universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

77
CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts Article écrit par Corinne DEBAINE-FRANCFORT, Daisy LION-GOLDSCHMIDT, Michel NURIDSANY, Madeleine PAUL-DAVID, Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS, Pierre RYCKMANS, Alain THOTE Prise de vue Les tendances esthétiques chinoises ordonnent les créations artistiques selon une hiérarchie profondément différente de celle de l'Occident : elles tiennent compte de leur lien plus ou moins direct avec l'esprit. L'écriture – et donc la calligraphie, véhicule par excellence de la pensée – prend ainsi la première place qu'elle partagera avec la peinture. Architecture et sculpture sont en revanche considérées comme œuvres d'artisans, de professionnels, au même titre que la céramique, le bronze, le laque ou l'orfèvrerie. Cette distinction entre des arts gratuits, animés par la seule quête spirituelle, apanage des « lettrés », et des arts de commande liés à la religion, aux exigences du monde officiel ou de la vie quotidienne, demeure essentielle. Cette primauté de l'esprit n'exclut cependant pas l'amour des matières précieuses en ce pays qui révéla au monde la soie, le laque, la porcelaine, et qui porta à sa plus haute perfection la technique du bronze. Le connaisseur chinois, sensible au rythme de la ligne, le fut aussi au raffinement visuel et tactile qui seul peut donner à la jouissance esthétique sa véritable dimension. Si l'on excepte certaines manifestations religieuses de l'art chinois (les bronzes archaïques, l'art funéraire et la sculpture bouddhique), il semble que la création artistique soit ici marquée par la recherche de la pérennité à travers l'éphémère et le fluctuant. Les matériaux d'abord en témoignent, périssables par essence : papier, bois, laque, soie, porcelaine. Les thèmes en sont aussi l'illustration, goût du transitoire, importance accordée à la fluidité d'une sensation, à la fragilité d'un moment, thèmes à travers lesquels la poésie comme la peinture à l'encre atteignent l'intemporel. Sur le plan stylistique, enfin, l'animation constante de la ligne, la prédominance du mouvement, de l'aigu, de l'oblique, de l'onde apparaissent comme le dénominateur commun de créations très différentes. La première impression que laisse l'art chinois à celui qui tente d'en approfondir l'approche est peut-être celle d'une immense diversité temporelle et spatiale. Marqué, dès l'abord, par une continuité de trois millénaires, cet art s'est épanoui sur un continent dont les variations régionales se révèlent très marquées. La continuité temporelle n'a d'ailleurs jamais impliqué, en Chine, l'uniformité ; chaque siècle apporta ses innovations, ses dominantes, son potentiel d'évolution. Il ne faut pas oublier enfin que notre connaissance de cet art, liée aux découvertes archéologiques et aux recherches historiques, est encore dans l'adolescence, et que chaque jour apparaissent de nouvelles données éclairant des manifestations artistiques jusqu'alors ignorées. Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS I- Évolution générale La critique picturale apparaît en Chine au IV e ou au V e siècle de notre ère, mais les œuvres transmises de génération en génération, ainsi que les monuments, ne sont que rarement antérieures au X e siècle. Aussi, l'art qui s'est constitué avant la chute des Tang doit-il beaucoup de son histoire aux innombrables découvertes faites dans le sol chinois à partir des années vingt. Étant assujettie à l'archéologie, la connaissance que nous avons de cet art s'appuie sur des œuvres dont la beauté n'était, pour leurs contemporains, qu'un critère secondaire en regard de leur destination, de leur fonction rituelle ou de leur caractère symbolique. Dans leur majorité, les pièces qui jalonnent l'évolution de l'art chinois sont en effet associées à des pratiques funéraires. Elles reflètent souvent le goût des classes favorisées de la société à des époques et en des lieux où ces classes jouissaient d'une relative quiétude. Enfin, leur appréciation esthétique ne saurait faire oublier qu'elles sont d'abord des documents sur un passé que seuls des textes

Transcript of universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Page 1: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts

Article écrit par Corinne DEBAINE-FRANCFORT, Daisy LION-GOLDSCHMIDT, MichelNURIDSANY, Madeleine PAUL-DAVID, Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS, PierreRYCKMANS, Alain THOTE

Prise de vue

Les tendances esthétiques chinoises ordonnent les créations artistiques selon une hiérarchieprofondément différente de celle de l'Occident : elles tiennent compte de leur lien plus ou moins direct avecl'esprit. L'écriture – et donc la calligraphie, véhicule par excellence de la pensée – prend ainsi la premièreplace qu'elle partagera avec la peinture. Architecture et sculpture sont en revanche considérées commeœuvres d'artisans, de professionnels, au même titre que la céramique, le bronze, le laque ou l'orfèvrerie.Cette distinction entre des arts gratuits, animés par la seule quête spirituelle, apanage des « lettrés », et desarts de commande liés à la religion, aux exigences du monde officiel ou de la vie quotidienne, demeureessentielle. Cette primauté de l'esprit n'exclut cependant pas l'amour des matières précieuses en ce pays quirévéla au monde la soie, le laque, la porcelaine, et qui porta à sa plus haute perfection la technique dubronze. Le connaisseur chinois, sensible au rythme de la ligne, le fut aussi au raffinement visuel et tactile quiseul peut donner à la jouissance esthétique sa véritable dimension.

Si l'on excepte certaines manifestations religieuses de l'art chinois (les bronzes archaïques, l'art funéraireet la sculpture bouddhique), il semble que la création artistique soit ici marquée par la recherche de lapérennité à travers l'éphémère et le fluctuant. Les matériaux d'abord en témoignent, périssables paressence : papier, bois, laque, soie, porcelaine. Les thèmes en sont aussi l'illustration, goût du transitoire,importance accordée à la fluidité d'une sensation, à la fragilité d'un moment, thèmes à travers lesquels lapoésie comme la peinture à l'encre atteignent l'intemporel. Sur le plan stylistique, enfin, l'animationconstante de la ligne, la prédominance du mouvement, de l'aigu, de l'oblique, de l'onde apparaissent commele dénominateur commun de créations très différentes.

La première impression que laisse l'art chinois à celui qui tente d'en approfondir l'approche est peut-êtrecelle d'une immense diversité temporelle et spatiale. Marqué, dès l'abord, par une continuité de troismillénaires, cet art s'est épanoui sur un continent dont les variations régionales se révèlent très marquées.La continuité temporelle n'a d'ailleurs jamais impliqué, en Chine, l'uniformité ; chaque siècle apporta sesinnovations, ses dominantes, son potentiel d'évolution. Il ne faut pas oublier enfin que notre connaissance decet art, liée aux découvertes archéologiques et aux recherches historiques, est encore dans l'adolescence, etque chaque jour apparaissent de nouvelles données éclairant des manifestations artistiques jusqu'alorsignorées.

Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS

I- Évolution générale

La critique picturale apparaît en Chine au IVe ou au Ve siècle de notre ère, mais les œuvres transmises de génération en génération, ainsi que les monuments, ne sont que rarement antérieures au Xe siècle. Aussi, l'art qui s'est constitué avant la chute des Tang doit-il beaucoup de son histoire aux innombrables découvertes faites dans le sol chinois à partir des années vingt. Étant assujettie à l'archéologie, la connaissance que nous avons de cet art s'appuie sur des œuvres dont la beauté n'était, pour leurs contemporains, qu'un critère secondaire en regard de leur destination, de leur fonction rituelle ou de leur caractère symbolique. Dans leur majorité, les pièces qui jalonnent l'évolution de l'art chinois sont en effet associées à des pratiques funéraires. Elles reflètent souvent le goût des classes favorisées de la société à des époques et en des lieux où ces classes jouissaient d'une relative quiétude. Enfin, leur appréciation esthétique ne saurait faire oublier qu'elles sont d'abord des documents sur un passé que seuls des textes

Page 2: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

anciens permettaient naguère d'approcher.

De la légende à l'histoire : les Xia et les Shang (env. fin du IIIemillénaire-XIe s. av. J.-C.

La mise au jour de vestiges attribués à la légendaire dynastie des Xia apporte une révélation comparableà celle qu'avaient fournie, à la fin des Qing, la reconnaissance et le déchiffrement des os divinatoires desShang, puis, à partir de 1928, la fouille du site d'Anyang. Aujourd'hui, tout donne à penser que les Xia – unedynastie ? un État ? une population ? – ont bien précédé les Shang ; contrairement à ces derniers, ilssemblent ne pas avoir laissé d'écrits rendant possible l'identification de leur culture parmi l'ensemble desvestiges du début du deuxième millénaire. Si des légendes se rapportent à eux dans quelques régions de laChine centrale, c'est près de Luoyang qu'une culture pré-Shang ne relevant plus du Néolithique offre unecertaine consistance. En effet, deux établissements de cette région annoncent la formation de la cité : lesruines d'une enceinte en terre damée découverte à Wangchenggang et les fondations de deux bâtiments,palais ou temples, à Erlitou (vers 2200-1600 av. J.-C.). Originaires de Erlitou, les premiers bronzes sont descouteaux et des vases aux parois minces, imitant souvent des terres cuites. Cette soumission à un modèlerévèle bien la naissance d'un art dont la gestation n'a cependant pas encore été reconstituée. Des tombesdu début des Shang (Erlitou, périodes IV et V) ont livré de belles armes rituelles en jade, des fragments delaques rouge de cinabre et deux plaques en bronze incrusté de turquoise dont le décor préfigure le motifénigmatique du taotie, masque animalier fantastique aux yeux globuleux, dépourvu de mâchoire inférieure.

Os divinatoire, civilisation Shang

En 1898-1899, des milliers de fragments d'écaille de tortue et d'os de bovidés comportant desinscriptions oraculaires furent trouvés à Xiaotun, près d'Anyang, dans la province du Henan enChine. Le savant Luo Zhenyu établit en 1915 qu'il s'agissait d'os divinatoires remontant à ladynastie Shang (env. XVIe s.-1050 avant J.-C.). British Museum, Londres.(The Bridgeman ArtLibrary/ Getty)

-2000 à -1000. Les empires du Bronze

Âge du bronze. Expansion de l'architecture collective. Apogée de l'Égypte.Au IIe millénaires'épanouissent les grandes civilisations de l'Âge du bronze.En Mésopotamie d'abord, où rayonnebrièvement le premier Empire babylonien, avec Hammourabi et son célèbre codejuridique.L'Égypte pharaonique connaît également un épanouissement brillant sous le MoyenEmpire, avant d'atteindre, sous le Nouvel Empire, l'apogée de sa …(2005 EncyclopædiaUniversalis France S.A.)

Le site de Zhengzhou s'inscrit entre la phase Erlitou (périodes I à III ou IV) et la phase Yin (début XIVe-XIes. av. J.-C.) qui doit son nom à la dernière capitale des Shang. Protégée par des fortifications en terre daméede 9 à 10 mètres de hauteur et de près de 7 kilomètres de longueur, cette ville de plan presque carrécomprenait plusieurs quartiers aux fonctions distinctes. Les vases en bronze que l'on a retrouvés enfouisdans les fondations ou déposés dans des tombes occupent alors une place importante dans le rituel. Leursformes se diversifient mais acquièrent surtout un équilibre des proportions qui manquait aux premièrespièces. Le décor, d'abord limité en surface et relativement abstrait, couvre bientôt tout l'objet ens'enrichissant de thèmes animaliers. L'apparition de formes architecturées est imputable à la technique de lafonte en sections de moule qui conduit à disposer le décor en registres horizontaux, à accentuer les profilsanguleux et à masquer les raccords par des arêtes.

On est mieux documenté sur la phase Yin grâce aux milliers d'inscriptions oraculaires déchiffrées depuis le début du XXe siècle et portant sur les campagnes militaires, les sacrifices mais aussi sur la chasse ou l'agriculture. Ces informations donnent tout leur sens aux vestiges exhumés près d'Anyang. Le site, traversé par une rivière, comprend au nord la nécropole royale, et au sud les fondations de plusieurs édifices, des palais sans doute, des vestiges d'habitations et d'ateliers, et de petites tombes. Découverte en 1976 dans la zone sud, la tombe inviolée d'un personnage très important, peut-être Fu Hao, l'une des épouses du roi Wu

Page 3: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Ding (fin du XIVe ou fin du XIIIe s. av. J.-C.), renfermait, malgré des dimensions réduites, quelque 1 600 piècesde mobilier. Qu'il s'agisse de minuscules amulettes en jade ou de grands vases en bronze, une mêmeinspiration puisant ses sources dans un bestiaire où se côtoient animaux réalistes et créatures fabuleusesnourrit presque toutes ces œuvres. Dans l'art des Shang, le taotie occupe une place centrale tandis quel'homme n'est que rarement évoqué. Ces dispositions ne répondent pas à des critères purement esthétiques,et le décor des bronzes, aussi complexe dans le détail des motifs que dans les associations qu'il met en jeu,attend toujours une interprétation d'ensemble capable d'expliciter ses liens avec la religion.

Vase rituel en forme de tigre, dynastie Shang, Chine

Vase rituel en forme de tigre. Bronze. Dynastie Shang. XIIIe siècle avant J.-C. Arthur M. SacklerMuseum, Havard University, Cambridge, Massachusetts, États-Unis.(Bequest of Grenville L.Winthrop, The Bridgeman Art Library/ Getty)

Dès cette époque sont produites des pièces promises à une longue histoire : des cloches et des miroirsen bronze, des chars. Aux découvertes d'Anyang s'ajoutent de très nombreux vestiges similaires, dispersésentre le Liaoning et le fleuve Bleu, qui rendent compte du large rayonnement, direct ou indirect, de lacivilisation des Shang. Si l'étendue de leur territoire demeure conjecturale, il est probable que les membresde la noblesse disposaient d'un pouvoir sur des terres assez éloignées de la capitale. Ainsi, la cité-palaisexhumée à Panlongcheng au Hubei en 1974 présente de grandes affinités avec le site contemporain deZhengzhou, malgré la distance qui l'en sépare. Beaucoup de sites de la phase Yin, comme Taixicun au Hebei,portent également la marque de ce rayonnement, alors que des régions plus lointaines comme le Hunan, oùune métallurgie originale a été révélée, témoignent d'échanges répétés avec la métropole et detransmissions de techniques.

Formation des principautés. Diversité des cultures : les Zhou(env. XIe s. av. J.-C.-221 av. J.-C.)

Vers le milieu du XIe siècle, les Zhou, qui étaient établis au Shaanxi, se disent mandatés par le Ciel ; ilsrenversent la royauté et fondent leur capitale près de l'actuelle Xi'an. Dès le début de la dynastie, l'art seressent de ces bouleversements car les Zhou possédaient une tradition du bronze et du jade qui, tout enétant tributaire de celle des Shang, s'en démarquait sensiblement. Ces changements se traduisent par laprésence sur les vases de longues inscriptions attestant qu'ils ne sont plus fondus pour les seuls besoins dela religion mais pour commémorer des événements. Formes et décors subissent le contrecoup de cetteévolution qui donne plus de liberté aux bronziers. La figure du taotie en perdant de son intégrité se fond aumilieu de motifs géométriques déjà plus nombreux, d'oiseaux à longue crête, de dragons et de combinaisonsd'animaux souvent arbitraires dans lesquelles les artisans excellent. Les motifs dont la cohérence est ainsimise en péril vont tendre progressivement vers l'abstraction ou ne retenir de leur configuration initiale que lemouvement dont ils étaient animés. Quant aux formes, d'audacieux ornements en haut relief viennent entempérer le caractère massif. Dans la Chine du Centre et du Nord, région mieux contrôlée par les Zhou, on aretrouvé quantité de pièces datées des trois premiers siècles de la dynastie, surtout des bronzes et desjades, parfois des vases en bois laqué incrusté de coquillages. Dans le Sud, une tradition de grès à couvertese constitue vers le Xe siècle. Fortes d'une telle avance technique, les régions du Jiangsu et du Zhejiangdonneront naissance au début de notre ère aux premiers céladons.

Le sac de la capitale Zhou en 771 par des nomades venus des Ordos devait considérablement affaiblir le pouvoir royal contraint de s'établir à Luoyang. Les rivalités entre les principautés issues des fiefs créés par les Zhou se traduisent par des guerres incessantes et par l'affirmation d'entités culturelles régionales distinctes. Mais, en même temps, les relations qui se nouent entre tous les pays favorisent l'échange des idées et des biens. Malgré les incertitudes du temps, les principautés – depuis les plus grandes comme Chu ou Qin jusqu'aux plus petites, réhabilitées par de prestigieuses découvertes, comme Zeng ou Zhongshan – concourent au développement d'un art dominé par de vifs contrastes de couleurs ou de matières et un sens inné du rythme. Le mobilier des tombes princières se partage désormais entre les insignes du pouvoir que

Page 4: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

sont les vases rituels ou les armes et d'autres pièces de caractère profane destinées à assurer la survie dudéfunt dans un au-delà construit sur le modèle de la vie d'ici-bas. Conventionnels par nature, les premiersattestent un réel déclin de la qualité dès le IVe siècle et se voient supplantés par les secondes où seconcentre tout le génie de l'époque. Les bronzes entrent dans une période très féconde grâce aux multipleseffets tirés de l'entrelacs. Cet ornement apparu vers le IXe siècle pourrait émaner du décor des laques aurendu plus fluide. Aussi différente que soit leur expression, les arts du bronze et du laque se font alors écho.De plus, ils bénéficient, au même titre que le jade ou la soie, de progrès techniques décisifs pour leur avenir.L'ampleur des progrès de la métallurgie a pu être mesurée grâce à la découverte des vestiges d'une mine decuivre à Tonglüshan dans le Hubei et d'un important atelier du bronze à Houma dans le Shanxi. Beaucoupd'interrogations subsistent cependant sur cet art inventif dont les produits ont largement circulé, mais dontcertaines créations originales n'ont, semble-t-il, pas fait d'émules, comme ces bronzes de Leigudun (fin du Ve

s.) dont le décor réticulé pourrait avoir été fondu à la cire perdue. Témoins de contacts plus lointains, lesagrafes de ceinture et quelques thèmes animaliers pénètrent en Chine vers le VIe siècle. Les plus anciennesscènes figurées que nous connaissons, datées des VIe-Ve siècles, doivent leur survie au support utilisé, lelaque peint et le bronze incrusté ou incisé. Elles illustrent surtout la vie des princes, alors que les deuxpremières peintures sur soie (IVe-IIIe s.), qui proviennent de Changsha, ont pour thème l'ascension du défuntvers l'immortalité.

Naissance de l'art impérial : les dynasties Qin (221-207 av.J.-C.) et Han (206 av. J.-C. - 220 apr. J.-C.)

Après s'être épuisées dans de vaines luttes, les principautés ne purent résister aux assauts du royaumede Qin, mieux organisé, qui les réunit en 221 et proclame l'empire. Le nouvel ordre social imposés'accompagne de prodigieux travaux (Grande Muraille, palais, etc.). Mais les activités artistiques les plussensibles du règne de Qin Shi huangdi restent attachées à sa sépulture : le tumulus de 350 mètres de côtéqui signale son emplacement, à l'est de Xi'an, a livré en 1981 sur son flanc occidental deux chars de bronzeen modèle réduit. La découverte, à l'extérieur du tumulus en 1974, de plus de 6 000 guerriers a révélé que leprogramme du mausolée était autrement plus ambitieux. Les statues composant cette armée, dont laprésence avait une vertu magique, sont idéalisées par la taille (hauteur entre 1,75 et 1,96 m) mais le rendude la posture, du visage qui est individualisé, du vêtement, est réaliste. Ce type de sculpture qui n'avaitjamais atteint à cette vérité procède des mannequins en bois placés dans les tombes dès le VIe siècle etpeut-être antérieurement, notamment à Chu. Il s'agit là des premières manifestations d'une statuairevraiment autonome, une fonction utilitaire ayant été souvent assignée à la sculpture monumentale par lepassé. Ainsi un art impérial, bientôt fertile en créations de toutes sortes, voit-il le jour. Bien qu'il tire ici soninspiration de la guerre, exaltée jusqu'à la démesure, il sait garder des accents profondément humains.

Les troubles qui suivirent la mort de l'empereur en 210 ne s'apaisèrent que quelques années après la fondation de la dynastie Han, qui restaura la féodalité tout en s'appuyant sur les structures héritées des Qin. Jusqu'au règne de Wudi (140-87 av. J.-C.), les créations suivent les formules en vigueur à la fin des Zhou. Ainsi, dans l'ancien pays de Chu, où une tradition artistique à la fois puissante et originale s'était élaborée, le laque supplante-t-il le bronze. À la limite de l'abstraction, ses motifs font preuve d'une constante invention et, quand ils ne répondent pas à l'ornementation des soieries brodées ou façonnées et des céramiques, c'est pour rivaliser avec la peinture sur soie dont plusieurs chefs-d'œuvre ont été retrouvés dans deux des trois tombes de Mawangdui. Dans la bannière en T de la tombe no 1, la parfaite maîtrise du trait et l'équilibre savant de la composition qui représente l'ascension vers l'immortalité prouvent que cette peinture s'inscrit dans une tradition solidement établie. La politique expansionniste des Han vers le sud, dont l'empreinte est visible jusqu'à Canton (sur les pièces provenant de la tombe du deuxième roi de Nanyue, fin du IIe siècle av. J.-C.), et l'ouverture de la route de la Soie (Ier s. av. J.-C. ?) ont pour conséquence l'apparition de thèmes exotiques dans l'iconographie. Parallèlement, avec la prospérité croissante de l'empire, un art de cour se reforme, plus serein que n'était celui de Qin. Plusieurs sépultures de membres de la famille impériale, comme celles de Mancheng au Hebei, ont livré des objets utilisés du vivant de leur propriétaire – lampes, brûle-parfums, etc. –, dont les qualités plastiques alliées à une réelle ingéniosité sont servies par les matières les plus précieuses. De la même époque datent les premières sculptures en pierre connues : elles bordaient

Page 5: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

l'allée conduisant au tumulus d'un général mort en 117 avant J.-C. : leurs formes à peine dégagées du granitopposent à tous les raffinements de la cour la force d'une expression sans fard.

-200 à 200 apr. J.-C. La loi romaine

Mochica et Nasca dans les Andes. Les Han en Chine. Rome.Les quatre siècles qui encadrent ledébut de notre ère sont caractérisés par la prédominance de vastes empires.En Occident toutd'abord, la république romaine supplante l'empire carthaginois dans la domination des rives dela Méditerranée occidentale.Dans les deux siècles suivants, elle intègre tout le bassin …(2005Encyclopædia Universalis France S.A.)

Bannière de Mawangdui

Détail de la bannière découverte dans la tombe no 1 de Mawangdui, près de Changsha, dans laprovince du Hunan, en Chine. Partie supérieure, à droite, le disque solaire renferme un corbeaunoir, au-dessous, les huits soleils que l'archer Yi a abattus. Époque des Han occidentaux (206 av.J.-C.-8 apr. J.-C.). Prêté au British Museum, …(The Bridgeman Art Library/ Getty)

Cheval céleste, Chine

Ce bronze datant du IIe siècle après J.-C. est une figuration d'un cheval céleste. Il est représentégalopant, un pied en appui sur un oiseau en vol. Sous la dynastie des Han, grâce aux expéditionsde Zhang Qian, les Chinois découvrent les puissants chevaux célestes de la vallée du Fergana.Les besoins des Han en …(Erich Lessing/ AKG)

Une mutation radicale intervient alors dans la conception des tombes qui depuis plus d'un millénaireconsistaient en une fosse verticale abritant plusieurs cercueils emboîtés. Les plus riches s'élargissent et sesubdivisent pour traduire dans leur plan l'agencement symbolique d'un palais. Au bois sont progressivementsubstituées la brique et la pierre. Leur usage occasionne un renouvellement des méthodes de constructionsous la forme d'emprunts à l'architecture civile, mais aussi avec la mise au point de la voûte dont l'emploirestera cependant confiné aux tombes. Les surfaces ainsi ménagées s'offrent à une décoration peinte dontl'iconographie allie des thèmes mythologiques ou propitiatoires à des références historiques et à desévocations de la vie terrestre, plaisirs que le défunt souhaite retrouver dans l'au-delà. Les décors deHelingeer (milieu du IIe s.) ou ceux de Jiayuguan, un peu plus tardifs, prodiguent quantité d'informations surla vie matérielle de leur époque mais s'élèvent rarement au-dessus de l'anecdote. En revanche, certainesbriques estampées et certaines pierres gravées aux Ier et IIe siècles sont de véritables chefs-d'œuvre en dépit– ou peut-être à cause – des contraintes imposées par la matière. N'ayant que la ressource de découper dessilhouettes, tout au plus agrémentées de quelques traits et d'un peu de volume, les artistes ont découvert,dans des styles très différents suivant les régions et les moments, la quintessence du mouvement etl'expression la plus synthétique des formes. Les meilleures réussites sont peut-être les scènes de chasse, lesdivertissements avec danseurs et musiciens et les cavalcades de voitures. Si des essais pour figurer l'espaceont été tentés dans bon nombre de ces scènes, le paysage en est exclu, sauf dans les dalles estampées duSichuan, aux IIe et IIIe siècles. La sensibilité à la nature se révèle beaucoup plus dans les mille et uneévocations de la vie à la campagne qu'ont transmis les modèles en terre cuite, les mingqi, de qualité souventmédiocre, mais d'une indéniable sincérité. À la fin de la dynastie, les manufactures officielles déclinent etsont relayées par des artisanats spécialisés suivant les régions : miroirs en bronze dans le bassin du fleuveBleu, premiers céladons de Yue, etc.

Traditions du Nord, traditions du Sud : les Six Dynasties(265-581)

Le repli des régions sur elles-mêmes, perceptible à la fin du IIe siècle, anticipe le morcellement de la Chine. Par-delà les divisions politiques, ce sont deux cultures qui s'opposent et s'influencent tour à tour : celle de la Chine du Nord et celle du bassin du fleuve Bleu. Dans le domaine de la céramique, les expériences dont le Sud est un peu partout le creuset conduisent à l'invention des fours-dragons et à la création de grès

Page 6: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

contenant du kaolin mais n'ayant ni la transparence ni la finesse de la porcelaine. Nul doute que cestechniques ont favorisé le renouveau complet qui s'empare de la forme et du décor des pièces.

En ces temps troublés, les aristocrates lettrés du Sud vont, à l'instar des « Sept Sages de la forêt debambous », trouver refuge dans la nature et composer les premières peintures de paysage. C'est alors quese codifient les grands styles de la calligraphie, un art déjà fort apprécié sous les Han. Si la postérité a retenules noms du peintre Gu Kaizhi (vers 344-vers 406) ou du calligraphe Wang Xizhi (vers 306-361) et reçuquelques reflets de leurs œuvres, elle le doit au travail de copie, de commentaire ou de citation auquel lesartistes chinois se sont très tôt pliés. Parallèlement à ces œuvres où pour la première fois l'émotion del'artiste supplante le savoir-faire de l'artisan, une réflexion s'engage sur le processus de la création et sur lescritères esthétiques intervenant dans une définition du goût. Elle aboutit, notamment, au début du VIe siècle,à l'énoncé des Six Principes sur la peinture par Xie He.

Si l'on excepte les sculptures rupestres de Kongwangshan (près de Lianyungang, Jiangsu) illustrantl'interpénétration du bouddhisme naissant et du taoïsme vers le IIIe siècle, l'art religieux n'a laissé que dediscrets vestiges dans les pays méridionaux, puisque tous les temples ont disparu. En revanche, dans leNord, le soutien des dynasties barbares à la nouvelle religion a permis la création de grands sanctuairestaillés dans des falaises. Cette tradition héritée de l'Inde s'est transmise par le relais de plusieurs sites de laroute de la Soie, dont celui de Dunhuang. Les grottes de Yungang et, après 494, celles de Longmen,creusées sous les Wei du Nord (386-534), naissent d'une intense dévotion qui s'exprime dans le souriredélicatement esquissé et confiant des premières configurations du Buddha. Une égale sérénité imprègne lesstatuettes déposées dans les tombes en de longues processions de musiciennes et de servantes à la grâcenonchalante, de gardes à l'allure débonnaire et de toutes sortes de personnages savoureux.

L'empire reconstitué : les dynasties Sui (581-618) et Tang(618-907)

Au cours du VIe siècle, les relations entre le Nord et le Sud s'amplifient constamment sous la formed'échanges économiques qui favorisent le mouvement des hommes et la diffusion des idées. Le mérite de laréunification revient à la dynastie Sui qui, tout éphémère qu'elle ait été, n'en a pas moins exercé uneinfluence décisive sur les arts. Une politique très audacieuse de grands travaux se concrétise en particulierdans l'édification d'une capitale grandiose, à l'urbanisme étonnamment fonctionnel, Chang'an. Del'architecture des Sui, il ne subsiste rien ; cependant, nous pouvons considérer que le sarcophage d'unefillette enterrée en 608 près de Xi'an offre la parfaite réplique d'un élégant pavillon dont la toiture couronnéepar un puissant faîtage s'incurve avec douceur. La statuaire bouddhique, finement modelée dans l'argile àDunhuang et à Maijishan, ou taillée dans la pierre des grands sanctuaires rupestres de la Chine centrale,utilise enfin toutes les possibilités de la ronde-bosse. Cette conquête progressive de l'espace à laquelle lessculpteurs Sui aspirent transparaît encore dans le domaine profane et funéraire. Les dragons ornant en hautrelief la balustrade du pont Anji de Zhaoxian (Hebei, début du VIIe s.) semblent lutter pour se dégager de lapierre avec laquelle ils font corps. Le mouvement des masses souligné par un trait nerveux annonce lesmeilleures réussites de la statuaire des Tang qui s'est jouée de toutes les matières : laque sec, terre cuitepolychrome ou pierre.

L'unification de la Chine, renforcée au début de la nouvelle dynastie, aboutit à la création d'un empire s'enfonçant très loin dans l'Asie centrale et étendant son influence de la Corée au Vietnam. Sur les bases d'une prospérité sans précédent allait se constituer jusqu'au milieu du VIIIe siècle une civilisation à la fois novatrice et perméable aux influences étrangères, dont celle, capitale, du bouddhisme. La peinture, à défaut d'œuvres attestées, a fait passer à la postérité plusieurs noms d'artistes ayant acquis auprès de leurs contemporains un prestige incomparable, signe de l'évolution définitive de leur statut. Yan Liben, mort en 673, est connu comme portraitiste ; Wang Wei (699-759), peintre et poète à la fois, représente l'idéal du lettré pour les générations à venir, sans doute parce qu'il a libéré le paysage de tous les enjolivements dont il se parait encore pour lui conférer une réelle valeur poétique, grâce à la technique du monochrome dont il serait l'inventeur. Wu Daozi enfin, actif dans le deuxième quart du VIIIe siècle, a dominé son époque et se voit

Page 7: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

attribuer quelque trois cents peintures murales dans les temples de Luoyang et de Chang'an. Si aucuned'entre elles n'a survécu, les grottes de Dunhuang, où un style proprement chinois commence à percer versle VIIe siècle, nous donnent une idée assez exacte sinon de l'esprit et des couleurs de ses œuvres, du moinsdes sujets qu'il a pu aborder : trinités, paradis, légendes accréditant la foi bouddhique mises en scène dansde véritables paysages et souvent émaillées de sujets profanes. Le style des peintres de la cour, mêmetransmis par les mains d'artisans anonymes, est aujourd'hui mieux apprécié grâce aux nombreusesdécouvertes de tombes, dont certaines sont princières, dans les environs de Xi'an. Reflet d'une sociétécosmopolite, ces peintures sur enduit sec, déployées sur de larges surfaces, s'inspirent de scènes de palaiset des divertissements de la noblesse. Les arts décoratifs ne sont pas en reste. Toutes les audaces leursemblent autorisées : taches des céramiques « trois-couleurs » jetées sans tenir compte du sujet ou dudessin des pièces ; combinaison délibérée de thèmes ou de formes exotiques avec le répertoire traditionnelchinois dans l'orfèvrerie (trésor de Hejiacun) ou les textiles (découvertes de Turfan, au Xinjiang) ; animationpoussée jusqu'à la véhémence des sculptures funéraires au vigoureux modelé, etc. La révolte d'An Lushanen 755 et ses conséquences dramatiques devaient porter un coup d'arrêt au rayonnement de cet artsomptueux et l'obliger à plus de retenue.

Buddha Sakyamuni

Une représentation de Buddha Sakyamuni, datant de l'époque des Wei du Nord (386-534). Cettepeinture murale fut retrouvée dans les grottes de Mogao, sur le site de Dunhuang, dans laprovince chinoise du Gansu.(The Bridgeman Art Library/ Getty)

Statuette de cheval, dynastie Tang, Chine

Statuette funéraire en céramique. Dynastie Tang (618-907). Ashmoleam Museum, Oxford,Grande-Bretagne.(The Bridgeman Art Library/ Getty)

Alain THOTE

L'époque des Cinq Dynasties (907-960)

La dynastie Tang s'effondre au début du Xe siècle, laissant la Chine épuisée par les désastres militaires etéconomiques. L'Empire restera, pendant près d'un siècle, en proie à l'anarchie, partagé en royaumesindépendants où se succèdent d'éphémères dynasties. Les cours locales demeurent des centres actifs oùl'art pictural se développe et s'enrichit dans la voie tracée par Wang Wei sous les Tang. Dong Yuan (actif vers937-975) introduit ainsi dans l'art du paysage toute la gamme poétique de la Chine du Sud, humide etboisée, aux sommets noyés de brume. Ses recherches techniques et l'univers qu'il transpose auront uneinfluence considérable sur la peinture Song. Il inaugure ces paysages aux lointains illimités où s'estompentles formes, ces compositions orchestrées autour des vides et des brumes.

La dynastie Song (960-1279)

Sous les Song, la Chine, enserrée par les Barbares, se recueille sur ses richesses, approfondissant l'acquis d'un patrimoine déjà prestigieux. En ce qui concerne l'art architectural, cette époque développe et parachève les caractéristiques plus rudes et plus simples de l'architecture Tang. Les progrès de la charpente, la place plus importante donnée à la décoration, l'innovation que constitue la courbure des toits et la tendance à la verticalité marquent l'esthétique Song. Mais les plus belles réalisations artistiques de cette période appartiennent au domaine de la peinture et à celui de la céramique. Sous l'égide de l'empereur Huizong (1082-1135) qui régna de 1101 à 1126 et fut à la fois collectionneur, calligraphe, esthète et peintre, un style de cour se crée, réaliste et décoratif, d'un esprit opposé aux recherches de cénacle des lettrés contemporains. Parmi ces lettrés, Mi Fu (1051-1107), grand calligraphe, ne se mit à peindre qu'à la fin de sa vie, faisant appel à son expérience calligraphique pour évoquer la nature, et construisant ses paysages avec des points qui suggéraient les masses montagneuses, les arbres et les bois accrochés aux pentes. Influencée

Page 8: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

par Dong Yuan, sa technique marque un progrès vers l'évanescence.

Vase en céladon, dynastie Song, Chine

Les anses de ce vase en céladon sont en forme de phoenix. Dynastie Song (960-1279),Fitzwilliam Museum, Cambridge, Grande-Bretagne.(The Bridgeman Art Library/ Getty)

Loin du romantisme qui régnait à la cour de Hangzhou, au XIIe siècle, avec des artistes comme Ma Yuanet Xia Gui, des peintres retirés dans les monastères de la secte bouddhique Chan développaient un stylespontané et indépendant. Deux grands maîtres, à la fin des Song du Sud, ont exprimé les expériencesspirituelles de cette secte : Liang Kai (1140-1210), qui parvint à un style abstrait et expressif, à un art del'essentiel sans redites ni concessions ; Muqi (actif 1240-1270) dont la vision empreinte de tendresse se plutaux thèmes simples (kakis, animaux, barques rentrant au village).

La céramique Song, comme la peinture, demeure l'évocation parfaite d'une culture de dilettantes,raffinée, close sur ses rêves. Sa perfection technique, servie par une plus grande rapidité du tour et unemeilleure surveillance de la cuisson, restera inégalée. La fabrication reste parfois empirique et les accidentsde préparation ou de four donnent à certaines pièces un charme particulier et mystérieux. Les formes sontsobres et pures, les décors (fleurs, oiseaux, poissons) sont le plus souvent incisés ou moulés sous la couvertemonochrome. Parfois aussi, les tonalités de la matière, le velouté de son toucher tiennent lieu de décor.

Le lettré Song sensible aux jeux du pinceau et au raffinement de la porcelaine se passionne pourl'Antiquité. L'empereur Huizong donne l'exemple, faisant fouiller à Anyang et collectionnant bronzes et jadesarchaïques. Les artisans reprennent les thèmes anciens sans toujours en comprendre la significationpremière, et les arts mineurs (bronzes, jades) se ressentent de cette tendance. En revanche, l'art du laqueconnaît un grand essor et plusieurs techniques nouvelles semblent avoir été mises au point à cette époque.

Coupe en bois laqué, dynastie Song, Chine

Coupe en bois laqué d'un rouge profond. Dynastie Song (960-1279). Musée Guimet, Paris.(TheBridgeman Art Library/ Getty)

La dynastie Yuan (1280-1368)

En 1276, Hangzhou capitule devant les Mongols, et la Chine, pour la première fois, tombe tout entièreaux mains des envahisseurs. Certains lettrés se rallient au nouveau régime. Le plus célèbre, Zhao Mengfu(1254-1322), fut un excellent calligraphe, paysagiste et peintre de chevaux.

Le plus grand peintre de ce temps reste peut-être Ni Zan (1301-1374), esprit bohème, solitaire et sensitifà l'extrême. Ses paysages dépeuplés sont en général de petit format ; son pinceau incliné et sec renforce letrait nerveux en laissant jouer les blancs du fond. Les vides prennent ainsi toute leur résonance. Appartenantavec Ni Zan, Wang Meng et Wu Zhen au groupe des paysagistes retirés en Chine du Sud, Huang Gongwang(1269-1354) revient aux compositions riches et détaillées, aux structures solides du Xe siècle.

Sous le règne des Yuan, la plupart des fours Song poursuivent leur activité, et les exportationsaugmentent tant vers l'Iran que vers l'Inde et l'Indochine. L'apparition en Chine du bleu de cobalt importéd'Iran date vraisemblablement du XIIIe siècle. Les progrès de la technique de cette nouvelle porcelainedécorée en bleu sous couverte aboutissent à des pièces au décor complexe de dragons, de phénix et demotifs végétaux.

La dynastie Ming (1368-1644)

Page 9: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

La nouvelle dynastie chinoise qui prit le nom de Ming voulut se rattacher à la tradition des Tang.L'empereur Yongle (1403-1424) établit la capitale à Pékin qu'il embellit de palais, de terrasses de marbre etde jardins.

La peinture restait l'apanage des lettrés. Certains, comme Shen Zhou (1427-1509), étaient des amateursqui concevaient la peinture comme une expression de la personnalité. Leur style, souvent « à la manièrede », est éclectique, faisant prédominer une technique parfaite, un jeu du pinceau et de l'encre associé à lapoésie et à la calligraphie.

À la fin du XIVe siècle et au XVe siècle, les arts mineurs connaissent une période de renouveau, tant dansle domaine de l'inspiration créatrice que dans celui des matières précieuses : émaux cloisonnés destinés auxcérémonies religieuses, laques sculptés d'une perfection sans égale. Le laque est également le revêtementdes meubles précieux, armoires, coffres au décor à la fois riche et d'une sobre élégance. La céramiqueparticipe à cet essor de l'artisanat d'art. La technique, mise au point sous les Yuan, qui consiste à peindredes motifs en bleu de cobalt sur le corps de la porcelaine ensuite revêtu d'une couverture, connaît une voguecroissante. L'époque Xuande (1426-1435) produisit peut-être les « bleu et blanc » les plus parfaits ; lesformes sont pures, la porcelaine fine et le bleu appliqué en lavis moucheté. À côté de ces pièces, les potiersMing ont associé le bleu sous couverte aux émaux colorés, et ont décoré de motifs floraux les grèsrecouverts de glaçures plombifères. La clarté du décor, la somptuosité des couleurs s'allient à des formesrobustes caractéristiques des Ming.

Table laquée, dynastie Ming, Chine

Le travail du laque, sculpté dans l'épaisseur de multiples couches recouvrant le bois, faitapparaître un entrelacement de motifs végétaux. Dynastie Ming (1368-1644). Victoria and AlbertMuseum, Londres.(The Bridgeman Art Library/ Getty)

La dynastie Qing (1644-1911)

Sous le nom dynastique de Qing, les Mandchous réussirent à se maintenir en Chine près de trois siècles.Trois souverains de valeur se succédèrent de la seconde moitié du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe : Kangxi(1662-1722), Yongzheng (1723-1735) et Qianlong (1736-1796).

L'ensemble du palais impérial de Pékin avait été incendié à la chute des Ming en 1644, les empereursmandchous le restaurèrent et le complétèrent. Au nord-ouest de la capitale, ils firent construire des palaisd'été entourés de parcs, de pièces d'eau et de pavillons. Au sud-est de Pékin, Qianlong fit restaurer l'autel duCiel édifié par Yongle.

L'époque Qing fut l'ère des grandes encyclopédies, des collections littéraires, du goût pour l'archéologieet les compilations. Dans cette ligne, un grand nombre de peintres suivirent les idéaux des lettrés de la findes Ming férus de tradition. L'étude et la copie des maîtres anciens devinrent avec la maîtrise technique larecherche essentielle des quatre maîtres Wang, dont Wang Hui (1632-1720) fut certainement le pluséclectique et Wang Yuanqi (1642-1715) le plus original.

À côté de ces peintres orthodoxes, des artistes isolés poursuivent une voie plus personnelle, manifestantleur mépris envers la domination étrangère et les recherches des peintres officiels. Ainsi, Shitao (qui travailleentre 1660 et 1707), réfugié dans un monastère bouddhique, réclame pour l'artiste la plus complète liberté.À côté de grandes compositions violentes, il se plaît au petit format des feuilles d'album, et son art témoigned'une compréhension globale et convaincante des éléments naturels. Moine lui aussi, Zhu Da (1626-1705)peint avec une égale spontanéité paysages et animaux. Le pinceau large ou crispé, l'encre sèche ou coulantedialoguent en des esquisses vigoureuses, rapides et spirituelles.

Les arts décoratifs connaissent sous le règne de Kangxi une dernière époque d'harmonie avant de subir aux XVIIIe et XIXe siècles les déformations de la surcharge. La perfection technique à laquelle sont parvenus les potiers va permettre toutes les recherches décoratives, mais aussi les virtuosités les plus néfastes. Une

Page 10: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

division extrême du travail, la surveillance de la manufacture impériale par l'Académie de peinture enlèventà l'artisan toute initiative personnelle et à l'art de la porcelaine toute possibilité de renouvellement. Le goûtde l'archaïsme et les commandes occidentales précipiteront encore le déclin de la céramique à la fin duXVIIIe siècle. Au siècle suivant, la complication constante des formes, la multiplication d'éléments décoratifsdisparates rendront manifeste, dans tous les domaines de l'art, la décadence du goût.

Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS

II-Préhistoire et archéologie

En Chine, le développement de fouilles stratigraphiques, particulièrement intense depuis 1970, a permisde relier les unes aux autres des découvertes jusqu'alors ponctuelles, isolées ou lacunaires. Des systèmesculturels dominants, intégrés dans des paléo-environnements variés, ont ainsi pu être identifiés et replacésdans une dynamique évolutive.

Chine : préhistoire et archéologie

Les principaux sites du Paléolithique, du Néolithique et de l'Âge du bronze mis au jour enChine.(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

Le Paléolithique

Le Paléolithique inférieur

Le développement culturel durant le Paléolithique inférieur est le résultat d'un long processus quicommença sur le territoire chinois il y a un million d'années et se termina voici 200 000 ans. Les plus anciensvestiges d'occupation humaine sont encore très mal connus ; ils dateraient de la fin du Pléistocène inférieur.Les premières traces d'Homo erectus, identifiées en Chine du Nord sur les sites de Xihoudu au Shanxi, deLantian au Shaanxi, de Xiaochangliang et de Donggutou au Hebei, en Chine du Sud à Yuanmou au Yunnan,se rattachent également à cette période. Sur ces différents sites, l'outillage lithique, souvent atypique etmultifonctionnel, est caractérisé par des industries sur éclats où dominent les grattoirs, les lourdes pointestriangulaires et les galets aménagés.

Le plus ancien gisement, mis au jour à Xihoudu et remontant à 1,8 million d'années, ne peut dans l'étatactuel de nos connaissances être comparé à aucun autre vestige paléolithique chinois. Le site de Lantian, oùfut identifié en 1963 l'Homo erectus lantianensis, est mieux connu. Son industrie lithique assez primitive,marquée par des grands éclats et des pointes, serait à l'origine de celle de Dingcun appartenant auPaléolithique moyen. Des vestiges fossiles de trente-huit espèces de mammifères y ont été reconnus, quisont parmi les plus importants pour la paléo-zoologie chinoise. Les premiers vestiges d'hominidés (Homoerectus yuanmouensis) découverts en Chine du Sud seraient postérieurs (environ 1,6 à 1,7 million d'années).

Le Pléistocène moyen, qui constitue le principal horizon du Paléolithique inférieur chinois, est beaucoup mieux représenté, en particulier sur le gisement 1 de Zhoukoudian près de Pékin, où de nombreuses campagnes de fouilles furent menées depuis 1929. Ce gisement, par sa fréquentation humaine qui couvre une période d'environ 300 000 ans, par l'abondance de sa faune et de ses vestiges archéologiques (près de 200 000 outils en pierre), est l'un des plus importants de tout le Paléolithique chinois. L'outillage, plus diversifié que sur les sites antérieurs, comporte un fort pourcentage de petits outils, lointains précurseurs des industries proto-microlithiques du Paléolithique moyen. Parmi les nombreux autres sites rattachés à cette phase, Kehe et Nanhaiyu au Shanxi, Gongwangling au Shaanxi et le niveau inférieur de Jinniushan au Liaoning fournissent des données de base pour l'analyse des modes de relations interculturelles au Pléistocène : les pointes et galets aménagés assez grossiers de Kehe seraient issus de Lantian, alors que la

Page 11: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

technique de débitage employée à Jinniushan se rattacherait à l'industrie de Zhoukoudian 1 ; le matériel deGongwangling, assez proche de celui de Kehe, serait une préfiguration du Paléolithique moyen de Dingcun.Les assemblages de Chine du Sud, peu influencés par la tradition de Zhoukoudian, sont caractérisés par degrands éclats, souvent plus retouchés qu'en Chine du Nord. Les plus importants proviennent de la grotte deGuanyin au Guizhou, et du site de Shilongtou au Hubei.

Le Paléolithique moyen

Les cultures de cette période associée à l'émergence de l'Homo sapiens neandertalensis à la fin duPléistocène moyen et au début du Pléistocène supérieur, semblent s'être développées directement à partird'une base paléolithique inférieure indigène, dont elles conservent de nombreux traits (outils sur éclats,pointes, galets aménagés, retouches unifaciales). Dans l'ensemble, cependant, les types se régularisent etun plus grand soin est apporté aux techniques de préparation et de débitage des outils. Une vingtaine desites ont été identifiés, parmi lesquels en Chine du Nord : le gisement 15 de Zhoukoudian près de Pékin,Jiangjiawan et Sigoukou au Gansu, Xujiayao et Dingcun au Shanxi, Dali (qui serait le plus ancien) etYaotougou au Shaanxi, et Gezidong au Liaoning ; en Chine du Sud : Tongzi au Guizhou et Maba auGuangdong.

La faune et l'outillage de Jiangjiawan forment une transition entre la culture de Lantian et celle deShuidonggou du Paléolithique supérieur, que préfigurent également les vestiges de Yaotougou, découvertsen 1972.

Le site de Xujiayao, vieux de 60 000 à 30 000 ans et fouillé de 1974 à 1977, est l'un des plus importantsde cette période par l'abondance de son matériel héritier de Zhoukoudian (plus de 14 000 instruments enpierre et en os, souvent retouchés et d'assez petite taille) et par son rayonnement culturel. Ce serait en effetl'un des principaux ancêtres de la tradition microlithique de Chine du Nord. Gezidong, premier sitepaléolithique découvert en Chine du Nord-Est, est généralement considéré comme l'une des extensions de latradition lithique de Zhoukoudian.

Les fossiles de l'homme de Tongzi, dont l'outillage rappelle celui de Guanyindong rattaché auPaléolithique inférieur, sont jusqu'à présent les seuls connus sur le plateau du Yunnan-Guizhou.

Le Paléolithique supérieur

Le Paléolithique supérieur, caractérisé par l'Homo sapiens sapiens, s'inscrit dans un horizon duPléistocène final, période au cours de laquelle se formèrent les dépôts lœssiques de la Chine du Nord.L'homme de Liujiang au Guangxi et celui de la grotte supérieure de Zhoukoudian (vers 16 922 avant notreère) sont les premiers mongoloïdes connus.

En Chine du Nord, la tradition de Xujiayao et Zhoukoudian 15 donne naissance à une industrie diteproto-microlithique. L'utilisation de techniques de taille indirecte et du débitage par pression contribuent àdiversifier et à fixer les types. Les lames occupent désormais une place importante dans les assemblages.Des techniques primitives de polissage et de perforation font leur apparition (pendeloques en pierre, aiguillesen os).

La culture de Hetao (dite de l'Ordos), identifiée au début du siècle sur des sites comme Shuidonggou au Ningxia, Dagouwan et Salawusu (Sjara-osso-gol) en Mongolie intérieure, correspond à une phase ancienne, de même que les sites de Shiyu au Shanxi (env. 26 950 ± 220 av. J.-C.), de Liujiacha au Gansu, et de Xiaonanhai au Henan (env. 22 150 ± 500). La même tradition se poursuit dans les phases terminales du Paléolithique supérieur, à Xiachuan au Shanxi (env. 21 950-14 450 avant notre ère), et sur le site plus récent de Hutouliang au Hebei. Le matériel est alors presque exclusivement composé de microlithes : lames taillées par percussion indirecte à partir de nuclei coniques ou naviformes, couteaux à bords abattus, burins en bec de perroquet, petites pointes triangulaires ou foliacées à retouches bifaciales, grattoirs à tranchant circulaire

Page 12: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

débités par pression.

En Chine du Sud, des sites importants, moins influencés par la tradition microlithique, ont été identifiés àFulin et à Tongliang au Sichuan, ainsi qu'à Xiaohui et à Maomaodong au Guizhou ; des découvertes plusponctuelles ont également été faites au Yunnan, au Guangxi et au Tibet.

Le Mésolithique

Les cultures autrefois attribuées au Mésolithique en Chine du Sud étant actuellement plutôt rattachéesau Néolithique, la plupart des vestiges de cette période encore mal connue proviennent de Chine du Nord. Leconcept de culture microlithique, qui a longtemps défini le Mésolithique, est aujourd'hui remis en question, etl'on tente d'isoler des cultures à microlithes, dont le cadre chronologique dépasse largement celui duMésolithique. Principalement distribuées dans le Nord-Est, en Mongolie intérieure et au Xinjiang, ces culturesseraient cependant originaires de Chine du Nord, où les sites de Zhiyu au Shanxi, de Shayuan au Shaanxi, etde Lingjing au Henan continuent la tradition de Shiyu.

D'autres vestiges ont été mis au jour au Tibet, au Yunnan et au Guangdong, mais leur date estincertaine. Dans l'ensemble, l'apparition de l'agriculture semble avoir entraîné le déclin des industriesmicrolithiques, bien que leur existence soit encore attestée au Néolithique, à l'Âge du bronze, et mêmejusqu'au début de notre ère.

Le Néolithique

Si les premières manifestations du Néolithique, datées du début de l'Holocène, restent mal cernées,notre connaissance de ses phases ultérieures a considérablement évolué grâce à la multiplication desfouilles. Des données de plus en plus précises ont ainsi conduit à rejeter l'ancienne vision monolithique d'unecivilisation chinoise centrée sur le bassin du fleuve Jaune, en permettant d'identifier, sur l'ensemble duterritoire chinois, plusieurs foyers régionaux, dans une large mesure interactifs, et dont la définition s'ajustepeu à peu en fonction des nouvelles découvertes.

Actuellement, trois systèmes culturels principaux, Yangshao, Qujialing et Dapenkeng, à chacun desquelscorrespond approximativement une région, ont été mis en évidence. Leur localisation montre l'existence dedeux zones privilégiées, l'une au nord dans la vallée du fleuve Jaune, l'autre au sud dans la vallée du Yangziet le long de la côte orientale chinoise.

La Chine du Sud : la naissance du Néolithique

C'est en Chine du Sud-Est, entre 10 000 et 5000, que semblent émerger du Mésolithique les premierssites néolithiques chinois. Les vestiges, caractérisés par une industrie lithique sur galets associée à unecéramique grossière cordée et à un outillage en coquillage et en os (pointes et harpons), présentent desparentés avec le Mésolithique hoabinhien et le Néolithique bacsonien d'Asie du Sud-Est. L'économie esttoujours celle de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs, et la domestication des plantes et des animaux restehypothétique, quel que soit le type de site : grottes à Xianrendong au Jiangxi, à Zengpiyan au Guangxi, et àWengyuan au Guangdong ; amas coquilliers à Dongxing au Guangxi et à Shiweishan au Guangdong ;campements à Xijiaoshan au Guangdong.

La Chine du Nord : le pré-Yangshao

Des vestiges du Néolithique ancien, datés du VIe millénaire, ont été découverts, surtout depuis 1975,dans un milieu naturel très différent de celui du Sud.

Page 13: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Dans le Nord, on reconnaît la culture de Peiligang au Henan central, datée d'environ 5500 à 4900 avantJ.-C., et celle de Cishan (env. 5400-5100) dans le sud du Hebei et dans le nord du Henan. Les établissementssont encore de petite taille, et caractérisés par un habitat en fosse à deux paliers. Des grains de milletSetaria italica constituent les plus anciens témoignages de l'agriculture dans la vallée du fleuve Jaune.L'existence d'une économie agricole est d'ailleurs confirmée par l'outillage lithique, le plus souvent poli : desmeules tripodes ou quadripodes accompagnées de longs rouleaux, des houes à double tranchant arrondi, etdes faucilles dentées. Les céramiques, assez grossières, sont décorées d'impressions cordées ou devannerie, de motifs géométriques gravés ou de mamelons en relief ; plats ovales, présentoirs en forme debotte (à Cishan), écuelles tripodes ou à fond rond, et jarres préfigurent certains des types du Yangshao. Desossements de porc et de chien ont été mis au jour sur plusieurs sites.

Formes céramiques de la culture de Peiligang, Chine

Formes céramiques des cultures de Cishan (I) et de Peiligang (II) (d'après « Xin Zhongguo dekaogu faxian he yanjiu »[Découvertes et recherches archéologiques en Chine nouvelle], Pékin,1984).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

Formes céramiques de la culture de Cishan, Chine

Formes céramiques des cultures de Cishan (I) et de Peiligang (II) (d'après « Xin Zhongguo dekaogu faxian he yanjiu »(Découvertes et recherches archéologiques en Chine nouvelle, Pékin,1984).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

Les niveaux pré-Dawenkou fouillés à Beixin au Shandong (env. 5000-4300 av. J.-C.) attestent desrelations à la fois avec les cultures de Peiligang et de Cishan et avec le Yangshao ancien.

Dans le Nord-Ouest, les vestiges assez similaires de Laoguantai au Shaanxi et de Dadiwan au Gansu,datés d'environ 5850-5400, annoncent plus fortement encore certaines des caractéristiques du Yangshaoancien, comme les bols à ouverture peinte en rouge.

Le Néolithique de la Chine du Nord

Types et variantes de la culture de Yangshao

Première culture néolithique mise en évidence en Chine grâce à la découverte en 1921 du site éponymeau Henan, c'est aussi l'une des plus complexes dans la mesure où le millier de sites recensés jusqu'à présentcouvre plus de deux millénaires (env. 5150 à 2960 av. notre ère).

Divers horizons culturels ont été identifiés à l'intérieur de ce vaste ensemble longtemps défini par sescéramiques peintes, et dont l'économie se caractérise globalement par une agriculture sur brûlis fondée surle millet et par la domestication du chien et du porc.

Le premier horizon, centré sur le Shaanxi, le Henan et le Shanxi, comporte quatre phases : Beishouling(env. 5150-5000) et Banpo (env. 4800-3600) au Shaanxi, Miaodigou I (env. 3900-3000) au Henan etXiwangcun (env. 3700-2700) au Shanxi.

Les sites de type Banpo, édifiés suivant un plan organisé en zones concentriques et délimités par un fossé, révèlent une occupation humaine répétée mais encore intermittente, et un début de séparation des zones artisanales. Les formes céramiques les plus courantes sont des bols à fond rond, des bassins à marli et des bouteilles à fond pointu, le plus souvent ornées de motifs cordés ou incisés. Les décors peints sont encore peu nombreux ; le plus original est composé d'un masque humain combiné à des poissons. Sur certains récipients, des marques peintes ou gravées ont été interprétées comme une écriture primitive. En dehors du millet, on cultivait le chou chinois Brassica sinensis, qui est le légume le plus anciennement connu en Chine du Nord. La tradition de Miaodigou consacre l'apparition de nouvelles formes céramiques :

Page 14: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

présentoirs ajourés et jarres à ouverture resserrée. Les motifs peints sont plus diversifiés : bandeaux héritésde Banpo, jeux d'arcs, de spirales et de motifs réticulés ou ponctués, parfois associés à des grenouilles ou àdes oiseaux.

Formes céramiques de la culture de Yangshao (Banpo), Chine

Quelques formes et décors de la céramique de la culture de Yangshao (d'après « Gongnongkaogu jichu zhishi »[Connaissances de base de l'archéologie à l'usage des ouvriers et despaysans], Pékin, 1978).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

Formes céramiques de la culture de Yangshao (Miaodigou I), Chine

Quelques formes et décors de la céramique de la culture de Yangshao (d'après « Gongnongkaogu jichu zhishi »[Connaissances de base de l'archéologie à l'usage des ouvriers et despaysans], Pékin, 1978).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

Formes céramiques de la culture de Yangshao (Miaodigou II), Chine

Quelques formes et décors de la céramique de la culture de Yangshao (d'après « Gongnongkaogu jichu zhishi »[Connaissances de base de l'archéologie à l'usage des ouvriers et despaysans], Pékin, 1978).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

Le second horizon regroupe d'autres variantes régionales, principalement au Henan et au Hebei. Latradition de Hougang, qui fait suite à celle de Wanggang dans le nord du Henan, serait contemporaine de ladeuxième partie de la phase Banpo. Dans la région de Luoyang-Zhengzhou, les traditions de Wangwan et deDahecun-Qingwangzhai, où dominent les tripodes ding, rappellent le Miaodigou par un large usage desmotifs peints sur engobe blanc (étoiles à six branches, croix, « sapèques » et dents de scies). Plus au nord, leHebei se manifeste par le type Dasikong : une céramique dont le décor combine des arcs de cercle, despoints et des crochets.

La culture de Majiayao

Extension occidentale du Yangshao dans la région du Gansu-Qinghai et en Mongolie intérieure, la culturede Majiayao (env. 3100-2050 av. notre ère) présente une séquence de trois phases probablement issues deMiaodigou : Majiayao, Banshan et Machang, précédées par la tradition de Shilingxia (env. 3815 ± 175). Lesmotifs linéaires couvrants qui ornent les céramiques de type Majiayao sont empreints d'un dynamismeailleurs inégalé. Le tour lent fait son apparition dans les phases tardives.

La culture de Longshan de la plaine centrale

La culture de Longshan regroupe des types très variés que l'on croyait autrefois issus d'un centre uniqueet qui correspondent plutôt à deux traditions différentes, l'une de la côte orientale (qui culminera dans leLongshan du Shandong), l'autre de la plaine centrale. Cette dernière, dont la région d'origine devait se situerà l'est du Yangshao, se serait peu à peu développée vers l'ouest où, de son contact avec le Yangshao auHenan, serait née une nouvelle culture.

-4000 à -2000. Naissance de l'écriture

Apparition de l'écriture et des premières villes. Début de la métallurgie du cuivre. Expansion dela domestication du cheval.Le IVe millénaire peut être considéré comme le début de l'histoire caril voit apparaître l'écriture.La majeure partie du globe reste cependant occupée par des sociétésà l'état préhistorique.Parallèlement la métallurgie fait son apparition, avec le cuivre …(2005Encyclopædia Universalis France S.A.)

La phase la plus ancienne, dite de Miaodigou II (env. 2780 ± 145 av. J.-C.), assure la transition avec les types Xiwangcun et Dahecun, dont elle reprend de nombreuses formes céramiques. Les terres cuites grises

Page 15: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

non peintes qui deviendront caractéristiques du Longshan s'imposent peu à peu, et des formes nouvellesd'outillage apparaissent : bêches en bois à deux dents, couteaux semi-lunaires, faucilles en coquillage.L'élevage se développe avec la domestication du bœuf et du mouton qui s'ajoute à celle du chien et du porc.

Formes céramiques de la culture de Longshan (Miaodigou II), Chine

Formes céramiques de la culture Longshan du Henan (d'après « Gongnong Kaogu jichu zhishi »,Pékin, 1978).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

La culture de Longshan proprement dite comporte trois groupes régionaux : le Longshan du Henan (env.2625-2005), défini par les sites de Wangwan III, Hougang II, Wangyoufang, Sanliqiao et Xiawanggang ; leLongshan du Shaanxi, ou culture de Kexingzhuang II ; et la culture de Taosi (vers 2450). La céramique estgénéralement grise, plus rarement rouge, noire ou blanche. L'usage du tour se répand, généralement enassociation avec d'autres techniques comme le moulage (pour la partie inférieure des récipients) et lefaçonnage. Les formes typiques, à décor appliqué ou imprimé de motifs cordés ou de vannerie, sont alorsdes tripodes et des vases pour la cuisson à la vapeur

Formes céramiques de la culture de Longshan, Chine

Formes céramiques de la culture Longshan du Henan (d'après « Gongnong Kaogu jichu zhishi »,Pékin, 1978).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

L'outillage en coquillage et en bois continue à se développer à côté d'un type de houe plate rectangulaireen pierre polie. Le blé et l'orge sont cultivés conjointement au millet.

L'étude des sépultures révèle une différenciation croissante des richesses. Des inhumations dans desfosses de stockages ou des dépotoirs abandonnés sont particulières à ces cultures. L'apparition de tombesde couples traduirait le passage à une structure sociale patrilinéaire. L'habitat également se perfectionne,avec des maisons à sol chaulé comprenant une ou deux pièces. On voit poindre alors la civilisation urbainede l'Âge du bronze, que semblent préfigurer les sections de murs d'enceintes en terre damée mises au jour àWangchenggang et à Pingliangtai, ou encore les symboles phalliques et les os divinatoires découverts sur denombreux sites.

Les tombes de Taosi, qui renferment des plats, des tambours et autres objets en bois peints de motifs dedragons, ainsi que des pierres musicales (parmi les plus anciennes connues), sont d'ailleurs parfoisattribuées à une phase post-Longshan, ou même déjà Xia.

La Chine du Nord-Est

Ouverte sur les steppes, la Chine du Nord-Est a, elle aussi, développé un faciès culturel propre, né dumélange d'une tradition microlithique avec les influences des cultures du fleuve Jaune. La pêche et l'élevageprédominent, ainsi que les microlithes (souvent très retouchés) et les outils taillés par percussion. Latradition des poteries peintes voisine avec celle, locale, de céramiques grossières cordées ou à décorgéométrique imprimé, représentées par de grands récipients cylindriques à ouverture droite ou oblique. Laplus ancienne culture de la région est celle de Xinle, qui règne en Mongolie intérieure et en Mandchourie duSud autour de 5000 avant J.-C.

La culture de Hongshan, qui lui fait suite au Liaoning au IVe millénaire, fait actuellement l'objet de nombreux débats quant à son origine. Issue, selon les uns, d'un croisement entre le Microlithique du Nord et le type Hougang du Yangshao dont elle conserve certaines formes de poteries peintes, elle serait, selon d'autres, un développement possible de la culture de Cishan. Les découvertes exceptionnelles faites en 1981 à Dongshanzui et Niuheliang viennent de relancer la question en ouvrant des perspectives nouvelles. Les principaux vestiges sont ceux d'un « temple », comportant deux ailes de pierre et une partie centrale donnant sur un autel circulaire, près duquel furent mis au jour des fragments d'enduit peint et des statuettes

Page 16: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

humaines en terre cuite. De telles représentations sont inattendues en Chine où les thèmes ornementaux nelaissent à cette époque qu'une place minime à l'homme. Les jades sculptés en forme de dragons, de tortues,de cigales et d'oiseaux, mis au jour dans des sépultures, posent le même problème d'interprétation.

La culture de Fuhe (3550 à 3250 av. J.-C.), qui prolonge Hongshan par de nombreux traits, a livré desomoplates de moutons, brûlées à des fins divinatoires, qui sont les plus anciennes connues.Approximativement contemporaine, la culture de Xiaozhushan, au Liaoning, montre des liens avec leShandong par sa céramique dure tournée rappelant celle de Dawenkou.

Le littoral chinois du Shandong au Zhejiang

La culture de Hemudu

La culture de Hemudu (env. 5008-4773 av. J.-C.), du nord du Zhejiang, révèle une tradition très différentede celle de la vallée du fleuve Jaune, fondée sur la riziculture. De nombreux grains de riz (Oryza sativaindica), qui comptent parmi les plus anciens au monde, ont été en effet mis au jour sur le site, ainsi que vingtautres espèces végétales (châtaigne d'eau, nénuphar, légumes, etc.), remettant en cause l'hypothèse d'uneorigine indienne du riz chinois. Ce riz était cultivé en champs inondés à l'aide d'une sorte de houe fabriquéeà partir d'omoplates d'animaux perforées et munies d'encoches pour l'emmanchement. Des restes dequarante-sept espèces animales ont été identifiés : chien, porc et buffle étaient domestiques, rhinocéros,crocodiles, tortues, poissons, pélicans, etc., probablement chassés à l'aide des multiples pointes de flèche etdes harpons trouvés sur le site.

Formes céramiques de la culture de Hemudu, Chine (1)

Formes céramiques du niveau 4 de Hemudu, Zhejiang (d'après « Kaogu xuebao », 1978,no 1).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

Formes céramiques de la culture de Hemudu, Chine (2)

Formes céramiques du niveau 4 de Hemudu, Zhejiang (d'après « Kaogu xuebao », 1978,no 1).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

Formes céramiques de la culture de Hemudu, Chine (3)

Formes céramiques du niveau 4 de Hemudu, Zhejiang (d'après « Kaogu xuebao », 1978,no 1).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

Des vestiges d'un habitat lacustre composé de constructions de bois assemblées à tenons et mortaiseset montées sur pilotis ont été mis au jour. La gravure et la sculpture sur bois semblent d'ailleurs avoir étédéveloppées et nous ont laissé des décors végétaux et animaux originaux, que l'on retrouve aussi surcertaines terres cuites. Un bol, découvert en 1973 dans les niveaux inférieurs du site, serait, si des analysesconfirment sa composition, le plus ancien exemple de laque connu en Chine. Dans l'ensemble, la céramiqueest assez grossière et poreuse et comporte dans son dégraissant des fragments de balle de riz carbonisée.L'étude anthropologique a révélé l'existence possible de liens avec les anciens habitants de certaines îles duPacifique.

La culture de Dawenkou

Identifiée en 1959 au Shandong, mais également attestée dans le nord du Jiangsu et de l'Anhui, au Henan oriental et au Liaoning, la culture de Dawenkou (env. 4450-2500 av. J.-C.) comporte trois phases successives : Liulin, Huating et Dawenkou, principalement attestées par des nécropoles, et dont l'économie était fondée sur le millet. Les deux premières phases sont représentées par de hauts gobelets tubulaires sur

Page 17: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

pieds (gu), associés à des tripodes, à des jarres à deux anses et à un modèle de coupe sur pied ajouré trèsrépandu dans les cultures méridionales. Certains motifs peints témoignent de rapports avec le Yangshao, quidevaient d'ailleurs avoir lieu dans les deux sens, puisque des céramiques de type Dawenkou sont aussiprésentes sur des sites Yangshao du Henan.

Formes céramiques de la culture de Dawenkou, Chine (1)

Céramiques de la phase moyenne de la culture de Dawenkou (d'après « Kaogu xuebao », 1978,no 4).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

Formes céramiques de la culture de Dawenkou, Chine (2)

Céramiques de la phase moyenne de la culture de Dawenkou (d'après « Kaogu xuebao », 1978,no 4).(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

La céramique rouge façonnée de ces premières phases sera peu à peu remplacée par des terres cuitesgrises tournées, et par de très fines terres cuites blanches appelées « coquille d'œuf », dont les formessemblent avoir largement rayonné. On retrouvera ainsi les pichets gui à trois pieds bulbeux sicaractéristiques de la dernière phase dans des cultures plus méridionales comme Liangzhu et Shixia.

Le mobilier funéraire montre une différenciation croissante des richesses. Des objets en os, en corne eten ivoire finement travaillés (aiguilles, peignes et tubes incrustés de turquoise, épingles à cheveux)proviennent des tombes. Certains de ces matériaux précieux, rencontrés aussi à Songze, seraient le fruitd'échanges avec d'autres systèmes culturels. De nombreux squelettes présentent des déformationscrâniennes associées à l'extraction des incisives supérieures, pratique largement répandue dans le Sud.

La culture de Longshan du Shandong

Identifiée en 1928 sur le site de Changziyai au Shandong, cette culture, issue de Dawenkou (env.2405-1810 av. notre ère), constitue le point d'aboutissement de la tradition côtière du Longshan. Lacéramique, le plus souvent tournée, comprend une forte proportion de terres cuites noires « coquille d'œuf »finement polies que l'on croyait autrefois typiques du Longshan dans son ensemble. Les motifs de nuages quidécorent certaines d'entre elles ainsi que les masques animaliers qui ornent des haches en jade laissentsupposer des contacts avec les civilisations de l'Âge du bronze dans la plaine centrale. Des fragments depetits bronzes ont été mis au jour, mais leur appartenance à des niveaux Longshan est contestée.

La culture de Qingliangang

Reconnue sur le site éponyme en 1951 dans le nord du Jiangsu, cette culture, dont l'antériorité parrapport au Longshan a été démontrée, constitue, à côté de Yangshao et de Dapenkeng, l'un des trois grandscentres de développement du Néolithique chinois. Plus de 600 sites ont été recensés, tant au Jiangsu, quisemble en avoir été le cœur, que dans l'Anhui et dans les provinces côtières du Shandong et du Zhejiang.Son découpage interne varie selon les auteurs.

On distingue deux traditions principales. La première, dite du Jiangbei, regroupe les sites du Nord, où ilsconstituent, dans la mouvance de Dawenkou, une sorte de zone de recouvrement entre les traditionscôtières et celles de la plaine centrale. La seconde, dite du Jiangnan (« au sud du fleuve »), s'inscrit plutôtdans la continuité de Hemudu, et comporte plusieurs phases, dites de Qingliangang ou de Caoxieshan,auxquelles est parfois rattachée la culture de Majiabang.

La tradition du Sud (env. 4800-3600 av. notre ère), fondée sur la riziculture, manifeste une grandecontinuité dans le matériel archéologique. L'outillage lithique se compose d'instruments finement polis :haches plates, rectangulaires et perforées, herminettes, haches à épaulement, etc., souvent associés à desoutils tranchants fabriqués à partir de mandibules de cerf. Les jades (disques bi, cylindres cong, anneaux),soigneusement travaillés, sont les plus anciens du Néolithique.

Page 18: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

L'usage du tour, le montage de récipients par assemblage de pièces multiples, la préférence pour desformes hautes sur pied sont autant de traits propres à la tradition côtière dans son ensemble, et qui nefurent probablement pas étrangers aux premières manifestations de l'art Shang.

La culture de Majiabang

Autre héritière de Hemudu, la culture de Majiabang, centrée sur la région rizicole du lac Taihu, comportetrois phases principales, Majiabang, Songze et Beiyinyangying inférieur, caractérisées par une économiefondée sur la culture du riz et de la châtaigne d'eau, l'élevage du bœuf et du buffle, la chasse et la pêche, etpar un habitat lacustre en bois. L'usage du tour, apparu à Majiabang, se développe durant la phase Songze(env. 4746-3655 av. J.-C.), et la céramique se caractérise alors par un décor peint en jaune et en vermillon.

La culture de Liangzhu

Approximativement contemporaine du Longshan de la plaine centrale, et culturellement liée auLongshan du Shandong, la culture de Liangzhu (env. 3310-2250 av. J.-C.) fait suite à la tradition deQingliangang-Majiabang dans le nord du Zhejiang et dans le sud du Jiangsu dans la région du lac Taihu. Deuxespèces de riz (Oryza sativa indica et japonica) sont cultivées, ainsi que des variétés de pêches, dechâtaignes d'eau, de melons et de cacahuètes. La houe triangulaire, parfois considérée comme une formeprimitive d'araire, est typique de la région. Les céramiques les plus courantes sont des terres cuites fines àengobe noir : tripodes ding macropodes, pichets gui, coupes sur pied ajouré, verseuses zoomorpheségalement attestées au Shandong. Certaines pièces sont peintes en rouge sur fond noir de courbes, poissonsou oiseaux. Le décor des cylindres cong en jade, composé de paires d'yeux disposés de part et d'autre del'arête des angles, préfigure les masques de taotie Shang. Des paniers en bambou et des cordes tressées àpartir de fibres de bambou sont probablement les plus anciens témoignages d'un artisanat de ce matériau enChine. Le textile (chanvre et soie) semble aussi avoir été développé. L'analyse des squelettes montre,comme à Dawenkou, la pratique d'extractions de dents et de déformations crâniennes.

Les traditions du moyen Yangzi (sud du Henan, Hubei, Hunan)

Les vestiges trouvés dans cette région, située à la croisée des deux traditions du millet et du riz,montrent qu'elle a conservé des liens plus étroits avec la plaine centrale que les autres provinces plusméridionales.

La culture de Daxi (env. 2995 ± 195 av. J.-C.), principalement attestée au Sichuan, dans le sud-ouest duHubei et dans le nord du Hunan, présente des parentés avec les cultures de Qujialing et de Yuanshan(coupes sur pied perforé, tripodes ding et supports incisés). L'outillage associe de nombreux outils en pierretaillée à des ciseaux et à de grandes haches polies. La céramique rouge à dégraissant composé de balles deriz domine, mais on trouve aussi des terres cuites grises, noires ou blanches, toutes façonnées à la main. Lespoteries peintes montrent des liens avec la tradition Miaodigou de Yangshao.

La culture de Qujialing (env. 2750-2650 av. J.-C.), centrée sur le nord Hubei et le sud-ouest du Henan,s'étend aussi plus au sud, où elle coexiste avec la culture de Daxi dont elle reprend la céramique façonnée,noire puis grise, tandis que certaines pièces « coquille d'œuf » et des coupes sur haut pied témoignent derapports avec le Longshan de la plaine centrale.

La dernière phase de cette séquence est définie par la culture de Qinglongquan III (env. 2430 ± 150av. J.-C.), dite Longshan du Hubei, durant laquelle la céramique grise façonnée à décor de vannerie domine.

La Chine du Sud-Est

C'est dans cette région mal connue que fut identifié le troisième complexe culturel majeur du Néolithique chinois, faisant suite, après un long hiatus, aux assemblages du IXe millénaire représentés à Xianrendong et

Page 19: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Xiqiaoshan.

L'amas coquillier de Fuguodun sur Quemoy, bien que n'ayant fait l'objet que de brèves investigations,permit de mettre en lumière l'existence au Fujian et à Taiwan, d'une industrie céramique antérieure à 5000avant notre ère, marquée par des terres cuites grossières à décor imprimé.

La culture de Dapenkeng au Fujian, au Guangdong et dans le nord de Taiwan (env. 4000-2500 av. J.-C.),et celle de Yuanshan à Taiwan pourraient être dérivées de Fuguodun. Les deux cultures témoignent d'unetradition locale originale, à la différence de la culture de Fengbitou dans le sud de Taiwan, très influencée parle courant longshanoïde côtier, et dont de nombreux traits réapparaîtront dans les cultures ultérieures.

Les assemblages, très caractéristiques, comportent une céramique cordée et des galets aménagésassociés à des herminettes polies, rectangulaires ou à épaulement et à des pointes de flèche perforées ou àsoie. L'économie repose sur une agriculture des tubercules.

La culture de Shixia (env. 2865-2480 av. J.-C.), reconnue en 1972 au Guangdong, serait issue deDapenkeng, avec des apports de la vallée du Yangzi. Elle se particularise par des pratiques funéraires dedouble incinération. Son économie, comme celle des cultures qui la précèdent (Shanbei) et qui lui font suite(Tanshishan), repose sur la chasse, la pêche et la riziculture. L'outillage, spécifique, comporte des houestriangulaires en pierre et des pelles perforées à tranchant arrondi en coquillage. La céramique, assez dure, alivré un grand nombre de bassins sur pied à ouverture à degrés, à décor cordé, géométrique appliqué ougravé. Les jades ornés de paires d'yeux préfigurant un masque sont les mêmes que ceux de Liangzhu.

La Chine du Sud-Ouest

Les données dont nous disposons actuellement pour cette région sont encore très lacunaires. Lesdécouvertes les plus intéressantes ont été faites ces dernières années au Yunnan et au Tibet.

Au Yunnan, les principaux vestiges sont centrés sur la région du lac Erhai et représentés par la culture deBaiyangcun (env. 2165-2050 av. notre ère), fondée sur une économie d'agriculteurs sédentaires pratiquantla riziculture associée à d'autres céréales, mais aussi la chasse, la pêche et l'élevage. L'outillage,principalement poli, comporte des couteaux semi-lunaires, des faucilles dentées et des tampons en pierrepour imprimer la céramique.

Au Tibet, des vestiges postérieurs au Microlithique ont été mis au jour, en particulier à Karuo près deChamdo. Ce site définit la culture du même nom (3000-1900 av. J.-C.). Des grains de millet ont étédécouverts associés à des ossements d'animaux sauvages (cerf, chèvre et renard) et de porc, peut-êtredomestique. Une forme particulière d'habitat semi-souterrain en pierre ainsi que des plates-formescirculaires et des cercles de pierre ont été dégagés, en relation avec des microlithes, des outils taillés parpercussion ou polis, et une céramique façonnée à décor incisé, appliqué ou imprimé. Certains traits propres àKaruo se retrouvent en bordure orientale du plateau tibétain, à Lizhou au Sichuan, et à Dadunzi au Yunnan(parfois aussi rapproché de Baiyangcun).

Corinne DEBAINE-FRANCFORT

III- L'Âge du bronze

Bien que des incertitudes subsistent encore sur les débuts de la métallurgie en Chine, les premièresétapes de son développement ne semblent pas globalement différentes de ce qui a été observé pour leProche-Orient ancien. Cependant, à partir de 1600 avant J.-C. environ, l'art du bronze se signale par uneprofonde originalité. Le prestige considérable dont il jouit dès ce moment va faire de lui une des expressionsmajeures de l'art chinois pendant plus d'un millénaire.

Page 20: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Des origines encore mal connues

De menus objets en bronze et en cuivre pur ont été découverts en nombre relativement grand au Gansuet au Qinghai (cultures de Majiayao, de Machang, et surtout de Qijia), et de manière sporadique au Shandong(culture de Longshan), au Hebei et en Mongolie intérieure (culture de Xiajiadian inférieur). Datés du IIIemillénaire et du début du IIe millénaire, ils sont soit fondus, soit martelés. Il est impossible néanmoins desavoir si ces premiers témoins mis au jour dans les régions occidentales et septentrionales de la Chine sontle produit d'une invention locale de la métallurgie ou s'ils ont été fabriqués à la suite d'une importationpartielle ou totale de la technique.

C'est au Henan, loin de ces sites chalcolithiques, que l'art du bronze allait s'épanouir de la manière laplus remarquable dans la seconde moitié du IIe millénaire. Le fait que des contacts ont existé entre la régiondu cours moyen du fleuve Jaune et les contrées de l'Ouest n'explique pas pour autant l'apparition assezsoudaine de vases fondus, de facture complexe, sur des sites de la culture d'Erlitou, à proximité de Luoyang(env. 1900-1500 av. J.-C.).

L'archéologie ne répond encore clairement à aucune de ces questions. On sait seulement que lestechniques de céramique de la plaine centrale ont favorisé, plus qu'ailleurs sans doute, le développement dela métallurgie, avec des températures de cuisson s'élevant jusqu'à 950-1050 0C, avec l'utilisation de moulespour fabriquer de nombreuses formes en céramique.

Les premiers foyers de l'Âge du bronze

Les bronzes d'Erlitou ont été découverts à la surface du site, mais aussi dans des fosses et des tombes :il s'agit de vases rituels, de clochettes, d'armes auxquels s'ajoutent deux plaques de pectoral incrustées deturquoise.

Les vases sont des tripodes jue et jia, ayant des pieds pointus, une panse ovoïde, et une anse, les jue sedistinguant des jia par la présence d'un bec verseur extrêmement effilé. Sans décor en général, et d'unefacture encore gauche, ils s'apparentent aux vases en terre cuite de même type mais ils s'en différencientpar la finesse des parois.

D'emblée, la technique de fonte y montre sa spécificité : ces vases ont été fondus, comme le seront tousles bronzes Shang et Zhou, non à la cire perdue, mais dans des moules segmentés dont les différentesparties sont assemblées à tenon et mortaise. Ce mode de fabrication a eu des conséquences considérablessur l'esthétique même des pièces : il se révèle particulièrement adapté à des formes régulières, en généralsymétriques ; une fois fondus, les vases présentent aux endroits précis où les segments se joignent descoutures, visibles lorsqu'elles n'ont pas été soigneusement ébarbées, et qui délimitent souvent des zones dedécor.

C'est au début des Shang, durant la phase d'Erligang (env. XVe-XIVe s. av. J.-C.), que se constitue le motifdésigné sous le nom de taotie. Caractérisé d'abord par deux yeux ovales, il va progressivement s'enrichir detraits d'inspiration zoomorphe (naseaux, mâchoires assorties de crocs, cornes, oreilles, griffes, etc.) sanspour autant s'identifier à un quelconque animal connu. La typologie des vases rituels s'étend à de nouvellesformes. Aux jia et jue s'ajoutent, également pour les libations, des you, sortes de bouteilles munies d'uneanse arquée et d'un couvercle, des jarres largement évasées (zun) ou rétrécies à l'ouverture (lei), des gu, enforme de calice. Les offrandes de viande et de céréales sont cuites dans des tripodes à pieds pleins (ding) oucreux (li), et présentées dans des coupes gui. Le xian (ou yan) sert à la cuisson à la vapeur. Des bassins(pan) contiennent l'eau des ablutions.

Page 21: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Vase tripode, civilisation Shang

Vase tripode en bronze orné du masque de taotie, qui se concrétise par la présence de deuxyeux globuleux. Phase Erligang de la civilisation Shang. Ashmolean Museum, Oxford,Grande-Bretagne.(The Bridgeman Art Library/ Getty)

Les bronzes de la phase d'Erligang ont été découverts sur un territoire étendu, témoignant à cetteépoque d'un rayonnement de la culture Shang dont les effets seront considérables sur l'essor de traditionsmétallurgiques indépendantes, notamment dans le Sud et dans l'Ouest.

Les cultures de la phase d'Anyang (env. 1300-1050 av. J.-C.)

Bien que des découvertes récentes au Sichuan, au Hunan et au Jiangxi contredisent l'idée d'un ÉtatShang entouré de régions incultes peuplées de « barbares », le nom d'Anyang (Henan), qui est identifiécomme le site de sa dernière capitale, n'en reste pas moins comme le symbole de l'âge classique desbronzes chinois.

Le contenu de la tombe de Fu Hao (vers 1200 av. J.-C.), qui illustre remarquablement l'art royal de laphase d'Anyang avec plus de deux cents vases et quantité d'armes en bronze, révèle l'apparition derécipients gong et zun reproduisant des animaux (chouettes et quadrupèdes, surtout), seules concessions àdes formes dissymétriques, celle aussi de vases aux profils anguleux, bordés ou coupés par des arêtesverticales très prononcées compartimentant le décor. Le taotie se réfère désormais plus franchement aumonde animal, à l'exemple des dragons. Des motifs inspirés, plutôt que copiés de la nature – le langage quiles dépeint reste hautement codifié –, peuplent la surface des vases : tigres, serpents, cigales, oiseaux, etc.Sauf en de très rares occasions, l'homme ne trouve pas sa place dans cet univers clos sur lui-même, pétri deconventions. Les figures sont disposées indépendamment les unes des autres et n'interfèrentqu'exceptionnellement entre elles.

La signification de ces motifs pose des problèmes d'interprétation très complexes : signes de clans ou defamilles ? Symboles religieux ? D'aucuns voient dans les créatures figurées les intermédiaires entre l'hommeet le monde des esprits par analogie avec les images produites dans d'autres sociétés. En l'absence de touttexte de l'époque – les inscriptions oraculaires n'apportant rien dans ce domaine –, on ne peut guèredépasser le stade des hypothèses.

En dehors de la région dite métropolitaine, parce que centrée autour d'Anyang, à l'unité stylistique de laphase d'Erligang succèdent plusieurs traditions provinciales dont la véritable place commence seulementd'être perçue. La région située au sud du fleuve Bleu (Hunan, Jiangxi) a ainsi possédé une métallurgieoriginale d'excellente qualité, ayant produit notamment d'énormes cloches emmanchées dans un socle (etnon pas suspendues), que l'on frappait avec un maillet, et des vases représentant en ronde bosse deséléphants, des buffles ou des tigres. Au Sichuan, des masques humains aux traits fortement accentués etune statue d'homme grandeur nature, la seule de cette espèce de toute l'antiquité chinoise, ont étédécouverts à Guanghan en 1986 dans deux fosses sacrificielles, révélant ainsi l'existence d'un art desculpteurs. Plus que de différences stylistiques ou qualitatives qui demeurent indéniables, ces productionsrendent compte de pratiques rituelles autres que celles des Shang d'Anyang, et donc de cultures distinctes,mais aux développements parallèles.

Les Zhou occidentaux : emprunts et renouveau

La plupart des bronzes des Zhou occidentaux (vers 1050-771 av. J.-C.) proviennent de caches où ils ont été entreposés en 771 lors des troubles au cours desquels la royauté a quitté la région de Xi'an pour la capitale secondaire du royaume. Chengzhou (aujourd'hui Luoyang). Ce fait rend difficile l'établissement de leur chronologie. Certains vases du début des Zhou portent cependant de longues inscriptions gravées lors de la fonte, inscriptions qui indiquent les circonstances qui ont inspiré leur fabrication, parfois le nom du

Page 22: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

commanditaire, ou celui d'un ancêtre à qui le vase est dédié. Si leur fonction politique et religieuse est ainsimise en valeur, la mention de plusieurs noms de rois, de personnages importants, d'événements historiques,comme le style de leur calligraphie, permet aussi de les dater.

Tout en étant les héritiers des traditions élaborées sous les Shang, les premiers bronzes Zhou offrent unegrande diversité de styles. Les plus remarquables, aux formes massives, s'enrichissent d'éléments que l'onpeut qualifier d'« excentriques » en regard de ces traditions : arêtes découpées de crochets, motifs dedragons dont le corps s'enroule en spirale, animaux rapportés en ronde bosse. Progressivement, le motif dutaotie est délaissé au profit de deux oiseaux affrontés dont les têtes sont surmontées d'une grande crête oud'une aigrette.

Une véritable révolution va, semble-t-il, affecter le rituel au cours duquel ces vases étaient utilisés : lamajorité des contenants pour l'alcool disparaît tandis que l'éventail des vases pour la nourriture s'enrichit denouvelles formes (dou, fu, xu). Les ding et les gui figurent maintenant de manière systématique en séries, etleur nombre semble en étroite relation avec le rang de leur propriétaire dans la hiérarchie sociale. Descloches suspendues de tailles différentes et assemblées en carillon sont associées aux vases rituels aveclesquels elles partagent les mêmes décors.

L'évolution des motifs, ponctuée de références au passé, demeure complexe malgré une tendancegénérale à l'abstraction. Des vagues, des écailles, des dragons, dont les caractères zoomorphes sont réduitsà l'essentiel, s'intègrent dans des schémas décoratifs qui ignorent désormais les divisions verticales, et doncla segmentation des moules. Des effets de symétrie dans le détail des motifs ou dans leur combinaison deuxà deux ne sont plus seulement obtenus par rapport à un axe vertical ou horizontal, mais par rapport à unpoint central. Cette formule va permettre un usage de plus en plus répandu de l'entrelacs.

Les Zhou orientaux : splendeur et déclin

L'affaiblissement du pouvoir central à partir du VIIIe siècle a permis aux principautés de s'émanciper.Progressivement se sont développés sur leur territoire des centres métallurgiques capables de fondre, àl'exemple des ateliers royaux, les bronzes indispensables aux cérémonies religieuses et funéraires. Lestraditions des principautés s'expriment ainsi différemment à partir d'un répertoire commun de formes etd'ornements. Les inscriptions portées sur certaines pièces se contentent désormais d'identifier par son nomet son titre, parfois par son pays, le patron des sacrifices et de formuler des vœux pour les bienfaitsattendus.

Le décor, de plus en plus centré sur le thème du dragon, agrémenté de motifs géométriques, privilégie lemouvement au détriment des détails anatomiques susceptibles de donner de la crédibilité aux créaturesreprésentées. Les artisans recourent de plus en plus au motif de l'entrelacs et obtiennent des effets detexture en reproduisant côte à côte des unités carrées ou rectangulaires dans lesquelles s'inscrivent desdragons-serpents entrecroisés.

Miroir de l'époque des Zhou

Miroir en bronze décoré de dragons entrelacés (475-221 av. J.-C.), Chine de l'Est, époque desZhou. Ashmolean Museum, Oxford, Grande-Bretagne.(The Bridgeman Art Library/ Getty)

Aux VIe-Ve siècles, les différents courants stylistiques perdent progressivement leur autonomie pour sefédérer autour des traditions élaborées dans les principautés de Jin et de Chu, l'une et l'autre d'esprit trèsopposé : celle de Jin s'oriente vers un traitement naturaliste des thèmes animaliers, remet le taotie au goûtdu jour et privilégie le détail précis. Celle de Chu témoigne d'un goût de la surcharge caractérisé par desdragons et diverses créatures devenues méconnaissables sous une nuée d'éléments abstraits en léger relieftels que pastilles, crochets et volutes. À l'une et à l'autre reviennent plusieurs innovations techniquesremarquables.

Page 23: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

À Chu, par exemple, la fonte à la cire perdue a été inventée pour rendre certains décors vermiculés. AuVIe siècle avant J.-C. réapparaît la technique de l'incrustation, née sous les Shang. Son emploi, étendu aucuivre rouge, à l'or et à l'argent, contribue à un renouveau des thèmes décoratifs, avec l'introduction dedécors historiés illustrant sur le mode idéal les activités rituelles, guerrières et ludiques des princes. Enmême temps, à partir du IVe siècle, tout un courant ornementaliste a su tirer parti des oppositions decouleurs qu'autorise cette technique : celles du bronze avec la fonte de fer, l'or, l'argent et le cuivre, lespierres dures et le verre. Les agrafes de ceinture, parfois les miroirs offrent à eux seuls l'éventail de toutesles formules décoratives de l'époque au moment où la qualité des vases pour le rituel connaît un déclincomplet.

Alain THOTE

IV- Orfèvrerie

Un art profane

L'appel de l'or exista de tout temps en Chine, même s'il ne parvint jamais à détrôner le prestige ineffabledu jade. Parmi les plus anciens objets chinois en or qui nous soient parvenus figurent les feuilles d'ordécouvertes dans les tombes de Xinzheng au Henan (VIIIe-VIe s. av. J.-C.). Ces feuilles, assez épaisses etdécorées en très léger relief de dragons entrelacés, étaient vraisemblablement appliquées sur des récipientsou des coffres en bois. Mais il faut attendre le grand bouleversement de l'époque des Royaumes combattants(Ve-IIIe s. av. J.-C.) pour voir apparaître un véritable goût pour les métaux précieux.

L'art, d'abord essentiellement religieux, tend peu à peu à devenir profane, et le luxe cesse d'êtrel'apanage des tombeaux. Les bronzes avec leur polychromie, leurs incrustations de turquoises, de malachite,de jade, d'argent et d'or, témoignent de l'éclat de l'époque féodale. L'art chinois est alors en relation avecdes civilisations étrangères qui s'étendent très loin, de l'Asie orientale à l'Asie occidentale, à travers lesrégions des steppes. Des nomades de la steppe, les Chinois apprennent l'usage de l'agrafe, originellementdestinée à la sellerie et à la fixation des vêtements de cuir. Très vite, l'agrafe, en or, en bronze ou même enfer, incrustée de turquoises, de jade, de pierres ou d'argent, devient en Chine une parure de prix. De mêmese multiplient les objets travaillés au repoussé, martelés ou encore moulés.

Peu à peu, sous les Han (IIIe s. av.-IIIe s. apr. J.-C.), l'usage des métaux précieux s'étend à toutes lesclasses riches de la société. Les agrafes de cette époque, dans leur diversité, dénotent une habiletétechnique prodigieuse. Sur certaines, l'incrustation est un pavage de turquoises où les petits fragments depierre sont sertis par groupes d'un fil d'or qui forme un dessin irrégulier. Sur d'autres, les incrustations demétal alternent avec celles de pierres. D'autres encore portent un décor uniquement métallique de triangleset de losanges souvent compliqués de crochets et de volutes. Parfois, sur un fond clair d'argent adhère unmotif ornemental découpé dans une feuille extrêmement mince d'un métal plus foncé, ou vice versa. Ceprocédé de niellage est si parfait que le décor donne l'impression d'être peint plutôt qu'incrusté.

Aux effets géométriques et aux stylisations d'animaux viennent s'adjoindre les combats de fauves et lesscènes de chasse empruntés au monde des nomades et transmis par l'art de l'Ordos (région située entre laboucle du fleuve Jaune et la Grande Muraille). Les conquêtes chinoises ouvrent en effet le pays à desinfluences nouvelles : procédé venu de l'ouest, la granulation fait son apparition, s'alliant aux techniquesdéjà connues du martelage, du repoussé et du sertissage. La tradition implantée en Chine devientrapidement florissante, comme en témoignent les nombreuses fioles et les petites plaques trouvées enChine, les admirables pièces d'orfèvrerie découvertes à Lolang en Corée du Nord, alors colonie chinoise.

Les raffinements Han se maintiennent en Corée du Sud, aux Ve-VIe siècles, dans le royaume de Silla, dontles tombes princières ont livré des couronnes, des pendants d'oreilles, des ceintures, des bracelets et desclochettes en or d'une délicatesse et d'une élégance remarquables.

Page 24: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

L'âge d'or

Cependant la grande époque de l'orfèvrerie chinoise sera celle des Tang (618-907). À l'imitation de l'Iranet de l'Inde, la vaisselle d'or et d'argent va supplanter pour un temps, à la Cour, le bronze, le laque et lacéramique. Les formes et les décors de l'orfèvrerie sassanide, introduits à la cour de Chang'an par lesartisans, les marchands et les princes étrangers, sont bientôt adoptés, interprétés et recréés selon le goût etl'esprit chinois. Il en résulte une variété de formes et de motifs étonnante, une richesse imaginative alliée àun raffinement de l'exécution qui n'apparaîtront plus au cours des dynasties suivantes. Un trésor, découverten 1970, dans le village de Hejiacun au sud de Xi'an, au Shǎnxi, en donne une illustration remarquable. Sesobjets en or, en argent, en or et argent, dont le nombre dépasse les deux cents, permettent de recenser lesformes, les décors, mais aussi les techniques en usage entre le VIIe siècle et la première moitié du VIIIe siècle.

L'or venait alors des provinces du Sichuan, du Yunnan, du Guangdong, du Guangxi et du Nord Vietnam.De cette dernière région venait aussi l'argent, également importé de Corée et du Tibet.

La technique sassanide du martelage pour la vaisselle d'or et d'argent connaît une grande vogue,remplaçant les techniques de moulage. Ces apports s'accompagnent de décors inédits, tantôt incisés, tantôtrepoussés : chasses dans des paysages, motifs symétriques de vignes et de rosettes.

Les anciennes techniques d'incrustation ne sont pas abandonnées ; le filigrane, par contre, tend àremplacer de plus en plus la granulation. Un procédé proprement chinois semble être apparu au VIe siècle : lepingtuo ; le terme signifie « découpé à plat » et désigne surtout des plaques d'or et d'argent ciselées à jouret souvent, en outre, gravées et incrustées dans une couche de laque. La City Art Gallery de Bristol possèdeun miroir décoré suivant ce procédé. Le dos de l'objet montre, autour du bouton de suspension, des dragonsévoluant au milieu de nuages. Le laque dans lequel sont incrustés les motifs découpés a perdu ses couleurset a en partie disparu, mais le dessin des dragons et de la bordure a conservé son acuité, sa précision et sonélégance.

Dans le domaine des bijoux, à côté des longues épingles au décor incisé et découpé, l'incrustation deplumes de martin-pêcheur, les minces filigranes d'or rehaussés de perles annoncent les réalisations desépoques ultérieures : mais l'accent sera dorénavant porté sur la richesse et le chatoiement des couleurs bienplus que sur la délicatesse de la ciselure et l'harmonie du décor.

Richesse et surcharge

Sous les Song et sous les Yuan, du XIe au XIVe siècle, les arts du métal semblent avoir été moinsappréciés qu'à l'époque Tang ; les orfèvres empruntent formes et décors aux laques et aux céramiques. Avecles Ming (1368-1644), un intérêt renouvelé pour les métaux précieux se manifeste, mais les recherchesd'effets ne sont pas dépourvues d'une certaine vulgarité, qui se retrouvera sur les pièces d'orfèvrerie de lacour des Qing (1644-1911). L'incrustation de perles et de pierres précieuses (rubis, grenats, améthystes)sous forme de gros cabochons disposés irrégulièrement donne à certaines pièces impériales Ming, aux vasescomme aux parures de tête, un aspect un peu barbare et témoignent d'une influence tibétaine. Illustrationde l'orfèvrerie chinoise à la fin des Ming, les objets en or trouvés dans la tombe de l'empereur Wanli(1573-1620) ne parviennent pas, malgré leur somptuosité, à égaler les créations du VIIIe siècle.

La Chine, qui ne posséda jamais de grandes réserves de métaux précieux, semble leur avoir accordé uneplace de choix aux époques d'expansion où régnaient des dynasties ouvertes aux impulsions et aux apportsétrangers. C'est ce que confirment, dans leur beauté et leur prestige, les réalisations Han et Tang. Sous desinfluences venues de l'ouest, l'orfèvrerie réussit alors, pour un temps, à rivaliser avec les créations pluspurement chinoises que sont les arts du jade, du bronze et de la céramique.

Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS

Page 25: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

V- Jade

Origine des néphrites et des jadéites

Dès l'Antiquité, le yu, pierre noble par excellence, a été entouré d'une aura magique dont on trouvel'écho dans les textes historiques et dans la poésie. La beauté de son poli, sa sonorité, sa dureté en ont faitle symbole des cinq vertus morales des confucianistes : bonté, rectitude, sagesse, courage, pureté. Pour lestaoïstes, l'absorption de yu, réduit en poudre, devait permettre d'accéder à l'immortalité des Sages. L'emploide yu dans les rites funéraires semble avoir pour origine les propriétés prophylactiques qui lui étaientattribuées : il était censé protéger les corps de la putréfaction. Depuis le XVIIe siècle, l'Occident a identifié leyu au jade, que découvrirent les Espagnols dans le Nouveau Monde et qu'ils introduisirent en Europe. Àl'heure actuelle, ce terme général couvre les néphrites et les jadéites qui se distinguent par leurs indices dedureté et leurs poids spécifiques.

Ces deux matières ne semblent pas avoir existé en Chine, qui les reçut de l'étranger. Le commerce desnéphrites vertes du Turkestan (régions de Khotan et de Yarkand) est mentionné dans les textes Han et doitremonter à une époque plus ancienne. Des gisements de néphrites d'un blanc bleuâtre existent au sud duBaïkal. Les archéologues russes ont signalé l'emploi de cette pierre dans les cultures néolithiques de cetterégion : outillage de la culture de Kitoj (2500-1700 av. J.-C.), parures exhumées des sépultures féminines dela culture de Glaskovo (1700-1200 avant J.-C.). On a longtemps supposé que le rayonnement de ces culturesà travers la Transbaïkalie avait contribué à l'épanouissement de la civilisation des Shang, en Chine du Nord.Les datations doivent donc être révisées et cette influence pourrait, en outre, s'être effectuée de façonindirecte. En Chine même, deux thèses s'affrontent : passage direct au Henan de la poterie rouge à lapoterie gris sombre (Miaodigou II) ou bien, à la même époque, existence d'une culture sur le littoral duJiangsu et au Shandong, culture qui aurait rayonné vers le Hebei et le Henan, au nord, vers le Zhejiang ausud.

De plus, le professeur Kwang-chih Chang a fait état d'un gisement de jade à Nanyang, à 275 kilomètresau sud d'Anyang, gisement exploité actuellement mais dont nous ignorons s'il l'était déjà au cours duNéolithique.

La nomenclature des jades rituels dans le Zhou li, « rituel des Zhou » rédigé à la fin du Ier millénaireavant notre ère, a été utilisée dans des études ultérieures (Kaogu tu, XIIe siècle ; travaux des savants del'époque mandchoue, XVIIIe-XIXe s.). Reprise par Berthold Laufer, discutée par Paul Pelliot, elle a servi dansles classifications occidentales.

Les jades de fouille

À l'heure actuelle, les jades les plus anciens proviennent du Jiangsu septentrional et du Shandong, dontles sites révèlent une agriculture et une organisation sociales plus élaborées ainsi qu'un outillage lithiqueplus diversifié et mieux poli que ceux du bassin du Huanghe, dits de Yangshao, caractérisés par leurspoteries peintes. Au IVe millénaire avant J.-C., dans le complexe de Dawenkou (Shandong), pour des besoinsque l'on suppose rituels, apparaissent des jades en forme de haches et de ciseaux ainsi que des ornementsen forme de demi-cercle (huang) tandis que dans la pierre et l'os sont taillés des disques repercés en leurcentre (bi) et des cubes à ouverture centrale arrondie (zong).

Ces cultures dites longshanoïdes (d'après le site de Longshan, découvert en 1928 au Shandong, qui enserait l'aboutissement) seraient entrées en contact avec le Yangshao du Henan dont elles auraient adopté lapoterie peinte, lui transmettant en même temps l'usage du tour et leur poterie en grès sombre.

Ces contacts auraient contribué à l'éclosion de la civilisation Shang (XVIe-XIe s. av. J.-C.). À Erlitou (actuel Yanshi, au Henan occidental), la couche III a livré quelques bronzes primitifs et des jades inspirés de

Page 26: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

l'outillage néolithique (couteau dont la surface s'orne d'incisions géométriques et dont les bords sontindentés). Au stade dit de Zhengzhou (Henan occidental), s'y adjoignent de grandes lames à facettes,imitations du ge (hache-poignard) en bronze.

L'art du jade que l'on pense avoir été travaillé au moyen d'un abrasif (quartz) mêlé d'eau, etvraisemblablement à l'aide d'outils en bronze, atteint son apogée à Anyang, l'ancienne cité de Yin, ladernière capitale des Shang, à partir de 1300 avant J.-C. À Yinxu, en 1975, la tombe inviolée de la reine FuHao (fin du XIIIe-début du XIIe s. av. J.-C.) a livré 590 objets en jade et en béryl, parmi lesquels des piècesissues du Néolithique, et des bronzes (couteaux, haches, hallebardes, bi, huang zong) voisinent avec denombreuses amulettes taillées en silhouette ou en ronde bosse (animaux, masques de taotie, hiboux,poissons, représentations humaines) dont la surface est soulignée par des doubles lignes, incisées ou enrelief.

Les Zhou orientaux (1027-771 avant J.-C.) conservent les formes traditionnelles. Des manches d'objets etdes amulettes empruntent la grammaire décorative des bronzes : dislocation du masque de taotie, oiseaux àhuppe et longue queue, dragons en forme de C, taillés en biseau. Les silhouettes animales sont vivantes etréalistes.

Au début des Zhou occidentaux (VIIIe-Ve s. av. J.-C.), des textes nous précisent l'emploi des jades dans lerituel : le bi, image du ciel, est utilisé lors du décès du souverain, dans les cérémonies d'investiture, ou jetédans les eaux pour se rendre propices les fleuves. Les hallebardes, devenues insignes de dignité (gui), sontenterrées au cours de sacrifices célébrant les alliances entre les grands féodaux (Houma, Shānxi).

À l'époque des Royaumes combattants (Ve-IIIe s. av. J.-C.), les formes traditionnelles se couvrent despirales, de dragons en S, souvent entrelacés et rehaussés de stries. L'usage d'une roue – et peut-être du fer– permet une grande virtuosité technique. Des objets de parure – symbole de la volonté de prestige desouverains antagonistes – apparaissent : agrafes, pommeaux et gardes d'épée, bagues d'archer, piècesd'appliques, ornements composés de plusieurs plaques ajourées et de têtes de dragons en bronze doré(Guweicun, Huixian, au Henan), bols, boîtes à fard (Jincun, dans la même province). Des plaques minces enjade ou en pierre, que des perforations ménagées aux angles devaient permettre de coudre sur un voile ousur un suaire, ont été exhumées à Changsha (Hunan) et à Luoyang (Henan). On observe aussi des variétéslocales telles les plaques en forme de dragon de Changsha.

Le rituel funéraire se complète au début des Han occidentaux (206 av. - 9 apr. J.-C.). Explorées en 1966 àMancheng (Hebei), les sépultures du prince Liu Sheng (frère de l'empereur Wudi) et de son épouse Dou Wanont permis d'observer l'influence de la croyance taoïste dans les qualités apotropaïques du jade grâce auxdeux linceuls faits de plaquettes de jade, reliées par des fils d'or (yuyi). La tête de la princesse reposait surun oreiller en bronze doré incrusté de jade. Outre de nombreux bi ornés de spirales dont l'un est surmontéde dragons ajourés, on a aussi relevé la présence d'un sceau gravé au nom de la défunte, muni d'un boutonde préhension en forme de personnage agenouillé. Une cigale, symbole de la résurrection, était posée dansla bouche, des œillères couvraient les yeux et dans les autres orifices du corps étaient introduits des tubesen jade. Ces objets sont parfois exécutés dans des pierres moins précieuses, selon un principe hiérarchiquedont on trouve l'écho dans les textes. Il semble que des pièces de qualité variable, loin d'être des variétésrégionales, soient, en fait, dues à l'observation de tels principes.

En 1972 et en 1977, à Xingzhuan Xianyangxian (Shǎnxi), entre les tumulus de deux empereurs des Han occidentaux, furent trouvées, par hasard, quelques pièces exceptionnelles : un génie chevauchant un coursier parmi les nuages, symbole du voyage mystique des Bienheureux Immortels, exprime le triomphe des idéaux taoïstes, de même qu'une chimère ailée, évoquant les grandes sculptures funéraires du IIe siècle après J.-C. On en retrouve d'ailleurs un modèle en bronze incrusté d'argent dans la sépulture d'un prince de Zhongshan (Hebei) remontant au IVe siècle avant J.-C., première apparition des pixie, protecteurs des défunts et de leurs tombes. Les grandes sculptures funéraires bordant le shendao, chemin des âmes, remarquées par Victor Segalen au Sichuan et au Zhejiang (IIe s.-VIe siècle apr. J.-C.) avaient servi de points de comparaison à A. Salmony et Desmond Gure pour la datation de nombreux exemples attribués aux Six Dynasties. Cette méthode comparative, qui garde toute sa valeur, permet, puisque les inscriptions et les

Page 27: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

exemples sont très rares dans les tombes pillées depuis longtemps, de donner une certaine classification auxcollections répandues dans le monde.

Cependant, à la fin des Sui (589-617), réunificateurs de l'empire, un petit gobelet en jade blanc bordéd'or, d'une simplicité où s'exprime la valeur que l'on accordait à une matière si précieuse, a été trouvé dansla tombe de la petite princesse Li Jingxun, décédée en 608.

Rares sont les exemples datant de l'époque Tang (618-907). Dès longtemps violée, la tombe de laprincesse Yongtai (706) n'a conservé que quelques fragments d'ornements décorés de fleurs gravées. ÀChengdu (Sichuan) la sépulture de Wan Jian, souverain des Shu antérieurs (901-918), a révélé deux boîtes enlaque posées à la tête et au pied du cercueil ; l'une contenait un bi à décor de phénix et un sceau, l'autre,une ceinture faite de sept plaques de jade gravées de dragons et un volume formé de cinquante-trois feuillesinscrites de jade également et dont les plats s'ornaient d'un guerrier en armure, rehaussé de couleurs. Ils'agit là d'une antique tradition puisque dans la tombe du prince Liu Sheng furent trouvées des lamelles dejade plus étroites, formant un volume dont le texte a disparu.

Retour à l'archaïsme

L'exotisme des Tang subsiste sous les Song (960-1279) avec des rhytons à tête animale. On s'inspireaussi des formes pures des céramiques de l'époque mais, à partir du milieu du XIe siècle, on constate surtoutun retour à l'archaïsme des Royaumes combattants et des Han, tendance qui se poursuivra sous ladomination mongole des Yuan (1279-1368) et dont le Kao yu tulu (1341) nous apporte l'écho.

Un art fait d'emprunts

À l'époque Ming (1368-1644), la fidélité à la tradition s'allie avec des emprunts aux formes des laques etdes céramiques (coupes à anses en forme de dragon ou bols recueillis dans la tombe de l'empereur Wanli).Mais, dans les parures (épingles à cheveux) ou dans les objets destinés au Studio des lettrés, on voit poindreun goût pour la virtuosité et un certain naturalisme (fleurs, fruits, animaux).

Vase en jade sculpté

Vase en jade sculpté : un dragon grimpe le long de la paroi pour atteindre la perle de la sagessesituée au sommet. Fin de la dynastie Yuan (1280-1368), début de la dynastie Ming (1368-1644),Chine. Oriental Museum, Durham University, Grande-Bretagne.(The Bridgeman Art Library/Getty)

Cette tendance ira s'accentuant sous la domination des Mandchous Qing (1644-1911), en particulier sousle règne de l'empereur Qianglong (1736-1796) où avec les néphrites du Turkestan sont travaillées lesjadéites blanches extraites de Birmanie ainsi que d'autres pierres dures aux tons variés. Le renouveau desétudes archéologiques entraîne un retour à l'archaïsme mais l'interprétation des motifs anciens montre qu'onne les comprenait pas. La recherche de la virtuosité, caractéristique de l'époque, s'exprime dans lesmanches de pinceau, les objets destinés au Studio des lettrés, telles ces montagnes magiques évoquant lesrandonnées mystiques chères aux taoïstes. La diffusion du tabac fait naître de petits flacons aux décorsdivers qui donnent lieu à de véritables tours de force.

Tabatières

Deux tabatières, à gauche en ambre et à droite en cristal de roche gravé, Chine. Dynastie Qing.XVIIIe-XIXe siècle. Collection privée.(Paul Freeman, The Bridgeman Art Library/ Getty)

À l'heure actuelle, les centres d'artisanat des grandes villes chinoises travaillent encore jade et pierresdures, mais leur production, destinée à l'exportation, est médiocre.

Page 28: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Madeleine PAUL-DAVID

VI- Ivoire

Des techniques minutieuses

La production des ivoires chinois s'étend sur plus de trois millénaires. Ils peuvent se répartir encatégories distinctes, liées à leur époque, leur destination et la disponibilité de la matière première. Sous lesdynasties Shang et Zhou, l'éléphant était indigène dans le nord et le centre de la Chine ; l'ivoire, matièreprécieuse, était réservé à des objets rituels ou cérémoniels destinés au roi ou à la noblesse. Aux environs del'ère chrétienne et pendant les siècles qui suivirent, l'éléphant ne subsiste qu'en Chine du Sud et l'ivoiresemble avoir été importé occasionnellement de l'Inde et de l'Asie du Sud-Est. Les pièces connues sont rareset difficiles à dater. En revanche, à partir des Yuan et surtout des Ming, la production devient de plus en plusabondante et variée, servie par un commerce maritime intense qui répand en Chine l'ivoire de l'Asie et del'Afrique. Enfin, dès le début du XVIIIe siècle, apparaît une fabrication massive destinée à l'exportation versl'Europe ; elle se poursuivra jusqu'aux temps modernes, mais a sombré très vite dans la pure virtuosité.

L'ivoire se travaille facilement avec des outils de métal, dans le sens du grain pour éviter les éclats ; ilpermet un rendu réaliste et minutieux des détails. En vieillissant, l'ivoire prend une patine chaude et brillanteque ne peut égaler aucun procédé artificiel (fumées de tabac, ocre, tanin). Sa résistance au temps, sadouceur au toucher après polissage en ont fait un matériau très apprécié des lettrés chinois. La taille estl'ouvrage d'artisans groupés en corporations, qui ne signent leurs œuvres que très rarement. Par contre,beaucoup de pièces sont datées ou portent un poème gravé. Les ivoires peuvent être finement incisés,sculptés, ajourés, incrustés de turquoises ou d'autres matières précieuses. À certaines époques, ils ont étérehaussés de couleurs, laqués ou dorés.

Une production variée

Les ivoires archaïques, qui remontent à 1300 environ avant J.-C., sont de petites dimensions : épingles àlarge tête, pièces d'ornement, manches d'objets rituels, et ne subsistent souvent qu'à l'état de fragments. Ilsportent le même décor gravé que les bronzes, les marbres, les jades contemporains : masques dragons,spirales, cigales. Ce décor évoluera, comme celui des bronzes, à l'époque Zhou, vers un style animalier plussouple. Parmi les plus importants des ivoires archaïques figurent un beau masque de taotie, d'époque Shang,et une pièce d'applique de la fin des Zhou, ornée de dragons entrelacés dans le style des bronzes duVe siècle (musée Guimet, Paris).

Sous les dynasties suivantes, les ivoires sont rares ; les seuls que l'on puisse dater avec certitude, del'époque Tang, se trouvent dans le trésor du Shōsōin, à Nara (Japon) : pièces ornementales, instruments demusique, dés à jouer, manches d'éventail ou de poignard.

Les Ming inaugurent une ère d'abondante production ; ce sont des statuettes, religieuses ou profanes,traitées avec simplicité et dont l'attitude et les draperies souples s'adaptent à la courbe de la défense ; cesont tous les accessoires du lettré (pots à pinceaux, appuie-bras, écrans de table), ainsi que ceux desfumeurs d'opium. Il faut encore mentionner les ivoires « médicaux » – ils offrent un des seuls exemples denudités féminines dans l'art chinois –, les sceaux, dont quelques exemplaires impériaux nous sont parvenus,et les ornements des mandarins. Sous les Qing, la variété est plus grande encore et l'habileté technique vacroissant. Outre un atelier impérial fondé en 1682 et resté actif jusqu'en 1796, des centres fonctionnent àCanton, Shanghai, Amoy, Ningbo ; il est d'ailleurs impossible d'identifier leurs productions respectives. Ilsemble cependant que les pièces les plus fouillées proviennent du Sud, tandis que les décors du Nord sont àla fois plus sobres et plus robustes.

Page 29: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Depuis le début du XVIIIe siècle, les ateliers de Canton sont spécialisés dans les ivoires d'exportation, quideviennent des exercices de virtuosité répondant au goût européen pour l'exotique et l'insolite. Tels sont leséventails ajourés, les « boules de Canton » aux nombreuses sphères concentriques, les jeux d'échecs ettoutes sortes de bibelots, jusqu'aux maquettes de temples, de pagodes, de palais, tous reproduits avec ungrand luxe de détails.

Daisy LION-GOLDSCHMIDT

VII- Architecture

L'organisation de l'espace

Dans l'ancienne cosmologie chinoise, le Ciel étant conçu comme rond et la Terre comme carrée, l'espaceest imaginé sous forme de carrés emboîtés, sortes d'espaces hiérarchisés autour du noyau que constitue lacapitale, carré marqué par quatre portes aux quatre orients et centre de convergence des influencescosmiques. On aboutit ainsi à une image géométrique du monde, animée par tout un réseau élémentaire decorrespondances spatiales. Les alternances et les oppositions inhérentes au mouvement de l'univers seretrouvent dans l'espace humain. Destinée à refléter cet ordre idéal, l'architecture chinoise a conservé desspéculations anciennes quelques principes essentiels, tels que l'orientation, la pureté géométrique desformes et la symétrie, souvenir d'une organisation dualiste du monde.

L'espace architectural se présente en Chine comme une série de mondes clos, complets, de la ville à lamaison privée, qui constituent des unités indépendantes de plus en plus petites, répétant en microcosme lesformes des unités plus grandes. Cette décentralisation n'est jamais signe d'anarchie ; en Chine,l'aménagement de l'espace fut toujours soumis à des règles, l'architecture y fut un art dirigé, contrôlé parl'État, destiné à assurer un cadre au système social, autant qu'à mettre de l'ordre dans l'univers environnant.

Orientation et axialité

Les notions d'ordre et d'harmonie se retrouvent dans les règles nombreuses et complexes qui présidentau choix d'un emplacement pour la construction de tout édifice. Les géomanciens versés dans le fengshui,littéralement « vent et eau », sont ainsi chargés de déterminer si la nature du terrain, la configuration du sol,la disposition des arbres, des rochers, des eaux de la région sont favorables aux esprits fastes et capablesd'arrêter les esprits néfastes.

L'emplacement une fois fixé, l'architecte trace son plan sans perdre de vue l'axe principal de directionsud-nord. Le symbolisme de cette axialité est évident, car le nord représentait pour les Chinois, outre lesrigueurs de l'hiver, le danger des invasions barbares, donc les influences néfastes. Tout bâtiment important,officiel ou privé, s'ouvre par conséquent au sud. Cette axialité correspond en fait à une voie médiane, selonlaquelle se fait la découverte progressive de l'ensemble architectural. L'ensemble, qu'il s'agisse d'une ville oud'un palais, n'est jamais conçu de façon à être saisi d'un seul coup d'œil, comme on le ferait du haut d'unmonument, mais bien plutôt à être compris par approche à la fois spatiale et temporelle, à la manière d'unepeinture que l'on déroule. Sur l'axe médian, les édifices principaux se succèdent, précédés de vastes coursque ferment à l'est et à l'ouest des bâtiments secondaires.

La tendance est à l'horizontalité, de sorte qu'aucune différenciation hiérarchique entre les bâtiments nes'opère, comme c'est le cas en Occident, par la position dominante du monument important. Or les Chinoisétaient capables de bâtir élevé (maisons à étages, pagodes bouddhiques). La raison de cette unitéd'élévation est donc bien, outre le privilège accordé à la ligne horizontale, le principe d'espaces juxtaposés,selon lequel le bâtiment principal se signale seulement par son emplacement, sa surface plus vaste, le luxedéployé dans les matériaux et la décoration.

Page 30: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

La cour close

Autour de cet axe orienté, les ensembles architecturaux s'ordonnent selon trois dispositions possibles.

La forme la plus ancienne peut-être se compose de quatre bâtiments autour d'une cour. Cette dispositionsymétrique, déjà constituée aux environs de notre ère, s'est perpétuée sans grands changements jusqu'auXIXe siècle, et s'applique à toutes les structures, puisque dans le cas des grands ensembles (palais,monastères...) il suffit de multiplier le dispositif.

La deuxième disposition est symétrique de part et d'autre de l'axe sud-nord, le tout étant enclos d'unmur. Cet agencement apparaît par exemple au temple du Ciel à Pékin.

Le troisième agencement enfin (palais impérial à Pékin) conjugue les deux premiers partis.

Ces trois possibilités sont des variations autour d'une constante : la cour fermée sur ses quatre côtés,image d'un monde complet et indépendant.

Pérennité des types, impermanence des matériaux

Cette constante du plan, cette répétition à des échelles différentes d'un modèle unique s'accompagnentd'une grande stabilité dans les types de construction. L'unité la plus répandue est le dian, pavillonrectangulaire (parfois carré, polygonal ou rond), généralement divisé par des colonnes cylindriques en troisnefs transversales ou plus, la première nef formant souvent un portique ouvert. À partir de ce plan simple, onobtient des variantes en surélevant la terrasse sur laquelle repose le pavillon, ou en multipliant les étages decelui-ci.

Ces types de construction qui s'adaptent aussi bien aux palais, aux temples qu'aux habitations privéessont réalisés en bois et destinés à être reconstruits de génération en génération suivant les besoinsnouveaux. Cette prédilection pour le bois n'est due ni au manque d'autres matériaux, ni à l'incapacité de lestravailler : une tradition de la construction en maçonnerie et en pierre existait également, mais elle étaitréservée aux ponts, aux remparts, aux terrasses, aux sépultures et à certaines pagodes. La fréquence destremblements de terre, exigeant une structure flexible, explique peut-être cette préférence pour le bois quid'ailleurs n'était pas sans présenter des inconvénients, dont le plus grave était le danger de destruction parle feu. Mais les reconstructions étaient aussi rapides qu'étaient violents les cataclysmes, de sorte que lesdirigeants chinois n'exigeaient pas des matériaux une résistance qui dépassât une génération. Cettearchitecture volontairement éphémère s'explique tout autant par le fait que les Chinois n'ont jamais placéleur passion d'éternel dans le monument lui-même, mais dans les idées qui ont présidé à sonordonnancement ; l'édifice symbolise ainsi une certaine conception de l'homme dans ses rapports avecl'univers.

L'urbanisme

C'est dans l'espace urbain que se concrétisent le mieux les conceptions architecturales chinoisesindissolublement liées à un ordre social tant réel qu'idéal, à une vision structurée du cosmos et à unecertaine hiérarchie des valeurs.

Le choix d'une ville est soumis à des impératifs de géomancie, à des considérations pratiques(possibilités de ravitaillement en vivres et en eau, de défense, facilité des communications, présence d'unezone artisanale), enfin à des facteurs culturels parmi lesquels prime la valeur mythique et historique du site.

Les principes fondamentaux de la ville chinoise sont l'enceinte murée, l'axialité et la symétrie, ainsi que l'orientation sud-nord. Les villes chinoises ayant toujours été bâties en s'inspirant d'un modèle antérieur présentent pour cette raison une grande unité, que l'on retrouve dans la conception monumentale qui

Page 31: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

s'applique ici à l'ensemble de la ville et non à quelques édifices particuliers. Enfin, il n'existe pas de centreautour duquel s'organise toute la composition et à partir duquel tout rayonne, mais plutôt une longueprogression sur un axe orienté avec une distribution des éléments de part et d'autre de la composition : ainsil'axe de Pékin part de Yongdingmen au sud, passe par Tian'anmen, la montagne de Charbon, et aboutit à latour de la Cloche au nord, avec de part et d'autre les édifices les plus importants de la capitale.

De la cité-palais à la ville moderne

La capitale Shang (XVIIe-XIe s. avant J.-C.), centre nerveux du royaume qu'elle contrôle politiquement etéconomiquement, protégée par son enceinte en terre damée, centrée sur ses réserves de céréales et sontrésor, est animée par le roi, les dignitaires et les prêtres, eux-mêmes servis par un peuple de domestiques,d'artisans groupés par spécialités et d'agriculteurs vivant dans des villages.

Cette cité-palais se transforme à l'époque des Royaumes combattants avec l'augmentation de lapopulation et l'apparition d'une classe urbaine d'artisans libres et de petits commerçants. À partir duVIe siècle, trois unités spatiales distinctes apparaissent à l'intérieur du complexe urbain : un espace closréservé à l'aristocratie ; des quartiers d'artisans et de commerçants dans une enceinte plus large ; enfin leschamps cultivés à l'extérieur de la muraille.

Cette nouvelle formule aboutit au système urbain très organisé de l'époque Han (IIIe s. av. - IIIe s. apr.J.-C.). La ville, entourée de murailles avec des portes sur les quatre côtés, est divisée en plusieurs quartiersséparés par des rues ou des avenues. Chaque quartier, contenant environ cent maisons, est à son tourentouré d'un mur pourvu d'une seule entrée. À partir de l'entrée unique d'un quartier, des ruelles mènentaux portes de chaque maison. Toutes les portes sont surveillées par des gardes et fermées la nuit. Lesadministrations se trouvent au centre de la ville ; un quartier est réservé au marché près duquel habitentmarchands et artisans, tandis que les cultivateurs sont groupés près des portes de la ville. Ce système quiconsiste à enfermer le peuple dans un quartier facilite la surveillance et le recrutement.

Le système s'assouplit sous les Tang (618-907). Chaque quartier a désormais quatre portes d'entrée, cequi facilite les communications. De plus, la capitale Chang'an présente des innovations : le palais impérial estplacé contre le mur nord de la ville, avec au sud les bureaux gouvernementaux. Les deux marchés ne sontplus disposés au nord du palais, mais de façon fonctionnelle, pour servir d'entrepôts aux denrées arrivantdans la ville en provenance de l'est et de l'ouest.

Le plan de Chang'an adopte un parti à peu près symétrique. La cité s'étend sur 9,721 km de l'est àl'ouest, et 8,652 km du nord au sud, avec une enceinte de 35,5 km de développement. L'axe sud-nord, largede 150 m, sépare la cité extérieure (située au sud de la cité impériale) en deux districts (est et ouest).L'ensemble est partagé par des artères en 108 quartiers (fang), chacun enfermé dans ses propres murailles.Le plan de cette immense capitale servit de modèle à de nombreuses villes tant chinoises qu'étrangères(exemple : la capitale japonaise de Nara fondée en 710). Conçue à l'échelle du continent qu'elle gouvernait,Chang'an comptait à la fin du VIIe siècle un million d'habitants intra-muros, très inégalement réparti dans laville, puisque certains quartiers se composaient de champs, de terrains d'exercices militaires ou de polo, deparcs d'agrément dépendant des maisons de la haute société.

À la même époque, les marchés temporaires, au croisement des voies de communication, prennent uneimportance croissante et finissent par former des villes permanentes, origines des nouvelles citésmercantiles qui apparaissent à l'époque Song, sans murs d'enceinte autour des quartiers. La formation degrandes cités modernes sous les Song est due à un ensemble de faits nouveaux (pression des barbares,progrès des techniques agricoles et maritimes, passage à l'économie monétaire) qui vont transformer la vieéconomique du pays, et par voie de conséquence modifier le visage de la ville chinoise. Densité de lapopulation, éclatement des marchés et des quartiers suburbains, formation des corporations, développementdu trafic commercial, de l'artisanat local et de l'activité de distribution, accroissement de l'industrie de ladistraction lié au développement des classes populaires urbaines, tous ces caractères apparaissent àHangzhou, capitale des Song du Sud (1127-1279).

Page 32: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Les Yuan, puis les Ming restaurent le système des quartiers fermés tels qu'ils existaient avant les Song.Beaucoup de villes et de villages se fortifient, dans la crainte d'un retour des envahisseurs nordiques etsurtout des révoltes paysannes. Les villes chinoises prennent dès lors l'aspect qu'elles ont conservé jusqu'ànos jours : villes du Nord, carrées ou rectangulaires, aux rues se coupant à angle droit, avec au centre la tourdu tambour ou de la cloche, villages de plaine entourés de murs en terre ; agglomérations du Sud adosséesaux montagnes ou en bordure de rivière, au plan moins strict qu'au nord, coupé de canaux et de voies d'eau.Pékin, exemple le plus manifeste des villes du Nord entourées de remparts, constitue en quelque sortel'héritage de l'urbanisme en Chine. Édifiée à partir du plan Yuan, la physionomie de la double ville actuelleapparaît ainsi : à peu près carrée au nord (ville impériale ou intérieure des Ming et des Qing), rectangulaireau sud (ville extérieure). L'axe sud-nord qui régit Pékin part de la porte centrale du mur sud de la villeextérieure, s'étend sur 8 km jusqu'aux tours du tambour et de la cloche. Les portes de Pékin remontent, pourle style, au début de l'époque Ming. Elles ont deux tours : l'une, extérieure, en brique nue, à parois inclinéespercées seulement de quatre rangées de meurtrières, est construite sur un large soubassement. La tourintérieure, plantée sur les remparts, a l'aspect d'un grand pavillon à deux ou trois toitures superposées et àgaleries faisant le tour des deux étages principaux. De longues rampes permettent d'accéder à la terrasse.

Plan du centre de Pékin

Plan du centre de Pékin(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

L'édifice chinois

Les éléments de base sont simples : une terrasse à revêtement de brique ou de pierre supporte descolonnes de bois placées sur des soubassements de pierre. Les murs du bâtiment, simples écrans, n'ontaucune fonction de structure. Ce sont les colonnes qui portent l'édifice. Celui-ci est mesuré enentrecolonnements, l'entrecolonnement étant l'espace délimité par quatre colonnes. Les colonnes chinoisesne comportent pas de chapiteau, mais un système de consoles en bois rayonnant, en principe, dans lesquatre directions, et supportant les poutres. Celles-ci peuvent être également mortaisées dans les colonnesou les traverser de part en part. Dans la charpente chinoise, les poutres sont de longueur décroissante au furet à mesure que s'élève le bâtiment ; chaque traverse maîtresse porte une paire de faux poinçons destinés àsoutenir une traverse plus courte. Les pannes qui portent les chevrons reposent sur les poinçons etl'extrémité des poutres de chaque étage. Alors que la ferme de comble occidentale se présente comme untriangle mécaniquement rigide dont la base est l'entrait, la ferme chinoise est un système beaucoup pluscomplexe. Par l'intermédiaire des poinçons et des entraits retroussés, l'entrait doit supporter ici tout oupartie du poids de la couverture. Cette ferme par empilage s'élève, par une série de degrés, jusqu'à ce quela hauteur désirée soit atteinte. Les arbalétriers sont souvent absents, les pannes étant supportées par despoinçons verticalement fichés dans les entraits. Un tel système permet de donner au toit une courbe soitconcave, soit convexe.

Le développement considérable des toitures en Chine est dû au fait que l'entrée du bâtiment ne setrouve pas sous un pignon, mais au milieu d'un long côté, c'est-à-dire au milieu d'un des murs gouttereaux. Ilétait nécessaire d'alléger l'aspect de cette toiture, et les architectes chinois y réussirent en donnant lapréférence à la toiture brisée et – cela à partir d'une certaine époque – en courbant légèrement les bords dutoit qui semble alors suspendu aux quatre coins par des fils invisibles.

La ferme par empilage permet de donner aux toits des formes très variées. En outre, les conditionsclimatiques et les traditions régionales en Chine sont si diversifiées que les solutions en ce domaine sontmultiples, depuis le toit plat jusqu'au toit à croupe, en passant par le toit rond, la pente unique, le pignon etla demi-croupe. Souvent, lorsqu'il s'agit de grands pavillons, le toit est brisé et comporte deux gradins, legradin inférieur étant plus large. Cette disposition en double toit divise et allège les grandes masses.

Les tuiles de couverture sont alternativement concaves et convexes. Sur les bâtiments ordinaires, elles sont peu cuites et de nuance grisâtre, tandis que sur les édifices importants elles sont vernissées et colorées

Page 33: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

(jaune, bleu ou vert). Des figurines et acrotères en terre cuite, parfois vernissés comme les tuiles, sontalignés sur les arêtes des croupes.

Typiques des constructions chinoises, les toits débordants permettent un meilleur écoulement des eauxlors des fortes pluies, de même qu'ils protègent du soleil en période de grande chaleur. Mais le toit étant trèslourd, il est nécessaire d'en soutenir les bords à l'aide de consoles. La console, comme unité caractéristiquedes encorbellements, est la combinaison de trois éléments : à la base, un bloc porteur sur lequel repose unlong bras qui porte lui-même trois petits blocs également espacés pour soutenir la panne du toit. Le systèmeatteint son plein épanouissement à l'époque Tang. Le bord du toit est alors soutenu uniquement dans l'axedes colonnes ; sous les Song, il le sera également entre les colonnes. Plus tard, sous les Ming et les Qing, lesconsoles seront multipliées jusqu'à former une corniche ornementale continue, et ne joueront plus aucunrôle, les pannes reposant sur des poutres saillantes.

La sustentation effective du toit est obtenue non seulement par un système de consoles, mais aussi parun effet de levier. Le bras de console oblique, qui apparaît vers le IIIe siècle de notre ère, placé directementsous le toit et descendant jusqu'au bord de celui-ci en suivant le même angle que les chevrons, se terminesous la panne du bord du toit qu'il soutient à l'aide d'une console ou d'une poutrelle transversale. À partirdes Ming, le bras incliné n'a plus de rôle pratique et devient, comme l'encorbellement, un simple ornement.

Les édifices impériaux

Rien ne subsiste des palais de l'antiquité chinoise, construits en matériaux périssables ; seulesdemeurent les terrasses sur lesquelles ils s'élevaient. Des emplacements de palais furent ainsi découvertsdans les capitales Shang à Zhengzhou et Anyang au Henan, et dans des villes des Royaumes combattants auShandong et au Hebei.

Le palais impérial des Tang à Chang'an, situé au milieu de la partie nord de la ville, faisait face au sud oùil touchait la cité impériale (siège des bureaux gouvernementaux). Point focal de l'Empire, il constituait lapartie essentielle de la capitale. Il comprenait des salles d'audience et, à l'arrière, les appartements privés del'empereur. Mais ces édifices, construits en terrain bas, étaient très chauds en été ; aussi les souverains Tangentreprirent-ils, dès 634, la construction d'une nouvelle résidence, le Daminggong, sur un emplacement plusélevé et contigu à la muraille nord. Ce palais, situé au nord-est de la ville, et couvrant une superficie de2 km2, devint la résidence permanente des empereurs. Son plan, ses murailles, ses principales portes et unevingtaine de bâtiments ont été repérés avec précision au cours de plusieurs campagnes de fouillescommencées en 1957.

Si les palais Song et Yuan ne nous sont connus que par l'image idéalisée qu'en ont laissée les peintres,ceux des Ming et des Qing sont préservés à Pékin. Le palais impérial actuel (Gugong), commencé en 1406,rénové au XVIe siècle, fut en grande partie reconstruit et restauré du XVIIe au XIXe siècle. Cependant ladisposition d'ensemble n'a guère changé.

Cette « cité interdite » se présente comme un immense rectangle de presque 1 km de long (sud-nord) sur 760 m de large (est-ouest), ceint d'une muraille qui dépasse 7 m de hauteur et d'un large fossé. La muraille est percée de quatre portes, chacune à trois ouvertures et couronnée d'un pavillon. La partie officielle du palais comprend trois grands bâtiments d'honneur construits sur une vaste terrasse à trois gradins. L'enceinte de la cour extérieure, qui groupe ces trois bâtiments de cérémonie, est munie de galeries dont celles de la partie sud abritaient des bibliothèques et les magasins impériaux. Dans la partie privée du palais, ou cour intérieure, la chaussée axiale se continue vers le nord, ponctuée par trois grandes salles qui répondent aux trois salles officielles de la cour extérieure. De chaque côté de cette partie centrale, de nombreux pavillons sont disposés dans des cours : appartements de la famille impériale, des concubines, des eunuques. L'angle nord-ouest de la cité-palais était occupé par un vaste parc. « La multitude des bâtiments renfermés dans les limites de la cité interdite donnerait le vertige, n'étaient la régularité de leur ordonnance et l'uniformité de leur style. Ce vaste terrain est divisé en un grand nombre de cours et d'enclos entourés de murailles. Le plan de ces enclos est toujours rectangulaire et la position des bâtiments toujours symétrique »

Page 34: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

(O. Siren, Les Palais impériaux de Pékin). La blancheur des terrasses de marbre, l'enduit rouge des édificesen bois, le jaune des toitures vernissées s'harmonisent ici admirablement aux frondaisons des cours.

Plan de la Cité interdite de Pékin

Plan de la Cité interdite de Pékin(2005 Encyclopædia Universalis France S.A.)

La Cité interdite

Salle de l'Harmonie suprême, Cité interdite. Pékin, Chine.(Istituto Geografico De Agostini)

Les temples impériaux

Les autels de sacrifice, où l'empereur venait officier et prier les puissances naturelles, se dressaientd'ordinaire à l'extérieur de la ville. Quand furent commencés au XVe siècle à Pékin les bâtiments du templedu Ciel, le site faisait partie de la banlieue.

L'emplacement de ces temples était déterminé par un symbolisme qui lie l'orientation, la couleur et lecycle saisonnier. Chaque ensemble se compose essentiellement des éléments suivants :

– un autel : terrasse à un ou plusieurs étages, rectangulaire ou circulaire, entourée de balustrades demarbre. Cet autel élevé au milieu d'un enclos est ceint de murs ;

– un temple impérial, où l'on conserve les tablettes en dehors du temps des sacrifices ;

– un palais, où l'empereur se retire avant d'officier ;

– de nombreux édifices, servant de remises pour les accessoires du culte, de cuisines pour la préparationdes mets.

Le temple du Ciel (Tiantan), le seul des temples impériaux de Pékin qui soit bien conservé, fut édifié en1420, puis restauré en 1530 et en 1751. L'ensemble, entouré par une double muraille, occupe une surfacede 1 700 m sur 1 600 m. L'enclos intérieur se divise en deux parties aux fonctions distinctes : au sud, l'autelcirculaire ; au nord, le temple proprement dit où l'empereur demande au Ciel de bonnes récoltes. Ces deuxgroupes sont reliés par une avenue médiane large de 30 m.

Temple du Ciel à Pékin

Le temple du Ciel dans le parc Tiantan de Pékin.(Jean-Marc Truchet, Tony Stone Images/ Getty)

Cet admirable ensemble, auquel l'environnement des arbres ajoute une dimension de profondeur,constitue l'un des points culminants de l'architecture de Pékin. Les restaurations successives ont respecté ici,mieux peut-être qu'au palais impérial, la grandeur de la composition, l'élégance et la sobriété de laconstruction initiale.

L'architecture religieuse

Elle comprend à la fois les temples et pagodes bouddhiques, les temples confucéens et taoïstes. En fait, sur le plan purement architectural, il n'existe pas de différence majeure entre un temple confucéen, taoïste ou bouddhique. Le plan, que caractérisent la symétrie de part et d'autre d'un axe médian et la disposition des bâtiments autour d'une cour, est adopté quel que soit le culte qui s'attache au temple. À la plupart des sanctuaires bouddhiques étaient adjoints des bâtiments conventuels, de sorte que le plan du monastère

Page 35: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

comprend le temple (sur l'axe central) et ses annexes monastiques.

Introduit dès le Ier siècle de notre ère, le bouddhisme est resté pendant quelques siècles la religion depetites communautés isolées, et il faut attendre la seconde moitié du Ve siècle pour que se multiplient lesgrottes bouddhiques, et pour que temples et monastères se répandent dans les villes et les campagnes. Lestemples du VIe siècle semblent ignorer encore l'axe médian et la disposition symétrique des bâtiments,données qui prévaudront à partir du VIIIe siècle. En 1937, au Wutaishan, fut découverte, avec la salleprincipale du Foguangsi, la plus ancienne construction, en bois d'époque Tang et de grandes dimensions,subsistant en Chine. La salle, qui date de 857, présente sept entrecolonnements sur quatre en profondeur, etun toit à croupe reposant directement sur les pannes. Les bords du toit sont soutenus par un système deconsoles dont les encorbellements sur colonnes se distinguent encore par leur massivité desencorbellements intermédiaires qui sont plus simples.

S'il reste de nombreuses pagodes datant des Song, l'unique bâtiment Song qui conserve sa dispositionoriginelle (971) est le Longxingsi à Zhengding, au Hebei. Le plan est rectangulaire, orienté sud-nord, selon undispositif qui se maintiendra sous les Yuan. L'ensemble Yuan le plus complet demeure le Yonglegong, àRuicheng au Shānxi, temple taoïste (1247-1358) redécouvert depuis 1949.

Sous les Ming et les Qing, aucune forme nouvelle n'est inventée, les seules recherches tendent à lamonumentalité et à l'ornementation. De conception traditionnelle, le temple de Confucius à Qufu auShandong date dans son aspect actuel du début du XVIe siècle. Aucune innovation architecturale ne marquecette construction, qui se distingue surtout par son ampleur et la richesse de ses matériaux.

L'architecture funéraire

À l'époque Shang (XVIIe-XIe s. av. J.-C.) et Zhou (Xe-IIIe s. av. J.-C.), le principe de la fosse verticaleprédomine dans la construction des sépultures. Une fosse rectangulaire est creusée, au fond de laquelle doitêtre placé le mort. C'est ce modèle qui, avec des variantes, apparaît à Anyang (Henan), où plus de deux millesépultures de l'époque Shang ont été mises au jour. Certaines tombes royales y présentent deux ou mêmequatre passages ; la plus vaste de ces tombes couvre 380 m2.

Une nouvelle forme de construction apparaît à l'époque des Royaumes combattants (Ve-IIIe s. av. J.-C.) :une chambre est creusée dans une des parois latérales de la fosse verticale et le cercueil est déposé danscette chambre. La construction de sarcophages de bois afin de préserver le cercueil du défunt et les objetsqui l'accompagnent se généralise alors pour les tombes les plus importantes. Suivant leurs dimensions, ilssont divisés en chambres ou simplement compartimentés. Dès cette époque, des tumuli surmontent lesgrandes tombes, tandis que les petites sépultures continuent à être réunies en cimetières.

La construction d'une chambre, liée à l'emploi des briques, va remplacer complètement les fossesverticales. À l'époque Han, tous les moyens sont mis en œuvre pour protéger le mort de la destruction :caveaux enfouis dans le sol ou creusés dans le roc, tumulus et, pour en supporter la pression, le procédé deconstruction le plus résistant, la voûte. Le tumulus est placé au centre du champ funéraire dont l'étendue estproportionnée au rang du défunt, et dont l'orientation se conforme aux prescriptions de la géomancie. Onpénètre dans le champ par le chemin des âmes, tracé selon l'axe médian de la sépulture. L'entrée de cechemin est marquée par une paire de piliers et le chemin lui-même est bordé d'une double série de statues,de stèles et de piliers. À l'extrémité de cet axe se dresse le tumulus, pyramide tronquée précédée d'unestèle qui porte la généalogie du défunt. Dans certaines provinces (Henan, Shandong), une chambrette endalles de pierre, servant de salle d'offrandes, s'élève près de la stèle. Sous le tumulus, un couloir souterrainconduit à une ou plusieurs chambres en pierre ou en brique. Ces chambres sont le plus souvent voûtées enencorbellement, parfois en berceau, plus rarement en arc brisé, selon un archétype qui se retrouve à cetteépoque de la Mandchourie au Nord Vietnam.

Ce type de tombes se perpétuera au cours des siècles suivants (tombes des dynasties méridionales, Ve-VIe s., près de Nankin). Sous les Tang et les Song, l'allée s'allonge, les statues se multiplient, annonçant

Page 36: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

les sépultures impériales Ming qui constituent l'aboutissement de ce programme funéraire dominé par l'axemédian orienté, le souci de symétrie et la chambre voûtée sous un tumulus.

À Nankin (tombeau de Hongwu, fin du XIVe s.) comme à Pékin (XVe-XVIIe s.), les sépultures impériales desMing, situées dans un endroit retiré, au milieu d'un vaste parc enclos de murailles, sont empreintes decalme, de recueillement et de mystère. Le site de la nécropole impériale de Pékin (40 km au nord-ouest de laville) forme un immense amphithéâtre, entouré de montagnes au nord, à l'est et à l'ouest. Le tombeau deYongle, le Changling, terminé en 1415, en forme le centre, les douze autres sépultures étant disposées surles pentes inférieures des collines, en éventail autour de la voie sacrée. Celle-ci fut prolongée en 1540jusqu'à un portique en marbre blanc, formant une porte monumentale à cinq ouvertures. Ces portiques,appelés pailou, honorifiques ou commémoratifs, ne sont pas réservés aux sépultures, mais sont élevéségalement à l'entrée des temples ou de certains édifices publics.

Entre 1956 et 1958, le Dingling, tombeau de l'empereur Wanli (1573-1620), fut fouillé. L'ouverture decette tombe, véritable palais souterrain, dont l'architecture répond parfaitement aux amples constructionsde la cité interdite de Pékin, révéla un art impérial dont il était difficile d'imaginer la splendeur.

La maison

C'est à l'époque Han que se dessinent définitivement les caractéristiques de la maison chinoisetraditionnelle. L'abondance de la documentation fournie par le mobilier funéraire et les pierres gravées destombes de l'époque permettent de distinguer des habitations de petites et de grandes dimensions. Les plusgrandes montrent une cour entourée de bâtiments sur les quatre côtés, où tout est clos sur l'extérieur, où lavie se déroule en espace fermé. Cette maison distribuée autour d'une cour restera le modèle del'architecture domestique chinoise aux époques ultérieures. Les cours peuvent être multipliées dans le casde familles princières, mais l'entrée principale est toujours face au sud et le bâtiment du fond reste la salleprincipale. Derrière cette salle, les maisons riches possèdent un jardin d'agrément qui abrite des pavillons etdes pièces d'eau.

Cette maison traditionnelle se maintiendra sans grands changements jusqu'à l'époque Qing. Les maisonsde cette dernière période sont encore nombreuses et varient selon les régions, les climats et les traditionslocales. Les habitations du peuple sont en majorité soit rectangulaires (dans le sens nord-sud ou est-ouest, etmesurant de un à trois entrecolonnements), soit en équerre, soit troglodytes. Les classes aisées, par contre,font construire soit des maisons rectangulaires dans le sens est-ouest (avec plus de troisentrecolonnements), soit des ensembles comprenant des bâtiments autour d'une ou de plusieurs cours. Laforme des toits diffère selon les régions : à double pente dans les provinces à forte pluviométrie, dans lesautres régions ils ne sont qu'à une seule pente de faible inclinaison, plats ou ronds.

Derrière le portail des habitations riches s'élève un mur des génies (yingbi), sorte d'écran destiné àinterdire l'accès de la demeure aux mauvais esprits qui ne peuvent, dit-on, se déplacer qu'en ligne droite.Ces murs, communs aux maisons, aux palais et aux temples, sont généralement enrichis de bas-reliefs enterre cuite, vernissée et polychrome lorsqu'il s'agit d'un édifice important.

VIII- Jardins

Les composantes

Si la maison chinoise est bâtie selon des règles assez conventionnelles, telles la clarté, la symétrie et la ligne droite, le jardin, son extension naturelle, est au contraire caractérisé par l'irrégularité, l'asymétrie, la ligne courbe, le mystère, l'originalité et l'imitation de la nature. Le jardin chinois, œuvre d'imagination, conçu par et pour l'individu, garde un contact plus intime avec la nature sauvage que le jardin occidental, et tend à

Page 37: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

recréer une promenade dans un plus vaste paysage. Cette randonnée toute de liberté et de fantaisiecommande la composition du jardin chinois constitué d'espaces plus ou moins isolés, découverts etappréciés graduellement : ce jardin ne peut en effet jamais offrir d'ensemble à partir d'un point donné. Lepromeneur est donc conduit au long des sentiers à travers une composition qui, conservant le charme dumystère, ne se révèle jamais complètement. Itinéraire spirituel, le jardin est encore en Chine une retraiteconçue pour le loisir, l'amitié, la méditation et ces plaisirs raffinés qu'apportent le vin, la récitation despoèmes, l'appréciation d'un objet d'art.

Il existe une grande variété de jardins, due aux différences de climat, de végétation et de site ; ainsi unjardin de Suzhou au Jiangsu ne peut-il ressembler à un jardin de Pékin, même si tous deux ont été dessinéssuivant les mêmes principes. De plus, les jardins citadins se distinguent des jardins campagnards. Les jardinsdes villes ont occupé en Chine une superficie beaucoup plus grande et connu un développement beaucoupplus important qu'en Occident. Ces jardins, enclos de murs, formaient une extension de la demeure : on ytrouvait des pavillons, des bibliothèques, de petites salles réservées à la dégustation du thé, à la musique ouà l'étude.

Les jardins, comme la peinture de paysage, peuvent être définis par l'expression shanshui, « montagneset eaux », en y ajoutant les arbres, les fleurs et les éléments architecturaux. Montagnes, bâtiments etplantations donnent le modelé, les jeux d'ombre et de lumière, tandis que les sentiers et les rivières, par leurjeu ondulant de lignes souples, apportent à la composition rythme, mouvement et variété. Ces différentséléments, montagnes et rivières, grottes et lacs, pavillons et ponts – expression de l'univers entier –, font dujardin un microcosme d'où sont bannis tous les principes de symétrie et d'ordre, tout ce qui pourrait donnerune impression de raideur.

Source de vie du jardin, miroir où vibrent les images, l'eau offre en outre dans cet espace clos uneouverture sur l'infini qu'amplifient la sinuosité des ruisseaux et la courbe des lacs dessinées de telle sorteque l'on ne puisse en voir la fin. Les montagnes constituent l'élément le plus original et le plusspécifiquement chinois de ces jardins. Les rocailles sont ici l'expression d'une très ancienne traditionculturelle et d'un intérêt profond pour le monde minéral. L'évocation d'une montagne tout entière par unsimple rocher semble avoir atteint sa perfection sous les Tang. La recherche de pierres aux formes étrangesdevint à partir de l'époque Song une passion de collectionneur. Souvent associées à un pin ou à un bambou,ces pierres se détachent en général sur un mur blanchi à la chaux et se trouvent de la sorte mises en valeur.L'arrangement ne doit jamais être symétrique, mais doit au contraire donner l'impression du naturel. Lavariété et l'imagination atteignent dans ces compositions un sommet à la fin des Ming ; les artistesparviennent alors à donner à leurs montagnes artificielles une impondérabilité telle que les pierres semblentémerger du vide. Contrairement aux montagnes, les fleurs ne constituent pas l'élément essentiel d'un jardinchinois. Prisées pour leurs qualités décoratives, elles le sont aussi et surtout pour les symboles qu'ellesexpriment, telle la longévité (pêcher, vin, bambou), et les images qu'elles évoquent : chrysanthèmeautomnal, pivoines de l'été.

On dit en Chine « construire » et non « planter » un jardin ; c'est exprimer clairement l'union étroite dujardin avec son architecture, l'importance des murs percés de portes et de fenêtres décoratives, l'importanceaussi des pavillons, des ponts et des galeries. Le paysage s'ordonne à partir de ces éléments multiples quil'entourent et le morcèlent. Les galeries ouvertes invitent à la promenade ou au repos. Liaisons entre lesbâtiments et les différentes parties du jardin, elles soulignent les plans d'eau, les escarpements de terrain ;au long de leurs courbes, à partir des vues qu'elles offrent, la composition acquiert son unité et sonpittoresque.

Élément pour ainsi dire organique du jardin, le mur se trouve intimement lié au paysage : il s'incurvepour épouser le terrain, donnant ainsi une impression d'élasticité et de modelé plus que de rigidité. Desouvertures, sortes de fenêtres ornementales aux formes les plus fantastiques, interrompent sa blancheur,révélant une vue qui a toujours le charme de l'inattendu et de la surprise. L'esprit chinois fait ses délices decette part d'imprévisible et d'accidentel.

Page 38: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Jardins privés et parcs impériaux

L'époque Ming peut être considérée comme l'âge d'or des jardins privés ; Pékin au nord, Yangzhou,Nankin, Suzhou et Hangzhou au sud sont les centres les plus créateurs. Si les ensembles subsistantaujourd'hui ne peuvent donner qu'une idée incomplète de l'ancien art des jardins, certains conserventtoutefois quelque chose de l'atmosphère et de l'imagination créatrice qui les a vus naître. Tels les jardins deSuzhou, cité qui garde jusqu'à la fin du XIXe siècle la physionomie d'une ville de lettrés et d'artistes.

Les empereurs chinois avaient en général deux résidences, l'une officielle dans la capitale, et l'autre deplaisance dans les montagnes boisées, au bord des lacs voisins de la capitale. Dans ces parcs d'agrément oùétaient rassemblés les arbres et les fleurs les plus rares de la Chine, la fantaisie se donnait libre cours.

Malheureusement, les parcs et résidences d'été antérieurs aux Ming ont disparu. Les ensemblesimpériaux des Ming et des Qing (lacs à l'ouest du palais impérial à Pékin, vestiges de Yuanmingyuanconstruit au XVIIIe s.) ne sont que très partiellement conservés. L'actuel Yiheyuan, séjour d'été del'impératrice Cixi édifié à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, ne peut se comparer aux anciens palaisd'été. La beauté de son lac ne parvient pas à faire oublier la raideur, le mauvais goût et la surchargedécorative des palais et des galeries conçus en un temps où l'art impérial était en pleine décadence.

Le jardin chinois, qui a donné naissance aux jardins japonais, eut des prolongements, bien que de façonplus superficielle, dans les jardins pittoresques de l'Europe au XVIIIe siècle. Directement et consciemmentinspirés de motifs chinois, les jardins anglais créés entre 1720 et 1730 ne retinrent cependant de leursmodèles que l'aspect le plus extérieur sans en comprendre l'esprit. Cet esprit, il faut le dire, apparaît siintimement lié aux conceptions chinoises qu'il ne pouvait qu'échapper à une première approche. Par réactioncontre la rigidité de la hiérarchie, des rites et des règles où tout est convention, imitation et tradition, lelettré chinois en effet aime à être déconcerté ; le jardin lui offre cette évasion loin du formalisme et de larégularité. Liberté organisée par un homme pour son propre délassement, le jardin représente, de plus,l'insertion idéale dans le microcosme urbain ; c'est un territoire personnel constitué par un morceau denature recréée et idéalisée. Comme tous les lieux de retraite – tombe, maison, ermitage ou monastère –, cejardin est un havre de calme. Il est aussi, comme toutes les manifestations architecturales chinoises, marquédu sceau de l'éphémère. Création fragile, le jardin, conçu pour épouser le transitoire, est animé par là mêmed'une dynamique latente qui est l'une de ses qualités essentielles.

Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS

IX- Mobilier

Évolution du mobilier en bois dur

L'ébénisterie chinoise se distingue par la qualité des bois employés, la solidité et l'équilibre des volumes,les lois rigoureuses de l'assemblage, la sobriété ou même l'absence de décor, toutes caractéristiques quivalent pour la catégorie la plus remarquable, celle du mobilier en bois dur des demeures austères del'aristocratie et des classes aisées ; jamais exportée, cette catégorie est la moins connue en Occident. Il enva tout autrement des meubles laqués ou incrustés, utilisés dans les temples, les palais, les lieux publics ;dès le XVIIe siècle, ils ont fait l'objet d'un commerce intense qui fournit à l'Europe des modèles qu'elle imitaou qu'elle adapta au mobilier occidental. Cependant, les meubles en laque rouge sculpté dit « de Pékin »,dont le caractère somptueux répondait au goût de la Cour au XVIIIe siècle, n'étant pas destinés àl'exportation, ne sont apparus en Europe qu'au XIXe siècle. Ces dernières catégories ressortissent à l'art dulaque plus qu'à celui du mobilier.

Le mobilier en bois dur remonte à la plus haute antiquité, comme en témoignent des vestiges archéologiques de l'époque Shang. Les plus anciens meubles qui nous soient parvenus datent du VIIIe siècle :

Page 39: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

ce sont des tables, des tabourets, des fauteuils, des porte-vêtements conservés au Shōsōin, à Nara (Japon).Dès lors, le mode de vie avait changé : à la large plate-forme où l'on se tenait accroupi ou étendu, entouréde tables basses, de petits bancs, d'appuie-bras, se sont substitués la chaise, le fauteuil, la table haute, lesChinois ayant peu à peu adopté la position assise à l'occidentale, sous l'influence d'apports étrangersintroduits avec le bouddhisme. La plate-forme donna d'autre part naissance au grand lit de repos, souventpourvu d'un baldaquin ou d'un dossier et d'accoudoirs, massifs ou ajourés en treillis. Bientôt apparaissentdes armoires, des coffres, des bahuts dont la structure architecturale offre de larges surfaces de bois pleinoù les veinures sont soigneusement mises en valeur. Les armoires, dont les vantaux s'appuient en généralsur un meneau, sont parfois formées de deux coffres superposés et peuvent comporter des tiroirs intérieurs.Outre de grasses moulures d'encadrement, leur ornementation se limite au rythme des montures en laitonqui marquent de leur éclat les charnières et les serrures. Ce sont des plaques martelées, circulaires ourectangulaires, unies ou striées, parfois discrètement découpées en volutes, avec des poignées mobiles pourles fermetures.

Après une lente élaboration, le mobilier atteint sa plus haute perfection sous les Ming, peut-être dès leXVe siècle. Sa qualité réside en grande partie, pour les meubles clos comme pour les sièges et les tables,dans le choix de bois denses et lourds, souvent odorants, aptes à prendre un lustre satiné, presquemétallique. La plupart étaient importés de l'Asie du Sud-Est : citan, palissandre tropical violacé, finementveiné, huali ambré, aux veines très marquées, hongmu rougeâtre, employé surtout au XVIIIe siècle. Labeauté des meubles est faite aussi du volume net et cubique dans lequel ils s'inscrivent, de leur conceptionfonctionnelle avouée, où les consoles de support et les entretoises soulignent franchement la structure. Lespieds des tables sont en général recourbés vers l'intérieur ; les dossiers des sièges portent un montantcentral plat, incurvé pour épouser la forme du dos, souvent surmonté d'un léger renflement pour la nuque.Le couronnement et les bras des fauteuils, souvent sinueux, établissent un jeu savant de droites et decourbes.

Un art d'assemblage

La technique est toujours demeurée rigoureusement traditionnelle. La science des assemblages en estl'élément dominant : emploi exclusif de mortaises avec des tenons visibles, souvent doubles, parfoisnombreux et de petite taille, absence totale de clou, même en bois, de colle, de placage, de colorant pour lepolissage. L'ébénisterie chinoise exclut aussi le tournage : chaque pièce courbe, chaque panneau ajouré estvéritablement sculpté au couteau, découpé en plein bois. Les angles sont amortis, les reliefs modulés ; lesornements, taillés dans la masse, sont incorporés à l'ensemble. La constance de ces règles et la lenteur del'évolution des formes rendent impossibles les datations précises, de sorte que peu d'auteurs s'y sontrisqués, à moins d'avoir affaire à une ornementation en relief ou à certains ajourages qui caractérisent lesœuvres des XVIIIe et XIXe siècles.

Daisy LION-GOLDSCHMIDT

X- Sculpture

Apparue à l'époque Shang (XVIIe-XIe s. av. J.-C.) sous le signe prépondérant de l'animal, la sculpturechinoise liée à l'art funéraire a connu son premier épanouissement aux environs de notre ère. Son âge d'orse situe entre le IVe et le Xe siècle de l'ère chrétienne, en un temps où son champ élargi s'épanouit sousl'égide du bouddhisme. Au-delà du XIIIe siècle commence une lente décadence due au relâchement dusentiment religieux, à la sclérose des formes et des symboles d'un art qui fut toujours, en Chine, l'œuvred'artisans soumis à la commande.

Notre connaissance de la sculpture chinoise reste cependant incomplète ; la période ancienne apparaît toujours plus riche au fur et à mesure des découvertes archéologiques ; la période bouddhique (IVe-XIIIe s.) est surtout connue à travers les grands ensembles rupestres, alors que les centres provinciaux demeurent

Page 40: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

peu explorés et souvent mal définis. L'étude de l'époque tardive (XIVe-XIXe s.), enfin, permettrait l'analysedes causes et des manifestations de la décadence, comme la découverte de créations populaires régionalesencore méconnues.

La sculpture funéraire

Les guerriers découverts à partir de 1974, à proximité du tumulus de Qin Shi huangdi, permettentd'envisager l'existence d'une tradition de la sculpture monumentale. Mais, cuites et peintes après avoir étéfaçonnées en terre, ces pièces relèvent encore du domaine de la céramique. Si nous nous limitons à lasculpture en pierre ou en bronze, les époques Zhou et Qin ne nous ont encore rien livré. Dans l'attente denouvelles découvertes, on ne peut que faire remonter la tradition de la sculpture funéraire en Chine àl'époque des Han antérieurs (206 av. J.-C. - 9 apr. J.-C.), avec, comme témoin, une statue exécutée vers 117avant J.-C. et faisant partie d'un ensemble placé devant la tombe du général Huo Qubing. Haute de 1,40 m,elle figure un cheval debout terrassant un homme ; le cheval est massif, la pierre est laissée pleine entre leventre et les pattes ; l'homme est couché sur le dos, la nuque rejetée en arrière, la tête énorme remplit toutl'espace libre entre les pattes. La tension qu'exprime cette statue taillée dans le granit de même que sa dateautorisent à la situer aux débuts d'un art. Deux siècles plus tard, lorsque se sera largement répandue lacoutume de placer des statues de pierre devant les tombes, les tailleurs, préférant le grès facile à l'outil,donneront à leurs animaux une musculature plus nette et une plus grande liberté. Les deux lions quigardaient le cimetière de la famille Wu au Shandong (147 apr. J.-C.) apparaissent ainsi comme des animauxà demi fantastiques, vigoureux, au corps souple et long, au cou arqué, aux flancs soulignés de sortes d'ailes.À côté de cette ronde-bosse, l'art funéraire Han nous a légué des bas-reliefs (piliers du Sichuan, parexemple) admirablement adaptés aux surfaces à décorer. Animaux symboliques, atlantes, chasseursillustrent ici par la vigueur et la souplesse de leur modelé l'art figuratif d'une province qui fut peut-être lecentre le plus vivant, le plus libre de la sculpture Han.

Au Henan et au Shandong s'élevait à l'extrémité de l'allée funéraire une chambrette en dalles de pierredestinée aux offrandes. Ces dalles, ciselées de scènes mythologiques ou quotidiennes, illustrent la vieofficielle et privée des nobles de l'époque. Les scènes évoquées – processions de chars, fêtes, séances demusique, chasses, combats – alternent avec des images idéalisés d'anciens sages, de fils pieux, et avec desêtres surnaturels, des plantes et animaux imaginaires qui donnent à la scène un ton fantastique. Sur lesreliefs du Wuliang ci au Shandong (147-168 de notre ère), les scènes se développent en registressuperposés. L'accent est mis sur la ligne et le mouvement ; les silhouettes se découpent comme des ombressur le fond strié de la pierre. Dans ce monde qui ignore la troisième dimension, la localisation n'est indiquéeque lorsqu'elle est indispensable, et encore de façon rudimentaire. Les briques estampées de la province duSichuan (Ier-IIe s. de notre ère) expriment une tentative de construction dans l'espace par la perspectivecavalière. Ici, les scènes se déroulent souvent dans des paysages : ouvriers travaillant aux mines de sel dansun site montagneux, chasseurs, scènes de marché ou de moisson rendues avec infiniment de naturel, deverve et de maîtrise.

Cet art de la gravure sur pierre témoigne d'une technique de la ligne extrêmement raffinée, héritièred'une longue tradition de décors et d'inscriptions sur bronze. Il évoque, de la manière un peu conventionnellepropre aux artistes provinciaux, ce que devait être l'art plus libre, plus réaliste des artistes, qui, à la Cour,ornaient de fresques les murs des palais.

La grande sculpture funéraire Han, caractéristique par sa tendance à schématiser, à fixer rudement letrait saillant d'une attitude, se perpétue avec les animaux cambrés qui ornaient les allées funéraires desempereurs de Nankin (époque des Six Dynasties). Cet art atteint la plénitude de son développement dans lesensembles funéraires Tang (618-907), et en particulier dans les six grands hauts-reliefs qui s'élevaientdevant la tombe de Taizong (627-649) et représentaient les destriers de cet empereur. Les chevaux, à lacarrure puissante, à l'encolure ramassée, sont évoqués avec un réalisme et une vitalité que n'auront plus lesanimaux placés dans les allées menant aux tombeaux impériaux des dynasties suivantes. Les animaux, tropcélèbres, des tombeaux des Ming au nord de Pékin ne représentent que la version stéréotypée d'unetradition sculpturale tombée en décadence.

Page 41: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

L'âge d'or de la statuaire chinoise s'achève avec les Song. Dès lors, la sculpture se survit, remplacée pard'autres moyens d'expression mieux adaptés aux recherches intellectuelles et au goût décoratif verslesquels s'oriente désormais l'art chinois.

Les statuettes en terre cuite que l'on plaçait dans les tombes forment un domaine de la sculpturefunéraire chinoise appartenant plutôt à l'art de la céramique.

La sculpture bouddhique

C'est au milieu du IIe siècle de notre ère que le bouddhisme du Grand Véhicule commença à progresseren Chine, introduit par les caravanes qui suivaient la route de la soie. Cette origine explique l'influence, nettesur les premières représentations du Bouddha en Chine, de l'art gréco-bouddhique du Gandhāra dont lerayonnement s'étendait, au nord de l'Inde, du Pendjab à la Sogdiane. Cette influence est manifeste sur leplus ancien spécimen de sculpture bouddhique chinoise, un bouddha en bronze doré daté de 338. Assis enméditation, les jambes croisées sur un socle, il porte sur le sommet de la tête le chignon rond propre auBouddha. Son vêtement monastique présente des plis ronds, réguliers et symétriques de style gandharien.Au IVe siècle également apparaît à Dunhuang (Gansu) le premier centre artistique du bouddhisme chinois.Cependant, il faudra attendre le siècle suivant pour que triomphe la religion nouvelle et pour que l'artisanchinois se libère de ses modèles.

Utilisant principalement la pierre et le bronze, moins fréquemment la terre modelée et séchée ou le bois,la sculpture bouddhique va dominer durant trois siècles l'ensemble des créations artistiques. Originaires del'Inde, les motifs, les symboles, les gestes rituels et les attributs bouddhiques se modifient peu à peu aprèsleur introduction en Chine. La sculpture chinoise représente le Bouddha debout, ou assis sur un trône delotus, ou encore gardé par deux lions. Lorsqu'il est figuré debout, il lève une main, la paume en avant (gested'absence de crainte, ou abhaya mudrā), alors que l'autre main reste baissée, la paume vers l'extérieur(varada mudrā, geste de charité). Assis, ces gestes rituels sont plus variés : les mains peuvent être jointes enméditation (dhyāna mudrā), ou bien une main étant levée, l'index touche le pouce, position évoquantl'argumentation (vitarka mudrā). Les deux mains devant la poitrine, l'une tournée en avant, l'autre vers lecorps, les doigts faisant semblant de tourner une petite roue, illustrent la roue de la loi (dharma-cakramudrā). Enfin, bhumisparça mudrā est le geste par lequel le Bouddha touche la terre pour la prendre àtémoin de sa résistance à la tentation de Māra.

Les Bodhisattva, êtres miséricordieux qui renoncent au nirvāna pour aider les hommes à atteindre ladélivrance, sont encore plus fréquents que le Bouddha dans l'iconographie chinoise. Ils sont figurés revêtusde la parure des princes, la tête ornée d'un diadème. Peu à peu ils se transformeront en une divinitéféminine, appelée Guanyin qui, à partir de l'époque Song, sera représentée assise sur un rocher au milieudes flots, prête à secourir ceux qui franchissent l'océan des transformations. C'est elle aussi qui sera figuréemunie de bras nombreux et de neuf à onze têtes.

Évolution de la sculpture bouddhique

Importance des thèmes étrangers sous les Wei

À l'époque des Six Dynasties, l'évolution se manifeste dans le drapé, la plastique et l'expression desvisages.

La première période, celle des Wei septentrionaux, voit l'éclosion d'une stylisation chinoise à partir des modèles indiens (style du Gandhāra et de Mathurā). Ce style des Wei du Nord s'élabore dans les grottes de Yungang, au Shānxi, creusées dans le grès tendre, à partir de 460. Dans les premières grottes du style Wei (XVI-XX et VII-X), entre 460 et 470, se manifeste encore l'éclectisme d'un art à ses débuts, et le grand

Page 42: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

bouddha de la grotte XIX, avec son écharpe aux plis arrondis, rappelle les bouddha colossaux que l'onpouvait voir à Bāmiyān (Afghanistan) avant leur destruction en 2001. Celui de la grotte XX évoque le typemathurien (plis épais du manteau laissant l'épaule nue). L'empreinte chinoise apparaît ici dans l'auréoledécorée de flammes ciselées et de bouddha en demi-relief. L'alliance de l'esthétique chinoise et des thèmesétrangers se manifeste dans le décor des niches en tympan brisé (transposition des arcaturesgandhariennes), dans les motifs décoratifs où les rinceaux d'acanthe venus d'Occident voisinent avec lesrideaux que retiennent des perlages et les toitures purement chinoises.

Les personnages de Yungang sont assez maigres et aplatis ; la face est rectangulaire, un peu plate, lenez pointu, la bouche se relève aux commissures en un sourire archaïque encore assez impersonnel. Vers480 (grotte VI, par exemple), le vêtement se sinise suivant une mode venue vraisemblablement de la Courméridionale de Nankin. L'imitation du drapé gréco-bouddhique, schématisé sous la forme d'un plissé auxextrémités se terminant en pointes, aboutit au style anguleux qui va dominer l'art de Longmen au Henan.Les sanctuaires de Longmen sont fondés en 494 et les niches du Guyangdong, où prévaut ce style aigu,creusées de 508 à 515. Les visages s'amenuisent, les corps s'allongent et s'aplatissent sous l'amoncellementdes plis tubulaires du manteau. Ce canon allongé, au modelé aigu, aboutit dans la sculpture en bronze doré,vers 518-520, à un style flamboyant, symétrique par rapport à un axe médian, où, dans le fin plissé relevé enailes, triomphent un rythme élastique, un graphisme purement chinois. Les auréoles décorées de divinitésvolantes rappellent par leur dessin les bronzes incrustés et les peintures sur laque de l'époque Han. Cetteimportance accordée aux éléments chinois semble due non seulement à une renaissance des valeurschinoises dans la culture des Wei du Nord, mais aussi à l'influence d'idées artistiques venues de la cour desQi méridionaux. La pure spiritualité domine à Longmen sur ces visages émaciés, posés sur un long cou : ellecorrespond à une conception plus sévère de la religion où la pensée mystique se dépouille.

À la fin des Wei du Nord sont commencées également les sculptures de Gongxian, continuées après 534et jusque sous les Sui. À cette époque encore sont sculptées en grand nombre des stèles ornées tantôt degrands personnages, tantôt de niches contenant des bouddha et encadrées de bas-reliefs à figures ou àornements.

L'activité décroît à Longmen à partir de 536 et pendant tout le VIe siècle. À partir de 534, une réaction sefait jour contre le style anguleux qui avantageait les lignes verticales et ne laissait aucune place au corpshumain. À Yungang comme à Longmen, en effet, le corps était sacrifié au drapé et plus encore à l'expressiondu visage. La composition était celle d'une pyramide que couronnait la tête. Des recherches nouvellesapparaissent, qui révèlent un souci d'assouplissement, une tendance au modelé et au traitement pargrandes masses. Ces recherches dominent la période 534-550, qui s'avère être une époque de transitionannonçant celle, si riche, des Bei Qi (550-577).

La plénitude Bei Qi

La seconde moitié du VIe siècle voit en effet s'ouvrir une ère de renouvellement dans la statuaire. Cet art nouveau s'épanouit dans les grottes de Tianlongshan au Shānxi où, à partir de 560-570, les Bei Qi font creuser une vingtaine de grottes importantes. Le nouvel idéal s'affirme dans une recherche de la simplicité et d'une tridimensionnalité. Dans le domaine du vêtement, le style se caractérise par l'importance du châle et le développement du drapé étalé sur le socle pour les statues assises. Les plis simples, aux lignes horizontales, s'adoucissent en courbes. La matière même du vêtement, son poids et sa souplesse sont rendus. Le drapé suit les lignes du buste et n'est traité pour lui-même que sur le socle où semblent se concentrer les effets du bouillonné. Les bijoux, parures de chaînettes relevées au moyen d'une large boucle à la taille, prennent une grande importance. Les nouveaux éléments stylistiques sont pour la plupart indiens, le type du Bouddha doit son modelé, son équilibre et ses drapés à demi transparents au modèle Gupta. La route d'Asie centrale coupée dès le milieu du VIe siècle, les influences durent pénétrer par la voie maritime et atteindre la Chine du Nord à travers les centres du Sud. On peut penser que les cultures intermédiaires du Fou-nan (Cambodge), du Champa (Vietnam) et des royaumes indonésiens transmirent les formes indiennes en Chine de la même façon que les royaumes de Corée allaient transmettre les modèles chinois au Japon. Ces caractéristiques – modelé, déhanchement originaire de l'Inde Gupta comme le drapé « mouillé »

Page 43: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

– annoncent les formules qui seront adoptées sous les Sui et les Tang. Enfin, dans les grottes X et XVI deTianlongshan, les statues, tout en restant frontales, se détachent du mur, tendance qui aboutira à laconquête du volume et du mouvement sous les Tang. Ainsi, à la tension verticale des Wei succède laplénitude Bei Qi. Les vêtements souples mettent en valeur les contours des corps ; dès 540, les visages sesont arrondis, adoucis ; moins spirituels peut-être, ils deviennent plus humains. Le tracé des lèvres, du nezou des paupières marque une recherche d'individualité.

Avec la dynastie des Sui, la production bouddhique s'accroît encore, les statuettes en bronze dorédestinées aux autels privés se multiplient. Le souci de la plastique s'affirme dans la statuaire, et l'ampleurdes vêtements aux larges plis verticaux accentue la noblesse de ces divinités au maintien de colonnes.

Le réalisme Tang

Sous les Tang, la période de 627 à 712 est celle de la production la plus intense et du niveau artistique leplus élevé, avant que ne vienne le déclin à partir du milieu du VIIIe siècle.

Les souverains continuent à enrichir dans un style monumental les grottes de Longmen, dont le bouddhacolossal est achevé en 676. La douceur des visages Wei fait place ici à une majesté calme, à unecondescendance quasi impériale dans le regard. Le socle, en partie recouvert par les longues courbes dumanteau, prend une importance nouvelle. Les recherches de la seconde moitié du VIe siècle trouvent alors,dans une exécution nerveuse et souple, leur épanouissement, et se manifestent particulièrement dansl'esthétique des bodhisattva. Une haute coiffure, qui prête au personnage un aspect féminin, remplace lediadème traditionnel. Le torse est nu, paré de la chaînette en joaillerie et d'une étroite écharpe passant surles épaules. De la taille très mince et infléchie, le vêtement tombe en un drapé mouillé sur les jambes. Latête assez grosse et le cou très court donnent une impression de puissance que l'on retrouve sur lesDvārapāla, les deux gardiens placés à l'entrée des sanctuaires et destinés à protéger des influencesnéfastes. Leur face grimaçante, leurs muscles saillants de lutteurs, leurs attitudes véhémentes illustrentl'intérêt porté à l'étude du corps humain, le sens du réalisme propre à l'époque Tang.

La technique de la terre modelée et séchée connaît alors son apogée. Cette forme de statuaire,caractéristique des grottes du Gansu : Dunhuang et Maiqishan, s'était développée dans ces sanctuaires àpartir du Ve siècle et suivait, avec des différences locales, l'évolution générale de la sculpture sur pierre. Àpartir de la fin des Tang, cette technique (illustrée à Dunhuang jusqu'à l'époque Qing et à Maiqishan jusquesous les Ming) sombre, comme toute la sculpture chinoise, dans une lente décadence. Les artisanscontinuent à copier les canons Tang, mais l'inspiration religieuse s'épuise et le style s'alourdit. À l'époqueSong cependant, certaines guanyin en bois peint conservent encore une grâce souple et un visage recueillisous la haute coiffure très élaborée.

Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS

XI- Calligraphie et peinture

L'écriture utilisée à des fins purement plastiques

La création calligraphique et picturale occupe en Chine une place privilégiée ; elle constitue non pas unmétier spécialisé, mais une discipline spirituelle pratiquée par l'élite intellectuelle et sociale des lettrés.Ceux-ci trouvent dans cette double activité le moyen d'expression et d'accomplissement d'une expérienceintérieure dont le but ultime est le perfectionnement du moi et la réalisation d'une communion avec l'universpar la mise en harmonie de l'activité créatrice de l'artiste avec le principe créateur du cosmos.

Page 44: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Mais peinture et calligraphie n'ont pas acquis d'emblée ce caractère exceptionnel et ce n'est qu'au termed'une longue évolution historique qu'elles participeront d'une commune esthétique. Les plus anciennestraditions chinoises prêtent à l'écriture un pouvoir magique : l'écriture est une prise de possession del'univers dont elle sonde et perce les secrets. Bien que ce caractère sacré se soit progressivement effacédans les consciences, une appréciation complète du phénomène calligraphique devra cependant en tenircompte.

La calligraphie au sens étroit du mot – c'est-à-dire l'écriture envisagée moins comme le moyen detransmettre une information que comme une création plastique exprimant la sensibilité individuelle ducalligraphe – a pris son essor vers la fin de l'époque Han. À partir de ce moment, elle devient une disciplinespécifique, avec son histoire et ses maîtres, ses théoriciens, ses critiques et ses collectionneurs. Parmi tousles arts, la calligraphie occupe une position privilégiée avec laquelle seule peut rivaliser la peinture – qui,depuis la fin des Tang, lui est devenue étroitement tributaire.

Technique et support

La calligraphie est tracée à l'encre, sur soie ou sur papier, au moyen d'un pinceau. Le pinceau est unecréation typique du génie chinois, alliant la simplicité de structure à une souplesse illimitée d'applications ;mais le corollaire de sa prodigieuse sensibilité est l'extrême difficulté de son contrôle ; pour être maniéproprement, il requiert du calligraphe une intense concentration à la fois physique et spirituelle qui ne seconquiert qu'au terme de longues années d'exercice ininterrompu. L'encre, loin d'être d'une consistancestable ou d'une inerte monochromie, recèle d'inépuisables ressources ; onctueuse ou fluide selon qu'onl'additionne de plus ou moins d'eau, elle présente toute une gamme de valeurs : suivant qu'on l'emploie aveclargesse, au pinceau saturé et en touches grasses, ou parcimonieusement, en laissant le pinceau à demi secpour faire transparaître l'ossature du trait, elle permet d'obtenir les effets les plus divers. Le support – papierou soie – est choisi pour sa qualité absorbante ; il se comporte un peu à la manière d'un buvard : au lieu desubir passivement l'attaque du pinceau et l'imprégnation de l'encre, il s'en empare aussitôt de manièreactive et indélébile. Ainsi, le calligraphe travaille véritablement avec des instruments vivants, dotés chacund'une sensibilité subtile et mouvante ; en même temps, ces intermédiaires matériels sont réduits au strictminimum et amenuisent ainsi la distance qui sépare la vision intérieure de son incarnation dans les formes :pour le calligraphe, il s'agit en effet de se projeter de la manière la plus totale et la plus immédiate possibledans son œuvre, qui doit constituer « une empreinte de son cœur ».

Rythme et composition

Une pièce de calligraphie est formée d'une succession de caractères d'écriture ; chaque caractèreconstitue une unité plastique, combinant un assemblage plus ou moins complexe de traits qui s'inscriventinvariablement dans un carré imaginaire. Pour meubler harmonieusement chacun de ces carrés,l'agencement des traits pose pour chaque caractère un nouveau problème plastique qui doit recevoir sasolution individuelle : il s'agit essentiellement d'obtenir un équilibre dynamique par un jeu d'asymétriescomplémentaires, d'établir un système de tensions intérieures et d'atteindre la stabilité à travers unecombinaison de forces en mouvement. Une fois assurée la composition du caractère isolé, il faut ensuiteunifier la succession rythmique de toutes ces solutions individuelles, puis organiser la succession desrangées pour que l'ensemble de l'œuvre forme une totalité organique.

Tandis que la peinture (du moins le rouleau vertical) se présente au spectateur comme une organisation globale et simultanée de l'espace, la calligraphie se double d'une dimension temporelle : elle prend possession de son espace en suivant une succession d'étapes. En effet, le spectateur peut, d'une part, embrasser de façon instantanée la totalité de l'œuvre achevée et, d'autre part, quand il procède à sa lecture, le mouvement par lequel le calligraphe a progressivement conquis l'espace de la page blanche se reconstitue sous son regard. Cette lecture peut être d'ailleurs simplement plastique. L'appréciation d'une calligraphie est pratiquement indépendante de la compréhension de son contenu écrit ; les cursives les plus audacieuses déforment souvent la graphie des caractères au point de les rendre méconnaissables à

Page 45: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

première vue et cela ne gêne nullement la contemplation de l'esthète.

Interprétation et création

Le caractère d'écriture s'impose au calligraphe comme un donné objectif dont il ne peut modifier lastructure théorique ; non seulement le nombre et la forme des traits qui composent chaque caractère sontdéfinitivement fixés, mais encore l'ordre successif dans lequel ces traits doivent être tracés et les diversmouvements du pinceau auxquels leurs formes correspondent sont rigoureusement prédéterminés. Aussi, enun sens, le calligraphe n'invente-t-il pas de formes, il les interprète. Pour prendre une comparaison musicale,il n'est pas compositeur mais exécutant. N'oublions pas cependant que toute interprétation est elle-mêmeune création à un niveau second – et le propre de l'esthétique chinoise est précisément d'attacher un prixparticulier à cette forme de création-là, la plus subtile peut-être. Alors que la peinture édifie un système deformes conventionnelles à partir de la réalité objective, le point de départ de la création calligraphique estdéjà formel. Forme d'une forme, cet art quintessencié échappe cependant à la stérilité de l'abstractiongratuite : ce que l'esthète recherche avant tout dans une calligraphie, c'est, sous les divers mouvements dupinceau, le rythme d'un cœur qui communie au rythme de la création universelle et qui, par la vertu de cetteparticipation, réussit à insuffler à chaque caractère cette énergie unique qui anime l'infinité des créatures.

Rayonnement de l'art calligraphique

Le système des examens mandarinaux ayant lié l'accès du pouvoir politique à la qualité de lettré,naissance et fortune durent toujours céder le pas devant le mérite qui s'attachait à la maîtrise de la choseécrite. Cela explique le prestige unique dont la calligraphie ne cessa de jouir à travers les siècles : sans êtreun calligraphe au moins passable, nul n'aurait pu faire figure d'honnête homme. Il en résulte que cet art, quiconstitue l'une des expressions les plus hautes du génie chinois, fut aussi le plus universellement pratiqué etapprécié.

La calligraphie a exercé une emprise profonde sur les diverses expressions artistiques de la culturechinoise, mais c'est dans la peinture que son influence est la plus évidente : c'est ainsi que le lavis d'encremonochrome des peintres-lettrés, empruntant à la calligraphie ses instruments, sa technique et sonesthétique, cherche à écrire le signe des choses plutôt qu'il n'en décrit les apparences.

La calligraphie rayonne sur toutes les manifestations de la vie chinoise, elle est partout présente : desstèles antiques aux affiches et panneaux de la rue commerçante, des autographes célèbres qui ornent lecabinet de l'esthète aux couplets de Nouvel An qui décorent le porche des plus humbles demeurespaysannes ; plus encore peut-être qu'une jouissance esthétique, c'est une présence tutélaire : elle semblerappeler en permanence que c'est avec le verbe écrit que commença l'humanisation du monde – un trèsancien récit mythologique ne nous rapporte-t-il pas que, lorsque Cang Jie eut inventé l'écriture, démons etdieux pleurèrent dans la nuit leur empire perdu ?

Écriture et calligraphie

Au sens strict, la calligraphie se distingue de l'écriture, en ceci qu'elle se sert de l'écritureindépendamment de ses fonctions normales de communication et d'information, et fait d'elle le supportd'une création formelle, susceptible, par ses seuls rythmes plastiques, d'exprimer la sensibilité individuellede son auteur. Néanmoins, bien avant l'apparition des démarches calligraphiques au sens étroit du mot,l'écriture chinoise présentait déjà d'évidentes qualités esthétiques, au point que les inscriptions archaïques,qui ne relevaient pourtant que d'impératifs fonctionnels, sont considérées par les calligraphes non seulementcomme la source, mais aussi comme les modèles les plus accomplis de leur art. Aussi une histoire de lacalligraphie chinoise se confond-elle dans une large mesure avec une histoire de l'écriture, et plutôt qued'établir une frontière stricte entre écriture et calligraphie, il serait plus exact de décrire le passage de l'uneà l'autre comme la transition d'une démarche calligraphique de fait à sa pratique consciente et délibérée.

Page 46: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Naissance de l'écriture chinoise

Les témoignages les plus anciens que nous connaissions de l'écriture chinoise sont constitués par lesinscriptions divinatoires (jia gu wen) gravées sur os il y a quelque trente-trois siècles par les devins de ladynastie Shang. Malgré l'apparence encore relativement primitive de leur graphie, ces caractères révèlentdéjà une haute capacité d'abstraction et de systématisation ; aussi, plutôt qu'un point de départ, doivent-ilsreprésenter le premier aboutissement d'une très longue période d'élaboration dont, sauf quelques allusionsmythologiques, nous ignorons encore tout. Par la suite, ces caractères se sont multipliés, et leur formegraphique s'est profondément modifiée (au point qu'aujourd'hui leur identification et leur déchiffrement fontl'objet d'une étude spécialisée), mais dès ces premiers témoins, la nature idéographique et les principesconstitutifs de l'écriture chinoise apparaissent déjà définitivement fixés.

La seconde grande étape stylistique de l'écriture chinoise est illustrée par les inscriptions des bronzesrituels de la dynastie Zhou et de l'époque des Royaumes combattants. Ce type de graphie (da zhuan) connutde nombreuses variantes dans l'espace et le temps. Au début du IIIe siècle avant J.-C., la dynastie Qin, dansle cadre de sa politique de centralisation et d'unification impériale, entreprit d'uniformiser l'écriture etimposa une graphie nouvelle (xiao zhuan), qui se présente essentiellement comme une codificationméthodique des expériences antérieures.

La dynastie Han, reprenant dans une large mesure l'héritage politique des Qin, poussa à la centralisationadministrative ; les besoins croissants de la bureaucratie impériale favorisèrent l'adoption et ledéveloppement d'un autre style d'écriture, né sous les Qin, le « style des chancelleries » (li shu), pluscommode à manier et, surtout, mieux adapté aux ressources du pinceau. Dans une évolution qui, desinscriptions divinatoires à l'écriture moderne, ne présente fondamentalement aucune solution de continuité,le « style des chancelleries » marque le tournant décisif. Des expériences variées que leslettrés-fonctionnaires pratiquèrent à partir de ce style, dans une perspective qui n'était plus seulementfonctionnelle mais déjà esthétique, naquirent les trois formes d'écriture qui devaient rester en usage jusqu'ànos jours : le style régulier (kai shu, appelé aussi zheng shu), le style semi-cursif (xing shu) et le style cursif(cao shu). Dès les environs du IVe siècle de notre ère, la graphie des caractères chinois s'est trouvéefondamentalement fixée et ne devait plus subir aucune modification notable jusqu'à la réforme de l'écritureentreprise en Chine populaire en 1956.

Une discipline spécifique

La calligraphie au sens étroit du mot, c'est-à-dire l'utilisation consciente et délibérée de l'écriture à des fins purement plastiques, affranchies des contraintes fonctionnelles (communication, lisibilité), a pris son essor vers la fin de l'époque Han. À partir de ce moment, elle devient une discipline spécifique, avec son histoire et ses maîtres, ses théoriciens, ses critiques et ses collectionneurs. Son développement fut encore favorisé par ce phénomène politico-social qui a caractérisé toute l'histoire de la Chine impériale : le gouvernement des lettrés. La Chine fut alors dirigée par des légions d'humanistes, fonctionnaires dont on peut véritablement dire qu'ils passaient leur vie entière le pinceau à la main. D'où ce prestige unique dont la calligraphie ne cessa de jouir à travers les siècles, et qu'elle conserve aujourd'hui encore (Mao Zedong lui-même ne dédaignait pas de faire étalage d'un talent de calligraphe qui, à défaut de formation profonde, ne révélait pas moins un brillant individualisme). Toute l'élite politique, intellectuelle et sociale de Chine – empereurs, hommes d'État, poètes, philosophes, moines – s'est donc adonnée sans relâche à cet art. Même si, pour beaucoup, il ne s'agissait là que d'une convention élégante, à toutes les périodes de l'histoire il se trouva aussi de grands créateurs pour qui la calligraphie constituait une haute et exclusive passion. Parmi eux, mentionnons quelques noms particulièrement marquants : à l'époque des Six Dynasties, Wang Xizhi (321-379) et son fils Wang Xianzhi (344-388) créent une calligraphie dont la grâce inspirée sera révérée par la postérité comme un modèle d'une perfection quasi surnaturelle. Sous les Tang, le style robuste et austère de Ouyang Xun (557-641), Yan Zhenqing (708-784) et Liu Gongquan (778-865) reflète bien la puissance majestueuse et la discipline d'un grand âge classique ; chez Chu Suiliang (596-658), la force intérieure et l'équilibre revêtent une plus grande recherche d'élégance, tandis que Sun Guoting et le moine Huaisu (725-785) s'abandonnent, hors des sentiers battus, aux ivresses d'une cursive qui tend à s'affranchir de

Page 47: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

toute convention graphique – et, ce faisant, devient d'ailleurs source de conventions nouvelles ! Chez lescalligraphes Song – Su Dongpo (1036-1101), Mi Fu (1051-1107), Huang Tingjian (1045-1105) – l'élan lyriqueet la fantaisie généreuse du tempérament s'appuient sur un art consommé dont l'aisance semble rejoindre laspontanéité de la nature. Avec l'empereur Huizong (1101-1126), l'art commence toutefois à prendre le passur le naturel, et aboutit à un curieux maniérisme, plus pictural que calligraphique.

À l'époque Yuan, certains lettrés, traumatisés par la défaite et l'occupation mongole, cherchent à renoueravec les sources antiques ; d'autres, comme Zhao Mengfu (1254-1322), cultivent en virtuoses un éclectismequi frise parfois la facilité. Ce courant éclectique reste prépondérant sous les Ming, avec Wen Zhengming(1470-1559) et Dong Qichang (1555-1636). Durant la dynastie Qing, sous l'influence de la renaissance desétudes classiques et de l'engouement pour la philologie, l'épigraphie et l'archéologie, de nombreuxcalligraphes – tel Deng Shiru (1743-1805) – remettent en vogue les styles archaïques ; d'autre part, quelquesindividualistes – qui souvent sont également peintres, tel Zheng Banqiao (1693-1765) – rejettent toutes lesrègles établies pour se créer un style personnel d'une originalité agressive et savoureuse. Enfin, à l'époquecontemporaine, plusieurs maîtres – parmi lesquels Yu Youren, mort en 1966, fut un des plus éminents– témoignent de la vitalité d'une tradition restée capable de métamorphoses neuves.

La peinture

Un métier artisanal jusqu'à la fin des Han

Quelques allusions des Classiques permettent de supposer que la Chine a possédé une peinture dès laplus haute antiquité. À partir de l'époque Han, les allusions littéraires plus fréquentes se doublent dequelques rares fragments d'œuvres (briques peintes en provenance de sépultures) et d'un nombre assezconsidérable de témoignages indirects empruntés aux autres arts plastiques (miroirs de bronze, pierresgravées, briques estampées). Tout ce que nous savons de la peinture depuis les origines de la civilisationchinoise jusqu'à la fin des Han se borne donc finalement à peu de chose : cette première peinture chinoiseremplissait des fonctions magiques, religieuses, didactiques, historiographiques et décoratives ; elle étaitexécutée par des artisans spécialisés, dont la condition sociale se confondait avec le commun des corps demétiers ; son esthétique était avant tout commandée par un souci d'imitation et de ressemblance ; ses sujetsprincipaux étaient constitués par les figures (humains, animaux), tandis que le paysage se trouvait encoreréduit au rôle subalterne d'un décor assez schématique et embryonnaire. Sous les Six Dynasties, tandis quela calligraphie arrivait à un premier et brillant épanouissement en devenant l'occupation favorite d'une éliteraffinée, la peinture reste pour l'essentiel un métier artisanal. Mais, dès cette époque, il faut remarquer qu'àcôté des artisans certains hommes de qualité commencent eux aussi à pratiquer la peinture. Simultanément,dans les traités théoriques de peinture rédigés à ce moment s'affirme une exigence neuve : l'artiste doitexprimer la nature intérieure du sujet peint, et non seulement son apparence formelle. Les cataloguesanciens ont conservé les noms d'un certain nombre d'artistes de cette période, mais leurs œuvres ontdisparu ; il nous reste cependant une copie ancienne d'une peinture de Gu Kaizhi (seconde moitié duIVe siècle), à partir de laquelle nous pouvons nous faire une certaine idée de l'art de cette époque : la figurehumaine constitue encore le sujet principal de la peinture, le paysage reste réduit aux dimensions d'un décorsymbolique, l'exécution purement linéaire n'a pas encore intégré ces modulations de pinceau dont lacalligraphie, à cette même période, avait déjà découvert les ressources.

Fresque et paysage au lavis sous les Tang

La dynastie Tang, époque puissante, luxueuse et raffinée, a dû connaître un remarquable épanouissement de la peinture, d'abondants témoignages littéraires en font foi. Mais les œuvres qui subsistent encore aujourd'hui sont rarissimes, douteuses et contradictoires, de sorte que l'étude de la peinture Tang représente dans une large mesure une discussion dans le vide. La plus robuste expression de la peinture Tang est incontestablement fournie par le courant traditionnel des fresquistes, qui couvrent les

Page 48: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

murs des palais et des temples de grandes figures dessinées avec une souveraine autorité. Dans cedomaine, le meilleur témoignage – plus significatif que les fresques de Dunhuang qui reflètent un artprovincial  – est offert par les fresques de la tombe de la princesse Yongtai (tombe découverte au Shǎnxi en1961). Mais, du plus célèbre fresquiste de l'époque Tang, Wu Daozi (VIIIe s.), plus aucune œuvre ne subsisteaujourd'hui. Si la fresque est ainsi le plus beau fleuron de la peinture Tang, le point culminant qu'elle atteintà cette époque est également dans une certaine mesure un point final ; on continuera certes à peindre à lafresque, mais sans y accorder la même importance. En fait, à la même époque, le phénomène le plussignificatif pour l'avenir de la peinture est la naissance d'un art nouveau qui sera appelé à devenir la voiepresque exclusive de la peinture chinoise : il s'agit du paysage au lavis d'encre monochrome, dont l'inventionest attribuée au poète Wang Wei (699-759). Il nous est difficile de juger objectivement des réalisationspicturales de Wang Wei (aucun original ne subsiste), mais, à partir de certaines copies et de diverscommentaires critiques, nous pouvons supposer qu'il s'agissait d'une forme de peinture encore assez raideet rudimentaire. Quoi qu'il en soit, ses principes mêmes impliquaient plusieurs innovations décisives : en cequi concerne le sujet, le paysage – lieu par excellence de cette communion de l'homme avec l'univers quideviendra l'objet essentiel de la création artistique – se substitue aux figures. Les procédés techniqueshérités des fresquistes – brosse dure, couleurs (la peinture chinoise archaïque usait de couleurs rutilantes,comme l'atteste son ancienne appellation de danqing « art des rouges et des verts ») – sont abandonnés auprofit des instruments du calligraphe : pinceau doux, encre ; du même coup, la peinture va pouvoir s'annexerle prodigieux registre plastique qu'avait déjà exploré la calligraphie : la peinture s'apparentera désormais àla chose écrite, et acquiert ainsi une dignité nouvelle ; ayant cessé d'être un métier artisanal asservi à desfonctions narratives ou décoratives, elle devient l'apanage de l'élite et constitue une création spirituelle aumême titre que la poésie (n'oublions pas que Wang Wei était un des plus grands poètes de son temps) :peinture et poésie seront les deux faces d'une même réalité intérieure, les deux moyens complémentaires àla disposition du lettré pour traduire, d'un même pinceau, les élans profonds de son cœur.

L'âge d'or du paysage : Xe-XIIe siècle

Cet art nouveau, qui avait germé à l'époque Tang, connaît son premier épanouissement au Xe siècle(Cinq Dynasties et début des Song du Nord). Le grand paysage chinois s'affirme alors dans toute saplénitude, avec une majesté, un équilibre et une profondeur spirituelle qui resteront inégalables. Alors queles artistes Tang se limitaient encore pour la plupart à des procédés purement linéaires, toutes lesressources du pinceau spnt désormais mises à contribution, le vocabulaire de formes (« rides », « points ») etles conventions plastiques qui serviront de base à toute la peinture se trouvent fondamentalement définis.Forme et technique ne font cependant pas l'objet d'une recherche gratuite : elles sont tout entières mises auservice d'une vision mystique de la nature, et leur perfection est précisément de passer inaperçues. Cettepeinture réalise un point d'équilibre rare entre la maîtrise des moyens plastiques –dont l'aisance ne dégénèrejamais en virtuosité – et la qualité spirituelle de l'inspiration du peintre, qui cherche à embrasser la totalitéde l'univers dans sa permanence sereine et objective. L'homme apparaît à peine dans ces vastes paysages :il est enfoui, infime, au cœur de leur immensité, mais sans que celle-ci l'écrase : il s'y trouve plutôt enharmonie, comme porté par un océan nourricier ; il n'est pas le témoin lyrique du spectacle de la nature,mais seulement l'un de ses humbles éléments, participant de cette entité organique, au même titre que lespierres ou les bambous. Ces peintures austères et impassibles sont pourtant chargées d'une émouvanteforce de vie, car leurs auteurs ont l'expérience la plus intime et la plus attentive de la nature ; ils connaissentla rugosité de chaque rocher, de chaque écorce, ils se sont mesurés avec les cimes, ils ont sondél'impondérable montée des brumes au fond des vallées. Le peintre n'entend cependant pas faire œuvre« réaliste » – pour rendre sensibles les aspects les plus concrets du monde naturel, il se sert au contraired'un répertoire de formes et de symboles plastiques étonnamment abstrait –, il ne s'agit pas pour luid'enregistrer un document singulier, un moment ou un fragment d'une réalité donnée, mais de créer ununivers complet dont la réalité soit parallèle à celle du monde extérieur, comme le microcosme l'est aumacrocosme.

Les pionniers de cette peinture furent Jing Hao (première moitié du Xe siècle) et son disciple Guan Tong,Dong Yuan (actif vers 930) et son disciple Juran. Dans la seconde moitié du Xe siècle, Li Cheng et Fan Kuan(ce dernier était encore actif dans les premières années du XIe siècle) portent cet art à son apogée.

Page 49: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Sous les Song du Nord, au XIe siècle, plusieurs grands peintres, dont les plus illustres sont Xu Daoning etGuo Xi, restent fidèles à la vaste vision de leurs prédécesseurs, mais manifestent déjà une certaine tendanceà rompre le classique équilibre entre la forme et le contenu, en faveur d'une certaine emphase plastique qui,chez Guo Xi en particulier, aboutit à un véritable baroquisme : les formes sont emportées dans unmouvement tourbillonnant d'une grande puissance, mais qui nous éloigne de l'intériorité plus austère duXe siècle. Cette tendance à la recherche plastique poursuivie pour elle-même va progressivement ramener lapeinture dans la voie d'un certain professionnalisme. À la fin du XIe siècle et au début du XIIe, un paysagistecomme Li Tang illustre cette évolution de manière caractéristique. Sa technique est d'une grande virtuosité,mais sa vision du paysage tend à se rétrécir aux dimensions d'une saisie impressionniste d'un aspectmomentané et singulier de la nature. En ceci il prépare directement la voie aux paysagistes brillants, maispeut-être plus superficiels, des Song du Sud.

Mais, tandis qu'un courant de la peinture commence ainsi à s'attacher aux habiletés de métier, apparaîtdans la seconde moitié du XIe siècle, avec Mi Fu (1051-1107), un art insolite et spontané dont l'individualismeconstituera un des aspects de la peinture des lettrés. Le lettré dédaigne la science technique duprofessionnel ; il aborde la peinture avec une audace désinvolte, se fiant aux seules ressources de saformation calligraphique. Que lui importe le reste ? Son ambition en effet n'est pas de décrire l'apparencedes choses, mais d'en écrire les signes. La peinture devenant une écriture spirituelle, sa qualité sera avanttout fonction de la qualité intellectuelle et morale du peintre. Dans le groupe des lettrés, notons cependantque, chez un peintre comme Wen Tong, spécialiste des bambous et ami de Su Dongpo (Su Shi), l'intensitémystique de l'inspiration s'appuie sur une austère discipline des formes, dont la puissance reste touteclassique.

L'Académie

Une autre tendance s'affirme simultanément. Sa vogue sera d'autant plus large que, durant le premierquart du XIIe siècle, elle sera directement soutenue et illustrée par l'empereur Huizong – lui-même peintre detalent. Huizong avait rassemblé dans son académie un certain nombre de professionnels habiles dont leregistre, mineur peut-être, est d'un charme raffiné, mais exempt de mièvrerie. Le courant de l'Académie,sans pouvoir prétendre à la profondeur, n'en correspond pas moins à l'une des grandes constantes du géniechinois : une contemplation attentive et émerveillée du réel sous tous ses aspects, même les plus humbleset les plus ténus – animaux, fleurs, oiseaux, insectes –, rendus avec un réalisme minutieux (et cependantferme), sans que pour autant poésie et humour soient absents de ces œuvres, où la sûreté du métier esttoujours admirable. Dans la même ligne, mentionnons au passage Li Di dont la longue carrière couvrepresque tout le XIIe siècle ; il pratique une peinture anecdotique où le paysage ne sert plus que de toile defond à de charmantes scènes de genre qui rassemblent toutes les séductions et aussi toutes les limites decet académisme chinois.

Le paysage lyrique : XIIe et XIIIe siècles

Sous les Song du Sud, à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle, deux grandes personnalités dominent l'art du paysage : Ma Yuan et Xia Gui. Ces artistes partent de la conception du paysage à la fois plus étroite et plus impressionniste qu'avait amorcée un Li Tang ; dans l'emploi des « rides fendues à la hache » et des nappes de lavis enlevées à l'emporte-pièce, ils affirment une éblouissante virtuosité technique. Dans le domaine de la composition et du cadrage, ils s'adonnent à d'audacieuses recherches d'asymétrie, jouant sur l'antagonisme des pleins et des vides. Par opposition au grand paysage des Xe et XIe siècles, leur peinture se veut elliptique et fragmentaire : l'artiste isole un élément significatif qu'il met puissamment en valeur par le contraste d'une large zone de vide. Alors que le paysage classique s'efforçait de saisir la nature dans sa permanence majestueuse, cette peinture-ci vise à l'instantané tant dans le sujet que dans l'exécution, et, contrairement à l'impassibilité sereine qui prévalait deux siècles plus tôt, elle se montre lyrique et subjective ; l'homme n'est plus cet infime élément perdu dans le grand Tout : il occupe souvent l'avant-scène (poète contemplant la lune, lettré en promenade, ermite dans sa barque) ; spectateur et témoin de la nature, le personnage mis ainsi en évidence catalyse une émotion fugace qui devient, elle, le véritable sujet de la

Page 50: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

peinture. Cet art impeccable et brillant est limité par sa virtuosité même ; il repose sur des artifices decomposition d'une efficacité infaillible, mais dont le caractère par trop inéluctable peut lasser. C'est du restece que l'esthétique des lettrés, telle qu'elle se définira à partir de l'époque Yuan, lui reprochera le plussévèrement. En tout cas, cette peinture a exercé une influence considérable non seulement sur les peintresprofessionnels de l'époque Ming, mais également au Japon (toute la peinture de Sesshū est une paraphrasede Xia Gui, et on retrouve plus tard jusque chez Hiroshige ce sens de l'ellipse puissante et du cadrageasymétrique qui caractérisait le paysage des Song du Sud). Participant d'une vision commune, Ma Yuan etXia Gui n'en manifestent pas moins des tempéraments fortement individualisés : Ma, plus mélancolique etméditatif, Xia, plus emporté et dramatique.

Saules pleureurs et montagnes, Ma Yuan

Actif vers 1190-1225, Ma Yuan est l'un des maîtres de la peinture chinoise de paysage. Encre etaquarelle sur soie.(Zhang Shui Cheng, The Bridgeman Art Library/ Getty)

Peintres adeptes du Chan

Enfin, pour le XIIIe siècle, il nous faut encore mentionner un phénomène particulier, d'une grande valeurspirituelle et esthétique, mais dont l'influence sur l'évolution ultérieure de la peinture chinoise resta malgrétout limitée : il s'agit de la peinture inspirée par le bouddhisme Chan (plus connu en Occident sous son nomjaponais de Zen). Cette école de pensée, qui doit en fait plus à la mystique taoïste qu'à l'orthodoxiebouddhique, estime que la vérité ne saurait être approchée par des voies purement intellectuelles (étude destextes sacrés), mais au contraire qu'elle ne peut être pleinement possédée que par une intuition totale,instantanée et immédiate de toute l'être, l'« illumination ». Celle-ci s'atteint au terme d'une ascèse physiqueet spirituelle, où la méditation prend pour support la contemplation du réel concret, fût-il le plus humble et leplus insignifiant ; elle saisit dans cette réalité fragmentaire, isolée dans sa pure et irréductible singularitéobjective, l'absolu du réel, et cela en un éclair dont l'instantanéité même rejoint l'intemporel. Plusieursadeptes du Chan ont pratiqué la peinture – citons surtout Muqi et Liang Kai –  car la peinture peut s'accomplirà l'image de l'illumination Chan : leurs œuvres elliptiques, enlevées d'un fulgurant coup de pinceau, sont lefruit d'une exécution instantanée, l'artiste opérant dans une sorte de transe ou d'extase, où l'intuition de lamain devance tout contrôle rationnel. Il ne s'agit pas cependant d'une « écriture automatique » au sensoccidental du terme, car, loin de valoriser les forces de l'inconscient, cette libre explosion de la créationartistique ne s'obtient qu'au terme d'un apprentissage long, austère et ingrat (parallèle à l'ascèsemonastique) de l'encre et du pinceau et repose précisément sur une intense discipline de toutes les énergiesde la conscience ; aussi, les créations picturales du Chan, d'une éblouissante audace plastique et d'unedéconcertante simplicité de moyens, sont-elles toujours sous-tendues par une extraordinaire concentrationspirituelle qui assure leur densité et leur profondeur. Dans cet art, nous voyons conciliées en une synthèseunique les diverses valeurs et sollicitations entre lesquelles la peinture chinoise s'est constamment trouvéepartagée : peinture instantanée, mais où l'instant devient une intuition de la permanence ; peintureelliptique, mais où le fragment détaché nous renvoie à la totalité du réel dont il est le substitut ; virtuositétechnique, mais mise tout entière au service d'une vision spirituelle ; attachement à la réalité sensible etconcrète, mais transcription de celle-ci dans une écriture abstraite. L'équilibre si rare réalisé par la peintureChan, qui parvient à marier des vertus aussi contradictoires, nous incite parfois à voir en elle une desexpressions les plus hautes et les plus complètes de la peinture chinoise. Remarquons cependant qu'enChine elle ne s'est jamais vraiment intégrée dans le grand courant d'évolution historique. Elle est restée unphénomène relativement marginal, et n'a guère exercé d'influence, sinon sur quelques individualistes Min etQing ; elle comporte en effet quelque chose de trop « voyant », une sorte de véhémence etd'exhibitionnisme trop agressifs pour le goût des connaisseurs chinois. En revanche, elle a connu une fortuneconsidérable au Japon – mais là, malheureusement, l'engouement pour ce type de peinture n'a abouti le plussouvent qu'à des manifestations spectaculaires d'une formule vidée de toute substance intérieure.

La peinture comme évasion spirituelle

Page 51: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

L'époque Yuan, bien que relativement brève, est d'une importance considérable pour la peinture, quiconnaît alors un tournant décisif. En rupture complète avec la peinture des Song du Sud, une esthétiquenouvelle s'élabore, et son influence sera déterminante sur les époques Ming et Qing.

L'occupation mongole voue à l'inactivité d'une retraite volontaire toute une partie de l'élite lettrée, pourqui la peinture devient la plus noble évasion spirituelle. Vivant en marge du siècle, les artistes rompent avecleurs prédécesseurs immédiats et, par réaction contre leur époque, renouent avec les sources antiques : lapeinture des Tang et des Cinq Dynasties. Mais parallèlement à cet archaïsme délibéré, ils jettent aussi lesbases d'un art neuf ; dorénavant, la peinture de l'homme de qualité s'insurge contre les artifices« vulgaires » des professionnels ; elle répugne à toute exhibition de virtuosité : l'honnête homme, préférantl'obscurité aux suffrages du commun, évite de se faire remarquer, de manière à n'être reconnu que de sespairs. Cette peinture se veut d'une discrétion altière ; par opposition à la perfection immanquable dupaysage des Song du Sud, elle cultive délibérément une sorte d'irrésolution détachée, d'élégantenonchalance, de caprice inspiré, laissant subtilement place à l'accidentel. Les esthètes estiment que lasaveur suprême réside dans une apparente « insipidité » (dan), et que la force véritable est celle, toutintérieure, qui parvient à s'exprimer par des moyens volontairement pauvres, apparemment ternes et nus.La catégorie critique suprême devient celle de yi, « fantaisie détachée », « nonchalance désinvolte » ;peindre est beaucoup plus que peindre : par-delà le prétexte des formes et des apparences, la peinture estavant tout une « écriture du cœur ».

Parmi les plus importants artistes de cette période si riche en personnalités originales, mentionnonsd'abord, du côté des archaïsants, Qian Xuan (1235-1300) et Zhao Mengfu (1254-1322). Gao Kegong(1248-1310) donne tour à tour dans un archaïsme monumental et un tachisme fluide, dérivé de Mi Fu. Parmiles novateurs, Wu Zhen (1280-1354) est le type même du peintre-lettré ; son style, d'une candeur abrupte,exercera une influence considérable sur la postérité. Huang Gongwang (1269-1354) est souverain dans lepaysage ; la qualité structurelle de ses compositions présente une « modernité » qui, pour le critiqueoccidental, suscite spontanément la comparaison avec les expériences de Cézanne. Ni Zan (1301-1374)fournit peut-être l'illustration la plus exemplaire de l'idéal esthétique esquissé plus haut ; il se limite à untype de composition presque invariable : paysages nus et austères, désertés de toute présence humaine, oùle pinceau, avare de son encre, laisse de grandes plages de vide entre l'avant-plan et la désolation limpided'un horizon exhaussé. Derrière son dépouillement et sa froideur apparente, ce génie altier et solitaire,assoiffé de pureté, découvre à qui sait l'approcher avec recueillement et silence une des sensibilités les plusprofondes et les plus frémissantes de toute l'histoire de la peinture chinoise. Les peintres lettrés Ming et Qinglui ont voué un véritable culte ; ils l'ont étudié et copié sans relâche, bien que la simplicité de ses formes etde ses compositions recèle une densité spirituelle dont le secret échappe à l'analyse et à l'imitation. WangMeng ( ?-1385) est plus curieux d'une recherche proprement formelle ; sa peinture, touffue et baroque, esttissée d'une forme de « rides » originale, dont la ponctuation dynamique et nerveuse sera, elle aussi, unesource d'inspiration pour la postérité.

L'étude des Anciens

Les époques Ming et Qing furent très riches dans le domaine pictural – jamais les peintres n'ont été plus nombreux, ni les théories critiques et esthétiques plus développées – et paradoxalement elles sont pourtant restées les moins connues et les moins comprises en Occident. Cela non seulement parce que le tempérament multiforme des artistes et la complexité des écoles permettent moins aisément de dégager les lignes de force de l'évolution picturale, mais surtout parce que les critères auxquels l'Occidental a instinctivement tendance à se référer s'avèrent ici particulièrement inadéquats. Pour apprécier véritablement les mérites de la peinture Ming et Qing, il nous faut plus que jamais nous mettre à l'école du critique chinois. L'Occidental en effet considère que l'originalité (c'est-à-dire la capacité d'inventer des formes neuves, d'augmenter le répertoire de signes plastiques dont dispose la peinture) constitue en soi une qualité – voire la qualité par excellence – et que l'absence de cette « originalité » est un indice d'impuissance et de sclérose académique. Devant la peinture Ming et Qing, dont le courant majeur est celui de la copie et de l'étude des Anciens, il aura le sentiment qu'il s'agit d'une époque sèche et creuse. En fait, pour le peintre chinois, l'originalité n'est pas en soi une qualité, ni le manque d'originalité un défaut ; l'objet du peintre en

Page 52: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

effet n'est pas d'inventer des formes neuves, mais de saisir et transmettre l'influx du souffle cosmique ; dumoment que ce but suprême est atteint, il importe peu que le prétexte formel soit original ou emprunté. Lavaleur d'une œuvre réside donc non pas dans des formes ou des schémas de composition, lesquels peuventsans inconvénient n'être que des stéréotypes, mais bien dans cette animation intérieure du souffle– manifestée par les valeurs d'encre et le graphisme du pinceau – dont il est beaucoup plus difficile pour lenon-initié de reconnaître l'accomplissement.

Au début de l'époque Ming (XVe siècle) se manifeste encore un courant de peinture professionnelle,illustré surtout par Dai Jin – qui s'inspire souvent des paysages des Song du Sud – et par Wu Wei(1459-1508). Ce courant sera fort combattu par la critique lettrée dont l'autorité deviendra bientôtsouveraine. La peinture professionnelle ne se relèvera pas de ces attaques et finira par perdre touteinfluence. Aujourd'hui, cependant, nous redécouvrons ces artistes, et nous sommes assez sensibles à leurverve robuste et franche ainsi qu'à leurs audaces plastiques. Celles-ci, n'étant pas sous-tendues par uneinspiration spirituelle, restent entachées, aux yeux du lettré, d'une irrémédiable « vulgarité » ; mais cejugement peut paraître aujourd'hui d'une sévérité excessive.

Le courant de la peinture des lettrés est tout entier dominé par la puissante personnalité de Shen Zhou(1427-1509) ; artiste prodigieusement divers et fécond, nourri d'une vaste culture, à la fois littéraire etesthétique, il a puisé son inspiration surtout chez les « quatre grands maîtres Yuan » (Wu Zhen, HuangGongwang, Ni Zan et Wang Meng). Son registre est d'une déconcertante variété ; ses grandes compositionssont des constructions intellectuelles élaborées non plus à partir de la nature, mais à partir des œuvres deses devanciers, subtilement réinterprétées ; dans ses feuillets d'album, par contre, il exprime avec uneobjectivité candide une vision d'une franchise ferme et savoureuse. Il eut de nombreux disciples : WenZhengming (1470-1559) est sans conteste le plus illustre.

Ode à la grenade et au melon en treille, Shen Zhou

Shen Zhou (1427-1509), peintre et calligraphe chinois, Ode à la grenade et au melon en treille.Vers 1506-1509. Plume, encre et aquarelle sur papier. The Detroit Institute of Art, Detroit,États-Unis.(Founders Society Purchase, Mr and Mrs Edgar B Whitcomb Fund, The Bridgeman ArtLibrary/ Getty)

Orthodoxes et individualistes

Page 53: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Le goût de l'indépendance cultivé par les individualistes finira par culminer au XVIIIe siècle dans laflamboyante extravagance des « Huit excentriques de Yangzhou » – dont Zheng Banqiao (ou Zheng Xie,1693-1765), Li Shan, Jin Nong (1687-1764) – qui sont encore de très grands peintres, bien que n'ayant pas laprofondeur de leurs devanciers.

D'autre part, au début de l'époque Qing, le courant orthodoxe a été illustré par les « quatre Wang » :Wang Shimin (1592-1680), Wang Jian (1598-1677), Wang Hui (1632-1717), Wang Yuanqi (1642-1715).L'œuvre de ce dernier est particulièrement attachante : son art, très cérébral, peut paraître aride àl'observateur superficiel, mais il recèle en fait une trame complexe d'allusions plastiques, admirablementunifiée par l'intelligence hardie de la composition. Yun Shouping (1633-1690) et Wu Li (1632-1718) montrentpar bien des aspects de leur œuvre que la frontière tracée entre orthodoxes et individualistes est souventarbitraire.

Aux abords des temps modernes

Le XIXe siècle reste une époque encore trop méconnue ; il abonde pourtant en personnalitésintéressantes, et le plaisir de l'amateur se double ici de la joie de la découverte. Certaines réputations sontcependant déjà bien établies, ainsi celles de Xugu (1824-1896), peintre de fleurs et d'animaux, et de RenBonian (1840-1896), peintre de personnages au talent insolite et truculent, qui aime à créer des effets decontraste en combinant de larges morceaux enlevés à l'emporte-pièce avec des détails d'une exécutionminutieuse.

La première moitié du XXe siècle est une période passionnante de la peinture chinoise, mais il seraitmalaisé d'en établir le bilan en quelques lignes, tant les courants et les maîtres sont nombreux et divers :Huang Binhong (1863-1955), génie intègre et puissant, fut sans doute le plus grand paysagiste chinoismoderne ; Pu Xinyu (1887-1964) a illustré avec une noble élégance la permanence des valeursacadémiques ; Zhang Daqian (1899-1983) est un éclectique que l'abondance de ses dons a quelque peugâté ; Qi Baishi (1863-1957) n'a exploré que son petit jardin, mais il en est le roi superbe et candide ; satriomphale originalité ne doit cependant pas nous faire oublier son grand devancier Wu Changshi(1844-1927) dont l'œuvre n'a pas autant de fraîcheur poétique, mais possède plus de densité et deprofondeur. Fu Baoshi (1904-1965) est parfois inégal, mais ses réussites compteront parmi les œuvres lesplus importantes du demi-siècle ; de tous les peintres traditionnels, c'est lui peut-être qui fut le plus moderneet le plus révolutionnaire, ayant réussi à intégrer harmonieusement dans la peinture chinoise une conceptionnouvelle de l'espace. Xu Beihong, souvent désigné sous le nom francisé de Jupéon (1895-1953), fut le pluscélèbre de ces pionniers qui, dans les premières années de la République, se rendirent en Europe pours'initier à la peinture à l'huile ; sur le plan artistique, son œuvre assez faible survivra difficilement, mais il luirestera le mérite historique d'avoir été l'un des premiers à aborder de plein front l'étude de la peintureoccidentale et le problème de son adaptation à l'art chinois. Depuis, des expériences plus significatives sesont développées dans ce sens, mais le problème est encore loin d'être résolu, et l'on peut supposer qu'iloccupera (avec son corollaire, l'exploration de la tradition picturale chinoise par l'Occident) une bonne partdes énergies créatrices de la seconde moitié du siècle.

XII- Estampes et gravures

L'estampe chinoise souffre d'une certaine méconnaissance, due à cette désinvolture que les Chinois onttoujours témoignée pour les expressions matérielles de leur culture, en particulier pour les œuvresartisanales. Seule une faible part des estampes anciennes a pu échapper à l'oubli et à la destruction. Laplupart des pièces existant encore sont regroupées dans les grandes bibliothèques de Chine (l'estampechinoise est assez mal représentée dans les collections occidentales) ; malgré un regain d'intérêt qui semanifeste aujourd'hui, grâce à l'impulsion d'intellectuels révolutionnaires (Luxun, Zheng Zhenduo), cesœuvres n'ont pas encore pu faire l'objet de reproductions suffisamment nombreuses et appropriées.

Page 54: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Estampe et livre

Les estampes chinoises (à l'exception des « images de Nouvel An ») sont fondamentalement liées aulivre. L'imprimerie est une invention chinoise très ancienne ; certains échantillons d'ouvrages imprimés parplanches xylographiques datent de l'époque Tang, mais la qualité de leur exécution fait supposer que cettetechnique avait déjà une longue histoire. La plus ancienne estampe est une gravure bouddhique datée de868 qui fait montre, elle aussi, d'une technique déjà mûre. Le développement de l'imprimerie et de l'estampesous les Tang est lié à la propagande missionnaire du bouddhisme. À la même époque s'imprimentégalement des almanachs paysans, ainsi que divers ouvrages populaires et didactiques (médecine,divination) qui sont illustrés de gravures assez frustes.

À l'époque Song, stimulée par les commandes gouvernementales et privées aussi bien que par lesinitiatives d'éditeurs professionnels, l'imprimerie se développe de façon considérable et atteint son plus hautniveau de qualité. Dans les ouvrages illustrés (textes bouddhiques, classiques, livres techniques), l'estampese fait plus fine. À l'époque Yuan commence la vogue du théâtre qui fournira aux graveurs une riche matièreà illustrations. L'âge d'or du livre illustré est l'époque des Ming. Divers facteurs favorisent sonépanouissement : prospérité, essor urbain, bourgeoisie commerçante avide de divertissements, pour qui lesimprimeurs multiplient les éditions illustrées de pièces de théâtre et de romans. Non seulement l'habituded'illustrer les ouvrages imprimés se généralise, mais des albums constitués surtout d'estampes apparaissentalors. Les graveurs perfectionnent leur technique ; autrefois ils composaient eux-mêmes le dessin de leursestampes, maintenant une division du travail s'instaure : l'illustration originale est fournie par un peintre, legraveur la transpose sur sa planche avec une virtuosité de trait qui donne l'illusion du pinceau. Le résultatest d'un raffinement extrême, mais l'estampe chinoise quitte le domaine propre de la gravure pour setransformer en un habile démarquage du graphisme pictural. Le plus illustre exemple de cette fécondecollaboration entre peintres et graveurs est fourni par Chen Hongshou (1598-1662) qui donna à graverplusieurs séries d'illustrations littéraires. Dans l'énorme production de pièces de théâtre et de romansillustrés, mentionnons aussi l'édition du roman Jin Ping Mei, dont les cent planches, d'un réalisme minutieux,présentent avec un sens aigu de la vie et de l'observation psychologique le miroir complet d'une société.

Estampe en couleurs

Au début du XVIIe siècle, un autre type d'ouvrage gagne en importance : l'encyclopédie picturale,véritable musée de poche, reproduisant un choix des chefs-d'œuvre de la peinture ; dans ce domaine, le MoYuan édité par Cheng Dayue marque un progrès technique par son utilisation de la couleur. L'estampe encouleurs atteint son plein épanouissement dans les publications de Hu Zhengyan : Recueil de peintures duStudio des dix bambous (1619-1627) et Recueil de papiers à lettres du Studio des dix bambous (1644). Enadoptant le procédé d'impression successive des couleurs, par blocs multiples (précédemment l'estampe encouleurs était imprimée en une fois, les différentes couleurs étant réparties simultanément sur un blocunique), Hu permit à l'estampe d'imiter toutes les nuances de l'aquarelle, et lui fit faire ainsi un progrèsdécisif. Les estampes Qing sont directement tributaires du Studio des dix bambous ; cette technique devaitservir de point de départ au développement de l'estampe japonaise.

À l'époque Qing, les Mandchous, soucieux de mobiliser tous les instruments de propagande culturelle pour consolider leur pouvoir, tirèrent abondamment parti du livre illustré et firent publier d'énormes et luxueux ouvrages célébrant les gloires impériales : Fastes pour l'anniversaire de l'empereur (Kangxi, 1713), Fastes des visites de l'empereur dans les provinces méridionales (Qianlong, 1766), etc. L'Agriculture et le tissage, illustré de planches en couleurs, relève également des éditions impériales. L'édition privée n'est pas moins active : à côté des innombrables versions illustrées de romans et de pièces de théâtre, la vogue des manuels de peinture se continue et donne son chef-d'œuvre avec le célèbre Jardin du grain de moutarde (Nankin, 1701). Ce superbe ensemble d'estampes en couleurs, dans la lignée directe du Studio des dix bambous, se présente comme une méthode analytique et progressive d'apprentissage de la peinture. Divisé en trois séries (une quatrième, apocryphe, lui fut ajoutée en 1818 à Suzhou), l'ouvrage fut commencé sous la supervision de Shen Yinbo, beau-fils de Li Yu, et dessiné principalement par deux frères, Wang Gai et Wang

Page 55: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Shi, secondés par divers autres artistes. Son succès fut immense et suscita de nombreuses contrefaçons, dequalité variable. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l'estampe tombe en décadence. Sous l'influenceoccidentale, l'imprimerie adopte les caractères mobiles (l'invention était chinoise, d'époque Song, mais nefut pratiquement pas utilisée en Chine, étant peu satisfaisante esthétiquement) et les plombs ; la gravure surbois tombe en désuétude, et les ouvrages imprimés selon les nouvelles méthodes sont illustrés delithographies. Dans cette médiocrité, seules émergent une bonne édition illustrée du Rêve dans la chambrerouge (1791) et les gravures du célèbre peintre de figures Ren Weichang (XIXe siècle). À l'époquecontemporaine, la technique de l'estampe en couleurs imprimée par blocs multiples, telle que l'avaitélaborée le Studio des dix bambous, s'est perpétuée à Pékin dans l'atelier Rongbaozhai.

Une forme particulière et populaire de l'estampe s'est développée de façon indépendante, sans relationavec le livre : les « images de Nouvel An » (nian hua) qui, dans l'usage traditionnel, étaient collées aux murset sur les portes au moment du Nouvel An. Outre les esprits gardiens de la porte et le dieu du foyer, cesestampes représentent divers symboles d'heureux auspices (fécondité, fortune, longévité). Leur techniqueest simple et savoureuse, avec un trait tendant à la schématisation décorative. Les couleurs, vives et sansnuances, imprimées d'un seul tirage, présentent une joyeuse juxtaposition de tons purs traités en largesaplats. Cette tradition artisanale s'est maintenue, et il existe aujourd'hui un dérivé moderne de l'image deNouvel An, consacré principalement à des thèmes politiques et didactiques auxquels une certaine naïveté devision réussit à conférer une fraîcheur inattendue.

XIII- Estampage

L'estampage (taben) est un procédé de reproduction permettant de prendre, à l'encre et sur papier,l'empreinte négative d'un motif (inscription ou figure) gravé en intaille ou en relief sur un support de pierre,brique, bois, bronze, jade, etc.

Procédés techniques

On recouvre le sujet d'une feuille de papier humide ; pour amener le papier à épouser tous les accidentsde la surface à reproduire, on le tapote avec un maillet feutré ou on le frotte avec une brosse à poils durs. Onencre ensuite en tapotant la surface entière du papier avec un tampon de charpie imbibé d'encre. Quandl'encre a séché, on décolle le papier du support ; les motifs en creux apparaissent en blanc sur fond noir.Selon que l'on use d'un tampon encreur grassement imbibé ou légèrement humecté, on obtient soit un fondd'un noir lustré (qui convient aux prises d'empreintes sur support lisse), soit un fond nuancé qui reproduit legrain et les accidents du support (approprié pour un support fruste et rugueux). Une autre technique, plusdélicate, s'exécute à sec : on y a recours lorsque l'œuvre à reproduire présente une surface très irrégulièreou dont le graphisme est partiellement brouillé (stèles rongées par les intempéries, etc.), ou encore lorsquele support est d'une nature fragile (jade), ou que le motif est particulièrement subtil (ciselures d'un bronze).Cette méthode à sec s'impose également lorsque le support (bois) est recouvert d'une couche de laque oude peinture que le procédé humide risquerait d'endommager. La méthode à sec requiert un papierextrêmement fin mais très résistant, que l'on applique sur le support en le pressant de la paume. L'encre (quien Chine se présente sous forme solide) est directement maniée à la main et frottée sur le papier d'unmouvement semblable à celui du pinceau ; pour ce travail, on se sert généralement de pains d'encrespéciaux, ronds et plus mous que les bâtons d'encre ordinaires. Toute la difficulté réside dans le maniementdu pain d'encre, dont la pression doit être à la fois ferme et légère. Avec ce procédé, on obtient un fond degrisaille où se lisent tous les accidents de relief du support.

Multiplication des textes gravés sur la pierre

Page 56: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

L'estampage, qui fut pratiqué en Chine depuis une antiquité reculée (dès l'époque Han, semble-t-il, maisle plus ancien témoin subsistant date du VIIe siècle de notre ère), servait principalement à la reproduction età la diffusion des textes gravés sur les stèles de pierre. L'invention ultérieure des procédés d'impression parplanches de bois gravées n'a nullement privé l'estampage de sa position privilégiée : ses qualitésesthétiques, d'une part, et son degré de fidélité, d'autre part, sont en effet inégalables. Les estampages faitsà partir de stèles reproduisant des calligraphies – voire des peintures – dont les originaux ont disparu (parfoisces stèles elles-mêmes ont à leur tour disparu) présentent un intérêt archéologique, historique et artistiqueconsidérable, et sont prisés par les connaisseurs au même titre que des œuvres d'art originales.

Pierre RYCKMANS

XIV- Céramique

La céramique chinoise se distingue par la continuité de sa tradition, dont témoigne une productions'étendant sur sept millénaires, par la précocité de ses découvertes, une maîtrise technique inégalée, uneprofusion et une diversité sans commune mesure avec ce qu'a pu produire l'Occident. Les perfectionnementsapportés aux fours, aux textures, aux couleurs ont commandé sa constante évolution, liée d'autre part àl'histoire de la société, à la multiplicité de la commande, souvent aussi à l'irruption d'influences étrangères.Les artisans chinois atteignent spontanément la beauté par une parfaite adaptation des formes à leurfonction, un sens inné des proportions et des rythmes, une mise en valeur de toutes les virtualités de lamatière. Aux yeux des Chinois, la céramique est un art bien plus qu'un artisanat : certaines pièces sontprisées à l'égal du jade, la matière noble par excellence. Collectionnée de longue date, chantée par lespoètes, la céramique fut souvent réservée aux empereurs et aux princes. Elle répond aux besoins les plusdivers : vaisselle d'usage, elle est d'autre part matériel de culte et mobilier funéraire ; elle sert les exigencesde la vie de Cour comme celles de la classe raffinée des lettrés qui s'enchante des formes pures d'un bol oudu lustre onctueux d'une couverte. La céramique concerne non seulement la vue, mais le toucher et mêmel'ouïe, sensible à la sonorité émise par une porcelaine. Discrète, dépouillée, austère à certaines époques, elleest à d'autres éclatante de couleurs, vigoureuse, audacieuse.

Diversité des techniques

Le mot « céramique » est un terme général qui englobe des techniques distinctes : la poterie, ou terrecuite, obtenue à basse température (750-900 0C), qui demeure fragile et poreuse ; le grès, cuit à1 000-1 200 0C, plus lourd et plus solide, vitrifié et devenu imperméable ; la porcelaine, que sa cuisson à1 350 0C environ vitrifie davantage encore et rend dure, sonore, parfois blanche et translucide. À la poteriesont associées les glaçures, à base de silicate de plomb, qui lui donnent de l'éclat tout en palliant sa porosité.Les grès et les porcelaines doivent leur qualité aux couvertes, revêtements à base de feldspath et decendres végétales, étroitement unies au corps des pièces. Dès l'époque néolithique, la poterie dénote desrecherches de texture, de poli et de décor. Sous les Shang (XVIIe s.-1028) et les Zhou (1027-256), elle fournit,outre une vaisselle courante, la rare poterie blanche d'Anyang, des vases au poli noir, des pièces à décorincrusté. À l'époque Han (206 av.-220 apr. J.-C.), elle est en général revêtue de glaçures, souvent colorées envert et irisées : urnes, brûle-parfum, vases hu aux formes puissantes. Rehaussés de peinture, les mingqi,objets destinés à accompagner les défunts dans l'au-delà, font revivre la Chine des Han dans son existencequotidienne, avec leurs réductions d'architectures, leurs figurines humaines et animales. Sous les Tang(618-907), ces statuettes, revêtues de glaçures polychromes, sont pleines de vitalité et de grâce. La poterieproprement dite est alors d'une grande variété de formes, tantôt purement chinoises, tantôt inspirées demodèles occidentaux ; ses glaçures, posées sur un engobe blanc, ont des coloris frais et éclatants.

Les grès, annoncés dès les Shang par des pièces cuites à haute température, apparaissent sous les Zhou, vers les IXe-VIIIe siècles. À la fin de cette dynastie et sous les Han se développent les protocéladons, puis les céladons de Yue à mince couverte gris-vert. À la même époque, les sombres et vigoureuses protoporcelaines portent une couverte olivâtre qui forme de longues coulures. À partir des Han, les formes et

Page 57: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

les tonalités des yue se diversifient, les revêtements sont plus épais. Sous les Sui (589-618) se situent lespremières couvertes blanches qui rivaliseront avec les yue à l'époque Tang. Sous les Song (960-1279), lesyue sont supplantés par les céladons de Longquan, d'un vert plus franc, qui seront exportés dans l'Asieentière et jusqu'en Europe au long des dynasties suivantes. À la même époque, les fours se multiplient ; lesgrès reflètent le raffinement de cette période : goût du monochrome, des formes pures, perfection du lustreet de la profondeur des couvertes. La plupart des manufactures resteront longtemps en activité. L'époqueMing se signale enfin par les grès bruns de « Boccaro » et les sancai, dont les glaçures brillantes rappellentcelles des poteries Tang dans une gamme renouvelée.

Parallèlement à l'évolution continue du grès se situe celle de la porcelaine, apparue dès l'époque Tang,et qui éclipsera quelques siècles plus tard les autres techniques de la céramique chinoise.

Poteries et grès des premières dynasties

La céramique fait son apparition en Chine à la fin de l'époque néolithique, entre 5000 et 2000 environavant J.-C. Outre une poterie grise d'usage, on y distingue :

– a) dans le bassin moyen du Huanghe et s'étendant ensuite au Gansu, la poterie rouge à ample décorpeint de la culture de Yangshao – plusieurs villages, dont Banpo découvert en 1953 près de Xi'an au Shaanxi,font revivre cette culture ;

– b) du Zhejiang au Shandong, avec la culture de Longshan, des pièces noires, fines et polies, de formescomplexes, à décor incisé ou ajouré, et des pièces blanches, notamment des verseuses tripodes.

Sous la dynastie des Shang, certains types de céramique néolithique ont subsisté. La poterie grisedomine, avec plus de netteté dans les formes et un décor imprimé au tampon. Des progrès faits, d'autrepart, dans l'aménagement des fours permettent une cuisson à haute température et le dépôt d'une couvertenaturelle à base de cendres sur la partie supérieure des pièces. On note aussi les premiers essais decouvertes sciemment posées. C'est là une innovation capitale qui porte en germe tout le développementultérieur de l'art du grès. Les tombes princières d'Anyang ont livré une précieuse poterie blanche, en argilefine à forte proportion de kaolin. Son décor est analogue à celui des bronzes et des ivoires de l'époque :rubans en lignes brisées, unis ou incisés, dragons de profil, masques de taotie.

À l'époque Zhou, la céramique se diversifie selon les régions. Les poteries grises, estampées de motifsgéométriques, imitent les formes des bronzes : coupes dou à pied élevé au Shandong, vases hu à motifs dedragons au Henan, li à cannelures horizontales au Shaanxi. Dans l'Anhui, on a trouvé des vases en kaolin duIXe ou VIIIe siècle avant J.-C. ; ornés de filets ou d'un décor estampé sous une couverte appliquée à la brosseou par immersion, ils annoncent les « protoporcelaines » des Han.

La période des Royaumes Combattants voit un retour à la poterie noire, avec des contrastes de motifsmats et polis. La poterie architecturale se développe, avec des tuiles cylindriques à motifs estampésempruntés à l'art du bronze. Les grès prennent des aspects très variés dans les provinces actuelles del'Anhui et du Zhejiang, et au Hunan où les découvertes faites dans les tombes de Changsha ont révélé labrillante civilisation de l'État de Chu. Par des innovations techniques variées, on s'efforce d'imiter encéramique la richesse des bronzes incrustés ou des laques peints contemporains : pigments colorés,incrustations en pâte de verre, application de feuilles d'étain à la surface des pièces, spirales en relief sousune couverte feldspathique jaune clair. On voit même apparaître les premières glaçures plombifères. Desfouilles commencées en 1974 ont révélé un aspect insoupçonné de l'art de la brève dynastie des Qin : plusde 7 000 statues en terre cuite peinte, plus grandes que nature – officiers, fantassins, archers, chevaux–, représentant l'armée de Shi huangdi (221-210), « Premier Auguste Empereur » de la Chine nouvellementunifiée. Ces statues, d'un réalisme saisissant, s'alignent dans des fosses voisines du mausolée impérial prèsde Xi'an. Sur le même site, on a trouvé des statues de servantes assises, en terre cuite grise, d'une grandesobriété.

Page 58: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Progrès et découvertes sous les Han, les Six Dynasties et lesSui

À l'époque Han, on assiste à un essor considérable de tous les artisanats. L'art de la céramique estmarqué par le renouvellement des formes et des décors, ainsi que par de remarquables progrès techniques.Deux catégories bien différentes suivront désormais un développement parallèle : poteries avec ou sansglaçures, grès à couverte feldspathique. Les poteries funéraires, en Chine du Nord, ont des formes robusteset équilibrées : hu à la panse renflée, au col galbé souligné d'un large rebord, urnes cylindriques liansurmontées d'un couvercle représentant une île montagneuse battue par les flots, boshanlu, oubrûle-parfum, en forme de coupe à couvercle ajouré, montée sur un pied.

Les hu portent parfois un décor peint – crochets, volutes, triangles – inspiré du répertoire des bronzesincrustés. Plus souvent, les poteries sont revêtues de glaçures plombifères de « demi-grand feu », soit àl'état naturel dans un ton jaune-brunâtre, soit colorées en vert intense par de l'oxyde de cuivre. Les glaçuresdonnent à la terre une beauté supplémentaire en même temps qu'une qualité primordiale, l'imperméabilité ;de plus, en s'oxydant lors de leur séjour dans le sol, ces poteries ont pris des irisations nacrées ou argentéesd'un grand attrait. Le décor est constitué par des filets horizontaux, par des frises figurant, en relief, desscènes de chasse animées, avec des animaux réels ou fantastiques, des génies, des cavaliers, par desmasques en relief tenant un anneau fictif, imitant les anses des bronzes. Des scènes plus variées décorentles briques et les dalles formant les parois des tombes souterraines. Du IIe au IIIe siècle de notre ère, ontrouve à Luoyang et au Sichuan les premières représentations de paysage, des architectures, des scènesvivantes de banquets, de jeux et de travaux.

On plaçait également dans les tombes des statuettes de serviteurs, de danseurs, d'acrobates, destinéesà accompagner les morts dans l'au-delà. Toute la vie quotidienne des Han est restituée par ces mingqi,colorés après la cuisson. Les personnages, dont le mouvement est sobrement exprimé, sont traités parlarges plans, les animaux sont rendus avec un étonnant réalisme. Des réductions d'architectures – maisons,fermes, tours de guet – nous renseignent sur les modes de construction propres aux différentes régions. Lesgrès de l'époque Han montrent des progrès décisifs. Au Zhejiang, où les gisements favorables sontparticulièrement abondants, apparaît à Shaoxing le groupe des protoporcelaines, vases proches des hu enpoterie et urnes sans col, en grès sombre et lourd. La partie supérieure porte une couverte olivâtre,mouchetée, posée sur un engobe brun-rouge ; elle s'amasse vers le bas en grosses gouttes vitrifiées et laissetransparaître un décor incisé de lignes ondées tracées au peigne, de courbes et de contre-courbes seterminant en oiseaux stylisés.

Des productions très variées se rattachent à la période des Six Dynasties. Dans le Nord, sous les Wei, lesstatuettes funéraires sont en terre grise, dense, rehaussée de pigments colorés : cavaliers casqués auxmontures richement caparaçonnées, chameliers, guerriers cuirassés, dames aux silhouettes allongées, auxvisages aigus. Les grès du Zhejiang, de corps gris, de grain serré, tournés avec acuité, ne se limitent plus àcopier les formes des bronzes. Sur des coupes et des pots des IIIe-IVe siècles, une zone de décorgéométrique, avec des anses et des masques en relief, est incisée sous une fine couverte gris-vert ou olive,obtenue par une cuisson en réduction. Le centre de la production est Juyan, non loin de Shaoxing,anciennement Yuezhou, d'où le nom de yue donné à ces « protocéladons ». Vers le VIe siècle, les yue les pluscaractéristiques sont des aiguières à bec figurant une tête de coq, des verseuses en forme de lionsaccroupis, des godets à eau évoquant des tortues. Des urnes cinéraires portent, autour du col, des figurinessommairement modelées ; quelques vases s'ornent en relief d'un décor exubérant de pétales de lotus, derosettes, de pendentifs, signe de contacts avec l'Iran sassanide.

Statuette funéraire

Statuette funéraire représentant un serviteur agenouillé.Terre cuite non vernissée, Chine,période des Six Dynasties (265-581). Oriental Museum, Durham, Grande-Bretagne.(TheBridgeman Art Library/ Getty)

Page 59: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

L'évolution qui a lentement perfectionné les procédés de cuisson, la pureté des terres et des couvertes,aboutit sous les Sui à produire des grès blancs à base de kaolin, fins et partiellement vitrifiés, très proches dela porcelaine. La priorité de la Chine est ici plus que millénaire. Les mingqi diffèrent totalement de ceux desWei : les potiers modèlent des figurines souples, aux justes proportions, vêtues selon une mode venue d'Asiecentrale. En terre blanchâtre, elles sont en général enduites d'une glaçure ivoirine finement craquelée.

Vitalité et exotisme de l'art des Tang

À l'époque Tang, la céramique reflète la vitalité de cet âge d'or, son goût de la recherche et desacquisitions nouvelles. Sur les poteries, les glaçures « trois couleurs », ou sancai, aux tons vifs, s'opposentaux monochromes des âges précédents. Dérivés d'oxydes de cuivre, d'antimoine, de fer, de cobalt, les verts,les jaunes clairs ou ambrés, les bleus sombres, posés sur un engobe blanc, forment le plus souvent destaches contrastées à coulures irrégulières. La fluidité des glaçures sera corrigée sur des plats à offrandes parde profondes incisions (rosaces, lotus, oiseaux, nuages) imitant des modèles d'argenterie sassanide. Lesterres sont claires, les formes souvent d'inspiration étrangère, avec des éléments nettement différenciés etdes profils rompus : bols arrondis, vases globulaires, vases ovoïdes godronnés à long col s'épanouissant encorolle, amphores, etc. Des reliefs moulés ou modelés – cordons de perles, palmettes, pampres, couverclesfigurant une tête de phénix, anses en forme de dragons dressés – apportent une note d'exotisme. Le goût dela couleur s'exprime aussi dans de petites poteries « marbrées » obtenues par le malaxage d'argiles claireset sombres. Les mingqi, plus nombreux que jamais, modelés avec soin et souvent rehaussés de glaçurespolychromes, sont d'un réalisme plein de vigueur et de charme. Gardiens de tombes et fonctionnairespeuvent atteindre plus d'un mètre de haut. Ils voisinent avec des centaines de statuettes – dames élégantesvêtues à la dernière mode, servantes, musiciennes, danseuses, acteurs – et avec des marchands persans,des palefreniers d'Asie centrale, des Turcs, des Juifs, des Indiens. Les plus célèbres mingqi sont peut-être lesstatuettes d'animaux, chevaux puissants parfois montés, chameaux majestueux.

Au IXe siècle, en Chine du Nord, apparaissent des pièces blanches porcelaineuses, en général de petitetaille. Bols à thé, aiguières minuscules, gobelets, coupes à bord roulé ou replié sont tantôt revêtus d'unecouverte épaisse, tantôt translucides, d'un blanc pur et brillant, ou très vitrifiés et délicatement craquelés. AuZhejiang, la fabrication des yue s'est reportée à Yuyao. Ce sont des grès porcelaineux de facture très soignée– aiguières, vases à long col, bols à thé, boîtes à fards – dont la couverte transparente annonce les céladonsSong et recouvre un souple décor incisé d'oiseaux, de lotus, de pivoines. D'autres grès noirs ou bruns sontdéjà du type des temmoku Song ; du Henan proviennent des pièces noires à larges éclaboussures bleutées.

L'âge classique des Song

La céramique des Song, expression d'une culture raffinée, peut être considérée comme la plus parfaitede tous les temps. C'est un art sobre, austère, adonné aux tons subtils, aux couvertes monochromes,onctueuses et profondes, qui tiennent souvent lieu de tout décor. Les bols, lobés ou en forme de fleurépanouie, les coupes évasées, les flacons, les vases meiping, à embouchure minuscule, ont des proportionsharmonieuses, des profils aux courbes continues. Lorsque le décor existe (branches fleuries, poissons dansles vagues, canards parmi des plantes d'eau), il est discret, délicatement gravé ou moulé en très léger relief.

Sous les Song du Nord, la production est localisée au Hebei, au Henan et au Shaanxi. Les porcelainesblanches ding sont translucides, avec une couverte ivoirine qui forme des coulures verdâtres à l'extérieurdes coupes ; le bord de celles-ci, nu, est cerclé de métal. Les précieux ru, aux épaisses couvertes craqueléesbleu-gris ou bleu lavande, ont été fabriqués entre 1107 et 1125 dans l'enceinte même du palais impérial,comme aussi les rares guan du Nord. De Yaozhou (Shaanxi) viennent les céladons du Nord, très vitrifiés,avec un décor d'une extrême finesse incisé sous un revêtement vert olive ; du Henan, les premiers jun, d'unbleu intense taché de pourpre, dont la fabrication se poursuivra jusqu'à la fin de la dynastie et sous les Yuan.

Page 60: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Après l'exode à Hangzhou, deux fours impériaux produisent les guan (« pièces officielles »), à la couvertedense, largement craquelée, plus épaisse que le corps mince et sombre. Les tons varient du gris à des vertset des bleus clairs. Les céladons de Longquan remplacent les yue, et portent la technique des grès verts àson point de perfection. Sur le corps gris, les couvertes sont d'une admirable profondeur, d'une opaciténuageuse, vert bleuté ou vert de mer. Le Fujian produit des bols à thé coniques, les jian, plus connus sous lenom japonais de temmoku, grès sombres, rugueux, que revêtent de lourdes couvertes noires enrichies depetites stries à reflets métalliques (effets dits « plumes de perdrix » ou « fourrure de lièvre »). Les jian ontété imités au Jiangxi, avec des terres plus claires et des décors différents : taches dénommées « écaille detortue », réserves de feuilles, de papillons, de fleurettes. Au Henan, certaines pièces noires portent un décorpeint, en brun de fer lustré, ou des zones blanches contrastant avec les fonds. Du Jiangxi proviennent lesqingbai, délicates porcelaines blanches dont la couverte très vitrifiée prend dans les épaisseurs une tonalitébleu pâle. Leur décor est tantôt moulé, tantôt finement incisé, avec des pointillés et des motifs « peignés ».La production dite de Cizhou, au Hebei, qui est issue en réalité de nombreux centres de la Chine du Nord, adonné des grès lourds et robustes : grands vases, jarres, boîtes, oreillers. Les ci, seuls à adopter un décorpeint, s'ornent de vigoureux motifs floraux se détachant en noir sur un fond clair, sous un revêtementtransparent, incolore ou vert vif. Leur groupe englobe aussi des pièces à décor champlevé et d'autresutilisant des glaçures plombifères vertes et jaunes. C'est sur des ci, enfin, qu'apparaissent pour la premièrefois les émaux, qui connaîtront sur les porcelaines un avenir prodigieux. Encore timidement employés, ilssont limités au rouge de fer, au vert et à un jaune léger. La poterie ne compte guère sous les Song, sauf dansle royaume Liao, en Mandchourie, où la tradition des sancai Tang s'attarde aux Xe et XIe siècles.

Une époque d'innovations : la dynastie mongole des Yuan

Tous les artisanats des Yuan subissent des influences étrangères et la céramique, en particulier,s'enrichit de quantité de formes et de techniques nouvelles.

Englobée dans l'immense empire mongol, la Chine entre en contact avec l'Occident. Ainsi est acheminéle cobalt venu de Perse qui conduira à la création au Jiangxi, vers 1320, du « bleu et blanc », innovationmajeure qui va déterminer l'avenir de la porcelaine chinoise. La couleur, qui se révèle au grand feu, vers1 350 0C, s'applique avant la pose de la couverte. À des essais timides succède, à partir de 1330-1340, uneadmirable floraison de pièces robustes de la plus belle qualité. Grands plats et vases monumentaux, dedimensions inconnues jusqu'alors, elles sont en majorité destinées à une commande croissante des coursprincières de l'Inde et de l'Asie occidentale. Les décors, largement tracés, sont complexes et d'une variétéinfinie. À aucune époque, ils n'ont été aussi inventifs et n'ont manifesté une telle vitalité. Moins souvent onutilise le rouge de cuivre, autre couleur de grand feu, mais fort instable et de réussite incertaine.

Les ateliers de Longquan produisent de même pour l'exportation des céladons lourds et volumineux,grands plats à marli, jarres, vases « balustre », ornés, en relief ou en gravure, de fleurs ou de dragons. Ilscréent par ailleurs des décors nouveaux : taches brunes irrégulières sur des couvertes fines (tobi seiji),motifs en relief laissés nus qui, rougis au feu, ressortent sur les fonds verts. Tout en évoluant, d'autrescentres régionaux maintiennent leur production. Les ci peints sont parfois revêtus d'une glaçure turquoise,apport du Proche-Orient ; sur les fonds clairs, le décor a un caractère plus populaire, devient plus varié etplus libre. Les ding ont des motifs moins délicats, les jun des tonalités plus violentes, avec des effets de« flambé ». Au Jiangxi, région privilégiée pour la porcelaine blanche, les qingbai prennent une importancenouvelle avec des meiping, des bouteilles, des aiguières, et créent une statuaire bouddhique audacieuse.Leur décor fait appel à toutes les techniques (modelage, ajourages, incisions), leur couverte tend vers levert. Dans la même province apparaît une porcelaine blanche officielle, ornée de motifs moulés sous unrevêtement opaque et de la marque shufu, « Conseil privé », qui lui a donné son nom.

Prépondérance de la porcelaine sous les Ming et les Qing

Page 61: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Le bleu et blanc connaîtra sous les Ming une fortune qui ne déclinera que devant la vogue croissante desémaux de petit feu, vers le milieu du XVIIe siècle. Sous les deux dernières dynasties, l'histoire de lacéramique devient celle de la porcelaine. L'essentiel de sa production est concentré à Jingdezhen, au Jiangxi,véritable métropole de la céramique. On y verra, dans le décor peint, se succéder ou se combiner lescouleurs de grand feu et les émaux, se multiplier les recherches de tonalités, les procédés d'application et decuisson ; en même temps, les formes se diversifieront à l'infini pour s'adapter à tous les usages, avec desretours archaïsants aux modèles anciens et à leur ornementation.

Vase en porcelaine, «bleu et blanc» Chine

Grâce à l'introduction du cobalt, les porcelaines chinoises adoptent, dès le XIVe siècle, un décor«bleu et blanc». Vase datant du règne de Wanli (1573-1620). Collection privée.(Paul Freeman,The Bridgeman Art Library/ Getty)

Sous les Ming, cependant, la poterie architecturale se développe avec l'abondance des nouvellesconstructions. Revêtements muraux à glaçures recouvrant des reliefs, tuiles aux tons vifs, ornements defaîtage en ronde bosse (dragons, phénix, cavaliers) donnent un éclat inimitable aux édifices chinois. C'estsans doute aux ateliers provinciaux voués à ces fabrications que se rattachent les sancai Ming,aboutissement lointain des « trois couleurs » Tang, aux XVe et XVIe siècles. Leurs glaçures, sur le grès ou laporcelaine, se combinent en deux gammes : bleu profond - turquoise - aubergine, ouvert - jaune - aubergine ; elles sont compartimentées par des filets en relief, des incisions, des ajourages.Cette technique s'applique à des meiping, des potiches, des vases « balustre », à des statuettes de dieux oude personnages légendaires, à des objets mobiliers. Au XVIe siècle, les formes deviennent plus baroques, lestonalités vives s'adoucissent, avec des gris et des mauves transparents.

Yixing, au Jiangsu, est à partir du XVIe siècle le centre, encore actif de nos jours, des « boccaro ». Ce sontdes grès bruns, plus ou moins lustrés, qui ont surtout servi pour des théières aux formes fantaisistes,moulées et ciselées, largement exportées en Europe avec les cargaisons de thé aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Au Guangdong, des grès sombres à couvertes rouges et bleues, tachetées ou flambées (jardinières,statuettes, etc.), évoquent les procédés, sinon la délicatesse, des jun de l'époque Song. Les robustescéladons d'exportation survivent sous les Ming, s'en tenant à peu près aux formules des Yuan, avec descouvertes plus olivâtres. Il en est de même des ci, sous une forme populaire encore très appréciéeaujourd'hui. Sous les Ming et les Qing, l'activité dispersée des anciennes manufactures n'est donc pas abolie,en dépit de la prépondérance de Jingdezhen et de sa porcelaine.

XV- Émaux

La technique des émaux sur métal, apparue en Chine au XIVe siècle, est la seule forme d'art chinois quirelève entièrement d'un apport étranger. Dès l'Antiquité, elle est connue dans le monde méditerranéen, etc'est à partir d'un centre existant en Asie Mineure au XIIe siècle qu'elle a atteint la Chine. Elle y est devenueune des manifestations les plus somptueuses de l'habileté manuelle des Chinois et, plus encore, de leur sensdes belles matières et des harmonies colorées. Destinés au culte, au décor ou à l'intimité du lettré, lescloisonnés chinois n'ont jamais été fabriqués pour l'exportation.

Un art du verre

Les émaux sont des verres colorés fusibles, utilisés sous forme de pâte. Ils sont insérés dans des cavités du support métallique et la pièce est cuite à une température qui les fait fondre et adhérer au métal. Parmi les procédés qui existent pour former les alvéoles – émaux champlevés, repoussés ou cloisonnés –, c'est ce dernier qui a été le plus courant en Chine, avec un support de bronze ou de cuivre et des émaux opaques. De fines bandes de métal sont posées de champ sur le fond, délimitant les décors. Sous les Ming, ces

Page 62: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

cloisons sont en bronze, fixées par une soudure métallique ; plus tard, on emploie le cuivre et une soudurevégétale qui disparaît à la cuisson : c'est alors l'émail qui maintient les cloisons. Le bord apparent de celles-ciest toujours revêtu de dorure.

Évolution des cloisonnés du XVe au XIXe siècle

L'existence de cloisonnés Yuan est attestée par des textes chinois anciens, mais aucune pièce duXIVe siècle ne nous est parvenue. Les émaux connus s'échelonnent entre le début du XVe siècle et le milieudu XIXe. Leur datation s'appuie sur les styles et les techniques plus que sur les marques, qui sont sujettes àcaution, car, fondues ou incisées, elles ont pu être surajoutées. On ne peut se fier qu'à celles, très rares, quisont incorporées au décor émaillé. Des pièces de toutes époques portent la marque de Jingtai (1450-1456)sans qu'on s'explique la vogue, en ce domaine, d'un règne par ailleurs obscur.

Au XVe siècle, le décor se limite à des lotus, stylisés ou en rinceaux, des nuages, des vagues, des feuillesdressées, parfois des fruits traités avec réalisme. Le dessin, bien composé, se suffit à lui-même : les fondssont nus, alors que, plus tard, ils seront emplis de petites cloisons en spirale pour meubler les vides etconsolider les trop grandes surfaces d'émail. Les objets, lourds et généralement de petites dimensions, sonten majorité à destination bouddhique : vases, boîtes rondes, brûle-parfum. Les couleurs sont un bleuturquoise clair, un très beau bleu lapis, le blanc, le jaune, le rouge et un vert sombre presque noir. Assezsouvent, deux tons se fondent l'un dans l'autre à l'intérieur d'une même cellule. Vers la fin du siècle apparaîtle « rose Ming », fait de l'association de particules rouges et blanches : c'est la première couleur« mélangée ».

Au XVIe siècle, les rinceaux sont plus chargés et l'on rencontre des emblèmes bouddhiques, des lions,des dragons, des paysages, des bordures. Les formes sont surtout des plats, des bols et des vases. Un vertclair, un brun translucide et de nouveaux tons mélangés apparaissent. Au siècle suivant, certaines piècesimitent les bronzes archaïques. Le décor, outre les rinceaux de lotus, comprend des dragons et des phénix,des plantes fleuries, des oiseaux. Les formes se diversifient : panneaux décoratifs, animaux en ronde bosse,sceptres, chandeliers, et la gamme des couleurs s'enrichit d'une grande variété de tons mélangés. AuXVIIIe siècle, on enregistre une production massive, sans doute dès la création, en 1680, d'un atelier impérialà Pékin. Des pièces monumentales, atteignant parfois plus de deux mètres de haut (vases, brûle-parfum,lions, gardiens, etc.), ornent les temples et les palais. Les couleurs, rarement mélangées, sont, sur un fondd'un bleu plutôt terne, un vert turquoise foncé, des jaunes et des verts pâles, le mauve, le bleu lapis et unvéritable rose, dérivé de l'or, qui deviendra commun vers 1730. L'essentiel de la production se situe sousQianlong et porte souvent la marque authentique du règne. Si certains objets sont très raffinés, le décor desgrandes pièces, fait de fleurs et de rinceaux se répétant à l'infini, est monotone et manque de spontanéité.Les tiges et les volutes sont toujours formées par deux cloisons parallèles. Les formes s'adaptent à tous lesusages et les figures d'animaux se multiplient. Il semble que la technique se soit maintenue sans sedétériorer jusqu'au milieu du XIXe siècle ; les cloisonnés modernes sont, par contre, d'une qualité inférieure àtous égards.

Émaux peints

Introduits en Chine peu avant 1713, leur technique est voisine de celle des porcelaines émaillées. Vers1714, l'empereur fit installer un atelier au palais de Pékin, où furent fabriquées notamment des tasses en orémaillé offertes au tsar en 1721.

Le cuivre sert généralement de support ; il est recouvert d'une couche d'émail blanc opaque, sur laquelle sont peints les motifs polychromes. La gamme des couleurs est la même que celle des porcelaines de « famille rose », mais les tons, en s'incorporant au fond d'émail, perdent l'éclat propre à ceux qui sont posés sur la couverte brillante d'une porcelaine. Seules les marques de Qianlong sont fréquentes et l'on trouve parfois des marques d'ateliers, de destination ou d'appréciation. Les formes sont celles des porcelaines

Page 63: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

contemporaines et il en va de même des décors : fleurs et fruits, paysages de jardins, intérieurs chinois,bordures compliquées, revers « rubis ». Des sujets européens sont souvent reproduits, notamment sur lespièces exportées, très appréciées en Europe, dont la majorité se situe entre 1735 et 1795. Toute laproduction courante était émaillée à Canton, alors qu'on exécutait à Pékin les pièces raffinées destinées à laCour. C'est donc à tort qu'on désigne sous le nom d'émaux « de Canton » l'ensemble des émaux peints de laChine.

La fabrication, nettement décadente, a continué au XIXe siècle, en particulier à Hainan, souvent sur uncorps en argent et dans une gamme de couleurs où domine un bleu pâle, parfois relevé d'émail noir.

Daisy LION-GOLDSCHMIDT

XVI- Arts populaires

Malgré leur profonde originalité, les arts populaires de la Chine ne sont appréciés à leur juste valeur nidans leur propre pays ni dans les autres pays. Sans doute des recherches approfondies ont-elles étéentreprises sur les œuvres à caractère décoratif (broderies, papiers découpés) ou étroitement associées à lareligion (« images de Nouvel An »). Mais de nombreux domaines de la culture matérielle restent encore àexplorer. Les enquêtes et les collectes faites par des étrangers vivant en Chine dans la première moitié duXXe siècle n'en ont que plus de prix. Leurs études, conduites souvent avec une grande rigueur, concernentcependant un nombre limité d'objets (enseignes des échoppes, jouets du Nouvel An, etc.) et des airesgéographiques strictement circonscrites. D'autres objets, comme les céramiques d'usage ou les vanneries,n'ont pas suscité jusqu'à présent un intérêt à la mesure de ce qu'ils représentent dans l'environnementquotidien chinois.

En Chine même, plusieurs facteurs ont fait négliger parmi les œuvres populaires celles où l'on nepercevait pas une intention esthétique éminente. Ainsi, à la fin de l'Empire, la virtuosité a été pour les élitesl'un des critères majeurs d'appréciation du goût, et cette esthétique a fait inévitablement apparaître l'artpopulaire comme naïf ou archaïque. Plus tard, des intellectuels chinois se sont certes intéressés aux arts etaux traditions populaires de leur pays, mais ils ont privilégié le folklore. La culture matérielle proprement diteest restée dans l'ombre. Dans ces conditions, il ne pouvait se constituer un mouvement esthétiquecomparable au mingei, mouvement déjà en gestation dans la culture du Japon préindustriel maisremarquablement animé par un Yanagi Sôetsu (1889-1961).

Art déprécié ou simplement ignoré des lettrés, l'art populaire ne s'en est pas moins transmis et enrichicontinûment jusqu'à la fin de l'Empire. Puis les bouleversements occasionnés au XXe siècle par les guerres,par les aléas politiques de tous ordres, révolution culturelle comprise, et maintenant par l'industrialisationaccélérée du pays ont eu raison des œuvres les plus fragiles. Ils ont provoqué un brassage des objetsdommageable à l'identification des provenances et des dates de fabrication. Plus grave, ils ont abouti à ladisparition d'un grand nombre de techniques dans un laps de temps très bref. Cette rupture dans latransmission des savoirs a scellé définitivement le déclin qualitatif des pièces produites et consacré la pertede traditions qui appartenaient autant à des artisans spécialisés, laqueurs ou potiers, qu'aux paysanseux-mêmes. Aujourd'hui, c'est davantage vers les campagnes que vers les villes qu'il convient de rechercherdes traditions encore vivantes du passé.

Ces traditions s'étaient pourtant jouées de la contrainte, naturelle celle-là, qu'imposaient les matériaux disponibles : assez peu de bois, très peu de pierres, mais de la terre ou de l'argile en abondance sur tout le territoire ; de la paille, du bambou ou du roseau, du chanvre, de la soie ou du coton en proportions inégales selon les régions. L'invention dont ont fait preuve ceux qui ont travaillé ces matières n'en est que plus évidente : on la mesure aussi bien dans un vêtement de pluie tressé en paille de riz que dans une rape à gingembre taillée et chevillée entièrement en bambou, ou encore dans ces oreillers de porcelaine que l'on remplit d'eau froide en été. Mais, si les objets usuels trahissent bien souvent de la part de leurs artisans la recherche d'une adaptation parfaite à la fonction, ils ne satisfont pas pour autant à l'idée que nous avons du confort. Et ni les matières, ni les formes, ni les catégories ne correspondent tout à fait aux nôtres. A fortiori,

Page 64: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

l'ornementation, quand elle existe, demeure la première marque distinctive de cet art.

Le décor et son inspiration

L'iconographie populaire chinoise apparaît d'emblée comme le produit d'une imagination féconde, maisse révèle presque toujours subordonnée à un ensemble de symboles, de sujets historiques et de légendes.Rares sont les motifs purement géométriques, et l'on dénombre peu de thèmes tirés de la nature ou del'environnement qui ne dissimulent quelque symbole favorable. Cependant, malgré l'apparente complexitéde l'ensemble, les principes qui le gouvernent sont assez simples. Certains motifs sont difficiles à identifier :réunissant plusieurs personnages, ils font allusion soit à une légende, soit à un épisode de roman ou dethéâtre, soit encore à une histoire édifiante ou à l'hagiographie d'un saint local. En effet, ces représentationssont sujettes à variation d'une région à une autre, comme peut l'être aussi leur source d'inspiration. Maisl'originalité de l'ornementation populaire réside ailleurs, dans les différents symboles qui s'organisent autourde quatre grands thèmes : le bonheur fu, les émoluments lu, la longévité shou et la joie xi (ou la félicité).Cette dernière qui contient en quelque sorte les trois premiers a pour couleur symbolique le rouge. Le moyenle plus simple de les représenter consiste à écrire l'idéogramme qui correspond à chacun d'eux, tant estpuissant pour un Chinois l'accord entre l'aspect visuel des caractères d'écriture et le sens qu'ils possèdent.L'homophonie de beaucoup de caractères permet de substituer à une idée abstraite un animal, un insecte,une fleur, un fruit, etc., dont le nom se prononce pareillement malgré une graphie différente (lachauve-souris fu, pour le bonheur). Ce principe étendu à quatre mots donnera naissance à l'un de ces rébusqu'affectionnent les Chinois. Mais une image simple peut avoir, sans le secours des mots, un pouvoird'évocation tout aussi fort : un lingot pour la richesse, une grenade ou un melon pour une postériténombreuse. À ces symboles s'ajoutent les attributs qui s'attachent tant au lettré, figure exemplaire de laréussite sociale, qu'aux Huit Immortels, à divers personnages légendaires ou encore à la religionbouddhique.

Tous ces thèmes sont illustrés dans les objets et les costumes associés aux mariages et aux fêtestraditionnelles. Ils trouvent encore de nombreux supports dans les domaines de la culture matérielle oùl'ornement joue un rôle de première importance, par exemple dans la parure et le bijou. Une étude desmotifs figurant sur les épingles à cheveux, sur les bracelets, sur les nécessaires de toilette que les femmessuspendaient à leurs vêtements, sur les peignes en argent le démontre amplement. Un examen des boutonssculptés qui permettaient, en faisant contrepoids, de fixer à la ceinture une bourse ou une blague à tabacaboutit à un inventaire thématique similaire. Certains bijoux, outre la fonction d'apparat qu'ils revêtent, sontdes amulettes destinées à protéger leur propriétaire. Les enfants par exemple avaient autrefois à leur coudes pendentifs en argent ou, à défaut, réalisés dans un alliage de cuivre et de nickel, en forme de cadenaspour « les attacher à la vie », et donc pour écarter les mauvaises influences. Des motifs de bon augure, dessouhaits de longue vie composés de quatre caractères s'y inscrivaient en creux ou en relief sur un fondamati. Dans certaines circonstances, et jusqu'à l'âge de cinq ans, les garçons portaient pour leur protectionune coiffe ou une petite cape en soie, en satin ou en coton brodé figurant un tigre. Plusieurs amulettes yétaient fixées. Si leur exécution demeure souvent bien sommaire – une feuille de métal coupée àl'emporte-pièce et tournée en pointe suffit à évoquer le corps d'un personnage –, tous les thèmes etinscriptions propitiatoires y sont d'emblée reconnaissables.

Les arts de la vie quotidienne

À la différence des villes où, jusqu'au début du XXe siècle, les maisons populaires et, avec plusd'ostentation, les échoppes s'enrichissaient volontiers de décors sculptés et n'excluaient pas la couleur, dansles campagnes le cadre de la vie quotidienne, sans être austère, paraît des plus sobres. L'expérience plusrécente des peintres-paysans de Huxian (Shaanxi) ornant les parois extérieures de leurs maisons à l'aide decouleurs vives fait figure d'exception.

Page 65: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Ce sont des cérémonies comme le mariage, ce sont les fêtes, et la première d'entre elles, celle du NouvelAn, qui introduisent dans les habitations couleurs et ornements. La diversité des architectures rurales, dontun même type couvre parfois de vastes aires géographiques, tient davantage à la forme des maisons,construites par leurs habitants eux-mêmes, qu'à leur ornementation. La découpe d'un pignon, le galbe d'unetoiture, le ressaut des murs latéraux vont en souligner les volumes. Les matériaux entrant dans leurconstruction, la brique et le pisé, le bois et le bambou, seront laissés à l'état brut dans le nord et le centre dela Chine, sommairement enduits de torchis ou chaulés dans le sud. Leur agencement peut cependant romprecette sobriété grâce au dessin d'une corniche, à l'animation apportée par une claire-voie de tuiles ou delattes de bois.

De même, les outils et les ustensiles dont on se sert quotidiennement ne portent que rarement la traced'un décor, contrairement à ce que l'on observe parfois dans d'autres cultures (cordeaux de charpentiers duJapon, etc.). Qu'ils relèvent des activités de l'agriculture ou de la pêche, qu'ils interviennent dans lapréparation culinaire, dans le tissage ou dans la confection des vêtements, leur seule beauté tient à lamatière employée et à une forme souvent ingénieuse, sans que se manifeste une intention esthétique plusaffirmée de la part de leurs auteurs. Les objets qui, en revanche, s'inscrivent durablement dansl'environnement quotidien comme le mobilier, la vaisselle et les dessus d'édredons témoignent d'unerecherche esthétique poussée. Ainsi, à l'austère beauté des grès qui, revêtus d'une épaisse couverte bruneou noire, servent à la conservation des liquides ou des aliments s'opposent les mille et une séductions de lavaisselle de table en porcelaine. Presque toujours ornée de motifs exécutés en bleu et blanc, plus rarement àl'aide d'autres couleurs, celle-ci témoigne de beaucoup d'invention autour de thèmes comme le poisson (yu,homonyme de « richesse ») ou les rinceaux de fleurs. Sa production, encore active, est dérivée de modèlessavants de l'époque des Ming (1368-1644) auxquels des moyens plus limités, mis au service d'unauthentique travail de création, ont donné fraîcheur et naturel.

La vannerie, dont les principales techniques ont été mises au point dès le Néolithique, occupe toujoursune très large place dans la culture matérielle de l'ensemble du pays. Familiale ou artisanale, voireindustrielle, elle présente une grande diversité régionale. Au Sichuan, dans le bassin du fleuve Bleu et dansle Sud, le bambou domine, tandis que dans le Centre et dans le Nord on remplace ce matériau aux propriétésuniques par des fibres (osier, paille de céréales, jonc, roseau) parfois associées à des éclisses de bouleau oude peuplier. En outre, dans le Nord, la vannerie est étroitement liée aux activités de l'agriculture et desmarchés, au transport des denrées ou des liquides. Partout où il est utilisé, le bambou permet, quant à lui,non seulement de fabriquer outils et ustensiles (claies pour la sériciculture, couffins, cages tressées, clayonspour cuire à la vapeur, nasses, etc.), mais il sert aussi bien les besoins de l'habitat (nattes pour le sol et lescloisons) que ceux du costume (chapeaux). Ses tiges, flexibles et résistantes à la fois, sont travaillées tellesquelles, refendues en lattes, en lamelles ou en fines baguettes, parfois encore effilochées. D'autres matières,le bois ou le laque par exemple, peuvent lui être associées. Et les techniques d'assemblage qui ne sont passeulement des techniques de vannerie ouvrent plus largement encore l'éventail des réalisations en bambou.

Le mobilier populaire ne saurait être abordé sans que soit prise en compte la diversité des matériaux, des conditions climatiques et des traditions régionales. En schématisant, on peut distinguer entre le nord de la Chine d'une part, le centre et le sud de la Chine d'autre part, deux modes d'organisation de l'espace intérieur de la maison, tout en notant que la répartition des activités entre l'intérieur et l'extérieur de l'habitat offre des différences avec nos pratiques. Dans le Nord, l'habitat rural type se compose de deux pièces latérales à usages multiples, séparées par un corridor central servant de débarras, mais où se trouvent aussi les fourneaux servant pour la cuisine et pour le chauffage des pièces. Chaque pièce comprend un kang, sorte de vaste lit en terre et en briques que l'on chauffe par en dessous grâce à des canalisations noyées dans la maçonnerie et alimentées par un foyer situé sur le côté. La présence, le long des seules fenêtres de la pièce, orientées au sud, de ce kang recouvert de nattes, qui sert à la fois de lit, d'espace collectif pour les repas, pour les menus travaux et les réunions, explique la nature du mobilier. Celui-ci se compose de coffres, de bahuts et d'étagères disposés sur les côtés, de tables basses et d'oreillers durs. Des meubles mobiles hauts sur pied (tables, chaises) et des armoires peuvent agrémenter le reste de la pièce. Ils sont néanmoins plus rares que dans les maisons rurales du Centre et du Sud, et que dans les maisons urbaines. Exception faite des coffres de mariage en cuir ou en carton laqué de rouge et rehaussés parfois de motifs peints ou appliqués, ces meubles sont en bois. Leurs lignes sont sobres, leur décor est réduit à sa plus

Page 66: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

simple expression, contrairement à la tendance qui s'est développée tout au long du XIXe siècle dans lesvilles. On serait bien en peine de distinguer des styles régionaux autrement qu'à une vaste échelle ou sous laforme de productions particulières mais accessoires.

Dans le Centre et dans le Sud, où les hivers sont courts sinon toujours cléments, il faut se contenter dechauffages d'appoint (chaufferettes de terre cuite ou de métal). Les lits à cadre, parfois véritablesmonuments de sculptures laqués et dorés (Guangdong), mais plus souvent construits en bois et en bambou,ne remplacent évidemment pas le kang dans toutes ses fonctions. De là sans doute une plus grandediversité du mobilier qui bénéficie de la présence de matériaux abondants et d'une exécution souvent plusélaborée : à l'intérieur de la maison, des meubles hauts et quelque peu solennels comme ceux du Nord ; àl'extérieur, des tabourets, de petites chaises au ras du sol, parfois même une chaise longue en bambou, destables basses. On observe à la fois des emprunts nombreux au beau mobilier des villes (chaises à hautdossier en fer à cheval) et un parallélisme étonnant dans l'utilisation du bois et du bambou (formes ettechniques). C'est aussi dans ces régions méridionales que les objets et les ustensiles populaires en laque,rouge en général, sont les plus nombreux, alors que l'emploi de cette matière correspond plutôt à unartisanat de luxe.

Bien que la teinture à l'indigo des tissus de coton, de chanvre ou de lin soit connue dans toute la Chine,cette technique est plus largement répandue en Chine méridionale, du Sichuan au Jiangsu et jusqu'auGuangdong. Le procédé qui a été pratiqué pendant des siècles dans le pays s'apparente dans son principe aubatik. Une pâte à base de soja et de chaux est appliquée à travers un pochoir en papier huilé aux endroitsqui seront en réserve sur le tissu une fois teint : le fond plus souvent que les motifs. En règle générale, cesderniers sont reproduits régulièrement sur toute la surface du tissu. Mais il leur arrive aussi de respecterdans leur disposition la forme des pièces auxquelles ils sont destinés, qu'il s'agisse de larges compositionscouvrant plusieurs lés (dessus d'édredons, carrés pour les ballots) ou du dessin de vêtements prêts à êtredécoupés (veste de femme ou d'enfant, tabliers). Même lorsqu'ils révèlent une fine observation de la nature,les motifs constituent autant de symboles parfaitement clairs pour les utilisateurs des étoffes qu'ils ornent.Jamais celles-ci n'étaient tout à fait identiques malgré les limites qu'impose nécessairement un répertoiresymbolique et en dépit du caractère souvent répétitif de leur décor. L'effet tiré de l'usage de pochoirs nepeut manquer d'évoquer l'art des papiers découpés, sans qu'il y ait eu des influences réciproques attestées.Ils procèdent plutôt d'un même esprit, avec une préférence marquée pour la silhouette, le jeu des pleins etdes vides et l'animation qui en résulte. Aujourd'hui, ces teintures à l'indigo ont complètement périclité dansles villages au profit quasi exclusif des cotonnades et des satins bariolés où le rouge domine.

Les arts et les fêtes

Un grand nombre de créations artistiques sont en étroite relation avec les fêtes et certaines cérémoniesqui rythmaient – et qui, à un degré moindre, marquent encore – le déroulement de l'année. Occasionsfugitives d'agrémenter l'ordinaire, ces festivités donnaient lieu à un déploiement de couleur que la viequotidienne ignore, et ont inspiré une multitude de créations aussi colorées qu'éphémères : imagesapposées sur les portes et les murs au Nouvel An, papiers découpés collés aux fenêtres, lanternes de toutesformes, jouets modelés dans l'argile ou la pâte de farine, cerfs-volants, etc. Lors de ces moments privilégiés,des costumes de couleurs vives sont portés, et l'on assiste aux représentations du théâtre d'ombre comme àcelles du théâtre de marionnettes. Autrefois, un grand nombre de ces manifestations artistiques serattachaient aussi à des pratiques religieuses ou magiques. Ce qui est vrai pour le théâtre ou les lanternesl'est également pour certaines figurines confectionnées au Nouvel An. Et, en même temps, ces jouets sontd'authentiques créations puisque, autour de thèmes codés, leurs auteurs ont su donner libre cours à leurimagination et à leur sens artistique.

Images et gravures

Page 67: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

L'imagerie désignée généralement sous le nom restrictif des « images du Nouvel An » a joué un rôleconsidérable aussi bien pour la diffusion d'une certaine culture que dans la définition d'une esthétiquecommune à des couches assez différentes de la société. Bien que prohibées depuis des décennies par lesautorités, les images religieuses sont encore très répandues dans certaines campagnes quand, ailleurs, leremplacement des xylogravures par des affiches est dû à l'essor industriel du pays. La disparité d'exécutionde ces estampes tient surtout à la diversité de leurs destinataires puisqu'elles touchent toutes les classes dela société dans les villes et les campagnes. Il n'y a rien de commun entre les vignettes imprimées de façonrudimentaire sur un papier grossier et les gravures décoratives peintes à la main de couleurs délicates,œuvres d'artistes reconnus : depuis le XVIe siècle, les ateliers de Yangliuqing près de Tianjin se sont fait unespécialité de ces précieuses estampes qui sortent pour la plupart du domaine des œuvres populaires. Maisentre ces deux qualités extrêmes il y a place pour une production variée. Le dessin en noir de l'image estd'abord tiré sur le papier avec une planche de bois gravée en taille d'épargne ; puis l'application des couleursse fait en utilisant des pochoirs ou en imprimant autant de planches que l'on souhaite obtenir de couleurs,jusqu'à cinq. Dans le cas d'une production raffinée, on rehausse à la main certains détails, en particulier lesvisages.

Nombre de ces images ont une vie des plus éphémères : certaines sont destinées à être brûlées pour lesbesoins du culte quand les autres sont apposées à même les portes et les murs des maisons, et au-dessusdes autels familiaux. Régulièrement, à l'occasion du Nouvel An surtout, on les remplace par des imagesfraîchement imprimées. Aussi les exemplaires Song et Yuan, époques où ces estampes ont commencé de serépandre, sont-ils devenus rarissimes. L'imagerie la mieux connue date de la fin de l'Empire et du début duXXe siècle. Elle révèle des sujets religieux, des illustrations de vœux et de symboles, enfin des thèmespurement décoratifs ou tirés de l'histoire et de la littérature : théâtre ou romans célèbres. Ces différentescatégories s'interpénètrent fréquemment car, en Chine, le théâtre et la religion, loin de s'exclure,entretiennent des liens intimes et certains personnages historiques sont devenus des saints patrons au culteflorissant. Le caractère syncrétique de la religion populaire transparaît dans les estampes dites des « centcultes ». D'autres gravures ont pour principale fonction d'honorer un dieu particulier : le dieu des richesses,le dieu du foyer souvent accompagné d'un calendrier, etc. Elles servent aussi à repousser les espritsmalfaisants (dieux des portes). L'esthétique de toutes les images est manifestement gouvernée par l'horreurdu vide, comme en témoignent leur composition serrée, des fonds rarement laissés nus, enfin uneaccumulation de motifs, d'attributs votifs, de symboles parfois sans rapport direct avec les thèmes traités. Ladensité de la composition et l'alternance d'un nombre limité de couleurs vives posées en aplat font oublierpar l'animation qu'elles créent la gaucherie du trait.

Quelques grands centres ont dominé la production et largement rayonné grâce à un système decolportage actif : ce sont les ateliers de Yangliuqing, de Weixian (Shandong), de Taohuawu à Suzhou, deZhuxianzhen près de Kaifeng, de Foshan non loin de Canton. Mais ici ou là ont prospéré de petits centresrépondant aux besoins d'une clientèle locale, jusque dans le Qinghai et le Gansu. L'identification des lieux defabrication des estampes qui ne portent aucune inscription à ce sujet est des plus malaisées, tant lesrecettes et les sujets ont essaimé, tandis que circulaient les images.

Les papiers découpés

Autant ces œuvres d'artisans spécialisés nous font découvrir les valeurs esthétiques que reconnaît et apprécie le peuple, autant les papiers découpés révèlent comment celui-ci s'exprime dans une activité créatrice lui appartenant en propre. À la différence des broderies et des tissus teints à l'indigo avec lesquels il a des affinités sur le plan de la technique et des motifs, cet art ne possède aucune fonction utilitaire, si ce n'est dans des usages annexes. Collés sur les fenêtres ou sur les murs, les papiers découpés décorent l'intérieur des maisons dans toutes les occasions de réjouissance. Et le faible investissement requis, du papier et des ciseaux ou un couteau très tranchant, explique leur popularité. Cet art, pour autant qu'il permet à l'imaginaire de s'exprimer, se heurte aux limites qu'impose la technique : seul le jeu des vides et des pleins est à même de saisir un mouvement, de restituer un personnage ou un animal qui soit identifiable du premier coup d'œil. Il faut aussi que les traits et les contours restent solidaires les uns des autres sans alourdir le dessin. Dans le Hebei, pour échapper à ces contraintes, on teint les œuvres de couleurs vives ;

Page 68: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

dans le sud du Shaanxi, on ajoute au pinceau certains détails, comme s'il s'agissait d'ombres de théâtre.Mais ces pratiques demeurent peu répandues. Curieusement, le répertoire symbolique que partagent enChine les autres formes d'art populaire s'enrichit ici de scènes de la vie quotidienne saisies sur le vif ou dereprésentations d'animaux domestiques. Les figures ne révèlent néanmoins aucune concession au réalisme.Les œuvres sont en majeure partie faites par les usagers eux-mêmes, des femmes en général et desenfants ; certaines, destinées à être vendues, ont été réalisées par des hommes qui se spécialisent dans cetravail et parfois s'y font un nom. Avec un couteau, on peut découper de six à dix feuilles maintenues par desliens. La première des feuilles figure le modèle obtenu par le décalque au noir de fumée d'un papier découpéancien. Tous les espaces teints en noir seront découpés ou évidés, et simultanément toutes les feuilles de laliasse. C'est ce procédé qui a permis à la tradition, aussi fragile que le papier qui la transmet, de se mainteniret à certaines régions de s'imposer par un style assez homogène. Ainsi, au Shandong, de larges zones depapier, souvent rectangulaires, sont évidées pour faire ressortir des contours très fins alors qu'au Shaanxi lesperforations se réduisent à des cercles, des croissants dans des surfaces pleines ; les arrondis y sont plusnombreux, les effets de symétrie, fréquents. Cependant, les artistes, comme les familles, donnent unecoloration particulière à leurs œuvres, ce qui rend vaines les tentatives entreprises pour définir unestylistique régionale.

L'époque contemporaine a marqué diversement l'art populaire de son empreinte. Dans les années quiont précédé la Libération, le Parti communiste et les artistes qui œuvraient dans son sillage, séduits parl'imagerie et les papiers découpés des milieux paysans, les ont annexés à des fins d'éducation ou depropagande en transformant ce qui allait contre les orientations de l'orthodoxie politique. Les thèmesillustrés, leur style même, avec l'introduction d'éléments réalistes, s'en sont trouvés modifiés. Aujourd'hui, lamainmise de l'État sur certaines productions d'origine populaire a figé des traditions vivantes en artisanatspour l'exportation et le tourisme. Mais des traditions aussi riches ne pouvaient disparaître sans renaître sousde nouvelles formes, et, malgré son caractère iconoclaste, la révolution culturelle même a été l'inspiratricede bondieuseries et de posters qui, aujourd'hui mal appréciés, seront un jour mieux considérés.

Alain THOTE

XVII- Le connaisseur chinois

L'espace mythique de l'œuvre d'art

Peu de nations ont développé aussi tôt, de façon aussi profonde et continue, la notion de« connaisseurs ». Né du respect pour l'Antiquité, de l'importance accordée à la culture littéraire et historiquede l'honnête homme, le goût des œuvres d'art anciennes a favorisé en Chine non seulement la constitutionde grandes collections, et cela dès les premiers siècles de notre ère, mais aussi l'apparition au XIIe siècle del'archéologie préscientifique. La notion de connaisseur implique une communion entre l'homme et l'objetd'art, que l'amateur chinois a très tôt ressentie comme essentielle. L'œuvre ne peut en effet survivre qu'àtravers le regard et l'intérêt des hommes qui l'apprécient. Cette présence humaine nécessaire n'ôtecependant pas à l'objet l'indépendance et les propriétés magiques que lui confèrent son caractèremicrocosmique et son ancienneté.

En Chine, un poème, une peinture, une pièce musicale constituent autant de petits mondes à part qui, créés par l'esprit, sont équivalents au vaste monde, mais plus réels que lui parce que sans pesanteur, transparents à l'esprit, immortels. Ce thème apparaît comme essentiel pour comprendre l'attitude du connaisseur chinois. Réduire l'univers, le rendre maniable, accessible, c'est lui enlever le dernier semblant de réalité factice, et l'élever au niveau de la seule réalité véritable, l'espace mythique. En ce sens, un jardin miniature, un encrier évoquant une montagne, une peinture offrant la découverte de sa randonnée à travers un paysage constituent autant de jeux d'illusionnistes liés à un ensemble de notions philosophiques et magiques profondément ancrées dans la mentalité chinoise. Tout objet, fût-ce une statue, une pierre, un bronze, peut en vieillissant s'élever au rang des esprits. Ainsi les objets anciens offrent-ils, par la

Page 69: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

concentration de leurs vertus et la transformation de leurs qualités ordinaires en des propriétés efficientes,un pouvoir magique à l'amateur qui les possède. Cultiver chez soi un jardin miniature confère la longévité,recueillir les calligraphies des maîtres passés, c'est renouer avec l'« essence » de leur art, délier son âme ens'appropriant leur esprit.

Domaines de la sensibilité et exigences esthétiques

Désignant une élite, la classe dirigeante des fonctionnaires-lettrés, la notion d'amateur en Chines'attache à tous les aspects de la création artistique et implique un éventail de sensibilité beaucoup pluslarge qu'en Occident. La jouissance esthétique ne vient pas de la vue seule, mais aussi du toucher et del'ouïe. Une porcelaine, un jade offriront à l'amateur non seulement la perfection de leur forme, l'harmonie deleurs couleurs, mais aussi et surtout la sensualité de leur texture, de leur poli, de leur grain, l'inattendu desaccidents de surface et la sonorité de leur matière.

Cette sensibilité si riche et si profonde s'accompagne d'exigences esthétiques particulières. Le lettréchinois, dont les arts d'agrément sont la littérature, la calligraphie, la peinture et la musique, a l'amour de lasimplicité, l'horreur du voyant et du clinquant. Il apprécie avant tout les saveurs secrètes qui ne sedécouvrent qu'aux initiés raffinés et attentifs. Le rare et l'exquis s'identifient pour lui à une sobriétédépouillée, ils présentent d'étroites affinités avec le détachement supérieur, l'élégante nonchalance, lenaturel fantasque et souverain, la noble oisiveté. L'amateur, comme l'artiste, entretient en lui unedisponibilité spirituelle, silencieuse, épurée et tranquille, cultivée par la contemplation de la nature et desœuvres d'art, l'étude, la musique ou le vin. La beauté du monde doit être savourée dans la sérénité, et lerythme de la vie intérieure doit s'accorder à la nature des choses. Aussi la faculté d'oublier sa propreindividualité pour s'identifier à ce qui est unique, inexprimable dans une œuvre d'art constitue-t-elle laqualité distinctive du connaisseur.

Au raffinement s'oppose la vulgarité, dans laquelle l'amateur chinois voit un déséquilibre : l'ornementextérieur étant cultivé au détriment du contenu réel, des structures d'ensemble, du souffle spirituel. Lavulgarité, c'est aussi la banalité, le lieu commun, la raideur pédante. L'idéal esthétique du lettré se définit eneffet par réaction contre la rigidité de la discipline morale, des rites, des compositions classiques, à laquelle ilest soumis depuis l'enfance, rigidité étouffante qui ne laisse place à aucune fantaisie. Il cherchera, parcontraste, dans la contemplation de certains objets, l'insolite, l'excitation de l'imagination que procurent lesformes les plus extraordinaires et les associations d'idées qu'elles suggèrent. La réunion de quelques amisdont les facultés d'imaginer seront décuplées par le thé ou le vin constituera le lieu idéal où s'affine lacontemplation, où se débride la fantaisie. Devant une peinture, une branche de prunier dans un vase, unlaque sculpté ou une pierre dont les veines rappellent des nuages, on échangera les comparaisons, lesmétaphores, les rimes d'un poème ou d'une chanson, au gré d'une culture inconsciemment nourrie deréminiscences magiques.

Les collectionneurs

L'étude des collections chinoises à travers les siècles reste à entreprendre. Elle éclairerait non seulementl'histoire de l'art, mais l'évolution du goût et des préoccupations intellectuelles en Chine. Il a existé en effet àchaque époque des courants esthétiques qui ont profondément influencé la vie du lettré, ses voyages, sespasse-temps, l'installation de son ermitage, de sa bibliothèque, le choix des peintures, des jardins, des objetsdécoratifs ou nécessaires à son activité littéraire.

Les mentions de collectionneurs de manuscrits, de peintures et de calligraphies apparaissent déjà dans les textes du VIe siècle de notre ère. Dès cette époque, les biographies de personnages célèbres indiquent souvent : « Il était fin connaisseur de peintures anciennes et amateur éclairé d'antiquités. » Certains de ces amateurs sont resté fameux, comme Mi Fu (1051-1107), peintre et collectionneur, qui apportait à la recherche des objets rares une passion frénétique. Il partageait le goût très vif des lettrés Song pour les

Page 70: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

« curiosités » et en particulier pour les pierres que leur forme, leur structure ou leur couleur rendaientinsolites. L'empereur Huizong (1082-1135), également peintre et fervent de pierres, possédait une collectionde plus de six mille rouleaux. C'est alors que furent compilés les premiers catalogues officiels de rouleaux ;les premiers catalogues privés le furent sous les Tang. L'époque Song nous a transmis aussi les plus anciens« guides du connaisseur ».

Le goût des lettrés de la fin de l'époque Ming (1368-1644) se retrouve dans l'œuvre de Li Yu (1611-1680)qui a consacré de très belles pages à la maison de l'homme de goût. Les expositions d'antiques ne sont pasignorées ; celle de 1570 organisée au Jiangsu présentait, parmi les pièces exposées, le rouleau de Gu Kaizhi(344-409), actuellement au British Museum de Londres. Le XVIIIe siècle continue cette tradition d'amateurs,et le Jiangsu reste le centre du grand commerce des antiquités. Dans ces provinces du bassin du Yangzi, desfaussaires professionnels se spécialisent dans la copie de peintures anciennes.

Michèle PIRAZZOLI-t'SERSTEVENS

XVIII-L'art contemporain

En Chine, l'art contemporain est un produit d'importation. En Occident, il se développe à partir d'unehistoire, certes constamment remise en cause, mais inlassablement poursuivie. Ainsi Buren peut-il seréclamer de Matisse, Stella de Caravage. En Chine, l'art contemporain ne marque pas seulement une ruptureradicale avec la tradition asiatique lettrée, c'est tout simplement un moyen d'expression autre, qui apparaît àla fin des années 1970. Cet art, rapidement assimilé par les jeunes Chinois se développe alors,accompagnant les avancées victorieuses de l'économie.

On doit se pénétrer de ces évidences pour bien comprendre, sur fond de réussite économique libérale etde pouvoir communiste, à la fois le dynamisme de la scène artistique chinoise récente, les réussites de l'artvidéo à la fin des années 1990, les nombreux voyages et séjours des artistes à l'étranger, les fortes sommesatteintes par les œuvres contemporaines chinoises en vente publique à New York, à Londres et à Hong Kong,en 2008, la chute des cotes en 2009... et le retour de la censure aujourd'hui.

Le tournant des années 1970

Certes, des artistes chinois sont venus peindre à Paris au début du XXe siècle. Rentrés dans leur paysfrottés de modernité européenne, ils eurent en fait peu d'influence sur la création chinoise des années 1920et des décennies suivantes. Sans vrai passé, l'art contemporain chinois naît d'une décision : celle de MaoZedong, en 1950, d'importer le modèle réaliste socialiste soviétique en Chine dans le contexte durapprochement avec l'U.R.S.S. Le champ de l'art se réduit alors à celui de la propagande figurant, dans despostures héroïques, des paysans, des ouvriers et Mao sur des affiches peintes à la main. Les techniques de lasoie et de l'encre sont alors abandonnées au profit de l'huile et de la toile. Pour mesurer la révolution quecela représente, il faut rappeler que la peinture à l'huile était ravalée par les peintres lettrés au rangd'artisanat d'art. À travers la technique de l'huile, c'est la possibilité de reprendre et de corriger le « gestepremier » qui les gênait, alors que la peinture à l'encre sur soie privilégie la spontanéité alliée à la maîtrise.

Au début des années 1970, en l'absence d'atelier de peinture à l'huile, il faut tout inventer, se grouperpour apprendre. Tout commence pour l'art contemporain chinois, après la révolution culturelle (1966-1976)et la mort de Mao (1976), quand naît le mythique groupe des Étoiles (Xing Xing). Composé de Huang Rui,Wang Keping, leaders du groupe qui comprend une dizaine de membres dont une femme, Li Shuang, lesÉtoiles s'inventent dans l'urgence, sans lieu pour exposer si ce n'est les appartements des diplomatesétrangers, parfois la rue. La parole se libère. Les verrous sautent. On ose beaucoup dans une atmosphèreélectrique.

Page 71: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

Le 27 septembre 1979, les Étoiles n'ont pas reçu l'autorisation d'exposer à l'intérieur du Musée nationaldes beaux-arts, leur travail étant jugé trop expérimental. Ils accrochent alors leurs toiles, leurs dessins leursgravures à l'extérieur, sur les grilles entourant le bâtiment. Deux jours plus tard, la police interditl'intervention, certes, mais pendant deux jours on s'est précipité pour la voir.

Des artistes se solidarisent avec eux, défilent, exigent la liberté d'expression. Un an après, les artistes dugroupe des Étoiles obtiennent l'autorisation de monter leurs œuvres à l'intérieur du musée, au dernier étage.Le succès est incontestable : 80 000 personnes viennent voir l'exposition qui dure 16 jours.

La réponse ne se fait pas attendre : en 1983, une association d'artistes hostiles, forte d'un millier demembres, lance une campagne contre l'art contemporain qui aboutit à une Exposition d'Art national, prônant« l'élimination de la pollution spirituelle dans le monde artistique », et d'abord l'influence étrangère.

Ouvertures

De 1979 à 1984, les « réformateurs » décollectivisent l'exploitation agricole, suppriment les communespopulaires, libéralisent le commerce et l'artisanat. Deng Xiaoping lance son fameux « Enrichissez-vous ! ».

L'art contemporain profite de ces ouvertures. L'époque est confuse politiquement mais aussiartistiquement, agitée de soubresauts, traversée sans doute de réactions hostiles mais également demultiples adhésions, de tentatives de toutes sortes. Les artistes découvrent pêle-mêle l'impressionnisme, lesurréalisme et Marcel Duchamp. Des expositions clandestines s'organisent partout, inégales sans doute maisenthousiastes. Elles ferment parfois quelques heures après le vernissage, mais on recommence ailleurs.

Le pouvoir assouplit la censure sur la culture. Des groupes se forment dans toute la Chine : le GroupeZéro à Changsha, celui de l'art du Nord à Harbin. Wang Du crée un salon des artistes de la Chine du Sud etFine Art in China, un journal spécialisé qui va servir de lien entre les artistes. On découvre la performance.Certaines durent trois jours. C'est dans cette atmosphère euphorique que Rauschenberg arrive à Pékin puis àLhassa, où il présente avec un immense succès une rétrospective de ses œuvres.

Les magiciens de la terre

En 1989, au Musée national des beaux-arts de Pékin, l'exposition China/Avant-garde fédère toute cetteeffervescence. Dans la bonne humeur et le chahut, 185 artistes s'y trouvent réunis. On lance au sol de longsdraps avec des slogans, on montre de la peinture traditionnelle et de la peinture abstraite. On accueille desinstallations et des performances. Au cours de l'une d'elle, signée Xiao Lu et Tang Song, des coups de feusont tirés. La police arrête les auteurs et ferme l'exposition.

Cette même année, le groupe des Étoiles fête son Xe anniversaire à la nouvelle galerie Hanart TZ à HongKong (avec une extension à Taipei). Au Centre Georges-Pompidou à Paris, Jean-Hubert Martin ouvre l'artcontemporain aux artistes non occidentaux lors de l'exposition Les Magiciens de la terre. Pour la premièrefois des artistes chinois (et même un tibétain : Temba Rabden) vont exposer leurs œuvres dans une grandemanifestation internationale : Gu Dexin, Yang Jiechang, Yongping Huang, ainsi orthographiés dans lecatalogue. Ce dernier, de loin le meilleur des trois, s'installera peu après à Paris.

Cette même année également ont lieu les événements de la place Tiananmen. Ces événementsdramatiques n'empêchent pas la poursuite de la transformation de l'économie, qui connaît même unerelance. Le président Jiang Zemin multiplie les contacts avec les milieux artistiques, laissant entendre qu'unecertaine impertinence pourra être tolérée pourvu qu'elle reste dans des limites « acceptables ».

Ce qu'on a appelé le « pop politique » se développe dans ce créneau étroit, procédant par allusion et dérision. Figure emblématique de cet art cynique qui a séduit les marchands occidentaux, Wang Gangyi a parfaitement compris ce que souhaite le régime. S'inspirant de Warhol, il incarne un art qui associe et

Page 72: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

confronte deux types de sociétés, l'une communiste et l'autre libérale, opposant formellement l'emphase duréalisme socialiste et l'efficacité de l'esthétique commerciale.

À la fin des années 1980, on distingue cinq artistes phares.

Huang Yong Ping (né en 1954) se fait remarquer à Xiamen, sa ville natale, brûlant ses toiles qu'on refusede montrer, exposant les cendres ainsi produites. Il crée le groupe Xiamen Dada. En 1999, il sera invité avecJean-Pierre Bertrand dans le pavillon français à la biennale de Venise alors qu'il n'est pas encore naturalisé. Ilfigure après cela dans de nombreux rendez-vous internationaux. En 2008, il effectue un retour triomphal àPékin au Centre Ullens pour l'art contemporain avec une importante rétrospective de son travail.

Xu Bing (né en 1955) invente une écriture aux allures d'idéogrammes sur toiles ou venant s'inscrire dansdes installations de grandes dimensions qui interrogent la question du sens à travers la langue. Dès 1990, ilexpose aux États-Unis où il s'installe. Revenu à Pékin et nommé en 2008 vice-président de l'Académie desbeaux-arts, il occupe aujourd'hui une place centrale sur la scène chinoise.

Zhang Xiaogang (né en 1958) est un peintre plus secret que les autres. Réfutant l'explication de son artpar la politique, il met en scène des familles au regard grave, vues de face, reliées par des fils rouges. Sonart, qui refuse de céder à la dérive critique des années 1990, privilégie une atmosphère hypnotique, s'ouvreau mystère.

Série Bloodline, Zhang Xiaogang

Zhang Xiaogang, série Bloodline, 2006. Huile sur toile, 150 cm × 120 cm. L'artiste aborde lanotion d'identité au sein de la culture chinoise. Réalisés dans des nuances de gris, ces portraitstrès stylisés se distinguent par une tache colorée, ainsi que par un fil rouge qui court d'untableau à l'autre, comme une évocation du lien …(Courtesy of Louis Lannoo Gallery)

Ai Weiwei (né en 1957) et Huang Rui (né en 1952) sont perçus comme des provocateurs. Ce sont desopposants. Le premier est un adepte des coups d'éclat. Courageux, voire téméraire, il dénonce ouvertementvia Internet, ce que cherche à cacher le régime. D'autre part, entouré de nombreux collaborateurs, il cumuleles activités d'artiste, photographe, éditeur, marchand, galeriste, commissaire d'exposition et architecte. Il acollaboré au design du « nid d'oiseau », le stade des Jeux Olympiques à Pékin. Le second est avant tout unmeneur. Cofondateur du groupe des Étoiles, il sera aussi à l'origine du plus important des quartiers degaleries d'art à Pékin, l'Espace 798 à Dashanzi.

Les années vidéo

Les années 1990 partagent leur dynamisme entre la performance, la vidéo naissante et la peinture dite« cynique » qui a la faveur des médias occidentaux. L'un des artistes les plus en vue, Yue Mijun (né en 1962)se représente – parfois en plusieurs exemplaires – dans toutes sortes de situations le crâne rasé avec unlarge sourire béat, même devant le peloton d'exécution. Zhou Chunya (né en 1955), quant à lui, est célèbrepour les représentations de son chien vert à la gueule rouge sang. C'est ce que l'Occident attend de lapeinture chinoise : un point de vue critique sur le régime.

Très inventive, la performance prolifère, peut-être en réaction contre cet art ambigu. Dans la lignée desactionnistes viennois et américains des années 1970, Zhang Huan (né en 1965) éprouve les limites derésistance de son corps. Ainsi dans sa performance intitulée 12 square meters (1994), enduit d'huile depoisson et de miel, il se tient immobile pendant une heure, couvert d'abeilles, dans une latrine pestilentielletandis qu'on le photographie. La nuit du nouvel an de 1996, une nuit de passage, Song Dong (né en 1966),tout en allusions discrètes plus poétiques que politiques, s'étend à plat ventre sur la place Tiananmen,souffle, déposant sur le sol une mince couche de glace qui fond aux premières heures du jour. Ian Lei (né en1965), plus mordant, envoie en 1997 à de nombreux artistes chinois une fausse invitation à exposer à laDocumenta de Kassel, révélant les attentes et les frustrations du milieu.

Page 73: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

La performance appelle la vidéo qui sert à conserver des traces de cet art éphémère. Puis, en Chinecomme ailleurs, la vidéo se développera en tant qu'art autonome.

D'emblée, dans ce domaine, les vidéastes chinois se situent au niveau international. À la biennale deVenise, en 2001, le tout jeune Xu Zhen (né en 1977) présente une vidéo intitulée Rainbow (1998) où l'on voitrosir son dos flagellé par un fouet invisible. Une façon de peindre pour ce trublion aigu. À la Documenta en2002 et à la biennale de Venise en 2007, Yang Fudong (né en 1971) montre ses vidéos en noir et blancmettant en scène des jeunes gens qui cherchent à donner un sens à leur vie dans de longues déambulationsd'une insondable et fascinante vacuité.

Au cours des années 2000, le dynamisme économique qui accompagne la société de consommation enmarche déborde sur le territoire de l'art contemporain. Créée en 1996, la galerie Shanghart dirigée par unSuisse, Lorenz Helbling, participe à la foire de Bâle dès l'an 2000. En 2000 et en 2002, la biennale deShanghai (créée en 1996) acquiert une audience internationale. Après, elle retombe à un niveau médiocre.

Au tournant de l'an 2000, Xu Zhen devenu directeur artistique de la galerie BizArt et un autre artiste,Yang Zhenzhong (né en 1968), vont faire de Shanghai le centre du renouveau de la vie artistique chinoiseavec des expositions en forme de coups d'éclat. Citons Art for sale (1999) présentée dans un grand magasinpuis, à l'occasion de la biennale de 2002, Jumelles, étrange exposition en miroir et Fuck off (2000) organiséepar Ai Weiwei qui déclenche les investigations du F.B.I. et de Scotland Yard, à la suite d'une performanceintitulée Eating people au cours de laquelle l'artiste Zhu Yu (né en 1970) aurait cuit et mangé en public unfœtus mort-né.

Après l'euphorie des années 1999 à 2002, la scène artistique se déplace de Shanghai à Pékin qui comptepeu de galeries, très disséminées, tenues, comme à Shanghai, par des étrangers. Le mouvement commencevers 2003 autour de Huang Rui et Bérénice Angrémy à Dashanzi dans un espace d'usines désaffectées quideviendra le 798 Art District. Ils ouvrent là une galerie, un loft et un café avant de créer le festivalinternational des arts de Dashanzi. D'autres artistes s'installent dans des lofts, puis viennent des galeriestelles que Continua et la première galerie chinoise, Long March. On compte là près de 300 galeries, denombreux restaurants et boutiques de toutes sortes quand, en 2007, l'industriel et collectionneur Guy Ullensouvre U.C.C.A. (Ullens Center for Contemporary Art), première institution culturelle à but non lucratif enChine et vaste lieu d'exposition, dont l'inauguration constitue un évènement.

Parallèlement, les cotes des artistes chinois s'envolent en vente publique, atteignant des prix record, quiengendrent une vision plus spéculative qu'artistique ou culturelle de l'art contemporain en Chine. L'envoléecommence en 2006 quand Bloodline series : Comrade no 120 de Zhang Xiaogang (né en 1958) triple sonestimation chez la maison de vente Sotheby's pour être adjugée à 979 200 dollars. Ce record est largementdépassé en mai 2008, chez Christie's à Hong Kong, quand la peinture Masques, séries 1996, no 6 de ZengFanzhi (né en 1964) atteint 9,7 millions de dollars.

Depuis lors, les cotes se sont effondrées, les invendus atteignent 50 p. 100 à Hong Kong dans un climatde crise financière, certes, mais aussi de défiance, l'art contemporain chinois n'apparaissant plus ni aussiattrayant artistiquement parlant, ni aussi sûr comme valeur marchande. À Dashanzi, de nombreuses galeriesferment. Certes, non loin de là, à Caochangdi, un nouveau quartier émerge Et d'importantes galeriesinternationales s'y implantent. Certes, à l'école des Beaux-Arts, on constate une effervescence nouvelle avecl'arrivée de Xu Bing comme vice-président. Né, dit-on, de la peur qu'à le pouvoir de ne plus réussir àcontrôler un monde de l'art trop actif, le retour de la censure inquiète.

Après les succès des années 2000 en Chine et sur la scène internationale, des années sombress'annoncent-elles pour l'art contemporain chinois ? Rien n'est assuré, ni dans le pire ni dans le meilleur. Maischaque artiste sait aujourd'hui qu'une menace plane sur lui et que la liberté pourrait redevenir plussurveillée.

Michel NURIDSANY

Page 74: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages généraux et catalogues d'exposition (découvertes archéologiques)• Alors, la Chine ?, catal. expos., Centre Georges-Pompidou, 25 juin-13 oct. 2003, éd. du Centre Georges-Pompidou, Paris, 2003

• CHANG KWANG-CHIH, The Archaeology of Ancient China, Yale Univ. Press, New Haven-Londres, 4e éd. révisée et augmentée, 1986 ;Shang Civilization, New Haven-Londres, 1980

• CHANG KUANG-CHIH dir., Studies of Shang Archaeology, Yale Univ. Press, New Haven et Londres, 1986

• C. DELACOUR, De bronze, d'or et d'argent, arts somptuaires de la Chine, Réunion des musées nationaux, Paris, 2001

• J. FONTEIN & WU TUNG, Unearthing China's Past, Museum of Fine Arts, Boston, 1973

• D. N. KEIGHTLEY dir., The Origins of Chinese Civilization, California Univ. Press, Londres, 1983

• R. KERR dir., Chinese Art and Design, Victoria and Albert Museum, Londres, 1991

• S. LEE & W. K. HO, Chinese Art under the Mongols : the Yüan Dynasty (1279-1368), The Cleveland Museum of Art, 1968

• E. LESBRE, La Chine ancienne, Hazan, Paris, 2000

• C. LIN-SHENG, J.-P. DESROCHES, H. CHUNG TSAO et al., Trésors du Musée national du palais, Taipei : mémoire d'empire, catal. expos.,Galeries nationales du Grand Palais, 20 oct. 1998-25 janv. 1999, Paris, Réunion des musées nationaux, Paris, 1998

• M. PIRAZZOLI T'SERSTEVENS, La Chine des Han, Office du livre, Fribourg, 1982

• M. PIRAZZOLI-T'SERSTEVENS et al., « L'Extrême-Orient : la Chine », in Grand Atlas de l'archéologie, Encyclopædia Universalis, Paris,1985

• Quanguo chutu wenwu zhenpim xuan 1976-1984, Wenwu drubanshe, Pékin, 1987

• J. RAWSON, Ancient China, Art and Archaeology, British Museum Publ., 1980 ; Chinese Ornament – The Lotus and the Dragon, ibid.,1984

• WU RUKANG & J. W. OLSEN, Paleoanthropology and Paleolithic Archaeology in the People's Republic of China, Acad. Press, Londres,1985

• L. SICKMAN & A. SOPER, The Art and Architecture of China, Londres, 1956

• Trésors d'art chinois, Petit Palais, Paris, 1973

• Trésors d'art de la Chine, palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 1982

• Xin Zhongguo de kaogu faxian he yanjiu (Nouvelles Découvertes archéologiques en Chine), Wenwu chubanshe, Pékin, 1984

• Zhongguo meishu quanji (Histoire générale de l'art chinois), 60 vol., Wenwu chubanshe, Pékin (6 titres traduits en farnçais), éd.Vandier, Bruxelles

• 7000 Years of Chinese Civilization, catalogue de l'exposition, palais des Doges, Venise, Silvana editoriale, Milan, 1983.

Bronzes• R. W. BAGLEY, Shang Ritual Bronzes in the Arthur M. Sackler Collection, The Arthur M. Sackler Foundation, Washington, et The Arthur

M. Sackler Museum, univ. Harvard, Cambridge, 1987

• N. BARNARD, « Bronze Casting and Bronze Alloys in Ancient China », in Monumenta Serica Monograph, t. XIV, Tōkyō, 1961

• W. T. CHASE, Ancient Chinese Bronze Art, Casting the Precious Sacral Vessel, China House Gallery, China Institute in America, NewYork, 1991

• W. FONG dir., The Great Bronze Age of China, The Metropolitan Museum of Art, New York, 1980

• B. KARLGREN, articles in Bull. Museum Far Eastern Antiquities, Stockholm, no 8, 1936 ;no 9, 1937 ; no 13, 1941 ; no 17, 1945

• M. LOEHR, Ritual Vessels of Bronze Age China, The Asia Society, New York, 1968

• R. MADDIN, The Beginning of the Use of Metals and Alloys, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, 1988

• J. POPE, R. J. GETTENS et al., The Freer Chinese Bronzes, 2 vol., Freer Gallery, Washington, 1967 et 1969

• J. RAWSON, Western Zhou Ritual Bronzes from the Arthur M. Sackler Collections, The Arthur M. Sackler Foundation, Washington, etThe Arthur M. Sackler Museum, univ. Harvard, 1990

• J. RAWSON, Chinese Bronzes. Art and Ritual, British Museum Publ. Ltd., Londres, 1987

• C. D. WEBER, Chinese Pictorial Bronze Vessels of the Late Chou Dynasty, Artibus Asiae Publ., Ascona, 1968.

Orfèvrerie• B. GYLLENSVARD, « T'ang Gold and Silver », in Bull. Museum Far Eastern Antiquities, Stockholm, 1957

Page 75: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

• C. W. KELLEY, Tang Dynasty 618-907, Chinese Gold and Silver in American Collections, The Dayton Art Institute, Dayton (Ohio), 1984.

Jade• J. AYERS & J. RAWSON, Chinese Jade throughout the Ages, Victoria and Albert Museum, Londres, 1975

• D. DOHRENWEND, Chinese Jades in the Royal Ontario Museum, Toronto, 1971

• M. LOEHR, Ancient Chinese Jades, Fogg Art Museum, Cambridge (Mass.), 1975.

Ivoire• R. S. JENYNS, « Chinese Carvings in Elephant Ivory », in Transactions of the Oriental Ceramic Society, no 27, 1951-1953 ; Arts de la

Chine, vol. III, chap. III, Office du livre, Fribourg, 1965 et 1980

• S. E. LUCAS, Catalogue of the Sassoon Collection of Chinese Ivories, 3 vol., Londres, 1952.

Architecture• R. G. KNAPP, China's Traditional Rural Architecture. A Cultural Geography of the Common House, nouv. éd. 1990

• LIANG SSU-CH'ENG, A Pictorial History of Chinese Architecture, éd. Wilma Fairbank, M.I.T. Press, Cambridge (Mass.), 1984

• LIU DUNZHEN, La Maison chinoise, Berger-Levrault, Paris, 1980

• LIU DUNZHEN et al., Zhongguo gudai jianzhu shi, Pékin, 1980

• M. PIRAZZOLI-T'SERSTEVENS, Chine, coll. Architecture universelle, Office du livre, 1970

• N. SHATZMAN STEINHARDT et al., Chinese Traditional Architecture, China House Gallery, China Institute in America, New York, 1984

• O. SIREN, The Walls and Gates of Peking, Londres, 1924 ; Les Palais impériaux de Pékin, Paris-Bruxelles, 1926

• A. F. WRIGHT, « Symbolism and Function, Reflections on Changan and Other Great Cities », in Journ. Asian Stud., XXIV, no 4, août1965.

Jardins• A. HARDIE, The Craft of Gardens, Yale Univ. Press, New Haven, 1988 (trad. du Huanye de Ji Cheng)

• R. S. JOHNSTON, Scholar Gardens of China. A Study and Analysis of the Spatial Design of the Chinese Private Garden, Cambridge,1991

• M. KESWICK, The Chinese Garden, Academy Editions, Londres, 1978

• LIU DUNZHEN, Suzhou gudian yuanlin, Nankin, 1978

• O. SIREN, Gardens of China, New York, 1949.

Mobilier• R. H. ELLSWORTH, Chinese Furniture, Collins Ltd., Londres-Glasgow, 1971

• H. GARNER, Chinese Lacquer, Faber & Faber, Londres, 1979

• R. S. JENYNS, in G. ECKE, Chinese Domestic Furniture, Pékin, 1944, rééd. New York, 1986

• W. SHIXIANG, Mobilier chinois, éd. du Regard, 1986.

Sculpture• T. AKIYAMA, R. S. MATSUBARA, Arts of China, vol. II : Buddhist Cave Temples, Kōdansha, Tōkyō, 1969

• S. MATSUBARA, Chinese Buddhist Sculpture, Yoshikawa Kōbunkan, Tōkyō, 1966 (en japonais)

• S. MIZUNO, Chūgoku no bukkyō bijutsu, Heibonsha, Tōkyō, 1968 (en japonais)

• The Quest for Eternity, Chinese Ceramic Sculptures from the Peoples's Republic of China, Los Angeles County Museum of Art, 1987

• O. SIRÉN, Histoire de la sculpture chinoise, 4 vol., Van Oest, Paris, 1925-1926

• Cf. aussi les ouvrages de planches publiés par Pékin sur les grottes bouddhiques de Yungang, Longmen, Gongxian, Dunhuang...

Calligraphie et peinture• J.-F. BILLETER, L'Art chinois de l'écriture, Skira, 1989

• S. BUSH, The Chinese Literati on Painting, Harvard, 1971

• J. CAHILL, La Peinture chinoise, Genève, 1960 ; Hills beyond a River : Chinese Painting of the Yuan Dynasty, Weatherhill, New York,1976 ; Parting at the Shore. Chinese Painting of the Early and Middle Ming Dynasty, ibid., 1978 ; The Distant Mountains. ChinesePainting of the Late Ming Dynasty, ibid., 1982

Page 76: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

• CH'EN CHIHMAI, Chinese Calligraphers and their Art, Melbourne, 1966

• Eight Dynasties of Chinese Painting, The Cleveland Museum of Art, 1980

• S. C. Y. FU et al., Traces of the Brush, 1980

• L. LEDDEROSE, Mi Fu and the Classical Tradition of Chinese Calligraphy, Princeton Univ. Press, 1979

• O. SIREN, Chinese Painting, 7 vol., Londres, 1958 ; The Chinese on the Art of Painting, Pékin, 1936, rééd. New York, 1987

• W. SPEISER, R. GOEPPER & J. FRIBOURG, Arts de la Chine, Fribourg, 1964

• M. SULLIVAN, Chinese Landscape Painting in the Sui and T'ang Dynasties, Univ. California Press, 1980

• R. H. VAN GULIK, Chinese Pictorial Art as Viewed by the Connoisseur, Rome, 1958

• R. WHITFIELD, In Pursuit of Antiquity, The Art Museum, Princeton Univ., 1969.

Estampes et gravures• J. FRIBOURG, « La Gravure sur bois », in Arts de la Chine, vol. III, Fribourg, 1964

• GUO WEIQU, Zhongguo banhua shilue, Pékin, 1962

• T. WOU, Chine, l'estampe, P. Picquier, Arles, 1990.

Estampage• R. GOEPPER, « Estampages », in Arts de la Chine, vol. III, Fribourg, 1964.

Céramique• Découvertes archéologiques en Chine nouvelle, Éditions en langues étrangères, Pékin, 1972

• G. ST GOMPERTZ, Chinese Celadon Wares, Londres, 1958, rééd. 1980

• W. B. HONEY, The Ceramic Art of China and other Countries of the Far East, Londres, 1945

• P. HUGHES-STANTON & R. KERR, Kiln Sites of Ancient China, Oriental Ceramic Society, Londres, s.d. (1981)

• R. S. JENYNS, Later Chinese Porcelain, Londres, 1951 ; Ming Pottery and Porcelain, Faber & Faber, 1988

• D. LION-GOLDSCHMIDT, La Porcelaine Ming, Office du livre, Fribourg, 1978 ; Les Poteries et porcelaines chinoises, P.U.F., Paris, 2e éd.,1978

• M. MEDLEY, The Chinese Potter, Phaidon, Oxford, 1976, rééd. 1982 ; Yuan Porcelain and Stoneware, Faber & Faber, Londres, 1974

• J. A. POPE, Chinese Porcelains from the Ardebil Shrine, Smithsonian Institution, Washington, 1956

• M. TREGEAR, Sung Ceramics, Office du livre, 1982 (La Céramique Song, trad. franç. M. Paul-David, ibid.).

Émaux• H. GARNER, Chinese and Japanese Cloisonné Enamels, Faber & Faber Ltd., 1962

• M. GILLINGHAM, Chinese Painted Enamels, Ashmolean Museum, Oxford, 1978.

Arts populaires• N. BERLINER, Chinese Folk Art : the Small Skills of Carving Insects, New York Graphic Society, Little Brown & Co., 1986

• J. BEWIG, Chinesische Papierschnitte, Hamburgisches Museum für Völkerkunde, Hambourg, 1978

• S. CAMMAN, Substance and Symbol in Chinese Toggles, Philadelphie, 1962

• CHAO WEI-PANG, « Modern Chinese Folklore Investigation », in Folklore Studies, vol. I, p. 55, 1942, et vol. II, p. 79, 1943

• E. CHAVANNES, De l'expression des vœux dans l'art populaire chinois, Bossard, Paris, 1922

• L. CRANE, China in Sign and Symbol, Kelly & Walsh Ltd., Shanghai, 1926

• C. B. DAY, Chinese Peasant Cults, ibid., 1940

• M. EDER, « Spielgeräte und Spiele im Chinesischen Neujahrsbrauchtum », in Folklore Studies, vol. VI, p. 1, 1947

• D. ELIASBERG, « Imagerie populaire chinoise du Nouvel An », in Arts asiatiques, t. XXXV, 1978

• Fêtes traditionnelles en Asie-Chine, exposition du musée Kwock On, Paris, 1984

• R. P. HOMMEL, China at Work, The John Day Company, New York, 1937

• Z. JIN, Esthétique de l'art populaire chinois, musée Kwok On, 1989

• R. G. KNAPP, China's Traditional Rural Architecture, Univ. of Hawaii Press, Honolulu, 1986 ; Chinese Landscapes. The Village as Place,ibid., 1992

Page 77: universalis-CHINOISE (CIVILISATION) - Les arts.pdf

• D. KUHN, Chinese Baskets and Mats, Franz Steiner Verl., Wiesbaden, 1980

• B. LAUFER, Chinese Baskets, Field Museum of Natural History, Chicago, 1925, rééd. Boston, 1962

• A. LEROI-GOURHAN, L'Homme et la matière, Albin Michel, Paris, 1971

• TSENG YU-HO ECKE, Chinese Folk Art in American Collections, early 15 th through early 20 th Centuries, China Institute in America,New York, 1977

• C. A. S. WILLIAMS, Outlines of Chinese Symbolism and Art Motives, Kelly & Walsh Ltd., Shanghai, 1941, rééd. New York, 1976.

Le connaisseur chinois• P. DAVID, Chinese Connoisseurship, Faber & Faber, 1971

• J. HAY, Kernels of Energy, Bones of Earth. The Rock in Chinese Art, China House Gallery, China Institute in America, New York, 1986

• L. LEDDEROSE, « Some Observations on the imperial art collection in China », in Transactions of the Oriental Ceramic Society,Londres, no 43 (1978-1979), p. 33-46

• LI CHU-TSING & J. WATT, The Chinese Scholar's Studio : Artistic Life in the Late Ming Period, Thames & Hudson, New York, 1987

• M. NICOLAS-VANDIER, Art et sagesse de la Chine, Mi Fou (1051-1107), Paris, 1963

• R. H. VAN GULIK, Chinese Pictorial Art, Rome, 1958.

L'art contemporain• W. HUNG, Chinese art of the crossroads between past and future, between east and west, New Art Media/TV, Hong Kong-Londres,

2001

• M. NURIDSANY, L'Art contemporain chinois, Flammarion, Paris, 2004

• H. RUI dir., Beijing 798. Reflexion on art, architecture and society in China, Timezone 8/Thinking hands, Hong Kong, 2008

• Wen Pulin archives of Chinese avant garde of the 1980', catal. expos., Duolun museum of Modern Art, Shanghaï, 2009.