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60 Croyez-vous avoir de l’influence sur l’apprentissage de vos élèves? Croyez-vous que vos pratiques peuvent favoriser l’apprentissage ou lui nuire? Croyez-vous pouvoir améliorer cette influence? Croyez-vous pouvoir modifier vos pra- tiques pédagogiques ou en adopter de nouvelles pour favoriser l’apprentissage? Quelles pratiques pédagogiques pouvez- vous modifier pour favoriser l’appren- tissage? Depuis quelque temps, il est de plus en plus question de développement professionnel. Le Conseil supérieur de l’éducation (2014) vient de publier un intéressant avis sur le sujet. Les com- munautés d’apprentissage profession- nel sont de plus en plus en vogue dans les commissions scolaires, la Faculté des sciences de l’éducation de mon université lance une toute nouvelle offre de formation continue à l’inten- tion du personnel enseignant (http:// fse.umontreal.ca/index.php?id=291), et je viens tout juste de suggérer de réamorcer une réflexion pédagogique à l’école (Archambault, 2015). Bon! Admettons que j’ai saisi l’occa- sion qui se présentait… Mais cette occasion montre bien l’intérêt grandis- sant du milieu scolaire à poursuivre le développement professionnel après la formation initiale. Cet intérêt est aussi la marque d’une profession : continuer à se former et à se tenir à jour quant à la recherche et au développement au regard de la profession. Alors, s’il est question de réamorcer une réflexion pédagogique afin de parfaire son déve- loppement professionnel, pourquoi ne pas commencer par le commencement et faire porter cette réflexion sur sa propre conception de l’apprentissage? En effet, c’est là le commencement : puisque les enseignants travaillent avec les élèves et ont pour mission de les faire apprendre, leur propre conception de l’apprentissage est le fondement de leur profession, la base sur laquelle ils appuient leur pratique pédagogique. Cette conception repose elle-même sur des croyances et des convictions qui se développent tout au long de la vie professionnelle. J’en décris ici quelques-unes, essentielles, et je leur associe des questions pouvant servir la réflexion pédagogique d’abord individuelle, puis collective, par le par- tage et la discussion des réponses que chacun aura données. Ces croyances ou ces convictions apparaissent essen- tielles à qui veut favoriser l’apprentis- sage de tous les élèves. Examinons-les. Les pratiques pédagogiques influencent l’apprentissage Cette croyance se rapporte à ce que la recherche appelle l’effet-maitre. On sait bien que les attributs de l’élève ainsi que les caractéristiques socio- économiques de sa famille ont un impact sur son apprentissage. Tous les élèves n’arrivent pas à l’école avec le même bagage, les mêmes capaci- tés ou les mêmes chances. Mais ce qu’on ne voyait pas clairement, c’est l’effet-maitre : les pratiques pédago- giques et le climat de la classe ont autant d’impact sur l’apprentissage de l’élève que ses caractéristiques ou celles de son milieu. Cela signifie que les pratiques pédagogiques « … ont un impact décisif sur ce que les élèves apprennent – et sur les inégalités qui en découlent » (Dubet et Duru- Bellat, 2015, p. 31). Certaines favo- risent l’apprentissage, d’autres lui nuisent. Le développement profes- sionnel prend ici tout son sens. Il s’agit de rendre ses pratiques pédagogiques plus aptes à favoriser l’apprentissage. Voici maintenant des questions pour explorer vos croyances. On pourrait même accompagner chacune d’un « Pourquoi? » ou d’un « Justifiez votre réponse ». AQEP VIVRE LE PRIMAIRE, VOLUME 29, NUMÉRO 2, PRINTEMPS 2016 UNE RÉFLEXION PÉDAGOGIQUE SUR SA PROPRE CONCEPTION DE L’APPRENTISSAGE – DES CROYANCES, DES CONVICTIONS ESSENTIELLES JEAN ARCHAMBAULT Professeur Université de Montréal [email protected] ENSEIGNEMENT APPRENTISSAGE

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Croyez-vous avoir de l’influence sur l’apprentissage de vos élèves?

Croyez-vous que vos pratiques peuvent favoriser l’apprentissage ou lui nuire?

Croyez-vous pouvoir améliorer cette influence?

Croyez-vous pouvoir modifier vos pra-tiques pédagogiques ou en adopter de nouvelles pour favoriser l’apprentissage?

Quelles pratiques pédagogiques pouvez-vous modifier pour favoriser l’appren-tissage?

Depuis quelque temps, il est de plus en plus question de développement professionnel. Le Conseil supérieur de l’éducation (2014) vient de publier un intéressant avis sur le sujet. Les com-munautés d’apprentissage profession-nel sont de plus en plus en vogue dans les commissions scolaires, la Faculté des sciences de l’éducation de mon université lance une toute nouvelle offre de formation continue à l’inten-tion du personnel enseignant (http://fse.umontreal.ca/index.php?id=291), et je viens tout juste de suggérer de réamorcer une réflexion pédagogique à l’école (Archambault, 2015).

Bon! Admettons que j’ai saisi l’occa-sion qui se présentait… Mais cette occasion montre bien l’intérêt grandis-sant du milieu scolaire à poursuivre le développement professionnel après la formation initiale. Cet intérêt est aussi la marque d’une profession : continuer à se former et à se tenir à jour quant à la recherche et au développement au regard de la profession. Alors, s’il est question de réamorcer une réflexion pédagogique afin de parfaire son déve-loppement professionnel, pourquoi ne pas commencer par le commencement et faire porter cette réflexion sur sa propre conception de l’apprentissage?

En effet, c’est là le commencement : puisque les enseignants travaillent

avec les élèves et ont pour mission de les faire apprendre, leur propre conception de l’apprentissage est le fondement de leur profession, la base sur laquelle ils appuient leur pratique pédagogique. Cette conception repose elle-même sur des croyances et des convictions qui se développent tout au long de la vie professionnelle. J’en décris ici quelques-unes, essentielles, et je leur associe des questions pouvant servir la réflexion pédagogique d’abord individuelle, puis collective, par le par-tage et la discussion des réponses que chacun aura données. Ces croyances ou ces convictions apparaissent essen-tielles à qui veut favoriser l’apprentis-sage de tous les élèves. Examinons-les.

Les pratiques pédagogiques influencent l’apprentissageCette croyance se rapporte à ce que la recherche appelle l’effet-maitre. On sait bien que les attributs de l’élève ainsi que les caractéristiques socio-économiques de sa famille ont un impact sur son apprentissage. Tous les élèves n’arrivent pas à l’école avec le même bagage, les mêmes capaci-tés ou les mêmes chances. Mais ce qu’on ne voyait pas clairement, c’est l’effet-maitre : les pratiques pédago-giques et le climat de la classe ont autant d’impact sur l’apprentissage de l’élève que ses caractéristiques ou celles de son milieu. Cela signifie que

les pratiques pédagogiques « … ont un impact décisif sur ce que les élèves apprennent – et sur les inégalités qui en découlent » (Dubet et Duru- Bellat, 2015, p. 31). Certaines favo-risent l’apprentissage, d’autres lui nuisent. Le développement profes-sionnel prend ici tout son sens. Il s’agit de rendre ses pratiques pédagogiques plus aptes à favoriser l’apprentissage. Voici maintenant des questions pour explorer vos croyances. On pourrait même accompagner chacune d’un « Pourquoi? » ou d’un « Justifiez votre réponse ».

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Une réfLexion péDagogiqUe sUr sa propre conception De L’apprentissage – Des croyances, Des convictions essentieLLes

JEAN ARchAMbAULt Professeur Université de Montréal [email protected]

enseignement apprentissage

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tous les élèves peuvent apprendreCroyance incontournable! Sinon, pourquoi œuvrer en éducation? Pour-tant, il arrive que des enseignants uti-lisent certaines pratiques (isoler un élève à son pupitre devant la classe, se moquer d’une erreur…) ou émettent certains commentaires (« Lui, il n’y arrivera pas », « Comment se fait-il qu’il ne sache pas encore lire? », « J’ai déjà eu son frère dans ma classe : c’est la même chose, ils viennent bien de la même famille ») qui convainquent du contraire. Ils croient que cet élève ne peut pas apprendre. Dans les faits, tous les êtres humains peuvent le faire. Lorsqu’ils n’y parviennent pas, c’est généralement à cause d’un sen-timent de compétence amoché ou de pratiques pédagogiques nuisibles. Suivent des questions de réflexion dont on peut ici aussi expliquer ou justifier les réponses.

entretenir des attentes élevées à l’égard de tous les élèvesEntretenir des attentes élevées à l’égard des élèves signifie croire fer-mement que tous, sans exception, peuvent s’améliorer et réussir, et croire que la direction et le personnel de l’école ont les capacités pour faire en sorte que cela se produise (Archam-bault et Dumais, 2011). C’est d’une certaine manière une conséquence des deux convictions précédentes, croire que ses pratiques pédagogiques influencent l’apprentissage et croire que tous les élèves peuvent apprendre, qui fait entrer en jeu l’effet Pygmalion. Voici comment mon collègue, le pro-fesseur Marc-André Deniger, décrit cet effet, dans le docudrame Faire une

Voilà donc quelques éléments de réflexion pouvant servir à amorcer une réflexion pédagogique à l’école. Dans un prochain texte, j’examinerai certains aspects fondamentaux du phénomène de l’apprentissage afin d’étoffer sa propre conception de l’ap-prentissage.

références• Archambault, J. (2015). Réamorcer une réflexion

pédagogique – Partie 3. Vivre le primaire, 28(3),

p. 82-83.

• Archambault, J., et Dumais, F. (2011). Entretenir

des attentes élevées à l’égard des élèves. Des réponses

issues des écrits scientifiques et professionnels. Uni-

versité de Montréal et Programme de soutien à

l’école montréalaise (MELS). Disponible au :

https://www.webdepot.umontreal.ca/Usagers/

archaj/MonDepotPublic/Diriger/Outils/

Archambault%20et%20Dumais%2C%20

2011%2C%20Des%20attentes.pdf

• Conseil supérieur de l’éducation (2014). Le déve-

loppement professionnel, un enrichissement pour

toute la profession enseignante. Avis au ministre

de l’Éducation, du Loisir et du Sport et ministre

de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et

de la Science.

• Dubet, F., et Duru-Bellat, M. (2015). Dix proposi-

tions pour changer d’école. Paris : Seuil.

Il importe de maintenir des attentes élevées à l’égard de tous ses élèves : ils s’adapteront à celles-ci et ils apprendront mieux.

Croyez-vous vraiment que tous les élèves peuvent apprendre?

Sinon, quels élèves ne peuvent pas apprendre?

Pourquoi ces élèves ne peuvent-ils pas apprendre?

Que pouvez-vous y faire?

différence (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006) : « Un prof, ça interagit avec un groupe d’élèves en fonction des attentes que le prof projette sur son groupe. En d’autres termes, si un prof estime que son groupe est mauvais, il va avoir ten-dance à baisser le niveau d’attentes, et le groupe, lui, va se conformer au niveau d’attentes du maitre. C’est-à-dire si le maitre baisse la barre, ils vont tous collectivement baisser la barre. C’est connu, c’est documenté depuis longtemps. Ça s’appelle l’effet Pyg-malion. Un groupe d’élèves se com-porte en fonction du niveau d’attentes du professeur. »

Voilà pourquoi il importe de main-tenir des attentes élevées à l’égard de tous ses élèves : ils s’adapteront à celles-ci et ils apprendront mieux. Par ailleurs, il serait bien étonnant qu’un enseignant qui diminue les attentes en ait qui soient conformes à la réalité (future?) des élèves (« Lui, c’est un manuel », « Elle ne sera jamais médecin! »), alors qu’il n’inter-agit avec eux que pour de courtes périodes (1 an, 2 ans?). En effet, qui peut prévoir la tournure que prendra la carrière scolaire et professionnelle de l’élève? C’est pourquoi baisser ses attentes à l’égard des élèves est une pratique pédagogique nuisible. Il vaut mieux croire dans les capaci-tés d’apprendre des élèves. Voici des questions pour explorer.

Entretenez-vous des attentes élevées à l’égard de vos élèves? De tous vos élèves?

Quelles attentes entretenez-vous à l’égard de vos élèves?

Croyez-vous vraiment que tous vos élèves peuvent réussir?

Pourquoi certains élèves ne le peuvent-ils pas?

Que pouvez-vous y faire?