Une si jolie petite blonde

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Extrait du roman Une si jolie petite blonde de Martine Dal Farra

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© Prem'Edit 77, 2012 Illustration de couverture : © Subbotina Anna - Fotolia

ISBN : 979-10-91321-05-1

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Martine Dal Farra

Une si jolie petite blonde

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Je dédie ce roman à Yoann Vallier et à son comité de lecture qui ont su me faire des remarques judicieuses et m’ont apporté leur soutien et leurs encouragements pour aller jusqu’au bout de mon projet.

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__________Préambule

Je suis une jeune fille d’action et dans mon crâne fourmillent mille idées et projets mais je ne suis pas une intellectuelle. D’ailleurs j’ai interrompu mes études à l’obtention du bac et, à part les faits divers, je ne lis pas.

En Patagonie, j’ai rencontré une écrivaine qui était venue défendre je ne sais quelle cause avec un petit côté humaniste francilien égaré chez les gauchos. Je décidai de lui raconter le stratagème que j’avais mis en place et tout ce qui en découla pour lui faire dresser les cheveux sur la tête. Elle s’est très vite rendu compte que le cynisme et la brutalité ne sont pas l’apanage des garçons mais que les filles savent très bien utiliser la violence et n’ont pas plus de principes ni de scrupules. Contrairement à mes intentions, ma narration la séduisit. Qui n’a jamais rêvé de passer à l’acte ? Elle s’en délecta même comme une femme coincée qui découvre enfin le grand frisson et elle me proposa d’écrire mon récit de Scarface en jupon.

Manipulatrice et parano, je pris soin de m’assurer de sa discrétion et de sa fidélité. Je ne veux pas finir ma vie en prison.

Alors elle a transcrit mon histoire avec son style et ses phrases à rallonge mais à la première personne pour conserver le rythme endiablé de ma vie et mes manières de petite frappe

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sous mon apparence de lolita.

Lisons son récit et laissons-nous envahir par cette délicieuse sensation de réprobation mêlée d’excitation.

Laura

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_______________Chapitre 1

On allait avoir le bac, on venait d’avoir dix-huit ans et la majorité, c’était enfin la liberté, tout était possible … gloire, argent, beauté … Laura tendait son cou démesuré pour chercher nos noms sur la liste des récipiendaires.

— Léa, Léa chérie … on l’a … on l’a … ça marche pour nous !

Elle m’agaçait de m’appeler « chérie » devant tout le monde comme s’il y avait une relation coupable entre nous. D’ailleurs, elle m’agaçait pour tout. Trop belle, trop brillante, trop BCBG.

— Viens. J’ai envie d’une glace.

Elle posa sa main sur mon bras nu. Ou plutôt, elle m’effleura. Je sentis la fraîcheur du contact dans la chaleur de l’été. Elle était si parfaite, vêtue d’une petite robe à fleurs, si lisse si faussement innocente.

— Future magistrate, lâchai-je.— Oui. Tout va changer. Je vais avoir une vraie famille,

maintenant. Mais j’aurai mon propre appartement à Paris. Enfin un studio que papa m’achètera.

— Et Jeanne ?— Elle viendra me voir et puis je reviendrai ici pendant les

vacances. C’est la seule personne que j’aime, avec toi, bien sûr.

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Je la détaillais. Au lycée, nos condisciples nous avaient surnommées les jumelles mais plus précisément la poupée Barbie et la camionneuse. Visage aux traits délicats, iris émeraude, nez mutin, bouche très dessinée bien qu’encore enfantine, pommettes hautes, cheveux blonds, taillés à la Louise Brooks pour Laura ; teint brouillé, peau d’une propreté douteuse, cheveux auburn ébouriffés sur le dessus de la tête, retombant en lourdes mèches autour de la figure et s’abandonnant en cape négligée sur les épaules pour moi. Tenues chic et choc pour la donzelle, jean, sweater informe et baskets usagés pour moi. Maquillage étudié, manucure, foulard griffé et collier de perles pour Laura qui copiait les businesswomen, laisser-aller pour moi qui m’inspirais des rappeuses et des zonardes. Je fumais et à l’occasion, me défonçais avec tout ce qui permettait à un être humain de planer quelques instants entre ciel et terre.

Je me demandais si Laura était une bimbo qui se préparait à devenir une accompagnatrice idéale ou une calculatrice froide et déterminée qui cachait bien son jeu et voulait plus, beaucoup plus. Depuis quelques jours, je me disais qu’elle n’aurait pas le temps d’abattre ses cartes.

— Je vais prendre trois boules, vanille, chocolat et noisette.

Ses yeux pétillaient de gourmandise et ses lèvres humides légèrement entrouvertes découvraient ses petites dents de porcelaine.

Le marchand ambulant la contemplait, fasciné.

— Pour moi, ce sera trois boules chocolat, fis-je sur un ton

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désagréable. Je suis la même en clodo. Avais-je envie de lancer à la figure du commerçant.

Lorsque je la vis pour la première fois, nous avions cinq ans. Jeanne la conduisait à la maternelle. Pour la rentrée des classes, Laura portait une robe impossible en velours vert bouteille avec des vernis noirs. Jeanne avait certainement passé plusieurs soirées à lui confectionner cette tenue ridicule et démodée. Laura pleurait, effrayée, si fragile parmi tous ces enfants avec des airs de paysans, de marins, de rustres. Je me suis approchée d’elle. J’étais maigre et je devais déjà avec l’air d’une sauvage. J’étais la seule fille à la maison et j’avais développé une phénoménale capacité de survie. Je lui ai pris la main. Elle s’est laissé faire.

J’appris plus tard que le père de Laura n’était encore qu’un jeune avocat lorsqu’il rencontra une étudiante, fantasque, mondaine, insolemment belle qu’il épousa. Après la naissance de Laura, il constata que sa femme était infidèle, instable, dépensière. Elle ne pensait qu’au shopping et à son irrésistible pouvoir de séduction. Elle buvait, se droguait. Elle avait des problèmes psychologiques et refusait de se soigner. Épuisé par les scènes de ménage et les fausses réconciliations, il demanda le divorce. Malheureusement, rouée et plus garce que jamais, elle lui opposa un ténor du barreau et obtint la garde de Laura. Elle partit en Normandie se réfugier dans la maison que lui avaient léguée ses parents et qu’occupait Jeanne, sa nourrice devenue gouvernante. La vieille femme accueillit l’enfant comme une renaissance. La mère de Laura abandonna nourrice et bébé pour courir le monde. Paul ne donna plus signe de vie. Il se remaria avec une consœur de son cabinet et eut deux enfants.

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Laura léchait sa glace avec des grâces de chatte. Je croquais à pleines dents et je savais que j’avais du chocolat aux commissures des lèvres.

— J’avais si peur qu’il refuse de me voir mais mon père est absolument merveilleux. Même si le passé est douloureux, il a maintenant une vie équilibrée et je crois qu’il est prêt pour des retrouvailles. Tu sais, je ne lui en veux pas de n’avoir jamais cherché à me connaître. La plupart des hommes préfèrent tourner la page et reconstruire un couple avec d’autres bambins.

Enfant, avec Jeanne, elle avait manqué de tout sauf d’affection et de tendresse. Bien souvent les tartines de pain et le bol de chocolat remplaçaient le dîner. Femme de ménage consciencieuse, Jeanne n’arrivait pas à joindre les deux bouts ni à entreprendre des réparations dans la maison délabrée. Pas de nouvelle de la mère qui devait dilapider l’argent à Hong Kong ou Singapour.

Astucieuse et sans scrupule, Laura trouva le moyen de se procurer de l’argent. Il n’était pas question de travailler dans une boulangerie, de donner des cours ou de garder des enfants comme toute étudiante devant financer une partie de ses frais. Laura se livrait à des larcins, des escroqueries, des cambriolages express et revendait le fruit de ses vols. Des bijoux, des objets de valeur disparaissaient des résidences secondaires sans qu’on pensât à la suspecter. Les comptes bancaires de vieillards à qui elle proposait une promenade se vidaient mais on accusait les femmes de ménage ou les aides à domicile. Il n’y avait pas un magasin, une boutique d’antiquaire, une supérette d’où elle ne réussit à sortir les poches pleines, insoupçonnable sous ses airs de petite fille

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modèle.

Après la glace et les embrassades d’usage, je rentrai à la maison, trop heureuse de me retrouver seule. Je pouvais occuper le terrain au lieu de me calfeutrer dans ma minuscule chambre. Je commençai par vider le séjour des canettes de bière vides et autres boîtes de pizza puis je nettoyai avec un soin méticuleux ce qui devait être mon territoire pour les vacances. Ma famille était partie dans le sud pour deux mois de camping, de farniente et de promiscuité. Le délai dont je disposais se réduisait à quelques jours, le temps de mettre au point ma stratégie. Je passai à la cuisine que j’astiquai jusqu’à ce qu’elle puisse se faire photographier pour les meilleures pages d’une revue immobilière. J’avais prévu d’inviter très rapidement Laura à dîner. Elle ne supportait pas la saleté et je devais la mettre dans de très bonnes conditions. La sueur dégoulinait sur mon visage. J’étais trempée. Après avoir récuré la baignoire et le lavabo, je m’immergeai dans un bon bain bien chaud. Les cheveux encore humides, j’enfilai mon peignoir et descendis au rez-de-chaussée. Je m’installai dans un fauteuil éminemment usé avec mes cigarettes et mon whisky. Je m’étirai, savourant ce rare moment de plénitude.

Il fallait mettre le turbo, penser à tout, échafauder mon projet en veillant aux moindres détails et surtout ne pas avoir un seul moment d’hésitation qui me perdrait. J’étais très jeune mais je savais que j’avais du caractère. Dans cette famille, pour survivre, il fallait courber l’échine ou agir de façon plus sournoise, plus diffuse. Très vite, j’avais appris à esquiver les coups. Je passais le plus clair de mon temps dans ma chambre, à lire, à étudier. Grâce à mon assiduité et ma volonté, je me débrouillais bien en anglais. Je préparais ma fuite, je creusais mon tunnel et chaque matin, je me levais d’un bond, surexcitée

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par cette nouvelle journée consacrée en partie à peaufiner mon évasion. Mais pour quitter la France et m’établir au bout du monde, il me fallait de l’argent et j’allais en obtenir. Je souris, délicieusement lovée, dégustant toutes les phases du plan que j’élaborais. Étais-je une surdouée du crime ? Allais-je être fascinée par mon propre machiavélisme au risque de me faire prendre ? Je n’avais devant moi que quelques jours pour parvenir à mes fins et m’envoler vers des cieux plus cléments.

J’étais la cinquième, dernière enfant et seule fille d’un couple minable. À part lire des magazines people et somnoler devant des émissions de téléréalité, ma mère était un boulet. Mon père, une sorte de gougnafier malsain porté sur la bouteille, la gaudriole et les histoires salaces était agent d’entretien au collège. Ce qui nous valait deux mois de vacances au camping de Dupont-la-joie. J’avais surnommé mes quatre frères, les Dalton. Bêtes et méchants, ils étaient plus adeptes du foot et de la salle de musculation que des cours de philo. Entre stages et petits boulots, ils parasitaient la maison familiale.

Ma mère très fière de sa progéniture mâle, m’avait rejetée avec dégoût.

— Une fille. Quelle horreur !

Elle avait accompli son devoir d’épouse en mettant au monde et élevant quatre spécimens de la gente masculine. Mal informée et plutôt ignare, elle avait trop attendu pour avorter à la cinquième grossesse. Elle avait dû me porter comme un fardeau et une future bouche inutile. Mon père ne voulait pas plus de moi. Mes frères au lieu d’accepter et de chérir leur petite sœur, me repoussèrent comme une intruse avec qui il faudrait partager le peu qui rentrait au domicile. Clandestine

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dans ma propre famille mais dotée d'un instinct de survie hors du commun, j'appris à prendre ce qu'on ne voulait pas me donner, à chaparder, à voler la nourriture et à me passer de jouets. Si ma mère me traitait avec une indifférence glaciale, mon père me réservait le sadisme sournois des complexés et autres ratés de l'univers. Paroles vexantes, crocs-en-jambe, irrésistibles et vilains jeux de pieds et jeux de mains.

Confrontée à ce mâle entourage, je me déguisais, dissimulant des formes délicatement rondes sous de véritables hardes. Je ne brossais que rarement ma chevelure indocile et personne ne soupçonnait le ravissant visage dissimulé derrière des lunettes à monture XXL. Mais sous cette apparence gracile et encore juvénile fonctionnait un cerveau déjà mature capable de construire un stratagème diabolique.

Il fallait me décider sur les moyens et cette idée m’ébranlait au plus profond de moi-même. Je n’étais pas un monstre seulement une opportuniste prête à devenir une criminelle pour changer de vie.

Allais-je l’étrangler ? J’observais mes mains pas assez fines, trop petites, la paume trop carrée. Laura avait des mains de reine aux longs doigts effilés, les ongles parfaitement polis, ovales et satinés comme des coquillages. La main que j’utilisais était la main du Diable, gauchère tendance psychopathe, brutale et malhabile pour ne pas dire maladroite … cette main maudite on me l’avait fait assez remarquer comme un stigmate, signe trop évident de mes déviances. J’étais pourtant incapable d’étrangler, de poignarder ou d’étouffer. Alors ce serait l’arme du félon, du fourbe, du traître : le poison.

Je repensais souvent à ma tante Élisabeth qui avait été de

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tous les combats. Marchande des quatre saisons, brocanteur, femme d’affaires parvenue surmontant les pires galères et croisant le fer avec les ripoux de la politique et du business.

— Ne compte que sur toi et surtout n’attends pas l’homme providentiel qui devrait venir te chercher. Évite-les. Les hommes promettent et salissent. Observe, réfléchis et saisis les opportunités.

Elle avait posé sur moi son regard lumineux et intense totalement dénué de tendresse. Malgré ses blessures et son cynisme, elle était d’une certaine manière, mon modèle. La vie lui avait joué de sales tours et s’était presque retirée de son corps encore jeune mais déjà épuisé. Avide, épicurienne, elle dégustait chaque instant comme s’il était le dernier.

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_______________Chapitre II

Dès le début de l’année scolaire qui devait se clôturer par le baccalauréat, j’avais décidé de me constituer un pécule pour m’acheter un billet d’avion et tenter ma chance là où l’herbe est plus verte. Malheureusement dans cette petite ville côtière entre mer et pâturages, le boulot ne courait pas les rues.

Côme, le propriétaire du centre équestre cherchait une employée. Je me présentai sans recommandation et sans rien connaître aux chevaux, animée par la seule volonté de mettre de l’argent de côté et de m’enfuir.

Il me dévisagea comme un maquignon. Ses yeux vifs et goguenards sous les épais sourcils poivre et sel scrutèrent mes traits, s’attardèrent sur mes guenilles, observèrent mes mains et mes cheveux sales.

— Ici il ne faut pas avoir peur de marcher dans la gadoue et le crottin ni de respirer des odeurs fortes.

— Cela ne me gêne pas. Je veux juste travailler. Je suis courageuse et je n’ai pas peur de charrier du foin.

— Et tu as quel âge ?— Je viens d’avoir dix-huit ans.— Tu es jeune.— Ça me passera.

Pour la première fois, il sourit et les rides se creusèrent

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autour de ses yeux pétillants.

Pas besoin de faire des manières ici mais un bon shampoing ne serait pas du luxe. Il y a des douches dans les vestiaires des filles et je n’ai rien contre la beauté. Je suis sûr que sous tout ce déguisement, tu es un vrai canon mais ce que tu en fais c’est autre chose et cela ne me regarde pas. Du moment que tu bosses et que tu ne la ramènes pas, je serai content.

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Je me sentis vite en harmonie avec les chevaux, j’étais heureuse. Côme m’apprit à les brosser, à les étriller, à démêler leurs crins, à curer leurs sabots à nettoyer leur box et à les nourrir. Il m’apprit aussi à découvrir leurs qualités.

Je m’attachais tout particulièrement à Salammbô une jument à la robe d’un noir luisant et à Nessie un vieux poney estropié. Tous deux avaient échappé à l’abattoir grâce à l’énergie et à la gentillesse de Côme. Salammbô, ancienne gagnante et ancienne star des concours hippiques, se pliait difficilement au manège et aux cavaliers parfois inexpérimentés et Nessie, boitillant et distrait, était aussi improductif que possible.

Le club était essentiellement fréquenté par des fillettes et des jeunes filles rivalisant d’élégance, moulées dans leurs tenues de cheval et arborant leurs bombes comme plus tard, elles porteraient de seyants chapeaux réservés aux femmes de la moyenne et de la grande bourgeoisie. Elles ne me méprisaient pas car elles m’ignoraient totalement. J’étais transparente, inexistante, invisible un peu comme les chiens perdus qui traînaient autour du centre et se régalaient des restes que je leur jetais. Leurs pères et parfois leurs mères me souriaient avec la condescendance faussement bienveillante des riches pour le petit peuple et cela me révulsait encore plus.

Côme me prenait en amitié si l’on peut parler d’amitié entre deux vieux routiers de la misanthropie. Il voyait que mon

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emploi me plaisait et que je m’intéressais à ses chevaux. Tout en les soignant, je leur parlais, je les caressais. Ils posaient leur tête sur mon épaule et certains fripons venaient même chercher les friandises jusque dans les poches de mon tablier. Je riais, je leur chuchotais des mots de tendresse que j’avais appris Dieu sait où, je leur parlais et ils me répondaient. Ils me racontaient leur vie parfois riche de compétitions et de victoires, d’amours avec de beaux étalons et de poulains devenus des cracs. Je les écoutais, surprise de si bien les comprendre. Moi qui voyais les humains comme mes pires ennemis, j’avais avec les chevaux une douce et merveilleuse complicité.

Je m’enhardis et montais d’abord Nessie puis Salammbô. Je découvris des aptitudes naturelles et une volupté que je n’avais jamais ressentie. Le dos droit, les reins cambrés, remontant mes cheveux au-dessus de mon crâne, je me sentais devenir une écuyère fière et intrépide et après quelques séances de trot et quelques randonnées, la jument très vite partit au galop.

— Tu as un don. Me dit Côme. Tu es faite pour cela.

Je prenais très au sérieux mon rôle de palefrenière. L’ambiance était saine et Côme m’inspirait confiance.

J’aimais particulièrement les promenades à cheval. Parcourir la campagne, longer les prairies qui commençaient à prendre des couleurs, m’arrêter quelques instants pour écouter le chant des rivières, m’ouvrir au printemps et à la sève qui gorgeait à nouveau les arbres et les plantes. Malgré le temps encore frais, le soleil caressait la terre, la rajeunissait, la régénérait. Les nuages, posés comme des touffes de coton sur le ciel resplendissant, ne contrariaient personne comme si seules des

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ondées de lumière pouvaient s’abattre sur le paysage.

Au contact de la nature, bercée par le gazouillis des oiseaux, j’évacuais le stress du quotidien et tous les désirs m’emplissaient loin des humains. Je sentais qu’il me fallait de l’espace pour exister pleinement ; une vaste terre d’émotion et de solitude, des levers de soleil éclatants sur une campagne où les hommes n’auraient pas encore tout saccagé pour assouvir leur insatiable rapacité.

Un bonheur palpable m’envahissait. La pesante résignation d’une jeune fille sans avenir laissait place aux ambitions les plus folles.

J’avais entendu parler de la Patagonie si contrastée par ses montagnes, ses savanes, ses forêts, sa pampa, ses fleuves gigantesques et ses littoraux déchiquetés.

Acheter une exploitation, élever des moutons pour leur laine, passer la plus grande partie de mon temps à sillonner de vastes plaines accompagnée de mes chiens me paraissait la manière idéale de vivre en toute liberté près de la nature en me procurant de substantiels revenus.

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