Une proposition princière

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Une proposition princireSusan Stephens

1Alessandro Bussoni de Ferara ne quittait pas des yeux la scne brillamment claire. Celle-l devrait faire l'affaire, murmura-t-il pensivement. Je vous demande pardon, sire ? demanda son voisin de table. Maigre, les traits ples et macis, Marco Romagnoli, son secrtaire particulier, incarnait le parfait diplomate. Tout le contraire d'Alessandro, qui n'tait jamais plus l'aise que dans l'action et le mouvement. Je dis qu'elle ferait l'affaire, rpta-t-il d'un ton impatient en adressant un regard d'autorit Marco.tu as fait dfiler devant moi toutes les jeunes filles mariables de la principaut, et aucune n'a russi me tenter. J'aime le physique de celle-ci... Et mme beaucoup plus que son physique, s'avoua-t-il en reportant son regard vers la scne. Cette fille possdait une nergie incroyable, qui rayonnait bien audel du dcor criard de la scne et le frappait en pleine poitrine. Tout ce qu'il avait lui offrir, c'tait un march froid et formel, mais sa bouche s'incurva dans cette histoire, il ne lui dplaisait pas de mler les affaires et la sensualit. Vous parlez srieusement, Votre Altesse ? murmura Marco avec prcaution pour ne pas attirer l'attention des autres dneurs. Tu crois que je plaisante quand il s'agit de dnicher ma future pouse ? rpliqua Alessandro d'une voix sourde. Je trouve cette jeune femme... amusante. Amusante, sire ? rpta Marco en suivant la direction de son regard. Vous parlez de la chanteuse du groupe ? Quelque chose redire ? demanda Alessandro en dardant sur son conseiller un regard de dfi. Non, sire, rpondit Marco. Mais si je puis me permettre une question impertinente... ? Je t'coute, l'encouragea Alessandro, un sourire aux lvres.

Eh bien, elle ferait l'affaire pour quoi exactement ? Je constate qu'elle est assez... Assez voluptueuse ? Audacieuse ? Sensuelle ? suggra Alessandro en tendant ses longues jambes car l'inactivit commenait lui peser. Tout cela la fois, hsita Marco, en fixant de nouveau la scne o la chanteuse entamait sa troisime chanson pour la plus grande satisfaction du public. Je comprends qu'une jeune femme de ce genre exerce un certain effet sur... Le secrtaire passa un doigt sous son col de chemise qui semblait l'touffer. Continue, le pressa Alessandro qui commenait s'amuser franchement. Prenant le temps de formuler sa rponse, le secrtaire dclara prudemment : Une vraie beaut, sire. Mais vous ne pensez srement pas... Autrement dit, je devrais en faire ma matresse, mais pas l'pouser? coupa Alessandro avec ironie, en regardant la chanteuse tenir langoureusement le micro contre ses lvres. Je ne vous le fais pas dire, sire, s'trangla Marco. A mon avis, une telle union crerait plus de problmes qu'elle n'en rsoudrait. Je ne suis pas persuad que les jeunes filles de bonne famille que tu m'as prsentes rempliraient mieux leur rle... ou le quitteraient sans crer de problmes, comme tu dis, objecta Alessandro. Il marqua une pause pour admirer de nouveau la gestuelle de la soliste. Comme je n'ai pas l'intention de briser un cur, c'est la solution parfaite. Je veux conclure un march honnte qui me procure une pouse court terme. A court terme, sire ? Alessandro se tourna pour rpondre l'inquitude qui perait dans la voix de son conseiller. Tu penses aux implications qu'un tel arrangement entranerait, n'est-ce pas ? C'est que je ne voudrais pas que l'on profite de vous, sire, dit Romagnoli avec anxit. a n'arrivera pas, lui assura Alessandro. Je veillerai ce que personne ne soit ls. Mais vu la lgislation archaque de notre pays, je ne vois pas d'autre issue au problme de succession. Comme mon pre veut se retirer du pouvoir, je dois me marier immdiatement. Il est vident que cette jeune personne est intelligente. Quand je lui ferai ma proposition, elle verra d'emble les avantages qu'une telle union peut lui apporter. Il se pencha vers son conseiller. Marco, tu vas aller dire cette jeune femme que je souhaiterais lui parler aprs le spectacle. Ne fais surtout pas mention de mon titre, l'avertit-il. Si elle pose des

questions, dis seulement que j'ai une proposition lui faire. Et n'oublie pas de lui demander son nom. Trs bien, sire, acquiesa Marco avec rticence, avant de tressaillir en voyant la chanteuse battre la mesure d'un air provocant. Sans un mot de plus, il quitta la table d'honneur. Ds qu'elle eut regagn la loge, Amlie Weston s'installa devant la coiffeuse et tlphona sa sur jumelle. Miranda, comment affrontes-tu les casse-pieds qui tranent en coulisses et insistent pour tre admis dans ta loge ? demanda-t-elle en calant le combin contre son paule pour appliquer la crme dmaquillante dont se servait sa sur. a dpend du visiteur, concda Miranda entre deux ternuements. Pourquoi n'ouvres-tu pas pour voir quoi ressemble celui-ci ? Pas question ! a ne fait pas partie de notre arrangement. S'il a une tte de monstre, renvoie-le dans ses pnates. Et s'il est mignon, adresse-le-moi. Il ne verra pas la diffrence. Si mme papa et maman ne peuvent nous distinguer l'une de l'autre, je doute qu'il puisse le faire. Qu'est-ce que tu risques ? Ecoute, il faut que je raccroche, dit Amlie d'une voix pressante, comme d'autres coups imprieux branlaient la porte. J'ai dj dit l'missaire de ce monsieur que je ne recevais personne. Mais apparemment il n'a pas compris... Il a dpch quelqu'un pour te parler ? coupa Miranda d'une voix anime. De mieux en mieux ! C'est peut-tre une clbrit. J'en doute, tempra Amlie en tant ses faux cils devant le miroir. Quoique... Quand j'ai annonc son reprsentant que je ne voulais pas le recevoir, il a marmonn quelque chose comme... le prince va tre du . Quoi ? Amlie ! Triple nouille ! s'exclama Miranda aprs une autre srie d'ternuements. Prince Records, c'est le nom de la maison de disques avec laquelle mon groupe espre signer ! Et tu as envoy leur agent sur les roses ? Je peux demander aux musiciens de ngocier l'affaire, non ? suggra Amlie pour se racheter. Tu n'y penses pas ! A l'heure qu'il est, ils sont srement partis boire un verre. Et de toute faon, sans moi, ils seraient capables de signer n'importe quoi. Elle dut se ranger cet avis. Les cinq musiciens de Miranda taient de purs idalistes. Si tu m'avais parl de votre projet, je n'aurais pas fait une telle gaffe, se plaignit-elle. Bon, je vais voir ce que je peux faire. Elle raccrocha en hte, car on frappait de nouveau. Visiblement, l'agent n'avait pas l'intention d'abandonner la partie. Arrachant une poigne de Kleenex, elle courut se rfugier derrire le paravent. Entrez ! cria-t-elle sur une impulsion.

Bon sang ! Etait-elle folle ? pensa-t-elle en tant les dernires traces de maquillage. Mais dj la porte s'ouvrait. Bonsoir... Mademoiselle Weston ? Vous tes l ? Elle se raidit. Elle avait entendu toutes sortes de voix masculines. Cependant, aucune n'avait jusqu'ici eu un effet aussi direct sur ses sens. Italien, supposa-t-elle, percevant une pointe d'accent tranant et sexy. Elle imagina le nouvel arrivant examinant le dsordre de la loge, cherchant des yeux l'endroit o elle se cachait, et une sorte d'veil sensuel s'empara de son tre. Mettez-vous l'aise, proposa-t-elle, heureuse de rester invisible. Je suis en train de me changer. Merci, mademoiselle. Surtout ne vous pressez pas pour moi. L'autorit dans sa voix lui donna des frissons dans le dos. Elle pensa un fauve. Un animal souple, extraordinairement fort et... dangereux. L'aura de cet homme semblait envahir l'espace de la loge. Puis-je vous aider ? s'enquit-elle poliment en cherchant un interstice dans le paravent. C'est ce que j'espre. Cette rponse contenait une certaine arrogance, une bonne dose d'amusement en mme temps qu'un accent de mondanit qui la troublrent, comme si cet homme la surprenait en flagrant dlit d'espionnage. Prenant une inspiration pour se donner du courage, elle essaya de voir quoi ressemblait son visiteur. Mais elle ne put distinguer autre chose que de larges paules dans un smoking noir et une charpe de soie ivoire jete ngligemment autour du cou de l'individu. Un homme la taille impressionnante, aux cheveux bruns et soyeux. Le genre de chevelure qui donnait envie d'y enfouir ses doigts... Elle tressaillit et se reprit. Ses sens taient en alerte simplement cause d'une voix masculine ! Elle pouvait avoir affaire un monstre, pour ce qu'elle en savait, mais son corps ragissait comme si Apollon lui-mme venait d'entrer dans la loge. Elle n'allait pas se laisser tourner la tte quand le contrat de Miranda tait en jeu ! Je suis dsole, monsieur... Bussoni. Alessandro Bussoni. Monsieur Bussoni, reprit-elle en regagnant un peu d'assurance. Je n'ai pas rserv un accueil trs chaleureux la personne qui s'est prsente de votre part... Vraiment ? Il ne m'en a rien dit.

Elle commenait se faire une ide assez prcise de son visiteur prsent. L'image d'un chasseur aux aguets surgit dans son cerveau. Oui, un chasseur qui utilisait tous ses sens pour cerner sa proie. Vous aimeriez discuter de la possibilit d'un contrat avec mon groupe, j'imagine ? dit-elle prudemment. Il y eut un long silence, durant lequel elle eut l'impression que l'homme examinait chaque objet de la loge qui le renseignerait sur elle, tirant ses propres conclusions. Post devant le miroir de la coiffeuse, cela lui tait facile, il pouvait mme surveiller le coin o elle se cachait ! Elle avait accept de remplacer Miranda au pied lev, ce qui signifiait qu'elle tait venue directement aprs son travail, sans avoir eu le temps de s'informer sur le spectacle, et encore moins sur les personnes qui figureraient dans le public. Elle n'avait donc pas pens dissimuler ses affaires personnelles. Vous reprsentez Prince Records, n'est-ce pas ? lana-t-elle d'un ton professionnel, en esprant pousser l'homme des aveux. Vous serait-il possible de sortir de l pour que nous discutions face face ? Une suggestion assez sense, admit-elle. Sauf que Miranda se montrait toujours trs maquille. Si elle voulait se faire passer pour sa sur, il tait hors de question qu'elle apparaisse maintenant, le visage totalement lisse et net. Cela va srement vous paratre impoli de ma part, aprs la peine que vous avez prise pour venir jusqu'ici, mais je suis plutt fatigue ce soir. Si vous vouliez bien remettre cette discussion demain ? dclara-t-elle, sachant que Miranda serait alors rtablie et capable d'assumer de nouveau ses responsabilits. Demain, 15 heures ? Qu'avait prvu Miranda le lendemain ? Elle tait brusquement incapable de s'en souvenir. Tout ce qu'elle savait, c'tait qu'il tait vital pour le groupe de sa sur de dcrocher ce contrat. a me convient, dit-elle en hte. Mais pas ici. O vous voudrez. Amlie passa en revue diffrentes possibilits, qu'elle repoussa une une jusqu' la dernire. Pourriez-vous venir dans le nord de Londres ? Un rendez-vous chez ses parents semblait indiqu. N'avaient-ils pas demand ce que Miranda vienne se reposer chez eux pour soigner son mauvais rhume ? Amlie savait aussi qu'on pouvait compter sur eux pour meubler la conversation. Pourquoi pas ? C'est--dire, si vous tes toujours intress. Intress ? pensa Alessandro en accentuant son sourire. S'il avait t fascin tout l'heure, prsent il tait dvor de curiosit.

Du doigt, il effleura l'agenda de cuir pos sur la coiffeuse et le stylo-plume de luxe. Le sac main jet sur le pouf tait de qualit, et le tailleur noir sur le portant tait sign Armani, il en aurait jur. Son regard balaya le tapis us qui avait d tre rouge, o une paire d'escarpins noirs tranait avec un grand sac en feutrine. Le long du mur, il remarqua une valise-trolley... Monsieur Bussoni, vous tes toujours l ? L'attention d'Alessandro se porta vers le paravent. Il y avait une trace d'anxit dans la voix de la jeune femme, nota-t-il avec satisfaction. Ce contrat comptait apparemment beaucoup pour elle. Il jeta un coup d'il au costume de scne abandonn sur une chaise. Dcidment, quelque chose clochait dans cet attirail htroclite. A une condition, rpondit-il en adoptant le ton froid d'un impresario press. Que vous dniez avec moi aprs notre entretien. Vous aurez peut-tre des questions me poser, et nous aurons beaucoup de choses rgler. Tandis qu'il attendait la rponse de la jeune femme, il fut surpris de sentir une vague d'excitation l'envahir. C'est d'accord, dit celle-ci d'une voix neutre. J'avertirai les autres membres du groupe... Non, rpondit-il d'un ton catgorique. Je prfre traiter avec un seul interlocuteur, et c'est vous que je choisis, mademoiselle Weston. Etes-vous d'accord pour que nous ngociions de cette faon ? Tout fait, confirma-t-elle d'une voix un peu dconcerte. Alors je vous laisse mon numro. Je vous demanderai de bien vouloir tlphoner demain la premire heure et de communiquer mon secrtaire l'adresse de notre lieu de rencontre. Trs bien, je le ferai. A demain, mademoiselle Weston. A demain. Il jeta un dernier coup d'il assur en direction du paravent avant de quitter la loge. La gazelle qui se cachait l-derrire ne perdait rien pour attendre. Amlie russit annuler tous ses rendez-vous du lendemain et conduisit sa sur chez leurs parents en dbut d'aprs-midi. S'arrtant dans l'alle gravillonne du pavillon, elle coupa le moteur et se tourna vers sa jumelle en tentant encore une fois de l'amener la raison. Ce type est diffrent de tous ceux que j'ai rencontrs jusque-l, Miranda. Ce serait une erreur de le sous-estimer. Il t'a tap dans l'il, on dirait, rpondit celle-ci en lui coulant un regard de biais.

Pour ce que je l'ai vu ! se dfendit-elle. Et ne dtourne pas la conversation. C'est de toi qu'il s'agit, pas de moi. En effet, Miranda avait t violoniste dans un orchestre classique pendant quelques annes avant d'tre remarque par un minent professeur japonais qui lui donnait maintenant des leons de haut niveau. Pour les payer, elle avait form un groupe dont elle tait la chanteuse. Si, au dbut, ils ne se produisaient qu'occasionnellement, le week-end, prsent les spectacles se succdaient, et Miranda tait de plus en plus accapare par cette activit. J'ai besoin de signer avec cette maison de disques pour encore un an environ, annona-t-elle. Le temps de lancer ma carrire de premier violon. Amlie prit un air soucieux. Sa sur savait-elle quoi elle s'engageait? Prince Records te fera un procs si tu les laisses tomber... Ils trouveront sans problme une autre chanteuse. Les garons, eux, sont de bons musiciens. - Je ne vois pas ce que tu gagnes continuer ainsi, insista-t-elle. Tu ne pourras pas la fois respecter ton contrat avec Bussoni et pratiquer le violon de manire intensive comme l'exige le professeur Iwamoto. Ce ne sera pas pour trs longtemps, je te dis, s'obstina Miranda. J'y arriverai. Sur quoi, elle sortit de la voiture et se dirigea vers le perron. Ne sois pas sotte, dit Amlie en la rattrapant. Plus le groupe remportera de succs, moins ton projet aura de chances d'aboutir... Mais l'expression qu'elle lut cet instant sur le visage de sa jumelle lui fit mal. Elle l'arrta pour la serrer dans ses bras. Tu regrettes toujours ce violon que nous avons admir Heidelberg, n'est-ce pas ? dit-elle doucement. C'tait un rve stupide, de toute faon... Ecoute, je n'y connais rien en violons, mais sous tes doigts cet instrument rendait un son merveilleux. Il cote une fortune, et il est srement vendu maintenant, gmit Miranda. Amlie soupira et tenta de calculer ce que la vente de son appartement londonien lui rapporterait. Si Miranda en restait locataire, elle n'en saurait rien. Elle prfrait cette solution, aussi dsespre ft-elle, plutt que de voir sa sur perdre l'occasion de devenir une grande musicienne. Si je peux t'aider, je le ferai, lui promit-elle. 1b en fais assez comme a, rpondit Miranda en pressant la sonnette d'un geste irrit. Tu ne me fais dj pas payer de loyer... En compensation, tu remplis le frigo de masques de beaut, termina Amlie en riant. J'ai des placements, tu sais... Non, pas question ! L'ouverture de la porte d'entre interrompit leur discussion.

Les filles, vous ne vous disputez pas, j'espre ? dit leur mre en les accueillant. Mais non, maman, s'crirent-elles en chur. Dans l'troit vestibule, Amlie huma une bonne odeur de gteau. Tb as l'air fatigu, fit remarquer sa mre. Quant toi, Miranda... La voix de Sonia Weston prit une inflexion aigu qui rvlait son instinct maternel. Tu as besoin d'une bonne cuillere de sirop avec une tasse de th bouillant. Ai-je entendu le mot magique ? Paul Weston apparut la porte de son bureau et vint les embrasser. Aprs quoi, il les entrana vers la cuisine, leur mre fermant la marche. Amlie, intervint celle-ci, ce serait mieux que tu dfendes les intrts de Miranda auprs de cet imprsario. Tu es moins motive que ta sur. Amlie hocha la tte nerveusement, loin de se rjouir de ce vote de confiance : son instinct lui dictait qu'il tait impossible de se dfendre contre Alessandro Bussoni. Dj, elle sentait son cur s'emballer l'ide d'accueillir dans la petite maison familiale cet homme dont elle ne connaissait que la voix. Il remplirait l'espace de sa prsence, sans parler du fait qu'ils risquaient de se frler... Tu seras plus l'aise, j'en suis sre. Amlie ? L'inquitude contenue dans la voix de sa mre pntra enfin sa rverie, et elle s'empressa de la rassurer. Vous pouvez compter sur moi, dit-elle avec un sourire de commande. Je ngocierai avec le signor Bussoni... Un Italien ? s'exclama Sonia en vrifiant inconsciemment sa coiffure. Comme c'est passionnant ! Et quand dis-tu qu'il doit arriver ? A l'instant, on dirait, rpondit Paul en jetant un coup d'il par la fentre.

9Alessandro vrifia l'adresse que son secrtaire lui avait fournie et se sentit parcouru d'un frisson d'anticipation. Il n'avait pas l'habitude d'attendre, et encore moins d'accepter des conditions autres que les siennes. Or, non seulement il brlait d'impatience depuis 18 heures, mais il se trouvait au volant d'une banale voiture de location devant un modeste pavillon mitoyen du nord de Londres ! L'incongruit de la situation lui arracha un sourire amus. Son regard aigu embrassa le carr de pelouse frachement tondue, le pot de ptunias sur le perron... Pour un habitu des palaces et des suites prsidentielles comme lui, cette immersion en banlieue tait un dpaysement total. Non, un agrable changement, rectifia-t-il en tant ses lunettes de soleil.

Un geste qui ne passa pas inaperu auprs de la famille Weston rassemble derrire la fentre de la cuisine. Waouh ! murmura Miranda. Il est craquant ! Oh ! Par exemple ! laissa chapper Mme Weston avec motion. Miranda, monte vite avant qu'il ne te voie et reste l'tage jusqu' ce qu'il soit parti ! commanda Amlie. Mais tu n'es mme pas maquille ! s'exclama sa sur, hsitant s'loigner de la fentre. Zut ! Je n'y avais pas pens, gmit-elle. Seigneur ! Jamais elle ne se ferait passer pour sa sur ! Elle tait vtue d'un jean, d'un T-shirt blanc et d'une paire de sandales en cuir, et ses cheveux taient relevs en un chignon flou au moyen d'une barrette fantaisie. A l'oppos de cette dcontraction, Miranda s'tait farde outrageusement malgr son rhume et portait des escarpins vertigineux, bien qu'elle et dj des jambes interminables. Montez toutes les deux, intervint leur pre en devinant son hsitation. Je me charge d'occuper un moment notre visiteur. Tu es un amour, murmura Amlie avant de se ruer dans l'escalier la suite de Miranda. Une fois rfugies dans leur ancienne chambre, elles coutrent derrire la porte, osant peine respirer, et se distriburent rapidement les rles. La partie risquait d'tre difficile jouer pour Miranda, qui se sentait trs affaiblie, mais elles n'avaient pas le temps d'changer leurs personnalits. Elles affronteraient donc ensemble Alessandro Bussoni, qui serait persuad que c'tait Miranda qu'il avait vue la veille sur scne. Les filles ? Vous avez de la visite, fit entendre leur pre du bas de l'escalier. Dtends-toi, murmura Amlie en prenant le poignet de sa jumelle. Tout se passera bien. Alors pourquoi trembles-tu ? lui souffla celle-ci. Entrez, les invita Paul Weston la porte du salon. Puis se tournant vers leur visiteur avec un sourire engageant : Vous connaissez dj Miranda... Quand elle eut pntr dans la pice la suite de sa sur, Amlie se sentit incapable de penser. Son esprit enregistrait l'image d'un homme dont la perfection physique tait presque douloureuse. Ses cheveux d'un noir de jais, lgrement plus longs que le style anglais, taient rejets en arrire et encore bouriffs par le vent. Ses lvres taient presque trop bien dessines, et son regard de bronze tait le plus expressif qu'elle et jamais crois. Alessandro se prsenta avec une lgre inclinaison du buste, puis les regarda tour tour, l'air lgrement berlu. Mademoiselle Weston ? murmura-t-il. Miranda s'avana et lui tendit poliment la main.

Ravie de vous voir, monsieur Bussoni, dit-elle avec un soupir audible quand Alessandro porta sa main ses lvres. Moi de mme, rpondit-il d'une voix chaleureuse. Mais c'est l'autre demoiselle Weston que je suis venu voir. L'autre demoiselle... ? balbutia sa jumelle. Prise de panique, elle se tourna vers elle. Ecarlate, au comble de l'embarras, Amlie souhaita que le sol s'ouvre sous ses pieds pour l'engloutir. Exactement, reprit Alessandro d'une voix teinte d'humour. Car c'est bien vous qui m'avez invit venir, n'est-ce pas ? ajouta-t-il en s'adressant cette fois directement elle. Pendant quelques secondes, personne ne fit un geste. Si leurs propres parents arrivaient tout juste les distinguer l'une de l'autre, songea Amlie, le cur battant, comment ce Bussoni y parvenait-il ? Sur ces entrefaites, leur mre, jusque-l occupe prparer le th, entra dans la pice. Ah ! Signor Bussoni, quel plaisir de vous avoir parmi nous ! Le plaisir est pour moi, chre madame, dit Alessandro en s'inclinant lgamment. Avez-vous dj entendu Miranda jouer ? demanda-t-elle. Son interprtation du concerto pour violon de Brahms est une merveille, cela lui a valu un premier prix au conservatoire. Du violon ? L'esprit d'Alessandro fonctionnait toute vitesse. Se trouvait-il pris son propre pige ? Son plan lui avait paru audacieux, mais il sentait que cette famille cherchait l'attirer vers quelque chose de plus fou encore. Dans quel gupier s'tait-il fourr ? Il jeta un coup d'il celle que son htesse avait appele Miranda. A ses vtements provocants, son visage maquill comme une voiture vole, il l'aurait prise pour une danseuse de cabaret, alors qu'apparemment elle tait violoniste. Puis il porta son attention sur le visage plein de fracheur de celle qu'il tait venu voir. Cette jeune fille anglique aux joues lgrement empourpres, au fascinant regard vert jade, qui devenait chanteuse le soir. Il aurait volontiers poursuivi son examen si les protestations de Miranda Weston ne l'avaient tir de sa contemplation. Maman, je t'en prie, s'exclama celle-ci. Cela n'intresse pas M. Bussoni. Amlie, dis quelque chose ! Amlie , se rpta-t-il mentalement. Il aimait l'harmonie de ce prnom, ses sonorits, son charme anglais dlicieusement surann. Amlie, Amlie ...

Ce n'est pas Amlie qui m'arrtera, coupa Mme Weston. Si personne ne parle de ton merveilleux talent, comment comptes-tu jouer un jour de ce violon que tu admirais tant Heidelberg ? M. Bussoni est venu parler des contrats d'enregistrement pour le groupe de Miranda, glissa Amlie. Il l'coutera jouer une autre fois. Et ce sera avec grand plaisir, madame, confirma Alessandro. Mais n'est-ce pas vous que j'ai entendue chanter hier soir ? Il s'tait tourn vers la jeune femme en T-shirt blanc qui restait mduse. Ma sur m'a remplace parce que j'tais enrhume au point d'tre aphone, avoua l'autre d'un air contrit. En gnral, personne ne nous distingue l'une de l'autre... Je vois, commenta Alessandro en tudiant le visage d'Amlie. Il l'aurait reconnue mme si on lui avait prsent dix autres surs identiques. Chanter n'est qu'un passe-temps pour moi, expliqua Amlie, apparemment trouble par son regard insistant. Mais si vous aviez entendu Miranda, vous lui auriez fait signer un contrat sur-le-champ. Possible, rpondit-il tandis que ses yeux exprimaient le doute le plus absolu ce sujet. Il se fichait comme d'une guigne que Miranda Weston chantt faux ou non. Il ne cessait de dvorer du regard la beaut de sa jumelle, sa silhouette gracile... Il dsirait cette femme comme il n'avait jamais dsir aucune autre. Oui, elle incarnait tout ce qu'il cherchait pour mettre son plan excution. Et plus que a, se dit-il avec tonnement. La sonnerie du tlphone, quelque part dans la maison, interrompit ses rflexions. J'y vais ! annona M. Weston en s'loignant. Si a ne vous drange pas, commena Miranda, je... Elle vacilla et se passa une main sur le front. Tu as encore de la fivre, intervint Mme Weston. Tu devrais monter te coucher. Je vais l'accompagner, proposa Amlie. Voulez-vous m'excuser, monsieur Bussoni ? Je descendrai servir le th dans un instant. Ce ne sera pas ncessaire. Vous n'allez pas partir maintenant ? dit-elle un peu trop rapidement. C'est que nous n'avons pas encore discut du contrat, se reprit-elle pour temprer son ardeur. Monsieur Bussoni, dclara Miranda d'une voix faible, ma sur a toute ma confiance. Vous pouvez lui soumettre votre proposition. Elle se tenait sur le seuil, et un instant son visage soigneusement maquill fut aurol d'un rayon de soleil venant de la fentre du vestibule.

Belle fille, pensa Alessandro objectivement. Et, cette couche de peinture en moins, la copie conforme de sa sur. Enfin, presque. Car personnellement il ne la trouvait pas attirante. Pas le moins du monde. Trs bien, mademoiselle Weston. Je pense que votre sur trouvera mon offre allchante, rpondit-il finement. Quand Amlie revint dans la pice, Alessandro tait confortablement install sur le canap recouvert de chintz, en grande conversation avec sa mre. Il se tourna aussitt vers elle. Vous avez pour habitude de rgler les affaires de votre sur ? Elle se targuait de reconnatre un adversaire au premier coup d'il. Et celui-ci tait de taille, songea-t-elle. Pas du tout. Mais nous ne sommes pas ici pour parler de moi, signor Bussoni, rpondit-elle avec prcaution. Alessandro, je vous en prie. Il souligna ces mots d'un regard amus. Une tactique destine la dsarmer, elle en aurait mis sa main au feu ! Il y avait quelque chose de calculateur au fond de ses yeux tonnants, et elle sentit son corps rpondre au dfi viril qu'ils lui lanaient. Nous devons discuter de points importants, vous et moi. Dont certains que je n'avais pas prvus. Je vous enverrai ma voiture ce soir, 20 heures. La voix du beau visiteur coulait comme du miel sur les sens d'Amlie. Comment pouvait-elle en tre affecte ce point ? Quand il se leva, la pice parut se rtrcir. Oh ! Vous ne restez pas pour le th ? s'enquit Mme Weston, due. Maman, nous ne devons pas abuser, intervint Amlie en s'efforant de rendre sa voix neutre. M. Bussoni rserve dj sa soire pour discuter de l'avenir de Miranda. Celui-ci approuva d'un signe de tte. A ce soir, mademoiselle Weston. Au revoir, monsieur Bussoni, rpondit Amlie sur le mme ton formel. Alessandro, corrigea-t-il doucement. Elle se sentit dlicieusement aspire par son regard sombre qui semblait l'atteindre jusqu'au trfonds de son tre, et oublia d'tre sur ses gardes. Dans ce moment de confusion, Alessandro lui prit la main et la porta ses lvres. Un bref contact, mais il n'en fallut pas plus pour que son esprit se mette driver, en mme temps qu'une douce chaleur envahissait ses veines. Puis Alessandro descendit l'alle pour rejoindre sa voiture. Avait-il un don de seconde vue ? se demanda Amlie en voyant la haute silhouette merger de l'htel, au moment prcis o la limousine qui la transportait s'arrtait devant l'tablissement.

Rien ne l'aurait surprise de la part d'Alessandro Bussoni. Devanant le portier et le chauffeur, il vint lui-mme lui ouvrir la portire. Elle sentit sa bouche s'asscher et faillit se recroqueviller sur la luxueuse banquette comme si elle portait une tenue ose. Heureusement, elle avait pris soin de revtir un tailleur bleu marine dont la jupe sage lui arrivait aux genoux. Bienvenue, mademoiselle Weston, l'accueillit-il en se penchant vers elle. Pour l'aider descendre ou l'empcher de s'chapper ? se demanda-t-elle en sentant de longs doigts enserrer les siens. Une onde de chaleur tratresse fusa le long de son bras. Bon sang ! Ce n'tait pas un tailleur qu'elle aurait d porter, c'est une armure ! Appelez-moi Amlie, balbutia-t-elle malgr son trouble. Dans toute ngociation, la premire rgle respecter tait de garder un ton cordial mais formel. Et voil qu'elle ragissait comme une jeune fille son premier rendez-vous ! Veuillez m'excuser de ne pas tre venu moi-mme vous chercher, dclara Alessandro en s'effaant pour la laisser franchir les portes tambour. Elle baucha une vague rponse et concentra son attention sur le portier en grande tenue. Elle tait si occupe maintenir une distance respectable entre elle et l'homme qui l'escortait vers l'intrieur de l'htel qu'elle faillit ne pas entendre la suite de sa remarque. J'ai t retenu par des affaires d'Etat assez urgentes... Des affaires d'Etat ? s'tonna-t-elle. Mais il tait difficile de rflchir au milieu de l'agitation qui rgnait dans le hall de l'htel. Au premier flash de magnsium, elle balaya l'endroit du regard, imaginant que quelque clbrit s'y trouvait. Puis elle se rendit compte qu'un petit groupe de photographes les entourait. Esquissant un sourire incertain, elle s'effora de rgler son pas sur la foule nergique d'Alessandro Bussoni. Je suppose qu'ils n'ont rien de mieux faire pour l'instant ? dclara-t-elle avec ironie. Qui ? Oh ! Les photographes ? rpondit Alessandro comme s'il s'apercevait seulement de leur prsence. Quand on y est habitu, on finit par ne plus les remarquer. Ils doivent attendre l'vnement de la soire. L'vnement ? s'tonna Alessandro en s'arrtant pour la dvisager. Oui... L'arrive d'un V.I.P., d'une star du show-biz par exemple. Dans un htel de cette classe... Alessandro serra les lvres et ses yeux sombres brillrent d'une lueur amuse. Vous avez raison. Ce doit tre terriblement ennuyeux pour eux de faire le pied de grue.

Mais il n'y avait pas que les photographes qui s'intressaient eux, constata-telle. Toutes les personnes prsentes les regardaient tandis qu'ils traversaient le salon brillamment clair. Rien d'tonnant cela, raisonna-t-elle en jetant un coup d'il furtif son compagnon. Cet homme tait d'une sduction qui dpassait de loin les strotypes masculins dans ce domaine. Son costume sombre, sobre et parfaitement coup, portait certainement la griffe d'un grand couturier. Sa chemise avait la couleur bleue des glaciers, teinte qui accentuait son hle et rendait ses yeux encore plus brillants, plus passionns. Et si chic ft-elle, sa tenue ne servait qu' mettre en valeur une virilit flamboyante. Elle dtourna le regard. Cette soire tait une runion d'affaires, pas un dner intime. Des affaires d'Etat, avez-vous dit ? demanda-t-elle, dcide obtenir une rponse. Le rire lent et sexy qui salua sa question joua trangement sur ses sens. Si elle avait espr faire abstraction mme un seul instant du charme d'Alessandro Bussoni, elle en tait pour ses frais ! Ils arrivrent devant un ascenseur priv install l'cart du salon, et elle vit Alessandro pianoter un code. Les portes coulissrent silencieusement et ils pntrrent dans une luxueuse cabine tout en miroirs, avec banquette capitonne et tlphone. Pour l'usage exclusif de quelques privilgis, songea-t-elle en coulant un regard pensif vers son compagnon. Qui tait en fait Alessandro Bussoni ? Vous n'avez toujours pas rpondu ma question, insista-t-elle. J'ai pris la libert de commander un lger souper. Il nous sera servi un peu plus tard. Ainsi, nous pourrons mieux nous concentrer sur ces ngociations. Si ce commentaire tait assez affable, le regard qui l'accompagnait suggrait l'autorit. Alessandro Bussoni entendait visiblement diriger les oprations. Elle devait donc lutter pour garder le contrle d'une situation qui, sinon, lui chapperait irrmdiablement. Vous avez parl d'une affaire d'Etat, lui rappela-t-elle avec obstination. Et je vous ai pos une question... Si les mots avaient toujours t son arme la plus efficace, force lui tait de reconnatre que, face Alessandro Bussoni, ils demeuraient sans effet. Sur une impulsion, elle le prit par le poignet. Allez-vous m'expliquer la fin ? demanda-t-elle sur un ton exaspr. En une fraction de seconde, elle sut qu'elle venait de commettre une erreur. Elle tait folle d'agresser cet inconnu dans un ascenseur ! Sa peau tait tide, souple, et elle sentait sous sa paume la chevalire qu'il portait l'auriculaire. Elle se ressaisit aussitt et le relcha, les yeux sur le bijou armori.

C'est le blason de ma famille. Cela satisfait-il votre curiosit ? dclara Alessandro d'une voix nonchalante. Votre blason ? rpta-t-elle, tonne. Elle n'eut pas le temps d'en dire plus. En un clair, il lui avait saisi son tour le poignet et examinait le bouton de manchette qui fermait la manche de son chemisier. Si vous commenciez par m'expliquer ceci ? rpliqua-t-il. Impossible de se dgager d'une telle emprise. Mais le voulait-elle seulement ? Dans un lan de panique, elle s'aperut qu'elle se laissait faire. C'est le poinon de mon cole de droit, avoua-t-elle. Ah ! murmura Alessandro, satisfait d'entendre ce qu'il souponnait dj. Avocate ? Amlie acquiesa brivement. Tout devenait clair, songea-t-il. Le sac qu'il avait vu dans la loge devait contenir son costume d'audience et sa perruque, et la valise-trolley ses dossiers. Quant aux vtements stricts aperus sur le portant, c'taient ceux qu'elle portait sous sa toge pendant les audiences. La seule touche de fminit dans cet accoutrement tait la paire de chaussures noires hauts talons... Et vous ? Que faites-vous ? demanda Amlie cet instant. Une lueur combative s'tait allume dans ses yeux verts, et il sut qu'il n'aurait pas la partie facile. Logiquement, tout ce qu'il avait faire, c'tait amener Amlie Weston signer le contrat prpar par ses avocats. Seulement, cette femme qui l'attirait follement compliquait ce plan. Car la dernire chose qu'il souhaitait, c'tait de lui rvler son identit dans un ascenseur ! Voici notre tage, annona-t-il comme l'ascenseur ralentissait. Encore une fois, il ludait la question ! Se matrisant grand-peine, Amlie chercha un drivatif son irritation croissante. La premire chose qu'elle nota fut l'agrable harmonie entre son parfum lger et fleuri et celui, plus exotique, d'Alessandro, un mlange de bois de santal et d'pices. Ce qui n'tait pas la meilleure des distractions ! Comme les portes de la cabine coulissaient, elle en ressentit de la dception. Elle aurait presque souhait qu'il bloque la cabine entre deux tages pour... trs, trs longtemps ! Amlie ? Vous m'avez entendu ? Reprenant ses esprits, elle dcouvrit qu'il avait ouvert une porte double battant et l'invitait l'intrieur. Je suis dsole, s'excusa-t-elle en le suivant. Je vous demandais si vous dsiriez une coupe de Champagne ?

Oh ! Non, merci. Juste un verre de jus d'orange jusqu' ce que nous ayons conclu ce contrat. Aprs quoi, vous prendrez du Champagne ? Je n'ai pas dit cela... Alessandro. Une fois que nous serons tombs d'accord, je m'en irai. Comme vous voudrez, dit-il d'un ton neutre. Les avocats ne sont pas les gens que je prfre frquenter pendant mes loisirs. Une nouvelle fois, elle fut due. Car il fallait tre aveugle pour ne pas remarquer qu'Alessandro tait un homme sensuel au dernier degr. Mais elle devait tout prix oublier l'attirance physique qu'elle ressentait, si elle voulait avoir une chance de mener bien ces ngociations qui s'annonaient ardues. Facile dire, mais comment ignorer ces regards nonchalants dont il la couvait ? Au moment o il se dtourna pour servir leurs boissons, elle prit une profonde inspiration pour allger la tension qui l'accablait. Reste calme , s'intima-t-elle. Calme et impersonnelle. Aprs tout, il ne s'agissait que d'une discussion d'affaires...

17Laissant son sac main sur une console dessus de marbre, Amlie regarda autour d'elle. Elle se trouvait dans un salon de dimensions royales dont le dcor de style anglais tait somptueux l'excs. Partout, ce n'tait que meubles de prix, soieries, cachemires, damasss... Pas trs intime, n'est-ce pas ? Elle sursauta. Alessandro s'avanait vers elle, le regard riv au sien. Eh bien, c'est trs... Oui ? l'encouragea-t-il en notant les efforts qu'elle faisait pour prendre le verre qu'il lui tendait sans le frler. On a russi ..., commena-t-elle en choisissant ses mots pour ne pas l'offenser. A condenser les tendances folkloriques de votre pays pour impressionner le touriste nanti ? suggra-t-il en la contemplant avec amusement. C'est a, admit-elle en souriant malgr elle. Comment avez-vous devin que c'est exactement mon impression ? Si nous tenions cette runion dans un endroit plus... discret ? proposa Alessandro. Ne prenez pas cet air effarouch. Ma chambre est aussi grande que cette pice, mais il y en a une autre plus petite que j'ai fait transformer en bureau pour la dure de mon sjour.

Je vois, fit Amlie d'un air absent en le regardant extraire quelques documents d'un dossier pos sur la table. Pourquoi ne remarquait-elle que ses mains hles, expertes... Amlie ? Je vous demande de me suivre dans mon bureau pour que nous puissions commencer cet entretien. La voix de son hte tait amuse, tolrante mme, et elle se hta d'adopter une attitude dtermine. Reprenant son sac, elle lui embota le pas, mais comme il ouvrait une porte et s'effaait pour la laisser entrer, elle pila net. La pice tait petite. Etroite, mme. Elle passa devant Alessandro en essayant de ne pas l'effleurer. Il lui parut immense, et son aura d'assurance et de virilit lui confrait une prsence crasante, ce qui n'arrangeait rien. Trs impressionnant, commenta-t-elle d'une voix rauque en feignant de s'intresser l'quipement high-tech dernier cri qui meublait la petite pice. Asseyez-vous, l'invita-t-il en lui dsignant un sige capitonn devant le bureau d'acajou. Lui-mme s'installa derrire le bureau avec une lgance fline. Voulez-vous ouvrir le dbat ? suggra-t-il. Les mains sagement croises sur les genoux, elle s'effora de ne garder l'esprit que l'issue de cette entrevue. Comme vous le savez, mon but est d'obtenir le contrat le plus favorable pour le groupe de ma sur... Un contrat d'enregistrement qui procurerait Miranda l'argent ncessaire pour acheter un violon rare et parfaire sa formation, c'est bien a ? C'est une faon plutt rapide de prsenter les choses. Et comment voudriez-vous poser le problme, Amlie ? Ce que je veux savoir, c'est o se trouve mon intrt. Vous avez d vous en rendre compte en voyant le groupe sur scne. Ils sont excellents... Sans vous, comment puis-je savoir ce qu'ils valent ? Mais revenons la proposition concernant votre sur. Sera-t-elle capable de tenir ses engagements la fois envers la maison de disques et envers son professeur au conservatoire ? Je suis ici pour m'assurer qu'elle pourra respecter ce contrat... pendant la premire anne, du moins. Ensuite, elle laissera tomber ses musiciens ? Elle remplira ses obligations envers eux, je vous le garantis. Tout en pratiquant assidment le violon pour devenir une soliste de renomme internationale ? J'en doute, dit-il en appuyant ce commentaire d'un regard ferm. Parce que vous ne savez pas ce que c'est que de se donner du mal pour atteindre son rve ! lana Amlie en abandonnant toute prudence professionnelle.

Beaucoup d'artistes sont contraints d'exercer un autre mtier pour vivre leur passion. Et pas seulement les artistes... Mais emporte dans son lan, elle ne releva pas cette approbation. Vous tirez des conclusions htives, vous avez dj dcid qu'elle ne tiendrait pas ses promesses ! l'accusa-t-elle farouchement. Or, je sais que Miranda accomplit tout ce qu'elle s'impose... Et vous, vous n'coutez mme pas ce qu'on vous dit. Comment pouvez-vous savoir ce que vous avancez ? Parce que je connais ma sur mieux que vous... Mieux que personne ! Elle se tut, soudain consciente que ses motions prenaient le dessus. Elle ne s'tait jamais sentie si dstabilise depuis son premier sminaire d'avocate stagiaire ! Je suis sr que vous avez raison sur ce point, dit calmement Alessandro. Mais pourquoi diable former un groupe pour gagner de l'argent ? N'a-t-elle pas trouv d'autres moyens ? Amlie esquissa un geste impatient. Parce qu'elle est avant tout musicienne. C'est ce qu'elle sait faire. Chanteuse de cabaret ? Quel mal y a-t-il cela ? s'cria-t-elle, en devinant les prjugs absurdes qu'il associait aux artistes qui se produisent dans les night-clubs. Miranda gagne honntement sa vie. Vous voudriez qu'elle abandonne ses ambitions pour mnager quelques individus borns ? On frappa la porte, ce qui dispensa son interlocuteur de lui rpondre. Excusez-moi, dit-il. Je reviens dans un instant. Une fois Alessandro disparu de son champ de vision, elle se sentit en proie un mal de tte naissant. Personne ne lui avait fait perdre son sang-froid ce point. Absolument personne... Venez, Amlie, dit son hte depuis la porte. Notre dner est servi. Elle hsita. Mais n'tait-ce pas l'occasion de se dtendre et de calmer ses nerfs malmens ? Les pourparlers en vue de la signature du contrat taient peine entams, et il lui faudrait tenir jusqu'au bout. Un dner d'affaires tait inoffensif et civilis, se rassura-t-elle, sans rien de romantique. Cependant, en entrant dans le grand salon, elle constata qu'il ne s'agissait pas du genre de lger souper auquel elle s'attendait. J'imaginais... Sa voix mourut dans sa gorge tandis qu'elle embrassait du regard le buffet dispos sur la table. Vous n'avez pas faim ? s'enquit Alessandro en picorant dans quelques plats. Moi, je suis affam.

Elle prfra ne pas remarquer avec quelle volupt il savourait une fraise enrobe de chocolat... Mangez ce qui vous fait plaisir, ajouta-t-il. Nous poursuivrons en mme temps notre discussion. Puis-je vous faire quelques suggestions ? Le sourire dvastateur dont il accompagna ces derniers mots entama dangereusement la rserve d'Amlie et sembla effleurer sa peau comme une caresse. Ne prenez pas cette peine. Je suis capable de me servir, dit-elle en lui arrachant presque une assiette des mains. Dtendez-vous, Amlie. Je suis parfaitement dtendue, merci, rpliqua-t-elle en s'efforant de faire son choix parmi un assortiment de dlicieuses salades. Elle se servit maladroitement. Mais tait-ce si tonnant quand les belles lvres d'Alessandro ou ses joues ombres de barbe lui suggraient une autre sorte de festin tout aussi prometteur ? Et que dire de son torse large et de son ventre plat et muscl sous la ceinture de cuir noir ? D'un air absent, elle versa la moiti d'un saladier de chou rouge sur la montagne de nourriture dont elle avait dj rempli son assiette. Elle garnissait une autre assiette de desserts quand Alessandro intervint : Je doute que vous russissiez mettre cette part de gteau sur le tout. Non... Bien sr, bgaya-t-elle tandis que des images rotiques de torse hl et de Chantilly dfilaient devant ses yeux. Vous aimez le chocolat ? demanda-t-il quelques instants plus tard, alors qu'elle portait son attention sur des choux la crme nimbs de sauce au chocolat. J'adore. Pourquoi cette question ? s'enquit-elle d'un air prudent. Il remplit une assiette de profiteroles, qu'il nappa de crme fouette. Nous avons un festival du chocolat Ferara. Il a lieu chaque anne. On distribue du chocolat dans toute la ville cette occasion. Et vous devriez prendre le temps de visiter notre muse ddi au chocolat. Qu'en dites-vous ? demanda-til en lui tendant l'assiette d'un air amus. Je vous remercie. Mon Dieu ! Etait-ce bien le dessert qu'elle acceptait, ou quelque chose d'autre ? Imaginez des sculptures en chocolat excutes devant vous. Des artistes de toute l'Europe viennent concourir, expliqua-t-il tout en brandissant une carafe de vin. Comme elle se taisait, il leva les yeux et lui adressa un sourire suggestif. Eh bien ? Un demi-verre, biaisa-t-elle. Une fte du chocolat ! Seigneur ! C'tait de la provocation...

Il lui tendit son verre et, comme elle le remerciait, elle rencontra son regard troublant au fond duquel brillait une flamme rieuse. Oui, elle ferait bien de se mfier de cet homme, songea-t-elle en dtournant les yeux. Fort heureusement, Alessandro la laissa manger en paix. Quand ils retournrent dans le bureau, il alluma une lampe et glissa un CD dans le lecteur. Brahms, reconnut-elle. Le fameux morceau qui avait valu son premier prix Miranda... Alessandro avait servi le Champagne et s'installait confortablement dans son fauteuil directorial. a ne vous drange pas si j'enlve ma veste ? demanda-t-il. Pas du tout, rpondit-elle en prenant sa flte pour se donner une contenance. Elle le regarda se dbarrasser du vtement, dfaire ses boutons de manchettes en or et retrousser ses manches. Il avait des bras puissants et virils. Vous pensez toujours que je fais partie de ces individus borns que vous voquiez tout l'heure ? la dfia-t-il. Pour son opinion sur les chanteuses de cabaret, certainement, songea-t-elle. Pour le reste... Je vois votre expression que vous n'avez pas chang d'avis, fit-il remarquer. Dommage ! En fait, je me fiche de ce que les gens font, du moment qu'ils ne lsent personne. En revanche, je m'intresse normment leurs motivations. Qu'est-ce qui vous motive, vous, Amlie ? Avocate de jour et chanteuse au noir la nuit... Remarquez que c'est tout votre honneur d'aider votre sur. Ce qui est moins reluisant, c'est que vous avez voulu me duper. Pourquoi ? Je reconnais que la situation nous a chapp... Cette pitre rponse lui valut un regard cynique. Vous pensiez vraiment vous en tirer en vous faisant passer l'une pour l'autre ? Vous me prenez pour un imbcile ? Elle s'empourpra violemment. Je ne savais pas que vous... Je suis sincrement dsole. D'un geste, Alessandro lui imposa silence. Il se trouve que vous n'tes pas la seule avoir t malhonnte, dit-il pensivement. Que voulez-vous dire ? Simplement que vous vous faites des ides si vous croyez que le projet de votre sur avait des chances d'aboutir. Sans ma coopration, elle ne jouera jamais de ce violon qui lui tient tant cur. Etes-vous prt l'aider, oui ou non ? demanda-t-elle anxieusement. Alessandro tendit les bras sur le dossier du sofa. Comme s'il suivait le cours de ses penses, il enchana :

Je parle de l'instrument expos chez ce luthier d'Heidelberg, non loin du chteau. Comment connaissez-vous ces dtails ? Avant toute ngociation, je m'informe. Je ne laisse rien au hasard. Amlie se sentit plir. Que cherchait vraiment Alessandro Bussoni ? Pourquoi s'tait-il donn tant de peine ? Pourquoi dites-vous que ma sur pourrait ne jamais en jouer ? demanda-t-elle en tremblant. J'ai dit : sans ma coopration, rpta-t-il. Cet instrument est une pice inestimable. Il tait en exposition chez l'un des meilleurs luthiers du monde... Etait ? Pourquoi parlez-vous au pass ? Il a t rendu au muse ? le pressat-elle avec une pointe de regret et de soulagement dans la voix. Pas exactement. Quoi, alors ? Mais au lieu de rpondre, Alessandro fixa un point pardessus son paule gauche. Amlie se retourna dans cette direction, et ses yeux s'agrandirent d'tonnement. Sur un sige capitonn garni de deux coussins de soie crme tait pos un violon. Vous croyez... qu'il est prudent de le laisser hors de l'tui ? marmonna-t-elle quand elle eut recouvr sa voix. N'est-ce pas la seule faon d'en jouer ? ironisa-t-il. Elle prouvait des difficults respirer. Elle se retourna encore une fois pour s'assurer qu'elle ne rvait pas. Mais non, elle tait bel et bien en prsence du violon que Miranda avait essay Heidelberg. S'il s'agit d'une pice de muse... hors de prix, comment est-il en votre possession ? Je ne comprends pas, balbutia-t-elle. Tout a un prix, dit Alessandro en haussant les paules. Vous l'avez... achet ? s'enquit-elle, sentant qu'elle tremblait de faon incontrlable. Mais pourquoi ? C'tait mon atout majeur. Votre atout ? bgaya-t-elle, incrdule. De quoi parlez-vous ? Vous feriez mieux de m'expliquer. Trs bien. Si votre sur avait assez d'argent, elle poursuivrait sa formation de violoniste sans tre oblige de chanter dans les bals, n'est-ce pas ? Et ce serait patant si elle utilisait ce violon qui se trouve derrire vous... Une fois qu'elle aura gagn au Loto, c'est a ? coupa Amlie d'un ton cynique. Que diriez-vous si je lui prtais cet instrument... titre permanent ? Un profond silence suivit cette dclaration. Au bout d'un long moment, Amlie osa demander : Que devrait-elle faire pour cela ? - Votre sur ? Rien du tout.

Le cur d'Amlie s'emplit de crainte. Tentant de mettre de l'ordre dans ses ides, elle reprit : Alors, que devrais-je faire pour a ? Un bref sourire incurva les lvres d'Alessandro. Amlie avait l'esprit vif et elle tait la vulnrabilit incarne... Un fol espoir ml de tendresse le saisit. Ce qui n'tait au dbut qu'une banale tractation avait volu en quelque chose de plus intense. Si Amlie Weston acceptait sa proposition, il serait l'homme le plus heureux de Ferara... Non, du monde ! Se levant, il se mit arpenter nerveusement la pice. Il n'avait plus le temps de rflchir. Il ouvrit le placard dans lequel il gardait les fleurs. Il avait achet cette gerbe extravagante pour sceller leur accord. Certes, c'tait prmatur, mais il n'avait pas le choix. Se tournant pour lui faire face, il lui tendit l'norme bouquet. J'avais l'intention de vous donner ceci... En quel honneur ? demanda-t-elle, surprise. Je n'ai jamais vu un bouquet aussi fabuleux... Pour vous remercier... d'accepter de devenir ma femme, avoua-t-il doucement. Un long moment s'coula, sans que nul bouget. Puis Amlie murmura : Vous tes compltement fou ! Alessandro baucha un sourire ironique. Son esprit rationnel lui disait qu'elle avait raison. Mais Ferara, depuis trente gnrations, on n'avait jamais vu une femme sense refuser l'opportunit de devenir princesse. Pas ma connaissance, rpondit-il. J'avais dit que j'avais une proposition vous faire. Un contrat d'enregistrement de la part de Prince Records, oui, martela Amlie. Je ne connais pas cette socit et je n'ai aucun lien avec elle. Quoi ? C'est vous qui m'avez pris pour le reprsentant d'une maison de disques, expliqua-t-il. Je vous ai laisse le croire tant que a m'arrangeait. Maintenant, regardons les choses en face : je possde quelque chose qui vous intresse, et de votre ct, vous pouvez me rendre un service. Nous pourrions... accorder nos violons ? Les yeux d'Amlie lancrent des clairs. Mais qui tes-vous la fin ? Prince hritier Alessandro Bussoni de Ferara, rpondit-il. Un nom coucher dehors, j'en conviens... Reprenez vos maudites fleurs ! s'cria la jeune femme en lui flanquant le bouquet dans les bras. Vous avez cherch nous manipuler ! C'est votre sur qui s'est mise dans cette situation. De quel droit osez-vous la juger ? s'emporta-t-elle en bondissant de son sige.

Il eut l'impression d'tre frapp par la foudre. Cela n'avait rien voir avec le fait que personne absolument personne ne s'tait jamais permis de lui parler de la sorte. En voyant Amlie se dchaner, les yeux tincelants, les cheveux rejets en arrire, le visage en feu, empreint de passion, il ressentit le besoin instinctif de dtourner cette fougue vers quelque chose qui leur donnerait tous deux infiniment plus de plaisir que cette querelle au sujet de sa sur. Etait-il en train de tomber amoureux ? L'tait-il dj? Cette rvlation l'envahit d'une joie indicible. Il aurait voulu attirer Amlie dans ses bras et l'embrasser l'touffer. N'tait-ce pas arriv ds l'instant o il l'avait vue, sur cette scne au dcor criard, sous les lumires crues qui juraient avec sa beaut lumineuse ? Dlaissant ses penses, il prit un ton impassible pour annoncer : Je vais vous faire reconduire. Vous tes bouleverse. Nous en reparlerons demain... Vous perdez votre temps ! glapit-elle, cinglante. Avec votre permission, dit-il encore, je ferai porter ces fleurs votre mre. Faites-en ce que vous voudrez ! Dire que, s'il existait encore aujourd'hui un malotru titr de ce genre, il avait fallu qu'elle tombe dessus ! Mais elle ne tomberait pas dans le pige ! Pas elle ! Une fois dans la limousine, pourtant, Amlie s'apaisa en regardant dfiler les rues humides de la capitale. Il lui fallait bien admettre que, sans apport financier, Miranda n'irait jamais au bout de ses immenses capacits. L'obtention d'une bourse permettrait la rigueur de payer ses leons, mais jamais elle ne trouverait les fonds ncessaires l'achat d'un violon de haute qualit. Devait-elle pour autant se rsoudre pouser un inconnu ? s'interrogea-t-elle avec colre. Sans compter qu' vingt-huit ans, elle avait encore une vue romantique du mariage. Elle voulait l'amour, la passion, la tendresse, un engagement pour la vie... Pas un bout de papier officiel en conclusion de froides transactions ! A moins que... En ajoutant quelques clauses restrictives... Alors oui, la proposition absurde du prince de Ferara pouvait assurer l'avenir de Miranda. Si Alessandro parlait srieusement, il reviendrait tt ou tard la charge. Dans combien de temps ? se demanda-t-elle avec un trange frmissement d'excitation.

24Toute la famille s'tait serre sur le canap du salon et coutait, fige, le rcit d'Amlie.

Et nous voyagerons bord du jet d'Alessandro pour assister au mariage qui aura lieu Ferara, termina-t-elle. Sa mre fut la premire ragir. Quittant des yeux l'clatante composition florale qui occupait presque entirement l'encadrement de la fentre, elle reporta son attention sur elle, les traits soucieux. Tu es sre que tout cela est vrai ? Absolument, maman. Non, non et non ! jeta Miranda d'un ton dcisif. Je ne peux pas te laisser faire a. Papa, dis quelque chose ! Paul Weston se gratta le front d'un air perplexe. Personnellement, je ne comprends rien aux histoires d'amour. Je sais seulement que votre mre tait la femme qu'il me fallait. Je lui ai demand de m'pouser, elle a accept, et voil. Tu ne peux pas approuver ce mariage, voyons ! insista Miranda. Ce n'est pas parce que a a march entre maman et toi qu'il en ira de mme pour Amlie. Elle ne connat mme pas ce Bussoni... Vous oubliez qu'Alessandro est un prince, intervint Sonia Weston avec emphase. Miranda roula des yeux effars, et son pre se leva en s'excusant : Si nous devons partir en balade la semaine prochaine, je dois terminer mon travail. Une balade ? explosa Miranda en le voyant quitter le salon. A-t-il conscience de la gravit de la situation ? Alessandro a prpar un contrat en bton, lui assura Amlie. Je l'ai lu et relu. Je l'ai mme fait expertiser par mon cabinet. Tu es sre que les frais d'tudes de Miranda seront pays intgralement ? demanda leur mre. Tous les frais, ainsi qu'une bourse et le prt du violon vie. Si je comprends bien, le pre d'Alessandro ne peut abdiquer que si son fils a une pouse en bonne et due forme ? Exactement. Comme tu le vois, nous nous rendons service mutuellement. En dpit de cette crne assurance, Amlie se demandait si elle tait vraiment saine d'esprit pour s'engager dans une pareille aventure. Elle se remmora le coup de tlphone d'Alessandro il l'avait appele immdiatement aprs leur entrevue o il lui avait expos point par point ses gnreuses conditions en faveur de Miranda. Gnreuses ? Pas tant que a. C'tait simplement une tactique pour la faire consentir au mariage. Tactique tait le mot, songea-t-elle amrement, car elle n'avait dcel aucune trace de chaleur ni d'enthousiasme dans sa voix. J'ai l'impression que vous tes tous devenus fous, a ne marchera pas ! lana sa jumelle comme en cho ses penses.

Oui, sans doute, se dit-elle. Mais cela n'entamait pas sa rsolution. Ce mariage durera jusqu' ce que tu aies termin tes tudes avec le professeur Iwamoto, expliqua-t-elle. Ensuite, cette comdie prendra fin. Alors, ne commencez pas btir des chteaux en Espagne... Des chteaux ! rpta leur mre enjoignant les mains. Qui aurait cru qu'il nous arriverait une chose pareille ? Mais si, a marchera ! rpta Amlie un peu plus tard, quand elle retrouva Miranda dans leur chambre. Je n'ai rien perdre... Tu trouves ? objecta sa jumelle d'un air farouche. Tu peux tomber amoureuse d'Alessandro, et alors... J'ai vingt-huit ans, et j'ai russi jusque-l viter les liaisons srieuses. Oui, parce que tu es une accro du boulot et qu'aucun homme comme lui n'a encore crois ta route ! Mais que feras-tu si tu tombes amoureuse ? C'est un type terriblement sduisant... Et srement terriblement gt, goste et imbu de sa personne aussi, comme tous les princes. Exactement le genre d'homme auquel je rsiste facilement. Et si tu tombes enceinte ? insista Miranda. Pas de danger de ce ct-l. Tu rves ! Alessandro ne m'a pas donn l'impression d'tre impuissant... Encore faudrait-il que nous couchions ensemble, coupa Amlie. Or, j'ai fait ajouter au contrat une clause interdisant les relations sexuelles entre nous. Quoi ? Ma pauvre, tu ne sauras jamais ct de quoi tu passes ! Et c'est tant mieux, car j'ai l'intention de reprendre mon travail, une fois cette histoire termine. Autant ne pas se laisser distraire... Alessandro Bussoni n'est pas simplement une distraction, murmura Miranda rveusement. C'est l'obsession de toutes les femmes. Peut-tre. En tout cas, il n'aura qu'une hte : se dgager de ce contrat le plus tt possible. Mme chose pour moi. Donc, inutile de te faire des ides comme maman. Ce mariage n'est qu'un bluff, un march qui sert nos intrts respectifs, un point c'est tout. Alors, je te plains, dit doucement Miranda. Et je suis dsole aussi pour Alessandro. Je me sens si coupable... Arrte ! commanda Amlie en prenant sa sur par le bras. Je ne veux pas entendre parler de culpabilit. Tu dois m'encourager, au contraire, Miranda. Il est trop tard pour revenir en arrire. J'ai dj pris mon cong au cabinet. Et dis-toi que la pension que je recevrai au moment du divorce me permettra de finir de payer l'appartement. Tu vois, tu m'aides aussi raliser mon rve. Evidemment, vu sous cet angle, nous sommes solidaires, convint Miranda en bauchant une grimace rsigne. Comme toujours, surette ! rpondit Amlie avec un entrain forc. C'tait une belle soire d't comme il y en a rarement en Angleterre. Le ciel virait au bleu

indigo et il faisait encore assez chaud pour s'asseoir sur le balcon de l'htel. Une mto parfaite pour l'occasion, songea Amlie en regardant Alessandro revenir vers elle, deux fltes de Champagne la main. Ils venaient de signer leur incroyable pacte, et l'heure tait la clbration. Un lger frisson la parcourut en acceptant le verre qu'il lui tendait. Un mariage avec un homme comme lui et t une perspective excitante, s'il y avait eu le plus petit espoir d'idylle entre eux. Mais il tait inutile d'esprer. A nous, murmura Alessandro en portant le toast le plus inappropri qu'elle pt imaginer. A nos satisfactions respectives, rectifia-t-elle. Celles que nous procure cet accord, crut-elle bon d'ajouter pour bannir toute ambigut. Ah oui, notre accord, rpta-t-il avec un faible sourire. Vous ai-je dit que vous serez en droit de garder le titre de princesse votre vie durant, si vous le souhaitez ? Non, mais ce n'est pas trs important... Pas important ? Au ton qu'il employait, elle sut qu'elle l'avait offens. Ecoutez, je suis dsole, s'excusa-t-elle. Je... D'un geste, il la rduisit au silence et contempla le panorama de la ville dans le soir qui tombait. Le titre vous appartiendra vie, que vous le vouliez ou non, raffirma-t-il. Je n'aurai rien fait pour le mriter, protesta-t-elle. Se tournant vers elle, il l'tudia d'un regard aigu. N'en soyez pas si sre. Il y aura des difficults surmonter avant que vous ne vous installiez dans la fonction. Ne vous faites aucun souci. Je saurai vaincre les obstacles. A l'instant o elle avait prononc ces paroles, Amlie avait t convaincue d'tre la hauteur de la situation. Ds la fin de la semaine, toutes les formalits seraient remplies. Elle partirait alors Ferara avec sa famille pendant qu'Alessandro resterait Londres pour rgler des affaires en cours. Mais c'tait sans compter l'efficacit avec laquelle Alessandro prit les choses en main. A partir de l et jusqu'au jour du dpart, elle se sentit emporte dans un tourbillon effrn impossible matriser. L'arrive imprvue d'une horde de couturiers et de stylistes qui se mirent virevolter autour d'elle fut le premier signe de ce branlebas, et elle dut batailler ferme pour imposer son avis sur le style de sa robe de marie. Puis ce furent d'interminables livraisons de vtements et de botes de chaussures son domicile, alors qu'elle n'avait rien command. Compltement dborde, elle se rsolut appeler Alessandro son bureau de Londres.

Je sais, c'est un peu cavalier, admit-il. Mais le temps presse, Amlie, et je pensais que vous vous sentiriez plus l'aise si vous pouviez compter sur une nouvelle garde-robe... A l'aise ? Avec des vtements tiquets djeuners en plein air , dners formels , petits djeuners en intrieur ... et j'en passe ? Il y en a au moins une douzaine de chaque ! Ces modles ne vous plaisent pas ? demanda-t-il d'une voix inquite. Dsole, je ne voulais pas paratre ingrate... Voulez-vous que nous nous retrouvions pour en parler ? Volontiers, rpondit-elle un peu trop vite. Maintenant, si vous voulez ? suggra-t-il avec une note amuse. Cela me convient, articula-t-elle au bord de la panique. Alessandro l'emmena djeuner dans l'un des restaurants les plus hupps de la capitale. C'tait un endroit discret o mme un prince et sa compagne pouvaient passer une heure agrable savourer des mets dlicieux loin des regards curieux. Aprs avoir aval une succulente ptisserie, elle reposa sa serviette en rflchissant au moyen de refuser les fabuleux cadeaux d'Alessandro sans le froisser. Quelque chose vous tracasse, dit-il en faisant signe au serveur d'apporter l'addition. Toujours cette histoire de vtements ? Je ne sais que penser, avoua-t-elle, confuse. Il y en a tellement... Il va me falloir un temps fou pour les essayer. Rservez cela pour plus tard, Ferara, conseilla-t-il. Prenez quelques articles qui vous plaisent, et je ferai livrer le reste au palais. Je voulais profiter d'tre Londres pour faire ces achats dans les meilleures boutiques. Vous tes gentil... trop gentil, dit-elle sur une impulsion. Son cur cognait sourdement dans sa poitrine tandis qu'il la dvisageait d'un regard caressant. Je voudrais juste que vous soyez heureuse, murmura-t-il. Un muscle tressaillit sur sa mchoire. Sans doute s'efforait-il comme elle d'apprhender cette drle de situation. Pour la dure de notre contrat, prcisa-t-elle. Alessandro acquiesa d'un signe de tte. En parlant de a... Il plongea une main dans la poche intrieure de sa veste, puis parut se raviser. Etes-vous prte ? Je vous propose de marcher un peu dans le parc ct avant de vous reconduire. En quittant le restaurant, elle remarqua que les hommes qui les avaient suivis depuis son appartement leur embotaient de nouveau le pas. N'ayez crainte, lui souffla son compagnon en lui prenant le bras. Ils sont trs corrects.

Vos gardes-du-corps ? Les vtres aussi, maintenant que vous allez devenir ma femme. Si cette dernire perspective tait sduisante, en revanche l'ide de ne pouvoir se dplacer sans tre accompagne tait loin de l'enthousiasmer. Elle avait dcidment besoin d'Alessandro pour la guider dans ce monde nouveau et droutant. C'est ce qui la poussa proposer : Voulez-vous monter chez moi prendre un caf ? Plusieurs secondes s'coulrent, interminables. Elle commenait se sentir franchement ridicule, comme si elle avait accost un homme avec vulgarit, quand il dclara finalement : Je ne pense pas que ce soit une trs bonne ide. Mais| nous avons encore le temps de faire cette promenade. Bien qu'il ait accompagn cette rponse d'un sourire, au fond de lui-mme, Alessandro se sentait horriblement frustr. L'invitation d'Amlie tait irrsistible. Mais s'il l'avait accepte, il n'y aurait eu qu'une seule issue possible, car elle avait veill en lui une foule de sensations troublantes. Celle qui prdominait en ce moment, c'tait le besoin de l'aimer, de la protger et de faire d'elle sa femme. Malheureusement, les choses ne se prsentaient pas dans cet ordre. Comme ils venaient d'entrer dans Regent's Park, la pluie se mit tomber et ils coururent s'abriter sous un kiosque musique. C'est l qu'Alessandro dclara : Il serait prfrable que vous ayez ceci. Qu'est-ce que c'est ? demanda Amlie avec curiosit en le voyant de nouveau plonger la main dans sa poche intrieure. En dcouvrant qu'il lui prsentait une bague, un bijou trs ancien qui avait d se transmettre de gnration en gnration jusqu' sa mre disparue, elle frona les sourcils. Evidemment, c'tait la tradition... Elle ne vous plat pas ? L n'tait pas la question, se dit-elle en contemplant le lacis de rubis et de perles qui cernait un cur en rubis. Mais une bague de fianailles ne devait-elle pas s'offrir avec des mots d'amour ? Mettez-la seulement pour les grandes occasions, si vous prfrez, lui conseilla Alessandro d'un ton impersonnel. Il risquerait d'y avoir du grabuge Ferara si vous ne l'aviez pas au doigt. Oh ! J'aime beaucoup ce bijou, affirma-t-elle. Seulement... Tous ses vtements fabuleux d'abord, et maintenant ceci... Les mots moururent dans sa gorge, car cet instant il lui prit la main. Son expression tait moins sombre, constata-t-elle, comme s'il tait soulag d'un grand poids. Merci, dit-il. J'esprais que vous la trouveriez votre got. Je sais, ce n'est pas le solitaire norme et inestimable qu'une femme se voit offrir d'habitude, et peut-

tre n'est-ce pas le bijou auquel vous vous attendiez. Mais cette bague a une origine... quasi surnaturelle. En tout cas, elle aurait pu tre faite pour elle, pensa-t-elle au moment o il la lui glissait au doigt. Racontez-moi son histoire, le pria-t-elle. Eh bien, voil. Il y a trs longtemps, un prince de Ferara nomm Rodrigo tomba amoureux. La jeune fille s'appelait Caterina. Il fit faire cette bague pour elle... Sa voix caressait les sens d'Amlie et elle s'effora de garder une attitude dtache en se souvenant qu'il ne s'agissait que d'une histoire. Mais son esprit tait accapar par d'autres images... Il se mit en route, poursuivit Alessandro, dans l'intention de demander la main de sa belle, mais en chemin son cheval se cabra et il tomba inanim dans le lac. Prive de son unique amour, Caterina dcida de devenir religieuse. Amlie se raidit, tandis qu'il reportait son attention sur elle. Que lui est-il arriv ? demanda-t-elle vivement, effraye qu'il pt lire dans ses penses. Le cheval de Caterina s'emballa alors qu'elle se rendait au couvent, rpondit-il d'un ton neutre. La jeune fille fit une chute, et quand elle revint elle, la bague se trouvait auprs d'elle. Est-elle entre dans cet ordre religieux ? s'enquit Amlie en admirant le cur en rubis son doigt. Elle n'a pas pu. Oh ! Pourquoi a ? Je vais vous raccompagner maintenant, annona-t-il d'un ton brusque, comme s'il regrettait d'avoir commenc cette histoire. Vous devez vous coucher tt pour prendre l'avion demain. Quant moi, j'ai un rendez-vous d'affaires dans... Il frona les sourcils en consultant sa montre. En fait, il a dbut il y a dix minutes. Toute la douceur et la tendresse avaient disparu de sa voix. C'tait comme si elle les avait rves. Bien sr qu'elle les avait rves ! se morigna-t-elle, irrite de s'tre laiss emporter par ses penses romantiques. Le conte de fes d'Alessandro faisait partie de cette comdie qu'ils taient forcs de jouer, et la bague n'tait qu'un accessoire de thtre. Rien d'autre ! J'en prendrai grand soin, promit-elle en regardant encore l'anneau. J'en suis certain. Et maintenant, allons-y. Vous n'avez pas besoin de me raccompagner, le prvint-elle vivement. Je vous ai dj mis en retard. Je vous ramne, dclara-t-il d'un ton impratif. Il la quitta la porte de son appartement.

Li vedr in Ferara, Amlie, murmura-t-il. Oui, nous nous reverrons Ferara, Alessandro, confirma-t-elle avant d'entrer chez elle, trangement dprime.

31Amlie fut rveille l'aube par des bruits qui ne lui taient pas familiers. Ceux qui devaient rythmer le quotidien de Ferara, se dit-elle. Avec une sensation plus proche de la crainte que de l'merveillement, elle se mit examiner son environnement immdiat. On lui avait attribu un appartement richement dcor dans l'une des ailes de l'immense palais. Ce qu'on appelait sans doute un cadre de rve, songea-t-elle en soupirant. Heureusement, la principaut de Ferara tait plus jolie qu'elle n'avait os l'imaginer. Sur le trajet depuis l'aroport, ils avaient dcouvert des collines mauves emperles de brume, couronnes de minuscules villages mdivaux, des vignes et des cyprs dresss en sentinelles contre un ciel bleu azur... Une image de carte postale. Puis la ville de Ferara tait apparue, pavoise aux couleurs nationales, avec des portraits du futur couple princier et des bannires ornes de leurs initiales entrelaces : E & A... Pour une fois, elle tait force d'approuver sa mre. Cela semblait compltement irrel ! Mais qu'avait-elle offrir au peuple de Ferara, sinon une imposture ? Repoussant les draps, elle bondit hors du lit et, ouvrant la baie vitre, passa sur le balcon. La pierre blonde tait tide sous ses pieds nus. Devant le panorama de la ville, elle se sentit soudain vulnrable comme une enfant. Puis elle songea Alessandro. Combien de temps ses affaires le retiendraientelles au loin ? Elle pouvait quand mme compter qu'il apparaisse le jour du mariage. Ensuite, ils continueraient de vivre... chacun de son ct. Elle resterait Ferara, bien sr, et remplirait son rle comme promis. Mais lui, qu'avait-il dcid ? Le reverrait-elle seulement ? Lasse de ces vaines spculations, elle dcrocha le tlphone et composa un numro interne. Au bout de plusieurs sonneries, elle ralisa que Miranda et ses parents taient sans doute dj partis visiter la ville. Et si elle appelait son cabinet d'avocats Londres ? se dit-elle, dsuvre. Bonjour, Billy, dclara-t-elle son confrre, ahuri. Oui, c'est a, nous nous reverrons au mariage... Mais quand elle replaa le combin, la pice lui parut plus vaste et plus vide encore qu'auparavant. Que faisait donc une future princesse de son temps libre ? Prendre une douche, s'habiller, tablir le programme de la journe ! dcida-t-elle en refusant de cder la morosit.

Elle sortit de la salle de bains quelque peu rassrne. Les cheveux humides flottant sur ses paules, une serviette ceinte autour de la taille, elle se mit valser jusqu'au milieu de la chambre spacieuse comme une salle de bal en fredonnant un air de Strauss, quand elle se rendit brusquement compte qu'elle n'tait pas seule. Alessandro ! Elle pila net et, s'apercevant sa grande honte que le linge ne la couvrait qu' demi, elle le remonta vivement sur ses seins. Calmez-vous, murmura-t-il, rassurant. Je vais me dtourner. Qui vous a permis d'entrer ? lana-t-elle d'une voix aigu en battant en retraite vers la porte du dressing. Excusez-moi si je ne me suis pas fait annoncer. Il n'avait mme pas la dlicatesse de paratre contrit ! Je croyais que des affaires vous retenaient Londres ? s'enquit-elle, acerbe. Eh bien, disons que je n'ai pas pu rester loin de vous plus longtemps, biaisa-til en s'avanant. Puis-je vous aider ? Ce ne sera pas ncessaire, rpliqua-t-elle en essayant de manuvrer la poigne de la porte tout en prservant ce qui lui restait de dignit. Voyons, Amlie. J'ai dj vu un corps de femme... Exactement le genre d'encouragement dont elle n'avait aucun besoin ! Aprs tout, vous ne risquez rien, ajouta-t-il d'un ton sarcastique. Vous vous rappelez cette clause interdisant le sexe entre nous ? Oui, merci ! marmonna-t-elle en s'empourprant. Voyez, signorina. Je ne regarde mme pas, souligna-t-il en passant devant elle pour ouvrir la porte. Votre honneur est sauf. S'lanant dans le cabinet, elle claqua le battant derrire elle et s'y adossa pour reprendre son souffle. Ne soyez pas trop longue, l'avertit Alessandro. J'ai quelque chose vous montrer. Je pense que cela vous plaira. Sans rpondre, elle lcha la serviette et fona vers la penderie o tait range son impressionnante collection de vtements. Chaque housse portait la photo de la tenue, ainsi que la liste des accessoires correspondants. Elle n'avait que l'embarras du choix. Mais quelle tait la panoplie approprie quand vous sortiez de la douche et qu'un Apollon vous dcouvrait presque entirement nue ? Un homme sexy avec lequel vous ne pouviez envisager la moindre aventure, qui plus est ! Sa dcision prise, elle fouilla au fond de la garde-robe et en sortit son jean favori et un T-shirt. J'espre que vous avez bien dormi ? l'interrogea Alessandro comme elle revenait vers la chambre.

Trs bien, merci. J'ignorais que vous tiez de retour. Ce disant, elle alla s'adosser la fentre avec une fausse nonchalance et darda sur lui un regard qui se voulait dtermin. Venez donc vous asseoir, l'invita Alessandro en indiquant la place prs de lui sur le sofa. En voyant ses lvres baucher un sourire lent, l'assurance qu'Amlie affichait fondit comme neige au soleil. Son cur se mit battre une chamade endiable. Pourquoi ? demanda-t-elle d'un air souponneux. Parce qu'il y a quelque chose que j'aimerais vous montrer, rpta-t-il patiemment. Elle obit contrecur en prenant soin de mettre une distance raisonnable entre eux, puis elle croisa les mains et attendit. Alessandro se pencha et prit un coffret en cuir qui se trouvait ses pieds. Il le posa sur la table devant elle puis, actionnant les fermetures, en souleva le couvercle. Pour vous. Elle laissa fuser une exclamation en dcouvrant, sur un fond de velours bleu nuit, une ferie de diamants qui tincelrent dans le soleil matinal. Alessandro s'empara d'un diadme, puis il tala sur la table des boucles d'oreilles, un bracelet et un collier. Vous porterez ceci avec votre robe de marie. N'est-ce pas un peu... grandiloquent ? A ma connaissance, aucune princesse de Ferara ne s'est encore plainte de ces diamants, dclara-t-il en haussant un sourcil surpris. Je ne peux pas, persista-t-elle. Ce serait de l'hypocrisie. Les gens ne mritent pas qu'on les traite ainsi, Alessandro. Honorez votre contrat, rpondit-il schement, et laissez-moi m'occuper du peuple. Ce sont mes affaires... Dans peu de temps, ce seront aussi les miennes, coupa-t-elle d'un ton dcid. Mme si ce n'est que pour la dure de notre accord. Je remplirai mes devoirs, mais je vous prviens que je ne me laisserai pas mettre sur la touche. Dans ce cas, faites ce que je vous demande et portez ces bijoux, assena-t-il. Ce n'est que l'affaire d'une journe. Elle se mordilla la lvre. Le diadme princier pour retenir son voile et reprsenter le pouvoir du nouveau souverain de Ferara ? Oui, elle pouvait y consentir. D'accord pour le diadme. Mais le plus important, c'est la bague, dit-elle en caressant le rubis son doigt. Pourquoi la cacher parmi d'autres parures ? Je pense que les gens di Ferara attendent de la simplicit de la part de leur princesse. Je ne suis pas l pour taler vos richesses. Un long silence s'coula durant lequel elle se demanda ce que pensait Alessandro. Son visage demeurait impassible et, bien qu'il ft contre-jour, elle

distinguait la lueur dore de ses iris. Il avait des yeux magnifiques, songea-t-elle rveusement. Vous tes vraiment une femme extraordinaire, Amlie Weston... Elle sursauta. Alessandro remettait les fabuleux bijoux dans leur crin. Vous tes... d'accord ? Oui, vous tes contente ? Les diamants retournent dans le coffre. Le diadme vous sera remis le jour de notre mariage. Elle n'en crut pas ses oreilles. Elle venait donc de remporter sa premire victoire ? Et si facilement... Merci, dit-elle en se levant comme il s'apprtait partir. Est-ce que je vous reverrai avant cette date ? J'ai des runions jusqu'au matin de la crmonie. Je pensais vous laisser le temps de faire vos essayages, rpondit-il, visiblement persuad que toute femme serait enchante de cette rponse. Mais elle tait loin d'tre passionne par cette perspective. Cette garde-robe surcharge ne reprsentait rien d'autre qu'une srie de costumes qu'elle aurait endosser le temps de cette comdie. J'aimerais faire quelque chose de plus utile... Apprendre l'histoire di Ferara, par exemple. Les vtements peuvent attendre. Pendant quelques instants, Alessandro parut dcontenanc. Je vais vous envoyer une personne qui vous clairera sur le sujet. Elle ne put rprimer une moue de dception. Ne prenez pas cette peine. Je la trouverai moi-mme. Aprs le petit djeuner, qu'elle prit seule dans son appartement, Amlie songea qu'il tait temps de se mettre en qute de cet interlocuteur qu'elle s'tait vante de dnicher et qui la renseignerait sur la principaut. La premire personne qu'elle aperut par la fentre fut un jardinier. Ag et noueux comme un vieux chne, il tait pench sur ses rosiers et semblait oublier le monde extrieur. Elle sourit. Sans doute travaillait-il depuis fort longtemps l'entretien du parc du palais. Qui et t mieux plac que lui pour raconter ce qu'elle dsirait savoir sur Ferara ? Elle se prcipita au-dehors. Buon giorno ! lana-t-elle en s'avanant vers la silhouette solitaire. J'espre que je ne vous drange pas ? Pas du tout, signorina. Je suis heureux d'avoir de la compagnie. Vous parlez anglais ? s'exclama-t-elle, ravie. Oui. Aimez-vous les fleurs, signorina ? J'adore les roses, avoua-t-elle en effleurant un ptale dlicat. Celles-ci me rappellent le jardin de mes parents en Angleterre. Auriez-vous dj le mal du pays ? s'enquit le jardinier avec bienveillance.

Elle sourit, dtendue. Je suis surprise qu'elles fleurissent ici par cette chaleur et la fin de l't, biaisa-t-elle pour ne pas gcher ce dialogue amical. Ensoleillement modr et arrosage raisonn, c'est la mme recette que j'applique pour ma sant ! Le vieil homme se mit rire de bon cur, et avant qu'elle ait pu prvoir son geste, il coupa une rose et la lui tendit. Pour vous, signorina. On l'a baptise du nom du grand dramaturge anglais contemporain de Shakespeare, Christopher Marlowe. Vous percevez ce parfum de rose th et de citron ? Vraiment anglais, n'est-ce pas ? Remarquable, en effet. Merci, dit Amlie avec chaleur. Je suppose que vous tes log au palais ? Oui. Ce n'est pas mal, mme si les cuisines sont loin de mon appartement. Quand mon repas arrive, il est presque toujours froid. Vous n'avez pas de kitchenette ? s'tonna-t-elle. Un coin o prparer un encas, une boisson chaude ? Non, rien de la sorte. Mais ce serait une bonne ide. Je pourrais peut-tre faire quelque chose, rpondit-elle pensivement. Puis-je revenir vous voir de temps en temps ? Oh ! Avec plaisir, signorina. Alors, trs bientt, lana-t-elle joyeusement. Le vieux jardinier la salua crmonieusement. Aprs cette rencontre, Amlie se sentit plus rsolue participer la vie du palais. Un plan venait mme de germer dans son esprit. Elle remonta dans son appartement avec l'intention d'crire quelques lettres, quand elle dcouvrit sur le sous-main un grand livre rouge qu'elle ne connaissait pas. L'ouvrant la page de garde, elle lut ces mots : Pour Amlie de la part d'Alessandro, ce journal qui gardera ses penses. En bas figurait la date de leur futur mariage. Cela vous plat ? dit une voix chaude en provenance de la porte-fentre. De surprise, elle faillit renverser sa chaise. Beaucoup, rpondit-elle, haletante. C'est votre secrtaire particulire qui m'a permis d'entrer, s'excusa Alessandro depuis le balcon. J'espre que a ne vous gne pas ? Pas du tout, mentit-elle en continuant de le fixer. Comment un homme pouvait-il tre aussi beau, vtu simplement d'un jean et d'une chemise sombre ? C'est un cadeau pour moi ? balbutia-t-elle stupidement en dsignant le cahier reli. Alessandro sourit d'un air indulgent. Mais il couvre cinq annes ! enchana-t-elle. J'imagine qu'il n'y avait pas plus mince ?

Comme il continuait de se taire, elle fut force de s'en tenir cette conclusion. Je n'ai jamais rien possd de tel, avoua-t-elle. Merci. Je vois que vous tes occupe, dit-il enfin. Je croyais que vous vouliez mieux connatre Ferara ? -- J'ai bavard avec l'un de vos jardiniers. C'est un homme trs intressant. A propos... Oui ? Qu'y a-t-il ? Amlie leva les yeux vers lui. Quelque chose dans son expression lui suggrait que c'tait le bon moment pour lui soumettre son projet. Le fait d'avoir parl avec ce brave homme m'a donn l'ide de rnover les logements du personnel de service. Quelques amnagements qui leur faciliteraient la vie... Et vous aimeriez prendre cette responsabilit ? Oui. Je crois que a en vaut la peine. J'en suis sr, consentit Alessandro. Quant dcouvrir Ferara... J'ai pris mon aprs-midi, si bien que je peux vous faire visiter la ville si vous le dsirez. Un frisson d'excitation parcourut Amlie tandis qu'elle faisait semblant d'hsiter. Le festival du chocolat vous tente-t-il ? insista Alessandro. Il a lieu habituellement en fvrier, mais il y a une dition spciale l'occasion de notre mariage. Ainsi ce n'tait pas un bobard ! se dit-elle, sentant l'eau lui monter la bouche. Entendu, acquiesa-t-elle. Nous ferions mieux de partir maintenant si nous voulons voir les meilleures attractions. L'exposition tait runie sous la magnifique coupole de l'htel de ville. Dans un Ferara en miniature entirement ddi au chocolat, les visiteurs dfilaient entre les stands chargs de dlices et de crations allchantes. Il y eut d'abord un peu de confusion quand on repra le prince hritier et sa future pouse, mais la premire surprise passe, ils purent aller et venir librement. Cependant, elle restait en retrait, intimide. Quand Alessandro s'en aperut, il la prit par la main, donnant tous les signes d'tre fier d'elle. C'tait un trs bon acteur, se rpta-t-elle avec fermet, pour ne pas cder aux penses plus romantiques que son imagination lui soufflait. Laissez-moi vous offrir quelques douceurs, proposat-il. Jouant des coudes, il l'amena devant un artiste chocolatier qui ralisait une sculpture. Se baissant, Alessandro ramassa des copeaux luisants dont il la rgala jusqu' ce qu'elle le supplie d'arrter. J'arrte ? Vous en tes sre ? Non, avoua-t-elle en riant.

Librs des tensions qui les accablaient, ils se plaisaient en compagnie l'un de l'autre, admit-elle. Quiconque ignorait leur relation complique devait les prendre pour un couple d'amoureux apprciant cette fte joyeuse. C'est pourquoi elle prit de bon cur le mouchoir qu'il lui tendit. . Y a-t-il d'autres traditions dont je devrais me mfier ? demanda-t-elle malicieusement en s'essuyant la bouche. Des batailles de tartes la crme, peuttre ? Elle leva les yeux vers lui, savourant la complicit qui les enveloppait. Vous pourrez assister quelques autres coutumes pendant votre sjour ici. Le sourire d'Amlie se figea. Parlez-moi de ces traditions, dit-elle nanmoins d'un ton aimable. Le carnaval, par exemple, c'est l'occasion de voir mon pays sous son meilleur jour... Amlie, vous tes encore barbouille de chocolat ! Eh bien, c'est de votre faute ! s'exclama-t-elle en riant. Brusquement, elle se calma. Cette familiarit ressemblait dangereusement au flirt. Or, flirter ne lui tait pas permis. Alessandro ne venait-il pas de lui rappeler que le temps qu'elle avait passer Ferara tait compt ? Je dois tre propre ! dit-elle, embarrasse. Vous tes charmante, rectifia Alessandro. Lui reprenant le mouchoir, il en humecta un coin et, trs doucement, effaa les traces de chocolat sur ses joues. Voil, c'est mieux, dclara-t-il avec lgret. Elle baissa les yeux. A quoi bon s'vertuer chercher sur ces traits fabuleux une expression qu'elle ne trouverait pas ? Alessandro ne partageait pas ses sentiments. Elle s'carta de lui et s'loigna de quelques pas. Brusquement, elle avait hte de quitter ce lieu. Les effluves de chocolat, la foule et le bruit, rpercut par l'immense coupole, l'oppressaient de plus en plus. Nous ferions mieux de rentrer, jeta-t-elle. Bon sang ! A quoi jouait-elle ? Elle qui ne dsirait rien d'autre que sa compagnie, voil qu'elle mettait un terme leur tte--tte avant mme qu'il ait commenc ! Croyait-elle sortir indemne d'un tel comportement ? On ne croisait pas la route d'un homme comme Alessandro Bussoni sans y laisser des plumes. Elle chercha la sortie et, courant presque, franchit les lourdes portes tambour, presse de se retrouver l'air libre. S'abritant les yeux contre le soleil aveuglant de midi, elle se sentit compltement dsoriente. Au point qu'au moment de descendre les larges degrs de pierre, elle trbucha. Par bonheur, une main secourable la retint in extremis. Amlie ! Tout va bien ?

La voix profonde, reconnaissable entre toutes, tait inquite, et elle se sentit au bord des larmes. Mon Dieu ! Elle devait absolument recouvrer le contrle d'ellemme, se fustigea-t-elle. Celui dont elle faisait preuve avant de rencontrer cet homme... Il fait chaud et vous avez consomm beaucoup de chocolat, dit Alessandro d'un ton apaisant. Nous allons rentrer tranquillement au palais et je vous commanderai un repas lger... Oh, non ! Je ne pourrai rien avaler... Et moi, je vous dis que vous allez m'couter pour une fois ! coupa-t-il svrement. Si vous vous tiez blesse, il aurait fallu annuler le mariage. Vous vous en rendez compte, au moins ? Je suis sre que vous n'auriez eu aucun mal me remplacer. Une autre marie que vous ? Pas question. Maintenant, vous allez suivre mes conseils. Appuyez-vous mon bras, nous marcherons l'ombre. Une fois au palais, je veillerai ce qu'on vous serve une salade, de l'eau glace... Alessandro tait persuad que c'tait la chaleur qui l'avait incommode. En fait, s'avoua-t-elle avec inquitude, son malaise tait bien plus profond. Alors qu'Alessandro faisait de son mieux pour supporter cette situation difficile, ellemme tait en train de tomber amoureuse de lui. Elle avait saut pieds joints dans le pige... Elle lui coula un regard furtif. Alessandro lui sourit en retour et pressa sa main dans la sienne. Il aurait d prvoir qu'il y aurait beaucoup de monde cette exposition et qu'Amlie risquait d'tre nerveuse. Mais il avait eu besoin d'un prtexte pour tre avec elle. Ce qu'il n'avait pas envisag en revanche, c'tait de tomber amoureux. Ce n'tait certainement pas sa priorit, loin de l. Pourtant, tandis qu'ils passaient l'ombre des cyprs centenaires, il avait l'impression qu'un baume magique les enveloppait, dversant sur eux ses bienfaits. Et il aurait volontiers jet la brise lgre toute la mfiance et les incertitudes qui entachaient leur relation. Amlie tait... parfaite. Elle ferait une merveilleuse premire dame, son gale, qui se tiendrait ses cts et serait aussi proche que lui de ce peuple qu'il aimait tant. N'avait-elle pas dj cur d'amliorer le confort de ses employs ? Il regarda la drobe celle qui, dans moins d'une semaine maintenant, serait sa femme. Elle gardait un air songeur, ce qui ne l'empchait pas de remarquer le sourire des passants qui les croisaient et d'y rpondre avec sincrit. Il ressentit un lan d'affection, comme une vague puissante qui le portait vers elle et transcendait son attirance physique pour atteindre son me. Il n'avait jamais rien prouv de tel. Incroyable. Tomber amoureux d'Amlie Weston lui semblait la chose la plus naturelle, la plus vidente au monde !

Mais il ne voulait pas gcher leur fragile entente en la brusquant. L'alchimie entre eux tait si intense qu'il en tait effray, mais si son instinct le poussait l'entraner dans son lit, il savait qu'il lui faudrait attendre pour avoir mieux que cela. Vous savez, Alessandro ? Elle accapara aussitt son attention. Non, mais vous allez me le dire, rpondit-il doucement. J'aime Ferara... Les gens d'ici sont si aimables, authentiques, accueillants... Amlie marqua une hsitation. Et ? la pressa-t-il. Et je pense vraiment que cela peut marcher... Je veux dire... que nous pourrons nous entendre, dclara-t-elle maladroitement. Elle n'avait pas besoin de le lui dire, pensa Alessandro en l'attirant un peu plus contre lui. Depuis un certain temps dj, il tait parvenu la mme conclusion.

39Les jours suivants, Amlie ne fit qu'apercevoir Alessandro. Il tait trs pris par des questions de protocole et par l'organisation de la crmonie. Sa propre famille tant occupe par des prparatifs de dernire minute, elle dcida d'aller bavarder avec son nouvel ami, auquel elle devait faire part de son projet. J'ai pens quelques amnagements pour vous, annona-t-elle ds qu'elle vit le vieux jardinier. Rien de compliqu : un petit rfrigrateur, une bouilloire et un grille-pain pour commencer. Si vous aviez cela sous la main, vous pourriez dj vous prparer du th et des sandwichs. Bonne ide ! s'exclama le vieil homme avec enthousiasme. Je m'en remets vous. Parfait. Je vous en dirai un peu plus long demain... Demain, Signorina ? l'interrompit-il. Elle porta une main sa bouche. Oh, mon Dieu ! Mon mariage... Comment le temps avait-il pass si vite ? se dit-elle en sentant une bouffe d'apprhension l'envahir. O est donc votre futur mari ? reprit le jardinier. Le prince Alessandro ? Oui, bien sr, mon fils ! rpondit-il avec impatience. Pourquoi vous laisse-t-il toute seule ? Votre... Amlie porta une main sa bouche, anantie par l'normit de son erreur. Pourquoi... Pourquoi ne m'avez-vous rien dit... Votre Altesse ?

Auriez-vous t aussi l'aise avec moi si je vous en avais avertie ? s'enquit le pre d'Alessandro en la dvisageant avec attention. Je... Je ne sais pas, reconnut-elle. Vous devez penser que je suis la pire des sottes... Au contraire, rpondit le vieux souverain. Je pense grand bien de vous. Quant mon nigaud de fils... Non, je vous en prie, dit-elle. Vous ne comprenez pas... Qu'y a-t-il comprendre ? demanda le vieil homme. Eh bien... ce n'est pas un mariage comme les autres. Vous l'aimez ? C'est--dire... Elle se tut, ne sachant que rpondre cette question abrupte. Aimez-vous mon fils, oui ou non ? rpta le vie