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UNIVERSITÉ DE NANTES _________ FACULTÉ DE MÉDECINE _________ Année 2014 THÈSE pour le DIPLÔME D’ÉTAT DE DOCTEUR EN MÉDECINE DES de MÉDECINE GÉNÉRALE par Céline ERNST TOULOUSE née le 26 septembre 1985 à Paris (75) et Charlotte NOLLET née le 10 mars 1986 à Saint Jean de Braye (45) _________ Présentée et soutenue publiquement le 7 octobre 2014 Recueil de la situation sociale des patients et prise en charge des inégalités sociales de santé : perspectives en médecine générale Entretiens auprès de 25 médecins généralistes de Loire-Atlantique et Vendée _________ Président du jury : Monsieur le Professeur Rémy SENAND Directeur de thèse : Madame le Docteur Maud JOURDAIN Membres du jury : Monsieur le Professeur Pierre LOMBRAIL Monsieur le Professeur Christian AGARD Madame le Professeur Leïla MORET Monsieur le Docteur Jean-Sébastien CADWALLADER

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UNIVERSITÉ DE NANTES _________

FACULTÉ DE MÉDECINE _________

Année 2014 N°

THÈSE

pour le

DIPLÔME D’ÉTAT DE DOCTEUR EN MÉDECINE

DES de MÉDECINE GÉNÉRALE

par

Céline ERNST TOULOUSE née le 26 septembre 1985 à Paris (75)

et

Charlotte NOLLET née le 10 mars 1986 à Saint Jean de Braye (45)

_________

Présentée et soutenue publiquement le 7 octobre 2014

Recueil de la situation sociale des patients et prise en charge des inégalités sociales de santé : perspectives en médecine générale

Entretiens auprès de 25 médecins généralistes de Loire-Atlantique et Vendée

_________

Président du jury : Monsieur le Professeur Rémy SENAND

Directeur de thèse : Madame le Docteur Maud JOURDAIN

Membres du jury : Monsieur le Professeur Pierre LOMBRAIL

Monsieur le Professeur Christian AGARD

Madame le Professeur Leïla MORET

Monsieur le Docteur Jean-Sébastien CADWALLADER

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Remerciements

À notre directrice de thèse, le Docteur Maud Jourdain, nous te remercions pour ton aide tout au long de ce travail, l’intérêt que tu y as porté, et le temps que tu nous as consacré. Merci d’avoir dirigé cette thèse et de nous avoir permis de mener à bien notre projet.

Au Professeur Rémy Senand, vous nous faites l’honneur de présider ce jury. Veuillez trouver ici l’expression de notre gratitude.

Au Professeur Pierre Lombrail, vous nous faites l’honneur d’être membre de ce jury, et de faire le déplacement dans votre ancienne université. Recevez l’expression de notre profonde reconnaissance.

Au Professeur Christian Agard, vous nous faites l’honneur d’être membre de ce jury. Pour l’intérêt porté à notre travail, soyez assuré de notre gratitude.

Au Professeur Leïla Moret, vous nous faites l’honneur d’être membre de ce jury. Veuillez trouver ici l’expression de notre reconnaissance.

Au Docteur Jean-Sébastien Cadwallader, nous te remercions sincèrement pour ton soutien et ton aide méthodologique pendant notre travail, ainsi que d’avoir fait le déplacement pour être présent dans ce jury.

Aux 25 médecins volontaires, qui ont accepté de participer à notre étude, merci pour votre disponibilité et le temps précieux que vous nous avez accordé. Merci de l’intérêt que vous avez porté à notre sujet.

Au groupe de travail à l’origine de ces recommandations, notamment aux Docteurs Jean-Sébastien Cadwallader, Sophia Chatelard, et Gladys Ibanez, pour votre aide dans la définition de ce travail, l’intérêt que vous y avez porté et votre soutien tout au long de ce projet.

À Paul, pour tes précieux conseils, et le temps consacré à la mise en page et à la relecture de cette thèse.

A Baptiste, pour tes talents de traducteur.

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Remerciements Céline

À Chachou, co-théseuse devant l’éternel, pour ta patience et ton optimisme dans mes moments de stress… Aux prochains rendez-vous sans boulot !

À mes parents, ils se reconnaîtront chacun : pour ton dynamisme un rien hyperactif, pour ton amour un rien fusionnel, pour tes blagues sur mon portable, pour ta patience devant mes doutes, pour ta moue boudeuse quand il te manque un de tes enfants, pour les séances tricot-shopping-dragées, pour tes « et tu es où en stage déjà ? », pour les téléphones à rallonge, pour la fierté dans votre regard.

À mes frères et sœurs, trop loin et si proches, pour vos rires un rien moqueurs devant mes larmes, pour votre présence à chaque instant, pour tous les moments partagés.

À Marc et Virginie, et à mes nombreux très beaux frères et très belles sœurs, pour la place que vous m’avez faite dans votre famille, pour la beauté de l’amour partagé entre v/n-ous.

À mes amis, pour le nombre incalculable de thés, de Colons de Catane, de randos, de papotes, de soirées et de glaces Häagen-Dazs partagés ensemble, pour votre patience devant mes crises existentielles professionnelles…

Aux médecins qui ont croisé ma route, à Aline, Anne, Dominique, Agnès, François, Françoise et Anne, pour m’avoir fait découvrir votre beau métier et ses richesses !

À toi « mon grand » encore petit, ton arrivée dans notre vie a rallongé un peu la durée de cette thèse, et a rendu cette année tellement belle !

Et bien sûr à toi Paul, vivre à tes cotés est le plus beau de mes projets. Pour la douceur de ton amour, pour la famille que nous construisons, pour ton attention de chaque instant… je pourrais en écrire une thèse.

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Remerciements Charlotte

À Céline, pour ce beau travail d’équipe, ce fut un plaisir de le partager avec toi ! Et surtout pour le plaisir de pouvoir à nouveau se voir pour autre chose… !

À mes parents, pour votre soutien et confiance pendant ces longues années d’études, qui m’ont permis d’accomplir ce beau projet. Merci pour votre présence et votre amour au quotidien, depuis vingt-huit ans (et demi).

À mes frères, pour votre intérêt un tant soit peu lourdingue pour ma thèse, et votre bienveillance, soigneusement cachée derrière « quelques » railleries.

À mes pépés et mémés, au reste de la famille. Spéciale dédicace à Pépé Jean, mon premier fan, qui ne m’a pas appelée autrement que Docteur depuis 10 ans.

À mes amis, orléanais, tourangeaux, nantais, plus ou moins éloignés mais tous aussi importants. Merci pour tous les moments partagés et pour le plaisir d’en partager encore bien d’autres.

À tous les médecins qui ont contribué à ma formation, et notamment à Jean-Louis, Marie-Laurence et Hervé qui m’ont fait découvrir et aimer la médecine générale (et le muscadet).

A Greg, pour le bonheur que tu fais naître.

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Sommaire

Liste des abréviations .................................................................................................. 5

INTRODUCTION ........................................................................................................... 6

CONTEXTE ................................................................................................................... 7

1. Les inégalités sociales de santé ................................................................................. 7 1.1. Définitions ....................................................................................................................................... 7 1.2. Contexte et chiffres ......................................................................................................................... 8

1.2.1. Des chiffres révélateurs ........................................................................................................... 8 1.2.2. Un intérêt croissant en santé publique ................................................................................... 9

1.3. Déterminants sociaux : le modèle de l’OMS ................................................................................. 10

2. Le médecin généraliste face aux inégalités sociales de santé ................................... 12 2.1. Le rôle central des soins primaires ................................................................................................ 12 2.2. Faire partie du problème ............................................................................................................... 13

2.2.1. Inégalités dans l’accès primaire et le recours aux soins ........................................................ 13 2.2.2. Inégalités dans l’accès secondaire aux soins ......................................................................... 14 2.2.3. L’interaction médecin-patient source d’inégalités ................................................................ 15 2.2.4. Des pratiques discriminatoires .............................................................................................. 16

2.3. Contribuer à la solution ................................................................................................................. 17 2.3.1. Corriger la part d’inégalités liées aux soins ........................................................................... 18 2.3.2. Accompagner les patients défavorisés .................................................................................. 18 2.3.3. Prendre conscience des ISS.................................................................................................... 18

3. Le recueil de la situation sociale des patients .......................................................... 19 3.1. Un recueil nécessaire ..................................................................................................................... 19

3.1.1. Orienter la prise en charge et repérer les patients vulnérables ............................................ 19 3.1.2. Évaluer sa pratique ................................................................................................................ 20 3.1.3. Créer des données de santé publique et améliorer les recommandations ........................... 20

3.2. Un recueil déjà recommandé en France et en Europe .................................................................. 21 3.3. Des outils de repérage déjà évoqués ............................................................................................ 21 3.4. Un recueil à formaliser : Recommandations du Collège de la Médecine Générale ...................... 23

3.4.1. Méthode du groupe de travail ............................................................................................... 24 3.4.2. Résultats du groupe de travail ............................................................................................... 24

3.5. Quelles perspectives pour ce recueil en médecine générale ? Notre travail. ............................... 26

MATÉRIEL ET MÉTHODES ........................................................................................... 27

1. Description de l'étude ............................................................................................ 27 1.1. Élaboration du sujet et objectif de notre travail ........................................................................... 27 1.2. Population étudiée ........................................................................................................................ 27 1.3. Investigatrices ................................................................................................................................ 27 1.4. Recueil des données ...................................................................................................................... 28

1.4.1. Guide d’entretien................................................................................................................... 28 1.4.2. Mode de recueil ..................................................................................................................... 28 1.4.3. Recueil du consentement ...................................................................................................... 28

1.5. Analyse des données ..................................................................................................................... 29

2. Thèse en binôme .................................................................................................... 29 2.1. Intérêt ............................................................................................................................................ 29 2.2. Répartition du travail ..................................................................................................................... 29

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RÉSULTATS ................................................................................................................ 30

1. Caractéristiques de la population étudiée et des entretiens ..................................... 30

2. Analyse thématique ............................................................................................... 32 2.1. Réalité du recueil ........................................................................................................................... 32

2.1.1. Le terme « recueil » pose question ....................................................................................... 32 2.1.2. Différentes modalités de recueil ........................................................................................... 33 2.1.3. Critères cités spontanément par les médecins ...................................................................... 36 2.1.4. Recueil variable selon les critères .......................................................................................... 37

2.1.4.1. Critères recueillis par une grande majorité des médecins ............................................. 37 2.1.4.2. Critères peu recueillis par les médecins......................................................................... 37 2.1.4.3. Critères recueillis en fonction du contexte .................................................................... 38 2.1.4.4. Critères regroupant plusieurs informations au recueil variable .................................... 38

2.1.5. Autres données évoquées ..................................................................................................... 39 2.2. Perspectives du recueil .................................................................................................................. 40

2.2.1. Intérêt logistique ................................................................................................................... 41 2.2.2. Connaissance globale du patient ........................................................................................... 41 2.2.3. Intérêt pour la prise en charge diagnostique et thérapeutique ............................................ 42 2.2.4. Repérage des vulnérabilités ................................................................................................... 43

2.2.4.1. Évaluation de la situation socio-financière .................................................................... 44 2.2.4.2. Évaluation de l’accès et du recours aux soins ................................................................ 44 2.2.4.3. Évaluation de l’entourage social .................................................................................... 46 2.2.4.4. Évaluation du niveau de compréhension et des croyances ........................................... 46

2.2.5. Amélioration de l’écoute et de la relation médecin-patient ................................................. 47 2.2.6. Prise en charge pluri-professionnelle .................................................................................... 48 2.2.7. Intérêt épidémiologique: prise de conscience des ISS et production de données ................ 48

2.3. Limites du recueil .......................................................................................................................... 49 2.3.1. Difficulté logistique et données évolutives ............................................................................ 49 2.3.2. Inquiétude sur l’acceptabilité par le patient .......................................................................... 49 2.3.3. Recueil jugé trop intrusif........................................................................................................ 51 2.3.4. Réticence au recueil écrit ...................................................................................................... 51 2.3.5. Interrogations sur la place de ce recueil dans la pratique des médecins généralistes .......... 52 2.3.6. Certains critères mal acceptés ............................................................................................... 52

2.3.6.1. Critères difficiles à recueillir, ou refusés ........................................................................ 52 2.3.6.2. Critères jugés redondants .............................................................................................. 53 2.3.6.3. Critères jugés non discriminants et stigmatisants ......................................................... 54

2.4. Modification du recueil après la présentation de ces recommandations ..................................... 55 2.4.1. Absence de modification du recueil ...................................................................................... 55 2.4.2. Volonté d’améliorer le recueil ............................................................................................... 56

2.5. Problématique des logiciels ........................................................................................................... 57 2.5.1. Recueil informel dans les logiciels actuels ............................................................................. 57 2.5.2. Logiciels à améliorer .............................................................................................................. 57

2.6. Connaissance et vécu des médecins sur le thème des ISS ............................................................ 58 2.6.1. Connaissances générales sur les ISS et leurs déterminants ................................................... 58 2.6.2. Connaissances sur les problématiques d’accès aux soins ..................................................... 59 2.6.3. Interrogations sur le rôle du médecin généraliste et du système de soins dans la prise en

charge des ISS ......................................................................................................................................... 60 2.6.4. Vécu des ISS variable selon le lieu, le type, et la durée d’activité ......................................... 61 2.6.5. Représentations sur les patients bénéficiant de la CMU ....................................................... 62

2.7. Une volonté de soins similaires déclarée ...................................................................................... 63 2.7.1. Une volonté de soins identiques pour tous ........................................................................... 63 2.7.2. Une adaptation effective de la prise en charge ..................................................................... 64

3. Analyse par critères ................................................................................................ 66 3.1 Critères indispensables ............................................................................................................. 66 3.2 Critères utiles, à recueillir au cours du suivi ............................................................................. 73

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4. Typologie ............................................................................................................... 84 4.1. Les « réticents » ............................................................................................................................. 84

4.1.1. Les « biomédecins » ............................................................................................................... 86 4.1.2. Les « logisticiens » ................................................................................................................. 87 4.1.3. L’ « enseignant » .................................................................................................................... 88 4.1.4. Les « confidents » .................................................................................................................. 88

4.2. Les « mobilisables » ....................................................................................................................... 90 4.2.1. Les « spécialistes » ................................................................................................................. 91

4.2.1.1. Recueil en cas de problématique d’autonomie: le « gériatre » ..................................... 91 4.2.1.2. Recueil en cas de souffrance morale : le « psychologue » ............................................. 92

4.2.2. Les « complexes » .................................................................................................................. 92 4.3. Les « favorables » .......................................................................................................................... 94

4.3.1. Les « vigilants » ...................................................................................................................... 96 4.3.2. Les « militants» ...................................................................................................................... 96

4.4. Conclusion typologie ..................................................................................................................... 98

DISCUSSION .............................................................................................................. 99

1. Forces et faiblesses du travail ................................................................................. 99 1.1. Forces ............................................................................................................................................ 99

1.1.1. Richesses de la méthode choisie ........................................................................................... 99 1.1.2. Travail d’équipe, triangulation des chercheurs ..................................................................... 99 1.1.3. Échantillon varié .................................................................................................................. 100

1.2. Faiblesses ..................................................................................................................................... 101 1.2.1. Faiblesses dans le recueil ..................................................................................................... 101

1.2.1.1. Entame d’entretien ambiguë ....................................................................................... 101 1.2.1.2. Biais dans la réalisation des entretiens ........................................................................ 101

1.2.2. Saturation des données difficile à atteindre ........................................................................ 102 1.2.3. Faiblesses dans la construction de la typologie ................................................................... 102

2. Résultat principaux ............................................................................................... 103 2.1. Repérage intuitif et non formalisé............................................................................................... 103 2.2. Perspectives du recueil à développer .......................................................................................... 104 2.3. Limites importantes à prendre en compte .................................................................................. 105

2.3.1. Recueil systématique jugé intrusif et parfois inutile ........................................................... 105 2.3.2. Peur de stigmatiser et de catégoriser .................................................................................. 106 2.3.3. Difficulté de la mise à jour des données .............................................................................. 107 2.3.4. Questionnements sur certains critères................................................................................ 107

2.3.4.1. Trois premiers critères évidents .................................................................................. 107 2.3.4.2. Certains critères difficiles à recueillir, voire refusés .................................................... 108

2.4. Leviers d’action adaptés à la typologie ....................................................................................... 109 2.4.1. Leviers pour les « réticents » ............................................................................................... 109 2.4.2. Leviers pour les « mobilisables » ......................................................................................... 110 2.4.3. Leviers pour les « favorables » ............................................................................................ 110

3. Réflexions autour de la conception de l’équité des soins ........................................ 111 3.1. Rechercher l’équité ..................................................................................................................... 111 3.2. Le concept de « capabilité » ........................................................................................................ 112 3.3. Des soins universels ou sur-mesure ? .......................................................................................... 113 3.4. Sensibiliser à l’équité des soins, un levier important pour une meilleure acceptabilité des

recommandations ..................................................................................................................................... 113

4. La formation des médecins sur les ISS .................................................................... 114 4.1. Des médecins peu formés ........................................................................................................... 114 4.2. Une formation à améliorer .......................................................................................................... 115

5. Perspectives .......................................................................................................... 116

CONCLUSION ............................................................................................................ 118

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RÉFÉRENCES ............................................................................................................. 121

ANNEXES .................................................................................................................. 126

Annexe I: Liste des 33 indicateurs du groupe d’experts issus de la bibliographie ................ 126

Annexe II: Modalités de recueil prévues pour chaque critère par le groupe d’experts ........ 128

Annexe III : Guide d’entretien .......................................................................................... 129

Annexe IV : Répartition du travail Céline Ernst Toulouse / Charlotte Nollet ....................... 131 1. Réalisation, retranscription et analyse des entretiens ........................................................... 131 2. Rédaction ................................................................................................................................ 131

Annexe V : Tableau descriptif des médecins ..................................................................... 132

Annexe VI : Catégories et thèmes après codage ................................................................ 133

SERMENT MÉDICAL ........................................................................................................ 137

RÉSUMÉ .......................................................................................................................... 138

ABSTRACT ....................................................................................................................... 139

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Liste des abréviations

AAH : Allocation Adulte Handicapé ACS : Aide pour une Complémentaire Santé ALD : Affection Longue Durée AME : Aide Médicale d’État ANAES : Agence Nationale d'Accréditation et d'Évaluation en Santé (remplacée par la

Haute Autorité de Santé depuis 2004) CDD : Contrat à Durée Déterminée CDI : Contrat à Durée Indéterminée CDSS : Commission des Déterminants Sociaux de la Santé CES : Centres d’Examens de Santé CIVG: Centre Interruption Volontaire de Grossesse CMU : Couverture Maladie Universelle CMUc : Couverture Maladie Universelle Complémentaire CSP : Catégorie Socio-Professionnelle CUCS : Contrat Urbain de Cohésion Sociale DCI : Dénomination Commune Internationale DREES : Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques DU : Diplôme Universitaire ECOGEN : Eléments de la consultation en médecine générale (nom d’une étude)

EPICES : Évaluation de la Précarité et des Inégalités de santé dans les Centres d’Examens de Santé

HALDE : Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalite (dissoute en 2011, missions transférées au défenseur des droits).

HCSP : Haut Conseil de la Santé Publique (ayant succédé en 2004 au Haut Comité de la Santé Publique)

HLM : Habitation à Loyer Modéré IGAS : Inspection Générale des Affaires Sociales INPES : Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé INSEE : Institut National de la Statistique et des Études Économiques INVS : Institut National de Veille Sanitaire IRDES : Institut de Recherche et de Documentation en Économie de la Santé ISS : Inégalités Sociales de Santé MDPH : Maison Départementale des Personnes Handicapées MGEN : Mutuelle Générale de l'Éducation Nationale MMS : Mini Mental State (test d’évaluation des fonctions cognitives) OMS : Organisation Mondiale de la Santé OS : Ouvrier Spécialisé PASS : Permanence d’Accès aux Soins de Santé PMI : Protection Maternelle et Infantile RSA : Revenu de Solidarité Active SDF : Sans Domicile Fixe SIRS : Santé, Inégalité et Ruptures Sociales (nom d’un programme de recherche) ZUS : Zone Urbaine Sensible

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INTRODUCTION

Les Inégalités Sociales de Santé (ISS) sont une réalité en France aujourd’hui bien démontrée. Si elles relèvent avant tout d’inégalités sociales plus globales, le système de soins a également sa part de responsabilité, et donc un rôle à jouer dans leur diminution. Le médecin généraliste, par sa place privilégiée de premier contact avec le système de soins, et sa connaissance du contexte de vie du patient, est en mesure de les prendre en compte dans sa pratique routinière. Cette problématique est devenue une priorité pour l’OMS1 et figure désormais parmi les orientations des politiques de santé françaises et internationales.

Dans ce contexte, des recommandations du Collège de la Médecine Générale ont été publiées en mars 2014, préconisant l’enregistrement de la situation sociale des patients dans les dossiers de médecine générale. À travers seize critères à recueillir, les experts appellent les médecins généralistes à la vigilance et à la prise en compte du contexte de vie des patients, chacun de ces critères ayant prouvé son impact sur les comportements de santé et sur la santé en général (1).

Les pratiques des professionnels s’inscrivent dans des processus complexes, et la publication d’une recommandation ne suffit pas à avoir un impact sur ces pratiques. Il est essentiel de connaitre le recueil actuel des médecins généralistes, et d’appréhender leurs usages d’un tel recueil, pour comprendre leurs réactions à ces recommandations et les éventuelles modifications de pratiques qu’elles pourraient induire. Quelques travaux ont déjà exploré les représentations des médecins généralistes sur les ISS, d’autres se sont attachés à l’analyse de leur pratique concernant le dépistage de la précarité. En revanche, il n’existe pas, à notre connaissance, de travaux explorant leur pratique actuelle sur le recueil de la situation sociale des patients dans les dossiers, ni leur acceptabilité d’un tel recueil. Notre travail vise à explorer ces deux dimensions dans une perspective compréhensive, à travers une étude qualitative par entretiens individuels, afin d’éclairer la réception de ces recommandations et d’envisager des leviers pouvant améliorer leur acceptabilité.

Afin de situer le contexte dans lequel ont été réfléchies ces recommandations et notre travail, nous développerons tout d’abord la notion d’ISS, ainsi que le contexte européen et français autour de cette problématique. Nous décrirons le modèle de l’OMS sur les déterminants sociaux de santé, modèle expliquant les « causes des causes » des ISS. Nous verrons ensuite comment le système de soins peut être créateur d’ISS, mais également comment il peut contribuer à les réduire, s’il prend en compte les caractéristiques sociales des patients. Nous présenterons les recommandations publiées, avec les seize critères retenus par le groupe de travail. Enfin, nous décrirons notre travail, les résultats de notre étude, et discuterons des réflexions qu’ils ont fait naître.

1 OMS : Organisation Mondiale de la Santé

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CONTEXTE

1. LES INÉGALITÉS SOCIALES DE SANTÉ

1.1. Définitions

Les ISS correspondent aux différences d’état de santé observées entre des groupes sociaux. Elles font référence à toute relation entre la santé d’un individu et son appartenance à une catégorie sociale (2). L’OMS les définit comme les « différences systématiques et potentiellement évitables concernant un ou plusieurs aspects de la santé à travers des populations ou groupes définis selon des critères sociaux, économiques, démographiques ou géographiques » (3). Parler d'ISS signifie que quel que soit le type d'indicateur socio-économique (catégorie socioprofessionnelle (CSP), niveau de revenus, formation...) et sanitaire (mortalité, mortalité précoce, espérance de vie sans incapacité, morbidité) retenu, les catégories plus favorisées sont globalement en meilleure santé que les catégories moins favorisées. Les ISS sont considérées comme « évitables » car elles ne sont pas le produit du hasard ou de la seule biologie, mais de déterminants socialement construits (4).

Si la santé des plus pauvres représente la partie émergée d'un iceberg, les ISS ne sont pas synonymes de précarité, de pauvreté ou d'exclusion sociale. Le lien entre état de santé et position dans la hiérarchie sociale ne concerne pas que les plus défavorisés, mais l'ensemble de la population. La morbi-mortalité est graduellement croissante le long d'une échelle sociale descendante, et chaque catégorie sociale présente un niveau de mortalité et de morbidité plus faible que le groupe social inférieur, d'où le terme de « gradient social » des inégalités de santé. Pour décrire la notion de processus dynamique et multidimensionnel, le terme de « vulnérabilité sociale » est fréquemment utilisé, préféré à celui de « précarité », qui est souvent confondu dans le langage courant avec la notion de pauvreté ou d’extrême pauvreté. La vulnérabilité sociale concerne ainsi chaque personne, toutes catégories sociales confondues, dans la mise en défaut de certaines sécurités (perte d’emploi ou de logement, deuil, etc.), et sa capacité à y faire face. Elle varie dans le temps en fonction de la présence ou non de ces sécurités (5).

Les termes « inégalités sociales de santé » et « inégalités de santé » sont souvent utilisés de manière indifférenciée. Or, les inégalités de santé, sans l’adjectif « sociales », ne relèvent pas que de la justice sociale mais d’autres facteurs génétiques ou physiologiques, comme le vieillissement. L’OMS préfère donc utiliser le terme d’« inéquité ». Ce terme fait référence à des différences dans le domaine de la santé « inacceptables et potentiellement évitables, considérées de plus comme inéquitables et injustes ». Il a donc une dimension morale et éthique (7).

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1.2. Contexte et chiffres

1.2.1. Des chiffres révélateurs

Si la santé et l'espérance de vie n'ont cessé de s'améliorer en France au cours des dernières décennies, certaines catégories en ont plus profité que d’autress'accroitre. La France possède l'espérance de vie à 65 ans la plus élevée d'Eurest également le pays d'Europe CSP sont les plus grands (2).

En France en 2003, à l’âge de 35 ans, un homme cadre supérieur a une espérancetotale supérieure de six ans par rapport à un homme ouvrier. Cette pour l’espérance de vie sans incapacitécourte et passent plus d’années en incapacitéretrouve ici la notion de gradient populations en grande précarité, puisque ces statistiques concernent les ouvriers et les cadres supérieurs, alors même que ces deux catégories bénéficientd’une insertion sociale (9).

Figure 1: Espérance de vie

2 Incapacité de type I : existence de limitation fonctionnelle résiduelle physique et sensorielle

Contexte et chiffres

Des chiffres révélateurs

l'espérance de vie n'ont cessé de s'améliorer en France au cours des dernières certaines catégories en ont plus profité que d’autres et les inégalités ont tendance à

s'accroitre. La France possède l'espérance de vie à 65 ans la plus élevée d'Eurle pays d'Europe occidentale où les écarts de mortalité selon le diplôme et/ou la

, à l’âge de 35 ans, un homme cadre supérieur a une espéranceans par rapport à un homme ouvrier. Cette différence est de

pour l’espérance de vie sans incapacité2 (Figure 1). Les ouvriers ont une espérance de vie plus courte et passent plus d’années en incapacité : c'est la notion de « doubleretrouve ici la notion de gradient social traversant toute la population et ne se limitant pas aux populations en grande précarité, puisque ces statistiques concernent les ouvriers et les cadres supérieurs, alors même que ces deux catégories bénéficient d’un emploi, d’un loge

spérance de vie à 35 ans avec et sans incapacité chez les cadres supéouvriers de sexe masculin (8)

: existence de limitation fonctionnelle résiduelle physique et sensorielle

8

l'espérance de vie n'ont cessé de s'améliorer en France au cours des dernières et les inégalités ont tendance à

s'accroitre. La France possède l'espérance de vie à 65 ans la plus élevée d'Europe, mais elle où les écarts de mortalité selon le diplôme et/ou la

, à l’âge de 35 ans, un homme cadre supérieur a une espérance de vie différence est de dix ans

Les ouvriers ont une espérance de vie plus double-peine » (8). On

traversant toute la population et ne se limitant pas aux populations en grande précarité, puisque ces statistiques concernent les ouvriers et les cadres

d’un emploi, d’un logement et

chez les cadres supérieurs et les

: existence de limitation fonctionnelle résiduelle physique et sensorielle

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1.2.2. Un intérêt croissant en santé publique

La question des ISS et de leur réduction suscite un intérêt croissant dans la communauté scientifique mondiale, et française plus récemment ; et devient une priorité des politiques de santé.

Le rapport Black, rapport officiel sur les ISS publié en Grande-Bretagne en 1980, est l’un des premiers à révéler l’étroite association entre la position d’un individu dans la structure sociale et son état de santé. Ce rapport constitue encore aujourd’hui une référence incontournable (10). L'OMS a constitué en 2005 la Commission des déterminants sociaux de la santé (CDSS). Elle rappelle, dans son rapport Combler le fossé en une génération en 2008, que réduire les inégalités de santé est une question de justice sociale et un impératif éthique. Elle appelle à combler en une génération le fossé existant entre les différents échelons de la société, en agissant partout dans le monde sur les déterminants sociaux de la santé (11).

L’Union Européenne s’est également engagée dans la réduction des ISS, et son programme de santé publique (2008-2013) met l'accent sur les inégalités de santé et les déterminants sociaux de la santé. Il souligne l'importance des déterminants de la santé liés au mode de vie ainsi que des déterminants sociaux et environnementaux (12).

En France, la question des ISS a émergé à l’occasion de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, mais seulement en termes d’accès aux soins et de réduction de la précarité. Dans un premier temps, la France n'a été que peu présente dans les expériences menées au niveau international. Elle n’a pas fait partie des pays qui ont signé et participé aux travaux de la Commission sur les déterminants sociaux de la santé de l'OMS, et le rapport de 2008 y est donc passé relativement inaperçu (9). La période récente a toutefois connu des évolutions notables, qui témoignent d'une meilleure prise de conscience du problème et de ses enjeux. Depuis quelques années, de nombreux rapports publiés (HCSP3, IGAS4, INPES5) témoignent de la gravité de la situation en France et de la volonté de prise en compte de ce problème.

Ainsi, le rapport de l’IGAS de 2011 rappelle l’importance d’agir sur les déterminants sociaux de la santé en constatant que ni la qualité du système de soins ni la lutte contre la pauvreté ne suffisent à réduire les inégalités de santé. Il insiste sur la nécessité de passer d'un modèle centré sur l'accès aux soins et la prise en charge des populations précaires, à une action qui prenne en compte l'ensemble de la population en proportionnant les interventions en fonction des besoins (4). Ce rapport met en avant que les ISS ne constituent pas encore en France un objet de politique publique à part entière. Il reprend l’analyse de M. Elbaum (13), pour expliquer que l'état de la question se situe entre le stade de la prise de conscience (étape 1) et celui de la perception comme enjeu de politique publique (étape 2), en deçà de la construction d'une politique globale et coordonnée (étape 3).

3 HSCP : Haut Conseil de la Santé Publique, ayant succédé en 2004 au Haut Comité de la Santé Publique 4 IGAS : Inspection Générale des Affaires Sociales 5 INPES : Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé

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1.3. Déterminants sociaux : le modèle de l’OMS

Le concept de déterminants sociaux de la santé vise à expliquer comment les inégalités sociales se « transforment » en inégalités de santé (4). Il existe de très nombreux modèles pour décrire ces déterminants de santé, et la façon dont ils s’articulent entre eux pour générer les inégalités de santé. Nous avons décidé ici d’en décrire un.

Le modèle de la Commission des déterminants sociaux de la santé, élaboré sous l'égide de l'OMS et sous la direction de M. Marmot en 2008, propose en effet une synthèse de presque quatre décennies de recherche sur les déterminants de la santé (14). Cette commission, à partir du document préparatoire de Solar et Irwin de 2007 (15), a travaillé sur les causes fondamentales des ISS – les « causes des causes ». Elle illustre la façon dont elles agissent sur d’autres facteurs intermédiaires et successifs pour déterminer in fine les états de santé différentiels des populations. Il s’agit aujourd’hui du modèle le plus abouti et le plus consensuel pour expliquer la genèse des ISS.

Ce modèle distingue trois composantes fondamentales :

La première catégorie représente la dimension macroscopique, liée au contexte socio-économique et politique global. Elle inclut tout le spectre de facteurs sociétaux qui ne peuvent être mesurés au niveau individuel : la gouvernance, les politiques macro-économiques, les politiques sociales, les politiques publiques, les valeurs sociétales, les conditions épidémiologiques.

La deuxième catégorie se compose des déterminants structurels liés à la position socio-économique des individus. Elle constitue l'élément central du modèle, les inégalités étant déterminées par le statut socio-économique différent des individus, qui résulte du revenu, de la formation et de l'emploi, auxquels se combinent deux autres facteurs : le genre et l'ethnie.

− Le revenu représente la dimension qui mesure directement la composante « ressources matérielles » de la position socio-économique. Avec la formation, il présente une association « dose-réponse » avec l'état de santé, et influence directement les circonstances matérielles qui ont des implications directes sur la santé.

− La formation reflète la transition entre la position socio-économique des parents (notamment les ressources intellectuelles et matérielles) et la position socio-économique de leur enfant devenu adulte. C'est un fort déterminant de son futur revenu et de sa capacité à trouver un emploi. Sa construction débute dès le plus jeune âge, est influencée par l'accès et la performance lors de l'enseignement primaire et secondaire, et n'évolue plus à l'âge adulte pour la plupart des gens.

− L'emploi est défini dans une double dimension : il indique l'exposition à des risques professionnels spécifiques, et définit la place des individus dans la hiérarchie sociale. Les mécanismes qui expliquent la corrélation entre emploi et santé sont multiples :

- exposition directe à un environnement de travail toxique ou à des tâches très exigeantes sur le plan physique, dommageables sur la santé ;

- corrélation au revenu, et donc aux ressources matérielles ;

- reflet du standing social, pouvant se traduire par un accès différencié à certaines facilités (meilleure qualité des soins, offre de soins, meilleure qualité du logement) ;

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- lien avec les réseaux sociaux, le stress professionnel, l'autonomie ou encore le sentiment de contrôle, qui peuvent toucher la santé par le biais de processus psycho-sociaux.

− Le genre et l'ethnie sont également des déterminants structurels de la santé et ont un rôle plus ou moins important selon les pays, selon qu'ils puissent être une variable discriminante pour l'accès à un emploi, une formation, aux ressources et à la santé.

La troisième catégorie comprend les déterminants intermédiaires de la santé. Ils découlent de la stratification sociale définie par les déterminants structurels. Ils sont reliés à une série d'influences au niveau individuel qui déterminent les différences d'exposition et de vulnérabilité à des conditions défavorables à la santé :

− Les circonstances matérielles incluent tous les déterminants liés à l'environnement physique de travail et de vie, notamment les moyens financiers pour un logement, une nourriture, et un habillement de qualité. Les différences au niveau des circonstances matérielles sont considérées comme le principal facteur intermédiaire selon la commission de l'OMS.

− Les circonstances psycho-sociales ou socio-environnementales incluent les facteurs de stress psycho-sociaux, au travail ou dans la vie courante (par exemple l’endettement), les évènements personnels négatifs, la faiblesse du support social ou familial, ainsi que les méthodes pour faire face au problème.

− Les facteurs comportementaux et biologiques comprennent :

- Les facteurs comportementaux, en matière de dépendance, de régime alimentaire ou d’activité physique. Ils font référence au style de vie et leur corrélation avec l'état de santé est bien établie, même si seuls, ils ne suffisent pas toujours à expliquer les inégalités de santé.

- Les facteurs biologiques, qui n’interviennent pas ici de manière directe, mais peuvent apparaître dans le cadre de processus complexes. Par exemple, les circonstances matérielles peuvent agir en tant que facteur de stress psychosocial, lequel peut influencer les comportements tels que l’abus de substances et de nourriture, et impacter alors la santé à travers des facteurs biologiques spécifiques.

− Le système de santé : à l’intérieur de cette troisième catégorie, le modèle de l’OMS considère le système de santé en tant que déterminant social à part entière (14).

Ce modèle met en avant que les comportements de santé, souvent évoqués comme principaux responsables des inégalités, ne sont pas qu'individuels, mais sont liés aux déterminants structurels, et s'inscrivent dans un parcours de vie socialement déterminé. L’accès à l'information sur la santé, le niveau d'éducation, l’insertion dans des réseaux sociaux, et le niveau de revenus sont autant d'éléments qui entrent en compte dans les comportements en santé, au-delà de la seule responsabilité individuelle. De plus, les comportements en santé sont influencés par l'environnement créé par les politiques publiques (prix des aliments, accès aux fast-food, lobby agro-alimentaire, accès à l'activité physique dans différentes zones géographiques, etc.) (4). Il est ainsi essentiel de distinguer les causes proximales (les comportements des individus) des causes fondamentales (le contexte favorisant ou non) dans lesquelles ces comportements s’insèrent (9).

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La Figure 2, issue du rapport de l’OMS, récapitule l’ensemble de ces déterminants, et la façon dont ils s’agencent pour impacter sur l’état de santé des individus.

Figure 2: Déterminants sociaux de la santé. D’après le rapport de l’OMS, 2008 (11)

L’existence d’ISS, et ce modèle explicatif, montrent que ces déterminants sociaux sont des facteurs de risque pour la santé à part entière, à prendre en compte au même titre que d’autres facteurs de risque classiques (tabac, prédisposition génétique, facteurs de risque biologiques, etc.) dans la prise en charge de tout patient.

2. LE MÉDECIN GÉNÉRALISTE FACE AUX INÉGALITÉS SOCIALES DE SANTÉ

2.1. Le rôle central des soins primaires

Comme nous l’avons vu, les ISS sont essentiellement déterminées par des différences de répartition des ressources financières, éducatives et sociales, c'est-à-dire par des mécanismes situés en amont du système de soins. A ces différents déterminants correspondent différentes possibilités de lutte contre les ISS, qui relèvent d'abord de politiques sociales globales : amélioration des conditions de travail, des conditions de vie matérielles et de logement, de la cohésion sociale, de l’éducation, etc.

Cependant, ces inégalités interpellent aussi le système de santé, et particulièrement le monde des soins primaires. En effet, les politiques de santé semblant les moins inégalitaires sont celles qui mettent la médecine de premier recours au cœur de l’organisation des soins, et le médecin généraliste dans un rôle de coordinateur des soins et d’orientateur dans le système (« gatekeeper ») (16). Ainsi, l’une des stratégies retenues par les pays européens ayant pris en main le problème des ISS (Grande-Bretagne ou Pays-Bas par exemple) est de conforter la

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place du médecin de premier recours au cœur de l’organisation des soins. La Commission des déterminants sociaux de la santé de l’OMS insiste également sur le rôle central des soins primaires : « Les systèmes de santé donnent de meilleurs résultats sanitaires s’ils reposent sur le modèle des soins de santé primaires, c'est-à-dire dire s’ils privilégient une action appropriée au niveau local qui englobe l’ensemble des déterminants sociaux et qui respecte l’équilibre entre la promotion de la santé et la prévention d’une part, et les interventions curatives d’autre part, et s’ils mettent l’accent sur le niveau de soins primaires, avec un bon système d’orientation vers les niveaux de soins plus spécialisés » (11).

Pour réfléchir au rôle de la médecine générale face aux ISS, le titre de l’article d’Hector Falcoff dans le rapport de l’INPES pose la problématique de manière claire : Le dilemme de la médecine générale face aux inégalités : faire partie du problème, ou contribuer à la solution (17). Nous développerons donc comment la médecine générale peut être créatrice d’inégalités de santé, et comment à l’inverse, elle peut participer à la réduction de ces inégalités.

2.2. Faire partie du problème

Si comme nous l’avons vu, l’essentiel des ISS s’explique par des facteurs sociétaux, le système de soins a également sa part de responsabilité dans la genèse ou l’entretien de ces inégalités. Pour appréhender cette place du système de soins, P. Lombrail et J. Pascal distinguent, à la suite d’auteurs anglo-saxons, l’« accès primaire », c’est-à-dire l’entrée dans le système de soins, de l’« accès secondaire », correspondant à la manière structurellement déterminée dont se déroulent les soins après un premier contact(18).

2.2.1. Inégalités dans l’accès primaire et le recours aux soins

L'utilisation du système de santé et les trajectoires des patients varient avec leur position socio-économique. L’étude de la DREES6 en 2002 montre que, toutes choses égales par ailleurs, en particulier pour un état de santé donné, le recours aux soins ambulatoires est plus faible dans les ménages ouvriers, alors qu’ils ont des consommations hospitalières et des dépenses de santé globalement plus élevées. Les dépenses de médecins spécialistes, d’analyses biologiques, de soins optiques et les recours aux soins dentaires sont eux plus importants chez les cadres (19).

La théorie de l’ « inverse care law » développée par Hart en 1971 puis par Mercer, développe également l’idée que la distribution de l’offre de soins varie de manière inverse aux besoins de soins des populations : les zones abritant les populations les plus défavorisées et requérant le plus de soins sont aussi les zones les moins bien dotées en ressources médicales. Le délai d’accès aux soins est plus élevé pour ces populations, avec un temps de consultation plus court (20).

La problématique de l’accès aux soins est extrêmement complexe et développée dans de nombreux rapports. Si les freins financiers existent évidemment, notamment en l’absence de couverture complémentaire, ils ne suffisent pas à expliquer à eux-seuls le non-recours aux soins des patients défavorisés. Ces différences de recours aux soins pourraient alors s'expliquer par des barrières culturelles : les populations les plus pauvres et les moins éduquées ont tendance à recourir aux soins moins fréquemment ou plus tardivement, en raison

6 DREES : Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques

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d’une moindre connaissance des filières de soins ou d’un rapport différent au corps et à la maladie (21).

2.2.2. Inégalités dans l’accès secondaire aux soins

Il existe aussi des inégalités sociales de soins au sein même des patientèles des médecins généralistes. Il semble en effet qu'en dehors de la disponibilité effective de l’offre et de l’accès aux soins, le système de soins peut apporter des réponses différentes, à pathologie équivalente, selon les caractéristiques sociales des patients (22).

P. Lombrail développe ce concept d’inégalités dans l’accès secondaire aux soins, c’est-à-dire dans la reconnaissance et la prise en charge des problèmes par le système de soins, en partant du constat que les personnes engagées dans une démarche volontaire ne sont pas soignées de la même façon. Il distingue :

− les « inégalités par construction », liées à l’absence de prise en compte des inégalités de santé dans l’élaboration de certains programmes institutionnels ou recommandations de pratique médicale, et plus largement dans la conception du système de soins et de ses modalités de fonctionnement. En ne prenant pas en compte les déterminants psycho-sociaux des maladies, les attentes des malades, et leur conception de la santé, le système de soins contribue à produire, perpétuer ou accentuer les inégalités. En se focalisant sur le soin réparateur, curatif, plutôt que sur les dispositifs de prévention ou de dépistage, il pénalise les personnes les plus fragiles.

− les « inégalités par omission », liées à l’ « inertie d’un système de santé qui méconnaît les inégalités » et ne participe donc pas à leur réduction dans son fonctionnement de routine. Elles concernent essentiellement les trajectoires et les interactions entre soignants et soignés, souvent dominées par une orientation curative du soin, en réponse à une demande individuelle. Elles ne sont pas intentionnelles, mais relèvent plutôt d’une non-connaissance par les acteurs du soin du rôle de rattrapage qu’ils pourraient jouer s’ils soignaient en ayant conscience de l’existence d’ISS et de leur rôle dans ces inégalités (23).

Ces deux types d’inégalités de soins relèvent de ce que Jonathan Mann appelle la « socio-parésie », ou incapacité à envisager la dimension sociale des problèmes de santé (24).

Des inégalités de soins sont ainsi retrouvées tant dans les soins préventifs que curatifs. Plusieurs travaux montrent que des soins préventifs tels que la vaccination, le dépistage de cancers, ou la délivrance de conseils hygiéno-diététiques aux hypertendus sont socialement différenciés (25) (26) (27) (28). Des soins socialement différenciés sont aussi rapportés dans des études concernant les soins diagnostics et curatifs, par exemple dans l’accès à des techniques complexes de revascularisation cardiaque chez les patients coronariens, avec la prescription d’explorations plus approfondies pour les patients de CSP supérieures (28). Une étude de l’INVS7 portant sur la prise en charge du diabète en France révèle également que malgré un recours au médecin généraliste plus fréquent, l’équilibre glycémique des personnes de bas niveau socio-économique est moins bon que celui des cadres. Ces personnes moins bien équilibrées ont moins souvent recours à un diabétologue, et déclarent moins souvent avoir bénéficié d’un test au mono-filament et d’un fond d’œil (29).

7 INVS : Institut National de Veille Sanitaire

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Le Collège de la Médecine Générale a organisé l’étude ECOGEN8 pour mieux connaître l’activité des médecins généralistes français en termes de diagnostic et de traitement. S. Petitclerc-Roche dans sa thèse en 2013 a exploité ces données pour comparer les consultations des patients définis comme précaires - selon le fait de bénéficier de la CMU9 ou de l’AME10 - et les autres consultations. Elle retrouve moins de motifs de consultation ou de problèmes de santé pris en charge, et de procédures de soins mises en œuvre par les médecins dans le groupe des patients précaires, ainsi que moins de procédures préventives, d’ordonnances de médicaments, d’analyses de sang, d’examens cliniques, et de procédures de communication médecin-patient. Elle suppose que la relation médecin-patient, plus complexe avec les patients précaires, pourrait expliquer ces différences de prises en charge qui contribuent au gradient de santé (30).

2.2.3. L’interaction médecin-patient source d’inégalités

Plusieurs études montrent le bénéfice d’une bonne relation médecin-malade et d’une bonne communication sur l’état de santé des patients (31). Certains auteurs se sont alors intéressés aux différences de communication selon le statut social du patient comme possible facteur explicatif des ISS. A. Balsa et T. Mc Guire rapportent que les inégalités de soins s'expliqueraient par la distance sociale et culturelle entre le médecin et son patient, la qualité de communication qui en résulte, et donc l'information dont dispose le médecin pour interpréter les symptômes et soigner. Ils relèvent ainsi que les médecins généralistes ont des idées stéréotypées sur les comportements de santé des patients, notamment en termes d’observance, ce qui influence leurs diagnostics et leurs prescriptions (32). En 2005, Willems et al. ont mis en évidence que les patients de plus basse catégorie sociale reçoivent moins de paroles émotionnellement positives de la part du médecin, et un discours plus directif leur donnant moins d’informations, moins de pouvoir et d’implication dans les décisions thérapeutiques. Les patients de bas niveau socio-économique sont souvent désavantagés par une perception faussée de la part du médecin de leurs désirs, de leur besoin d’information et de leur capacité à prendre leur place dans le processus de soin. Un cercle vicieux en découle: les médecins préjugent que ces patients ne sont pas intéressés ou ne comprennent pas les informations relatives à leur état de santé ; et ces patients ont du mal à exprimer leur intérêt. Les médecins communiquent alors avec eux d’une façon qui n’encourage pas à prendre part activement à la discussion, et ainsi l’image primaire qu’ils ont de ces patients est renforcée (33).

En France, le projet INTERMEDE a analysé comment l’interaction médecin-patient peut être génératrice d’ISS. Ce projet met en avant l’existence de malentendus entre médecins et patients sur le contenu de la consultation et les conseils délivrés, et montre un lien entre mauvaise concordance et bas niveau d’éducation (34). De plus, l’état de santé du patient est parfois perçu par son médecin et par lui-même de manière différente, et ceci est d’autant plus vérifié que le niveau d’éducation du patient est faible. Dans ce cas, le médecin a plus spécifiquement tendance à surestimer l’état de santé du patient, comparativement à l’estimation qu’en fait ce dernier. Or, il est montré que lorsque les patients ont un mauvais état de santé perçu, on observe une hausse de la morbi-mortalité (35). Le médecin a donc tendance à sous-traiter des patients nécessitant pourtant des soins et des conseils de prévention

8 ECOGEN : Éléments de la COnsultation en médecine GENérale 9 CMU : Couverture Maladie Universelle 10 AME : Aide Médicale d’État

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accrus. L’étude laisse présumer que l’absence de repérage d’un mauvais état de santé perçu, spécifique aux catégories sociales basses, peut accentuer des ISS par manque de prise en charge adaptée (36).

2.2.4. Des pratiques discriminatoires

L’existence de discrimination dans l’accès aux soins et dans les soins à proprement parler n’est pas à négliger. S. Chatelard dans sa thèse relève trois types de discriminations ayant pu être mises en avant par les études (20) :

− Discrimination selon l’origine : E. Carde dans sa thèse en 2006 décrit ce processus de discrimination mettant en jeu une délégitimation et une différenciation. Un exemple donné est la notion de « syndrome méditerranéen » : les patients qualifiés comme tels sont considérés comme différents, et leurs plaintes sont délégitimées sous cette appellation, amenant souvent à négliger des pistes diagnostiques qui auraient été envisagées pour une autre catégorie de patients (37). S’il ne faut bien entendu pas limiter la question des ISS à l’origine ethnique des patients, les personnes issues de l’immigration ou appartenant à des minorités ethniques sont surreprésentées parmi les patients vulnérables, et une discrimination sur des critères ethniques n’est pas à négliger (20).

− Discrimination selon la couverture sociale : le défenseur des droits, ayant repris les attributions de la HALDE11 a publié un rapport en mars 2014 sur le refus de soins opposé aux bénéficiaires de la CMUc12, l’ACS13 et l’AME. Il reprend les résultats de plusieurs études : une enquête de Médecins du Monde en 2006 retrouve un refus de soins des bénéficiaires de l’AME de 34% chez les médecins généralistes installés en secteur 1 et de 59% en secteur 2 (38) ; un testing réalisé par l’IRDES14 en 2009 à Paris retrouve un taux de refus de soins des bénéficiaires de la CMUc de 19.7% chez les médecins généralistes (39). Il existe des disparités territoriales, avec des refus plus fréquents dans les grandes villes ; des disparités selon les secteurs, avec des refus plus fréquents chez les médecins installés en secteur 2 ; et des disparités selon les catégories de professionnels de santé, avec des refus plus fréquents chez les dentistes que chez les médecins, et chez les spécialistes que chez les généralistes (40).

− Discrimination selon la charge de travail : S. Schoenenberger et al. mettent quant à eux en avant, à travers deux enquêtes, que les patients discriminés sont plutôt ceux qui prennent du temps, et sont responsables d’une surcharge de travail. Ainsi les personnes discriminées peuvent aussi bien être des étrangers avec lesquels on a du mal à communiquer car ils ne maîtrisent pas le français, que des personnes âgées de par leur dépendance, ou encore des patients psychiatriques dont la pathologie et sa prise en charge ne sont pas familières (41).

11 HALDE : Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalite 12 CMUc : Couverture Maladie Universelle complémentaire 13 ACS : Aide à la Complémentaire Santé 14 IRDES : Institut de Recherche et de Documentation en Économie de la Santé

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2.3. Contribuer à la solution

Il subsiste ainsi des différences réelles d’accès et de qualité des soins dans les systèmes proposant un accès aux soins strictement égalitaire. Le système de santé a donc un rôle à jouer pour permettre de réduire au minimum la part des ISS attribuable aux soins.

Des expérimentations montrent que le système de soins peut agir sur ces inégalités, s’il prend conscience des différences de traitement qu’il met en œuvre entre catégories de patients. Par exemple, une action menée sur quinze mois par une équipe de soins primaires au Royaume-Uni en 1988 a abouti à réduire fortement les différences entre deux populations de statuts sociaux très différents en termes de couverture vaccinale, de suivi gynécologique et de prévention, voire dans certains cas à renverser les situations initiales (42). En France, une étude de 2008 en cabinet de médecine générale, avec des professionnels sensibilisés à la question des ISS et de la prévention, montre l’absence de gradient social pour quatre soins de prévention (vaccination contre le tétanos, dépistage des cancers du col utérin, du sein et du colon). Non seulement le taux d’accès à ces soins de prévention n’est pas corrélé à la situation sociale, mais il est supérieur à celui connu pour la population nationale. Cette étude montre que la sensibilisation à ces sujets peut permettre de réduire les inégalités de santé (43).

Une revue de littérature de l’IRDES de 2012 décrit les interventions relevant des soins primaires qui ont montré leur efficacité pour réduire les ISS. Ces interventions peuvent être regroupées en trois ensembles : les interventions visant à améliorer l’accès financier aux soins (aides sociales, soins gratuits, etc.), les interventions de promotion de la santé auprès de populations ciblées (information adaptée aux populations non francophones, actions de modifications du comportement et de sensibilisation, etc.), et les interventions sur l’organisation des soins (incitations financières à l’installation en ZUS15, organisation de la prise en charge des malades chroniques, etc.) (44).

Des actions peuvent également être entreprises au niveau du médecin généraliste lui-même, dans sa pratique quotidienne. En France, la mise en place de la réforme du médecin traitant en 2004 se rapproche de la fonction de « gate-keeping ». Le médecin généraliste est en première ligne du système de santé et c’est à lui qu’il incombe de savoir repérer les personnes socialement vulnérables. Ses compétences, à travers le modèle bio-psycho-social, lui permettent de faire interagir les éléments biomédicaux et psychiques du patient, et son environnement social. En tant que médecin de premiers recours, il intervient dans les champs de la prévention, du diagnostic, ainsi que des soins curatifs et palliatifs. Il a donc une place privilégiée et un rôle primordial à jouer dans la diminution des ISS. H. Falcoff et P. Flores dans La Revue du Praticien en 2004, exposent la tâche quotidienne du médecin généraliste, qui est d’ajuster les soins aux besoins de santé de chacun, quelle que soit sa position sociale. Ils définissent trois axes d’action dans la lutte contre les ISS : corriger la part d’inégalités liée aux soins, accompagner les patients défavorisés, et identifier et mesurer les ISS (45). Différents travaux d’experts, dont une revue de littérature d’H. Falcoff (17) et le travail de thèse de M . Besnier (46), donnent des exemples concrets de ce que le médecin généraliste peut mettre en place au quotidien dans son cabinet.

15 ZUS : Zone urbaine sensible

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2.3.1. Corriger la part d’inégalités liées aux soins

Le médecin généraliste doit permettre au patient de bénéficier de soins, y compris préventifs, quelles que soient ses difficultés sociales. Il doit informer le patient de manière adaptée et contribuer à son autonomie, notamment dans l’explication du parcours de soins, afin de favoriser l’ « empowerment »16. Il peut également modifier le déroulement des consultations, dans le but de rendre le patient plus actif, grâce à un questionnaire préparatoire ou une brochure d’informations, ou augmenter la durée des consultations, pour prendre le temps de répondre au problème abordé par le patient.

H. Falcoff relève qu’il est aussi nécessaire d’améliorer la « compétence culturelle du médecin généraliste », c'est-à-dire sa capacité à comprendre les symptômes et les comportements de son patient à l'aune de son contexte culturel. Le médecin généraliste peut ainsi s’entraîner aux techniques de communication, et apprendre à adopter les comportements nécessaires à la participation active des patients, en développant une écoute attentive, en les encourageant à s'exprimer, en s’intéressant à leurs histoire de vie, aux périodes de rupture, et à leurs représentations des maladies (17).

2.3.2. Accompagner les patients défavorisés

Il est nécessaire de développer au quotidien des moyens simples pour accompagner les patients en difficulté. Le médecin peut faciliter l’accès aux soins de ces patients, en adaptant le paiement, notamment en pratiquant le tiers payant ; ou à travers des horaires et un accueil adaptés. Il peut dégager plus de temps de consultation pour les cas complexes, ou faire revenir les patients aussi souvent et de manière aussi rapprochée que nécessaire. Il est invité à mettre en œuvre des outils adaptés aux besoins de santé et à la situation sociale du patient, par exemple des documents d’information adaptés aux personnes ayant un faible niveau de lecture.

2.3.3. Prendre conscience des ISS

L’étape initiale indispensable à la prise en charge des ISS est de pouvoir les identifier et les mesurer, notamment pour témoigner auprès des pouvoirs publics de l’importance de la dimension sociale dans les problèmes de santé des patients. Cela permet également d’évaluer sa pratique en fonction de la situation sociale des patients, en posant comme principe que l’équité est une dimension essentielle de la qualité des soins.

H. Falcoff développe l’idée que le médecin généraliste qui souhaite prendre part à cette diminution des ISS doit susciter la motivation parmi ses collègues proches, au travers de projets communs et d’une dynamique de groupe qui entretiennent la motivation. Il insiste sur la nécessité d’inscrire le thème des ISS parmi les thèmes prioritaires du développement professionnel continu des médecins généralistes, et sur le fait que les médecins généralistes doivent montrer leur volonté collective de jouer un rôle dans ce combat (17).

16 Empowerment : Processus dans lequel des individus et des groupes agissent pour gagner la maîtrise de

leur vie, et donc pour acquérir un plus grand contrôle sur les décisions et les actions affectant leur santé dans un contexte de changement de leur environnement social et politique. Leur estime de soi est renforcée, leur sens critique, leur capacité de prise de décision et leur capacité d’action sont favorisés. Toutes les personnes, même avec peu de capacités ou en situation de précarité, sont considérées comme disposant de ressources et de forces. Le processus d’empowerment ne peut être produit mais seulement favorisé.

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3. LE RECUEIL DE LA SITUATION SOCIALE DES PATIENTS

Comme nous l’avons vu, la vulnérabilité sociale est un facteur de risque à part entière. La recueillir est donc indispensable, au même titre que les autres facteurs de risque habituellement recueillis. La plupart des déterminants sociaux étant liés aux conditions de vie du patient, ils sont donc détectables par le médecin généraliste. Ainsi, la réduction des ISS relève des politiques publiques sur ces déterminants sociaux mais concerne aussi la pratique de la médecine générale, à travers ce recueil.

3.1. Un recueil nécessaire

En 2004, P. Aïach et D. Fassin concluent leur article L’origine et le fondement des inégalités sociales de santé par le rôle que le médecin généraliste peut jouer en s’intéressant au contexte social du patient : « Les médecins généralistes devront, par exemple, tenir compte des facteurs sociaux et culturels qui peuvent être à l’origine de l’observation irrégulière d’un traitement par des malades ne disposant pas de connaissances suffisantes et, surtout, contraints par les nécessités de la vie qui ne leur permettent pas de respecter les recommandations de leur médecin en matière de prévention ou de soins. Ils devront également remonter dans le passé pour retrouver des éléments d’information sur la présence d’un facteur de risque pour la santé du patient pouvant expliquer une maladie présente ou future. […] Ils devront systématiquement s’enquérir de la situation sociale et notamment de la couverture maladie de leurs patients » (47).

Dans l’ouvrage de l’INPES, H. Falcoff évoque les raisons pour le médecin de s’intéresser à la situation sociale de chaque patient et de l'enregistrer dans les dossiers. La première est qu’elle exprime un risque social plus ou moins élevé et que la connaissance de ce risque oriente la prise en charge. La seconde raison est que, si on veut réduire les inégalités, il faut d’abord pouvoir les mesurer (17). Recueillir la situation sociale des patients permet donc d’une part de mieux repérer et prendre en charge les patients vulnérables, et d’autre part de créer des données pour mesurer les ISS, évaluer l’équité des pratiques, améliorer les recommandations et faire avancer la recherche à ce sujet.

3.1.1. Orienter la prise en charge et repérer les patients vulnérables

Nous l’avons vu, la tâche quotidienne du médecin généraliste est d’ajuster les soins aux besoins de santé de chacun, quelle que soit sa situation sociale (45). Pour cela, il est essentiel de connaitre cette situation sociale. Le but est de mieux repérer les personnes en situation de vulnérabilité et de proposer à chacun une prise en charge adaptée à son environnement et son contexte de vie. Cela peut correspondre à une adaptation de la communication mise en place, des documents d’informations donnés, du temps passé, ou du nombre de consultations réalisées. Cela permet de proposer la meilleure prise en charge individuelle possible, ajustée aux attentes, aux priorités, et aux possibilités de chacun.

Comme l’a montré l’étude INTERMEDE déjà citée, repérer les patients ayant un mauvais état de santé perçu, surreprésentés dans les catégories sociales basses, pourrait participer à réduire les ISS, en leur offrant des soins et des conseils de prévention accrus (20).

En agissant de manière directe sur les facteurs diminuant le recours ou la participation du patient à ses soins, et sur les inégalités de prise en charge par les médecins généralistes, ces

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initiatives peuvent participer à réduire le gradient social de santé, tout en améliorant globalement la qualité des soins.

3.1.2. Évaluer sa pratique

Une évaluation des pratiques professionnelles est obligatoire pour tous les médecins depuis la loi d’Août 2004 (48). H. Falcoff insiste sur la nécessité d’évaluer sa pratique en mesurant des indicateurs de qualité des soins et en les stratifiant systématiquement en fonction de la position sociale des patients: « À un premier niveau on peut s’interroger sur le caractère égalitaire de la pratique médicale. Met-on en œuvre les mêmes procédures chez tous les patients, et leur donne-t-on accès de la même manière aux soins, indépendamment de leur position sociale ? À un second niveau on peut aussi s’interroger sur le caractère équitable de la pratique. Les soins ont-ils été dosés en fonction des besoins, afin que les résultats soient les moins différents possibles entre les catégories de patients ? » (17).

Par le suivi d’indicateurs, grâce à un logiciel adapté permettant la saisie d’informations structurées et la réalisation de statistiques, en croisant l’information clinique avec celles sur la position sociale du patient, chaque médecin pourrait savoir s’il y a des gradients sociaux de qualité dans sa pratique. Ainsi, il pourrait agir en conséquence, en augmentant ses efforts auprès des populations pour lesquelles la qualité des soins délivrés et les résultats de santé sont les moins bons (17).

3.1.3. Créer des données de santé publique et améliorer les recommandations

D'après l'OMS, l’expérience montre que les pays qui n’ont pas de données de base sur la mortalité et la morbidité en fonction d’indices socio-économiques ont du mal à progresser sur le plan de l’équité en santé (11). A l’inverse, l’expérience européenne, notamment du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de la Suède, qui ont mis en œuvre une politique structurée de lutte contre les ISS, indique que la surveillance de ces inégalités et l’accumulation des connaissances sur leurs causes constituent des préalables nécessaires à l’orientation des politiques et des programmes nationaux de santé vers la lutte contre ces ISS (2). Le HCSP dans son travail de décembre 2009, Les inégalités sociales de santé : sortir de la fatalité, propose également de produire et d’analyser de façon régulière des données sur les ISS en France. Les ISS étant liées aux inégalités sociales en général, ce bilan devrait inclure des données sociales et économiques sur les déterminants de santé (emploi, travail, éducation, habitat…), permettant d’expliquer les évolutions de santé constatées (9).

Comme nous l’avons vu, les recommandations de bonne pratique ne prennent pas en compte les caractéristiques socio-économiques de patients, créant des inégalités par construction. Elles ne sont pas applicables de manière équitable aux différentes populations, et profitent surtout aux plus favorisés. G. Rust et L. Cooper insistent sur la nécessité d’améliorer la recherche sur l’efficacité des interventions en fonction des groupes sociaux, et d’évaluer les interventions effectuées dans des lieux délivrant des soins primaires, à des populations hétérogènes, en « situation réelle » (49). La prise en compte des caractéristiques sociales des patients lors de l'élaboration des recommandations pour les améliorer et pouvoir évaluer leur efficacité, constitue donc une condition importante pour réduire les inégalités sociales de prise en charge.

Ainsi, il existe de nombreuses raisons de recueillir la situation sociale des patients en médecine générale. Nous nous sommes donc interrogées sur les recommandations et les outils déjà existants pour ce recueil.

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3.2. Un recueil déjà recommandé en France et en Europe

En 1996, des recommandations établies par l’ANAES17 sur la tenue du dossier médical en médecine générale, définissent les informations importantes à recueillir dans les dossiers médicaux. Le sexe, la date de naissance, l’adresse, et la profession sont considérés comme des informations indispensables à recueillir, alors que le recueil du numéro de sécurité sociale et de la mutuelle est souhaitable. De manière moins formelle, l’ANAES relève que le recueil des « facteurs de risque » est indispensable, notamment des facteurs professionnels, et des facteurs liés à l'environnement, à la consommation de toxiques, ou à divers comportements à risque. Elle précise qu’il est également souhaitable de recueillir les « évènements biographiques significatifs » pouvant contribuer à la compréhension de l'histoire médicale et psychologique du patient (50). Cette recommandation a été rédigée pour formaliser la tenue du dossier médical, mais pas explicitement dans un but de prise en charge des ISS, ou de repérage de la vulnérabilité sociale comme facteur de risque à part entière.

Des réflexions sur ce sujet ont également été menées dans d’autres pays européens. En 1999 au Royaume-Unis, L. Smeeth et I. Heath dans leur article Tackling health inequality in primary care, insistent sur la nécessité d’adapter le modèle purement biomédical du soin, en prenant en considération les facteurs de risque sociétaux, et en enregistrant les données sociales des patients dans les dossiers de médecine générale. Cela permettrait de procurer une source importante de données représentatives, indispensables pour développer la recherche sur les ISS et évaluer l’efficacité des interventions mises en place, dans le but de réduire ces inégalités. Ils reprennent également une étude norvégienne montrant comment une bonne connaissance de son patient et de ses problématiques psycho-sociales peut modifier la prise en charge de façon positive (51). Ils soulignent le rôle important que le médecin généraliste peut jouer dans le développement de ces données, en effectuant un recueil systématique des caractéristiques socio-économiques de ses patients. Ils précisent que des recherches supplémentaires doivent être faites pour savoir ce qu’il faut demander et enregistrer dans les dossiers, l’utilisation de l’outil informatique pouvant simplifier ce recueil et l’utilisation de ces données (52).

3.3. Des outils de repérage déjà évoqués

Des outils pour repérer la vulnérabilité sociale, au travers d’un recueil de données sociales, ont déjà été créés ou évoqués, mais ne sont pas utilisés en pratique quotidienne de médecine générale. De nombreux établissements ou services sociaux ont également développé leurs propres méthodologies de repérage. Nous présentons ici cinq outils qui nous semblent se rapprocher de notre problématique.

Le score EPICES18 est un score créé en 1998 et validé en 2004 par les Centres d’Examens de Santé (CES) de l’Assurance Maladie. Il prend en compte les différentes dimensions de la vulnérabilité sociale, afin de mieux identifier les populations en situation de difficulté sociale ou matérielle. Construit à partir d’un questionnaire comportant 42 questions, il permet de déterminer un score allant de 0 (pas de vulnérabilité) à 100 (vulnérabilité maximale). Le seuil discriminant les personnes socialement vulnérables est défini à 30. Des liens statistiquement significatifs ont été mis en évidence entre le score EPICES, certains modes de vie, le niveau

17 ANAES : Agence Nationale d'Accréditation et d'Évaluation en Santé 18 EPICES : Évaluation de la Précarité et des Inégalités de santé pour les Centres d’Examens de Santé

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d’accès aux soins et l’état de santé. Il est désormais principalement utilisé dans les études de santé publique.

En 2001, un groupe pluri-professionnel nantais a construit un outil de repérage simple et rapide d’identification des personnes en situation de précarité venant consulter à l’hôpital. Ce groupe soulignait que l’identification des patients précaires n’était réalisée que partiellement et reposait sur des critères implicites, propres à chaque acteur social, n’ayant pas été validés, publiés ou diffusés « hors les murs ». À partir d’une revue de la littérature, de l’avis des professionnels médicaux, paramédicaux et administratifs, et des instruments de repérage déjà utilisés, ils ont retenu cinq questions à réponse binaire oui/non : « Avez-vous la CMU, la CMUc ou l’AME ? », « Avez-vous une mutuelle santé ou une assurance maladie complémentaire ? », « Avez-vous du mal à payer vos médicaments ou vos examens médicaux ? », « Recevez-vous un minimum social ? », « Êtes-vous à la recherche d’un emploi depuis plus de 6 mois, ou d’un 1er emploi ? ». Ils ont ensuite validé cet outil, en comparant les résultats à l’évaluation de deux assistantes sociales se prononçant chacune en aveugle sur le statut « précaire » ou « non précaire » des patients après un entretien de 15 minutes avec eux. Au vu de leurs résultats, cet outil paraissait valide et prometteur, de par son acceptabilité, sa rapidité et sa simplicité (53).

En 2007, D. Castiel, P-H. Bréchat et al. ont construit un score permettant d’évaluer le « handicap social » des patients lors de leur admission hospitalière. L’objectif était, dans le cadre de la mise en œuvre de la tarification à l’activité, de repérer les besoins des patients en cours d’hospitalisation afin d’affecter des moyens financiers supplémentaires dès lors que le patient était identifié comme ayant un handicap social d’une certaine ampleur. Ce score comprend 111 items, à travers six domaines (santé, ressources, insertion culturelle, relations avec les autres, logement et patrimoine), et couvre ainsi de nombreuses dimensions de la précarité. Ces items sont issus des travaux de l’enquête Conditions de vie de l’INSEE19 menée en 1986-87. L’un des atouts de ce score est de classer la population en trois catégories (absence de handicap social, handicap moyen ou modéré, et handicap fort) et d’éviter la classification stigmatisante des « précaires » et des « non précaires », en envisageant qu’il existe un continuum entre les différentes classes sociales. Trois quart de la population étudiée présentait un handicap social, dont 19.2% un handicap social fort. (54).

S. Robert, dans sa thèse présentée en septembre 2013, a voulu proposer un score multidimensionnel individuel de précarité qui soit validé et simple d’utilisation en soins primaires. À l’aide des données de la cohorte SIRS20, et d’analyses statistiques de ces données, elle a construit un score au travers de 14 caractéristiques sociodémographiques : le sexe, l’âge, l’assurance maladie, le niveau d’études, la CSP, le statut professionnel, le sentiment de solitude, la situation affective, le fait de vivre seul ou non, le niveau de revenus, l’importance du soutien social (soutien dans la vie quotidienne, financier et affectif), le fait d’être propriétaire ou locataire, le ressenti quant à ses ressources financières, et enfin l’origine migratoire. Ces 14 caractéristiques sociodémographiques sont effectivement associées à un état de santé dégradé, un moindre recours aux soins, et une moins bonne alimentation. Il s’agit de 14 questions à choix multiples dont chacune des réponses a été cotée de 0 à 3 (score

19 INSEE : Institut National de la Statistique et des Études Économiques 20 SIRS : Santé, Inégalités et Ruptures Sociales. L’objectif du programme de recherche SIRS mené en 2010

est d’étudier les relations entre les situations sociales des individus et leurs état et comportements de santé, ainsi que leurs stratégies et utilisation du système de soins. Elle est menée auprès d’une cohorte représentative de la population générale d’Ile de France.

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maximal à 27). La précarité vis-à-vis de la santé est définie pour une valeur supérieure à 10 points, ce qui concernait vingt pour cent de la population de l’étude SIRS (55).

A-C. Udin, dans sa thèse présentée en décembre 2013, évoque à nouveau la difficulté d’évaluer les situations de précarité. Elle a élaboré un « score de précarité », à partir du score EPICES, et de discussions avec les services sociaux et les médecins de services hospitaliers ou de la PASS21 de Nantes. À travers 26 questions, elle aborde les données intrinsèques, la situation socio-économique, la situation vis-à-vis de l’emploi, le logement, la consommation de toxiques, la situation vis-à-vis de la santé, ainsi que les données personnelles et familiales. Son travail porte sur la prise en charge des brûlures, les plus graves étant majoritairement représentées dans la population précaire. Elle élargit cependant ses conclusions sur la nécessité d’une reconnaissance précoce des populations socialement et/ou médicalement fragilisées, pour initier des interventions spécifiques et adaptées, et une surveillance plus attentive de ces populations (56).

Ces cinq outils ont chacun un intérêt pour évaluer une certaine donnée (la précarité, le non-recours aux soins, le « handicap social ») dans un certain contexte (admission hospitalière, CES, visée épidémiologique). Tous ne sont pas destinés ou adaptés aux soins primaires, notamment le score EPICES et le score de « handicap social », qui en raison de leur longueur et donc du temps nécessaire à leur réalisation, n’ont pas vocation à devenir un outil en pratique courante de médecine générale. De plus, tous ces outils, à travers l’idée d’un score à obtenir, semblent se focaliser sur l’idée de « dépistage » d’une problématique, qui s’oppose parfois à l’idée de gradient constant des ISS, touchant toutes les catégories sociales, et donc la population dans son ensemble. Leur existence montre cependant l’intérêt de la communauté scientifique et du monde médical pour trouver des aides concrètes permettant d’évaluer la situation sociale des patients.

H. Falcoff dans le rapport de l’INPES de 2010 confirme l'importance mais aussi la difficulté que serait l’élaboration de recommandations pour la mesure et l’enregistrement de la position sociale des patients en pratique routinière de médecine générale. Il y décrit également la nécessité de mettre en place un groupe de travail sur les logiciels de dossier médical (15).

3.4. Un recueil à formaliser : Recommandations du Collège de la Médecine Générale

Dans ce contexte, un groupe de travail universitaire et professionnel français a travaillé, sous l’égide du Collège de Médecine Générale, sur l’enregistrement de la situation sociale des patients en médecine générale (1).

L'objectif de leur travail était de proposer des recommandations permettant le recueil systématique d'informations sur la situation sociale du patient adulte dans les dossiers. Tenant compte des contraintes de temps des médecins généralistes, ces recommandations se veulent réalisables pour tout praticien dans sa pratique quotidienne en consultation. Elles ont été publiées en mars 2014 et communiquées aux médecins généralistes par une brochure de l’INPES en juillet 2014.

21 PASS : Permanence d’Accès aux Soins de Santé

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Ces recommandations rejoignent les arguments cités plus haut en faveur du recueil de la situation sociale des patients. Il existe ainsi trois niveaux d’exploitation de ces informations par le médecin généraliste :

− Le niveau 1, à l'échelle de l'individu, concerne la situation sociale d'un patient, utile pour la pratique courante.

− Le niveau 2, à l'échelle de la population prise en charge par un cabinet individuel ou une structure de soins plus large, concerne les caractéristiques sociales utiles pour décrire une patientèle.

− Le niveau 3, à l'échelle d'une population plus large, concerne les caractéristiques utiles en termes de santé publique, pour effectuer des travaux de recherche et concevoir des programmes de réduction des ISS.

3.4.1. Méthode du groupe de travail

Ce groupe a travaillé à partir de plusieurs rapports récents d’experts nationaux et internationaux sur la question des ISS. Une première liste de 33 informations utilisables pour décrire la situation sociale d’un patient a été établie (située en Annexe I). Le groupe a ensuite réalisé un travail de consensus formalisé pour classer ces informations en trois groupes : les informations indispensables, les informations utiles, et les informations moins pertinentes ou non utilisables en consultation. Pour rendre ce recueil de données réalisable pour tout médecin en consultation de médecine générale, le nombre d'informations à enregistrer a été limité à celles paraissant les plus pertinentes et les moins contraignantes à recueillir.

3.4.2. Résultats du groupe de travail

Au terme de ce travail, les informations à recueillir ont été séparées en deux groupes :

− Les informations du groupe A, indispensables à recueillir pour tous les patients, dès la première consultation, sont au nombre de 7 : la date de naissance, le sexe, l’adresse, le statut par rapport à l’emploi, la profession éventuelle, l’assurance maladie et les capacités de compréhension du langage écrit du patient.

− Les informations du groupe B, complémentaires, pouvant faire l’objet d’un recueil au fur et à mesure des consultations successives, sont au nombre de 9 : la situation de famille22, le nombre d’enfants à charge, le fait de vivre seul, le pays de naissance, le niveau d’études, la catégorie socioprofessionnelle INSEE, le statut vis-à-vis du logement, le fait de bénéficier de minima sociaux, et la situation financière perçue. Ce recueil est souhaitable car utile pour la pratique, mais nécessite un investissement supplémentaire.

Le groupe de travail rappelle qu’il convient de respecter la liberté du patient de donner ou non ces informations, et d’en garantir la confidentialité liée au secret professionnel. Il précise que ces données peuvent être enregistrées par un autre professionnel que le médecin (secrétaires par exemple), et que la mise à jour régulière de ces informations est importante.

22 Devenue « le fait d’être en couple » dans les recommandations finales. Nous utilisons pour ce critère son

appellation initiale « situation de famille » telle qu’elle existait lors de l’élaboration et la réalisation de notre travail.

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Les différentes informations à recueillir et l’objectif de leur recueil sont décrits dans le Tableau 1.

Informations Objectif

Date de naissance -

Sexe -

Adresse Indicateur de situation sociale précaire

Assurance maladie Repérer des patients qui pourraient renoncer aux soins prescrits pour raison financière

Profession Situer le patient socialement, préciser la stabilité de sa situation économique, évaluer ses risques professionnels

Statut par rapport à l’emploi Situer le patient socialement, préciser la stabilité de sa situation économique, évaluer ses risques professionnels

Capacités de compréhension du langage écrit S’assurer que le patient comprend l’ordonnance, et de façon générale les recommandations de son médecin

La situation de famille

Devenue dans les recommandations finales « le fait d’être en couple »

Préciser le mode de vie du patient et sa situation économique

Le nombre d’enfants à charge Préciser le mode de vie du patient et sa situation économique

Le fait de vivre seul Savoir si le patient peut être aidé par un autre adulte en cas de besoin

Le pays de naissance Approcher l’origine géographique des patients, qui peut jouer directement sur leur santé, leurs besoins et leurs comportements.

Le niveau d’études Très lié à de nombreux comportements de santé

La catégorie socioprofessionnelle INSEE Intérêt majeur pour la description de sa patientèle

Le fait de bénéficier de minima sociaux Préciser la situation socio-économique des patients, aider à repérer des patients précaires.

Le statut vis-à-vis du logement Repérer des patients précaires

La situation financière perçue Estimer de façon globale la situation financière des patients, liée à de nombreux comportements de santé

Tableau 1: Objectifs prévus par le groupe de travail pour chaque critère

Les modalités de recueil de chaque information prévues par les recommandations sont décrites dans le tableau situé en Annexe II.

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3.5. Quelles perspectives pour ce recueil en médecine générale ? Notre travail

Nous avons vu que le médecin généraliste a un rôle primordial à jouer dans la prise en charge des ISS, en s’intéressant aux déterminants sociaux de la santé, et en recueillant des informations sur la situation sociale de ses patients.

Plusieurs scores existent déjà pour dépister les patients vulnérables. Certains pourraient être adaptés et applicables en médecine générale, mais ils ne semblent pas utilisés en pratique courante. Deux thèses, réalisées par B. Girard (5) en 2011 et A. David-Meslin (57) en 2013 ont en effet mis en avant que les médecins généralistes repèrent la vulnérabilité sociale ou la précarité plutôt par raisonnement analogique, ou de manière intuitive ou empirique, et non par l’utilisation de scores ou d’outils formalisés. Toutefois, ces deux thèses traitent du repérage de situations difficiles, mais ne s’attachent pas à étudier le recueil de données sociales dans les dossiers auprès de tous les patients en pratique quotidienne. La question de la pratique actuelle des médecins généraliste sur ce sujet ne semble donc pas avoir été étudiée. Recueillent-ils ces données sociales ? Si oui, lesquelles et de quelle manière ? S’agit-il d’un recueil formalisé comme le préconisent les recommandations, ou d’un recueil plus informel ?

Si la publication de ces recommandations est une première étape indispensable, elle n’assure pas que celles-ci soient applicables et appliquées en pratique courante, même si l’importance de ce recueil est reconnue. Ces recommandations sont récentes, et il n’existe pas à l’heure actuelle de travail publié sur l’acceptabilité par les médecins généralistes de ces recommandations, ou plus largement de la proposition de recueil de données sociales. Quelles sont leurs perceptions de ces recommandations ? Les acceptent-ils ? Si ce recueil n’est pas une pratique routinière, quelles en sont les raisons ? À quelles difficultés ou réticences les médecins généralistes sont-ils confrontés ? Quels sont leurs usages de ce recueil, et l’effet potentiel de celui-ci ? Quelles perspectives y trouvent-ils dans la prise en charge de leurs patients, et notamment dans la prise en charge des ISS ?

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MATÉRIEL ET MÉTHODES

1. DESCRIPTION DE L'ÉTUDE

Une étude qualitative par entretiens individuels semi-dirigés a été menée.

1.1. Élaboration du sujet et objectif de notre travail

L'objectif de notre étude était de décrire la pratique actuelle des médecins généralistes de Loire-Atlantique et Vendée concernant le recueil de la situation sociale des patients. À titre exploratoire, il s’agissait également d’évaluer la perception des médecins généralistes sur les recommandations, dans une démarche compréhensive, en explorant les perspectives de ce recueil, ses limites, et son effet potentiel sur l’adaptation de leurs pratiques et la prise en charge des ISS.

La problématique de cette thèse a été définie en collaboration avec le groupe de travail cité précédemment. Nous avons réalisé notre travail simultanément à l’élaboration de ces recommandations et avons bénéficié du soutien et de l'aide méthodologique de certains membres de ce groupe durant notre travail.

1.2. Population étudiée

La population étudiée était celle de médecins généralistes libéraux installés en Loire-Atlantique et Vendée. Afin d'obtenir un échantillonnage raisonné à variation maximale, nous avons cherché à interroger des médecins de sexe, d'âge, de durée d'installation, de territoire et de type d'activité contrastés.

Nous les avons sélectionnés par connaissance directe ou indirecte (effet « boule de neige ») pour certains, ou choisis au hasard dans les pages jaunes pour les autres. Nous les avons contactés par téléphone afin de prendre un rendez-vous pour réaliser une interview en face-à-face. Nous avons pris soin de rester peu informatives sur le thème de l’étude afin de ne pas influencer leurs réponses. Les médecins ont été retenus sur la base du volontariat. La date et le lieu de l’entretien ont été fixés à leur convenance. Les seuls critères d'exclusion étaient que le médecin connaisse par avance le sujet de notre étude, ou qu’il n’ait pas d’activité de médecine générale actuellement.

Nous avons contacté quatre médecins en mars 2013 pour la réalisation d’entretiens tests, puis 39 médecins en juillet et août 2013.

1.3. Investigatrices

Les deux investigatrices étaient des internes de médecine générale en fin de cursus.

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1.4. Recueil des données

1.4.1. Guide d’entretien

Nous avons élaboré une trame d'entretien unique, de type semi-structuré, afin de répondre à notre objectif. Les thèmes principaux étaient: la pratique actuelle des médecins généralistes concernant le recueil de données non biomédicales ; leur avis pour chaque indicateur proposé par le groupe de travail concernant leur recueil actuel, l'intérêt et les difficultés de ce recueil ; l’éventuelle modification de leur pratique après la présentation de ces recommandations, et leur avis concernant l’effet potentiel de ce recueil dans la prise en charge des ISS.

Nous avons élaboré notre grille d’entretien à partir du document préparatoire du groupe d’experts. Nous avons suivi l’évolution de ce document au cours de notre travail jusqu’à la publication des recommandations.

Cette grille d’entretien a été testée lors des quatre entretiens tests, puis ajustée à la suite de ceux-ci. Les principales modifications ont été le rajout de questions plus globales concernant l’avis des médecins sur l’acceptabilité de ce recueil par les patients, leurs modalités actuelles de recueil (retranscription dans les dossiers, personne effectuant le recueil), et l’existence d’autres données sociales importantes non évoquées par les recommandations. Concernant les informations à recueillir, quelques modifications ont été effectuées suite à l’évolution du document préparatoire entre décembre 2012 et mai 2013 : « Le fait de vivre seul » est devenu une information du groupe B, « Comprend bien ce que dit et écrit le médecin généraliste » est devenu « Les capacités de compréhension du langage écrit du patient », et « Les conditions de logement » sont devenues « Le statut vis-à-vis du logement ». Cette nouvelle grille d’entretien, située en Annexe III, a été utilisée pour les vingt-et-uns entretiens suivants.

Dans un souci de clarté auprès des médecins généralistes et pour la présentation de nos résultats, nous avons utilisé le terme « critère » pour désigner les seize informations retenues par les auteurs des recommandations, afin de mieux les différencier des autres informations sociales pouvant être évoquées.

1.4.2. Mode de recueil

Nous avons donc réalisé quatre entretiens tests en mars et avril 2013, puis vingt-et-un entretiens en juillet et août 2013. Les entretiens ont tous été effectués sur les lieux de travail des médecins interrogés. Ils ont été enregistrés par dictaphone après accord oral des intéressés, intégralement retranscrits sur informatique grâce au logiciel Express Scribe®, et anonymisés. Les hésitations ou silences significatifs ont également été notés. Les verbatim n’ont pas été relus par les interviewés. Lors de ce recueil, nous avons cherché à atteindre la saturation des données, c'est-à-dire que les entretiens ont été poursuivis jusqu’à ce que n’émergent plus à nos yeux d’idées nouvelles.

1.4.3. Recueil du consentement

Une information orale a été donnée aux médecins volontaires concernant la finalité de l’étude, l’identité des investigatrices, et le caractère non obligatoire de la participation et des réponses. Le consentement oral pour la participation à l’étude de chaque personne interrogée a été recueilli.

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1.5. Analyse des données

Une analyse inductive a été réalisée, dont l’objectif était l’émergence d’une théorie, sans modèle préalable.

Chaque enquêtrice a analysé manuellement chaque verbatim de manière indépendante l’une de l’autre, par génération de codes ouverts descriptifs. Nous avons également codé les attitudes particulières ou les silences significatifs. Ensuite, les codes ont été mis en commun afin de respecter le principe de triangulation des chercheurs, puis une analyse thématique a été conduite. Les études pilotes ont été inclues dans l’analyse des données. Le logiciel Excel® a été utilisé pour organiser cette analyse thématique. Aucune validation ultérieure par les interviewés n’était prévue dans le cadre de ce travail exploratoire.

2. THÈSE EN BINÔME

2.1. Intérêt

Nous avons choisi de réaliser cette thèse en binôme. Cette collaboration était nécessaire pour effectuer un double codage indépendant, permettant une triangulation des chercheurs. Elle était également importante pour réaliser un nombre d’entretiens suffisant afin d’obtenir une saturation des données sur ce sujet vaste.

Nous y reviendrons dans la discussion de cette thèse.

2.2. Répartition du travail

Nous avons défini ensemble le sujet de cette thèse, avec l’aide de notre directrice de thèse et de certains membres du groupe d’experts. Nous nous sommes réparti l’étude de la bibliographie.

Concernant le recueil et l’analyse des données, le guide d’entretien a été élaboré conjointement. La réalisation des entretiens, ainsi que leur retranscription, ont été réalisées par l'une ou l'autre de nous deux en fonction de nos disponibilités et de celles des médecins généralistes. La répartition du travail est décrite en Annexe IV. Tous les entretiens ont été codés par chacune en aveugle, puis les codes ont été mis en commun, catégorisés et regroupés en thèmes lors de séances de travail en binôme. Nous avons établi conjointement la typologie, avec l’aide de notre directrice de thèse.

Concernant la rédaction, nous avons élaboré ensemble le plan et les idées à développer puis nous nous sommes réparti le travail rédactionnel. Cette répartition est décrite en Annexe IV. Chacune des parties a ensuite été commentée, complétée et rediscutée ensemble, à travers plusieurs échanges, afin d’arriver à un consensus.

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RÉSULTATS

1. CARACTÉRISTIQUES DE LA POPULATION ÉTUDIÉE ET DES ENTRETIENS

Nous avons contacté 43 médecins généralistes, dont 25 ont finalement été interrogés.

Leurs réponses sont présentées dans la Figure 3.

Figure 3 : Réponses des médecins contactés

Au total, vingt-cinq entretiens ont donc été réalisés, entre mars et août 2013. Ils ont tous été effectués sur le lieu de travail des médecins interrogés, vingt-quatre dans leur cabinet et un en structure hospitalière. Leur durée moyenne était de 24 minutes, avec une durée minimale de 13 minutes et une durée maximale de 38 minutes.

43 médecins contactés

25 interrogés

4 entretiens tests

21 entretiens

18 non interrogés

6 accords mais absence de date

trouvée

2 ayant arreté leur activité de médecine

générale

1 accord uniquement pour un entretien

téléphonique

5 refus

3 manque de temps

1 non interessé

1 sans raison déclarée4 messages laissés aux secrétaires sans suite

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Les caractéristiques des médecins interrogés sont résumées dans le Tableau 2.

Sexe 10 femmes, 15 hommes

Âge Age moyen : 52,72 ans

≤ 45 ans : 5

46-59 ans : 14

≥ 60 ans : 6

Durée d'installation < 10 ans : 5

10-20 ans : 4

20-30 ans : 12

> 30 ans : 4

Milieu déclaré

« Urbain » : 12, dont 2 en zone CUCS23 et 1 en zone ZUS24

« Semi-rural » : 5

« Rural »: 8

Secteur 1 / Secteur 2 Secteur 1 : 24

Secteur 2 : 1

Activités professionnelles déclarées, passées ou actuelles

Maître de stage : 14

Temps partiel hospitalier en médecine polyvalente et/ou soins de suite et de réadaptation : 2

Membre du Conseil de l'Ordre des Médecins: 3

Travail en contact avec des populations défavorisées: 5, dont médecins du monde (1), PASS (1), cabinet situé en ZUS (1) ou CUCS (2)

Travail avec l'enfance : 3, dont PMI25 (1), médecine scolaire (1), médecine de crèche (1)

Planning familial/CIVG26: 3

Médecine d'urgence : 5, dont médecin pompier (3), régulation Samu (2)

Activité syndicale : 2

Comité de lecture d’une revue médicale : 1

Activités particulières au sein du cabinet : diplôme universitaire de gynécologie (2), ostéopathie (3), addictologie (3), homéopathie (1), médecine du sport (2), échographie (2), expertise (1) (certains médecins cumulent plusieurs activités)

Tableau 2: Caractéristiques des médecins interrogés

Un tableau plus précis décrivant les caractéristiques de chaque médecin est présenté en Annexe V.

23 CUCS : Contrat Urbain de Cohésion Sociale 24 ZUS : Zone Urbaine Sensible 25 PMI : Protection Maternelle et Infantile 26 CIVG : Centre d’Interruption Volontaire de Grossesse

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2. ANALYSE THÉMATIQUE

Après retranscription intégrale des entretiens et codage indépendant, nous retrouvions 1372 codes ouverts pour Céline Ernst-Toulouse et 1380 pour Charlotte Nollet. Après mise en commun et réorganisation (notamment élimination des doublons et regroupement des codes trop proches), nous avions 1354 codes ouverts, regroupés en en 147 catégories, elles-mêmes classées en 11 thèmes: le recueil actuel (définition, modalités, réalité du recueil), les situations entrainant un recueil, les perspectives du recueil, les adaptations de prise en charge selon la connaissance de ces informations, l’acceptabilité de ce recueil par les patients, les facteurs limitant le recueil, les modifications de pratiques après la présentation de ces recommandations, la problématique des logiciels, la volonté déclarée de soins similaires pour tous, les connaissances sur les ISS et les autres idées. Les catégories et thèmes sont présentés en Annexe VI.

Nous présenterons d’abord les résultats de manière transversale27, en reprenant les différents thèmes abordés pour chaque critère. Ils regroupent les différentes idées exprimées au cours des entretiens, à l’exclusion des quelques idées spécifiques à un critère particulier. Pour répondre au mieux à notre objectif, nous présenterons tout d’abord les résultats concernant le recueil actuel des médecins. Nous verrons ensuite leurs réactions aux recommandations présentées, avec notamment les perspectives et limites qu’ils envisagent, ainsi que la modification éventuelle de leur pratique après la présentation de ces recommandations. Nous terminerons par d’autres thèmes mis en valeur par ces entretiens: la problématique des logiciels, les connaissances des médecins sur le thème des ISS et leur volonté déclarée de soins similaires pour tous les patients. Les résultats par critères seront ensuite présentés dans la troisième partie des résultats, sous forme de fiches synthétiques. Ces résultats nous ont également permis de construire une typologie selon les différentes réactions à la proposition de recueil, que nous présenterons dans la quatrième partie des résultats.

2.1. Réalité du recueil

2.1.1. Le terme « recueil » pose question

Lors des entretiens avec les médecins, et lors de l’analyse de ces entretiens, nous nous sommes aperçu que le terme « recueil » les interrogeait. En effet, qu’il s’agisse de la définition de ce terme, ou des différentes formes que ce recueil peut prendre, il n’évoque pas la même chose à tous les médecins, et engendre donc des réponses très variables selon la signification qu’ils lui accordent.

« Recueillir, ça veut dire les noter dans le dossier, ou les connaître nous euh... » (M2) « Alors, de façon systématique ou sur certains patients ? » (M4)

L’important pour les médecins semble plutôt de connaitre l’information, et non pas forcément de la recueillir activement, systématiquement ou de la noter dans le dossier.

27 Nous avons décidé de rédiger cette partie au présent, de manière non conforme aux standards d’écriture,

car ce temps permet une lecture plus fluide des résultats, qui décrivent la pratique courante des MG et non un fait passé.

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« On note pas, on sait enfin, tu vois ça c'est... nous on... en tant que médecins généralistes on recueille tellement d'histoires, qu'on connait bien les gens... » (M19) « Quand on est généraliste souvent tu sais ça... mais tu le notes pas... mais tu le sais » (M4, sur le fait de vivre seul)

Comme nous allons le voir, le terme « recueil » regroupe ainsi plusieurs significations, et plusieurs modalités de recueil très différentes. Ceci entraîne des ambiguïtés dans les réponses données par les médecins concernant leur recueil effectif. Par exemple, recueillir signifie pour certains « connaitre l’information», quand pour d’autres, recueillir signifie « poser la question ». Il n’a donc pas été évident d’avoir une idée claire de leur recueil effectif28.

2.1.2. Différentes modalités de recueil

Les médecins ont évoqué différentes façons d’avoir connaissance de ces critères, donc différents types de recueil.

Tout d’abord, certains présument connaître ces informations, sans avoir besoin de les recueillir formellement. Ils pensent avoir une connaissance claire des situations, par le suivi au long cours de leurs patients, ou parfois simplement par ressenti, sans avoir besoin d’un recueil plus organisé.

« Parce que je sais, je connais les gens, je sais bien [...] mais je le vois en fait » (M25, sur le statut par rapport à l’emploi) « Ça on le sait... enfin c'est pas un truc qu'on recueille non plus... de manière formelle quoi mais... y'a des choses qu'on sait » (M20, sur le nombre d’enfants à charge)

Le recueil de l’information peut être actif ou passif. Il est parfois actif quand le médecin cherche l’information en posant directement la question au patient. Les critères le plus souvent recueillis activement sont les données considérées moins sensibles, comme les données administratives (le sexe, la date de naissance, l’adresse) et professionnelles (la profession, le statut par rapport à l’emploi). Cependant, le recueil est le plus souvent passif, quand l’information vient au médecin sans démarche volontaire de sa part. Il peut alors avoir connaissance de ces informations de différentes manières :

− Quand elles sont contenues dans la carte vitale, comme par exemple la date de naissance, ou l’assurance maladie.

− Quand elles sont transmises par le patient lui-même, lorsqu’il exprime spontanément une difficulté ou évoque ces informations au cours de la discussion. C’est le cas notamment de l’évaluation des capacités de compréhension du langage écrit, ou de critères plus personnels comme les critères familiaux (situation de famille, nombre d’enfants à charge) ou financiers (fait de bénéficier de minima sociaux, situation financière perçue).

− Quand elles sont apportées par des intervenants extérieurs, comme les services de soins à domicile ou les enseignants.

« A partir du moment où tu rentres la carte vitale d'un patient […] t'as le numéro de sécu, et la date de naissance qui s'affichent obligatoirement sans qu'on le rentre...» (M4, sur la date de naissance)

28 Au moment de l’élaboration de notre travail et de notre grille d’entretien, le groupe d’experts utilisait le

terme « recueil ». Au fur et à mesure de leur travail, il a été remplacé par « enregistrement ».

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« Je le sais pratiquement tout le temps parce que ça vient dans la conversation... mais euh... non, c'est pas une question que je vais forcément poser... » (M10, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Parfois c'est par les enseignants aussi qu'on peut, qu'ils nous disent […] y'a des réseaux... (rires) pas officiels... mais des réseaux parallèles, qui nous donnent aussi des infos quoi... euh... ça peut être les infirmières […] les services de soins à domicile aussi quoi les choses comme ça... les aide-ménagères, les gardes, les services de gardes d'enfants, qui parfois nous alertent... » (M7)

Le recueil peut être indirect quand le médecin connaît l’information à travers un autre élément, sans poser directement la question. Il peut par exemple la déduire de la tenue du patient, de son comportement, d’autres problèmes associés ou de la connaissance d’un autre critère. Par exemple, pour certains médecins, l’absence de couverture sociale peut être supposée par la rareté des consultations, le niveau d’études par le vocabulaire utilisé, le statut sans abri par la présentation générale du patient, le pays de naissance par son nom ou la langue parlée, les conditions de logement par l’adresse, et le fait de bénéficier de minima sociaux par la présence de la CMU.

« Tu sens... à la façon dont ils parlent, à la façon dont ils sont habillés, à la façon dont ils sont sur leur chaise... tu peux sentir un certain niveau social… » (M4) « S'il parle français on peut supposer qu'il soit né dans le coin... » (M5, sur le pays de naissance) « Les gens qui disent ‘ça fait quatre ans que je suis ici... euh... j'ai jamais vu un médecin’... et puis quand on fait un interrogatoire sur les antécédents on voit qu'ils ont plein de problèmes […] c'est là où on s'aperçoit que des fois ‘bah oui, j'consulte pas parce que j'ai pas de couverture’ » (M7, sur l’assurance maladie) « Quand il me donne son adresse, je sais où il est, je sais quel type de maison c'est, si c'est une maison récente, si c'est une vieille demeure » (M7, sur le statut vis-à-vis du logement) «On le sait puisque les gens qui sont aux minima sociaux sont des gens qui ont une CMU...» (M10, sur le fait de bénéficier de minima sociaux)

L’information peut être recueillie uniquement à l’oral, ou bien notée dans le dossier. Si cela est très variable selon les médecins interrogés et les critères concernés, la majorité des critères n’est pas retranscrite dans les dossiers, en dehors des données administratives et professionnelles.

« Ça va être noté sur la première page, il y a beaucoup de choses qui sont notées sur la première page, les renseignements administratifs » (M24, sur le statut par rapport à l’emploi) « J'essaie de tout noter je crois... » (M21) « Je ne note pas, mais par contre oui, on le demande » (M2, sur le fait de vivre seul) « En tant que médecin généraliste, on connaît bien les gens donc euh... y'a des choses qu'on recueille... qu'on recueille dans notre tête donc dans la mémoire... » (M19)

Le recueil du critère peut se faire d’emblée dès la première consultation ou au cours du suivi. Les principaux critères recueillis d’emblée sont les critères administratifs, comme l’âge, le sexe, et l’adresse, pour la totalité des médecins interrogés, ainsi que les critères professionnels, comme la profession et le fait d’être au chômage pour une grande majorité d’entre eux. Le recueil des autres critères se fait le plus souvent au cours du suivi.

« Ca fait partie […] du questionnaire immédiat » (M24, sur le statut par rapport à l’emploi) « Ça on l'apprend par la suite […] mais d'emblée quand les gens viennent pour la première fois, on demande pas systématiquement leur curriculum vitae » (M15) « C’est pas à la première consultation […] les choses se font aussi... au fil du temps quoi... » (M18)

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Ce recueil peut être systématique ou non. Pour les données administratives, il est réalisé systématiquement chez tous les patients, quelle que soit la situation. Les données professionnelles sont elles aussi régulièrement recueillies de manière systématique. Pour les autres critères, le recueil est le plus souvent adapté à la situation. Les informations sont alors recueillies en fonction :

− de la patientèle concernée : selon le sexe, chez « les jeunes » (M24, sur le niveau d’études), chez les « gens qui sont pas d'origine française » (M19, sur les capacités de compréhension du langage écrit), s’il s’agit d’un « nouveau patient » (M4, sur la profession), en cas de difficultés intellectuelles, ou d’un faible entourage socio-familial ;

− de l’activité du médecin (visites à domicile).

− du motif de consultation ou de la problématique : selon la pathologie à prendre en charge, « s'il y a un impact médical éventuel » (M15, sur la profession), en cas de « problèmes psychologiques » (M24, sur la situation financière perçue), si les « gens font état d’une difficulté à payer les soins » (M9, sur l’assurance maladie), s’il existe des difficultés socio-financières, des difficultés de prise en charge médicale ou d'accès aux soins, ou une problématique professionnelle particulière.

D’une manière générale, les médecins recueillent alors les critères qui leur paraissent pertinents pour leur prise en charge, ce qui peut varier selon leur personnalité ou leurs habitudes.

« Je le note systématiquement » (M25, sur la profession) « Je peux leur demander mais […] pas systématiquement. Une fois et demi sur dix » (M8, sur les capacités de compréhension du langage écrit) « Ça peut arriver, c'est pas un cas précis quoi, c'est pas du tout systématique quoi, c'est vraiment à la demande » (M1) « Je pense qu'on a surtout à recueillir les trucs qui sont importants pour nous... » (M20)

Le recueil est très souvent informel, imprécis, c’est-à-dire que le choix de l’information recueillie ou de la zone de notation dans le dossier est variable, approximatif, et dépend des habitudes de chaque médecin. Par exemple l’information peut être notée dans le corps de texte de la consultation, dans une plage « remarques » non formalisée ou dans la case correspondant à un autre critère. Ce mode de recueil ne permet pas toujours de retrouver facilement l’information en cas de besoin. C’est le cas pour tous les critères en dehors des informations administratives.

« Des fois on met des petites notes en aparté comme ça justement, mais à type de... distractives on va dire... mais c'est pas des choses qui sont franchement formalisées, répertoriées... » (M5) « On a une plage ‘remarques’, où on a un petit peu tout, qui est un peu un fourre-tout... et on va mettre parfois des choses qui nous paraissent importantes » (M13)

Enfin, il peut être réalisé par le médecin, ou délégué à une autre personne, le plus souvent la secrétaire.

« On le fait nous-mêmes » (M8, sur l’adresse) « J'ai une secrétaire qui de toute façon quand elle prend les rendez-vous, rentre toutes ces données là... » (M10, sur l’adresse)

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Ainsi, le recueil de données sociales n’est pas facile à évaluer de façon précise. Même lorsque l’information est jugée intéressante, et est finalement connue du médecin, elle semble rarement recueillie de manière active et formalisée.

2.1.3. Critères cités spontanément par les médecins

Avant de présenter les recommandations aux médecins, nous avons cherché à connaître les critères qu’ils disaient spontanément recueillir dans leurs dossiers, sans les orienter trop sur notre sujet. Nous avons défini deux premières questions : « Quelles données autres que biomédicales recueillez-vous dans les dossiers des patients ? » puis « Quelles données sociales ? ». Suite à l’énoncé de ces questions, nous nous sommes aperçu que les termes « recueil », « biomédical » et « social » étaient sources d’ambiguïté et n’étaient pas clairs pour de nombreux médecins. Quatorze médecins sont restés interrogatifs à l’énoncé de cette question.

« Qu'est-ce que vous comprenez par ‘données biomédicales’ ? Qu'est-ce que c'est ? […] Je ne sais pas, non non non, je ne sais pas » (M17) « J'en sais rien, qu'est-ce que vous appelez ‘autre que biomédical’? [Si je vous pose la question, est-ce ça vous inspire déjà quelque chose ?] Non. [Quelles données sociales ?] Alors, qu'est-ce que c'est ‘social’ ? » (M22)

Le terme « biomédical » reste ainsi à définir. Certaines informations ou critères du groupe d’experts ont été considérés comme médicaux par certains médecins. C’est par exemple le cas du sexe, de l’assurance maladie, de la situation de famille, du nombre d’enfants à charge, des données psychologiques, ou encore de l’hygiène de vie.

« S'ils sont en CMU effectivement […] enfin c'est quand même du médical […] tout ce qui va être... euh... soit le versant psy ou psychologique ou social, c'est quand même du médical » (M5) « Mais l'hygiène de vie c'est pas du social, c'est de la santé... » (M19) « Ça fait partie de la sémiologie, enfin je veux dire, ça me paraît biomédical » (M25, sur la situation de famille)

Malgré tout, les médecins ont répondu à ces deux questions et nous avons pu voir que plusieurs des critères prévus par les recommandations ont été cités spontanément dans les critères qu’ils recueillaient déjà. C’est le cas de la profession (citée 19 fois), de la situation familiale et conjugale (10 fois), de la date de naissance (8 fois), de l’adresse (8 fois), du nombre d’enfants (5 fois), de l’assurance maladie (4 fois), du statut par rapport à l’emploi (4 fois), du fait de vivre seul (3 fois), et du logement (2 fois).

« C'est le triptyque hein euh... famille […] le travail, et le logement, ces 3 choses-là sont très importantes pour déterminer le niveau de santé des gens » (M6) « Profession, âge, adresse, l'existence ou non d'un emploi... mmm... le nombre d'enfants » (M9) « Donc date de naissance, adresse, profession, euh... caisse d'assurance maladie, statut CMU, pas CMU, voilà, à peu près les données administratives […] la famille oui... la situation familiale » (M16) « L’origine de la personne, si jamais elle est étrangère […] le travail en général et puis bon les données familiales aussi... s'il vit seul, s'il a... si il ou elle a des enfants, etcetera. » (M20)

De manière plus globale, certains médecins ont évoqué les données administratives et d’état civil, ainsi que des données sociales ou sur le contexte de vie des patients, sans décrire précisément les informations demandées.

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« Tout ce qui peut me permettre d'apprécier le contexte dans lequel vivent les gens » (M25) « Y'a les renseignements administratifs... euh... essentiellement… » (M7) « Ça commence toujours par l'état civil sur un nouveau patient » (M8) « Alors des données sociales autres, oui... des données sociales sur euh... (soupir) sur des problématiques sociales » (M12)

2.1.4. Recueil variable selon les critères

2.1.4.1. Critères recueillis par une grande majorité des médecins

Trois critères des recommandations sont déjà recueillis systématiquement par tous les médecins, et cela de manière évidente. Il s’agit du sexe, de la date de naissance et de l’adresse.

« Bah ça c'est systématique ouais » (M4, sur le sexe) « Oui bah ça je l'ai systématiquement hein » (M25, sur la date de naissance) « Ça chez nous, c'est rigoureux et systématique, un dossier sans adresse, c'est... quasi-inexistant » (M10)

Lors des entretiens, les médecins ont paru surpris à l’évocation de ces trois premiers critères, qui leur paraissaient évidents.

« Ça me paraît tellement évident que je ne sais pas quoi vous répondre » (M11, sur le sexe) « (Silence, haussement de sourcil) [Donc c'est rentré systématiquement avec la carte vitale ?](hochement de tête) » (M9, sur la date de naissance) « Mmm... ah oui oui, j'pensais... d'accord, ça ça fait... d'accord oui oui... ok » (M19, sur l’adresse)

La profession est un autre critère recueilli par la quasi-totalité des médecins. Dix-huit d’entre eux disent effectivement le recueillir. Le statut par rapport à l’emploi est lui recueilli par treize médecins.

« Toujours... ça c'est indispensable » (M9, sur la profession) « C'est hyper important, c'est hyper important c'est hyper important » (M2, sur la profession) « Les intérimaires je redemande où ils en sont euh... ceux qui sont au chômage, je leur demande aussi systématiquement où ils en sont professionnellement » (M24, sur le statut par rapport à l’emploi)

2.1.4.2. Critères peu recueillis par les médecins

Certains critères sont en revanche peu recueillis par les médecins. C’est notamment le cas des critères financiers. Aucun médecin ne dit recueillir la situation financière perçue, et quatre disent parfois recueillir le fait de bénéficier de minima sociaux. D’une manière générale, ils s’interrogent souvent sur la pertinence de ce recueil ou la façon d’aborder la question.

« On l'a pas dans les dossiers... on le recueille pas » (M3, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Non, je vais pas leur demander » (M8, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Le mettre dans le dossier euh médical euh… (hésitation) non » (M23, sur la situation financière perçue)

Les capacités de compréhension du langage écrit du patient sont aussi peu recueillies. Deux médecins disent recueillir ce critère, de manière non systématique. Les autres déclarent

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évaluer l’information de manière passive, indirecte, au cours du suivi, sans poser la question. Certains médecins eux soulignent l’évaluation insuffisante de cette information.

« Je peux leur demander mais pas si c'est pas… euh... pas systématiquement. Une fois et demi sur dix» (M8, sur les capacités de compréhension du langage écrit) « Quand ils comprennent pas, ils me montrent en fait [...] c'est eux qui me demandent en général » (M23, sur les capacités de compréhension du langage écrit) « On estime qu'ils ont bien compris et des fois on s'aperçoit qu'on a peut-être été un peu rapide en besogne » (M1, sur les capacités de compréhension du langage écrit)

La CSP est déclarée comme étant peu recueillie, car elle paraît peu intéressante, redondante avec la profession, et moins informative que celle-ci, pour vingt-et-un médecins interrogés.

« Pour moi ça n'a pas grand intérêt la catégorie socioprofessionnelle non...» (M17, sur la CSP) « Bah oui c'est la profession. Quand on a la profession on a bien la catégorie socioprofessionnelle. Oui ça fait partie de la profession » (M16, sur la CSP)

2.1.4.3. Critères recueillis en fonction du contexte

Certains critères ne sont recueillis qu’en fonction de la situation. C’est surtout le cas de la situation de famille, du nombre d’enfants à charge, et du fait de vivre seul, qui sont recueillis selon l’âge et le sexe du patient ou en cas de difficultés psychologiques. Le pays de naissance est recueilli chez les patients « qui sont manifestement d'origine différente que nous » (M8). Le niveau d’études est lui recueilli principalement chez les jeunes.

« C’est toujours plus dans... certaines pathologies plus d'ordre psychologique » (M15, sur la situation de famille) « Quand c'est la mère on sait combien elle a d’enfants, quand c'est le père, en général […] c'est pas toujours noté » (M7, sur le nombre d’enfants à charge) « Quelqu'un d'âgé veuf, par exemple, je... ça n’a pas la même connotation pour moi que quelqu'un de plus jeune qui vit seul » (M8, sur le fait de vivre seul) « Les jeunes oui, je demande systématiquement où ils en sont dans leurs études, ce qu'ils font » (M24, sur le niveau d’études)

2.1.4.4. Critères regroupant plusieurs informations au recueil variable

Certains critères regroupent plusieurs informations à recueillir. Au sein de ces critères, toutes les informations ne sont pas recueillies de la même manière et ne présentent pas le même intérêt pour les médecins.

Ainsi, pour l’assurance maladie, le critère proposé par les recommandations regroupe l’assurance maladie obligatoire, l’assurance maladie complémentaire, dont les statuts CMUc/AME, et l’exonération du ticket modérateur (ALD29, arrêt de travail/maladie professionnelle, invalidité, article 115). Si le numéro de sécurité sociale et le statut CMU sont souvent recueillis par les médecins, la complémentaire l’est rarement. Quelques médecins évoquent toutefois la nécessité de s’intéresser à cette information.

« J'ai leur numéro de sécu... et moi, par exemple, je note s'ils sont CMU... mais je note pas s'il y a une mutuelle ou pas... » (M11, sur l’assurance maladie)

29 ALD : Affection Longue Durée

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« La mutuelle non, ça je demande pas du tout. » (M9, sur l’assurance maladie) « Y’a toutes les données d'assurance maladie hein… donc euh... quelle couverture médicale a le patient... maladie donc c'est assurance de base + complémentaire santé, ou absence de complémentaire santé, CMU euh, c'est couverture maladie universelle, aide médicale d'état, euh les patient en ALD, affection longue durée... » (M6)

Concernant le fait de bénéficier de minima sociaux, la question des recommandations attend simplement une réponse binaire en oui/non, mais les médecins n’accordent pas la même importance à chacun de ces minima sociaux : l’AAH30 est recueillie, alors que le RSA31 est peu recueilli.

« Oui, euh, ça peut-être que le RSA j'en parle pas trop » (M24, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Souvent, je leur ai demandé un dossier d'invalidité, un dossier MDPH, enfin bon... ça je le sais, donc ça je le note, euh... si je fais moi-même la demande. Mais sinon, non, je vais pas leur demander » (M8, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « L'AAH ouais... » (M21, sur le fait de bénéficier de minima sociaux)

Enfin, concernant le statut vis-à-vis du logement, le critère regroupe le fait d’être sans abri, hébergé, en foyer, propriétaire ou locataire. L’information propriétaire/locataire est peu recueillie car jugée peu intéressante par les médecins, qui s’intéressent davantage au statut sans abri ou en foyer.

« Sans domicile... c'est évidemment important […] maintenant qu'ils soient propriétaires ou locataires... non ça c'est pas un critère... qui rentre en ligne de compte » (M15, sur le statut vis-à-vis du logement) « En foyer oui... C'est pas la même question... propriétaire/locataire ou en foyer...» (M9, sur le statut vis-à-vis du logement)

2.1.5. Autres données évoquées

D’autres informations que celles présentes dans les recommandations ont été évoquées par les médecins lors des entretiens, à la première question, à l’évocation de chacun des critères ou encore lors des questions finales plus globales.

Il peut s’agir d’informations :

− Administratives, comme le nom et prénom du patient, son numéro de téléphone, son « courriel » (M25), le « nom du médecin traitant habituel » (M23), les « correspondants » (M14), le fait d’être de passage ou « en vacances » (M21), ou une difficulté à payer les consultations.

− biomédicales, comme « les vaccins, les antécédents, les antécédents familiaux » (M23), les examens à prévoir, la « consommation de tabac » (M2), ou « les addictions » (M2).

On retrouve aussi des informations plus personnelles au patient, comme :

30 AAH : Allocation Adulte Handicapé 31 RSA : Revenu de Solidarité Active

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− son « environnement » (M12), son « mode de vie […] des rythmes de vie » (M3), ses « vacances […] les loisirs » (M19), ses « activités sportives » (M2), sa « facilité de vie » (M9), l’existence d’ « un moyen de locomotion » (M19) ;

− la présence d’« un entourage proche […] de la famille, des enfants, des voisins qui s'occupent d'eux » (M21), la présence d’« aides à domicile […] les aides sociales » (M6), ses liens de parenté avec d’autres patients, les coordonnées d’une personne de confiance, « le numéro de téléphone d'un enfant » (M4), s’ils sont « sous tutelle ou pas » (M4) ;

− son « histoire de vie » (M12), ses « événements de vie » (M12), son « parcours […] tout ce qu'ils ont vécu avant...» (M7), des antécédents de maltraitance, de « violences familiales » (M6) ou « d'agressions sexuelles » (M20), des « problèmes judiciaires » (M18) ;

− ses « problèmes psychologiques » (M16) ;

− ses croyances ou sa « religion » (M13) ;

− son « orientation sexuelle » (M12) ;

Certains médecins disent aussi recueillir le « niveau intellectuel » (M25) du patient, ou encore des « appréciations personnelles sur euh la... la personnalité de la personne » (M24).

Un médecin souligne que ce champ d’informations est très vaste, infini et qu’il est donc impossible d’être exhaustif.

« Après euh voilà c'est infini quoi... ‘croit aux esprits’, ‘ adepte de l'homéopathie’, ‘va à la messe trois fois par semaine’ enfin on peut toujours... on peut tout mettre... je crois qu'on n’arrivera pas à faire quelque chose... d'exhaustif » (M12)

2.2. Perspectives du recueil

Nous avons cherché à connaître les usages que les médecins généralistes pouvaient faire de ce recueil, les perspectives qu’ils pouvaient lui donner, et l’effet que ce recueil pouvait avoir sur l’adaptation de leur pratique et sur la prise en charge des ISS.

L’intérêt de ce recueil pour la prise en charge du patient est reconnu par la plupart des médecins, même si cela varie selon les critères et les médecins interrogés. Les médecins travaillant en campagne retrouvent par exemple un intérêt moindre à ce recueil. Ils pensent mieux connaitre le patient et sa famille, qu’ils suivent depuis de nombreuses années, ainsi que leur environnement et leur contexte de vie.

« Vu que ça, ça interfère indirectement avec la prise en charge […] c'est quand même bien de savoir la situation socio-familio-professionnelle » (M23) « C'est important le nombre d'enfants à charge, c'est important la situation professionnelle, c'est important de savoir la situation même sociale, financière, enfin économique du patient, de sa famille, du cadre, de savoir s'ils sont dans des situations précaires, enfin tout ça, c'est hyper important » (M2) « En campagne ici oui, on connait la famille, et on connait le milieu social dans lequel vivent les gens... » (M10)

Six médecins établissent explicitement un lien entre ce recueil de données sociales et la prise en charge des ISS.

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« L’'histoire de la... de la couverture médicale et de la complémentaire... oui c'est important... la vie familiale, savoir s'ils sont séparés, divorcés, oui ça c'est important, la situation vis-à-vis du travail... c'est très important vis-à-vis de la lutte pour les inégalités de santé » (M3)

Trois médecins reconnaissent qu’un recueil plus systématique de ces critères pourrait permettre de standardiser les pratiques de tous les médecins, et donc faciliter ensuite l’accès à ces données pour tous.

« Standardiser c'est bien...» (M4) « Si ça peut me permettre de retrouver quelque chose quoi, en gros » (M1) « Si on veut le faire bien, il faudrait être assez systématique, c'est toujours pareil, dans les dossiers où il y a plein d'items qu'on n'a pas renseignés... on sait pas si on ne les a pas renseignés parce qu'on les a pas interrogés ou... qu'on les a renseignés et que c'est négatif […] renseigner dans le dossier qu'on a bien interrogé la problématique, c'est utile ouais » (M12)

Que les médecins aient conscience ou non du rôle de ce recueil dans la prise en charge des ISS, ils décrivent tous différents intérêts pour leur prise en charge quotidienne.

2.2.1. Intérêt logistique

L’intérêt logistique est souvent le premier énoncé par les médecins, cité par la totalité d’entre eux. Il est surtout évoqué pour les critères administratifs. L’adresse est ainsi utile pour joindre le patient ou se rendre en visite à domicile ; le sexe et la date de naissance sont nécessaires pour créer le dossier ou rédiger un courrier ; l’assurance maladie est indispensable pour le règlement ou pour envoyer les courriers, arrêts de travail, et dossiers d’ALD.

« C'est obligatoire, mon dossier informatique ne s'ouvre pas s'il n'y a pas de date de naissance» (M11) « C’est intéressant quand tu veux partir en visite, c'est tout » (M2, sur l’adresse) « Lorsque vous avez besoin de lui envoyer une petite ordonnance parce que vous avez un ECBU qui n'est pas normal... ou pouvoir lui envoyer un courrier...» (M10, sur l’adresse) « On y voit un intérêt économique... à savoir que nous on fait beaucoup de tiers-payant donc euh... selon les régimes, la secrétaire... si les gens n'ont pas la carte vitale, la secrétaire devra envoyer les feuilles par exemple... » (M19, sur l’assurance maladie)

2.2.2. Connaissance globale du patient

Ces critères permettent aux médecins de connaître les patients dans leur globalité, de « les situer […] dans leur quotidien » (M2), d’ « avoir une conscience claire de ce qu'ils vivent » (M9), afin de mieux les soigner. Ils permettent d’évaluer le cadre et les conditions de vie des patients, leurs habitudes quotidiennes, ainsi que leur environnement personnel, familial et professionnel. Les médecins évoquent également l’intérêt de connaître l’histoire de vie du patient.

« Tout ça c'est des éléments d'appréciation quoi, du... de la globalité de la personne» (M20, sur le statut vis-à-vis du logement) « Je crois pas qu'on soigne bien les gens si on sait pas ce qui leur arrive » (M2, sur le statut par rapport à l’emploi) « Et puis l'importance de la vie... enfin du cadre de vie, s'il est en pure campagne ou en zone urbaine... C'est quand même différent pour plein de choses » (M3, sur l’adresse) « Oui parce que pareil hein, c'est ce qui fait... ce qui fait les gens c'est d'où ils viennent, leur culture, leur parcours » (M12, sur le pays de naissance)

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Ces critères permettent aussi d’évaluer l’équilibre physique et psychologique des patients, leur épanouissement et le bien-être par rapport à leur logement, leur profession, ou encore leur situation de couple.

« Toutes ces questions elles ont un impact sur la disponibilité des gens, sur leur état d'esprit, sur euh 'est-ce qu'ils sont épanouis ou pas' [...] j'ai besoin juste de savoir si, s'ils sont bien ou pas » (M25) « J'leur pose souvent la question de savoir si ça va bien avec leur conjoint, s'ils ont une bonne qualité relationnelle... » (M3) « Et puis, on pourrait aussi regarder est-ce que les gens sont bien dans leur logement ? On peut […] être propriétaire et puis vivre à 5 dans un 2 pièces par exemple » (M13, sur le statut vis-à-vis du logement)

Le recueil de ces informations peut permettre au médecin d’évaluer les capacités du patient à s’orienter dans les soins et à adopter un comportement favorable pour la santé.

« Je dirais que c'est toutes les conditions de... du quotidien qui vont impacter la façon dont il pourra se diriger dans le système, se conformer aux prescriptions » (M12, sur le statut vis-à-vis du logement) « On sait, si ce sont des patients... plutôt de catégorie... euh... supérieure, enfin qui ont... capacité à s'occuper d'eux euh... plus importante que par exemple des gens qui vont avoir des métiers... beaucoup moins intellectuels et qui ont... plus de difficultés à s'occuper d'eux » (M18, sur la CSP)

2.2.3. Intérêt pour la prise en charge diagnostique et thérapeutique

Dans une approche centrée sur la maladie, les médecins retrouvent un intérêt diagnostique à ces critères puisqu’ils peuvent être des facteurs de risque pour la santé. Ils peuvent ainsi expliquer des symptômes, ou influer sur l’hygiène de vie. Ils peuvent être source de maladies, notamment professionnelles, de difficultés psychologiques, ou avoir un retentissement sur l’espérance de vie. Les médecins insistent en particulier sur la profession, et parfois sur le pays de naissance ou le statut vis-à-vis du logement pour diagnostiquer ou expliquer des pathologies spécifiques. Le statut par rapport à l’emploi, le statut vis-à-vis du logement, la situation financière perçue et la situation de famille jouent eux principalement sur l’équilibre psychologique. Enfin, un des médecins interrogés pense que le fait de vivre seul joue directement sur l’état de santé puisque « les gens seuls sont plus malades que les gens qui vivent pas seuls...» (M6).

« Ça peut participer quand même à des diagnostics » (M4) « Si le p'tit gars il nous dit qu’effectivement il a été dans les chantiers de Saint-Nazaire pendant 50 ans et qu'il vient parce qu'il a des crachats hémoptoïques bah on se dit ‘tiens, y'a p't'être un p'tit soucis quoi’ » (M5, sur la profession) « Quelqu’un qui revient de ... du... d'Afrique noire, qui a de la fièvre, et je pense au palu, bah euh... c'est aussi parce qu'il vient d'Afrique noire... » (M8, sur le pays de naissance) « Les gens ont des problèmes spécifiques à la rue... la violence, les problèmes dermato, les problèmes respiratoires, c'est quand même assez spécifique... » (M6, sur le statut par rapport au logement) « Ça met en jeu leur situation morale, psychiatrique, leur stress…» (M3, sur la situation de famille)

Ces informations permettent également d’adapter la prise en charge décisionnelle, qu’elle soit préventive, avec le traitement des facteurs de risque et la vérification des vaccinations, ou curative, avec la décision d’hospitalisation et la réalisation d’arrêts de travail.

« Il y a des facteurs de risque un petit peu plus importants chez les hommes... tabac, alcool, conduites à risque, qui vont être à prendre en charge de façon plus précise » (M3, sur le sexe) « Quand ils retournent dans leur pays, il faut me rassurer que les vaccins sont à jour, il faut me rassurer qu'ils ont des médicaments » (M17, sur le pays de naissance)

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« Ça change... euh... de savoir si je prévois une hospitalisation ou pas » (M2, sur le fait de vivre seul) « On fait pas le même arrêt de travail à quelqu'un qui travaille dans un bureau ou qui travaille dehors ou quelqu'un qui fait des travaux physiques ou quelqu'un qui est tout le temps dans sa voiture ou quelqu'un... c'est complètement différent quoi... » (M2, sur la profession)

Elles peuvent aussi servir à l’interprétation de certains tests diagnostiques, comme le niveau d’études pour le MMS32.

« Je demande le niveau d'études de temps en temps, quand je fais un test de mémoire par exemple... parce que ça impacte le résultat du test hein... test MMS par exemple... » (M6)

Un médecin évoque l’importance de faire prendre conscience aux patients de l’impact de ces facteurs, afin qu’ils adaptent leur mode de vie pour améliorer leur santé.

« De savoir que ça impacte, c'est peut-être intéressant aussi sur... pour lui sur la manière dont il peut... se prendre en charge ou avoir une hygiène de vie... qui s'améliore...quoi... » (M13)

2.2.4. Repérage des vulnérabilités

Le recueil systématique de ces informations permet aux médecins de faire de la médecine « proactive » (M6), en repérant mieux les patients vulnérables, dans une approche centrée sur le patient.

« Ce recueil-là permet de repérer des gens qui sont en fragilité » (M20) « C'est un peu un signal d'appel quoi, un point de repère » (M12, sur le fait de vivre seul)

La connaissance de ces critères permet aux médecins d’adapter et de personnaliser leur prise en charge aux capacités et conditions de vie des patients en difficulté, en augmentant leur vigilance, en les accompagnant dans leurs difficultés, leurs démarches de soins (adaptation des traitements, prise de rendez-vous, aide à la compréhension, etc.) ou leurs démarches administratives (reclassement professionnel, adaptation de poste, recherche d’emploi, couverture sociale).

« Des familles très défavorisées... euh... alors socialement […] on est beaucoup plus attentifs oui […] on essaie de les encadrer beaucoup plus quoi... » (M7) « Y'a des gens qui spontanément feront part de leurs plaintes, des plaintes qui peuvent être dangereuses pour leur santé, y'en a d'autres qui le feront moins spontanément et auxquels il faut être plus vigilants... » (M20) « Il est évident que quelqu'un qui est à la rue […] on s'arrangera pour que, pour le sécuriser par rapport aux médicaments […] On sera... plus vigilants sur euh... son organisation dans le parcours de soins » (M12, sur le statut vis-à-vis du logement) « Quand ils sont en fin de CMU, bah je, je, enfin je leur demande […] qu'ils aient bien pris contact avec l'assistante sociale pour que de toute façon ce soit renouvelé » (M24, sur l’assurance maladie)

Ces informations permettent également aux médecins d’améliorer leur écoute et leur empathie à l’égard de ces patients, de passer plus de temps avec eux, d’encourager et valoriser les patients en souffrance.

32 MMS : Mini Mental State (test d’évaluation des fonctions cognitives)

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« Après... mais c'est plus un temps d'écoute quoi... voilà, c'est... je prends du temps pour eux » (M18) « Oui, parce que ça permet un peu [...] de valoriser le patient qui n'a pas... qu'on s'intéresse à lui, qu'on s'intéresse à ses problèmes » (M14) « Des fois ça donne une vigilance ou une envie de... d'inciter à poursuivre... à utiliser ses atouts... s’ils ont des niveaux d'études quoi... » (M20, sur le niveau d’études)

Le recueil de ces critères permet ainsi d’identifier différents types de vulnérabilités. Quatre d’entre elles ont pu être identifiées dans le discours des médecins : la vulnérabilité financière, les difficultés d’accès aux soins, l’isolement social, et les difficultés de compréhension. En repérant ces vulnérabilités particulières, ce recueil permet au médecin de modifier sa prise en charge pour s’adapter aux besoins de ces patients.

2.2.4.1. Évaluation de la situation socio-financière

La connaissance de ces informations permet à certains médecins d’évaluer « le niveau... le milieu social » (M8) de leurs patients, sans qu’ils décrivent précisément ces termes.

Ils évoquent certains critères leur permettant d’évaluer la situation socio-financière de leurs patients, comme l’adresse, la profession, la CSP, le statut par rapport à l’emploi, l’assurance maladie, le nombre d’enfants à charge, le fait de bénéficier de minima sociaux ou encore la situation financière perçue.

« On a à la fois des gens euh... aisés, qui habitent plutôt à gauche de la [rue], et puis toute la partie droite, c'est quartiers nord où là... c'est plus... c'est moins aisé donc déjà qu'avec l'adresse, on arrive déjà à resituer.... » (M8, sur l’adresse) « Le père de famille qui a trois bouches à nourrir et qui est sans emploi... il a surement plus de difficultés euh... que quand il y a un salaire qui tombe tous les mois » (M11, sur le statut par rapport à l’emploi) « Par exemple celle que j'ai vu ce matin bon, chômeuse depuis je sais pas combien de temps, ça y est elle est passée à la CMU donc je me dis ‘ça y est hop elle a dû redescendre d'un palier’ » (M11)

2.2.4.2. Évaluation de l’accès et du recours aux soins

Les critères permettant d’évaluer la facilité financière des patients sont jugés importants, car ils sont révélateurs de leur capacité à faire l’avance des frais et donc à s’orienter dans le système de soins. Les critères financiers et professionnels permettent ainsi d’évaluer l’accès aux soins des patients, notamment pour le prix des médicaments, ou des consultations spécialisées avec dépassements d’honoraires. Un autre critère important pour évaluer cet accès aux soins est l’assurance maladie, avec la difficulté de prise en charge des patients n’ayant pas de couverture complémentaire.

« Les professions supérieures, c'est plus facile de les soigner dans le sens où ils ont de l'argent... et que de temps en temps ils en ont rien à foutre d'avancer l'argent... » (M19, sur la CSP) « C'est les dépassements d'honoraires qui nous posent quand même problème, c'est vrai... et puis... la facture des médicaments qui peut s'alourdir quand même » (M3, sur le statut par rapport à l’emploi) « On le voit bien nous, des gens qui n'ont pas de mutuelle, qui sursoient à des examens coûteux... on en a... quand bien même ce sont des examens nécessaires hein » (M13, sur l’assurance maladie)

L’accès géographique aux soins est également évoqué, et peut être évalué par l’adresse et la distance par rapport au cabinet.

« Savoir s'ils sont près du cabinet […] en combien de temps ils peuvent être là… » (M21, sur l’adresse)

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Certains critères peuvent quant à eux permettre d’évaluer la disponibilité des patients par rapport aux soins ou à la santé en général. Les médecins citent notamment le fait d’être en intérim, le nombre d’enfants à charge, le statut vis-à-vis du logement, ainsi que les difficultés financières qui peuvent être à l’origine de refus d’arrêts de travail.

« C'est un critère de précarité l’intérim […] c'est des gens qui vont pas avoir forcément le temps d'aller faire les examens, ou alors qui vont être appelés du jour au lendemain puis qui vont accepter qui vont pas faire des choses comme ça quoi... » (M21, sur le statut par rapport à l’emploi) « Une maman mère de famille, ou un père de famille, avec des enfants, va peut-être être moins disponible pour lui... par exemple au niveau hygiène alimentaire, s'il a un régime à faire... que... la jeune fille qui est toute seule, célibataire, qui peut faire du sport... tu vois...donc euh...la disponibilité par rapport à la maladie, par rapport à son corps... » (M19, sur le nombre d’enfants à charge) « Les gens qui ont des fins de mois difficiles, ils vont dire si on dit ‘il faut vous arrêter’, ils vont dire ‘bah non, c'est pas possible, je ne peux pas m'arrêter’... » (M11)

Cette évaluation de l’accès aux soins peut entraîner une adaptation des prescriptions d’examens complémentaires ou de traitements (diminution du nombre de médicaments, prescription de molécules remboursées), dans l’objectif de faciliter cet accès. Un médecin dit également donner des médicaments aux patients qui le nécessitent.

« Quand les gens n'ont pas du mutuelle des fois ça m'arrive de moins... par exemple au niveau des bio, de moins mettre de choses » (M19, sur l’assurance maladie) « Je leur assène pas […] un traitement hyper lourd qui va leur coûter la peau des fesses » (M2) « J'essaye aussi de trouver des médicaments euh... remboursés» (M17, sur le statut par rapport à l’emploi)

La connaissance de ces critères peut aussi modifier l’orientation des patients dans le système de soins, en privilégiant si besoin les médecins spécialistes travaillant en secteur 1, ou l’hôpital public. A l’inverse, pour un des médecins, « à partir du moment où tous les spécialistes sont en secteur 2... avec des dépassements conséquents » (M9), cette évaluation ne change rien, devant l’absence de choix possible. Un autre médecin dit adresser sans hésiter ses patients bénéficiant de la CMU à des médecins travaillant en secteur 2 puisqu’ils n’ont pas à faire l’avance des frais ni à prendre en charge de dépassements d’honoraires.

« J'essaie de les orienter... pour ne pas aller voir des médecins qui vont les... enfin des spécialistes qui vont prendre des dépassements impensables quand je sais que c'est pas gérable quoi... » (M2) « S'il n'a pas les moyens, et que c'est des examens indispensables, je vais être amené à... par exemple à dire à ma secrétaire ‘prends le rendez-vous au CHU’» (M14, sur le statut par rapport à l’emploi) « Les médecins qui sont en secteur 2, je... les gens qui ont la CMU je leur adresse, j'm'en fous […] parce qu'ils vont pas avancer de sous et qu'il n'y aura pas de dépassements » (M19, sur l’assurance maladie)

Enfin, le médecin peut aussi adapter le paiement de sa propre consultation, en réalisant le tiers-payant, en adaptant le prix s’il travaille en secteur 2, en adaptant la date de dépôt du chèque, voire en réalisant un acte gratuit.

« On leur dit des fois aux gens ‘si vous avez des difficultés, vous nous demandez, j'vous fais le tiers payant’... et j'leur dis toujours moi ‘faut être à l'aise, faut vous soigner, c'est important’ » (M4) « Comme je suis en honoraires libres, quand ils sont dans ces difficultés-là, je m'aligne sur le tarif conventionnel... ou s'ils sont vraiment dans la dèche, bah ils viennent me payer quand ils sont remboursés » (M9, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Ceux qui ont des difficultés je leur dis 'mais vous le dites, je mets le chèque de côté et puis quand vous voulez je le tire’ » (M25, sur le fait de bénéficier de minima sociaux)

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2.2.4.3. Évaluation de l’entourage social

Certains critères, comme la situation de famille, le fait de vivre seul et l’adresse, permettent d’évaluer les ressources humaines du patient (famille, voisins, entourage proche) et de son quartier (centres sociaux, commerces). Ceci est particulièrement important chez les patients âgés, pour l’appréciation de l’observance, la surveillance et le maintien de leur autonomie.

« Pour le quartier […] pour les ressources, au niveau des compatriotes, des amis, de... des centres socioculturels, médico-sociaux...» (M19, sur l’adresse) « C'est pas tellement le vivre seul, mais c'est surtout les ressources familiales, sociales... au sens relations humaines, quoi... l'isolement... » (M20, sur le fait de vivre seul) « Il y a personne pour surveiller, il y a personne pour euh alerter euh... donc ça peut dans certaines circonstances changer quelque chose oui. Sur le plan de l'observance, souvent » (M12, sur le fait de vivre seul)

Cette évaluation des ressources humaines des patients permet aux médecins de sécuriser leur prise en charge, en mettant en place des aides à domicile (humaines ou techniques), ou en décidant d’une hospitalisation si besoin.

« Ça change euh de savoir si je prévois une hospitalisation ou pas, ça change euh dans la surveillance […] ça change sur l'équipement dans la maison […] Pour prendre des mesures éventuellement, faire venir l'infirmière, faire venir des gens pour surveiller, pour être sûre que tout aille bien » (M2, sur le fait de vivre seul)

2.2.4.4. Évaluation du niveau de compréhension et des croyances

Pour certains médecins, les capacités de compréhension du patient peuvent être évaluées de manière indirecte au travers de critères comme le niveau d’études, la profession, la CSP ou le pays de naissance.

« Pour la compréhension savoir si franchement... il est totalement idiot ou s'il y a de l'espoir (rires) » (M1, sur le niveau d’études) « J'estime qu'ils […] ont tel ou tel niveau d'études, donc […] ils sont accessibles à tel ou tel niveau de compréhension de leur pathologie » (M25) « Peut-être aussi sur les facultés de compréhension […] c'est sûr que l'ingénieur Bac +6 […] y'a sûrement oui une approche différente par rapport au balayeur... » (M11, sur la profession)

Certains critères permettent aussi de comprendre la culture et les croyances des patients, leur perception du corps, de la maladie et des soins, qui influent sur leurs comportements. Le pays de naissance et la profession sont notamment cités.

« Après, t'as la culture, la barrière de la culture […] c'est de l'ethnomédecine ça... des fois c'est hyper important » (M19, sur le pays de naissance) « C'est plus sur... culturel enfin... un peu comment les gens perçoivent le circuit de soins, comment on est perçus, comme médecins, comme soignants, par rapport à leur pays » (M13, sur le pays de naissance) « Parce qu'ils ressentent euh leurs problèmes, que ce soient les douleurs, que ce soient même les problèmes de grippe et tout euh, les problèmes on va dire infectieux ponctuels, c'est pas perçu du tout de la même façon en fonction de la profession » (M23, sur la profession)

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Les médecins disent utiliser ces éléments d’évaluation pour adapter leur discours et leurs ordonnances, afin de faciliter la compréhension des patients. Ils adaptent leurs explications avec les patients ne parlant pas français ou qu’ils estiment de bas niveau intellectuel, en utilisant « des mots plus simples » (M4), des images, des dessins, ou en se servant de sites de traduction. Ils peuvent également se servir de la profession des patients pour leur parler avec des termes imagés adaptés. Ils insistent sur l’explication des ordonnances, et adaptent celles-ci en favorisant la lisibilité (ordonnances informatiques plutôt que manuscrites, écriture en majuscules) ou en prescrivant en DCI33.

« On adapte notre discours en fonction de la capacité intellectuelle, c'est vrai qu'on doit pas parler de la même façon à quelqu'un qui... bon qui est assez limité QI, et quelqu'un qui a fait des études supérieures » (M7, sur le niveau d’études) « Je parle beaucoup par images et j'adapte toujours mes images à la profession des gens [...] Un garagiste je vais parler de mécanique, un informaticien je vais parler d'informatique » (M25) « Quand je fais une ordonnance à des gens étrangers qui savent pas lire le français, des fois je fais des petits dessins à côté... et j'utilise beaucoup Google traduction aussi... » (M19, sur les capacités de compréhension du langage écrit) « Sans doute être aussi plus vigilant à ce que par exemple […] qu'on prescrive en DCI, c'est à dire que comme aujourd'hui, les pharmaciens substituent […] il faut bien maitriser la lecture pour savoir quel est le médicament qui...qui est qui par rapport à l'ordonnance » (M13, sur les capacités de compréhension du langage écrit)

Enfin, en cas de connaissance de difficultés de compréhension, les médecins peuvent demander à se faire aider d’un tiers en consultation : un interprète pour les patients étrangers ou un membre de la famille pour les patients âgés.

« Avec les angolais qui parlaient portugais donc j'ai appelé l'interprète en langue portugaise, qui est venu faire la consultation...» (M6, sur le pays de naissance) « Ça m'est arrivé des fois de téléphoner à des familles ‘hein écoutez j'ai pris un rendez-vous à votre maman ou à votre papa mais ce serait bien que vous l'accompagniez parce que je suis pas sûr qu'il comprenne’... » (M4, sur le fait de vivre seul)

2.2.5. Amélioration de l’écoute et de la relation médecin-patient

Le recueil de ces informations permet aussi au médecin de discuter avec le patient. Ceci lui permet d’améliorer la relation médecin-malade, en se souvenant d’une fois sur l’autre de ce que lui dit le patient, en lui montrant l’intérêt qu’il porte à sa vie et en s’adaptant à son contexte de vie.

« C'est vrai que ça peut être d'un intérêt important pour... la relation médecin-patient » (M14, sur les capacités de compréhension du langage écrit) « Oui ça permet de causer, de parler du pays […] oh c'est le contexte... convivial » (M22, sur le pays de naissance) « Y'a même des choses qui paraissent anodines que je note quand même... histoire de dire j'sais pas... l'ancien qui va dire ‘bah tiens je pars faire un voyage huit jours...’ bah je sais pas, en Bretagne, machin, la fois d'après, j'lui demande des nouvelles de son voyage, bon, ça paraît complètement anodin mais c'est important parce qu’il se dit ‘ah tiens il écoute ce que je dis’ […] donc ça leur fait plaisir et ça les met aussi un p'tit peu en confiance... » (M7) « Vous allez pas parler de vos vacances aux Bermudes à quelqu'un qui crève la dalle » (M9)

33 DCI : Dénomination Commune Internationale

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2.2.6. Prise en charge pluri-professionnelle

Ces données, notamment les difficultés financières ou de compréhension, sont utiles pour renseigner les confrères qui s’occupent du patient, que ce soient les associés, internes, remplaçants, ou encore les médecins spécialistes.

« J'le note parce que quand j'ai des internes, quand j'ai des remplaçants, ben j'trouve ça important qu'elles le sachent » (M18) « On travaille en équipe, on est cinq médecins... donc un jour ou l'autre on voit toujours un patient qui n'est pas le nôtre... euh... et donc on a des infos comme ça automatiquement, ce qui nous... déjà nous guide, au départ » (M7, sur les capacités de compréhension du langage écrit) « Quand t'adresses à un spécialiste bon bah s’il voit ça, tu... ça peut l'aider à se dire ‘bon bah il faut bien expliquer à la personne, faut pas lui donner des papiers comme ça puis...il s'en va puis en gros il comprend rien quoi...’ » (M4, sur les capacités de compréhension du langage écrit)

Le repérage de patients vulnérables permet d’organiser une collaboration avec les professionnels médicaux (médecins du travail, médecins de la sécurité sociale, etc.) ou paramédicaux (infirmières, etc.), afin d’adapter au mieux la prise en charge. Les médecins généralistes peuvent également orienter les patients vers des travailleurs sociaux, notamment en cas de difficultés de couverture sociale, d’isolement, ou de difficultés financières.

« Parler... travailler avec les médecins sécu et les médecins du travail dans ces cas-là... pour être plus attentifs aux reprises de travail, en temps thérapeutique partiel » (M19) « Vendredi prochain par exemple je vais aller voir un patient qui vit seul dans une grande précarité avec un logement insalubre... et donc je vais faire la visite avec l'infirmière... » (M6) « Les gens qui sont dans des détresses sociales en fait on a intérêt à les aiguiller vers les gens compétents […] les conseillères en éducation économique, en éducation euh familiale […] Les assistantes sociales […] les médecins du travail » (M24) « Là tu fais intervenir la PMI tout le bazar » (M4, sur la situation vis-à-vis du logement)

2.2.7. Intérêt épidémiologique: prise de conscience des ISS et production de données

Un des médecins évoque comme intérêt la prise de conscience de l’impact des déterminants sociaux sur la santé, et de l’existence d’ISS au sein même de sa patientèle.

« Peut-être plus pour prendre conscience et de la part du médecin mais de la part du patient aussi que sa situation sociale impacte son... sa santé...» (M12)

Trois médecins évoquent l’intérêt de produire des données macro-économiques de santé publique, pour démontrer l’existence d’ISS et mettre en place des actions visant à les réduire. Le principal critère énoncé dans ce sens est la CSP.

« C'est très sociologique ça […] C'est des données peut-être macro-économiques » (M6, sur la CSP) « C'est bien pour les études quoi […] enfin j'veux dire... la profession oui, mais enfin la catégorie... c'est intéressant pour les études » (M20, sur la CSP) « Chaque fois que nous on pourra produire des données de santé, pour démontrer l'impact de ce qu'on fait, l'intérêt de ce qu'on fait, les problématiques des gens qu'on soigne... c'est comme ça qu'on pourra faire avancer les choses » (M12)

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2.3. Limites du recueil

2.3.1. Difficulté logistique et données évolutives

Plusieurs difficultés logistiques sont évoquées, notamment le manque de temps en consultation pour réaliser ce recueil. En effet, les patients viennent pour un autre motif, dont il faut évidemment s’occuper, et ce recueil nécessiterait un temps supplémentaire que les médecins n’ont pas le sentiment d’avoir. Deux médecins déplorent le temps passé sur l’informatique que nécessiterait l’enregistrement de ces données. Un autre évoque l’intérêt d’une consultation dédiée ou de l’aide des secrétaires pour effectuer ce recueil.

« Il faudrait avoir plus de temps certainement, parce qu'on expédie hein les consultations certaines » (M2, sur les capacités de compréhension du langage écrit) « La première consultation, tu leur fais pas tout un checking social, avant de les soigner de leur angine quoi... Sinon, bah au bout d'une demi-heure de consultation ‘tiens bah au fait, on va vous soigner votre angine’» (M5, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « J’y passe déjà pas mal de temps sur l'informatique, j'ai pas non plus envie d'y passer ma vie » (M12) « Là il faudrait presque le faire faire par les secrétaires ou faire une consultation... une première consultation dédiée uniquement à ça... » (M10)

Les médecins évoquent également un manque d’habitude, ou des oublis ; ils ne pensent pas à recueillir ces informations, ou à les noter. Quand ils les notent, ils décrivent un manque de rigueur dans la retranscription des informations. Ils les notent régulièrement au mauvais endroit, dans la case correspondant à un autre critère, ou encore dans le corps de consultation, ce qui ne permet pas de les retrouver facilement.

« Oui, on peut le noter, on pourrait, mais c'est plus en fait parce qu'on n'a pas pris l'habitude » (M2, sur la CSP) « On va le noter mais on va pas le mettre forcément là où il faut » (M4, sur la profession) « Souvent c'est dans le corps de texte de la consultation » (M6) « Ce matin je me suis fait la réflexion avec le monsieur que j'ai mis en arrêt, je lui ai demandé sa profession, je l'ai marquée, et après je me suis dit ‘mais tu le mets là, mais... tu ferais mieux de le mettre ailleurs parce qu’après tu vas plus le revoir après’ » (M4)

La dernière problématique logistique abordée est celle de l’évolutivité des données, évoquée par onze médecins. Les informations évoluent très régulièrement, ce qui rend difficile leur mise à jour et entraîne la présence de données souvent erronées.

« Savoir si, quel est le type de boulot, s'ils sont au chômage ou pas ça change tout le temps quoi de toute façon donc ça ne sera jamais fiable » (M25, sur le statut par rapport à l’emploi) « Alors ça, on note pas...ça c'est tellement fluctuant que c'est un peu compliqué de tenir ça à jour […] ils sont en activité, bah ils nous téléphonent pas pour nous dire qu'ils sont au chômage » (M4, sur le statut par rapport à l’emploi) « En médecine générale la problématique c'est ça, c'est tout ce qui va évoluer dans le temps, c'est très compliqué d'assurer un suivi au niveau de notre dossier » (M4)

2.3.2. Inquiétude sur l’acceptabilité par le patient

Pour dix-neuf médecins interrogés, le recueil de données sociales est bien accepté par les patients, qui sont satisfaits de l’attention portée par le médecin.

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« En général y'a pas de problème […] ils ne sont pas réticents à en parler... » (M15) « Ils apprécient, quand on leur demande... au moins il dit ‘ah bah il s'intéresse à moi’ […] Non non ça ne pose aucun problème, aucun » (M22) « J'ai jamais vu quelqu'un qui n'était pas d'accord... et dire que j'empiète sur sa vie privée » (M6)

Certains craignent à l’inverse qu’il soit mal accepté. Ils pensent que ce recueil fait appel à l’intimité, ou soulève des difficultés qui peuvent être mal vécues, dont le patient ne souhaite pas forcément parler. Ce dernier pourrait donc cacher ces informations, ce qui rend ce recueil difficile.

« Des fois ça part un peu en vrille […] c'est un mal-être qui qui... qui intervient dans la consult alors que c'était pas forcément le but...» (M8, sur le nombre d’enfants à charge) « Y'a quand même souvent une honte hein... quand on n'a pas d'argent, quand on n'arrive pas à joindre les 2 bouts... on ose pas le dire... » (M7, sur la situation financière perçue)

Certains médecins évoquent également une inquiétude des patients concernant le risque de transmission de ces informations.

« Il y a des fois des gens qui s'inquiètent de savoir... surtout depuis l'informatique, de savoir qui c'est qui a accès à ses dossiers, à ses données quoi... » (M20)

Pour un des médecins, les patients répondraient aux questions même si cela les dérange, pensant ne pas avoir le choix.

« Ils le feraient de toute façon... on est dans un système on va dire... politique au sens très large ou de toute façon on dit ‘A’ donc tu seras bien obligé de faire ‘A’, si on leur dit ‘bah maintenant faut qu'on sache si vous êtes marié, si vous avez 5 pièces, si vous faites ceci, si vous faites cela sinon j'vous soigne pas’... bah ils le feront » (M5)

Pour améliorer l’acceptabilité de ce recueil, certains médecins soulignent l’importance de l’aborder avec tact et diplomatie, en respectant l’intimité du patient, ainsi que sa volonté de se confier ou non. Ce recueil semble mieux accepté lorsqu’il est réalisé au cours du suivi, au fil du temps, en parallèle de l’élaboration d’une relation de confiance entre le médecin et son patient.

« J'pense que s'ils se sentent respectés ils en parlent […] A partir du moment où vous amenez la question, où vous amenez le sujet délicatement...» (M9, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Le grand frein, c'est cette confiance que les gens nous font et... où ils ont pas forcément envie de tout nous dire et où... ils ont envie de nous cacher des choses et c'est leur droit. Le frein, c'est le respect de l'autre en fait... » (M10) « On peut pas peut être recueillir de façon exhaustive en une consultation tous ces éléments là ; ça doit... nécessite […] l'instauration d'une relation avant de... de pouvoir tout aborder » (M12)

Aux yeux des médecins, le recueil est mieux accepté s’il n’est pas réalisé de manière systématique mais adapté à la situation, à la plainte du patient ou s’il présente un intérêt évident pour sa prise en charge.

« Ils aiment bien que la question soit en rapport avec la pathologie quoi, à ma connaissance en tout cas. Ils sont pas étonnés quand on pose des questions précises si c'est dirigé quoi […] s'ils viennent pour une angine, mais que vous rentrez dans des choses très personnelles, ils se disent ‘mais qu'est-ce qu'il me voulait ce garçon ?’ » (M1) « Si c'est dans son intérêt, oui, mais sinon, non, j'ai pas à intervenir » (M8)

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2.3.3. Recueil jugé trop intrusif

Au-delà de leur perception de l’acceptabilité du patient, les médecins ont parfois eux-mêmes la sensation d’être intrusifs vis-à-vis de la vie et de l’intimité du patient. On note que cette sensation prédomine pour les questions d’ordre financier, comme le fait de bénéficier de minima sociaux et la situation financière perçue. Les médecins expriment alors une gêne à poser ces questions à leurs patients.

« Est-ce qu'il faut euh... voilà aller dans la vie privée des gens dans ce sens-là... c'est p't'être pas toujours facile quoi, je sais pas... » (M7, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Je pense pas qu'on soit amené à être un peu... impudique comme ça... à poser ce type de questions... » (M14, sur la situation financière perçue) « Je pense que ça serait un peu du voyeurisme » (M25, sur la situation financière perçue)

Un recueil systématique d’emblée semble trop inquisiteur et policier pour certains médecins, qui préfèrent recueillir ces informations au fur-et-à mesure du temps, et en fonction des problématiques du patient. Un médecin évoque la problématique de la présence de cases, qui incite à ce recueil systématique d’emblée, et serait responsable de son caractère inquisiteur. Il préfère utiliser une partie dédiée dans laquelle il serait libre de noter ce qu’il souhaite.

« On est pas dans un commissariat de police. On est pas la police ici » (M22) « C'est quand même délicat... une personne qui arrive comme ça première fois ‘bon bah bougez pas, faut votre poids, votre taille, votre profession, vos revenus mensuels, vous êtes célibataire?’, ‘ mais je venais que pour une angine’, ‘J'veux pas le savoir’ » (M5) « J'pense que c'est très inquisiteur tel que vous le dites... si c'est mis en tête de consultation du dossier, c'est très inquisiteur […] [Le principe n'est pas d’enchaîner les questions... les 9 autres, c'est plutôt au cours du suivi qu'on les recueille...] Oui, mais à partir du moment où vous avez un dossier où vous avez des cases à remplir, la tendance, c'est de remplir les cases... Maintenant... pourquoi pas avoir une partie où on puisse noter un certain nombre de ces items oui... c'est plus facile à retrouver » (M9)

Ces caractères intrusif et inquisiteur ont été cités par 17 médecins.

2.3.4. Réticence au recueil écrit

Certains médecins expriment une gêne à noter ces informations dans les dossiers des patients. En effet, les patients leur confient des secrets, une part de leur intimité, qu’ils ne veulent pas retranscrire dans leur dossier, par respect, et par peur de perturber la relation médecin-patient.

« Je pense qu’ils sont très mal à l'aise par rapport à ça, j'ai pas envie de... de... de le noter, que ça soit acté. Ils le sentent » (M8, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Ça reste du domaine... enfin je veux dire, du confidentiel, du relationnel intime et puis t'as pas lieu d'aller mettre un truc qui clignote dans les dossiers » (M5, sur la situation financière perçue) « C'est... même pour le patient, il me voit pas écrire donc je pense que ça augmente la... le degré de confidentialité de ce qu'il vient de me dire » (M25)

D’autres médecins sont réticents à ce recueil écrit du fait du risque de transmission des données, que ce soit envers le patient lui-même s’il demande à récupérer son dossier, ou envers leurs confrères (associés, remplaçants, internes, spécialistes). Un médecin évoque même le risque de perdre son rôle d’ « interlocuteur privilégié, qui connaît, qui sait, là où les autres savent pas » (M12).

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« Un certain nombre de confidences doivent rester confidentielles... un dossier médical ça peut être transmis, ça peut être saisi par la justice » (M9) « Je me sens mal à l'aise de mettre dans une fiche […] si un jour le patient on lui redonne son dossier et puis qu'on a oublié d'enlever tout ça, il va quand même être un peu fâché quoi... » (M1, sur les capacités de compréhension du langage écrit) « On a un dossier partagé, euh et je pense qu'il y a des informations que le patient me donne à moi qu'il n'aurait pas forcément données à un autre médecin » (M25)

2.3.5. Interrogations sur la place de ce recueil dans la pratique des médecins généralistes

Les médecins pensent parfois qu’il n’est pas de leur rôle de recueillir certains de ces critères, d’autant que leurs possibilités d’actions en aval sont estimées limitées. C’est par exemple le cas pour les critères à connotation financière, comme le fait de bénéficier de minima sociaux et la situation financière perçue, dont le recueil leur semble plutôt relever du rôle des assistants sociaux.

« Autrement, on n'est pas des assistants sociaux donc euh... il faut aussi qu'on reste à notre place » (M6, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Les gens qui sont dans des détresses sociales en fait on a intérêt à les aiguiller vers les gens compétents parce que nous […] on a pas les compétences au niveau social » (M24)

Plusieurs médecins ne perçoivent pas le rôle que pourrait avoir ce recueil dans la diminution des ISS.

« J'sais pas si ça a une incidence sur la diminution des inégalités, le fait du recueil des données... ça va rien changer... j'vois pas en quoi ça peut changer... » (M21) « S'il suffisait de les recueillir pour que les inégalités diminuent ça serait bien... (rires) mais je crois que ça se saurait, on l'aurait déjà fait...» (M13)

Quelques médecins évoquent également la difficulté de définir la position sociale34 des patients, et ensuite de la retranscrire dans les dossiers, malgré le recueil de ces critères.

« La position sociale du patient elle est pas toujours simple à déterminer... » (M9) « [Le recueil de la position sociale des patients] ça c'est bien difficile à définir ça... » (M15) « C'est difficile de noter un niveau social... Qu'est-ce qu'on peut mettre... ? » (M1)

2.3.6. Certains critères mal acceptés

2.3.6.1. Critères difficiles à recueillir, ou refusés

Au-delà des difficultés ou limites du recueil en général, les médecins évoquent des difficultés spécifiques au recueil de certains critères.

C’est notamment le cas des capacités de compréhension du langage écrit, qui semblent difficiles à recueillir. Les médecins réagissent plutôt sur la façon d’évaluer ces difficultés, que sur l’idée de poser effectivement la question proposée par les recommandations « Avez-vous besoin que quelqu'un vous aide pour comprendre des ordonnances ou des documents d'information médicale remis par votre médecin ou votre pharmacien ? », qui semble assez

34 Au moment de l’élaboration de notre travail et de notre grille d’entretien, le groupe d’experts utilisait le

terme « position sociale ». Au fur et à mesure de leur travail, il a été remplacé par « situation sociale ».

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éloignée de leurs habitudes quotidiennes. Ils insistent sur la difficulté d’évaluer ces problèmes de compréhension, souvent dissimulés par les patients, ainsi que sur l’aspect subjectif de cette évaluation. Un médecin pense qu’un recueil systématique de ce critère est inadapté pour permettre d’agir de manière pertinente et individualisée en cas de réel besoin.

« Comment détecter ça, c'est pas facile […] Non, c'est pas évident, c'est un critère qui n'est pas évident.... » (M6) « Ben euh... ça je dirais... enfin, c'est un peu délicat de poser directement la question... » (M18) « Parce que les gens... les gens compensent et ne disent... ils sont pas forcément très à l'aise pour parler de ça, hein... » (M20) « Le faire systématiquement ça serait.... on en aurait tellement vite marre que je le jour où ça tombe sur quelqu'un qui en a besoin on serait même pas pertinents. » (M25)

Pour les critères financiers, comme le fait de bénéficier de minima sociaux et la situation financière perçue, il est difficile pour certains médecins de poser la question au patient. Ce recueil leur parait délicat et intrusif, correspondant à un « tabou français » (M13). Quelques médecins expriment même un refus de recueillir ces informations.

« C'est difficile je trouve d'aller demander... » (M11, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Je pense que c'est pas dans notre culture a priori... euh... d'interroger les gens sur cette notion là... on n'est pas à l'américaine en disant ‘bah vous gagnez combien ?’ » (M3, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Alors ça moi, je veux pas me mêler de ça » (M1, sur la situation financière perçue) « J'ai pas envie de savoir ça... » (M10, sur la situation financière perçue)

Le recueil des critères familiaux, tels que la situation de famille et le nombre d’enfants à charge, pose parfois problème du fait de la variabilité des situations existantes : familles recomposées, variabilité des situations de couple, etc.

« Maintenant avec les familles recomposées c'est le bazar. Bah quand on fait la famille ils nous disent ‘ah bah non c'est...’ bon, ‘bah non c'est la fille de ma compagne’, ‘c'est machin’ » (M22, sur le nombre d’enfants à charge) « C'est compliqué hein, y'a ceux qui vivent en couple... y'a le concubinage, y'a le PACS, y'a le mariage... donc ça fait beaucoup de choses » (M13, sur la situation de famille)

2.3.6.2. Critères jugés redondants

Certains critères sont considérés comme redondants. C’est notamment le cas de la CSP, jugée redondante avec la profession, et du niveau d’études, jugé redondant avec la CSP et la profession. Un médecin considère le fait de bénéficier de minima sociaux redondant avec le statut par rapport à l’emploi, qui donne déjà une idée des ressources financières.

« Je trouve que ça fait un peu doublon avec profession. » (M23, sur la CSP) « Bah ça revient au même... à peu près au même que la catégorie socio-professionnelle j'dirais... » (M18, sur le niveau d’études) « Ça rejoint la question de savoir s'ils ont du boulot, s'ils sont au chômage... » (M19, sur le fait de bénéficier de minima sociaux)

Parmi ces critères redondants, certains paraissent plus intéressants que d’autres. C’est le cas de la profession, qui est d’après les médecins plus informative que la CSP. Le niveau d’études, est jugé moins pertinent que la CSP ou la profession actuelle ou passée.

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« Oui, plus la profession en texte libre... parce que finalement dans les professions, il peut y avoir tellement de variations par exemple […] dans les fonctionnaires, tu peux avoir un agent administratif, tu peux avoir un agent technique qui est le type qui est à la voirie, ou qui est le type derrière le camion qui fait les bennes, ou à côté de ça tu peux avoir...euh... le magistrat du tribunal... » (M3, sur la CSP) « Pour moi ça serait plus la CSP qui serait plus importante... enfin à mettre plus en avant, que le niveau d'études » (M3) « Quand je mets un retraité par exemple, je demande toujours ce qu'il a fait comme activité professionnelle, ça c'est plus important que le niveau d'études je pense... » (M6)

2.3.6.3. Critères jugés non discriminants et stigmatisants

Les médecins soulignent le fait que certains critères ne sont pas toujours discriminants, et parfois trop réducteurs pour avoir une vision claire de la situation du patient. Ils refusent de catégoriser les patients, et craignent que la connaissance de ces critères ne modifie négativement leur prise en charge ou celle de leurs confrères.

« Oui alors ça j'aime pas beaucoup mettre les gens dans des cases » (M24, sur la CSP) « Oui, ça modifierait la prise en charge thérapeutique, mais pas forcément en bien » (M8)

C’est par exemple le cas du niveau d’études, de la profession, ou de la CSP qui pour plusieurs médecins, ne sont pas corrélés aux capacités de compréhension du patient. Le recueil présente alors selon eux le risque de stigmatiser le patient, en se faisant des idées fausses sur sa situation ou ses capacités. Pour d’autres médecins, si ces informations peuvent permettre d’évaluer le niveau global de compréhension, elles ne renseignent pas sur les capacités du patient à appréhender les explications d’ordre médical, ni sur sa façon de vivre sa maladie, son rapport au corps ou à la santé.

« Enfin faut pas non plus stigmatiser... c'est pas parce qu'on est maçon qu'on comprend rien, d'accord ? » (M13, sur la profession) « C'est pas du tout corrélé... Vous avez des grands abrutis qui sont très diplômés... regardez en médecine... Et vous avez des gens qui sont très fins et qui n'ont pas de diplôme. Donc non… j'pense même que c'est un critère euh... contre-pertinent... qui peut vous amener à avoir des idées fausses » (M9, sur le niveau d’études) « On se dit que les gens qui sont... qui sont des professions supérieures j'sais pas les médecins, les professeurs, les ingénieurs, ils sont cortiqués, mais y'a des fois on s'aperçoit qu'ils comprennent rien enfin... l'accès au corps et à la santé, ça n'a rien à voir avec j'dirais l'éducation... » (M19, sur la profession)

Certains critères, eux, ne sont pas jugés discriminants pour évaluer la situation socio-financière du patient. Il s’agit principalement de la CSP, qui ne renseigne pas sur la profession effectuée ou le salaire reçu. Il s’agit aussi du statut par rapport à l’emploi, de l’adresse, et du statut vis-à-vis du logement, avec notamment le statut propriétaire/locataire, qui ne sont pas toujours révélateurs des ressources financières.

« Vous pouvez avoir des gens classés dans une seule CSP et qui vont avoir des travails complètement différents et des salaires différents » (M6, sur la CSP) « C'est pas forcément ceux qui sont au chômage qu'ont du mal hein. Des fois c'est ceux qui sont divorcés, qui payent la pension alimentaire, l'emprunt de la maison, c'est ceux-là qui ont du mal » (M25) « C'est pas discriminant... parce que vous avez des quartiers qui se jouxtent... avec des quartiers très résidentiels qui bordent des cités […] même ici, [rue], vous avez des taudis, vous avez des gens qui vivent avec une misère et euh... c'est une rue bourgeoise quand même » (M9, sur l’adresse) « Y’a pas forcément un impact... vous avez des gens qui sont très riches qui veulent pas être

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propriétaires... et d'autres qui sont relativement pauvres et qui veulent absolument avoir un chez-soi... » (M10, sur le statut vis-à-vis du logement)

Un autre critère fréquemment considéré comme non discriminant est le fait de vivre seul, car il n’est pas toujours corrélé à un isolement du patient, et peut avoir des connotations variables selon la cause et le vécu de la situation.

« Vivre seul ou vivre isolé ça peut être un peu différent, il y a des gens qui vivent seuls mais qui ne sont pas isolés et d'autres qui sont très isolés tout en étant dans une famille » (M12) « Ça dépend si c'est une solitude choisie ou une solitude subie hein. Donc ça lui plaît ou pas de vivre tout seul, ça c'est 2 choses qui sont... qui sont différentes hein » (M24)

Concernant la situation de famille, de nombreux médecins ne considèrent pas le fait d’être marié comme intéressant et jugent plus important de connaître l’existence d’une vie de couple pour avoir une idée claire du contexte de vie du patient. Un autre souligne que la situation de famille ne renseigne pas sur la qualité de la relation de couple, et donc sur le vécu du patient.

« C'est pas ça qui nous intéresse de savoir s'ils sont mariés ou pas, c'est de savoir s'ils partagent leur vie avec quelqu'un... » (M7, sur la situation de famille) « Sachant qu'en plus on peut être marié et puis... ne pas du tout s'entendre... (rires), être en concubinage et avoir une histoire d'amour... enfin c'est un peu compliqué » (M13, sur la situation de famille)

Un médecin rappelle que le pays de naissance n’est pas toujours informatif puisqu’il peut différer de la culture dans laquelle vit le patient au quotidien.

« C'est à double tranchant... parce que vous avez des gens qui vont dire ‘bah moi mon pays de naissance c'est la France, et j'suis français’, alors qu'ils sont très très baignés par une culture étrangère... » (M13, sur le pays de naissance)

2.4. Modification du recueil après la présentation de ces recommandations

Nous avons demandé aux médecins à la fin de nos entretiens, si la présentation de ces recommandations modifierait leur pratique et entraînerait un recueil plus important des critères à l’avenir.

2.4.1. Absence de modification du recueil

Onze d’entre eux répondent négativement, pour des raisons différentes. Certains évoquent un manque d’intérêt, alors que d’autres pensent déjà recueillir beaucoup d’informations.

« Oh bah non je vais pas changer ma façon, non » (M16) « Le reste euh... ppffff... je vois pas l'intérêt » (M1) « J'ai l'impression que je recueille déjà pas mal de trucs en fait... j'sais pas si y'en a d'autres là » (M21)

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2.4.2. Volonté d’améliorer le recueil

Certains médecins répondent positivement, en affirmant que ces recommandations vont les faire réfléchir sur la nécessité de recueillir ces informations et sur les modalités d’un tel recueil : recueil d’emblée, systématisme, mise à jour des informations et zone de retranscription dans le dossier.

« Oui tu vois, rien que de, rien que d'y penser là, tu vois, j'ai envie de les noter dans le dossier, plus précisément » (M3) « Oui je pense que votre questionnement va... me questionner justement... dans cette manière de recueillir ces données là... au fur et à mesure des consultations oui... et où les mettre je ne sais pas encore... je vais re-réfléchir... mais effectivement je pense qu'il faut les rentrer » (M10) « Je crois qu'il faudrait, si on veut le faire bien, il faudrait être assez systématique » (M12)

Concernant les modifications spécifiques à chaque critère, les médecins évoquent les critères qui les ont interpelés, et qu’ils seraient donc prêts à plus recueillir après la présentation de ces recommandations. Les critères les plus cités sont la profession, le statut par rapport à l’emploi, et les capacités de compréhension. Certains soulignent l’intérêt d’être plus vigilants à la compréhension des patients, sans forcément recueillir formellement ce critère. Les autres critères évoqués sont la couverture sociale notamment l’existence d’une complémentaire, le fait de bénéficier de minima sociaux, la situation de famille, les conditions de logement, le fait de vivre seul et le pays de naissance.

« Peut-être euh... des troubles de lecture ouais... peut-être que je fais pas assez gaffe […] mais peut-être insister là-dessus.. » (M21) « Ce que je recueillerais plus dans ce que vous m'avez dit c'est euh le pays d'origine avec l'histoire de la langue » (M23) « Rien que d'y penser là, tu vois, j'ai envie de les noter dans le dossier, plus précisément… ces 3 choses : profession, vie maritale ou vie séparée enfin... etc. et puis couverture complémentaire » (M3) « Sur le logement, sur la vie familiale ouais... si si ça je demanderai... savoir si les gens vivent seuls » (M13) « Alors oui, les minima sociaux |…] ce serait peut-être intéressant d'être un peu plus précis là-dessus... euh...bon sur l'aspect financier » (M7)

Concernant ces futures pratiques, deux médecins s’interrogent sur les modalités de recueil prévues par les recommandations, notamment sur la localisation de ces informations dans le dossier médical, et la possibilité de récupération automatique de certaines données à partir de la carte vitale.

« D'accord... c'est à dire que dans le logiciel médical, y'aura une partie... sociale on va dire ?» (M19) « Euh... c'est nous qui allons le faire, ou ce sera sur la carte vitale ? » (M14, sur l’assurance maladie)

Enfin, concernant une possible évolution du recueil à l’avenir, un médecin souligne la difficulté d’agir sur les pratiques de tous les médecins.

« Après bah on peut pas agir sur les médecins libéraux, c'est le problème hein, sur la région, sur le lieu d'exercice, sur euh tout ça hein, les habitudes de chacun et puis chacun a ses convictions » (M2)

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2.5. Problématique des logiciels

La problématique des logiciels ne fait pas partie de notre objectif initial, mais a émergé de nos entretiens. Elle est en cohérence avec les recommandations, qui proposent une adaptation des logiciels afin d’améliorer le recueil d’informations.

2.5.1. Recueil informel dans les logiciels actuels

Quelques médecins soulignent que l’informatisation de l’exercice médical a permis de simplifier le recueil de données dans les dossiers.

« Je pense effectivement on a des outils qui aujourd'hui nous permettent de noter plus de choses, d'en mettre plus, ça simplifie la vie » (M12) « Avec un logiciel médical, c'est beaucoup plus facile du coup, c'est tout enregistré.... » (M21)

La plupart des médecins décrivent l’existence dans leur logiciel d’une zone de notation spécifique pour ces informations « non biomédicales », plus ou moins complète en fonction des logiciels. Elle concerne la plupart du temps les informations administratives.

« Oui il y a, comment ils s'appellent ça, ‘état civil’ (rires), où il y a toutes les données je dirais administratives, sociales, professionnelles, euh, les coordonnées enfin voilà » (M23) « Notre logiciel est pas mal fait à ce niveau-là » (M20)

Plusieurs médecins utilisent une zone de notation personnelle, moins formalisée, voire « bricolée », permettant un recueil plus personnalisé : corps de consultation, bloc-notes, « remarques », pense-bête, ou création d’un courrier dédié. Le recueil des données par le médecin semble alors fluctuant selon l’information ou le moment du recueil.

« On note plus des éléments au fil des consultations... » (M20) « Sur mon tableau où je marque la consultation, j'ai un carré, à droite là, pense-bête, où je marque tout ça... toutes les données qui me paraissent importantes, de la vie du patient » (M18) « J’ai mis au point un système où je crée dans ma liste de courriers, un courrier que j'ai mis au 1er janvier 2015 où je mets toutes ces données-là qui m'intéressent » (M10)

Certains d’entre eux ont même une zone permettant d’inscrire des notes confidentielles, non visibles par les patients en consultation ou les autres médecins utilisant le logiciel, et n’apparaissant pas dans les courriers.

« On a un petit icône où on a des données un petit peu confidentielles... qu'on veut pas que les patients voient en consultation s'ils jettent un coup d'œil sur l'ordinateur... » (M6) « Je peux très bien les noter, et les rendre inaccessibles. Mon logiciel me le permet. Il n'y a que moi qui sait qu'elles existent, il n'y a que moi qui voit la page et quand un autre ouvre le dossier il voit même pas la page, il sait même pas qu'il y a un truc qui lui est interdit » (M25)

2.5.2. Logiciels à améliorer

Malgré tout, de nombreux médecins déplorent le manque de place ou de cases adaptées dans leur logiciel pour recueillir tous ces critères, et attribuent parfois leur non-recueil à ce problème. Un médecin souligne l’absence de case pour le statut par rapport à l’emploi, l‘obligeant à le noter avec la profession. Il fait remarquer que ceci est à l’origine d’une perte

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d’informations car en notant le fait d’être retraité « on perd la notion d'avant, du métier que faisait la personne, qui est quand même important » (M12).

« Je sais pas... où noter ça» (M4, sur les capacités de compréhension du langage écrit) « Le fait de la case actif/inactif/retraité/sans emploi, enfin qu'on voit dans beaucoup de formulaires administratifs, on n'a pas ça non plus sur nos dossiers de façon pré-remplie […] et je pense que […] c'est une erreur » (M3, sur le statut par rapport à l’emploi) « C'est le fait de ne pas y penser, le fait de, c'est idiot, mais de ne pas avoir la case qui va bien dans le dossier informatique » (M3)

Ils soulignent donc l’intérêt d’améliorer les zones et les modalités de saisie, afin d’améliorer leur recueil et de faciliter l’accès à ces informations. Il peut s’agir de créer une fiche spécifique avec tous ces renseignements, de créer un volet personnel au médecin n’apparaissant pas dans les courriers, ou encore de faciliter la saisie des informations.

« On devrait avoir une première fiche vachement bien faite […] on pourrait faire une photographie, plus rapide et plus exhaustive » (M3) « C'est vrai qu'on aurait un volet complètement perso qu'on pourrait ne pas imprimer quand on imprime les antécédents, ce serait très très bien » (M10) « Je trouve que c'est dommage que les éditeurs de logiciels n'ont pas mis des trucs où tu mets les 3 premières lettres tout de suite elle te sort le…» (M14, sur la profession)

Un médecin évoque l’intérêt d’améliorer le suivi et la temporalité des informations par le logiciel.

« Même les numéros de téléphone c'est embêtant parce qu'il […] faudrait qu'il y ait un logiciel qui s'affiche en disant ‘le patient a-t-il changé son téléphone ?’ » (M21)

2.6. Connaissance et vécu des médecins sur le thème des ISS

Bien que cela s’éloigne de notre objectif initial de recherche, les questions posées ont conduit les médecins à s’exprimer sur leur vécu des ISS au quotidien. Nous avons noté que celui-ci pouvait expliquer leur recueil actuel, ou leurs réactions face aux recommandations, et qu’il était donc intéressant de le développer dans les résultats de notre travail.

2.6.1. Connaissances générales sur les ISS et leurs déterminants

De nombreux médecins ne perçoivent pas l’existence de ces inégalités dans leur patientèle au quotidien. Un médecin pense qu’il n’existe pas d’ISS en France, mais qu’il s’agit uniquement d’un choix personnel du patient de prioriser ou non la santé. Deux médecins, semblant plus sensibilisés à ce sujet grâce à leur activité en contact avec la précarité, ou leur engagement syndical, soulignent le manque de connaissances ou d’intérêt des autres médecins pour ce sujet.

« Vous avez des rapports où ils disent qu'il y a des inégalités sociaux ? » (M17) « J'ai pas le sentiment que mes patients soient traités différemment quoi, ou aient une espérance de vie différente » (M2) « Je trouve qu'en France il n'y a pas d'inégalités. Il y a les gens qui préfèrent investir dans la voiture, dans les voyages, et la santé c'est secondaire voire ça passe après » (M22) « Ça parle pas à tout le monde ça hein. Ça parle pas à grand monde même... oui... le mot ISS... Moi, je vous dis j'ai un engagement syndical, et dans notre structure syndicale, on parle pas mal de ça […]

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donc euh... ISS je sais ce que c'est... donc ça concerne quand même des médecins engagés... ou des médecins qui sont dans une orientation sociale » (M12) « Y'a des médecins ça les intéresse pas du tout... […] Y’'en a qui n'en ont rien à foutre de comment vivent les gens, et de quels revenus ils ont... » (M19)

Quelques médecins semblent eux mieux connaître cette problématique d’ISS et évoquent des différences de morbi-mortalité selon la situation sociale, en se référant à des données statistiques. Ils abordent certaines problématiques de santé surreprésentées chez les populations précaires, comme des soins préventifs moins développés dans les catégories sociales basses, ou encore un recours aux soins et à la couverture sociale différencié selon la CSP.

« Les femmes immigrées pauvres font moins de frottis que les autres femmes […] ou les ouvriers meurent plus souvent d'une mortalité prématurée avant 65 ans de cancers ou de maladies cardio-vasculaires » (M6) « On sait par exemple les malades psychiatriques sont beaucoup moins bien soignés… au niveau somatique... donc euh, qu'ils ont une espérance de vie diminuée de manière importante... bon bah c'est la même chose, hein, pour les gens qui sont en difficulté sociale... » (M20) « On sait que... les dépenses de santé sont... vont de pair avec le niveau socio-économique » (M13)

Ils citent également des facteurs à l’origine de ces ISS, comme l’argent, mais aussi le mode de vie, les comportements, l’éducation, ou encore le pays de naissance. Un médecin évoque le sexe comme un déterminant d’inégalité d’accès aux soins.

« Je pense que l'inégalité sociale, elle est surtout faite par l'argent » (M8) « Les inégalités sociales de santé, elles sont liées... surtout au mode de vie donc euh... à l'hygiène... enfin à l'hygiène alimentaire, au sommeil, aux consommations, alcool, tabac, les choses comme ça... » (M13) « Les inégalités sociales de santé, c'est d'aller à l'école » (M19) « Il paraît que les hommes consultent moins... on va dire ça... alors pourquoi ?... est-ce que c'est un accès aux soins qui est... qui est plus difficile, enfin ils consultent moins, c'est vrai » (M13)

Certains médecins évoquent des inégalités liées à la difficulté de prise en charge, à leur niveau, de certaines populations spécifiques, comme les gens du voyage ou les patients souffrant d’alcoolisme.

« Les gens du voyage […] c'est un peu le bordel des fois, pardon, à suivre » (M2) « C'est vrai qu'un ... quelqu'un qui est sale, qui pue, qui... qui est pas sympa, eu, qui picole, euh... je vais, je vais moins me décarcasser, c'est clair » (M8)

2.6.2. Connaissances sur les problématiques d’accès aux soins

A l’évocation de l’existence d’ISS, la problématique de l’accès aux soins apparaît dans le discours de nombreux médecins. Ils évoquent notamment le problème des dépassements d’honoraires, ou des frais de transport compliquant parfois l’accès aux consultations ou aux examens.

« Y'a des gens par exemple qui vont pas... venir vous consulter parce que bah ils peuvent pas vous payer » (M15, sur l’assurance maladie) « Les consultations des spécialistes […] c'est les dépassements d'honoraires qui nous posent quand même problème […] les p'tites dames qui ont 550 euros de retraite mensuelle... etcetera, et si on leur demande 200 euros ou 300 euros pour une prothèse de hanche, ça leur fait un mois de... c'est... enfin

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ça me choque beaucoup... » (M3) « Là y'a ouvertement une inégalité de soins parce que... il a pas les moyens financiers de se prendre un VSL ou d'aller ne serait-ce que prendre le bus, perdre une journée à Nantes... » (M5)

D’autres médecins, eux, limitent ces inégalités à la notion de secteur 1/secteur 2. Ainsi, il n’existe pas, à leurs yeux, d’inégalités dès lors qu’il existe des médecins généralistes et spécialistes accessibles installés en secteur 1. D’autres ne se sentent pas concernés par cette problématique puisqu’ils sont eux-mêmes installés en secteur 1.

« On fait tout pour que de toute façon il n'y ait pas d'inégalités, la preuve c'est qu'ils ont accès librement ici à la santé, donc je vois pas ce que ça changera » (M1) « On a des médecins, on a accès à des soins bah de secteur 1 en fait, dans toutes les spécialités, et euh donc y'a pas de barrières pour l'instant quoi » (M2) « Ça changera rien je suis pas en secteur 2 » (M10, sur le fait de bénéficier de minima sociaux)

Un médecin évoque une différence de recours aux soins primaires selon la situation socio-financière des patients, en précisant que les patients riches sont libres de consulter plus facilement qui ils veulent et ont donc plus souvent un suivi par des spécialistes, car « ils payent pour être libres » et « avoir un seul médecin généraliste et bah ça fait pas riche » (M22).

La problématique de l’absence de couverture sociale est fréquemment abordée, et les médecins insistent sur la difficulté de prise en charge de ces patients. Les avis divergent concernant la proportion de patients bénéficiant d’une assurance complémentaire : certains médecins considèrent que la quasi-totalité des patients en ont une, alors qu’un autre décrit un nombre croissant de patients n’en bénéficiant plus.

« La grosse difficulté, c'est la personne qui n'a aucun... qui n'est pas du tout assurée sociale. Alors ils viennent pas...» (M8, sur l’assurance maladie) « En principe tous les patients ont une assurance complémentaire, sauf ceux qui ont la CMU » (M16, sur l’assurance maladie) « Parce que ça par contre je me rends compte qu'il y en a de moins en moins qui en prennent » (M24, sur l’assurance maladie [assurance complémentaire])

Les médecins évoquent aussi le problème des consultations non payées par les patients, ainsi que celui du nombre croissant de patients en difficulté financière.

« Quand ils ont des problèmes financiers euh... on leur fait toujours le tiers-payant... par exemple... hein... mais souvent la part... l'autre part, les 6,90 là, y'a beaucoup de gens moi... tu les vois jamais... […] c'est là que tu t'aperçois aussi des difficultés des gens... et de plus en plus en ce moment. » (M4)

2.6.3. Interrogations sur le rôle du médecin généraliste et du système de soins dans la prise en charge des ISS

La plupart des médecins, en particulier ceux qui sont peu sensibilisés aux ISS, ne voient pas le rôle que le médecin généraliste peut jouer dans ces inégalités. Son rôle est pour eux limité, parce qu’ils considèrent que le médecin se doit de soigner tous les patients de la même manière, ou qu’il manque de compétences ou de moyens pour agir sur ces problématiques. Ainsi, cette problématique relève plus des politiques, de la justice ou encore de la société, et reste donc à leurs yeux indépendante du médecin généraliste. Un médecin précise explicitement que le rôle du médecin se limite au rôle de tout « citoyen » (M16).

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« On se dit que c'est p't'être pas notre rôle... » (M4) « Moi je suis là pour soigner, j'essaye de soigner, mais c'est tout, ça s'arrête là » (M8) « Moi je veux bien mais […] on a pas les compétences au niveau social » (M24) « Mais, moi toute seule, je vais pas changer leur façon de... de gagner leur salaire, d'être au chômage, j'vais pas leur trouver un job... c'est pas moi qui vais faire ça » (M21) « La vie politique c'est quand même celle qui fera régresser les inégalités... c'est pas forcément nous […] Pour faire avancer les choses...pour faire reculer les inégalités... c'est une loi qui peut le faire... c'est la justice, c'est la loi » (M10)

Pour d’autres médecins, le médecin généraliste a un rôle à jouer dans la prise en charge des ISS dans sa pratique quotidienne. À travers le recueil de données sociales, il peut ainsi prendre en compte l’environnement des patients pour adapter sa prise en charge à leurs besoins, les orienter ou les conseiller de manière adaptée, ou encore faciliter leur accès aux soins. Un médecin évoque la nécessité de s’éloigner de la recherche de bénéfices financiers pour faire régresser ces inégalités.

« C'est notre rôle de s'occuper de ça, enfin... on peut pas soigner les gens sans penser à tout ça » (M2) « Il a plus un rôle d'incitateur […] il peut avoir un… rôle de conseiller social » (M24) « Je pense que oui […] il faut arrêter d'être euh... être en train de courir après le fric » (M10)

Certains évoquent un système de soins inadapté à la réduction des ISS et s’interrogent sur d’autres fonctionnements, comme ceux mis en place dans certains pays européens. Ils réfléchissent notamment à l’organisation des soins autour de réseaux pluri-professionnels, et aux modes de rémunération des médecins.

« La médecine générale telle qu'elle est organisée euh... c'est très compliqué.... et on peut pas tout faire […] on a aucun moyen euh... on est payés que pour faire des actes, dès qu'on fait de l'éducation thérapeutique ou des choses comme ça, ou de la prévention on n'est pas payés donc euh... on n'est pas organisés... il faudrait d'autres professionnels dans un cabinet... regardez comment ça se passe dans d'autres pays, en Allemagne, en Angleterre... où le médecin il a avec lui une infirmière, et avec lui une secrétaire » (M13) « On a refusé au cabinet le paiement à la performance, car on pense que les critères médico-économiques ne sont pas les plus fiables et n'ont pas d'impact sur les ISS, c'est pas comme ça qu'on va faire améliorer le système, ça a été prouvé en Angleterre et dans d'autres pays... » (M6)

Deux des médecins interrogés évoquent la nécessité de réfléchir à la formation des médecins sur les ISS, notamment lors de la formation médicale continue. L’un d’eux invite à travailler « collectivement à essayer de réduire ces inégalités sociales de santé » (M6).

« Ce serait pas mal de... d'engager […] dans les associations de formation continue, de se faire des sortes de clubs de réflexion sur les inégalités sociales de santé et essayer de bosser la dessus... » (M6) « C'est un autre débat... la formation du médecin, faut arrêter de recevoir les labos, de prescrire des trucs qui servent à rien qui sont chers, qui coûtent des sous à la Sécu... » (M19)

2.6.4. Vécu des ISS variable selon le lieu, le type, et la durée d’activité

Certains médecins établissent un lien entre leur vécu des ISS et leur zone ou type d’activité.

Les médecins travaillant en campagne se sentent peu concernés par cette problématique d’ISS, qu’ils vivent moins au quotidien, Ils déclarent notamment avoir très peu de patients sans abri dans leur patientèle, et se sentent peu concernés par les problèmes de compréhension

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devant le faible nombre de patients étrangers. Un autre médecin évoque l’idée que la pauvreté était jusqu’à ce jour moins criante en campagne car les patients pauvres étaient « auto-suffisants... » grâce notamment à « leur jardin » (M7), mais note une augmentation du nombre de situations socialement compliquées. La prise en charge des populations « qui arrivent […] les populations urbaines », qui leur « échappent un peu... ou qui voient peu le médecin » (M7), leur semble plus difficile.

« Je n'ai pas eu jusqu'à maintenant des patients sans abri » (M17) « Nous ici on n’est pas trop confrontés, en campagne (rires) […] sur des grandes villes, des grandes agglomérations où il y a quand même beaucoup plus de populations d'origine étrangère et tout ça, ça peut être intéressant » (M23, sur les capacités de compréhension du langage écrit)

Les médecins travaillant en zones « urbaines » dites « favorisées » déclarent être moins confrontés à des situations socialement difficiles.

« En même temps j'suis dans un milieu un peu privilégié et... c'est pas du quotidien quoi... ils ont pas trop de soucis pour remplir les... pour relire mes ordonnances ici » (M21, sur les capacités de compréhension du langage écrit) « J'en ai pas beaucoup ici des SDF donc euh...» (M21)

La problématique de l’accès secondaire aux soins semble aussi différente d’une région à une autre, selon la possibilité d’orienter les patients vers des médecins spécialistes installés en secteur 1.

« Nous on a ce choix là mais bon [d'envoyer en secteur 1 ou 2]... y'a des tas de régions où ils ne l'ont pas, et où les inégalités sont surement plus criantes » (M3)

Un médecin pense que le vécu des ISS, et la prise en compte de la situation socio-financière des patients, peuvent être liés à l’expérience du médecin, et donc à sa durée d’activité. Ainsi, les jeunes médecins seraient selon lui moins à même de prendre en charge ces problématiques.

« On le voit avec les jeunes médecins, les remplaçants, les remplaçants qui prescrivent sans se soucier de... si les gens ont les moyens de payer […] ils en ont rien à foutre, ils ont même pas... peut être sans doute pas la connaissance […] de penser que c'est important » (M12, sur le fait de bénéficier de minima sociaux)

2.6.5. Représentations sur les patients bénéficiant de la CMU

Quelques représentations des médecins sur les patients bénéficiant de la CMU ont été mises en avant lors des entretiens. Deux médecins évoquent des abus du système de soins par ces patients, comme une surconsommation de soins ou une négligence vis-à-vis des formalités administratives, responsable de problèmes pour le paiement de la consultation.

« J'ai l'impression que des fois ce sont ceux qui ont des aides financières, par exemple les patients qui sont en CMU, qui abusent euh, euh des... des services médicaux » (M17, sur l’assurance maladie) « Une fois sur deux, leurs papiers sont pas à jour, quand ils viennent là souvent ça se finit fin juin, fin mai, ‘ah j'ai pas ma carte’, ‘ah je l'ai oubliée’ […] Je caricature mais c'est souvent comme ça […] ça m'agace parce que ça c'est quelqu'un qui... enfin se néglige quoi, dire ‘c'est pas mon problème, de toute façon c'est le problème du médecin, des autres, c'est lui qui se fera pas payer’. Mais en fait lui il aura son traitement. Mais il y en a beaucoup hein » (M22, sur l’assurance maladie)

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Un médecin dénonce les représentations erronées de certains collègues sur l’affichage de richesses par ces patients, d’après lui non corrélées et non représentatives de leur situation financière.

« Il suffit d'entendre parler les collègues.... ‘C’est incroyable, telle personne a la CMU et elle a une voiture’ ou ‘Telle personne a la CMU et il a un iPod’... bah oui, mais... la fortune ça varie... » (M9, sur l’assurance maladie)

2.7. Une volonté de soins similaires déclarée

2.7.1. Une volonté de soins identiques pour tous

A l’évocation de l’éventuelle adaptation de leur prise en charge suite à la connaissance des critères recommandés, les médecins expriment souvent leur volonté de traiter tous les patients de la même manière, quelle que soit leur situation sociale. Un médecin précise même qu’il « préfère ne pas le savoir pour être sûr de faire pareil à tout le monde » (M25, sur le statut par rapport au logement).

« Qu'ils soient pauvres ou riches je les soigne pareil. Enfin j'essaye en tout cas » (M24) « Qu't'aies la CMU qu’t'aies pas la CMU, j'te soigne pareil hein... » (M19, sur l’assurance maladie) « Je soigne pas un ouvrier différemment d'un chef d'entreprise hein. Et quand je vois un médecin, un... un avocat ou un ou un OS, je... ils sont soignés exactement pareil, avec les mêmes médicaments, les mêmes gestes, les mêmes... je change rien […] Je trouve qu'il y a pas de raison que je soigne différemment un chef d'entreprise ou un médecin, ça serait dégueulasse pour les autres, si je faisais plus pour ceux-là. Et euh... et si je fais moins c'est pas logique non plus » (M25, sur la CSP)

De nombreux médecins justifient alors le fait de ne pas recueillir ces critères par leur pratique actuelle qui leur semble déjà adaptée, similaire pour tous les patients. Par exemple, certains médecins tentent déjà de faciliter l’accès financier aux soins pour tous les patients, en prescrivant uniquement des médicaments remboursés, en faisant le tiers-payant à tous ou en ayant fait le choix de s’installer en secteur 1. La connaissance de ces critères ne modifierait donc pas leur prise en charge.

« Je prescris de principe pas de choses pas remboursées. Donc en principe, ça changera pas grand-chose » (M12, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Nous on fait le tiers-payant à tout le monde hein...» (M19, sur l’assurance maladie) « J'ai opté pour le secteur 1 de toute façon, donc quel que soit l'individu, euh, quelle que soit la pathologie, ça sera toujours le même prix » (M8, sur la situation financière perçue)

D’autres médecins expliquent qu’ils vérifient la compréhension des prescriptions pour tous les patients, quelles que soient leurs capacités de compréhension, en expliquant systématiquement leurs ordonnances, en les relisant avec le patient, en faisant reformuler le patient, ou en pratiquant l’ « écoute active » (M12, sur les capacités de compréhension du langage écrit).

« J'explique beaucoup euh oralement et je montre sur mon ordonnance quoi » (M23, sur les capacités de compréhension du langage écrit) « De toute façon quand je fais une ordonnance, je relis avec les gens en général » (M19, sur les capacités de compréhension du langage écrit) « Je leur fais reformuler en fait, c'est le meilleur moyen de savoir s'ils ont compris quelque chose » (M4, sur les capacités de compréhension du langage écrit)

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Deux d’entre eux se justifient même de ne pas faire d’abus, en ne multipliant pas les consultations chez les patients bénéficiant de la CMU, ou en ne refusant pas les soins si le patient ne peut pas régler la consultation.

« Non non non, je ne multiplie pas les consultations parce qu'il est CMU, par exemple » (M2, sur l’assurance maladie) « On leur demande pas leur carte bleue, visa, master, avant... s'ils l'ont pas ‘allez-vous faire soigner ailleurs’... » (M5)

2.7.2. Une adaptation effective de la prise en charge

Toutefois, malgré cette volonté affichée de soins identiques, la plupart des médecins affichent une ambiguïté en disant à un moment ou à un autre de l’entretien adapter leur prise en charge en fonction des patients, et donc ne pas tous les traiter de la même manière. Il peut s’agir du temps passé avec eux, de leurs prescriptions ou encore du langage utilisé.

« On les prend pas du tout en charge pareil. Bien sûr » (M2, sur le nombre d’enfants à charge) « Avec eux je passe plus de temps qu'avec les autres » (M17, sur le fait de vivre seul) « Ceux qui parlent pas bien français […] on leur explique en long, en large et en travers, avec des papiers, des jours, des soleils, des lunes, tout ce que tu veux » (M1, sur les capacités de compréhension du langage écrit)

Ils n’ont parfois pas conscience de cette adaptation de prise en charge, qu’elle soit favorable ou défavorable au patient, ce qui peut conduire à des contradictions dans leur discours. Cette contradiction est par exemple visible chez un médecin qui déclare « Je soigne pas un ouvrier différemment d'un chef d'entreprise » (M25) puis à un autre moment de l’entretien « Si c'est un avocat je vais pas du tout avoir le même langage. Un agriculteur je vais pas... ça me permet d'adapter beaucoup mes explications » (M25). Un médecin exprime clairement cette ambivalence entre la nécessité de s’adapter et celle de ne pas faire de différences entre les patients.

« Ce recueil il permet juste d'avoir une approche du patient... mais après... euh... enfin je pense qu'il faut vraiment... s'adapter tout en gardant une ligne de conduite voilà... générale, comme si c'était n'importe quel patient » (M18)

A l’inverse, les médecins ont parfois une conscience claire d’une prise en charge moins approfondie chez certains patients.

« C'est vrai qu'un ... quelqu'un qui est sale, qui pue, qui... qui est pas sympa, eu, qui picole, euh... je vais, je vais moins me décarcasser, c'est clair » (M8)

Certains disent s’adapter au patient de manière inconsciente, intuitive, sans forcément réfléchir de manière active à l’ensemble de ces critères et à la façon dont ils impactent la prise en charge.

« Je pense qu'on le fait intuitivement y'a pas de... on fait un peu plus attention à des gens qui sont un peu plus modestes effectivement et qui sont plus dans le besoin au sens très large... » (M5) « Tout ça on le prend en compte tout le temps... mais j'me suis jamais posé la question... » (M19, sur la situation financière perçue) « Je pense que ça a une importance quand même. Mais... je crois que j'en tiens compte sans faire gaffe. Parce que je sais, je connais les gens » (M25)

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Un médecin exprime clairement la nécessité de ne pas traiter les patients de la même manière et de faire du sur-mesure afin d’aboutir à une égalité de résultats.

« On va pas agir de la même façon euh, avec un diabétique euh, qui euh dans son boulot fait déjà pas mal d'activité, enfin et quelqu'un qui est, qui a pas le même âge, quelqu'un qui est seul […] c'est la base quand même de notre boulot […] faut essayer de mettre le plus possible de personnes à égalité […]c'est sûr que si on s'inquiète pas de comment est-ce qu'ils vivent à la maison euh... bah à ce moment-là on va faire du copier-coller pour tout le monde quoi, on va pas faire du sur-mesure » (M23)

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3. ANALYSE PAR CRITÈRES

Lors de nos entretiens, nous avons interrogé les médecins sur chacun des critères proposés par les recommandations. Si l’analyse transversale des résultats nous a paru pertinente pour mettre en avant les problématiques principales, nous avons également souhaité présenter les idées exprimées par les médecins sur chacun de ces critères. Ces résultats étant très denses, et souvent redondants d’un critère à l’autre, nous avons choisi de les présenter sous forme de fiches synthétiques, afin de mettre en valeur les idées principales35.

3.1 Critères indispensables

Deux critères évidents : le sexe et la date de naissance

- Cité spontanément : 8 fois pour la date de naissance, sexe jamais cité - Réaction de surprise à l’évocation de ces deux critères qui paraissent évidents - Recueil :

o Noté par la totalité des médecins, systématique et évident o Souvent passif (carte vitale) ou indirect (au visuel)

- Intérêt évident pour tous : o Logistique : création du dossier, validation des ordonnances, rédaction des courriers,

différenciation des homonymies. o Connaissance globale du patient (notamment actif/retraité) o Adaptation de la prise en charge préventive (facteurs de risque, vaccins, examens de

dépistage), diagnostique (interprétation des bilans biologiques) et thérapeutique. o Rappels informatiques et calculs d’indices indexés selon l’âge et le sexe, aide

informatique au suivi de grossesse o Aide relationnelle : fêter l’anniversaire o Recours aux soins différenciés selon le sexe et l’âge du patient (jeunes et hommes

consultent moins) - Limites et difficultés évoquées par les médecins :

o Pas de rapport avec le thème des ISS pour un médecin

Citations significatives

« Ca me paraît tellement évident que je ne sais pas quoi vous répondre » (M11, sur le sexe)

« C'est assez évident, on n’a pas besoin de le recueillir » (M9, sur le sexe)

« C'est obligatoire, mon dossier informatique ne s'ouvre pas s'il n'y a pas de date de naissance » (M11)

« Pour la pathologie, ça peut être euh... important quand même... si les gens ont 30 ans ou 60 ans » (M15)

« On fait pas la même prévention si c'est un homme ou une femme, forcément » (M12)

« Il paraît que les hommes consultent moins... on va dire ça... alors pourquoi ?... est-ce que c'est un accès aux soins qui est... qui est plus difficile, enfin ils consultent moins » (M13)

« Sur le thème des inégalités sociales, je crois pas... que ça intervienne non... je réfléchis mais... non non je vois pas... » (M13, sur la date de naissance)

35 Nous avons indiqué le nombre de médecins ayant cité chaque idée lorsqu’il était supérieur à dix, sauf

dans la partie « limites » où nous avons précisé la fréquence de chacune des idées afin de mettre en valeur les problématiques d’acceptabilité.

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Un critère toujours recueilli : l’adresse

- Cité spontanément par 8 médecins - Recueil :

o Par la totalité des médecins o Systématique o Parfois délégué à la secrétaire

- Intérêt : o Logistique (cité 18 fois): créer le dossier, envoyer des courriers, joindre le patient ou

se rendre en visite o Connaissance globale du patient (cité 11 fois): existence d’un logement, cadre de vie

(rural/urbain), conditions de logement (maison/appartement, HLM), situation géographique, richesse du quartier, éloignement des commerces et du cabinet médical

o Argument sémiologique de certaines pathologies o Intérêt variable selon l’âge du patient (évaluation de l’autonomie et maintien à

domicile des personne âgées) et le lieu d’exercice du médecin (moins discriminant pour la position sociale en campagne, et meilleure connaissance des conditions de vie des patients en campagne)

- Limites et difficultés évoquées par les médecins : o Mise à jour des données : données évolutives (cité 6 fois) o Risque de stigmatisation si association du quartier à la position sociale (cité 2 fois) o Intérêt limité pour la prise en charge médicale pure (cité 5 fois), ou pour la prise en

compte des ISS (cité 1 fois) - Critères associés recueillis :

o Numéro de téléphone (cité 10 fois) o Adresse mail o Moyen de joindre les patients discrètement

Citations significatives

« L'adresse ça c'est très rigoureux, c'est systématique... » (M10)

« Si on a besoin d'aller en visite […] pour moi, c'est essentiellement ça » (M18)

« Ca peut me permettre de voir à peu près où ils habitent... s'ils habitent comme moi dans les HLM [...] ou s'ils habitent une maison cossue en campagne... » (M10)

« Y'a peut-être plus de, je sais pas... tuberculose dans les milieux défavorisés, immigrés qui habitent aux [quartier] » (M15)

« Si c'est ‘oh il habite dans telle cité ou dans tel immeuble, ça craint un peu’ voilà quoi, on est dans la stigmatisation, il peut très bien habiter dans cet immeuble-là, peut-être que ça craint mais lui il craint pas... » (M13)

« Le problème c'est qu'on les rentre à un moment donné et que faudrait systématiquement redemander régulièrement » (M23)

« Est-ce que ça nous apporte vraiment quelque chose... la plupart du temps au niveau médical, euh... pas vraiment vraiment... » (M15)

« Plus que l'adresse finalement pour moi le téléphone c'est plus important » (M18)

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68

Un critère jugé important : la profession

- Cité spontanément par 19 médecins - Recueil :

o Systématique pour 8 médecins, adapté à la situation pour les autres : selon la pathologie, si nouveau patient, si rédaction d’un arrêt de travail

o Souvent actif, parfois présomption de connaissance (suivi au long cours) ou recueil passif (au cours de la conversation)

o Souvent noté, dans une zone dédiée, parfois peu organisé (notes informelles) - Intérêt :

o Connaissance globale du patient : existence d’un travail, type de travail (sédentaire/manuel, salarié/libéral), conditions de travail (description précise du poste de travail, charge de travail)

o Évaluation du retentissement sur la santé, diagnostic de maladies professionnelles, connaissance de la toxicité de l’environnement (cité 15 fois)

o Rédaction des arrêts de travail adaptée au type de travail o Évaluation des ressources financières et de l’accès financier aux soins o Évaluation du niveau d’études, du niveau de compréhension, de la perception des

maladies, pour adapter discours et explications o Intérêt personnel, discussion, aide à la relation médecin-malade

- Acceptabilité par les patients : o Bien accepté selon la plupart des médecins o Difficile pour certaines professions ou si vécu discriminatoire (cité 2 fois)

- Limites et difficultés évoquées par les médecins : o Intérêt limité car pas de modification de prise en charge (cité 2 fois) o Manque de corrélation avec niveau de compréhension et risque de stigmatisation

(cité 3 fois) o Mise à jour des données : données évolutives (cité 2 fois) o Logiciels inadaptés : manque de case spécifique (cité 1 fois)

- Autres information recueillies : o Degré de vigilance nécessaire, conduite automobile au travail o Satisfaction au travail, souffrance ou conflit au travail o Nom et lieu de l’entreprise, distance par rapport au travail o Professions passées, délai avant la retraite o Statut d’invalidité

Citations significatives

« Ouais ouais, c'est hyper important, ça fait partie des critères indispensables » (M2)

« Si on connaît les conditions de vie du patient, on est mieux à même de lui être utile donc euh... les conditions de travail, ça fait partie des conditions de vie » (M12)

« Je suis plus ouverte effectivement quand je connais la profession pour être vigilante et suggérer que ça peut être une pathologie professionnelle » (M2)

« Je marque le métier parce que […] je tiens à avoir le niveau de compétence des gens » (M25)

« J'le marque, parce que ça me permet de poser des questions autres parfois... en dehors de la consultation médicale […] c'est intéressant » (M19)

« Ils sont pas à cacher... la plupart ont eu des professions à peu près avouables quand même » (M5)

« Faut pas non plus stigmatiser... c'est pas parce qu'on est maçon qu'on comprend rien » (M13)

« C’est vrai qu'après, ça obligerait souvent à redemander ce qu'ils font » (M1)

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Un critère associé à la profession : le statut par rapport à l’emploi

- Cité spontanément par 4 médecins - Recueil :

o Rarement systématique, le plus souvent adapté à la situation: si intérêt médical, pathologies psychologiques ou liées au travail, arrêt de travail, accident du travail, problèmes financiers

o Peu de recueil actif, présomption de connaissance et recueil passif (lors de la conversation ou du recueil de la profession)

o Non noté systématiquement, ou avec la profession - Intérêt :

o Prise en charge globale, retentissement sur la santé et l’espérance de vie : facteur causal de pathologies somatiques ou psychologiques, retentissement sur hygiène de vie et comportements à risque (alimentaires ou addictifs)

o Évaluation de la disponibilité pour la santé : temps, capacité d’arrêt de travail. o Évaluation des ressources financières, pour faciliter l’accès aux soins (adaptation du

paiement, des prescriptions de médicaments ou d’examens) o Évaluation de la situation sociale (intérim = critère de précarité pour un médecin),

et de l’insertion sociale - Limites et difficultés évoquées par les médecins

o Manque d’intérêt (cité 4 fois) o Intrusif/policier (cité 2 fois), difficultés mal vécues par les patients (cité 1 fois) o Manque de temps, oubli, surtout si non lié au motif de consultation (cité 3 fois) o Logiciels inadaptés: manque de case spécifique pour ce recueil (cité 3 fois) o Mise à jour des données : données évolutives (cité 4 fois)

- Autres données recueillies o Vécu de la situation, histoire de vie professionnelle o Projets professionnels o Ressources financières en cas de chômage

Citations significatives

« Je crois que je le sais mais je peux me tromper » (M12)

« Je peux pas soigner quelqu'un qui a une gastrite, ou un truc, si je sais pas si tout va bien dans son emploi […] Je crois pas qu'on soigne bien les gens si on sait pas ce qui leur arrive » (M2)

« On sait que le chômage vient dégrader le... l'espérance de vie hein... y'a des études qui ont été faites... » (M13)

« Le statut par rapport au travail, c'est la capacité à s'arrêter... quelqu'un qui est en intérim ou en CDD, ils veulent jamais s'arrêter […] ils perdent énormément d'argent... » (M13)

« Quand il me dit qu'il est au chômage euh... euh... toujours je fais le tiers payant » (M17)

« S’il vient parce qu'il a une angine, peu importe de savoir […] s'il va être effectivement chômeur […] à partir du moment où ça n'influe pas plus que ça sur le... sur le diagnostic, y'a pas de raison » (M5)

« Les gens qui ont perdu leur emploi, qui n'ont plus de ressources, qui ont eu un niveau aisé et qui n'ont plus de moyens de vivre... ils le vivent pas bien » (M9)

« C'est tellement fluctuant que c'est un peu compliqué de tenir ça à jour […] ils sont en activité, bah ils nous téléphonent pas pour nous dire qu'ils sont au chômage... » (M4)

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Un critère difficile à recueillir : les capacités de compréhension du langage écrit

- Jamais cité spontanément - Source d’hésitations : « Je dirais... euh […] c'est peut-être pas... oui... ppff » (M7) - Réponses concernant plutôt les difficultés de compréhension au sens large - Efforts faits en amont du recueil pour favoriser compréhension: explication de l’ordonnance,

lisibilité de l’ordonnance, vérification de la compréhension, reformulation - Recueil :

o Non systématique, selon situation : si difficultés intellectuelles repérées, patients étrangers, « difficulté sociale » (M12)

o Passif (exprimé par le patient), ou indirect (révélé par malobservance des prescriptions, répétition des questions, mauvaise connaissance des antécédents ou difficulté de remplissage des chèques) et au cours du temps.

o Niveau intellectuel des patients ressenti, présumé, révélé par le vocabulaire utilisé par les médecins: « un niveau intellectuel un petit peu au ras des pâquerettes » (M15), « un petit peu limités » (M4), « les neuneus quoi » (M1)

o Rarement noté (manque de place ou volonté de garder en mémoire), sauf illettrisme (noté par 3 médecins), dans une partie libre, non formalisée.

o Connaissance insuffisante du critère, subjectivité de l’évaluation à risque d’erreurs - Intérêt de la connaissance de cette information :

o Augmentation des explications, facilitation de la compréhension de l’ordonnance (nombre de médicaments prescrits limité, prescription en DCI, dessins), demande d’aide d’un tiers en consultation (famille, interprète) (cité 16 fois)

o Amélioration de la relation médecin-patient o Travail en réseau: prévenir confrères et spécialistes des difficultés du patient o Plus intéressant en ville ou si populations étrangères ou défavorisées

- Limites et difficultés évoquées par les médecins: recueil jugé difficile (cité 6 fois) o Pas d’intérêt (cité 3 fois), pas le rôle du médecin généraliste (cité 1 fois) o Gêne à demander, difficulté cachée par le patient (cité 8 fois) o Oubli, manque de temps/attention lié au sentiment de connaître le patient (cité 2 fois) o Gêne à noter, difficulté à retranscrire à l’écrit, inquiétude sur la transmission de ces

données au patient ou aux confrères (cité 3 fois) o Recueil systématique inadapté devant le peu de patients concernés (cité 1 fois) o Non-respect de l’ordonnance au-delà de sa compréhension (cité 2 fois)

- Différents types de problème de compréhension cités: ordonnances non lisibles, barrière de la langue, illettrisme, faible niveau intellectuel, déficits sensoriels (sourds-muets, aveugles), âge avancé, handicap ou troubles cognitifs.

Citations significatives

« Moi j'explique toujours, j'écris [...] et après je lis ce que j'ai écrit pour expliquer aux gens » (M22)

« Je peux leur demander mais […] pas systématiquement. Une fois et demi sur dix » (M8)

« T’as des gens hein... qui te font répéter, répéter... tu vois qu'il y a un problème quand même » (M4)

« Ceux qui parlent pas bien français […] on leur explique en long, en large et en travers, avec des papiers, des jours, des soleils, des lunes, tout ce que tu veux » (M1)

« Si on voit un patient pour la première fois, on va pas lui demander ‘Vous savez lire? Vous savez écrire?’ on va pas lui faire faire une dictée... » (M7)

« Je me sens mal à l'aise de mettre dans une fiche ‘un peu neuneu’ ou ‘dur de la comprenette’ » (M1)

« Il y en a qui ne savent pas lire et qui savent très bien faire semblant » (M25)

« Le faire systématiquement ça serait... on en aurait tellement vite marre que je le jour où ça tombe sur quelqu'un qui en a besoin on serait même pas pertinents » (M25)

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Un critère recueilli de manière passive : l’assurance maladie

- Cité spontanément par 4 médecins - Recueil de l’assurance maladie :

o Différent selon les informations comprises dans ce critère o Non systématique, adapté à la situation : si problème révélé par la carte vitale ou

exprimé par le patient, difficulté pour payer les soins o Souvent passif (carte vitale, « espace pro ») ou indirect (révélé par la rareté des

consultations), et plutôt au cours du suivi o Souvent en fin de consultation, lors du paiement, parfois délégué aux secrétaires o Pas toujours noté, surtout si recueil actif manuel nécessaire

- Recueil variable des différentes informations : o Régime obligatoire : caisse, numéro de sécurité sociale (cité 11 fois), ouverture des

droits, présence d’une ALD avec date de fin de droits. o Complémentaire : recueilli par 3 médecins

� Non systématique : si pathologie lourde, difficultés socio-financières, ou si la réalisation d’examens pose problème

� Parfois passif, si information présente sur la carte vitale � Peu noté par manque de case spécifique dans logiciel (cité 1 fois) � Probable sous-estimation des situations d’absence de mutuelle, d’où l’intérêt

d’un recueil plus systématique o CMU ou AME :

� Présomption de connaissance (suivi et connaissance de sa patientèle) � Fin de droit de CMU parfois noté

- Intérêt reconnu par une grande majorité des médecins : o Logistique, administratif (cité 10 fois): connaissance du numéro de sécurité sociale en

l’absence de carte vitale, régularisation du paiement, envoi des feuilles de soins, connaissance de l’assuré de rattachement, demande d’ALD

o Évaluation de l’accès financier aux soins : existence d’une couverture sociale/CMU/mutuelle et capacité à avancer les frais. Facilitation de l’accès aux soins par le médecin si besoin: adaptation du paiement, des prescriptions ou de l’orientation vers les soins secondaires.

o Accompagnement des patients dans les démarches, mise en alerte ou orientation vers travailleurs sociaux si absence de mutuelle ou fin de droit de CMU,

o Intérêt recueil statut mutuelle � Absence de mutuelle associée à difficulté de prise en charge � Évaluation des ressources financières en l’absence de mutuelle � Pas d’intérêt pour certains médecins : pas d’influence sur le médical, difficulté

d’avance des frais indépendante de l’existence d’une mutuelle, ou pas de tiers-payant possible sur la part-mutuelle.

o Intérêt du recueil du statut CMU : � Indicateur de ressources financières � Avoir information notée pour éviter de requestionner

- Pas de difficultés de recueil évoquées - Vécu des médecins sur le lien entre assurance maladie et ISS

o Difficulté de certains patients à consulter du fait de difficultés financières ou d’absence de couverture sociale

o Vécus de refus de soins de patients bénéficiant de la CMU par des spécialistes o Pour un médecin, prise en charge des patients avec une CMU plus simple pour

l’orientation car absence d’avance des frais et de dépassements

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- Soins similaires pour tous quelle que soit la couverture sociale : o Pratiques facilitant l’accès financier pour tous : prescriptions de médicaments

remboursés, adressage vers spécialistes de secteur 1, tiers-payant. o Absence de choix possible dans l’adressage vers les spécialistes o Un médecin précise ne pas faire d’abus en ne multipliant pas les consultations chez les

patients bénéficiant de la CMU - Représentations des médecins :

o Représentations sur l’existence d’une mutuelle : � Pour trois médecins, la quasi-totalité des patients aurait une mutuelle donc il

s’agit d’un problème mineur dans leur pratique quotidienne � Pour un médecin, de moins en moins de patients prendraient une mutuelle � Pour un médecin, l’absence de mutuelle serait un choix du patient, pas une

inégalité o Représentations sur les patients bénéficiant de la CMU

� Un médecin décrit un agacement vis-à-vis de patients qui « se négligent » (M22), un autre évoque une impression d’abus du système par ces patients

� Remarques de la part de collègues sur la richesse affichée par ces patients, non justifiées aux yeux d’un médecin

Citations significatives

« Avec la carte vitale de toute façon, ça se met automatiquement sur le dossier » (M19)

« Y'a une chose […] que moi je recueille pas, peut-être que ce serait intéressant de le recueillir, c'est quel type de mutuelle ils ont » (M3)

« C'est uniquement un intérêt matériel pour moi […] ça n'a rien à voir avec le médical, enfin ça n'influe pas sur l'aspect médical... » (M11)

« Les gens qui ont une mutuelle et qui peuvent pas avancer de sous, des fois j'leur dis d'aller à l'hôpital, mais c'est pas pratique, ceux qui ont la CMU après tout, ils avancent rien... » (M19)

« La grosse difficulté, c'est la personne qui n'a aucun... qui n'est pas du tout assurée sociale » (M8)

« Quand ils sont en fin de CMU […] je vois qu'ils aient bien pris contact avec l'assistante sociale pour que de toute façon ce soit renouvelé » (M24)

« Après qu't'ais la CMU qu’t'ais pas la CMU, j'te soigne pareil hein » (M19)

« Il y a les gens qui préfèrent investir dans la voiture, dans les voyages, et la santé c'est secondaire voire ça passe après » (M22)

« Il suffit d'entendre parler les collègues.... ‘c'est incroyable, telle personne a la CMU et elle a une voiture’ ou ‘telle personne a la CMU et il a un iPod’... bah oui, mais... la fortune ça varie... » (M9)

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3.2 Critères utiles, à recueillir au cours du suivi

Un critère utile selon le contexte : le pays de naissance

- Jamais cité spontanément - Recueil :

o Non systématique, adapté à la situation : si patients « manifestement d'origine différente » (M8), enfants adoptés, primo-arrivants, consultation pour fièvre.

o Plutôt au cours du suivi o Indirect : à la vue du patient, ou révélé par son nom, par la carte vitale (numéro 99)

ou la langue parlée par le patient o Peu noté, ou seulement quand retour au pays

- Intérêt : o Connaissance globale du patient : histoire de vie, contexte géopolitique du pays

d’origine, traumatismes passés, retentissement sur son mode de vie (cité 12 fois) o Diagnostic de pathologies spécifiques, prévention des risques sanitaires (traitements

préventifs et vaccinations), évaluation du retentissement psychologique o Compréhension de la culture et de la perception de la santé, du corps, et de la place

de la femme = « ethnomédecine » (M19) o Évaluation du niveau de compréhension de la langue et des explications, pour

adaptation du discours o Intérêt personnel, discussion, aide à la relation médecin-malade, curiosité o Intérêt variable selon lieu d’activité (moins concerné en campagne), et type de

patientèle o Pays de naissance plus intéressant que nationalité

- Limites et difficultés évoquées par les médecins o Inutile et n’intervenant pas dans la prise en charge (cité 7 fois) o Risque de connotation raciste (cité 1 fois)

- Autres informations recueillies o Histoire de vie, cause de l’expatriation, date d’arrivée en France o Culture dans laquelle ils vivent, parfois différente du pays d’origine o Séjours à l’étranger

Citations significatives

« Ça se voit en général […] quand ils sont colorés, je m'en aperçois » (M1)

« Le pays de naissance, ça devrait être dans tes premières questions […] c'est hyper important»(M19)

« Ce qui fait les gens c'est d'où ils viennent, leur culture, leur parcours » (M12)

« Oui, pour certaines pathologies […] s'ils reviennent avec un paludisme ou une hépatite ou des maladies tropicales... donc faut y penser... » (M15)

« C’est plus sur... culturel enfin... un peu comment les gens perçoivent le circuit de soins, comment on est perçus, comme médecins, comme soignants, par rapport à leur pays... » (M13)

« Ça permet de causer, de parler du pays […] oh c'est le contexte... convivial » (M22)

« Les gens peuvent interpréter ça de manière un petit peu... en disant ‘oui ce médecin il demande mon origine... donc c'est un peu raciste un peu...’ » (M6)

« Vous avez des gens qui vont dire ‘bah moi mon pays de naissance c'est la France, et j'suis français’, alors qu'ils sont très très baignés par une culture étrangère… » (M13)

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Un critère à mieux définir : la situation de famille

Ce critère a évolué au cours du travail du groupe d’experts, pour s’appeler dans les recommandations finales : « le fait d’être en couple ». Nos entretiens ont été menés avec le critère « situation de famille » initialement prévu, avec les items proposés par le groupe de travail : « vit seul » « vit en couple marié » « vit en couple non marié ». - Cité spontanément par 10 médecins - Donnée considérée comme « biomédicale » par un médecin, car « ça fait partie de la

sémiologie » (M25) - Recueil :

o Non systématique, adapté à la situation : selon l’âge et le sexe du patient, si nouveau patient, difficultés psychologiques ou plaintes multiples

o Souvent présomption de connaissance ou recueil passif (lors la conversation ou nom marital sur le logiciel), et plutôt au cours du temps.

o Rarement noté - Intérêt :

o Devrait se trouver « dans les questions primordiales... » (M19), « à savoir tout de suite » (M9)

o Connaissance globale du patient et de ses conditions de vie : qualité de vie, équilibre familial, ressources humaines, isolement, événements de vie difficiles (cité 13 fois)

o Évaluation de la disponibilité pour son corps (sport, alimentation) et les soins o Évaluation du retentissement psychologique de la situation o Prise en charge plus complète en cas de situations difficiles o Intérêt variable selon le motif de consultation, inutile pour « les pathologies purement

organiques » (M15), important dans les prises en charge d’addictions - Acceptabilité par les patients: semble bien accepté d’après les médecins - Limites et difficultés évoquées par les médecins

o Intrusif, nécessité de respecter la volonté du patient d’en parler ou non (cité 2 fois) o Recueil complexe car variabilité des situations existantes (cité 2 fois) o Non discriminant par rapport à la qualité de la vie de couple (cité 1 fois) o Mise à jour des données : données évolutives (cité 1 fois) o Logiciels inadaptés : manque de case spécifique (cité 2 fois) o Fait d’être en couple plus intéressant que fait d’être marié (cité 1 fois)

- Autres informations recueillies o Qualité de la vie de couple, conflits conjugaux o Homosexualité

Citations significatives

« C’est dit dans la conversation. Je le demande pas » (M22)

« C'est pareil, ça ça devrait être dans les questions primordiales... » (M19)

« Y'a des fois ça change rien, y'a des fois effectivement ça peut être très important […] ça peut être très important qu'il y ait une rupture récente, qu'la personne vive seule , pour les prise en charge d'addictions ou d'alcool, ou de trucs comme ça » (M20)

« Les veufs […] ça peut avoir des incidences sur leur façon de vivre, de se faire à manger, ils se font plus à manger » (M21)

« Ça met en jeu leur situation morale, psychiatrique, leur stress... oui, ça c'est important » (M3)

« Il y a des gens qui ont pas forcément envie de parler de ça » (M8)

« C’est pas ça qui nous intéresse de savoir s'ils sont mariés ou pas, c'est de savoir s'ils partagent leur vie avec quelqu'un » (M7)

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Un critère associé à la situation de famille : le nombre d’enfants à charge

La quasi-totalité des médecins ont parlé du nombre d’enfants, lors de l’évocation de ce critère, sans faire la distinction entre les enfants à charge et non à charge.

- Cité spontanément par 5 médecins - Donnée considérée comme biomédicale par un médecin - Recueil :

o Non systématique: plutôt chez les femmes, selon l’âge, si situation de vulnérabilité (isolement, difficultés sociales, conjugales ou familiales, problèmes médicaux) ou selon le motif de consultation (plaintes multiples, vaccinations)

o Le plus souvent au cours du suivi o Souvent présomption de connaissance ou recueil passif (exprimé par le patient ou

noms des enfants sur la carte vitale) o Peu noté, parfois dans la partie administrative ou les antécédents gynéco-obstétricaux

pour les femmes - Intérêt :

o Connaissance des conditions de vie, du rythme de vie et du retentissement financier (dépenses, allocations familiales) (cité 13 fois)

o Évaluation de la disponibilité pour les soins : temps, possibilité d’hospitalisation. o Évaluation du retentissement sur la santé, physique ou psychologique, conseils

d’hygiène en cas de maladies contagieuses o Intérêt variable selon la situation du patient et sa culture :

� Un médecin évoque un intérêt moindre pour les patients de CSP supérieures car ils n’ont pas de soucis financiers

� Un autre juge ce critère important pour les familles recomposées - Acceptabilité par les patients : semble bien accepté selon les médecins - Limites et difficultés évoquées par les médecins :

o Nécessité de prudence car possibilité de réponses difficiles (cité 1 fois) o Difficulté quand familles recomposées (cité 3 fois) o Logiciels inadaptés : manque de case dédiée, notamment pour le « à charge » (cité 2

fois) - Autres informations recueillies

o Liens de parenté entre les patients o Âge des enfants (retentissement différent si enfants en bas âge ou adolescents) o Qualité des liens familiaux

Citations significatives

« Ça on le sait... enfin c'est pas un truc qu'on recueille non plus... de manière formelle quoi mais... y'a des choses qu'on sait » (M20)

« Quand c'est la mère on sait combien elle a d’enfants, quand c'est le père, en général il faut... c'est vrai que c'est pas toujours noté » (M7)

« C'est hyper important, c'est hyper important, c'est important le nombre d'enfants à charge » (M2)

« S’il y a pas trop de sous à la maison et puis que y a des paquets de couches à acheter ça fait quand même des budgets qui sont quand même assez conséquents » (M24)

« Si quelqu'un qui est débordée parce qu'elle en a 5 en bas âge, c'est sûr que ça va avoir des répercussions éventuellement sur ses plaintes hein et puis sur la façon de se comporter » (M24)

« Après le reste, nombre d'enfants à charge, ça ils s'en fichent ils te le diront volontiers » (M5)

« Des fois ça part un peu en vrille […] on a des mauvaises surprises ou... ‘J’ai eu 4 grossesses, il y en a un qui est mort…’ […] c'est un mal-être qui intervient dans la consult alors que c'était pas forcément le but... donc euh... je reste très prudent » (M8)

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Un critère à connotation variable : le fait de vivre seul

- Cité spontanément par 3 médecins - Recueil :

o Non systématique, recueilli si : patients âgés, autonomie réduite, malade, en fin de vie, difficultés socio-financières ou psychologiques, plaintes récurrentes, difficulté de compréhension pour la prise des traitements.

o Souvent présomption de connaissance, ressenti dans la conversation, ou passif (carte vitale si un seul nom apparait, suivi de la famille si décès du conjoint)

o Au cours du suivi, jamais d’emblée o Le plus souvent non noté

- Intérêt : o « Signal d'appel, un point de repère » (M12) o Impact sur la santé reconnu en santé publique o Retentissement sur le mode de vie (bien-être, alimentation) et la santé (souffrance

psychologique) o Évaluation des ressources humaines (gestion du quotidien, surveillance et prise des

traitements), pour mise en place d’aides humaines ou matérielles, indication d’hospitalisation, incitation à venir accompagné en consultation (cité 11 fois)

o Orientation vers les travailleurs sociaux si besoin o Modification de la relation avec le patient, augmentation du temps consacré o Intérêt et connotation variables selon la cause, le vécu et le retentissement de la vie

seule, et selon l’âge du patient (primordial chez patients âgés) - Limites et difficultés évoquées par les médecins

o Inutile car n’entraîne pas de modification d’accès aux soins (cité 1 fois), ni de modification de prise en charge (cité 3 fois)

o Redondant avec la situation familiale (cité 1 fois) o Critère non discriminant pour évaluer l’isolement du patient (cité 2 fois)

- Autres données recueillies o Veuvage o Qualité de la vie sociale, ressources humaines, isolement o Bien-être et vécu de la situation, sentiment de solitude o Nom et contact des enfants ou de l’entourage

- Autres idées o Pour un médecin, les patients seuls sont plus difficiles à soigner

Citations significatives

« Quand on est généraliste souvent tu sais ça... mais tu le notes pas... Parce que tu as suivi le mari, il est décédé, ou tu sais que c'est quelqu'un qui vit seul... » (M4)

«Les gens seuls sont plus malades que les gens qui vivent pas seuls, je crois que c'est démontré »(M6)

« Y'a des fois oui... des situations de dépression, de solitude, c'est important de connaître la solitude des gens oui... » (M10)

« Ça change euh de savoir si je prévois une hospitalisation ou pas, ça change euh dans la surveillance […] sur l'équipement dans la maison […] ou pour prendre des mesures éventuellement […] faire venir l'infirmière, faire venir des gens pour surveiller, pour être sûr quoi que tout aille bien » (M2)

« Avec eux je passe plus de temps qu'avec les autres » (M17)

« Vivre seul ou vivre isolé ça peut être un peu différent, il y a des gens qui vivent seuls mais qui ne sont pas isolés et d'autres qui sont très isolés tout en étant dans une famille » (M12)

« Le fait d'être veuf à 70 ans, ça c'est important sur le plan médical ça je crois. Le fait d'être euh... célibataire à 25 ou 30 ans, je le note pas. Ça n'a pas la même connotation » (M8)

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Un critère d’intérêt variable : le statut vis-à-vis du logement

Pour le groupe d’experts, il s’agissait de définir si le patient est propriétaire, locataire, sans abri, hébergé ou en foyer. Beaucoup des médecins ont plutôt évoqué les conditions de logement à l’énoncé de ce critère. Nous développons donc ce critère en 2 parties.

Le statut vis-à-vis du logement :

- Cité spontanément par 2 médecins - Recueil :

o Non systématique : selon pathologie ou si déménagement o Souvent passif (exprimé par le patient si difficultés) ou indirect (via l’adresse). o Parfois en même temps qu’un autre critère (fait de vivre seul, adresse) o Peu noté, et informel, dans coordonnées d’adresse ou notes personnelles

- Intérêt : o Connaissance globale du patient et de ses conditions de vie o Évaluation de la situation socio-financière o Évaluation de la capacité du patient à s’intégrer dans la prise en charge médicale,

pour adapter la prise en charge thérapeutique, accroître sa vigilance sur la prise des traitements des patients SDF ou en foyer, accompagner dans le parcours de soin, ou orienter vers des travailleurs sociaux.

o Compréhension d’un retentissement psychosomatique - Limites et difficultés évoquées par les médecins :

o N’entraîne pas d’adaptation de prise en charge (cité 4 fois) o Pas d’intérêt à créer un nouveau critère spécifique (cité 1 fois), redondance avec le

fait de vivre seul (cité 1 fois) - Recueil, intérêt et limites variables selon les informations recueillies :

o Statut sans abri considéré comme l’information la plus importante � Présomption de connaissance ou recueil indirect (révélé par la présentation

du patient) � Souvent noté, pour renseigner les associés � Intérêt médical car pathologies spécifiques � Peu concernés en zone rurale ou urbaine favorisée (cité 3 fois)

o Statut en foyer : � Recueil parfois indirect (révélé par les difficultés qui en découlent)

o Statut propriétaire/locataire : � Non recueilli � Recueil parfois indirect (un médecin associe le fait d’être locataire et de

bénéficier de la CMU) � Peu d’intérêt (cité 3 fois) � Non discriminant par rapport à la situation socio-financière (cité 2 fois) � Intrusif (cité 1 fois)

- Autres informations recueillies o Stabilité du logement, risque de devenir sans logement o Bien-être au sein du logement o Antécédents de vie à la rue

Citations significatives

« C'est pas la même question... propriétaire/locataire ou en foyer... » (M9)

« Je m'intéresse bon... surtout quand ils déménagent » (M7, sur le statut propriétaire/locataire)

« Ici on n'a pas tout ça... on connaît pas nous » (M10, sur le statut sans abri)

« Les gens ont des problèmes spécifiques à la rue... la violence, les problèmes dermato, les problèmes

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respiratoires, c'est quand même assez spécifique... » (M6, sur le statut sans abri)

« Je le demande pas parce qu'en fait, finalement, celui qui vit en foyer, y'aura un tas de choses qui va en découler […] il a pas de boulot... etc. Avec toutes les difficultés qui en découlent » (M11)

« Vous pouvez être ou propriétaire ou locataire et être extrêmement aisé... socialement... euh... ou locataire et pas être aisé du tout... » (M9)

Les conditions de logement :

- Recueil : o Passif (visites à domicile ou transmission par services de soins à domicile), indirect

(par la connaissance de l’adresse et du quartier), plutôt au cours du suivi. o Non systématique, adapté à situation : si patients en difficultés, problèmes

respiratoires chez les enfants o Peu noté

- Intérêt : o Évaluation de la qualité du logement, la promiscuité, l’existence d’un étage ou d’un

jardin o Évaluation du retentissement psychologique des conditions de vie défavorables o Intervention de la PMI si conditions le logement précaires

- Limites et difficultés évoquées par les médecins : o Intrusif si recueil d’emblée (cité 1 fois) o Moins intéressant que le statut par rapport au logement (cité 2 fois) o Difficulté de savoir quelles informations noter et comment les retranscrire (cité 3

fois) - Autres idées :

o Un médecin note une perte de connaissance des conditions de vie des patients par la réduction des visites à domicile

Citations significatives

« Quand il me donne son adresse, je sais […] dans quelles conditions ils vivent... même si je vais pas chez eux, comme je connais bien le secteur, je peux dire à peu près... » (M7)

« Là y a des vieux HLM donc aussi il y a les histoires de promiscuité de... de bruits le soir […] ils peuvent avoir des répercussions sur leur sommeil, sur euh, sur leur état nerveux » (M24)

« C'est pas à la première consultation quand t'as un quidam ‘x’ euh... ‘vous avez des photos de chez vous ?’ » (M5)

« On s'en fiche du nombre de pièces dans la maison. C'est de savoir effectivement s'ils sont en caravane, s'ils sont SDF, s'ils sont bien logés, s'ils sont en logement social... » (M2)

« C’est vrai que par rapport à avant on perd un peu des données sur le cadre de vie des personnes parce qu'on fait beaucoup moins de visites » (M7)

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Un critère jugé redondant : la catégorie socio-professionnelle

- Jamais cité spontanément - Source d’interrogations « Je sais pas... je suis pas sûre. Je sais pas répondre... » (M10) - Recueil :

o Non recueilli, parfois présomption de connaissance o Non noté

- Intérêt o Intérêt épidémiologique en santé publique pour données macro-économiques o Évaluation du milieu social et des ressources financières o Évaluation de la facilité de prise en charge :

� Deux médecins jugent la prise en charge plus facile chez les patients de CSP supérieures: meilleure capacité à se prendre en charge pour l’un, orientation dans le réseau de soins simplifiée car capacité à avancer l’argent pour l’autre

� Un médecin juge les patients de CSP supérieures plus difficiles à soigner car plus demandeurs d’informations

o Adaptation du discours o Intérêts communs avec la profession : prise en charge globale, connaissance du

rythme de vie, du cadre de vie, et des risques professionnels o Intérêt variable selon la gravité de la pathologie, pas d’intérêt si pathologie aigue

banale - Limites et difficultés évoquées par les médecins :

o Manque d’intérêt, redondant avec profession jugée plus précise et plus discriminante (nombreuses professions différentes dans une même CSP) (cité 21 fois)

o Stigmatisation, refus de « mettre les gens dans des cases » (M24) (cité 2 fois), volonté de soins similaires (cité 2 fois)

o Non corrélé à histoire de vie ou vécu de la maladie (cité 1 fois) o Manque d’habitude, oubli (cité 2 fois) o Logiciels inadaptés : manque de case spécifique (cité 1 fois)

Citations significatives

« Pour nous ça n'a pas... enfin… la profession oui, mais enfin la catégorie... c'est intéressant pour les études » (M20)

« C'est la profession. Quand on a la profession on a bien la catégorie socioprofessionnelle » (M16)

« Vous pouvez avoir des gens classés dans une seule catégorie socioprofessionnelle. et qui vont avoir des travails complètement différents et des salaires différents » (M6)

« Les professions supérieures, c'est plus facile de les soigner dans le sens où ils ont de l'argent... et que de temps en temps ils en ont rien à foutre d'avancer l'argent... » (M19)

« Si ce sont des patients... plutôt de catégorie... euh... supérieure, enfin qui ont... capacité à s'occuper d'eux euh... plus importante que par exemple des gens qui vont avoir des métiers... beaucoup moins intellectuels et qui ont... plus de difficultés à s'occuper d'eux quoi » (M18)

« La seule chose qui évolue, c'est la façon dont j'explique ce qu'il se passe. C'est mon langage qui évolue » (M25)

« La prise en charge du patient lui-même, comment il voit sa maladie...que tu sois président de la république ou boulanger, des fois c'est la même chose, c'est ton vécu […] tu peux avoir des histoires familiales aussi compliquées, des maltraitances, des toxicomanies... » (M19)

« Ta prise en charge de la maladie... à la limite je dirais que plus t'es... plus t'as d'argent plus t'es compliqué à soigner parfois parce que tu poses plein de questions » (M19)

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Un critère jugé parfois stigmatisant : le niveau d’études

- Jamais cité spontanément - Recueil :

o Non systématique, adapté à la situation : chez les jeunes en cours d’études, « les femmes qui travaillent pas » (M25), ou pour les formulaires administratifs

o Souvent présomption de connaissance (jeunes suivis depuis l’enfance), ou indirect (via le vocabulaire utilisé)

o Au cours du suivi o Peu noté, ou dans la partie profession

- Intérêt reconnu : o Évaluation des capacités de compréhension pour adaptation du discours (cité 11 fois) o Connaissance du niveau professionnel pour les reclassements professionnels et les

patients étrangers o Accompagnement du patient, pour l’ « inciter à poursuivre... à utiliser ses atouts... »

(M20) o Réalisation du MMS o Pas toujours corrélé à profession donc nécessité de le recueillir

- Limites et difficultés évoquées par les médecins : o Inutile (cité 6 fois), redondant avec la profession ou la CSP, jugées plus intéressantes

(cité 10 fois) o Non discriminant par rapport au niveau de compréhension, risque de stigmatisation et

d’erreur de jugement (cité 3 fois) o Gêne à recueillir et à le noter dans le dossier (cité 2 fois) o Volonté de soins similaires quel que soit le niveau d’études (cité 3 fois)

- Autres données recueillies o Projets professionnels des jeunes

Citations significatives

« Non c'est pas quelque chose que je demande » (M15)

« Les jeunes oui, je demande systématiquement où ils en sont dans leurs études » (M24)

« On s'en rend compte quand même... dans la conversation... à l'interrogatoire... le vocabulaire n'est pas le même... on arrive quand même un petit peu à percevoir... » (M11)

« Pour la compréhension savoir si franchement... il est totalement idiot ou s'il y a de l'espoir » (M1)

« On adapte notre discours en fonction de la capacité intellectuelle, c'est vrai qu'on doit pas parler de la même façon à quelqu'un qui... bon qui est assez limité QI, et quelqu'un qui a fait des études supérieures » (M7)

« C'est pas du tout corrélé... Vous avez des grands abrutis qui sont très diplômés... regardez en médecine... Et vous avez des gens qui sont très fins et qui n'ont pas de diplômes […] j'pense même que c'est un critère euh... contre-pertinent... qui peut vous amener à avoir des idées fausses » (M9)

« Tu vas pas leur dire ‘tiens en fait vous êtes allé jusqu'à quel niveau, bac + quoi ?’... Parce qu'on en a beaucoup qui ont pas de bac ici... » (M5)

« J'essaie de pas trop faire de différence entre les gens... donc quel que soit le niveau d'études [...] pour moi la prise en charge médicale, c'est la même... » (M18)

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Un critère jugé intrusif : le fait de bénéficier de minima sociaux

- Jamais cité spontanément - Définition source d’interrogations « C’est-à-dire s'il est dans les minima sociaux ? » (M2) - Recueil :

o RSA non recueilli, AAH plus recueillie, autres allocations non évoquées o Non systématique, adapté à la situation: si difficultés liées, chômage, retentissement

médical/psychologique, problème de couverture sociale/CMU. o Présomption de connaissance, ressenti, recueil passif (exprimé par le patient), ou

indirect (via pathologies et difficulté liées, association entre fait de bénéficier de la CMU et de toucher le RSA, création ou renouvellement de dossier MDPH pour l’AAH, difficultés de paiement)

o Au cours du suivi, pas d’emblée o Peu noté, parfois dans la partie identité, ou dans les antécédents pour l’AAH

- Intérêt : o Connaissance globale des patients, de leur mode et rythme de vie, et de leurs

occupations o Retentissement sur la santé, source de difficultés psychologiques o Évaluation des ressources financières et facilitation de l’accès aux soins : paiement,

orientation dans le système de soins, prescriptions. o AAH : associée à un handicap à prendre en compte, intérêt logistique pour le

renouvellement du dossier MDPH - Acceptabilité par les patients : mal accepté selon les médecins, honte des patients (cité 3 fois),

plus facile pour l’AAH (cité 1 fois) - Limites et difficultés évoquées par les médecins

o Gêne à recueillir, intrusif et inadapté à culture française (cité 6 fois) o Caché par les patients, à l’origine d’une sous-estimation de leurs difficultés

financières (cité 1 fois) o Redondant et moins intéressant que la couverture sociale et le statut par rapport à

l’emploi (cité 2 fois) o Non discriminant par rapport aux difficultés financières (cité 1 fois) et aux capacités

de dépenses médicales (cité 1 fois) o Pas le rôle du médecin généraliste, mais des assistants sociaux (cité 1 fois) o Logiciels inadaptés : manque de case spécifique (cité 1 fois) o Volonté de soins similaires, pas de retentissement car installation en secteur 1,

vigilance dans les prescriptions en amont du recueil (cité 3 fois) - Autres informations recueillies

o Cause de l’acquisition du minimum social

Citations significatives

« J'leur demande, quand ils bossent pas, de quoi ils vivent... toujours » (M19)

« Je le sais, ça se voit ils le disent, ils sont euh... c'est pas des gens très épanouis hein » (M2)

« Quand on est à la CMU, c'est qu'on est au RSA... » (M13)

« C'est des gens qui s'ennuient, qui foutent... enfin qui bossent pas... donc il faut s'intéresser un peu à leur mode de vie, qu'est-ce qu'ils font » (M13)

« Comme je suis en honoraires libres, quand ils sont dans ces difficultés-là, je m'aligne sur le tarif conventionnel... ou […] ils viennent me payer quand ils sont remboursés » (M9)

« L'AAH ouais... parce que du coup... ça fait... ça veut dire qu'il faut pointer un handicap quoi... donc euh... y'a une pathologie que... » (M21)

« Je pense qu’ils sont très mal à l'aise par rapport à ça » (M8)

« On n'est pas des assistants sociaux donc euh... il faut aussi qu'on reste à notre place » (M6)

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Un critère mal accepté : la situation financière perçue

À cette question, la quasi-totalité des médecins a parlé du recueil des difficultés financières en général. Pour plus de clarté, nous développons les idées en 2 parties

Situation financière perçue :

- Non cité spontanément - Définition source d’interrogations : « Perçue, ça veut dire ? » (M10), « Alors, c'est-à-dire que

c'est notre ressenti à nous ? » (M4) - Recueil

o Refusé par la quasi-totalité des médecins sous cette modalité. Deux médecins n’y sont pas opposés

- Intérêt o Connaissance de la situation financière et de son retentissement sur la santé o Situation financière parfois non corrélée aux revenus ou à la CSP

Citations significatives

« Alors ça moi, je veux pas me mêler de ça » (M1)

« Non, je ne le noterai pas dans une case de mon dossier » (M9)

« Bah oui […] parce qu'il peut avoir des gros revenus et puis avoir des fins de mois difficiles […] c'est un élément intéressant parce que ça impacte forcément la santé des personnes, de pas avoir à bouffer au 10 du mois, c'est des éléments de compréhension... oui. Évidemment les patients peuvent le dire mais si on a ... déjà une idée un peu de... de départ, ça va peut-être nous aider mieux » (M12)

Difficultés financières :

Huit médecins ne sont pas opposés au recueil de données financières au sens large. - Recueil :

o Non systématique, adapté à la situation : si arrêt de travail prolongé, patients retraités, difficultés de paiement, ou retentissement psychologique

o Ressenti, passif (exprimé par le patient si difficulté) ou indirect (révélé par la réticence aux examens complémentaires, la demande de report d’encaissement, de tiers-payant, ou de médicaments remboursés, l’habillement, ou le comportement)

o Au cours du suivi o Recueil noté inenvisageable pour la quasi-totalité des médecins, pour respect de la

confidentialité et de l’intimité du patient o Rareté du recueil à l’origine de probable sous-estimation des difficultés financières

- Intérêt : o Évaluation des ressources financières et de la capacité d’investissement financier

dans les soins, pour faciliter l’accès financier (adaptation du paiement, des prescriptions, information du patient et des spécialistes si orientation vers secteur 2)

o Orientation vers travailleurs sociaux o Retentissement sur la santé, notamment psychologique o Adaptation de la prescription des arrêts de travail o Aide au dépistage de pathologies psychiatriques via des dépenses excessives

- Acceptabilité par les patients : semble mal accepté selon les médecins : malaise, honte (cité 7 fois), en parleraient plus facilement avec assistante sociale (cité 1 fois)

- Limites et difficultés évoquées par les médecins o Gêne à recueillir : intrusif, sujet délicat dans la culture française (cité 7 fois) o Redondant, découle des autres critères, pas de nécessité d’un recueil spécifique,

couverture sociale plus importante à connaitre (cité 1 fois) o Intérêt limité : rôle du médecin généraliste limité (cité 2 fois), patients remboursés

rapidement (cité 2 fois), prise en compte inconsciente des difficultés sans besoin de

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recueil (cité 1 fois) o Pas d’adaptation de prise en charge car facilitation de l’accès financier pour tous en

amont du recueil, et volonté de soins similaires (cité 2 fois) - Autres données recueillies

o Malgré la réticence initiale à ce critère, 2 médecins disent parfois recueillir le revenu ou les ressources financières des patients

o Dispense d’avance des frais - Autres idées

o D’après un médecin, les jeunes médecins ne s’intéressent pas assez aux difficultés financières des patients

o Pour un médecin, l’apparition de cette problématique est récente en campagne, où les gens étaient auparavant auto-suffisants

Citations significatives

« Y’a vraisemblablement des gens qui ont des grosses difficultés financières, qu'on ignore » (M7)

« Je pense qu'on décrypte... sans avoir besoin de poser toutes ces questions » (M11)

« C'est le tabou français ça, on parle pas d'argent... (rires) » (M13)

« Je pense que ça serait un peu du voyeurisme » (M25)

« Y'a quand même souvent une honte hein... quand on n'a pas d'argent, quand on n'arrive pas à joindre les 2 bouts... on ose pas le dire... » (M7)

« Y'a une dame y'a pas très longtemps... elle a des problèmes financiers […] ça a permis de discuter qu'elle a un problème avec le jeu... » (M4)

« Qu'il soit riche ou pauvre, je m'en fous […] on s'en occupe » (M8)

« Tout ça on le prend en compte tout le temps... mais j'me suis jamais posé la question » (M19)

« Euh... ah oui, les revenus [...] j'demande souvent comment... aux gens comment ils vivent... enfin de quoi ils vivent... ceux qui n'ont pas de profession...» (M19)

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4. TYPOLOGIE

L’analyse des 25 entretiens puis la mise en relation des thèmes entre eux, nous ont permis de définir une typologie de médecins. Nous avons décidé de l’établir en fonction de leur acceptabilité d’un recueil actif de données sociales, et non des recommandations telles qu’elles sont proposées, les « favorables » à ce recueil n’étant pas toujours en accord avec les modalités de recueil proposées par les recommandations. Afin de la construire, nous avons pris en compte le recueil actuel de chaque médecin, sa réaction suite à la présentation des recommandations, les perspectives qu’il donne à ce recueil, et sa volonté de modifier ou non son recueil à l’avenir.

4.1. Les « réticents »

Nous avons identifié douze médecins « réticents » à ce recueil. A la question sur une éventuelle modification de leur recueil suite à la présentation des recommandations, leur réponse est négative.

« C'est bien un truc de faculté ça... (rires)» (M9, sur les capacités de compréhension du langage écrit) [Devant la présentation de ces critères, y'en-a-t-il que vous pensez-vous pouvoir recueillir plus à l'avenir ?] : « Non » (M11) ; « Non » (M22) ; « Je vois pas l'intérêt » (M1) ; « Je ne crois pas... non... pas vraiment » (M15) ; «Non, je ne vais pas m'amuser à me mettre à recueillir les… » (M25)

Ils se rassemblent dans leur manière de recueillir ces informations puisqu’ils recueillent très peu de critères de manière active et organisée. L’information peut leur parvenir soit de manière passive, lorsqu’elle est exprimée par le patient ou enregistrée directement par la carte vitale, soit parce qu’ils pensent la connaitre ou la ressentir du fait du suivi au long cours de leur patientèle.

« J'le recueille pas forcément mais... les gens veufs par exemple le disent aussi un moment dans la consultation... mais je leur demande pas... » (M21) « On s'en rend compte quand même... dans la conversation... à l'interrogatoire... le vocabulaire n'est pas le même... on arrive quand même un petit peu à percevoir...» (M11, sur le niveau d’études) « Parce que je sais, je connais les gens » (M25, sur le statut par rapport à l’emploi)

Ils s’inquiètent d’un recueil qu’ils jugent parfois intrusif, inquisiteur, mal accepté par les patients, et qui viendrait donc dégrader la relation avec eux. Ils sont réticents à entrer dans la vie privée des patients et sont très attentifs à respecter leur volonté de se livrer ou non.

« [Vous pensez qu'ils trouveraient ça intrusifs ?] Bah oui intrusif, un peu louche, un peu... puis quelque part ils auraient pas tort » (M5) « On n’est pas dans un commissariat de police. On est pas la police ici » (M22) « Quand on commence à être dans l'intimité de leurs finances, de leur vie privée, de leur enfin... profil personnel, enfin... émotionnel, là ça me gêne » (M8) « J'préfère euh… bon ne pas pousser les gens dans leurs retranchements... y'a des choses qu'ils ont envie de dire, des choses qu'ils n'ont pas envie de dire » (M15, sur le fait de bénéficier de minima sociaux)

Ils sont aussi très attachés au secret médical, et s’inquiètent de la transmission des données. Ils notent donc peu ces informations.

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« T'as pas lieu d'aller mettre un truc qui clignote dans les dossiers de chacun quoi... » (M5, sur la situation financière perçue) « J'évite de le noter dans les antécédents par exemple ou des choses comme ça, pour pas que ça apparaisse dans les courriers et... » (M18) « Non, je ne le noterai pas dans une case de mon dossier » (M9, sur la situation financière perçue)

En ce qui concerne la relation médecin-patient, nous avons identifié une transmission de l’information de l’expert connaisseur (le médecin) au non-connaisseur (le patient). Les médecins s’intéressent donc aux critères qui peuvent leur servir à adapter leur discours, comme le niveau d’études ou la profession.

« J’explique bien qu'ils apprennent » (M17, sur le niveau d’études) « Je vais pas expliquer les choses de la même façon à quelqu'un qui a fait... je sais pas moi huit ans d'études et qui est capable de comprendre et... voilà les choses de façon rapide... qu'avec quelqu'un qui effectivement a plus de difficultés de compréhension » (M18, sur le niveau d’études)

Encore plus que les autres médecins, ils considèrent les critères financiers comme des données sensibles. Ils sont ainsi opposés au recueil de la situation financière perçue et peu favorables au fait de demander au patient s’il bénéficie de minima sociaux.

« Alors ça moi, je veux pas me mêler de ça » (M1, sur la situation financière perçue) « Je pose pas la question parce que je pense que ça serait un peu du voyeurisme » (M25, sur la situation financière perçue) « Non je rentre pas là-dedans […] c'est difficile je trouve d'aller demander... ça a un petit côté intrusif presque.. . » (M11, sur le fait de bénéficier de minima sociaux)

Ils sont souvent peu sensibilisés aux ISS, ou leurs connaissances sont centrées sur l’accès financier aux soins. La prise en charge de ces inégalités est à leurs yeux indépendante du système de soins et du médecin généraliste, surtout s’il est installé en secteur 1.

« Vous avez des rapports où ils disent qu'il y a des inégalités sociaux ? » (M17) « On fait tout pour que de tout façon il n'y ait pas d'inégalités, la preuve c'est qu'ils ont accès librement ici à la santé » (M1) « Un médecin, moi je suis là pour soigner, j'essaye de soigner, mais c'est tout, ça s'arrête là » (M8)

Ils ne considèrent donc pas que ce recueil puisse jouer un rôle dans la prise en charge des ISS, ou uniquement dans la facilitation de l’accès au soin.

« J'sais pas si ça a une incidence sur la diminution des inégalités, le fait du recueil des données... ça va rien changer...» (M21) « [Comment ce recueil s'intègre dans la diminution des inégalités sociales de santé selon vous ?] (Silence) Euh... Je sais pas si... ça diminue […] je crois pas que ça diminue... le... enfin, j'comprends pas trop en fait la question » (M18) « Ça peut réduire les inégalités à ce niveau-là c'est-à-dire ça peut amener les gens, s'ils sont en confiance, à consulter alors que... ils ne seraient pas venus autrement, parce que bah ils osent pas […] expliquer qu'ils peuvent pas payer » (M15)

Même s’ils ne recueillent que rarement ces informations de manière active, ils sont ouverts à les prendre en compte lorsque le patient évoque de lui-même une difficulté.

« Sauf évidemment si le patient en parle spontanément, on peut essayer de creuser un petit peu la question […] mais... autrement non... non » (M15, sur la situation financière perçue)

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« Je m'en occupe pas particulièrement... sauf quand bah ils me le disent » (M18, sur le statut vis-à-vis du logement)

Malgré leur réticence au recueil actif de données sociales, et leur faible sensibilisation aux ISS, ces médecins ont souvent une prise en compte intuitive de ces informations, et une prise en charge inconsciente de ces inégalités. Ils disent ainsi être plus vigilants, faire preuve de plus d’empathie, et consacrer plus de temps aux personnes en difficulté ou aux situations complexes. Ils n’associent toutefois pas cette attention particulière à des critères à recueillir, ni à un quelconque rôle dans la diminution des ISS, qui leur semble indépendante du système de soins.

« Un critère d'attention, c'est plus en empathie et en en donnant plus si tu veux qu'à l'inverse qu'en faisant une espère de ségrégation » (M5) « Alors en fait on est tout le temps en train de s'adapter en médecine, avec le patient... mais je crois pas que ça diminue... » (M18) « Quand ils se sentent écoutés, quand ils ont leur sac à vider, quand ils se sentent accompagnés dans leurs démarches, dans leurs soucis de santé, ils ont... ils se sentent peut-être moins mal... notre rôle à jouer il est sûrement là mais... sur les inégalités sociales euh... j'sais pas […] moi toute seule, je vais pas changer leur façon de gagner leur salaire, d'être au chômage, j'vais pas leur trouver un job... c'est pas moi qui vais faire ça » (M21)

Nous avons identifié deux causes différentes à cette réticence :

− Certains médecins s’intéressent au recueil de données sociales dans une perspective spécifique : les « biomédecins », les « logisticiens » et l’ « enseignant ». Ils recueillent les données s’inscrivant dans cette perspective, mais sont réticents au recueil des autres données.

− Certains médecins s’intéressent à ces informations de manière élargie, mais refusent un recueil actif et noté: les « confidents ». Ils recueillent plus d’informations, dans une conception plus complexe du soin, mais sont opposés au recueil actif, systématique et noté.

Nous avons noté que les trois médecins qui sont membres du Conseil de l’Ordre se situent dans ce groupe des « réticents ». Une sensibilisation particulière aux questions de déontologie médicale peut être évoquée devant cette préoccupation marquée pour le respect du secret médical et cette crainte d’être intrusif dans la vie du patient.

4.1.1. Les « biomédecins »

Nous avons identifié cinq médecins appartenant à ce groupe. Le recueil de ces critères est pour eux légitime s’il a un lien diagnostique direct avec la pathologie, ou fait partie de sa sémiologie. La distinction pourrait être faite entre ces « biomédecins », pour qui ces critères peuvent être des facteurs explicatifs de pathologies, dans une approche centrée sur la maladie, et les médecins « mobilisables » et « favorables », qui ont une conception plus complexe du soin, et recherchent des déterminants de santé au sens plus large.

[Quelles données autres que biomédicales recueillez-vous ?] « Assez peu de données en dehors de la médecine » (M1) « Je le demande seulement si la pathologie peut être liée au métier » (M17, sur la profession) « Le pays de naissance... peut avoir... oui, quelquefois de l'importance pour certaines pathologies […] s'ils reviennent avec un paludisme ou une hépatite ou des maladies tropicales » (M15)

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« L'AAH ouais… parce que du coup... ça fait... ça veut dire qu'il faut pointer un handicap quoi... donc euh… y'a une pathologie » (M21, sur le fait de bénéficier de minima sociaux)

Ils s’intéressent également aux informations qui peuvent modifier la prise en charge thérapeutique, qu’elle soit préventive ou curative.

« Il faut que je fasse plus attention quand ils retournent dans leur pays […] que les vaccins sont à jour […] qu'ils ont des médicaments » (M17, sur le pays de naissance) « C'est un intérêt parce que euh... par exemple si c'est une maladie contagieuse […] je fais les recommandations euh... d'hygiène » (M17, sur le nombre d’enfants à charge) « Si par exemple j'ai l'impression qu'une prise en charge ou la prise d'un médicament va poser un problème, on peut poser à ce moment-là la question de savoir si les gens sont seuls chez eux » (M15)

Ils ne trouvent pas d’intérêt aux critères ne s’inscrivant pas dans cette approche du soin.

« Oui s'il y a un intérêt pour le médical mais s'il n'y en a pas je vois pas trop l'intérêt » (M1, sur le statut par rapport à l’emploi) « Savoir s'ils habitent en étage, en rez-de-chaussée, savoir s'ils ont des bons voisins, savoir s'ils ont 3 chiens et 4 poissons rouges, savoir... non pas plus que ça non » (M5) « S’il vient parce qu'il a une angine, peu importe de savoir s'il va être à la MGEN et prof, ou s'il va être effectivement chômeur, ou si ça va être le dernier élu local du coin... s'il a une angine bon on soigne son angine […] à partir du moment où ça n'influe pas plus que ça sur le... sur le diagnostic, y'a pas de raisons... » (M5)

Ils pensent également que ce recueil serait mal accepté par les patients s’il n’est pas directement lié à la pathologie.

« Non je crois pas, je crois qu'ils aiment bien une certaine distance, ils aiment bien que la question soit en rapport avec la pathologie quoi » (M1) « C'est quand même délicat... une personne qui arrive comme ça première fois ‘bon bah bougez pas, faut votre poids, votre taille, votre profession, vos revenus mensuels, vous êtes célibataire ?’, ‘mais je venais que pour une angine’, ‘j'veux pas le savoir’ » (M5)

4.1.2. Les « logisticiens »

Nous avons identifié quatre médecins appartenant à ce groupe. Si tous les médecins ont une perspective logistique et administrative dans une certaine mesure, l’intérêt de ces « logisticiens » est centré sur cet aspect.

Lors de la première question sur les données biomédicales qu’ils recueillent, ils évoquent principalement des données administratives, comme l’adresse, le numéro de téléphone, ou le numéro de sécurité sociale. Ils sont ensuite principalement intéressés par les données pouvant les aider sur le plan organisationnel ou administratif, comme le sexe, la date de naissance, l’adresse, et l’assurance maladie. Ils peuvent aussi s’intéresser aux autres critères, mais toujours dans cette perspective d’aide logistique.

« Ben... si on a besoin d'aller en visite... voilà quoi... pour moi, c'est essentiellement ça. [D'un point de vue social, y voyez-vous un intérêt?] Moi, personnellement non. » (M18, sur l’adresse) « C'est pas dans la prise en charge, c'est administratif, je sais où je vais... s'ils sont CMU, parce que pour peu qu'ils n'aient pas leur carte, j'ai les numéros de sécu... là, c'est uniquement un intérêt matériel pour moi » (M11, sur l’assurance maladie) « Euh alors si, euh l'AAH, c'est […] euh pour remplir vu qu'il faut refaire les renouvellements » (M23, sur le fait de bénéficier de minima sociaux)

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Ils attachent peu d’importance aux critères s’inscrivant dans une perspective différente.

« [Le statut par rapport au logement] Non […] [la situation de famille] (hochement de tête négatif) […] Je le demande pas [le nombre d'enfants à charge] Non [le fait de vivre seul] Non » (M22) « Complémentaire on l'utilise pas nous parce du coup y a pas tellement de tiers payant » (M23, sur l’assurance maladie)

4.1.3. L’ « enseignant »

Nous avons identifié un médecin sous ce terme d’ « enseignant ». Encore plus que les autres « réticents », il recueille les informations lui permettant d’évaluer le « niveau intellectuel », le « niveau de compétence » (M25) des patients, dans le but d’adapter son discours.

« Je tiens à avoir le niveau de compétence des gens. Parce qu’en fait si je donne une explication trop complexe à quelqu'un qui comprend rien, ça n'a pas d'intérêt, et puis si j'ai une explication trop basique à quelqu'un qui aurait... ça le fait chier aussi. Enfin, je veux dire, il a pas le niveau d'explications qu'il mérite » (M25)

Il recueille donc principalement la profession, la CSP, le niveau d’études et le pays de naissance, qu’il relie au niveau de compréhension des patients. Cela lui permet d’adapter son langage ou d’utiliser des images adaptées à la profession ou aux activités quotidiennes de ses patients.

« La seule chose qui évolue, c'est la façon dont j'explique ce qu'il se passe. C'est mon langage qui évolue » (M25, sur la CSP) « Ça m'arrive de le demander […] pour adapter mon explication à ce que j'estime, enfin ou à ce que j'imagine comme, comme niveau de compréhension » (M25, sur le pays de naissance) « Après j'utilise des images qui sont dans leur domaine. Un garagiste je vais parler de mécanique, un informaticien je vais parler d'informatique» (M25, sur la profession)

Il est le plus souvent réticent au recueil des critères ne s’inscrivant pas dans cette perspective.

« Non, je m'en fous. C'est pas mon problème » (M25, sur l’assurance maladie) « Ouais c'est pareil je m'en occupe pas de ça » (M25, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Je ne note pas s'ils sont en train de bosser, ou de ne pas bosser etcetera, parce que finalement ça n'a pas d'impact avec ce que je... ce que je fais moi » (M25)

S’il se sert de l’ensemble des critères pour évaluer le niveau de compréhension des patients, il est en revanche opposé au recueil actif et systématique de cette information à travers un critère spécifique. En effet, il juge ce recueil inadapté à une prise en charge de qualité lorsque le besoin se présente.

« Je pense que par rapport au peu de gens concernés, le faire systématiquement ça serait... on en aurait tellement vite marre que je le jour où ça tombe sur quelqu'un qui en a besoin on serait même pas pertinents » (M25, sur les capacités de compréhension du langage écrit)

4.1.4. Les « confidents »

Nous avons identifié deux médecins dans ce groupe. Ils ne sont pas opposés au recueil de données sociales, et portent un intérêt à l’ensemble de ces critères dans une certaine mesure,

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mais refusent leur recueil actif, systématique, et noté. Ils recueillent les informations le plus souvent de manière passive, en laissant s’exprimer le patient. Ils insistent sur l’importance de respecter la volonté de celui-ci de se confier ou non.

« Ça correspond à ce qu'ils me disent de leur vie […] tout ce qui me paraît important dans ce qu'ils veulent bien me confier » (M9) « C'est quelque chose que je sais, mais uniquement parce que les gens me l'ont dit, je leur ai jamais demandé » (M8) « Ça va... se faire naturellement s'ils ont envie d'en parler, mais il y a des gens qui ont pas forcément envie de parler de ça » (M8, sur la situation de famille)

Ils refusent le recueil actif dès la première consultation, qu’ils jugent inquisiteur et inadapté à la relation médecin-patient. Ils soulignent donc l’importance d’un recueil au cours du suivi, au fur et à mesure de la connaissance du patient et de la création d’une relation de confiance. Ils qualifient ainsi leur recueil de « prudent » (M8).

« Il faut pas que la première consultation soit policière... les gens supportent mal... » (M9, sur le statut par rapport à l’emploi) « Je me vois pas leur demander ça aussi d'emblée » (M8, sur la situation financière perçue) « [Devant la présentation de ces critères, y'en-a-t-il que vous pensez-vous pouvoir recueillir plus à l'avenir ?] Tous... mais dans le temps... » (M9) « Ça va plus être dans le relationnel » (M8)

Encore plus que les autres réticents, ils sont opposés à la retranscription de la plupart des informations dans le dossier, et ne les notent peu ou pas. Ils s’attachent à la confidentialité des données et craignent leur transmission.

« Non, je ne le noterai pas dans une case de mon dossier » (M9, sur la situation financière perçue) « J'ai beaucoup de choses dans ma mémoire à moi, mais je suis très attaché au secret médical et je... j'ai toujours un peu peur de la traçabilité, donc euh... y a des choses que je sais, des histoires de famille, des histoires de couple, je vais pas noter. Et ça les protège, ils savent » (M8)

Les « confidents » ont une vision plus complexe de la santé, mais sans que celle-ci puisse se résumer à des critères à recueillir. Ils gardent au cœur de leur démarche la compréhension de la vie du patient, et la qualité de la relation médecin malade. Toutefois, la situation sociale du patient leur semble difficile à déterminer, et ils remettent en cause l’intérêt du recueil de ces critères dans cette évaluation.

« On peut pas soigner les gens sans avoir une conscience claire de ce qu'ils vivent […] sans comprendre ce qu'ils vivent... mais c'est pas si évident que ça et c'est pas forcément avec des questions qu'on en a une conscience si claire... » (M9) « La position sociale du patient elle est pas toujours simple à déterminer... et je ne suis pas sûr que des critères aident beaucoup... » (M9) « C'est difficile de noter un niveau social... Qu'est-ce qu'on peut mettre... » (M8, sur la CSP)

S’ils ne sont pas indifférents à la question des ISS, ils ne pensent pas que ce recueil puisse participer à leur diminution. Ils pensent en revanche que le recueil systématique et noté risque de modifier la prise en charge négativement, en dégradant la relation médecin-patient.

« Il vaut mieux être malade et riche que malade et pauvre... » (M9) « [Comment ce recueil s'intègre dans la diminution des ISS selon vous ?] Pas forcément au niveau de la médecine générale […] je pense pas que ça change grand-chose » (M9) « Oui, ça modifierait la prise en charge thérapeutique, mais pas forcément en bien. Je pense que si

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les gens savaient que c'est écrit dans leur dossier, qu’ils sont divorcés, etcetera […] s'ils refont leur vie, par exemple, ça peut les gêner […] Il y a même des gens qui pendant quelques années vont plus venir nous voir » (M8)

4.2. Les « mobilisables »

Nous avons qualifié neuf médecins de « mobilisables » pour ce recueil. Ils recueillent déjà activement plusieurs de ces critères, dans une vision médico-psycho-sociale du soin, élargie au-delà de la pathologie. Ils sont dans une démarche active de compréhension du contexte de vie des patients.

« [Quelles données autres que biomédicales recueillez-vous ?] Tout ce qui est le contexte social […] la famille, la profession... euh... le milieu social dans lequel vivent les gens » (M10) « Finalement la consultation médicale, c'est un petit bout... puis la consultation médico-sociale, elle est grande... et la consultation du cadre de vie, de la qualité de vie... elle est... ouais... la consultation c'est un tout » (M3) « Des fois tu vas mieux comprendre pourquoi ils souffrent quand ils ont pas un emploi stable.... hein... c'est le bio-médico-psycho-social en fait » (M19, sur le statut par rapport à l’emploi) « Connaître la culture de chaque patient, leurs habitudes aussi, les situer, savoir où ils sont nés, savoir comment ils ont vécu, savoir […] leur mode de vie, enfin tout ça c'est hyper... ça fait partie d'eux […] Pour moi, c'est indispensable » (M2, sur le pays de naissance)

Ils sont ouverts à l’élargissement de leurs perspectives de recueil, et de leur vision du champ de la santé, et portent un intérêt aux recommandations présentées.

« [Est-ce que vous pensez à l'avenir, vous recueillerez plus systématiquement ?] Oui, je vais essayer, je vais essayer » (M2) « Peut-être qu'il y a des choses qui nous échappent, c'est possible […] il faudrait peut-être être plus systématique... » (M7, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « On devrait y penser, on devrait le faire systématiquement, on devrait avoir une première fiche vachement bien faite […] on pourrait faire une photographie, plus rapide et plus exhaustive » (M3)

S’ils savent par expérience que ces critères sociaux jouent sur la santé, ils n’en font pas des déterminants des ISS, et ne sont donc pas dans une démarche explicite de réduction de celles-ci. Ils ont en effet des connaissances sur les ISS limitées, souvent centrées sur l’accès aux soins, mais s’interrogent sur cette problématique.

« Il y a des inégalités de soin chez les patients? […] J'ai pas le sentiment que mes patients soient traités différemment quoi, ou aient une espérance de vie différente. Alors peut être hein, mais euh... J'ai l'impression qu'ils sont tous soignés aussi bien quoi » (M2) « J'ai pas l'impression de faire de différences énormes […] mais bon, peut-être que j'en fais » (M4) « Euh... ffff... inégalités sociales de santé, à part l'argent, je vois pas trop... hein... j'sais pas » (M19)

Ils s’interrogent également sur le rôle que le système de soins et le médecin généraliste peuvent jouer sur ces inégalités, et sur la place que peut avoir ce recueil dans la prise en charge des ISS. Ils ne sont pas toujours certains d’avoir un rôle à jouer dans ces inégalités, mais réfléchissent à la façon dont ils peuvent adapter la prise en charge de leurs patients suite à ce recueil.

« C'est notre rôle de s'occuper de ça, enfin... on peut pas soigner les gens sans penser à tout ça » (M2) « Je ne sais pas si nous pouvons nous avoir un rôle, j'en suis pas sûre... du tout […] la vie politique c'est quand même celle qui fera régresser les inégalités... c'est pas forcément nous » (M10)

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« La diminution des inégalités sociales de santé c'est euh... c'est une action. Pour le moment nous on fait que du recueil donc est-ce qu'on est vraiment des acteurs de ça ? On peut qu'inciter » (M24) « En même temps, t'as pas envie de trop les assister mais en même temps certains, si tu veux qu'ils soient bien pris en charge, t'es un p'tit peu obligé... donc obligatoirement oui ça modifie notre comportement et du coup, c'est aussi dans le but de réduire l'inégalité sûrement… » (M4)

4.2.1. Les « spécialistes »

Nous avons identifié deux médecins dans ce groupe. Ils ont une vision du champ de la santé relativement complexe, qui ne se limite pas à la seule maladie, mais qui reste sectorisée à un certain domaine. Ils recueillent activement certains critères s’il existe une problématique particulière, une plainte du patient ou s’il s’agit d’une population jugée fragile. Le recueil est alors ciblé sur la recherche de critères permettant d’expliquer directement la problématique exprimée, ou de prendre en charge cette vulnérabilité. Ils se différencient toutefois des « réticents » par leur intérêt et leur réflexion sur ces recommandations.

« Je vais reréfléchir... mais effectivement je pense qu'il faut les rentrer et... il faut les rentrer et je sais pas très bien... où je vais les mettre... non, j'ai pas de réponse... » (M10) « C'est pas si facile parce qu’on se dit que c'est p't'être pas notre rôle... mais en même temps ça peut participer quand même à des diagnostics, à des prises en charges si... ouais » (M4)

4.2.1.1. Recueil en cas de problématique d’autonomie: le « gériatre »

Un des médecins évoque essentiellement les personnes âgées tout au long de l’entretien, et focalise son intérêt sur l’évaluation de leur autonomie, leur entourage proche, ainsi que les aides mises en place à domicile.

« T'as une notion d'âge, dans ce les patients là, c'est plus d'un certain âge-là, c'que vous faites comme étude ? » (M4, sur l’assurance maladie) « [Si on évoque les données sociales… ?] Bah moi, aide-ménagère, s'ils ont le portage des repas, téléalarme, s'ils sont sous tutelle ou pas... » (M4) « Si c'est une personne âgée.... que je vois à domicile ou qui a des troubles un petit peu des fonctions supérieures […] après des fois on demande, s'ils ont une infirmière, s'ils ont une aide-ménagère […] mais en gros avant... pas systématiquement...» (M4)

Lorsqu’il élargit son recueil aux patients plus jeunes, son intérêt reste centré le plus souvent sur l’autonomie et la gestion du quotidien.

« Ça peut être intéressant de savoir s'il y a un étage ou pas, par exemple chez quelqu'un qui va être opéré » (M4, sur le statut vis-à-vis du logement) « Ou tu sais que c'est quelqu'un qui a une pathologie particulière, qu'il doit élever des enfants... voilà là tu t’intéresses s'il faut hospitaliser la patiente, comment je fais pour les enfants » (M4, sur le nombre d’enfants à charge)

Il s’intéresse aux informations pouvant l’aider dans la prise en charge médicale des personnes âgées, comme le niveau d’études pour l’interprétation du MMS et le diagnostic de troubles cognitifs. Les données d’évaluation de l’autonomie comme le fait de vivre seul, le cadre de vie et les aides mises en place, peuvent également l’aider dans la prise en charge de ces patients. Il recueille peu les critères s’éloignant de cette perspective.

« En gériatrie ça peut être intéressant pour le MMS […] après est-ce que c'est important à recueillir... (silence) je sais pas... ça me laisse plus perplexe » (M4, sur le niveau d’études)

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« On essaie le plus possible de maintenir les gens à domicile, de faire des choses même des soins à domicile, mais quand on connaît pas l'environnement, c'est compliqué quoi... » (M4) « Si c'est quelqu'un qui me paraît un peu limité au niveau des médicaments euh... pour la prise ou la compréhension […] j'vais p't'être dire aux infirmières de venir le donner pendant un certain temps » (M4, sur le fait de vivre seul) « Alors ça, on note pas » (M4, sur le statut par rapport à l’emploi)

Le parcours professionnel de ce médecin nous donne des éléments de compréhension de l’orientation et des perspectives de son recueil, puisqu’il exerce une activité complémentaire dans un service de médecine polyvalente et de soins de suite, où la population gériatrique est très représentée. Ce facteur n’est probablement pas le seul déterminant de sa réaction, puisque un autre médecin exerçant une vacation hospitalière du même type, n’oriente pas son recueil de la même manière.

4.2.1.2. Recueil en cas de souffrance morale : le « psychologue »

Un autre médecin effectue ce recueil uniquement s’il existe une plainte psychologique, dans une perspective d’explication de la problématique.

« Ce que je pose, c'est pas systématique, ça dépend pourquoi la personne vient... si je sens une personne en souffrance, je vais forcément essayer de l'interroger sur ce qu'elle vit » (M10) « La souffrance est forcément différente selon le pays duquel ils viennent... donc oui, je le note » (M10, sur le pays de naissance) « Oui, y'a des fois oui... des situations de dépression, de solitude, c'est important de connaître la solitude des gens oui » (M10, sur le fait de vivre seul) « [Y'a-t-il d'autres données sociales qui vous paraissent importantes pour votre pratique ?] En fait, on est presque dans les antécédents psycho hein... ? Ouais […] C'est très important ouais... » (M10)

En dehors de cette perspective, il est réticent à recueillir d’autres informations de manière systématique.

« J'ai pas envie de savoir ça... je pense que si ça rentre... dans la nécessité pour eux d'en parler... parce qu'on est dans une consultation psy d'accord... mais sinon, non, je vais pas leur poser cette question-là non » (M10, sur la situation financière perçue) « Non, c'est pas forcément une donnée à recueillir, je pense que c'est quelque chose qui va venir dans un second temps s'il y a une souffrance » (M10, sur le fait de vivre seul)

4.2.2. Les « complexes »

Nous avons identifié sept médecins appartenant à ce groupe. Ils ont une vision complexe et très large du champ de la santé, et connaissent par expérience le rôle des déterminants sociaux qui interagissent entre eux, et retentissent sur la santé. On s’aperçoit dès la première question, que leur recueil est large et varié. Le terme de problématiques « systémiques » (M24) 36est même cité par un des médecins.

36 Selon le Centre d’Évaluation, de Documentation et d’Innovation pédagogique : L’approche systémique

considère l’objet à étudier dans sa globalité, sa complexité ; elle prend en compte l’environnement de l’objet, les relations et les interactions entre les éléments qui le composent, à l’inverse de l’étude analytique qui se centre sur les éléments qui composent l’objet (58)

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« [Quelles données autres que biomédicales recueillez-vous ?] Le mode de vie... hein... la profession, l'environnement familial […] la thymie […] la façon dont on mange, dont on dort, si on a des amis... euh... le moral... voilà, je crois que c'est tout... le sport!... enfin les loisirs » (M19) « On prend nous des renseignements nous sur l'entourage familial souvent, sur les habitudes, la profession évidemment, les activités autres » (M7)

Ils s’intéressent à l’ensemble des critères proposés, dans une approche centrée sur le patient. Les idées de prise en charge globale et de compréhension de la vie du patient sont souvent évoquées. Ils ont conscience du retentissement de ces critères sur la vie du patient, et donc sur sa santé, au-delà du simple facteur explicatif de maladies. Les médecins ont ainsi besoin de comprendre le contexte global du patient en amont de la prise en charge diagnostique ou thérapeutique, et recueillent activement ces critères quelle que soit la problématique du patient.

« C'est vraiment super important ça permet une vision globale de... du malade, du patient » (M3) « Je recherche pas forcément des pathologies par contre je suis plus ouverte effectivement quand je connais la profession […] Moi les patients, ils s'intègrent avec leur profession hein, leur profession, leur environnement, enfin je vois bien quoi, je les vois, je les regarde globalement quoi » (M2) « Je crois pas qu'on soigne bien les gens si on sait pas ce qui leur arrive » (M2, sur le statut par rapport à l’emploi) « C'est essentiel pour euh... connaître sa situation financière et puis psychologique aussi, sociale, son adaptation à la société, son insertion ou sa désinsertion » (M16, sur le statut par rapport à l’emploi) « Le pays de naissance... oui... tous les gens […] qui sont réfugiés politiques ou qui viennent de pays où... où c'est le bordel, où ils ont subi des tortures, qui arrivent ici, évidemment ils vont être... plus en souffrance que les autres... Après, t'as la culture, la barrière de la culture... oui, ça c'est important aussi […] C'est de l'ethnomédecine ça » (M19)

Du fait de leur vision complexe du soin, ils jugent parfois les critères réducteurs, pour la compréhension de la vie et du vécu du patient. Ils pensent par exemple que la profession, le niveau d’études et la CSP ne sont pas toujours des critères discriminants pour évaluer le niveau de compréhension du patient ou son vécu de la maladie. La situation de famille, le fait de vivre seul ou la CSP ne sont pas toujours discriminants ou suffisamment informatifs pour évaluer le contexte de vie du patient. Ils évoquent parfois la nécessité d’un recueil plus élargi et approfondi pour avoir une connaissance plus fine des situations. La connaissance du parcours de vie des patients est notamment citée.

« Il y a des gens qui sont très très doués, euh qui sont intellectuellement de profession euh très... mais qui sont complètement nuls pour prendre un comprimé hein » (M24, sur la profession) « Que tu sois en CSP supérieure ou OS, tu peux avoir des histoires familiales aussi compliquées, des maltraitances, des toxicomanies... » (M19, sur la CSP) « Dans les professions, il peut y avoir tellement de variations […] dans les fonctionnaires, tu peux avoir un agent administratif […] un agent technique qui est le type qui est à la voirie, ou qui est le type derrière le camion qui fait les bennes, ou […] le magistrat du tribunal » (M3, sur la CSP) « Tu peux te dire ‘c'est difficile de vivre seul’ mais y'en a qui l'ont choisi […] ça dépend pourquoi les gens vivent seuls... s'ils sont réfugiés, s'ils sont en instance de divorce, s'il y a un décès, s'ils l'ont choisi, s'ils sont désocialisés » (M19, sur le fait de vivre seul) « C'qui serait intéressant […] c'est de connaître un peu leurs parcours quoi, avant... pas la donnée sociale au jour J ou j'le vois mais tout ce qu'ils ont vécu avant […] les gens qui débarquent ici, parfois y'a des parcours un peu compliqués […] c'est important de connaître... l'histoire de vie » (M7)

Dans ce groupe, quatre médecins ne sont pas opposés au recueil de la situation financière perçue. Deux insistent même sur l’importance de connaitre les ressources ou les difficultés

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financières des patients. Il est intéressant de noter que ces deux médecins ont travaillé au contact de populations précaires à un moment de leur parcours professionnel (activité associative, quartier défavorisé).

« On est médecins, c'est important pour nous de le savoir... » (M7, sur la situation financière perçue) « Ah oui, les revenus... hein... bah ça fait partie du mode de vie […] j'demande souvent comment... aux gens comment ils vivent... enfin de quoi ils vivent... » (M19)

4.3. Les « favorables »

Nous avons identifié quatre médecins « favorables » à ce recueil. Ils ont déjà un recueil actif et noté, et s’intéressent à l’ensemble de ces critères. Dans une vision complexe du soin, ils évoquent spontanément l’idée de prise en charge globale du patient, l’importance du parcours de vie, et le rôle des déterminants sociaux sur la santé, ainsi que sur l’accès et le recours aux soins.

« En dehors du biomédical effectivement y'a tout le contexte social... euh... y'a toutes les données d'assurance maladie […] les ressources des gens euh, quel niveau de vie ils ont […] c'est le triptyque famille […] le travail, et le logement ces trois choses-là sont très importantes pour déterminer le niveau de santé des gens » (M6) « Si on connaît les conditions de vie du patient, on est mieux à même de lui être utile donc euh... les conditions de travail, ça fait partie des conditions de vie » (M12, sur la profession) « Le pays de naissance... (hésitation) c'est plus... pour apprendre à connaître le patient […] un peu comment les gens perçoivent le circuit de soins, comment on est perçus, comme médecins, comme soignants, par rapport à leur pays...» (M13) « C'est toutes les conditions de... du quotidien qui vont impacter la façon dont il pourra se diriger dans le système » (M12, sur le statut vis-à-vis du logement)

A l’inverse de la plupart des autres médecins, ils ne sont pas opposés à s’intéresser de manière active à la situation financière des patients, en posant directement la question.

« Ça fait partie des effectivement de... des trucs importants pour évaluer la situation du patient... enfin ses difficultés... enfin l'aspect financier, j'pose souvent la question oui... » (M20, sur la situation financière perçue) « C'est intéressant […] parce qu'il peut avoir des gros revenus et puis avoir des fins de mois difficiles […] c'est un élément intéressant parce que ça impacte forcément la santé des personnes, de pas avoir à bouffer au 10 du mois, c'est des éléments de compréhension... oui. Évidemment les patients peuvent le dire mais si on a... déjà une idée un peu de... de départ, ça va peut-être nous aider mieux » (M12, sur la situation financière perçue)

Ils ont des connaissances sur les ISS, et s’intéressent au sujet. Ils font référence à des études évoquant l’impact des déterminants sociaux sur la santé et sur le recours aux soins.

« Moi, je vous dis j'ai un engagement syndical, et dans notre structure syndicale, on parle pas mal de ça […] ISS je sais ce que c'est » (M12) « Le fait de vivre seul oui, enfin c'est même reconnu dans les […] études épidémiologiques... donc c'est un truc important oui » (M20) « C'est important parce qu'on sait que le chômage vient dégrader le... l'espérance de vie hein... y'a des études qui ont été faites... » (M13, sur le statut par rapport à l’emploi) « On sait que... les dépenses de santé sont... vont de pair avec le niveau socio-économique […] ce qui veut dire que c'est... une histoire d'accès aux soins, mais c'est une histoire aussi d'aller euh... d'aller demander des soins qui... c'est un peu les deux » (M13, sur la profession)

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Ils trouvent un intérêt à ce recueil pour la diminution des ISS, et connaissent les différents niveaux d’exploitation de ces données tels qu’ils sont décrits dans les recommandations.

Ainsi, ils évoquent le niveau 1 lorsque ce recueil leur permet d’adapter leur prise en charge aux besoins du patient, de l’orienter au mieux dans le système de soins, et de repérer et d’accroitre leur vigilance face aux situations de vulnérabilité.

« Peut-être savoir détecter, faire de la médecine un peu proactive […] C'est très très important de connaître l'environnement des gens, pour pouvoir essayer d'impacter l'état de santé et de prévenir les accidents et les maladies professionnelles » (M6) « Ce recueil-là permet de repérer des gens qui sont en fragilité donc d'être un peu plus vigilants sur le suivi » (M20) « Des fois ça donne une vigilance ou une envie de… d'inciter à poursuivre... à utiliser ses atouts » (M20, sur le niveau d’études)

L’un d’eux parle du niveau 2 lorsque le recueil permet au médecin de prendre conscience du rôle des déterminants sociaux sur la santé, et donc des ISS au sein de sa patientèle.

« Peut-être plus pour prendre conscience et de la part du médecin mais de la part du patient aussi que sa situation sociale impacte son... sa santé... » (M13)

Enfin, certains médecins évoquent le niveau 3 en mentionnant l’exploitation de ces données pour les études et la production de statistiques de santé, afin de faire avancer la recherche en santé publique, et donc de mobiliser les instances politiques.

« La catégorie... c'est intéressant pour les études […] c'est très artificiel » (M20, sur la CSP) « Les catégories socio-professionnelles, c'est très sociologique ça […] c'est des données peut-être macro-économiques » (M6) « C'est de faire ressortir […] en pouvant extraire des logiciels les problématiques des gens qui ont des inégalités sociales […] si nous on peut démontrer que les patients dans telles ou telles circonstances, ont plus ci ou plus ça... alors peut-être qu'on pourra faire se bouger les politiques sur les inégalités sociales de santé […] si on peut fournir de la statistique qui montre... » (M12)

Certains s’interrogent sur le fonctionnement du système de soins, notamment sur la pertinence du paiement à l’acte et du paiement à la performance, qu’ils jugent inadaptés pour réduire les ISS.

« Je trouve que... la médecine générale telle qu'elle est organisée euh... c'est très compliqué […] on nous met des trucs et on n'a aucun moyen […] on est payé que pour faire des actes, dès qu'on fait de l'éducation thérapeutique ou des choses comme ça, ou de la prévention on n'est pas payé donc euh... on n'est pas organisé » (M13) « J'aimerais sortir du paiement à l'acte et être rémunéré différemment en fonction des pratiques que j'ai. On a refusé au cabinet le paiement à la performance, car on pense que les critères médico-économiques ne sont pas les plus fiables et n'ont pas d'impact sur les ISS » (M6)

On note que ces quatre médecins identifiés comme favorables sont maîtres de stage auprès des internes. Il serait intéressant de s’interroger sur l’existence d’un lien entre leurs réactions aux recommandations et ce contact avec les internes et la formation. Les données dont nous disposons ne nous ont toutefois pas permis de confirmer une hypothèse quant à un lien éventuel.

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4.3.1. Les « vigilants »

Deux médecins ont constitué ce groupe. S’ils sont favorables au recueil actif de nombreux critères, et ont une vision complexe de la santé, ils restent vigilants sur les modalités de recueil prévues par les recommandations, notamment sur la pertinence du caractère systématique de ce recueil.

Malgré leurs références à des données scientifiques épidémiologiques sur les ISS, leur recueil n’est pas toujours systématisé et fondé sur cet argument. Il est large mais reste variable selon la situation du patient ou la personnalité du médecin.

« [Quelles données non biomédicales recueillez-vous dans les dossiers des patients ?] Ça dépend ouais […] c'est pas exhaustif hein, c'est... c'est variable... » (M20) « On a des remarques, on a une plage ‘remarques’, où on a un petit peu tout, qui est un peu un fourre-tout… et on va mettre parfois des choses qui nous paraissent importantes » (M13) « Ca dépend après du tempérament un peu du médecin enfin, je pense qu'on a surtout à recueillir les trucs qui sont importants pour nous...» (M20)

Ils s’interrogent sur le systématisme du recueil, qu’ils ne jugent pas toujours nécessaire ou pertinent. Ils s’inquiètent du caractère intrusif de ces questions si elles sont posées d’emblée et de manière systématique. Ils insistent sur la manière d’aborder ce recueil et l’importance de respecter la volonté du patient de répondre ou non. Ils rejoignent sur ce point les « confidents » du groupe des « réticents ».

« La médecine générale, par définition elle est extrêmement, les champs de d'intervention sont extrêmement vastes, donc voilà tout ça ça fait partie des choses auxquelles on s'intéresse mais... plus ou moins selon les situations bien sûr... y'a des fois ça n'a aucune importance, y'a des fois ça a beaucoup d'importance...» (M20, sur le nombre d’enfants à charge) « Ca dépend de comment... c'est la manière dont on demande tout ça hein... si on est empathique ou intrusif, c'est pas pareil... c'est sur la manière dont on va demander ça... après on peut toujours leur dire qu'ils sont pas obligés de répondre à tout, que s'ils veulent pas répondre, c'est joker hein » (M13)

Ils trouvent certains critères réducteurs, ne permettant pas selon eux d’avoir une vision claire de la situation des patients. Ils élargissent alors le recueil de ces critères à des informations qui leur semblent plus pertinentes ou plus discriminantes.

« Sachant qu'en plus on peut être marié et puis... ne pas du tout s'entendre (rires) être en concubinage et avoir une histoire d'amour » (M13, sur la situation de famille) « C'est pas tellement le vivre seul, mais c'est surtout les ressources familiales, sociales... au sens relations humaines, quoi... l'isolement...» (M20, sur le fait de vivre seul) « La question, je la poserais différemment mais, ça revient au même, c'est de savoir si le logement il est stable ou pas. C'est à dire s'il y a la précarité dans le logement ou pas... ça c'est important... quels sont les risques que les gens se retrouvent sans logement ou... ? Et puis, on pourrait aussi regarder est-ce que les gens sont bien dans leur logement ?» (M13, sur le statut vis-à-vis du logement)

4.3.2. Les « militants»

Nous avons qualifié deux médecins de « militants » de ce recueil. En plus de l’intérêt qu’ils portent à l’ensemble des critères qu’ils recueillent déjà activement, ils élargissent leur recueil à d’autres informations parallèles qui leur semblent importantes. L’un deux évoque le caractère infini que pourrait prendre ce recueil, en fonction de la personnalité et de l’intérêt porté par chaque médecin.

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« Leur histoire de vie, de leur environnement, de… leur histoire professionnelle […] des problématiques sociales, des problématiques d'hébergement, des problématiques euh... qui peuvent être d'argent […] des problématiques judiciaires » (M12) « C'est important de connaître non seulement la profession et le poste de travail mais aussi le lieu et l'entreprise » (M6, sur la profession) « S’il y'a un conflit […] ça impacte la santé […] quand y'a de la violence dans la famille hein, aussi... violence conjugale… c'est des questions qu'il faut aborder » (M6, sur la situation de famille) « Après euh voilà c'est infini quoi... ‘croit aux esprits’, ‘adepte de l'homéopathie’, ‘ va à la messe 3 fois par semaine’, enfin on peut toujours... on peut tout mettre... je crois qu’on n’arrivera pas à faire quelque chose... d'exhaustif » (M12)

Ils déclarent retranscrire ces informations à l’écrit, dans le respect de la volonté du patient. L’un d’entre eux trouve un intérêt au recueil systématique, qu’il considère nécessaire pour pouvoir être considéré comme fiable.

« Ouais. Je recueille ça par écrit » (M6) « Ça m'arrive de demander au patient s'il est d'accord pour que je le note dans le dossier » (M12) « Si on veut le faire bien, il faudrait être assez systématique, c'est toujours pareil, dans les dossiers où il y a plein d'items qu'on n'a pas renseignés... on sait pas si on ne les a pas renseignés parce qu'on les a pas interrogés ou... qu'on les a renseignés et que c'est négatif […] c'est vrai que... être assez exhaustif ou du moins pouvoir renseigner dans le dossier qu'on a bien interrogé la problématique, c'est utile ouais » (M12)

Ils évoquent pour certains critères la nécessité d’un recueil à réaliser au fil du temps, après l’instauration d’une relation de confiance, pour éviter un recueil inquisiteur ou stigmatisant qui serait mal accepté par les patients. Sur ce point, ils rejoignent, dans une certaine mesure, le groupe des « réticents ». Le champ des données sensibles diffère toutefois entre ces groupes, puisque les « militants » incluent dans ces données sensibles les données financières et le pays de naissance, alors que les « réticents » incluent toutes les données qui ne sont pas en lien avec la pathologie. Les « militants » trouvent de plus un intérêt à l’ensemble de ces critères, même lorsque leur recueil nécessite de la prudence.

« Si on intervient ponctuellement dans l'histoire de quelqu'un qui est de passage […] ça peut paraître un peu... un peu abusif […] Ça doit... nécessite peut être euh… l'instauration d'une relation avant de... de pouvoir tout aborder » (M12) « Les gens le disent pas souvent... enfin le disent pas spontanément, qu'ils ont le RSA […] on insiste pas trop des fois hein... quand on les voit pour la première fois... après en les suivant plus longtemps, on peut en discuter» (M6, sur le fait de bénéficier de minima sociaux) « Le fait de demander le pays d'origine, ça peut avoir... peut-être une petite connotation... les gens peuvent interpréter ça de manière un petit peu... en disant ‘oui ce médecin il demande mon origine... donc c'est un peu raciste un peu...’ donc j'insiste pas trop... j'insiste surtout pour les primo-arrivants […] connaître le pays pour un primo-arrivant c'est important parce que... bon y'a le contexte géopolitique, de guerre, ou de crise économique, qui fait que les gens ont émigré » (M6, sur le pays de naissance)

Ces « militants » abordent le rôle du système de soins dans la création des ISS, même s’ils considèrent que la prise en charge de ces inégalités dépend surtout des politiques sociales. Ils jugent donc ce recueil indispensable pour réduire les ISS et faire prendre conscience aux politiques de la réalité de ces disparités. Ils sont dans une démarche explicite de réduction des ISS.

« [Est- ce que ce recueil peut s'intégrer dans la diminution des inégalités sociales de santé selon vous ?] Tout à fait. C'est indispensable... en sachant que les inégalités sociales de santé dépendent des

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inégalités sociales tout court... et que seul un changement social pourra réduire les inégalités sociales de santé... nous, on est intégrés dans un système de soins qui peut un petit peu impacter l'état de santé des gens mais... un petit peu. C'est à dire par exemple, paraît-il les femmes immigrées pauvres font moins de frottis que les autres femmes » (M6) « Je crois que c'est vrai pour toute la médecine générale, que chaque fois que nous on pourra produire des données de santé, pour démontrer l'impact de ce qu'on fait, l'intérêt de ce qu'on fait, les problématiques des gens qu'on soigne... c'est comme ça qu'on pourra faire avancer les choses » (M12)

Enfin, ils soulignent le manque de connaissances des médecins sur les ISS, et la nécessité d’améliorer le débat et les formations sur ce sujet.

« Les inégalités sociales de santé... ça parle pas à tout le monde ça hein. Ça parle pas à grand monde même » (M12) « Je pense qu'on s'en sortira pas si on travaille pas collectivement à essayer de réduire ces inégalités sociales de santé […] ce serait pas mal de... d'engager […] dans les associations de formation continue de se faire des sortes de clubs de réflexion sur les inégalités sociales de santé et essayer de bosser la dessus...» (M6)

Il est intéressant de constater qu’il existe des similitudes dans les pratiques professionnelles de ces deux médecins « militants ». Ils sont les deux seuls médecins à avoir déclaré parmi leurs activités professionnelles un engagement syndical, dans une structure s’intéressant à la question des ISS ; et leur parcours intègre la confrontation à des populations vulnérables spécifiques (vacations à la PASS, activité d’addictologie).

« J’ai un engagement syndical, et dans notre structure syndicale, on parle pas mal de ça... avec des gens qui sont très impliqués là-dedans euh, au niveau national, j'en connais un certain nombre donc euh... ISS je sais ce que c'est... » (M12)

4.4. Conclusion typologie

Nous avons, à travers cette typologie, rendu compte de différentes réactions des médecins face à cette proposition de recueil de données sociales. Elle nous a permis de voir que leurs réactions sont souvent liées à la façon dont ils recueillent déjà ces informations, à leur conception du soin, et à leur sensibilisation aux ISS. Leur façon d’adapter la prise en charge aux besoins des patients se fait de manière plus ou moins consciente, plus ou moins formalisée, plus ou moins construite, en fonction de leurs connaissances sur les déterminants de santé, les ISS, et le rôle du système de soins sur ces inégalités.

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DISCUSSION

1. FORCES ET FAIBLESSES DU TRAVAIL

1.1. Forces

1.1.1. Richesses de la méthode choisie

Nous avons choisi d’utiliser la méthode qualitative par raisonnement inductif, qui nous semblait la plus appropriée pour répondre à notre objectif. En effet, cette méthode a une approche compréhensive, permettant d’explorer les différentes pratiques médicales.

Même si l’intérêt pour le thème des ISS est grandissant, ce sujet reste assez récent. Au sein de ce thème, peu de travaux ont été réalisés concernant le recueil de déterminants sociaux dans les dossiers de médecine générale, et concernant l’avis des médecins sur un tel recueil. C’est pourquoi cette méthode qualitative avec une approche inductive sans modèle préétabli, inspirée de l’analyse par théorisation ancrée, nous paraissait la plus adaptée.

Afin d’explorer la pratique actuelle des médecins, nous leur avons posé des questions ouvertes concernant les différents critères proposés, les laissant libres de leurs réponses. Ces questions ont entraîné des réponses variables, parfois sur leur recueil effectif, parfois sur l’intérêt qu’ils trouvaient à ce critère, parfois sur l’intérêt potentiel d’un recueil plus approfondi. Cette méthode n’avait pas pour objectif d’avoir une évaluation chiffrée du recueil effectif des médecins, mais de soulever certaines problématiques. Elle a par exemple permis de mettre en avant l’ambiguïté du terme « recueil », avec les différentes réalités se cachant derrière la compréhension de ce terme, ou encore l’intérêt variable des informations contenues au sein d’un même critère. Ce travail qualitatif était donc nécessaire avant la réalisation d’une étude quantitative qui, sans ce travail préalable de définition des termes et des problématiques, n’aurait pas pu apporter d’informations fiables sur la réalité du recueil effectif des médecins généralistes. Cette méthode nous a également permis de définir les risques et les difficultés de ce recueil, ainsi que ses différents usages.

Un focus group aurait apporté un autre type de données intéressantes puisque la réflexion conjointe des médecins, et le dynamisme qu’elle entraîne, auraient pu produire plus d’idées que les entretiens individuels. Nous avons choisi d’utiliser des entretiens individuels pour leur capacité à aborder des sujets plus sensibles. Il pourrait toutefois s’agir d’une approche complémentaire à notre travail.

1.1.2. Travail d’équipe, triangulation des chercheurs

Ce travail a été élaboré avec l’aide de certains membres du groupe d’experts à l’origine des recommandations, dont nous avons pu suivre l’évolution et la publication en mars 2014, ainsi que la diffusion aux médecins généralistes en juillet 2014. Nous avons bénéficié du soutien et de l'aide méthodologique de certains membres de ce groupe durant notre travail.

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Cette thèse a été réalisée en binôme. Au-delà du bénéfice de cette collaboration pour l’étude d’une bibliographie riche et variée et la discussion des points problématiques, cela a permis un codage en double aveugle des entretiens, pour respecter le principe de triangulation des chercheurs, et ainsi augmenter la validité interne de l’étude, en limitant le biais lié à la subjectivité des enquêteurs. La mise en commun des codes a permis des échanges en cas d’omissions ou de discordances dans l’analyse, afin d’aboutir à un consensus. Nous avons également pu réaliser un nombre important d’entretiens, qui ont été nécessaires pour faire émerger le maximum d’idées et multiplier les chances d’atteindre la saturation des données, ainsi que pour construire une typologie cohérente. Malgré le temps important et les concessions qu’elle a nécessités, la rédaction de cette thèse en binôme nous a permis d’approfondir notre travail en réfléchissant ensemble aux idées à mettre en avant et à la façon de les formuler au mieux.

Enfin, la typologie a été élaborée en trinôme, avec notre directrice de thèse, afin de limiter le biais de subjectivité et d’enrichir la qualité de l’analyse.

1.1.3. Échantillon varié

Nous avons au total interviewé vingt-cinq médecins généralistes, installés en Loire-Atlantique et Vendée. Le recrutement a été diversifié, afin d’obtenir un échantillon à variation maximale. Nous n’avons volontairement pas précisé le sujet de notre étude lors du contact téléphonique avec les médecins, afin d’éviter le biais de volontariat. Nous avons débuté nos entretiens en recrutant les médecins par la méthode « boule de neige ». Mais nous avons observé un manque de diversité, les médecins interrogés nous proposant principalement les coordonnées de leurs amis, partageant souvent le même point de vue. Nous avons donc ensuite utilisé un mode de sélection plus aléatoire, en utilisant les Pages Jaunes, ce qui nous a aussi permis de choisir les médecins en fonction de leurs zones d’activité. Notre population était ainsi composée de médecins hommes et femmes, âgés de 34 à 63 ans, installés en secteur 1 ou 2, en zone rurale, semi-rurale ou urbaine (avec quartiers dits « difficiles », zones touristiques dites « favorisées »), et ayant des activités diversifiées (engagement syndical, membres du Conseil de l’Ordre des Médecins, maîtres de stage, contact avec des patients défavorisés, travail dans l’enfance ou en centre de planification familiale, temps partiel hospitalier, médecine d'urgence etc.).

Nous avons noté que quatorze des vingt-cinq médecins interrogés étaient maîtres de stage pour les internes. L’étude qualitative n’a pas pour objectif d’être représentative de la population générale, mais de mettre en avant différents avis. Ces quatorze médecins sont répartis dans les trois groupes typologiques, ce qui montre qu’ils ont bien des réactions variables sur les recommandations. De plus, leur représentativité importante chez les favorables peut faire réfléchir à l’existence d’un lien entre cette caractéristique et leurs réactions, même si les données dont nous disposons ne nous ont pas permis de confirmer cette hypothèse.

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1.2. Faiblesses

1.2.1. Faiblesses dans le recueil

1.2.1.1. Entame d’entretien ambiguë

Pour faire décrire aux médecins interrogés les données qu’ils recueillaient déjà dans leurs dossiers sans trop les orienter sur le sujet de notre thèse (notamment sur le sujet des ISS), nous avions décidé de leur demander quelles données « non biomédicales » ils relevaient. Nous cherchions ainsi à savoir s’ils citeraient spontanément les critères proposés par les recommandations.

Cette question n’était peut-être pas totalement judicieuse. Elle était en effet mal définie, le terme « biomédical » étant mal compris par les médecins, ce qui a entraîné des discordances dans les réponses apportées. En effet, certains critères des recommandations peuvent être considérés comme biomédicaux de manière évidente, comme le sexe et l’âge. Pour quelques médecins, la profession est considérée comme une donnée biomédicale, puisqu’elle peut être responsable de pathologies, de même que le nombre d’enfants chez les femmes puisqu’il s’agit d’antécédents gynéco-obstétricaux. Pour certains médecins enfin, un grand nombre de ces critères peuvent être considérés comme biomédicaux, puisqu’ils ont un impact de manière globale sur la santé du patient, et donc sur sa prise en charge médicale. Les médecins ont ainsi pu éluder ces critères à la première question, même s’ils les recueillent, jugeant qu’il s’agit de données biomédicales.

Cette entame nous a toutefois permis de révéler combien la frontière du « médical » reste sujette à discussion. De plus, si cette question ne permettait pas un discours spontané développé, elle permettait d’explorer les pratiques concrètes des médecins et d’illustrer certaines conceptions du soin. Un travail complémentaire sur l’évaluation concrète de leur recueil à travers l’examen des dossiers médicaux ou l’observation directe de leurs pratiques pourrait être envisagé.

1.2.1.2. Biais dans la réalisation des entretiens

Cette étude et la réalisation d’entretiens semi-directifs étaient une première expérience de recherche qualitative pour chacune de nous. Sans avoir eu de formation sur la technique de ces entretiens, nous avons probablement été à l’origine d’un biais influençant les réponses des médecins, en étant trop directives, ou en induisant parfois les réponses attendues, même si nous avons cherché à être le plus neutres possible. Le travail en binôme a aussi pu être à l’origine d’un biais dans la réalisation des entretiens puisque nous les avons réalisés à tour de rôle, à partir d’une grille d’entretien construite ensemble, mais sans prévoir de procédure ou formulation strictement identique. Cela a pu entraîner un défaut de reproductibilité, avec des différences dans les façons de poser les questions et relancer les médecins pour approfondir leurs réponses. A l’inverse, cela a pu permettre de mettre en avant différentes réactions ou de faire émerger différentes idées en variant le mode de questionnement propre à chaque enquêtrice, augmentant la richesse et la qualité des données.

Le thème des ISS et du rôle du médecin généraliste dans ces inégalités peut être un sujet sensible. Il peut parfois être difficile pour les médecins d’assumer leurs opinions, leur refus de recueil, ou leur conception du soin de manière générale, engendrant un biais de courtoisie. Un tel biais peut aussi être dû à un manque de neutralité de notre part ou au fait de présenter des recommandations, qui peuvent représenter aux yeux des médecins la « bonne » prise en

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charge. Conscientes de ce risque, nous avons constamment veillé à adopter une attitude compréhensive sans jugement afin qu’ils se sentent libres d’exprimer leur point de vue.

1.2.2. Saturation des données difficile à atteindre

L’obtention de la saturation des données a été difficile à apprécier. Lors de la réalisation des derniers entretiens, nous avions l’impression de ne plus voir de nouvelles idées émerger. Cependant, lors du codage initial, malgré le nombre important d’entretiens réalisés et de codes créés, nous n’avons pas atteint de manière formelle une saturation des données. En effet, de nouveaux codes étaient encore créés lors du codage du dernier entretien, et certains codes n'étaient retrouvés que dans un seul entretien.

Nous avons expliqué cela par le sujet de nos entretiens probablement trop vaste, et une analyse « par critères », responsable d’une multiplication du nombre de codes liée au fait que des codes identiques étaient créés dans différents critères. Notre codification était aussi probablement trop minutieuse et paraphrasée, ce que P. Paillé nomme la « prudence empirique » dans son article L’analyse par théorisation ancrée (59).

Dès l’étape suivante de l’analyse, lors du regroupement des codes en catégories puis thèmes, nous avons pu voir que de nombreux codes isolés se regroupaient au sein d’une même catégorie, et qu’ils n’apportaient finalement pas d’idées réellement novatrices. Ainsi, nous atteignons ce que Glaser et Strauss appellent la « saturation d’une catégorie ». P. Paillé reprend ce terme pour définir le phénomène selon lequel la catégorie est bien documentée au point que l'analyse ou les nouvelles entrevues n'y ajoutent rien qui puisse la remettre en question (59).

1.2.3. Faiblesses dans la construction de la typologie

Du fait de notre sensibilisation au thème des ISS suite à la réalisation de ce travail, nous avions tendance à nous positionner en faveur des recommandations. Ce positionnement pouvait entraîner un biais de subjectivité, et ainsi nuire à la qualité de l’analyse, notamment dans la construction de la typologie. Celle-ci nécessite en effet de schématiser et de regrouper, sans être réducteur, les différents avis évoqués à travers les entretiens. Nous avons veillé à ce risque tout au long de l’analyse, en adoptant au mieux la démarche compréhensive nécessaire à notre étude.

Lors de la construction de notre typologie, nous avons cherché à relier les réactions des médecins à certains facteurs pouvant permettre de les comprendre. De manière ponctuelle, nous avons envisagé un lien entre cette typologie et les activités des médecins (vacation hospitalière au contact de populations âgées, travail en contact avec la précarité, engagement syndical, activité au Conseil de l’Ordre, maîtres de stage). Nous n’avons cependant pas pu intégrer à la typologie des caractéristiques telles que le lieu d’exercice des médecins (rural/urbain, quartiers ZUS ou CUCS), leur âge, leur durée d’installation, ou les autres activités évoquées. En effet, nous n’avons pas retrouvé de ressemblances ou différences significatives entre les groupes de médecins sur ces caractéristiques. Cela peut venir du fait qu’il ne s’agit effectivement pas de facteurs permettant de comprendre leurs réactions aux recommandations, mais aussi du fait que nous leur avons laissé la liberté de répondre sur leurs activités particulières. Nous n’avons pas recueilli ces informations de manière organisée avec des questions ciblées, ce qui a peut-être été à l’origine d’une évaluation incomplète de ces activités. Un recueil plus organisé, une description des médecins reposant sur des hypothèses

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socio-anthropologiques élaborées, ou une ouverture vers des sujets plus larges (motivations soignantes, parcours de vie, etc.) auraient peut-être permis d’affiner cette typologie.

2. RÉSULTAT PRINCIPAUX

L’objectif de notre travail était d’évaluer le recueil actuel de données sociales par les médecins généralistes, et leurs réactions face aux nouvelles recommandations sur le sujet. Si comme nous l’avons vu, l’évaluation du recueil effectif s’est avérée compliquée, nous avons pu mettre en avant les problématiques qu’il soulevait, et les différentes modalités de recueil utilisées. Nous avons également pu décrire les différentes réactions des médecins face à cette proposition de recueil de données sociales, et relier ces perceptions à certaines conceptions du soin.

2.1. Repérage intuitif et non formalisé

Une des idées principales qui ressort de notre travail est que les médecins pensent le plus souvent connaître une partie ou l’ensemble de ces informations, et donc la situation sociale de leurs patients. Par ressenti, par suivi au long cours de leur patientèle, par l’écoute passive de ce que le patient peut leur confier, ou par des arguments indirects tels que la présentation ou le comportement de celui-ci, ils ont connaissance des situations, et ne ressentent donc pas souvent le besoin de recueillir activement ces données. Lorsqu’ils les recueillent, ce recueil est rarement formalisé, noté, et organisé tel que le proposent les auteurs des recommandations. Au cours de notre travail, le titre de ces recommandations a été modifié, puisque le terme « recueil » est devenu « enregistrement ». Ce nouveau terme invite de manière plus formelle à un recueil écrit, mais n’efface pas les questionnements sur le caractère actif et systématique du recueil.

Ce recueil intuitif et non formalisé rejoint les résultats de certaines thèses réalisées ces dernières années. A. Meslin a réalisé en 2013 sa thèse sur le repérage des situations de précarité par les médecins généralistes de Loire-Atlantique. Elle montre que les médecins généralistes considèrent le repérage de la précarité comme une de leurs compétences, mais qu’ils déclarent le faire d’abord intuitivement, puis secondairement orienté par l’interrogatoire ou l’examen clinique, mais peu par des questionnaires types ou des items spécifiques dans leurs dossiers. Ils utilisent certains indices validés de repérage, mais considèrent certaines données comme plus prédictives d’une situation de précarité : l’état dentaire, l’hygiène, le renoncement aux soins, la consommation de toxiques, ou encore certaines informations que l’on peut retrouver dans les recommandations, comme le logement (type et lieu d’habitation), la situation familiale/environnement social, et le fait de bénéficier de la CMU ou de la CMUc (57). Bien que son travail soit centré sur le dépistage de la précarité, là où le nôtre insiste sur l’intérêt de ces informations pour l’ensemble des patients, il nous paraît intéressant de voir que nos résultats se rejoignent sur la façon dont les médecins acquièrent ces informations.

B. Girard a réalisé en 2011 une étude comparant le score analogique clinique37 et le score EPICES pour dépister la vulnérabilité sociale. Cette étude tend à valider l’hypothèse que les

37 Score analogique clinique : score donné par le médecin généraliste grâce à un raisonnement analogique,

c’est-à-dire grâce à la somme des expériences et connaissances accumulées permettant de classer à un instant T un sujet dans un groupe aux propriétés et caractères communs(5).

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médecins généralistes parviennent souvent à identifier les patients vulnérables par un raisonnement analogique faisant intervenir les différentes connaissances et expériences accumulées (5). Les médecins ayant une plus grande ancienneté dans le métier et donc une plus grande expérience repèrent mieux la vulnérabilité sociale. Ceci est cohérent avec l’opinion de certains médecins que nous avons interrogés, qui déclarent qu’un recueil formalisé n’est pas indispensable pour évaluer la situation sociale de leurs patients, puisqu’ils parviennent à l’évaluer par leur connaissance au long cours de leur patientèle et leur expérience des situations. Ceci laisse supposer que ce repérage est plus difficile et moins fiable pour les médecins ayant peu d’expérience, rendant le recueil formalisé probablement plus intéressant dans ce cas.

Plusieurs médecins relèvent par ailleurs une connaissance insuffisante de certaines informations, ou des erreurs d’appréciation. Ils évoquent ce problème principalement pour l’évaluation des capacités de compréhension, de l’existence d’une couverture complémentaire, ou encore de la présence de difficultés financières. Il s’agit des critères les moins recueillis activement, et les plus souvent appréhendés de manière informelle. Un recueil plus organisé tel que préconisé par les recommandations, pourrait alors permettre une évaluation plus juste de ces informations, et un meilleur repérage de ces vulnérabilités.

2.2. Perspectives du recueil à développer

En analysant l’intérêt que les médecins trouvent aux différents critères et l’usage qu’ils en font, il est intéressant de voir que le premier intérêt cité est l’intérêt logistique et administratif, et que leur recueil se limite parfois à cette perspective. Lorsque des intérêts plus larges sont évoqués, on s’aperçoit que ceux-ci se recoupent souvent avec ceux prévus par les recommandations, dans le cadre des différents niveaux d’exploitation des données.

Les médecins évoquent surtout la façon dont le recueil de ces critères leur permet d’améliorer la prise en charge du patient, en connaissant mieux son environnement et ses difficultés, ce qui correspond au niveau 1 d’exploitation des données. Ils citent notamment la connaissance des conditions de vie et de logement, le dépistage des facteurs de risque pour la santé (avec notamment les risques professionnels), le repérage des situations de précarité ou de vulnérabilité, avec l’évaluation de la situation socio-financière, de l’accès aux soins, de l’entourage, et des capacités de compréhension. L’objectif de cette évaluation est d’adapter la prise en charge aux besoins du patient, à ses conditions de vie et de travail, et d’améliorer son recours aux soins et sa compréhension des informations médicales. Les critères ayant aux yeux des médecins un impact évident sur la santé ou la prise en charge de leur patient, ou un intérêt logistique sont bien recueillis : les données administratives, la profession, le statut par rapport à l’emploi, l’assurance maladie par exemple. A l’inverse, lorsque les médecins ont peu de connaissances sur l’impact du critère sur la santé du patient, celui-ci est peu recueilli ou mal accepté, car jugé inadapté, intrusif ou non pertinent. C’est le cas notamment pour le niveau d’études, le fait de bénéficier de minima sociaux, et la situation financière perçue. Chacun des critères a pourtant été défini par le groupe d’experts en tant que déterminant de la santé, car il est lié à des comportements de santé particuliers, ou est source de vulnérabilité, de difficulté d’accès aux soins ou de mauvaise santé. Il semble donc essentiel de développer les connaissances des médecins généralistes sur l’impact de ces critères, encore insuffisamment connu, pour en améliorer le recueil.

Les niveaux 2 et 3 d’exploitation des données ont en revanche été peu évoqués par les médecins, alors que toutes ces informations peuvent être exploitées à plus grande échelle.

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Concernant le niveau 2, les recommandations rappellent que le recueil de ces données permet au médecin de caractériser sa patientèle et d’envisager des actions répondant à ses besoins spécifiques : mise à disposition de supports d’informations sur certains risques professionnels, formation sur des pathologies fréquentes chez des groupes de patients identifiés, recherche de moyens humains ou financiers supplémentaires. L’analyse peut aussi permettre de prendre conscience d’une différence dans les soins apportés à ses patients selon leur situation sociale, comme les vaccinations, le dépistage des cancers gynécologiques (moins bon chez les femmes à emplois non qualifiés), ou la prévention cardiovasculaire (à développer chez les ouvriers, plus touchés par la maladie coronarienne). Connaître la profession ou la CSP des patients pourrait donc être une alerte pour corriger ces gradients, en améliorant les actes de prévention ou de dépistage chez les groupes de patients plus à risque ou moins bien dépistés actuellement. Cet intérêt n’a pas été cité par les médecins interrogés. Nous pouvons faire l’hypothèse que cela est lié à la difficulté d’établir un lien entre ces études et les possibilités d’adaptation de leur pratique.

Concernant le niveau 3, le recueil systématique de ces informations sur la situation sociale ouvre le champ à de nombreuses possibilités d’exploitation à l’échelle populationnelle, dans le cadre de travaux de recherche et d’interventions en santé publique. Les recommandations demandent aux éditeurs de logiciels de prévoir une structuration de la base de données et des applications permettant d’extraire facilement ces données pour pouvoir notamment les utiliser à grande échelle ou les comparer entre elles. Ce niveau 3 d’exploitation a été cité par quelques médecins, sensibilisés aux ISS et à la recherche (les « favorables »), mais n’a pas été abordé par les autres. Cela explique que la CSP, exploitée principalement à ce niveau, soit peu recueillie par les médecins.

Ces deux perspectives d’évaluation des pratiques et de production de données de santé publique mériteraient donc d’être mises en valeur, pour améliorer la légitimité de ce recueil de données. En effet, les médecins généralistes sont déjà souvent compétents dans la réduction des ISS, chacun à leur mesure, en adaptant leur prise en charge de manière plus ou moins consciente après l’évaluation de la situation du patient. Élargir leurs perspectives de recueil à ces trois niveaux d’exploitation des données permettrait de répondre aux inquiétudes d’un recueil parfois mal vécu, jugé intrusif ou stigmatisant, et valoriserait les pratiques des médecins généralistes.

2.3. Limites importantes à prendre en compte

2.3.1. Recueil systématique jugé intrusif et parfois inutile

Quelle que soit la description typologique des médecins, l’idée d’un recueil systématique pose question. Que ce soit par manque de temps, ou par peur d’être intrusif ou inquisiteur lorsqu’il s’éloigne de la problématique exprimée par le patient, le recueil systématique semble éloigné de la pratique habituelle des médecins. Ils craignent que celui-ci n’altère la relation de confiance médecin-patient, dans laquelle le patient confie ce qui lui semble important à confier, et le médecin ne demande que ce qu’il juge intéressant à connaître. Si le champ des données sensibles est variable selon les médecins, de nombreux critères ne sont ainsi pas recueillis de manière systématique, mais seulement lorsque le contexte le nécessite.

Il nous paraît important d’insister sur le fait que dans les recommandations, les seize critères ne sont pas à recueillir systématiquement d’emblée puisque les neuf critères du second groupe sont à recueillir au cours du suivi, ce qui n’a pas toujours été compris par les

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médecins interrogés malgré nos explications. Un médecin soulève cependant la problématique de la présence de cases, qui pousserait d’après lui à un recueil systématique pas toujours adapté. Si le fait de visualiser des cases à remplir pousse au recueil systématique, et devient dans ce cas intrusif au détriment de la relation médecin-patient, les recommandations, au-delà d’être ou non acceptées, présentent un réel risque. Peut-être serait-il alors nécessaire que les neuf informations à recueillir au cours du suivi ne soient pas visibles au même titre que les critères indispensables, mais apparaissent dans un onglet à part, ou dans un battant « + », à ouvrir au moment opportun. De nombreux médecins ont mis en avant ce problème d’intrusion. Il nous paraît donc important de rappeler que les recommandations ont évoqué ce problème, et rappellent avant toute présentation de la liste des critères, que ce recueil « a pour finalité une amélioration de la qualité des soins dispensés », et qu’ « il convient de respecter la liberté du patient de donner ou non ces informations, et d’en garantir la confidentialité liée au secret professionnel » (1).

Les médecins expriment également que toutes ces informations n’ont pas forcément d’intérêt lorsqu’il n’existe pas de problématique particulière. Ce questionnement autour du recueil systématique nous paraît venir du fait que les ISS sont pour beaucoup synonymes de « précarité », de « problématique psycho-sociale », sans notion du gradient de santé touchant toutes les classes de la société. Sensibiliser les médecins aux ISS et à l’existence de ce gradient est donc essentiel. Cela pourrait mettre en avant l’importance de la connaissance de ces informations chez tous les patients, et donc la nécessité de recueil élargi quels que soient le patient et la situation.

2.3.2. Peur de stigmatiser et de catégoriser

Les médecins interrogés nous ont aussi souvent fait part d’une crainte de stigmatiser les patients. Que ce soit lors du recueil de la CSP, du niveau d’études, des capacités de compréhension du langage écrit, du pays de naissance, ou de l’adresse via le quartier concerné, le risque de classer les patients dans des cases réductrices et d’adapter leur prise en charge en fonction de cette catégorisation inquiète les médecins.

Le groupe pluri-professionnel nantais à l’origine d’un score permettant de dépister la précarité, déjà évoqué dans l’introduction, a réfléchi à la question de la pertinence de vouloir catégoriser les populations en situation de précarité sociale (53). Les auteurs rappellent que la précarité est un phénomène complexe, en perpétuel mouvement, caractérisé par l’instabilité des trajectoires de vies et des vulnérabilités individuelles. La catégorisation présente alors la précarité comme un phénomène statique, et expose au danger, au niveau individuel, donc dans le cadre du niveau 1 d’exploitation des données, d’une stigmatisation de ces populations, risquant de renforcer les phénomènes de précarisation, comme par exemple les refus de soins, les soins différenciés en fonction de la catégorie sociale, etc. (53). Les auteurs soulignent que cette catégorisation est cependant nécessaire pour les médecins, afin de décrire les populations et leurs besoins, évaluer les actions mises en place, adapter les offres des soins et fournir des données de santé publique, ce qui correspond aux niveaux 2 et 3 d’exploitation des données présentés dans les recommandations.

Si notre travail ne se limite pas à l’évaluation de la précarité, l’idée de catégoriser et de stigmatiser les patients inquiète les médecins, et rejoint donc bien cette problématique. Réfléchir à ce risque de stigmatisation nous semble être un moyen pertinent pour s’en protéger. En effet, l’objectif de ce recueil n’est pas de catégoriser les patients pour imposer à chaque catégorie un type de soin, un type de communication. L’objectif est bien de prendre en compte l’ensemble des caractéristiques sociales pour identifier la vulnérabilité potentielle de

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chaque patient, faire du sur-mesure, en adaptant sa pratique aux besoins réels de celui-ci. La valorisation de cette adaptation des pratiques, et des différents intérêts du recueil, notamment des différents niveaux d’exploitation des données, pourrait permettre de répondre à cette crainte légitime exprimée par les médecins généralistes.

Quelques médecins se sont interrogés sur la difficulté de définir la « position sociale » des patients. Le titre des recommandations a évolué au cours de notre travail, en remplaçant « position sociale » par « situation sociale ». Ce nouveau terme atténue l’idée de hiérarchie que l’on pouvait retrouver dans le terme « position », et pourrait participer à diminuer cette crainte de catégoriser les patients.

2.3.3. Difficulté de la mise à jour des données

De nombreux médecins nous ont fait part du problème de l’évolutivité des données et de la difficulté de mise à jour des informations, comme frein à ce recueil. Une grande majorité de ces informations évolue régulièrement, et les patients n’informent pas spontanément leur médecin de ces modifications. Le médecin ne pense pas toujours à actualiser ces informations, sauf s’il existe un lien avec le motif de consultation. De nombreuses informations erronées sont ainsi présentes dans les dossiers, responsables d’une évaluation faussée de la situation du patient. Ce recueil nécessiterait une vérification et une mise à jour permanente de ces informations, chronophage pour le médecin.

La situation sociale du patient évolue effectivement de jour en jour. Il semble donc important que les dates de renseignement de chaque information apparaissent clairement afin de pouvoir évaluer la temporalité de ces données et les mettre à jour. Les auteurs des recommandations ont réfléchi à cette problématique et demandent aux créateurs de logiciels d’horodater automatiquement toute information et de sauvegarder un historique des données, en soulignant l’importance de cette temporalité.

2.3.4. Questionnements sur certains critères

Nous avons choisi d’interroger les médecins sur chacun des critères proposés afin de connaître leur acceptabilité sur le recueil de chacune de ces informations. Nous nous sommes aperçu que la plupart, de manière plus ou moins évidente, ont été source de questionnements, que ce soit sur l’évidence du recueil, leur intérêt, leurs modalités, ou encore les limites ou difficultés qu’ils pouvaient comporter.

2.3.4.1. Trois premiers critères évidents

Devant la présentation des trois premiers critères (le sexe, la date de naissance et l’adresse), et surtout des deux premiers, la réaction des médecins généralistes a souvent été assez mitigée. En effet, après avoir introduit le sujet en parlant de recueil de situation sociale, de lutte contre les ISS, et du rôle du médecin généraliste dans cette lutte, le recueil de ces trois critères paraissait d’une telle évidence que les médecins n’ont parfois pas caché leur surprise, voire leur déception face à cette proposition qui ne leur semblait pas novatrice. Il s’agit de critères que les médecins recueillent déjà tous de manière systématique, même lorsqu’ils ne connaissent pas leur impact en termes d’ISS. Nous avons parfois eu l’impression que cela décrédibilisait le début de nos entretiens. Dans les recommandations, la logique veut que ces informations apparaissent en début de listing. Le fait de les avoir rassemblées dans un seul

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chapitre très synthétique, sous le titre « date de naissance, sexe et adresse », est judicieux pour éviter qu’elles ne démotivent le lecteur, comme cela a parfois été le cas lors de nos entretiens.

2.3.4.2. Certains critères difficiles à recueillir, voire refusés

L’analyse par critères nous a permis de remarquer que certains critères posaient problème à la plupart des médecins interrogés. Nous revenons ici sur les plus problématiques.

Les capacités de compréhension du langage écrit du patient sont difficiles à recueillir de manière standardisée. La question « Avez-vous besoin d’aide pour comprendre des ordonnances ou des documents d'information médicale remis par votre médecin ou votre pharmacien ? » ne semble pas simple à poser dès la première consultation, et aucun médecin ne répond clairement être disposé à le faire. Les médecins réagissent sur l’évaluation des capacités de compréhension au sens large et reconnaissent être souvent confrontés à cette difficulté, mais recueillent peu cette information de manière active : ils utilisent plutôt leur ressenti, ou les difficultés exprimées par le patient, pour évaluer cette information. L’utilisation de vocabulaire tel que « un niveau intellectuel un petit peu au ras des pâquerettes » (M15), « un petit peu limités » (M4), « les neuneus quoi » (M1) oriente également vers cette évaluation intuitive des capacités de compréhension des patients, sans recueil actif et formalisé. Ce vocabulaire peut aussi évoquer une idée de jugement et de hiérarchisation des patients par les médecins suite à la connaissance de cette information, ce qui pourrait expliquer une réticence à recueillir ce critère. Le groupe de travail rappelle qu’avec ce critère, il s'agit d'explorer non pas seulement la barrière de la langue, mais la littératie en santé38, qui est un déterminant des ISS faisant l'objet de nombreuses études. La compréhension du langage écrit est une des composantes de la littératie en santé, et son recueil a donc été retenu pour sa faisabilité en cabinet de médecine générale. La sensibilisation des médecins à la problématique de la littératie en santé et à l’importance de son impact sur la santé des patients permettrait de valoriser la nécessité du recueil de cette information.

La CSP est redondante avec la profession pour la quasi-totalité des médecins interrogés. Si quelques-uns abordent le niveau 3 d’exploitation des données et reconnaissent l’intérêt de cette information en tant que donnée macro-économique, la plupart d’entre eux n’évoquent pas cette utilisation, et ne recueillent pas ce critère qu’ils jugent inutile. Il nous semble alors important de mettre en valeur les différents niveaux d’exploitation des données, et la possibilité d’extraire cette information des logiciels, pour décrire sa patientèle, évaluer sa pratique, ou créer des données de santé publique.

La situation financière perçue est difficile à recueillir pour l’ensemble des médecins interrogés. Si certains ne sont pas opposés à parler de difficultés financières, seul un d’entre eux adhère à la formulation de cette question. De nombreux médecins y sont par contre formellement opposés, la jugeant trop intrusive, et s’éloignant du rôle du médecin généraliste. Cette limite est également citée par la plupart d’entre eux pour le fait de bénéficier de minima sociaux. Il nous paraît important d’avoir mis cette idée en avant, car recommander ce recueil de données alors qu’il semble encore peu acceptable, conduirait selon nous à un recueil peu fiable, et peu exploitable (données non renseignées, ou renseignées selon le ressenti du médecin, etc.). Cette recommandation peut cependant être un premier pas pour initier la réflexion des médecins sur le rôle du recueil de ces critères, qui sont liés à de nombreux

38 Définition de la littératie en santé : capacité des individus à obtenir, traiter et comprendre les informations

de base et les services requis pour prendre des décisions appropriées en termes de santé.

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comportements de santé. Étudier l’acceptabilité des patients sur le recueil de ces données financières pourrait permettre d’avancer sur ce questionnement.

Il existe enfin certains critères qui, s’ils ne posent pas problème lors de leur présentation initiale, posent question sur les informations à recueillir effectivement. Certaines informations préconisées par le groupe de travail au sein de ces critères paraissent importantes pour les médecins mais d’autres moins. C’est le cas du statut vis-à-vis du logement, qui est reconnu comme important, mais dans lequel l’information propriétaire/locataire ne semble pas intéressante ni discriminante. De la même manière, le fait de bénéficier de minima sociaux semble important pour l’AAH, alors que le RSA est peu recueilli. Pour l’assurance maladie, l’existence d’une couverture obligatoire, le numéro de sécurité sociale, et le statut CMU/AME est souvent connu mais l’existence d’une complémentaire santé est peu recueillie. Insister sur le lien entre ces facteurs et leur impact sur la santé pourrait permettre une meilleure acceptabilité de ce recueil.

Concernant la situation familiale, le fait d’être marié n’est pas considéré par les médecins comme une information importante par rapport au fait d’être en couple. Ces résultats sont en adéquation avec l’évolution des recommandations, où le critère « situation de famille » est devenu « le fait d’être en couple » dans le document final.

2.4. Leviers d’action adaptés à la typologie

À partir de la typologie construite, nous avons réfléchi à différents leviers pouvant permettre une meilleure acceptabilité des recommandations. En effet, aux différents groupes typologiques correspondent différentes conceptions du soin et différents degrés de sensibilisation aux ISS. Les moyens pour favoriser la mise en place des recommandations seraient donc à pondérer et à adapter à cette typologie.

2.4.1. Leviers pour les « réticents »

Les « réticents » recueillent peu de données de manière active, en dehors de la perspective qu’ils jugent utile : biomédicale, logistique, ou de transmission de l’information. Nous avons remarqué que ces « réticents » sont souvent peu sensibilisés aux ISS et aux déterminants de santé, et que leur approche du soin est centrée sur la prise en charge de la maladie. En amont de ces recommandations, un levier pourrait être de sensibiliser les médecins au modèle bio-psycho-social et au rôle des déterminants sociaux sur la santé des patients, pas seulement en tant que facteurs explicatifs de pathologies, mais comme facteurs impactant sur la vie et la santé au sens plus large.

Par ailleurs, ce groupe de « réticents », et surtout les « confidents », accorde beaucoup d’attention à la confidentialité des données, et s’inquiète du caractère intrusif de ce recueil. Il serait donc intéressant de travailler sur l’acceptabilité de ce recueil par les patients, en s’assurant de la transmission des résultats de ces études aux médecins généralistes. Il nous paraît aussi important de rappeler que le recueil des neuf critères du second groupe est à réaliser au cours du suivi, éventuellement en travaillant avec les créateurs de logiciels pour créer deux zones de recueil bien distinctes.

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2.4.2. Leviers pour les « mobilisables »

Les « mobilisables » recueillent plus de données de manière active, et sont ouverts aux recommandations.

Pour les « mobilisables spécialistes », le risque est de passer à côté de la problématique si elle n’intéresse pas leur domaine et si elle n’est pas exprimée par les patients, ce qui est souvent le cas puisque ces derniers n’ont eux-mêmes pas conscience des inégalités. Il s’agirait alors d’élargir les perspectives de recueil au-delà de la gestion d’une problématique particulière, en soulignant que la vulnérabilité et les ISS ne sont pas toujours synonymes de plainte ou de problématique psycho-sociale, mais concernent toutes les classes de la société à travers un gradient de santé.

Pour les « mobilisables complexes », il serait important de formaliser et de standardiser le recueil qu’ils font déjà, en leur rappelant l’importance et l’intérêt de chacun des critères. Ils sont déjà dans une démarche de compréhension du contexte de vie des patients, mais ne s’interrogent pas toujours sur la problématique des ISS, et ne sont pas dans une démarche explicite de réduction de celles-ci. Il s’agirait donc de valoriser leur pratique en intégrant leur démarche compréhensive à une démarche de réduction des ISS. Il serait également intéressant de mettre en avant les différents niveaux d’exploitation des données, pour motiver ce recueil standardisé.

Les « mobilisables », s’ils ont une vision du soin déjà bio-psycho-sociale, ont des connaissances sur les ISS limitées, et celles-ci sont souvent centrées sur l’accès aux soins. Un des leviers serait donc de proposer d’intégrer le thème des ISS au programme de développement professionnel continu. Une évaluation des pratiques professionnelles incluant les critères sociaux de leur patientèle pourrait les aider à prendre conscience des différences de soins parfois observées et donc du rôle du système de soin et du médecin généraliste dans les ISS.

2.4.3. Leviers pour les « favorables »

Les « favorables » recueillent déjà activement ces informations, de manière plus ou moins systématique.

Chez les « vigilants », insister sur la notion de gradient de santé, et donc l’importance de connaître ces informations chez tous les patients, paraît important face à leur réserve sur le systématisme du recueil, et leur volonté de rechercher ces informations uniquement en cas de besoin. Il serait également important d’insister sur le fait que celui-ci peut et doit se faire au cours du suivi, dans le respect de la volonté du patient.

Chez les « militants », il s’agirait de valoriser le recueil qu’il font déjà en le standardisant, et de maintenir leur motivation à travers des groupes de réflexion et de partage d’expérience sur le thème des ISS, comme cela été proposé par l’un d’entre eux.

Les « favorables » font référence à des notions documentées sur les ISS, et ont connaissance des différents niveaux d’exploitation des données. Ils s’interrogent également sur le fonctionnement du système de soins. Il serait intéressant, comme pour les autres groupes, de développer ces connaissances, notamment en insistant sur le rôle que le médecin généraliste et le système de soins peuvent jouer dans la création d’ISS à travers les différences de soins mis en place. Il est souvent difficile de prendre conscience de ces différences au quotidien, et sensibiliser les médecins généralistes sur ce sujet permettrait d’y apporter un regard critique, en vue d’une modification des pratiques. Stimuler la réflexion autour des ISS,

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en proposant des réflexions sur l’organisation des soins primaires, le mode de financement des structures de soins, permettrait également de valoriser leurs connaissances et de maintenir leur motivation.

3. RÉFLEXIONS AUTOUR DE LA CONCEPTION DE L’ÉQUITÉ DES SOINS

À travers ce travail, nous avons pu voir que chacun des médecins, parfois sans le savoir ou sans le faire explicitement, prend en compte le contexte social du patient, ses conditions de vie, ses ressources éducatives et financières, et son accès aux soins ; et que chaque médecin adapte, souvent inconsciemment, sa prise en charge à ce contexte social.

Cette adaptation donne lieu de la part de nombreux médecins à une justification et une ambivalence dans leurs propos. L’idée de traiter les patients différemment ne leur semble pas acceptable. Ils disent vouloir soigner tous les patients de la même manière, alors qu’ils expliquent comment ils adaptent leur prise en charge. Ils ont ainsi une prise en compte inconsciente des ISS, et une adaptation au contexte social du patient qui s’approche du « sur-mesure », mais ont une volonté affichée de soins similaires pour tous. Cette idée est particulièrement visible dans les propos de M18 : « Globalement j'essaie de pas trop faire de différence entre les gens... quoiqu'il arrive... […] sauf bien sûr à m'adapter aux gens qui ont plus de difficultés quoi... mais... pour moi la prise en charge médicale, c'est la même » (M18).

Un seul médecin décrit explicitement la nécessité de traiter les patients différemment en faisant du sur-mesure, afin de parvenir à une égalité de résultats.

Se pose alors la question du but recherché dans la prise en charge des patients: est-ce une égalité dans les moyens mis en place comme ils semblent l’exprimer? Ou à l’inverse, une égalité dans les résultats obtenus, nécessitant alors une adaptation des moyens mis en place ?

3.1. Rechercher l’équité

Pour l’OMS, l’objectif à atteindre est l’équité en santé, c'est-à-dire « l’absence de différences évitables ou remédiables entre différents groupes de personnes, qu’ils soient définis selon des critères sociaux, économiques, démographiques ou géographiques » (60).

L’équité se mesure à l’aune d’un jugement de valeur selon lequel une inégalité sera qualifiée de juste ou injuste. Certaines disparités dans l’état de santé ou la consommation de soins, comme une plus grande consommation de soins pour les personnes âgées, sont attendues, voire légitimes, et considérées comme justes. A l’inverse, des disparités telles qu’un meilleur état de santé dans les classes socio-économiques les plus favorisées sont jugées inacceptables, si le principe retenu est celui des besoins de santé des individus. Ainsi, si la santé ou l’accès aux soins présentent une forte corrélation avec certaines caractéristiques individuelles indépendantes des besoins, l’inégalité observée sera considérée comme inéquitable (61).

Il nous paraît donc important de distinguer les termes d’égalité et d’équité en santé. Selon la Banque de Données en Santé Publique, l’égalité en santé renvoie à l’idée de distribution de « services de santé de qualité égale, disponibles et accessibles à tous » (6). La notion d’équité en santé renvoie à l'idée que les services proposés sont différents, c'est-à-dire non strictement identiques pour tous. Son objectif est de mieux prendre en compte les besoins, les demandes

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et les difficultés des personnes, afin d’arriver à des opportunités similaires pour tous et de réduire les écarts de santé au niveau le plus bas possible. Elle renvoie donc à une notion de justice sociale. On ne peut parler d’équité en santé sans parler du principe de justice distributive, défini par Aristote, à travers les concepts d’équité verticale et d’équité horizontale, qui viennent conforter cette distinction entre égalité et équité. L’équité verticale requiert que les « inégaux » soient traités inégalement. Si les individus diffèrent selon leur capacité à payer, le respect de l’équité verticale suggère que les plus riches contribuent davantage que les plus pauvres. L’équité horizontale requiert, elle, que des individus égaux soient traités également, c’est-à-dire que des individus présentant des caractéristiques similaires en termes d’état de santé ou de pathologies reçoivent des prestations de soins similaires et que toute discrimination en fonction d’une autre caractéristique individuelle ne peut être tolérée (61).

Ainsi, une prise en charge équitable ne cherche pas une stricte égalité dans l’accès aux soins ou encore dans l’utilisation des services de santé. Il est nécessaire d’introduire d’autres dimensions telles que le niveau de besoin individuel, la facilité à payer ou, plus généralement, les caractéristiques socioéconomiques, démographiques et de santé individuelles, pour adapter sa prise en charge en fonction de ces besoins.

3.2. Le concept de « capabilité »

A. Sen, prix Nobel d’économie, a travaillé sur les inégalités sociales, et développé dans son livre Repenser l’inégalité, une notion qui nous a semblé intéressante, celle de « capabilité ». Il rappelle que si la formule « Tous les hommes naissent égaux » passe couramment pour un pilier de l’égalitarisme, ignorer les distinctions entre les individus peut en réalité se révéler très inégalitaire, dissimulant qu’une considération égale pour tous implique peut-être un traitement très inégal en faveur des défavorisés. Il développe alors une nouvelle notion, celle de « capabilité » dont dispose la personne de réaliser les « fonctionnements » qu’elle souhaite valoriser. Il peut s’agir de fonctionnements des plus élémentaires (être bien nourri), ou de certains accomplissements plus complexes ou subtils (prendre part à la vie de la communauté). La capabilité d’accomplir représente les possibilités, les chances qu’a l’individu de réaliser ses objectifs. Il se concentre ainsi sur la liberté d’accomplir et pas seulement sur le niveau d’accomplissement effectivement atteint (62).

A. Boutayeb, professeur au Réseau Français des Instituts d’Études Avancées, explique ce concept comme l’égalité des capacités à convertir les possibilités offertes en acquis concrets. Les individus doivent ainsi avoir les mêmes capacités de mener le genre de vie qu’ils désirent (6). Pour ramener cette théorie à celle de l’équité verticale ou horizontale, l’exemple suivant nous a paru édifiant : si deux individus A et B nécessitent les mêmes soins et si les services qui offrent ces soins sont disponibles, on pourrait hâtivement conclure qu’il s’agit d’une équité horizontale. Cependant, si la personne A est suffisamment instruite pour suivre le traitement dans les règles tandis que B est dans l’impossibilité de le faire seule, ils n’ont pas alors la même « capabilité », et il s’agira plutôt de mettre en œuvre le principe d’équité verticale qui exigera que B reçoive un soutien plus important pour le suivi correct du traitement (2).

Cette dimension de « capabilité » nous a paru correspondre à l’objectif que le médecin généraliste devrait rechercher au quotidien, en adaptant sa prise en charge aux besoins de chaque patient, pour lui offrir les mêmes chances de réaliser ses objectifs.

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3.3. Des soins universels ou sur-mesure ?

Nous avons vu que les interventions universelles, c’est-à-dire celles qui s’appliquent à tous les patients, comme les recommandations de bonne pratique, correspondent à une égalité de moyen pour tous, et accentuent souvent les inégalités, en bénéficiant plus aux patients plus favorisés. Il est alors licite de s’interroger sur l’intérêt de réaliser des interventions ciblées sur les populations en ayant le plus besoin.

Comme nous l’avons évoqué dans l’introduction de cette thèse, une étude menée sur quinze mois au Royaume-Uni, entre 1986 et 1987, illustre bien la différence entre égalité et équité, et interroge donc sur cette question de soins universels ou sur-mesure. Cette étude compare deux types de communautés, de statuts sociaux très différents, ayant un accès similaire à une équipe de soins de santé primaire. Elle montre que la communauté défavorisée présente un taux de morbidité plus élevé et un intérêt moindre en matière de soins préventifs. Elle suit ensuite de manière différentielle 590 patients dans chacune des deux communautés. Les patients de la communauté favorisée continuent de recevoir les prestations habituelles de prévention alors que des mesures supplémentaires sont adoptées pour les patients de la communauté défavorisée (carte fixée sur la première page du dossier médical des patients, avec des cases pour les items de soins préventifs appropriés, incitation par les médecins et les infirmières à encourager les soins préventifs manquants, envoi de lettres d’incitation ou de félicitations, interventions à domicile, etc.). Ce programme montre une amélioration considérable de la délivrance de soins préventifs à l’égard des patients défavorisés avec une hausse significative de la proportion des vaccinations chez les enfants, une amélioration du taux de frottis vaginal pour toutes les classes d'âge, ainsi qu’une inversion significative de la tendance pour les autres critères (vaccination antitétanique, pression artérielle, analyse urinaire, etc.) (42). Ce programme s'inscrit dans une démarche équitable et non égalitaire en termes de moyens, puisque les mesures du programme sont appliquées spécifiquement aux patients de la communauté défavorisée. Il est légitime de penser que si les patients de la communauté favorisée avaient bénéficié des mêmes attentions, la santé globale des deux groupes aurait été améliorée mais l'écart de soins préventifs entre les deux populations aurait perduré (42). Cette étude montre donc qu’il est possible de réduire le gradient entre deux populations de statuts sociaux très différemment, en offrant des soins différenciés à chacune de ces deux populations.

Si ces interventions ciblées ne présentent pas le risque d’accentuer les inégalités, et semblent à même de les réduire, elles nous paraissent cependant poser un questionnement éthique évident, en préconisant une intervention différenciée du médecin, ciblée chez certains patients à partir d’un tri basé sur des critères sociaux. La bonne mesure se trouve probablement dans le mélange des deux approches : améliorer la santé globale de la population à travers des interventions universelles ; et utiliser des interventions permettant de réduire les inégalités, en adaptant chaque prise en charge aux besoins des patients, pour obtenir plus d’équité (46).

3.4. Sensibiliser à l’équité des soins, un levier important pour une meilleure acceptabilité des recommandations

Nous l’avons vu, les médecins interrogés affichent une volonté de soins similaires, malgré une adaptation souvent inconsciente de leur prise en charge aux besoins des patients. En effet, ce recueil est pour eux sensible car il peut être source de pratiques différenciées, ce que les

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propos de M25 illustrent bien : « Je fais pas de différence. Je crois même que je préfère ne pas le savoir pour être sûr de faire pareil à tout le monde » (M25).

Les recommandations relèvent dès l’introduction que « les acteurs des soins primaires se doivent de prendre en compte ces inégalités pour adapter leur prise en charge en cas de besoin » (1). Travailler sur cette conception de l’équité des soins, sur la différence entre égalité et équité, et valoriser les adaptations de prise en charge effectuées par les médecins pour s’adapter aux besoins de leurs patients, seraient un levier générique pour une prise en charge sur-mesure, qui serait plus à même de réduire les ISS. Ceci lèverait probablement une part de la tension provoquée par cette proposition de recueil.

4. LA FORMATION DES MÉDECINS SUR LES ISS

L’analyse de nos entretiens a montré des vécus très différents des ISS selon les médecins, mais d’une manière générale, une connaissance assez limitée, ou très fragmentaire de ces inégalités et des déterminants sociaux de la santé. Les médecins sensibilisés au sujet relèvent un manque d’intérêt pour ce thème chez une majorité de la communauté médicale. Certains médecins ont également exprimé leur manque de connaissances sur les recours et aides disponibles face aux problématiques d’ordre social, et disent limiter leur recueil par peur de ne pas savoir répondre aux demandes des patients.

Tout médecin généraliste est confronté à ces ISS dans sa pratique quotidienne, et la prise en charge des problématiques sociales entre pleinement dans sa mission. Dans le contexte actuel d’inégalités grandissantes, il semble essentiel qu’il puisse avoir une conscience claire de ces problématiques, et du rôle qu’il peut avoir. Cela nous a conduites à réfléchir à la formation des médecins généralistes sur les ISS, comme levier pour l’acceptabilité de ces recommandations, et plus largement, pour la prise en compte de ces inégalités et l’amélioration de leur pratique.

4.1. Des médecins peu formés

Le rapport du HCSP de 2009 affirme que les programmes de formation des professionnels de santé ne laissent qu’une place réduite aux connaissances sur les déterminants sociaux de la santé, en reflétant une vision essentiellement biologique, axée sur les soins curatifs, au détriment d’approches socio-économiques, culturelles et macro-sociales. Il souligne que la réduction des inégalités sociales n’est pas reflétée dans la formation initiale des futurs professionnels de santé. Si des modules de sciences humaines et sociales ont été introduits dans les premières années de médecine, cet apport reste selon eux marginal, par rapport à l’approche médicale (9).

Plusieurs travaux de thèses récents vont dans le sens de cette constatation. Le travail de thèse de B. Girard, que nous avons déjà décrit, souligne que les médecins généralistes manquent de connaissances sur les déterminants psycho-sociaux de la santé, sur la clinique des ISS, ou sur les compétences à mobiliser pour faire face aux multiples besoins des personnes à risques (4). C. Lemaire a complété ce travail en 2012 par une étude qualitative sur les représentations des médecins généralistes sur les ISS. Elle conclut que ces représentations dépendent principalement de l’intégration du modèle bio-psycho-social dans leur pratique, ce qui semble se rapprocher des résultats présentés dans notre typologie. Plus ce modèle est

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intégré, plus les médecins repèrent facilement la vulnérabilité sociale. Les connaissances sur les ISS et sur la vulnérabilité sociale semblent acquises de façon empirique, par l’expérience, mais manquent d’un socle théorique. Les médecins interrogés relèvent les faiblesses de la formation médicale initiale dans ce domaine, se traduisant par des difficultés de repérage de la vulnérabilité sociale par les jeunes médecins généralistes par rapport à leurs aînés (8). A. Moutel décrit également dans sa thèse que si les médecins généralistes repèrent en partie la précarité et la vulnérabilité sociale de leurs patients, et estiment que leur rôle est d’orienter et de soutenir ces personnes, ils se considèrent mal formés et mal informés des recours et aides disponibles (63).

Une étude réalisée à Marseille auprès des internes de médecine générale en 2012 par I. Meriaux et S. Ernst s’est attachée à étudier leurs connaissances et représentations sur les ISS, les dispositifs d’accès aux soins et les personnes bénéficiaires. Elle montre que les étudiants ont une conscience partielle des ISS, se limitant souvent à une opposition entre pauvres et « non-pauvres », sans notion de gradient social de santé. Ils ont une vision biomédicale la santé, et une vision réduite des déterminants de santé, à l’origine d’une minimisation de leur effet et d’une surestimation du poids des comportements individuels et du système de santé. Leur conception du rôle du médecin dans la prise en charge des ISS est restreinte, limitée à l’orientation des patients vers les travailleurs sociaux, sans prendre en compte l’importance des déterminants de santé pour le diagnostic ou l’adaptation des prescriptions. Les internes évoquent deux difficultés importantes : le repérage en consultation des patients en situation de précarité et le ressenti d’une distance sociale importante, à l’origine d’une méconnaissance des conditions de vie de ces patients. En reprenant le titre d’H. Falcoff et le titre de leur thèse, les auteurs concluent que les internes n’ont pas actuellement les outils nécessaires pour « contribuer à la solution », et qu’ils pourraient même, dans une certaine mesure, « faire partie du problème ». La faiblesse de la formation universitaire, transmettant une vision très médico-centrée de la santé, laisse à l’appréciation de l’interne une grande partie des aspects non médicaux de sa pratique professionnelle (16).

Ces différents travaux de thèse sont cohérents avec nos résultats, montrant que les ISS sont un sujet peu connu des médecins, insuffisamment présents dans leur formation, et que ce manque de connaissances est responsable de difficultés de prise en compte des ISS au quotidien.

4.2. Une formation à améliorer

L’OMS dans son rapport de 2008 insiste sur la nécessité d’intégrer ce sujet à la formation initiale des médecins : « La commission recommande que les établissements d’enseignement et les ministères concernés incluent les déterminants sociaux de la santé dans la formation des personnels médicaux et des personnels de santé de façon normalisée et obligatoire » (11).

Le Syndicat de la Médecine Générale dans un rapport d’avril 2011 réfléchit aussi à ces questions pour proposer des changements au niveau des politiques globales de santé. Il souhaite développer la formation initiale et continue sur les questions de pluriculturalisme et d’ISS, et développer la recherche en médecine générale sur ces thèmes. Au sein de cette formation, il souligne l’importance de connaître les conditions de vie des patients et leur parcours professionnel et de réfléchir sur les outils, au niveau du dossier médical, qui permettraient ce suivi au cabinet, ce qui rejoint notre travail.

Le travail sur les connaissances des internes marseillais conclut que la formation auprès des internes pourrait constituer un levier pour limiter l’émergence de représentations négatives à l’égard des personnes en situation de précarité, et leur apporter les outils

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nécessaires pour une meilleure prise en charge de ces patients. Le principe d’une formation est d’ailleurs plébiscité par les étudiants interrogés. Les auteurs concluent que toute stratégie de lutte contre les ISS serait inutile si les acteurs de terrain ne sont pas sensibilisés à ces problématiques et n’adhèrent pas à ces changements (64).

Ainsi, qu’il s’agisse de sensibilisation aux ISS ou aux déterminants sociaux de santé, d’apprentissages de techniques de communication, ou de démarches de prévention et d’éducation adaptées, il nous semble nécessaire d’inclure dans la formation des médecins davantage d’enseignements de sciences humaines et de donner plus de place aux aspects psycho-sociaux de la santé. Les médecins pourraient alors mieux comprendre les barrières qu'ils rencontrent avec les patients appartenant à une catégorie socioculturelle et économique différente, et prendre conscience des différences de soins au sein de leur patientèle. Cela permettrait de modifier leurs éventuelles perceptions ou représentations erronées, d’améliorer leur prise en charge et la relation médecin-patient.

5. PERSPECTIVES

A l’heure où nous terminons cette thèse, en juillet 2014, une brochure de l’INPES a été envoyée aux médecins généralistes français pour les sensibiliser sur les ISS et leur présenter les nouvelles recommandations. Les résultats de notre thèse apportent une première vision de la perception de ces recommandations par les médecins généralistes.

Nous avons vu que plusieurs scores ont déjà été créés pour évaluer la précarité, ou le « handicap social », sans qu’ils aient été développés à grande échelle. Il nous semblerait donc intéressant de continuer à approfondir la réflexion sur l’acceptabilité de telles recommandations, et de la compléter par d’autres travaux.

Un travail de thèse est actuellement en cours à la faculté de Paris VI, afin d’évaluer les perceptions de ces recommandations par les patients. Ce travail qualitatif cherche à étudier si les patients jugent ce recueil potentiellement discriminant, ou craignent d’être jugés selon leurs réponses, et à connaitre leur perception concernant le rôle du médecin généraliste dans les problèmes sociaux. Quinze entretiens individuels semi-dirigés ont déjà été réalisés. Il sera très intéressant de comparer ces résultats aux nôtres, notamment sur les critères qui posent problème.

Nous pourrions compléter notre travail par une étude basée sur des focus groups, afin d’apporter des données nouvelles grâce à la dynamique de groupe. Une étude observationnelle pourrait également être mise en place suite à la publication de ces recommandations, afin d’observer les pratiques des médecins et d’évaluer leur recueil effectif, qui peut différer de leur recueil déclaré. Réaliser cette étude sur un grand nombre de médecins permettrait aussi d’évaluer l’acceptabilité et les limites à plus grande échelle. Des études qualitatives complémentaires pourraient donc permettre de mieux comprendre comment cette prise en compte des données sociales s’intègre dans le processus de soins, à partir de notre travail dont la vocation était exploratoire.

Quelques médecins ont évoqué lors de nos entretiens le problème de l’organisation de la médecine générale, qui ne leur paraissait pas adaptée pour ce recueil et la prise en charge des ISS. Ils ont évoqué un temps de consultations inapproprié pour la réalisation de ce recueil et pour une prise en charge adaptée aux besoins de chacun, l’absence de valorisation financière et de temps donnés à l’éducation thérapeutique et aux soins préventifs, ou encore le manque

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de prise en charge pluridisciplinaire permettant une délégation des tâches. Réfléchir sur ces problématiques sur l’organisation du système de soins et les modes de rémunération nous paraît essentiel pour valoriser les pratiques à même de diminuer les ISS.

La prise en charge des ISS fait aujourd’hui partie intégrante des compétences de la médecine générale, par sa place privilégiée au cœur de la vie du patient. Donner les moyens aux médecins généralistes de déployer pleinement ces compétences, par le développement d’un système de soins adapté, une valorisation des pratiques d’éducation et de prévention, et une formation de qualité basée sur des données scientifiques établies, semble essentiel pour arriver à diminuer ces inégalités et atteindre plus d’équité.

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CONCLUSION

En France en 2003, l’espérance de vie à 35 ans d’un ouvrier est inférieure de six ans à celle d’un cadre. L’OMS définit ces inégalités de santé comme « évitables » et « injustes », et le fait de les combler comme une question de « justice sociale » et un « impératif éthique ». Le système de soins et le médecin généraliste ont un rôle à jouer, en prenant en compte les déterminants sociaux de santé de leurs patients, pour éviter d’accroître ces inégalités à leur insu, et pour adapter leur prise en charge quotidienne aux besoins des patients. Cette prise en compte de la situation sociale des patients est l’objectif des recommandations récemment publiées par le Collège de la Médecine Générale. À travers l’enregistrement dans les dossiers de seize critères, elles ont pour objectif d’aider le médecin généraliste à améliorer la prise en charge du patient, décrire sa patientèle, évaluer sa pratique, et fournir des données de santé publique. Plusieurs scores permettant d’évaluer la précarité ou le « handicap social » ont déjà été créés, mais ne semblent pas être appliqués en pratique quotidienne. C’est pourquoi nous avons souhaité évaluer le recueil actuel de données sociales par les médecins généralistes, et leur acceptabilité de ces nouvelles recommandations.

Nous avons d’abord constaté que le recueil effectif des médecins est difficile à évaluer, car ce terme « recueil » regroupe différentes significations, et différentes modalités de recueil. Ainsi, selon la signification que le médecin accorde à ce terme, il dit recueillir ou non ces informations. Les médecins généralistes pensent souvent connaître ces données sans avoir besoin de les recueillir activement. Ils insistent notamment sur la possibilité de les acquérir par le suivi au long cours de leur patientèle, propre à la médecine générale, et sur la possibilité d’évaluer ces informations par leur ressenti général. Ce recueil est souvent passif, lorsqu’il est exprimé par le patient ou enregistré automatiquement par la carte vitale, ou indirect s’il est déduit à travers un autre élément (comportement, pathologies associées, autre critère). Il est rarement fait de manière systématique, en dehors des données administratives, mais plutôt adapté à chaque situation, à chaque patient, à chaque problématique. Il est rarement noté, ou sous forme de notes personnelles non organisées. Ce recueil de données sociales est globalement informel, selon les habitudes de chaque médecin et les situations.

Les données reconnues par les médecins comme ayant un retentissement sur la santé ou sur leur prise en charge quotidienne sont bien recueillies. A l’inverse, lorsque le médecin n’est pas sensibilisé au rôle d’un déterminant sur la santé du patient ou pense que le recueil de ce critère n’a pas d’impact sur sa pratique, celui-ci est alors peu recueilli. Ainsi, les données administratives (âge, sexe, adresse) sont recueillies systématiquement, et leur recueil est jugé évident. La profession est très souvent recueillie, ainsi que l’existence d’un emploi. Les données d’assurance maladie sont souvent recueillies de manière passive via la carte vitale, sauf l’existence d’une mutuelle qui est peu recueillie. Les capacités de compréhension sont ressenties mais non recueillies activement à l’aide d’un critère formalisé. La CSP et le niveau d’études sont souvent jugés redondants et moins pertinents que la profession. La situation de famille, le nombre d’enfants à charge et le fait de vivre seul sont recueillis de manière variable selon la situation, et son vécu. Concernant le statut vis-à-vis du logement, les statuts sans abri et en foyer sont recueillis alors que le statut propriétaire/locataire n’est pas jugé pertinent. Le pays de naissance est recueilli lorsqu’il existe un contexte particulier. Les données financières telles que le fait de bénéficier de minima sociaux et la situation financière perçue sont peu recueillies, car jugées sensibles, intrusives et s’éloignant du champ d’action du médecin généraliste. Dans ce contexte, développer les connaissances sur l’impact que peuvent avoir

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l’ensemble de ces critères sur la santé des patients permettrait de légitimer ce recueil de données.

Les intérêts évoqués par les médecins généralistes concernant le recueil de ces critères rejoignent ceux décrits dans les recommandations. Les médecins recueillent ces données dans une perspective logistique tout d’abord mais également pour avoir une connaissance globale de leurs patients, relever des facteurs de risque pour la santé, repérer et accompagner les patients vulnérables, évaluer la situation financière, évaluer et faciliter l’accès aux soins, adapter leur discours aux différents niveaux de compréhension, évaluer l’entourage social et mettre en place des aides si besoin, ou encore améliorer la relation médecin-patient. Ils évoquent peu l’idée de recueillir ces critères pour décrire leur patientèle, évaluer leur pratique, ou fournir des données épidémiologiques. Ces intérêts mériteraient d’être développés afin d’élargir le champ des perspectives du recueil.

Ils évoquent comme principales limites le manque de temps et d’habitude, la nécessaire mise à jour des données évolutives, et la problématique des logiciels actuels inadaptés à ce recueil. Ils citent aussi le caractère intrusif de ce recueil, notamment s’il est réalisé de manière systématique dès la première consultation, la crainte qu’il soit mal accepté par le patient, et la volonté de ne pas stigmatiser les patients. Ils s’inquiètent du recueil noté et de la transmission de ces informations. Il semble important de souligner que les recommandations ne préconisent pas un recueil d’emblée mais au cours du suivi des neuf critères du groupe B, et que les auteurs insistent sur la nécessité de respecter la confidentialité des données, l’intimité du patient, ainsi que sa volonté de donner ou non ces informations.

Pour certains médecins, ce recueil s’éloigne du rôle du médecin généraliste, et n’est pas toujours à même de participer à la réduction des ISS, qui relève plutôt des politiques sociales. Ils ne perçoivent pas toujours la façon dont ce recueil pourrait améliorer leur pratique, notamment quand leur prise en charge leur semble déjà adaptée, ou quand cette adaptation est impossible.

Selon leur recueil actuel, leur intérêt pour les recommandations, et leur volonté de modifier ou non leur pratique de recueil, nous avons décrit trois types de réactions face à cette proposition de recueil de données sociales. Nous avons mis en relation chacun de ces types avec différentes conceptions du soin, et différents niveaux de sensibilisation aux ISS :

− Les « réticents » recueillent peu de critères de manière active et notée. Ils recueillent les données à visée biomédicale, logistique, ou permettant d’adapter leur discours, dans une conception plutôt biomédicale du soin. Ils jugent souvent ce recueil intrusif et s’attachent au respect de la volonté du patient d’en parler ou non. Ils sont peu sensibilisés aux ISS et à l’impact des déterminants sociaux sur la santé, et pensent que ces inégalités ne relèvent pas du rôle du médecin généraliste. Leur recueil pourrait être amélioré par une sensibilisation au modèle bio-psycho-social et par l’étude de l’acceptabilité de ce recueil par les patients.

− Les « mobilisables » ont une vision complexe du soin, dans une démarche de compréhension de la vie des patients. Ils recueillent plus de critères de manière active, et s’intéressent à une grande partie des critères proposés, dans des perspectives plus ou moins élargies selon les médecins. S’ils voient par expérience le rôle des déterminants sociaux sur la santé, ils ne sont pas dans une démarche explicite de prise en charge des ISS. Leur recueil pourrait être amélioré par une sensibilisation à l’impact de ces données sociales sur la santé, et une valorisation de leur pratique actuelle, à intégrer dans une démarche explicite de réduction de ces inégalités.

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− Les « favorables » ont un recueil déjà large et varié, sont sensibilisés aux ISS et au poids des déterminants sociaux. Il serait intéressant de valoriser leur recueil actuel en le formalisant et en le standardisant, et de maintenir leur motivation à travers des formations continues sur l’impact de chacun de ces déterminants, et les différents niveaux d’exploitation des données. Réfléchir au fonctionnement du système de soins, qui semble les interroger, serait également important.

La formation médicale initiale laisse peu de place aux dimensions psycho-sociales de l’exercice médical. Il est essentiel de sensibiliser les médecins aux ISS, pour qu’ils soient à même d’identifier et de lutter contre ces inégalités dans leur pratique quotidienne, et qu’ils soient légitimés et valorisés dans cette démarche. De plus, les médecins affichent souvent la volonté de traiter tous les patients de la même manière, quelle que soit leur situation sociale. Cela entraîne un manque d’intérêt pour ce recueil puisqu’il ne modifierait pas leur prise en charge, qu’ils veulent identique pour tous. Ils décrivent même parfois la crainte que ce recueil aboutisse à des prises en charge différenciées. Développer auprès des médecins la conception de l’équité des soins, c'est-à-dire de soins différents adaptés aux besoins de chacun, semble être un levier indispensable pour désensibiliser et améliorer ce recueil de données.

Ainsi, si pour les médecins, la majorité des critères proposés par les recommandations semblent avoir leur place dans la prise en charge du patient selon sa situation, ce recueil se fait actuellement de manière informelle et les interroge, notamment sur ses modalités et les limites qu’il peut comporter. Une étude est en cours pour évaluer l’acceptabilité par les patients d’un tel recueil d’informations, et leur avis sur le rôle du médecin généraliste dans les problématiques sociales. Il sera intéressant de comparer ces résultats aux nôtres et de les transmettre aux médecins qui s’inquiètent de l’acceptabilité de ce recueil par les patients.

A travers cette analyse, nous avons présenté la complexité et le caractère sensible de la question du recueil de données sociales pour les médecins généralistes. Les mesures favorisant l’applicabilité de ces recommandations sont nécessairement diverses, et doivent s’insérer dans un ensemble de mesures cohérentes, s’articulant entre elles, à travers tout le champ de la médecine. L’existence même de ces recommandations peut être un facteur déclenchant et la première étape d’un processus d’amélioration des pratiques en vue de réduire les ISS.

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ANNEXES

Annexe I: Liste des 33 indicateurs du groupe d’experts issus de la bibliographie

Intitulé Groupe A

Indicateurs

indispensables

Groupe B

Indicateurs

utiles

Groupe C

Indicateurs non retenus

Date de naissance X

Sexe X

Adresse X

Assurance maladie X

Statut par rapport à l’emploi X

Profession X

Capacités de compréhension du langage écrit

X

Est en couple X

Nombre d’enfants à charge X

Vit seul(e) X

Pays de naissance X

Niveau d’études X

Catégorie socio-professionnelle INSEE

X

Bénéficie de minima sociaux X

Statut vis-à-vis du logement X

Situation financière perçue X

IRIS (mesure écologique du niveau socio-économique du lieu de résidence)

Non utilisable en consultation

Plus haut diplôme obtenu Moins pertinent que le niveau d’études

Type de contrat de travail (CDD, CDI)

Question considérée comme trop intrusive et pertinence non supérieure à celle du statut par rapport à l’emploi.

Temps de travail (temps complet, temps partiel)

Manque de pertinence (difficulté d’interprétation)

Revenu du ménage Question considérée comme trop intrusive et pertinence non supérieure à la situation financière

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perçue

Nombre d’enfants Moins pertinent que le nombre d’enfants à charge

Nationalité Moins pertinent que le pays de naissance

Origine ethnique Moins pertinent que le pays de naissance

Ancienneté de résidence en France

Pertinence non évidente selon la bibliographie

Situation administrative par rapport à l’immigration

Pertinence inférieure à celle de l’assurance maladie

Langue maternelle Pertinence inférieure à la compréhension du langage écrit

Capacités de compréhension du langage oral

Difficulté d’évaluation et pertinence non supérieure à celle de la compréhension du langage écrit

Analphabétisme Difficulté d’évaluation et pertinence non supérieure à celle de la compréhension du langage écrit

Littératie en santé (« health literacy »)

Concept complexe, difficulté d’évaluation en pratique courante

Salubrité du logement Difficile à évaluer de manière standardisée, pertinence surtout pour les risques d’exposition à des toxiques, redondance partielle avec l’adresse pour ce qui est de la

situation sociale

Réseau social Pertinence non supérieure à la question « vivre seul »

Score EPICES, version complète (11 questions) ou version courte (enquête

ESPS 2004, 4 questions)

N’est pas un indicateur mais un score. Non faisable au quotidien en consultation

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Annexe II: Modalités de recueil prévues pour chaque critère par le groupe d’experts

Critères Modalités de recueil

Date de naissance Format JJ/MM/AAAA

Sexe Homme ou femme

Adresse Numéro et type de voie, commune, code postal

Assurance maladie 3 champs d’informations à renseigner:

- Assurance Maladie Obligatoire : oui/non

- Assurance Maladie Complémentaire : aucune, complémentaire santé privée, CMUc ou AME

- Exonération du ticket modérateur : aucune, accident de travail/maladie professionnelle, ALD, invalidité, article 115 « anciens combattants »

Statut par rapport à l’emploi Menu déroulant: actif travaillant actuellement, au chômage, retraité(e)/pré-retraité(e)/congé de fin d’activité, étudiant, au foyer, invalidité avec pension, autre situation

Profession Texte libre

Capacités de compréhension du langage écrit Évaluées par la question « Avez-vous besoin que quelqu'un vous aide pour comprendre des ordonnances ou des documents d'information médicale remis par votre médecin ou votre pharmacien ? » : oui/non

La situation de famille,

Devenue dans les recommandations finales « le fait d’être en couple »

Vit seul, vit en couple marié, vit en couple non marié

Devenu : Oui/non

Le nombre d’enfants à charge Champ numérique

Le fait de vivre seul Oui/non

Le pays de naissance Saisie semi-automatisée

Le niveau d’études Menu déroulant : niveau primaire, secondaire (collège/lycée), supérieur, aucun cursus scolaire

La catégorie socioprofessionnelle INSEE Menu déroulant à deux niveaux emboîtés:

- niveau 1 (8 codes) : Agriculteurs exploitants ; Artisans, commerçants et chefs d'entreprise ; Cadres et professions intellectuelles supérieures ; Professions Intermédiaires; Employés ; Ouvriers ; Retraités ; Autres personnes sans activité professionnelle.

- niveau 2 (24 codes) : description plus précise

Le fait de bénéficier de minima sociaux Oui/non

Le statut vis-à-vis du logement Menu déroulant : propriétaire, locataire, vit dans un foyer, est hébergé ou est sans abri

La situation financière perçue Évaluée par la question « En ce qui concerne la situation financière de votre foyer, diriez-vous que: 1) vous n’avez pas de problème particulier ; 2) c’est juste, il faut faire attention ; 3) vous avez du mal à y arriver ; 4) c’est très difficile ? »

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Annexe III : Guide d’entretien

Bonjour,

Nous sommes deux internes de médecine générale. Nous travaillons, dans le cadre de notre thèse, sur le recueil des données non biomédicales dans les dossiers des patients en médecine générale. Nous restons pour l'instant volontairement assez vagues sur le sujet afin de ne pas influencer vos réponses. Nous vous expliquerons au cours de l'entretien la problématique et l'objectif de notre étude. Cet entretien sera enregistré pour nous permettre d'être plus attentives à vos réponses.

1. Quelles données autres que biomédicales recueillez-vous dans les dossiers des patients ?

2. (Si non énoncées avant) Quelles données sociales ? Pourquoi ?

Notre travail s'intègre dans la thématique des inégalités sociales de santé. Un groupe d'experts est en train d’établir des recommandations sur le recueil de la position sociale des patients, à travers des données à recueillir dans les dossiers en médecine générale. Au terme de leur travail, sept critères ont été retenus comme indispensables, à recueillir dès la première consultation et neuf autres comme utiles, à recueillir au cours du suivi. Ce groupe d’experts souhaite également travailler avec les créateurs de logiciels médicaux pour faciliter ce recueil. Nous allons vous présenter ces critères, certains paraissent évidents, d'autres moins.

3. Pour chaque critère, pouvez-vous nous dire si vous le recueillez et ce qu’il vous évoque, notamment en termes d’intérêt pour votre pratique et de facilité de recueil ?

Les sept critères retenus comme indispensables sont les suivants:

◦ L'adresse ◦ La date de naissance ◦ Le sexe ◦ L'assurance maladie. Ce serait un menu déroulant où il faudrait renseigner

l'assurance médicale obligatoire, l'assurance médicale complémentaire (complémentaire, CMU, AME), l'exonération du ticket modérateur (ALD, accident du travail/maladie professionnelle, etc.)

◦ Les capacités de compréhension du langage écrit du patient. Ce serait une question: « Avez-vous besoin d'aide pour comprendre les ordonnances ou documents remis par votre médecin ou votre pharmacien ? »

◦ La profession (en texte libre) ◦ Le statut par rapport à l'emploi. Ce serait un menu déroulant où il faudrait

renseigner actif, au chômage, retraité, etc. Neuf autres critères ont été définis comme utiles, à recueillir au cours du suivi :

◦ Le fait de bénéficier de minima sociaux ◦ La catégorie socioprofessionnelle INSEE ◦ Le niveau d'études ◦ Le statut vis-à-vis du logement. Ce serait un menu déroulant où il faudrait

renseigner propriétaire, locataire, sans domicile, hébergé, en foyer. ◦ Le pays de naissance

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◦ La situation financière perçue. Ce serait une question : « En ce qui concerne la situation financière de votre foyer, diriez-vous que : a) vous n’avez pas de problème particulier ; b) c’est juste, il faut faire attention ; c) vous avez du mal à y arriver ; d) c’est très difficile ? »

◦ La situation de famille. Ce serait un menu déroulant où il faudrait renseigner vit seul, vit en couple marié, vit en couple non marié.

◦ Le nombre d'enfants à charge ◦ Le fait de vivre seul

D’une manière plus générale :

4. Où sont notées ces informations dans le dossier médical ? 5. Qui les recueille ? 6. Y'a-t-il des données que vous recueillez à l'oral mais que vous ne notez pas dans les

dossiers ? Pour quelles raisons ? 7. Pensez-vous que les patients soient favorables à ce recueil de données ? 8. Devant la présentation de ces critères, y'en-a-t-il que vous pensez pouvoir recueillir

plus à l'avenir ? 9. Y'a-t-il d'autres données sociales qui vous paraissent importantes pour votre pratique ? 10. Comment ce recueil s'intègre dans la diminution des inégalités sociales de santé selon

vous ?

Nous allons maintenant poser des questions simples pour vous connaître, et ainsi pouvoir décrire les caractéristiques des médecins interrogés.

11. Depuis quand exercez-vous ? 12. Depuis quand êtes-vous installé ? 13. Quel âge avez-vous ? 14. Dans quelle zone d'activité exercez-vous? 15. Quelles activités particulières exercez-vous ? (activités dans le cabinet, recherche,

syndicat, DMG, PMI/planning, maître de stage)

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Annexe IV : Répartition du travail Céline Ernst Toulouse / Charlotte Nollet

1. Réalisation, retranscription et analyse des entretiens

Le guide d’entretien a été réalisé conjointement. Selon nos disponibilités et celles des médecins, nous nous sommes réparti le travail d’interview et de retranscription des entretiens. Charlotte a réalisé plus d’entretiens, Céline en a retranscrit plus, dans un objectif de répartition équitable du travail. Nous avons toutes les deux analysé chaque entretien de manière indépendante. Les codes ont ensuite été mis en commun, puis catégorisés et regroupés en thèmes par les deux enquêtrices ensemble. Cette répartition est présentée dans le tableau suivant :

2. Rédaction

Nous avons élaboré conjointement le plan et les idées à développer puis nous nous sommes réparti le travail rédactionnel. Céline a rédigé l’introduction, Charlotte la partie Matériel et méthodes. En ce qui concerne les résultats, l’analyse thématique a été rédigée par Charlotte ; l’analyse par critères a été initialement rédigée par Charlotte, puis synthétisée sous forme de fiches récapitulatives par Céline. La typologie a été construite et travaillée à trois, avec le Dr Maud Jourdain, puis rédigée par Céline. La discussion a été rédigée conjointement La conclusion et le résumé ont été rédigés par Céline.

Chacune des parties a ensuite été commentée, complétée et rediscutée ensemble, à travers plusieurs échanges, pour arriver à un consensus.

Entretien Retranscription

Entretien 1

Entretien 2

Entretien 3

Entretien 4

Entretien 5

Entretien 6

Entretien 7

Entretien 8

Entretien 9

Entretien 10

Entretien 11

Entretien 12

Entretien 13

Entretien 14

Entretien 15

Entretien 16

Entretien 17

Entretien 18

Entretien 19

Entretien 20

Entretien 21

Entretien 22

Entretien 23

Entretien 24

Entretien 25

Analyse

Charlotte

Céline

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Annexe V : Tableau descriptif des médecins

Entretien SexeAge Année

d'installation

Milieu

d'exerciceSecteurMaîtres

de

stage

Activités particulières

déclarées, actuelles ou

passées

1 H 55 1984 Semi-rural 1 Oui Membre du Conseil de l'Ordre

2 F 50 1991 Semi-rural 1 Oui DU de gynécologie, médecine du sport

3 H 54 1990 Semi-rural 1 Oui Expertise médicale

4 F 40 2005 Semi-rural 1 Non Vacations hospitalières en médecine polyvalente gériatrique

5 H 40 2002 Rural 1 Non Membre du Conseil de l’Ordre, médecin pompier

6 H 48 2013 Urbain 1 Oui Vacations à la PASS, membre d’une association de formation, activités syndicales, membre du comité de lecture d’une revue

7 H 58 1984 Rural 1 Non Vacations hospitalières en soins de suite, médecin pompier, vacations à Médecins du Monde, addictologie

8 H 58 1983 Urbain 1 Non 0

9 H 57 1986 Urbain 2 Non Membre du Conseil de l'Ordre

10 F 62 1979 Rural 1 Oui 0

11 F 60 1984 Urbain 1 Non 0

12 H 57 1984 Urbain 1 Oui Addictologie, activités syndicales

13 H 57 1983 Urbain 1 Oui Addictologie

14 H 50 1998 Semi-rural 1 Oui DU de gynécologie, homéopathie

15 H 63 1979 Urbain 1 Non Régulation au centre 15

16 H 62 1982 Rural 1 Non 0

17 F 50 1988 en Roumanie, 2011

en France

Rural 1 Non Échographie générale, vacations en médecine scolaire

18 F 44 1999 Urbain 1 Oui Vacations au centre de planification

19 F 48 1997 Urbain 1 Oui Vacations en PMI

20 H 62 1984 Urbain 1 Oui Médecine manuelle/ostéopathie, médecin de crèche, vacations au centre de planification

21 F 38 2012 Urbain 1 Non 0

22 H 62 1982 Urbain 1 Non Régulation au centre 15, vacations au centre de planification

23 F 34 2011 Rural 1 Oui O

24 F 56 1988 Rural 1 Oui Ostéopathie, médecin pompier

25 H 53 1990 Rural 1 Oui Ostéopathie, médecine du sport, échographie ostéoarticulaire

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Annexe VI : Catégories et thèmes après codage

Nous vous présentons ici les différentes catégories obtenues à l’issue du codage, regroupées en thèmes. Nous avons parfois agencé les idées de manière différente dans la présentation des résultats, pour plus de logique et de clarté, tout en souhaitant retranscrire l’ensemble des idées exprimées par les médecins. Recueil actuel :

◦ Questionnement sur la définition du terme « recueil » ◦ Cité spontanément aux questions 1 et 2 ◦ Aucun critère non biomédical cité spontanément ◦ Critère recueilli ◦ Critère non recueilli ◦ Recueil informel ◦ Recueil systématique ◦ Recueil non systématique ◦ Recueil noté ◦ Recueil non noté ◦ Recueil au cours du temps/pas d'emblée ◦ Recueil passif ◦ Recueil indirect ◦ Recueil délégué ◦ Présomption de connaissance ◦ Critère parallèle recueilli ◦ Critère parallèle non recueilli ◦ Recueilli avec un autre critère ◦ Connaissance/recueil insuffisant

Situations entraînant un recueil : Selon le médecin et son activité:

◦ Selon le médecin ◦ Selon la zone géographique ◦ Si visite

Selon le patient : ◦ Si nouveau patient ◦ Selon le sexe ◦ Selon l’âge ◦ Si changement de situation ◦ Si patients étrangers/selon culture ◦ Si difficultés intellectuelles ◦ Selon le contexte familial/si vit seul

Selon la problématique, le motif de consultation : ◦ Si pertinent / si retentissement sur la prise en charge ◦ Selon la pathologie / le motif de consultation ◦ Si difficulté de prise en charge médicale ◦ Si difficulté d'accès aux soins ◦ Si difficultés socio-financières ◦ Si difficultés psychologiques ◦ Si problématique professionnelle

Perspectives du recueil :

◦ Utile ◦ Logistique, organisationnelle

Connaissance du patient :

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◦ Prise en charge globale / connaissance du patient ◦ Indicateur de position sociale ◦ Connaissance des conditions de vie ◦ Connaissance des conditions de travail, des risques professionnels ◦ Connaissance des ressources disponibles (humaines, financières et du quartier) ◦ Évaluation de l’accès aux soins ◦ Évaluation du niveau de compréhension ◦ Connaissance de la culture et des croyances ◦ Connaissance du bien-être ◦ Connaissance de l’histoire de vie ◦ Évaluation de la capacité à se prendre en charge

Médecine proactive / repérage: ◦ Médecine proactive ◦ Repérage des situations à risque

Rôle dans la prise en charge : ◦ Adapter la prise en charge ◦ Aide à la prise en charge médicale ◦ Retentit sur la santé / facteur de risque pour la santé ◦ Relation médecin-malade ◦ Travail en réseau / médecin du travail ◦ Standardiser pratiques / faciliter l’accès aux données

Au niveau des ISS : ◦ Prise de conscience des ISS ◦ Rôle pour diminution des ISS ◦ Données de santé publique

Adaptation de la prise en charge après la connaissance de ces critères :

◦ Pas d’adaptation de la prise en charge ◦ Prise en charge inconsciente des ISS ◦ Prise en charge sur-mesure, adaptée au patient ◦ Vigilance accrue ◦ Accompagnement / aide aux démarches ◦ Adaptation du discours et des explications ◦ Amélioration de l’écoute / empathie ◦ Prévention / éducation ◦ Facilitation de l’accès financier ◦ Adaptation des prescriptions ◦ Adaptation des arrêts de travail ◦ Orientation dans les soins secondaires ◦ Orientation vers des travailleurs sociaux ◦ Mise en place d'aides ◦ Travail en réseau ◦ Demande d’aide de la part d'un tiers pour la consultation

Acceptabilité par les patients : Oui :

◦ Accepté Oui si :

◦ Accepté si adapté à situation ◦ Accepté selon la façon d'aborder le recueil ◦ Accepté selon la relation médecin-malade ◦ Accepté si respect de l’intimité et la volonté du patient de parler

Non : ◦ Non accepté ◦ Réticence à la transmission des données

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◦ Difficultés mal vécues Facteurs limitant le recueil: Pas de facteur limitant :

◦ Absence de frein / facile Réticence au recueil :

◦ Inutile ◦ Présomption de connaissance des critères ◦ Refus du recueil ◦ Pas le rôle du médecin généraliste ◦ Pas de rôle pour la diminution des ISS ◦ Position sociale difficile à définir/noter

Recueil difficile : ◦ Recueil difficile ◦ Manque d'habitude/oubli ◦ Noté au mauvais endroit ◦ Gêne à demander ◦ Gêne à noter ◦ Manque de temps ◦ Non exprimé, caché par le patient ◦ Évolutivité des données / données erronées ◦ Subjectivité

Critère inadapté : ◦ Critère redondant / autre critère plus adapté ◦ Critère mal défini ◦ Non discriminant pour position sociale ◦ Non discriminant pour connaissance du patient / des capacités de compréhension

Risques de ce recueil : ◦ Inquisiteur / intrusif ◦ Risque de stigmatisation ◦ Risque de modification négative de la prise en charge ◦ Transmission des données ◦ Recueil systématique inadapté à la prise en charge individuelle ◦ Présence de cases oblige au recueil systématique

Modification des pratiques après présentation des recommandations :

◦ Pas de modification du recueil ◦ Recueil à améliorer ◦ Critères à mieux recueillir ◦ Vérification de la compréhension à améliorer

Problématique des logiciels : Adapté :

◦ Informatisation de la médecine simplifie le recueil ◦ Existence d'une zone dédiée ◦ Existence d’une zone de notation personnelle non formalisée ◦ Existence d’une zone de notation confidentielle

À améliorer : ◦ Logiciel inadapté / manque de case spécifique ◦ Logiciel à améliorer ◦ Interrogation sur les modalités de recueil prévues par les recommandations

Volonté de sois similaires pour tous :

◦ Soins similaires pour tous ◦ Facilitation de l’accès financier pour tous

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◦ Facilitation de la compréhension pour tous ◦ Pas d'abus ◦ Absence de refus de soins

Connaissances sur les ISS : Peu de connaissances /peu sensibilisé :

◦ Non connaissance des ISS / pas d’intérêt pour les ISS ◦ Absence d'inégalités ◦ Pas de problème de compréhension

Indépendant du médecin généraliste ou du système de soins : ◦ Pas de rôle du médecin généraliste ou du système de soins dans les ISS ◦ Système de soins inadapté à réduction des ISS

Connaissances : ◦ Connaissance sur les ISS ◦ Idées sur les origines des ISS ◦ Rôle du médecin généraliste dans la prise en charge des ISS ◦ Accès aux soins et ISS ◦ Difficultés de prise en charge des populations vulnérables ◦ Vécu des ISS différent selon les régions/type d'activité/durée d'activité ◦ Représentations des médecins sur les ISS ◦ Différents types de problèmes de compréhension ◦ Formation des médecins à améliorer

Autres :

◦ Autres données recueillies ◦ Autres idées ◦ Définition « social »/ « biomédical » pose problème ◦ Difficulté de compréhension du critère ◦ Hésitation ◦ Hors sujet ◦ Regarde dossier

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SERMENT MÉDICAL

Au moment d’être admise à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité.

Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.

Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité.

J’informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n’exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences.

Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.

Admise dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs.

Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.

Je préserverai l’indépendance nécessaire à l’accomplissement de ma mission. Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés.

J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité.

Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonorée et méprisée si j’y manque.

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RÉSUMÉ

Introduction : Les Inégalités Sociales de Santé (ISS) sont une réalité en France et une priorité de santé publique pour l’Organisation Mondiale de la Santé. Le médecin généraliste (MG), par sa place privilégiée dans le système de soins, appréhende directement le contexte social des individus. Il est donc en mesure d’éviter d’accroître ces ISS, et peut contribuer à les diminuer. Cela implique qu’il adopte une attitude proactive pour recueillir des informations sur la situation sociale des patients, afin d’adapter sa prise en charge à leurs besoins, d’évaluer sa pratique, et de fournir des données de santé publique. Dans ce sens, des recommandations du Collège de la Médecine Générale publiées en mars et diffusées en juillet 2014, invitent à l’enregistrement dans les dossiers de 16 critères définis. L’objectif de notre travail était d’explorer, dans une perspective compréhensive, le recueil actuel de données sociales par les MG, et leur perception de ces nouvelles recommandations.

Matériels et méthodes : Une étude qualitative par entretiens semi-dirigés auprès de 25 MG des Pays de la Loire, suivie d’une analyse thématique par codage en double aveugle, a été conduite. Ce travail a été réalisé en binôme.

Résultats : Les MG recueillent peu ces critères de manière active, notée, et organisée. Ils pensent connaître ces informations par ressenti ou par le suivi au long cours de leur patientèle, et les recueillent de manière passive ou indirecte. Les données administratives sont recueillies systématiquement, les données professionnelles le sont souvent. L’assurance maladie est souvent recueillie par la carte vitale, l’existence d’une mutuelle est peu recueillie. Les capacités de compréhension du langage écrit sont ressenties mais non recueillies via un critère formalisé. La catégorie socio-professionnelle et le niveau d’études sont souvent jugés redondants et moins pertinents que la profession. Les données familiales, le fait de vivre seul, la situation vis-à-vis du logement, le pays de naissance sont recueillis de manière variable selon la situation et son vécu. Les données financières sont peu recueillies car jugées sensibles, intrusives et s’éloignant du champ d’action du MG. Une typologie des MG, visant à comprendre les disparités de leurs réactions, montre que le champ des critères jugés légitimes à recueillir varie selon leur conception du soin et leur sensibilisation aux ISS. Si l’intérêt individuel pour la prise en charge du patient est bien envisagé, l’intérêt de connaître sa patientèle ou de produire des données de santé publique est peu retrouvé. Les MG affichent une volonté de soins similaires pour tous les patients, qui rend sensible et plus ou moins légitime ce recueil de données, considéré à risque de stigmatisation et de pratiques différenciées.

Conclusion : Si le recueil de données sociales s’inscrit dans la pratique routinière des MG, de manière variable selon leur conception du soin, l’enregistrement organisé de ces données tel que celui recommandé est éloigné des pratiques effectives. Pourtant, ces recommandations interrogent et intéressent. Une sensibilisation au modèle bio-psycho-social, et une amélioration de la formation sur les déterminants sociaux de la santé et les ISS permettraient de valoriser les pratiques à même de les diminuer. L’intérêt de production de données collectives serait aussi à développer pour favoriser ce recueil. Lever l’ambiguïté sur les notions d’égalité et d’équité des soins, en soulignant la nécessité de faire du sur-mesure pour s’adapter aux besoins des patients pourrait participer à légitimer ce recueil de données.

MOTS CLÉS : Inégalités sociales de santé, recueil, situation sociale, médecine générale, recommandations, perception.

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ABSTRACT

Background: Social Inequalities in Health (SIH) are a reality in France, and a public health priority for the World Health Organization. General practitioners (GPs), because of their privileged position within the healthcare system, directly face the social context of individuals. Therefore, they are able to avoid increasing such SIH, and can contribute to reduce them. This implies that the GP adopts a proactive attitude in collecting information about the patients’ social situation, in order to adapt his care to their needs, assess his practice and provide public health data. To this effect, recommendations of the French College of General Medicine, published in March and circulated in July 2014, encourage to record 16 defined criteria in medical histories. The objective of our work was to explore, in an interpretive perspective, the current collecting of social data by GPs, and their perception of these new recommendations.

Method: A qualitative study has been driven through semi-structured interviews with 25 GPs from the Pays de la Loire region, followed by a thematic analysis using double-blind coding. This work has been realised in pairs.

Results: Little do GPs collect and note down those criteria in an active and organised way. They believe they know about such information by sensing or by the long-time follow-up of their patients, and collect them passively or indirectly. Administrative data are systematically collected, professional ones often are. Health insurance data are often collected within the national French health insurance card, but the existence of a complementary health insurance scheme is not much recorded. The ability to understand written language is sensed but not recorded via a formalised criterion. The socio-professional category and level of schooling are often judged superfluous and less relevant than the profession. Family data, the fact of living alone, the housing situation, and the country of birth are variably collected depending on the situation and the patient’s background. Financial information is rarely collected because it is considered as sensitive and intrusive, and out of the field of action of GPs. A typology of GPs, aiming at understanding the disparity of their reactions, shows that the field of criteria considered as legitimately collectible varies according to their notion of treatment and their awareness of SIH. Although individual interest for the patient’s care is actually considered, the interest of knowing one’s practice population or creating data on public health is little observed. GPs show a will of equality of care for all patients, which makes such a collection of data sensitive and more or less legitimate, as it is considered vulnerable to stigmatisation and differentiated practice.

Conclusion: Although the collecting of social data falls within GPs’ daily practice, at a variable level according to their idea of healthcare, the organised recording of social data as recommended is far from actual practices. Yet, these recommendations arouse questions and interest. Raising awareness to the bio-psycho-social model, as well as providing better training on SIH and social determinants of health, would permit to enhance practices likely to reduce SIH. The interest of creating community data should also be developed to boost such a collection. Resolving the ambiguity in the notions of equality and equity of healthcare, while underlining the need to provide customised response to adapt to each patient’s needs, could help legitimate such data collection.

KEY WORDS: Social inequalities in health, data collection, social situation, general practice, recommendations, sensing.

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NOMS : ERNST-TOULOUSE Céline NOLLET Charlotte

Recueil de la situation sociale des patients et prise en charge des inégalités sociales de santé : Perspectives en médecine générale

RÉSUMÉ Introduction : Les Inégalités Sociales de Santé (ISS) sont une réalité en France et une

priorité de santé publique pour l’Organisation Mondiale de la Santé. Le médecin généraliste (MG), par sa place privilégiée dans le système de soins, appréhende directement le contexte social des individus. Il est donc en mesure d’éviter d’accroître ces ISS, et peut contribuer à les diminuer. Cela implique qu’il adopte une attitude proactive pour recueillir des informations sur la situation sociale des patients, afin d’adapter sa prise en charge à leurs besoins, d’évaluer sa pratique, et de fournir des données de santé publique. Dans ce sens, des recommandations du Collège de la Médecine Générale publiées en mars et diffusées en juillet 2014, invitent à l’enregistrement dans les dossiers de 16 critères définis. L’objectif de notre travail était d’explorer, dans une perspective compréhensive, le recueil actuel de données sociales par les MG, et leur perception de ces nouvelles recommandations.

Matériels et méthodes : Une étude qualitative par entretiens semi-dirigés auprès de 25 MG des Pays de la Loire, suivie d’une analyse thématique par codage en double aveugle, a été conduite. Ce travail a été réalisé en binôme.

Résultats : Les MG recueillent peu ces critères de manière active, notée, et organisée. Ils pensent connaître ces informations par ressenti ou par le suivi au long cours de leur patientèle, et les recueillent de manière passive ou indirecte. Les données administratives sont recueillies systématiquement, les données professionnelles le sont souvent. L’assurance maladie est souvent recueillie par la carte vitale, l’existence d’une mutuelle est peu recueillie. Les capacités de compréhension du langage écrit sont ressenties mais non recueillies via un critère formalisé. La catégorie socio-professionnelle et le niveau d’études sont souvent jugés redondants et moins pertinents que la profession. Les données familiales, le fait de vivre seul, la situation vis-à-vis du logement, le pays de naissance sont recueillis de manière variable selon la situation et son vécu. Les données financières sont peu recueillies car jugées sensibles, intrusives et s’éloignant du champ d’action du MG. Une typologie des MG, visant à comprendre les disparités de leurs réactions, montre que le champ des critères jugés légitimes à recueillir varie selon leur conception du soin et leur sensibilisation aux ISS. Si l’intérêt individuel pour la prise en charge du patient est bien envisagé, l’intérêt de connaître sa patientèle ou de produire des données de santé publique est peu retrouvé. Les MG affichent une volonté de soins similaires pour tous les patients, qui rend sensible et plus ou moins légitime ce recueil de données, considéré à risque de stigmatisation et de pratiques différenciées.

Conclusion : Si le recueil de données sociales s’inscrit dans la pratique routinière des MG, de manière variable selon leur conception du soin, l’enregistrement organisé de ces données tel que celui recommandé est éloigné des pratiques effectives. Pourtant, ces recommandations interrogent et intéressent. Une sensibilisation au modèle bio-psycho-social, et une amélioration de la formation sur les déterminants sociaux de la santé et les ISS permettraient de valoriser les pratiques à même de les diminuer. L’intérêt de production de données collectives serait aussi à développer pour favoriser ce recueil. Lever l’ambiguïté sur les notions d’égalité et d’équité des soins, en soulignant la nécessité de faire du sur-mesure pour s’adapter aux besoins des patients pourrait participer à légitimer ce recueil de données.

MOTS CLÉS : Inégalités sociales de santé, recueil, situation sociale, médecine générale, recommandations, perception.