Une nouvelle géopolitique de l'eau au Proche-orient - Questions ...

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Regards sur le MONDE Questions internationales n o 53 – Janvier-février 2012 94 Voies naturelles de circulation, réservoirs de ressources et d’énergie, frontières aussi, les fleuves jouent un rôle essentiel dans les relations entre les peuples et les États du Proche-Orient, les rappro- chant autant qu’ils les séparent. Des bassins sous haute tension Le Nil, veine jugulaire de l’Égypte Le bassin du Nil est de très loin le plus vaste du monde arabe 1 , même s’il est aussi un fleuve authentiquement africain. Il s’étend sur plus de 6 000 kilomètres et associe une dizaine d’États riverains, ce qui le place à peu près au même rang que l’Amazone, dont le débit et la superficie restent cependant largement supérieurs. Aucun autre bassin hydrographique de la région ne revêt un poids aussi déterminant pour un pays que le Nil pour l’Égypte. L’immense majorité de la population égyptienne (95 %), soit près du quart de celle du monde arabe 2 , réside en effet autour du Nil, qui fournit 98 % de l'eau consommée dans le pays. Une partie considérable de l’activité écono- mique reste tournée vers l’agriculture, qui a besoin d’abondantes ressources hydriques. Or, l’Égypte, à l’instar de la plupart de ses voisins, est confrontée au phénomène de l’érosion de ses terres fertiles, à une réduction de ses surfaces agricoles utiles et à une démographie galopante 3 . La question de l’eau suscite donc chez les Égyptiens de nombreuses craintes, souvent justi- fiées, parfois excessives. Ils redoutent en particu- La question de l’eau au Proche-Orient est longtemps restée relativement figée, notamment au niveau de ses trois principaux fleuves ou ensembles hydrographiques que sont le Nil, soumis aux immenses besoins de l’Égypte, le Jourdain, contrôlé en grande partie par Israël, et enfin le Tigre et l’Euphrate disputés entre pays d’aval assoiffés (Syrie et Irak) et un pays d’amont, la Turquie, hésitant sur l’attitude à adopter face à ces derniers. Un certain nombre d’événements survenus en 2011 – la naissance du Soudan du Sud, d’une part, les révoltes arabes, d’autre part – sont aujourd’hui susceptibles de modifier ce quasi-statu quo. Une nouvelle géopolitique de l’eau au Proche-Orient Pierre Berthelot * * Pierre Berthelot est chercheur associé à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et à la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES), enseignant à la Faculté libre de droit, d’économie et de gestion de Paris (FACO). 1 Avec 3,1 millions de km², il est près de dix fois plus étendu que celui du Tigre. 2 Avec plus de 80 millions d’habitants, le pays est aussi peuplé que les cinq pays membres de l’Union du Maghreb arabe, et davantage que les sept États qui forment la péninsule Arabique. 3 Franck Galland, « Les enjeux de sécurité liés à l’eau », Géopolitique, n o  107, octobre 2009, p. 60.

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Voies naturelles de circulation, réservoirs de ressources et d’énergie, frontières aussi, les fleuves jouent un rôle essentiel dans les relations entre les peuples et les États du Proche-Orient, les rappro-chant autant qu’ils les séparent.

Des bassins sous haute tension

Le Nil, veine jugulaire de l’ÉgypteLe bassin du Nil est de très loin le plus vaste

du monde arabe 1, même s’il est aussi un fleuve authentiquement africain. Il s’étend sur plus de 6 000 kilomètres et associe une dizaine d’États riverains, ce qui le place à peu près au même rang que l’Amazone, dont le débit et la superficie restent cependant largement supérieurs.

Aucun autre bassin hydrographique de la région ne revêt un poids aussi déterminant pour un pays que le Nil pour l’Égypte. L’immense majorité de la population égyptienne (95 %), soit près du quart de celle du monde arabe 2, réside en effet autour du Nil, qui fournit 98 % de l'eau consommée dans le pays. Une partie considérable de l’activité écono-mique reste tournée vers l’agriculture, qui a besoin d’abondantes ressources hydriques. Or, l’Égypte, à l’instar de la plupart de ses voisins, est confrontée au phénomène de l’érosion de ses terres fertiles, à une réduction de ses surfaces agricoles utiles et à une démographie galopante 3.

La question de l’eau suscite donc chez les Égyptiens de nombreuses craintes, souvent justi-fiées, parfois excessives. Ils redoutent en particu-

La question de l’eau au Proche-Orient est longtemps restée relativement figée, notamment au niveau de ses trois principaux fleuves ou ensembles hydrographiques que sont le Nil, soumis aux immenses besoins de l’Égypte,le Jourdain, contrôlé en grande partie par Israël, et enfin

le Tigre et l’Euphrate disputés entre pays d’aval assoiffés (Syrie et Irak) et un pays d’amont, la Turquie, hésitant sur l’attitude à adopterface à ces derniers.Un certain nombre d’événements survenus en 2011 – la naissance du Soudan du Sud, d’une part, les révoltes arabes, d’autre part – sont aujourd’hui susceptibles de modifier ce quasi-statu quo.

Une nouvelle géopolitiquede l’eau au Proche-orient

Pierre Berthelot ** Pierre Berthelotest chercheur associé à l’Institut français

d’analyse stratégique (IFAS) et

à la Fondation méditerranéenne d’études

stratégiques (FMES), enseignant

à la Faculté libre de droit, d’économie

et de gestion de Paris (FACO).

1 Avec 3,1 millions de km², il est près de dix fois plus étendu que celui du Tigre.

2 Avec plus de 80 millions d’habitants, le pays est aussi peuplé que les cinq pays membres de l’Union du Maghreb arabe, et davantage que les sept États qui forment la péninsule Arabique.3 Franck Galland, « Les enjeux de sécurité liés à l’eau », Géopolitique, no 107, octobre 2009, p. 60.

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lier de voir remis en cause l’avantageux accord obtenu en 1959 en faveur du pays et de son voisin soudanais – qui après avoir accédé à l’indépen-dance souhaitait que soit révisé le traité de 1929, déjà extrêmement favorable à l’Égypte –, et qui octroie 55,5 km3 des eaux du fleuve au premier et 18,8 km3 au second. Les pays situés en amont du fleuve tentent de battre en brèche l’hégémonie égyptienne, notamment à travers l’Initiative du bassin du Nil (IBN) 4, à laquelle est théoriquement associée l’Égypte.

De son côté, Israël entre-tient des rapports de plus en plus tendus avec son voisin arabe depuis la chute du régime de Hosni Moubarak en 2011. Il tente aujourd’hui de réduire cette menace en tissant des relations avec le Rwanda, l’Éthiopie et le Soudan du Sud, dans le cadre d’une stratégie visant à former une « deuxième ceinture » de protection de l’État hébreu. Ces alliances de revers constituent une épée de Damoclès pour l’Égypte, alors que ses dirigeants successifs n’ont pas mis en œuvre une gestion irréprochable et rationnelle de la précieuse ressource en raison de multiples blocages politiques, économiques et culturels. Le fait que l’Égypte soit devenue un importateur net de céréales contribue à alléger le fardeau hydrique, mais menace à terme la souve-raineté alimentaire et politique du pays, ce qui permet de mieux saisir les limites du concept d’« eau virtuelle » 5, trop souvent présentée comme la solution miracle pour vaincre la pénurie qui menace le Proche-Orient.

Le Jourdain, objet de tensions récurrentes

Le Jourdain, ainsi que le bassin qui l’entoure, est le plus modeste des grands ensembles hydro-graphiques de la région 6. Il est pourtant perçu, à tort ou à raison, comme l’une des principales zones de tensions. D’aucuns n’hésitent pas à affirmer que la guerre des Six Jours, qui modifia profon-dément les équilibres stratégiques régionaux en 1967, aurait été déclenchée par Israël pour contrôler les ressources hydriques situées sur

des territoires localisés en amont. Les pays arabes avaient menacé à plusieurs reprises de couper l’approvisionnement en eau d’Israël, parce que l’État hébreu avait unilatéralement entamé dès les années 1950 la construction d’un aqueduc destiné à acheminer de l’eau du Jourdain vers son terri-toire. Les tentatives de médiation américaines lancées par l’envoyé spécial du président Eisenhower, Eric Johnston 7, n’avaient alors pu empêcher de nombreux escar-mouches et affrontements autour de ce fleuve à partir de 1965.

Les t ro is pr incipales sources du Jourdain sont situées respectivement au Liban avec le Hasbani, en Israël où naît le Dan, dans le Golan avec le Banias 8. La Cisjordanie abrite en outre de nombreuses sources souter-raines s’écoulant vers Israël. Il n’y a finalement qu’avec la Jordanie, cinquième acteur « hydropo-litique » du bassin – et par ailleurs le moins bien pourvu en eau –, que l’État juif n’entretient pas des relations tendues, le royaume hachémite étant un allié traditionnel des Occidentaux ou de leurs soutiens dans la région. Le Hezbollah considère

“Dans le cadre des conflits israélo-palestinien et israélo-arabe, l'eau apparaît autant comme un catalyseur, un prétexte ou un facteur aggravant des tensions„

4 Lancée en 1999, l’IBN est une organisation régionale qui procure une base institutionnelle pour la coopération entre les dix pays riverains qui partagent les eaux du fleuve : le Burundi, l’Égypte, l’Érythrée (observateur), l’Éthiopie, le Kenya, la République démocratique du Congo, le Rwanda, le Soudan, la Tanzanie et l’Ouganda.5 Il s’agit de l’eau utilisée pour la production d’une quantité donnée de denrées agricoles en provenance d’autres pays, limitant ainsi l’utilisation intensive de l’« or bleu » par un État qui en est faible-ment doté. Voir « L'eau virtuelle : quel éclairage pour la gestion et la répartition de l'eau en Méditerranée ? », Les Notes du Plan Bleu, no 8, avril 2008 (www.planbleu.org).

6 Le fleuve, qui ne cesse de se tarir, s’étend sur un peu plus de 350 km et son bassin aurait une superficie de plus de 40 000 km², bien que les estimations divergent sur ce point.7 Elles avaient échoué en raison d’oppositions d’ordre politique et non technique. Les bases de répartition proposées lors des négocia-tions ont été depuis plus ou moins respectées par les États riverains du bassin.8 L’annexion du Golan par Israël en 1981 n’est pas reconnue par la communauté internationale. Voir Pierre Berthelot, « Le Golan : statu quo ou restitution ? », Politique étrangère, no 3, automne 2010, pp. 647-658.

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pour sa part que le Liban ne peut utiliser l’inté-gralité de ses ressources hydriques en raison du refus israélien. Dans le cadre des conflits israélo-palestinien et israélo-arabe, l’eau apparaît autant comme un catalyseur, un prétexte ou un facteur aggravant des tensions.

Pour le bassin du Jourdain, la plus détermi-nante des relations hydropolitiques est celle qui concerne les rapports israélo-palestiniens. Si l’eau n’est pas forcément source de guerre entre ces deux voisins, la paix sera difficile à obtenir sans un accord équitable sur ce point. Cet enjeu a d’ailleurs déjà fait achopper un accord global qui semblait presque acquis entre la Syrie et Israël en 2000. Afin d’éviter une dégradation irréversible de la situation, aussi bien au plan écologique que politique, encore faut-il que l’eau ne soit plus gérée au seul prisme de l’enjeu sécuritaire qui prévaut depuis 1967. Les Israéliens considèrent l’eau comme une question relevant de la sphère militaire 9, ce qui rend presque impossibles les débats ou les projets innovants et équilibrés d’experts qui restent dès lors relégués au second plan 10.

Les ambiguïtés au cœur du processus de paix d’Oslo, au début des années 1990, se sont logique-ment étendues à la question de l’eau puisque, si des droits en la matière ont été reconnus aux Palestiniens 11, les aspects pratiques n’ont pas été précisés. Les commissions mixtes qui avaient été prévues n’en ont jamais eu que le nom et sont restées sous le contrôle de fait des Israéliens.

L’Euphrate et le Tigre, au cœur du Croissant fertile

Ces deux fleuves, et les bassins qui leur sont associés, sont certes séparés mais néanmoins souvent analysés conjointement dans l’hydropoli-tique moyen-orientale, puisqu’ils concernent, dans une relation triangulaire complexe, les trois mêmes

acteurs : la Turquie, la Syrie et l’Irak 12. La Turquie, pays d’amont doublement hégémonique 13, à la fois militairement et hydrauliquement, s’oppose à deux pays arabes rivaux depuis des décennies, minés par les mêmes enjeux communautaires, et qui souffrent d’un cruel besoin d’eau.

Pendant longtemps, Ankara a adopté une position très ferme concernant le partage des eaux du Tigre et de l’Euphrate, refusant par exemple de ratifier la Convention de 1997 des Nations Unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau à des fins autres que la navigation 14 – tout en étant en pointe pour atténuer sa dimension contraignante au moment de son élaboration. La Turquie prétend que ces fleuves ne sont pas internationaux, mais transfrontaliers, c’est-à-dire qu’ils passent par différents États sans que cela ait d’implications pour les uns ou pour les autres.

Les relations avec ses voisins arabes d’aval se sont sensiblement améliorées, en particulier après l’intervention américaine de 2003 en Irak, qui a fait resurgir le spectre d’une dislocation des États de la région sur des bases religieuses ou ethniques, sachant que les trois États ont en commun la question kurde. Cette politique d’ouverture est également en lien avec la nouvelle philosophie de la diplo-matie turque qui souhaite pouvoir peser davantage au niveau régional et international et s’implanter économiquement dans des pays où la Turquie était jusqu’ici peu influente.

L’évolution des relations irako-syriennes, concomitamment à celles entre la Turquie et les deux pays d’aval, a également été notable. Longtemps, les rapports entre Damas et Bagdad ont été marqués par un fort antagonisme, alors que

9 Ce sont les autorités militaires qui accordent les autorisations pour le forage de nouveaux puits dans les Territoires palestiniens.10 Pierre Blanc, « Palestine : sortir de la fatalité hydraulique », Futuribles, mai 2008, pp. 61-74.11 Gamal Abouali, « Continued Control: Israel, Palestinian Water and the Interim Agreement », The Palestine Yearbook of International Law, vol. IX, 1996-1997, pp. 63-113 ; Iain Scobbie, « H2O after Oslo II : Legal Aspects of Water in the Occupied Territories », The Palestine Yearbook of International Law, vol. VIII, 1994-1995, pp. 79-110.

12 Marwa Daoudy, Le Partage des eaux entre la Syrie, l’Irak et la Turquie. Négociation, sécurité et asymétrie des pouvoirs, CNRS Éditions, Paris, 2005.13 Sur le concept d’hydro-hégémonie, on se référera à Mark Zeitoun et Jeroen Warner, « Hydro-hegemony – A framework for Analysis of Trans-boundary Water Conflicts », Water Policy, vol. 8, no 5, 2006, pp. 435-460.14 Cette convention dite de New York fut proposée à l’issue de près d’un quart de siècle de travail mené par la Commission du droit international des Nations Unies. Préconisant une utilisa-tion équitable et raisonnable des ressources en eau par les pays membres d’un même bassin hydrographique, elle n’est toujours pas entrée en vigueur à ce jour faute d’un nombre de ratifications suffisant. Voir Jean-Paul Pancracio, « Les fleuves internationaux : enjeux politiques et géostratégiques », Questions internationales, no 29, janvier-février 2008, pp. 106-113.

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Djibouti

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Riyad

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Beyrouth

Nicosie

Tel-Aviv

Addis-Abeba

REPUBLIQUEDEMOCRATIQUE

DU CONGO

KOWEÏT

CHYPRE SYRIE

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ARABIESAOUDITE

IRAN

JORDANIE

LIBAN

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TERRITOIRES PALESTINIENS

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Hydrographie du Proche-Orient

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Damas

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Jérusalem

Beyrouth

Tel-Aviv

Tyr

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SYRIELIBAN

ISRAËL

JORDANIECisjordanie

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(Canal du Ghor)

Plan arabede dérivationdes eauxdu Haut-Jourdain(1964)

Mission de l’ONU(ONUST et FINUL)

Golan occupépar Israël

50 km

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les deux pays avaient pourtant en commun la même réserve, voire hostilité, à l’égard des Américains et reposaient sur des régimes autoritaires d'inspira-tion baasiste. Un accord syro-turc de 1987 garan-tissait à Damas un débit minimum de l’Euphrate suite à la mise en œuvre du Projet d’Anatolie du Sud-Est – Güneydogu Anadolu Projesi (GAP) –, gigantesque programme de constructions de barrages visant à mettre en valeur l’Anatolie et les régions kurdes. Mais en diminuant le poten-tiel naturel de l’Euphrate, il pénalisait les Irakiens, dont la situation a pu longtemps paraître plus privi-légiée que celle des Syriens. Ceux-ci ne disposent pas en effet d’un second grand fleuve pour ferti-liser leur territoire, l’Oronte n’étant pas compa-rable au Tigre. Récemment, les tensions ont semblé retomber, notamment parce que Bagdad connaît les pires difficultés à réparer et à développer ses infrastructures hydrauliques, obsolètes ou détruites par les guerres.

Israël, acteur hydropolitique incontournable

Israël s’est construit dans le cadre d’une stratégie hydro-agricole qui a débuté dès la fin du xixe siècle. Les pères fondateurs du sionisme étaient attachés au thème de la terre rédemptrice et légitimatrice qui, dans une région aride, ne peut être mise en valeur que grâce à l’eau.

Les territoires contrôlés par Tsahal au fil des guerres israélo-arabes ont contribué à accroître l’accès des Israéliens à l’eau, en particulier après la prise de contrôle de deux des trois sources du Jourdain, le Banias et le Hasbani. Israël a plusieurs fois menacé ses voisins de représailles si la répartition en vigueur des eaux était modifiée à son détriment, en particulier en 2002 lorsque le Liban envisagea de pomper davantage les eaux du Wazzani, un affluent important du Hasbani. Il semble pourtant que cela n’aurait pas beaucoup affecté le débit s’écoulant en direction de l’État hébreu 15.

À l’instar de la Turquie, Israël est un État que l’on peut qualifier d’« hydro-hégémonique », car

il dispose d’une écrasante supériorité militaire et contrôle désormais en amont la majorité des sources hydriques qui s’écoulent vers son territoire. Cette situation a priori confortable ne permet toutefois pas de résoudre la crise de l’eau à laquelle l’État hébreu doit faire face, et qui devrait s’amplifier dans les prochaines années. Les solutions alternatives envisagées ou déjà en place comme le dessalement de l’eau de mer – la ville israélienne Ashkelon abrite la plus importante usine de la région – nécessitent en effet un climat apaisé, le risque de voir ces instal-lations détruites demeurant réel.

Les « mégaprojets » ne sont pas non plus susceptibles d’apporter une solution écologique-ment responsable et économiquement viable, qu’il s’agisse du projet de canal devant relier la mer Rouge à la mer Morte (Red-Dead) ou du projet d’acheminement de l’eau de la Méditerranée jusqu’à la mer Morte (Med-Dead) – une idée initialement prônée par Theodor Herzl. Quant aux projets de coopération régionaux qui prévoyaient d’importer de grandes quantités d’eau de Turquie, voire d’Égypte 16, ils sont désormais abandonnés en raison de la détérioration des relations entre Israël et ces pays, naguère alliés ou proches.

Vers une modification du statu quo ?

La naissance du Soudan du SudLa première évolution géopolitique majeure

ayant trait à la question de l’eau au Proche-Orient concerne l’indépendance du Soudan du Sud 17, proclamée en juillet 2011 suite à un référendum. Il semble peu probable que le nouvel État s’engage dans une lutte frontale avec le Soudan et l’Égypte tant il apparaît encore fragile. Il ne manque cepen-dant pas de faire l’objet de nombreuses sollicita-tions plus ou moins amicales et intéressées. Tandis que l’Égypte a récemment laissé entendre que le traité de paix avec Israël n’avait pas vocation à rester éternel, et qu’un rapprochement entre Le Caire

15 Eyal Zisser, « Israel and Lebanon: the Battle for the Wazzani », Tel-Aviv Notes, no 50, Moshe Dayan Center for Middle Eastern and African Studies, Tel-Aviv University, 14 octobre 2002.

16 Pierre Berthelot, « L’Égypte et la question de l’eau au Proche-Orient », Géopolitique africaine, no 31, juillet-septembre 2008, pp. 229-241.17 Voir Barah Mikhail, « Un fleuve sous haute tension : le Nil », Futuribles, novembre 2008, pp. 27-38.

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Une nouvelle géopolitique de l 'eau au Proche-Orient

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Le barrage Atatürk fait parti du projet de construction de 22 barrages sur l’Euphrate et sur le Tigre destinés à irriguer 1,8 million d'hectares en Turquie. Le débit des deux fleuves pourrait en être réduit respectivement de près d’un tiers et d’un quart à leur entrée en Syrie et en Irak.

© Wikimedia commons

et Ankara se profile en Méditerranée orientale, Tel-Aviv pourrait être tenté de détourner l’atten-tion des Égyptiens, via son nouvel allié sud-souda-nais 18. Le Soudan du Sud pourrait aussi faire pression sur Khartoum pour obtenir davantage de ressources financières issues de l’exportation du pétrole. Celui-ci est extrait sur son territoire, mais transite par son voisin qui bénéficie d’une partie des recettes de l’or noir.

Enfin, l’existence de nombreux mouvements autonomistes ou indépendantistes au sein de ce qui reste du territoire soudanais – en particulier dans la zone dite du « Nil bleu » –, proches des nouvelles autorités de Juba, constitue un risque à prendre en compte. Ces mouvements pourraient être eux aussi tentés d’utiliser l’arme hydraulique

pour faire pression sur le gouvernement central afin qu’il satisfasse leurs revendications. L’Égypte et l’Éthiopie, les deux États les plus peuplés du bassin, craignent d’être les victimes par ricochet de cette déstabilisation d’un Soudan de surcroît toujours menacé par le conflit au Darfour. Alors qu’ils sont eux-mêmes traversés par des tensions internes, ils ont été récemment amenés à se rapprocher 19.

Vers une reprise de la confrontation au Golan ?

Depuis sa conquête par Israël en 1967, le plateau du Golan a été épargné par les combats, à l’inverse du Liban du Sud voisin et de la Cisjordanie toute proche, malgré une importance hydro-straté-gique considérable. En mai et juin 2011, le plateau

18 « Israël - Soudan du Sud : une alliance calculée », Le Monde, 29 septembre 2011.

19 « Égypte-Éthiopie : un nouvel accord pour le partage des eaux du Nil », Jeune Afrique, 18 septembre 2011.

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Regards sur le monde

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a toutefois été le théâtre d’affrontements sanglants entre des militants palestiniens et les forces israé-liennes à l’occasion de la commémoration de la Nakba – la « catastrophe » qui rappelle l’expulsion des Palestiniens lors de la création d'Israël en 1948.

Le message adressé par Damas est alors clair, tant vis-à-vis de sa propre population que de son voisin et ennemi : le pays se pose à l’avant-garde de la cause palestinienne, et entend préserver son unité et son intégrité territoriale. Ces escarmouches lui permettent aussi de signifier à l’État hébreu qu’il n’a rien à gagner à se débarrasser d’un régime baasiste, qui est certes l’allié d’irréductibles adversaires (Iran, Hezbollah, Hamas) mais qui offre l’avantage d’être stable. Bref, si la Syrie n’est probablement pas prête à ouvrir un second front, elle n’entend pas renoncer à son influence régionale, alors même qu’elle est en butte, depuis le printemps 2011, à une vague de contestation interne.

Vers le retour d’une approche sécuritaire turque ?

La Turquie ne peut plus se montrer aussi conci-liante avec son voisin syrien depuis que le régime baasiste est en proie à une insurrection populaire. Elle pourrait décider de recourir à la menace qu’elle avait déjà utilisée avec succès en 1998 pour pousser le pouvoir damascène à renoncer à soutenir le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) d’Abdullah Öcalan : masser des troupes à la frontière et annoncer une diminution imminente du débit de l’Euphrate. Cette option présente l’avantage d’être beaucoup moins onéreuse qu’un recours à la force. Même si la Turquie entretient aujourd’hui des rapports presque normalisés avec Bagdad et, plus surpre-

nant, avec les populations kurdes vivant en Irak, elle pourrait néanmoins avoir recours à l’arme hydrau-lique au cas où se profilerait la perspective d’une partition de l’ancienne Mésopotamie et l’émergence d’un Kurdistan indépendant dont l’autonomie est une réalité depuis plus de vingt ans.

Dans le même temps, s’il est difficile d’éva-luer l’étendue de la dégradation des relations avec la Syrie, cette dernière demeure un élément impor-tant du dispositif hydropolitique turc. Ankara n’a ainsi pas abandonné son projet d’« aqueduc de la paix » visant à acheminer de l’eau vers les zones arabes arides de Mésopotamie. En échange, la Turquie est censée bénéficier d’importantes ressources pétrolières des pays du Golfe.

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La géopolitique de l’eau au Proche-Orient, après avoir été relativement figée pendant des décennies, évolue depuis quelques années. Des affrontements semblent désormais moins impro-bables que par le passé. Mais, dans cette dernière hypothèse, le prix à payer sur un plan tant humain qu’économique restera plus élevé que la négocia-tion et l’obtention d’accords de partage, officiels ou tacites, fussent-ils imparfaits et a minima.

Une modification en profondeur des habitudes de consommation doit avant tout s’imposer tant les gaspillages apparaissent démesurés au Proche-Orient, une zone aride faisant face à une importante croissance démographique – Liban excepté – et à un stress hydrique réel. Les avancées technolo-giques associées à une meilleure gestion de l’eau restent encore insuffisantes au regard de ce défi à caractère multidimensionnel. n