui est certain c’est que le Statut des Chambres

africaines extraordinaires du Sénégal applique les standards internationaux. Ce dernier se réfère

également aux instruments juridiques internationaux et s’engage à respecter l’ensemble des principes du

droit à un procès équitable comme le droit à être jugé par un tribunal impartial et indépendant, les

principes du contradictoire, la possibilité de faire appel, la publicité des audiences etc.… C’est l’œuvre

du Procureur et des CAE de faire en sorte que le procès se fasse dans le respect des droits de la défense.

Le jeu de la contestation de la légalité des CAE, auquel on assiste en ce moment par la Défense

d’Hissène Habré, c’est la stratégie de toutes les équipes de défense. Mais en l’occurrence tous les

recours ont été rejetés.

• En quoi consiste votre travail de préparation du procès ?

Je suis arrivée au moment de la rédaction du réquisitoire définitif de mise en accusation de Hissène

Habré et autres consorts. Dans ce réquisitoire définitif – qui a été repris en grande partie par

l’ordonnance de non lieu rendue par la chambre d’instruction– le Procureur explique que ce n’est pas

par manque de volonté que les autres consorts n’ont pas été poursuivis. En effet, le fait que seul Hissène

Habré soit actuellement poursuivi devant les CAE, s’explique en ce que juridiquement, les officiers de

police judiciaires n’ont matériellement et juridiquement pas été en mesure de pouvoir informer ces

!

! 88!

personnes des poursuites qui étaient engagées à leur encontre. Or c’est un principe du droit pénal

international et de toute justice que si une personne n’est pas au courant des charges qui pèse contre elle,

on ne peut pas la poursuivre.

C’est un des arguments qui déstabilise aujourd’hui dans la population tchadienne et sénégalaise, car il y

a cette impression que seul Hissène Habré devait être jugé. Or, si le système avait permis de retrouver

les autres mis en cause, vraisemblablement ils auraient été poursuivis, au même titre qu’Hissène Habré.

Par ailleurs, il ne faut pas se méprendre sur l’ordonnance « de non-lieu ». En effet, le non-lieu ne porte

en fait que sur deux actes sous-jacents du crime de guerre.

• Comment les victimes vont être intégrées au procès ?

La grande particularité c’est qu’il y a des véritables victimes « parties civiles ». Même dans le procès de

Simbikangwa en France, les victimes étaient représentées par des ONG. Là il y a plus de 1200 victimes

qui se sont portées partie civile. Elles ne vont pas pouvoir être toutes entendues. Une sélection va

s’opérer à la fois par les associations de victimes et le parquet. L’enjeu est de juger la responsabilité

pénale ou non d’Hissène Habré dans les faits qui ont été commis au Tchad, mais aussi d’éclaircir

l’histoire sur ce qui s’est passé pendant ces dix années au Tchad, d’apporter un regard sur ces années de

souffrance pour les victimes et pour le patrimoine tchadien.

• Est ce que vous travaillez avec la Belgique ?

Il y a eu des discussions et le transfert des dossiers qui avaient été instruits en Belgique. Il faut rappeler

que la Belgique a effectué le premier grand travail d’instruction notamment au niveau du rassemblement

de la preuve de documentation autour de la DDS et de tout l’appareil répressif et administratif du Tchad

dans les années 1990. C’est là que tout a commencé, par les plaintes des victimes en 2000 en Belgique

qui ont déclenché ce désir de mettre fin à l’impunité au Tchad.

À n’en pas douter, il y a un énorme enjeu derrière les CAE qui, je pense, va être en phase d’être relevé.

En tout cas tout est mis en œuvre pour cela dans le respect de la présomption d’innocence, du droit à un

procès équitable, du principe du contradictoire. Ce n’est pas une cabale qui est menée contre Hissène

Habré. Les actes sont fait dans le respect d’un Statut qui expose le droit applicable : Premièrement le

Statut des CAE, puis le code de procédure pénale sénégalais et enfin les textes internationaux, la

jurisprudence internationale. C’est une justice encadrée par un corpus législatif.

• Est ce que l’originalité des CAE en Afrique va amener à la création d’autres

juridictions hybrides ?

!

! 89!

Oui c’est sur. Par exemple, récemment, une Cour spéciale a été créée en Centrafrique. À cet égard, il est

intéressant de constater que le consortium de sensibilisation des CAE est allé échanger sur les CAE

parce que le devenir de la justice pénale internationale, dans ce contexte de défiance et de crise envers la

CPI par les africains, se passe, à mon sens, à domicile, au plus proche des populations pour qu’elle soit

connue et reconnue.

Je constate depuis que je suis arrivée, que tant au Tchad qu’au Sénégal, les débats qui sont organisés

dans les universités montrent qu’il y a un intéressement – même s’il est timide au niveau de la

communauté internationale – qui montre que, finalement, le peuple s’approprie de plus en plus l’enjeux

de l’effectivité de la justice pénale internationale. Ceci est rendu possible en ce que beaucoup

d’éléments sont désormais accessibles : il y a le site internet des CAE, la cellule de communication qui

fait un grand travail à ce sujet. Dès lors, chaque citoyen, chaque juriste qui veut connaître la procédure

peut le faire, les documents sont accessibles en ligne. C’est une justice qui est près du peuple et c’est ça

la quintessence de la compétence universelle.

Pour répondre à votre question, il ne faut pas oublier que si le procès a lieu au Sénégal c’est parce

qu’Hissène Habré a élu domicile au Sénégal depuis plusieurs années. Selon les règles de la compétence

universelle, c’est le lieu de résidence du suspect qui donne légitimité à l’État sénégalais. C’est donc une

bonne chose que ce jugement ait lieu sur le sol africain. C’est un message fort qui est envoyé pour la fin

de l’impunité des dirigeants. Peu importe les critiques adressées à la CPI d’être une justice raciste, cela

n’a pas la même profondeur d’analyse. Ici, cela va être fait par le Sénégal dans le respect de l’évolution

de la justice pénale internationale qui respecte et protège Hissène Habré dans son droit à un procès

équitable et à la présomption d’innocence.

• Est ce que vous travaillez en collaboration avec l’Union Africaine ?

L’Union Africaine est bailleur des CAE comme l’union Européenne, comme la France, le Danemark, le

Tchad, les Etats-Unis, la Belgique, etc. Sans cette source financière les CAE n’auraient pas pu

fonctionner. C’est un des enjeux futurs pour toutes les créations de juridictions en Afrique, il faut que

les États africains intègrent dans leur politique le fait de verser des fonds pour le fonctionnement de

telles institutions. Car, des critiques sont adressées pour dire que les occidentaux contrôlent les CAE,

j’ai moi-même été prise à partie par la Défense, du fait sans doute de ma nationalité comme étant la

preuve de l’occident venu juger Habré. Or, c’est oublier que le fonctionnement de la justice pénale

internationale et des juridictions nationales à caractère national implique la mobilité des compétences,

du savoir-faire, et cela ne préjuge en rien du résultat à venir. Pour arrêter d’être dans ce schéma, les

États africains doivent donner des sources de financement à ces institutions. Il ne suffit pas de dire que

l’on ne veut plus faire partie de la CPI. On sent d’ailleurs, qu’il y a cette nouvelle génération africaine

qui investit toujours plus, le champ de la lutte contre l’impunité des crimes internationaux.

!

! 90!

• Est ce que la justice pénale internationale en Afrique est-elle une alternative à la CPI ?

Certains États sont toujours dans une attitude de refus qu’un chef d’État en exercice soit inquiété, mais

je pense que le rapport de force va changer et cela viendra du peuple. Dans beaucoup d’Etats africains

on n’accepte plus que les mandats des présidents soient ad vitam aeternam. Il y a beaucoup d’espoir et

d’espérance vers un mouvement très prometteur de protection des droits de l’homme. Le meilleur avenir

pour la justice pénale internationale est de donner les clés aux peuples africains pour avoir leur propre

cours, et juger eux-mêmes les dirigeants étatiques soupçonnés de violations des droits de l’homme. Tout

cela ne va évidemment pas se faire dans l’immédiat, il faudra attendre quelques années, mais le

mouvement est en marche.

C’est pour cela que l’expérience des CAE, ce n’est pas seulement pour les sénégalais et les tchadiens,

c’est aussi pour l’Afrique dans son ensemble. De surcroit, pour les occidentaux, il y a en tirer un

échange d’expérience parce qu’on a la chance de partager la même procédure inquisitoire. Cela met fin

au monopole de la common law. Il ne suffit pas d’être dans la critique de la CPI, il faut défendre aussi

un système juridique. Il faut rester vigilent dans les débuts de ces institutions (CAE, la cour spéciale en

Centrafrique), mais les défauts de maintenant pourront être améliorés par la suite. Tout va maintenant

dépendre de ce procès. Mais il faut savoir que s’il y a des couacs et des choses qui ne satisfont pas tout

le monde c’est que d’une part, c’est difficile de satisfaire tout le monde et d’autre part, tout dépend de la

coopération des États. Si le Tchad ne veulent pas faire venir des témoins, si les bailleurs des CAE ne

veulent pas mettre d’avantages de dépenses pour que les vidéos projections se passent bien, etc. Il faut

savoir regarder de manière transversale lorsque l’on veut porter regard sur un système, sur une

juridiction de manière générale.

• Comment va se dérouler le procès ?

Le procès va se dérouler dans la même salle que le procès de Karim Wade selon une procédure

inquisitoire. Le Président de la Chambre d’assises va diriger les débats. Les témoins vont être entendus

et interrogés par l’Accusation et la Défense. Cela va suivre une logique certainement similaire au

déroulement de l’ordonnance d’instruction. Le procès va prendre appui sur tout le travail d’instruction

qui a été mené tant à charge qu’à décharge. Toute l’attente est portée sur l’attitude que va avoir la

défense. Jusqu’à présent c’est le silence. Hissène Habré a annoncé dans la presse qu’il ne participera

pas à l’audience. C’est son droit. Cette hypothèse a été envisagée par le bureau du Procureur. Le code de

procédure pénale du Sénégal prévoit un certain nombre de solutions à la disposition du Président de la

Chambre d’assises : le faire comparaitre de force, l’intimer de choisir un conseil, lui faire des résumés

d’audiences… Cela n’empêchera pas le procès d’avoir lieu. Il a le droit de garder le silence et d’être

respecté dans ce droit là. Cela a aussi été mon travail, d’anticiper ce à quoi le parquet pourrait faire face

pendant le procès.

!

! 91!

Annexe n°3

Entretien avec Mbacké FALL, Procureur Général auprès des Chambres Africaines extraordinaires, le 1er

juin 2015 à Dakar.

• Historique des Chambres Africaines Extraordinaires.

Le 8 février 2013, les activités des chambres ont été lancées. Deux chambres ont été mise en place : la

Chambre africaine extraordinaire d’instruction et la Chambre africaine extraordinaire d’accusation.

L’instruction devait initialement durer quinze moins mais elle a été prorogée de huit moins pour des

raisons de procédures. Notamment parce que certains experts n’avaient pas encore commencé leur

travail sur le terrain et également en raison de l’attente du transfert de deux détenus au Tchad. Lorsque

l’ordonnance de mise en en accusation et renvoi a été rendue, la Chambre africaine extraordinaire

d’assises a été installée. La Chambre d’assises d’appel sera mise en place en cas d’appel de la décision

de la Chambre africaine extraordinaire d’assise.

En ce qui concerne la fond, c’est le Statut donne mandat aux Chambres pour poursuivre et juger le ou

les principaux responsables des crimes et violations du droit international commis durant la période

allant du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990. Il est dit à l’article 17 que le Procureur peut ouvrir une

information d’office ou sur la foi des renseignements tirés de sources gouvernementales, non

gouvernementales et des victimes mêmes.

Le Bureau du Procureur devait déterminer quelle stratégie adopter pour les poursuites. La question était

de savoir s’il fallait poursuivre Habré seul ou poursuivre les personnes supposées être les principaux

responsables. Nous l’avons visé, ensuite nous avons visé cinq autres personnes qui étaient ses

principaux collaborateurs et qui ont été cités par plusieurs victimes dans leur plainte. Comme il était à

Dakar, Hissène Habré a été inculpé pour crime contre l’humanité, crime de guerre et crime de torture.

En effet, le Statut érige la torture en crime autonome parallèlement au fait qu’elle fasse partie des actes

sous-jacents deux autres crimes. Les cinq autres ont été poursuivis pour crimes contre l’humanité et

pour torture. Le génocide n’a pas été visée par car aucun élément du dossier ne démontrait l’existence

d’une intention avérée de détruire tout ou partie d’un groupe. Naturellement, les personnes absentes du

territoire sénégalais ont été visés par des mandats d’arrêts internationaux et Interpol a été saisi. Les

mandats ont été également été transmis aux autorités tchadiennes. Parmi les personnes visées il y avait

El Jonto et Saleh Younouss, qui étaient inculpés au Tchad dans le cadre d’une procédure interne. Les

autorités tchadiennes ont refusé de transférer ces deux personnes au motif que la loi tchadienne ne

permettait pas l’extradition de nationaux. C’est pour cette raison qu’Hissène Habré est seul devant la

Cour d’assise. Il y avait une impossibilité juridique de renvoyer ces cinq personnes.

Le Bureau du Procureur est dans la préparation de l’audience. La phase de poursuite étant achevée, il

reste la phase de jugement pour laquelle il faut distinguer l’action civile et l’action publique. Les

!

! 92!

victimes se sont constituées partie civile, elles auront donc la possibilité d’obtenir réparation. Le Statut

prévoit trois types de réparation : l’indemnisation, la restitution et la réhabilitation. Le droit applicable

c’est d’abord le Statut et en cas de points non réglés par le Statut on applique le droit sénégalais.

L’article 22 du Statut prévoit que la conduite de la procédure est régie par les règles du code de

procédure pénale. Comme nous sommes dans un système inquisitoire, la recherche de la vérité

appartient au Président qui tient un rôle actif.

La stratégie de défense d’Hissène Habré consiste à garder le silence et à refuser de signer les procès-

verbaux. La question est de savoir s’il adoptera la même stratégie aux audiences. Le code de procédure

pénale sénégalais est très clair : si un accusé ne veux pas comparaitre devant la chambre d’assises, le

Président a deux options. Selon la première option, il peut demander à un huissier de se rendre sur place

pour constater la résistance de l’accusé et à ce moment demander à l’accusé de se présenter de force à la

barre. Néanmoins, on ne peut pas le forcer à sortir de son silence. Selon la seconde option, il peut

dispenser l’accusé de comparaitre à charge pour lui de dresser à la fins des débats, des comptes rendus

d’audiences. Au niveau du procès il y a deux points qui peuvent poser problème : le comportement de

l’accusé et l’absence de coopération de l’État tchadien. Le Tchad avait à portée de main des témoins

insiders qui ont eu à travailler au sein du système de la DDS et qui ont eu des rapports administratifs

avec Hissène Habré (PV, notices, fiches). Ces personnes savaient ce qu’était la torture, comment elle

était organisée, quelle était l’implication de Habré. Ils ont été condamnés au Tchad à des peines allant

jusqu’à la perpétuité. Nous avons demandé à ce que ces personnes soient au moins transférées en tant

que témoins conformément à l’accord de coopération judiciaire entre le Sénégal et le Tchad qui prévoit

le transfèrement de témoins détenus sous deux conditions : le consentement de l’État et le consentement

de l’intéressé. Il y a un plan B qui consiste à entendre ces personnes par visio-conférence.

La Chambre d’assise statuera, dans un premier temps sur l’action publique, puis sur l’action civile. Un

calendrier prévisionnel d’audience va régler le passage des témoins dans le temps ainsi que des experts.

Nous avons fait une proposition au Président qui devra arrêter un calendrier définitif.

Nous sommes dans une période de préparation des audiences. Nous avons adressé des demandes

d’entraide judiciaire au Tchad, à la Belgique et aussi à la France. Pour la Belgique, le juge d’instruction

qui avait instruit l’affaire Habré va comparaitre en tant que témoin car il a pu visiter certains centres de

détentions qui à notre arrivé étaient détruits. En France, il y a un témoin insider qui reconnait avoir

utilisé la torture et qui a été entendu dans le cadre d’une commission rogatoire internationale. Il sera

entendu en qualité de témoin devant la Chambre d’assises des CAE. Il n’est pas inculpé car le Statut

vise les principaux responsables.

S’il n’y a pas d’appel et que la décision est définitive, les Chambres seront dissoutes. D’après les Statut,

l’État d’accueil est lié par la sentence, il ne pourra pas être accordé à Hissène Habré des remises de

peines ou des grâces.

!

! 93!

Une disposition transitoire prévoit que les questions qui surviendraient après la dissolution des CAE

sont réglées par les juridictions sénégalaises. Il n’y a donc pas de mécanisme résiduel comme devant le

TPIY ou le TPIR.

La justice internationale est tributaire des relations internationales. Les États sont souverains, on ne peut

pas les forcer à exécuter les demandes. S’il y a une mauvaise volonté, la procédure en pâtit

nécessairement. Le Statut prévoit à l’article 36 que les audiences seront filmées et enregistrées aux fins

de diffusion sauf si cela contrevient aux mesures nécessaires à la protection des parties civiles et des

témoins. Il faut enregistrer le procès dans un devoir de mémoire et de transparence. L’État tchadien

craint que Hissène Habré profite de procès pour se créer une tribune et sème le désordre au Tchad alors

que le tissu social y est encore faible. Il y aura bien entendu un filtrage des images pour ne pas heurter

certaines sensibilités.

• S’agissant du futur du continent africain, quel pourrait être l’impact de ces Chambres au

niveau de la justice pénale internationale ?

C’est un moyen qui a été mis en place par l’Union africaine et on en fera l’évaluation à la fin pour

déterminer ce qu’il faut améliorer. Au niveau de la Centrafrique il y a la mise en place d’une Cour qui

s’inscrit dans le cadre des règles des CAE. C’est un moyen moins couteux que l’institution d’une Cour

africaine. On peut se demander si nos États auraient la capacité d’entretenir une telle institution lourde

de justice permanente. Il est intéressant de mettre en œuvre le mécanisme de compétence universelle

sans développer trop de moyens.

• Est-ce qu’un succès des CAE ne donnerait pas envie aux États africains de donner plus de

moyens pour l’institution d’une Cour pénale panafricaine ?

Il faut trancher. Si on crée la Cour, on laisse de coté la création des juridictions ad hoc. Il faut tout de

même craindre les coquilles vides : une juridiction est créée mais elle ne fonctionne pas car les

financements ne suivent pas. Alors que si on crée une juridiction ad hoc, un financement est aussi établi

pour un temps imparti. C’est un grand défi financier.

!

! 94!

Annexe n°4

Entretien avec Monsieur Aly Siré BA, Administrateur des Chambres africaines extraordinaires, le 11

juin 2015 à Dakar.

• Quel est le rôle de l’Administrateur des CAE ?

Les attributions du bureau de l’Administrateur sont prévues à l’article 15 du Statut des CAE. Mon

bureau se charge des aspects non juridictionnels des Chambres africaines extraordinaires. Dans d’autres

juridictions, l’administrateur est appelé Greffier ou Registrant. Par exemple au TPIY, on parlera du

Greffier. Nous ne nous chargeons pas de la transmission des courriers et de ce tout ces types de

formalités puisque les CAE dispose d’un Greffe autonome. Notre mission est de prendre en charges les

questions liées au budget, aux dépenses et également à la protection des témoins. Je suis l’ordonnateur

du budget des CAE. Nous nous chargeons aussi des relations des CAE avec l’extérieur, notamment avec

l’Union Africaine. Le département de communication agit sous mon autorité. Nous assistons les

victimes et les témoins pour la constitution de conseils et l’aide juridictionnelle. J’ai été nommé par le

Ministre de la Justice sénégalais, et je suis magistrat de formation et j’ai exercé ces fonctions à la Cour

Suprême du Sénégal. J’ai aussi été Avocat Général auprès du TPIR.

Il existe un fonds pour indemniser les victimes calqué sur le modèle de la CPI mais il n’a pas encore de

consistance. Il y a en fait un problème de volonté, puisque pour le moment il n’y a aucune réaction du

comité de pilotage des CAE. Le fonds existe donc seulement de manière théorique.

Le budget avait initialement été voté pour couvrir vingt-sept mois de procédure. Cette durée a été

portée à quarante mois dont vingt-trois mois pour l’instruction, dix pour le jugement en première

instance et sept pour l’appel. Le budget s’élève au total à cinq milliards six cent millions de francs CFA

soit huit millions quatre cent quarante neuf milles euros. La question est de savoir si les CAE pourront

s’y conformer.

• Est-ce que les CAE sont confrontés à des difficultés matérielles ?

Non, il n’y a pas d’États défaillants. Le budget prend la forme de trois fonds : un fonds de l’Union

Européenne, un fonds de l’Union Africaine et un fonds commun aux États tiers. Nous devons rendre un

rapport d’activités et financiers à l’Union africaine tous les six mois. Il faut adopter une politique des

moyens pour tenir le budget qui est n’est pas très élevé en comparaison des autres tribunaux pénaux

internationaux.

!

! 95!

• Quel est pour sera selon vous l’impact des CAE sur la justice pénale international ? Quelle

est votre position dans l’opposition juridiction hybride/juridiction permanente ?

Les juridictions hybrides ont un double avantage d’une part elles sont bien acceptées par la population

locale et d’autres part elles nécessitent un financement plus maitrisable. Avec le modèle de la juridiction

permanente les choses sont moins bien maitrisées, il y a souvent des dérapages. La formule mixte

semble préférable car il est mieux de juger sur place avec des juges nationaux et internationaux.

• Est-ce le Sénégal qui a mis à votre disposition ces locaux ?

Non, les locaux sont loués par les bailleurs des CAE à des personnes privées. Le Sénégal mettra à

disposition une des salles du palais de justice pour les audiences.

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! 96!

Annexe n° 5

Entretien avec Maître Assane Dioma NDIAYE, Avocat des parties civiles auprès des CAE, le 12 juin

2015 à Dakar.

• Comment envisager vous l’avenir de la justice pénale africaine après l’apparition de

juridictions hybrides telles que les CAE ?

Avec l’avènement de la CPI, l’idée est de tendre vers la disparition de ces tribunaux ad hoc. Les CAE

sont nées dans le cadre d’une affaire qui a rattrapé l’histoire et qui s’est tenue avant l’entrée en vigueur

du Statut de la Cour pénale internationale. Il faudra néanmoins revenir vers un tribunal ponctuel tel que

la CPI.

Au départ, l’idée des victimes était de mettre en œuvre l’effectivité d’une convention internationale

dans le droit interne : celle de la convention de 1984 sur l’interdiction de la torture. L’État qui ratifie

cette convention s’oblige à établir sa compétence lorsqu’une personne accusée de torture se trouve sur

son territoire. On nous a rétorqué que le Sénégal n’avait pas incorporé dans son corpus législatif les

crimes contre l’humanité. Le Sénégal a fini en 2007 par harmoniser son droit interne avec le Statut de

Rome en incluant les crimes de contre l’humanité, le crime de génocide et les crimes de guerre.

Hissène Habré est allé devant la Cour de justice de la CEDEAO en contestant la possibilité pour le

Sénégal de le juger sans violer le principe de non rétroactivité de la loi pénale. Cela montre que les

CAE ont été créées à la suite de contestations et de difficultés.

C’est la première fois que l’Union Africaine crée une juridiction pénale hybride. Une organisation

régionale n’a jamais décidé de l’institution d’un tribunal ad hoc. Cela répond à des critiques et à une

problématique qui s’est posée en Afrique. Le continent africain a un challenge à relever celui de

prouver qu’elle est capable de juger ses propres fils en contrepartie des critiques adressées à la CPI.

C’est un gage de bonne foi pour l’Afrique. Les victimes et leurs avocats étaient prêts à soutenir

l’extradition d’Hissène Habré en Belgique.

• Pensez vous que l’avenir de la justice pénale internationale se situe dans une juridiction

pénale permanente ou dans la création de juridictions hybrides ?

Pour les faits qui se sont déroulés après l’entrée en vigueur du Statut de Rome, on va vers une

éradication des juridictions pénales ad hoc. Ces Chambres risquent d’être un épiphénomène en Afrique

car c’est vraiment à la suite d’un concours de circonstances qu’on est allé vers leur création. Ce n’est

pas un modèle qu’il faille multiplier. L’autre aspect c’est que même au niveau de l’Afrique

aujourd’hui, l’idée est d’instaurer une Cour pénale africaine en faisant muer la Cour africaine des

!

! 97!

droits de l’homme et des peuples en une Cour qui comporterait plusieurs branches dont une branche

pénale. Elle ne serait plus une Cour exclusivement chargée des droits humains et cela permettrait,

d’après les concepteurs de cette réforme, de faire juger des personnes dont on a des raisons de croire

qu’elles ont commis des crimes qui relèvent de la compétence de la CPI. Les CAE viennent

temporairement s’intercaler dans le processus de judiciarisation de ces crimes en Afrique. Les ONG

craignent une nouvelle impunité qui pourrait découler de cette volonté de l’Afrique de s’émanciper de

la CPI. La Chambre pénale risque de paralyser l’action de la CPI en Afrique. Il ne faudrait pas que

l’Afrique se délie de son engagement à l’égard de la CPI. Il y a une opinion de certains africains qui

contestent l’idée qu’on puisse parler d’un régionalisme judiciaire alors que l’Afrique fait partie

intégrante de la CPI. Pour un universaliste comme moi, l’important est de renforcer la Cour pénale

internationale. Il serait paradoxal que l’Afrique se désolidarise de ce mouvement universel, d’autant

plus que ce sont les africains eux-mêmes qui ont déféré la majorité des cas que connaît la CPI. On

peut opposer à cela le fait qu’il n’existait pas à l’époque d’autres alternatives.

• Quelle est la place des victimes devant les CAE ?

Il y a une différence avec la CPI qui au départ n’avait pas intégré la participation des victimes, mais au

contact de la réalité, il est apparu que les victimes devaient avoir un rôle actif dans l’affermissement de

cette justice pénale internationale. Devant les CAE, les victimes sont des parties au même titre que les

accusés et le Procureur. Le Statut renvoie au code de procédure pénale sénégalais, les parties civiles

auront donc la possibilité d’interroger les témoins et de faire valoir leurs demandes à l’audience même.

• Quels sont les difficultés auxquelles devront faire face les CAE ?

Sur le plan politique, il y a des difficultés notamment avec les réticences du Tchad en dépit de

l’existence d’un accord de coopération entre l’État du Tchad et le Sénégal. Le Tchad n’a pas entériné le

principe de la primauté des CAE par rapport aux juridictions nationales tchadiennes. La justice pénale

internationale est normalement subsidiaire mais dans le cadre des CAE le principe est celui de la

primauté. Une fois que les CAE avaient exprimé le souhait de disposer de certaines personnes, même si

elles étaient susceptibles d’être poursuivies devant les autorités tchadiennes, le Tchad avait l’obligation

de coopérer avec les Chambres et de livrer ces personnes. Il y a un sentiment de souveraineté des États

qui freine l’action de la justice pénale internationale.

Sur le plan des moyens des CAE, il faut saluer l’accompagnement de la communauté internationale.

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! 98!

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION : GENESE DES CHAMBRES AFRICAINES EXTRAORDINAIRES 1 1) L’origine : l’ « Affaire Hissène Habré » 1 2) De la gestation du sentiment d’un devoir de justice envers les victimes du régime d’Hissène

Habré 4 3) À la naissance des Chambres africaines extraordinaires 9

PREMIERE PARTIE : LES CHAMBRES AFRICAINES EXTRAORDINAIRES,

NOUVELLE COMPOSANTE DE LA JUSTICE PENALE INTERNATIONALE 15

Chapitre 1er : La place des Chambres africaines extraordinaires parmi les juridictions internationales

pénales 15 Section I. Le phénomène de juridictionnalisation en droit pénal international 15

§ 1. Une matière favorable à la création de juridictions internationales 15 § 2. Panorama des juridictions pénales internationales 19

Section II. Les Chambres africaines extraordinaires et les juridictions pénales internationalisées 24 § 1. D’une simple expérience à une catégorie à part entière de juridictions internationales 24

A. Critères d’identification des tribunaux pénaux internationalisés 24 B. L’intérêt des tribunaux pénaux internationalisés. 26

§ 2. La place des Chambres africaines extraordinaires parmi les tribunaux pénaux internationalisés 28 A. Inscription des Chambres africaines extraordinaires dans la catégorie des TPI 28 B. Le degré d’internationalisation des Chambres africaines extraordinaires. 29

Chapitre 2 : Les caractéristiques des Chambres africaines extraordinaires 31 Section I. Présentation des Chambres africaines extraordinaires 32

§ 1. La structure et l’organisation des Chambres africaines extraordinaires 32 § 2. La procédure devant les Chambres africaines extraordinaires. 34

Section II. Une juridiction originale et innovante 36 § 1. Une participation inédite de la Communauté internationale à la création et au fonctionnement d’une

juridiction internationale hybride. 36 A. Une affaire à « mobilité internationale » à l’origine des Chambres africaines extraordinaires 36 B. Un concours large des États au fonctionnement des Chambres africaines extraordinaires 38

§ 2. Mise en place d’une procédure accordant un statut particulier aux victimes 39

DEUXIEME PARTIE : LES CHAMBRES AFRICAINES EXTRAORDINAIRES, UN

NOUVEAU DEPART POUR LA JUSTICE PENALE AFRICAINE ? 45

Chapitre 1er : Le succès espéré d’une juridiction créée au cœur de l’Afrique 45 Section I. Une volonté africaine de rétablir la justice face aux atrocités commises au Tchad 45

§ 1. La prise en charge d’une situation complexe par l’Union Africaine. 46

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§ 2. L’implication de l’État sénégalais pour respecter son engagement de juger Hissène Habré 49 A. L’importante réforme du droit sénégalais 49 B. L’accueil des Chambres africaines extraodinaires par le Sénégal 53

Section II. La phase de l’instruction des Chambres africaines extraordinaires 54 § 1. Les premiers pas de la juridiction avant le jugement d’Hissène Habré 55

A. Le déroulement de l’instruction devant les Chambres africaines extraordinaires. 55 B. Le bilan de la phase d’instruction des Chambres africaines extraordinaires 56

§!2.!Un!aperçu!de!l’ambition!des!Chambres!africaines!extraordinaires!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!60!!!!!!

Chapitre 2 : L’impact des Chambres africaines extraordinaires sur le développement de la justice pénale

internationale africaine 60 Section I. L’illustration d’un attachement à la fin de l’impunité en Afrique 61 Section II. Un renouveau pour la justice pénale internationale sur le continent 63

§ 1. Les nouvelles perspectives d’une justice pénale continentale 63 A. Les CAE, un modèle pour de futures juridictions hybrides sur le continent 63 B. L’influence sur un modèle de justice pénale permanente en Afrique 65

§ 2. L’incidence du modèle hybride sur la justice pénale internationale en Afrique 68 A. La Cour pénale internationale face à l’hybridation du droit pénal international 68 B. La confrontation de deux formes de justice pénale internationale. 69

CONCLUSION GENERALE : LE DEFI DE LA LUTTE CONTRE L’IMPUNITE 73

BIBLIOGRAPHIE 76

ANNEXES 86

TABLE DES MATIERES 98

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