UNIVERSITÉ PARIS 8 UFR CULTURE...
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UNIVERSITÉ PARIS 8 UFR CULTURE & COMMUNICATION
Mention Culture et médias Maîtrise en Recherche et expertise dans les industries culturelles et les médias
Option Communication et territoires
STRATÉGIES D’ IMPLANTATION DES ÉTABLISSEMENTS D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
ET DES LABORATOIRES DE RECHERCHE SUR LE QUARTIER DE LA CRÉATION À NANTES :
VERS UN ENGAGEMENT DANS UN CLUSTER ?
Mémoire dirigé par M. Philippe Bouquillion, enseignant‐chercheur à l’Université Paris 8
et co‐dirigé par M. Jean‐Baptiste Le Corf, doctorant à l’Université Paris 8
Lucie Ravel (n° étudiant : 239305)
Septembre 2011
Remerciements___________________________________
à M. Philippe Bouquillion, mon directeur de recherche. Je lui suis très
reconnaissante d’avoir pu être présent tout au long de l’année malgré la
distance géographique qui nous séparait. La rigueur de son encadrement, sa
disponibilité et son écoute m’ont permis de poursuivre plus sereinement
mon travail de recherche.
à M. Jean‐Baptiste Le Corf en tant que co‐directeur de recherche pour son
soutien et son engagement. Je souligne ses apports pédagogiques qui m’ont
aidé et réconforté durant certaines périodes d’interrogations vis‐à‐vis de
mon travail et qui m’ont permis d’avancer et de construire ma réflexion sur
ce sujet de recherche.
Leurs remarques et conseils m’ont été bénéfiques pour le remaniement de
mon mémoire depuis la soutenance en vue d’une publication sur le site de
l’OMIC.
aux interlocuteurs privilégiés pour mon enquête de terrain : Je remercie
vivement M. Christian Guerlin, directeur de l’École Design Nantes‐Atlantique
pour sa disponibilité lors de nos deux entretiens,
M. Laurent Devisme, enseignant‐chercheur à l’École d’architecture de
Nantes pour m’avoir accordé du temps et ses conseils apportés pour ma
recherche,
M. Pierre‐Jean Galdin, directeur de l’École supérieure des Beaux‐Arts Nantes
Métropole pour avoir partagé son expérience et son engagement dans le
projet du Quartier de la création.
à M. Grégoire Cliquet, enseignant‐chercheur à l’École Design Nantes‐
Atlantique et à Mme Véronique Le Saux, chargée de mission à Nantes
Créative que j’ai rencontré dans le cadre d’entretiens exploratoires. Ces
entretiens m’ont permis de mieux cerner l’étendue du sujet et m’ont aidé à
construire mon questionnement de recherche.
au service de communication de Nantes Métropole pour les informations
apportées.
À Mesdames Maryse Souchard et Malika Younès
_________________Table des matières
_______________________Introduction ....................................................................... 7
Un projet urbain ambitieux réunissant des acteurs divers ......................................................7 Le Quartier de la création, un catalyseur d'idées innovantes............................................................. 7 Le cluster appelle l’engagement des acteurs sur le territoire ............................................................ 8 Les stratégies d’engagement des acteurs, un questionnement encore flou dans la littérature scientifique ....................................................................................................................................... 11 Cluster & marketing urbain............................................................................................................... 12 L'engagement des acteurs dans le cluster : entre stratégie collective et intérêts privés ................. 13
Méthodologie.......................................................................................................................15
Choix de l’enquête : l’entretien semi‐directif ................................................................................... 15 Population et corpus......................................................................................................................... 15 L’élaboration de la grille d’entretien ................................................................................................ 16 Thématique cluster & synergies ....................................................................................................... 17 Thématique cluster & concurrence .................................................................................................. 18
___________________________Partie I ...................................................................... 19 Le Quartier de la création : .......................................................................................... 19 un outil à faire exister.................................................................................................. 19
Chapitre 1. Le Quartier de la création s’insère dans des problématiques socio‐économiques19 A. La recherche de nouvelles ressources .............................................................................19
La recherche de visibilité à l’échelle nationale et internationale ..................................................... 19 La R&D au service d’un territoire compétitif .................................................................................... 24 La recherche produit de l’innovation................................................................................................ 26
B. Le Quartier de la création : une réponse au développement du territoire .....................28 Un socle « industries créatives » se dessine sur le quartier ............................................................. 28 La sélection d’acteurs « créatifs » renforce le positionnement du territoire ................................... 31
Chapitre 2. Le projet s’appuie sur des éléments préexistants................................................35 A. Des modèles de référence...............................................................................................35
Le traité de Bologne soutient la recherche en Europe ..................................................................... 35 Les capitales créatives européennes : des emblèmes d’excellence ................................................. 37 Le cluster : une version rafraichie des technopoles ? ....................................................................... 38
B. Des synergies présentes en amont du Quartier de la création .......................................40 Un réseau local déjà actif.................................................................................................................. 40 Un réseau qui rayonne au‐delà du quartier...................................................................................... 42
___________________________Partie II ..................................................................... 47 Les acteurs de la R&D : ................................................................................................ 47 des positionnements hétérogènes ............................................................................... 47
Chapitre 3. Des acteurs défenseurs du Quartier de la création renforcent le processus de crédibilisation du cluster ......................................................................................................47
A. Développer une scène créative à Nantes ........................................................................48
L’adhésion au concept de cluster pour développer le territoire ...................................................... 48 Le projet renforce l’attractivité de l’ESBANM................................................................................... 50
B. Un territoire R&D à construire ........................................................................................51 La valorisation des travaux de recherche permet de rentrer dans le programme LMD européen .. 51 Le projet de fédération « art, culture, territoire » définit les enjeux de développement à Nantes . 52
Chapitre 4. Des acteurs opportunistes utilisent la stratégie marketing du Quartier de la création comme renfort au développement de leur établissement et laboratoire ................54
A. L’emplacement offre de nouvelles ressources ................................................................54
Une opportunité financière et matérielle......................................................................................... 54 Une localisation de proximité qui faciliterait les échanges entre acteurs ........................................ 54
B. L’engagement dans un label............................................................................................55 Une place sur le quartier qui profite du « buzz » de l’île de Nantes et de son positionnement....... 55 Le projet « Quartier de la création » légitime la place du design comme stratégie de management.......................................................................................................................................................... 56 Gagner une place à l’international.................................................................................................... 57
Chapitre 5. Des acteurs critiques relativisent l’engagement de la R&D dans le projet ...........59 A. Des acteurs qui se sentent en dehors du discours de Nantes Métropole… ....................59
Le Quartier de la création, une étiquette avant tout........................................................................ 59 Les fondements théoriques du projet sont remis en question......................................................... 61
B. … mais qui ne peuvent échapper à une réflexion autour du potentiel du projet sur le territoire..................................................................................................................................63
La recherche, nouvel outil pour l’animation du territoire ? ............................................................. 63 La recherche appliquée laisse peu de place aux sciences humaines ................................................ 64
________________________Partie III ………………………………………………………………..………68 Une étude qui fait apparaître une organisation entre acteurs à orchestrer .................. 68
Chapitre 6. Retour sur la collecte des données .....................................................................68 A. La conduite d’entretien : un exercice délicat ..................................................................68 B. L’Université, grand acteur absent....................................................................................69
Chapitre 7. Un processus de crédibilisation du projet qui amène la reconfiguration des acteurs .................................................................................................................................71
A. Au‐delà d’un engagement par opportunisme .................................................................71 B. La recherche appliquée : nouveau modèle d’excellence.................................................72 C. Le Quartier de la création attise les effets de différenciation .........................................73
________________________Conclusion ...................................................................... 75 ______________________Bibliographie ...................................................................... 78 __________________________Annexes ...................................................................... 81
Annexe 1. La grille de questions générales............................................................................82 Annexe 2. Entretien avec Pierre‐Jean Galdin.........................................................................83
A. Grille de questions...........................................................................................................83 B. Entretien ..........................................................................................................................85
Annexe 3. Entretien avec Christian Guerlin...........................................................................94
A. Grille de questions...........................................................................................................94 B. Entretien .........................................................................................................................96`
Annexe 4. Entretien avec Laurent Devisme......................................................................... 115
A. Grille de questions.........................................................................................................115 B. Entretien ........................................................................................................................117
INTRODUCTION 7
_______________________Introduction
Un projet urbain ambitieux réunissant des acteurs divers
Le Quartier de la création, un catalyseur d'idées innovantes
Nantes Métropole inaugurait le 11 mai 2009 le Quartier de la création annoncé
« comme l’un des premiers pôles européens de référence dans le champ de la société
de la connaissance »1. Le projet s’articule autour de deux axes théoriques : la
valorisation de l’économie de la connaissance et le partage des savoirs dans le champ
des arts, des sciences et des techniques invitant sur un même territoire des acteurs de
l’enseignement supérieur et de la recherche, du monde de l’entreprise et des artistes.
Le Quartier de la création a nécessité la levée de 180 millions d’euros et donne l’accès
à neuf hectares de terrain2. Il trouve ses racines dans une approche globale de
renouvellement du territoire et s’intègre dans la requalification de l’île de Nantes.
L’idée du projet de l’île de Nantes est de développer de nouvelles infrastructures afin
de présenter Nantes comme une ville compétitive et dynamique. Dans cette optique,
ce projet permet une requalification du territoire en dotant cette ancienne zone
industrielle en friche de nouveaux équipements (implantation de nouveaux acteurs,
projets immobiliers à forte identité architecturale, infrastructures facilitant l’accès au
territoire, etc.)3.
Ce Quartier répondant aux critères d’un cluster fait tout d’un coup irruption
sur la scène nantaise. Il pose la question de l’écriture de la ville et des discours autour
du développement urbain. On y évoque les bienfaits de la proximité, des échanges, de
la créativité pour parler du développement du territoire, de l’innovation ou encore de
1 Cf. le dossier de presse Quartier de la création, art and living style district sur le site Internet de la SAMOA, l’aménageur du projet : http://www.iledenantes.com/files/documents/pdf/presse/dp‐quartier‐de‐la‐creation‐110509.pdf 2 Cf. article, Nantes pose les bases d'un quartier de la création in Les Echos, 19 mai 2009. 3 Cf. article, L'île de Nantes en quête d'un rayonnement international in Les Echos, 4 juin 2009.
INTRODUCTION 8
la création d’emplois. On apprend également que ce projet n’est que la continuité
logique d’une politique culturelle spécifique à Nantes menée depuis 20 ans. Politique
culturelle, politique économique, valorisation d’acteurs ciblés, projets architecturaux
ambitieux sont autant d’aspects du projet qui ont attisé ma curiosité et m’ont incité à
poser mon regard sur ce terrain.
Ce quartier nantais est annoncé comme un cluster des industries créatives et
culturelles. Nous prendrons la définition officielle de l’UNESCO pour saisir cette
notion :
Le terme industries culturelles fait référence à des industries qui touchent à la fois la création, la production et la commercialisation de contenus créatifs de nature culturelle et immatérielle. Les contenus sont généralement protégés par le droit d’auteur et ils peuvent s’apparenter à un bien ou à un service […]. Le terme industries créatives comprend un plus grand ensemble d’activités qui englobent les industries culturelles auxquelles s’ajoutent toutes les activités de production culturelle ou artistique […].Les industries créatives sont celles dont les produits ou les services contiennent une proportion substantielle d’entreprise artistique ou créative et comprennent des activités comme l’architecture et la publicité (Unesco)4.
Des établissements de formations se sont installés sur le quartier et ont
bénéficié du soutien financier de la collectivité territoriale. Pour notre étude nous
nous intéressons aux acteurs scientifiques qui viennent ou qui sont sur le point de
s’implanter sur le quartier. C’est le cas de l’École nationale supérieure d’architecture
(l’ENSA), l’École supérieure des beaux‐arts de Nantes Métropole (l’ESBANM), l’école
de communication Sciences Com’, l’École de Design (arrivée prévue en 2014), les
écoles de graphisme et de l'imprimerie, Sup de Co et l’Université de Nantes. Le sujet
de recherche s'intéresse plus particulièrement au rapport que les acteurs de
l’enseignement supérieur et de la R&D entretiennent avec ce cluster. Notre
questionnement central portera autour des stratégies d’implantation des laboratoires
de recherche.
Le cluster appelle l’engagement des acteurs sur le territoire
La politique des clusters émerge au début des années 2000 en tant qu’outil
face au déclin des pôles industriels. Les acteurs intégrés au projet sont adhérents
4 Cf. article de l’Unesco Comprendre les industries créatives, les statistiques culturelles et les politiques publiques http://portal.unesco.org/culture/fr/files/30297/12029162373cultural_stat_fr.pdf/cultural_stat_fr.pdf
INTRODUCTION 9
volontaires. Quelles que soient leurs motivations à vouloir rejoindre ce projet urbain,
nous pouvons partir du postulat qu'ils connaissent les modalités de fonctionnement
du cluster. Michael Porter (Porter, 1998, p.77) pose la base suivante sur ce concept :
Clusters are geographic concentration of interconnected companies and institutions in a particular field. Clusters encompass an array of linked industries and other entities important to competition. They include, for example, suppliers of specialized inputs such as components, machinery, and services, and providers of specialized infrastructure. Finally, many clusters include governmental and other institutions – such as universities, standards‐setting agencies, think tanks, vocational training providers, and trade associations – that provide specialized training, education, information, research, and technical support.
Cette définition révèle des facettes du concept intéressantes pour notre étude :
l’ancrage territorial, les échanges entre le monde industriel et le secteur de la
recherche et la spécialisation de secteurs innovants. Le cluster se veut un lieu
d’échanges, de synergies, de coopérations entre des organisations (industries, centres
de recherche, pôles culturels, etc.) interdépendantes liées par un territoire et des
savoir‐faire communs. L'idée est de réunir sur un même lieu des acteurs qui n'ont pas
l'habitude de travailler ensemble afin d'impulser des partenariats originaux. Un autre
concept est à rapprocher de celui de cluster, il s’agit des « pôles de compétitivité » :
Un pôle de compétitivité résulte de « la combinaison » sur un espace géographique donné d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche publiques ou privées engagés dans une synergie autour de projets communs au caractère innovant. Ce partenariat s’organise autour d’un marché et d’un domaine technologique et scientifique qui lui est attaché. […] Cette forme d’organisation permet à la fois de maintenir les compétences technologiques au meilleur niveau et de lutter plus efficacement contre la désindustrialisation et les délocalisations, en confortant l’ancrage des capacités industrielles existantes et en attirant de nouvelles capacités de production (Albertini, 2006, pp. 422-423).
Les clusters permettraient la réorganisation des pôles industriels et offriraient
une solution aux problématiques liées à la décentralisation. Un nouveau modèle
alliant les entreprises, la formation et les centres de recherche est soutenu par les
politiques des États des pays occidentaux. En France, depuis 2004, l’État soutient les
pôles de compétitivité, nouveaux territoires qui « rassemblent […] des entreprises,
des centres de recherche et des organismes de formation, afin de développer des
synergies et des coopérations, notamment au travers de projets coopératifs
innovants»5. L’approche territoriale par le développement et le soutien des politiques
5 Publication du Ministère de l’économie des finances et de l’industrie
INTRODUCTION 10
des clusters et des pôles de compétitivité « est un facteur déterminant de la
production de connaissances nouvelles à travers la concentration spatiale des moyens
de R&D publics et privés. Elle permet aussi sa diffusion à l’ensemble du tissu
économique des territoires, en particulier les PME » (Marie-France Barthet, 2009,
p. 13). Les deux concepts cluster et pôle de compétitivité se recoupent et posent les
mêmes bases organisationnelles. Les deux concepts placent l’activité de R&D au cœur
du dispositif.
Le concept de cluster est à rapprocher de celui de territoire ‐ lieu où les
échanges se jouent. Pour Alexandre Moine, « le territoire est un système complexe
évolutif qui associe un ensemble d’acteurs d’une part, l’espace géographique que ces
acteurs utilisent, aménagent et gèrent d’autre part » (Moine, 2006, p. 126). Selon
l’auteur, le système se compose de trois entrées :
‐ La référence spatiale (matérialisation de l’espace) ;
‐ Le système de représentations (sentiments d’appartenance, adhésion à un
projet, analyse des discours) ;
‐ Le système des acteurs (comprendre les interactions). Ce dernier jouant une
place majeure dans la dynamique du concept.
Une étude menée sur la Comestic Valley (Barabel, Chabault, Meier, & Tixier,
2009) utilise le concept de proximité pour analyser les dynamiques territoriales de ce
célèbre pôle de compétitivité. En s’appuyant de travaux de chercheurs issus du
champ de la géographie économique, ils distinguent trois catégories pour
appréhender le concept :
‐ La proximité géographique (la dimension spatiale et l’histoire du territoire) ;
‐ La proximité institutionnelle (l’adhésion des différents acteurs à des
représentations, règles et modèles de pensées communs) ;
‐ La proximité organisationnelle (les modalités de partage des savoirs et des
compétences techniques, organisationnelles et économiques).
INTRODUCTION 11
Enfin, le concept de cluster s'appuie d'une volonté de spécialisation du
territoire pour favoriser et renforcer les partenariats et mettre en avant le rôle
économique du secteur culturel. Les activités des acteurs du Quartier de la création se
veulent tournées en théorie dans des champs de recherche cohérents autour des
secteurs des Industries créatives. Les passerelles inter et intra laboratoires de
recherche doivent porter autour de recherches sur l’innovation.
Les stratégies d’engagement des acteurs, un questionnement encore flou dans la littérature scientifique
Les études et les bénéfices des clusters en termes de retombées économiques
sont connus depuis les années 1980, portés notamment par les travaux de Michael
Porter. En Europe, la politique des pôles de compétitivité a débuté de manière
significative depuis les années 2000, notamment par le biais du lancement du soutien
financier de l’Europe avec la stratégie de Lisbonne. En France, dès les années 1990, la
Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité
régionale (DATAR) s’était engagée dans une politique de soutien aux Systèmes
productifs locaux (SPL) en prônant les bénéfices de la concentration territoriale
d’entreprises dans un secteur spécialisé. « L’objectif premier était de réduire les coûts
de production des entreprises en mutualisant les moyens de production » (Nicolas
Jacquet, 2005, p. 57). En 2002, le Comité interministériel pour l'aménagement et le
développement du territoire (CIADT) annonce une nouvelle orientation des
politiques industrielles en présentant les objectifs des pôles de compétitivité :
Le pôle de compétitivité français ne se contente pas d’une juxtaposition d’acteurs économiques et scientifiques qui travaillent dans un même domaine, mais se fonde ainsi sur une démarche partenariale et sur la définition de projets communs et innovants. (Nicolas Jacquet, 2005, p. 63)
Nous admettons que le manque d’études portées sur l’évaluation des
stratégies des acteurs volontaires et engagés dans ce nouveau modèle réside en
partie au fait que ce sont des politiques relativement jeunes. La deuxième phase de
financement des pôles de compétitivité, appelée « Pôles de compétitivités 2.0 » en
référence au web 2.0, vient tout juste d’être achevée (2009‐2011). La littérature
présente autour des clusters et pôles de compétitivités se concentre sur la nature, les
spécificités et les objectifs de ces modèles économiques. Peu d’études portant sur
l’évaluation des pôles de compétitivité posent la question des relations inter‐
INTRODUCTION 12
organisationnelles. Les connaissances que nous avons sur les apports de la R&D sont
axées principalement autour du lien entre innovation et recherche. Que savons‐nous
des stratégies d’implantation ? Alors que les clusters sont annoncés comme des
modèles préfabriqués répondant à un cahier des charges, peu d’informations nous
aident à cerner les raisons pour lesquelles certains pôles ont subi des échecs et n’ont
pas réussi à tenir les objectifs attendus.
Au‐delà des études portant sur le caractère participatif des acteurs du cluster,
nous trouvons aussi des analyses qui critiquent et relativisent la portée des clusters.
Nous découvrons une autre dimension de ce type de politiques : l’exacerbation de la
compétitivité. Nous présentons maintenant un deuxième volet dans la littérature
scientifique qui porte sur les rapports d’intérêts marketing qu’entretiennent les
acteurs avec les clusters et pôles de compétitivité.
Cluster & marketing urbain
Le modèle managérial des clusters s’inscrit aussi dans une stratégie de
marketing urbain. Les clusters et autres pôles de compétitivité participent à la
réécriture de la ville, à la revitalisation des sites industriels laissés à l’abandon. Outre
l’exploitation de nouvelles surfaces foncières et la mise à disposition d’anciens
bâtiments à réinvestir, l’implantation des pôles d’innovation participe à la
revitalisation de la ville, « à une active pratique de réinvention et de rebranding »
(Saez, 2009-2010, p. 30) :
La croissance des industries culturelles et les activités qu’elles génèrent structurent l’économie de la ville, mais plus encore, son aptitude à produire des symboles et un sens aux lieux urbains, qui entrent dans une « image de la ville » à promouvoir (Saez, 2009-2010, p. 29).
Les acteurs entrent dans une course pour l’obtention de label. Le Quartier de
la création n’est pas soumis au label « pôle de compétitivité ». Pour pallier ce manque
qui pourrait être un déficit en terme de marketing urbain et de communication
publique, Nantes Métropole valorise le projet urbain dans son rattachement au
réseau européen du programme d’ECCE.
La politique de Nantes autour du Quartier de la création entend promouvoir le
secteur des industries créatives et culturelles. La culture est opérationnalisée à des
fins économiques (attraction de nouvelles entreprises, recherche de croissance,
INTRODUCTION 13
création d’emploi, etc.) mais aussi à des fins sociales. En effet, la promotion de la
culture permet de faire passer des messages multiples : représentation d’un territoire
dynamique, diffusion de symboles locaux. Mais plus encore, il s’agit d’attribuer à la
culture des effets sociaux :
Le marketing urbain commence avec cette devise : présenter une ville attractive pour la rendre compétitive. Le marketing urbain y ajoute une présomption, sinon une croyance : toute stratégie autour des arts et de la culture suppose qu’ils ont un effet social (Saez, 2009-2010, p. 30).
L'engagement des acteurs dans le cluster : entre stratégie collective et intérêts privés
Notre sujet de recherche s’intéresse aux stratégies d’implantation des
établissements d’enseignement supérieur et des laboratoires de recherche sur le
Quartier de la création. Nous répondrons à la question suivante : En quoi les
dynamiques de proximité développées par les acteurs de la recherche implantés sur
le quartier de la création répondent à un engagement dans un cluster ?
Pour répondre à cette problématique, plusieurs aspects du sujet devront être
analysés. Dans quel contexte est né ce projet ? Quels sont les effets attendus de ce
cluster sur le territoire ? Dans quelle mesure la production scientifique nantaise
s’intègre‐t‐elle à ce projet de cluster dédié aux Industries créatives et culturelles ?
Comment participe‐t‐elle au développement du territoire ? La mise en place du
concept théorique des clusters appelle‐t‐il à une reconfiguration du réseau
scientifique déjà présent sur le sol nantais ? Comment s’organise les rapports
interpersonnels des acteurs scientifiques ? La proximité accentue‐t‐elle les effets de
concurrence ? Dans quelle mesure les intérêts particuliers peuvent s’intégrer aux
intérêts de la collectivité ?
Les deux entretiens exploratoires réalisés auprès de Véronique Le Saux,
chargée de projets Industries créatives et Grégoire Cliquet, enseignant‐chercheur et
responsable pédagogique des 2e et 3e année du cursus de Design d'interactivité /
Hypermedia de l'École de Design m'ont permis de remettre en question la pertinence
d'un modèle promu autour de la coopération et la complémentarité. Les intérêts
privés semblent prendre le dessus dans les choix des acteurs à vouloir s'installer sur
ce quartier. Mes deux hypothèses sont les suivantes :
INTRODUCTION 14
1) L'engagement des acteurs de la recherche sur le Quartier de la création à
Nantes répond à une stratégie marketing, à une volonté de se rattacher à un label;
2) L'engagement des acteurs de la recherche sur le Quartier de la création à
Nantes leur permet avant tout de profiter d'avantages matériels (opportunité
immobilière, placement sur une épine dorsale, facilité d'accès).
Nous allons montrer que le Quartier de la création est un outil à faire exister
sur la scène nantaise. Il est un projet construit autour de problématiques socio‐
économiques appelées au développement économique du territoire et s’appuyant
d’éléments préexistants à sa construction (partie 1). Ensuite, nous analyserons les
positionnements des acteurs interrogés en montrant que l’engagement des acteurs de
l’enseignement supérieur et de la recherche n’est pas univoque. Des discours se
juxtaposent sur le Quartier de la création remettant en cause le modèle théorique des
clusters et questionnant les synergies des acteurs sur le territoire (partie 2). Enfin,
partant de nos hypothèses de départ, nous reviendrons sur notre collecte de données
pour dresser un bilan de nos résultats et comprendre les productions qui se jouent
sur ce territoire (partie 3).
INTRODUCTION 15
Méthodologie
Choix de l’enquête : l’entretien semi-directif
Pour notre étude, nous procèderons à une série d’entretiens semi‐directifs
auprès des différents directeurs de laboratoires ou directeurs d’établissement
d’enseignement supérieur liés au Quartier de la création. L’entretien a pour objectif
de révéler « la logique d’une action, son principe de fonctionnement » (Alain Blanchet,
2007, p. 37). En effet, notre étude s’intéresse aux stratégies d’actions des acteurs de la
R&D dans leurs choix d’implantation sur le Quartier de la création à Nantes. Au
travers de l'entretien, il s'agira d'atteindre les pratiques et les représentations des
acteurs. Comme le précisent Alain Blanchet et Anne Gotman :
L’enquête par entretien est ainsi particulièrement pertinente lorsque l’on veut analyser le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques, aux événements dont ils ont pu être les témoins actifs ; lorsque l’on veut mettre en évidence les systèmes de valeurs et les repères normatifs à partir desquels ils s’orientent et se déterminent. Elle aura pour spécificité de rapporter les idées à l’expérience du sujet. Elle donne accès à des idées incarnées, et non pas préfabriquées, à ce qui constitue les idées en croyance et qui, pour cette raison, sera doté d’une certaine stabilité (Blanchet & Gotman, 2007, p. 24).
Population et corpus
Au départ de l’élaboration de la problématique de recherche, nous avions
comme seuls matériaux l’exploitation d’informations publiques (sites Internet et
plaquettes de présentation du projet et des centres universitaires et un DVD de
présentation de Nantes Métropole sur le Quartier de la création). Les entretiens
exploratoires ont permis de compléter les ressources publiques et d’apporter des
données pertinentes pour comprendre la complexité du sujet. Ainsi, nous avons pu
cerner des aspects du sujet qui nous échappaient et sur lesquels nous nous sommes
appuyés pour développer nos hypothèses de recherche. Un des deux entretiens
exploratoires a été effectué auprès d’un chercheur de l’École de Design. Bien que cet
entretien nous ait conduits à une collecte d’informations intéressantes et pertinentes,
certains points sont restés dans l’ombre puisque ce chercheur n’était pas en relation
avec les personnes en charge du développement stratégique de l’école. Ainsi, nous
décidons d’axer l’élaboration de notre corpus vers des acteurs qui ont un rôle de
décideurs dans le projet du Quartier de la création. Nous ciblerons principalement
INTRODUCTION 16
des chercheurs ou des directeurs de laboratoire qui ont une participation active dans
le processus de négociation avec Nantes Métropole. Notre critère de sélection
correspond alors au statut et au pouvoir de décisions des acteurs au sein de l’institut.
En ciblant ce type d’acteurs, nous espérons questionner plus en profondeur les
stratégies et les représentations mises en avant sur notre terrain de recherche.
Nous avons effectué trois entretiens pour cette recherche avec des acteurs au
profil hétérogène. Le premier a été fait au côté de M. Christian Guerlin, directeur de
l’École de Design Nantes Atlantique. Cet acteur est intéressant pour notre étude
puisqu’il est rattaché au secteur privé. Au cours de l’entretien, nous avons surtout
dirigé nos questions sur le potentiel du cluster et les motivations du directeur à
vouloir rejoindre le projet. Le déménagement de l’école est prévu pour 2014. Le
deuxième entretien nous a permis de rencontrer un acteur qui était déjà présent sur
le quartier avant l’annonce du projet urbain. Il s’agit de M. Laurent Devisme,
enseignant‐chercheur à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Dans le
cadre de ses activités de recherche, M. Devisme s’est déjà intéressé au développement
urbain de ce quartier qui a fait l’objet entre autre de la publication d’un ouvrage
intitulé Nantes, petite et grande fabrique urbaine (Devisme). Enfin, le troisième acteur
rencontré était M. Pierre‐Jean Galdin, directeur de l’École supérieure des Beaux‐Arts
de Nantes Métropole. Cet acteur issu du secteur public fait partie des acteurs actifs
dans l’élaboration du projet au côté de Nantes Métropole. Le déménagement de
l’école est prévu pour 2014.
L’élaboration de la grille d’entretien
Nous avons vu qu’il existait une juxtaposition de théories montrant que les
clusters pouvaient répondre à des stratégies de développement de territoire et qu’ils
pouvaient répondre à des intérêts privés pour les acteurs adhérents au projet.
À partir de ces constats, nous avons élaboré une grille d’analyse permettant de
recenser et synthétiser ces aspects. Ces thèmes nous permettront d’orienter nos
questions en fonction des positions prises par nos interlocuteurs. La grille
« thématique cluster et synergies » reprend les thèmes et opérateurs développés par
Michel Barabel dans son étude sur la Cosmetic valley (Barabel, Chabault, Meier, &
Tixier, 2009).
INTRODUCTION 17
Thématique cluster & synergies
Thèmes Opérateurs Indicateurs
Le périmètre géographique du territoire
Localisation des partenaires & collaborateurs intra/extra muros Rattachement à un réseau Le territoire
L’historique du territoire Ancienneté des partenariats & collaborations avant/après l’intégration au projet
Les représentations, règles d’actions et modèles de pensées
Le cluster La proximité & la concentration des acteurs La portée des Industries créatives L’innovation La propriété intellectuelle Le Quartier de la création L’économie de la connaissance
La coordination des acteurs entre eux
La communication inter laboratoires La spécialisation des axes de recherche
L’adhésion des acteurs
La production de projets communs La médiation des travaux Les publics cibles
Les modalités de partage des savoirs et compétences
Les outils de médiation Le dépôt de brevets L’organisation
des acteurs Les logiques de similitudes ou d’appartenance
Le choix de l’emplacement
INTRODUCTION 18
Thématique cluster & concurrence
Thèmes Opérateurs Indicateurs
Recherche de développement Le label Le branding
Recherche de visibilité locale / internationale Rattachement à un label Rattachement à Nantes Métropole Rattachement au Quartier de la création Autonomie / rattachement au cluster
Avantages matériels et financiers Avantages matériels Avantages financiers
Recherche de financement Capacité d’accueil du local Fibre optique
Qualification de l’offre scientifique
R&D Enseignement Portée sociale
Recherche appliquée vs recherche fondamentale Clivage établissement privé / public Effet social de la culture et du domaine de spécialisation de l’établissement Rapport maître / élève Positionnement de l’école / autres établissements Représentation des autres établissements
Outre une grille d’analyse nous permettant d’orienter nos entretiens selon la
position de notre interlocuteur, nous avons élaboré une grille de questions afin
d’avoir une base de questions types et permettant de saisir l’étendue des
problématiques liées à l’engagement des acteurs dans le cluster6.
6 Cf. Annexe 1, La grille de questions, p. 82.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 19
___________________________Partie I Le Quartier de la création :
un outil à faire exister
Le Quartier de la création souhaite mettre en lumière les bénéfices de la
recherche dans le développement du territoire. La communication publique révèle
des acteurs impliqués dans un projet au service de la communauté. Pourtant, nous
allons montrer que ce projet urbain est avant toute chose un outil de communication
pour Nantes Métropole qui souhaite, au travers de ce plan, requalifier son territoire.
Ainsi, il nous paraît primordial de décortiquer la naissance de ce projet et d’analyser
le contexte dans lequel il émerge.
Chapitre 1. Le Quartier de la création s’ insère dans des problématiques socio-économiques
Ce chapitre cherche à lever un diagnostic du contexte socio‐économique qui a
conduit la Communauté urbaine (CU) à soutenir l’inauguration du Quartier de la
création. La gestion des compétences des collectivités territoriales entraine les
territoires à se doter de projet ambitieux, attractifs et permettant de soutenir
l’économie locale. L’enjeu de compétition pousse les collectivités à se renouveler sans
cesse et à réinventer en permanence leur mode de gestion. Il est devenu important de
se démarquer à l’échelle nationale et internationale. Dans ce contexte, le Quartier de
la création voit le jour.
A. La recherche de nouvelles ressources
La recherche de visibilité à l’échelle nationale et internationale
Suite à la décentralisation et à la globalisation des marchés, les collectivités
doivent répondre en tant qu’acteurs indépendants aux situations de crise
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 20
économique. Le terme de « compétitivité » emprunté au vocabulaire du monde
entrepreneurial entre dans le lexique des institutions territoriales. Les territoires
doivent être « compétitifs » en cela qu’ils doivent sans cesse trouver de nouvelles
ressources d’attractivité permettant ainsi la croissance économique.
On retrouve ici une conception et un fonctionnement du territoire comme « milieu » catalyseur, offrant simultanément : un espace physique fournissant des facteurs matériels et immatériels à l’origine d’un avantage compétitif pour les entreprises (la réduction des coûts de transaction liée à la concentration des acteurs sur un périmètre donné est la première de ces externalités compétitives), un cadre de coopération organisé en un système local de gouvernance entre acteurs publics et privés et une « capacité apprenante » collective, suscitant et consolidant les synergies locales grâce à un système relationnel organisé (Albertini, 2006, p. 420)
Les projets de clusters dédiés aux industries créatives sont de nouveaux
moteurs pour les grandes métropoles françaises en quête de compétitivité. Ils sont
soutenus par une politique urbaine menée en France depuis 2004 autour des pôles de
compétitivité. L'État souhaite promouvoir et soutenir des territoires qui
« rassemblent […] des entreprises, des centres de recherche et des organismes de
formation, afin de développer des synergies et des coopérations, notamment au
travers de projets coopératifs innovants»7.
Le label « pôle de compétitivité » a pour ambition d’apporter une valeur
ajoutée aux régions, une visibilité sur le plan national et international, de générer de
la croissance et de renforcer les synergies entre acteurs du territoire notamment en
renforçant le lien entre entreprises et centres de recherche. Chaque région de France
est dotée d’au minimum un pôle. La répartition géographique reste inégale.
Les régions PACA, Rhônes‐Alpes, Paris et Pyrénées sont celles qui concentrent le plus
de pôles (figure 1)8.
7 Publication du Ministère de l’économie des finances et de l’industrie 8 Pour plus d’informations consulter le site www.competitivite.gouv.fr
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 21
Le label « pôle de compétitivité » est attribué dès lors qu’il existe une
collaboration sur la base de deux entreprises et un centre de recherche. En 2010,
nous comptons 71 pôles labellisés9.
Un cahier des charges est tenu afin de valider les projets en demande de
labellisation. L’encadré 1 reprend les quatre critères déterminants à l’obtention du
label « pôle de compétitivité » (Marie-France Barthet, 2009, p. 24) :
9 Source obtenue sur le site www.competitivite.gouv.fr édité par la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) et la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS).
Figure 1 ‐ Les 71 pôles de compétitivités français en 2010
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 22
‐ une stratégie de développement cohérente avec le plan de développement économique du territoire du pôle ;
‐ une visibilité internationale suffisante, sur les plans industriels et technologiques ;
‐ un partenariat entre acteurs et un mode de gouvernance structuré et opérationnel assurant des synergies en matière de R&D et de formation notamment ;
‐ une capacité à créer des richesses nouvelles à forte valeur ajoutée.
Encadré 1 ‐ Les principaux critères pour l'obtention du label "pôle de compétitivité"
Bien que le cluster nantais ne reçoive pas le label d’État de « pôle de
compétitivité », il compte le soutien des acteurs politiques locaux. Comme le déclare
le maire de la ville, Jean‐Marc Ayrault, « on peut presque parler d'un pôle de
compétitivité bénéficiant d'un urbanisme de qualité, un tel regroupement devant
permettre de gagner une visibilité au plan européen»10. Le projet du Quartier de la
création annonce le développement économique d’un territoire reposant sur des
critères des pôles de compétitivité. Selon une déclaration de l’adjoint au maire de
Nantes, Patrick Rimbert, « notre projet est de faire émerger une sorte de pôle
d'excellence autour des activités créatives, bâti selon le principe des pôles de
compétitivité »11.
Le projet du Quartier de la création s’insère dans une stratégie globale de
développement où la Communauté urbaine (CU) Nantes Métropole met en place des
projets urbains et culturels lui permettant d’accroitre son rayonnement. Afin de
répondre à ses objectifs, nous avons relevé les principaux projets phares de son
développement (Devisme) :
‐ Relier Nantes Métropole à la commune de Saint‐Nazaire. Nous remarquons la
valorisation de l’eau avec notamment la mise en place de l’événement de la
Biennale‐Estuaire ;
‐ Le renforcement du pôle tourisme (transfert de compétences des communes
vers la CU depuis 2001) dans le cadre d’une politique de développement
économique,
‐ Gagner la place de capitale du Grand‐Ouest ;
10 Cf. article, L'île de Nantes en quête d'un rayonnement international in Les Echos, 4 juin 2009. 11 Cf. article, La création prend ses quartiers à Nantes in CB News, 26 avril 2010.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 23
‐ Offrir une vitrine centrale du savoir‐faire et de la capacité d’agir de la CU.
L’aménagement du l’île de Nantes où se trouve le Quartier de la création se
trouve sur un emplacement stratégique, « un territoire de démonstration »
(Devisme, 2009, p. 43),
‐ Rattacher la ville de Nantes à un rayonnement européen avec la construction
de l’aéroport international à Notre‐Dame‐des‐Landes (figure 2).
Figure 2 ‐ Carte du réseau national et international de Nantes (crédit Nantes Métropole)
Ces projets valorisant le territoire offrent de nouveaux équipements. Ils
s’insèrent dans une nouvelle ère de la politique publique en matière de gestion du
territoire. En effet, alors qu’entre les années 1989 et 2001, la ville valorisait la
conception fonctionnelle du territoire, les années 2000 sont axées autour du projet
urbain, du renouvellement de la « ville‐centre ». Laurent Devisme explique que
« depuis vingt ans, la ville se pense motrice de son destin » (Devisme, 2009, p. 47). La
gestion des compétences depuis la décentralisation pousse les CU à montrer leur
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 24
capacité de gestion et de développement. Aujourd’hui « le projet île de Nantes
cristallise trois volontés : exalter la mémoire du passé maritime, conduire une
expérience urbanistique originale et construire l’image d’une Eurocité […]. C’est un
projet global, résidentiel, d’espaces publics et d’activités » (Devisme, 2009, p. 54).
Ce quartier est en marge des 71 pôles labellisés en France mais il reste dans la
course aux territoires compétitifs bénéficiant d’une enveloppe européenne par le
biais du programme ECCE (Economic clusters of cultural entreprises). Nantes
Métropole souhaite se positionner via le projet du Quartier de la création dans un
système international12. Depuis 2009, la CU est le chef de file du programme
européen ECCE qui réunit des villes internationales (Aix‐la‐Chapelle, Stuggart,
Eindhoven, Dublin, Cardiff) et des institutions comme l’université de Birmingham et
une agence de développement des industries créatives13. L’objectif est de développer
des échanges et des transferts d’expertise dans le secteur des industries créatives.
Le Quartier de la création serait une vitrine d’une politique culturelle
municipale soutenant les PME du secteur des industries culturelles et créatives et
dont la propriété intellectuelle est au cœur de leurs activités14.
La R&D au service d’un territoire compétitif
La Recherche et développement (R&D) semble avoir une place sur le quartier.
Tout d’abord dans l’accueil des jeunes diplômés : « Notre idée est de permettre aux
petits génies qui sortent des écoles de trouver là un terrain propice pour leurs
projets, commente Patrick Rimbert, pour Nantes Métropole. Mais nous voulons aussi
raccrocher toute cette effervescence à l'économie. La création artistique peut avoir
des prolongements dans des tas de domaines, et pas seulement dans le virtuel : dans
12 À ce titre, Nantes Métropole a rejoint le réseau européen Eurocités qui réunit les plus grandes métropoles d’Europe autour de problématiques liées à la gouvernance des territoires locaux. Organisé autour d’un échange de bonnes pratiques, le réseau Eurocités vise à l’amélioration de la qualité de vie des habitants. Parmi les nombreuses thématiques défendues dans ce réseau, on retrouve la promotion des villes « créatives » visant à souligner les bénéfices de la culture comme un secteur vital pour les politiques publiques et la valorisation de l’accès et la participation de la culture au plus grand nombre. 13 Des informations complémentaires sont disponibles par l’agence Nantes création : www.nantescreation.fr/spip.php?rubrique5 14 Cf. article, Le pari des industries de la création in Le Point, 10 mars 2010. Cf. article, L'Europe de l'énergie et de la création in Presse Océan, 23 septembre 2010.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 25
l'ameublement, le textile ou l'alimentaire»15. Jean‐François Balducchi, délégué
d’Atlanpole confirme la place centrale qu’occupe la R&D dans le développement du
quartier et appuie par la même occasion le modèle de pôle de compétitivité : « On
trouve ici une vraie fluidité entre la recherche, les entreprises et les financeurs, c'est
un écosystème performant »16.
La R&D devient un atout pour doper la compétitivité des territoires. Ces
nouveaux regards portés sur la recherche entrent dans le champ de ce que l’on
nomme « économie de la connaissance ». Selon Barthet et Thoin, « cette économie de
la connaissance coïncide avec la diffusion généralisée des technologies de
l’information et de la communication » (Marie-France Barthet, 2009, p. 13). Nous
remarquons depuis une dizaine d’années, un intérêt croissant pour l’économie de la
connaissance. À l’échelle européenne, la stratégie de Lisbonne souhaite au travers de
ce secteur en expansion « rendre l’Europe plus attrayante pour les chercheurs et les
scientifiques, faire de la recherche‐développement une priorité de premier plan et
promouvoir l’utilisation des technologies de l’information et de la communication
(TIC) » (2004, p. 6)17. L’Union européenne semble investir sur les retombées
économiques qu’offrent les clusters :
Une croissance durable et la création d'emploi dans l'UE dépendent de plus en plus de l'excellence et de l'innovation, qui constituent les principaux moteurs de la compétitivité européenne. Forte de cette constatation, l'UE a adopté en 2006 une stratégie d'innovation élargie et a défini le renforcement des clusters en Europe comme l'une des neuf priorités stratégiques pour promouvoir avec succès l'innovation18.
Ces investissements ne sont pas sans rappeler la vision de Manuel Castells.
Selon lui, une position explicative persiste et s’impose, celle d’une nouvelle ère de nos
sociétés occidentales que l’on nomme société de l’information. Les sociétés
occidentales suivraient un même schéma de développement : le poids croissant du
secteur tertiaire dans ces sociétés, la place de l’innovation comme élément clé au
15 Cf. article, Le pari des industries de la création in Le Point, 10 mars 2010. 16 Cf. article, Nantes cultive l'esprit de filière in Les Echos, 03 juin 2009. 17 Cf. Relever le défi. La stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi. Rapport de groupe de haut niveau présidé par M. Wim Kok, novembre 2004. http://www.politiquessociales.net/IMG/pdf/2004‐1866‐FR‐complet.pdf 18Cf. le rapport de l’UE (2008). Vers des clusters de classe mondiale dans l'Union européenne : mise en oeuvre d'une stratégie d'innovation élargie. Communautés européennes, Bruxelles.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 26
développement économique, l’accroissement de main‐d’œuvre qualifiée, la détention
de l’information et de la connaissance comme facteur de production.
La recherche produit de l’innovation
L’activité de R&D joue un rôle majeur dans cette quête au développement des
territoires et à l’innovation. La R&D porte sur « l’acquisition de connaissances en vue
de mettre au point de nouveaux produits, procédés ou services des prototypes ou des
projets pilotes » (Marie-France Barthet, 2009, p. 10). Selon une étude menée par Jean‐
Sébastien Scandella sur les pôles de compétitivité, « la principale mission des pôles
consiste à détecter des projets collaboratifs de R&D et à accompagner leurs porteurs
afin que leurs dossiers satisfassent ces critères de labellisation » (Scandella, 2008,
p. 42). La R&D serait l’axe principal qui permettrait le développement de ces
territoires compétitifs (Marie-France Barthet, 2009).
D’important montant sont investis pour soutenir l’activité de R&D. Par
exemple, le Fonds unique interministériel (FUI) a alloué sur la période 2006‐2008 un
budget de 730 millions d’euros pour soutenir la recherche dans les projets de pôle de
compétitivité. Entre juillet 2005 et février 2008, le FUI a lancé six appels à projets. Sur
les cinq premiers projets, 455 projets ont été sélectionnés. Le budget dépensé pour la
R&D représentait la somme globale de 2,8 milliards d’euros comprenant un
financement de l’État de 620 millions d’euros et de 309 millions d’euros de la part des
collectivités territoriales (Scandella, 2008). Au total, en 2008, tous types d’aides
confondus, 1,5 milliards d’euros ont été consacrés au financement des projets R&D
(Marie-France Barthet, 2009).
Le bilan de la première phase de la politique des pôles de compétitivité semble
positif. Pierre Dartout, préfet et délégué interministériel à l’aménagement et à la
compétitivité des territoires, fait référence en ouverture d’une synthèse sur les pôles
de compétitivités à une étude conduite par la DIACT en 2007. Il nous rappelle que
« 80 % des 71 pôles ont été jugés comme ayant atteint, totalement ou partiellement,
les objectifs. Les cabinets de consultants en charge de cette évaluation ont estimé que
la plupart des pôles font preuve d’un dynamisme prometteur notamment par le
développement de coopérations entre acteurs jusqu’ici cloisonnés et la création de
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 27
passerelles nouvelles entre universités, laboratoires et entreprises » (Marie-France
Barthet, 2009, p. 7).
Une étude canadienne s’est intéressée aux résultats du cluster de Waterloo
près de Toronto spécialisé dans les TIC et qui est compté parmi les clusters les plus
dynamiques du Canada et de l’Amérique du Nord (Bramwell, 2008). Allison Bramwell
montre comment l’organisation et les actions de coopération engagées par
l’université de Waterloo vers les entreprises ont permis d’accroitre la productivité et
le développement du territoire. Dès les années 1957, l’université a mis en place une
formation universitaire scientifique et technologique dirigée vers les intérêts et les
besoins des entreprises. Pour favoriser les passerelles entre l’établissement
d’enseignement supérieur et les entreprises, l’université a ouvert un programme de
formation en alternance, nommé aujourd’hui programme « co‐op ». D’après cette
étude, ce programme permet chaque année le placement en alternance de 11 000
étudiants pour 3000 employeurs. Le personnel de R&D est embauché dans 76 % des
entreprises du cluster, majoritairement des PME. L’université de Waterloo s’engage
dans un programme universitaire et des activités de R&D tournées vers l’entreprise.
Pour cela, elle met en place une batterie de programmes pour encourager les
étudiants à ouvrir leurs travaux vers la recherche appliquée. Cette étude montre
comment l’université de Waterloo a intégré cet axe de développement au niveau
local, provincial et fédéral pour créer la force des synergies avec les entreprises des
TIC.
Il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de la R&D dans le tissu
entrepreneurial du Quartier de la création. Bien que l’École d’architecture et
l’Université de Nantes représentée par l’Université permanente soient déjà en place
sur le quartier, la majorité des acteurs de l’enseignement supérieur sera présente à
partir de 2014. Néanmoins, nous retrouvons dans le discours de certains acteurs des
éléments qui confirment la volonté de renforcer le développement du territoire et la
recherche d’innovation par les activités de R&D. Le discours de Christian Guerlin,
directeur de l’École de Design confirme ce point19 :
Je lance l’ouverture d’un laboratoire d’expérimentation. Ce laboratoire d’expérimentation a vocation d’aller sur l’île de Nantes. J’ai aujourd’hui sept
19 Cf. Annexe 3, Entretien avec Christian Guerlin, p. 94
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 28
masters, il y en a un qui s’appelle « réalité virtuelle », donc voilà tous ces petits trucs là que je suis en train de monter vont aller sur l’île de Nantes, c’est le but du jeu. […] Je vais travailler avec des écoles d’ingénieurs, vous avez les mecs de l’Insam, les gens de Telecom Bretagne, ces gens là vont venir sur le laboratoire sur l’île de Nantes avec moi, vont travailler sur les usages… donc j’amène ces chercheurs là, ceux là c’est des vrais, et puis j’amène les entreprises. Par exemple sur le pavé tactile, je travaille avec la SNCF qui cherche à revoir totalement tout ce qui est de la commande de billets, de trucs comme ça. Donc je fais venir des entreprises qui si j’étais pas là ne seraient pas venues nécessairement, je les fais venir (lignes 557‐568).
On comprend également au travers de cet extrait la représentation de
Christian Guerlin du potentiel des centres de formations à attirer des entreprises sur
le cluster et la capacité pour l’École de Design de rallier des entreprises par le bais de
ce laboratoire d’expérimentations autour de questions sur les usages. Le cluster a
bien ici cette force de rassembler et de générer des activités productives et originales.
B. Le Quartier de la création : une réponse au développement du terri toire
Un socle « industries créatives » se dessine sur le quartier
La mise en culture du site a eu un droit de regard par l’association Histoire de
la navale et de la Maison des hommes et des techniques. Leur souhait est de préserver
la mémoire du site. Les projets culturels qui ont été soumis ont été très critiqués par
volonté de positionner les projets dans une lignée politique de « gauche » et de
rechercher des projets originaux et ambitieux. Au travers de ce projet, on remarque
que la culture est opérationnalisée à des fins d’aide et de soutien à l’aménagement de
l’île de Nantes – un aménagement à deux dimensions dans le fait de vivre
physiquement dans l’espace et d’être rattaché culturellement à l’espace :
Ambitions artistiques et ambitions de développement et d’aménagement du territoire apparaissent intimement liées, en toute conscience de cause des intervenants du champ culturel qui revendiquent volontiers d’être des contributeurs à une fabrique urbaine contemporaine (Devisme, p. 66).
Le projet qui est le fruit d’une réflexion autour du développement économique
du territoire s’appuie ainsi d’un secteur en émergence celui des industries créatives,
prenant le relais sur les industries culturelles. Pour rappel, le concept d’industrie
culturelle cher aux théories critiques soutenues par l’École de Francfort qui dénonçait
la standardisation de la culture se transforme dans les années 1970 et s’accorde au
pluriel. On parle alors d’industries culturelles pour souligner la diversité des produits
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 29
et des secteurs économiques. Le concept des industries culturelles exprime vers la fin
des années 1980 une acceptation des pratiques artistiques à des fins économiques.
Aujourd’hui un nouveau modèle voit le jour, celui du secteur des industries
créatives. Pour Gaëtan Tremblay, le modèle d’économie créative cherche à souligner
les changements technologiques, d’innovation, d’information, de réseaux, de
connaissance et de la formation continue (Tremblay). La SAMOA définit le secteur des
industries créatives comme « toute industrie portée par la créativité individuelle ou le
talent, susceptible de générer de la croissance et de l’emploi, en créant et en
exploitant la propriété intellectuelle »20.
La créativité serait un terme qui permettrait de renouveler le discours sur les
évolutions des sociétés. Notons d’ailleurs que les caractéristiques mises en avant
pour définir les évolutions des sociétés se réfèrent toujours au domaine économique.
Dans son article, le chercheur conclut en disant que l’hétérogénéité du terme
« créatif » permet d’englober de nouveaux marchés porteurs que le secteur des
industries culturelles ne pouvait pas contenir. C’est le cas notamment des secteurs de
l’informatique, du software et du design. La valeur « créative » permet de synthétiser
les perspectives et de régénérer en quelque sorte les discours. Les maîtres mots de
cette économie créative seraient : économie, culture, technologie, services, contenus.
La notion de créativité renvoie aussi à l’innovation, valeur centrale des théories sur la société de l’information, qui constituent le cadre général d’interprétation dominant des changements sociétaux en cours. Si l’opération semble conférer aux artistes et aux producteurs culturels un statut privilégié dans ces sociétés du savoir, ce n’est cependant qu’au prix d’un certain malentendu puisque la créativité et l’innovation auxquelles pensent les idéologues, les technocrates et les politiques sont davantage d’ordre scientifique et technologique qu’artistique et culturel (Gaëtan Tremblay, 2008 : 82).
Sur le projet nantais, une triangulation s’opère entre le secteur culturel,
l’industrialisation et la R&D. Cette triangulation doit s’adapter à la stratégie de
développement définie par la ville. Comme l’annonce Pierre‐Jean Galdin :
Nous avons défini à Nantes comme préoccupations et comme enjeux centrales de la recherche, les deux grands thèmes que l’on a identifiés comme étant fort de l’art à Nantes c’est‐à‐dire la question du territoire, la Biennale Estuaire, l’art dans l’espace public, la question de l’appropriation de l’art par les publics, et un deuxième volet sur la question du port, de l’histoire de Nantes, la question des
20 Algoé Consultants, NM‐Samoa : développement d’un pôle industries créatives, note de synthèse, décembre 2007 et rapport technique, p. 6
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 30
mondialisations de l’art. De ces deux piliers, nous construisons une plateforme de recherche (lignes 109‐115)21.
Plus encore, il s’agit de définir les enjeux de la recherche autour de la
commercialisation des produits culturels et créatifs ou comme le dit le directeur de
l’École des Beaux‐arts de « former des compétences créatives ». Il précise :
Après comment cette force de recherche peut être utilisée sur notre territoire, au niveau des activités, après il y a un deuxième volet sur le Quartier de la création qui est celui par rapport à l’art et la recherche, c’est la question de sa professionnalisation, de sa transformation en activités économiques, les pépinières, les incubateurs, tout ça. Ça c’est une deuxième partie de ce Quartier de la création qui vient sur le modèle des clusters classiques qui est d’essayer de valoriser cette recherche et de l’amener sur des sujets porteurs dans les activités économiques (lignes 131‐137)22.
Si nous nous penchons sur les axes de recherche des laboratoires liés au projet
et les programmes universitaires, on remarque qu’ils s’orientent autour de spécialités
issues du champ des industries créatives. Alors que la ville a défini un socle fort pour
valoriser l’art et la culture sur le territoire, les spécialités des laboratoires de
recherche sont beaucoup plus larges et brouillent les contours des thématiques. Ces
spécialités sont axées vers le cinéma (la vidéo en général), l’architecture, le
multimédia, les arts numériques, la photographie, les arts autonomes, les ambiances
des territoires, l’aménagement du territoire, le développement durable et l’économie
numérique. Le tableau ci‐dessous récapitule l’étendue des thématiques couvertes par
les acteurs de l’enseignement et de la recherche :
ACTEURS LABORATOIRES OU PROJETS DE RECHERCHE SPÉCIALITÉS
ENSAN CERMA Les ambiances d’un territoire (chaleur, odeur, bruit, etc.) comme éléments inhérents à l’identité d’un lieu.
LAUA
Laboratoire multidisciplinaire qui travaille sur « les processus de co‐production de l’espace, le champ de la pratique architecturale et urbaine, les effets des politiques publiques sur les pratiques, qu’elles soient saisies au niveau des individus, des institutions ou des domaines d’action ».
ESBANM À propos d’une nouvelle école Expositions sur la conception de différentes écoles d’art en France
21 Cf. Annexe 2, Entretien avec Pierre‐Jean Galdin, p. 83 22 Cf. Idem précédent.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 31
Pensées Archipéliques (2008) Les relations entre l’art et la ville contemporaine. Des questions autour de l’identité, de différences culturelles dans un contexte de mondialisation. Projet entre Nantes et Miami.
Double Vision (2009/2010) Projet franco‐japonais qui s’intéresse aux rapports réalité/fiction dans l’image actuelle, aux croisements de la vidéo, de la photographie et des nouveaux médias.
Projet Plugin (2009/2010) Arts numériques
Au delà du réel 2007/2008 Photographie, films et architecture
Groupe de recherche Abstraction depuis 2006
ÉCOLE DE DESIGN READi Réalités virtuelles
SCIENCES COM RECORDD Développement durable
CEREVPRO Insertion des professionnels de la communication
Axe de recherche hors laboratoire Économie numérique
UNIVERSITÉ DE NANTES
Département Info‐com Aucune information sur le site Internet
L'université permanente Pas de laboratoire
La sélection d’acteurs « créatifs » renforce le positionnement du territoire
Faisons un bref historique pour comprendre ce qui a amené la sélection des
acteurs de notre recherche à rejoindre l’île de Nantes. Le directeur de l’ESBANM
cherchait un nouveau site qui donnerait une meilleure visibilité à son école en
parallèle d’un questionnement face au renforcement de son offre d’enseignement.
L’ancienne halle d’Alstom répondait à des critères pertinents dans le choix de la
localisation : un emplacement en plein cœur de la ville, une grande superficie
d’accueil et des passerelles professionnelles pour les étudiants en contact avec des
entreprises implantées sur le quartier. L’ENSAN, les Machines de l’île ainsi que le
groupe Ouest‐France étaient déjà présents sur le quartier de l’île.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 32
L’idée d’un campus voit le jour. La SAMOA en tant que chef de files, coordonne
et homogénéise les projets sur le territoire. Elle souhaite imbriquer le projet campus
dans un programme global, un maillage où cohabitent l’Université permanente, les
équipements touristiques des Machines, l’école d’architecture et l’immeuble dédiés
aux médias. L’agence évoque tout d’abord l’idée d’un pôle de centralité « culture et
médias » (figure 3). La SAMOA qui a la casquette d’aménageur doit réguler, contrôler
et intégrer les différents projets qui se mettent en place. Ainsi l’idée d’un campus
moderne se transforme en « cluster » afin de mieux répondre aux stratégies urbaines
en cours.
Figure 3 ‐ Le pôle de centralité "culture et médias" (crédit Samoa, 2008)
Les acteurs présents sur le territoire peuvent être perçus comme étant les
meilleurs représentants de la scène créative nantaise. Ainsi après l’ENSAN et
l’ESBANM, se greffent au projet Sciences com’ (école privée) et Info‐com
(département de l’Université de Nantes) pour la communication, l’École de Design
Nantes Atlantique et le pôle des arts graphiques (figure 4)23. Qu’est‐ce qui justifie
cette sélection ? Deux établissements de communication partagent le territoire, l’un
issu du secteur privé, l’autre du secteur public. Serait‐ce un choix de Nantes
23 La carte des acteurs ne mentionne pas l’École supérieure des Beaux‐Arts de Nantes Métropole.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 33
Métropole de ne pas écarter l’Université de Nantes dans le projet ? Il serait
intéressant de poursuivre l’historique concernant le choix des acteurs pour
comprendre les critères de sélection. Qu’en est‐il par exemple de la place du
Conservatoire de Nantes dont les activités sont tournées vers le théâtre, la musique et
la danse ? Il est vrai que le Conservatoire de Nantes ne dispose pas de laboratoire de
recherche et les diplômes délivrés sont de niveau certificat d’étude et diplôme
d’étude. Le pôle des arts graphiques ne compte pas d’activités de recherche non plus
et forme ses apprentis au niveau CAP, Bac pro et BTS. À ce jour aucun des acteurs de
l’enseignement supérieur ne propose de formation de niveau doctoral. L’ESBANM
vient seulement de recevoir l’habilitation en janvier 2011. Les critères de sélection
semblent plus être tournés autour de l’employabilité de l’étudiant et des activités de
production.
Figure 4 ‐ La carte des acteurs du Quartier de la création (crédit Nantes Métropole)
Ce chapitre a voulu présenter le contexte socio‐économique dans lequel est née
l’idée du projet Quartier de la création. On apprend tout d’abord que ce cluster offre
la possibilité à la ville de Nantes de rentrer en compétition avec les autres
collectivités territoriales françaises et les grandes métropoles européennes. La
valorisation de la recherche permet à la fois de positionner le cluster comme un
projet impliqué dans la recherche d’innovation mais également de distinguer la ville
de Nantes par rapport aux spécificités de son territoire. Ces attentes ne sont pas
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 34
caractéristiques de la politique locale. On retrouve ces mêmes perspectives dans la
politique de l’État qui encourage l’émergence des pôles de compétitivité. De plus, les
enjeux de l’internationalisation et le nivellement du modèle européen place la
recherche comme un secteur d’activité à protéger et à renforcer. Pour la ville de
Nantes, l’enjeu premier est de pointer les forces vives de son territoire et de
consolider l’existant. Pour cela, une sélection s’opère pour rassembler les
représentants les plus prometteurs du secteur des industries créatives. La créativité
des acteurs est invitée à répondre à des intérêts de productivité. Les acteurs et
secteurs « créatifs » sont sélectionnés par Nantes Métropole pour répondre au mieux
à cette idée de « productivité » et au plan de développement du territoire. Une
triangulation s’opère entre culture – industrie et recherche au service du
développement du territoire telle que définit par Nantes Métropole.
La Communauté urbaine souhaite donc se doter d’un projet de marketing
territorial. Nous allons montrer dans le chapitre suivant une autre facette de cet outil
de communication. Nous allons voir que ce projet se calque également sur une base
de modèles, d’actions et de partenariats qui préexistaient avant l’arrivée du projet.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 35
Chapitre 2. Le projet s’appuie sur des éléments préexistants
Ce chapitre souhaite relativiser le discours de Nantes Métropole sur
l’ouverture du Quartier de la création. La CU cherche à couvrir sous son aile les
actions des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous allons
montrer que ce projet s’imbrique dans une configuration préexistante.
A. Des modèles de référence
Le traité de Bologne soutient la recherche en Europe
La question de l’internationalisation est un paramètre dont on ne peut faire
l’impasse. La France participe avec 46 autres pays européens au processus de
Bologne depuis 1999. Ce processus de Bologne invite les pays partenaires à
homogénéiser leur système universitaire sous la base du LMD (licence‐master‐
doctorat) visant ainsi à créer un espace européen de l’enseignement supérieur. Les
objectifs pour 2010 étaient les suivants24:
‐ qu’il soit facile d’aller d’un pays à l’autre (au sein de l’Espace européen de l’enseignement supérieur), pour y poursuivre des études ou y travailler ; ‐ que l’attractivité de l’enseignement supérieur européen augmente afin qu’un grand nombre de personnes originaires de pays non européens viennent également étudier et/ou travailler en Europe ; ‐ que l’Espace européen de l’enseignement supérieur dote l’Europe d’une assise solide de connaissances de pointe de grande qualité, et veille à ce que l’Europe se développe en tant que communauté pacifique et tolérante.
Le traité de Bologne pose la question des enjeux de l’internationalisation pour
la renommée de la R&D européenne. Concrètement, il devient impératif pour les
établissements d’enseignement supérieur de renforcer l’offre pédagogique afin
d’attirer un plus grand nombre d’étudiants étrangers sollicités à être de plus en plus
mobiles dans les années à venir. Il s’agit aussi de se rallier à des réseaux pour ouvrir
le rayonnement à l’échelle nationale et internationale. Dans ce contexte, L’École de
24 Cf. le site internet du Conseil de l’Europe.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 36
Design Nantes‐Atlantique a signé en septembre 2010 un accord de partenariat avec
l’Université de Design de Shangaï25.
Pour Christian Guerlin, cela ne fait pas de doute, ce traité aura des
conséquences économiques sur les établissements d’enseignement supérieur. En
encourageant la mobilité des étudiants, les établissements devront renforcer la
qualité et l’attractivité de leur offre pédagogique pour attirer de nouveaux étudiants
étrangers de niveau master26 :
Donc il y a un enjeu qui est extrêmement important pour la stratégie et comment on fait en France pour gérer ça, compte tenu du fait que pour les étrangers, la France c’est Paris. Ça n’existe pas ailleurs. Nantes est une ville inconnue au‐delà de Bruxelles mais en plus les gens savent qu’on ne parle pas l’anglais. Tout le monde le sait. Alors les gens continuent d’être attirés par Paris mais venir à Nantes dans un établissement dont t’es pas sûr que la moitié des profs parlent anglais. Et de toute façon tu trouves aucun établissement en France où 9 profs sur 10 parlent anglais, l’Université en tête. À l’Université t’as pas 1 prof sur 2 qui est capable de faire un cours en anglais. Donc, enjeu d’internationalisation (lignes 325‐334)27.
Le dossier spécial du numéro 25 de la revue Place Publique intitulé Université :
le grand enjeu pour Nantes et Rennes évoquait justement le poids de la recherche
d’attractivité et de compétitivité pour les établissements d’enseignement supérieur :
« Depuis le retournement démographique de 1995, le problème n’est plus d’accueillir
de nouveaux étudiants mais d’être compétitif pour attirer des étudiants étrangers et
garder les étudiants français. Les sites universitaires français sont en concurrence
entre eux et avec des sites étrangers, ce qui fragilise certaines universités et pousse
au regroupement » (Cytermann, 2011). Outre le traité de Bologne nous pourrions
évoquer les effets et les enjeux d’autres réformes qui poussent les établissements à
être compétitifs au niveau mondial : la loi Recherche et innovation de 1999, lois
d’orientation et de programme pour la recherche (2006), loi Liberté responsabilité
des universités (2007), plan Campus (2008), opération Grand emprunt. Ce contexte
nous aide ainsi à recadrer l’émergence du Quartier de la création et à mieux
comprendre les intérêts de certains acteurs à vouloir prendre place sur ce territoire.
25 Il est intéressant de souligner le rapprochement symbolique entre l’École de design et l’université de Shangaï. La ville chinoise est connue pour la publication de son classement sur les meilleures universités mondiales. L’École de design se raccroche ainsi à une image valorisante liée à l’excellence universitaire. 26 Dans la 2e partie, nous verrons comment le Quartier de la création permet de répondre au problème que souligne Christian Guerlin et dans quelle mesure il offre une ouverture à l’internationale. 27 Cf. Annexe 2, Entretien avec Pierre‐Jean Galdin, p. 83
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 37
Les capitales créatives européennes : des emblèmes d’excellence
Nous retrouvons dans le discours de nos acteurs interrogés des modèles de
référence qui les ont conduits à s’ouvrir au projet. L’idée du cluster dédié aux
industries culturelles et créatives a été insufflée après une veille concurrentielle à
l’échelle européenne par des experts appelés par la ville. Des études réalisées sur
d’autres villes européennes montreraient que l’activité créatrice serait motrice d’une
régénération économique et d’une plus grande compétitivité des territoires. Nous
retrouvons ces mêmes références dans le discours de Pierre‐Jean Galdin :
Moi je me réfère à une étude de recherche anglaise qui se regroupe autour d’un laboratoire qui s’appelle le NESTA et qui a produit une étude sur la question de l’innovation et qui a pris comme terrain d’expérimentation les écoles d’art de Londres. Et donc ces études montrent bien quels sont les grands enjeux aujourd’hui autour de la création, l’innovation, l’activité, bref, pour cela il faut un lieu fertile pour les créateurs (lignes 165‐170)28.
On retrouve des modèles européens de référence. C’est le cas des villes comme
Londres, Helsinki, Bruxelles ou encore Amsterdam qui sont souvent citées. Ces
références renforcent le processus de crédibilisation du cluster. On essaye de copier
des modèles déjà connus et de les transposer comme il se peut sur le territoire
nantais. Le directeur de l’ESBANM ajoute :
Donc on retrouve dans toutes les grandes capitales européennes, plutôt du Nord, les pôles artistiques qui regroupent les Beaux‐Arts, le design, toutes les écoles de com’, l’école d’archi, l’Université avec les sciences humaines plus bien souvent les dimensions et les vitrines des arts ce qui fait qu’il y a des jauges d’étudiants d’environ entre mille, trois milles, dix milles ça c’est les gros pôles. Et ça me paraît un seuil minimum pour demain être identifié comme un pôle européen et donc l’idée c’est de faire la même chose, c’est ce que nous faisons à Nantes (lignes 10‐17).
On observe une course contre la montre pour arriver à rattraper ces modèles
européens d’excellence. La communication de Nantes Métropole souhaite relever le
challenge le plus tôt possible et annonce le même discours pour justifier sa politique
volontariste :
À l'horizon 2014, il doit commencer à s'imposer comme l'un des pôles européens de référence, ajoute Patrick Rimbert, qui espère ainsi voir Nantes se mesurer à des cités européennes comme Hambourg, Amsterdam ou Helsinki. Mais cette ambition passe par la constitution d'un cluster des industries créatives et culturelles »29.
28 Cf. Annexe 2, Entretien avec Pierre‐Jean Galdin, p. 83 Pour plus d’informations sur le laboratoire NESTA : www.nesta.org.uk 29 Cf. article, La création prend ses quartiers à Nantes in CB News, 26 avril 2010.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 38
Plus généralement, ces modèles bousculent le modèle organisationnel français.
En observant les caractéristiques des universités les plus prestigieuses au monde
selon le classement de Shangaï, Jean Lachmann fait ressortir deux types d’universités
aux modèles organisationnels opposés :
D’une part, les universités qui mettent en avant leur fonction première d’enseignement et de recherche. C’est l’approche académique qui reste la prédominance de la majorité des universités françaises; d’autre part, les universités qui cherchent à consolider l’excellence académique par le développement du transfert technologique, de l’esprit d’entreprise et la mobilisation de ressources financières adaptées. C’est l’approche entrepreneuriale des universités américaines (Lachmann, 2010, p. 120).
Le modèle universitaire français serait en berne face à celui des universités
américaines qui accordent une place primordiale aux échanges avec le monde
entrepreneurial. Ce constat remet en question la portée des pôles de compétitivités et
des clusters fondés sur les apports de la R&D dans le développement économique
territorial. Nous sommes face à un modèle qui par tradition s’oppose aux missions de
l’université française. Ce blocage conceptuel pourrait constituer une piste de
recherche pour comprendre les rapports que les universités entretiennent avec le
cluster. Existe‐t‐il des clivages entre les établissements d’enseignement supérieur
privés et publics qui ralentiraient les synergies entre laboratoires de recherche ? En
quoi les objectifs pédagogiques des centres de formation privés et publics sont
propices à des partenariats avec les entreprises ? Comment l’Université va‐t‐elle
intégrer cette nouvelle configuration ?
Nous remarquons que des efforts sont fournis pour dynamiser la renommée
des universités. La loi sur l’Innovation et la Recherche du 12 juillet 1999 renforce la
place prédominante de l’innovation dans l’appui au développement économique et
implique par la même occasion un changement du modèle académique français. Les
universités sont invitées à devenir plus « entrepreneuriales » s’alignant ainsi sur les
universités américaines souvent étudiées et référencées. La loi sur l’Innovation et la
Recherche entend valoriser des partenariats plus forts entre les universités et les
entreprises (Lachmann, 2010). Elle valorise l’importance de la recherche appliquée
aux dépens de la recherche fondamentale. Les pôles de compétitivité représentent
alors un terrain d’essai idéal pour ce type d’objectifs.
Le cluster : une version rafraichie des technopoles ?
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 39
Les discours portés par l’ensemble des acteurs du projet semblent annoncer
un renouveau sur la scène nantaise mais plus largement un renouveau dans la
manière de penser l’innovation30. Le Quartier de la création est présenté comme un
objet original, moderne, audacieux. Franck Cormerais, directeur du département
Information et communication de l’Université nous explique 31:
L’innovation est un impératif. La valeur ajoutée aujourd’hui c’est de créer des produits et des services. Créer des produits et des services suppose évidemment d’avoir une démarche renouvelée avec des méthodes qui permettent dans une logique de coopération et de création, de développer une nouvelle conception de l’innovation. Le quartier de la création en fait c’est de développer une recherche innovation nouvelle.
Pourtant, ce type de discours autour de l’innovation et des nouvelles
organisations semble nous rappeler ce que nous pouvions déjà découvrir dans les
années 1960 – 1980 dans les pays industrialisés au travers du modèle des
technopoles. L’idée était simple : il s’agissait « d’un système ouvert de coopération
entre chercheurs, industriels et aménageurs, matérialisé dans une zone péri‐urbaine
de dimension variable, allant d’un petit parc scientifique à un multipôle complexe »
(Burnier & Lacroix, 1996, pp. 3-4). Le modèle des clusters se base sur cette même idée.
On retrouve les mêmes discours, les mêmes effets attendus de l’innovation par le
rapprochement territorial des industriels et des chercheurs. Hier, les technopoles
étaient organisées autour d’activités « High tech », aujourd’hui elles le sont autour
d’activités « créatives ». On retrouve les mêmes représentations, les mêmes champs
lexicaux des bénéfices de ces pôles concentrés : « pépinière », « incubation »,
« couveuse », « fécondation croisée », « fertilisation » :
Grâce au quartier de la Création, une nouvelle économie se construit. Nous avons beaucoup semé hier. Avec ce projet, nous allons bientôt pouvoir récolter. Nantes peut devenir l'une des capitales européennes des industries culturelles et créatives (dixit Jean‐Marc Ayrault, maire de Nantes et président de Nantes Métropole) 32.
Le projet des technopoles et des clusters dépasse tous deux dans leurs
discours les intérêts économiques. Ils participeraient aussi à un engagement social et
culturel. La question de la différenciation à l’heure de la mondialisation n’est pas une
30 Cf. le DVD de présentation du Quartier de la création diffusé par Nantes Métropole Quartier de la création, art and life district 31 Extrait du DVD de présentation de Nantes Métropole, Quartier de la création, art and life district. 32 Cf. article, La création prend ses quartiers sur l’île de Nantes, 9 hectares dédiés aux industries créatives et culturelles sur le site de Nantes Métropole.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 40
préoccupation caractéristique de notre époque actuelle. Burnier et Lacroix à propos
des technopoles :
La logique des marchés est maintenant caractérisée par l’avènement d’un commerce mondialisé. Loin de conduire à une standardisation généralisée et à une amplification linéaire de la production tayloriste, la mondialisation oblige à tenir compte des spécificités nationales, des ancrages locaux, des résistances culturelles. Il en résulte une nouvelle division spatiale du travail où l’on assiste à la fois à la constitution de territoires productifs originaux et au renforcement des métropoles industrielles (Burnier & Lacroix, 1996, pp. 5-6).
Nous retrouvons de nouveau dans le discours des acteurs de l’enseignement
supérieur et de la recherche, la représentation d’un cluster pouvant apporter de
nouvelles ressources pour le territoire et qui comme nous le voyons puise ses
croyances dans l’ancien modèle des technopoles. Pour Süzel Eschenbrenner,
directrice de Sciences com’33 :
Les métropoles qui demain auront une existence véritable et du poids dans le panorama européen et international, ce seront les métropoles qui se seront différenciées. Pour Nantes, il y a des tas de choses mais entre autre il y a cette possibilité de se différencier et d’accentuer tout ce qui est de l’ordre du créatif et de l’innovation.
B. Des synergies présentes en amont du Quartier de la création
Un réseau local déjà actif
Les relations qu’entretiennent les acteurs scientifiques nantais sur le territoire
ne datent pas de l’ouverture du cluster. Les actions menées isolément par les acteurs
que nous avons rencontrés lors de notre étude nous dévoilent un réseau déjà bien
établi (Cf. figure 5). Le cluster ne serait pas un catalyseur encourageant les
partenariats. Par exemple l’École de Design Nantes Atlantique, école privée
spécialisée dans le Design, base son programme et sa renommée sur la force du
réseau qu’elle réussit à tisser avec les entreprises et les établissements
d’enseignement supérieur. Au niveau local, l’École de design collabore avec de
nombreuses entreprises pour placer ses étudiants sur des projets de recherche
appliquée ou dans le cadre de stages d’étude. Son emplacement actuel dans la zone
industrielle de la Chantrerie lui offre une position privilégiée pour travailler avec des
entreprises. De plus, l’école appartient à un réseau commun avec Sciences com’
33 Extrait du DVD de présentation de Nantes Métropole, Quartier de la création, art and life district.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 41
(filière de la Grande École de Management Audencia), rattachée également à la
Chambre de commerce. À ce propos, Christian Guerlin relativise la portée du cluster
en montrant que le rattachement de l’école à la Chambre de commerce s’apparente
déjà à un travail de synergies et de rapprochements avec des entreprises34 :
Ce qui s’applique au campus urbain du Quartier de la création s’applique aussi à la Chambre de commerce. Je travaille aussi avec des écoles d’ingénieurs… [LR. Mais il n’y a rien de nouveau par rapport à ça ?] Alors il y a d’autres acteurs, si tu veux. Il y aura d’autres acteurs… Alors moi j’ai pas de… je ne suis pas sûr que ce soit l’élément déterminant (lignes 267‐272).
Le cas de l’ENSAN est assez atypique pour notre sujet puisqu’elle est la seule
école rattachée au projet urbain de Nantes à être déjà présente sur le quartier avant
sa création. Ainsi, le LAUA croise depuis vingt ans une partie de ses axes de recherche
avec des laboratoires locaux : l’UNR ESO rattaché au département de géographie de
l’Université de Nantes et le laboratoire Droit et changement social (DCS) du
département de Sciences politiques et droit de l’Université de Nantes. Cette
collaboration scientifique est axée autour de l’urbanisme croisant les compétences
des urbanistes, juristes et géographes. Ce partenariat participe au développement des
synergies inter‐laboratoires locaux mais s’écarte du secteur des industries créatives
et de son rattachement au Quartier de la création. De même, des synergies entre
établissements d’enseignement sont déjà effectives. Il existe des formations
passerelles entre établissements d’enseignement supérieur. Depuis près de quinze
ans, l’ENSAN propose conjointement avec les départements de géographie et de droit
de l’Université de Nantes un master pro « villes et territoires ». Une autre formation
est sur le point d’ouvrir proposant un programme offert par l’ENSAN, Sciences com’
et l’ESBANM. Ce master pro intitulé « eco‐design des usages et des services » souhaite
offrir une formation professionnelle autour du paysage, de l’art et de
l’environnement. Le projet de ces deux masters propose à de futurs professionnels
une formation transversale leur permettant de croiser des compétences.
34 Cf Annexe 3, Entretien avec Christian Guerlin, p. 94
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 42
Figure 5 ‐ Synergies du réseau des acteurs de l'Enseignement supérieur et de la recherche
rattachés au Quartier de la création
Un réseau qui rayonne au-delà du quartier
La visibilité de la recherche nantaise dépasse le périmètre du Quartier de la
création. Tout d’abord, et de manière générale l’ouverture européenne et le traité de
Bologne invitent les acteurs à ouvrir les portes de leurs établissements aux étudiants
étrangers. Ceci est donc détaché de la portée du Quartier de la création. Ainsi, en
obtenant le label d’EPCC (Établissement public de coopération culturelle), l’ESBANM
propose dorénavant à ses étudiants de suivre des cursus en Europe. Ce label permet
de s’aligner avec les programmes universitaires européens Erasmus35. Par ce label,
L’ESBANM compte également miser sur le rapprochement de l’école avec d’autres
villes de la région Grand‐Ouest comme Rennes en attendant les villes d’Angers et
Tours36. Ajoutons « dans les projets liés au rapprochement entre villes de l'Ouest, la
création d'un pôle d'enseignement supérieur du spectacle vivant. Dans les tuyaux,
sous la forme d'un établissement public de coopération culturelle (EPCC), il 35 Cf. article, Les Beaux‐Arts veulent devenir grands; ENSEIGNEMENT. L'école va quitter le centre‐ville pour s'installer sur l'île de Nantes en 2013 in Presse Océan, 03 février 2010 36 Cf. article, Deux villes à la fête in Le Point, 05 novembre 2009
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 43
associerait Nantes, Rennes, les deux régions et la communauté universitaire. Il s'agit,
précise Jean‐Louis Jossic, de donner un cadre et une plus grande visibilité à nos
formations en musique, en danse, en théâtre... »37. Dans ce même contexte, l’ENSA
s’offre une visibilité internationale en Europe, au Canada et en Amérique du Sud.
L’École de Design Nantes Atlantique, quant à elle, intègre pleinement sa recherche de
visibilité internationale dans sa politique de développement. Elle a ouvert cette année
une antenne à Shangaï. Encore une fois, cette ouverture est le fruit d’une action
détachée du Quartier de la création.
Outre l’ouverture internationale des programmes universitaires, certains
acteurs croisent des compétences scientifiques avec des laboratoires extérieurs au
Quartier de la création. L’École de Design Nantes Atlantique vient d’ouvrir en mars
2011 son premier laboratoire d’expérimentation, le READi, autour des réalités
virtuelles. Les visées du laboratoire sont présentées dans l’encadré ci‐dessous. Il
s’agit de :
Relier la pédagogie aux mondes de l’entreprise et de la recherche centrée sur les usages : le laboratoire READi s’inscrit dans le cadre de la stratégie d’innovation descendante des entreprises en évaluant les potentialités d’usages des innovations technologiques conçues par les services de R&D. Il participe à l’effort d’innovation ascendante par sa capacité à veiller sur les usages liés aux technologies de l’information en étant force de proposition dans la conception de services innovants. La cellule est un facilitateur entre laboratoires académiques, PME et grands comptes. Conçu comme une unité de prototypage rapide pour évaluer des interfaces graphiques (web, mobile…), des modalités d’interaction (tactile multi‐point, tangible) et représentations de l’information statiques et dynamiques (hiérarchisation, cartographie…), il est l’outil indispensable pour le développement de projets collaboratifs et de contrats de recherche pour une "innovation centrée utilisateur"38.
L’ouverture de ce laboratoire de recherche permet à l’École de Design
d’appuyer son positionnement en recherche appliquée et de renforcer les synergies
recherche ‐ centre de formation ‐ entreprise. Ainsi se greffe au projet des acteurs
comme l’École nationale supérieur d’Arts et Métier (ENSAM), l’Istia, l’école
d’ingénieurs de l’Université d’Angers et Télécom Bretagne. La démarche de ce
laboratoire participe au développement du territoire. En effet, en axant les activités
du laboratoire autour des industries créatives, il s’agit de créer de l’innovation par le
biais de recherches autour des usages liés aux technologies de l’information et de 37 Idem précédent. 38 Texte de présentation du laboratoire READi sur le site Internet de l’École de Design Nantes‐Atlantique.
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 44
l’économie numérique. Pourtant les passerelles qui vont être développées sur le
quartier sont le prolongement de synergies déjà existantes entre l’école et les acteurs
partenaires de la Chambre de commerce et d’industrie. Le Quartier de la création
n’accroit pas les collaborations.
Les contrats de recherche des laboratoires impliquent une visibilité qui peut
dépasser le territoire local. Par exemple, le LAUA sollicite avant tout les acteurs
locaux tels que la ville de Nantes ou la CU Nantes Métropole mais également des
acteurs ministériels lorsqu’il répond à des appels d’offres. Se pose alors la question
des liens entre territoires, laboratoires de recherche et enseignement supérieur qui
poussent les acteurs à dépasser le simple périmètre du Quartier de la création.
Enfin, la place et le rôle tenus en France par le Pôle de recherche et
d’enseignement supérieur (PRES) sont à considérer pour comprendre les efforts
tenus en termes de renforcement et de mutualisation des moyens de la recherche39.
Le PRES de la région Pays de la Loire comprend l’Université de Nantes, d’Angers et du
Mans (figure 6). Quelle est la place du PRES des Pays de la Loire par rapport au
Quartier de la création ? Dans l’avenir comment va‐t‐il s’insérer dans le cluster
nantais ? Quelle est la plus‐value du Quartier de la création par rapport à ce pôle de
recherche ? Le PRES propose par le biais du programme Eureka et le crédit impôt
recherche d’ouvrir les entreprises à des missions de R&D. On voit que le territoire est
en train de se doter de réseaux pour la recherche et l’innovation qui se juxtaposent.
Comment doit‐on considérer l’engagement des acteurs dans ce contexte qui est en
train de naître ? En posant ce type de questions, nous revenons à nos hypothèses de
départ qui amenaient à considérer le Quartier de la création comme une opportunité
pour les acteurs à se greffer à un label, à une vitrine du savoir‐faire local.
39 Pour plus d’informations sur les missions du PRES : www.enseignementsup‐recherche.gouv.fr
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 45
Figure 6 ‐ Carte du PRES des Pays de la Loire : Université Nantes Angers Le Mans en février 2011
(crédit Ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche)
Le Quartier de la création est un outil à faire exister. Il permet à la CU Nantes
Métropole de répondre à des problématiques socio‐économiques (attractivité de son
territoire, mise en concurrence nationale et européenne, développement
économique, etc.). Dans ce deuxième chapitre, nous avons voulu relativiser la portée
novatrice de ce projet en montrant qu’il reposait sur des modèles de référence. Tout
d’abord avec le traité de Bologne qui oblige les universités françaises à s’aligner au
modèle L ‐ M ‐D et à répondre au travers de programmes universitaires attractifs à la
fuite des étudiants français vers les universités étrangères. La recherche mais surtout
les programmes d’enseignement supérieur entrent en compétition et doivent attirer
les étudiants étrangers. Nous avons également montré que le discours et les
fondements du modèle du cluster prennent leurs racines dans ceux des technopoles
apparues dans les années 1960‐1980. Enfin, sur le terrain, on découvre un réseau et
des synergies entre acteurs scientifiques qui existaient avant même l’annonce du
PARTIE I. LE QUARTIER DE LA CRÉATION : UN OUTIL À FAIRE EXISTER 46
Quartier de la création. L’activité de R&D et le développement des établissements
d’enseignement supérieur sont organisés autour d’échanges avec des partenaires
externes soutenant ainsi le rayonnement de la recherche à Nantes. Ces flux entre
acteurs sont le fruit d’actions amorcées par les acteurs et sont à détacher du projet
Quartier de la création. Ce point relativise le potentiel du Quartier de la création à
accroître les partenariats.
La deuxième partie va essayer de comprendre les rapports qui sont en train de
se jouer entre les acteurs du projet de l’île de Nantes. Entre engagement collectif et
stratégie personnelle, quelle est la nature de l’adhésion des acteurs sur le cluster ?
Quelle est la place de la recherche sur ce territoire ?
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 47
___________________________Partie II Les acteurs de la R&D :
des positionnements hétérogènes
La deuxième partie de ce mémoire est une analyse des discours des acteurs
que nous avons rencontrés lors de notre étude de terrain. Ainsi nous repérons des
positionnements distincts relatifs à leur implication dans l’organisation de ce cluster
nantais. Nous avons relevé trois types de discours qui se juxtaposent sur le Quartier
de la création remettant en cause le modèle théorique des clusters et questionnant les
synergies des acteurs sur le territoire. Les positions se distinguent les unes des autres
mais dévoilent l’étendue des facettes du projet. Les trois prochains chapitres
reprennent chacune de ces positions.
Chapitre 3. Des acteurs défenseurs du Quartier de la création renforcent le processus de crédibi l isation du cluster
Ce chapitre prendra pour appui la position émise par le directeur de l’École
supérieure des Beaux‐Arts de Nantes Métropole40. La première position montre avant
tout un acteur engagé au service du territoire et actif auprès de la CU Nantes
Métropole. Ce chapitre montre les moyens mis en place par le directeur pour placer
son école dans le développement et l’animation du territoire. Ce projet doit se
construire et commence en priorité par le renforcement de l’offre pédagogique et
scientifique de son établissement.
40 Cf. Annexe 2, Entretien avec Pierre‐Jean Galdin, p. 83
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 48
A. Développer une scène créative à Nantes
L’adhésion au concept de cluster pour développer le territoire
Le directeur de l’ESBANM a une représentation du concept de cluster comme
étant un outil favorable au développement du territoire. Le modèle est doté d’un fort
potentiel pour dynamiser l’activité artistique à Nantes. Selon lui, le cluster est un
modèle à construire autour de trois points principaux41 :
‐ La capacité de fertilisation, d’échange et de croisement pour s’inspirer de la
création des autres ;
‐ la proximité des artistes avec des lieux artistiques et culturels ;
‐ la possibilité aux artistes et créateurs d’avoir une connexion au monde. Les
échanges à l’international sont essentiels.
Il y ajoute un quatrième point : une offre immobilière attractive (des ateliers,
des lieux d’expositions, une architecture urbaine moderne, etc.). Il faut un
environnement stimulant pour attirer et garder les artistes.
Les apports de la R&D sont attendus sur le territoire. Bien qu’il soit encore
trop tôt pour mesurer les bénéfices de la recherche dans le soutien aux activités
économiques, il n’en reste pas moins que ce type d’acteur soutient la recherche
comme un pilier du concept de cluster. Le rapport entre la recherche et le territoire
reste pour l’instant à l’état de construction, de développement du modèle et de
questionnement sur son potentiel :
Après comment cette force de recherche peut être utilisée sur notre territoire, au niveau des activités, après il y a un deuxième volet sur le Quartier de la création qui est celui par rapport à l’art et la recherche, c’est la question de sa professionnalisation, de sa transformation en activités économiques, les pépinières, les incubateurs, tout ça. Ça c’est une deuxième partie de ce Quartier de la création qui vient sur le modèle des clusters classiques qui est d’essayer de valoriser cette recherche et de l’amener sur des sujets porteurs dans les activités économiques. Pierre‐Jean Galdin (lignes 131‐137)42.
41 Le directeur de l’ESBANM se réfère à une étude anglaise du laboratoire NESTA. 42 Cf Annexe 2, Entretien avec Pierre‐Jean Galdin, p.83
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 49
Le directeur de l’ESBANM est un acteur très impliqué dans le projet. En 2006,
il a rejoint un groupe de travail assigné à réfléchir autour des potentiels d’un cluster
sur le territoire nantais. Ce groupe était composé de Jean‐Louis Bonnin qui était
directeur de la Culture à la ville ; du directeur de l’ESBANM Laurent Théry qui était
directeur de la Samoa et de Jean‐Luc Charles, à l’époque directeur de cabinet du maire
de la ville. C’est ensemble qu’ils ont construit le projet « Quartier de la création ».
Nous comprenons mieux la position du directeur de l’ESBANM qui se réfère souvent
au « nous » pour expliquer sa représentation du cluster : « c’est ce que nous faisons à
Nantes » (ligne 16) ; « nous nous donnons des seuils et une organisation qui
s’inspirent de grands pôles culturels » (lignes 20‐21) ; « nous avons défini à Nantes »
(lignes 109)43.
Le regroupement sur le quartier ne pourrait qu’encourager les « fertilisations
croisées » entre les créateurs et les activités du territoire. Il s’agit de leur proposer
des terrains d’applications. Pierre‐Jean Galdin prône ici la valorisation de la recherche
appliquée. Les axes de recherche doivent être en lien avec les thématiques de
développement économique et culturel de Nantes Métropole44. La recherche et la
création artistique de ses artistes doivent servir le territoire. Pierre‐Jean Galdin
construit son offre autour d’une recherche d’ouverture vers le public. La médiation
des travaux doit participer à l’animation du territoire.
Enfin, l’entretien que nous avons eu avec M. Galdin dévoile la présence de
règles du jeu entre acteurs afin de faciliter l’arrivée et la place de chacun des acteurs
scientifiques sur le cluster, notamment celle de l’Université. Il s’agit de s’adapter et de
reconfigurer les rapports entre acteurs en fonction de l’Université. Pour cela, les
acteurs se sont rencontrés lors de tables rondes pour s’accorder autour des
spécialités de chacun. Le Quartier de la création doit garantir la possibilité à
l’ensemble des acteurs de s’épanouir dans le projet. Il n’est pas question de se faire de
l’ombre. Les acteurs du privé sont invités à remodeler leur programme pour ne pas
entrer en concurrence avec l’Université. Ils se comportent ici comme des partenaires
qui s’accordent à former une unité cohérente. En agissant ainsi, chacun s’offre la
43 Cf Annexe 2, Entretien avec Pierre‐Jean Galdin, p.83 44 Cf. Un socle « industries créatives » se dessine sur le quartier (partie 1, chapitre 1), p. 28
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 50
garantie de trouver sa place sur le territoire. L’Université a un rôle à tenir dans l’offre
scientifique et l’apport de la R&D dans l’animation de ce territoire.
Le projet renforce l’attractivité de l’ESBANM
Bien que le directeur de l’ESBANM soutienne le cluster dans les intérêts de la
collectivité, il n’en reste pas moins que ce projet profite également aux intérêts de
l’école des Beaux‐Arts dont les activités sont tournées autour des compétences
créatives. Le directeur de l’école souhaite, conformément aux visées du cluster,
encourager les formations « tunnel » afin de favoriser la mobilité des étudiants. En
effet, jusqu’à l’année dernière, le programme pédagogique de l’École des Beaux‐Arts
attribuait des diplômes d’État jusqu’au niveau master. Les jeunes diplômés désirant
prolonger leur formation au niveau doctorat étaient contraints de se retourner vers
d’autres universités et donc de croiser leur parcours avec d’autres disciplines.
L’internationalisation des programmes universitaires incite également les étudiants à
partir dans d’autres établissements. Pour remédier à cette situation, Pierre‐Jean
Galdin souhaite profiter du rapprochement de son école sur le territoire pour
renforcer la mobilité des étudiants et attirer de nouveaux étudiants :
Nous sommes tous aujourd’hui confrontés à une mobilité étudiante et le projet que tout le monde encourage est de penser à des diplômes passerelles et d’éviter les formations « tunnel », on rentre, on passe cinq, six, sept ans. Aujourd’hui, on a de moins en moins de formation tunnel. Aujourd’hui, on a des étudiants qui font trois ans d’archi, deux ans de design puis de la recherche. Bref, il faut encourager ces parcours, il faut être plus mobile. Et donc nous sommes aujourd’hui regroupés aussi pour construire et offrir des formations passerelles (lignes 41‐47).
Ainsi des formations mutualisées avec d’autres établissements
d’enseignement supérieur sont en train de s’ouvrir. L’ESBANM souhaite proposer
conjointement avec l’ENSAN et l’Université Info‐com, un master pro intitulé « eco
design des usages ». De même, l’ESBANM vient de signer un accord de coopération
avec Audencia pour proposer une formation de niveau post‐master autour de
l’entreprise. Il s’agira de faire coopérer des artistes, des créateurs et des jeunes
développeurs avec des entreprises. Notons que ce partenariat s’effectue avec une
école détachée du projet Quartier de la création. Pour autant, Audencia est un
établissement de renommée très bien implanté sur le territoire nantais.
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 51
Ce rapprochement avec la Grande École de management rejoint le
positionnement voulu par Pierre‐Jean Galdin qui place l’école des Beaux‐Arts au
même titre qu’une école d’ingénieurs dont les domaines d’applications sont reliés au
champ professionnel. L’étudiant est considéré dès la quatrième année comme un
artiste. Le directeur de l’ESBANM souhaite développer les compétences créatives de
ses artistes dans des activités économiques. Le taux d’employabilité au sortir de
l’école est gage de valeur. Il distingue le fonctionnement et les visées de son
établissement du modèle universitaire jugé « éloigné du terrain et de l’emploi ».
B. Un territoire R&D à construire
La valorisation des travaux de recherche permet de rentrer dans le programme LMD européen
Nous avons vu que l’apport de la recherche est attendu dans l’aide au
développement du territoire. Pourtant cette problématique est laissée pour quelques
temps de côté. L’ordre premier est de consolider l’offre de formation :
Là le débat c’est structurer une offre de formation supérieure dans les domaines de l’art et de la culture. Nantes a choisi une image forte et un projet fort autour de ces compétences là et veut donc renforcer son enseignement supérieur de recherche dans ces domaines (lignes 24‐27).
L’habilitation à la formation doctorale est une étape cruciale pour le
développement de l’école. Il était primordial pour l’ESBANM d’accéder aux trois
niveaux de formation (Licence – Maîtrise – Doctorat) pour s’aligner au modèle
européen. L’ESBANM souhaite rattraper son retard. L’enjeu premier est donc la
constitution des filières. Pour cela, le directeur de l’ESBANM doit stratégiquement
soutenir la recherche pour construire son offre de formation et trouver « les lieux de
la réflexion » :
Donc la recherche pour notre école bon c’est aussi une dimension où l’on est à la traine, en autarcie, même de manière individuelle dans les carrières artistiques ou les projets théoriques, des travaux de recherche qui étaient souvent cristallisés dans d’autres universités ou dans d’autres milieux professionnels. Aujourd’hui avec la réforme de nos écoles, nous sommes aujourd’hui dans une dynamique de trouver à l’intérieur de l’école le lieu de la réflexion de ces territoires de recherche qui sont aujourd’hui menés par nos chercheurs dans une offre complexe. Il s’agit de réintroduire ces compétences dans les projets de l’école (lignes 98‐105).
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 52
L’emplacement sur le Quartier de la création semble être un moyen pour le
directeur de l’ESBANM d’affirmer sa position aux côtés de Nantes Métropole et son
rattachement au développement du territoire. Son ralliement au projet urbain fait
profiter à l’école d’une plus grande visibilité sur le territoire local et international
(partenariats avec des entreprises, synergies entre établissements d’enseignement
supérieur, etc.). De plus, en s’alignant sur le modèle européen, l’ESBANM peut ainsi
créer des rapprochements avec des universités étrangères. Ainsi, l’école vient de
signer des accords de coopération avec l’École d’art et de design de Genève, l’École
d’art d’Amsterdam et prochainement avec l’Université de Tokyo et Chicago.
Le projet de fédération « art, culture, territoire » définit les enjeux de développement à Nantes
Le projet de fédération « art, culture et territoire » est une plateforme de
recherche ralliant l’Université de Nantes, l’Université d’Angers, l’ENSAN, l’ESBANM
autour de recherches sur l’art et la culture. La création de cette plateforme prend tout
son sens dans le fonctionnement du cluster. Ce projet permettra de renforcer et
structurer les collaborations entre laboratoires de recherche. Pour l’instant, cette
plateforme permet à l’ESBANM de gagner son habilitation au niveau doctorat :
Donc on est dans un contexte classique d’une filière d’enseignement supérieur qui doit pour rentrer totalement dans le modèle européen d’avoir les trois niveaux LMD. Aujourd’hui on a le L et le M. On vient d’obtenir l’habilitation pour mettre en place des filières jusqu’au doctorat. Et tout ça n’a de sens parce que nous invoquons sur les labos de recherche, des plateformes de recherche, sinon nous ne pourrions pas avoir ce titre (lignes 126‐131).
Encore une fois, il s’agit d’ancrer les thématiques de recherche dans des
problématiques concrètes en lien avec les enjeux définis par la ville. Cette étroite
collaboration entre laboratoires de recherche (il s’agit ici d’une plateforme de
recherche) et la politique de la ville est une nouvelle opportunité pour développer ses
objectifs. Le directeur de l’ESBANM souhaite pousser les liens entre culture, territoire
et activités économiques. Se pose alors la question de la spécificité du territoire qui se
construit. Les activités de l’École des Beaux‐Arts renforcent ici le secteur des
industries culturelles.
Nous venons de voir que le directeur de l’école des Beaux‐Arts de Nantes
souhaite avant tout raccrocher son projet au développement du territoire. Sa
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 53
stratégie de développement s’adapte à la politique générale de Nantes Métropole. Le
projet doit exister pour les intérêts de la collectivité. Le point de vue suivant s’arrête
au contraire sur les intérêts privés et les stratégies de développement que chaque
acteur peut exploiter dans ce projet.
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 54
Chapitre 4. Des acteurs opportunistes uti l isent la stratégie marketing du Quartier de la création comme renfort au développement de leur établissement et laboratoire
Ce chapitre prendra pour appui la position émise par Christian Guerlin,
directeur de l’École de design Nantes Atlantique45. On découvre un acteur présent sur
le projet par opportunisme matériel et financier et qui place le projet Quartier de la
création dans la continuité de la politique de développement de son école.
A. L’emplacement offre de nouvelles ressources
Une opportunité financière et matérielle
Le Quartier de la création offre des opportunités financières aux acteurs qui
souhaitent emménager sur le Quartier. Le programme de financement est à
déterminer mais nous savons que les frais ne seront pas à la seule charge des écoles.
Nantes Métropole et la région prendront à leur compte une partie des dépenses. La
question du financement public doit être traité avec diplomatie puisqu’il vient
également au soutien d’établissements privés comme l’École de Design dont les frais
de scolarité annuels s’élèvent à 5000 euros contre 300 euros en moyenne pour un
établissement public. L’École de Design profite ainsi d’une opération financière
intéressante pour son déménagement.
D’un point de vue matériel, les nouveaux locaux permettront d’augmenter la
capacité d’accueil. Actuellement l’École de design accueille 830 étudiants pour une
capacité prévue pour 500 étudiants. En répondant présent sur le quartier, il s’agit
d’anticiper sur les besoins d’accueil à moyen terme.
Une localisation de proximité qui faciliterait les échanges entre acteurs
Actuellement, l’École de Design Nantes‐Atlantique est située dans la zone
industrielle de la Chantrerie en périphérie nantaise. Christian Guerlin souligne que le
cluster du Quartier de la création offre les mêmes opportunités d’échanges avec les
entreprises que son emplacement actuel à la Chantrerie. Selon lui, ce qui va se jouer
sur le Quartier de la création, se joue déjà à la Chantrerie. Il s’agit simplement d’un
déménagement. L’emplacement offre cependant d’autres avantages non négligeables. 45 Cf. Annexe 3, Entretien avec Christian Guerlin, p. 93
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 55
La concentration des acteurs sur le quartier offre des opportunités de mutualisation
des équipements. M. Guerlin entrevoit déjà des possibilités intéressantes pour
diminuer certains coûts. Les mutualisations matérielles pourraient s’effectuer par
exemple au niveau des amphithéâtres, des restaurants universitaires, des chambres
étudiantes, des salles d’expositions, etc. De plus, l’emplacement du Quartier de la
création jouit d’une position privilégiée. Situé en centre‐ville, le quartier donne sur un
meilleur accès à la gare SNCF facilitant ainsi son ouverture au public et l’accueil des
intervenants externes. De plus, le rapprochement géographique facilitera les
déplacements des enseignants qui travaillent parfois dans plusieurs établissements.
À ce jour, l’École de design n’a toujours pas déménagé sur l’île de Nantes. Elle
concentre la plupart de ses partenariats avec des acteurs extérieurs au projet
(Chambre de commerce, l’ENSAM, Istia Angers, Telecom Bretagne…). Pourtant, elle
exprime des désirs de rapprochement avec l’ENSAN et l’ESBANM sur des projets de
développement d’enseignements transversaux. L’offre pédagogique de l’École de
design est soigneusement pensée pour jouer la règle de la non concurrence face aux
acteurs partenaires. L’école peut aussi profiter du fait que sa discipline n’est pas
comptée parmi les disciplines dispensées à l’Université.
B. L’engagement dans un label
Une place sur le quartier qui profite du « buzz » de l’île de Nantes et de son positionnement
Nous sommes dans une approche marketing du territoire où ce qui est, est ce
que l’on voit. Le dynamisme des activités et les synergies créées sur ce territoire
profitent à la fois à l’image de la ville de Nantes comme totem de sa capacité
d’investissement et également aux acteurs partenaires qui bénéficient de la
promotion de ce quartier. L’École de design entend profiter des bénéfices de la
communication effectuée par Nantes Métropole autour de la requalification de l’île de
Nantes et souhaite se positionner dans ces thématiques autour du patrimoine, de la
culture, du secteur industriel, etc.
Je veux par ailleurs que la spécialité rayonne sur l’ensemble de l’établissement et que cette spécialisation rayonne sur l’ensemble du territoire et je vais participer avec le projet à l’internationalisation sur l’ensemble, donc je vais profiter du buzz de la médiatisation de l’île de Nantes, de ce campus urbain, etc. En fait on a un enjeu de rayonnement international à partir de ce truc là qui est très important. Si je reste à la Chantrerie je resterais un campus périphérique urbain comme il y en a des centaines en France. La réhabilitation
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 56
du patrimoine industriel de l’ensemble de Nantes dans une grande friche industrielle va nous porter pendant un paquet de temps je crois. Et ça, ça va dépasser nos frontières. Donc je veux m’inscrire là‐dedans, si on veut profiter de cette affaire là pour faire évoluer notre école à l’étranger (lignes 341‐352).
Le projet « Quartier de la création » légitime la place du design comme stratégie de management
Le design devient un secteur au service de l’entreprise. L’école place l’activité
du design dans une démarche de recherche appliquée au service de l’entreprise et du
marché économique. Ce positionnement est clairement assumé par le directeur de
l’école :
Ça supposait de faire une école de design‐produit qui a une responsabilité économique. C’est à dire que nous, on a toujours fait le design comme étant une discipline au service de l’entreprise et de la valeur ajoutée. Donc on n’est pas du tout dans quelque chose qui est du design activité arts appliqués ou activités d’arts plastiques. C’est que si vous voulez, quand on fait une cocotte‐minute SEB, on ne se pose pas la question de savoir si le designer est un artiste ou pas. Ce qui nous intéresse c’est que la cocotte‐minute soit fonctionnelle et qu’elle soit vendue. Nous on est dans ce créneau là. Ce qui effectivement induit des requêtes très professionnelles au niveau académique, c’est‐à‐dire qu’on s’est mis à travailler avec des tas d’entreprises pour résoudre des problèmes qui sont faits pour des problèmes tactiques, nouvel emballage, nouveau packaging ou très prospectif (lignes 40‐50).
La globalisation des marchés de production pousse les acteurs à jouer de plus
en plus la carte de la différenciation pour se démarquer sur le marché. L’École de
Design, consciente des problématiques actuelles adapte le positionnement de sa
discipline et son offre pédagogique. Il s’agit de placer l’École de design Nantes‐
Atlantique comme un établissement d’enseignement supérieur répondant aux
problématiques du marché. Pour Christian Guerlin, l’impératif est de positionner le
design comme une discipline de management et non plus traditionnellement comme
un secteur issu des arts appliqués. La donne change puisque l’on considère ainsi
l’activité du Design au cœur du processus d’opérationnalisation du produit faisant le
lien avec les problématiques des entreprises et la R&D.
Je crois que le design a des choses à dire parce qu’on passe d’une organisation scientifique du monde à une plus grande liberté au niveau de la création. Parce qu’il faut se poser la question de savoir avec ce que je sais faire, qu’est‐ce que je peux faire ? Et on est dans un paradigme qui est extrêmement intéressant et il va falloir que les entreprises évoluent largement parce que les scientifiques ne sont pas prêts à ça, parce que la science exacte ne donne pas les clés du changement, les « marketeurs » connaissent parfaitement leurs marchés mais ne connaissent pas le marché des autres. Donc un moment donné, il va bien falloir que quelqu’un percute tout ça, confronté à une autre culture, un autre marché, voilà ce qu’on peut faire avec ce qu’on sait faire (lignes 144‐153).
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 57
De ce point de vue, le design permet de faire le pont, devient un médiateur et
renforce le dialogue entre le monde entrepreneurial et les disciplines scientifiques. Le
positionnement de l’offre pédagogique de l’école s’intègre pleinement avec les visées
du quartier de la création qui souhaite valoriser les activités d’enseignement et de
création. En cela, les activités de l’école répondent dans une certaine mesure à un
engagement dans un cluster :
Aujourd’hui on travaille sur des masters qui sont autour de problématiques socio‐économiques, c’est‐à‐dire les pratiques alimentaires, les nouvelles mobilités, la ville durable, etc. Donc l’idée là‐dedans c’est de créer des écosystèmes recherche‐formation‐entreprise donc on va pratiquer le modèle c’est de travailler par exemple avec les laboratoires d’universités de biologies moléculaires, c’est de travailler avec l'INRA, c’est de travailler avec des pôles de compétitivités et puis de travailler de l’autre côté avec des entreprises. Donc à partir de ce moment là, il devenait extrêmement intéressant d’aller sur un nœud où on allait pouvoir fédérer ces gens là, je crois (Lignes 204‐212).
Les synergies qui vont être développées sur le quartier sont le prolongement
des synergies déjà existantes entre l’école et les acteurs partenaires de la Chambre de
commerce. Le Quartier de la création n’accroit pas les collaborations. La place sur le
Quartier de la création offre cependant une visibilité privilégiée grâce au soutien de
Nantes Métropole et la localisation du projet dans le centre de la ville. Il est important
de préciser que ce bilan se base sur les projections du directeur de l’école.
Gagner une place à l’international
L’emplacement sur le Quartier de la création permet d’être présent au cœur de
la ville, sur une vitrine qui offre une visibilité sur le plan national et international.
Finalement, nous comprenons que pour Christian Guerlin, l’enjeu principal joué sur
ce territoire réside dans cette place à l’international. Le quartier de la création est un
point d’entrée, un point émetteur en direction de réseaux extra‐muros.
Le directeur de l’École de design a décidé de renouveler son offre pédagogique
et de proposer un programme de maîtrise innovant et compétitif face aux autres
établissements supérieurs de Design nationaux et internationaux. Pour cela, le
programme universitaire du second cycle n’est plus construit par disciplines mais par
thématiques socio‐économiques : nouvelles pratiques alimentaires, mutation du
cadre bâti, interfaces tangibles, design et interculturalité (axé sur la Chine),
innovation responsable, réalité virtuelle et nouvelles mobilités. Il s’agit de se placer
sur des créneaux innovants et spécifiques pour se démarquer de l’ensemble de l’offre
de formation régionale, nationale et internationale.
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 58
Nous venons de montrer en quoi le développement de l’École de Design
s’inscrit dans un contexte socio‐économique actuel. Les établissements
d’enseignement supérieur sont astreints aux mêmes difficultés de développement
que les entreprises à l’heure de la globalisation et de la décentralisation. En
positionnant le design comme une stratégie de management, le directeur de l’École de
Design ouvre des portes permettant de rester compétitif. Ce positionnement permet
de placer l’activité du design comme une stratégie pouvant répondre aux
problématiques socio‐économiques. Il devient impératif de créer des synergies
locales et internationales pour renforcer la compétitivité des acteurs. Le modèle
économique des clusters et des pôles de compétitivité est une opportunité
intéressante pour Christian Guerlin de développer sa stratégie de développement.
L’École de Design Nantes‐Atlantique entrevoit le projet du cluster nantais comme un
moyen de répondre à quatre points stratégiques : un opportunisme matériel, des
facilités d’accès, un renforcement du positionnement marketing de l’école et une
vitrine à l’international.
Le chapitre suivant partira du point du vue distancé de Laurent Devisme pour
proposer une analyse qui dépasse l’étude des intérêts particuliers. Il questionnera la
place de la R&D sur le sol nantais et son potentiel à participer à l’animation du
territoire.
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 59
Chapitre 5. Des acteurs crit iques relativisent l ’engagement de la R&D dans le projet
Ce chapitre prendra pour appui la position émise par Laurent Devisme,
enseignant‐chercheur à l’École nationale d’architecture de Nantes qui se présente
comme un acteur‐chercheur critique face à la consistance du projet Quartier de la
création46. Entre le relevé d’un discours marketing séduisant et la discussion autour
du potentiel de la R&D, Laurent Devisme questionne la capacité du projet à impulser
des synergies sur le territoire.
A. Des acteurs qui se sentent en dehors du discours de Nantes Métropole…
Le Quartier de la création, une étiquette avant tout
Laurent Devisme, enseignant‐chercheur à l’ENSAN adopte un regard critique
face à la fabrication de ce projet. Son travail cherche avant tout à déconstruire « ce
nouvel objet fétiche » :
Bon est‐ce qu’il a toute la cohérence ou la consistance qu’on veut bien lui donner ? Je dirais qu’on peut en douter. C’est normal d’en douter, c’est un peu notre travail de calmer les ardeurs entre guillemets qu’on a pu voir en mai 2009 quand le truc est sorti (lignes 334‐337).
Son statut de chercheur l’oblige par précaution à se retirer du projet afin
d’adopter une position d’observateur face à la montée du Quartier de la création.
Laurent Devisme émet des réserves sur la pertinence de ce projet, qu’il nomme de
« truc », d’« objet qui débarque » ou de « produit de com’ plutôt bien ficelé ». Cette
critique est liée au contexte particulier qui relie l’ENSAN au projet. En effet, l’école
d’architecture située jusqu’au début des années 2000 rue de Massenet à Nantes, a
choisi de déménager il y a dix ans sur l’ancienne zone industrielle de la ville.
L’emplacement offrait à l’école entre autres la possibilité d’agrandir les locaux et une
meilleure visibilité. Le projet Quartier de la création ne vient qu’à postériori du choix
de l’école de se rapprocher du centre‐ville. Les questionnements autour de
l’économie de la connaissance et la proximité entre acteurs n’interviennent pas à
l’époque dans la réflexion de l’école. Lorsque le projet urbain a émergé sur la place
46 Cf. Annexe 4, Entretien avec Laurent Devisme, p. 115
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 60
publique, l’ENSAN s’est retrouvée impliquée à ses dépens sous l’étiquette « Quartier
de la création ». Nous comprenons alors pourquoi Laurent Devisme émet un regard
amusé sur ce quartier qui tout d’un coup porte un nom, des objectifs et des porte‐
paroles défenseurs du projet. Cette étiquette, comme il la nomme, ne semble pas
changer le quotidien des activités de l’école en termes de moyens et d’activités pour
la recherche :
Et donc j’allais dire un peu comme tout à l’heure, nul doute qu’il puisse avoir des retombées, on nous contacte par exemple un peu plus qu’avant, bon voilà, ça, très bien. Après est‐ce que ça change vraiment d’une part nos manières de fonctionner, est‐ce qu’on a d’autres capacités pour accueillir plus de gens pour les former, etc. ? Ça pas forcément. Je crois qu’il faut quand même émettre un distinguo entre ce qui est fait là, c’est un buzz hein, et puis concrètement les moyens qu’on a pour travailler et les uns et les autres ne sont pas forcément en lien (lignes 397‐404).
Il est intéressant d’observer que nos acteurs peuvent porter différentes
casquettes, différentes positions que l’on retrouve dans les discours émis à propos du
Quartier de la création. Laurent Devisme souhaite avant tout défendre sa position de
chercheur et non celle d’acteur. À ce propos, il n’est pas étonné de voir que certaines
personnes troquent leur casquette de chercheur pour endosser celle d’acteur car il
s’agit avant tout de défendre des intérêts privés :
Alors par exemple l’École de Design, disons que c’est des acteurs très intéressés. L’École de Design, l’École des Beaux‐Arts sont très intéressés parce que eux cherchent des locaux, ont un projet de nouvelle implantation. L’École de Design, école privée, les Beaux‐Arts ça fait partie de l’enseignement supérieur donc bon ce sont des gens qui sont des militants de ça. Ils ont tout intérêt à le faire. […] Il faut que tout le monde travaille à ce que ce soit une réussite vous voyez (lignes 347‐352).
Certains acteurs auraient des cartes à jouer dans ce projet, des intérêts à
défendre. C’est ce que nous avons démontré dans les chapitres précédents au travers
des discours de Pierre‐Jean Galdin et Christian Guerlin. Laurent Devisme explique
aussi qu’il existe une dichotomie entre la place tenue par l’Université de Nantes dans
la communication de Nantes Métropole et son réel engagement dans le projet, son
véritable pouvoir dans le processus collaboratif du cluster47 :
Avec une situation qui est celle de voir l’Université incluse dans le projet mais qui n’est pas forcément présente. Et donc des acteurs nantais, Jean‐Marc Ayrault, Auxiette pour la région Pays‐de‐la‐Loire qui poussent les acteurs universitaires à avoir un projet et à être présents sur le projet. L’Université ne
47 Cf. Chapitre 6, p. 67. Faute d’avoir obtenu un entretien avec une personne ressource à l’Université de Nantes, nous mettons en suspens le point concernant l’engagement de l’Université de Nantes dans le cluster. Nous sommes conscients que cela aurait pu sensiblement enrichir notre analyse sur la fabrication des discours autour de la portée du cluster et des stratégies d’implantation des établissements d’enseignement supérieur.
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 61
vient pas d’emblée comme un acteur dominant, majeur. C’est ça qui est important de comprendre dans les rapports entre acteurs. Il y a en fait beaucoup plus de composantes qui sont présentes : l’École d’archi, l’École de Design, l’École des Beaux‐Arts parce qu’en gros leur projet est dessus. Et puis les départements, comme le département Info‐com ici qui est assez partie prenante, qui a des velléités, à savoir des locaux dans ce quartier. Faut pas perdre de vue qu’il y a aussi derrière des questions de mètres carrés, hein, qui va occuper ce territoire et comment on le légitime (lignes 58‐69).
On oublie alors tout le travail de communication cherchant à expliquer les
intérêts que la collectivité entière pourrait tirer de cette expérience. Laurent Devisme
décrédibilise ce volet là en indiquant qu’il s’agit tout d’abord d’un projet urbain qui
apporterait un nouveau souffle au territoire. Finalement, il remet en question le socle
théorique sur lequel le Quartier de la création repose.
Les fondements théoriques du projet sont remis en question
Laurent Devisme paraît sceptique quant aux réels apports du cluster. Tout
d’abord il relativise cette notion en évoquant le cas des technopoles apparus dans les
années 1960 bâtis sur les mêmes attentes de la recherche en faveur de l’innovation.
Mais plus concrètement, il estime que la recherche a toujours fonctionné par réseaux
et que le rapprochement géographique ne semble pas être une variable pertinente
pour apporter une valeur ajoutée aux liens tissés entre laboratoires de recherche et
commanditaires. Le laboratoire LAUA qui est rattaché à l’ENSAN travaille depuis sa
création sur des sujets de terrain de l’agglomération nantaise. Les chercheurs du
LAUA ne semblent pas attendre d’intérêts particuliers du buzz de ce cluster. Ils
souhaitent avant tout se tenir à leur projet scientifique.
D’un point de vue théorique, Laurent Devisme évoque un colloque, Universités
et territoires, tenu en février 2011 dont les axes d’études portaient sur les relations
entre les établissements d’enseignement supérieur et la recherche et les collectivités
territoriales. Ces questionnements s’insèrent notamment avec le lancement du projet
d’État, le Plan Campus, qui souhaite soutenir des pôles universitaires d’excellence. Les
conclusions de cette journée d’étude montraient entre autres que la concentration de
chercheurs sur un même territoire n’augmentait pas forcément leur productivité.
Devisme se positionne également comme un opposant aux thèses de Florida sur les
villes créatives. Le projet urbain est traversé par une idéologie dominante : la
créativité comme nouveau marqueur du dynamisme urbain. Selon le chercheur :
C’est une sorte d’injonction à la créativité, qui est à mon avis une vraie idéologie aujourd’hui. Donc c’est pour ça que nous à la fois on est plutôt
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 62
prudent, en se disant pourquoi pas, mais du coup quelles seraient les économies qui ne seraient pas créatives, ça veut dire quoi quand on n’est pas dedans ? C’est quoi une économie créative ? Qu’est‐ce que c’est que ça ? Alors on voit bien ce que ça pourrait être : archi, juriste, communication, médias, etc. Pourquoi on dit ça « créatif » par rapport aux autres ? Je ne sais pas moi je suis plutôt perplexe (lignes 493‐500).
Ces critiques théoriques ne sont pas sans rappeler une étude portée à Sudbury
en Ontario sur le modèle des « villes créatives » (Paquette, 2009). L’article part du
constat que la culture est devenue ces vingt dernières années un enjeu majeur de
développement économique local. L’auteur, Jonathan Paquette examine le
développement du modèle de la « ville créative » comme une stratégie de
développement à l’intérieur et à l’extérieur des centres urbains grâce à la
dissémination, la légitimation et la popularisation de cette stratégie. En analysant les
stratégies de développement des « villes créatives », tout porte à penser qu’une ville
n’était pas créative avant l’apparition de ces nouvelles villes. Ici, la ville nouvelle est
celle qui allie le secteur économique et le secteur culturel. La « créativité » est
devenue une solution pour répondre aux nécessités de développement économique.
L’article a pris comme terrain d’analyse la ville de Sudbury en Ontario qui a décidé
d’axer son essor économique autour de l’industrialisation de la culture. La
« créativité » apporterait une peau neuve, un nouveau départ à un territoire.
L’article tente de retracer le parcours du modèle de la « ville créative »,
défendu par Richard Florida, sa popularisation ainsi que la place qu’il prend
actuellement dans la conduite des politiques publiques du nord de l’Ontario. L’auteur
parle de « création managériale » c’est‐à‐dire d’une gestion du territoire au nom de la
création. Cette thèse soutenue par Richard Florida s’est diffusée notamment par les
discours et le support de bons nombres de chercheurs et experts :
La popularisation des savoirs experts a contribué à créer des effets de mode et un appétit soutenu pour certaines conceptualisations prometteuses des disciplines du territoire. Ainsi, est‐il monnaie courante de retrouver une appropriation des savoirs académiques dans les discours des praticiens, voire de constater leur mise en œuvre dans la formulation de stratégies de développement local (Paquette, 2009, p. 49).
Il y a donc un réseau social qui a permis l’émergence, la diffusion, le relais puis
l’appropriation de la thèse de la ville créative dans les pratiques des acteurs sociaux
impliqués dans les politiques de développement de territoire. La créativité prend les
couleurs d’une conception scientifique autour de la maîtrise des idées et de
l’innovation technique. « Les présupposés de la ville créative, comme stratégie de
développement économique et local, s’appuient sur les principes d’une économie de
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 63
l’innovation » (Paquette, 2009, p. 50). Jonathan Paquette rappelle que les théories des
pouvoirs de la ville créative reposent sur des fondements économiques tirés des
enseignements de Shumpeter qui souligne l’importance de l’innovation dans un
processus de développement des marchés. Le design, l’architecture, l’offre des
événements culturels sont des secteurs d’activités où cette thèse semblerait gagner
une visibilité stratégique. L’idée est d’attirer une nouvelle classe sociale, la « classe
créative ». C’est cette classe sociale qui serait aujourd’hui le cœur de cible de ces
politiques créatives.
À toute stratégie, des modes opératoires : les opérations de rénovation des
centres‐villes, des réaménagements d’anciens locaux abandonnés sont autant
d’actions visant à redorer l’image de la ville et plus précisément du centre‐ville,
redonner une certaine qualité d’environnement pouvant attirer la classe créative. De
Sudbury à Nantes, le modèle est le même, l’idée créative n’a pas de frontière. L’auteur
conclut que cette gestion du territoire serait programmée selon une nouvelle visée
managériale, l’horizontalité culturelle : « Nouvel instrument de la gestion culturelle du
local, l’horizontalité suppose la mise en place d’un inventaire culturel, une prise en
considération de la culture dans tous les secteurs et un mode de coordination de
l’effort culturel dans tous les secteurs d’activités de la ville » (Paquette, 2009, p. 59).
B. … mais qui ne peuvent échapper à une réflexion autour du potentiel du projet sur le territoire
La recherche, nouvel outil pour l’animation du territoire ?
Au travers des trois positions des acteurs que nous avons interrogés pour
cette recherche, nous remarquons des positions assez différentes les unes des autres
mais qui se complètent, nous permettant ainsi d’explorer plus largement l’intérêt
suscité par ce cluster créatif. Laurent Devisme représente la figure d’un acteur en
retrait, critique face à la montée de ce projet. Pour autant, il admet que le
développement de ce territoire pousse l’ensemble des acteurs, même ceux qui comme
lui ne sont pas de prime abord actif et défenseur du projet, à se positionner et à
réfléchir aux éventuelles productions de ce cluster. Tout d’abord il admet que ce
territoire attire et suscite de l’intérêt et de la curiosité sur l’ensemble du territoire. Il
remarque concrètement que l’école d’architecture est beaucoup sollicitée depuis son
implantation sur l’île de Nantes. L’école loue régulièrement ses locaux pour des
événements externes déconnectés de son activité principale. Bien entendu, ce point
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 64
n’est pas lié au développement de la recherche mais il nous montre que le Quartier de
la création a au moins cette capacité à attirer les regards externes. Le Quartier de la
création est « une adresse symbolique » attractive dixit Devisme. La localisation de ce
cluster ‐ élément central pour justifier les possibilités de synergies et d’ouverture ‐
paraît être un critère porteur.
Le rapport de Bernard Stiegler, commandé par Nantes Métropole est dans la
continuité de cette recherche de visibilité. Il établit une expertise sur les potentiels
acteurs de la recherche sur le territoire nantais susceptibles de rejoindre le projet
cluster. Il s’agit donc, comme le précise Laurent Devisme d’une commande publique.
La visibilité de la recherche sur le territoire est un construit politique, un objet à faire
exister. Nous soulevons alors la question de l’animation du territoire par la recherche.
Nous avons vu précédemment que le développement de la recherche devait répondre
à des vocations attendues : la recherche doit permettre l’attractivité du territoire ; la
R&D est soumise à un enjeu de visibilité ; l’implantation des laboratoires de
recherche est subordonnée à une politique d’aménagement du territoire ;
l’aménagement des pôles de compétitivités doit être en capacité d’attirer une
nouvelle population (créateurs, artistes, jeunes entrepreneurs, etc.) ; la recherche
doit participer à l’innovation et au développement du territoire. En somme, c’est une
lourde et ambitieuse mission qui est confiée aux établissements d’enseignement
supérieur et aux laboratoires de recherche. La recherche scientifique semble être un
nouvel outil de l’animation territoriale et les liens entre territoires et établissements
d’enseignement supérieur sont en train de devenir de plus en plus étroits.
La recherche appliquée laisse peu de place aux sciences humaines
Le Quartier de la création, positionné selon les fondements des pôles de
compétitivités, valorise la recherche à des fins de développements économiques. La
recherche appliquée est, nous l’avons vu, le modèle de référence. Pourtant cette
valorisation de la recherche semble se rapporter à des secteurs restreints. Si l’on en
croit l’article Du laboratoire à l’entreprise : de jeunes pousses prometteuses (Dossal,
2011) consacrés aux liens entre la R&D et le territoire du Grand‐Ouest, l’innovation
appartiendrait aux champs des sciences dures. L’article évoque des entreprises qui
ont réussi à se développer par le biais de travaux de R&D telles que Sciences Inov qui
a créé un capteur qui décèle les polluants dans l’eau ; Biomatlante qui travaille sur
des substituts osseux synthétiques ; Golaem qui a développé un logiciel permettant
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 65
d’analyser les comportements de foules ; Dendrotech qui expertise l’âge des bois,
utile notamment pour la recherche en patrimoine ou encore l’entreprise Succubus
Interactive issue du secteur Génie informatique et spécialisée dans le développement
de jeux vidéos pédagogiques. À ce sujet Laurent Devisme pointant les rapports entre
recherche et productivité :
On peut appeler ça de l’innovation si l’on veut. Si vous voulez on assiste quand même aujourd’hui à un langage qui nous amène par exemple à nous demander dans la recherche à identifier « les leviers d’innovation », « faire sauter les verrous ». Et en même temps quand vous faites des sciences sociales, vous ne vous posez pas ces questions et vaut mieux pas se les poser si l’on veut vraiment être créatif, je pense (lignes 488‐493).
Laurent Devisme s’interroge sur les indicateurs d’innovation pour les sciences
humaines. Dans quelle mesure peut‐on parler de productivité dans les recherches en
sciences humaines ? Comment peut‐on mesurer l’utilité de ce champ d’un point de
vue économique 48?
La visibilité des sciences humaines dans les rapports R&D / innovation est
encore douteuse. Le magazine Nantes Passion de mars 2011 a consacré son enquête
spéciale intitulée Recherche : ils inventent notre futur sur la R&D sur la visibilité de la
R&D à Nantes. En couverture du magazine, une chimiste. Parmi les nombreux
exemples de recherches portées sur le territoire, une chercheuse, Agnès Florin, qui
représentait les sciences humaines. L’article n’oublie pas de préciser les liens entre la
recherche et le développement économique du territoire en se focalisant sur les
avancées de la médecine en générale (thérapies géniques, transplantations…), la
chimie, l’informatique, les matériaux ‐ l’éducation et la biothechnologie venant en
dernier. Bien que la recherche en sciences humaines soit faiblement représentée dans
ce projet, il n’en reste pas moins que ce champ est bien ancré sur le territoire
(cf. figure 7). Le projet Quartier de la création repose sur le secteur des industries
créatives tout juste émergeant sur la scène nantaise. La sélection des acteurs créatifs
ne reflète pas la richesse de la recherche spécifique au sol nantais.
Certaines disciplines participeraient plus que d’autres à soulever les leviers de
l’innovation. Créativité rime avec productivité. Des disparités existent également 48La question des indicateurs économiques des sciences humaines recoupe les axes de recherche du Granem, une unité mixte de recherche qui réunit les acteurs de la recherche du Quartier de la création et l’Université d’Angers. Le GRANEM propose au travers du Projet valeur une réflexion autour du poids socio‐économique de la culture dans le champ des industries créatives sur le territoire. Le directeur, Dominique Sagot‐Duvauroux ouvre une réflexion sur les effets non‐marchands de la culture trop souvent délaissés dans les rapports économiques [Sagot‐Duvauroux, D. (2011, mai‐juin). Comment mesurer la valeur vaporeuse de la culture ? Place Publique , pp. 49‐52].
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 66
lorsque les acteurs rencontrés évoquent le rapport entre statut public et privé et les
modes de fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur. Laurent
Devisme émet lui aussi une distinction entre l’enseignement des écoles privées, plus
proche du terrain, offrant un enseignement de proximité à l’étudiant « à la différence
de l’Université ». Il ne s’agit pas de valider ou d’infirmer les positions tenues par les
acteurs du Quartier de la création mais de montrer qu’il transparaît, dans les discours
des acteurs engagés dans le cluster, une mise à distance de l’Université. L’Université
de Nantes est un acteur souvent mis de côté par les autres acteurs du Quartier de la
création mais un acteur qui est pourtant soutenu dans la communication de Nantes
Métropole.
Figure 7 ‐ Les thèmes de recherche par établissements en Bretagne et Pays de la Loire (crédit Ruoa)
Ce chapitre nous a permis d’analyser l’engagement des acteurs sous le regard
distancé de Laurent Devisme. Ce dernier acteur rencontré est une sorte d’électron
libre qui souhaite avant tout conserver son statut de chercheur face à l’emballement
autour de l’immersion de ce quartier sur la scène nantaise. Laurent Devisme a une
position critique et intègre ce projet dans ses recherches sur la fabrication du
PARTIE II. LES ACTEURS DE LA R&D : DES POSITIONNEMENTS HÉTÉROGÈNES 67
territoire et la production des discours qui en émergent. Le Quartier de la création est
apparu cinq ans après l’arrivée de l’ENSAN sur l’île de Nantes. Depuis, beaucoup
d’encre a coulé sur les attentes de ce cluster mais peu de moyens ont été réellement
consacrés pour renforcer la R&D sur le territoire. Pour le chercheur, le projet est
avant tout une étiquette qui n’influe pas encore sur les effectives synergies entre
acteurs. Pour autant, ce produit de communication ne laisse pas les acteurs
indifférents. Le projet a cette capacité de produire des actions et des synergies sur le
Quartier. Les trois entretiens que nous avons réalisés nous ont permis de comprendre
que l’engagement des acteurs dans le cluster répond à des positions composites qui
nous éclairent à chaque fois sur les particularités de ce projet.
Le directeur de l’ESBANM rejoint le cluster par engagement dans le territoire.
Par ce ralliement, il souhaite avant tout renforcer la scène créative nantaise et offrir
aux artistes (à ses artistes) des lieux d’expression et de rencontre entre créateurs et
développeurs. Un petit bémol cependant : l’ESBANM reconnaît avoir pris du retard
dans la sphère européenne dans ses activités de R&D. Pourtant, le cluster annonce un
développement de l’innovation par la R&D. Pour crédibiliser sa place sur le Quartier
de la création, l’ESBANM doit fournir des efforts pour renforcer le positionnement de
son établissement dans une dynamique de recherche.
La recherche doit être visible au‐delà du territoire national. La R&D entre dans
une compétition internationale. L’ouverture des programmes d’échanges européens
et internationaux conduit à une fuite des étudiants français vers l’étranger. Les
établissements doivent prouver leur attractivité et leur excellence universitaire.
Conscient de cette nouvelle problématique, le directeur de l’École de design souhaite
profiter de la communication faite autour de la requalification de la zone industrielle
pour positionner son établissement sur le territoire. Le cluster lui offre par la même
occasion l’opportunité d’accroître sa visibilité à l’échelle internationale. Ajoutés à cela
une offre immobilière attractive et la prise en charge financière d’une partie du coût
de déménagement, l’opération est intéressante.
Trois acteurs, trois positions. De l’acteur engagé, à l’acteur septique en passant
par l’acteur opportuniste, le projet ne laisse pas indifférent et appelle à une prise de
position et à une reconfiguration de l’existant. La troisième partie va justement traiter
des productions qui s’opèrent sur ce territoire.
PARTIE III. UNE ÉTUDE QUI FAIT APPARAITRE UNE ORGANISATION ENTRE ACTEURS À ORCHESTRER
68
________________________Partie III Une étude qui fait apparaître une
organisation entre acteurs à orchestrer
Cette partie souhaite reprendre les résultats révélés par notre étude de terrain
en faisant un retour sur la méthodologie, les hypothèses et les apports de notre
enquête.
Chapitre 6. Retour sur la col lecte des données
Ce chapitre revient sur la méthodologie employée concernant la conduite et la
préparation des entretiens. Ce retour met en lumière la place centrale que tient
l’Université dans le dialogue entre les partenaires du cluster. Acteur absent de nos
rencontres sur le terrain, nous décidons de présenter des pistes d’études à conduire
pour une meilleure compréhension de notre sujet.
A. La conduite d’entretien : un exercice délicat
La bonne conduite d’un entretien semi‐directif est un exercice difficile. Il faut
faire preuve d’une certaine maturité et d’une grande qualité d’écoute pour pouvoir
rebondir et appeler les acteurs à développer les points pertinents pour la recherche.
L’interviewer se retrouve dans une situation en tension entre le fait de laisser parler
la personne pour qu’elle se sente à l’aise et qu’elle puisse s’exprimer librement et le
fait d’être capable de recadrer le sujet lorsqu’il y a des digressions. L’entretien avec M.
Guerlin en est un illustre exemple : un entretien de plus d’une heure quinze avec de
nombreuses et longues digressions.
Avec du recul, les entretiens que j’ai réalisés m’ont aidé à recueillir des
informations intéressantes pour mon sujet mais ne m’ont pas permis d’élever la
PARTIE III. UNE ÉTUDE QUI FAIT APPARAITRE UNE ORGANISATION ENTRE ACTEURS À ORCHESTRER
69
recherche à sa juste valeur du fait que je ne maîtrisais pas suffisamment mon terrain.
À l’écoute des entretiens, je constate que les informations recueillies sont riches et
dépassent largement la précédente collecte d’informations que j’avais obtenue via les
entretiens exploratoires et les informations publiques. Pour autant, des entretiens
exploratoires plus nombreux et plus poussés m’auraient permis de prendre de la
hauteur sur le sujet afin de poser des questions plus précises, plus ciblées et plus
pertinentes pour les entretiens officiels. J’aurais pu alors, je pense, anticiper sur la
place que joue l’Université dans la réalisation de ce projet.
B. L’Université, grand acteur absent
L’étude de notre sujet révèle des mises en tension entre les acteurs. Leurs
intérêts sont multiples et variables. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre
suivant. Mais surtout, notre étude de terrain a mis en lumière le rôle de l’Université à
structurer les synergies des acteurs partenaires. Les entretiens ont montré que
l’Université était attendue dans le débat. Sans elle, les autres acteurs ne peuvent
prendre leur place dans le cluster. Le rôle tenu par l’Université est assez ambivalent.
L’Université est désignée comme leader pour structurer et orchestrer l’offre
scientifique sur le Quartier de la création. La carte des acteurs que nous avons
construit la montre comme un acteur au centre des synergies (cf. figure 5, p. 42). Elle
est présentée comme un acteur présent dans la communication publique de Nantes
Métropole, elle rayonne à l’échelle locale au cœur du quartier, à l’échelle régionale par
le biais du PRES, et à l’international via les programmes d’échanges internationaux.
Pourtant, les acteurs rencontrés déplorent son manque d’investissement et son
absence dans le dialogue.
La rencontre avec un membre de l’Université serait une étape primordiale
pour poursuivre cette étude et comprendre les rapports et attentes que portent les
acteurs dans ce projet. Le Quartier de la création est en construction. La majorité des
partenaires seront réunis sur l’île de Nantes aux alentours de 2014. Nous sommes
encore dans la phase de dialogue et de structuration. Nous pouvons déjà souligner
quelques pistes à creuser qui pourraient être éclairées par une rencontre avec un
acteur de l’Université :
PARTIE III. UNE ÉTUDE QUI FAIT APPARAITRE UNE ORGANISATION ENTRE ACTEURS À ORCHESTRER
70
‐ Tout d’abord, la question de la place de la recherche et son potentiel à soutenir
le développement du territoire. Sans la compréhension de la place de
l’Université dans le cluster, nous ne pouvons pas comprendre l’étendue des
enjeux qui s’y dressent ;
‐ le rapport secteur privé / public. En effet, l’étude de terrain montre que des
blocages font surface et peuvent ralentir le processus coopératif. Les acteurs
de notre étude sont issus du secteur privé et public. Leur mode d'organisation
et de gestion diffèrent au niveau des financements, des spécificités, des
contenus pédagogiques, des calendriers ou encore des cycles de formations.
L’étude du rôle de l’Université dans la mise en place du projet est primordiale.
Pour l’heure, nous allons voir dans le chapitre suivant que notre veille de terrain
révèle des résultats qui nous éclairent sur le processus de crédibilisation du projet et
la reconfiguration des acteurs qui en découlent. Un premier bilan peut se dresser.
PARTIE III. UNE ÉTUDE QUI FAIT APPARAITRE UNE ORGANISATION ENTRE ACTEURS À ORCHESTRER
71
Chapitre 7. Un processus de crédibi l isation du projet qui amène la reconfiguration des acteurs
Après un retour sur nos hypothèses de départ, nous montrerons que les effets
d’opportunisme sont dépassés par des rapports entre acteurs plus complexes. En
effet, l’étude montre que l’engagement des acteurs ne peut se faire sans une
reconfiguration du terrain. Tout d’abord, en plaçant la recherche appliquée au cœur
du processus au détriment de la recherche fondamentale. Ensuite en révélant que
l’engagement dans le cluster ne puisse se faire qu’au détriment de synergies
orchestrées et régulées et en soulignant les effets de différenciation entre acteurs.
A. Au-delà d’un engagement par opportunisme
Les hypothèses de départ étaient concentrées autour des effets
d’opportunisme que présentait le cluster. Pour rappel, les deux hypothèses étaient les
suivantes :
1) L'engagement des acteurs de la recherche sur le Quartier de la création à
Nantes répond à une stratégie marketing, à une volonté de se rattacher à un label;
2) L'engagement des acteurs de la recherche sur le Quartier de la création à
Nantes leur permet avant tout de profiter d'avantages matériels (opportunité
immobilière, placement sur une épine dorsale, facilité d'accès).
La présentation des résultats dévoilait trois discours types pour comprendre
les positions des acteurs scientifiques de la scène nantaise sur le projet cluster. Les
résultats de notre enquête sont plus nuancés que ce que pouvait entrevoir nos
hypothèses. Seul le discours de Christian Guerlin répond à cette piste d’étude. En
effet, nous présentons un acteur engagé dans le Quartier de la création afin de
renforcer la stratégie de développement de son école. Le quartier lui offre entre
autres la possibilité de placer son établissement sur une vitrine internationale. Il y
voit également une opportunité matérielle pour agrandir ses locaux et pour profiter
d’une possibilité de mutualisation de ses équipements avec ses futurs voisins. Les
PARTIE III. UNE ÉTUDE QUI FAIT APPARAITRE UNE ORGANISATION ENTRE ACTEURS À ORCHESTRER
72
deux autres discours s’écartent de ces intérêts privés. Le chapitre 3 nous montre au
contraire comment les problématiques de développement d’une école, ici l’ESBANM,
s’intègrent aux problématiques de développement d’un territoire. La constitution des
filières et les programmes de recherches doctorales doivent s’intégrer selon les
besoins du marché local. Ils sont pensés conjointement avec la Communauté urbaine.
Enfin, le dernier discours (chapitre 5) présente un autre versant du projet. On y voit
un acteur détaché de tout intérêt, présentant le cluster comme une opportunité
marketing pour rafraîchir la communication publique de Nantes Métropole.
Le cluster serait un outil à faire exister. On part du concept pour adapter au
mieux les ressources du terrain. L’engagement des acteurs, et la reconfiguration de
l’existant sont des conditions sine qua non pour faire vivre ce Quartier de la création
et lui donner ainsi une homogénéité, une crédibilité.
B. La recherche appliquée : nouveau modèle d’excellence
Les discours des acteurs révèlent des clivages dans leur conception de
l’enseignement. Le système universitaire a mauvaise figure : un enseignement
distancé face aux étudiants et déconnecté des pratiques de terrain. Son programme
pédagogique laisserait peu de place à l’immersion des étudiants dans le monde
professionnel. L’Université serait moins apte à produire une recherche qui
participerait au développement du territoire. La recherche fondamentale ne semble
pas avoir sa place sur le terrain. Le projet cluster cherche à rapprocher les
établissements d’enseignement supérieur vers les acteurs économiques du quartier.
Les écoles privées seraient a priori plus légitimes pour participer au projet. Les
acteurs rencontrés soulignent les atouts de leurs établissements qui fondent leur
programme sur leur ouverture avec les entreprises locales. Par exemple, le directeur
de l’École de design a délibérément voulu détourner la discipline du design du champ
artistique pour lui donner des couleurs empreintes au management. Ainsi le design
devient un secteur au service de l’entreprise.
Cette division opérée entre le modèle universitaire et les écoles met en
difficulté la place que doit prendre l’Université sur le territoire. Représentante du
service public et sous l’égide de la collectivité, l’Université est assignée comme
PARTIE III. UNE ÉTUDE QUI FAIT APPARAITRE UNE ORGANISATION ENTRE ACTEURS À ORCHESTRER
73
ambassadrice de l’excellence des établissements d’enseignement supérieur. De plus,
nous avons vu que le taux d’employabilité est devenu un nouvel indicateur de
réussite. Il s’agit avant tout de placer les jeunes diplômés sur le marché du travail. La
recherche du taux d’employabilité à la fin du diplôme est le leitmotiv des actions et
stratégies développées par les établissements.
C. Le Quartier de la création attise les effets de différenciation
Bien que chacun des acteurs ait des positions et intérêts qui leur sont propres,
leur participation sur le projet du Quartier de la création ne peut se faire sans règles
du jeu préalablement définies. Il n’est pas question comme le déclare Pierre‐Jean
Galdin de « faire de la concurrence ou mettre en place un modèle alternatif les uns
aux autres » (lignes 37‐38). Il s’agit bien de laisser à chacun des acteurs la possibilité
de trouver sa place sur le quartier. La concentration d’acteurs issus du champ
scientifique n’accroît absolument pas dans notre cas les effets de concurrence. Au
contraire, tout est mis en place pour contourner cette donne. Chacun des acteurs est
l’unique représentant de sa discipline : les Beaux‐Arts pour l’art, l’ENSAN pour
l’architecture, l’École de design pour le design (le design n’étant pas compté comme
une discipline universitaire). Le problème se pose pour la communication. Nous
retrouvons le département Info‐com de l’Université de Nantes et l’école privée
Sciences com’ sur le projet. Et c’est sur ce point‐ci que se joue l’engagement collectif
des acteurs, les synergies entre établissements d’enseignement supérieur. Les
intérêts de chacun ne peuvent être défendus qu’à la condition d’une refonte des
programmes universitaires pour permettre la spécialisation des filières. Ainsi l’école
des Beaux‐Arts issue du champ public a dû abandonner certaines spécialités pour en
donner la primauté à l’Université de Nantes. Pourtant, les spécialités de Sciences com’
et Info‐com se recoupent. Les deux établissements proposent une formation autour
du multimédia dans le journalisme et la médiation culturelle. L’un étant issu du
secteur public, l’autre du secteur privé, quels seront les effets de cette concurrence
sur le territoire ?
Notre étude montre que la carte de la différenciation de l’offre pédagogique et
celle de la spécialisation des thématiques sont pertinentes pour se préserver des
PARTIE III. UNE ÉTUDE QUI FAIT APPARAITRE UNE ORGANISATION ENTRE ACTEURS À ORCHESTRER
74
effets de concurrence. Elles renforcent le processus de crédibilisation du projet en
assurant son bon fonctionnement et la bonne coopération des acteurs. Chaque acteur
doit proposer un programme unique, innovant. Il faut trouver des créneaux porteurs,
des niches à exploiter. La politique de développement de l’École de Design en est un
illustre exemple. Les efforts de collaboration ne sont pas sans rappeler les processus
d’opérations marketing auxquels les établissements d’enseignement supérieur ne
sont plus épargnés. La créativité serait donc cette capacité à renouveler les offres de
formation tout en étant sans cesse en alerte face aux paramètres externes : les effets
de la globalisation, l’uniformisation du modèle européen, les effets de concurrence
entre établissements, les questions d’employabilité des étudiants. L’étude de notre
sujet montre que nous sommes dans une approche totalement managériale des
établissements d’enseignement supérieur.
Ce retour sur les résultats permet de dépasser nos hypothèses de départ,
basées exclusivement sur des effets d’opportunisme. Le Quartier de la création place
au premier plan les bénéfices de la rechercher appliquée attendant un dialogue plus
étroit entre les établissements d’enseignement supérieur et les entreprises.
L’Université doit faire ses preuves pour prouver sa capacité à collaborer avec le
monde entrepreneuriale. Enfin, nous avons vu que la proximité géographique et la
spécialisation du cluster poussent les acteurs à employer des tactiques pour
contourner cette donne. Un processus de différenciation des spécialités de chacun
s’opère entre les acteurs partenaires.
CONCLUSION 75
________________________Conclusion
Deux ans après son inauguration, le cluster est encore à l’étape de
structuration. La communication publique est déjà mise en place. Le quartier a un
nom, des acteurs, des objectifs. Pourtant, nos rencontres avec les acteurs de la
recherche montrent un autre versant du projet. Notre question centrale cherchait à
comprendre en quoi les dynamiques de proximité développées par les acteurs de la
recherche implantés sur le quartier de la création répondent à un engagement dans
un cluster ? Nos hypothèses de départ tentaient de creuser des pistes sur des effets
d’opportunisme. Car finalement, nous étions sceptiques à l’idée sur ce cluster, partant
du préjugé que tout cela n’était que marketing. Oui, le Quartier de la création profite à
certains acteurs, à ceux qui décideraient d’exploiter les ressources de ce projet. Nous
l’avons vu, le cluster offre par son emplacement dans la ville de Nantes, son lien avec
l’histoire des chantiers navals, une adresse symbolique intéressante et exploitable. De
même, la proximité, caractéristique forte du concept de cluster permet également
d’entrevoir des possibilités de mutualisation des équipements et d’autres intérêts
matériels et logistiques (facilité d’accès du site, prise en charge financière d’une
partie du déménagement par Nantes Métropole, mutualisation des équipements,
agrandissement de la capacité d’accueil, etc.). Notre étude a surtout montré que ce
cluster était campé par des représentations assez disparates. Le terrain révèle des
prises de positions composites : de l’acteur engagé, à l’acteur opportuniste, en
passant par l’acteur désintéressé. De cette vision de départ d’un projet comme simple
étiquette marketing, nous devons admettre le potentiel du Quartier de la création à
créer des synergies, à recomposer l’existant. Dans tous les cas, il ne laisse pas
indifférent.
Les contours du cluster sont encore flous. Ce Quartier de la création se veut
être une vitrine des activités du champ des Industries créatives et culturelles. Au‐delà
de la question de la pertinence de cette appellation, nous remarquons que les terrains
CONCLUSION 76
d’applications sont encore très vastes (design, architecture, média, arts plastiques,
arts numériques, photographie, cinéma, etc.) ; le quartier est composé d’acteurs
hétérogènes (de l’Université à l’école privée en passant par des centres de formations
professionnelles) ; des acteurs ne disposant pas tous de laboratoire de recherche
(l’ESBANM) ou parfois n’ayant pas vocation à cela (le pôle des arts graphiques). Tout
cela devant former le levier de l’innovation nantaise pour le développement du
territoire.
Alors que le concept annonce un territoire construit autour d’une
spécialisation, nous remarquons que cette dite spécialisation cherche à être
détournée. La proximité géographique et la volonté de caractériser le territoire
autour de problématiques ciblées auraient tendance à développer une concurrence
entre acteurs. On remarque que ces derniers s’organisent pour dépasser ce qui pour
eux pourraient représenter un frein à leur développement, afin de rechercher un
espace de liberté, une démarcation face aux autres. Les rapports organisationnels
entre les acteurs du cluster dévoilent la mise en place d’un processus de
différenciation. Chacun désirant se présenter maître en son domaine. Le cluster incite
à la reconfiguration des disciplines et des contenus pédagogiques afin de faciliter la
cohabitation. Sans cela, le cluster serait nuisible aux acteurs. À ce propos, notre étude
a révélé la place centrale de l’Université dans ce dialogue autour des spécificités de
chacun et plus encore, au sujet de la place de la recherche dans le développement du
territoire.
Le socle de la R&D sur le Quartier de la création est à bâtir. Le projet est
encore trop jeune pour analyser les réels effets de la concentration sur l’innovation et
le développement du territoire. La R&D est un outil dont les acteurs doivent se saisir
pour légitimer leur place sur le quartier. Nous n’oublions pas également le rôle tenu
par la Communauté urbaine qui cherche à renforcer la visibilité de la recherche pour
gagner en compétitivité et en attractivité. On pourrait d’ailleurs miser sur les enjeux
de la communication pour apporter une plus‐value à la ville de Nantes. La recherche
participe aujourd’hui à l’animation des territoires. Concrètement, les liens entre
laboratoires de recherche et entreprises locales sont faibles. Les quelques marques de
synergies et de travail collaboratif entre les acteurs scientifiques sont des liens
antérieurs au projet cluster. Le cluster n’accroit pas encore les synergies. Le réseau
CONCLUSION 77
est actif au‐delà du périmètre de l’île de Nantes, rayonnant sur l’ensemble de la
région, et même à l’échelle internationale. Ces activités sont le fruit d’une recherche
de développement individuelle et propre à chaque acteur.
La recherche devient un enjeu central pour l’animation du territoire. La
recherche fondamentale a mauvaise figure au profit d’une recherche appliquée
répondant au besoin du marché et rentabilisant l’investissement des étudiants.
Nouvelle marque de réussite, la valorisation de la recherche appliquée aurait
tendance à décrédibiliser la place de l’Université dans ce projet ‐ acteur
incontournable comme nous l’avons vu précédemment. Une prolongation de ce
travail consisterait à analyser la position de l’Université dans l’élaboration de ce
projet. L’étude des enjeux de ce cluster du point de vue des intérêts de l’Université
pourrait nous éclairer d’une part sur les possibilités d’évolution du cluster et d’autre
part questionnerait le potentiel de l’Université à (re)configurer les rapports
organisationnels des acteurs partenaires.
BIBLIOGRAPHIE 78
______________________Bibliographie
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Les Beaux‐Arts veulent devenir grands; ENSEIGNEMENT. L'école va quitter le centre‐ville pour s'installer sur l'île de Nantes en 2013 in Presse Océan, 03 février 2010
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La création prend ses quartiers à Nantes in CB News, 26 avril 2010
L'Europe de l'énergie et de la création in Presse Océan, 23 Septembre 2010
La création prend ses quartiers sur l’île de Nantes, 9 hectares dédiés aux industries créatives et culturelles sur le site de Nantes Métropole : http://www.nantesmetropole.fr/decouverte/les‐projets‐phares/le‐quartier‐de‐la‐creation‐22973.kjsp?RH=PROJETS_PHARES&RF=PROJET_QUARTIER_CREA
Le dossier de presse Quartier de la création, art and living style district sur le site Internet de la SAMOA : http://www.iledenantes.com/files/documents/pdf/presse/dp‐quartier‐de‐la‐creation‐110509.pdf
Autre ressource DVD de présentation de Nantes Métropole, Quartier de la création, art and life district
ANNEXES 81
__________________________Annexes
ANNEXES 82
Annexe 1. La gri l le de questions générales
Votre laboratoire est rattaché au projet du Quartier de la Création, comment l'idée de
la collaboration est née ?
Quelles étaient vos motivations au départ de ce projet ?
Avec quels laboratoires ou partenaires externes travaillez‐vous ?
Comment sont nées ces collaborations ?
Quels sont vos axes de recherche ?
Vers qui concentrez‐vous la médiation de vos travaux ?
Au sein même des acteurs de la R&D, quels sont les liens que vous entretenez avec les
autres laboratoires de recherche qui ont eux aussi rejoint le projet ?
Qu'en est‐il des partenariats avec les entreprises ou encore les pôles artistiques ?
Pouvez‐vous me parler de la place que vous occupez sur le quartier ?
Que représente pour vous ce cluster ?
Que pensez‐vous de la concentration d’acteurs sur un même site ?
Le Quartier de la création se veut un territoire mettant en exergue le secteur des
Industries créatives. Selon vous quelle est la portée de ce secteur ? Et de votre secteur
en particulier ?
Quelle est la portée de votre secteur sur le territoire nantais ?
Selon vous, quelle est la place de la recherche sur ce territoire ?
Parlez‐moi de votre offre pédagogique…
Votre programme pédagogique valorise la recherche appliquée (ou les stages selon le cas), quels en sont les atouts pour les étudiants ?
ANNEXES 83
Annexe 2. Entretien avec Pierre-Jean Galdin
A. Gril le de questions
‐ Une question assez générale pour comprendre le contexte qui vous a amené à
approcher Nantes Métropole pour faire partie de ce projet et déménager sur l’île de
Nantes ?
‐ Du coup vous êtes plutôt défenseur des thèses autour de l’économie de la
connaissance…
‐ J’ai eu connaissance d’un document concernant l’ouverture de certaines formations
mutualisées avec d’autres établissements. Je pense par exemple à ce master « eco‐
design des usages ». Alors j’ai très peu d’informations…
‐ Et ce « éco » a quel sens ? « Écologie »? « Économie »?
‐ Et ce projet était en amont du Quartier de la création ?
‐ Et donc ce genre d’option « eco design », ça va dans ce sens là…
‐ Oui c’est vrai, c’est un master… et ce genre de master ça favorise les transversalités.
Pour vous comment l’étudiant peut tirer profit de ce type d’offre ?
‐ Au niveau des laboratoires rattachés à l’École des Beaux‐Arts, vous parlez d’avoir
déposé cette année…
‐ Dans votre communiqué où vous présentez les projets de l’École, vous présentez les
enjeux de la recherche pour les établissements. Est‐ce que vous pouvez développer
un petit peu ce point là ?
‐ Cette valorisation de la recherche et surtout l’opportunité d’avoir un programme de
doctorat, est‐ce que l’enjeu de la recherche est aussi en lien avec l’enjeu des rapports
de plus en plus étroits entre les entreprises et la recherche appliquée ?
‐ Justement par rapport à ça, vous, votre positionnement… Demain votre place est sur
le quartier…
ANNEXES 84
‐ Dans le Quartier de la création, quels seront parmi les acteurs du secteur de
l’entreprise, les partenaires potentiels que vous voyez ?
‐ Vous votre déménagement, c’est prévu pour quand ?
‐ Quelle est votre représentation du cluster et des discours autour de la proximité ?
Qu’est‐ce que ça représente pour vous ?
‐ Par rapport aux étudiants, vous vous amusiez à dire qu’ils étaient de géniaux
manipulateurs, voleurs, etc. Quelle est leur place, comment sont‐ils perçus ?
‐ Il n’y a plus du tout de rapport enseignant/étudiant ?
‐ Une dernière question par rapport à la place de l’Université dans le projet.
L’Université semble vouloir prendre une place importante sur le projet. Y’a t’il un
enjeu de concurrence entre les acteurs privés/publics ?
ANNEXES 85
B. Entretien 1
Entretien avec Pierre‐Jean Galdin, mardi 5 avril 2011, École nationale des Beaux‐Arts, durée totale 35 2 minutes. 3
LR. Une question assez générale pour comprendre le contexte qui vous a amené à 4
approcher Nantes Métropole pour faire partie de ce projet et déménager sur l’île de 5
Nantes ? 6
PJG. Le propos c’est de proposer un regroupement des écoles, de l’Université dans le 7
domaine des enseignements artistiques et donc concentrés généralement à l’occasion 8
d’un projet urbain et qui amène la participation des étudiants, des chercheurs, des 9
enseignants à l’intérieur de chacune de ces filières. Donc on retrouve dans toutes les 10
grandes capitales européennes, plutôt du Nord, les pôles artistiques qui regroupent 11
les Beaux‐Arts, le design, toutes les écoles de com’, l’école d’archi, l’Université avec les 12
sciences humaines plus bien souvent les dimensions et les vitrines des arts ce qui fait 13
qu’il y a des jauges d’étudiants d’environ entre mille, trois milles, dix milles ça c’est les 14
gros pôles. Et ça me paraît un seuil minimum pour demain être identifié comme un 15
pôle européen et donc l’idée c’est de faire la même chose, c’est ce que nous faisons à 16
Nantes, donc nous allons regrouper l’école d’archi, l’école des Beaux‐Arts, l’école de 17
Design, l’école de communication, l’Université avec toutes ses filières, et un pôle 18
plutôt autour des arts graphiques, du livre voilà. Alors au fond on est dans un 19
mécanisme très identifié. Nous nous donnons des seuils et une organisation qui 20
s’inspire de grands pôles culturels. 21
LR. Du coup vous êtes plutôt défenseur des thèses autour de l’économie de la 22
connaissance… 23
PJG. Je ne sais pas. Là pour l’instant je ne rentre pas dans ce débat. Là le débat c’est 24
structurer une offre de formation supérieure dans les domaines de l’art et de la 25
culture. Nantes a choisi une image forte et un projet fort autour de ces compétences là 26
et veut donc renforcer son enseignement supérieur de recherche dans ces domaines. 27
Donc l’aspect économique ou des industries créatives c’est un deuxième niveau, un 28
autre type de travail. Mais à l’origine du Quartier de la création, c’est d’abord un 29
projet … 30
ANNEXES 86
LR. J’ai eu connaissance d’un document concernant l’ouverture de certaines 31
formations mutualisées avec d’autres établissements. Je pense par exemple à ce 32
master « eco‐design des usages ». Alors j’ai très peu d’informations… 33
PJG. Dans le cadre du déménagement et du regroupement par écoles, chacune des 34
écoles doit procéder si elle le veut bien dans ce genre d’opérations, il faut que 35
chacune des écoles ait une spécialité. Il n’est pas question de venir, on est pas là pour 36
faire de la concurrence ou pour mettre en place un modèle alternatif les uns aux 37
autres. Nous, nous avons fait notre propre ménage, c’est‐à‐dire que nous avions une 38
option en communication par exemple. Dans le cadre de ce regroupement nous avons 39
abandonné notre option de communication pour la laisser aux établissements dont 40
c’est le cœur de métier. Reste que nous sommes tous aujourd’hui confrontés à une 41
mobilité étudiante et le projet que tout le monde encourage est de penser à des 42
diplômes passerelles et d’éviter les formations « tunnel », on rentre, on passe cinq, 43
six, sept ans. Aujourd’hui, on a de moins en moins de formation tunnel. Aujourd’hui, 44
on a des étudiants qui font trois ans d’archi, deux ans de design puis de la recherche. 45
Bref, il faut encourager ces parcours, il faut être plus mobile. Et donc nous sommes 46
aujourd’hui regroupés aussi pour construire, offrir des formations passerelles. Par 47
exemple ce diplôme de master fait cohabiter l’École des Beaux‐arts, l’École 48
d’architecture et l’Université Infocom. 49
LR. Et ce « éco » a quel sens ? « Écologie »? « Économie » ? 50
PJG. Écologie… et ce diplôme vise par exemple à travailler sur des dimensions à l’art 51
dans les paysages, l’art et l’environnement. Et avec Infocom ça sera plutôt des 52
parcours liés à la question des paysages et puis avec l’École d’archi, architectures, 53
études de terrain, constructions. 54
LR. Et ce projet était en amont du Quartier de la création ? 55
PJG. Oui il est en amont parce qu’évidemment le Quartier de la création va mettre 56
beaucoup de temps à se créer, il va mettre 10 ans donc on n’attend pas, faut le faire. 57
On a commencé, on travaille, on a déposé pour la recherche un projet de fédération 58
de recherche… 59
LR. Avec ? 60
ANNEXES 87
JPG. Avec comme membres fondateurs un certain nombre d’acteurs : l’Université de 61
Nantes, l’Université d’Angers, l’École d’architecture et l’École des Beaux‐Arts. 62
LR. Ça s’appelle… 63
JPG. Ça s’appelle « art, culture et territoire ». C’est un projet de regroupement des 64
études de recherches, des labos dans le domaine de l’art, de la culture sur le territoire 65
et qui a été déposé cette année pour essayer de structurer un peu une capacité à 66
croiser les équipes. 67
LR. Et donc ce genre d’option « Éco design », ça va dans ce sens là… 68
PJG. Ça c’est un master. 69
LR. Oui c’est vrai, c’est un master… et ce genre de master ça favorise les 70
transversalités. Pour vous comment l’étudiant peut‐il tirer profit de ce type d’offre ? 71
JPG. Bah ce n’est pas que ça favorise des possibilités de transversalité pour l’étudiant, 72
c’est offrir à l’étudiant un terrain de savoir et partager aujourd’hui la question de l’art 73
et du territoire. Il a besoin de notions en géographie, technologie, donc des notions 74
qui sont portées par les sciences humaines et les sciences sociales. Il a des notions 75
autour notamment des construits, l’aménagement donc voilà. Et bien évidemment du 76
côté de l’art, tout ce qui est lié au graphisme, aux symboliques, aux images. Donc nos 77
trois savoirs se regroupent pour construire une formation liée à des enjeux de former 78
des compétences créatives dans le domaine de l’art et du paysage par exemple. Donc 79
on se regroupe pour essayer de répondre à une formation à visée professionnelle. 80
C’est vraiment très concret. C’est vraiment offrir à des étudiants qui ne veulent pas 81
être artistes forcément, et qui un moment donné veulent des terrains d’applications. 82
LR. Au niveau des laboratoires rattachés à l’École des Beaux‐Arts, vous parlez d’avoir 83
déposé cette année 84
JPG. Nous sommes en train de finaliser la création d’une plateforme, pas un 85
laboratoire pour l’instant, il ne prendra pas sa vraie forme tout de suite, donc une 86
plateforme recherche sur les langages de l’art et traite sur l’art et du territoire et des 87
migrations. Cette plateforme de recherche réunie une vingtaine de chercheurs de 88
l’école et certainement d’autres de l’Université ou écoles d’art. 89
ANNEXES 88
LR. Et à l’échelle internationale ? 90
PJG. Puis, nous aimerions aussi continuer notre effort de coopération avec l’École 91
d’art et de design de Genève, l’École d’art d’Amsterdam et nous avons signé avec 92
l’Université de Tokyo déjà, de Chicago ensuite. Tout cela avec en plus un certain 93
réseau établi en France. 94
LR. Dans votre communiqué où vous présentez les projets de l’École, vous présentez 95
les enjeux de la recherche pour les établissements. Est‐ce que vous pouvez 96
développer un petit peu ce point là ? 97
PJG. Donc la recherche pour notre école bon c’est aussi une dimension où l’on est à la 98
traine, en autarcie, même de manière individuelle dans les carrières artistiques ou les 99
projets théoriques, des travaux de recherche qui étaient souvent cristallisés dans 100
d’autres universités ou dans d’autres milieux professionnels. Aujourd’hui avec la 101
réforme de nos écoles, nous sommes aujourd’hui dans une dynamique de trouver à 102
l’intérieur de l’école le lieu de la réflexion de ces territoires de recherche qui sont 103
aujourd’hui menés par nos chercheurs dans une offre complexe. Il s’agit de 104
réintroduire ces compétences dans les projets de l’école. On a plein d’artistes, mais 105
dans des domaines de recherche très élaborés. Il y en a qui deviennent Docteur et qui 106
sont pas dans une dynamique de recherche théorique et qui avant cela faisaient dans 107
leur université de rattachement et puis aujourd’hui on leur demande de réinvestir ces 108
travaux dans les préoccupations d’école et nous avons défini à Nantes comme 109
préoccupations et comme enjeux centrales de la recherche, les deux grands thèmes 110
que l’on a identifiés comme étant forts de l’art à Nantes c’est‐à‐dire la question du 111
territoire, la Biennale Estuaire, l’art dans l’espace public, la question de 112
l’appropriation de l’art par les publics, et un deuxième volet sur la question du port, 113
de l’histoire de Nantes, la question des mondialisations de l’art. De ces deux piliers, 114
nous construisons une plateforme de recherche. Il y a beaucoup d’objets. Voilà, 115
demain nous espérons pousser notre école à un programme doctoral qui pourra 116
autour de ces objets de recherche concrètement accueillir des étudiants, des artistes, 117
des doctorants. Voilà. 118
ANNEXES 89
LR. Cette valorisation de la recherche et surtout l’opportunité d’avoir un programme 119
de doctorat, est‐ce que l’enjeu de la recherche est aussi en lien avec l’enjeu des 120
rapports de plus en plus étroits avec les entreprises avec la recherche appliquée ? 121
PJG. Oui alors après nous aujourd’hui on est d’abord dans la constitution de nos 122
filières. C’est‐à‐dire qu’aujourd’hui pour rentrer dans l’enseignement supérieur 123
européen, là on va y arriver, nous devons mettre en place des filières complètes 124
capable d’aller jusqu’au doctorat et le master ne peut pas s’appuyer sans la recherche. 125
Donc on est dans un contexte classique d’une filière d’enseignement supérieur qui 126
doit pour rentrer totalement dans le modèle européen avoir les trois niveaux LMD. 127
Aujourd’hui on a le L et le M. On vient d’obtenir l’habilitation pour mettre en place des 128
filières jusqu’au doctorat. Et tout ça n’a de sens parce que nous invoquons sur les 129
labos de recherche, des plateformes de recherche, sinon nous ne pourrions pas avoir 130
ce titre. Après comment cette force de recherche peut être utilisée sur notre 131
territoire, au niveau des activités ? Après il y a un deuxième volet sur le Quartier de la 132
création qui est celui par rapport à l’art et la recherche, c’est la question de sa 133
professionnalisation, de sa transformation en activités économiques, les pépinières, 134
les incubateurs, tout ça. Ça c’est une deuxième partie de ce Quartier de la création qui 135
vient sur le modèle des clusters classiques qui est d’essayer de valoriser cette 136
recherche et de l’amener sur des sujets porteurs dans les activités économiques. 137
LR. Justement par rapport à ça, vous votre positionnement… Demain votre place est 138
sur le quartier… 139
JPG. Bah nous nos artistes aujourd’hui à Nantes se portent plutôt bien c’est‐à‐dire 140
trouvent de l’activité, cela dépend de la recherche. Effectivement aujourd’hui il y a 141
une horde d’artistes qui interviennent sur l’espace public et donc notre plateforme de 142
recherche formera un certain nombre d’artistes et de spécialistes et ces questions 143
trouveront très vite une insertion dans l’ensemble des projets qui seront dans le 144
monde entier réputés comme… Donc nous notre lien à l’économie de notre champ 145
professionnel est un peu plus… On est comme une école d’ingénieurs dans le sens où 146
on est une école, on est très lié au champ professionnel au contraire de l’Université, 147
on est normalement plutôt proche du monde professionnel, expositions d’arts, 148
événementiels. Voilà nos indicateurs de réussite sont beaucoup plus rapprochés qu’à 149
l’Université dans l’insertion professionnelle bien sûr. 150
ANNEXES 90
LR. Dans le Quartier de la création, quels seront parmi les acteurs du secteur de 151
l’entreprise, les partenaires potentiels que vous voyez ? 152
PJG. Moi je monte des formations passerelles dont une qui va être formée avec l’École 153
de commerce et management d’Audencia. On vient de signer un accord de 154
coopérations pour mettre en place un truc post‐master autour de l’entreprise. Il y 155
aura des artistes, des créateurs ou même des jeunes développeurs de projets qui vont 156
dans le domaine de l’art essayer de tisser des liens avec un certain nombre 157
d’entreprises pour développer ça. Là je parle de formations encore mais autour de 158
cette formation il y aura des institutions locales, régionales, nationales et 159
internationales qui seront membres du bord… 160
LR. Vous votre déménagement, c’est prévu pour quand ? 161
PJG. 2014. Septembre 2014 si tout va bien. 162
LR. Quelle est votre représentation du cluster et des discours autour de la proximité ? 163
Qu’est‐ce que ça représente pour vous ? 164
PJG. Moi je me réfère à une étude de recherche anglaise qui se regroupe autour d’un 165
laboratoire qui s’appelle le NESTA et qui a produit une étude sur la question de 166
l’innovation et qui a pris comme terrain d’expérimentation les écoles d’art de 167
Londres. Et donc ces études montrent bien quels sont les grands enjeux aujourd’hui 168
autour de la création, l’innovation, l’activité, bref, pour cela il faut un lieu fertile pour 169
les créateurs et il y a trois règles essentielles. La première c’est justement d’offrir la 170
capacité de fertilisation de ces étudiants et des créateurs à l’intérieur des différentes 171
vitrines, et donner la capacité aux artistes d’aller s’inspirer des autres disciplines et 172
des disciplines qui sont proches d’eux pour finalement prendre des bonnes idées et 173
commencer ces transferts entre le design, l’art, l’architecture, les médias, le livre, 174
cette circulation entre chacune de ces unités qui est facteur de créativité, les artistes 175
étant des géniaux manipulateurs, voleurs, copieurs, inspirateurs, détourneurs, bref ils 176
ont cette capacité à aller piocher et à être des éponges… et il faut des terrains 177
artistiques qui sont comme ça comme on voit à Londres, Helsinki, Bruxelles, 178
Amsterdam, tous ces lieux où on a et très sincèrement et très rapidement la 179
possibilité de faire une année ou six mois en médias, partir en art, repartir en mode, 180
etc. 181
ANNEXES 91
La deuxième loi, une loi importante c’est que les créateurs soient en contact 182
permanent dans leur environnement avec l’art, avec la création en général 183
(idéologie). Il va donc falloir faire quelque chose, l’art pour l’art, donc un moment 184
donné s’il ne se passe rien à certains endroits, les artistes vont s’échapper donc il faut 185
qu’il y ait une capacité pour qu’il y ait encore plus et donc des lieux qui sont déjà très 186
riches donc plus il y a d’artistes, plus il y a de l’effervescence. C’est quelque chose 187
finalement, il y a des scènes de rencontres donc pour y arriver il faut avoir une vision 188
très globale et comprendre ce qu’il se passe autour de notre territoire. Et donc 189
Nantes, ce Quartier de la création c’est parce qu’il y a un environnement global, 190
culturel qui fait que ça va être un lieu fort de la culture à Nantes car il y a une biennale 191
d’envergure internationale, il y a un Lieu Unique pour des temps d’expo, le Hangar à 192
bananes, etc. C’est une scène, sans cette scène ça freine, là ça permet de proposer des 193
nouvelles choses, d’être en rencontre, de connaître des gens. 194
La troisième règle pour que ça soit un lieu créatif c’est de pouvoir offrir justement 195
une connexion au monde qu’il y ait des liens à l’international, qu’il y ait des liens réels 196
avec des endroits qui sont des endroits perçus dans le monde, il faut construire de 197
vrais liens, s’appuyer de travaux. 198
On peut rajouter une dernière chose qui parait naturel vu les trois autres, c’est 199
donner une offre immobilière. Il nous faut les capacités économiques qui permettent 200
aux artistes de rester car sinon quand ça commence à marcher, en général ils s’en 201
vont. Un moment donné donc, et ça sera le deuxième temps du Quartier de la 202
création, on devra mettre des choses en place pour garder nos artistes sur le 203
territoire. 204
LR. Par rapport aux étudiants, vous vous amusiez à dire qu’ils étaient de géniaux 205
manipulateurs, voleurs, etc. Quelle est leur place, comment sont‐ils perçus ? 206
PJG. Des artistes, des artistes même dès la 4e année, on leur donne ce statut, on 207
considère que dès la 4e année ils sont déjà dans une dynamique de recherche 208
personnelle, ils peuvent être, dans tous les cas pour nous, ils sont traités en tant que 209
tel. 210
LR. Il n’y a plus du tout de rapport enseignant/étudiant ? 211
ANNEXES 92
JPG. Ils sont dans une école donc déjà ce ne sont pas des rapports classiques. Les 212
rapports de pouvoir, il y en a toujours mais ils sont plus décimés. A priori les rapports 213
ne sont plus des rapports de force. Justement en tant qu’artistes on les forme sur la 214
question de l’expérience, du regard, du jugement, des rapports complexes. On est 215
assez proche dans l’encadrement, la pédagogie. 216
LR. Une dernière question par rapport à la place de l’Université dans le projet. 217
L’Université semble vouloir prendre une place importante sur le projet. Y’a t’il un 218
enjeu de concurrence entre les acteurs privés/publics ? 219
PJG. Il est d’une grande importance bien obligatoirement entre le privé et le public et 220
entre le public aussi. Donc à Nantes moins qu’ailleurs car à Nantes nous n’avons pas 221
d’UFR d’arts plastiques. À Nantes j’ai cette chance là. Par contre entre Sciencescom’ et 222
Infocom, avec l’École de design et l’École d’archi, on peut sentir aujourd’hui, il y en 223
avait une entre l’École des Beaux‐Arts et l’École de design aujourd’hui c’est vrai que 224
globalement il y a un problème de paiement des droits du côté du public, il y a des 225
étudiants qui payent et d’autres qui payent pas. Aux Beaux‐Arts c’est 300 euros, à 226
l’École de design c’est 5000 euros. Mais en dehors de cela je pense qu’on est en train 227
de mettre à plat ces questions de compétences pour qu’on ne soit pas dans un lieu de 228
compétition, de concurrence. On est dans un lieu de stimulation intellectuelle. On 229
peut ne pas être d’accord sur les visions des uns et des autres mais on n’est pas là 230
pour se prendre des étudiants. 231
LR. C’est clairement… C’est explicitement dit ? 232
PJG. Ah c’est explicitement dit ! Pour cela il fallait que l’Université soit présente et je 233
pense que c’est parce que l’Université sera présente de manière importante que 234
l’École de communication, que l’École de Design pourra maintenant arriver plus 235
tranquillement. Parce que bon il y a toujours un problème de politique générale, de 236
financement public dans le privé. Parce que bon l’École de Design peut acheter son 237
terrain avec son fric, personne n’a rien à dire. Mais c’est pas ce qu’elle va faire. Elle 238
vient parce qu’on lui paye, la collectivité… alors que derrière elle fait payer ses 239
étudiants, c’est un autre problème éthique, moral, dans tous les cas, les choses sont en 240
train de changer pour que l’argent public puisse venir sur les projets du public 241
comme du privé. Je pense qu’il faut équilibrer les choses. 242
ANNEXES 93
LR. On pose les règles du jeu. 243
JPG. Voilà, c’est ça. Bon on voit bien que ce n’est pas simple, on va essayer de partager, 244
voilà. 245
ANNEXES 94
Annexe 3. Entretien avec Christ ian Guerl in
A. Gril le de questions
‐ Pouvez‐vous présenter l’École de Design ?
‐ Vous avez présenté l’école et votre positionnement sur l’activité du Design. Pouvez‐
vous revenir sur les motivations, le contexte qui vous a amené à rejoindre le projet du
Quartier de la création ?
‐ C’est vous qui avez approché Nantes Métropole ?
‐ Par rapport aux acteurs qui vont rejoindre le quartier, par exemple les autres écoles,
vous parliez de l’école d’archi mais il y a aussi Sciences com’, Audencia, les beaux‐arts,
l’université de Nantes, etc. et les entreprises. Quels seront vos partenaires locaux ?
‐ Par exemple je sais que Nantes Métropole a dû financer 50 % du budget pour le
déménagement des Beaux‐arts. Est‐ce que vous ça sera du même ordre ?
‐ Et la place de l’établissement sur l’île de Nantes renforcera le positionnement à
l’échelle internationale…
‐ Est‐ce que vous faites un lien entre ça plus cette idée de rapprochement dans le
centre ? Puisque du coup ça aurait renforcé votre image ?
‐ Je suppose que l’école d’archi et l’école des Beaux‐arts ont la même stratégie… Est‐ce
que vous pensez que vous vous positionnez différemment ? Vous vous positionnez
comment par rapport aux autres ? En terme de politique de développement, de la
qualité de l’enseignement, de la renommée…
‐ Est‐ce que vous essayez de vous démarquer par rapport aux autres, notamment
avec cette ouverture à l’internationale ?
‐ Est‐ce qu’il y a des blocages qui freinent les éventuelles synergies à créer entre vous
et une école privée ou vous et l’université de Nantes qui est du secteur public ?
‐ Donc vous vous restez sur un positionnement recherche appliquée…
ANNEXES 95
‐ Alors que Nantes Métropole présente le Quartier de la création comme une sorte de
« cluster », de « pôle de compétitivité ». Vous, vous appelez ça « campus ». À la base
quand on regarde la définition des concepts cluster ou pôle de compétitivité, l’axe de
recherche est primordial, c’est pilier…
‐ Le postulat sur l’économie des clusters c’est de penser la recherche comme moteur
d’innovation et de croissance. Donc vous, vous dîtes clairement « je fais de la
recherche appliquée, pas de recherche fondamentale », dans quelle mesure vous
participez au développement économique du territoire ?
ANNEXES 96
B. Entretien 1
Entretien avec Christian Guerlin, directeur de l’École de Design, mardi 8 mars et mercredi 9 mars 2011, café 2 La Cigale, durée totale 70 minutes. 3
LR. Pouvez‐vous présenter l’École de Design ? 4
CG. Nous on est d’initiative arts appliqués, 17 ans repris par la Chambre de commerce 5
et puis il y a 10‐11 ans du fait que ça ne marchait pas, il a été décidé de totalement, 6
modifier, faire évoluer la stratégie de l’établissement et sa culture. C’est‐à‐dire qu’on 7
est passé d’une dimension de l’École de design, l’école de la création à une dimension, 8
l’École de design professionnels de la création. L’idée c’était non plus d’avoir des 9
beaux projets et d’avoir des étudiants créatifs mais avoir des étudiants qui allaient 10
s’insérer sur le marché du travail et qui allaient faire carrière dans le métier du 11
design. Alors c’est un certain distingo parce que culturellement dans l’univers des arts 12
appliqués, dans l’univers du compagnonnage ce qu’on demande aux gens en fait c’est 13
pour le compagnonnage d’être en capacité technique de faire la même chose que le 14
maître. Et puis après la personne vit sa vie. Je veux dire que la responsabilité du 15
maître c’est de lui apprendre la technique, ce n’est pas de le suivre 16
professionnellement pendant toute sa carrière professionnelle. De même dans les 17
arts appliqués, c’est pareil. C’est‐à‐dire qu’on juge la qualité des écoles d’arts 18
appliqués par la qualité des projets, des diplômes des étudiants qui en sortent et font 19
ce qu’ils font après, tant mieux pour eux. 20
Or il y a une deuxième façon de voir l’histoire, une autre manière de voir ce que 21
pourrait être la qualité de l’enseignement supérieur, c’est de dire notre 22
responsabilité, c’est pas tant de produire des étudiants qui auront des beaux 23
diplômes mais le taux d’emploi à la sortie de l’école. Bon c’est‐à‐dire quels sont les 24
gens qui seront designers, professionnellement, leur capacité à trouver un emploi, 25
leur employabilité. Et puis ça induit quelque chose qui n’existe pas encore aujourd’hui 26
en France, ou très peu, c’est‐à‐dire, la notion de carrière professionnelle Designer. 27
C’est‐à‐dire que vous êtes designer à 25 ans quand vous sortez de l’école – c’est la 28
responsabilité de l’école – qu’est‐ce qu’ils vont devenir à 35‐45‐50 ans ? Et nous on a 29
clairement choisi cette affaire là, c’est‐à‐dire que moi je suis plus intéressé par le taux 30
d’emploi que par la qualité des diplômes. Alors il est évident que tout ça est corrélé, 31
ils seront d’autant plus employables que ce seront de bons étudiants qui auront de 32
ANNEXES 97
bons diplômes. Bon et le fait d’être créatif, ce n’est plus un moyen mais un but en soi 33
C’est‐à‐dire que l’idée c’est de former des professionnels de la création qui sont 34
créatifs. Le but et l’objectif est de trouver un emploi dans le métier du Design, faire en 35
sorte que les étudiants soient à la sortie embauchés. 36
Alors c’est une évolution dans la façon de percevoir les écoles de design. Et il y a 37
encore des tas d’écoles, tout à fait vertueuse, qui fonctionnent sur un système de 38
référence culturelle qui n’est pas le nôtre. 39
Ça supposait quoi ? Ça supposait de faire une école de design‐produit qui a une 40
responsabilité économique. C’est à dire que nous, on a toujours fait le design comme 41
étant une discipline au service de l’entreprise et de la valeur ajoutée. Donc on n’est 42
pas du tout dans quelque chose qui est du design activité arts appliqués ou activités 43
d’arts plastiques. C’est que si vous voulez quand on fait une cocotte‐minute SEB, on ne 44
se pose pas la question de savoir si le designer est un artiste ou pas. Ce qui nous 45
intéresse c’est que la cocotte minute soit fonctionnelle et qu’elle soit vendue. Nous on 46
est dans ce créneau là. Ce qui effectivement induit des requêtes très professionnelles 47
au niveau académique, c’est‐à‐dire qu’on s’est mis à travailler avec des tas 48
d’entreprises pour résoudre des problèmes qui sont faits pour des problèmes 49
tactiques, nouvel emballage, nouveau packaging ou très prospectif c’est‐à‐dire 50
comment on va vivre dans dix ans, dans quinze ans, dans vingt ans ? Dans la ville ? 51
Comment on va se déplacer ? C’est quoi une maison qui communique ? 52
LR. Ça c’est vos problématiques… 53
CG. Oui bien sûr ! C’est‐à‐dire, c’est qu’on réagit nous à tout ce qui est une mission 54
socio‐économique de la façon dont on va vivre demain compte tenu des modifications 55
du contexte, c’est‐à‐dire un contexte sociologique, la population vieillie, qu’est‐ce que 56
ça veut dire demain matin sur la façon dont on va vivre ? Alors dans la maison, qu’est‐57
ce que c’est que la dépendance… 58
LR. Et adapter la créativité des étudiants… 59
CG. Exactement. Évolution économique, c’est‐à‐dire globalisation qui pose la question 60
de l’identité des produits : plus le monde se globalise, plus il se standardise, plus il va 61
falloir retrouver de l’identité dans les produits. 62
ANNEXES 98
Modification des contextes sociologiques, c’est‐à‐dire moins on va à l’église et plus on 63
a besoin de retrouver du sens dans l’ensemble des choses qui sont autour de nous, ce 64
qui explique les démarches de décoration d’intérieur. Par exemple aujourd’hui le 65
fanatisme autour de la décoration d’intérieure pour retrouver du sacré autour de soi. 66
Modification du contexte législatif. Aujourd’hui il y a une nouvelle loi, on a plus le 67
droit de répandre les cendres des défunts crématisés sur l’espace public. Est‐ce qu’il 68
va falloir, comment on va gérer ça ? Est‐ce qu’il va falloir créer des funérariums qui 69
ont du sens et du sacré plus qu’ils n’ont en France compte tenu du fait qu’il y a de plus 70
en plus de gens qui sont crématisés. Et absolument dans tous les secteurs d’activités. 71
Et pourquoi ça marche ? Parce qu’il y a une évolution sociologique que je viens de 72
décrire, c’est‐à‐dire liée à la despiritualisation, une sorte de définition de renaturation 73
qui serait l’espace spirituel car aujourd’hui nos croyances de types déistes sont 74
remises en cause à la fois matérialiste et puis aussi par la logique de la globalisation 75
où encore il y a cinquante ans en France on croyait qu’il y avait un seul Dieu et puis on 76
apprend qu’il y en a d’autres ailleurs et qu’il y a pas un Dieu plus ou moins légitime. Et 77
donc cette renaturation, c’est de retrouver du sacré, du rituel, du sens. Et quand vous 78
prenez cette émission de télé épouvantable sur la 6 de déco avec Valérie Damido, la 79
dernière image c’est en général la salle à manger ou une pièce avec des bougies. On a 80
mis des bougies partout, on a recréé finalement le lieu du culte. Donc il y a quelque 81
chose du déficit de valeurs et puis là toutes les valeurs sont en train d‘exploser, tout 82
ce à quoi l’on croit avec des choses qui s’ouvrent plus ou moins consciemment ou 83
inconsciemment assumées c’est‐à‐dire…euh alors les valeurs de la famille, l’explosion 84
du rôle de l’éducation, le respect que l’on doit à l’enseignant par exemple dont tout le 85
monde se fout. Aujourd’hui la classe de maternelle de ma fille, il y a des parents qui 86
viennent gueuler contre le prof, truc de fou quoi ! 87
LR. Pour rester dans cette crise des valeurs, vous parlez d’une crise des valeurs, est ce 88
que vous dans votre politique, dans votre recherche de créativité que vous enseignez 89
aux étudiants, vous êtes là aussi pour donner un lien avec cette perte de valeur, pour 90
recréer de la valeur ? 91
CG. Tout le temps, on va essayer de… 92
LR. Réanchanter ? 93
ANNEXES 99
CG. Oui on peut l’appeler comme ça mais enfin quand on construit une cocotte minute 94
on réenchante pas le monde donc faut rester très modeste dans tout ça. C’est‐à‐dire 95
que pour nous les produits ont valeur de sens et on est toujours en train de se poser 96
la question du sens, du sens de la spiritualité, c’est‐à‐dire une réification de nos 97
espaces. Incontestablement, il y a des valeurs morales qui sont en train de s’effondrer 98
au profit du légal. C’est un truc, je ne sais pas, vous connaissez ce qui est de l’ordre du 99
moral et ce qui est de l’ordre de la loi, chez Pascal en particulier, il y a une distinction 100
des ordres. Aujourd’hui chaque fois que la morale faillit à quelque chose, on y met la 101
loi. Or c’est ridicule. Parce ce que ce qui est ridicule est dangereux parce que c’est 102
liberticide. Aujourd’hui, aucune loi ne nous interdit d’être raciste sauf que la morale 103
ne nous l’interdit pas. Par contre aujourd’hui, on voit bien qu’avec toutes les lois sur 104
l’apologie du racisme par exemple, c’est interdit. On voit bien l’intrusion de la loi dans 105
la morale. L’histoire Zemour est assez intéressante parce Zemour dit un truc qui est 106
vrai et la loi lui interdit de le dire. C’est assez bizarre comme truc ?! Parce que c’est 107
moralement qu’il aurait du être condamné, c’est sa conscience à lui qui doit le 108
condamner or finalement c’est la loi qui dit la vérité et pas la conscience. Donc on est 109
dans une explosion des valeurs par rapport à ça qui est assez inquiétante. Il y a une 110
reconsidération des valeurs et bien on va les chercher dans les objets, autour de nous. 111
Il y a une démarche presque panthéique à essayer de trouver finalement quelque 112
chose qui serait au dessus de nous. C’est pour ça que ça marche aujourd’hui le design. 113
La deuxième chose c’est qu’il y a quelque chose autour de l’économique qui me 114
semble fondamental et qui est la question de la réindustrialisation économique. Je 115
crois qu’on est en train de changer de paradigme industriel. On est sur un paradigme 116
industriel qui est basé sur l’organisation scientifique de l’industrie. Et qu’est ce que 117
c’est que cette organisation scientifique c’est « je fais de mieux en mieux ce que je sais 118
faire ». C’est la substitution de la machine à l’homme parce que la machine est plus 119
rapide, elle est plus précise, plus ceci, cela, etc. Et on est toujours dans un procèsse de 120
« comment je fais mieux ce que je sais faire ». Je fabrique des voitures d’une certaine 121
façon et un moment donné il y a un mec qui dit que si je fais une chaine de montage et 122
que des gens mettent toujours le même truc, il y a un effet d’apprentissage qui fait 123
que ça va plus vite. Et donc autrement dit « je fais de mieux en mieux ce que je sais 124
faire ». Or le problème c’est qu’avec une structuration par filière, par spécialisation, 125
plus je suis spécialisé(e), plus je fais de mieux en mieux ce que je sais faire. Sauf que le 126
ANNEXES 100
problème pour beaucoup d’entreprises, la globalisation a changé la donne et ça 127
fonctionne dans un jeu de compétition. À partir du moment où les chinois font pour 128
des raisons sociales dix fois moins cher que nous, on n’est plus dans un cadre de 129
compétition et on pourra faire de mieux en mieux ce que l’on sait faire, ça ne sert à 130
rien en fin de compte, c’est vain. Et du coup c’est même mortifère car de toute façon 131
on produira jamais moins cher que les chinois ou plus vite par exemple. Et donc se 132
pose la question d’un paradigme industriel qui est « comment avec ce que je sais faire, 133
je suis en capacité de faire autre chose » pour restaurer le marché. Alors je m’appelle 134
Apple, Apple change de métier tous les cinq ans. Il y a dix ans, Apple est devenu le 135
premier vendeur de musique au monde. Qui pouvait penser que devant toutes les 136
majors de musique, Apple allait devenir le premier vendeur de musique au monde 137
avec ITunes ? Et puis ils sont passés par la téléphonie. Et puis maintenant ils vendent 138
des applications pour téléphones. Ce qui est assez extraordinaire c’est qu’ils viennent 139
de livrer un Ipad dont personne ne sait à quoi il sert mais dont l’usage va être créé par 140
les utilisateurs, les consommateurs de Ipad. Parce que les gens consciemment ou 141
inconsciemment savent que Apple change de métier, que Apple c’est la nouveauté et 142
que ça serait bien dommage si ce truc là n’allait servir à rien. Autrement dit on va 143
inventer les usages. Donc on change de paradigme et je crois que le design a des 144
choses à dire parce qu’on passe d’une organisation scientifique du monde à une plus 145
grande liberté au niveau de la création. Parce qu’il faut se poser la question de savoir 146
avec ce que je sais faire, qu’est ce que je peux faire. Et on est dans un paradigme qui 147
est extrêmement intéressant et il va falloir que les entreprises évoluent largement 148
parce que les scientifiques ne sont pas prêts à ça, parce que la science exacte ne 149
donne pas les clés du changement, les « marketeurs » connaissent parfaitement leurs 150
marchés mais ne connaissent pas le marché des autres. Donc un moment donné, il va 151
bien falloir que quelqu’un percute tout ça, confronté à une autre culture, un autre 152
marché, voilà ce qu’on peut faire avec ce qu’on sait faire. Par exemple, un exemple 153
très simple. Aujourd’hui les bouteilles, on les pose. Pourquoi on les pose ? Parce qu’il 154
y a un savoir‐faire ancestral qui était qu’on soufflait le verre, ça a conduit à des 155
bouteilles rondes. Toute la logique culturelle s’est posée dessus. Voilà. Sauf 156
qu’aujourd’hui, il est possible que l’un des marchés, imaginez qu’il s’agit de livrer des 157
bouteilles. Il faut la faire passer par la boite aux lettres, vous allez faire des bouteilles 158
plates. Et si vous faîtes des bouteilles plates, vous changez complètement l’usage de la 159
ANNEXES 101
bouteille. Il est impossible qu’aucun ingénieur, aucun technicien imagine ça. Il est 160
impossible qu’aucun marketeur, aucun viticulteur… et pourtant l’avenir du pinard, 161
c’est ce que, peut‐être, demain on va vous le livrer chez vous, qu’il passe par la boite 162
aux lettres. Je dis bien peut‐être. 163
LR. La place est aux designers… 164
CG. Je dis qu’à un moment donné, il faut quelqu’un qui soit en capacité de percuter ce 165
qui est de l’ordre établi avec deux contraintes. La première c’est qu’il va devoir 166
légitimer sa place et la deuxième chose, c’est qu’effectivement il y a une contrainte de 167
management et que si les paradigmes industriels sont en train de muter, les 168
paradigmes du changement foutent les jetons à tout le monde. C’est‐à‐dire dans 169
n’importe quelle structure quand vous dites demain ‐ on est une entreprise de 170
boucherie, demain on va faire de la décoration d’intérieur, tout le monde a les jetons 171
en se disant « qu’est‐ce qu’on va devenir ». 172
Mercredi 9 mars 2011 – Café La Cigale – 8 H 30 173
LR. Hier vous avez présenté l’école et votre positionnement sur l’activité du Design. 174
Pouvez‐vous revenir sur les motivations, le contexte qui vous a amené à rejoindre le 175
projet du Quartier de la création ? Même si ce n’est pas pour tout de suite. 176
Apparemment c’est prévu pour 2014… 177
CG. Oui, on ne sait même pas. Ça va se faire mais l’échéance je n’en sais rien. 178
LR. C’est vous qui avez approché Nantes Métropole ? 179
CG. C’est un jeu de… ça va paraître prétentieux ce que je raconte mais c’est la vérité. 180
On est devenu incontournable dans le domaine des activités d’enseignement et de 181
création. À la fois on en a envie, je vais revenir pourquoi, et là on est incontournable, 182
ça serait dommage de passer à côté dans la mesure où on a un besoin d’expansion. 183
Aujourd’hui on a des bâtiments qui sont fait pour 500 étudiants et on en a 830. Donc 184
autrement dit on est trop petit aujourd’hui. Alors on arrive à jouer avec les étudiants 185
qui ne sont pas là, ceux qui sont à l’étranger, ceux qui sont en stage, etc. Donc on 186
arrive à gérer le bâtiment, enfin on est quand même très petit. Et puis, on a changé 187
tout le programme pédagogique en trois ans. À la faveur de deux stratégies, enfin de 188
deux réflexions de positionnement. D’abord le Design comme stratégie de 189
management, comme discipline de management. Ça se repend. Ça veut dire qu’on est 190
ANNEXES 102
sorti du design comme technique pour en faire une discipline de management. C’est‐191
à‐dire qu’on pense qu’un designer, dans cinq ans, c’est quelqu’un qui est en capacité 192
de mettre autour de la table, des ingénieurs, des marketeurs, des philosophes, des 193
sociologues, des artistes, d’autres designers et de les faire travailler ensemble sur 194
« comment on va vivre demain », « quels sont les produits qu’on utilisera demain », 195
etc. 196
Donc on est passé d’une dimension discipline de management alors que jusqu’à 197
maintenant on était vraiment dans l’apprentissage d’une technique. C’est‐à‐dire que 198
designer, c’était quelqu’un qui décidait des formes et faisait des projets relativement 199
seul. Donc on a voulu consacrer ça et puis se pose à nous maintenant la question de 200
l’internationalisation, le problème d’un positionnement en phase avec la 201
globalisation. Alors sur le management évidemment ça conduit au fait qu’on a décidé 202
de structurer les masters non plus avec des spécialités de métiers, métiers c’était 203
designer graphique, designer d’espace… mais aujourd’hui on travaille sur des masters 204
qui sont autour de problématiques socio‐économiques, c’est‐à‐dire les pratiques 205
alimentaires, les nouvelles mobilités, la ville durable, etc. Donc l’idée là‐dedans c’est 206
de créer des écosystèmes recherche‐formation‐entreprise donc on va pratiquer le 207
modèle c’est de travailler par exemple avec les laboratoires d’universités de biologies 208
moléculaires, c’est de travailler avec l'INRA, c’est de travailler avec des pôles de 209
compétitivités et puis de travailler de l’autre côté avec des entreprises. Donc à partir 210
de ce moment là, il devenait extrêmement intéressant d’aller sur un nœud où on allait 211
pouvoir fédérer ces gens là, je crois. 212
Alors il y avait l’opportunité de ce campus urbain, là où on allait mettre un certain 213
nombre de choses en commun et donc ça servait cette stratégie, effectivement, de 214
mutualisation, parce que c’est ça dont on parle, et puis la deuxième chose, nous on a 215
un problème c’est que c’est loin de tout donc quand vous demandez à un intervenant 216
parisien de venir le lundi pour une conférence, il part pas le lundi matin, quoi ! Il vient 217
le dimanche soir, il a besoin de demander un taxi, faut aller à la Chantrerie… Il y a 218
presque autant de temps lorsque l’on sort de la Chantrerie pour aller à la gare que de 219
faire Paris‐Nantes ! Donc autrement dit, c’était extrêmement intéressant aussi de se 220
rapprocher du centre‐ville parce que c’était permettre de faciliter l’accès d’un certain 221
nombre de choses, d’un certain nombre d’activités. 222
ANNEXES 103
Mais la raison majeure au delà de ça, c’est effectivement d’être sur un lieu sur lequel 223
on va pouvoir échanger avec d’autres. Le design à partir du moment où l’on reconnaît 224
ses disciplines de management et c’est plus une discipline technique et bien la 225
discipline n’a de sens qu’à la condition des autres finalement. Ce qui nous intéresse 226
c’est de mettre autour de la table les écoles d’ingénieurs, c’est de mettre autour de la 227
table d’autres écoles comme l’école d’architecture ou d’arts. On a un master qui 228
s’appelle « mutation du cadre bâti ». Ce qui nous intéresse avec la mutation du cadre 229
bâti c’est de travailler avec l’école d’archi. Donc on a un certain nombre de raisons qui 230
nous guident là‐bas. La conférence de presse tout à l’heure est autour de ces 231
écosystèmes recherche‐formation‐entreprise. À terme le prochain étage de la fusée 232
c’est centre de formation‐école‐centre d’incubation. Ces écosystèmes qui sont 233
recherche‐formation‐entreprise ont vocation à être des laboratoires 234
d’expérimentations et à produire de l’incubation. De quoi on parle ce matin à la 235
conférence de presse, on crée notre premier laboratoire autour de la réalité virtuelle 236
et vont être là ce matin à la fois l’École de design et à la fois les gens de l’Ensam donc 237
des arts et métiers avec qui on travaille, des gens de l’Istia à Angers c’est‐à‐dire l’école 238
d’ingénieurs à Angers, des gens de Télécom Bretagne avec qui on travaille et puis 239
probablement des entreprises – je ne sais pas qui viendra exactement – donc l’idée 240
c’est la mutualisation d’un certain nombre d’actifs éducatifs et de centres de 241
production de la connaissance. Nous, notre métier c’est avec la connaissance produite 242
par d’autres ou la recherche faite par d’autres, c’est de produire les scénarios, de 243
représenter les scénarios. On va essayer d’étayer soit une représentation de la façon 244
dont on va vivre – là on est en sociologie. Pour les entreprises, la représentation de ce 245
qu’ils devront produire demain ou devront vendre demain. 246
LR. Par rapport aux acteurs qui vont rejoindre le quartier, par exemple les autres 247
écoles, vous parliez de l’école d’archi mais il y a aussi Sciences com’, Audencia, les 248
beaux‐arts, l’Université de Nantes, etc. et les entreprises. Quels seront vos partenaires 249
locaux ? 250
CG. Je crois qu’on a des choses à voir avec l’école d’archi, c’est évident. Alors, il y a 251
deux choses qui sont du fond et de la forme. Sur ce qui est de la forme et du campus, il 252
va être intéressant un moment donné c’est de mutualiser, je veux dire les étudiants, 253
ils ont le même âge. Est‐ce qu’on peut mutualiser des amphis, est‐ce qu’on peut 254
ANNEXES 104
mutualiser un restaurant, on peut mutualiser, je sais pas quoi, une résidente 255
étudiante, on peut mutualiser des salles d’expositions, etc. et ça on peut le faire 256
éventuellement avec tout le monde. 257
Après ce qui est de l’ordre de la collaboration éducative, on peut mutualiser les profs, 258
on peut mutualiser… On a des bases qui sont communes si vous voulez. Aux Beaux‐259
arts, il y a des profs de dessins. Chez nous il y a des profs de dessins. En plus c’est les 260
mêmes. Il n’y a pas dix milles profs de dessins donc un moment donné, nous on a des 261
profs qui travaillent avec l’école d’archi, on a des profs qui sont artistes et qui 262
travaillent avec nous et à l’école des Beaux‐arts, donc on peut mutualiser tout ça. On 263
peut travailler avec l’Université, on peut travailler avec Audencia, on peut travailler 264
avec toutes les boîtes qui sont sur place mais… 265
LR. C’est pas l’objectif premier ? 266
CG Si, si non mais c’est pas, c’est pas, je veux dire c’est pas… ce qui s’applique au 267
campus urbain du Quartier de la création s’applique aussi à la Chambre de commerce. 268
Je travaille aussi avec des écoles d’ingénieurs… 269
LR. Mais il n’y a rien de nouveau par rapport à ça ? 270
CG. Alors il y a d’autres acteurs, si tu veux. Il y aura d’autres acteurs… Alors moi j’ai 271
pas de… je suis pas sûr que ce soit l’élément déterminant. Tant que… reste à savoir 272
aujourd’hui… on est sûr de l’école d’archi parce qu’ils y sont déjà, on est sûr de l’école 273
des Beaux‐arts, on est sûr de personne d’autre. On ne va pas non plus spéculer là 274
dessus. 275
LR. C’est des problèmes financiers ? 276
CG. On ne sait pas où est l’argent ! Notre projet doit faire entre 7 et 10 millions 277
d’euros quelque chose comme ça. Le périmètre… personne ne sait où est l’argent, 278
personne n’a dit « j’en mets 3, t’en mets 3, t’en mets 3 ». 279
LR. Par exemple je sais que Nantes Métropole a du financer 50 % du budget pour le 280
déménagement des Beaux‐arts. Est‐ce que vous ça sera du même ordre ? 281
CG. Pour le moment personne ne le sait mais bon l’école des Beaux‐arts est gérée par 282
la mairie donc la responsabilité est différente. On est géré par la Chambre de 283
commerces. Qui va payer quoi dans cette affaire là ? Combien les collectivités vont 284
ANNEXES 105
mettre au pôle, je ne sais pas. 2014 c’est une année de mémoire d’élection donc de 285
mairie je crois. Une année électorale c’est jamais bon. Les investissements entre deux 286
mandats c’est jamais très bon. 287
Une des raisons pour lesquelles l’école de Beaux‐arts c’est plus objectif c’est que déjà 288
il y a un enjeu d’appartenance et Jean‐Marc Ayrault va le faire pendant ce mandat ci. 289
C’est‐à‐dire qu’il ne va pas attendre le prochain pour lequel il pourrait y avoir une 290
incertitude quant à sa réélection, etc. Donc autrement dit, il a une date limite. 291
Aujourd’hui on ne sait pas si c’est 2014, 2015, 2023, j’en sais rien du tout. Parce qu’on 292
ne sait pas où est l’argent. Pourquoi ? Alors moi je me suis mis en configuration d’en 293
payer une partie – enfin l’école et je ne suis pas en capacité aujourd’hui de payer 7 294
millions d’euros entièrement. Donc il va falloir que la Chambre dise combien elle va 295
mettre, Nantes Métropole combien elle va mettre et puis la Région combien elle va 296
mettre. Le Conseil Général s’est retiré de tout. Mais ça me… on vit sans aussi. Et puis 297
2014, d’ici 2014 on aura une vague d’étudiants qui auront d’autres choses à faire… 298
Donc la première chose est un effet d’opportunité. La deuxième chose…probablement 299
fondamentale au fond, c’est que… c’est l’internationalisation… Il y a un traité 300
important en 1999 européen qui est le traité de Bologne qui a fixé les critères 301
d’équivalence dans un certain nombre de pays européens et aujourd’hui il y a surtout 302
des pays dans le monde qui appliquent le traité de Bologne, en clair tout le monde va 303
s’y mettre. Bon il reste plus que les chinois… les chinois vont s’y mettre dans 5 ans 304
bientôt, les américains dans 4 ans. On va tous se mettre sur le traité de Bologne c’est‐305
à‐dire bac + 3, bac + 5, bac + 8 avec un système européen qui va nous permettre 306
d’échanger des étudiants. C’est formidable, ça va très bien marcher. Sauf qu’il y a un 307
avatar à cette affaire là qui est que dans tous les pays du monde, les étudiants un 308
moment donné vont se dire « c’est bien joli tout ça mais le monde se globalise il faut 309
que j’aille faire des études à l’étranger ». Bon, tout le monde va se rendre compte 310
qu’un semestre à l’étranger voire une année ce n’est jamais que du tourisme amélioré 311
et on va s’en rendre compte un moment donné. Il y a quinze ou vingt ans quand on 312
disait qu’on faisait un semestre à l’étranger, tout le monde trouvait ça absolument 313
génial. Mais ne soyons pas plus royaliste que le roi, ce n’est jamais que du tourisme 314
évolué. Donc un moment tout ça, on est bien obligé de se demander ce qu’est 315
l’internationalisation. Mais qu’est‐ce qui va se passer pour les étudiants ? C’est très 316
ANNEXES 106
bien mais 4‐5 ans ça va aller très vite. 4‐5 ans, les étudiants ils vont faire leurs trois 317
premières années, leurs bachelors, dans leur pays d’origine et leur master à 318
l’étranger. C’est ce qui va se passer. La question qui va se poser dans les 319
établissements d’enseignement supérieur tel que le notre dans 5 ans, c’est que le 320
modèle académique et le modèle économique sont basés sur 5 ans. Or si les étudiants 321
se mettent à se barrer après la 3e année, comment on est en capacité d’accueillir des 322
étudiants étrangers ? C’est ça l’enjeu. Et comment on arrive à attirer les bons 323
étudiants. Les bons étudiants vont faire les bons programmes et vont faire les bons 324
masters et les bons masters vont attirer les bons doctorants, etc. Donc il y a un enjeu 325
qui est extrêmement important pour la stratégie et comment on fait en France pour 326
gérer ça, compte tenu du fait que pour les étrangers, la France c’est Paris. Ça n’existe 327
pas ailleurs. Nantes est une ville inconnue au delà de Bruxelles mais en plus les gens 328
savent qu’on ne parle pas l’anglais. Tout le monde le sait. Alors les gens continuent 329
d’être attirés par Paris mais venir à Nantes dans un établissement dont t’es pas sûr 330
que la moitié des profs parlent anglais. Et de toute façon tu ne trouves aucun 331
établissement en France où 9 profs sur 10 parlent anglais, l’Université en tête. À 332
l’université t’as pas 1 prof sur 2 qui est capable de faire un cours en anglais. Donc, 333
enjeu d’internationalisation. 334
LR. Et la place de l’établissement sur l’île de Nantes renforcera le positionnement à 335
l’échelle internationale… 336
CG. Exactement ! Ce que je joue si tu veux c’est… je joue avec ces masters spécialisés 337
« pratiques alimentaires », « nouvelles mobilités », je joue la différenciation c’est‐à‐338
dire que je veux que dans le monde entier on sache que je suis le spécialiste d’un truc 339
qui est grand comme ça [il montre gestuellement que le secteur est petit] donc qui 340
s’appelle « pratiques alimentaires », là j’ai une chance de différenciation. Je veux par 341
ailleurs que la spécialité rayonne sur l’ensemble de l’établissement et que cette 342
spécialisation rayonne sur l’ensemble du territoire et que je vais participer avec le 343
projet à l’internationalisation sur l’ensemble, donc je vais profiter du buzz de la 344
médiatisation de l’île de Nantes, de ce campus urbain, etc. 345
En fait on a un enjeu de rayonnement international à partir de ce truc là qui est très 346
important. Si je reste à la Chantrerie je resterai un campus périphérique urbain 347
comme il y en a des centaines en France. La réhabilitation du patrimoine industriel de 348
ANNEXES 107
l’ensemble de Nantes dans une grande friche industrielle va nous porter pendant un 349
paquet de temps je crois. Et ça, ça va dépasser nos frontières. Donc je veux m’inscrire 350
là‐dedans, si on veut profiter de cette affaire là pour faire évoluer notre école à 351
l’étranger. Alors j’ai une double approche de l’international. J’ai une approche qui est 352
une approche je dirais centripète, je me recentre au centre de ma ville en disant 353
« c’est ce truc là qui va rayonner à l’international » et là je me trompe pas parce que… 354
enfin je me trompe pas pour le moment. Quand Blaise fait son parcours à Nantes, il 355
fait la même chose. Nantes existe là et n’existe pas ailleurs. C’est ici. Alors là il y a des 356
tas de gens qui gueulent en disant c’est inadmissible. Il n’empêche que dans une 357
certaine mesure, il a la même approche, c’est‐à‐dire on se recentre sur le cœur du 358
truc, donc sur ses racines, sur sa culture, sur son identité et puis on va essayer de 359
garder ça. C’est exactement ce qu’il se passe sur ce projet là, c’est exactement là‐360
dessus que tout se joue et puis la deuxième chose, une approche centrifuge qui est 361
que je vais créer des antennes à l’étranger c’est‐à‐dire‐que là c’est des approches 362
internationales sur lesquelles je trouve une différenciation. Moi je suis défenseur que 363
la ville n’a pas de frontière, c’est‐à‐dire que si vous voulez être reconnus 364
internationalement il faut créer des réseaux nantais vers Shangaï, à « Tataouine ». Et 365
donc il faut exister ailleurs. Là il se trouve qu’on est extrêmement mauvais dans ce 366
truc là. Je pense par réflexe nationaliste, identitaire et populiste mal placé qui fait 367
que… Et puis pour des raisons historiques et culturelles. Il y a un truc que j’ai 368
découvert assez récemment, je voyage beaucoup. J’étais en Chine et on parlait de 369
l’arrogance française… et quand on regarde la carte de l’hémisphère, la France est au 370
milieu… 371
LR. Enfin si on habite en Australie, la carte est tournée différemment… 372
CG. Oui mais le méridien de Greenwich passe au milieu par la France. Donc autrement 373
dit, le monde est 90 % du temps représenté avec la France au milieu. Et c’est un truc… 374
je ne m’étais jamais rendu compte de ça. Par exemple les actualités du football, on 375
parle du championnat anglais, on parle du championnat espagnol mais on ne parle 376
jamais du championnat français. Les gens s’en foutent. C’est très étonnant. Et quand 377
vous expliquez ça à un français, il est persuadé que… C’est pas le cas du tout, du tout. 378
Pour reprendre le sujet de l’éducation, quand on prend ce qu’il se passait dans les 379
années 70, en 73 comme vous le savez, il y a la crise pétrolière, etc. Il y a l’émergence 380
ANNEXES 108
à l’époque de 6 pays – 5 ou 6 pays ‐ qui étaient des économies, il y avait Singapour, 381
Taïwan, les pays émergents. J’ai fait HEC et on avait la possibilité de faire un HEC à 382
Singapour, HEC à etc. et profiter de ce truc là. Bon, ils ont fait un méga campus en 383
banlieue parisienne en se disant « on va rayonner de là ». En réalité HEC est une école 384
inconnue au‐delà de Bruxelles et on voit bien ce réflexe là à considérer 385
qu’effectivement on est au centre de tout. Et je trouve que pour revenir à notre 386
propos qui est de dire la limite de portée du projet campus, voilà, c’est notre propos 387
c’est qu’il ne faut pas réfléchir ce truc là comme ayant un périmètre. C’est‐à‐dire 388
qu’on réfléchit comme un périmètre évidemment, mais en même temps qu’on a ce 389
réflexe centripète, il faut se concentrer sur le périmètre, il faut aller créer la même 390
chose, créer ce rayonnement physiquement à l’étranger. 391
LR. Le projet est un catalyseur pour créer toutes ces… 392
CG. Bah c’est euh moi je créé des écoles de design Nantes‐Atlantique à Shangaï. J’ai 393
créé une école qui s’appelle École de design Nantes‐Atlantique et Shangaï. Voilà. 394
LR. Est‐ce que vous faites un lien entre ça plus cette idée de rapprochement dans le 395
centre ? Puisque du coup ça aurait renforcé votre image ? 396
CG. L’idée c’est que ça aille en résonnance. Mais euh…. Je trouve qu’il y a là une idée à 397
travailler sur le rayonnement international. C’est quand même étonnant c’est que 398
vous ayez, vous n’avez pas de bureaux, de promotions de Nantes à l’étranger. Très 399
peu. Je trouve qu’il y a là des moyens au rayonnement international qu’on n’utilise 400
pas… 401
LR. Je suppose que l’école d’archi et l’école des Beaux‐arts ont la même stratégie… 402
Est‐ce que vous pensez que vous vous positionnez différemment ? Vous vous 403
positionnez comment par rapport aux autres ? 404
CG. C’est‐à‐dire ? 405
LR. En terme de politique de développement, de la qualité de l’enseignement, de la 406
renommée… 407
CG. Ah bah moi j’ai créé un truc international, moi c’est très clair, j’ai pas d’état d’âme 408
là‐dedans. Moi je crée une école nationale avec à terme des étudiants qui viendront 409
du monde entier et sur des thématiques spécifiques. Bon, quelles stratégies ils ont, je, 410
je… 411
ANNEXES 109
LR. Vous ne vous y en intéressez pas… 412
CG. C’est pas que je m’y intéresse pas mais j’ai assez avec… bah, j’ai la chance… j’ai 413
LR. Parce que vous vous démarquez aussi… c’est une question : Est‐ce que vous 414
essayez de vous démarquer par rapport, bon de toute façon vous ne pouvez pas vous 415
comparer puisque vous êtes sur des secteurs différents, mais est‐ce que vous essayez 416
de vous démarquer par rapport aux autres, notamment avec cette ouverture à 417
l’internationale ? 418
CG. Ah non, non, on ne fait pas la même chose. Je n’ai aucun état d’âme là‐dedans. J’ai 419
pas de… si vous voulez moi je viens des écoles de commerce et le temps qu’on passait 420
à savoir si dans le prochain classement on serait 6e ou 7e alors que les étudiants ont 421
des QI comparables et des niveaux pratiquement les mêmes et que le prof il est 422
docteur d’une université, en gros c’est tous les mêmes, alors quand on se pose la 423
question de savoir si on est 6e ou 7e et qu’on y passe un temps fou, je dis que c’est 424
n’importe quoi. C’est absolument n’importe quoi. Donc la comparaison, la compétition 425
et la comparaison…euh… d’abord on n’est pas sur les mêmes créneaux, puis de toute 426
façon j’ai une stratégie internationale de différenciation, de segmentation, donc moi je 427
fais un truc qui est de toute façon différent. Je travaille sur les mobilités, je suis sur un 428
créneau extrêmement spécifique, je suis en train de travailler notamment avec un 429
étudiant sur un projet tout con, qui me paraît assez intéressant qui est un éclairage 430
des passages cloutés. C’est tout con comme idée. Et bien ça n’existe pas. C’est‐à‐dire 431
qu’aujourd’hui on peut très bien avec des LED éclairer des passages cloutés. Je ne vois 432
pas en quoi l’école des Beaux‐arts aurait idée de faire ça ? C’est pas leur métier. Je n’ai 433
aucune compétition vis‐à‐vis des Beaux‐arts, ni… En plus j’ai la prétention de penser 434
que je suis le meilleur… donc je ne suis pas en compétition. Si vous êtes un pédago 435
comme moi qui croit en l’éducation, c’est une hérésie. De toute façon la meilleure 436
école ce serait laquelle ? Ce serait celle où on aurait des étudiants nuls et qu’on en 437
ferait quelque chose, ça ça serait la meilleure école. Quand vous prenez les meilleurs 438
étudiants, qui sont déjà bons au départ, il y a peu de chances qu’ils soient mauvais à la 439
fin. Donc je ne suis pas du tout dans cette compétition, j’en ai rien à faire. Ce que 440
j’espère c’est qu’on va réussir à créer des synergies… pas nécessairement évidentes. 441
Avec l’école d’archi ça me parait évident, il y a des synergies possibles, sur des 442
ANNEXES 110
thématiques qui sont communes, l’aménagement de l’espace urbain, c’est une 443
thématique qu’ils ont aussi… euh l’école des Beaux‐arts c’est plus compliqué… 444
LR. Sciences com’ peut‐être, vous pouvez travailler avec eux sur tout ce qui est 445
stratégie de communication, le packaging… 446
CG. On peut travailler sur les stratégies de communication, on peut travailler sur le 447
graphisme, on peut travailler sur tout un tas de choses, on est sur un secteur 448
commun. Il y a quelques années, il y a 10‐11 ans quand j’ai rencontré la direction de 449
l’école, je suis allé les voir pour qu’on crée une formation en commun sur tout ce qui 450
était webdesign à l’époque, ça s’est pas fait, mais bon… Puis de toute façon Sciences 451
com’ c’est Audencia, Audencia c’est la Chambre de commerces et moi je suis Chambre 452
de commerces. 453
LR. Justement là ça pourrait faciliter, est‐ce qu’il y a des blocages qui freinent les 454
éventuelles synergies à créer entre vous et une école privée ou vous et l’université de 455
Nantes qui est du secteur public ? 456
CG. J’ai une chance extraordinaire c’est que le design en France n’est pas une 457
discipline universitaire. Mais aujourd’hui je n’ai pas de rivalité mal placée 458
public/privé. Ça existe, hein, je suis pas en train de dire que ça n’existe pas mais si 459
vous voulez autant les écoles de commerce ont beaucoup de mal avec l’université 460
parce que les profs de la fac pensent que l’université sait enseigner bien mieux que 461
l’université de commerce en face mais ils font la même chose. Bon, et ils font la même 462
chose et d’ailleurs je pense que les écoles de commerce aujourd’hui type Sup de co 463
sont en train de se tirer une balle dans le pied parce qu’ils sont en train de singer 464
l’académie en faisant ce qu’ils appellent de la « recherche ». La recherche c’est à 465
l’université, c’est pas dans les écoles de commerce. C’est n’importe quoi. Et les écoles 466
de commerce, encore une fois je suis bien placé pour le savoir car c’est là d’où je 467
viens, et les écoles de commerce ont basé leurs réussites sur quoi ? Sur la projection 468
des mômes, sur la réussite du mec qui était sur l’estrade. C’était ça. C’est comme ça 469
que ça a marché. Aujourd’hui, dans la même Sup de co, le problème est que le prof de 470
marketing est Docteur en marketing de l’université machin. On n’est pas là pour ça. Et 471
tout cet aspect qui était professionnalisation, projection des étudiants et bien ils sont 472
en train d’essayer de rentrer dans un académisme qui fait que… on fait bien ce qu’on 473
veut, les tronches en économie elles sont à la fac pas à Sup de co. C’est des conneries. 474
ANNEXES 111
On est dans un truc où ils sont en train de se tirer une balle dans le pied. Parce qu’ils 475
sont en train de singer la fac. 476
LR. Donc vous vous restez sur un positionnement recherche appliquée… 477
CG. Ah moi je reste sur un positionnement… je fais pas de la recherche, je ne sais pas 478
ce que c’est. J’étais à Rome, dans une université centenaire à Rome. On me demande 479
de faire un truc sur la recherche en design. Moi je ne sais pas ce que c’est. Et ce qui 480
pourrait nous arriver de pire c’est ce qui s’est passé en marketing. Dans les années 70, 481
on faisait un tableau à deux entrées en disant « 30% de la population préfère les 482
verres de rouge », ça s’appelait du marketing. Trente ans après le même tableau de 483
pourcentages, ça s’appelle de la recherche en marketing. Et pourtant on parle de la 484
même chose. Aujourd’hui on parle de design, si dans dix ans ça s’appelle de la 485
recherche en design, ça voudra dire qu’on s’est tiré une balle dans le pied. Donc c’est 486
pas… faut être clair. Moi je ne suis pas sûr aujourd’hui que le design soit une 487
discipline scientifique. Aujourd’hui vous avez des Docteur en Arts plastiques ! 488
Docteur en éducation aux arts plastiques, ça je comprends c’est dans les sciences de 489
l’éducation, je peux comprendre ce que c’est. Mais Docteur en Arts plastiques, de qui 490
on se moque ? Quand vous faites un tableau, ça s’appelle de la peinture, ça s’appelle 491
« peindre », mais si dans dix ans vous faites le même tableau et ça s’appelle de la 492
recherche en peinture, on est rendu dans un truc, c’est n’importe quoi ! Toutes les 493
écoles de Beaux‐arts se mettent à faire de la recherche… 494
LR. Alors que Nantes Métropole présente le Quartier de la création comme une sorte 495
de « cluster », de « pôle de compétitivité ». Vous vous appelez ça « campus ». À la base 496
quand on regarde la définition des concepts cluster ou pôle de compétitivité, l’axe de 497
recherche est primordial, c’est pilier… 498
CG. Mais ça dépend de ce qu’on a comme recherche. C’est pas… moi je lance un 499
laboratoire, c’est pas un laboratoire de recherche, c’est un laboratoire 500
d’expérimentation. C’est différent. C’est pas moi qui la fait la recherche. La recherche, 501
moi je travaille avec des sociologues qui me disent des spéculations sur la façon dont 502
on va vivre demain. Moi je donne une représentation de cette affaire, c’est‐à‐dire que 503
je donne les scénarios pour demain, c’est ça le boulot. Moi je fais de l’expérimentation, 504
je fais des tests. J’appelle pas ça de la recherche. Qu’est‐ce que c’est que cette affaire 505
là ? Si à chaque fois qu’on pense à quelque chose, on dit que c’est de la recherche , ça 506
ANNEXES 112
me fait marrer, qu’est‐ce que c’est que cette prétention ? On travaille avec des 507
chercheurs à l’école d’ingénieurs, ils m’amènent une technologie, ils m’amènent un 508
truc et viennent me voir et me demandent « à quoi ça pourrait me servir ? ». Là je vais 509
mettre des étudiants qui vont se poser la question sur « à quoi ça peut me servir ». 510
Moi je veux bien qu’on appelle ça de la recherche mais ça me fait bien rigoler quand 511
même. Moi j’ai une chance extraordinaire par rapport aux universités c’est qu’à 512
l’université il n’y a pas de design, c’est pas une discipline universitaire le design en 513
France. Donc autrement dit, je ne suis pas en rivalité avec des chercheurs en design 514
parce qu’il y en a pas. Moi ce qui m’intéresse de travailler avec l’université, c’est de 515
faire le maillage avec les sciences humaines, c’est la sociologie, la philosophie, la 516
psychologie, là il y a des chercheurs qui pensent et qui font de la recherche. 517
Je trouve qu’il y a là… en plus le projet est d’autant plus passionnant, c’est qu’en 518
France, c’est comme ça dans beaucoup de pays, c’est que vous avez une démarcation 519
entre ce qui est les sciences exactes et les sciences humaines qui sont 520
infranchissables. J’ai fait un bac scientifique, une prépa HEC, j’ai fait un bac 521
scientifique j’avais sciences et vie, je fais une prépa HEC, je fais plus de sciences et vie. 522
Comment quand on rentre en Sup de co, on ne fait plus du tout de technologie. Alors 523
que vous avez plus de 70 % de gens qui sortent de bacs scientifiques qui ne font plus 524
du tout de technologie. On croit rêver. Alors qu’ils se défient de rentrer en fac de socio 525
parce que… c’est tout juste si il faut pas deux pissotières pour les terminales L et les 526
terminales scientifiques. Comme si on pissait pas pareil. C’est presque ça. Ce qui est 527
intéressant dans le design c’est que je mets tout le monde autour de la table et puis je 528
fais travailler des gens avec des cultures différentes et ça c’est passionnant et sur des 529
choses qui sont objectives, des choses qui sont des représentations sur la façon dont 530
on va vivre, des choses qui sont palpables. 531
LR. Votre secteur est déjà au carrefour… 532
CG. Tout à fait, mais je crois, je ne me prends pas la tête de savoir si c’est de la 533
recherche ou pas, je m’en fous. Et sincèrement, alors la recherche en design ça me fait 534
marrer. Et puis j’ai tellement vu de, je parlais de la recherche en marketing ou de la 535
recherche en finance, je rêve. C’est une indigence intellectuelle. En marketing, c’est 536
bien simple. Les études en marketing, c’est soit de la sociologie, sauf que ça n’a pas la 537
rigueur de la sociologie parce que les mecs ne sont pas en sociologie, soit c’est des 538
ANNEXES 113
mathématiques. En faire aujourd’hui des disciplines de recherche, ça me fait rigoler. Il 539
y a pas un mec en Sup de co qui a prévu la crise, il y a pas un mec ! Parce que ces gens 540
là sont des faux chercheurs. Ça n’existe pas, c’est tout. En sup de co, ce que j’ai appris 541
c’est une représentation de ma carrière. Je savais qu’entre 25 et 30 ans, j’allais être 542
technicien d’un truc. À partir de 30 ans j’allais faire de l’encadrement et qu’à 40 ans, 543
chef d’entreprise. Voilà ce que j’ai appris, c’est tout ce que j’ai appris. 544
C’est un des grands problèmes de l’université, c’est que cette représentation de ce 545
système de fonctionnement, les gens sortent du truc en se disant « putain qu’est‐ce 546
que je vais faire ». C’est ça le truc. C’est pour ça que ça ne fonctionne pas. La fac c’est à 547
la fois totalement formidable mais tout ce qui est de l’ordre de la représentation à 548
terme de ce que l’on va devenir est basé sur un truc où les étudiants n’ont pas de 549
prise. Pas d’exemplarité donc le seul truc sur lequel on arrive à imaginer c’est prof. 550
C’est un truc où l’on passe à côté de l’opportunité. Parce qu’à la fac il y a les mêmes 551
étudiants qu’à Sup de co. Ce sont les mêmes. 552
LR. Le postulat sur l’économie des clusters c’est penser la recherche comme moteur 553
d’innovation et de croissance. Donc vous, vous dîtes clairement « je fais de la 554
recherche appliquée, pas de recherche fondamentale », dans quelle mesure vous 555
participez au développement économique du territoire ? 556
CG. Bon là je lance l’ouverture d’un laboratoire d’expérimentation. Ce laboratoire 557
d’expérimentation a vocation d’aller sur l’île de Nantes. J’ai aujourd’hui sept masters, 558
il y en a un qui s’appelle « réalité virtuelle », donc voilà tous ces petits trucs là que je 559
suis en train de monter vont aller sur l’île de Nantes, c’est le but du jeu. On est dans un 560
laboratoire expérimentale et les usages, les interactivités, des nouveaux outils 561
interactifs, et voilà. Donc je vais travailler avec des écoles d’ingénieurs, vous avez les 562
mecs de l’Insam, les gens de Telecom Bretagne, ces gens là vont venir sur le 563
laboratoire sur l’île de Nantes avec moi, vont travailler sur les usages… donc j’amène 564
ces chercheurs là, ceux là c’est des vrais, et puis j’amène les entreprises. Par exemple 565
sur le pavé tactile, je travaille avec la SNCF qui cherche à revoir totalement tout ce qui 566
est de la commande de billets, de trucs comme ça. Donc je fais venir des entreprises 567
qui si j’étais par là ne seraient pas venues nécessairement, je les fais venir. Je travaille 568
avec France Télécom. Sujet France Télécom « et si on mettait du son et de la vidéo sur 569
les pierres tombales». Alors qu’est‐ce que j’ai, j’ai des étudiants, un sociologue, un 570
ANNEXES 114
philosophe, un ethnologue qui me parle de la mort, qui me parle des pierres tombales, 571
comment on présente la mort dans tous les pays du monde, etc., etc. J’amène donc un 572
laboratoire d’expérimentation. 573
(Erreur technique, les quinze dernières minutes de l’entrevue ont été perdues) 574
ANNEXES 115
Annexe 4. Entretien avec Laurent Devisme
A. Gril le de questions
‐ Alors une question assez générale, j’ai lu votre livre Nantes, petite et grande fabrique
urbaine, que j’aime beaucoup, pour reprendre la partie du bouquin qui y fait allusion,
est‐ce que vous pouvez me présenter le contexte qui a amené l’école d’archi à
s’intéresser, à vouloir se greffer à ce Quartier de la création ou ce « campus urbain »
qui est nommé un peu différemment…
‐ Donc le GRANEM c’est l’idée de mutualiser la recherche ?
‐ Qu’est‐ce que ça représente pour vous ce « cluster » en construction vous qui êtes
sur place ?
‐ Au niveau de votre offre pédagogique, j’ai vu que vous travaillez au niveau du
master avec la fac de droit, le département de géographie de l’Université, pouvez‐
vous me parler de ça ? Et puis aussi j’ai eu part d’un document présentant l’ouverture
d’une formation transversale en master pro spécialisé en « eco‐design des usages et
des services» avec les Beaux‐Arts et le département Infocom de l’Université de Nantes
mais par contre, je n’ai pas trouvé d’information sur le site Internet de l’école de
Beaux‐Arts. Est‐ce que vous pouvez me parler de ces partenariats et après plus
spécifiquement sur cette option ?
‐ Est‐ce qu’il a plus de poids maintenant pour des synergies, des passerelles…
‐ D’ailleurs dans ce processus de crédibilisation, est‐ce que vous de l’autre côté vous
bénéficiez d’avantages, de tout le travail de communication de la SAMOA sur la
requalification du territoire, vous qui étiez avant et est‐ce que ça vous a apporté des
fruits ?
‐ Vous faites vraiment la différence entre une stratégie de développement d’une école
et les activités d’un laboratoire ?
‐ Vers qui dirigez‐vous la médiation de vos travaux ?
ANNEXES 116
‐ Ce Quartier de la création met en avant les industries créatives, quelle est la portée
de ce secteur et comment intégrez‐vous votre activité dans ce secteur ?
‐ En terme de mutualisation matérielle, vous voyez des choses à faire ?
‐ Est‐ce que vous avez des projets d’internationalisation ?
‐ Une dernière question pour finir l’entretien, quelle est la vision de l’enseignement
dans le rapport prof‐étudiant ?
‐ Vos étudiants vous les considérez comment ? Apprentis ? Étudiants ?
ANNEXES 117
B. Entretien 1
Entretien avec Laurent Devisme, lundi 28 mars 2011, laboratoire LAUA, École d’architecture, durée totale 2 60 minutes. 3
LR. Alors une question assez générale, j’ai lu votre livre Nantes, petite et grande 4
fabrique urbaine, que j’aime beaucoup. 5
LD. Et bien merci, oui d’ailleurs j’avais un exemple en tête, un chapitre… 6
LR. Alors pour reprendre la partie du bouquin qui y fait allusion, est‐ce que vous 7
pouvez me présenter le contexte qui a amené l’école d’archi à s’intéresser, à vouloir 8
se greffer à ce Quartier de la création ou ce « campus urbain » qui est nommé un peu 9
différemment… 10
LD. Alors ça c’est une question qui donnerait de grands développements de la part du 11
directeur de l’école d’archi, puisque c’est lui qui a été quand même un acteur 12
important, amenant l’école ici. Moi ce que j’ai en tête pour cette idée c’est que ce 13
Quartier de la création vient récemment, et que du coup l’école d’archi comme 14
d’autres établissements, sont préexistants. C’est pas le projet du Quartier de la 15
création qui amène à ce que l’école d’archi soit là. Faut faire effectivement attention à 16
l’effet rétroaction qui amènerait à ce que tout ça soit convergeant vers le Quartier de 17
la création. Moi ça m’avait frappé. Donc l’école elle vient un moment donné où au 18
début des années 2000 se pose des questions importantes sur cette école d’archi rue 19
de Massenet, donc un peu aux confins de la ville. Problème de locaux, de sous‐20
dimensionnements et donc il y a d’abord eu un projet d’extension sur place, et en 21
même temps c’était pas si évident. Et depuis, il y a eu ce projet qui commençait et des 22
négociations sur le terrain là, où on est et finalement l’opportunité d’être en ville… 23
Alors à ce moment là il n’était pas du tout question de l’économie de la connaissance 24
et de créateurs, etc. C’était d’être en ville et d’avoir finalement une vue sur au fond les 25
activités qui font centraliser ce nouveau territoire. D’abord je cadrerai plutôt ça. C’est 26
pas du tout lié à ce qui serait de l’ordre de l’importance du créatif avec pour exemple 27
que dans les cinq premières années, on ne parlait pas du tout du Quartier de la 28
création. C’est vraiment comme on écrit dans le bouquin « un objet qui démarque », 29
qui débarque et qui du coup se met à reconfigurer les acteurs derrière. Donc nous on 30
arrive avec un projet d’abord de nouveau bâtiment, d’ouverture sur la ville, de 31
ANNEXES 118
décloisonnement. Bon nous au labo on voulait par contre un cloisonnement mais 32
sinon pour le reste on est plutôt sur un espace de travail d’openspace, et puis 33
effectivement d’avoir des locaux plutôt dans ce bâtiment, ce bâtiment Loire qui serait 34
dédié à la recherche. Il y a là le LAUA et le CERMA d’avoir tout ça, qui soit présent et… 35
alors à la fois assez visible et à la fois avec de vraies capacités. Quand on compare 36
globalement les capacités d’accueil des universités pour la recherche on se dit que là 37
on est bien. 38
LR Vous avez des chiffres en tête… 39
LD. En nombre d’étudiants ? On est à peu près à mille étudiants et puis après au 40
niveau de la recherche on est, le LAUA on est une quinzaine, CERMA, il y a un peu plus 41
de monde, ils sont « mobilisation des ambiances » pour donner un peu la thématique 42
de travail. Ça n’a pas énormément changé. Ce qui a changé, par contre quand il y a eu 43
ce lancement et ce projet Quartier de la création, etc. nous on était déjà là, et vous êtes 44
comptés comme des créatifs en devenir mais en gros on était là avant quoi. 45
LR. C’est un concours de circonstance… 46
LD. Oui un peu ! D’abord je ne suis pas a priori pour la cause Quartier de la création, 47
j’essaye plutôt de décortiquer ce qu’il y a là‐dedans, les discours qui ont pu être 48
mobilisés, qu’est‐ce que ça peut bien vouloir dire et donc on était plutôt attentif à ce 49
qui se joue sans être forcément des grands défenseurs de ça. Alors peut‐être qu’on en 50
est pas parce qu’on est présent sur ce territoire et puis qu’on a un peu d’analyses 51
critiques au labo sur les thèses de Florida sur la ville créative ou d’autres. Donc on va 52
souvent être plus perplexe que d’autres acteurs qui sont des défenseurs de ça. Et donc 53
c’est vrai que depuis quoi ? Depuis récemment, depuis deux ans même pas, on est 54
plutôt pris dans ce mouvement de « et si c’était un Quartier de la création ? Qu’est‐ce 55
que l’on va pouvoir localiser ? Qu’est‐ce que c’est que ces fertilisations croisées qui 56
seraient nécessaires pour que l’école d’archi, les beaux‐arts, l’école de 57
communication, l’université, etc. soient présents. ». Avec une situation qui est celle de 58
voir l’Université incluse dans le projet mais qui n’est pas forcément présente. Et donc 59
des acteurs nantais, Jean‐Marc Ayrault, Auxiette pour la région Pays‐de‐la‐Loire qui 60
poussent les acteurs universitaires à avoir un projet et à être présents sur le projet. 61
L’Université ne vient pas d’emblée comme un acteur dominant, majeur. C’est ça qui 62
ANNEXES 119
est important de comprendre dans les rapports entre acteurs. Il y a en fait beaucoup 63
plus de composantes qui sont présentes : l’École d’archi, l’École de Design, l’École des 64
Beaux‐Arts parce qu’en gros leur projet est dessus. Et puis les départements, comme 65
le département Info‐com ici qui est assez partie prenante qui a des velléités, à savoir 66
des locaux dans ce quartier. Faut pas perdre de vue qu’il y a aussi derrière des 67
questions de mètres carrés, hein, qui va occuper ce territoire et comment on le 68
légitime ? 69
LR. Parce que vous l’êtes tous de manière isolée mais en fait vous êtes tous trop petits 70
dans vos locaux… 71
LD. Il peut y avoir ça car c’est vrai que pris isolément, l’école des Beaux‐Arts c’est ça, 72
l’école d’archi c’est ça, l’école de Design c’est ça. De toute façon il y a des enjeux de 73
relocalisation, chacun y va de son côté en cherchant des nouvelles implantations. Il y 74
a parfois des opportunités foncières, il y a une situation centrale et c’est important 75
dans ce genre d’activités, je dirais de ne pas être localisé dans une zone d’activité un 76
peu lointaine. C’est vrai qu’à partir de là, l’idée de faire une entité repérable dans 77
laquelle on concentrerait de la matière grise, c’est pertinent pour les acteurs de co et 78
c’est pertinent effectivement pour certains acteurs qui étaient déjà en contact avant. 79
Alors parfois la critique qu’on peut faire à cette idée là c’est comme si dès lors qu’on 80
construit un Quartier de la création, il y aurait d’avantage de valeur ajoutée. D’une 81
part ça existait un peu avant et surtout dans le cadre de la recherche on travaille 82
beaucoup en réseau et donc c’est pas tant de travailler de temps en temps avec son 83
voisin mais de développer des relations avec d’autres. Mais bon c’est assez facile ça 84
aussi. Bon ça je pense que c’est important de le garder en tête et puis de voir en même 85
temps de voir des acteurs qui se mettent à essayer de rendre tangible ce Quartier de 86
la création. Vous avez vu le DVD qui avait été fait par la communication de Nantes 87
Métropole sur le Quartier de la création ? 88
LR. Oui 89
LD. Vous voyez c’est assez explicite, produit de communication plutôt bien ficelé où 90
l’on voit ces acteurs s’exprimer, directeurs d’école, école des Beaux‐Arts, Pierre‐Jean 91
Galdin, directeur de l’école des Beaux‐Arts, un acteur important de ce projet là et on 92
comprend pourquoi. Bon ça c’est à décortiquer hein d’une part. Qu’est‐ce que ça veut 93
ANNEXES 120
dire ? Qu’est‐ce que ça veut dire de faire du projet sur ce régime là, du softpower on 94
pourrait dire, régulation douce, puissance douce. On est plus dans l’aménagement des 95
technopoles, c’est beaucoup plus fondé sur la coordination et travailler notamment à 96
ce que l’on puisse faire développer des projets de recherche entre des composantes 97
possibles du Quartier de la création. Et ça c’est ce qui s’est déployé depuis un an, un 98
an et demi d’une manière notamment, ça s’est cristallisé, certains revendiquent un 99
projet, qui s’appelle le projet « valeur », je ne sais pas si vous avez entendu parler de 100
ce projet ? 101
LR. Non. 102
LD. Ça a été déployé par plusieurs composantes, par le directeur du GRANEM, un 103
économiste Dominique Sagot‐Duvauroux qui est plutôt à la tête d’un projet qui est 104
multi‐pistes. En gros c’est un projet qui a été déposé à la Région pour avoir de l’argent 105
de la Région qui fédère un peu toutes les composantes du Quartier de la création et 106
analyser les valeurs de la culture dans des angles communication, géographie, 107
géographie économie, pour l’instant ça me paraît, de mon point de vue, assez 108
nébuleux. L’idée c’est de donner de la consistance à cet ensemble là. L’Université de 109
Nantes n’y est pas tellement parce qu’en gros c’est l’Université d’Angers qui a pas mal 110
d’acteurs qui interviennent. 111
LR. Donc le GRANEM c’est l’idée de mutualiser la recherche ? 112
LD. Alors c’est l’idée effectivement que pour arriver à ce que le Quartier de la création 113
soit consistant du point de vue de la recherche il faut des projets qui permettent de 114
faire converger des gens qui ne se connaissaient pas forcément auparavant. Alors il y 115
a des gens de sociologie, de géographie, de scénographie. Cet été on a un peu tout ça 116
qui est mis sur la table. Et puis des séminaires qui se lancent, je crois sur la propriété 117
intellectuelle, cette semaine je crois. Alors c’est tout autour de l’économie créative. Et 118
puis une autre affaire importante, c’est l’aménageur. D’une part il était partie 119
prenante dès le départ, et a plutôt renforcé l’axe « Quartier de la création » dans la 120
nouvelle configuration. L’aménageur porte assez bien l’idée de l’importance de 121
l’aménagement de l’île de Nantes et qu’un des projets phares dans l’avenir sera le 122
Quartier de la création. Alors il faudrait que vous rencontriez à la SAMOA, Olivier 123
Caro. 124
ANNEXES 121
LR. Je suis déjà en contact avec lui. 125
LD. Alors j’ai pas suivi dans les derniers développements. Alors au départ il était 126
question d’une association, en gros il y a eu beaucoup d’interrogations sur cette forme 127
organisationnelle, juridique, il était question un moment d’un groupement d’intérêts 128
publics, et finalement avec les évolutions qu’on a vues, c’est la forme Quartier de la 129
création, c’est quand même l’aménageur qui va porter tout ça. Et c’est la raison pour 130
laquelle, il y a environ un an et demi, deux ans, avait été mandaté Bernard Stiegler qui 131
a eu une commande d’une part de rencontrer ces acteurs potentiels du Quartier de la 132
création, acteurs‐chercheurs, hein, et puis d’autre part d’écrire un rapport à l’issu de 133
tout ça. Dans ce cadre là, nous on faisait partie des gens qui ont été interrogés par 134
Bernard Stiegler sur ce qu’on fait d’une part, comment on se positionne, etc. Donc il y 135
a beaucoup d’attentes aujourd’hui sur finalement ce que ça pourrait produire. Et on a 136
donc des projets de recherche qui comme ce projet « valeur » essaye de faire 137
converger beaucoup d’acteurs. Ou comme nous même, de voir quels étaient ces 138
discours du Quartier de la création, les convergences qui étaient supposées et là on va 139
commencer une recherche pendant un an et demi avec d’une part essentiellement des 140
gens du labo, et puis en associant deux économistes de l’école de Mayère qui se sont 141
associés à nous pour un an et demi de travail là‐dessus. Donc on va analyser ça mais à 142
ce moment là faut être dans des optiques assez différentes, faut bien comprendre, je 143
crois que certains se disent qu’ils ont un objet à faire exister, et qu’il est très 144
important qu’il existe donc c’est plutôt des gens qui ont un crédo sur ça et d’autres 145
plutôt comme nous qui essayent de dire « bon qu’est‐ce que ça veut dire dans cette 146
nouvelle phase d’aménagement » en essayant d’être un peu plus critiques. C’est 147
important pour nous d’être plutôt dans une approche ethnographique, d’être près du 148
terrain, pour voir ce que ça signifie. Sachant que nous on ne cherche pas 149
nécessairement à avoir des bureaux en plus, à avoir je ne sais pas quoi. Il peut y avoir 150
des positionnements différents. 151
LR. Qu’est‐ce que ça représente pour vous ce « cluster » en construction vous qui êtes 152
sur place ? 153
LD. C’est un peu compliqué, j’ai l’impression qu’on a dit beaucoup de choses dessus, 154
on trouve de tout autour de ça. La théorie des grappes, il y a beaucoup beaucoup de 155
choses. Dans votre boulot, vous avez plutôt intérêt à montrer que c’est varié. À la fois 156
ANNEXES 122
le cluster est très localisé et en même temps ça renvoie à la coordination sur d’autres 157
territoires. D’ailleurs sur le DVD, ce qui m’avait beaucoup frappé c’est qu’à la fois on 158
parlait d’un morceau de l’île de Nantes, on parlait de Mani tout à l’heure, et en même 159
temps on voyait des gens y compris d’Atlanpole disant qu’ils faisaient partis de ce 160
cluster. Bon en gros c’est à la fois localisé et en même temps c’est de la mise en réseau 161
à l’échelle de l’agglo voire au niveau de la Région puisque la Région est en attente 162
aussi. Bon moi je suis assez perplexe sur la notion de cluster c’est pas très 163
discriminant et pas très significatif pour mettre quelque chose dedans. Après nous, la 164
manière dont on voit notre place là‐dedans, je dirais que c’est assez basique, on a 165
beaucoup de recherche au LAUA qui porte l’agglomération nantaise, sur la fabrique 166
urbaine. En gros ce que je trouve assez bien c’est d’être en ville et très basiquement 167
pouvoir rencontrer des gens de la ville, de Nantes Métropole, pour plus facilement 168
circuler pour faire du terrain. En gros on fait beaucoup de recherche de plein‐air 169
comme je le dis souvent, donc on va dehors et donc ça c’est bien. Après 170
symboliquement il y a d’autres enjeux. On voit bien comment l’école d’archi depuis 171
deux ans attire beaucoup de velléités d’organisations, d’organisation de workshop, 172
l’école est très sollicitée. D’ailleurs vous avez quelqu’un dans l’école dont le boulot 173
principal est de louer à tel ou tel parce que c’est l’école d’archi ici, c’est les capacités 174
d’organisation. Et ça, ça a été un changement du tout au tout entre rue Massenet au 175
confins de la ville et ici, on a maintenant quelque chose qui rapporte un peu d’argent à 176
l’école, évidemment, puisque c’est de la location d’espaces auprès d’institutionnels 177
mais pas que. Et ça c’est significatif, enfin ça renvoie à l’idée que cette localisation 178
compte…. Euh… mais par contre, ça, ça peut être assez déconnecté de la recherche en 179
tant que telle. En gros la mise à disposition d’espaces pour faire toute sorte de… pas 180
de festivals mais oui de… d’événementiels. Mais bon, ça n’a pas du tout de lien avec la 181
recherche et en effet c’est une adresse symbolique d’une part et ça change 182
effectivement la destination du bâtiment. On a pu entendre en réunion, enfin c’était 183
plutôt minoritaire mais j’ai entendu dire des gens dire « bon alors est‐ce 184
l’enseignement reste prioritaire ou en gros si un organisme veut louer, on a 185
l’opportunité de louer tel espace, c’est plutôt ça qu’on va privilégier ? » C’est assez 186
intéressant de se dire que la conception elle‐même de ce qu’est un lieu 187
d’enseignement et de recherche peut changer et être plus visible et plus exposé (la 188
ANNEXES 123
localisation permet de renforcer la place, l’intérêt porté à l’établissement), c’est plutôt 189
bien. Le fait qu’il y ait des possibilités de mélanges, c’est plutôt intéressant. 190
LR. Au niveau de votre offre pédagogique, j’ai vu que vous travaillez au niveau du 191
master avec la fac de droit, le département de géographie de l’Université, pouvez‐192
vous me parler de ça ? Et puis aussi j’ai eu part d’un document présentant l’ouverture 193
d’une formation transversale en master pro spécialisé en « eco‐design des usages et 194
des services» avec les Beaux‐Arts et le département Infocom de l’Université de Nantes 195
mais par contre, je n’ai pas trouvé d’information sur le site Internet de l’école de 196
Beaux‐Arts. Est‐ce que vous pouvez me parler de ces partenariats et après plus 197
spécifiquement sur cette option ? 198
LD. Alors c’est deux cas de figure sont un peu différents. Le premier c’est dans le 199
cadre du master pro « villes et territoires » qui est l’héritage d’un DESS qui a à peu 200
près vingt ans d’existence à mon avis. Avec au départ l’association du droit et de la 201
géographie et depuis au moins quinze ans, on y associe l’architecture pour traiter plus 202
de l’urbanisme du coup et qui est une formation en un an et qui permet du coup de 203
croiser un tiers de juristes et politistes, un tiers de géographes, un tiers d’architectes 204
dans une promo à chaque fois de trente‐cinq étudiants. Donc c’est un master pro, c’est 205
un master 2 et qui est depuis maintenant deux, trois ans dans le réseau de l’institut 206
d’urbanisme. Une formation assez courte qui s’inscrit dans le réseau des instituts 207
d’urbanisme en France pour former des urbanistes qui sont tantôt des juristes au 208
départ, tantôt géographe, tantôt architecte. Alors ce qui se passe ici dans la nouvelle 209
configuration c’est qu’on a une salle dédiée à cet enseignement là. On a par exemple 210
tous les collègues qui sont par exemple de l’école d’archi qui enseignent en étant ici. 211
Et puis on a aussi quelques juristes et géographes qui peuvent venir aussi faire cours 212
ici dans la mesure où on a une salle dédiée. Alors on a une salle sur le campus à la fac 213
de droit, et une salle ici qui sont les deux lieux d’enseignement de ces matières qui 214
sont assez larges… bon le changement de lieu n’a pas eu forcément beaucoup 215
d’influence qui fait que maintenant on a une vraie dissociation spatiale. On a le 216
campus d’un côté, et l’école ici. Alors nous, on aurait voulu éventuellement que tout se 217
fasse ici, en même temps on avait des collègues de l’université qui trouvaient 218
justement qu’ils y perdaient symboliquement car du coup l’école d’archi devenait 219
repéré comme le lieu de ce master. Donc on a gardé les deux lieux avec parfois, c’est 220
ANNEXES 124
des anecdotes mais elles sont assez significatives, des réactions de collègues qui vont 221
nous dire « ah bah vous êtes loin maintenant ! » et on sait jamais trop qui est loin de 222
qui. J’ai le souvenir d’un collègue qui m’avait dit « vous êtes excentrés ». Bon bah que 223
voulez vous dire, tout dépend de ce que l’on considère comme le centre, je dirais que 224
c’est plutôt le campus qui est excentré que l’île de Nantes qui est excentrée. C’est un 225
peu relatif mais c’était assez intéressant de voir ça. Alors on a cette première 226
formation qui fait qu’on s’entend plutôt bien, avec des collègues… 227
LR. Depuis 20 ans donc… 228
LD. Oui c’est ça, faudrait voir, à peu près. Donc avec des croisements, ça permet de 229
croiser des labos justement. Les acronymes c’est l’UNR ESO pour la partie géographie 230
et le laboratoire DCS – Droit et changement social ‐ côté Sciences politiques et droit. 231
Et chez nous, c’est surtout le LAUA comme labo. Sachant que c’est les masters pros, on 232
a quand même une partie d’enseignants‐chercheurs qui interviennent, des stages, 233
enfin voilà. Ça permet parfois de repérer des gens qui vont faire des thèses par 234
exemple. Donc voilà, celui il est je dirais relativement ancien, il est bien établit, il est 235
assez bien repéré par les professionnels qui savent qu’on a ce master à Nantes pour le 236
lancement aussi des gens derrière dans telle ou telle agence d’urbanisme. 237
LR. Est‐ce qu’il a plus de poids maintenant pour des synergies, des passerelles… 238
LD. Je sais pas. Peut‐être mais c’est difficile à évaluer pour l’instant. Le changement de 239
l’école d’archi ou le fait qu’on ait une composante dans le Quartier de la création, 240
peut‐être mais je pense que c’est vraiment très tôt pour le dire. C’est pas impossible. 241
LR. Ça pourrait être repris dans la communication… 242
LD. Ah oui oui, tout à fait. Certainement… Alors l’autre par contre… l’autre master, 243
c’est un master en projet 244
LR. Ah alors c’est pour ça que je n’ai pas trouvé d’infos sur Internet 245
LD. Oui exactement, exactement. Donc avec cet intitulé « eco‐design des usages et des 246
services » qui a été monté alors je n’étais pas dans le projet mais je crois que c’était il 247
y a quatre ans, il y a quatre‐ cinq ans que ce projet a émergé. Sciences de l’info‐com je 248
pense, école d’archi pas mal. L’idée de travailler sur quelque chose d’assez hybride, 249
ANNEXES 125
c’est pas du design de mobilier urbain, ça croise du design, de l’ergonomie, sur les 250
usages et les services 251
LR. Quel est le sens de « eco », écologie ou économie ? 252
LD. Euh, bonne question. Comme je ne suis pas un acteur de ce truc. D’ailleurs on fait 253
un point, bah c’est après‐demain, on fait un point justement sur les formations. C’était 254
un projet d’il y a quatre ans, on ne l’a pas ouvert et qui serait susceptible d’ouvrir … 255
En gros ça vous donne l’idée que ça a été mis un peu en stand by pour des raisons qui 256
m’échappent en partie. Ce qu’il s’est passé, c’est que je crois que l’Université avait 257
habilité la formation, par contre la tutelle de l’école d’architecture ne l’avait pas 258
habilitée trouvant que le projet n’était pas assez abouti, etc. Je pense que le mieux 259
c’est que… bon je sais pas sur quoi vous êtes tombée mais y’a moyen de récupérer 260
une plaquette plus développée, y’avait des contenus qui étaient préfigurés. Après 261
c’est pas impossible que Information‐communication, que l’école des Beaux‐Arts 262
aient un peu travaillé l’air de rien sur ce que pourrait être ce « eco‐design », etc. après 263
y’a pas eu plus de mobilité que ça, y’a pas eu d’étudiants recrutés. Bon voilà, c’est 264
difficile d’en dire beaucoup plus quoi. Ce qu’il fait qu’il reste un peu à l’agenda parce 265
que… 266
LR. Pourquoi ? 267
LD. Pourquoi il reste à l’agenda ? 268
LR. Oui. 269
LD. Parce que, je sais pas, j’ai pas suivi les clés exactement… 270
LR. C’est pas le développement et le renforcement de cette politique du campus 271
urbain… 272
LD. Je pense pas que ça a été relié à ma connaissance. Peut‐être que ça l’est mais bon 273
maintenant il y a cette coquille, faut tout de même l’investir et c’est possible que 274
certains y travaillent mais bon moi en tout cas, je n’ai rien vu, il y a pas de liens de 275
causes à effet sur ce que pourrait être le renforcement de l’économie de la 276
connaissance, etc. et dès qu’il y a de l’informations qui se tiennent, à ma connaissance. 277
Ensuite c’est vrai que bon, on était plusieurs à trouver encore un peu nébuleux cet 278
ANNEXES 126
intitulé « eco‐design » alors bon d’où ça vient, c’est une bonne question. Ce serait de 279
mener une enquête pour savoir qui a proposé ça, à quel moment ? Est‐ce que c’est lié 280
à un moment donné aux théories que peut amener Stiegler sur l’économie de la 281
contribution ? Est‐ce que c’est ça ? Est‐ce que c’est plutôt dans le sens « économie » 282
des usages du design ? Je ne sais pas, j’avoue… Je pense qu’on peut retrouver des 283
éléments, je pense qu’il faut absolument interroger Philippe Bataille là‐dessus, parce 284
que lui il l’a suivi de plus près. Et il y avait notamment deux enseignants à l’école 285
d’archi qui étaient un petit peu impliqués me semble‐t‐il en tout cas, il y a quatre ans, 286
Michel Bertreux, qui est l’architecte de Manny, un archi sur la place nantaise on va 287
dire et puis Karine Louilot, à mon avis, deux enseignants un peu cooptés pour habiter 288
ce projet là. Mais je vous dis depuis quatre ans, en tout cas dans la composante école 289
d’archi, j’ai jamais entendu un collègue dire « ça y est on le monte, on l’ouvre l’année 290
prochaine, je m’y implique, etc. ». C’est que là pour la prochaine habilitation, on a 291
deux ou trois formations comme ça, en stand by, dont celle‐ci qu’on doit examiner 292
pour voir ce qui a changé. Est‐ce que les partenaires vont s’impliquer là‐dessus, sur 293
quels registres ? Ou pas, quoi. 294
LR. Est‐ce que les quelques autres projets qui sont en stand‐by sont sur le même 295
modèle, c’est‐à‐dire mutualisation et transversalité entre établissements ou 296
laboratoires ? 297
LD. Il y en a un autre qui renverrait à des coproductions, avec le lycée Jules Rieffel à 298
Saint‐Herblain qui est plutôt orienté dans une dimension paysage même si j’avais 299
compris que ce qu’on essayait de monter c’était plutôt une licence pro paysage donc 300
là c’est aussi l’idée de, c’est l’idée de croiser les compétences, de croiser des parcours 301
d’étudiants, mais par contre c’est plutôt dans un autre univers, plutôt professionnel. 302
Et je ne sais pas du tout comment les choses ont avancé. À mon avis, on est aussi sur 303
l’ordre des standby. Par contre on sait bien qu’il y a une attente, notamment d’acteurs 304
politiques, de la Région, sur le fait qu’il faille traduire y compris dans l’enseignement, 305
qu’il faille traduire les spécificités qu’on pourra amener dans un master de ce genre 306
là. Alors on voit bien depuis quinze ans que, il y a beaucoup de masters qui sont 307
montés, des intitulés qui tourneraient autour de ces questions là. Il y en aura 308
sûrement d’autres, après faut voir ce qu’il y a derrière. Il y aura un numéro de Place 309
publique, le prochain, le dossier va porter sur le Quartier de la création et donc il y 310
ANNEXES 127
aura un peu de grain à moudre pour vous. Il va sortir dans un mois, pas plus. Ça sera 311
le numéro 27 je crois. Et peut‐être qu’il y aura quelques éléments de réponses du 312
coup à ce qu’on évoque. Donc c’est vrai qu’on est toujours un peu partagé sur le fait 313
d’une part de déconstruire une politique qui semble tout à coup retrouver du souffle 314
par le biais de ce truc, le Quartier de la création. Il faut déconstruire ça bien sûr et en 315
même temps on voit bien que des choses vont changer et elles vont peut‐être plus 316
changer par des pratiques liées à La Fabrique, par les côtoiements qui impliqueraient 317
les acteurs déjà présents. Un moment donné, nous on va essayer de travailler un petit 318
peu ça sur qu’est‐ce qui change dans toutes les activités de restauration sur le 319
quartier par exemple. C’est assez radical finalement. Depuis quinze ans, vous passez 320
de beaucoup de restos ouvriers à d’autres types d’offres qui sont beaucoup plus en 321
phase avec les nouvelles catégories quoi. Cadres supérieurs, etc., etc. C’est assez 322
intéressant de relever ça. Je dirais que pour le coup la composante « convergence des 323
labos », qui est plutôt votre axe, hein ? Elle est plutôt pas tant que ça développée. C’est 324
pour ça que Stiegler avait fait ce rapport. Il faut absolument le lire ce rapport. La 325
commande c’était plutôt de dire bon faîtes en sorte qu’il y ait davantage de visibilités 326
du nombre de chercheurs qui sont potentiellement dans ce Quartier de la création. Ils 327
travaillent pas forcément tous ensemble et c’est pas forcément gênant y compris je 328
sais pas si vous avez suivi, il y a eu un colloque Université et territoires il y a peu de 329
temps et il y avait des conclusions qui étaient assez intéressantes qui montraient que 330
c’est pas du tout en concentrant les chercheurs qu’on augmente leurs productivités et 331
y compris des gens qui travaillent dans les sciences dures sur la chimie par exemple. 332
Il y avait des conclusions assez intéressantes de ce point de vue là. Alors qui visent un 333
peu à dégriser par rapport à ce nouvel objet fétiche qui serait ce Quartier de la 334
création. C’est vrai que c’est un construit d’actions politiques. Bon est‐ce qu’il a toute 335
la cohérence ou la consistance qu’on veut bien lui donner ? Je dirais qu’on peut en 336
douter. C’est normal d’en douter, c’est un peu notre travail de calmer les ardeurs 337
entre guillemets qu’on a pu voir en mai 2009 quand le truc est sorti. En mai 2009 je 338
pense. 339
LR. Oui en mai 2009 340
LD. Oui c’est ça. Alors même ça, qu’est‐ce qu’on entend par « inauguration d’un 341
Quartier de la création » ? Nous on travaille sur l’urbanisme et l’aménagement, on 342
ANNEXES 128
était assez attentif et on se demandait « qu’est‐ce que ça veut dire d’inaugurer un 343
Quartier de la création ? ». Sachant que le quartier pré‐existait, est‐ce qu’il s’appelle 344
autrement ? Qu’est‐ce que ça veut dire que cette histoire ? On était plutôt amusé y 345
compris de voir un ensemble d’acteurs qui se disaient « ça y est notre tour est venu ». 346
Alors par exemple l’École de Design, disons que c’est des acteurs très intéressés. 347
L’École de Design, l’École des Beaux‐Arts sont très intéressés parce que eux cherchent 348
des locaux, ils ont un projet de nouvelle implantation. L’École de Design, école privée, 349
les Beaux‐Arts ça fait parti de l’enseignement supérieur donc bon ce sont des gens qui 350
sont des militants de ça. Ils ont tout intérêt à le faire. École des Beaux‐Arts c’est un 351
peu pareil. Il faut que tout le monde travaille à ce que ce soit une réussite vous voyez. 352
Moi ça m’intéresserait de vous lire quand vous aurez fini votre boulot de voir que 353
globalement oui, il y a des gens qui ont plusieurs casquettes souvent. Ils peuvent être 354
chercheurs, ils peuvent être, voilà des gens qui sont, comment on pourrait dire, des 355
gens qui sont parties prenantes, qui défendent une cause pour cette idée là. Alors je 356
ne dis pas, je ne suis pas contre, ça n’a pas de sens d’être pour ou contre, c’est 357
d’analyser ce que ça fait dans la manière de faire de la politique publique, dans la 358
manière de faire de l’urbanisme, ça c’est intéressant pour nous. Je pense que si vous 359
passez du temps sur le rapport de Stiegler, vous verrez c’est quelque chose d’assez 360
composite. À la fois on retrouve les théories de Stiegler, c’est quand même quelqu’un 361
d’important, un philosophe intéressant. Alors il y a à la fois cette dimension là, qui 362
peut‐être aussi une critique de l’économie de la création, il est critique par rapport 363
aux théories de Florida par exemple. Puis en même temps, va ramener d’autres 364
éléments, il est plutôt un acteur en attente de ce genre d’objet. Et il était intervenu 365
notamment dans le dernier séminaire de l’École de Beaux‐Arts, ça s’appelait ELIA à 366
ma connaissance. Il était intervenu il y a quelques mois assez longuement pendant 367
trois quarts d’heure, une heure, on voyait bien cet aspect composite à la fois d’une 368
théorie et en même temps d’être un défenseur du Quartier de la création à Nantes, 369
parce qu’il a aussi reçu une commande. C’est ça qui est assez singulier c’est que cet 370
aménageur quand même très spécifique la SAMOA, est allé le chercher pour lui 371
demander une expertise. D’une part sur l’existant, et d’une autre sur les promesses de 372
ce quartier de la création. Ça c’est assez intrigant finalement. Donc le rapport il est 373
parfois difficile de s’en saisir parce qu’il part tantôt sur une contribution 374
ANNEXES 129
philosophique, tantôt sur quelque chose qui serait beaucoup plus basique. Vous avez 375
lu ce rapport ? 376
LR. Non pas du tout, vous m’apprenez… 377
LD. Je crois qu’il y aurait moyen de le récupérer. Je pense qu’il en a même fait un 378
deuxième pour accompagner l’aménageur dans tout ce processus de crédibilisation 379
du Quartier de la création. C’est très intéressant et je crois que pour vous ça serait 380
très important de, d’une partie de la commande qui a été faite était de rencontrer des 381
acteurs présents ou potentiels qui peuvent compter sur ce Quartier de la création. Je 382
crois que c’est vraiment important que vous puissiez accéder à ça et c’est pour ça que 383
bon on évoquait les questions de diplomatie en début de rencontre, de pouvoir 384
rencontrer Franck Cormerais, ça serait assez bien, il est prof, maître de conférence à 385
Infocom et il a travaillé avec Stiegler. Ils faisaient souvent les entretiens à deux donc 386
bon. 387
LR. D’ailleurs dans ce processus de crédibilisation, est‐ce que vous de l’autre côté 388
vous bénéficiez d’avantages, de tout le travail de communication de la SAMOA sur la 389
requalification du territoire, vous qui étiez avant et est‐ce que ça vous a apporté des 390
fruits ? 391
LD. Quels genres de fruits ça pourraientt être ? 392
LR. C’est pas le genre de questions que vous vous posez en tout cas. 393
LD. Non, non, non c’est vrai. D’une part parce que je considère que depuis vingt ans en 394
tout cas depuis qu’Ayrault est arrivé, on voit bien que ce qui est mis en place, le 395
travail de communication marche bien, c’est quand même très rodé. Il y a beaucoup 396
beaucoup de communication qui sont faites sur des projets de ce genre là. Et donc 397
j’allais dire un peu comme tout à l’heure, nul doute qu’il puisse avoir des retombées, 398
on nous contacte par exemple un peu plus qu’avant, bon voilà ça très bien. Après est‐399
ce que ça change vraiment d’une part nos manières de fonctionner, est‐ce qu’on a 400
d’autres capacités pour accueillir plus de gens pour les former, etc. ça pas forcément. 401
Je crois qu’il faut quand même émettre un distinguo entre ce qui est fait là, c’est un 402
buzz hein, et puis concrètement les moyens qu’on a pour travailler et les uns et les 403
autres ne sont pas forcément en lien. Par contre un des cas qu’on peut évoquer, pas 404
ANNEXES 130
dans la recherche mais dans l’enseignement, par contre oui, il y a une vraie 405
augmentation pour les demandes pour faire des études en architecture et depuis cinq 406
six ans on voit augmenter de manière significative les gens qui veulent faire archi. En 407
première année ou en cycle master et je pense que ça, on a plus de gens qui 408
localement savent qu’il y a une école d’archi, qu’elle est là et ça a bien sûr compté. Ça 409
compte beaucoup je dirais dans l’intérêt pour les études d’archi. Le bâtiment est 410
intriguant, il y a plus de gens qui se disent « oh lala, qu’est‐ce que c’est que ce truc » et 411
donc ça oui ça compte dans le fait qu’il y ait plus de gens qui veulent faire archi. Pour 412
la recherche ça compte moins certainement, il y a moins de gens, il y a moins de 413
chercheurs du coup même si ça a des effets, je sais pas on est pas forcément sur ce 414
registre là. 415
LR. Vous avez un regard assez désintéressé finalement… 416
LD. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, je crois qu’il faut voir plus tard. Nous ça nous 417
amuse entre guillemets ce qui se joue autour de ça mais désintéressé ou critique 418
peut‐être. Je dirais que nous, on continuera à travailler de manière assez proche 419
même sans le Quartier de la création. Ça ne changera pas grand chose pour nous. 420
LR. Vous faites vraiment la différence entre une stratégie de développement d’une 421
école et les activités d’un laboratoire ? 422
LD. Ça peut‐être différencié oui. Ça ne va pas forcément dans le même sens. Alors 423
qu’est‐ce que ça peut… stratégie de développement de l’école, comme je le disais tout 424
à l’heure, il y a de plus en plus de partenaires, on peut être plus sollicité qu’avant. On 425
est plus visible donc étant plus visible on est contacté en disant est‐ce que, qui 426
pourrait faire ceci, qui pourrait faire cela ? Faire de l’expertise. On est plus sollicité. 427
Après je vous disais, c’est vrai que du côté de la recherche globalement les chercheurs 428
surtout en sciences sociales, c’est notre cas de figure, je dirais qu’on n’a pas 429
spécialement besoin d’être sollicités. Nous on aura à solliciter des gens dans le cadre 430
de notre recherche mais… 431
LR. Justement vers qui dirigez‐vous la médiation de vos travaux ? 432
LD. Bah nous ça dépend de nos objets de recherche. Nous on sollicite parfois surtout 433
les acteurs publics : ville de Nantes, Nantes Métropole. Après ça peut être des acteurs 434
ANNEXES 131
ministériels sur des appels d’offre de recherche en disant « nous on aimerait bien 435
travailler là‐dessus, on veut le faire avec vous en voyant si ça vous intéresse ». Et 436
voilà, on a à construire, je dirais, l’intéressement de ces acteurs. Et on préfère le faire 437
dans ce sens là plutôt que d’être sollicité tout azimut sur des choses qui peuvent être 438
très éloignés de ce que l’on sait faire en disant « ouais on pourrait peut‐être faire ça 439
sauf que c’est pas dans notre programme ». Normalement un labo ça a un projet 440
scientifique tous les quatre ans et du coup on essaye de tenir une sorte de ligne de 441
recherche et donc de plutôt solliciter des gens en demandant si ça les intéresse ou 442
non. On préfère le faire dans ce sens là. Plutôt qu’attendre que des structures 443
viennent nous voir même si on y répond en général en disant « oui on pourrait ». Mais 444
c’est vrai que c’est peut‐être lié à la taille du labo, on est un laboratoire avec une 445
quinzaine de personnes, on a déjà énormément de choses à faire et on est tous 446
complément pris. On a du mal déjà à faire les choses dans lesquelles on est impliqué 447
donc quand vous êtes dans une situation où vous êtes vraiment plein, le fait de 448
rajouter des trucs, c’est plus possible quoi. Ou alors c’est possible si vous changez de 449
taille mais faudra recruter des gens, avec quel argent ? C’est là qu’on tombe sur des 450
questions plus décisives de comment on assure la stabilité économique de certains 451
postes. Comment on finance tout ça ? Et est‐ce qu’il faut qu’on finance par de la 452
recherche contractuelle ou est‐ce qu’on n’a pas besoin aussi de postes plus 453
permanents pour faire bien de la recherche ? On rejoint quasiment les questions de 454
politique scientifique au niveau national. C’est vrai qu’il y a aussi cette question là 455
qu’il ne faut pas perdre de vue que la recherche est liée au territoire et nous on l’est 456
pas mal. Mais en même temps on est des fonctionnaires mais pas des fonctionnaires 457
territoriaux. Faudrait pas imaginer que la recherche maintenant est financée 458
uniquement par le niveau local. C’est loin d’être le cas en fait. Les finances ne sont pas 459
du même ordre. C’est un vrai débat aujourd’hui, recherche et enseignement supérieur 460
et territoire, quels liens ? Je pense que c’est aussi pertinent de l’envisager au niveau 461
métropolitain voire régional, le PRES, que de se focaliser sur un territoire qui serait 462
prédélimité et qui s’appellerait Quartier de la création. Donc voilà, c’est pas comment 463
dire, regard désintéressé si on veut, d’une certaine manière pour finir de répondre à 464
la question, en partie oui parce que, vous qui avez lu le bouquin, vous avez vu qu’on a 465
suivi le projet et comme je vous le disais en étant plutôt amusé de ce cluster créatif 466
qui s’appelle autrement, en cinq ou six ans on a énormément d’appellations et du 467
ANNEXES 132
coup on s’est dit, pour garder cette position de recherche il faut qu’on soit assez clair 468
sur le fait qu’on a pas de bille à défendre dans le cadre du Quartier de la création. 469
Alors vous changez de point de vue, changez de casquette et vous vous dîtes « oh moi 470
j’ai besoin d’avoir, euh je sais pas je dis n’importe quoi, des bureaux en plus à côté de 471
l’école des Beaux‐Arts », là du coup vous êtes un acteur mais c’est compliqué de 472
garder la position de chercheurs comme par exemple celle qui nous a amené à suivre 473
des réunions, on a suivi des réunions y compris l’an dernier sur l’idée voilà de 474
montage, Quartier de la création, etc. on suivait plutôt ces réunions en disant il faut 475
qu’on soit plutôt observateurs voyant le jeu de positionnement des uns et des autres 476
et finalement si vous relisez les dix pages dans le bouquin où on essaye de, dans le 477
chapitre « une offre urbaine complexe », d’analyser l’irruption de ce Quartier de la 478
création, on est sur un mode oui, désintéressé. Sinon on serait déjà des partisans 479
criant haut et fort que l’économie de la connaissance va donner un nouveau souffle 480
aux activités métropolitaines, etc. Je suis beaucoup plus dubitatif en réalité. Faut pas 481
lâcher l’économie industrielle. 482
LR. Justement ce Quartier de la création met en avant les industries créatives, quelle 483
est la portée de ce secteur et comment intégrez‐vous votre activité dans ce secteur ? 484
LD. Vous allez trouver que je suis assez critique mais secteur comme cette notion là je 485
la trouve mais qu’est‐ce qu’elle nous apporte de plus par rapport à avant ? Je ne sais 486
pas trop. Nul doute qu’on soit, qu’on participe à essayer par des nouveaux concepts 487
d’analyse à déplacer un certain nombre de choses. Après on peut appeler ça de 488
l’innovation si l’on veut. Si vous voulez on assiste quand même aujourd’hui à un 489
langage qui nous amène par exemple à nous demander dans la recherche à identifier 490
euh « les leviers d’innovation », « faire sauter les verrous ». Et en même temps quand 491
vous faites des sciences sociales, vous ne vous posez pas ces questions et vaut mieux 492
pas se les poser si l’on veut vraiment être créatif, je pense. Et donc c’est une sorte 493
d’injonction à la créativité, qui est à mon avis une vraie idéologie aujourd’hui. Donc 494
c’est pour ça que nous à la fois on est plutôt prudent, en se disant pourquoi pas, mais 495
du coup quelles seraient les économies qui ne seraient pas créatives, ça veut dire quoi 496
quand on est pas dedans ? C’est quoi une économie créative ? Qu’est‐ce que c’est que 497
ça ? Alors on voit bien ce que ça pourrait être : archi, juriste, communication, médias, 498
etc. Pourquoi on dit ça créatif par rapport aux autres ? Je ne sais pas moi je suis plutôt 499
ANNEXES 133
perplexe. Et puis effectivement le fait de résister un peu à un langage qui tout d’un 500
coup nous amènerait à devoir intégrer des éléments qui sont, dont on voit bien d’où 501
ils viennent. Ça vient de la recherche‐développement, ça vaut pour certaines 502
disciplines, de la recherche appliquée. Par exemple cette expression «faire sauter les 503
verrous », si vous faîtes de la sociologie ou de la géographie, ça n’a aucun sens. 504
LR. Ça veut dire quoi d’ailleurs ? 505
LD. Pour eux faire « sauter les verrous » de l’innovation, ça veut dire en gros quels 506
sont les blocages, quels sont les freins qui font qu’on ne peut pas se lancer dans telle 507
ou telle innovation. Alors vous pouvez très bien l’avoir dans la recherche appliquée 508
quand il s’agit de développer tel ou tel produit, etc. Je crois qu’on est plutôt sur une 509
recherche de sciences sociales, je crois que c’est pas forcément quelque chose de 510
pertinent. Donc là il y aura peut‐être un peu plus d’attente sur l’économie du logiciel, 511
des choses comme ça. On voit bien que c’est surtout de chercher quelque chose 512
d’application même si par rapport à d’autres agglos, on n’a pas d’affichage de 513
thématiques très fortes. À Lyon ils sont plutôt jeux vidéos. Nous on n’a pas d’affichage 514
de thématiques très fortes. Et vous savez il y a même des acteurs qui sont plutôt 515
réticents parce qu’on a pas un marché type, parce qu’il y a pas des choses comme ça. 516
Est‐ce qu’il faut se dire, à partir du moment où on aura un labo qui regroupera X 517
chercheurs, c’est suffisant pour certaines choses ? On pourra mettre ça en avant dans 518
la communication, Nantes Métropole le fera, j’en suis persuadé, après concrètement 519
ça veut pas dire forcément grand chose au jour le jour. Donc, c’est pas, vous êtes peut‐520
être en désaccord par rapport à cette manière sur ce qui ferait le changement mais je 521
pense qu’il y a quand même tout un élément de survalorisation de ce que produirait 522
le rapprochement de gens qui sont censés être des créatifs. Bon sachant que moi‐523
même je n’utilise pas ce terme là. Et encore moins sur l’idée qu’il y aurait des créatifs 524
et d’autres qui ne le sont pas. Alors bien‐sûr, on peut toujours dire que les architectes 525
sont des créatifs mais une fois qu’on a dit ça, qu’est‐ce qu’on a dit ? C’est plutôt 526
d’analyser de quoi ils ont besoin, qu’est‐ce que ça produit le rapprochement avec 527
d’autres et ce qui va être intéressant c’est d’analyser par exemple qu’est‐ce que 528
produit le rapprochement d’univers différents ? Est‐ce que ça produit quelque chose 529
en plus ? est‐ce que ça produit du réseau ? Est‐ce que ça produit des rencontres et 530
donc des savoir‐faire nouveaux ? Pour moi il faut regarder ça dans l’histoire des 531
ANNEXES 134
trente dernières années d’économie en ce disant qu’il y a eu les technopoles, les 532
fertilisations croisées, on parlait de ça beaucoup dans les années 1980, et puis après 533
on passe à un autre registre. Et puis je dirais qu’aujourd’hui l’économie de la 534
connaissance et le Quartier de la création, c’est un peu une nouvelle formule de ça. 535
D’ailleurs dans à peu près toutes les agglos françaises, il y a l’idée d’un Quartier de la 536
création. On se dit tiens, nouvelle recette miracle ? Pour quelles fins ? Qu’est ce que ça 537
change ? 538
Nous la particularité de ce que je peux être comme acteur dans vos rencontres c’est 539
qu’on a plutôt une position comme la vôtre qui serait d’analyser ce qui se joue, qu’est‐540
ce que ça révèle des transformations en cours de l’action publique, de la coopération 541
entre acteurs ? Après est‐ce que ça changera, on verra bien, il est trop tôt pour le dire. 542
Et puis il y aura des évaluations évidemment de ça. 543
LR. En terme de mutualisation matérielle, vous voyez des choses à faire ? Par exemple 544
les amphithéâtres ? 545
LD. Oui ça pourrait sûrement se faire déjà quand tout à l’heure on parlait des locaux 546
qui sont pas mal sollicités ici et si on a l’école des Beaux‐Arts qui vient, si on a un 547
département de l’Université ou un autre, je pense que là en terme de certainement 548
gagner à ça et puis après et ça, ça peut compter des plateformes d’utilisation ou de 549
mutualisation de moyens de la recherche. On l’a fait au niveau de l’école 550
d’architecture avec un centre de recherche commun à différents laboratoires et on 551
pourrait imaginer le déployer à une plus grande échelle. C’est tout à fait à envisager 552
mais après c’est, si on a je dirais globalement une convergence de labos, je pense que 553
ça pourrait avoir du sens. Faudrait imaginer que les acteurs se mettent au travail, y 554
compris des gens comme nous qui pourraient être pris comme désintéressés. Ça peut 555
avoir du sens. 556
LR. Est‐ce que vous avez des projets d’internationalisation ? 557
LD. Ouais ça ça fait partie, on travaille un peu sur certains programmes de manière 558
internationalisée y compris avec un programme de recherche pour l’OCDE par 559
exemple. Ça nous emmène vers loin. Après voilà ça reste aujourd’hui une injonction 560
où on vous dit pour que la recherche soit visible, il faut qu’elle soit internationale. Il 561
faut bien regarder derrière ce qu’on entend par internationalisation. Est‐ce que c’est 562
ANNEXES 135
une injonction ou est‐ce que c’est une pratique de chercheurs qui travailleraient 563
plutôt avec des pays européens ? Est‐ce que le Quartier de la création peut amener 564
une aide là‐dessus ? L’Université a un service qui aide à repérer des bourses, des 565
moyens, etc. Peut‐être que ça peut être mis à côté du Quartier de la création. 566
LR. Et par rapport au traité de Bologne qui essaye d’unifier la recherche européenne 567
et qui pousse de plus en plus à la mobilité des étudiants. Donc pour vous aussi, ça 568
veut dire des choses pour l’avenir. 569
LD. Oui, mais ça je le distinguerais du coup du Quartier de la création. Ça clairement 570
ça a eu des effets, on est passé à la Licence‐Master‐Doctorat et on a par exemple 571
ERASMUS, une grosse mobilité à l’école d’archi. C’est pas assez développé pour les 572
profs. Bon l’enjeu pour l’école d’archi c’est peut‐être d’avoir plus de continuité dans 573
les coopérations. On en a au niveau de l’Europe pas mal, le Canada, avec l’Amérique 574
du Sud un peu, deux ou trois pays, le Brésil. Ça prend du temps de construire des 575
coopérations. 576
LR. Une dernière question pour finir l’entretien, quel elest la vision de l’enseignement 577
dans le rapport prof‐étudiant ? 578
LD. À la différence de ce que l’on peut connaître à l’Université, il y a un rapport de 579
proximité avec l’étudiant qui est quand même assez fort et qui fait qu’on n’a pas du 580
tout les mêmes rapports que ceux que l’on peut connaître à l’Université. D’une part il 581
y a des effectifs qui font qu’on a moins de monde et qu’on n’a pas des amphis remplis 582
et surtout il y a la pratique avec les projets et qui fait qu’on travaille toujours avec les 583
étudiants sur un nombre assez restreint. En gros souvent on compte un enseignant 584
pour vingt étudiants. Avec un projet sous un mode où l’on retravaille toutes les 585
semaines, où l’on représente des choses, la question de la fabrique (côté artisanal 586
différent de l’École de Design) est beaucoup plus forte qu’à l’Université. C’est savoir 587
ce qu’on évalue, comment on va le valider au bout du semestre. Cette question d’être 588
au contact est plus forte, elle est beaucoup plus stimulante je trouve. J’ai l’impression 589
que du coup on a des étudiants qui sont globalement assez motivés et pas trop loin de 590
ce qui se passe dans l’enseignement. C’est quand même une particularité. 591
LR. Vos étudiants vous les considérez comment ? Apprentis ? Étudiants ? 592
ANNEXES 136
LD. Ça, ça dépend sûrement des enseignants mais c’est plutôt et surtout plus on 593
avance dans les études, quelqu’un avec qui on va partager une réflexion, coproduire 594
parfois un objet de recherche par exemple. Il y a du coup aussi l’apprenti bien sûr 595
mais globalement un partenaire pour explorer quelque chose dans le cadre d’une 596
enquête par exemple comme on peut faire de temps en temps. On fait pas mal de 597
terrain. La pratique du terrain, elle est quand même plutôt décisive par rapport à 598
certaines autres formations qui sont moins sur le savoir‐faire ou sur la pratique elle 599
même A priori on attend d’un archi à la fin qu’il sache bien décrypter une situation, un 600
terrain, connaître les intervenants. 601