UNE VÉTO AIGUILLO NNÉE REPORTAGE PAR...

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UNE VÉTO AIGUILLO NNÉE PAR L’ACUPUNCTURE J e ne peux pas dire que l’acu- puncture a été brutalement une révélation! » Delphine Armand est pourtant au- jourd’hui une praticienne dévouée à cette thérapeutique. « Je ne me plaisais qu’à moitié dans mon école vétérinaire, sans doute du fait d’un manque de considération en France entre professeurs et élèves. J’ai alors postulé pour un échange Erasmus qui m’a permis de passer une année en Espagne, où j’ai re- trouvé le plaisir de recevoir un en- seignement. » Parallèlement, elle commence à s’intéresser à l’acu- puncture et à la médecine chinoise grâce aux conseils éclairés d’une consœur pratiquant l’ostéopathie équine, le D r Loshouarn. « Après LA SEMAINE VÉTÉRINAIRE N° 1591 27 JUIN 2014 31 30 LA SEMAINE VÉTÉRINAIRE N° 1591 27 JUIN 2014 Basée à Figeac, dans le Lot, Delphine Armand (T 07) s’est laissé porter par un parcours singulier. Aujourd’hui, elle pratique l’acupuncture exclusive pour traiter les maux des chevaux et ceux des hommes. > PHOTOREPORTAGE DE FRÉDÉRIC DECANTE La méthode d’équilibre par les points distaux du D r Tan s’intéresse à des points éloignés des centres de la douleur : les aiguilles ne sont jamais placées en zone inflammatoire. Il existe plusieurs types d’aiguilles qui se distinguent par des conceptions diverses : japonaises, chinoises, coréennes… Pour traiter les chevaux, Delphine Armand use des aiguilles chinoises faites de deux métaux différents. Une fois l’aiguille posée, elle reste en place environ trois quarts d’heure avant d’être extraite manuellement ou de tomber toute seule. En début de séance, la praticienne teste la sensibilité de l’animal sur les fameux méridiens énergétiques. REPORTAGE Ici, le point de méridien visé se trouve au regard de la ligne blanche de l’abdomen, ce qui peut surprendre le cheval. avoir éprouvé un tel plaisir à étudier en Espagne et en raison de mon in- clination pour des médecines non enseignées en France, mon retour en T1 pro sur le site de l’ENVT s’an- nonçait délicat ! J’ai donc négocié avec l’administration de l’école de Toulouse pour adapter ma dernière année de formation universitaire. » L’enseignement du D r Tan Delphine Armand se rend aux États-Unis où l’acupuncture est enseignée dans le cadre de l’Inter- national Veterinary Acupuncture Society, mais il lui faut trouver un vétérinaire expérimenté comme tuteur. Elle part en Suisse pendant un mois, puis trois mois en Alle- magne. Nous sommes en 2007. La matière enseignée lui apparaît alors absconse et manque trop de rationalité pour y fonder totale- ment son exercice. Elle cherche à concilier sa volonté d’un savoir ra- tionnel et structuré avec son atti- rance pour une médecine abor- dant le patient avec plus de flexibilité que la médecine occi- dentale : « Je me voyais revenir à Figeac où était mon ami et mélan- ger ma pratique d’acupuncteur avec une autre des plus classiques. Juste avant mon départ d’Allemagne, j’ai eu la chance de rencontrer le maître en la matière, le D r R. Tehfu Tan. Ce jour-là, j’ai eu le sentiment de trou- ver ce que je cherchais. » Il faut dire que le parcours de cet acupuncteur pour les humains, exerçant à San Diego, est parfait pour notre consœur : d’origine taï- wanaise, le D r Tan a été immergé dès l’enfance dans l’apprentissage de la médecine traditionnelle chi- noise. Diplômé aux États-Unis en ingénierie des systèmes, il a mis dans son exploration du savoir traditionnel de la médecine chi- noise toute la rationalité que lui a enseignée son cursus en sciences de l’ingénierie. Après avoir tra- vaillé dans l’aérospatiale, il s’est consacré uniquement à la méde- cine en alternant le traitement de patients et les conférences à tra- vers le monde. « Aux États-Unis, j’ai appris ce qu’était le service au sens commercial du terme, avec la grande écoute des patients, se ré- jouit Delphine. Ceux du D r Tan ne peuvent pas savoir qu’ils sont reçus par l’Elvis Presley de l’acupuncture internationale tant sa simplicité est grande. Pour ma part, j’ai tout de suite compris que son enseignement et sa pratique d’une acupuncture lo- gique me correspondaient. Mais je ne le rencontrais qu’à la fin d’un long parcours ayant asséché mes réserves d’étudiante : il me fallait impérativement travailler. » Le compromis s’est fait grâce à du salariat à temps partiel qui lui a donné suffisamment de temps libre pour développer une clientèle en acupuncture équine dans le Sud- Ouest et de ressources pour conti- nuer à se former auprès du docteur. « J’ai ensuite eu la chance que le D r Tan cherche quelqu’un pour l’as- sister dans certaines de ses confé- rences aux États-Unis. Quelques an- nées plus tard, la collaboration s’est étendue. J’ai maintenant le plaisir et l’honneur de l’aider à organiser ses formations dans le reste du monde. » Soulager les chevaux et les personnes Pour Delphine, le temps est à la professionnalisation. Entre deux conférences, elle continue à tra- vailler en salariat autour de Figeac et sa clientèle équine exclusive- ment en acupuncture se déve- loppe bien. Elle est peu à peu confrontée à un dilemme : plus elle reçoit l’enseignement de son maître, plus son savoir s’intéresse La pose des aiguilles ne semble pas douloureuse. Le cheval bouge essentiellement du fait de sa manipulation.

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UNE VÉTO AIGUILLO NNÉE PAR L’ACUPUNCTURE

J e ne peux pas dire que l’acu-puncture a été brutalementune révélation! » DelphineArmand est pourtant au-jourd’hui une praticienne

dévouée à cette thérapeutique. « Jene me plaisais qu’à moitié dans monécole vétérinaire, sans doute du faitd’un manque de considération enFrance entre professeurs et élèves.J’ai alors postulé pour un échangeErasmus qui m’a permis de passerune année en Espagne, où j’ai re-trouvé le plaisir de recevoir un en-seignement. » Parallèlement, ellecommence à s’intéresser à l’acu-puncture et à la médecine chinoisegrâce aux conseils éclairés d’uneconsœur pratiquant l’ostéopathieéquine, le Dr Loshouarn. « Après

LA SEMAINE VÉTÉRINAIRE - N° 1591 - 27 JUIN 2014 - 3130 - LA SEMAINE VÉTÉRINAIRE - N° 1591 - 27 JUIN 2014

Basée à Figeac, dans le Lot, Delphine Armand (T 07) s’est laissé porter par un parcours singulier. Aujourd’hui, elle pratique l’acupuncture exclusive pour traiter les maux des chevaux et ceux des hommes.

> PHOTOREPORTAGE DE FRÉDÉRIC DECANTE

La méthode d’équilibre par les points distaux du Dr Tan s’intéresse àdes points éloignés des centres de la douleur : les aiguilles ne sont jamaisplacées en zone inflammatoire.

Il existe plusieurs types d’aiguilles qui se distinguent par des conceptionsdiverses : japonaises, chinoises, coréennes… Pour traiter les chevaux, Delphine Armand use des aiguilles chinoises faites de deux métaux différents.

Une fois l’aiguille posée, elle reste en place environtrois quarts d’heure avant d’être extraite manuellementou de tomber toute seule.

En début de séance, la praticienne teste la sensibilité de l’animal sur les fameux méridiens énergétiques.

REPORTAGE

Ici, le point de méridien visé se trouveau regard de la ligne blanche de l’abdomen, ce qui peut surprendre le cheval.

avoir éprouvé un tel plaisir à étudieren Espagne et en raison de mon in-clination pour des médecines nonenseignées en France, mon retour enT1 pro sur le site de l’ENVT s’an-nonçait délicat! J’ai donc négociéavec l’administration de l’école deToulouse pour adapter ma dernièreannée de formation universitaire. »

L’enseignement du Dr TanDelphine Armand se rend auxÉtats-Unis où l’acupuncture estenseignée dans le cadre de l’Inter-national Veterinary AcupunctureSociety, mais il lui faut trouver unvétérinaire expérimenté commetuteur. Elle part en Suisse pendantun mois, puis trois mois en Alle-magne. Nous sommes en 2007. La

matière enseignée lui apparaîtalors absconse et manque trop derationalité pour y fonder totale-ment son exercice. Elle cherche àconcilier sa volonté d’un savoir ra-tionnel et structuré avec son atti-rance pour une médecine abor-dant le patient avec plus deflexibilité que la médecine occi-dentale : « Je me voyais revenir àFigeac où était mon ami et mélan-ger ma pratique d’acupuncteur avecune autre des plus classiques. Justeavant mon départ d’Allemagne, j’aieu la chance de rencontrer le maîtreen la matière, le Dr R. Tehfu Tan. Cejour-là, j’ai eu le sentiment de trou-ver ce que je cherchais. »Il faut dire que le parcours de cetacupuncteur pour les humains,

exerçant à San Diego, est parfaitpour notre consœur : d’origine taï-wanaise, le Dr Tan a été immergédès l’enfance dans l’apprentissagede la médecine traditionnelle chi-noise. Diplômé aux États-Unis eningénierie des systèmes, il a misdans son exploration du savoirtraditionnel de la médecine chi-noise toute la rationalité que lui aenseignée son cursus en sciencesde l’ingénierie. Après avoir tra-vaillé dans l’aérospatiale, il s’estconsacré uniquement à la méde-cine en alternant le traitement depatients et les conférences à tra-vers le monde. « Aux États-Unis,j’ai appris ce qu’était le service ausens commercial du terme, avec lagrande écoute des patients, se ré-

jouit Delphine. Ceux du Dr Tan nepeuvent pas savoir qu’ils sont reçuspar l’Elvis Presley de l’acupunctureinternationale tant sa simplicité estgrande. Pour ma part, j’ai tout desuite compris que son enseignementet sa pratique d’une acupuncture lo-gique me correspondaient. Mais jene le rencontrais qu’à la fin d’unlong parcours ayant asséché mesréserves d’étudiante : il me fallaitimpérativement travailler. » Le compromis s’est fait grâce à dusalariat à temps partiel qui lui adonné suffisamment de temps librepour développer une clientèle enacupuncture équine dans le Sud-Ouest et de ressources pour conti-nuer à se former auprès du docteur.« J’ai ensuite eu la chance que le

Dr Tan cherche quelqu’un pour l’as-sister dans certaines de ses confé-rences aux États-Unis. Quelques an-nées plus tard, la collaboration s’estétendue. J’ai maintenant le plaisir etl’honneur de l’aider à organiser sesformations dans le reste du monde. »

Soulager les chevaux et les personnesPour Delphine, le temps est à laprofessionnalisation. Entre deuxconférences, elle continue à tra-vailler en salariat autour de Figeacet sa clientèle équine exclusive-ment en acupuncture se déve-loppe bien. Elle est peu à peuconfrontée à un dilemme : pluselle reçoit l’enseignement de sonmaître, plus son savoir s’intéresse

La pose des aiguilles ne semble pasdouloureuse. Le cheval bougeessentiellement du fait de sa manipulation.

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à la personne humaine. En outre,ses remplacements de vétéri-naires l’éloignent de sa pratiqueen acupuncture et ne la passion-nent pas. Qui plus est, les proprié-taires des chevaux lui demandentde plus en plus d’examiner leursmaux. « J’étais en train de me direqu’il serait bien dommage de nepas soulager les personnes commeje pouvais le faire avec les che-vaux! » Elle se décide donc à fairevalider en France son cursusd’acupuncteur en médecine hu-maine, suit la dernière année deformation et passe son diplôme.Depuis, Delphine partage sa vieentre l’organisation de confé-rences internationales pour leD r Tan (elle bénéficie par làmême toujours de son enseigne-ment), les soins aux chevaux enregroupant au maximum les vi-sites et son cabinet d’acupuncturehumaine qu’elle a ouvert à Figeac.« Avec les chevaux, ce que j’aime,c’est avant tout le travail d’équipe,car j’interviens beaucoup en milieusportif, principalement sur le chevald’endurance. En acupuncture hu-

maine, le diagnostic est souventplus précis du fait du dialogue avecle patient. Mais cela induit un rap-port plus délicat. La récompensevient dans la reconnaissance, sou-vent davantage affirmée! »

« Des résultats immédiats »Delphine Armand réfute l’idéed’une médecine ésotérique :« L’acupuncture est précise et mon-tre des résultats visibles immédia-tement, s’appuyant sur un systèmeglobal, logique et reproductible. Ilest tellement dommage qu’encore sipeu de praticiens aient été initiés àune acupuncture tout ce qu’il y a deplus “scientifique”. » Par sa pra-tique, elle pose – tout en y répon-dant – la question de la cohé-rence : est-il plus cohérent demaîtriser une pratique et de la dé-cliner chez l’homme et chez l’ani-mal ou de rester sur une concep-tion classique créant une barrièreentre l’homme et l’animal? L’acu-puncture s’est donné 4000 ans depratiques pour y réfléchir. Le lec-teur pourra bien prendre un peu(plus) de temps. <

32 - LA SEMAINE VÉTÉRINAIRE - N° 1591 - 27 JUIN 2014

Chaque cheval est suivi à l’aide d’un logiciel conçu spécialement pour Delphine.

Les outils de travail sont réduits au plus strict minimum : un smartphonepermettant de faire tourner le logiciel d’archivage sous Android et une pochetteventrale avec toutes les aiguilles neuves.

La praticienne exerce aussi l’acupuncture humaine. Avant d’intervenir, elle analyseles douleurs et/ou les affections internes impliquées.

Par ses mouvements, le cheval fait tomber un certain nombred’aiguilles sur le sol. Ces instruments sont à usage unique et ne sontdonc pas réutilisés.

REPORTAGE

La médecine traditionnelle chinoise schématise le corps en un réseau de méridiens possédant des points clés qui peuvent les ouvrir ou les fermer par l’apposition des aiguilles. Notre consœurles compare, pour expliquer son travail, à des “interrupteurs”.

Dans la pratique des aiguilles chinoises, les deux métaux quiconstituent l’instrument permettent de générer un très faible courantélectrique susceptible d’agir sur le méridien énergétique.

Si les séances avec les patients hommes et femmes se réitèrent à un rythme rapide (souvent trois fois par semaine), pour les chevaux, généralement une séance est programmée toutes les trois semaines.