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UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES FACULTE DES SCIENCES HISTOIRE DES SCIENCES P. MARAGE 1995 - 1996

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UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES

FACULTE DES SCIENCES

HISTOIRE DES SCIENCES

P. MARAGE

1995 - 1996

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Avertissement L’objet des présentes notes est de servir de support au cours oral, destiné en priorité aux étudiants de deuxième licence en Faculté des Sciences (physique, mathématiques), et dont l’objectif principal est de brosser, à très grands traits, les étapes principales de l’évolution de certains chapitres des sciences physiques et des mathématiques. Elles rassemblent les données factuelles - en particulier dates, noms, faits scientifiques - dont je ne désire pas encombrer le cours. Les repères chronologiques qui figurent à la fin du syllabus peuvent aider les étudiants à s'orienter à travers les époques les moins connues. Ces notes se composent largement de citations des savants étudiés: ce contact direct me semble un moyen efficace pour percevoir leurs approches et leurs préoccupations. Qu’on lise Galilée lui-même, et il se met à vivre et à lutter sous nos yeux, bien mieux que ne peuvent l’évoquer des commentaires! J’essaie, à travers ce cours, de montrer comment la recherche scientifique, “l’invention des sciences” est une aussi une entreprise historique, sociale et individuelle. Si la notion de “progrès scientifique” est sans doute justifiée, l’histoire des sciences n’est pas pour autant le simple dévoilement progressif de “la” vérité, l’esprit humain étant supposé cheminer des ténèbres vers la lumière. Le développement des sciences est inséparable du contexte idéologique et philosophique (voir notamment les chapitres sur les Grecs, le Moyen-Age, la révolution copernicienne, la physique du XXe siècle); il est étroitement lié au progrès des techniques (essor du mécanisme et progrès de l’instrumentation au XVIIe siècle, par exemple); il est marqué par les conditions économiques et sociales (naissance de l’algèbre, développement de la chimie du XIXe siècle, débat sur l’atomisme); il est marqué par les histoires individuelles, parfois de manière inattendue (Newton); enfin, pour mieux apercevoir la physionomie du savant, il faut aussi apercevoir le milieu dans lequel il évolue (le “public cultivé” notamment) et les institutions scientifiques qu’il fréquente. L’histoire des sciences n’est donc pas la narration d’une série de batailles, dont seuls les “vainqueurs” auraient droit à notre admiration. Comme disait Bernard de Chartres, au coeur de ce Moyen-Age méconnu:

“Nous sommes comme des nains debout sur les épaules de géants, de sorte que nous pouvons voir plus de choses qu’eux, et plus loin, non parce que notre vue est plus perçante ou notre taille plus haute, mais parce que nous pouvons nous élever plus haut, grâce à leur stature de géants.”

Rien de plus ridicule que de tenir pour ridicules les opinions des “vaincus” de l’histoire des sciences! Qu’il s’agisse de l’existence du vide, du concept d’inertie, des questions liées à l’infini, ils étaient parfois conscients de difficultés réelles que nous ne soupçonnons même plus, tant nous sommes nous-mêmes les fruits de notre époque. Pour approfondir nos propres concepts modernes, il est des plus formatifs d’essayer de comprendre leurs difficultés, et d’esssayer d’y répondre dans le cadre de leur problématique. D’un point de vue pédagogique, la connaissance de l’histoire des sciences peut aider l’enseignant à sortir de ses habitudes de pensée, et à être ainsi plus réceptif envers les difficultés de ceux qui sont encore extérieurs à son univers: ses étudiants. Etudier la révolution copernico-galiléenne, la création de la chimie lavoisienne, l’évolution de la physique du XXe siècle mène inévitablement à évoquer les débats concernant le statut social des sciences. Certains débats épistémologiques (réalisme / positivisme; platonisme / constructivisme) apparaissent également de manière récurrente à travers de nombreux chapitres. J’aborde ces questions dans le cours oral. Ici, je me contente de quelques notations en style télégraphique. Le choix des éléments bibliographiques vise surtout à fournir des indications concernant des ouvrages que l’on peut se procurer facilement, plutôt que de renvoyer aux ouvrages les plus savants. Le but de ce cours est en effet de proposer une première approche, quelques repères, des points de départ pour des lectures ultérieures. Car aimer et connaître la science du passé et la manière dont elle s’est faite, c’est aussi mieux connaître et aimer la science actuelle, et mieux comprendre la manière dont elle se fait, afin de mieux servir la raison et la liberté.

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L’Antiquité

Le néolithique (“de -10 000 au XVIIIe siècle”) élevage, agriculture; sédentarisation; céramique; métallurgie échanges (v. B. Gille: Histoire des Techniques)

Les empires fluviaux Indus; Fleuve Jaune; Nil; Tigre et Euphrate Apparition de l’écriture <-> calcul <-> administration

Egypte peu de documentation (papyrus) calendrier problèmes de géométrie (cf. arpentage - Hérodote: source de la géométrie); équations linéaires; difficultés intrinsèques de la représentation des fractions “unitaires”.

Mésopotamie très nombreuses tablettes divination; énumérations observation des astres (divinisés) pour les prédictions -> tables (Thalès, Hipparque) arithmétique: habiles calculateurs (équation du deuxième degré, extraction de racines; base 60: nombreux diviseurs) - divinisation des nombres.

-> science préhellénique - recettes <-> démonstrations - améliorer l’approximation <-> distinction entre solutions exactes et approchées

ex.: théorèmes “de Pythagore”, “de Thalès”; “valeur de ”.

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Bibliographie C. B. Boyer : A History of Mathematics, J. Wiley, New York 1989 B. Gille (Sous la direction de ): Histoire des Techniques, Encyclopédie de la Pléiade, Paris 1978 C. Goldstein : L’un est l’autre: pour une histoire du cercle, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris 1989 A. Pichot : La naissance de la science t.1. Mésopotamie, Egypte; Folio-Essais 154, Gallimard, Paris 1991 Introduction générale, avec de nombreux exemples et citations; complété par t. 2, sur les présocratiques J. Ritter : Babylone -1800, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris 1989 J. Ritter : Les mathématiques en Egypte et en Mésopotamie, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris 1989 R. Taton : (Sous la direction de): La science antique et médiévale, Quadrige/PUF, Paris 1994

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Les Grecs Le “miracle grec” Les Grecs du VIe-Ve siècle jettent les fondements de la civilisation occidentale: laïcisation de la vie sociale, découverte de la Raison, élaboration de la science, de la démocratie, de l’art “classique”.

Les Grecs ont hérité de notions accumulées au cours d'une expérience millénaire, et fidèlement transmises d'âge en âge, en Egypte et en Orient, mais c'est par leur effort que la science se constitue, peu à peu, en discipline autonome: d'une part, elle se libère de la religion, se dégage de la magie; d'autre part, elle s'élève au-dessus des techniques. Connaissance réfléchie, elle se pense elle-même et ne tarde pas à se critiquer; elle ne cherche plus seulement à utiliser, mais à comprendre les faits qu'elle enregistre et les vérités qu'elle appréhende; la simple prévision des phénomènes ne lui suffit plus; elle vise l'être, elle est ontologique. (...) La science grecque veut (...) rendre raison des apparences (...) et elle implique une métaphysique du réel. R. Taton, La science antique et médiévale, p. 204

Mais encore: Pourquoi là ? Pourquoi alors ? En tout cas, rôle des cités démocratiques et marchandes de la Grande Grèce (Ionie, Italie de Sud et Sicile), au moment où s’inventent la monnaie (Crésus, roi de Lydie) et l’alphabet (marchands phéniciens) (importance de l’abstraction), et qui se dotent de constitutions démocratiques (rôle de l’argumentation, importance de la Loi).

1. Les présocratiques (VIe - Ve siècles) Les précurseurs de toute la philosophie occidentale, ouvrant des pistes qui seront explorées sans fin: 1. Qu’est-ce que l’être, le principe d’une nature laïcisée? 2. Qu’est-ce que le mouvement, le devenir? 3. Qu’est-ce que la connaissance? 1. Les physiologues ioniens (Milet, Ephèse) Explication du monde non mythique: - recherche d'un élément primordial, dont dérive la diversité du monde - physique du devenir, physique des contraires.

Ce qu'a laissé l'école en résultats positifs: peu de choses, on pourrait presque dire: rien. Ce qu'elle a ébauché et légué comme esprit, méthode, pensée: tout; l'Ionie a fondé une science qui est devenue notre science occidentale, notre civilisation intellectuelle. Elle est la première réalisation du miracle grec et elle en est la clef. A. Rey, in Les penseurs grecs avant Socrate, p. 45

Thalès de Milet: l'eau comme principe de toutes choses. C’était un commerçant, en contact avec la science égyptienne et mésopotamienne (mesure des pyramides, prédiction de l’éclipse de 585). Anaximandre: le principe = l’apeiron indéterminé, infini, mélange des contraires; géométrisation du cosmos (la terre est un disque plat, dont la hauteur est le tiers du diamètre, stable car à égale distance de tout; les astres sont des ouvertures devant des anneaux de feu). Anaximène: le principe est l'air (vapeur), qui se transforme par raréfaction et condensation: explication plus "matérielle" que celle d’Anaximandre. Héraclite d'Ephèse: tout vient et tout conduit au feu; "Tout coule": physique des contraires; le Logos.

"La route, montante descendante / Une et même." "Dans les mêmes fleuves / nous entrons et nous n'entrons pas / Nous sommes et nous ne sommes pas." "Toutes choses sont convertibles en feu / et le feu en toutes choses / Tout comme les marchandises en or / et l'or en marchandises."

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Les penseurs grecs avant Socrate, pp. 74 sq. 2. L'école pythagoricienne L’intelligibilité de la nature est fondée sur une mystique des nombres (entiers), perçus comme les législateurs de l'univers. Les harmoniques musicales, en particulier, sont la manifestation de la puissance des nombres. Les nombres constituent à la fois le principe des choses et le principe d’intelligibilité du monde, les deux étant inséparables (ceci est opposé au point de vue des mésopotamiens, qui s’intéressent aux nombres dans un but de magie, car les nombres commandent aux choses).

Pour les pythagoriciens, “les choses sont des nombres”, ou “les nombres se trouvent dans les choses”, ou bien “les nombres sont les causes et les principes des choses”, ou encore “les choses sont constituées par les nombres”.

J.-F. Mattei, Pythagore et les pythagoriciens, p. 57 Ces nombres des Pythagoriciens, stables et éternels, annoncent ainsi les atomes. La géométrie elle-même découlant du nombre, le point, la ligne ont une “épaisseur”. Les nombres sont figurés de manière semi-géométrique: nombres triangulaires (1 - 3 - 6 - 10 -...), carrés (1 - 4 - 9 - 16 -...), rectangulaires (2 - 6 - 12 - 20 -...), pyramidaux (1 - 4 - 10 - 20 -...), etc. Développement d’une technique d’exploration et de démonstration semi-arithmétique, semi-géométrique (ex.: le carré de n est la somme des n premiers impairs). - Cependant, les nombres dérivant tous de l’un, de l’indivisible, une grave crise éclate lors de la découverte de

l’irrationalité de 2.

Soient a et b les deux plus petits entiers dont le rapport soit égal à2.

2 = a / b => a2 = 2 b2 => a2 est pair => a est pair => a2 est multiple de 4 => b2 est pair => b est pair => a et b sont tous deux multiples de 2, contrairement à l’hypothèse.

- Par contre, la diagonale du carré de côté 1 “existe” indubitablement. La géométrie permettra donc de contourner le problème des irrationnels Pythagore: Egypte, Mésopotamie, Perse (Zoroastre); célèbre par un sacrifice la découverte de la démonstration de “son” théorème; fonde la secte aristocratique à Crotone (métempsychose).

Hipassos de Métaponte: expulsé de la secte (et noyé par les dieux ...) pour avoir révélé l’irrationalité de 2; opposition démocratique. Alcméon de Crotone: médecin; table de dix contraires, caractéristique également du pythagorisme:

limité et illimité impair et pair un et multiple droite et gauche mâle et femelle en repos et en mouvement droit et courbe lumière et ténèbres bon et mauvais carré et oblong

Remarquer comment illimité, multiple et mouvement sont associés dans une même dévalorisation. Philoloas (Vs): Terre ronde, tournant autour d'un feu central (pas le Soleil) (v. ch. Astronomie) Influence pythagoricienne sur de nombreux mathématiciens (et, à travers Platon, jusqu’à nous...). En particulier, après la crise des irrationnels, grand développement de la géométrie: problèmes résolubles à la règle et au compas (notamment: “applications des aires”: ellipse, parabole, hyperbole); les “trois problèmes traditionnels”: quadrature du cercle, duplication du cube, trisection de l’angle; étude des 5 polyèdres réguliers. Hippocrate de Chio: duplication du cube, quadrature des lunules; premiers “Eléments”.

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3. L'école d'Elée Rendre la nature vraiment intelligible, ce que ne font ni les physiques analogiques des milésiens, ni les mathématiques "plaquées" sur la nature des pythagoriciens: Parménide veut saisir l'être par le pur intellect, dans une exaltation de la pensée logique (l'"ivresse éléatique"). Xénophane de Colophon: la méditation sur la notion de substance primordiale en fait le philosophe de l'Un abstrait, absolu, - ce qui le mène à une critique du polythéisme.

"Les Ethiopiens disent de leurs dieux qu'ils sont camus et noirs, les Thraces qu'ils ont les yeux bleus et les cheveux rouges." "Si les boeufs et les chevaux et les lions avaient des mains et pouvaient, avec leurs mains, peindre et produire des oeuvres comme les hommes, les chevaux peindraient des figures de dieux pareilles à des chevaux et les boeufs, pareilles à des boeufs." Les penseurs grecs avant Socrate, p. 64

Parménide : Philosophie de l'être : "L'être est, le non-être n'est pas”. Qu’y a-t-il derrière l’apparence des choses? La voie de la Vérité (qu'il parcourt tout entière, 'saisi par le frisson glacial de l'abstraction' - Nietzsche) et la voie de l'Opinion.

"La première (voie) dit que l'Etre est, et qu'il n'est pas possible qu'il ne soit pas. C'est le chemin de la Certitude, car elle accompagne la Vérité. L'autre, c'est : l'Etre n'est pas, et nécessairement le Non-Etre est. Cette voie est un étroit sentier où l'on ne peut rien apprendre. " "De toute nécessité, il faut dire et penser que l'Etre est, puisqu'il est l'Etre. Quant au Non-Etre, il n'est rien." "Il nous reste un seul chemin à parcourir: l'Etre est. Et il y a une foule de signes que l'Etre est incréé, impérissable, car seul il est complet, immobile et éternel. On ne peut dire qu'il a été ou qu'il sera, puisqu'il est à la fois tout entier dans l'instant présent, un, continu. (...) On ne peut dire ni penser que l'Etre n'est pas. Car, s'il venait de rien, quelle nécessité eût provoqué son apparition ou plus tard ou plus tôt ? En effet, l'Etre n'a ni naissance, ni commencement. Ainsi donc il est nécessaire qu'il soit absolument ou ne soit pas du tout. (...) Comment donc l'Etre pourrait-il venir à l'existence dans le futur? Ou comment y serait-il venu dans le passé? S'il est venu à l'existence, il n'est pas. Il en est de même s'il doit venir à exister un jour (...).” Les penseurs grecs avant Socrate, pp. 94 sq.

Zénon d'Elée: les "paradoxes": critique des nombres indivisibles des pythagoriciens, et critique de la divisibilité indéfinie d’Anaxagore (voir ci-dessous): - la dichotomie, l’Achille: le mouvement est impossible si l’espace et le temps sont indéfiniment divisibles; - la flèche, le stade: il est impossible s’ils sont composés d’indivisibles. (pour les paradoxes: voir ch. Analyse). 4. Les pluralistes Concilier la critique éléate et le devenir: le devenir est dans l'être, par la combinaison des éléments constitutifs. Empédocle d'Agrigente: homme politique et médecin, mage et thaumaturge, charlatan et poète exalté ("De la nature"): les quatre éléments (terre, eau, air, feu) s’unissent et se séparent indéfiniment, sous l’effet de l’”amour” et de la “haine”. Anaxagore de Clazomène: premier philosophe athénien. Divisibilité infinie de la matière, et son indestructibilité: l'infiniment petit est différent du rien. Explications matérielles des astres (=> accusé d'impiété): ce sont des masses incandescentes, de nature terreuse (il a vu tomber un aérolithe); explique les principe des éclipses, les phases de la Lune; démontre la matérialité de l'air (outres gonflées: une des rares expériences antiques).

"Dans ce qui est petit, il n'y a pas de dernier degré de petitesse, mais il y a toujours un plus petit. En effet, il n'est pas possible que ce qui est cesse d'être. De même, par rapport au grand, il y a toujours un plus grand et il est égal au petit en quantité et, par rapport à elle-même, chaque chose est à la fois petite et grande." (affirmation de l'infinie divisibilité) "Les Hellènes parlent mal quand ils disent : naître et mourir. Car rien ne naît ni ne périt, mais des

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choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau. Pour parler juste, il faudrait donc appeler le commencement des choses une composition et leur fin une désagrégation." Les penseurs grecs avant Socrate, pp. 147 sq.

5. Les atomistes cf. les pluralistes. Réponse aux Eléates: la plénitude parfaite de l’être se réalise dans les atomes, indestructibles et indivisibles. La nature est donc discontinue, et, puisqu’il y a mouvement, les atomes dérivent dans le vide. Cette affirmation du vide constitue en elle-même une grande audace: le non-être est donc aussi réel que l’être! La diversité du monde provient du mouvement, qui réunit ou sépare les atomes, et est de nature purement mécanique (autre grande innovation). Enfin, cette combinaison aléatoire des atomes peut donner naissance à des mondes innombrables. Pour eux, les phénomènes psychologiques eux-mêmes ont des causes purement mécaniques (encore une grande innovation de pensée). Leucippe Démocrite: activités mathématiques, techniques (?). 6. Les sophistes Continuation de la critique épistémologique éléatique; "techniciens" de la pensée et de l'argumentation: les premiers “intellectuels” (Protagoras, Gorgias, Prodicos, Hippias). Comme Socrate, ils rejettent en général la spéculation sur la physique et les mathématiques (sauf Hippias, notamment).

"L’homme est la mesure de toutes choses, de celles qui existent et de leur nature; de celles qui ne sont pas et de leur non-existence." Les penseurs grecs avant Socrate, p. 204.

7. La collection hippocratique Approche non magique, vers une science positive. En résumé:

Toutes les solutions possibles (au problème de la nature de la matière) ont (donc) été envisagées. Elles peuvent se répartir en cinq groupes:

1) Multiplicité infinie de substances, dès l'origine (Anaximandre, Anaxagore); 2) Pluralité limitée à un certain nombre de substances élémentaires dont les combinaisons rendent

compte de la variété des composés offerts, dans la nature, à l'expérience sensible (Empédocle); 3) Une seule substance primordiale (que ce soit l'eau, l'air ou le feu) susceptible de se transformer

en toutes les autres, par condensation, raréfaction, etc. (Thalès, Anaximène, Héraclite); 4) Une seule substance, sans qualités, mais divisée en particules distinctes, éléments derniers dont

l'agencement permet la formation des divers corps (Leucippe, Démocrite); 5) Toute chose procède du nombre entier. Cette doctrine, antérieure à l'atomisme, semble

l'annoncer en ce sens qu'elle implique la discontinuité de la matière, avec, en plus, cette idée que la formation des divers corps sensibles répond à des combinaisons numériques (Pythagorisme).

R. Taton, op. cit., p. 225

2. Les maîtres: Socrate, Platon, Aristote Socrate: dévalorisation de l'étude de la nature et des techniques au profit de la réflexion éthique.

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Platon, son disciple, fondateur de l’Académie. Réponse au dilemme éléate (permanence de l’être et évidence sensible du changement) par la théorie des Idées: le monde que nous connaissons est le reflet imparfait et déformé du monde réel, celui des Idées (cf. mythe de la caverne). Séparation du corps et de l’esprit; hostilité résolue envers le matérialisme atomiste. Sans être mathématicien lui-même, Platon, influencé par les pythagoriciens, valorise les mathématiques: “Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre”. Propose dans le Timée un mythe cosmologique; les quatre éléments et la matière constituant les sphères célestes correspondent aux cinq polyèdres réguliers. La forme de ceux-ci explique leurs combinaisons et les propriétés des corps (géométrisation de la physique). Influence récurrente de Platon, jusqu’à nos jours: néo-platonisme de l’Antiquité, saint Augustin, courants platoniciens chez les Arabes, à la Renaissance, au XVIe siècle (voir plus loin Copernic, Kepler, Galilée). De nos jours encore, le débat sur la nature des mathématiques se réfère aux Idées platoniciennes. Aristote, élève de Platon, précepteur d’Alexandre le Grand, fondateur du Lycée; le “Philosophe” du Moyen-Age. Son oeuvre est “universelle”: logique, métaphysique, biologie, physique, cosmologie, politique, éthique, psychologie. Il s’intéresse passionnément au monde réel, mais contrairement à Platon, beaucoup moins aux mathématiques, qu’il considère d’un point de vue instrumental. Son approche est plus qualitative que quantitative, - Pourquoi? plutôt que Comment? Développe une théorie des quatre causes: matérielle (la matière première), formelle (le modèle), efficiente ou agissante (l’agent: la seule cause au sens où nous l’entendons), finale (le but à atteindre: téléologie - cf. biologie). L’effet n’existe que tant que la cause agit. Réponse aux Eléates: le changement est possible grâce à la distinction de l’être en acte et en puissance: ce qui naît ne provient ni de l’être ni du non-être, mais de l’être en puissance. Le mouvement est donc

l’acte de ce qui est en puissance, en tant qu’il est en puissance. -> théorie du changement: génération et corruption accroissement et diminution (changement selon la quantité) altération des qualités mouvement selon le lieu; le changement local: mouvement naturel <-> mouvement violent. Pour sa physique et sa cosmologie, voir chapitre Astronomie et Dynamique.

3. Les Alexandrins A Alexandrie: la Bibliothèque, le Musée (sorte d’académie de recherche), fondées à la fin du IVe siècle, restent jusqu’à la fin de l’empire romain le centre de la recherche et du savoir. - mathématiques: géométrie: trois très grands noms: Euclide, Archimède, Apollonios. Euclide: l’un des mathématiciens de la première génération à Alexandrie. Les Eléments: 13 livres: géométrie plane, figures polygonales et circulaires (livres I-IV) rapports et proportions pour les grandeurs (livre V - très profond et difficile) (v. ch. Analyse); leur application au plan (similitude) (livre VI) théorie des nombres entiers (livres VII-IX) (livre VII: théorie des proportions pour les nombres) étude des lignes irrationnelles les plus simples (livre X) géométrie dans l’espace (livres XI-XIII) (livre XIII: les cinq polyèdres réguliers) Archimède: de Syracuse, a étudié également à Alexandrie. Notamment “La quadrature de la parabole”, “De la sphère et du cylindre”, “Des spirales”.

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Son étude de la spirale contraste avec le manque général d’intérêt des Grecs pour les courbes définies cinétiquement. D’autre part, utilise la statique comme méthode de recherche en géométrie - v. ch. Analyse: la Méthode) NB. le peu d’intérêt général pour la cinématique, et en particulier le rejet des démonstrations par modèle mécanique est à rapprocher de l’attitude de mépris envers le travail manuel (voir ci-dessous). Apollonius de Perga: Alexandrie, Ephèse, Pergame: Les coniques. algèbre: délaissée (crise des irrationnels -> théorie des proportions d’Eudoxe), bien que survivent probablement une tradition des “logisticiens” (pour les besoins du commerce et de la vie courante), et une influence des babyloniens. Diophante (Alexandrie, probablement durant l’“âge d’argent” de la science hellénistique: 250,350) Recherche des solutions exactes, rationnelles et positives d’équations déterminées et indéterminées (-> analyse diophantienne), découvertes sans méthode systématique, mais avec une extraordinaire subtilité.

“Trouver deux nombres tels que leur somme et leur produit forment des nombres donnés. Il faut toutefois que le carré de la demi-somme des nombres à trouver excède d’un carré le produit de ces nombres. Proposons que la somme des nombres forme 20 unités et que leur produit forme 96 unités.” Diophante suppose que la différence des deux nombres est 2d. Les deux nombres sont alors 10+d et 10-d. On a (10+d)(10-d)= 96, soit d= 2. La condition de possibilité (...) ne vise qu’à l’obtention exclusive de solutions rationnelles positives. A. Dahan-Dalmedico et J. Peiffer, Une histoire des mathématiques, p. 79

- astronomie: Eudoxe, Callipe, Héraclide, Aristarque, Hipparque, Ptolémée (v. ch. Astronomie). - géographie: Eratosthène (mesure du rayon de la terre - voir ch. astronomie; cartographie); Hipparque, Ptolémée: cartographie. - optique: Ptolémée - NB rapports entre astronomie et optique (v. ch. Lumière). - physique: Archimède: physique mathématique (statique: levier, plan incliné; hydrostatique) - influence de cette physique mathématique aux XVIe-XVIIe siècle (Léonard, Galilée). - chimie: essentiellement chimie pratique, et diffusion de l’alchimie. - techniques: dévalorisation de la technique et du travail manuel, réservé aux esclaves.

“Telle était la grandeur d’âme d’Archimède, la profondeur de son génie, le trésor inépuisable de sa science, qu’il ne voulût laisser aucun écrit sur les choses qui ont fait sa célébrité, et qui l’ont fait regarder comme doué d’un intelligence surhumaine et presque divine. La construction des machines, tout l’art qui sert aux besoins de la vie n’étaient pour lui que choses sans noblesse et vils métiers. Il mit toute son application à l’étude des objets dont la beauté et l’excellence ne sont mêlés d’aucune nécessité et avec lesquels on ne peut en comparer nul autre: science où la démonstration rivalise avec le sujet, celui-ci fournissant grandeur et beauté, celle-là exactitude et puissance naturelle.” Plutarque, cité in M. Authier, Archimède: le canon du savant, p. 119

Cependant, il y a de grands ingénieurs alexandrins également: Archytas de Tarente, Ctésibios, Archimède, Philon de Byzance, Héron d’Alexandrie. Prendre aussi en compte le fait que la Grèce classique, petit pays morcelé, offre des conditions peu propices aux grands travaux qui caractérisent les empires fluviaux.

4. Rome, la fin de la science grecque Romains: administrateurs de l’espace, gouverneurs des hommes (éloquence; stoïcisme) Mais très peu d’intérêt pour les sciences (si ce n’est quelques manuels: Pline, Martianus Capella)

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412 Meurtre d’Hypathie à Alexandrie 427 saint Augustin La Cité de Dieu 529 fermeture de l’école païenne d’Athènes par Justinien

“Dieu et l’âme. Rien de plus ? Non rien !” saint Augustin, in H.-I. Marrou, St Augustin, p. 73

“Ainsi, quand la question nous est posée de savoir ce que nous croyons en matière de religion, il n’est pas nécessaire de sonder la nature des choses, comme l’ont fait ceux que les Grecs appellent physici; nous ne devons pas non plus craindre que le chrétien soit ignorant de la force et du nombre des éléments - le mouvement, l’ordre, les éclipses des corps célestes; de la forme du ciel; des espèces et de la nature des animaux, des plantes, des pierres, des fontaines, des rivières, des montagnes; de la chronologie et des distances; des signes de l’approche de l’orage, ou de mille autres choses que ces philosophes ont découvertes, ou croient avoir découvertes... Il est suffisant pour le chrétien de croire que la seule cause de toutes les choses créées, célestes ou terrestres, visibles ou invisibles, est la bonté du Créateur, le seul vrai Dieu; et que rien n’existe, sauf Lui, qui ne tire son existence que de Lui.”

saint Augustin, in T. Kuhn, La révolution copernicienne, p. 144 Bibliographie Aristote: Leçons de Physique, Coll. Agora, Presses Pocket, Paris 1991 Les textes + dossier M. Authier: Archimède, le canon du savant, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris

1989 C. B. Boyer: A History of Mathematics, J. Wiley, New York 1989 J. Brun: Aristote et le Lycée, Que sais-je? 928, PUF, Paris 1970 L. Couloubaritsis: Aux origines de la philosophie européenne, De Boeck-Westmael, Bruxelles 1992 La philosophie grecque; cours de philosophie de l’ULB A. Dahan-Dalmedico, J. Peiffer: Une histoire des mathématiques, Points-Sciences S49, Le Seuil, Paris 1986 B. Farrington: La science dans l’Antiquité, Petite bibliothèque Payot 94, Payot, Paris 1967 Résumé général (pas très approfondi); discute particulièrement la relation avec les techniques B. Gille (Sous la direction de ): Histoire des Techniques, Encyclopédie de la Pléiade, Paris 1978 C. Goldstein: Pour une histoire du cercle, in M. Serres (Sous la direction de): Eléments d’histoire des

Sciences, Bordas, Paris 1989 A. Koyré : Etudes d’Histoire de la Pensée scientifique, Tel 92, Gallimard, Paris 1992 R. Lenoble: Histoire de l’idée de nature, L’évolution de l’humanité, Albin Michel, Paris 1990 Textes sur le “miracle grec” et sur les atomistes J.-F. Mattei: Pythagore et les pythagoriciens, Que sais-je? 2732, PUF, Paris 1993

Les penseurs grecs avant Socrate, de Thalès de Milet à Prodicos, Garnier-Flammarion 31, Garnier, Paris 1964 Extraits et doxographies, précédés d'introductions

H.-I. Marrou: St Augustin et l’augustinisme, Coll. Maîtres spirituels 2, Le Seuil, Paris 1987 A. Pichot : La naissance de la science t.2. Grèce présocratique, Folio-Essais 154, Gallimard, Paris 1991 Très complet. La naissance de la science, rapprochée de la découverte de l'alphabet, de la monnaie

et de la démocratie. Illustré de très nombreux exemples scientifiques et citations L. Robin: La pensée grecque et les origines de l’esprit scientifique, L’évolution de l’humanité, Albin Michel,

Paris 1973 Accent sur les aspects philosophiques; assez érudit M. Serres: Les débuts de la géométrie en Grèce, in M. Serres (Sous la direction de): Eléments d’histoire des

Sciences, Bordas, Paris 1989 R. Taton (Sous la direction de): La science antique et médiévale, Quadrige/PUF, Paris 1994 ... et d’innombrables autres ouvrages sur la philosophie grecque, les présocratiques, les pythagoriciens, les sophistes, Platon, Aristote, présentant leurs conceptions et leurs contributions à la connaissance de la nature et aux mathématiques.

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Moyen-Age

Les Arabes

Les Arabes ont été les maîtres et les éducateurs de l’Occident latin. J’ai souligné: maîtres et éducateurs, et non seulement et simplement ainsi qu’on le dit trop souvent,

intermédiaires entre le monde grec et le monde latin (...). C’est qu’il ne suffit pas de savoir du grec pour comprendre Aristote ou Platon (...) il faut encore savoir de la philosophie (...).

A. Koyré, Etudes d’Histoire de la Pensée scientifique, p. 26 La conquête En moins d’un siècle, conquête des anciennes terres, de l’Espagne à la Perse, à l’Asie centrale et aux confins de l’Inde -> immense aire géographique unifiée, d’une même langue et d’une même culture, incluant des populations chrétiennes et juives. Traductions Parmi ces terres, la Perse où se sont réfugiés les chrétiens nestoriens persécutés et les philosophes païens chassés d’Athènes. Contacts également avec l’Inde (voir chapitre sur l’algèbre). En 832, fondation de la Maison de la Sagesse (sorte d’académie) à Bagdad par le calife Al-Mamoun - début d’une longue tradition de soutien aux sciences et à la philosophie, par les différents califats. Commence alors une immense entreprise de traduction avec recherche systématique des manuscrits: tout le savoir grec accessible est traduit: philosophie, mathématiques, médecine, astronomie, botanique, zoologie, etc. (mais peu les textes proprement littéraires). Les traductions se font directement du grec en arabe, ou en passant par le syriaque. C’est le cas de Hunayn ibn Ishaq (808,>856), à Bagdad, qui se caractérise par une remarquable rigueur de la traduction, avec comparaison des leçons des différents manuscrits. Cette traduction est inséparable d’un vrai travail de recherche - en philosophie, il faut forger de nouveaux termes dans la langue arabe, qui en est dépourvue => il faut avoir compris les concepts! - recherches en botanique, en zoologie, en minéralogie, pour identifier les sujets décrits (lexicographie), qui parfois n’appartiennent pas au domaine naturel de l’Arabie. - vérification de la précision de la traduction (ex. expédition pour mesurer le rayon terrestre, car la correspondance des mesures grecques et arabe n’est pas connue). Selon G. Sarton,

Il n’y a rien de semblable (à ce mouvement d’assimilation scientifique) dans toute l’histoire du monde, sinon l’assimilation par les Japonais de la science et de la technologie modernes à l’époque Meiji.

Noter aussi l’importance dans la diffusion du savoir de la technique de fabrication du papier. Philosophes Des philosophes marquants, qui influenceront profondément l’Occident, proviennent de toutes les régions, de tous les peuples; certains sont juifs (Maïmonide). Profond effort d’assimilation et d’interprétation de la philosophie grecque telle qu’elle est transmise sous une forme hellénistique.

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Les sciences Non seulement transmission du savoir grec et diffusion de la science indienne, mais contribution créatrice des savants arabes dans de nombreux domaines. astronomie NB son importance pratique pour le culte (Ramadan, calendrier lunaire; direction de La Mecque). Diffusion et perfectionnement du système de Ptolémée (l’Almageste, nom arabe); nombreuses observations nouvelles, rédaction de tables (tables tolédanes - XIe siècle, tables de Levi ben Gerson, XIVe siècle); fondation d’observatoires (Bagdad, Maragha (Azerbaïdjan), Samarkand). Al-Farghani, Al-Battani, Abd al-Rahman, Al-Hazen, Al-Birûni, Omar Khayyam. optique Très avancée: Al-Hazen, astronomie et optique (XIe siècle) ; Al-Farizi (XIVe siècle) (voir ch. Lumière) mathématiques Introduction des chiffres indiens. “Fondation” de l’algèbre par Al-Khwarizmi; Al-Kharaji, Omar Khayyam, Al-Tusi (Nasir Eddin) (voir ch. Algèbre). Trigonométrie (importance pour l’astronomie): diffusion du sinus des Indiens, introduction de la tangente par Al-Farghani. Géométrie: notamment Omar Khayyam: réflexion sur le postulat des parallèles, algébrisation de la géométrie. science de la matière Théorie des quatre éléments; progrès pratiques; Jabir ibn Hayyam (IXe siècle), le fameux Geber de notre Moyen-Age. médecine Excellence des médecins arabes, souvent aussi philosophes (Rhazès, Avicenne). Bibliographie P. Benoit et F. Micheau: L’intermédiaire arabe, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris

1989 C. B. Boyer: A History of Mathematics, J. Wiley, New York 1989 H. Corbin: Histoire de la philosophie islamique, Folio-Essais 39, Gallimard, Paris 1986 Une somme, avec des chapitres sur les philosophes qui nous intéressent ici A. Dahan-Dalmedico, J. Peiffer: Une histoire des mathématiques, Points-Sciences S49, Le Seuil, Paris 1986 S. Hunke: Le soleil d’Allah brille sur l’Occident, Albin Michel, Paris 1987 Assez superficiel, mais suggestif A. Koyré : Etudes d’Histoire de la Pensée scientifique, Gallimard, Tel 92, Gallimard, Paris 1992 R. Taton (Sous la direction de): La science antique et médiévale, Quadrige/PUF, Paris 1994

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Moyen-Age occidental

La philosophie scolastique - nous le savons maintenant - a été quelque chose de très grand. Ce sont les scolastiques qui ont accompli l’éducation philosophique de l’Europe et ont créé notre terminologie, celle dont nous nous servons encore; ce sont eux qui, par leur travail, ont permis à l’Occident de reprendre ou même, plus exactement, de prendre contact avec l’oeuvre philosophique de l’Antiquité. Aussi, malgré les apparences, y a-t-il une continuité véritable - et profonde - entre la philosophie médiévale et la philosophie moderne.

A. Koyré, Etudes d’histoire de la pensée scientifique, p. 24

1. Essor technique et essor intellectuel Les siècles obscurs Fin de l’Empire romain: décadence des cités, insécurité, abandon des études. Références = compilations de Boèce, Cassiodore, Isidore de Séville (quelques propriétés des nombres, étymologies); pas de science vivante, sauf pour le comput du calendrier (Bède le Vénérable). “Petite Renaissance” carolingienne (Alcuin), superficielle et de courte durée. La reprise et l’essor Lente reprise technique à partir du IX-Xe siècles (fer à cheval, collier d’épaule, charrue à versoir, moulins à eau). Véritable essor aux XI-XIIe siècles -> prospérité 1150-1300: énergie: collier d’épaule, dispositif en file; moulins agriculture: assolement triennal (-> avoine -> chevaux) industrie métallurgique (-> équipement agriculture) transports par route et maritime (gouvernail d’étambot, voile latine en Méditerranée). -> croissance démographique, défrichements, agriculture intensive. Le chantier urbain Cette “abondance des hommes” -> véritable explosion urbaine dans les régions riches du Nord de la France, de la Flandre, de l’Italie. Cathédrales (Chartres: 1120, Paris: 1163, Reims: 1210, Strasbourg: 1250, etc.). Inventivité des ingénieurs - architectes: art gothique, Carnets de Villard de Honnecourt (fl. 1250). La reprise intellectuelle Gerbert d’Aurillac (Silvestre II, pape 999-1003): contact avec les Arabes en Espagne (chiffres arabes, astrolabe). Ecoles cathédrales, pour former les clercs - notamment celles de Reims (Adalbéron de Laon, 972), de Chartres (Fulbert, 990) - trivium: grammaire, rhétorique, logique - quadrivium: arithmétique, géométrie, musique, astronomie.

“L’exil de l’homme, c’est l’ignorance; sa patrie, c’est la science.” Honorius d’Autun, in Le Goff, Les intellectuels au Moyen Age, p. 53

L’optimisme chartrain Esprit de curiosité, d’observation de la nature représenté par la tradition de l’école de Chartres (Thierry, Bernard): nature fécondante, créatrice: optimisme naturaliste de ce XIIe siècle d’essor et d’expansion; nature et cosmos sont rationnels et compréhensibles; la toute-puissance de Dieu n’est pas contraire à

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la Raison. Les traducteurs Cette avidité intellectuelle se nourrit de la découverte de la science antique et arabe (Espagne: Tolède, reprise en 1085; sud de l’Italie, Sicile; mais très peu les Etats chrétiens du Proche-Orient). Premières traductions: manuscrits médicaux, par Léon l’Africain (XIe siècle) - école de médecine de Salerne. A partir de 1140, véritables ateliers de traduction à Tolède: arabe / hébreux / espagnol / latin / (Adélard de Bath, Gérard de Crémone, etc., venus de toute la chrétienté); aussi: traductions directes du grec en Sicile. On traduit pêle-mêle Euclide, Ptolémée, Aristote, Platon, Al-Khwarizmi, Avicenne, Archimède, Galien, etc. (mais pas toujours avec la rigueur des Arabes du IXe siècle ...).

2. Les universités Sur le chantier urbain apparaît une nouvelle corporation, celle des “marchands de mots”: professeurs, enseignant les nouvelles connaissances, contre rétribution, et prétendant le faire librement! Le plus fameux, Abélard (1079,1142), sur la butte Sainte-Geneviève à Paris: alliance de la raison et de la foi: méthode scolastique. Prémices des universités dès la première moitié du XIIe siècle, essor général au XIIIe siècle (Bologne, Paris, Oxford, Padoue, Naples, Toulouse, Rome, Montpellier). Facultés des Arts, de théologie, médecine, droit. Combats pour les “libertés” de la corporation (grève et émeutes: 1229-1231 à Paris; Oxford), c’est-à-dire pour les privilèges; voir également plus tard la querelle avec les ordres réguliers (franciscains, dominicains). L’université de Paris échappera à la juridiction de l’évêque et du roi, mais ce sera pour mieux tomber sous celle de la papauté (rôle central comme agent idéologique). La scolastique au XIIIe siècle

Penser est un métier dont les lois sont minutieusement fixées. Lois du langage d’abord. (...) Les intellectuels de l’époque accordaient aux mots un juste pouvoir et

se préoccupaient d’en définir le contenu. Il est essentiel pour eux de savoir quels rapports existent entre le mot, le concept, l’être. Rien de plus opposé que ce souci au verbalisme dont on a accusé la scolastique (...). Les penseurs et les professeurs du Moyen-Age veulent savoir de quoi ils parlent. La scolastique est à base de grammaire. (...)

Lois de la démonstration ensuite. Le deuxième étage de la scolastique, c’est la dialectique, ensemble de procédés qui font de l’objet du savoir un problème, qui l’exposent, le défendent contre les attaquants, le dénouent et convainquent l’auditeur ou le lecteur. (...)

La scolastique se nourrit de textes . (...). Elle est le fruit d’un moment, d’une renaissance. Elle digère le passé de la civilisation occidentale. La Bible, les Pères, Platon, Aristote, les Arabes, ce sont les données du savoir, les matériaux de l’oeuvre.

(...) La théologie fait appel à la raison, elle devient une science. Le Goff, Les intellectuels au Moyen Age, p. 97 La réaction anti-intellectuelle

“Fuyez du milieu de Babylone, fuyez et sauvez vos âmes. Volez tous ensemble vers les villes du refuge, où vous pourrez vous repentir du passé, vivre dans la grâce pour le présent, et attendre avec confiance l’avenir. Tu trouveras bien plus de bienfaits dans les forêts que dans les livres. Les bois et les pierres t’apprendront plus que n’importe quel maître.” Bernard de Clairvaux (début XII s), in Le Goff, ibid., p. 25

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“Autant de docteurs autant d’erreurs, autant d’auditoires autant de scandales, autant de places publiques autant de blasphèmes. Marchands de mots!” Etienne de Tournai, abbé de Sainte-Geneviève (fin XIIs), in Le Goff, ibid., p. 67

3. L’Eglise et Aristote

L’oeuvre d’Aristote forme une véritable encyclopédie du savoir humain. En-dehors de la médecine et des mathématiques, on y trouve tout: logique - ce qui est d’une importance capitale -, physique, astronomie, métaphysique, sciences naturelles, psychologie, éthique, politique... Il n’est pas étonnant que, pour le second Moyen Age, ébloui et écrasé par cette masse de savoir, subjugué par cette intelligence vraiment hors ligne, Aristote soit devenu le représentant de la vérité, le sommet de la perfection de la nature humaine (...) le prince de ceux qui savent. (...)

Aussi n’est-il pas étonnant que, une fois introduit dans l’école, il y prit immédiatement racine (...) et qu’aucune force humaine n’ait pu l’en chasser. (...) On ne pouvait enlever Aristote aux professeurs sans leur donner quelque chose à la place. Or, jusqu’à Descartes, on n’avait rien, absolument rien à leur donner.

A. Koyré, op. cit., p. 30 Cependant, l’irruption de l’aristotélisme n’est pas sans danger pour l’Eglise:

La chrétienté médiévale a été, au XIIIe siècle, le théâtre d’une crise intellectuelle sans précédent, provoquée par l’invasion massive de la philosophie païenne à partir du milieu du XIIe siècle. La crue irrésistible de l’aristotélisme au sein des jeunes universités et jusque dans les facultés de théologie était une menace sérieuse pour la pensée chrétienne; dans les facultés des arts, de plus en plus émancipées, le péril d’un néo-paganisme n’était pas imaginaire. Tous les grands docteurs du XIIIe siècle ont été conscients de cette situation inquiétante.

F. Van Steenberghen, Le thomisme, p. 105 Certains points de la doctrine d’Aristote sont particulièrement difficiles à réconcilier avec l’enseignement traditionnel: - le monde est éternel <-> création - un accident n’existe pas en dehors d’une substance matérielle <-> eucharistie - les processus de la nature sont réguliers et inaltérables <-> miracles - l’âme ne survit pas au corps. De plus, Aristote arrive accompagné par les gloses des philosophes musulmans - en particulier Averroes (Ibn Rush 1126,1198), proche d’une pensée irréligieuse: - doctrine de la double vérité, philosophique et théologique, rationnelle et révélée - dissolution de l’âme individuelle dans une “âme intellectuelle” unique pour toute l’humanité - infaillibilité d’Aristote. A Paris, suivi notamment par Siger de Brabant (1235,1281). Thomas d’Aquin Après Albert le Grand (1206,1280: dominicain érudit, biologiste, alchimiste), Thomas d’Aquin (1225,1274), dominicain également, enseigne Aristote à Paris, en le christianisant systématiquement, et donne pour la première fois une explication du monde chrétienne cohérente.

L’intuition personelle de Thomas d’Aquin me paraît avoir été de comprendre qu’il était urgent de doter la chrétienté d’une philosophie authentique, puis de repenser les problèmes théologiques à la lumière de cet instrument rationnel. (...)

Thomas d’Aquin se mit à l’oeuvre dès le début de sa carrière professorale (1252). En quelques années, il a créé la première philosophie vraiment originale produite par la civilisation chrétienne: le thomisme.

F. Van Steenberghen, ibid., p. 105 Thomas d’Aquin fonde sur la théorie d’Aristote les preuves de l’existence de Dieu. En particulier, reprend la physique d’Aristote, niant le mouvement sans cause, Dieu étant le premier moteur. Il ne se prononce pas sur l’éternité du monde. Polémiques avec Averroes et Siger de Brabant.

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La condamnation de 1277 Lutte permanente des augustiniens contre l’aristotélisme. Condamnations répétées (et inefficaces) de l’enseignement d’Aristote dans la première moitié du XIIIe siècle (notamment à Paris en 1210). De son vivant, Thomas d’Aquin évite les condamnations. Cependant, en 1277, condamnation par Etienne Tempier, évêque de Paris, de 219 propositions (y compris des propositions de Thomas d’Aquin), en particulier des propositions déterministes, limitant le pouvoir de Dieu. Exemples:

34: “Que la première cause (= Dieu) ne pourrait faire plusieurs mondes” 49: “Que Dieu ne pourrait mouvoir les cieux d’un mouvement rectiligne; et la raison est qu’il resterait le vide”.

Selon P. Duhem, cette condamnation marquerait le début de la science moderne, en libérant les esprits de l’aristotélisme.

"S’il nous fallait assigner une date à la naissance de la science moderne, nous choisirions, sans doute, cette date de 1277... Comprise comme une condamnation du nécessitarisme grec, cette condamnation conduira nombre de théologiens à affirmer comme possibles, en vertu de la toute-puissance du Dieu chrétien, des positions scientifiques ou philosophiques jugées impossibles en vertu de l’essence des choses. En permettant des expériences mentales nouvelles, la notion théologique d’un Dieu infiniment puissant a libéré les esprits du cadre fini où la pensée grecque avait inclus l’Univers."

P. Duhem, cité in R. Taton, La science antique et médiévale, pp. 615-616 Divorce entre foi et raison Cependant, l’alliance entre foi et raison se brise, les courants irrationalistes se développent: - criticisme et scepticisme : grands théologiens franciscains: Duns Scot (1266,1308), Guillaume d’Ockham (1300,1350): ils se concentrent sur la toute-puissance de Dieu et sur la liberté, la raison ne soutenant plus la croyance. - empirisme: savants d’Oxford: les Mertoniens, Bradwardine (1290,1349), dans la lignée de Robert Grosseteste (1175,1253) et de Roger Bacon (1214,1294). - anti-intellectualisme. Certains savants parisiens: Jean Buridan (1300,1358), Nicole Oresme (1302,1382), auront des intuitions remarquables, mais qui restèrent longtemps stériles. (voir ch. sur la révolution galiléenne) La dégénérescence de la scolastique Les Maîtres renient leurs sources: l’enthousiasme pour la raison d’un Abélard, l’intégration au chantier urbain des travailleurs intellectuels du XII-XIIIe siècle. Ils tendent à devenir une caste socialement privilégiée et scientifiquement pusillanime. La scolastique dégénère en un formalisme conservateur et auto-justifié.

Voici (des questions) qui les réveillent quand ils les rencontrent: y a-t-il un instant dans la génération divine? Y a-t-il plusieurs filiations dans le Christ? La proposition “Dieu le Père hait le Fils” est-elle soutenable? Dieu aurait-il pu s’incarner dans une femme? Et dans un diable, et dans un âne, et dans une citrouille, et dans un caillou? Dans ces conditions, comment la citrouille aurait-elle prêché, fait des miracles, été attachée à la croix?

Erasme, Eloge de la Folie, p. 65

4. Crise et Renaissance La crise éclate au début du XIVe siècle: - famines, banqueroutes des banquiers italiens au début du siècle (liées à la diminution du numéraire et à l’épuisement des mines) - grande peste de 1347

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- début de la Guerre de Cent Ans. Reprise du XVe siècle (à partir de 1380 environ), en Italie d’abord: - essor du capitalisme banquier et industriel (Médicis, Jacques Coeur, Fugger) - monarchies renforcées (dont la Papauté). Progrès techniques - bielle manivelle -> scie hydraulique, pompes aspirantes et soufflantes, moulins. - mines: vive reprise après 1425: machinisme; utilisation de la poudre; grandes exploitations. - métallurgie: soufflerie hydraulique, marteau hydraulique, laminoirs, hauts-fourneaux (Liège, dernier quart du XVe siècle) -> fonte, tréfilerie: L’âge du métal commence véritablement à cette époque B. Gille, Histoire des Techniques, p. 627 - transports: - routiers: amélioration des voitures (avant-train mobile, suspension) - fluviaux: reprise des travaux - maritimes: caravelle, galion; cartes. - techniques militaires: artillerie mobile; armes à feu portatives; nouvelles techniques de fortification. - imprimerie: (rappel: papier antérieur au XIIIe siècle): de 1439 à 1500: 35 000 éditions, de 15 à 20 millions d’exemplaires (77% en latin, 45% de textes religieux). Renaissance intellectuelle Sur base de cette prospérité qui renaît, Renaissance des Arts et des Lettres, en Italie d’abord, puis dans toute l’Europe. L’Université ratiocinante, déconsidérée (cf. Erasme ci-dessus) reste à l’écart de cette Renaissance: celle-ci est l’oeuvre des techniciens - artistes novateurs, et des humanistes littéraires. Mais ce bouillonnement anti-intellectualiste prépare les conditions d’éclosion de la science nouvelle au XVIIe siècle.

L’époque de la Renaissance a été une des époques les moins pourvues d’esprit critique que le monde ait connues. C’est l’époque de la superstition la plus grossière et la plus profonde, une époque où la croyance à la magie et à la sorcellerie s’est étendue d’une manière prodigieuse, et a été infiniment plus répandue qu’au Moyen Age. (...)

Le grand ennemi de la Renaissance a été la synthèse aristotélicienne, et l’on peut dire que sa grande oeuvre a été la destruction de cette synthèse. (...)

Si l’on voulait résumer en une phrase la mentalité de la Renaissance, j’aurais proposé la formule: tout est possible. (...)

Or si cette crédulité du ‘tout est possible’ est le revers de la médaille, il y a aussi un avers. Cet avers, c’est la curiosité sans bornes, l’acuité de vision et l’esprit d’aventure qui conduisent aux grands voyages de découverte et aux grands ouvrages de description.

A. Koyré, op. cit., p. 52

L’ingénieur de la Renaissance Ingénieurs militaires (p. ex. Kyeser) et ingénieurs artistes (p. ex. Francesco di Giorgio Martini, Léonard de Vinci)

Et déjà se dessine le profil de l’ingénieur de la Renaissance. Il est généralement artiste au départ, mais d’un art épris de réel et souvent confronté avec des difficultés matérielles. Art fondé sur la perspective et sur l’anatomie, comme les peintres, art fondé sur le métal comme les orfèvres, art fondé sur divers matériaux comme les sculpteurs. Il est très souvent artiste dans sa généralité, pratiquant tous les arts, ou du moins les plus importants d’entre eux.

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Notre homme deviendra vite architecte, donc véritable technicien confronté quotidiennement avec des problèmes de taille de pierre, d’équilibre des bâtiments, d’appareils de levage. Sculpteur, il devient aussi fondeur lorsque la sculpture devient elle-même fonte dans un moule. De là, il passe tout naturellement aux autres types de fonte, en particulier celle des canons. Canons et architecture militaire en font un soldat. Certains joindront encore à ce vaste et divers savoir des connaissances d’hydraulique.

L’ingénieur de la Renaissance est curieux de tout dans un monde dont l’évolution s’accélère: il pratique la philosophie, manie les premières notions d’une science nouvelle à laquelle il apporte incontestablement l’appui de ses connaissances matérielles. Il va pouvoir donner toute sa mesure dans la conjoncture favorable qui, entre 1450 et 1475, fait basculer le monde vers la modernité.

B. Gille, ibid., p. 596 Parmi les connaissances nécessaires à l’ingénieur et qu’il développe, les mathématiques: recherches géométriques de Paolo Ucello, de Piero della Francesca, d’Albert Dürer; recherches sur les machines de Léonard de Vinci, sur les traces d’Archimède:

“La mécanique (c’est-à-dire l’art des machines) est le paradis des mathématiques, parce que c’est

en elles que celles-ci se réalisent.” Léonard, cité par B. Gille, ibid.

L’humaniste

L’humaniste est profondément anti-intellectualiste. Il est plus littéraire que scientifique, plus fidéiste que rationaliste. (...) Avec lui Platon, déconsidéré comme philosophe aux yeux d’Albert le Grand, à cause de sa langue et de son style, retrouve grâce et, parce qu’il est poète, est considéré comme le Philosophe suprême. (...)

L’humaniste est un aristocrate. (...) Oui, le milieu dans lequel naît l’humaniste est bien différent du fiévreux chantier urbain, ouvert à

tous, soucieux de faire progresser de front toutes les techniques et de les relier dans une économie commune, où l’intellectuel médiéval s’est formé. (...)

Le milieu de l’humaniste, c’est celui du groupe, de l’Académie fermée. (...) Son milieu, c’est la cour du prince.

Le Goff, op. cit., p. 176 Bibliographie P. Benoit: La théologie au XIIIe siècle: une science pas comme les autres, in M. Serres: Eléments d’histoire

des Sciences, Bordas, Paris 1989 A. C. Crombie: Histoire des sciences de saint Augustin à Galilée, 2 tomes, PUF, Paris 1958 Somme sur les sciences et leur rapport avec la philosophie au Moyen-Age. Erasme: Eloge de la Folie, Bouquins, Laffont, Paris 1992 B. Gille: Les ingénieurs de la Renaissance, Points-Sciences S15, Le Seuil, Paris 1978 Une remarquable érudition sur les techniques à la Renaissance, ... et un esprit démystificateur

(notamment sur le mythe Léonard de Vinci); un livre fondateur. E. Gilson: La philosophie du moyen âge, Payot, Paris 19 Tout sur la philosophie médiévale, des Pères au XIVe siècle. E. Grant: Physical Science in the Middle Ages, Cambridge University Press, 1971 Contexte philosophique; querelles de l’aristotélisme; mécanique; astronomie. J. Le Goff: Les intellectuels au Moyen-Age, Points-Histoire H78, Le Seuil, Paris 1985 Excellente introduction, plaisante à lire. R. Taton (Sous la direction de): La science antique et médiévale, Quadrige/PUF, Paris 1994 F. Van Steenberghen: Le thomisme, Que sais-je? 587, PUF, Paris 1992 Présentation claire et systématique de la doctrine philosophique et scientifique (pas la théologie) de

Thomas d’Aquin (et d’Aristote). Chapitres appropriés dans les histoires particulières (astronomie, optique, mécanique).

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Des pratiques aux nombres: l'algèbre

1. Les précurseurs Babylone Grilles d’exemples types et algorithmes: équations du deuxième degré.

I J’ai additionné la surface et mon côté: 45 Tu poseras 1. Tu fractionneras la moitié de 1 (:30). Tu multiplieras 30 et 30 (:15). Tu ajouteras 15 à 45: 1. 1 est la racine carrée (de 1). Tu soustrairas le 30, que tu as multiplié, de 1 (:30). 30 est le côté du carré. II J’ai soustrait mon côté de la surface: 14 30 III J’ai soustrait le tiers de la surface, puis j’ai ajouté le tiers du côté à la surface: 20 ... XIX J’ai carré mes côtés, puis j’ai additionné la surface. Autant qu’un côté excédait l’autre côté, je l’ai carré. Je l’ai ajouté à la surface: 23 20 J’ai additionné les côtés: 50 in J. Ritter, Babylone, -1800, pp. 29-30

Tables et interpolation linéaire pour extraction de racines carrées et équations du troisième degré (tables de

n3 + n2). Dextérité dans le calcul: - Substitutions. ex.: trouver deux nombres dont on connaît le produit et la somme: xy = a; x + y = b

-> x + y = b; x - y = b2 -4a

- capables de reconnaître ax8 + bx4 =c comme équation quadratique, sans nos notations! Grèce Suite à la crise des irrationnelles (cf. théorie des proportions d’Eudoxe), domination de la géométrie, même si persiste une tradition (méprisée) des logisticiens. Seule exception, très brillante et très spécifique: Diophante. Il utilise (mais de façon non systématique) une notation syncopée (connaît les règles d’addition des puissances). Inde ancienne tradition mathématique (liée au culte ?). numération indienne : système décimal notation de position 10 chiffres: 9 les mêmes pour les multiples de 10, et le zéro pour noter les places vides (témoignages au VI s). Aryabhata ( ca. 500) : tables de sinus. Brahmagupta (fl. 628) : solution générale de l’équation quadratique (y compris solutions irrationnelles et négatives). Bhaskara (1114, ca. 1185) : le résultat de la division par zéro est l’infini. Tradition d’intuition, de l’analogie et de l’association, de l’imagination et du sens esthétique - pas la rigueur des

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Grecs (cf. solution générale du second degré).

2. Les Arabes Al-Khwarizmi (fl. ca. 800) “Le père de l’algèbre” - membre de la Maison de la Sagesse, à Bagdad. - Traité sur l’art de compter des Indiens (basé sur Brahmagupta ?) présentation du système décimal + les opérations élémentaires. Connaît une très grande diffusion (-> le terme ‘algorithme’: on oublie l’origine indienne du nouveau calcul). Répandu surtout dans les milieux commerçants (les astronomes gardent la notation littérale inspirée des Grecs). - Traité sur le calcul de al-jabr et al-muqabala premier traité systématique de résolution de l’équation du deuxième degré (seulement à coefficients positifs et solutions positives); démonstrations géométriques des algorithmes (cf. solutions positives); nombreux problèmes pratiques (questions d’héritages, etc.).

Six types d’équations, à coefficients positifs et racines réelles:

ax2 = bx ax2 = c

bx = c ax2 + bx = c

ax2 + c = bx bx + c = ax2 (ax2 + bx + c = 0 n’ayant pas de solution positive n’est pas admise). “Que le carré et dix racines valent 39 unités. La règle est que tu divises les racines en deux moitiés, ici on obtient 5, que tu multiplies par lui-même, on a 25, que tu ajoutes à 39 et on obtient 64. Tu prends la racine qui est 8, tu en retranches la moitié du nombre des racines qui est 5, il en vient 3 qui est la racine du carré que tu cherches, le carré est 9.”

Al-Khwarizmi donne la preuve en posant un carré a b, qui représente le carré de l'inconnue, son côté est donc l'inconnue. Deux côtés perpendiculaires du carré sont prolongés d'une longueur de la moitié de 10 soit 5. On peut alors construire sur ces côtés du carré deux rectangles, rectangles g, h et t, k, dont un côté vaut l'inconnue et l'autre 5. Le total des deux rectangles vaut donc dix fois l'inconnue et celui de la figure formée par le carré posé au départ et les deux rectangles vaut 39, puisqu'il correspond à la valeur du carré de l'inconnue et de dix fois l'inconnue. Or si on complète cette figure pour en faire un

carré en ajoutant un carré de 5 de côté, la surface de ce dernier carré aura pour aire 52, soit 25 qui

s'ajoutent à 39 pour donner 64. Le côté du grand carré d e vaut donc 64 , soit 8. Pour connaître l'inconnue, il reste à retirer 5 de 8, ce qui fait 3. L'algorisme qui permet de trouver la réponse s'exprime donc en langage moderne sous la forme:

x = Erreur !- Erreur ! . Cette solution implique seulement une racine positive.

d h

gb

ak

e

t

P. Benoit et F. Micheau, L’intermédiaire arabe, p. 168

Résolution par al-jabr et al-muqabala de 2x2 + 100 - 20x = 58

al-jabr: “complément”: se ramener à coefficients positifs 2x2 + 100 = 20x + 58 al-muqabala: “réduction”, balancement: réduire les termes

des deux membres 2x2 + 42 = 20x

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coefficient 1 pour x2 x2 + 21 = 10 x algébristes arithméticiens opérations sur les polynômes, sur les puissances (y compris négatives). géomètres algébristes Omar Khayyam (ca. 1050,1123) (Samarcande, Ispahan). équation cubique. N’a pas trouvé de solution algébrique (“peut-être qu’un de ceux qui viendront après nous la réalisera”), mais solutions géométriques. Pour cela, distingue 14 types d’équations, à coefficients positifs, la solution étant fournie par l’intersection de deux coniques (ne retient que les solutions positives).

Résoudre x3 + ax2 + b2x + c3 = 0

On substitue x2 = 2py parabole

-> il vient 2pxy + 2a py + b2x + c3 = 0 hyperbole Noter l’homogénéité des dimensions.

L’équation du quatrième degré lui apparaît comme un fait algébrique purement théorique, sans existence géométrique réelle. trigonométrie Pour les besoins de l’astronomie, les Grecs (Hipparque, Menelaus, Ptolémée) avaient développé la trigonométrie sphérique; en particulier, tables de relations entre la corde et l’angle. Al-Khwarizmi: table de sinus, c’est-à-dire relation entre la corde et le demi-angle, beaucoup plus commode (influence indienne); développé par Al-Battani (astronome). Abul-Wefa (X s): introduit la tangente (sur le cercle unité); tables pour le 1/4 de degré; théorèmes sur l’angle double et demi.

3. Le Moyen-Age occidental Gerbert d’Aurillac (940,1003) contacts avec les Arabes en Espagne; première introduction des chiffres arabes. Les traducteurs (XII s) traductions d’Euclide, Ptolémée, Al-Khwarizmi, etc. XIIIe siècle diffusion de la numération indo-arabe et de l’algèbre par - Alexandre de Villedieu (fl. 1225) - Jean d’Hallifax, dit Sacrobosco (1200,1256) (universitaire) - Léonard de Pise, dit Fibonacci (1180,1250), fils de commerçant établi en Afrique du Nord. Son Liber Abaci diffuse le calcul arabe - chiffres arabes, dont le 0 (“zephirum” donne “chiffre” et “zéro”); les opérations; la règle de trois - problèmes algébriques; listes d’équations et algorismes - problèmes commerciaux (achats et ventes, trocs, change des monnaies, partage des bénéfices commerciaux). Produit aussi des travaux mathématiques de haut niveau (théorie des nombres), mais peu diffusés en son temps. Après Fibonacci, diffusion de la numération et de l’algèbre arabes dans les milieux universitaires et dans les milieux marchands.

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4. Algèbre et pratique commerciale à la Renaissance Nombreux traités aux XIV - XVe siècles, dans la tradition de celui de Fibonacci. Notamment Luca Pacioli (1445,1517) Summa arithmetica Nicolas Chuquet Triparty en la science des nombres (Lyon 1484) Ouvrages en langue vulgaire, en Italie, France, Allemagne : arithmétiques commerciales. Milieu de mathématiciens professionnels, parfois prospères, dont la tâche est d’éduquer les enfants en vue du commerce (problèmes de change, comptabilité en partie double, partages de bénéfices). Eloignés de l’université, qui s’intéresse peu à ces ‘algorismes’, mais se consacre à l’astronomie, la géométrie, la physique. Développement d’une algèbre moins attachée aux démonstrations géométriques. Premières solutions négatives acceptées (influence de la comptabilité en partie double?). Efforts vers une notation symbolique (notamment signes +, -).

5. L’équation cubique au XVIe siècle; l’école de Bologne

Scipione del Ferro (ca. 1465,1526) découvre la solution de x3 + ax = b. Transmis à son élève Antonio Maria Fiore. Défi entre celui-ci et Tartaglia (1499,1557: mathématicien, ingénieur), qui résoud 30 équations. Tartaglia confie son secret à Cardan (1501,1576: mathématicien, ingénieur, astrologue), qui le publie dans son Ars Magna (1544); querelle !

Soit x3 + ax2 + b2x + c3 = 0. On fait la substitution x’ = x + a/3

d’où x’3 + px’2 + q = 0 On pose x’ = y + z

d’où (y3 + z3 + q) + (y + z) (3yz + p) = 0 (trouvé géométriquement!)

Résoudre séparément y3 +z3 + q = 0 (1) et 3yz + p = 0 (2)

(2) dans (1) -> y3 -(p/3y)3 +q = 0

d’où y6 + qy3 - (p/3)3 = 0 -> y3 par équation quadratique en y3 on a donc y, z -> x

Chez Cardan : 13 cas différents (pas de coefficients négatifs!). Cardan donne aussi la solution de l’équation du quatrième degré, due à Ferrari, qui se ramène à une équation du troisième degré.

Or x3 = 15x + 4 admet pour solution 4, alors que l’algorithme donne

x = (2 + -121)1/3 + (2 - -121)1/3 Cardan avait aussi rencontré les nombres imaginaires pour le problème suivant: trouver deux nombres dont la

somme est 10 et le produit 40 : 5 + -15 et 5 - -15.

Ainsi progresse subtilement l’arithmétique vers une fin aussi raffinée qu’inutile. Cardan Bombelli (ca. 1522,1572), professeur à Bologne, connaisseur de Diophante, a “une pensée sauvage”, qui

“semble reposer sur un sophisme” : il traite formellement et opère avec -1

(il trouve que (2 +- -121)1/3 = 2 +- -1). On a donc affaire à un nouveau type de nombres! NB que les nombres imaginaires viennent donc de l’équation du troisième degré, pas du deuxième.

6. Symbolisme algébrique F. Viète (1540,1603): L’Art analytique (1591). Il propose de noter par des lettres non seulement les inconnues

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(voyelles), mais aussi les paramètres (consonnes) (mais reste attaché à la consistance des dimensions et aux seules solutions positives,- alors qu’il manipule des degrés supérieurs au troisième). S. Stévin (1548,1620): L’Arithmétique (1585): calcule sur des polynômes de degré quelconque.

7. Emancipation par rapport à la géométrie Pour Viète, l’algèbre reste subordonnée à la géométrie, mais elle conquiert peu à peu son indépendance. Avec sa géométrie des coordonnées, Descartes (1596,1650) renverse la relation: il utilise l’algèbre pour résoudre des problèmes géométriques. L’algèbre est plus fondamentale que la géométrie, plus proche de la logique (mais seules la géométrie et la mécanique nous informent réellement sur le monde). L’algèbre permet de “mécaniser” le raisonnement. -> autonomie de l’algèbre conquise au XVII s. Mais peu de développements, l’attention étant surtout portée sur les débuts de l’analyse.

8. Les nombres complexes; le théorème fondamental Dès le début du XVIIs, Girard fait l’hypothèse que l’équation de degré n possède n solutions algébriques. Euler (1707,1783) développe la réflexion sur les imaginaires au XVIIIs (formule d’Euler; la trigonométrique cesse d’être une branche indépendante des maths.).

La formule d’Euler (ei = -1) contient “les symboles les plus importants: union mystérieuse dans

laquelle l’arithmétique est représentée par 0 et 1, l’algèbre par -1, la géométrie par et l’analyse par e.” Cité in A. Dahan-Dalmedico et J. Peiffer, op. cit., p. 254

Représentation géométrique claire et notation (a + bi) proposée à la fin du XVIII s par Gauss (1777,1855), qui démontre le théorème fondamental.

Durant tout le XVIIIe siècle, les mathématiciens avaient aussi utilisé sans justification les nombres complexes en analyse et même en théorie des nombres, obtenant ainsi des résultats exacts sur de “véritables” nombres, qui paraissaient miraculeux. Une fois justifiés les calculs sur les nombres complexes, ces incursions hardies devinrent les germes d’immenses théories qui allaient se développer durant tout le XIXe siècle, la théorie des fonctions analytiques de variables complexes avec Cauchy, Riemann, Weierstrass et Poincaré, et la théorie des nombres algébriques, de Gauss et Dirichlet à Dedekind et Hilbert.

J. Dieudonné, Pour l’honneur de l’esprit humain, p. 118

9. Solution algébrique générale de l’équation de degré n; les groupes Depuis Cardan, deux siècles d’efforts ne fournissent pas la solution algébrique générale de l’équation de degré n > 4. La question reprend de l’importance pour l’intégration des expressions fractionnaires. L’idée est d’opérer des substitutions permettant d’abaisser le degré de l’équation. Lagrange (1736,1813), dans un Mémoire de 1770, montre que le succès de Cardan et Ferrari repose sur l’existence d’une certaine fonction. Il doute qu’une telle fonction puisse être inventée pour les degrés supérieurs, mais ses travaux indiquent que la théorie des permutations pourrait être au coeur du problème. En fait, son étude porte davantage sur les méthodes que sur la résolution des équations elles-mêmes:

“Je me propose dans ce Mémoire d’examiner les différentes méthodes que l’on a trouvées jusqu’à présent pour la résolution algébrique des équations, de les réduire à des principes généraux, et de faire voir a priori pourquoi ces méthodes réussissent pour le troisième et le quatrième degré, et sont en défaut pour les degrés ultérieurs. Cet examen aura un double avantage; d’un côté il servira à répandre une plus grande lumière sur les résolutions connues du troisième et du quatrième degré; de l’autre il sera utile à ceux qui voudront s’occuper de la résolution des degrés supérieurs, en leur fournissant différentes vues pour cet objet et en leur épargnant surtout un grand nombre de pas et tentatives inutiles.” Joseph-Louis Lagrange, in Tignol, Leçons sur la théorie

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des équations, p. 115 Abel (1802,1829) démontre en 1826 que la solution algébrique générale n’existe pas pour n > 4. Galois (1811,1832) va beaucoup plus loin en donnant une condition nécessaire et suffisante sur le groupe des permutations des racines d'une équation pour que celle-ci soit résoluble par radicaux. Pour cela, il avait jeté les bases de la théorie des groupes. Bibliographie P. Benoit: Calcul, algèbre, marchandise, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris 1989 P. Benoit et F. Micheau: L’intermédiaire arabe, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris

1989 C. B. Boyer: A History of Mathematics, J. Wiley, New York 1989 (voir pp. 37, 201, 235, 255, 268, 280, 316) A. Dahan-Dalmedico, J. Peiffer: Une histoire des mathématiques, Points-Sciences S49, Le Seuil, Paris 1986

(voir ch. 3 et 7) J. Dieudonné: Pour l’honneur de l’esprit humain, Pluriel 8515, Hachette, Paris 1991 (voir pp. 54, 55, 62, 115, 118, 124) J. Ritter: Babylone -1800, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris 1989 J.-P. Tignol, Leçons sur la théorie des équations, Cabay, Louvain-la-Neuve 1980 Cours sur la théorie des équations (licence math.), avec une large part historique

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Astronomie, dynamique et naissance de la science moderne

L’astronomie antique 1. Le système des sphères Pour Anaximandre (ca. -610, ca. -547),

les astres sont comme des feutres d’air, en forme de roues, pleins de feu et ayant par place des évents jetant des flammes. (...) Le soleil est situé au plus haut; après lui vient la lune; au-dessous les étoiles fixes et les planètes. (...) Les astres sont emportés par les cercles et les sphères sur lesquels chacun est situé.

in Les penseurs grecs avant Socrate, p. 52 Progrès observationnels Au IVe siècle (époque de Platon, Aristote): - terre ronde (évidences expérimentales) - sphère d’étoiles fixes - cinq “astres errants” (planètes) se déplacent sur le zodiaque - explication des phases et des éclipses de la lune (Anaxagore). Aristarque de Samos (-310, -230): mesure des diamètres et des distances terre - lune - soleil

Aristarque considère le triangle formé par les centres de la terre (T), de la lune (L) et du soleil (S).

Quand la lune est exactement à moitié pleine, l'angle T L,^ S est droit. Aristarque mesure l'angle LT,^ S

et trouve 87° => TS/TL = 19 (en réalité, TL,^ S = 89° et TS/TL = 400). Pendant une éclipse de lune, la lune étant sur l'écliptique, celle-ci passe au centre du cône d'ombre

de la terre. On observe que le temps mis par la lune pour pénétrer entièrement dans l'ombre est égal au temps où elle est complètement cachée. La largeur de la zone d'ombre est donc 2 fois le diamètre d de la lune (inconnu). On connaît le diamètre D de la terre, le rapport TS/TL =19, les diamètres apparents de la lune et du soleil (tous deux environ 30' => diamètre du soleil = 19 d).

x

2 d D

R 19 R

On a: Erreur != Erreur ! x = 40R/17

Erreur != Erreur ! d = 0,35D Le diamètre apparent de la lune étant de 30', la circonférence de son orbite est 720 fois son

diamètre, et la distance terre-lune est de 40 fois le diamètre de la terre.

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Eratosthène d’Alexandrie (-284, -192): excellente mesure du rayon de la Terre

Eratostène mesure l'inclinaison des rayons du soleil au solstice d'été à Alexandrie. Ce jour-là, ils sont verticaux à Syène (Assouan), qui est sur le Tropique et approximativement sur le même méridien qu'Alexandrie. Connaissant, grâce aux arpenteurs égyptien, la distance Alexandrie-Syène, on trouve la circonférence terrestre = 250 000 stades, soit environ 40 000 km.

Les sphères géocentriques d’Eudoxe Platon définit le programme de l’astronomie grecque:

“rechercher les mouvements uniformes et ordonnés par l’hypothèse desquels on pourrait rendre compte des mouvements apparents des planètes.”

Eudoxe de Cnide (-408, -355): système de 27 sphères homocentriques - fixes 1 rotation diurne - soleil 3 rotations diurne et annuelle + 1 - lune 3 rotations diurne, mensuelle et annuelle - planètes 5 x 4 diurne et annuelle (planètes int.) ou sidérale (ext.) + 2 sphères tournant en sens opposés -> mouvement en latitude et rétrogradations. Le système d’Eudoxe sera compliqué par Callipe (fl. -336): 34 sphères.

NORD

SUD

Plan de l'écliptique

Plan équatorial

P

T

4S3S

1S

2S

TP

axe de rotation de S43axe de rotation de S

équateur de S3

équateur de S4

Extrait de J. Gapaillard, Et poutant elle tourne, pp. 58-59

2. Le système d’Aristote et sa cohérence La cosmologie d’Aristote découle de sa physique, basée sur le mouvement, et la distinction entre mouvements naturels et forcés. Les corps sont simples ou composés. Les corps simples sont animés de mouvements “naturels” (simples) pour rejoindre leur “lieu naturel”. Les lignes simples étant la droite et le cercle, les corps simples sont: - la terre, animée d’un mouvement naturel vers le bas, son lieu naturel étant le centre de l’univers - le feu, animé du mouvement contraire, vers le haut - le “corps animé du mouvement circulaire”, mouvement parfait et sans contraire. (A la terre, lourde et sèche, et au feu, léger et sec, s’ajoutent deux corps simples intermédiaires: l’eau, lourde et humide, et l’air, léger et humide). A côté des mouvements naturels, on observe des mouvements contraints, ou forcés, qui ne durent que tant que la cause agit (physique du “bon sens”). L’univers sphérique, fini, sans vide, au centre duquel la terre est immobile en son lieu naturel, est divisé en deux mondes fondamentalement différents:

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- monde supralunaire: siège des phénomènes immuables, majestueux, sublimes, “divins” les astres sont fixés sur des sphères cristallines (sphères d’Eudoxe) qui sont leur lieu naturel, et sont animés d’un mouvement (naturel) circulaire, éternel; les sphères sont mues par le Premier Moteur (que Thomas d’Aquin identifiera à Dieu); le seul changement est le changement local (changement de lieu). - monde sublunaire: au centre de l’univers: la terre, immobile le monde sublunaire est celui du mouvement violent, de la confusion, de la corruption (de la chute et du pêché, dira le Moyen-Age chrétien); siège des quatre éléments (feu, air, eau, terre), tendant à rejoindre leur lieu naturel mais entraînés en des mouvements violents par le mouvement de la sphère lunaire; en plus du changement local, on y observe le changement de substance (génération et corruption), de qualité (ex. de couleur), de quantité. La cosmologie d’Aristote est étroitement cohérente avec sa physique (dynamique). Cette cohésion fait la force du système. - le centre de la terre réside en son lieu naturel, et est donc au centre de l’univers fini et plein - terre centrale <-> système fini (un univers infini n’a pas de centre) - par contre, un monde infini suggérerait l’existence d’espaces vides. - lieux naturels => espace absolu => existence d’un mouvement absolu - mouvement absolu => la terre est immobile, sinon nous observerions son mouvement (en particulier le mouvement de rotation diurne). - les forces n’agissent que par contact, et le mouvement n’existe que tant que la force agit - le mouvement ne peut donc avoir lieu que dans un milieu: c’est l’air agité qui pousse la flèche en avant. - le mouvement est proportionnel à la force qui l’entretient et inversement proportionnel à la résistance du milieu - le vide n’existe donc pas, car le mouvement y serait infiniment rapide (or l’infini en acte n’existe pas). - l’”appétance” d’un corps à atteindre son lieu naturel est d’autant plus grande qu’il est plus lourd => les corps plus lourds tombent plus vite. - le mouvement circulaire naturel (celui des astres) est éternel - par contre, le mouvement rectiligne éternel est impossible: s’il s’agit d’un mouvement naturel, il s’achève quand est atteint le lieu naturel; s’il s’agit d’un mouvement violent, il doit s’épuiser de par les résistances rencontrées (ou il devrait avoir lieu dans le vide, ce qui est impossible) - ceci est cohérent avec la finitude de l’univers. Mathématique et physique 1. Pour Aristote, les mathématiques sont une description idéalisée du monde réel:

Le mathématicien, quand il étudie les surfaces, les lignes et les points, ne s’en occupe pas en tant que ce sont là les limites d’un corps naturel, et il ne regarde pas davantage aux propriétés qui peuvent accidentellement leur appartenir en tant que ces propriétés appartiennent à des êtres réels.

(... Considérons) les parties des mathématiques qui se rapprochent le plus de la physique: l’optique, l’harmonie et l’astronomie. En un certain sens, elles sont tout à fait l’inverse de la géométrie. Ainsi, tandis que la géométrie étudie la ligne qui est bien physique, mais qu’elle ne l’étudie pas telle que cette ligne est dans la nature, l’optique, au contraire, étudie la ligne mathématique, non pas en tant que mathématique, mais en tant qu’elle joue un rôle dans la réalité naturelle.

Aristote, Leçons de physique, pp. 116-117 2. La jonction entre physique et mathématique se fait donc dans les domaines où il n’y a pas mouvement: optique, astronomie, statique (Archimède):

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(Le mathématicien) peut abstraire ces notions que l’entendement sépare sans peine du mouvement. (...) Le pair et l’impair, le droit et le courbe, et d’un autre point de vue, le nombre, la ligne, la figure, peuvent exister sans le mouvement.

Aristote, ibid., pp. 116-117 Par contre, le mouvement échappe à la mathématique - cf. difficultés avec le concept de vitesse instantanée. 3. La physique d’Aristote sera donc, quant à elle, qualitative et non mathématique. La dynamique ne se développera (Galilée) que parallèlement à une évolution de l’attitude par rapport à l’infiniment petit (voir plus loin).

3. Le système d’Hipparque et de Ptolémée Epicycles et excentriques Difficultés du système d’Eudoxe: variation d’éclat des planètes et du diamètre apparent de la lune. Apollonios de Perga (ca. -262, ca. -180): abandon des sphères homocentriques, et mouvement de la planète sur un épicycle dont le centre parcourt un déférent, centré sur la Terre.

T

C

épicycle

P

Extrait de J. Gapaillard, Et poutant elle tourne, p. 66 Hipparque de Nicée (-161, -125): formidable observateur (catalogue de 800 étoiles); invention de la trigonométrie; observation de la précession des équinoxes (d’après les tables babyloniennes); système des excentriques (rotation de la planète sur un cercle excentré par rapport à la terre), équivalent à celui des épicycles. Claude Ptolémée (90, 168), d’Alexandrie: L’Almageste: la rotation n’est plus uniforme autour du centre du cercle, mais autour du “point équant”, qui en est distinct. -> système simple dans son principe, très souple, mais qui devient extrêmement compliqué dans ses applications pour décrire les faits avec précision (jusqu’à 8 épicycles!). De plus, le mouvement uniforme est abandonné en fait par l’introduction de l’équant. “Sauver les apparences”

“Bien souvent, l’astronome et le physicien prennent le même chapitre de la Science pour objet de leurs démonstrations; ils se proposent, par exemple, de prouver que le soleil est grand ou que la terre est sphérique.

Mais dans ce cas, ils ne procèdent pas par la même voie; le physicien doit démontrer chacune de ses propositions en les tirant de l’essence des corps, de leur puissance, de ce qui convient le mieux à leur perfection, de leur génération, de leur transformation; l’astronome au contraire les établit au moyen des circonstances qui accompagnent les grandeurs et les figures, des particularités qualitatives du mouvement, du temps qui correspond à ce mouvement.

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Souvent, le physicien s’attachera à la cause et portera son attention sur la puissance qui produit l’effet qu’il étudie, tandis que l’astronome tirera ses preuves des circonstances extérieures qui accompagnent ce même effet.”

Simplicius, Commentaires sur Aristote, in A.C. Crombie, Histoire des sciences de saint Augustin à Galilée, p. 74 Aristote et Ptolémée Bien que le système “aristotélicien” ait ultérieurement incorporé les apports techniques de Ptolémée, les points de vue étaient différents: le système d’Aristote est “physique”, celui de Ptolémée “mathématique”. Ptolémée cherche à “rendre compte des apparences”, “décrire les phénomènes”, pas nécessairement à expliquer les mécanismes.

Ces deux astronomies (les sphères de la cosmologie aristotélicienne et les épicycles et les déférents de l’astronomie de Ptolémée) étaient véritablement des produits caractéristiques de deux civilisations distinctes de l’Antiquité, les civilisations hellénique et hellénistique.

(...). La science à laquelle (la Grèce) donna naissance était surtout qualitative par sa méthode et cosmologique par son orientation. Aristote fut son plus grand et son dernier représentant.

Juste avant sa mort, l’évolution de la science hellénique fut prématurément interrompue au moment où Alexandre le Grand conquit la Grèce et l’annexa à un grand empire embrassant toute l’Asie mineure, l’Egypte et la Perse jusqu’à l’Indus. La civilisation hellénistique qui naquit après les conquêtes d’Alexandre le Grand s’épanouit dans des villes commerçantes et cosmopolites comme Alexandrie. Là se retrouvaient les savants de pays différents, de races différentes, et la confrontation des diverses cultures aboutit à une science moins philosophique, plus mathématique et numérique que la science hellénique.

T. Kuhn, La révolution copernicienne, pp. 140-141

4. Systèmes alternatifs Philolaos (ca. -470, fin -Vs)

"La plupart des philosophes assurent qu’elle (la terre) est située au centre du Monde, et en fait ce

sont tous ceux qui considèrent le ciel comme fini. D’une opinion contraire sont les représentants de l’Ecole italique qu’on nomme Pythagoriciens. Pour ces derniers, c’est le feu qui occupe le centre; la terre est seulement l’un des astres, et c’est elle qui, par son mouvement circulaire autour du centre, produit le jour et la nuit. En outre, ils construisent une autre terre, contraire à la nôtre, qu’ils désignent sous le nom d’Antiterre."

Aristote, Traité du Ciel, in J. Gapaillard, op. cit., p. 41 NB que le feu central n’est pas le soleil; l’Antiterre (invisible) cache ce feu central (introduite pour avoir un total de 10 astres ?). Héraclide du Pont (-388, -310), disciple de Platon: rotation diurne de la terre au centre de la sphère des fixes, immobile; rotation de la lune, du soleil, de Mars, Jupiter et Saturne autour de la terre, Mercure et Vénus tournant autour du soleil. (Selon certains, le système d’Héraclide serait le même que celui de Tycho, toutes les planètes tournant au tour du soleil, lui-même tournant autour de la terre.) Aristarque de Samos (-310, -230): héliocentrisme -> dimensions élargies de l’univers, en raison de l’absence de parallaxe des étoiles fixes:

“Aristarque de Samos a publié quelques hypothèses desquelles se déduisent pour le monde des

dimensions beaucoup plus grandes que celles que nous venons de dire.” Archimède, cité par J. Gapaillard, ibid., p. 50 Pas d’anachronisme ! Ces systèmes ne sont pas retenus: - ils semblent peu naturels (objection de la non-observation de la rotation de la terre: selon Ptolémé, une

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flèche tirée verticalement sur une terre en mouvement devrait retomber à l'ouest du point de lancement, contrairement à l'expérience) - puissance du système des sphères, perfectionné par Hipparque - cohérence du système d’Aristote.

On dit souvent que si la science grecque avait été moins déductive et moins assujettie au dogme, l’astronomie héliocentrique aurait pu commencer à se développer dix-huit siècles plus tôt. Mais c’est ignorer tout le contexte historique. Quand Aristarque formula sa théorie, le système géocentrique, beaucoup plus conforme à la raison, ne présentait aucune lacune dont on aurait pu songer à chercher la solution dans une système héliocentrique. (...) Aucune raison visible ne conseillait de prendre Aristarque au sérieux. Même la théorie plus élaborée de Copernic ne sera ni plus simple ni plus exacte que le système de Ptolémée. Les faits d’observation accessibles (...) ne permettaient pas de choisir. Dans ces conditions, l’un des facteurs qui rallia les astronomes à Copernic (et qui ne pouvait pas les rallier à Aristarque) fut l’état de crise patente à la veille de cette innovation. L’astronomie de Ptolémée n’était pas parvenue à résoudre ses problèmes; il était temps de donner sa chance à un concurrent.

T. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, p. 112

Théorie du mouvement et astronomie au Moyen Age arabo-latin Les Arabes enrichissent le système ptoléméo-aristotélicien (trois traduction de l’Almageste existent dès 829). Nombreuses observation astronomiques: Al-Farghani (Alfraganus), Al-Battani (Albatenius), Ibn Al-Haytham (Alhazen). Réalisation de tables: Tables de Tolède (XIe siècle); en Espagne chrétienne: Tables alphonsines (1272, roi Alphonse X de Castille). Réticences envers l’équant; discussion sur la nature matérielle des sphères (Alhazen); rejet des excentriques et des épicycles chez l’aristotélicien Alpetragius (Al-Bituji).

Le mouvement La discussion sur la nature du mouvement (conduisant progressivement vers le concept d’inertie) et la réflexion sur le système du monde sont inséparablement liées, en raison même de la cohérence du système d’Aristote et de sa réfutation du mouvement de la terre. En soi, les recherches menant au concept d’inertie sont évidemment capitales, puisque l’inertie est au centre de la physique newtonienne, et l’équivalence masse pesante / masse inerte au centre de la relativité générale. Jean Philopon (VIe siècle, Byzance): remise en cause du rôle de l’air pour “pousser” la pierre: elle ne bouge pas si l’on agite l’air devant elle; la forme de l’extrémité arrière d’une sagaie n’influence pas son mouvement. Avicenne, Avempace, Abu’l Barakat discutent le rôle du milieu et la question du mouvement dans le vide. Les “Mertoniens” (philosophes empiristes de Merton College, à Oxford, dans la première moitié du XIVe siècle: Bradwardine, Heytesbury, Swinehead, ...): étude de la relation entre vitesse, force et résistance; définitions de la nature du mouvement (mouvement uniforme et mouvement difforme (accéléré); mouvement uniformément difforme et difformément difforme, etc.). Buridan et l’impetus Logicien (nominalisme), recteur de la Faculté des Arts de Paris (1300-1358). Prolongeant Philopon et Avempace, introduit un impetus (“élan”), qui annonce la quantité de mouvement, mais il est la cause, non la mesure du mouvement. Le mouvement n’est pas encore perçu comme un état (l’état de

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mouvement n’est pas différent de l’état de repos), il a besoin d’une cause. ”On cherche à savoir si un projectile, après avoir quitté la main du lanceur, est mû par l’air, ou par

quoi il est mû. (...) Le lanceur imprime un certain impetus ou force motrice dans le corps en mouvement. (...) C’est par cet impetus que la pierre est mue après que le lanceur a cessé de la mouvoir. Mais cet impetus est continuellement diminué par l’air qui résiste et par la gravité de la pierre qui l’incline dans une direction contraire à celle dans laquelle l’impetus était naturellement prédisposé à la mouvoir. Ainsi le mouvement de la pierre devient plus lent, jusqu’à ce que l’impetus soit tellement diminué ou corrompu que la gravité de la pierre l’emporte et fasse descendre celle-ci en son lieu naturel.”

J. Buridan, in T. Kuhn, La révolution copernicienne, p. 161 La physique de l’impetus est la même pour les mondes sub- et supralunaires (ceci va à l'encontre de la doctrine d'Aristote): Dieu communique un impetus aux astres.

“Car on pourrait aussi bien répondre que Dieu, lorsqu’il créa le monde, a mû chacun des orbes célestes comme il Lui plaisait et, en les mouvant, Il leur a imprimé un impetus qui les a mus sans qu’Il ait eu à les mouvoir davantage. (...) Et ces impetus qu’Il imprima dans les corps célestes ne diminuèrent pas et ne furent pas corrompus par la suite, car il n’y avait pas d’inclination des corps célestes pour d’autres mouvements. Pas plus que de résistance qui aurait corrompu ou réprimé ces impetus.”

J. Buridan, in T. Kuhn, ibid., p. 163 Nicole Oresme et la relativité du mouvement Maître à la Faculté des Arts de Paris, évêque de Lisieux (1302-1382). Discute la possibilité du mouvement (diurne et annuel) de la terre. Pour cela, réfute l’argument de Ptolémée:

“Je suppose que le mouvement local peut être perçu seulement lorsqu’un corps change sa position au regard d’un autre corps. C’est pourquoi si un homme est sur un bateau a qui se meut uniment, rapidement ou lentement, et que cet homme ne voit autre chose qu’un autre bateau b qui se meut tout à fait comme le bateau a (...), je dis qu’il semblera à cet homme qu’aucun des deux bateaux ne se meut. (...)

Je dis donc que si, des deux parties du monde, la partie céleste était mue aujourd’hui (comme c’est le cas), et la partie terrestre non, et que demain ce fût le contraire, que celle du bas fût mue du mouvement diurne et que l’autre, à savoir le ciel, fût en repos, nous ne pourrions apercevoir en rien cette mutation, mais tout semblerait être en une même manière aujourd’hui et demain.”

N. Oresme, in T. Kuhn, ibid., p. 156

“En réponse à l’argument d’Aristote et de Ptolémée, on dirait que la flèche tirée vers le haut est mue vers l’orient rapidement avec l’air parmi lequel elle passe, et avec toute la masse de la partie terrestre du monde (...) qui est mue du mouvement diurne. Par conséquent la flèche retombe au lieu de la Terre dont elle est partie. Et cela paraît possible par analogie, car si un homme était sur un bateau se déplaçant très rapidement vers l’orient, sans qu’il perçût ce mouvement, et s’il tirait sa main vers le bas en décrivant une ligne droite contre le mât du bateau, il lui semblerait que sa main n’est mue que du mouvement vertical.”

N. Oresme, in T. Kuhn, ibid., p. 157 Réalisme ou spéculation ? Oresme énumère donc les raisons indiquant que le mouvement de la terre ou son contraire sont tous deux indécidables. D’après l’énumération des arguments, on pourrait croire que le mouvement lui semble le plus plausible, mais il se range en fin de compte à l’opinion traditionnelle. La discussion est spéculative, non réaliste comme chez Copernic et Galilée, et a un but d’édification: si la raison ne peut trancher selon l’expérience quotidienne dans ces questions de tous les jours, a fortiori la foi seule est-elle capable de nous guider dans les mystères sacrés.

Quand les argument d’Oresme se retrouvent dans les oeuvres de Copernic et de Galilée, ils ont une

fonction différente et plus constructive. Ces derniers voulaient montrer que la Terre pouvait être en mouvement, afin de tirer profit des avantages qui en résulteraient pour l’astronomie si en fait elle était en mouvement. Oresme voulait seulement montrer que la Terre pouvait être en mouvement.

T. Kuhn, ibid., p. 158

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La révolution copernicienne 1. Copernic (1473,1542)

Voyage en Italie (Bologne et Rome, 1496-1501); retour en Pologne 1503 (chanoine à Frauenburg). Astronome renommé, sollicité par le Pape pour la réforme du calendrier. Ceci nécessite la clarification de questions astronomiques. Un sentiment d’insatisfaction Or, la confusion règne parmi les astronomes:

“C’est pourquoi je ne veux pas cacher à Ta Sainteté que nulle autre cause ne me poussa à rechercher une autre façon de déduire le mouvement des sphères du monde que le fait d’avoir compris que les mathématiciens ne sont pas d’accord avec eux-mêmes dans leurs recherches.

Car, premièrement, ils sont tellement incertains du mouvement du soleil et de la lune qu’ils ne peuvent ni déduire ni observer la grandeur éternelle de l’année entière.

Ensuite, en établissant le mouvement de ces astres, ainsi que des autres cinq astres errants, ils ne se servent ni des mêmes principes et des mêmes assomptions, ni des mêmes démonstrations des révolutions et mouvements apparents. (...)

Ceux qui s’en tiennent aux sphères homocentriques (...) n’ont pu cependant rien établir de certain expliquant entièrement les phénomènes.

Quant à ceux qui imaginèrent des excentriques, bien qu’avec leur aide ils semblent en grande partie avoir pu déduire et calculer exactement les mouvements apparents, ils ont cependant admis beaucoup de choses (l’équant) qui semblent s’opposer aux principes premiers concernant l’uniformité des mouvements.

Enfin en ce qui concerne la chose principale, c’est-à-dire la forme du monde et la symétrie exacte de ses parties, ils ne purent ni la trouver ni la reconstituer. Et l’on peut comparer leur oeuvre à celle d’un homme qui, ayant rapporté de divers lieux des mains, des pieds, une tête et d’autres membres - très beaux en eux-mêmes, mais non point formés en fonction d’un seul corps et ne correspondant aucunement -, les réunirait pour en former un monstre plutôt qu’un homme.”

N. Copernic, De Revolutionibus Orbium caelestium, Préface (1543), in T. Kuhn, ibid., p. 186 Remarquer l’opposition de Copernic à l’utilisation de l’équant, qui rompt la simplicité formelle du système de Ptolémée. Recherche d’harmonie Première esquisse du système héliocentrique (le Commentariolus) en 1510-1512, puis travaille au De Revolutionibus Orbium caelestium (1543). L’hypothèse héliocentrique a pour avantages: - la simplicité de l’explication du mouvement rétrograde - une explication plus naturelle du mouvement des planètes intérieures - Copernic peut déduire de son système l’ordre des planètes: la période de révolution augmente avec le rayon de l’orbite. Ces arguments se ramènent à un seul: l’harmonie. Cependant, le système de Copernic est en fait à peine moins compliqué et n’est pas plus prédictif que celui de Ptolémée; de plus, pour décrire les faits, Copernic doit réintroduire excentriques et épicycles. Contexte Fermentation religieuse (Luther 1517), technique, nationale, favorable aux innovations. Influence de la philosophie néoplatonicienne (et pythagoricienne) ambiante: 1. rôle des régularités dans la nature; importance de l’argument d’harmonie 2. affirmation du rôle des mathématiques:

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“Si cependant il se trouvait des personnes qui, bien qu’ignorant tout des mathématiques, se permettaient néanmoins de juger de ces choses et, à cause de quelque passage de l’Ecriture, malignement détourné de son sens, osaient blâmer et attaquer mon ouvrage, de ceux-là je ne me soucie aucunement, et cela jusqu’à mépriser leur jugement comme téméraire. (...) Les choses mathématiques s’écrivent pour les mathématiciens.”

N. Copernic, De Revolutionibus , Préface (1543), in T. Kuhn, ibid, p. 193 On est loin de l’image d’un chanoine timide ! 3. exaltation du rôle du soleil (voir Kepler ci-dessous) 4. également, redécouverte des Anciens: les théories de Philoloas, d’Aristarque. NB cependant que la physique de Copernic reste aristotélicienne. “Sauver les apparences” ? Le réalisme foncier de Copernic fut trahi par la “Préface” ajoutée par le théologien luthérien Osiander:

“Il n’est pas nécessaire que ces hypothèses soient vraies, elles n’ont même pas besoin d’avoir les apparences de la vérité. Il est suffisant qu’elles conduisent à des calculs qui s’accordent avec les résultats de l’observation.”

Préface (anonyme) de Osiander au De Revolutionibus, in P. Feyerabend, Contre la méthode, p. 120 Cette utilisation “pratique” du système de Copernic conduira par exemple aux “Tables prussiennes” de E. Reinhold, qui s’appuie sur Copernic, mais ne soutient pas son système.

2. Tycho Brahé (1545,1601)

Immense observateur (observatoire d’Uraniborg, Danemark): ses observations sont d'une précision jamais égalée à l’oeil nu (4’ ordinairement, 1’ quand il est particulièrement soigneux (1/2 diamètre des étoiles, ce qui correspond à un objet de 3 mm vu à 10 m); soucieux des phénomènes de réfraction (cf. Ptolémée, Alhazen). En 1572: observation d’une nova <-> théorie aristotélicienne de l’immuabilité du ciel. (NB que la supernova de 1054 (Crabe) n'a pas été relatée en Occident!). Mais Tycho est opposé à Copernic: on n'observe pas de parallaxe des étoiles => leur diamètre serait de l’ordre de celui de l’orbite terrestre (car leur diamètre visible est de 2’), ce qui est absurde. -> Système de Tycho: la terre est immobile au centre de l’univers; le soleil, la lune et les étoiles tournent autour d’elle; les planètes tournent autour du soleil. Ce système, mathématiquement équivalent à celui de Copernic, est propagé par les jésuites jusqu’au XVIIIe siècle.

3. J. Kepler (1571,1630)

Pleinement un homme de la Renaissance, plus proche encore du Moyen-Age que des temps modernes... Ardent disciple de Copernic, car - il est pénétré de la conviction néoplatonicienne sur les régularités mathématiques - il nourrit un enthousiasme mystique pour le rôle du soleil:

“Le Soleil est une fontaine de lumière, riche en chaleur féconde, très beau, limpide et pur à la vue, la source de la vision, peintre de toutes les couleurs, bien que lui-même soit vide de couleur, appelé roi des planètes pour son mouvement, coeur du monde pour sa puissance, oeil pour sa beauté, et que seul nous devrions juger digne du Plus Haut Dieu quand se plairait-il d’un domicile matériel et choisirait-il un lieu où demeurer avec les anges bénis.”

J. Kepler, in T. Kuhn, op. cit., p. 177

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Kepler admire sans réserve les qualités d’observation de Tycho, qu’il veut utiliser au service de la cause copernicienne.

"Voici mon opinion sur Tycho: il est plein de richesses dont il ne se sert pas comme il faut (comme la plupart des riches). Il faut donc s’efforcer (...) de lui arracher ses richesses, c’est-à-dire il faut s’efforcer de mendier auprès de lui ses observations, pour qu’il les publie sans altération et toutes."

J. Kepler, in J. Gapaillard, op. cit., p. 145 Devenu l'assistant de Tycho, il héritera de ses observations. Les trois lois Copernicien conséquent (les plans des orbites planétaires doivent passer par le soleil, pas par le centre de l’orbite terrestre), Kepler travaille d’arrache-pied sur base des observations de Tycho, en particulier sur l’orbite de Mars:

“Si tu es rebuté par cette méthode fastidieuse, prends pitié de moi qui l’ai appliquée au moins soixante-dix fois.”

J. Kepler, Astronomia nova, Préface, in J. Gapaillard, op. cit., p. 148 Après avoir vainement tenté d'accorder aux observations de Tycho toutes les combinaisons d'orbites circulaires, il propose une orbite elliptique (“Deuxième loi”, publiée dans l’Astronomia nova, 1609):

“Nous à qui la bienveillance divine a accordé en Tycho Brahé un observateur d’une extrême habileté, dont les travaux font apparaître l’erreur de 8 minutes que Ptolémée a faite dans son calcul (...) nous devons travailler à découvrir enfin la forme véritable des mouvements célestes.”

“(...) parce qu’aujourd’hui elles ne peuvent plus être négligées, ce sont ces seules 8 minutes qui

ouvrirent la voie complète à la réforme de l’astronomie.” J. Kepler, Astronomia nova, in J. Gapaillard, ibid., p. 148 La loi des aires lui est suggérée par sa mystique solaire: le soleil émet une force motrice, qui pousse les planètes sur leur orbite, avec une vitesse inversement proportionnelle à la distance. La découverte de la troisième loi (Harmonices Mundi, 1619) est le résultat de ses spéculations pythagoriciennes: aux cinq planètes correspondent les cinq solides réguliers.

4. G. Bruno (1548,1600) Il n'est pas mathématicien ni physicien, mais mystique panthéiste, atomiste, prophète de la pluralité des mondes.

“Il y a un seul espace universel, une seule et vaste immensité que nous pouvons librement appeler le vide; en lui sont d’innombrables globes pareils à celui-ci sur lequel nous vivons et croissons. (...) Aussi, la terre, pas plus qu’aucun autre monde, n’est-elle au centre (de l’Univers). (...)

Dans l’espace infini il pourrait exister une infinité de mondes semblables à celui-ci (...); par ailleurs, que ces mondes soient semblables ou dissemblables (au nôtre), il n’y a pas moins de raison que l’existence d’un (de ces mondes) soit aussi bonne que celle d’un autre. (...) Ainsi donc, de même que la destruction et la non-existence de ce monde-ci seraient un mal, de même la non-existence d’innombrables autres en serait un. (...)

Pourquoi voudrions-nous ou devrions-nous penser que l’efficacité divine soit oisive? Pourquoi irions-nous dire que la bonté divine, qui peut se communiquer à des choses infinies, et peut se diffuser infiniment, voudrait être limitée et se restreindre à rien? (...) Pourquoi voulez-vous que le centre de la divinité qui peut, si l’on peut dire, s’amplifier infiniment en une sphère infinie, préfère rester plutôt stérile que s’étendre comme un père et se rendre fécond, orné et beau? (...) Pourquoi la capacité infinie doit-elle être frustrée, et anéantie la possibilité des mondes infinis qui peuvent exister, amoindrie l’excellence de l’image divine qui devrait plutôt resplendir davantage dans un miroir illimité et selon la loi de son être, infini et immense?”

G. Bruno, De l'infinito universo e mondi, 1584,

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in A. Koyré, Du monde clos à l’univers infini, p. 62 Bien que se faisant le propagandiste enthousiaste du système de Copernic, Bruno lui reproche d’être trop “mathématicien”, révélant ainsi combien il est encore loin lui-même de la science moderne:

C’était (Copernic) un grand esprit, réfléchi, attentif, profond. (...) Plus porté à étudier la mathématique que la nature, il n’a pas pu aller assez profond ni assez avant pour déraciner entièrement certains inconvénients et vains principes (le monde fini d’Aristote), ce qui lui aurait permis de dénouer parfaitement toutes les difficultés et objections, en se libérant et en libérant les autres d’une foule de vaines recherches, afin de concentrer l’attention sur les choses fermes et sûres.

G. Bruno, Le banquet des cendres, pp. 20-21

La révolution galiléenne

Je vais caractériser cette révolution (scientifique du XVIIe siècle) par deux traits étroitement liés et même se complétant l’un l’autre.

a) La destruction du Cosmos et, par conséquent, la disparition dans la science - en principe du moins sinon toujours en fait - de toutes les considérations fondées sur ce concept.

b) La géométrisation de l’espace, c’est-à-dire la substitution de l’espace-dimension, homogène et abstrait, de la géométrie euclidienne (pourtant considéré alors comme réel) à l’ensemble continu, concret et différencié des “lieux” de la physique et de l’astronomie prégalilénnes.

A. Koyré, Etudes newtoniennes, p. 29

La destruction galiléenne du Cosmos est la péripétie capitale de l’histoire du savoir en Occident, événement sans précédent, et peut-être sans second, car toutes les révolutions épistémologiques ne sont, à côté de la révolution galiléenne, que des révolutions de palais dont la sphère d’influence demeure limitée, alors que l’apparition de l’intelligibilité mécaniste ne transforme pas seulement telle ou telle manière de penser, telle ou telle façon de voir; elle impose une nouvelle pensée de la pensée. (...) Ce qui change, ce n’est pas le système du monde, mais le monde comme système, et l’homme dans le monde, et le rapport de l’homme avec le monde, avec lui-même et avec Dieu.

G. Gusdorf, La révolution galiléenne, T. I, p. 220 Repères biographiques (1564,1642) Pise 1564 - 1581; études de médecine, puis de math. à Pise, avec - Ricci, disciple de Tartaglia (mathématicien, ingénieur) - Benedetti: tenant de la théorie de l'impetus et de la possibilité du mouvement dans le vide 1583: découverte de l'isochronisme du pendule, à Pise 1589: professeur à Pise 1592 - 1610: professeur à Padoue - physique expérimentale: étude du mouvement accéléré (plan incliné) - devient copernicien 1609: invention / perfectionnement de la lunette; observations astronomiques 1610: Sidereus Nuncius 1616: condamnation de Copernic par l'Eglise 1618: débat avec le P. Grassi sur les comètes: Il Sagiattore 1623: Urbain VIII pape 1632: Dialogue sur les deux principaux Systèmes du Monde, ptoléméen et copernicien 1633: condamnation de Galilée

1638: Discours et démonstrations mathématiques sur deux sciences nouvelles

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1. Deux sources Le milieu de Galilée: celui de la Renaissance, du progrès technique. Il est lui-même excellent technicien et expérimentateur. D’autre part: ambiance néoplatonicienne, approche mathématique; influence d’Archimède. L’enthousiasme pour la technique

"Salviati: C’est un vaste champ que me paraît ouvrir aux méditations des esprits spéculatifs la

fréquentation assidue de votre fameux arsenal, Seigneurs vénitiens, et en particulier celle des ateliers de mécanique, où toutes sortes d’instruments et de machines sont constamment mis en usage par un grand nombre d’ouvriers dont certains, grâce aux observations de leurs prédécesseurs et à celles que leur suggère une pratique quotidienne, doivent forcément acquérir une expérience remarquable et un jugement des plus subtils.”

Galilée, Dialogue sur les deux grands systèmes, in J.-M. Lévy-Leblond, L’esprit de sel, p. 115 Le langage mathématique

"La philosophie est écrite dans ce vaste livre qui constamment se tient ouvert devant nos yeux (je

veux dire l'Univers), et on ne peut le comprendre si d'abord on n'apprend à connaître la langue et les caractères dans lesquels il est écrit. Or il est écrit en langue mathématique, et ses caractères sont les triangles, les cercles, et autres figures géométriques, sans lesquels il est humainement impossible d'en comprendre un mot, sans lesquels on erre vainement en un labyrinthe obscur."

Galilée, Il Sagiattore, in J.-P. Verdet, Une histoire de l'astronomie, p. 170

2. La lunette et la propagande copernicienne Inventée par des artisans hollandais (?), elle est perfectionnée par Galilée, grâce à son habileté technique. Le premier, il la tourne vers le ciel: - innombrables étoiles extension de l’univers - satellites de Jupiter mutabilité du ciel; la terre perd sa spécificité - cratères de la lune “ “ “ - taches solaires “ “ “ - rotation du soleil “ “ “ - phases de Vénus appui à Copernic - diamètre apparent des étoiles <-> Tycho “ “ “

“(La lunette permet) d’ajouter à l’immense multitude des étoiles fixes, qui pouvaient s’apercevoir jusqu’à présent à l’oeil nu, et d’en révéler d’autres innombrables, jamais vues auparavant, qui dépassent plus de dix fois le nombre des étoiles anciennement connues.

Quel spectacle merveilleux et émouvant de voir le corps lunaire, éloigné de nous d’environ soixante rayons terrestres, se rapprocher tellement qu’il ne semble plus qu’à deux rayons de distance; son diamètre nous apparaît presque 30 fois, sa surface presque 900 fois et son volume presque 27 000 fois plus grands qu’à l’oeil nu. Ainsi l’évidence sensible fera connaître à tous que la Lune n’est pas entourée d’une surface lisse et polie, mais qu’elle est accentuée et inégale et, tout comme la surface de la Terre, recouverte de hautes élévations et de profondes cavités et anfractuosités.

En outre, il n’est pas superflu, semble-t-il, d’avoir éliminé les controverses sur la Galaxie, ou Voie lactée, et d’en avoir révélé aux sens, comme à l’intelligence, la véritable nature. Quant à ce que les astronomes ont appelé jusqu’ici des Nébuleuses, il sera intéressant et très beau d’en faire toucher du doigt la substance, si différente de celle qu’on lui a attribuée.

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Mais ce qui passe en merveille toute imagination et nous a surtout amené à nous adresser à tous les astronomes et philosophes, c’est d’avoir découvert quatre étoiles errantes que personne avant nous n’avait connues ni observées: comme Vénus et Mercure autour du Soleil, elles ont leur propre révolution autour d’un astre principal déjà connu, que tantôt elles précèdent et tantôt elles suivent, sans jamais s’en éloigner au-delà de certaines limites. Et toutes ces choses furent découvertes et observées, il y a peu de jours, à l’aide d’une lunette que j’ai construite après avoir été illuminé de la grâce divine.”

Galilée, Sidereus Nuncius, in G. Gusdorf, La révolution galiléenne, T. I, pp. 89-90 Malgré les défauts de la lunette (aberrations), et avec l’appui de Kepler (dont il ignore les travaux!), Galilée a donc trouvé des arguments à l’appui de sa conviction copernicienne préexistante.

“Sagredo: Oh! Nicolas Copernic, comme tu aurais été heureux de voir confirmer cette partie de ton

système par des expériences aussi probantes (celles réalisées à l’aide de la lunette). Salviati: Oui, mais combien moindre serait la gloire de ton sublime génie auprès des savants! On

voit, nous venons de le constater, qu’il s’est entêté à soutenir, sur la foi de ses raisonnements, ce qui était démenti par les sens, si bien que je ne puis cesser de m’étonner qu’il ait toujours persisté à soutenir que Vénus tourne autour du soleil et que sa distance à la terre varie de 1 à 6, alors qu’elle se montre toujours égale à elle-même, quand elle devrait se montrer quarante fois plus grande.”

Galilée, Dialogue, in L. Geymonat, Galilée, p. 179 Dès lors, il se voue à la défense publique du système de Copernic (1610: Sidereus Nuncius; 1618: Il Sagiattore; 1632: Dialogue).

3. Relativisme ou réalisme ? La campagne de conversion de l’Eglise Croyant sincère, Galilée entreprend de “convertir” l’Eglise, avec l’aide de ses amis de l’Académie des Lincei, - à accepter la science moderne, l'astronomie de Copernic en particulier - et à ne pas prétendre édicter de dogme contre la science: “La Bible est là pour nous enseigner comment aller au ciel, et pas comment va le ciel”. Cependant, il se permet des audaces...

"(Dans) les sciences mathématiques pures, comme la géométrie et l'arithmétique (...), l'intelligence divine connaît infiniment plus de vérités que l'homme, puisqu'elle les englobe toutes. Mais dans les quelques vérités que la raison humaine a saisies, je pense que sa connaissance du point de vue de la certitude objective est égale à celle de Dieu, car elle parvient à comprendre leur nécessité, et il n'existe pas de degré supérieur d'authenticité."

Galilée, Dialogue, in B. Kouznetsov, Galilée , p. 174 De plus, il prend délibérément le public cultivé à témoin, utilise son prestige, écrit en italien <-> débat en latin entre scientifiques.

“J’écris dans la langue parlée, car il faut que tout le monde puisse me lire. (...) J’y ai été amené en observant que beaucoup se mettent à la tâche en restant indifférents à la profession qu’ils ont choisie, médecine, philosophie, etc., et sans avoir pour elle aucune aptitude. Pendant ce temps, d’autres, qui sont doués, s’absorbent dans les soucis familiaux ou dans des préoccupations éloignées des lettres parce que (...), tout en étant doués naturellement, ils restent toute leur vie hors d’état de comprendre le contenu des oeuvres latines.”

Galilée, cité in B. Kouznetsov, ibid., p. 107 L’interdiction de 1616 Mais, en cette période de Contre-Réforme, l’Eglise n’admet pas cette “lecture personnelle”. Les livres exposant la doctrine de Copernic sont interdits en 1616. Galilée est obligé d'être prudent. Bellarmin, jésuite, président du Saint-Office, avait proposé à Galilée une approche relativiste:

“Je dis qu’à mon avis, vous et monsieur Galilée agiriez prudemment en vous contentant de présenter

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les choses d’une façon seulement hypothétique et non catégorique. Je crois, d’ailleurs, que c’est toujours sous cette forme hypothétique qu’avait parlé Copernic.

En effet, dire: ‘En admettant que la terre se déplace et que le soleil soit immobile, on tient compte de tous les phénomènes observables beaucoup mieux qu’en admettant des excentriques et des épicycles’, ce sera fort bien dit, il n’y a pas le moindre danger dans cette déclaration, et elle suffit aux mathématiciens.

Supposons, au contraire, que l’on dise que le soleil se trouve réellement au centre du monde et qu’il tourne seulement sur lui-même sans se déplacer de l’orient à l’occident, et que la terre se trouve dans le troisième ciel et tourne avec une très grande vitesse autour du soleil: cette déclaration risque fort non seulement d’irriter tous les philosophes et théologiens scolastiques, mais aussi de nuire à notre sainte foi en faisant suspecter d’erreur l’Ecriture sainte.”

Lettre de Bellarmin à Foscarini, 1615, in L. Geymonat, op. cit., p. 123 Cependant Galilée, comme Copernic, était foncièrement réaliste:

"Il est vrai que c'est une chose de démontrer qu'en admettant le mouvement de la Terre et l'immobilité du Soleil, nous pouvons nous représenter tous les phénomènes observables, et que c'est une autre chose que de prouver que cette hypothèse correspond effectivement à la réalité.

Mais il n'est pas moins vrai que l'autre système généralement accepté (le système aristotélicien) est incapable d'expliquer tous les phénomènes qui se produisent. C'est pourquoi il est absolument faux, et le système vrai ne peut être que celui qui correspond très exactement aux phénomènes. On ne peut ni ne doit demander à une proposition quelconque une véracité plus grande que celle qui consiste à correspondre à tous les phénomènes."

Galilée, Dialogue, in B. Kouznetsov, op. cit., p. 126

4. Le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (1632)

1623: Urbain VIII devient pape: c'est un prélat éclairé, ami de Galilée. Celui-ci reprend sa campagne. 1623: Il Sagiattore (Le Peseur): polémique avec le P. Grassi, jésuite. (Les jésuites, modernistes au sein de l’Eglise, avancés scientifiquement, ont pourtant commencé par soutenir les observations de Galilée avec la lunette). 1632: Le Dialogue: exposé des doctrines de Ptolémée et de Copernic, sous forme de dialogue entre trois personnages: Sagredo, noble cultivé et intelligent; Salviati, porte-parole de Galilée; Simplicio, aristotélicien. - 1r jour: démolition du cosmos d’Aristote (les observations avec la lunette) - 2e jour: réfutation des objections contre Copernic; relativité du mouvement - 3e jour: le système de Copernic est tellement plus simple! Formellement, Galilée respecte l’interdiction de 1616; en fait, il ridiculise les aristotéliciens. Le Dialogue ne discute que le mouvement diurne et annuel, pas celui des planètes: ce n’est pas un traité d’astronomie! C'est un ouvrage destiné au "public cultivé", plein de vie, de digressions, de procédés littéraires destinés à entraîner l'adhésion. La relativité du mouvement Galilée reprend une fois de plus les arguments d’Oresme pour contrer l'objection d'Aristote et Ptolémée au mouvement de la terre, mais il le fait dans un style bien plus efficace pour le lecteur “cultivé”, mais non professionnel.

"Enfermez-vous avec un ami dans la plus vaste cabine d'un grand navire, et faites en sorte que s'y

trouvent également des mouches, des papillons et d'autres petits animaux volants, qu'y soit disposé un grand récipient empli d'eau dans lequel on aura mis des petits poissons; suspendez également à bonne hauteur un petit seau et disposez-le de manière à ce que l'eau se déverse goutte à goutte dans un autre récipient à col étroit que vous aurez disposé en-dessous; puis, alors que le navire est à l'arrêt, observez attentivement comment ces petits animaux volent avec des vitesses égales quel que soit l'endroit de la cabine vers lequel ils se dirigent; vous pourrez voir les poissons nager indifféremment dans toutes les directions; les gouttes d'eau tomberont toutes dans le récipient posé par terre; si vous lancez quelque objet à votre ami, vous ne devrez pas fournir un effort plus important selon que vous le lancerez dans telle ou telle direction, à condition que les distances soient égales; et si vous sautez à pieds joints, comme on dit, vous franchirez des espaces semblables dans toutes les directions.

Une fois que vous aurez observé attentivement tout cela - il ne fait aucun doute que si le navire est à

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l'arrêt les choses doivent se passer ainsi - faites se déplacer le navire à une vitesse aussi grande que vous voudrez; pourvu que le mouvement soit uniforme et ne fluctue pas de-ci de-là, vous n'observerez aucun changement dans les effets nommés, et aucun d'entre eux ne permettra de savoir si la navire avance ou bien s'il est arrêté: si vous sautez, vous franchirez sur le plancher les mêmes distances qu'auparavant, vous n'en ferez pas pour autant des sauts plus grands vers la poupe que vers la proue, bien que, pendant que vous êtes en l'air, le plancher qui est en-dessous ait glissé dans la direction opposée à celle de votre saut; si vous jetez quelque objet à votre ami, il ne faudra pas le lancer avec plus de force pour qu'il lui parvienne, que votre ami se trouve vers la proue et vous vers la poupe, ou que ce soit le contraire; les gouttes d'eau tomberont comme auparavant dans le récipient qu'on aura mis en-dessous, sans qu'une seule goutte ne tombe du côté de la poupe, bien que, pendant le temps où la goutte est en l'air, le navire ait parcouru plus d'un empan; les poissons dans leur eau nageront sans plus d'effort vers l'une ou l'autre partie du récipient dans lequel on les aura mises ils se dirigeront avec autant d'aisance vers la nourriture quel que soit l'endroit du bord du bocal où elle aura été placée; enfin, les papillons et les mouches continueront à voler indifféremment dans toutes les directions. Et on ne les verra jamais s'accumuler de côté de la cloison qui fait face à la poupe; ce qui ne manquerait pas

d'arriver s'ils devaient s'épuiser à suivre le navire dans sa course rapide." Galilée, Dialogue, in F. Balibar, Galilée, Newton lus par Einstein, p. 22 Il utilise des détails concrets, tirés du quotidien:

"Salviati : ... le mouvement est mouvement et agit comme mouvement, en tant qu'il est en relation avec des choses qui en sont privées; mais, pour ce qui concerne les choses qui y participent toutes également, il n'agit nullement, et il est comme s'il n'était pas. Ainsi, les marchandises dont un navire est chargé se meuvent en tant que, quittant Venise, elles passent par Corfou, par la Crète, par Chypre, et vont à Alep; lesquels Venise, Corfou, Crète, etc., demeurent et ne se meuvent pas avec le navire; mais, pour ce qui concerne les balles, caisses et autres colis dont le navire est rempli et chargé, et respectivement au navire lui-même, le mouvement de Venise en Syrie est comme nul et ne modifie en rien la relation qui existe entre eux; cela parce qu'il est commun à eux tous et que tous y participent. Et si, parmi les marchandises qui se trouvent dans le navire, une des balles s'écartait d'une caisse - ne serait-ce que d'un seul pouce - cela constituerait pour elle un mouvement plus grand, relativement à la caisse, que le voyage de deux mille milles fait par elles ensemble.

Simplicio: Cette doctrine est bonne, solide, et conforme à l'école des péripatéticiens. Salv.: Je la tiens pour plus ancienne; je ne doute pas qu'Aristote qui l'a apprise à bonne école ne l'ait

entièrement comprise; mais je me demande si en la retranscrivant sous forme altérée, il n'est pas à l'origine d'une confusion transmise par ceux qui veulent soutenir chacun de ses propos."

Galilée, Dialogue, in F. Balibar, ibid., p. 10 Il fait passer un souffle d'enthousiasme, digne de la Renaissance, pour battre en brèche la hiérarchie aristo-télicienne entre mondes sub- et supralunaire.

"Sagredo: Je ne puis entendre sans être étonné et même sans que ma raison se révolte que l'impassibilité, l'invariabilité, l'indestructibilité, etc., qu'on attribue aux corps naturels et achevés de l'univers sont des attributs de la noblesse et de la perfection, et qu'on doit au contraire considérer comme très imparfait le fait d'être altérable, de naître de changer, etc. Quant à moi, je considère que la Terre est particulièrement noble et digne de nous étonner à cause de tous les changements, de toutes les transformations, de toutes les générations qui s'y font à chaque instant. Ceux qui portent aux nues l'incorruptibilité, l'inaltérabilité, etc., sont amenés à parler ainsi, je le suppose, uniquement par leur grand désir de survivre le plus longtemps possible et par peur de la mort. Ils ne réfléchissent pas du tout au fait que si les hommes étaient immortels, cela ne vaudrait pas du tout la peine de venir au monde. Ils méritent de rencontrer la tête de Méduse qui les transformerait en statues de jaspe ou de diamant, afin qu'ils deviennent plus parfaits qu'ils ne sont."

Galilée, Dialogue, in B. Kouznetsov, op. cit., p. 172 “J’ai été meilleur philosophe qu’eux”

“Et une de ces assertions mensongères sur les faits est justement celle qu’ils (les aristotéliciens) font concernant la pierre qui tombe du haut d’un mât sur un navire.

En ce qui concerne les conditions de cette chute, j’ai été meilleur philosophe qu’eux, et je l’ai été doublement puisque en effet non seulement ils donnent une représentation fausse du phénomène, mais ils font aussi un mensonge en déclarant avoir observé ce phénomène. Pour moi, au contraire, d’une part j’ai réellement observé le phénomène, et d’autre part, avant même de l’observer, j’avais pu me persuader par déduction naturelle que le phénomène devait se présenter de la manière dont, en fait, il

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s’est présenté.” Galilée, Dialogue, in L. Geymonat, op. cit., p. 166 Confiance de Galilée en la théorie, et rôle des expériences imaginaires dans l’histoire de la physique... (L'expérience de la pierre tombant du mât d'un navire sera réalisée par Gassendi (1592,1655)). La condamnation de 1632 La défense du système de Copernic est trop ouverte ! De plus, le pape est dans une situation internationale difficile, notamment par rapport à l’Espagne ultra-conservatrice, et doit donner des gages. Dès lors:

“Le Saint-Père a décrété que ledit Galilée fût interrogé sur son intention, sous la menace de la torture. S’il soutient une abjuration préalable en Congrégation plénière du Saint-Office, qu’il soit condamné à la prison, dont la durée est laissée à l’arbitraire de cette Sainte Congrégation; en outre qu’il lui soit enjoint de ne traiter ni par écrit ni verbalement ni en aucune façon de la mobilité de la terre et de la stabilité du soleil, sous peine d’être relaps; que son livre Dialogo soit interdit...

cité in E. Nahmer, L’Affaire Galilée, p. 218 Un relent d’atomisme ? Selon Redondi (Galilée hérétique), la raison décisive de l’acharnement des jésuites et de la condamnation est à chercher dans les relents atomistes de l’approche mathématique de Galilée, bien plus que dans son copernicianisme: toute prise de position atomiste signifie une remise en cause directe de la pierre de touche de la théologie de la Contre-Réforme: le dogme de la transsubstantiation.

"Pour expliquer que les objets extérieurs excitent en nous des sensations de goût, d'odeur et de son, je ne chercherai jamais autre chose que leurs dimensions, leurs formes, leurs quantités et leurs mouvements plus ou moins rapides. Si nous éliminons les oreilles, la langue et le nez, il ne resterait alors que les figures, les nombres, les mouvements, mais pas les odeurs, les saveurs et les sons, qui, en-dehors de l'être vivant, ne sont que des appellations vides."

Galilée, Il Sagiattore, in B. Kouznetsov, op. cit., p. 136 L’abjuration

“Moi, Galilée, fils de feu Vincenzo Galileo, Florentin, âgé de soixante-dix ans, personnellement présent devant ce Tribunal, agenouillé devant vous, très Eminents et Révérends Cardinaux, Inquisiteurs généraux dans toute la République chrétienne contre la perversité hérétique; ayant sous les yeux les sacro-saints Evangiles que je touche de mes propres mains,

Je jure que j’ai toujours cru, que je crois maintenant et qu’avec l’aide de Dieu je continuerai à l’avenir à croire tout ce que tient pour vrai, prêche, enseigne la Sainte Eglise catholique et apostolique. (...)

J’ai été jugé véhémentement suspect d’hérésie; c’est-à-dire d’avoir tenu et cru que le soleil est au centre du monde et immobile, que la terre n’est pas au centre du monde et se meut.

Par conséquent, voulant ôter de l’esprit de vos Eminences et de tous les fidèles chrétiens cette véhémente suspicion, justement conçue contre moi, je viens d’un coeur sincère et d’une foi non feinte abjurer, maudire, et détester les susdites erreurs et hérésies, et en général toute erreur, hérésie et secte contraire à la Sainte Eglise. (...)

Si je connais quelque hérétique ou suspect d’hérésie, je le dénoncerai au Saint-Office ou à l’Inquisiteur du lieu où je me trouve. (...)

Moi, Galilée, j’ai abjuré comme ci-dessus et signé de ma propre main.” cité in E. Nahmer, ibid., p. 218 “Réhabilitation” ?

J’exprimai le souhait que “des théologiens, des savants et des historiens, animés par un esprit de

sincère collaboration, approfondissent l’examen du cas Galilée et, dans une reconnaissance loyale des torts de quelque côté qu’ils viennent, fassent disparaître la défiance que cette affaire oppose encore, dans beaucoup d’esprits, à une concorde fructueuse entre science et foi”.

(...) Comme la plupart de ses adversaires, Galilée ne fait pas de distinction entre ce qu’est l’approche scientifique des phénomènes naturels et la réflexion sur la nature, d’ordre philosophique,

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qu’elle appelle généralement. C’est pourquoi il a refusé la suggestion qui lui était faite de présenter comme une hypothèse le système de Copernic, tant qu’il n’était pas confirmé par des preuves irréfutables. C’était pourtant là une exigence de la méthode expérimentale dont il fut le génial initiateur.

Jean-Paul II, L’Osservatore Romano, 10 nov. 1992

5. Les Discours sur deux sciences nouvelles (1638) Peu après sa condamnation, à 70 ans, Galilée se remet au travail, pour mettre en forme ses recherches sur la dynamique des années de Pise et de Padoue: concept de vitesse instantanée; lois du mouvement uniformément accéléré: les espaces parcourus en des temps égaux sont comme la suite des impairs; le temps de chute ne dépend pas du poids (cf l'expérience mythique de la tour de Pise). En fait, cette nouvelle physique est nécessaire pour fonder le système copernicien (Copernic lui-même était resté aristotélicien). Les Discours sont donc un ouvrage profondément anti-aristotélicien, même si les adversaires de Galilée n’en mesurent pas la portée. C’est la dynamique d’Aristote qui est sapée cette fois. Une nouvelle science: la physique mathématique Les Discours ouvrent une nouvelle ère: celle de la physique mathématique. Il s’agit du vrai début de la physique moderne: utilisation des mathématiques et de l’expérience - cf. l’expérimentation avec le plan incliné à Padoue. Mais c’est une expérience épurée, au laboratoire, pas l’expérience de la vie quotidienne comme celle d’Aristote.

Faire de la physique dans notre sens du terme - pas dans celui donné à ce vocable par Aristote, - veut dire appliquer au réel les notions rigides, exactes et précises des mathématiques, et, tout d’abord, de la géométrie. Une entreprise paradoxale s’il en fut, car la réalité, celle de la vie quotidienne, au milieu de laquelle nous vivons et nous sommes, n’est pas mathématique. Ni même mathématisable. Elle est le domaine du mouvant, de l’imprécis, du “plus ou moins”, de l’”à-peu-près”. (...)

Il n’y a pas dans la nature de cercles, d’ellipses ou de lignes droites. Il est ridicule de vouloir mesurer avec exactitude les dimensions d’un être naturel: le cheval est sans doute plus grand que le chien et plus petit que l'éléphant, mais ni le chien, ni le cheval, ni l’éléphant n’ont de dimensions strictement et rigidement déterminées. (...)

Jamais (la pensée grecque) n’a voulu admettre que l’exactitude puisse être de ce monde. (...) Elle admettait en revanche qu’il en fût tout à fait autrement dans les Cieux, que les mouvements absolument et parfaitement réguliers des sphères et des astres fussent conformes aux lois de la plus stricte et de la plus rigide géométrie. Mais justement les Cieux, ce n’est pas la terre. Et de ce fait, l’astronomie mathématique est possible, mais la physique mathématique ne l’est pas.

A. Koyré, L’univers de la précision, in Etudes d’histoire de la pensée philosophique, pp. 342-343

Raisonnement scientifique et expérience

“Merveilleuse et délicieuse en même temps est la puissance des démonstrations nécessaires, que seules peuvent fournir les mathématiques. Je savais déjà, sur la foi des rapports faits par de nombreux artilleurs, que dans les tirs à longue distance effectués aussi bien par des canons que par des mortiers, celui qui portait le plus loin était toujours celui qui correspondait à une inclinaison de l’engin égale à la moitié d’un angle droit. Les artilleurs, d’ailleurs, l’appellent sixième point de l’équerre. Mais comprendre la cause pour laquelle les choses se passent ainsi est infiniment plus important que de s’en tenir à l’information obtenue par le témoignage d’autrui et par de multiples expériences.”

Galilée, Discours sur deux nouvelles sciences, in L. Geymonat, ibid., p. 268

“Vous voyez donc comment le raisonnement mathématique sert à éviter ces écueils sur lesquels parfois le raisonnement purement expérimental court le risque de buter et de se briser.”

Galilée, Lettre au prince Léopold de Toscane, 1640, in L. Geymonat, ibid., p. 268

“J’estime (...) qu’être vraiment péripatéticien, c’est-à-dire philosophe aristotélicien, consiste surtout à raisonner conformément aux enseignements d’Aristote, en procédant avec une certaine méthode et à

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partir de certaines hypothèses et de certains principes sur lesquels se fonde le raisonnement scientifique, et en admettant des règles générales dont on ne peut s’écarter sans tomber dans une faute très grave. (...) Cet enseignement concerne la forme du raisonnement juste (... : ) les innombrables déductions de mathématiques pures, qui ne se trompent jamais. Jusque-là, je suis péripatéticien. (...)

Un bon moyen pour atteindre la vérité, c’est de préférer l’expérience à n’importe quel raisonnement, puisque nous sommes sûrs que lorsqu’un raisonnement est en désaccord avec l’expérience, il contient une erreur, au moins sous une forme dissimulée. Il n’est pas possible, en effet, qu’une expérience sensible soit contraire à la vérité. Et c’est vraiment là un précepte qu’Aristote plaçait très haut, et dont la force et la valeur dépassent de beaucoup celles qu’il faut accorder à l’autorité de n’importe quel homme au monde.”

Galilée, Lettre à Liceti, 1640, in L. Geymonat, ibid., p. 269

6. La révolution galiléenne Un nouveau type d’expérience, au service d’un choix théorique préalable

Quand “l’idée pythagoricienne” du mouvement de la terre fut ressuscitée par Copernic, elle rencontra

des difficultés qui excédaient même les difficultés rencontrées par l’astronomie ptolémaïque de l’époque. En termes stricts, on aurait dû la considérer comme réfutée.

Galilée, qui était convaincu de la vérité du système copernicien, (...) chercha de nouveaux types de faits pouvant valider Copernic et cependant être acceptables par tous. De tels faits, il les obtint de deux manières différentes.

D’abord 1. par l’invention de son télescope qui transforma le noyau sensoriel de l’expérience quotidienne et le remplaça par des phénomènes problématiques inexpliqués; et 2. par son principe de relativité et sa dynamique, qui transformèrent les composantes conceptuelles de l’expérience.

Ni les phénomènes télescopiques ni les idées nouvelles sur le mouvement n’étaient acceptables pour le sens commun (ou pour les aristotéliciens). En outre, on pouvait facilement démontrer que les théories associées étaient fausses. Cependant, ces théories fausses, ces phénomènes inacceptables furent déformés par Galilée et transformés en validations puissantes de Copernic.

Tout le riche réservoir d’expérience quotidienne et d’intuition de ses lecteurs intervenait dans le raisonnement, mais les faits dont ils étaient invités à se souvenir étaient arrangés d’une nouvelle manière: des approximations étaient faites, des effets connus omis, des lignes conceptuelles différentes esquissées, en sorte qu’un nouveau genre d’expérience apparaissait, pratiquement fabriqué de toutes pièces.

Cette nouvelle expérience était ensuite étayée en insinuant au lecteur qu’elle lui était familière depuis toujours; bientôt elle était acceptée comme vérité d’évangile, bien que ses composantes conceptuelles fussent incomparablement plus spéculatives que celles du sens commun.

(...) Je suis d’avis que la contribution de Galilée fut de laisser les théories réfutées se soutenir mutuellement, et de construire ainsi une nouvelle image du monde (...); il établit des connexions truquées avec les éléments perceptifs de cette cosmologie, éléments qui aujourd’hui seulement ont pu être remplacés par de bonnes théories (optique physiologique, théorie du contenu); aussi souvent que possible, il remplaça des faits anciens par un nouveau type d’expérience, qu’il inventa tout simplement dans le but de valider Copernic.

P. Feyerabend, Contre la méthode, p. 175 Le choix entre paradigmes concurrents

Ce point est capital; l’acte de jugement qui conduit les savants à rejeter une théorie antérieurement acceptée est toujours fondé sur quelque chose de plus qu’une comparaison de cette théorie avec l’univers ambiant. Décider de rejeter un paradigme est toujours simultanément décider d’en accepter un autre, et le jugement qui aboutit à cette décision implique une comparaison des deux paradigmes par rapport à la nature et aussi l’un par rapport à l’autre.

T. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, p. 115 Le passage d’un paradigme en état de crise à un nouveau paradigme d’où puisse naître une

nouvelle tradition de science normale est loin d’être un processus cumulatif, réalisable à partir de variantes ou d’extensions de l’ancien paradigme. C’est plutôt une reconstruction de tout un secteur sur de nouveaux fondements, reconstruction qui change certaines des généralisations théoriques les plus élémentaires de ce secteur et aussi nombre des méthodes et applications paradigmatiques. (...) Quand la transition est complète, les spécialistes ont une tout autre manière de considérer leur domaine, ses méthodes et ses buts. (...) ‘On manipule les mêmes faits qu’auparavant mais en les plaçant l’un par

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rapport à l’autre dans un système de relations qui est nouveau parce qu’on leur a donné un cadre différent’.

T. Kuhn, ibid., p. 124

Comme le choix entre des institutions politiques concurrentes (dans le cas de crises révolutionnaires), celui qui doit s’effectuer entre des paradigmes concurrents s’avère être un choix entre des modes de vie de la communauté qui sont incompatibles. De ce fait il est impossible que ce choix soit déterminé simplement par des procédés d’évaluation qui caractérisent la science normale, puisque ceux-ci dépendent en partie d’un paradigme particulier, lequel, précisément, est mis en question. Quand les paradigmes entrent - ce qui arrive forcément - dans une discussion sur le choix du paradigme, leur rôle est nécessairement circulaire. Chaque groupe se sert de son propre paradigme pour y puiser ses arguments de défense.

Le raisonnement circulaire qui en résulte ne diminue évidemment pas la valeur ou même la force des arguments. Poser comme prémisse un paradigme dans une discussion destinée à le défendre n’empêche pas de présenter une vision claire de ce que sera le travail scientifique pour ceux qui adopteront cette nouvelle manière de considérer la nature. Et cette image peut avoir un grand pouvoir de persuasion, au point même d’être contraignante. Pourtant, quelle que soit sa force, le raisonnement circulaire, par sa nature même, ne peut être que persuasif. Pour ceux qui refusent d’entrer dans le cercle, il ne saurait être rendu contraignant sur le plan de la logique ou même des probabilités.

T. Kuhn, ibid., p. 135

La concurrence entre paradigmes n’est pas le genre de bataille qui puisse se gagner avec des preuves.

T. Kuhn, ibid., p. 204

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Bibliographie F. Balibar: Galilée, Newton lus par Einstein, PUF, Paris 1986 Par une physicienne, un retour aux textes G. Bruno: Le banquet des cendres, Ed. de l’Eclat, Sommières 1988 A. C. Crombie: Histoire des sciences de saint Augustin à Galilée, 2 tomes, PUF, Paris 1958 P. Feyerabend: Contre la méthode, Points-Sciences S66, Le Seuil, Paris 1988 Quelques beaux exemples pour illustrer sa "conception anarchiste de la connaissance". J. Gapaillard: Et pourtant elle tourne !, Science ouverte, Le Seuil, Paris 1993 L. Geymonat: Galilée, Points-Sciences S82, Le Seuil, Paris 1992

Bonne biographie de Galilée (il en existe beaucoup...), récit de ses combats et mise en perspective des enjeux.

E. Grant: Physical Science in the Middle Ages, Cambridge University Press, 1971 G. Gusdorf: La révolution galiléenne, 2 tomes, Payot, Paris 1969 Vaste synthèse sur l’ensemble des sciences au XVIIe siècle B. Kouznetsov: Galilée, MIR, Moscou 1973 Rôle du contexte social; statut de l’expérience chez Galilée. A. Koyré: Du monde clos à l’univers infini, Collection Idées, Gallimard, Paris 1973

Par le grand spécialiste de Galilée et Newton: les fondements philosophiques de la nouvelle astronomie. Assez ardu par moment...

A. Koyré: Etudes d’Histoire de la pensée philosophique, Tel 57, Gallimard, Paris 1990 A. Koyré: Etudes d’Histoire de la pensée scientifique, Tel 92, Gallimard, Paris 1992 T. Kuhn: La structure des révolutions scientifiques, Champs 115, Flammarion, Paris 1982 La révolution copernico-galiléenne joue évidemment un rôle central dans cet essai. T. S. Kuhn: La révolution copernicienne, Biblio essais 4146, Le Livre de Poche, Fayard, Paris 1992

L'histoire de la construction et du triomphe de la théorie copernicienne, remise dans son cadre historique et philosophique. Complet, passionnant.

J.-M. Lévy-Leblond: L’esprit de sel, Fayard, Paris 1981 Recueil d’articles critiques sur la science “officielle”, par un physicien. E. Nahmer: L’affaire Galilée, Collection Archives, Le procès et ses antécédents (et le procès de G. Bruno). P. Redondi: Galilée hérétique, Gallimard, Paris 1985 Une approche différente de l’Affaire Galilée (atomisme, rôle des jésuites) I. Stengers: Les affaires Galilée, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris 1989 P. Thuillier: Galilée et l’expérimentation, in La Recherche en histoire des sciences, Points-Sciences S37, Le Seuil, Paris 1983 J.-P. Verdet: Une histoire de l’astronomie, Points-Sciences S62, Le Seuil, Paris 1990

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L’Age classique (XVIIe - XIIIe siècles)

La vie scientifique Contexte économique et politique XVIe siècle: développement des acquis de la Renaissance (techniques, commerce; nouvelle bourgeoisie commerçante: Anvers), mais aussi Réforme et guerres de religion. Le “mauvais XVIIe siècle”: Guerre de Trente Ans (1618,1648), peste, famines. Renforcement de la France et de l’Angleterre; rôle économique des Pays-Bas et de l’Angleterre. 2e moitié du XVIIIe siècle: essor technique considérable, début de la révolution industrielle (Angleterre) (v. chronologie) Aperçu de la période sur le plan scientifique 1e moitié du XVIIe siècle: Galilée 1564 - 1642 Descartes 1596 - 1650 Fermat 1601 - 1665 Pascal 1623 - 1662 2e moitié du XVIIe siècle: Huygens 1629 - 1695 Newton 1642 - 1727 Leibniz 1646 - 1716 XVIIIe siècle Euler 1707 - 1783 d’Alembert 1717 - 1783 Lagrange 1736 - 1813 Laplace 1749 - 1827 Cavendish 1731 - 1810 Lavoisier 1743 - 1794 Bases et achèvements: mécanique, y compris mécanique céleste calcul différentiel et intégral géométrie analytique et projective; trigonométrie Bases et développement: optique probabilités théorie des nombres électricité chimie théorie de la chaleur cristallographie

Evolutions Evolutions sur trois plans: - profil du savant - institutions - “public” cultivé 1. Renaissance scientifiques ecclésiastiques: Nicolas de Cues, G. Bruno professeurs (+ élèves privés): Bombelli, cf. Galilée médecins: Cardan

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ingénieurs: Tartaglia, Léonard, Stévin. mécénat (prince, cardinaux) 2. 1e moitié du XVIIe siècle France, Italie: se forment des cercles d’érudits (“libertins”), des “académies” locales (arts, sciences) - magistrats, avocats, conseillers d’Etat, petite noblesse Peiresc, Viète, Fermat, Etienne Pascal, Descartes père, Cyrano de Bergerac - ecclésiastiques: Cavalieri (s. j.), Grimaldi (s. j.), Gassendi, Mersenne, correspondants de Galilée. Angleterre, Pays-Bas: plutôt les universités (Oxford, Cambridge, Leyde). Echanges: voyages (Hollande), correspondance (Mersenne: “L’entremetteur de tous les honnêtes gens” (Huygens), Peiresc: 10 000 lettres), défis, placards. 3. 2e moitié XVIIe siècle Nouvelles structures: Académies Accademia dei Lincei: 1603 - 1651 - Galilée Accademia del Cimento: 1657 - 1667 Royal Society: 1662 - Boyle, C. Wren; scientifiques, nobles amateurs, artisans - réunions régulières - expérimentateur attaché: Hooke Académie royale des Sciences: 1666 (remplace les réunions privées à Paris, chez de Thou, Dupuis, Mersenne) Académie de Prusse (Frédéric II): 1700 - Maupertuis, Euler, Lagrange, Bernouilli Académie de Saint-Pétersbourg: 1724 - Bernouilli, Euler Le mécénat privé cède la place à l’institutionnalisation par l’Etat absolutiste:

En vingt ou trente ans s’était établie cette tradition académique qui fut victorieuse de toutes les influences externes et assura la grandeur et la pérennité des académies royales. Le public fut, à l’époque de leur fondation, vivement frappé de la solennité qui s’attachait à toutes leurs manifestations; la science était désormais servie par un corps constitué qui prenait place dans l’Etat à côté des institutions auxquelles était confié le soin de la Justice, de l’Enseignement ou des Finances. Le respect même des formes, auquel s’attachèrent ostensiblement les académiciens, contribua à renforcer ce sentiment général à leur égard.

M. Daumas, La vie scientifique - vers la science expérimentale, in M. Daumas, Histoire de la Science, p. 96 Journaux: Philosophical Transactions (1665) Journal des Savants (1666) Acta Eruditorum (1682, Leipzig) Journal de Trévoux (1701, jésuites) Comptes-rendus de la Royal Society et de l’Académie des Sciences Vogue de la science expérimentale

“La physique n’a jamais été tant cultivée qu’aujourd’hui en Hollande, où l’on trouve un grand nombre de personnes qui s’y appliquent et en font leurs délices. Cette science (...) n’est plus comme autrefois l’apanage d’un petit nombre de physiciens, mais elle fleurit et est en vogue chez la plupart des savants; le marchand même en fait une partie de ses occupations, et l’artisan, qui en entend parler tous les jours, commence aussi à y prendre goût. Enfin, elle se fait connaître partout et il n’y a presque plus personne, de quelque état ou condition que ce soit, qui ne cherche et ne se fasse un plaisir de se familiariser avec elle. On a formé dans quelques-unes des principales villes des sociétés, où l’on s’occupe à faire des expériences à l’aide d’un grand nombre d’instruments de grand prix et où l’on passe agréablement son temps à la recherche des propriétés et des opérations de toutes sortes de corps.”

Cité par M. Daumas, La vie scientifique - vers la science expérimentale, in M. Daumas, Histoire de la Science, p. 111

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4. XVIIIe siècle Deuxième moitié du XVIIIe siècle: le nombre de journaux augmente rapidement; ils se spécialisent: Journal de Physique (1752) Annales de Chimie (1789: “nouvelle” chimie de Lavoisier) La vogue scientifique passe des “esprits éclairés” aux salons mondains. Vulgarisation: Fontenelle (Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686), Maupertuis, Euler (Lettres à une princesse d’Allemagne), Voltaire, Mme du Châtelet; nombreux traités “pour les dames”. Démonstrations de chimie (Lémery), d’électrostatique (cf. B. Franklin). 1751 L’”Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers” 1768 Encyclopedia Britannica Le recrutement scientifique s’élargit lentement, en particulier avec les académies militaires (Lagrange, Monge, Laplace) et les écoles d’ingénieurs. Le grand bouleversement dans l’organisation de la science et le recrutement viendra avec la Révolution française et le XIXe siècle: Ecole Normale, Ecole Polytechnique Université allemande (W. von Humboldt, Université de Berlin 1810).

Expérimentation et instrumentation

Il se peut que le sens profond et le but même du newtonianisme, ou plutôt de toute la révolution

scientifique du XVIIe siècle, dont Newton est l’héritier et l’expression la plus haute, soient précisément de supprimer le monde du “plus ou moins”, le monde des qualités et des perceptions sensibles, le monde quotidien de l’approximatif, et de le remplacer par l’univers (archimédien) de la précision, des mesures exactes, de la détermination rigoureuse.

A. Koyré, Etudes newtoniennes, p. 28 Une nouvelle attitude Très peu d’expérimentation en physique dans l’Antiquité (Anaxagore sur la corporéité de l’air; Ptolémée sur la diffraction - et encore...) ou au Moyen-Age (Thierry de Freiburg sur l’arc-en-ciel, Witelo sur la diffraction encore). XVIIe siècle: mathématisation et expérimentation: comment <-> pourquoi; mesurer <-> observer. La métrologie des “astronomes” s’étend aux “physiciens”, la précision géométrique du monde supralunaire s’étend au monde sublunaire. cf. les Discours de Galilée.

La science venait de conquérir la notion de phénomène. (...) En renonçant à connaître l’essence des choses, (...) elle devait formuler à son usage un type

d’intelligibilité que les Anciens n’avaient même pas soupçonné. Jusqu’alors, une vérité était intelligible quand on pouvait y voir un reflet de l’en-soi: idée platonicienne ou essence aristotélicienne, qui nous emmenait hors du monde des apparences. (...) Désormais, la vérité scientifique se définira sur le plan même du phénomène comme l’organisation des apparences par un système de lois, l’en-soi étant ce qu’il voudra. (...)

Il s‘agit là d’une révolution capitale. Elle entraîne une nouvelle définition de la causalité scientifique. Pour la science, la cause d’un phénomène ne sera plus jamais un en-soi métaphysique qui “l’engendre”, selon la vieille métaphore biologique d’Aristote, mais un autre phénomène qui se trouve lié au premier par un rapport constant. (...)

L’idée qu’il y a une manière d’explication dont le seul rôle est de “sauver les apparences” se trouve déjà au Moyen Age (...) et même dans la plus haute Antiquité (...). Seulement, il s’agissait alors d’une technique pratique, non d’une science, et elle restait subordonnée à la seule science jugée digne de ce nom, celle qui portait sur l’Intelligible en soi. Désormais cette technique pratique est devenue et restera la science elle-même; elle s’est constitué un type autonome d’intelligibilité, et elle se suffit en tant que science sans avoir besoin de recourir à rien d’autre.

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R. Lenoble, Les origines de la pensée scientifique moderne, in M. Daumas, Histoire de la Science, p. 500 Accademia del Cimento: travaux collectifs, expérimentation “pure” Royal Society: expérimentateur attaché; pas de débats philosophiques. NB cependant que l’expérimentation moderne est bien autre chose qu’un naïf questionnement empiriste (et la science, une simple description des “apparences”). C’est un questionnement de la nature, mais imprégné de théorie. Les procédures auxquels la science moderne fait appel visent à une “purification” très spécifique de la relation de l’homme et de la nature (certains diront: un appauvrissement). La méthode expérimentale, à son tour, a contribué profondément à remodeler nos relations avec le monde, et à redéfinir ce qu’est la nature. Optique lunette: inventée en Italie en 1590 ? Demandes de brevet en Hollande en 1608 Galilée 1609: grossissement 30 x microscope: 1590 ? Galilée 1612 Hooke 1665 Leeuwenhoek 1673 (observation des spermatozoïdes, bactéries, globules rouges) télescope: Newton 1668 - prépare lui-même les miroirs Ces instruments sont fabriqués d'abord par les savants eux-mêmes (Huygens taille les verres de ses lentilles) puis par des artisans spécialisés (représentés parmi les membres de la Royal Society). Chronométrie Horloges à poids au Moyen-Age. Montres au XVIe siècle - peu précis Galilée: pour son étude de la chute des corps, utilise une clepsydre et pèse l'eau qui s'est écoulée. isochronie des battements du pendule Huygens: horloge à pendule (1657) études de dynamique pour corriger les défauts d’isochronie (cycloïde) Hooke, Huygens? ressort à spirale. La mesure du temps est importante pour la navigation (détermination de la longitude, grâce à l’utilisation de tables astronomiques); Galilée a cherché à utiliser dans ce but les mouvements des satellites de Jupiter. Pneumatique Question du vide: - Enjeu philosophique: Parménide, les atomistes, Aristote, les scolastiques: le vide peut-il exister? Descartes, Newton -> Einstein: action à distance ou propagation à travers l'éther? - et pratique: pompes à cylindre et piston, dont le fonctionnement est expliqué par le principe: “la nature a horreur du vide” mais on observe que l’eau ne monte pas à plus de 10 mètres (Galilée et fontainiers de Florence, ou mines). 1641: pompe à vide de O. von Guericke; 1654: expérience des hémisphères (Ratisbonne) 1643: Toricelli 1647: Pascal: expérience du Puy-de-Dôme. Perfectionnements de Boyle, Hooke (soupapes, étanchéité) -> physique des gaz -> nouvelles espèces de gaz -> nouvelle chimie (la chimie de Lavoisier = “chimie pneumatique”) Perfectionnements de D. Papin -> marmite à pression + soupape de sécurité.

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Développements sur cylindre et pistons -> machine à vapeur. Moralité: par la technique, nous nous trouvons mobilisés, à notre insu, pour prendre parti dans un débat philosophique:

“Hobbes rejette la possibilité du vide pour des raisons ontologiques et politiques de philosophie première, et il continue à alléguer l’existence d’un éther invisible qui doit être présent, même lorsque l’ouvrier de Boyle est trop essoufflé pour actionner sa pompe. (B. Latour)” (...)

Quiconque ouvre un paquet de café et entend “pshhht” sait qu’il a affaire à un emballage “sous vide” et, qu’il le veuille ou non, témoigne contre Hobbes du pouvoir de la pompe de Boyle.

I. Stengers, L’invention des sciences modernes, pp. 114,119 Thermométrie Académie de Florence, 1660: la température de la glace fondante est constante Fahrenheit 1714 Celsius 1742 Pesée Négligé jusqu’à Lavoisier (1770), - alors qu’ici la technique existait. Unités de mesure universelles temps pendule battant la seconde -> étude de la théorie du pendule preuve de la rotation de la terre (la période dépend de la latitude) longueur mesure du méridien terrestre -> rôle de la Révolution et de l’Empire (1791: Commission des Poids et Mesures).

Mécanique et mécanisme Contexte: - destruction copernico-galiléenne du cosmos (càd de la solidarité microcosme-macrocosme) - géométrisation de la science et de la nature -> - la nature fonctionne comme une machine: paradigme de l’horloge / l’Horloger - seul l’homme pense: paradigme des animaux - machines.

1. Descartes (1596,1650) Impact considérable, car systématise, formule la nouvelle conception du monde. Sa “Méthode”, comme voie d’accès à une science universelle. Rejet radical du principe d’autorité:

Le premier (des préceptes de ma méthode) était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle: c’est-à-dire éviter soigneusement la précipitation et la prévention; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute.

Descartes, Discours de la Méthode, p. 38 Descartes exprime la conscience qu’ont les savants de l’époque de la rupture qu’ils vivent. Comme il “pense

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héroïquement”, il dit tout net l’irruption de son Je critique:

Toutes les opinions que j’avais reçues jusqu’alors en ma créance, je ne pouvais mieux faire que d’entreprendre, une bonne fois, de les en ôter, afin d’y en remettre par après, ou d’autres meilleures, ou bien les mêmes, lorsque je les aurais ajustées au niveau de ma raison.

Descartes, ibid., p. 35 Géométrisation de la nature La matière est considérée comme étendue: approche géométrique de la nature. Expliquer, c'est donc réduire le monde en figures géométriques, et en trouver les équations. - géométrie analytique, son apport scientifique essentiel (l'algèbre est vue comme une méthode systématique) - conservation de la quantité de mouvement. Cependant, n’expérimente pas comme Galilée, et ses constructions a priori sont le plus souvent pures spéculations. Quoi qu’il en dise, il est de ce point de vue très en retrait par rapport à Galilée.

Je trouve en général qu’il (Galilée) philosophe beaucoup mieux que le vulgaire, en ce qu’il quitte le plus qu’il peut les erreurs de l’Ecole (aristotélicienne) et tâche d’examiner les matières physiques par des raisons mathématiques.

Mais il me semble qu’il manque beaucoup en ce qu’il fait continuellement des digressions et ne s’arrête pas à expliquer tout à fait une matière, ce qui montre qu’il ne les a point examinées par ordre et que, sans avoir considéré les premières causes (je souligne) de la nature, il a cherché les raisons de quelques effets particuliers, et ainsi qu’il a bâti sans fondements

Descartes, Lettre à Mersenne (1638), in G. Gusdorf, La révolution galiléenne, t. I, p. 96 Le vide Comme l’étendue est un attribut de la matière, le vide n’existe pas => éther et théorie des tourbillons.

(...) A cause que nous concevons qu'il n'est pas possible que ce qui n'est rien ait de l'extension, nous devons conclure de même de l'espace qu'on suppose vide: à savoir que, puisqu'il y a en lui de l'extension, il y a aussi nécessairement de la substance. (...)

C'est pourquoi, si on nous demande ce qui arriverait, en cas que Dieu ôtât tout le corps qui est dans un vase, sans qu'il permît qu'il en rentrât d'autre, nous répondrons que les côtés de ce vase se trouveraient si proche qu'ils se toucheraient immédiatement.

Descartes, Principes de la philosophie, 1644, in B. Bensaude-Vincent et C. Kounelis, Les Atomes, une anthologie historique, p. 57 Le jugement de de Broglie sur Descartes

Esprit trop systématique, trop convaincu de la supériorité de ses principes, Descartes n'a pas apporté un grand nombre de contributions durables à la science moderne: sans doute on lui doit la constitution définitive de la géométrie analytique, les lois précises de la réflexion et de la réfraction de la lumière, d'ailleurs déjà énoncées avant lui par Snell, et sa belle théorie de l'arc-en-ciel; mais, même en s'en tenant au domaine de la Mécanique, on peut dire qu'il s'est presque constamment trompé dans ses affirmations. Presque tout est faux dans ses considérations sur le choc des corps, il a énoncé le principe de la conservation de la quantité de mouvement sous une forme erronée qui a contribué à égarer les Mécaniciens pour de longues années, ses conceptions assez fantaisistes sur les tourbillons ont certainement eu une influence néfaste sur l'évolution de la Physique de son époque...

Et cependant l'oeuvre de Descartes reste dans l'ensemble une grande oeuvre parce que, rompant définitivement avec les explications verbales de la Scolastique, il a le premier tracé le programme de la Science moderne en lui assignant pour tâche de prendre pour points de départ des idées claires et distinctes et d'en développer les conséquences dans le langage précis des mathématiques. (...)

Descartes, malgré ses erreurs nombreuses et certains aspects peu sympathiques de son caractère, reste une haute figure: bien qu'il l'ait souvent entraînée dans des voies aberrantes, il a donné à la science moderne, encore dans son enfance, une vigoureuse et ineffaçable impulsion.

L. de Broglie, La Mécanique au XVIIe siècle, in Nouvelles perspectives en microphysique, p. 330

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2. Newton (1642,1727)

Summus

Gauss

“Nature and Nature’s laws lay hid in night; God said, Let Newton be! and all was light.”

A. Pope (1688,1744), cité in G. Gamow, The great physicists from Galileo to Einstein, p. 51

"Newton, excuse-moi! La voie que tu as ouverte était la seule qu'un homme doué d'une intelligence brillante et d'un esprit créateur pouvait trouver à l'époque. Les concepts que tu as élaborés guident encore aujourd'hui nos raisonnements en physique, même si nous savons qu'il nous faut désormais les remplacer par d'autres concepts qui, plus éloignés de l'expérience directe, nous permettront seuls de parvenir à une compréhension plus profonde des relations entre les choses."

Einstein, Notes autobiographiques, in F. Balibar, op. cit., p. 103 Biographie Fils posthume, né le 24 / 12 / 1642; remariage de sa mère - cf. études psychanalytiques de sa personnalité (L. Verlet) 1661 Cambridge, travaux d’optique 1666 peste; se retire dan le village de Woolsthorpe. Travaux sur: - lumière - gravitation - calcul infinitésimal ne publie pas ses résultats 1669 prof. à Cambridge 1672 entre à la Royal Society (président en 1703) enseigne l’optique (publie son traité seulement en 1705) 1687 pressé par Halley, publie les Philosophiae Naturalis Principia Mathematica 1696 Directeur de la Monnaie à Londres 1705 Traité d’Optique Les Principia Selon son récit, Newton avait calculé en 1666 l’effet de l’attraction terrestre sur une pierre et, à distance, sur la lune. Mais le résultat est insatisfaisant, en raison d’une mauvaise évaluation des rayons terrestre et lunaire. Il attendra les nouvelles mesures du méridien pour publier. Expose ses résultats en 1687 dans les Principia: “Principes mathématiques de la philosophie naturelle”. Faut-il lire un regret dans le “mathématiques”? Plusieurs résultats obtenus grâce au calcul infinitésimal (voir chapitre Analyse) sont présentés géométri-quement. Dans les “définitions” ci-dessous, remarquer la difficulté à définir la masse, introduite ici à partir de la “quantité de matière”. Cette difficulté restera l’un des problèmes des mécaniciens.

“Définition I: La quantité de matière est la mesure de celle-ci, résultant de sa densité et de son volume conjointement. (...)

Celle-ci (la masse) est connue par le poids de chaque corps, car elle est proportionnelle au poids comme je l’ai trouvé par des expériences sur les pendules, faites de façon très précise.

Définition II: La quantité de mouvement est le produit de la masse par la vitesse. Définition III: La vis insita, ou force intérieure à la matière, est un pouvoir de résister, par lequel

chaque corps, dans la mesure où il en est en lui, persévère dans son état présent, qu’il soit de repos ou de mouvement uniforme en ligne droite. (...)

Première loi: Tout corps persévère de lui-même dans l’état de repos ou de mouvement uniforme en ligne droite dans lequel il se trouve à moins que quelque force n’agisse sur lui et ne le contraigne à

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changer d’état. (...) Deuxième loi: les changements qui arrivent dans le mouvement sont proportionnels à la force

motrice et se font dans la ligne droite dans laquelle cette force a été imprimée. (...) Troisième loi: L’action est toujours égale et opposée à la réaction: c’est-à-dire, que les actions de

deux corps l’un sur l’autre sont toujours égales et dans des directions contraires.” Newton, Principia, in F. Balibar, Galilée, Newton lus par Einstein, p. 86, et in E. Segré, Les physiciens classiques et leurs découvertes, p. 79 “Hypotheses non fingo” Newton calcule, mais n’interprète pas. Il décrit mathématiquement la propagation de la gravitation à travers le vide - même s’il la considère comme absurde philosophiquement! Ce refus d’”inventer” des explications est la déclaration de principe de la nouvelle science; Newton prétend ainsi se distinguer de Descartes, avec son “hypothèse” des tourbillons.

"Je n'ai pu encore parvenir à déduire des phénomènes la raison de ces propriétés de la gravitation, et je n'imagine point d'hypothèses ('Hypotheses non fingo'). Car tout ce qui ne se déduit point des phénomènes est une hypothèse, et les hypothèses, soit métaphysiques, soit physiques, soit mécaniques, soit celles des qualités occultes, ne doivent pas être reçues dans la philosophie expérimentale."

Newton, Principia (Scolie générale, 1687), in J.-P. Verdet, Une histoire de l'astronomie, p. 190 Il prétendra appliquer ce principe à tous les domaines: gravitation, optique, chimie, où il prétend décrire les phénomènes en termes de lois d’attraction et de répulsion, sans émettre d’hypothèses explicatives, et en rejetant les “qualités occultes” des aristotéliciens. La recherche de “principes actifs” Pourtant, Newton sera préoccupé toute sa vie par la nature des forces à l’oeuvre, et la recherche des principes actifs, par opposition aux loi d’inertie et de conservation, passives.

“Il me paraît très probable que Dieu forma au commencement la matière de particules solides, pesantes, dures, impénétrables, mobiles, de telles grosseurs, figures, et autres propriétés, en tel nombre et en telle proportion à l'espace qui convenait le mieux à la fin qu'il se proposait. (...)

Il me semble d'ailleurs que ces particules n'ont pas seulement une force d'inertie, d'où résultent les lois passives du mouvement; mais qu'elles sont mues par certains principes actifs, tels que celui de la gravité, celui de la fermentation, celui de la cohésion des corps. Je considère ces principes non comme des qualités occultes, qui résulteraient de la forme spécifique des choses, mais comme des lois générales de la Nature, par lesquelles les choses mêmes sont formées.”

Newton, Optique (Question 31) (1704), in B. Bensaude-Vincent et C. Kounelis, op. cit., p. 69 “Une espèce d’esprit très subtil”

“Ce serait ici le lieu d’ajouter quelque chose sur cette espèce d’esprit très subtil qui pénètre à travers tous les corps solides, et qui est caché dans leur substance; c’est par la force et l’action de cet esprit que les particules des corps s’attirent mutuellement aux plus petites distances, et qu’elles cohèrent lorsqu’elles sont contiguës; c’est par lui que les corps électriques agissent à de plus grandes distances, tant pour attirer que pour repousser les corpuscules voisins; et c’est encore par le moyen de cet esprit que la lumière émane, se réfléchit, s’infléchit, se rétracte, et échauffe les corps; toutes les sensations sont excitées, et les membres des animaux sont mus, quand leur volonté l’ordonne, par les vibrations de cette substance spiritueuse qui se propage des organes extérieurs des sens, par les filets solides des nerfs, jusqu’au cerveau; et ensuite du cerveau dans les muscles.”

Newton, Principia (Scolie générale, 1687), in A. Koyré, Du monde clos à l’univers infini, p. 280 Sans doute est-ce cet “esprit très subtil” que Newton recherche également à travers ses recherches alchimiques, qui deviennent centrales dans son activité, comme le révèle le contenu de sa malle secrète: “le dernier des Babyloniens” (Keynes).

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Un théologien proche de l’hérésie Newton est puritain, proche de l’hérésie unitarienne (rupture de la Trinité en faveur du Père; cf. l’interprétation psychanalytique de Verlet). Travaux d’érudition biblique. En particulier, rejette avec véhémence la présence miraculeuse de Dieu dans l’Eucharistie (cf. son atomisme) -> pris dans la contradiction entre l’absence de Dieu du monde, et une omniprésence proche du panthéisme.

“La vis inertiae est un principe passif par lequel les corps persistent dans leur mouvement ou leur repos, reçoivent le mouvement en proportion de la force qui l’imprime, et résistent dans la même mesure dans laquelle ils éprouvent de la résistance. En vertu de ce principe seul, il ne pourrait jamais y avoir de mouvement dans le monde. Il était besoin de quelque autre principe pour mettre les corps en mouvement; et maintenant qu’ils y sont, il est besoin de quelque autre principe pour conserver le mouvement.

Newton, Optique (Question 23-31, 1704), in A. Koyré, ibid., p. 259 Réplique de son adversaire Leibniz

“Monsieur Newton et ses sectateurs ont encore une fort plaisante opinion de l’ouvrage de Dieu. Selon eux, Dieu a besoin de remonter de temps en temps sa montre; autrement elle cesserait d’agir. Il n’a pas eu assez de vue pour en faire un mouvement perpétuel. Cette machine de Dieu est même si imparfaite selon eux, qu’il est obligé de la décrasser de temps en temps par un concours extraordinaire, et même de la raccommoder, comme un horloger son ouvrage; qui sera d’autant plus mauvais que le maître sera plus souvent obligé d’y retoucher et d’y corriger. Selon mon sentiment, la même force et vigueur y subsiste toujours, et passe seulement de matière en matière, suivant les lois de la Nature, et le bel ordre préétabli.”

Leibniz, Lettre (polémique avec Clarke, 1715), in A. Koyré, ibid., p. 285

3. Le programme newtonien et les continuateurs

“Depuis Newton, aucun principe essentiellement nouveau n’a été posé et le travail accompli en mécanique depuis lors a été un développement déductif, formel et mathématique, sur la base des principes newtoniens.”

E. Mach, La mécanique (1904), in J. Rosmorduc, Une histoire de la physique et de la chimie, p. 112 Le programme est fixé: dans le cadre du paradigme newtonien, explorer systématiquement le champ de la mécanique et de l’astronomie. C’est la fonction de la “science normale”. En Angleterre, Newton jouit d’un prestige immense, et domine totalement la scène scientifique - au point d’écraser ses successeurs, que ce soit en mécanique, en analyse ou en optique. Sur le Continent, son oeuvre scientifique est poursuivie par Euler, d’Alembert, Clairault, et surtout Lagrange et Laplace. Voltaire, Madame du Châtelet font connaître son oeuvre au public cultivé, - alors que l’Université, anticartésienne au temps de Descartes, est devenue cartésienne et antinewtonienne... Voltaire: cartésiens et newtoniens Deux paradigmes:

Un Français qui arrive à Londres trouve les choses bien changées en philosophie comme dans tout le reste. Il a laissé le monde plein; il le trouve vide. A Paris, on voit l'univers composé de tourbillons de matière subtile; à Londres, on ne voit rien de cela. Chez nous, c'est la pression de la lune qui cause les marées; chez les Anglais, c'est la mer qui gravite vers la lune (...). Chez vos cartésiens, tout se fait par une impulsion qu'on ne comprend guère; chez M. Newton, c'est par une attraction dont on ne connaît pas mieux la cause. A Paris, vous vous figurez la terre faite comme un melon; à Londres, elle est aplatie des deux côtés. La lumière, pour un cartésien, existe dans l'air; pour un newtonien, elle vient du soleil en six minutes et demie. Votre chimie fait toutes ses opérations avec des acides, des alcalis et de la matière subtile; l'attraction domine jusque dans la chimie anglaise. (...)

Il faut avouer que ces deux grands hommes ont été bien différents l'un de l'autre dans leur conduite, dans leur fortune et dans leur philosophie.

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Descartes était né avec une imagination vive et forte, qui en fit un homme singulier dans sa vie privée comme dans sa manière de raisonner. Cette imagination ne put se cacher même dans ses ouvrages philosophiques, où l'on voit à tout moment des comparaisons ingénieuses et brillantes. La nature en avait presque fait un poète, et en effet il composa pour la reine de Suède un divertissement en vers que pour l'honneur de sa mémoire on n'a pas fait imprimer.

Il essaya quelque temps du métier de la guerre, et depuis étant devenu tout à fait philosophe, il ne crut pas indigne de lui de faire l'amour. Il eut de sa maîtresse une fille nommée Francine, qui mourut jeune et dont il regretta beaucoup la perte. Ainsi il éprouva tout ce qui appartient à l'humanité. (...)

La carrière du chevalier Newton a été toute différente. Il a vécu quatre-vingt-cinq ans, toujours tranquille, heureux et honoré dans sa patrie.

Son grand bonheur a été non seulement d'être né dans un pays libre, mais dans un temps où les impertinences scolastiques étant bannies, la raison seule était cultivée; et le monde ne pouvait être que son écolier, et non son ennemi.

Une opposition singulière dans laquelle il se trouve avec Descartes, c'est que, dans le cours d'une si longue vie, il n'a eu ni passion ni faiblesse; il n'a jamais approché d'aucune femme: c'est ce qui m'a été confirmé par le médecin et le chirurgien entre les bras de qui il est mort. On peut admirer en cela Newton, mais il ne faut pas blâmer Descartes. (...)

Voltaire, Lettres philosophiques (XIVe lettre), 1733, p. 90 Triomphes En 1740 et 1743, les expéditions géographiques en Laponie (Clairault, Maupertuis) et au Pérou (La Condamine) confirment la forme ellipsoïdale de la Terre. En 1758, Clairault prédit le retour de la comète de Halley, avec une période augmentée de 618 jours (518 à cause de l’action de Jupiter, 100 à cause de Saturne), et donne sa trajectoire.

“Jamais question astronomique n’excita une curiosité plus vive, plus légitime. Toutes les classes de la société attendaient avec un égal intérêt la réapparition annoncée. Un laboureur saxon, Palitszch, l’aperçut le premier. A partir de ce moment, d’une extrémité de l’Europe à l’autre, mille télescopes marquèrent chaque nuit des points de la route de l’astre à travers les Constellations. La route fut toujours, dans les limites de la précision du calcul, celle que Clairault avait assignée à l’avance”.

Arago, cité in B. Maitte, La lumière, p. 189 1846: calcul par Le Verrier de la position de Neptune, d’après son effet sur la trajectoire d’Uranus. Lagrange (1736,1813) Né à Turin, école d’artillerie 1766 succède à Euler à l’Académie de Berlin 1787 Paris Président de la Commission des Poids et Mesures (-> système métrique) 1795 Ecole normale 1797 Ecole polytechnique 1813 Panthéon Sa grande oeuvre: Mécanique analytique (1788): pas une seule figure !

“Je me suis proposé de réduire la théorie de cette science, et l’art de résoudre les problèmes qui s’y rapportent, à des formules générales, dont le simple développement donne toutes les équations nécessaires pour la solution de chaque problème. (...) On ne trouvera point de figures dans cet ouvrage. Les méthodes que j’y expose ne demandent ni constructions, ni raisonnements géométriques ou mécaniques, mais seulement des opérations algébriques, assujetties à une marche régulière et uniforme. Ceux qui aiment l’Analyse, verront avec plaisir la Mécanique en devenir une nouvelle branche, et me sauront gré d’en avoir étendu ainsi le domaine.”

Lagrange, Mécanique analytique (1788), in J. Rosmorduc, op. cit., p. 113 Laplace (1749,1827) 1769 prof. de math. à l’Ecole royale militaire 1773 Académie des Sciences éclipse pendant la Révolution

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Après le Dix-Huit Brumaire, ministre de l’Intérieur de Bonaparte (mais, selon celui-ci, “il introduit dans l’administration l’esprit du calcul infinitésimal”); vice-président du Sénat 1814 se rallie à Louis XVIII - marquis et pair de France. Exposition du système du monde (5 éditions entre 1796 et 1824), Mécanique céleste: application systématique et rigoureuse du programme newtonien au système solaire: - réduire les irrégularités observées du mouvement de la lune et des planètes - statut et précision de la gravitation newtonienne (présence mesurable d’un fluide remplissant l'espace?) - stabilité du système solaire. Le programme déterministe L’application systématique du programme newtonien a totalement exclu du monde le Dieu de Newton: “Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse”. Laplace formule le programme déterministe des mécaniciens du XIXe siècle.

“Nous devons envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur, et comme la

cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée, et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome: rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux. L’esprit humain offre, dans la perfection qu’il a su donner à l’astronomie, une faible esquisse de cette intelligence. Ses découvertes en mécanique et en géométrie, jointes à celles de la pesanteur universelle, l’ont mis à portée de comprendre dans les mêmes expressions analytiques les états présents et futurs du système du monde.”

P.-S. Laplace, Essai philosophique sur les probabilités, in J. Merleau-Ponty, Laplace: un héros de la science “normale”, p. 187 Bibliographie F. Balibar: Galilée, Newton lus par Einstein, PUF, Paris 1986 B. Bensaude-Vincent et C. Kounelis (présentation de):Les Atomes, une anthologie historique, Agora Classiques, Presses Pocket, 1991 M. Daumas: Histoire de la Science, Encyclopédie de la Pléiade, Paris 1955 L. de Broglie: Nouvelles perspectives en microphysique, Champs 269, Flammarion, Paris 1992 Recueil d’articles d’interprétation de la mécanique ondulatoire et d’histoire R. Descartes: Discours de la Méthode, 10/18, Paris 1963 G. Gamow: The great physicists from Galileo to Einstein, Dover, New-York 1988 Histoire traditionnelle + vulgarisation J. Gapaillard: Et pourtant elle tourne !, Science ouverte, Le Seuil, Paris 1993 G. Gusdorf: La révolution galiléenne, Payot, Paris 1969 A. Koyré: Du monde clos à l’univers infini, Idées 301, Gallimard, Paris 1973 A. Koyré: Etudes newtoniennes, Gallimard, Paris 1980 Recueil d’articles, notamment sur Newton et Descartes. B. Maitte: La lumière, Points-Sciences S28, Le Seuil, Paris 1981 J. Merleau-Ponty, Laplace, un héros de la science “normale”, in La Recherche en histoire des sciences, Points-Sciences S37, Le Seuil, Paris 1983 J. Rosmorduc: Une histoire de la physique et de la chimie, Points-Sciences S47, Le Seuil, Paris 1985 M. Serres: Paris 1800 , in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris 1989 I. Stengers: L’invention des sciences modernes, La Découverte, Paris 1993 J.-P. Verdet: Une histoire de l’astronomie, Points-Sciences S62, Le Seuil, Paris 1990 L. Verlet: La malle de Newton, Gallimard, Paris 1993 Réflexion originale sur les sciences et la psychanalyse, au départ du cas de Newton. Voltaire: Lettres philosophiques, GF 15, Flammarion, Paris 1964

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L'Analyse: entre rigueur et efficacité

1. Les Grecs Le problème des irrationnels est intimement lié à celui du continu (la droite continue) et à celui de l’infiniment petit, de l’infiniment proche, etc. Le problème des irrationnels Découverte de l’irrationalité de certains nombres par les Pythagoriciens. Mais comment définir les irrationnels comme “nombres”, si le concept de “nombre” doit dériver de l’unité? Il faudra attendre Dedekind (1831,1916) et Cantor (1845, 1918)! Noter cependant le point de vue de Kronecker (1823,1891), exprimé à propos de la démonstration de l’irrationalité de π par Lindemann:

“A quoi sert votre belle recherche à propos de π ? Pourquoi étudier de pareils problèmes, puisque les nombres irrationnels n’existent pas ?”

Kronecker, cité par E.T. Bell, Les grands mathématiciens, p. 603 Par contre, en géométrie, la diagonale du carré “existe” indubitablement! Le problème des irrationnels est donc contourné en géométrie, où les Grecs discutent non pas l’aire d’une figure, mais le rapport des aires (cf. plus bas sur le rapport des aires de deux cercles). De manière sophistiquée, dans le Livre V des Eléments, Euclide reprend la théorie des proportions d’Eudoxe, portant sur les grandeurs géométriques, qui permet d’éviter l’introduction des nombres rationnels (non-entiers) et irrationnels.

"Des grandeurs sont dites dans le même rapport, la première (A) à la deuxième (B) et la troisième (C) à la quatrième (D), si, prenant des équimultiples quelconques de la première (mA) et de la troisième (mC), et prenant des équimultiples quelconques de la deuxième (nB) et de la quatrième (nD), alors les premiers équimultiples vont de même excéder, être égaux ou être plus petits que les seconds équimultiples, pris dans cet ordre."

Autrement dit: mA > nB => mC > nD mA = nB => mC = nD mA < nB => mC < nD

Dès lors, un certain statut peut être donné, en géométrie, aux irrationnels, en introduisant la notion de “lignes incommensurables”, discutées au livre X: classification des lignes (segments) en commensurables, incommensurables en longueur mais commensurables en carré, etc. Par ailleurs, Euclide fait dans les Eléments la théorie de la proportion des nombres, mais séparément de celle des grandeurs (Livre VII). Paradoxes du continu et de l’infini Démocrite transpose son atomisme du monde physique au domaine mathématique, et voit le cône comme formé d’une succession de “tranches” circulaires superposées. Mais une contradiction apparaît: - si l’aire de ces cercles varie, le cône doit avoir une certaine “rugosité” - par contre, si tous les cercles ont la même aire, le volume du cône ne pourra être différent de celui du cylindre. Zénon exprime par ses paradoxes la difficulté de saisir intuitivement les problèmes liés à l’infini (il existe de nombreuses interprétations divergentes des paradoxes...):

La discussion des arguments - ou plutôt des paradoxes - de Zénon, comme tous les vrais problèmes philosophiques, ne sera jamais close.

A. Koyré, Remarques sur les paradoxes de Zénon, in Etudes d’histoire de la pensée philosophique, p. 9

- l’Achille et la Dichotomie: contre la divisibilité infinie de l’espace et du temps: comment une somme

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infinie pourrait-elle “être égale” à une quantité finie ? - la Flèche, le Stade: comment le mouvement serait-il possible si l’espace et le temps sont discontinus?

La Dichotomie: un mobile issu d’un point pour en atteindre un autre doit d’abord parcourir la moitié de la distance, puis la moitié de la distance restante, puis encore la moitié de cette moitié, etc. Il ne pourra donc pas atteindre son objectif en un temps fini.

L’Achille: Achille ne pourra rattraper la tortue partie avant lui: quand il atteindra l’endroit d’où est

partie la tortue, elle aura progressé jusqu’en un autre point; quand il atteindra ce point à son tour, la tortue aura de nouveau avancé, etc.

La Flèche: Si le temps et l’espace sont composés d’éléments finis indivisibles, pendant chacun de

ces instants, la flèche occupe tout l’espace correspondant à sa longueur; elle est donc au repos dans cet espace (et dans cet instant), et dès lors ne se meut pas.

Le Stade: De même, considérons trois trains constitués de tels éléments indivisibles: l’un est au

repos, le deuxième en mouvement dans un sens, et le troisième dans l’autre. Pendant un instant, l’un des trains en mouvement passe en face de l’un des éléments du train au repos, et l’autre train passe dans l’autre sens devant le même élément. Pendant la durée d’un instant élémentaire, un élément spatial est donc égal soit à un, soit à deux éléments spatiaux.

A1 A2 A3 A4 A1 A2 A3 A4 B4 B3 B2 B1 -> B4 B3 B2 B1 <- C1 C2 C3 C4 C1 C2 C3 C4 D’après A. Pichot, La naissance de la science, t. 2, pp. 276-281 et A. Koyré, ibid., pp. 9 sq.

En fait, on a affaire à deux questions différentes: 1. décrire la nature éventuellement atomiste du monde physique (espace, temps), et en tout cas de notre perception 2. fournir des définitions mathématiques satisfaisantes. L’intérêt centré sur les questions géométriques renforce cette difficulté à séparer les deux ordres de questions: la géométrie (euclidienne) est bien plus proche de notre intuition du monde physique que l’arithmétique. En géométrie: la méthode d’exhaustion d’Eudoxe Dans le monde réel, tel que nous l’approchons par les sens, l’infiniment petit, comme l’infiniment grand, ne peuvent pas exister: ils ne sont pas concevables dans une approche intuitive. Le raisonnement avec l’infini étant prohibé, et ce que nous appellerions, dans le raisonnement mathématique, les “passages à la limite” interdits, les Grecs les contournent grâce à la “méthode d’exhaustion”: utilisation, dans de nombreuses démonstrations de géométrie, d’une double réduction à l’absurde. (En fait, le terme d’“exhaustion”, introduit par Grégoire de St Vincent (Anvers; 1584,1667) en 1647 est trompeur: chez les Anciens, il ne s’agit pas réellement d’”épuiser” une figure par une autre). Pour cela: utilisation de l’”axiome d’Archimède” (probablement dû à Eudoxe ou Hippocrate de Chio):

En soustrayant de la plus grande de deux grandeurs données une quantité plus grande que sa moitié, de la quantité qui reste une quantité plus grande que sa moitié, et en répétant continuellement cette opération, la grandeur qui restera peut être rendue plus petite que la plus petite des grandeurs de départ.

Euclide, Eléments (Livre X), in C. Boyer, History of Calculus, p. 33

Exemple: démontrer que le rapport de l’aire de deux cercles est comme le rapport du carré de leurs diamètres.

Soient les cercles d’aires a et A, de diamètres d et D. Il faut démontrer que a / A = d2/ D2.

Supposons qu’il n’en soit pas ainsi, et que a / A > d2/ D2.

Dès lors, il existe un cercle d’aire a’, avec a’ < a, tel que a’ / A = d2/ D2. (1) Il existe donc un polygone d’aire p, inscrit dans a, et tel que a’ < p < a (2)

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(ceci se démontre grâce à l’axiome d’Archimède). Considérons le polygone d’aire P, semblable à p et inscrit dans A.

Le rapport p / P est égal au rapport d2/ D2 des carrés des diamètres des cercles circonscrits a et A. On a donc p / P = a’ / A, par (1) Comme p > a’ par (2), il faut donc P > A, ce qui est absurde. Une autre discussion par l’absurde complète la démonstration.

Il est à remarquer qu’on n’a en aucune manière considéré le cercle comme un polygone à nombre infini de côtés infiniment petits. On ne le considère pas non plus comme la limite d’une suite de polygones, notion étrangère aux Grecs. Tout se joue dans le fini. Nombreuses démonstrations par exhaustion, par exemple chez Archimède: aire du segment de parabole, volume du segment de paraboloïde de révolution. Remarque: Archimède et la “Méthode” Lettre à Eratosthène, découverte en 1906 sur un palimpseste. Archimède procède à une évaluation “mécanique” du résultat, avant d’en donner une démonstration rigoureuse par la méthode d’exhaustion. En effet, une fois le résultat connu, il est plus commode d’en trouver la démonstration (Archimède donne comme exemple la démonstration par Eudoxe de la valeur du volume du cône et de la pyramide, donnée d’abord sans démonstration par Démocrite). Cette méthode s’appuie sur la loi du levier pour évaluer l’aire du segment de parabole. Celui-ci est découpé en “tranches” infiniment fines, dont le poids est évalué.

HF

M

E

B

NK

AO

Q

C

P

Archimède se représentait les aires du segment de parabole ABC et du triangle AFC (où FC est la

tangente à la parabole en C) comme l'ensemble des segments parallèles au diamètre QB de la parabole, tel OP pour la parabole et OM pour le triangle. Si, maintenant, on plaçait en H (avec HK = KC) un segment égal à OP, il équilibrerait le segment OM, K étant le point d'appui. (Ceci peut être démontré grâce à la loi du levier et la propriété de la parabole). L'aire de la parabole, son centre de gravité étant placé en H, équilibrerait alors exactement le triangle, dont le centre de gravité est situé sur KC, au tiers de sa longueur. Dès lors, on voit facilement que l'aire du segment de parabole correspond à un tiers de l'aire du triangle AFC, ou quatre tiers de l'aire du triangle inscrit ABC.

C. Boyer, A History of Mathematics, p. 154 NB Toricelli et Wallis, au XVIIe siècle et sans connaître le texte d’Archimède, avaient soupçonné qu’il devait avoir eu recours à des procédés de ce type...

2. Les scolastiques Une des grandes innovations des scolastiques est l'introduction du concept de variation (fonction) dans le domaine mathématique: on prête des “degrés d’intensité” aux qualités (chaleur, densité, vitesse, charité), et on les laisse varier continûment. Le but de cette méthode d’“intension et rémission des formes”, développée en particulier à Oxford et Paris

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(début du XIVe siècle), est d’exprimer les quantités dont une qualité (ou forme) croît ou décroît par rapport à une échelle fixée. Ainsi, Richard Swineshead - ou Calculator (première moitié du XIVe siècle) -, établit en connexion avec des problèmes de contenu de chaleur, que

l’intensité moyenne d’une forme dont le taux de changement sur un intervalle est constant (...) est la moyenne de sa première et sa dernière intensité. (...) Il argumente que, si la plus grande intensité est autorisée à décroître uniformément vers la moyenne, tandis que la plus petite est accrue au même rythme vers cette même moyenne, alors l’ensemble n’est ni accru ni diminué

C. Boyer, The History of the Calculus, p. 75 C’est la “loi de la vitesse moyenne” du mouvement uniformément difforme de Merton College. (Calculator envisage aussi différents cas de mouvements non uniformes, équivalents à des sommations de séries infinies). Robert Grosseteste (1175,1253), Roger Bacon (1214,1294) avaient introduit les représentations graphiques à la fin du XIIIe / début du XIVe siècle. Nicole Oresme (1302,1382) utilise la représentation graphique pour démontrer la loi de vitesse moyenne (vers 1350). Il porte le temps en abscisse et la vitesse en ordonnée, la variation de vitesse étant donnée par une droite. L’aire sous la courbe (trapèze) représente le chemin parcouru. Elle est la même que celle du rectangle de même base et de hauteur égale à la moyenne des vitesses initiale et finale.

Ce faisant, Oresme introduit la notion de vitesse instantanée; il précise que, plus celle-ci est grande, plus grande sera la distance parcourue si le mouvement continue uniformément à ce rythme. En même temps, cependant, il suit Aristote en affirmant que toute vitesse persiste pendant un certain temps - sorte d’”atomisme mathématique”. Oresme est donc le premier à considérer que l’aire sous une courbe peut représenter une quantité physique - ici l’espace. Nombreuses discussions d’autre part parmi les scolastiques sur l’infini, comme attribut de Dieu. Cantor les étudiera soigneusement pour son travail sur l’infini.

3. “Un siècle d’anticipation” C. Boyer Vers l’émancipation Au XVIe siècle, les travaux des scolastiques sont connus: N. Oresme, Bradwardine, Calculator et autres sont imprimés aux XVe et XVIe siècles. Cependant, la tendance est au rejet des aristotéliciens et des scolastiques. Par contre, influences pythagorico-platoniciennes et enthousiasme pour Archimède. D’autre part, les nombres négatifs commencent à être acceptés, les nombres imaginaires sont inventés et manipulés -> élargissement du concept de nombre. Enfin, développement du symbolisme littéral (Stevin, Viète, etc.), puissant instrument opératoire. Simon Stevin (1548,1620)

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Etudie notamment les centres de gravité: il s'inspire d'Archimède, mais se contente fréquemment d’une des deux figures d’approximation (inscrite et circonscrite), sans la double réduction à l’absurde. D’autre part, il utilise des séries infinies, alors qu’Archimède n’utilise qu’un nombre fini de termes et évalue le reste; mais Stevin reste marqué par l’orthodoxie, approchant la somme par en-haut et par en-bas. Johannes Kepler (1571,1630) Il a recours à des méthodes intuitives pour passer à la limite, en appelant à un principe de “continuité” (cf. Leibniz): pour lui, il n'y a pas de différence essentielle entre polygone et cercle, entre ellipse et parabole, entre aire infinitésimale et ligne -> calcul des volumes de révolution (sphère, cône, tore, etc.).

(Kepler) se montre entièrement insensible aux scrupules logiques qui avaient arrêté Archimède. A. Koyré, Bonaventura Cavalieri et la géométrie des continus, in Etudes d’histoire de la pensée scientifique, p. 336 Très grande influence de son traité Stereometria doliorum (1615), où il calcule le volume des tonneaux de vin (ses tables lui indiquent que la variation la plus faible a lieu à proximité du maximum). Les indivisibles Bonaventura Cavalieri (1598,1647), disciple de Galilée Son livre Geometria indivisibilibus continuorum (1635) aura une influence énorme. Les indivisibles, qu’il ne définit pas précisément, sont les éléments constitutifs des surfaces et des volumes: une ligne est formée de points comme un collier de perles, un volume de plans comme les pages d’un livre. Contrairement aux infiniment petits de Kepler, qui ont autant de dimensions que l’objet fini, les indivisibles de Cavalieri ne sont pas des infiniments petits, mais ont une dimension de moins que l’objet (v. Koyré, op. cit.). Conscient de la difficulté de sommer une infinité d’éléments, Cavalieri se sert de sa méthode pour établir des rapports: les indivisibles disparaissent à la fin du calcul, comme les nombres imaginaires en algèbre.

Ex.: aire du parallélogramme = 2 fois l’aire de chacun des deux triangles définis par une diagonale. Démonstration: à chaque indivisible de l’un des triangles (EF) correspond un indivisible de l’autre

(GH), et les deux triangles ont même aire. L’aire du parallélogramme est donc la somme de celles des deux triangles.

G H

E F

Evangelista Toricelli (1608,1647), autre élève de Galilée Utilise des indivisibles cylindriques pour démontrer que le solide infiniment étendu obtenu par révolution de l’hyperbole équilatère autour de son asymptote possède un volume fini. Blaise Pascal (1623,1662)

Pascal carre les paraboles xn au moyen du développement en puissances, donné par son “triangle”. Il néglige délibérément les contributions d’ordre inférieur: un point n’ajoute rien à la ligne, une ligne n’ajoute rien à la surface, etc.; en ce sens, il les considère équivalents au zéro arithmétique:

Si l’on veut prendre dans les nombres une comparaison qui représente avec justesse ce que nous considérons dans l’étendue, il faut que ce soit le rapport de zéro aux nombres; car le zéro n’est pas du même genre que les nombres, parce qu’étant multiplié, il ne peut les surpasser: de sorte que c’est un véritable indivisible de nombre, comme l’indivisible est un zéro d’étendue.

Pascal, De l’esprit géométrique, pp. 82-83 Ce qui fournit à Pascal une occasion d’apologétique:

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Ceux qui ne seront pas satisfaits par ces raisons, et qui demeureront dans la créance que l’espace n’est pas divisible à l’infini, ne peuvent rien prétendre aux démonstrations géométriques; et, quoi qu’ils puissent être fort éclairés en d’autres choses, ils le seront fort peu en celles-ci: car on peut aisément être très habile homme et mauvais géomètre.

Mais ceux qui verront clairement ces vérités pourront admirer la grandeur et la puissance de la nature dans cette double infinité qui nous environne de toutes parts, et apprendre par cette considération merveilleuse à se connaître eux-mêmes, en se regardant placés entre une infinité et un néant d’étendue, entre une infinité et un néant de nombre, entre une infinité et un néant de mouvement, entre une infinité et un néant de temps. Sur quoi on peut apprendre à s’estimer à son juste prix, et former des réflexions qui valent mieux que tout le reste de la géométrie.

Pascal, De l’esprit géométrique, p. 84 Cette procédure de Pascal a eu la plus grande influence sur Leibniz. Longs efforts vains des mathématiciens pour la justifier, - jusqu’à la formulation moderne. Quadratures et tangentes Pierre de Fermat (1601,1665) 1. Différentiation: on savait que si un problème a en général deux solutions, le maximum (ou le minimum) correspond au cas d'une solution unique. Au maximum, la fonction a donc la même valeur en x et x + E, où E est un infiniment petit. Calculant ces deux valeurs, les égalant et posant E = 0, Fermat trouve le maximum.

Ex.: trouver le point x qui divise un segment de longueur a de manière telle que le produit x (a - x) soit maximum.

Soit A = x (a - x) ce maximum. Plaçons-nous en x + E. Le produit est maintenant (x + E) (a - x - E). Au maximum, les deux valeurs doivent être les mêmes: x (a - x) = (x + E) (a - x - E) => en résolvant par rapport à E, puis en posant E = 0 -> x = a / 2

Mais si E = 0, de quel droit Fermat considère-t-il que les deux points diffèrent (et vice versa) ? En fait, pour Fermat, comme pour Descartes (qui invente parallèlement la géométrie analytique), les symboles dans les équations représentent des constantes. Pas étonnant dès lors qu’il considère les infiniment petits comme des constantes, et non - comme nous - comme des variables. 2. Intégration: Fermat introduit une procédure annonçant notre intégrale définie, en utilisant sa géométrie analytique.

Il divise l’aire sous la courbe en petits éléments, et approche leur somme par une somme de rectangles, en utilisant l’équation de la courbe, de manière similaire à ce que nous appellerions un passage à la limite sur cette somme, le nombre d’éléments de la somme croissant indéfiniment et leur aire devenant infiniment petite. (NB aussi travaux de Grégoire de St-Vincent en ce sens). Fermat a donc réalisé toutes les opérations menant à l’intégrale mais il n’en a pas reconnu véritablement la signification. En cela, il n’atteint pas le degré de compréhension générale de Leibniz et Newton. Fermat, qui a travaillé les intégrales et les dérivées (tangentes), n’a pas non plus vu le lien entre elles.

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Isaac Barrow (1630,1677) Comme Fermat (mais plus systématique), il propose une méthode de détermination de la tangente par calcul, sous une forme très “moderne”. Il est le premier à reconnaître que quadrature et recherche des tangentes sont des problèmes inverses (en termes modernes, on peut calculer les intégrales - limites de sommes - en recherchant des primitives, càd. en inversant le problème des dérivées). Mais son refus de la géométrie analytique de Descartes et Fermat, son attachement au point de vue géométrique limitent la portée de son travail.

4. Newton et Leibniz L’”air du temps”... Entre 1635 et 1665, Cavalieri, Toricelli, Roberval (1602,1675 - approche arithmétique), Pascal, Fermat, Wallis (1616,1703 - calculs sans réserve sur l’infini) ont tous, en employant des méthodes différentes, donné sous

une forme ou sous une autre la formule pour l’intégrale définie de xn. Différentes contributions sont formulées également au calcul des tangentes. Il s’agit donc bien de problèmes qui sont dans “l’air du temps” au milieu du XVIIe siècle. L’invention du calcul différentiel et intégral par Newton et Leibniz, s’il reste leur titre de gloire, n’est pas l’oeuvre de deux génies isolés... Newton (1642,1727) Elève de Barrow à Cambridge, qui lui cédera sa chaire en 1669, il connaît également les travaux de Wallis. Il pose les fondements de son calcul des fluxions en 1666, lors de sa retraite à Woolsthorpe. En fait, il consacre trois ouvrages seulement à l’analyse, et y fait des allusions dans les Principia. On peut distinguer trois approches successives: - les infiniments petits - les fluxions - les premières et dernières raisons. Les infinitésimaux Exposé dans un mémoire rédigé en 1669, mais publié seulement en 1711 (circule entre amis, mais toujours chez Newton cette crainte de la publication...). Il utilise des rectangles infiniments petits (moments), équivalents aux accroissements infiniment petits de Fermat. Il note oy l’accroissement d’aire dû à un accroissement o de la variable x.

Il trouve alors que si l’aire est donnée par z = n/m+n a x(m+n)/n, alors son taux d’accroissement est y = a

xm/n. Pour cela, il utilise la formule du binôme, divise par o, et néglige les termes contenant encore o. Contrairement à ses prédécesseurs, Newton ne s’intéresse donc pas à la détermination de l’intégrale définie comme limite d’une somme, mais à la détermination de l’intégrale indéfinie, en examinant le taux de changement de l’aire. C’est donc la dérivée qui est l’idée de base, alors que jusque là on cherchait plutôt à ramener les problèmes à des quadratures (mais tout ceci n’est pas explicité). Cette méthode facilite le calcul, mais sur le plan conceptuel, il n’est toujours pas clair de quel droit on néglige les termes contenant o. Les fluxions Par la méthode des moments, Newton avait trouvé l’aire en considérant son “taux de changement instantané”. Il développe cette approche des “changements instantanés” dans la méthode des fluxions, exposée dans le Methodus fluxionum et serierum infinitarum, écrit vers 1671 et publié seulement en 1736. Il fait également allusion aux fluxions dans les Principia. Ici, les quantités variables sont considérées comme générées par un mouvement continu de points, de lignes, de plans, plutôt que comme un agrégat d’éléments infinitésimaux. C’est le mouvement continu qui est la base

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de son système. Il considère les quantités mathématiques comme engendrées

“par une augmentation continuelle, à la manière de l’espace que décrit un corps en mouvement. Les vitesses des mouvements qui les engendrent (sont appelées) fluxions. J’appellerai quantités fluentes, ou simplement fluentes ces quantités que je considère comme

augmentées graduellement et indéfiniment, je les représenterai par les dernières lettres de l’alphabet v, x, y et z... et je représenterai par les mêmes lettres surmontées d’un point (...) les vitesses dont les fluentes sont augmentées par le mouvement qui les produit et que par conséquent on peut appeler fluxions.”

Newton, Methodus fluxionum, in Dahan-Dalmedico et Peiffer, Une histoire des mathématiques, p. 192

Si o est un élément de temps infiniment petit, x,. o et y,

. o sont les incréments infiniment petits, ou moments,

des quantités qui s’écoulent x et y.

Dans xn, p. ex., il remplace x par x + x,. o et y par y + y,

. o, développe le binôme, simplifie les termes ne

comprenant pas o, et divise par o. Les termes contenant encore o, qui est supposé infiniment petit, sont négligés. Ici, la forme statique des indivisibles de Cavalieri est remplacée par une approche dynamique, peut-être plus intuitive. Mais les difficultés conceptuelles subsistent ! Les dernières raisons Dans le Quadratura curvarum, écrit en 1676, publié en 1704, Newton cherche à éliminer le recours aux infiniment petits, grâce à sa méthode des premières et dernières raisons. Il raisonne toujours dans le cadre de quantités variant continûment mais, au lieu de négliger les termes contenant encore o comme ci-dessus, il fait le rapport de la variation de x à celle de y, puis laisse o s’évanouir dans ce rapport. (Ce recours au rapport révèle un souci de rigueur qui rappelle le livre V d’Euclide). Là où nous parlerions de limite du rapport, Newton appelle le résultat “la dernière raison des variations évanouissantes”, qu’il pose égal à la première raison des variations naissantes, c’est-à-dire le rapport des fluxions. On se trouve proche de la formation de la dérivée comme limite:

“Les rapports ultimes dans lesquels les quantités disparaissent ne sont pas réellement les rapports

de quantités ultimes, mais les limites vers lesquelles les rapports de quantités, décroissant sans limite, s’approchent toujours; et desquels ils peuvent s’approcher aussi près que toute différence donnée, mais qu’ils ne peuvent jamais dépasser, ou atteindre, avant que les quantités soient diminuées indéfiniment.”

Newton, Principia, in Dahan-Dalmedico et Peiffer, ibid., p. 193 Dans l’approche moderne, cependant, il n’y a plus d’appel à la notion de temps comme variable indépendante auxiliaire, et la dérivée est prise comme un seul nombre, et pas comme le rapport de deux taux de changement. Les Principia Newton apprend en 1676 que Leibniz travaille sur le calcul infinitésimal. Il lui envoie une lettre par l'entremise du secrétaire de la Royal Society, pour assurer sa priorité. Mais les premiers résultats publiés ne le sont qu’en 1687, dans les Principia. Les démonstrations de Newton y sont formulées selon la méthode synthétique classique, mais des références à l’analyse apparaissent en quelques endroits, renvoyant à chacune des trois méthodes ci-dessus (que Newton semble donc considérer comme équivalentes). Par ailleurs, Newton travaille avec des séries infinies, qu’il intègre terme à terme, sans se soucier de condi-tions de convergence. Leibniz (1646,1716) Philosophe, juriste, historien, diplomate, logicien, mathématicien (calcul différentiel et analyse combinatoire) - “le plus grand esprit du XVIIe siècle”. Leibniz rêve notamment de créer

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“une méthode générale dans laquelle toutes les vérités de la raison seraient réduites à une sorte de

calcul. En même temps, ce serait une sorte de langage ou d’écriture universels, mais infiniment différent de tout ce qu’on a proposé jusqu’ici, car les symboles et aussi les mots y dirigeraient la raison; et les erreurs, sauf celles de fait, seraient purement des erreurs de calcul.”

E. T. Bell, op. cit., p. 137 Les différences Introduit aux mathématiques modernes par Huygens lors d'une mission diplomatique à Paris en 1672, Leibniz découvre les travaux de Pascal, qui lui suggèrent sa méthode des “différences”: la détermination de la tangente à une courbe dépend du rapport des différences des ordonnées et des abscisses, quand elles deviennent infiniment petites; de son côté, la quadrature dépend de la somme des ordonnées, ou rectangles infiniment fins, pour des intervalles infinitésimaux des abscisses. Vers 1676, Leibniz sait déterminer la somme et la différences d’infinitésimaux. Il trouve les différences pour le produit et le quotient de x et y, en négligeant les termes en dx dy. Dès lors, il peut calculer les différences des fonctions élémentaires. Il publie les règles du calcul différentiel dans les Acta Eruditorum en 1684, celles du calcul intégral en 1686. De manière similaire à Newton, Leibniz fait du calcul des différences, et non de celui des quadratures, la base de sa méthode, ce qui lui donne sa puissance calculatoire. Mais il pense en termes d’intégrales définies, plutôt que de primitives. Les questions conceptuelles restent non résolues, même si Leibniz s’appuie sur un vague principe de continuité pour justifier l’hypothèse que le rapport de nombres finis “se maintient” quand ceux-ci s’évanouissent - il semble bien plus éloigné que Newton de la notion moderne de limite. En fait, Leibniz semble trouver dans l’efficacité même de ses algorithmes la justification de son approche. Par ailleurs, ses différentielles sont peut-être la contrepartie mathématique des monades, qui sont à la base de son système métaphysique. Le formalisme Leibniz établit soigneusement ses notations, dont il discute avec ses correspondants (les frères Bernouilli notamment): ∫ x, puis ∫ x dx pour la somme, qu’il appelle bientôt intégrale dx pour la différence. Il crée ainsi une véritable “algèbre des infiniment petits”. L’efficacité de son formalisme - qui reste largement le nôtre - assurera la diffusion de son approche sur le continent.

5. Succès et développements Des évolutions différentes Au XVIIIe siècle, malgré l’absence de fondements solides, l’analyse se développe, notamment sous la pression des problèmes de physique: - équations différentielles - calcul des variations (hydrodynamique, élasticité) - techniques différentielles en géométrie. Les évolutions sont cependant différentes en Angleterre et sur le continent: influence écrasante de Newton en Angleterre, et bonne diffusion de l’approche de Leibniz sur le continent, favorisée par ses échanges épistolaires intenses. La violente polémique entre Newton et Leibniz n’a pu qu’accentuer cette différence. En Angleterre On assiste à des tentatives répétées d’élucider la nature des infiniment petits et de préciser les justifications conceptuelles. En particulier, polémiques avec l’évêque, théologien et philosophe G. Berkeley (1685,1753) qui, s’en prenant à Halley, publie en 1734:

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The Analyst - Or a Discourse Addressed to an Infidel Mathematician. Wherein It Is Examined Wheter

the Object, Principles, and Inferences of the Modern Analysis Are More Distinctly Conceived, or More Evidently Deduced, than Religious Mysteries and Points of Faith. “First Cast the Beam Out of Thine Own Eye; and Then Shalt Thou See Clearly to Cast Out the Mote Out of Thy Brother’s Eye.”

La critique de Berkeley porte sur l’illogisme consistant à affirmer d’abord que x a un incrément, et puis à autoriser cet incrément à être zéro, c’est-à-dire à supposer qu’il n’y a pas d’incrément. Efforts d’élucidation de Mac Laurin (1698,746), Taylor (1685,1731), Simpson (1710,1761), Landen. Sur le continent Large diffusion des travaux de Leibniz, autour de qui se forme un groupe d’enthousiastes (Jacques I (1654,1705) et Jean I Bernouilli (1667,1748), le Marquis de l’Hospital), publiant traités et articles dans les Acta Eruditorum. Leonhard Euler et la théorie des fonctions (1707,1783, Bâle, St Pétersbourg, Berlin) Le plus grand mathématicien de son siècle.

“Euler calculait sans effort apparent, comme les hommes respirent, comme les aigles planent dans le vent.”

Arago, cité in E.T. Bell, ibid., p. 155 Euler arrache l’analyse à la métaphysique et à la géométrie, pour l’intégrer à la théorie des fonctions qu’il est en train de créer (classification et étude systématique des fonctions, de leurs dérivées et intégrales). Développant une approche formaliste, d’une extrême efficacité, confiant dans les symboles, clarifiant les règles plutôt que de discuter la nature des objets, il publie deux sommes: Institutiones calculi differentialis (1755) et Institutiones calculi integralis (1768-1770). On observe une nouvelle fois que, dans certains contextes, une telle approche pragmatique peut être infiniment plus fructueuse qu’une approche rigoriste, menant à l’immobilisme - même si parfois Euler manipule sans scrupule les symboles (comme 0 / 0), et traite des séries infinies sans se soucier de conditions de convergence.

6. La rigueur Après Euler et Lagrange (1736,1813), les notions de fonction, et en particulier de fonction continue, deviennent centrales en analyse , précisant la vague intuition du mouvement uniforme de Newton. Bolzano (1781,1848, tchèque) Présente les premières conceptions claires des notions de base (continuité, dérivée, rapport entre continuité et dérivabilité): le fondement de l’idée de continuité est à trouver dans le concept de limite. Mais ses travaux restent méconnus. (Dès 1834, il donne un exemple de fonction continue non différentiable - 30 ans avant Weierstrass!). Augustin-Louis Cauchy (1789,1857) Extrêmement prolifique: 800 articles et traités... Véritable introduction de la rigueur dans le calcul infinitésimal: Cours d’analyse de l’Ecole Polytechnique (1821), Résumé des leçons sur le calcul infinitésimal (1823), Leçons sur le calcul différentiel (1829). Remarquer l’importance de l’obligation d’enseigner pour l’évolution vers la rigueur: témoignages de Weierstrass, de Dedekind.

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“J’ai cherché à donner aux méthodes (de l’analyse) toute la rigueur qu’on exige en géométrie, de manière à ne jamais recourir aux raisons tirées de la généralité de l’algèbre (càd. du formalisme). Les raisons de cette espèce, quoique assez communément admises, surtout dans le passage des séries convergentes aux séries divergentes, et des quantités réelles aux quantités imaginaires, ne peuvent être considérées, ce me semble, que comme des inductions propres à faire ressentir quelquefois la vérité, mais qui s’accordent peu à l’exactitude si vantée des sciences mathématiques. On doit même observer qu’elles tendent à faire attribuer aux formules algébriques une étendue indéfinie tandis que dans la réalité la plupart de ces formules subsistent uniquement sous certaines conditions et pour certaines valeurs des quantités qu’elles renferment. En déterminant ces conditions et ces valeurs, et en fixant d’une manière précise le sens des notations dont je me sers, je fais disparaître toute incertitude.”

Cauchy, Cours d’analyse, Préface, in E. T. Bell, op. cit., p. 312 Concepts de nombre, de variable, de fonction et de limite comme bases de l’analyse, plutôt que des intuitions géométriques ou dynamiques:

“Lorsque les valeurs successivement attribuées à une même variable s’approchent indéfiniment d’une valeur fixe, de manière à finir par en différer aussi peu que l’on voudra, cette dernière est appelée la limite de toutes les autres.”

Cauchy, cité in Dahan-Dalmedico et Peiffer, op. cit., p. 202 -> définition de l’infinitésimal comme une variable. -> définition de la dérivée, prise comme concept central de l’analyse, la différentielle étant seconde, contrairement à l’approche de Leibniz. -> définition de l’intégrale comme somme, ce qui est également un renversement par rapport au XVIIIe siècle, où prévaut la notion d’intégrale comme inverse d’une dérivée. La démarche de Cauchy est due à l’importance prise par la notion de continuité: même des fonctions discontinues peuvent avoir une aire! Sur cette base, première démonstration rigoureuse du théorème fondamental de l’analyse. Karl Weierstrass (1815,1897)

“Un mathématicien qui n’a pas quelque chose d’un poète ne sera jamais un parfait mathématicien." Weierstrass, cité in E.T. Bell, op. cit., p. 462 Contrairement à l’opinion “intuitive”, selon laquelle toute courbe continue admettrait nécessairement une tangente (sauf peut-être en un nombre fini de points), Weierstrass montre que toute fonction continue n’a pas nécessairement une dérivée:

Ex.: f(x) = Erreur !bn cos(an π x), avec a impair, b < 1 et ab > 1 + 3π/2. Nécessité également d’une définition rigoureuse de la notion de limite, moins intuitive que chez Cauchy. -> Arithmétisation de l’analyse: introduction du formalisme précis encore en vigueur aujourd’hui - la notion vague d’infinitésimal ayant désormais disparu de l’analyse. Richard Dedekind (1831,1916) Pour construire l’analyse sur l’arithmétique, il faut une définition du nombre, alors qu’on n’a toujours pas de définition des réels ! -> Introduction de la coupure par Dedekind en 1876. Georg Cantor (1845,1916)

“En dépit de la différence essentielle entre les concepts de l’infini potentiel et de l’infini réel, le premier signifiant une grandeur variable finie croissant au-delà de toute limite finie, tandis que le second est une grandeur constante, fixe, située au-delà de toutes les grandeurs finies, il n’arrive que trop souvent qu’on les confonde.”

Cantor (1986), cité in E.T. Bell, op. cit., p. 590

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“La théorie de Cantor me paraît le fruit le plus admirable de l’esprit mathématique et véritablement l’une des applications les plus sublimes des procédés intellectuels de l’homme.”

“Personne ne nous chassera du paradis que Cantor a créé pour nous.” Hilbert, cité in E.T. Bell, ibid., p. 613 Bibliographie E. T. Bell: Les grands mathématiciens, Payot, Paris 1961 29 chapitres biographiques, remis dans une perspective mathématique C. B. Boyer: The History of the Calculus and its Conceptual Developments, Dover, New-York 1959 Essai fouillé, principale base pour le présent chapitre C. B. Boyer: A History of Mathematics, J. Wiley, New York 1989 A. C. Crombie: Histoire des sciences de saint Augustin à Galilée, 2 tomes, PUF, Paris 1958 (Ch. V) A. Dahan-Dalmedico, J. Peiffer: Une histoire des mathématiques, Points-Sciences S49, Le Seuil, Paris 1986 J. Dieudonné: Pour l’honneur de l’esprit humain, Pluriel 8515, Hachette, Paris 1991 M. Kline: Mathematical Thought from Ancient to Modern Times, Oxford University Press, New York 1972 A. Koyré: Remarques sur les paradoxes de Zénon, inEtudes d’Histoire de la Pensée philosophiques, Tel 57, Gallimard, Paris 1981 Koyré: Bonaventura Cavalieri et la géométrie des continus, in Etudes d’Histoire de la Pensée scientifique, Tel 92, Gallimard, Paris 1992 Pascal: De l’esprit géométrique, GF 438, Flammarion, Paris 1985

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Géométries anti-euclidiennes et

géométries non-euclidiennes

Géométrie euclidienne Euclide

Si les angles formés par une droite tombant sur deux autres droites ne sont pas égaux, ces deux droites sont concourantes.

Cette formulation compliquée: le reflet d’une réflexion sur la portée de ce postulat, de tentatives de démonstrations ? Arabes Nombreuses tentatives de démonstration, notamment par Omar Khayyam, qui tente des démonstrations par l’absurde. Géométries “anti-euclidiennes” au XVIIIe siècle Saccheri (1667-1733) en 1733, Lambert (1728-1777) en 1766, Taurinus (1794-1874 en 1825-1826, cherchant également à démontrer par l’absurde le postulat d’Euclide, en viennent à construire une nouvelle géométrie. Si Saccheri est convaincu de sa non-consistance logique, Lambert et Taurinus semblent convaincus qu’ils ne pourront démontrer la fausseté de cette géométrie. Mais leur point de vue reste qu’elle est fausse, même si elle est consistante. Géométries hyperboliques Au début du XIXe siècle, de plus en plus de mathématiciens se convainquent donc qu’il n’est pas possible de démontrer le postulat des parallèles - mais à leurs yeux les géométries non-euclidiennes ne peuvent décrire le monde réel. La rupture n’est donc pas dans le développement d’une géométrie non-euclidienne, mais dans l’acceptation de la possibilité d’une telle géométrie. Karl Friedrich Gauss (1777-1855) - Le Prince des mathématiciens S’intéresse très tôt à la théorie des parallèles; vers 1813 développe cette

“étrange géométrie, tout à fait différente de la nôtre (...) entièrement conséquente en elle-même.” Gauss, cité in Dahan-Dalmedico et Peiffer, Une histoire des mathématiques, p. 154 Mais il ne publie pas (il publie d’ailleurs extrêmement peu):

“J’appréhende les clameurs des Béotiens si je voulais exprimer complètement mes vues.” Gauss, Lettre à Bessel, in Dahan-Dalmedico et Peiffer, ibid., p. 154 Selon lui, l’expérience doit dire quelle est la vraie géométrie. Il mesure la somme des angles d’un triangle

formé par trois sommets de montagnes, - égale à π dans les limites d’erreur. Nicolas Lobatchevski (1793-1856) Professeur à l’université de Kazan Publie à partir de 1826 en russe, en français et en allemand - Gauss en entend parler pour la première fois en

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1840. Jean Bolyai (1802-1860) Roumain, conçoit sa géométrie vers 1825 et publie en 1831, en annexe à un ouvrage de son père, ami de jeunesse de Gauss, et lui-même mathématicien, expert du “problème des parallèles” et profondément convaincu de la justesse de la géométrie euclidienne. La géométrie elliptique de Riemann (1826-1866) Elève de Gauss, se place dans le cadre de la géométrie différentielle, dans son mémoire Sur les hypothèses qui servent de fondement à la géométrie (1854). Dès lors, la situation change Après Riemann, Beltrami et Klein montrent qu’on peut réaliser un modèle des géométries non-euclidiennes sur une surface de courbure non nulle plongée dans l’espace euclidien (dans le cas elliptique: la sphère; dans le cas hyperbolique: la pseudosphère). Pour Riemann, l’espace est une variété à trois dimensions dont la métrique ne peut être déterminée que par l’expérience:

“Une grandeur de dimensions multiples est susceptible de différents rapports métriques, et l’espace n’est par suite qu’un cas particulier d’une grandeur de trois dimensions. Or il s’ensuit de là nécessairement que les propositions de la géométrie ne peuvent se déduire des concepts généraux de grandeur, mais que les propriétés par lesquelles l’espace se distingue de toute autre grandeur imaginable à trois dimensions ne peuvent être empruntées qu’à l’expérience.”

Riemann, cité in Dahan-Dalmedico et Peiffer, op. cit.., p. 159 Oppositions virulentes Dühring, populiste positiviste et matérialiste:

“insanité démentielle, semi-poésie et non-sens total, produit de l’hallucination mathématique, théorèmes et figures mystiques et délirants d’une pensée maladive (...) parties dégénérées du cerveau de Gauss.”

Cité in I. Toth, La révolution non-euclidienne, p. 247 Le grand logicien Gottlob Frege est un adversaire irréductible:

“Oserait-on qualifier d’astrologie les Eléments d’Euclide, cette oeuvre jouissant d’une autorité incontestable depuis plus de deux mille ans ? Mais, si on ne l’ose pas, alors c’est la géométrie non euclidienne qui doit être classée parmi les pseudosciences (astrologie, alchimie.”

Frege, cité in I. Toth, ibid. p. 251

“On ne peut servir deux maîtres à la fois; on ne peut servie à le fois le vrai et le faux. Si la géométrie euclidienne est vraie, alors la géométrie non-euclidienne est fausse; et si la géométrie non-euclidienne est vraie, alors c’est la géométrie euclidienne qui est fausse.”

Frege, cité in I. Toth, ibid. p. 263 L’enjeu C’est la nature même de la géométrie: abstraction de l’espace physique (cf. Aristote), science de l’espace (Descartes), émanation d’une intuition a priori (Kant) - ou construction de l’esprit humain. Les nouvelles géométries ont joué un rôle pour libérer les approches constructivistes, de Dedekind et Cantor, et les approches formalistes du début de ce siècle - violemment combattues par les “intuitionnistes”. Ainsi, Brouwer estime que Hilbert pourra arriver à son but de formalisation, mais que

“on n’obtiendra de cette manière rien qui ait quelque valeur mathématique; une théorie fausse qui n’est pas réfutée par une contradiction n’en est pas moins fausse; de même qu’une conduite criminelle qui n’est pas réprimée par les tribunaux n’en est pas moins criminelle.”

Brouwer, cité in E.T. Bell, Les grands mathématiciens, p. 613

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Bibliographie E. T. Bell: Les grands mathématiciens, Payot, Paris 1961 C. B. Boyer: A History of Mathematics, J. Wiley, New York 1989 A. Dahan-Dalmedico, J. Peiffer: Une histoire des mathématiques, Points-Sciences S49, Le Seuil, Paris 1986 J. Dieudonné: Pour l’honneur de l’esprit humain, Pluriel 8515, Hachette, Paris 1991 M. Kline: Mathematical Thought from Ancient to Modern Times, Oxford University Press, New York 1972 I. Toth: La révolution non-euclidienne, in La Recherche en histoire des sciences, Points-Sciences S37, Le Seuil, Paris 1983

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Chimie (De l’alchimie à la chimie positiviste

du XIXe siècle) La “Reine des Sciences”, au XIXe siècle: rationalité et utilité sociale. Essayer de voir son histoire comme histoire de la définition de son champ, de son objet, de ses pratiques, qui la fondent comme science, et comme spécifique.

La chimie d’avant la chimie

Aux sources: savoirs pratiques et alchimie Deux sources sont traditionnellement invoquées, qui sont étroitement liées: l’alchimie est une élaboration spirituelle sur les savoirs pratiques, lesquels sont eux-mêmes imprégnés de spiritualité. chimie pratique Teinturerie, médicaments, céramique, métallurgie. L’ésotérisme imprègne la transmission de ces savoirs pratiques: secret, initiation, purification. Ainsi de la métallurgie: les métaux croissent, mûrissent au sein de la Terre-Mère. Cette opération est “hâtée” par le feu. Pour l'alchimie, il y a correspondance entre transmutation en or et immortalité, l'élixir donnant un pouvoir sur le temps. alchimie Orient (Chine, Inde); Alexandrie; Arabes (Geber); Occident médiéval (R. Bacon); Renaissance. Dans le prolongement des techniques, une discipline ésotérique:

Les premiers historiens des sciences cherchaient dans les textes alchimiques les observations de phénomènes chimiques ou les découvertes qu’ils auraient pu contenir. Mais une telle démarche équivaudrait à juger et à classifier les grandes oeuvres poétiques selon leur justesse historique, leurs préceptes moraux ou leurs implications philosophiques. (...)

(...) Dans toutes les cultures où l’alchimie est présente, elle y est toujours intimement liée à une

tradition ésotérique ou “mystique”: en Chine avec le taoïsme; en Inde: le yoga et le tantrisme; dans l’Egypte hellénistique: la gnose; dans les pays islamiques: les écoles mystiques de l’hermétisme et de l’ésotérisme; en Occident pendant le Moyen Age et la Renaissance: l’hermétisme, le mysticisme chrétien et sectaire, et la cabale. En résumé, tous les alchimistes déclarent que leur art est une technique ésotérique, qui poursuit des buts semblables ou comparables à ceux des grandes traditions ésotériques et “mystiques”.

M. Eliade, Le mythe de l’alchimie, pp. 9-11. L’alchimie n’est donc pas l’ancêtre de la chimie. Elle contient aussi un corpus de savoirs pratiques (bien que pas extrêmement riche), mais n’est pas une “pré-science”.

Renaissance et naissance de la science moderne Renaissance = période antirationnelle, marquée par la “redécouverte” des Anciens (tradition du “secret caché” de l’alchimie). -> immense engouement et très grande diffusion de l’alchimie, philosophie optimiste (réinterprétée dans un sens christologique - voir aussi les sectes, par exemple les Rose-Croix au début du XVIIe siècle).

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D’autre part, développement à la Renaissance des techniques, notamment métallurgiques et minières, et chimie “pharmaceutique” (Paracelse: 1493,1541), qui contribuent à l'intérêt pour l’alchimie, et en même temps à l'accumulation de savoirs. Au XVIIe siècle, développement de l’expérimentation, notamment dans les Académies: - Jean Rey (1630), à Bergerac: combustion - Royal Society. Remarquer que de nombreux “pères fondateurs” de la science moderne au XVIIe siècle sont plus ou moins frottés d’alchimie: Van Helmond (les “gaz”), Boyle, Newton. Boyle préconisant la libre circulation des secrets médicaux et alchimiques, Newton écrit au secrétaire de la Royal Society en demandant que Boyle garde “le secret le plus absolu en cette matière” (M. Eliade, Le mythe de l’alchimie, p. 30). Voir encore la parenté profonde existant probablement chez Newton entre les “forces” de la gravitation et les “forces” alchimiques, et d’autre part sa recherche des “vrais secrets” dans sa quête ésotérique embrassant l’alchimie et l’exégèse. La “révolution scientifique” newtonienne n’est pas celle que Newton avait rêvée...

L’essor du XVIIIe siècle Avant 1700: 12 corps simples connus: antimoine, argent, arsenic, carbone, cuivre, étain, fer, mercure, or, phosphore, plomb, soufre. Au XVIIIe siècle, 21 corps simples supplémentaires, en particulier de nouveaux gaz (Cavendish (1731,1810), Priestley (1734,1804), Lavoisier): hydrogène, oxygène, azote, chlore, fluor. Phlogistique et “principes” A la fin du XVIIIe siècle, certains chimistes s’en tiennent encore aux 4 éléments d’Aristote. Mais théorie plus avancée du “phlogistique” de Stahl (1660-1734), principe du feu, qui se dégage lors de la combustion S’y ajoutent d’autres “principes”: mercure, sel, chaux, ... Rôle positif de la théorie du phlogistique: nombreuses expériences sur la combustion, menées systématiquement. Les “affinités” D’autre part, influence newtonienne -> chercher non à expliquer, mais à mesurer la “force chimique”,

s’exerçant entre corpuscules newtoniens (différentes versions de cette force: loi différente de 1/r2, ou en 1/r2 mais effets dus à la forme des atomes, etc.) -> tables d’affinités. Intérêt de ce point de vue: fonder la spécificité de la chimie, à l’intérieur de la scientificité. Engouement Expérimentation dans les cabinets et les salons mondains; succès des “démonstrations” de Lémery à Paris au XVIIIe siècle. L’enthousiasme de Diderot pour la richesse du monde matériel:

“Que m’importe ce qui se passe dans votre tête! Que m’importe que vous regardiez la matière comme homogène ou comme hétérogène! Que m’importe que, faisant abstraction de ses qualités, en ne considérant que son existence, vous la voyiez au repos! Que m’importe qu’en conséquence vous cherchiez la cause qui la meuve! Vous ferez de la géométrie et de la métaphysique tant qu’il vous plaira; mais moi qui suis physicien et chimiste, qui prends les corps dans la nature et non dans ma tête, je les vois existants, divers, revêtus de propriétés et d’action, et s’agitant dans l’Univers comme dans le laboratoire.”

Diderot, Principes philosophiques sur la matière et le mouvement , 1770, in I. Stengers, L’affinité ambiguë, p. 308

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La révolution lavoisienne La chimie en attente d’une révolution

“(La chimie est) en attente (du) nouveau Paracelse (qui opérera) une révolution qui placerait la Chymie dans le rang qu’elle mérite, qui la mettrait au moins à côté de la physique calculée. (...) Se trouvant dans une position favorable et profitant habilement des circonstances heureuses, (il) saurait réveiller l’attention des savants, d’abord par une ostentation bruyante, par un ton décidé et affirmatif, et ensuite par des raisons, si ses premières armes avaient entamé le préjugé.”

Venel, article Chymie de L’Encyclopédie, 1753, in I. Stengers, ibid., p. 309 Lavoisier et la chimie de la combustion Antoine Laurent de Lavoisier (1743,1794), homme fortuné, économiste, expérimentateur, sera ce “nouveau Paracelse”. En 1772, dépose un pli cacheté à l’Académie, à ouvrir 6 mois plus tard quand ses recherches seront plus avancées. La combustion y est expliquée par l’action de l’air (l’oxygène, “air déphlogistiqué” découvert par Priestley en 1773): c’est ce qu’indiquent les mesures pondérales (la ”révolution de la balance”). Fixation de l’oxygène, au lieu du dégagement du phlogistique: ce simple renversement est perçu comme une révolution, alors que pourtant Lavoisier ne dit rien sur les principes ou les affinités. Mais Lavoisier entend donner à ce renversement une portée fondamentale, en construisant un nouveau système de la chimie:

“Je prie mes lecteurs, en commençant ce mémoire, de se dépouiller autant qu’il est possible de tout préjugé: de ne voir dans les faits que ce qu’ils présentent, d’en bannir tout ce que le raisonnement y a supposé, de se transporter aux temps antérieurs à Stahl, et d’oublier pour un moment, s’il est possible, que sa théorie a existé.”

Lavoisier, Réflexions sur le phlogistique, 1783, in B. Bensaude-Vincent, Lavoisier: une révolution scientifique, p. 373 En 1785: spectaculaire démonstration de l’analyse et de la synthèse de l’eau, qui n’est donc pas un élément. Adhésions en série de ceux qui seront ses collaborateurs plus tard. La réforme de la nomenclature En 1787, avec Berthollet (1748,1822), Fourcroy (1755,1809), Guyton de Morveau (1736,1816), Lavoisier s’engage dans une “action de sape en profondeur”: la réforme de la nomenclature, irrationnelle, compliquée, multiforme. Il s'agit de forger une langue artificielle, claire, fondée sur sa théorie, qui est encore essentiellement la nôtre.

Noms anciens Noms nouveaux

{Acide du soufre,Acide vitriolique,Huile de vitriol,Esprit de vitriol

Acide sulfurique, , ,

{Diane,Lune,Argent Argent, , , Kermès minéral Oxide d’antimoine sulfuré rouge Orpiment Oxide d’antimoine sulfuré jaune

{Oxigine,Base de l’air vital,Principe acidifiant Oxigène, , , Phlogistique Principe hypothétique de Stahl Safran de Mars Oxide de fer”

Lavoisier, Méthode de la nomenclature chimique, 1787, in B. Bensaude-Vincent, ibid., p. 374 Double rupture: - avec le passé, avec la “langue naturelle” - cf. la “Novlangue” d’Orwell (1984). - rupture sociale entre la chimie académique, scientifique, et la chimie artisanale des droguistes et des teinturiers. Pour accélérer la diffusion de sa nomenclature, Lavoisier fonde en 1787 avec Monge, Berthollet, Fourcroy, Guyton de Morveau et quelques autres les Annales de chimie, distribuées en France et en Angleterre.

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La définition du programme: la recherche des éléments Publié en 1789, le Traité élémentaire de chimie est présenté comme une suite logique et nécessaire de la nomenclature. C’est un traité, vraiment élémentaire, que Lavoisier destine explicitement aux “commençants” plutôt qu’aux savants: il entend labourer une terre vierge... Lavoisier y formule son programme: analyser les corps, les décomposer en éléments. Par contre, son traité ne discutera ni les affinités, ni les “constituants ultimes”, considérés comme métaphysiques:

"Tout ce qu’on peut dire sur le nombre et sur la nature des éléments se borne suivant moi à des

discussions purement métaphysiques; ce sont des problèmes indéterminés, susceptibles d’une infinité de solutions, mais dont il est très probable qu’aucune en particulier n’est d’accord avec la nature.

Je me contenterai donc de dire que si par le nom d’éléments nous entendons désigner les molécules simples et indivisibles qui composent les corps, il est probable que nous ne les connaissons pas:

que si, au contraire, nous attachons au nom d’éléments, ou de principes des corps, l’idée du dernier terme auquel parvient l’analyse, toutes les substances que nous n’avons encore pu décomposer par aucun moyen sont pour nous des éléments; non pas que nous ne puissions assurer que ces corps que nous regardons comme simples ne soient eux-mêmes composés de deux ou même d’un plus grand nombre de principes, mais puisque ces principes ne se séparent jamais, ou plutôt puisque nous n’avons aucun moyen de les séparer, ils agissent à notre égard à la manière des corps simples, et nous ne devons les supposer composés qu’au moment où l’expérience et l’observation nous en auront fourni la preuve."

Lavoisier, Traité élémentaire de chimie, 1789, in B. Bensaude-Vincent, ibid., p. 377 La vraie originalité n’est pas dans l’énoncé même de la définition moderne de l’élément, mais dans la place centrale qui lui est attribuée. Ce programme lavoisien est couronné par une explosion de découverte de nouveaux éléments au XIXe siècle: 24 de 1800 à 1850, notamment grâce à l’électrolyse (Davy) 24 de 1850 à 1899, notamment grâce à la spectroscopie (Bunsen, Kirchhoff). La révolution lavoisienne Lavoisier est élu en 1789 à la Commune de Paris, parmi les modérés. Il participe à la Commission des Poids et Mesures, essaie de préserver l’Académie, dissoute en 1793. Il est condamné et guillotiné avec les autres fermiers généraux au printemps de 1794. On a prêté à Fouquier-TInville le mot apocryphe: “la République n’a pas besoin de savants”. En fait, ceux-ci ont plutôt prospéré sous la République et l’Empire - cf. Berthollet, participant à l’expédition d’Egypte, fondateur avec Laplace de la Société d’Arcueil

A bien des égards, l’entreprise lavoisienne illustre les thèmes favoris du siècle des Lumières: renversement de la tradition, appel au naturel, rationalisation du langage, jusqu’à l’idée de révolution introduite dans la littérature scientifique par Fontenelle puis banalisée dans l’Encyclopédie de Diderot.

Mais l’originalité de la révolution accomplie par Lavoisier tient, me semble-t-il, dans l’importance accordée à une tâche, spécifiquement administrative à l’origine, le contrôle.

Le succès de Lavoisier repose sur des contrôles démultipliés: contrôle des objectifs: la chimie n’a d’autre but que l’analyse; contrôle de la pratique par la balance; de la théorie par des concepts forgés au miroir de l’expérience; du langage par la réforme de la nomenclature; de l’avenir, par le Traité élémentaire, qui permet de former, en peu de temps, des armées de chimistes compétents; contrôle du passé, enfin, grâce à une philosophie qui justifie l’amnésie.

Ainsi Lavoisier n’a pas seulement renouvelé la réalité du travail des chimistes, il a transformé leur image en remodelant leur histoire. Effacer les traces, balayer les devanciers, tels sont les gestes qui façonnent la statue du fondateur et permettent le contrôle de l’imaginaire d’une science.

B. Bensaude-Vincent, ibid, p. 385

Chimie industrielle et chimie académique au XIXe siècle La chimie est la science-type du XIXe siècle: - la chimie scientifique moderne est fondée par la révolution lavoisienne;

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- la chimie industrielle explose, à partir du début du XIXe siècle: fabrication industrielle de la soude (nécessaire pour l’industrie textile, la sidérurgie, la savonnerie, etc.) par Nicolas Leblanc (1742,1806). L’impact sans pareil de la chimie est dû à l’unité réussie de la chimie industrielle et de la chimie académique: - dès la Révolution et sous l’Empire, les grands chimistes académiques plongent dans la pratique: Berthollet s’occupe de la récolte du salpêtre, Chaptal (1756,1832) étudie la fermentation, Thénard (1777,1857), Gay-Lussac (1778,1850) sont conseillers de l’industrie. - cette tradition se répand, notamment en Allemagne, s’élargit encore avec le formidable essor de la chimie organique (production artificielle de l’urée en 1828): des générations de chimistes de l’industrie sont formés dans les grands laboratoires de Liebig (1803,1873) et Baeyer (1835,1917). La chimie, archétype de la science positive, devient l’étendard de l’enthousiasme scientiste qui voit en elle l’union des beautés du savoir et de l’utilité sociale.

Le débat de l’atomisme Rétrospectivement, deux grandes questions traversent l’histoire de la chimie au XIXe siècle, en-dehors du développement de la chimie organique: - le développement de la thermodynamique chimique, en particulier de la cinétique chimique; - le débat sur l’atomisme, et accessoirement la classification des éléments. Par ailleurs, et en filigrane notamment à travers le débat sur l’atomisme, se pose la question du statut de la chimie comme science, par rapport à la “physique calculée”. La tradition atomiste L’atomisme antique est une hypothèse sur la nature du réel, permettant de concilier critique éléate et devenir; elle a aussi une portée philosophique: ne pas craindre les dieux. Cette tradition se prolonge à la Renaissance et dans les temps modernes, en opposition violente avec le dogme de l’eucharistie, central dans le catholicisme post-tridentin. cf. G. Bruno, Galilée; cf. Newton. Ces considérations ne forment qu’un arrière-plan lointain quand John Dalton (1766,1844) formule en 1805 l’hypothèse atomique pour rendre compte de la loi de Proust. Hypothèse atomiste et “équivalents” 1802: loi des proportions définies de Proust (1754,1826): Une proportion définie d’hydrogène s’unit à l’oxygène, au soufre, au carbone, au phosphore, à l’azote -> détermination du poids atomique: H = 1, HO = 8 -> O = 7, C = 6, N = 5. 1805: hypothèse atomique de Dalton, pour rendre compte de la loi de Proust. 1808: Gay-Lussac: loi sur les gaz: les volumes de gaz se combinent dans des rapports simples. 1811: Amedeo Avogadro (1776,1856): un volume donné de gaz contient un nombre donné de molécules. Les hypothèses de Dalton et Avogadro sont simples et séduisantes à première vue. Cependant, il faut: 1. déterminer la composition d’une substance, exprimée en pourcentage d’éléments: seule détermination expérimentale 2. trouver les poids atomiques en termes relatifs 3. trouver la formule chimique -> il faut une hypothèse supplémentaire: “règle de simplicité”

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- ces hypothèses semblent arbitraires - relents philosophiques de l’atomisme => les chimistes préfèrent s’en tenir aux “poids équivalents”, directement inférés de l’expérience (Wollatson 1814). De nouveaux résultats expérimentaux confirment à nos yeux l’hypothèse atomique, mais sont perçus à l’époque comme confortant le point de vue équivalentiste, qui est jugé suffisant: 1819: loi de Dulong et Petit: le produit de la masse par la chaleur spécifique est constant. 1819: Mitscherlich: les corps cristallisant sous des formes géométriques semblables ont des formules similaires. 1833: Faraday: électrolyse: une même quantité d’électricité traversant différents électrolytes les décompose en “masses chimiquement équivalentes”. Science positive, science positiviste En 1836, J.-B. Dumas (1800-1884), influent chimiste français, exprime en toute clarté le repli positiviste - lié notamment au fait que des difficultés sont apparues, parce qu’on suppose à tort que les vapeurs des différents corps ont toutes la même structure moléculaire.

Vous le voyez, messieurs, que nous reste-t-il de l’ambitieuse excursion que nous nous sommes permise dans la région des atomes? Rien, rien de nécessaire du moins.

Ce qui nous reste, c’est la conviction que la chimie s’est égarée là, comme toujours, quand, abandonnant l’expérience, elle a voulu marcher sans guide au travers des ténèbres.

L’expérience à la main, vous trouvez les équivalents de Wenzel, les équivalents de Mitscherlich, mais vous cherchez vainement les atomes que votre imagination a pu rêver en accordant à ce mot consacré malheureusement dans la langue des chimistes une confiance qu’il ne mérite pas. (...)

Si j’en étais le maître, j’effacerais le mot atome de la science, persuadé qu’il va plus loin que l’expérience; et jamais en chimie nous ne devons aller plus loin que l’expérience.

J.-B. Dumas, Septième leçon au Collège de France, 1836, in B. Bensaude-Vincent et C. Kounelis, Les Atomes, une anthologie historique, p. 142 A tout prendre, Dumas envisage qu’il existe des “atomes des chimistes”, différents des “atomes des physiciens”, qui se manifestent par la chaleur spécifique:

Si l’on veut se laisser aller aux suppositions, on sera disposé à penser que la chaleur spécifique se rapporte aux vrais atomes, aux dernières particules des corps.

Ceci admis, l’on conçoit très bien comment les atomes chimiques pourront être exprimés par des nombres quelquefois égaux à ceux qui représenteraient ces dernières particules, et d’autres fois par des nombres plus forts ou plus petits, selon l’unité adoptée.

Pour me faire facilement comprendre, je supposerai pour un moment qu’il y ait, par exemple, dans un atome chimique de soufre, de cuivre, de zinc, etc., 1 000 atomes du dernier ordre.

J.-B. Dumas, ibid., p. 134 Le point de vue positiviste sert ici à affirmer la spécificité de la chimie: non seulement, celle-ci ne s’occupe pas de spéculations, mais les objets mêmes qu’elle étudie lui sont propres. Quarante ans plus tard, Marcelin Berthelot (1827-1907) reprend le même type d’argumentation:

La définition de l’équivalent est une notion claire, susceptible, en général, d’être réalisée par des expériences précises. Il n’en est pas de même de la définition de l’atome, qui repose tantôt sur la notion d’équivalence déguisée; tantôt sur la notion de la molécule gazeuse, ce qui est une pétition de principe; tantôt sur la notion de la chaleur spécifique des éléments solides, quantité variable et qui ne peut servir de base à une définition rigoureuse. (...)

Hypotheses non fingo, disait Newton; ce qui signifie que la Science doit être formulée par des lois et non par des hypothèses. En effet, les lois peuvent être proposées, discutée, établies d’une manière définitive; elles sont alors le fondement solide d’une science qui se développe sans cesse, suivant des formules et un langage acceptés de tous.

Eh bien! c’est cette situation heureuse que la Chimie n’a pas encore réussi à réaliser, comme l’ont fait la Physique et l’Astronomie. Certes la chimie, elle aussi, possède des lois, des vérités générales, aussi nettes, aussi bien établies que celles des astronomes et des physiciens. Mais diverses personnes refusent de prendre ces lois comme le point de départ de notre science, et sa seule base légitime.”

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M. Berthelot, Réponse à la note de M. Wurtz, 1877, in B. Bensaude-Vincent et C. Kounelis, ibid., p. 177 Professeur de chimie organique au Collège de France, sénateur inamovible en 1881, ministre de l’Instruction publique, puis des Affaires étrangères, il est le symbole même des liens entre la science, la bourgeoisie industrielle et la politique. Son influence bloquera durablement le progrès des idées atomistes en France. Cependant, le point de vue atomiste, longtemps bloqué, revient progressivement, notamment à cause des progrès de la chimie organique et de la nécessité de remettre un peu d’ordre dans la nomenclature (19 formules différentes pour l’acide acétique!). -> Congrès de Karlsruhe, en 1860: premier congrès scientifique international, animé notamment par Kekulé (Allemand, professeur à l’université de Gand, qui a découvert la formule du benzène). Aucune décision n’est prise, mais le Congrès marquera de nombreux participants - dont Mendeleïev. L’offensive anti-matérialiste de l’énergétisme Maxwell (1831-1879) et Boltzmann (1844-1906) sont de fermes partisans de l’atomisme. Au tournant du siècle, une nouvelle offensive anti-atomiste est lancée par Ostwald (1853-1932), soutenu notamment par E. Mach, par le chimiste Avenarius, en France par le physicien P. Duhem, au nom de la lutte contre le “mécanisme”: c’est la doctrine de l’”énergétisme”. Elle a de fortes connotations philosophiques et politiques. En butte à l’hostilité générale, déprimé, Boltzmann se suicidera.

“Alors, dira-t-on, s’il faut renoncer aux atomes, à la mécanique, quelle image de la réalité nous restera-t-il? Mais on n’a besoin d’aucune image, d’aucun symbole. (...) Etablir des rapports entre des réalités, c’est-à-dire des grandeurs tangibles, mesurables, de telle sorte que, les unes étant données, les autres s’en déduisent, voilà la tâche de la science et la science ne l’a pas remplie quand elle se paie d’une image plus ou moins hypothétique. (...)

Si le monde extérieur ne se révèle à nous que par des rapports d’énergie, par quel motif vouloir y loger quelque chose que nous n’avons jamais pu percevoir? Pourtant, objectera-t-on, l’énergie n’est qu’une idée, une abstraction, tandis que la matière est la réalité. C’est justement tout le contraire. La matière est une invention, assez imparfaite d’ailleurs, que nous nous sommes forgée pour nous représenter ce qu’il y a de permanent dans toutes les vicissitudes. La réalité effective, c’est-à-dire celle qui fait effet sur nous, c’est l’énergie.”

W. Ostwald, La déroute de l’atomisme contemporain, 1895, in B. Bensaude-Vincent et C. Kounelis, ibid., p. 216

“Si aujourd’hui un physicien ou un chimiste veut se monter homme de progrès, il déclare que la matière et l’énergie sont deux entités semblables ou parallèles, et il définit les sciences physiques comme les sciences de la transformation de ces deux choses indestructibles, la matière et l’énergie (...). Le dualisme matière - énergie lui-même peut être supprimé, attendu que la notion de matière est une notion qui n’est même pas particulièrement heureuse.

Bien entendu, le dualisme esprit - matière disparaît du même coup, et la question se pose de savoir quelle est la relation de l’énergie avec l’esprit. Eh bien ! - et c’est le progrès le plus considérable qui ait été réalisé dans cet ordre d’idées - au regard de la science ces deux notions sont de même espèce, et la notion d’esprit se fond dans celle d’énergie.”

W. Ostwald, L’Energie, in R. Dugas, La théorie physique au sens de Boltzmann et ses prolongements modernes, p. 85

“Je puis dire, en vérité, que je suis demeuré le seul parmi ceux qui embrassaient en toute ferveur les théories anciennes; du moins suis-je le seul à combattre encore en leur faveur, dans la mesure de mes moyens. Je considère comme la tâche de ma vie de contribuer, dans toute la mesure de mes forces, à une extension aussi claire et aussi logique que possible des résultats de la théorie classique. Je suis convaincu que celle-ci recèle encore de nombreuses richesses utilisables pour l’avenir, et de la nécessité d’éviter d’avoir à les redécouvrir, comme cela s’est déjà produit dans le domaine de la science.”

L. Boltzmann, Sur le développement des méthodes de la physique théorique à l’époque nouvelle, 1899, in R. Dugas, op. cit., p. 110 “Pour la liberté et pour la matière!” La riposte de Marcel Brillouin:

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Je crois qu’il est temps maintenant de réclamer un peu pour cette pauvre matière que nous ne connaissons que par ses qualités, je le veux bien, mais dont nous ne connaîtrions guère les qualités si elle n’existait pas. Et, après tout, que connaîtrions-nous donc, si nous ne nous permettions pas de conclure des qualités, et, en particulier, de celles qui se révèlent par des formes variées de l’énergie, à une substance qui possède ces qualités? Et n’est-il pas aussi utile pour la clarté et la brièveté de langage, que pour la netteté des conceptions, d’accorder quelque crédit à l’existence de la matière?

M. Brillouin, Pour la matière, 1895, in B. Bensaude-Vincent et C. Kounelis, ibid., p. 228 “La théorie atomique a triomphé” En 1911, Jean Perrin (1870-1942) publie Les Atomes: il y donne treize méthodes différentes et concordantes de calculer le nombre d’Avogadro (viscosité, chaleur spécifique, mouvement brownien, rayonnement)! Enfin, la théorie atomique triomphe. Mach se rallie...

La théorie atomique a triomphé. Encore nombreux naguère, ses adversaires enfin conquis renoncent l’un après l’autre aux défiances qui, longtemps, furent légitimes et sans doute utiles. C’est au sujet d’autres idées que se poursuivra désormais le conflit des instincts de prudence et d’audace dont l’équilibre est nécessaire au lent progrès de la science humaine.

J. Perrin, Les atomes, p. 284 Bibliographie B. Bensaude-Vincent: Lavoisier: une révolution scientifique, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris 1989 B. Bensaude-Vincent: Mendeleïev: histoire d’une découverte, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris 1989 B. Bensaude-Vincent et C. Kounelis (présentation de):Les Atomes, une anthologie historique, Agora Classiques, Presses Pocket, 1991 B. Bensaude-Vincent et I. Stengers: Histoire de le chimie, La Découverte, Paris 1993 M. Daumas: Histoire de la Science, Encyclopédie de la Pléiade (1955) R. Dugas: La théorie physique au sens de Boltzmann et ses prolongements modernes Le Griffon, Neuchâtel et Dunod, Paris 1959 L’atomisme de Boltzmann et sa lutte contre l’énergétisme; la mécanique statistique M. Eliade: Le mythe de l’alchimie, Biblio Essais 4157, Le Livre de Poche, L’Herne, Paris 1992 M. Eliade: Forgerons et alchimistes, Champs 12, Flammarion, Paris 1977 J. Perrin: Les atomes, Champs, Flammarion, 1991 J. Rosmorduc: Une histoire de la physique et de la chimie, Points-Sciences S47, Le Seuil, Paris 985 I. Stengers: L’affinité ambiguë: le rêve newtonien et la chimie du XVIIIe siècle, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris 1989 B. Vidal: Histoire de la chimie, Que sais-je ? PUF, 1985

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Physique du XXe siècle

Le progrès de la science ne s’accomplit pas seulement en ce sens que nous apprenons à connaître et à comprendre des faits nouveaux, mais également en ce sens que nous apprenons sans cesse ce que signifie le mot ‘comprendre’

W. Heisenberg, La partie et le tout, p. 173 En raccourci: la physique de la première moitié du XXe siècle - foisonnement de nouveaux phénomènes surtout en physique microscopique: radioactivité et physique nucléaire - effort théorique menant à une compréhension différente du monde physique: relativité mécanique quantique - impact social sans précédent retombées médicales (radiothérapie), militaires (Hiroshima), économiques (énergie) impact philosophique des nouvelles théories (Einstein) - nouvelle organisation de la science naissance de la big science nouveaux types d’institutions (Laboratoire Cavendish, Institut du Radium, CNRS, ...) Etat de la physique à la fin du XIXe siècle - gravitation newtonienne - électromagnétisme: Ampère 1820-1827 Faraday: champs 1830 Maxwell: première unification: théorie électromagnétique de 1864 Hertz 1887: confirmation: ondes électromagnétiques (et décharges facilitées en présence de lumière UV) - thermodynamique machinisme -> théorie des machines à feu - S. Carnot thermodynamique: conservation de l’énergie -> impossibilité du mouvement perpétuel de premier type augmentation de l’entropie -> impossibilité du mouvement perpétuel de second type mécanique statistique: Maxwell - structure de la matière l’atomisme est toujours contesté ! Contexte idéologique: - scientisme triomphant - mis en question par la réaction “ignorabimus” (“nous ignorerons”, Dubois-Reymond) et l’énergétisme (Ostwald, Mach). Mais dans l’ensemble:

La science physique forme aujourd’hui, pour l’essentiel, un ensemble parfaitement harmonieux, un ensemble partiquement achevé.

Lord Kelvin Kelvin relève cependant “deux nuages”: les difficultés liées d’une part à la théorie de l’éther, d’autre part à l’étude du rayonnement. Il allait en sortir ... la théorie de la relativité et la mécanique quantique.

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La physique nucléaire Rayons X Etudes du rayonnement cathodique (tubes de Crookes) -> électron (J.J. Thomson, 1897) 1895 Röntgen: Rayons X découverts “par hasard” - impact médical immédiat Radioactivité 1896 Becquerel: étude de la phosphorescence -> découvre la radioactivité 1898 Pierre Curie (1859-1906) et Marie Sklodowska-Curie (1867-1934): polonium, radium 1899 Rutherford: rayonnement alpha et bêta 1902 Ra isolé 1911 Rutherford: découverte du noyau de l’atome 1913 Soddy: isotopie 1917 Rutherford: premières désintégrations artificielles Le mythe Curie Leur acharnement, leurs conditions de travail. Première femme docteur en Sorbonne; son mérite scientifique propre. Prix Nobel partagé en 1904; la célébrité. Discours de Pierre; ses inquiétudes prémonitoires:

“On peut concevoir encore que, dans des mains criminelles, le radium puisse devenir très dangereux, et ici l’on peut se demander si l’humanité a avantage à connaître les secrets de la Nature, si elle est mûre pour en profiter, ou si cette connaissance ne lui est pas nuisible. L’exemple des découvertes de Nobel est caractéristique: les explosifs puissants ont permis aux hommes de faire des travaux admirables. Ils sont aussi un moyen terrible de destruction entre les mains des grands criminels qui entraînent les peuples vers la guerre. Je suis de ceux qui pensent, avec Nobel, que l’humanité tirera plus de bien que de mal des découvertes nouvelles.”

P. Curie, Conférence Nobel, 1905, in R. Reid, Marie Curie, p. 142 La mort de Pierre; l’affaire Langevin en 1911 et le déchaînement des passions nationales et antiféminines. Echec à l’Académie des Sciences; deuxième Prix Nobel, en 1911. Engagement pendant la guerre 14-18 Campagne aux USA en 1921. L’Institut du Radium. Les bases de la science nucléaire française. F. Joliot et I. Curie (radioactivité artificielle, 1934)

Einstein et la Relativité Relativité restreinte Electromagnétisme de Maxwell pas invariant pour la relativité galiléenne -> transformations de Lorentz (1904). Leur statut ? Poincaré 1905 Einstein: Sur l’électrodynamique des corps en mouvement - invariance de l’électromagnétisme - constance de c, postulée par Einstein (pourtant expérience de Michelson 1881; de Michelson et Morley 1887) -> renonce à l’espace-temps absolu de Newton et de Kant -> notoriété scientifique - et aussi autres articles: mouvement brownien, mécanique des quanta -> Prague, Zurich, Berlin Guerre 14-18: pacifiste <-> déclaration des savants allemands

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Relativité générale 1916: masse inerte / masse pesante (cf. Newton !) 3 prédictions: - périhélie de Mercure - déplacement des raies spectrales - déviation des rayons lumineux - éclipses de 1919

"C'était (Max Planck) un des êtres les plus intelligents que j'aie jamais connus; mais ... pendant l'éclipse de 1919, il est resté debout toute la nuit pour voir si elle allait confirmer la déviation de la lumière dans le champ gravitationnel du Soleil. S'il avait vraiment compris la façon dont la théorie de la relativité générale explique l'équivalence de la masse inerte et de la masse gravitationnelle, il serait allé se coucher comme moi."

A. Einstein, in F. Balibar, Galilée, Newton lus par Einstein, p. 46 La gloire

L'enthousiasme manifesté par le grand public lors de l'arrivée d'Einstein à New-York (en 1921) est un événement dans l'histoire de la culture au XXe siècle.

P. Frank, Einstein, sa vie, son temps, p. 270 Au service de la réconciliation des peuples

“On m'appelle aujourd'hui en Allemagne un homme de science allemand, tandis qu'en Angleterre je suis présenté comme un Juif suisse. Si je viens à être tenu pour une bête noire, les termes seront renversés: je deviendrai un juif suisse pour les Allemands et un Allemand pour les Anglais.”

A. Einstein, le 28/11/1919, à Londres, in P. Frank, ibid., p. 222 Visite en France, en 1922, sur l’invitation de Langevin. L’Académie refuse de le recevoir... ... et la haine

"Nous devons reconnaître qu'il est indigne d'un Allemand d'être le suiveur intellectuel d'un Juif. Les sciences de la nature proprement dites sont d'origine aryenne et les Allemands doivent aujourd'hui encore découvrir leur propre chemin à travers l'inconnu. Heil Hitler! “

P. Lenard, 1935, in P. Frank, ibid., p. 341

Tout comme l'enthousiasme général pour sa théorie est un phénomène surprenant dans l'histoire des sciences, de même la persécution d'un homme qui promouvait de si abstraites théories reste très énigmatique.

P. Frank, ibid., p. 339 1932: Belgique, USA (Princeton) Aide aux savants allemands émigrés (20 Prix Nobel), notamment par Rutherford, Bohr.

En 1934, lorsque Bernhardt Rust, le nouveau ministre de la Science, de l’Education et de la Culture populaire du Reich, demanda au mathématicien David Hilbert si son institut de Göttingen avait vraiment souffert du départ des Juifs et des Judenfreunde, celui-ci lui répondit: ‘Souffert ? Mais il n’a pas souffert, monsieur le ministre ! Il n’existe plus’

J. Olff-Nathan, La science sous le Troisième Reich, p. 8 L’engouement du public - fascination nouvelle pour la science et la technique - cf. Marie Curie aux USA. - idéologie relativiste:

“Chaque philosophe a eu tendance, ce qui n'est pas rare à l'occasion d'une théorie scientifique nouvelle, à interpréter l'oeuvre d'Einstein en accord avec son propre système métaphysique et à suggérer qu'il en résulte un grand renforcement des idées que le philosophe en question a jusqu'alors soutenues."

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B. Russel, in P. Frank, ibid., p. 364

"Si l'idée de temps comme quatrième dimension est valable, alors la différence entre cette vie mortelle et "‘'autre vie’ n'est pas une différence dans le temps ni dans la qualité de la vie. C'est seulement une différence dans notre conception de celle-ci,- notre aptitude à la voir tout entière. Quand nous sommes limités à notre compréhension tridimensionnelle, c'est la vie mortelle. Là où nous l'apercevons dans les quatre dimensions, c'est la vie éternelle."

Le directeur du département de théologie d'un collège anglais à l'étranger, cité in P. Frank, ibid., p. 384 Théorie et expérience

"Pour autant que la géométrie est certaine, elle ne nous dit rien du monde réel; et pour autant qu'elle nous dit quelque chose touchant notre expérience, elle est incertaine"

A. Einstein, devant l'Académie de Prusse, janvier 1921, in P. Frank, ibid., p. 266

"Les savants de ce temps (XVIIIe et XIXe siècles) étaient pour la plupart convaincus que les lois ou les concepts fondamentaux de la physique n'étaient pas, au point de vue de la logique, de libres inventions de l'esprit humain, mais qu'ils étaient plutôt déduits de l'expérience par abstraction par un processus logique. Ce fut la théorie de la Relativité généralisée qui montra de manière convaincante l'inexactitude de cette vue. (...)

La conception esquissée ici du caractère purement imaginaire des principes sur lesquels se fonde la théorie physique n'était pas du tout celle qui prévalait au XVIIIe et au XIXe siècle. Mais elle continue à gagner de plus en plus de terrain, à cause du fossé toujours plus large qui existe entre concepts et lois fondamentaux d'une part, et conséquences à rattacher à notre expérience d'autre part; un fossé qui s'élargit progressivement à mesure que se développe l'unification de l'édifice logique, c'est-à-dire à mesure que se réduit le nombre des éléments conceptuels logiquement indépendants, requis pour les fondations du système tout entier.(...)

Notre expérience actuelle nous confirme dans le sentiment assuré que l'idée de la simplicité mathématique est réalisée dans la nature.

C'est ma conviction que la pure construction mathématique nous permet de découvrir les concepts, avec les lois qui s'y rattachent, qui nous donnent la clef des phénomènes naturels. L'expérience peut, bien entendu, nous guider dans notre choix des concepts utiles; elle ne peut pratiquement être la source d'où ils découlent.

En un certain sens, je tiens pour vrai que la pensée pure soit capable de saisir le réel, comme les anciens le rêvaient."

A. Einstein, Conférence Herbert Spencer, Oxford 1933, in P. Frank, ibid., p. 320, p. 408 - dieu “spinoziste”, assimilé aux lois de la nature

"Dieu est sophistiqué, mais il n'est pas malveillant." A. Einstein, in P. Frank, ibid., p. 412 - “principe d’économie”, critère de simplicité, appel au sentiment esthétique

Le plus important critère de vérité de notre science, c’est-à-dire la simplicité des lois naturelles qui se manifeste toujours en fin de compte. Tu pourrais évidemment objecter à nouveau que cette exigence de corrélations simples comporte un caractère absolu pour lequel il n’existe pas de justification logique. Pourquoi, après tout, les lois de la nature doivent-elles être simples, pourquoi de vastes domaines de la connaissance doivent-ils pouvoir être représentés de façon simple? Pour répondre à cela, je me réfère à l’histoire de la physique jusqu’à nos jours.

W. Heisenberg, La partie et le tout, p. 140

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La mécanique quantique Max Planck et le quantum d’action Planck: austère, conservateur. grande figure droite et digne (cf. attitude sous le nazisme). Premiers travaux: thermodynamique

Cette expérience (la lutte contre Ostwald et l’énergétique) me valut de surcroît l’occasion d’apprendre un fait que je tiens pour très remarquable: une vérité nouvelle en science n’arrive jamais à triompher en convainquant les adversaires et en les amenant à voir la lumière, mais plutôt parce que finalement ces adversaires meurent et qu’une nouvelle génération grandit, à qui cette vérité est familière.

M. Planck, Autobiographie scientifique (1948), p. 84 1900: introduit le quantum d’action comme un pis-aller pour éviter catastrophe ultraviolette dans le rayonnement du corps noir.

Mes vaines tentatives pour ajuster le quantum élémentaire d’action d’une manière ou d’une autre au cadre de la physique classique se poursuivirent pendant un certain nombre d’années et elles me coûtèrent beaucoup d’efforts. De nombreux collègues trouvèrent qu’il y avait là quelque chose qui frisait la tragédie. Mais je suis à cet égard d’une opinion différente. Car la lumière totale que j’éprouvais alors me fut vraiment un enrichissement sans égal. Je savais désormais en toute certitude que le quantum élémentaire d’action jouait dans la physique un rôle beaucoup plus important que je n’étais porté à le pressentir au début, et cette acquisition me fit clairement sentir la nécessité d’introduire des méthodes radicalement neuves de calcul et de raisonnement dans le traitement des problèmes atomiques.

M. Planck, Autobiographie scientifique (1948)., p. 94

Vous savez peut-être que Planck a toujours été un esprit très conservateur qui n’a jamais désiré apporter une modification fondamentale à la physique ancienne. Cependant, il s’était donné pour but de résoudre un certain problème, étroitement délimité: ce qu’il voulait, c’est comprendre le spectre du rayonnement thermique. Bien entendu, il a essayé cela en conservant telles quelles toutes les lois de la physique antérieure; ce n’est qu’au bout de nombreuses années qu’il s’est rendu compte que c’était impossible. Il a alors en effet proposé une hypothèse qui ne s’ajustait plus au cadre de la physique antérieure; mais, même après cela, il voulait colmater (...) la brèche qu’il venait de faire dans les murs de l’ancienne physique. Il est vrai que ceci s’est montré impossible; et l’exploitation des conséquences de l’hypothèse de Planck a conduit à une transformation radicale de toute la physique. Mais même après cette transformation, rien n’a été changé dans ceux des domaines de la physique qui peuvent être entièrement saisis au moyen des concepts de la physique classique.

Dans la science, une révolution bienfaisante et fructueuse ne peut être réalisée que si l’on s’efforce d’introduire le moins de changements possible, et si l’on se consacre de prime abord à la solution d’un problème limité, nettement circonscrit. Une tentative consistant à abandonner tout l’acquis antérieur ou à le modifier arbitrairement ne peut conduire qu’à l’absurdité pure.

W. Heisenberg, op. cit., p. 204 Einstein, Bohr 1905 Einstein: Un point de vue heuristique concernant la génération et la propagation de la lumière. Bouleversement par rapport à Planck: prend le quantum au sérieux ! Véritable quantification du rayonnement, au lieu d’une simple utilisation statistique des oscillateurs. -> effet photoélectrique (cf. Hertz) 1911 Rutherford: découverte du noyau de l’atome <-> plum pudding de J.J. Thomson 1913 Bohr: modèle planétaire de l’atome + rayonnement discret (Balmer): structure discrète prise au sérieux. Einstein: “la plus haute musicalité dans le domaine de la pensée”. Succès: spectres. Mais contradiction interne entre traitement classique et hypothèses non classiques

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l’âge d’or de la mécanique quantique une nouvelle génération ! 1924 de Broglie: mécanique ondulatoire -> interférences - 1927: observation de la diffraction d’électrons 1925 Heisenberg: mécanique des matrices (Heisenberg, Born, Jordan): ne pas considérer les orbites, mais les sauts -> algèbre des matrices Dirac: algèbre quantique non commutative (crochets de Poisson); mécanique quantique = généralisation adéquate de la mécanique classique Pauli: principe d’exclusion Uhlenbeck et Goudsmit: spin de l’électron 1926 Schrödinger: fonction d’onde quantique (non relativiste) interprétation statistique de Born 1927 Heisenberg: principe d’incertitude Cinquième Conseil Solvay; débats épistémologiques 1928 Dirac: équation relativiste de l’électron, incluant le spin Débats avec Einstein: causalité; complétude de la mécanique quantique

L’avis de Bohr sur le rayonnement m’intéresse fort. Mais je ne voudrais pas me laisser entraîner à renoncer à la causalité stricte tant qu’on ne s’en sera pas défendu de toute autre façon qu’à présent. L’idée qu’un électron exposé à un rayonnement choisit en toute liberté le moment et la direction où il veut sauter m’est insupportable. S’il en était ainsi, j’aimerais mieux être cordonnier ou même employé dans un tripot que physicien.

A. Einstein, 29/4/1924, Correspondance Einstein - Born, p. 98 Rôle d’Einstein, notamment au Congrès Solvay de 1927, pour préciser les concepts de la mécanique quantique, par le débat sur sa complétude. Expériences de pensée.

La question débattue (au Conseil de Physique Solvay de 1927) a été de savoir si le renoncement à un mode causal de description des processus atomiques, qu’impliquaient les tentatives faites pour dominer la situation, devait être considéré comme un écart momentané d’un idéal qui devait être finalement retrouvé, ou bien s’il s’agissait d’une étape irrévocable sur la voie de l’harmonisation entre l’analyse et la synthèse des phénomènes physiques.

N. Bohr, Discussion avec Einstein, in N. Bohr, Physique atomique et connaissance humaine p. 196

Einstein affirme que le formalisme quantique doit être simplement considéré comme un moyen de décrire le comportement statistique d’un grand nombre de systèmes atomiques; son attitude en face de ceux qui pensent qu’il puisse offrir une description exhaustive des phénomènes individuels s’exprime dans la phrase suivante: ‘Cette croyance est logiquement possible sans contradiction, mais elle est si contraire à mon instinct scientifique que je ne puis abandonner la recherche d’un système plus complet de concepts.’

Même si une telle attitude peut sembler bien équilibrée en soi, elle implique néanmoins le rejet de toute l’argumentation (...) qui tend à montrer que la mécanique quantique ne nous propose pas de renoncer arbitrairement à une analyse détaillée des phénomènes atomiques, mais de reconnaître qu’une telle analyse est exclue par principe.

N. Bohr, ibid, p. 240 L’école de Copenhague: nouvelle causalité ou nouveau positivisme ?

Je demandai donc à Bohr ‘Si la structure interne des atomes est aussi peu accessible à une description visuelle que vous le dites, et si au fond nous ne possédons même pas de langage qui nous permette de discuter de cette structure, y a-t-il un espoir que nous comprenions jamais quelque chose aux atomes?’ Bohr hésita un instant, puis dit: ‘Tout de même, oui. Mais c’est seulement ce jour-là que

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nous comprendrons ce que signifie le mot “comprendre”.’” W. Heisenberg, op. cit., p. 66

Le seul but de la physique théorique consiste à calculer des résultats qu’il est possible de comparer avec l’expérience, et il est tout à fait inutile de fournir une description satisfaisante de la totalité du cours des phénomènes.”

P. Dirac, cité in B. Hoffman, M. Paty, L’étrange histoire des quanta, p. 175

En ce qui me concerne (dit N. Bohr), ma position est telle, au fond, que je peux facilement me mettre d’accord avec les positivistes sur ce qu’ils veulent, mais moins facilement sur ce qu’ils ne veulent pas. (...) Je suis évidemment d’accord avec l’exigence qui consiste à demander que tous les concepts soient définis avec une extrême précision. Mais je ne peux pas accepter l’interdiction de réfléchir sur les questions générales, interdiction faite sous prétexte que là il n’existe pas de concepts aussi précis.’ (...)

Pour le positiviste (...), le monde se divise en ce que l’on peut dire clairement, et ce sur quoi on doit se taire (...). Mais, au fond, c’est la philosophie la plus absurde. Car presque rien ne peut être dit clairement. Si l’on élimine tout ce qui n’est pas clair, il ne subsistera probablement que des tautologies entièrement dépourvues d’intérêt.

W. Heisenberg, op. cit., p. 281, 283, 290 Observables et théorie

‘Mais vous ne croyez tout de même pas sérieusement, répliqua Einstein (lors d’une entrevue avec Heisenberg en 1926), que l’on ne peut inclure dans une théorie physique que des grandeurs observables?’

Je fus assez surpris. ‘Je pensais, dis-je, que c’est vous, précisément, qui avez fait de cette idée la base de votre théorie de la relativité. Vous avez souligné que l’on ne pouvait pas parler d’un temps absolu, car on ne peut pas observer ce temps absolu. Vous avez dit que seules mes indications des horloges, que ce fût dans un système de référence en mouvement ou au repos, étaient déterminantes dans la mesure du temps.’

‘Peut-être en effet ai-je utilisé cette sorte de philosophie, répondit Einstein, mais il n’en reste pas moins qu’elle est absurde. Ou peut-être dirai-je plus prudemment que, d’un point de vue heuristique, il peut être utile de se souvenir de ce que l’on observe vraiment. Mais, sur le plan des principes, il est tout à fait erroné de vouloir baser une théorie uniquement sur des grandeurs observables. Car, en réalité, les choses se passent de façon exactement opposée. C’est seulement la théorie qui décide de ce qui peut être observé.’ “

W. Heisenberg, op. cit.., p. 94

Les protagonistes de la mécanique quantique générations Hendrijk A. Lorentz (1853-1928) Joseph J. Thomson (1856-1940) Max Planck (1858-1947) Arnold Sommerfeld (1868-1951) Ernst Rutherford (1871-1937) Albert Einstein (1879-1955) Paul Ehrenfest (1880-1933) Max Born (1882-1970) James Franck (1882-1964) Niels Bohr (1885-1962) Erwin Schrödinger (1887-1975) Gustav Hertz (1887-1975) Otto Stern (1887-1965) Walter Gerlach (1889-1979) Louis de Broglie (1892-1987) Arthur Compton (1892-1962)

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Hendrik A. Kramers (1894-1954) Wolfgang Pauli (1900-1958) Werner Heisenberg (1901-1976) Paul A. M. Dirac (1902-1984) Pascual Jordan (1902-1980) Les écoles au début du siècles deux grands centres de physique: Berlin et Cambridge Cambridge: tradition de Faraday, Maxwell, W. Thomson (Lord Kelvin) Laboratoire Cavendish: Lord Rayleigh, J.J. Thomson, E. Rutherford Berlin: tradition de Helmholtz, Kirchhoff; H. Hertz Planck, von Laue, Einstein, Born (de 1915 à 1919) jeunes chercheurs: J. von Neumann, E. Wigner, L. Szilard, E. Gordon, F. London centre de spectroscopie formation de jeunes expérimentateurs: J. Franck, G. Hertz, H. Geiger, W. Bothe le développement de Munich et Copenhague (1918-1922) Munich, autour de Sommerfeld: W. Pauli, W. Heisenberg, G. Wentzel, P. Debye, O. Laporte, H. Bethe Copenhague: N. Bohr, H. Kramers le triangle Munich - Göttingen - Copenhague Göttingen: l’école mathématique, avec M. Born, J. Franck, R. Courant, D. Hilbert Munich: l’école phénoménologique Copenhague: l’école conceptuelle ou philosophique. De septembre 1926 à juin 1927, y séjournent W. Heisenberg, P.A.M. Dirac, F. Hund, S. Goudsmit, G. Uhlenbeck, P. Jordan, L. Pauling, R. Kronig, O. Klein, I.I. Rabi (d’après N. Bohr, op. cit., notes, p. 329)

Chronologie

l’électromagnétisme 1820 Ampère: effets magnétiques des courants 1830 Faraday: champ magnétique 1864 Maxwell: théorie unifiée du champ électromagnétique 1887 Hertz: ondes électromagnétiques rayons cathodiques, rayons X, effet Zeeman 1869 Crookes: étude des rayons cathodiques 1895 Röntgen: rayons X 1896 Zeeman: effet du champ magnétique sur les raies spectrales 1897 J.J. Thomson: l’électron (mesure de e/m) la radioactivité

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1896 H. Becquerel: radioactivité de l’uranium 1898 P. et M. Curie: découverte du polonium, du radium 1899 Rutherford: rayonnement alpha et bêta 1917 Rutherford: premières désintégrations artificielles la Relativité 1881 expérience de Michelson; 1887: Michelson et Morley 1904 Lorentz: groupe de transformations 1905 Einstein: Sur l’électrodynamique des corps en mouvement 1916 Einstein: Relativité générale 1919 observation de la courbure des rayons lumineux les quanta 1900 Planck: introduction du quantum d’action (rayonnement du corps noir) 1905 Einstein: Un point de vue heuristique concernant la génération et la propagation de la lumière 1911 Rutherford: découverte du noyau de l’atome 1913 Bohr: modèle planétaire de l’atome l’âge d’or de la mécanique quantique 1924 de Broglie: mécanique ondulatoire 1925 Pauli: principe d’exclusion Heisenberg: mécanique des matrices (Heisenberg, Born, Jordan) Uhlenbeck et Goudsmit: spin de l’électron Dirac: algèbre quantique non commutative (crochets de Poisson) 1926 Schrödinger: fonction d’onde quantique 1927 Heisenberg: principe d’incertitude Cinquième Conseil Solvay; débats épistémologiques observation de la diffraction d’électrons 1928 Dirac: équation relativiste de l’électron, incluant le spin la physique nucléaire 1930 premier cyclotron de E. Lawrence 1932 Chadwick: découverte du neutron Urey: découverte du deutérium Anderson; découverte du positon Cockroft et Walton: première désintégration obtenue grâce à des protons accélérés artificiellement 1933 Pauli: hypothèse du neutrino 1934 Fermi: théorie des interactions faibles F. et I. Joliot-Curie: radioactivité artificielle 1938 O. Hahn, L. Meitner: fission de l’uranium H. Bethe: réactions thermonucléaires dans les étoiles 1940 Joliot, Halban, Kowarski: possibilité de la réaction en chaîne 1942 première pile atomique à Chicago (Fermi) Los Alamos: Oppenheimer, les débuts de la big science 1945 Hiroshima, Nagasaki les particules élémentaires; nouvelles unifications 1937 découverte du muon dans le rayonnement cosmique (Andersen, Neddemayer) 1947 Powell, Occhialini: découverte du pion, prédit par Yukawa en 1933 1956 Lee, Yang: non-conservation de la parité dans les interactions faibles le CERN 1964 violation de la symétrie CP 1969 structure interne du proton; hypothèse des quarks-partons (Feynman 1972) 1973 découverte des courants neutres et du charme (1974), prédits par la théorie électrofaible unifiée de Glashow, Salam et Weinberg 1979 observation des gluons de la théorie QCD le Modèle Standard, regroupant interactions électrofaibles et fortes

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Bibliographie F. Balibar: Galilée, Newton lus par Einstein, PUF, Paris 1986 N. Bohr: Physique atomique et connaissance humaine, Folio Essais 157, Gallimard, Paris 1991 Les grands textes de Bohr d’après 1933, notamment Discussion avec Einstein; introduction historique et glossaire par C. Chevalley. A. Einstein, L. Infeld: L’évolution des idées en physique, Petite Bibliothèque Payot, Paris 1974 Les concepts de la physique, dans un cadre historique; très intéressant, mais pas vraiment de l'histoire des sciences A. Einstein, M. Born: Correspondance 1916-1955, Le Seuil, Paris 1972 Correspondance scientifique (interprétation de la mécanique quantique), politique (l’anti-fascisme, Israël), privée L. S. Feuer: Einstein et le conflit des générations, Complexe, Bruxelles 1978 Au-delà d’un essai sur Einstein et la Relativité, l’histoire des sciences conçue comme conflit des générations (programme sociologique en histoire des sciences) P. Frank: Einstein, sa vie, son temps, Champs 242, Flammarion, Paris 1991 Par le successeur d'Einstein à Prague; biographie classique; introduction à la physique, aux débats philosophiques, à l'action politique d'Einstein W. Heisenberg: La partie et le tout, Champs 215, Flammarion, Paris 1990 Autobiographie sous la forme de dialogues reconstitués avec les grands protagonistes; retrace le contexte scientifique, philosophique et historique B. Hoffman: Albert Einstein, créateur et rebelle, Points-Sciences S19, Le Seuil, Paris 1979 Une agréable hagiographie B. Hoffman, M. Paty: L’étrange histoire des quanta, Points-Sciences S26, Le Seuil, Paris 1981 Les débuts de la mécanique quantique; correct, mais tellement vulgarisé qu’il en est difficile à suivre B. Latour: Joliot : l'histoire et la physique mêlées, in M. Serres: Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris 1989 J. Olff-Nathan: La science sous le Troisième Reich, Le Seuil, Paris 1993 Notamment articles sur les math. et la physique M. Planck: Autobiographie scientifique, Champs 247, Flammarion, Paris 1991 P. Radvanyi, M. Bordry: La radioactivité artificielle, Points-Sciences S42, Le Seuil, Paris 1984 Introduction; notices biographiques sur les principaux protagonistes R. Reid: Marie Curie derrière la légende, Points-Sciences S35, Le Seuil, Paris 1983 Une bonne biographie, avec en arrière-fond les développements de la physique nucléaire E. Segre: Les physiciens modernes et leurs découvertes, tome II, Fayard, Paris 1984 etc., etc.

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Repères chronologiques

Antiquité Temps préhistoriques - 3 000 000 homo habilis: galets (peeble) - 1 600 000 homo erectus ou pithécanthrope (choppers) - 600 000 le feu - 400 000 bifaces acheuléens; campements de chasseurs de Terra Amata - 250 000 taille Levallois - 120 000 moustérien - 100 000 homo sapiens (Néanderthal) - 35 000 homo sapiens sapiens (Cro Magnon) - 16 000 magdalénien (Lascaux) - 10 000 néolithique (Mésopotamie, Proche-Orient, Egypte) élevage, agriculture, sédentarisation, céramique, pierre polie, métaux (cuivre, bronze)

Premiers empires Indus: Mohenjo-Daro, Hurappa -> -1800 Mésopotamie -3500 charrue, tour de potier, roue (Sumer) -3200 bronze à Ur -3000 verre; premières tablettes d'argile (Uruk) -2800 le Déluge -2500 astronomie à Babylone -2296 Sargon d’Akkad -1792 Hammurabi, roi de Babylone -669 apogée de l'Assyrie sous Assurbanipal -604 prépondérance de Babylone: Nabuchodonosor II -600 Zoroastre (?) -539 prise de Babylone par Cyrus le Grand; empire perse -331 conquête d'Alexandre Egypte -4225 premier calendrier (?) -3000 première dynastie; numération décimale -2680 les grandes pyramides -> 2200 -1970 temples de Karnak -1675 introduction du cheval -1650 papyrus mathématique de Rhind -1364 Akhénaton -1290 Ramsès II -331 Fondation d'Alexandrie

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Chine -1760 écriture -1650 vases de bronze -1102 (?) manuels d’arithmétique - 479 mort de Confucius - 400 débuts de l'alchimie - 217 achèvement de la grande muraille - 202 fondation de la dynastie des Han -120 production du fer dans 49 usines gouvernementales I s moulin à eau (souffleries métallurgiques); rouet à main 85 première (?) utilisation de la poudre (feux d'artifice) 100 fabrication du papier; harnais à collier 121 mention de la pierre magnétique 130 sismographe de Zhang Heng III s brouette VI s co-fusion de la fonte et du fer 725 Yi Xing et Liang Ling-zen: horloge hydro-mécanique à échappement 770 xylographie pour la diffusion des textes bouddhiques autres -1750 ensemble mégalithique de Stonehedge -1500 (ou avant) fer chez les Hittites -1100 (ou 1360?) alphabet phénicien -1000 monte du cheval -1000 David roi d’Israël -900 le fer à Hallstatt -814 fondation de Carthage -530 Bouddha

Grèce repères généraux -1600 civilisation minoenne (-2000 ,-1500) -1400 civilisation mycénienne (-1400,-1200) -1200 “siècles obscurs” (-1200,-800) -800 Homère -776 première olympiade -750 vagues de colonisation grecque (-750,-450) (Marseilles: -600) -594 Solon législateur à Athènes -499 Révolte de l'Ionie contre les Perses; Guerres médiques (-492 ,-479): Marathon (-490) -443 Périclès stratège (-443,-429); Sophocle: Antigone -323 mort d'Alexandre philosophes présocratiques (VIe - Ve siècles) les physiologues ioniens Thalès de Milet (ca. -625, ca. -550) Anaximandre (ca. -610, ca. -545) Anaximène (ca. -580, ca. -530) Héraclite d'Ephèse (ca. -540, ca. -470) l'école pythagoricienne Pythagore de Samos (ca. -580, ca. -500) Alcméon de Crotone (fin VIs, Vs) Hippocrate de Chio (Vs) Philoloas (ca. -470, fin Vs) l'école d'Elée Xénophane de Colophon (ca. -570, ca. -480)

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Parménide (ca. -515, ca. -450) Zénon d'Elée (ca. -490, ca. -425) les pluralistes Empédocle d'Agrigente (ca. -490, ca. -435) Anaxagore de Clazomène (-500, -428) les atomistes Leucippe (ca. -470, ca. -390) Démocrite d'Abdère (ca. -460, ca. -360) les sophistes Protagoras, Gorgias, Prodicos, Hippias la collection hippocratique: Hippocrate de Cos (ca. -460, ca. -377) philosophes -470 Socrate (-470, -399) -428 Platon (-428, -348) -384 Aristote (-384, -322) -341 Epicure (-341, -270) atomisme matérialiste; -306: Ecole d’Epicure à Athènes -IVs Stoïcisme institutions -387 Fondation de l'Académie par Platon -335 Fondation du Lycée par Aristote; ses successeurs:Théophraste (-373,-287), Straton -305 Fondation de la Bibliothèque et du Musée d'Alexandrie par Ptolémée Sôter astronomes -408 Eudoxe de Cnide (-408,-355) sphères homocentriques (27) -336 Callipe (fl -336 à -323) 34 sphères homocentriques -388 Héraclide du Pont (-388,-310) rot. diurne de la Terre; Mercure et Vénus autour du Soleil -310 Aristarque de Samos (-310,-230) héliocentrisme; distance Terre - Lune - Soleil -284 Eratosthène (-284,-192) mesure de la circonférence terrestre (-250) -161 Hipparque (-161,-125) précession des équinoxes; excentriques et épicycles; mesures de l'année 90 Ptolémée (90,168) l'Almageste; aussi géographie, optique mathématiciens -322 Euclide (-322,-285) les Eléments -287 Archimède (-287,-212) spirale; volumes; grands nombres; “La Méthode” -262 Appollonios de Perga (ca. -262, ca. -180) sections coniques 100 Nicomaque de Gérase (fl. ca. 100) théorie des nombres 100 Ménélaus (fl. ca. 100) Alexandrie; géométrie sphérique 270 Diophante (fl. 270) théorie des nombres; équations indéterminées 280 Iamblique (280,330) théorie des nombres 280 Pappus (280,340) Collection mathématique ingénieurs -430 Archytas de Tarente (ca. -430, ca. -348) vis, poulie, colombe volante -346 Philon d'Athènes (fl. -346) traité de poliorcétique -296 Ctésibios (-296,-228) clepsydre à soupapes, orgue hydraul., pompe aspirante et souffl. -287 Archimède (-287,-212) machines de guerre -279 le phare d'Alexandrie -250 Philon de Byzance (fl. -250) pneumatique, automates, clepsydres, machines de guerre -250 engrenages à roues dentées -150 Héron d'Alexandrie (fl. -150??) "Syntaxe mécanique"

Rome

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repères généraux -754 fondation de Rome -264 première guerre punique -146 destruction de Carthage -58 début de la guerre des Gaules 14 mort d’Auguste 134 diaspora des Juifs 175 Marc-Aurèle (121,161,180): Pensées 217 Mani (217,266) 313 Edit de Milan (Constantin) 395 Mort de Théodose; dislocation de l’Empire 410 sac de Rome par Alaric 472 fin de l’Empire d’Occident 527 Justinien empereur (527,565) savants -58 Strabon (-58, +25): géographe 23 Pline l'Ancien (23, 79): encyclopédiste 131 Gallien (131, 200): médecin NB aussi les savants “grecs” de l’Empire: Ptolémée, Héron, Nicomaque, Ménélaus, Diophante, Iamblique, Pappus, etc. ! 490 Jean Philopon (490,566) critique de la physique et de la cosmologie d’Aristote techniques -100 aqueduc avec deux siphons à Pergame -Is soufflet pour les fours métallurgiques à Rome -38 moulin à eau dans le palais de Mithridate -20 verre soufflé à Rome la fin de la science grecque 427 Saint-Augustin (354,430) La Cité de Dieu 412 Meurtre d’Hypathie à Alexandrie (370,412) 529 fermeture de l’école païenne d’Athènes par Justinien

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Moyen-Age

Chine XI s culture du riz aquatique 1041 Pi Cheng invente la typographie à caractères mobiles 1061 pagode de fonte de la province de Hobei 1088 tour-horloge de Kaifeng, construite par Su Song (1020,1101) 1161 utilisation de la poudre noire à la bataille de Ts’ai-Shih 1184 pont de pierre à onze arches de Lou Kou Kiao 1259 invention du canon 1261 invention du papier monnaie 1370 apogée de la porcelaine Ming 1403 premiers caractères d’imprimerie métalliques en Corée

Les Arabes la conquête

622 Hégire 635 prise de Damas 638 prise de Jérusalem 640 prise d’Alexandrie 673 assauts contre Constantinople (feu grégeois) 693 conquête de l’Afrique (Carthage tombe en 698) 711 invasion de l’Espagne 732 Poitiers 827 les Arabes en Italie du Sud 929 Abd el Rahman III (903,986) sultan et calife de Cordoue 1230 construction de l’Alhambra de Grenade 1258 les Mongols prennent Bagdad philosophes 529 Khosroes accueille à Ctésiphon les philosophes chassés d’Athènes 808 Hunayn ibn Ishaq (808,>856) (Bagdad) traductions du grec et du syriaque 832 fondation de la Maison de la Sagesse à Bagdad par le calife Al-Mamoum (786,833) 796 al-Kindî (796,866 ou 873) (Bagdad) pas d’opposition entre philosophie et vérité prophétique (connaissance des philosophes grecs) 860 Rhazes (Al-Razi) (860?,923?) (Iran, Bagdad) médecin, philosophe empiriste 872 Al-Farabi (Alfarabius) (872,950) (Turkestan, Damas, Alep) commentateur d’Aristote, néo-platonicien, maître d’Avicenne 980 Avicenne (Ibn Sîna) (980,1037) (né à Boukhara) médecin, philosophe, esprit universel 1126 Averroès (Ibn Rush) (1126,1198) Aristote et la “double vérité”, rationnelle et révélée 1135 Maïmonide (1135,1204) (Cordoue) médecin juif; Livre des Egarés astronomes, mathématiciens, etc. 800 Geber (Jabir ibn Hayyam) (fl. 800) alchimiste 800 Al-Khwarizmi (fl. 800,847?) (Bagdad) équations quadratiques; système décimal 861 Al-Farghani (?,>861) astronome, trigono. (tangente) 877 Al-Battani (Albatenius) (877?,918?) astronome (excentricité de l’orbite solaire)

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903 Abd al-Rahman (903,986) Livre des étoiles fixes 965 Ibn al-Haïtham (Al-Hazen) (965,1039) (Le Caire) astronomie, optique 973 Al-Birûni (973,1030?) (né à Khwarizm, Inde) astronomie, minéralogie, géologie 1029 Ibn-Sa-id (1029,1070) Tables tolédanes 1048 Omar Khayyam (1048,1131) (Nishapur) mathématicien, astronome, philosophe, poète 1099 Al Edrisi (1099,1175) (Cordoue) géographe 1201 Nasir Eddin Al-Tusi (1201,1274) math., minéralogie 1206 Al Jazari : Traité de la théorie et de la pratique des arts mécaniques 1270 observatoire de Maragha 1288 Levi ben Gerson (1288,1344) tables astronomiques 1320 mort de Al-Farizi (?,1320) optique, math. 1460 destruction de l’observatoire de Samarkand - “fin de la science arabe”

L’Occident chrétien 500 baptême de Clovis 639 mort de Dagobert et de Pépin de Landen 800 sacre de Charlemagne 843 Traité de Verdun; Serment de Strasbourg (842) 885 siège de Paris par les Normands 981 découverte du Groenland 987 Hugues Capet roi 1054 Schisme d’Orient 1070 Chanson de Roland 1077 Canossa (Querelle des Investitures) 1085 reconquête de Tolède 1099 prise de Jérusalem par les Croisés 1187 reprise de Jérusalem par Saladin 1204 prise de Constantinople par la IVe Croisade 1209 croisade contre les Albigeois 1216 confirmation des dominicains 1223 confirmation des franciscains 1226 Louis IX (Saint-Louis) roi (1214,1270) 1227 mort de Gengis Khan (1160,1227) 1231 création de l’Inquisition dominicaine 1302 Bataille des Eperons d’Or 1345 début de la Guerre de Cent Ans 1347 la peste en France les siècles obscurs 480 Boèce (480,525) 510 saint Benoît au Mont-Cassin 570 Isidore de Séville (570,636) 672 Bède le Vénérable (672,735) - calendrier 800 fondation de l’Ecole de médecine de Salerne l’essor VII s Moulins à vent sur les plateaux iraniens 725 étrier à pied à Byzance IX s ferrure des chevaux en Occident et à Byzance, selle à arçons, mors X s moulins à vent en Espagne; dé but du collier d’épaule, de la charrue à versoir XI s alambic pour la distillation de l’alcool à Salerne; usage de la quenouille en Allemagne 1050 débuts de la boussole; moulins à chanvre, moulins foulons XII s expansion de l’attelage moderne (collier d'épaule, dispositif en file); expansion du moulin à eau; développement de l’industrie minière; début de l’assolement triennal; progrès de la navigation (gouvernail d’étambot, voile latine en Méditerranée) 1103 régulation du cours de l’Elbe par des Hollandais 1150 début de la croissance démographique, des défrichements, de la culture intensive; moulin à tan; essor urbain: ”l’abondance des hommes”

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1160 production d’acide nitrique; construction de digues contre la mer en Hollande 1170 introduction du papier 1184 pavage des rues à Paris 1198 emploi de la houille dans les forges les grands chantiers, les techniciens 1120 Chartres 1163 Notre-Dame de Paris 1210 Reims 1250 Villard de Honnecourt (fl. 1250) les traducteurs 1065 Constantin l’Africain (fl. 1065,1085) médecine 1090 Adélard de Bath (1090,1160) 1114 Gérard de Crémone (1114,1187) 1135 Jean de Séville (fl. 1135,1153) 1138 Hermann de Carinthie (fl. 1138, 1143) Dominique Gundisalvo, Platon de Tivoli, Robert de Chester, Pierre Alfonso, Savasorda, Alfred l’Anglais, Michael Scot, Hermann l’Allemand les savants 940 Gerbert d’Aurillac, futur Silvestre II (940?,1003) 990 fondation de l’Ecole cathédrale de Chartres par Fulbert 1079 Abélard (1079,1142) (Paris) méthode scolastique 1170 Leonardo Fibonacci (Léonard de Pise) (1170,1245) chiffres arabes, algèbre 1175 Robert Grosseteste (ca. 1175,1253) (Oxford) optique 1206 Albert le Grand (1206,1280) (Docteur de l’Eglise) Aristote + néoplatonisme + Arabes (al)chimie, botanique, zoologie 1214 Roger Bacon (1214,1294) (“Le Docteur admirable”) (Oxford) optique, acoustique, alchimie 1225 Thomas d’Aquin (1225,1274) (“Le Docteur angélique”) (Paris)Somme théologique (1265) aristotélisme 1230 Witelo (1230,1275) optique, réfraction 1230 Guillaume de Moerbeke (1230,1286) traductions d’Aristote (du grec) 1235 Raymond Lulle (1235,1315) alchimie; mention de l’acide nitrique 1252 Tables alphonsines (1270) (Alphonse de Castille) (Judas ben Moses, Isaac ibn Sid) 1256 Pierre de Maricourt: De Magnete 1290 Bradwardine (1290,1349) (Oxford) mécanique 1300 Jean Buridan (1300,1358) (Paris) mécanique 1302 Nicole Oresme (1302,1382) (Paris) mécanique les universités 1119 Bologne (refondation 1187) (droit) 1120 prémisses de l’université de Paris (Arts, théologie) (statuts de Philippe-Auguste en 1215) 1130 prémisses de l’université d‘Oxford (statuts en 1214) 1179 Concile de Latran: une école auprès de chaque cathédrale 1222 Padoue 1229 Toulouse (contre l’hérésie) 1231 1229-1231: grève de l’université de Paris; les Franciscains y obtiennent une chaire 1257 Collège de Pierre de Sorbon à Paris 1277 Condamnation de 219 propositions aristotéliciennes par Etienne Tempier, évêque de Paris 1289 Montpellier (médecine) 1308 Cracovie 1386 Heidelberg 1426 Louvain

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nouvelles techniques 1200 > généralisation de la boussole marine 1224 rouet à Venise et en France 1271 Marco Polo en Chine (1271,1295) 1285 lunettes pour presbytes et hypermétropes 1320 premières horloges à poids 1327 Guy de Vigevano: recueil de machines de guerre 1337 premières armes à feu 1346 première utilisation de l’artillerie, à la bataille de Crécy

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Renaissance

événements politiques 1411 révolte de Jean Huss (1369,1415) 1419 Assassinat de Jean sans Peur; Philippe le Bon duc de Bourgogne 1429 Charles VII sacré à Reims; Jeanne d’Arc livrée aux Anglais en 1430 1434 Cosme de Médicis (1389,1464) maître de Florence 1453 prise de Constantinople par les Turcs 1455 début de la guerre des Deux-Roses 1477 mort de Charles le Téméraire 1481 institution de l’Inquisition en Espagne 1492 expulsion des Juifs d’Espagne; chute de Grenade 1494 Savonarole (1452,1498) maître de Florence 1513 Machiavel (1469,1527) (Florence): Le Prince 1513 mort de Jules II, Léon X pape 1516 premier esclave africain en Amérique 1517 95 thèses de Luther contre les Indulgences 1519 Charles-Quint empereur (1500,1558) 1531 schisme d'Henri VIII 1534 Ignace de Loyola fonde la Compagnie de Jésus 1545 Concile de Trente (Contre-Réforme) (1545,1563) 1547 mort de François I; mort d’Henri VIII; avènement d’Ivan IV le Terrible 1572 massacre de la Saint-Barthélémy 1588 défaite de l’”Invincible Armada” littératures nationales 1265 Dante (1265,1361) (Florence) 1304 Pétrarque (1304,1374) 1313 Boccace (1313,1371) Le Décameron (1355) 1387 Chaucer: Canterbury Tales 1431 François Villon (1431,>1463) 1494 Rabelais (1494,1553) Gargantua (1532) 1522 du Bellay (1522,1561) Défense et Illustration de la langue française (1549) 1524 Ronsard (1524,1585) 1530 La Boétie (1530,1563) 1533 Montaigne (1533,1592) Les Essais (1580) 1547 Cervantès (1547,1616) 1564 Shakespeare (1564,1616) les arts en Italie ... 1266 Giotto (1266?,1337) (Florence) 1285 Duccio (fl. 1285,1308?) (Sienne) 1377 Brunelleschi (1377,1446) (Florence) coupole de la cath. de Florence (1420,1436) 1386 début de la cathédrale de Milan; “rencontre des architectes” 1386 Donatello (1386,1466) statue équestre de Gattamelata à Padoue (1453) 1400 Paolo Uccello (1400?,1475) (Florence) recherches sur la perspective 1401 Masaccio (1401,1428) (Florence) 1416 Piero della Francesca (1416-20,1492) recherches géométriques 1445 Boticelli (1445,1510) (Florence) 1452 Léonard de Vinci (1452,1519) 1475 Michel-Ange (1475,1564) 1483 Raphaël Sanzio (1483,1520)

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1490 Le Titien (1490,1576) 1567 Monteverdi (1567,1643) ... et en Europe 1411 Les frères Limbourg: Très riches Heures du Duc de Berry 1432 Van Eyck: l’Agneau mystique (Saint-Bavon, Gand) 1460 Hans Holbein (1460-70,1520) 1471 Albrecht Dürer (1471,1528) recherches géométriques 1475 cathédrales du Kremlin de Moscou 1505 François Clouet (1505-10,1572) 1525 Pierre Breughel l’Ancien (1525,1569) 1540 Le Greco (1540,1614) la génération humaniste (1490-1520) 1463 Pic de la Mirandole (1463,1494) 1467 Guillaume Budé (1467,1540) 1469 Erasme de Rotterdam (1469,1527) Eloge de la Folie (1510) 1470 première imprimerie en France à la Sorbonne 1478 Thomas More (1478,1535) L’Utopie (1516) 1530 institution du Collège de France 1549 Plantin installe ses presses à Anvers les savants ingénieurs 1382 Taccola (1382?,1458?) (Sienne) ingénieur militaire 1404 Alberti (1404,1472) ingénieur, urbaniste 1405 Kyeser: Bellifortis 1439 Francesco di Giorgio Martini (1439,1502) (Sienne) ingénieur 1452 Léonard de Vinci (1452,1519) 1548 Simon Stévin (1548,1620) ingénieur; statique mathématiques 1436 Regiomontanus (1436,1476) trigonométrie, astronomie; édition 1445 Luca Pacioli (?1445,1517) Summa arithmetica (1494) Nicolas Chuquet (1445,1500) (Lyon) algèbre 1482 première édition imprimée d’Euclide 1500 Tartaglia (1500,1557) équation du troisième degré (1535); traité de balistique 1501 Cardan (1501,1576) médecin, mathématicien (équation du 3e degré) (Ars Magna, 1545), astrologue, hérétique 1526 Bombelli (1526,1572) opérations sur les imaginaires; algèbre de Diophante 1540 F. Viète (1540,1603) conseiller de Henri IV; algèbre 1550 Napier (Néper) (1550,1617): logarithmes (1614) astronomie 1473 Copernic (1473,1542) De Revolutionibus Orbium Caelestium (1543) 1545 Tycho Brahé (1545,1601) 1548 Giordano Bruno (1548, brûlé vif 1600) 1564 Galilée (1564,1642) observations à la lunette (1610); Dialogue sur les deux grands systèmes (1632); Discours concernant deux sciences nouvelles (1638) 1571 Képler (1571,1630) 1e et 2e loi (1609); 3e loi (1619) médecine 1493 Paracelse (1493,1541) iatrochimie 1509 Michel Servet (1509, brûlé à Genève 1553) médecin, circulation du sang 1514 Vésale (1514,1564) médecin; dissections: Anatomie humaine (1543) 1517 Ambroise Paré (1517,1590) autres 1510 Bernard de Palissy (1510,1589) chimie: émaux (1555); fossiles

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1544 W. Gilbert (1544,1603) médecin; magnétisme: De Magnete (1600) progrès techniques 1351 automates de la cathédrale d’Orvieto 1375 char à quatre roues et à avant-train mobile 1391 premier moulin à papier à Nuremberg 1401 moulins à vent en Hollande 1405 armes à feu portatives 1410 première représentation du système bielle - manivelle 1439 l’imprimerie en Europe; Gutenberg à Mayence en 1450 1450 nouvel essor des mines d’Europe centrale; exploitation des bancs de morue 1470 premiers laminoirs 1480 premières écluses à sas en bois (Allemagne) 1509 première montre 1527 utilisation de la poudre dans les mines de Schemnitz 1556 Georg Agricola: De re metallica 1564 invention du crayon 1565 première bourse de commerce à Londres 1582 calendrier grégorien les “grandes découvertes” 1420 première caravelles portugaises 1488 Bartolomeo Dias double le cap de Bonne-Espérance 1492 Christophe Colomb aux Antilles 1512 Mercator (1512,1594) La carte du Monde (1569) 1520 voyage de Magellan (1470,1521) 1520 chute de Mexico et de l’empire aztèque 1534 Jacques Cartier explore le Saint-Laurent 1543 explorateurs portugais au Japon 1550 galions sur l’Atlantique

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Age classique

événements politiques 1609 indépendance des Provinces-Unies 1618 guerre de Trente Ans: princes allemands, France, Suède 1635 isolement du Japon 1642 mort de Richelieu, de Louis XIII (1643) 1649 exécution de Charles I d’Angleterre; Cromwell Lord protecteur 1653-1658 1682 Pierre le Grand tsar (1682,1725) 1685 révocation de l’Edit de Nantes 1710 famines 1715 mort de Louis XIV 1740 Frédéric II roi de Prusse 1776 déclaration d’indépendance des Etats-Unis 1789 Révolution française littérature, arts 1577 Rubens (1577,1640) 1594 Poussin (1594,1665) 1606 Corneille (1606,1684) 1606 Rembrandt (1606,1669) 1622 Molière (1622,1673) 1631 “La Gazette” de T. Renaudot 1632 Lulli (1632,1687) 1635 fondation de l’Académie française par Richelieu 1638 Racine (1638,1699) 1645 La Bruyère (1645,1696) 1659 Purcell (1659,1695) 1668 Versailles (-> 1690): plans de Le Vau et Jules Hardouin-Mansard, parc de Le Nôtre 1666 François Couperin Le Grand (1666,1733) 1678 Vivaldi (1678,1741) 1680 création de la Comédie française 1683 Jean-Philippe Rameau (1683,1764) 1684 Watteau (1684,1721) 1685 J.-S. Bach (1685,1750) 1685 D. Scarlatti (1685,1757) 1697 Canaletto (1697,1768) 1732 Haydn (1732,1809) 1746 Goya (1746,1828) 1748 David (1748,1825) 1756 Mozart (1756,1791) 1759 Schiller (1759,1815) philosophes 1561 Francis Bacon (1561,1626) 1588 Hobbes (1588,1672) 1592 Gassendi (1592,1655) 1596 Descartes (1596,1650) Discours de la Méthode (1637) 1623 Pascal (1623,1662) Les Provinciales (1656) 1632 Spinoza (1632,1677) 1632 Locke (1632,1704) 1646 Leibniz (1646,1716) 1647 P. Bayle (1647,1707) Dictionnaire historique et critique (1695) 1689 Montesqieu (1689,1755) L’Esprit des Lois (1748) 1694 Voltaire (1694,1778)

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1694 Quesnay (1694,1774) 1712 Rousseau (1712,1778) 1713 Diderot (1713,1784) 1724 Kant (1724,1804) Critique de la Raison pure (1781) 1743 Condorcet (1743,1794) 1748 Bentham (1748,1832) vie scientifique 1620 correspondance de Mersenne (1588,1648) 1657 Accademia del Cimento (Florence) (1657,1667) 1660 Royal Society (charte en 1662) 1665 Philosophical Transactions (Londres) 1666 Journal des Savants (Paris) 1666 Fondation de l’Académie royale des Sciences par Colbert 1675 Observatoire de Greenwich 1686 Fontenelle (1657,1757) Entretiens sur la pluralité des mondes 1700 Académie royale de Berlin et Observatoire 1724 Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg 1735 Université de Göttingen 1751 L’Encyclopédie (1751,1772) 1752 Journal de Physique 1753 fondation du British Museum 1768 Encyclopedia Britannica 1783 création de l’Ecole des Mines les savants mathématiques 1591 Desargues (1591,1661) géométrie projective 1596 Descartes (1596,1650) géométrie analytique (1637) 1598 Cavalieri (1598,1647) les “indivisibles” 1601 Fermat (1601,1665) théorie des nombres; probabilités; géométrie analytique; analyse 1623 Pascal (1623,1662) géométrie, arithmétique, probabilités, précurseur de l’analyse 1629 Huygens (1629,1695) géométrie 1642 Newton (1642,1727) calcul différentiel et intégral 1646 Leibniz (1646,1716) calcul différentiel et intégral, analyse combinatoire 1654 Jacques I Bernoulli (1654,1705) analyse; calcul exponentiel 1654 Varignon (1654,1722) statique; composition des forces, déplacements virtuels 1667 Jean I Bernoulli (1667,1748) divers problèmes d’analyse 1667 Moivre (1667,1754) trigono. des imaginaires 1685 Taylor (1685,1731) analyse 1698 Mac-Laurin (1698,1746) analyse 1704 Cramer (1704,1752) déterminants; systèmes d’équations 1707 Euler (1707,1783) tout! 1710 Simpson (1710,1761) trigono. 1713 Clairault (1713,1765) géométrie 1717 d’Alembert (1717,1783) équations différentielles 1736 Lagrange (1736,1813) calcul des variations (1763) 1743 Condorcet (1743,1794) statistiques 1746 Monge (1746,1818) Traité de géométrie descriptive (1799) 1749 Laplace (1749,1827) fonctions harmoniques; probabilités (1812) 1752 Legendre (1752,1833) nombres, analyse, intégrales elliptiques mécanique, astronomie, géodésie 1548 Simon Stévin (1548,1620) statique 1564 Galilée (1564,1642) chute des corps (Discorsi, 1638) 1625 Cassini (1625,1712) Directeur Observatoire de Paris 1629 Huygens (1629,1695) dynamique; anneaux de Saturne 1635 Hooke (1635,1702)

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1642 Newton (1642,1727) Philosophiae Naturalis Principia Mathematica (1687)) 1656 Halley (1656,1742) observations de la comète en 1682 1698 Maupertuis (1698,1759) principe de moindre action (1747) 1713 Clairault (1713,1765) géodésie, mécanique céleste 1717 d’Alembert (1717,1783) mécanique rationnelle 1725 Bradley: aberration des étoiles fixes 1734 expéditions géodésiques: Pérou (La Condamine) et Laponie (Clairault, Maupertuis) 1736 Lagrange (1736,1813) Mécanique analytique (1788), Géométrie analytique (1795) 1738 W. Herschell (1738,1822) astronome: Uranus (1780) 1749 Laplace (1749,1827) Mécanique céleste (1798-1825) pression atmosphérique, vide 1643 Toricelli (1608,1647) pression atmosphérique 1648 expériences de Pascal (1623,1662) sur le vide 1654 expérience des hémisphères de Magdebourg par O. von Guericke (1602,1686) optique 1621 Snell (1580,1626) loi de la réfraction 1637 Descartes (1596,1650) Dioptrique 1640 (env.) Fermat (1601,1665) polémique avec Descartes; “Principe de Fermat” 1665 Grimaldi (1618,1663) diffraction 1665 anneaux de Hooke (1635,1702), dits “de Newton” 1666 Newton (1642,1727) travaux sur l’optique;Optique (1704) 1669 Bartholin: la double réfraction 1676 Römer: mesure de la vitesse de la lumière (215 000 km/s) 1678 Huygens (1629,1695) théorie ondulatoire de la lumière 1704 Newton (1642,1727) Optique électricité 1660 machine électrostatique de O. von Guericke (1602,1686) 1731 Cavendish (1731,1810) 1733 hypothèse des deux types d’électricité 1736 Coulomb (1736,1806) “loi de Coulomb” 1785 1744 “bouteille de Leyde” (Van Musschenbroeck, von Kleist) 1750 (env.) Franklin (1706,1790) électricité atmosph., pointes, conserv. de la charge 1791 Galvani (1737,1798): effet physiologique des courants (grenouilles) 1800 Volta (1745,1827): pile théorie de la chaleur 1768 J. Fourier (1768,1830) théorie de la chaleur 1778 Rumford: études sur la chaleur dégagée par frottement 1780 mémoire de Laplace et Lavoisier sur la chaleur cristallographie 1736 Romé de l’Isle (1736,1790) cristallographie; constance des angles des cristaux 1743 Hauÿ (1743,1822) minéralogie géométrique Essai d’une théorie sur la structure des cristaux (1783) chimie 1620 Mariotte (1620,1684) loi des gaz (1679) 1627 Boyle (1627,1691) The Sceptical Chymist (1661); loi des gaz (1662) 1660 Stahl (1660,1734) phlogistique 1734 Priestley (1734,1804) oxygène 1737 Guyton de Morveau (1736,1816) nomenclature chimique 1742 Schelle (1742,1786) 1743 Lavoisier (1743,1794) combustion (1773); nomenclature 1748 Berthollet (1748,1822) nomenclature 1754 Black identifie le gaz carbonique; méthodes quantitatives en chimie des gaz 1754 Proust (1754,1826) 1755 Fourcroy (1755,1809) nomenclature 1756 Chaptal (1756,1832) 1766 Cavendish identifie l’hydrogène comme composant de l’eau 1766 Dalton (1766,1814) 1772 découverte de l’azote (Rutherford), du chlore (Scheele) 1774 découverte de l’ammoniac et de l’oxygène (Priestley, Scheele)

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1781 synthèse de l’eau par Cavendish ingénieurs 1736 Watt (1736,1819) machine à vapeur 1753 L. Carnot (1753,1823) Essai sur la puissance des machines (1782) médecine, biologie 1578 Harvey (1578,1657) circulation du sang (1628) 1632 Leeuwenhoek (1632,1723) observation des spermatozoïdes (1677), des bactéries (1681), des globules rouges (1688) 1707 Buffon (1707,1788) 1707 Linné (1707,1778) 1744 Lamarck (1744,1829) transformisme (1800) 1749 Jenner (1749,1823) vaccination (1776) 1769 Cuvier (1769,1832) Leçons d’anatomie comparée (1800) 1771 Bichat (1771,1802) instrumentation; métrologie 1610 lunette de Galilée 1618 premier microscope 1631 invention du vernier 1643 baromètre de Toricelli 1645 machine à calculer de Pascal 1650 pompe à vide de O. von Guericke 1657 pendule de Huygens 1659 machine pneumatique de Boyle 1661 manomètre de Huygens 1668 télescope à miroir de Newton 1670 balance de Roberval 1681 soupape de sûreté de D. Papin 1714 échelle des températures de Fahrenheit 1742 échelle Celsius progrès techniques 1640 production de coke à partir du charbon 1690 essais de combustion de la poudre dans un corps de pompe (Papin, Huygens) 1692 Clayton: pouvoir éclairant du gaz de houille 1698 machine à vapeur de Slavery (mines) 1705 première machine à vapeur de Newcomen 1709 fonte au coke 1712 Réaumur: études sur l’acier 1733 industrie textile: navette volante de J. Kay 1735 première exploitation du pétrole 1740 prairies artificielles 1742 acier fondu 1744 métier à tisser de Vaucanson 1747 production industrielle d’acide sulfurique; paratonnerre de Franklin 1749 machine à carder le coton 1750 semoir mécanique 1751 tour à charioter de Vaucanson 1756 le ciment 1761 premiers rails en fonte (usine) 1762 législation sur les brevets en France 1765 première machine à vapeur de Watt 1772 premier tour à aléser 1776 premier chemin de fer (mine) 1778 premier tour à fileter 1779 premier pont en fonte, sur la Severn 1783 ascension en ballon des frères Montgolfier 1783 Watt: régulateur à boules 1784 puddlage de la fonte

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1787 machine à vapeur dans les filatures de coton 1789 Parmentier: Traité sur la culture et les usages de la pomme de terre

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Bibliographie

1. Epistémologie, philosophie des sciences G. Bachelard: La formation de l'esprit scientifique, Vrin, Paris 1965 Une approche rationaliste des fondements de la science. A. Chalmers: Qu'est-ce que la science ?, La Découverte, Paris 1987 Un résumé des principales pistes en philosophie et sociologie des sciences. P. Feyerabend: Contre la méthode - Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, Points-Sciences

S56, Le Seuil, Paris 1988 Une approche iconoclaste, décapante T. Kuhn: La structure des révolutions scientifiques, Champs- Flammarion, Paris 1982 Essai de systématiser la philosophie, la sociologie et l’histoire des sciences. Fondamental. B. Latour: La science en action, Folio-essais, Paris 1995 Approche sociologique, ethnographique du fonctionnement de la science. Perspicace et révélateur. K. Popper: La logique de la découverte scientifique, Payot, Paris 1984 L’approche “rationaliste” de l’histoire et de la sociologie des sciences. I. Stengers: L’invention des sciences modernes, La Découverte, Paris 1993 Esai de dépasser l’opposition entre l’épistémologie à la Popper et la théorie de la construction

purement sociale des sciences. Intelligent et nuancé.

2. Histoire des disciplines B. Bensaude-Vincent et I. Stengers: Histoire de le chimie, La Découverte, Paris 1993 Au lieu d’un “dévoilement” linéaire de la “vérité”, une approche de l’histoire de la chimie en construction. C. B. Boyer: A History of Mathematics, J. Wiley, New York 1989 Complet, technique; un "classique". P. Breton: Une histoire de l’informatique, Points-Sciences S65, Le Seuil, Paris 1990 Approche ouverte (science ou technique ?, aspects sociaux, etc.). I. B. Cohen: Les origines de la physique moderne, Points-Sciences S95, Le Seuil, Paris 1993

Introduction (assez élémentaire mais intéressante) à l'histoire de la dynamique (Aristote, Galilée, Newton).

Dahan-Dalmedico, J. Peiffer: Une histoire des mathématiques, Points-Sciences S49, Le Seuil, Paris 1986

Par deux mathématiciennes, historiennes des mathématiques, une revue d’ensemble, agréable à lire. Pour scientifiques.

M. Daumas (Sous la direction de): Histoire de la Science, Encyclopédie de la Pléiade, Paris 1955 Exhaustif. Approche traditionnelle, descriptive (histoire des différentes sciences et des institutions) J. Dieudonné: Pour l’honneur de l’esprit humain, Pluriel 8515, Hachette, Paris 1991 Revue brève mais très dense de l’histoire des mathématiques, jusqu’aux résultats contemporains; une introduction autant aux math. qu’à leur histoire. R. Dugas: A History of Mechanics, Dover, New York 1988 Histoire générale de la mécanique, d'Aristote à Bohr. (Paru initialement en français).

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J. Gapaillard: Et pourtant elle tourne, Science ouverte, Le Seuil, Paris 1993 Par un scientifique, un historique rigoureux des conceptions sur le mouvement de la terre, des Grecs au XXe siècle, en passant par Galilée, Newton et Foucault. Remarquable. B. Gille (Sous la direction de ): Histoire des Techniques, Encyclopédie de la Pléiade, Paris 1978 LA référence sur l’histoire des techniques, et ses rapports avec l’histoire des sciences. G. Gohau: Une histoire de la géologie, Points-Sciences S66, Le Seuil, Paris 1990 Une introduction. B. Jacomy: Une histoire des techniques, Points-Sciences S67, Le Seuil, Paris 1990 Inspiré par l’approche de B. Gille; agréable et intéressant, mais pas très approfondi. B. Maitte: La lumière, Points-Sciences S28, Le Seuil, Paris 1981

Par un physicien, les grandes étapes historiques remises dans leur contexte social et philosophique: des Grecs à Fresnel et Planck, en passant par les Arabes et Newton . Excellente vulgarisation.

J. Rosmorduc: Une histoire de la physique et de la chimie, Points-Sciences S47, Le Seuil, Paris 1985 Désordonné; se veut “grand public”, et essaie de vulgariser les contenus scientifiques de manière faussement simple. E. Segre: Les physiciens classiques et leurs découvertes, Fayard, Paris 1987

Les physiciens modernes et leurs découvertes, Fayard, Paris 1984 Approche traditionnelle (contenu technique des recherches, biographies); peu critique, mais bonne référence, et informations de première main dans le T. II.

R. Taton (Sous la direction de ): La science antique et médiévale, Quadrige/PUF, Paris 1994

Description systématique, exhaustive (Egypte, Mésopotamie, Inde, Chine, Grèce, Arabie, Occident). J.-P. Verdet: Une histoire de l’astronomie, Points-Sciences S62, Le Seuil, Paris 1990 Assez touffu. Pas grand chose après 1800. B. Vidal: Histoire de la chimie, Que sais-je 35, PUF, Paris1985 Traditionnel, court et bon.

3. Recueil d’articles sur des questions particulières M.Biezunski (art. rassemblés et présentés par): La Recherche en histoire des sciences, Points-Sciences S37, Le Seuil, Paris 1983 Articles de La Recherche, dont plusieurs sont intéressants, même si peu approfondis. M. Callon (sous la direction de): La science et ses réseaux, La Découverte, Paris 1989

Exemples concrets d’application de la méthode “anthroppologique” au fonctionnement de la science, proche du point de vue de B. Latour.

A. Koyré: Etudes d’Histoire de la Pensée scientifique, Tel 92, Gallimard, Paris 1992

Recueil d’articles par l’un des historiens des sciences les plus marquants (Antiquité, Temps modernes).

M. Serres (Sous la direction de): Eléments d’histoire des Sciences, Bordas, Paris 1989 22 articles illustrant autant de “bifurcations” - original, non-conformiste, très intéressant.

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Table des matières

Avertissement........................................................................................................................... 1

L’Antiquité ............................................................................................................................... 2

Le néolithique .............................................................................................................. 2

Les empires fluviaux .................................................................................................... 2

Les Grecs ...................................................................................................................... 3

1. Les présocratiques (VIe - Ve siècles) ........................................................... 3

2. Les maîtres: Socrate, Platon, Aristote .......................................................... 7

3. Les Alexandrins ........................................................................................... 7

4. Rome, la fin de la science grecque ............................................................... 9

Moyen-Age .............................................................................................................................. 10

Les Arabes .................................................................................................................... 10

Moyen-Age occidental ................................................................................................. 12

1. Essor technique et essor intellectuel ............................................................ 12

2. Les universités .............................................................................................. 13

3. L’Eglise et Aristote ...................................................................................... 14

4. Crise et Renaissance ..................................................................................... 15

Des pratiques aux nombres: l'algèbre ....................................................................................... 18

1. Les précurseurs ......................................................................................................... 18

2. Les Arabes ................................................................................................................ 19

3. Le Moyen-Age occidental ........................................................................................ 20

4. Algèbre et pratique commerciale à la Renaissance .................................................. 21

5. L’équation cubique au XVIe siècle .......................................................................... 21

6. Symbolisme algébrique ............................................................................................ 21

7. Emancipation par rapport à la géométrie ................................................................. 22

8. Les nombres complexes ........................................................................................... 22

9. Solution algébrique générale de l’équation de degré n ............................................ 22

Astronomie, dynamique et naissance de la science moderne ................................................... 24

L’astronomie antique ................................................................................................... 24

1. Le système des sphères ................................................................................ 24

2. Le système d’Aristote et sa cohérence ......................................................... 25

3. Le système d’Hipparque et de Ptolémée ...................................................... 27

4. Systèmes alternatifs ...................................................................................... 28

Théorie du mouvement et astronomie au Moyen Age arabo-latin ............................... 29

Le mouvement .................................................................................................. 29

La révolution copernicienne ......................................................................................... 31

1. Copernic (1473,1542) .................................................................................. 31

ii 2. Tycho Brahé (1545,1601) ............................................................................ 32

3. J. Kepler (1571,1630)................................................................................... 32

4. G. Bruno (1548,1600) .................................................................................. 33

La révolution galiléenne ............................................................................................... 34

1. Deux sources ................................................................................................ 35

2. La lunette et la propagande copernicienne ................................................... 35

3. Relativisme ou réalisme ? ............................................................................ 36

4. Le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (1632) ..................... 37

5. Les Discours sur deux sciences nouvelles (1638) ........................................ 40

6. La révolution galiléenne ............................................................................... 41

L’Age classique ........................................................................................................................ 43

La vie scientifique ........................................................................................................ 43

Expérimentation et instrumentation ............................................................................. 45

Mécanique et mécanisme ............................................................................................. 47

1. Descartes (1596,1650) ................................................................................. 47

2. Newton (1642,1727) .................................................................................... 49

3. Le programme newtonien et les continuateurs ............................................. 51

L'Analyse: entre rigueur et efficacité ....................................................................................... 54

1. Les Grecs .................................................................................................................. 54

2. Les scolastiques ........................................................................................................ 56

3. “Un siècle d’anticipation” ........................................................................................ 57

4. Newton et Leibniz .................................................................................................... 60

5. Succès et développements ........................................................................................ 62

6. La rigueur ................................................................................................................. 63

Géométries anti-euclidiennes ................................................................................................... 66

Chimie ...................................................................................................................................... 69

La chimie d’avant la chimie ......................................................................................... 69

La révolution lavoisienne ............................................................................................. 71

Le débat de l’atomisme ................................................................................................ 73

Physique du XXe siècle ........................................................................................................... 77

La physique nucléaire ................................................................................................... 78

Einstein et la Relativité ................................................................................................ 78

La mécanique quantique .............................................................................................. 81

Les protagonistes de la mécanique quantique .............................................................. 83

Chronologie .................................................................................................................. 84

Repères chronologiques ........................................................................................................... 87

Antiquité ...................................................................................................................... 87

Moyen-Age .................................................................................................................. 91

Renaissance .................................................................................................................. 95

Age classique ............................................................................................................... 98

iii Bibliographie ............................................................................................................................ 102