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Après des études de sociologie et d’histoire de l’art en France, Mohamed Ameskane a embrassé une carrière de journaliste dès 1990. Responsable des pages culturelles du mensuel le Libéral, dirigé par la regrettée Nadia Bradley, de la Gazette du tourisme, du supplément du Matin du Sahara et de la Gazette du Maroc, il co-réalise avec Mohamed Minkhar la série documentaire « Filbali oughniyatoun », diffusée sur Al Oula. Mohamed Ameskane à publié en 2009, dans le cadre de la 1 ère édition du Festival AWTAR, « 30 refrains de la mémoire, tubes de la variété marocain » Mohamed Ameskane Une mémoire commune Mohamed Ameskane �ستدامةنمية اّ لتلرحامنة لس�سة اؤ� م�Une mémoire commune GRAPHELY

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Après des études de sociologie et d’histoire de l’art en France, Mohamed Ameskane a embrassé une carrière de journaliste dès 1990.

Responsable des pages culturelles du mensuel le Libéral, dirigé par la regrettée Nadia Bradley, de la Gazette du tourisme, du supplément du Matin du Sahara et de la Gazette du Maroc, il co-réalise avec Mohamed Minkhar la série documentaire« Filbali oughniyatoun », diffusée sur Al Oula.

Mohamed Ameskane à publié en 2009, dans le cadre de la 1ère édition du Festival AWTAR, « 30 refrains de la mémoire, tubes de la variété marocain »

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le Maghreb en chansons

Figures de la chanson marocaineAhmed Al BidaouiZohra El FassiaHaj BelaïdAbdelwahab Agoumi Mohamed FouitehAbdelouahab Doukkali Bahija IdrissAbdelkader RachediAbdessalam AmerHajja Hamdaouia

Figures de la chanson algérienneMahieddine Bachetarzi Haj M’hamed El AnkaWarda Al JazairiaAhmed WahbiNouraDahman El HarrachiSalouaRabah DriassaSalim HalaliSlimane Azem

Figures de la chanson tunisienneKhamis TarnaneEl Hadi JouiniSalihaMohamed JamoussiOulayaAli RiahiHabiba MessikaAhmed HamzaCheikh El AfritNaâma

Chanteuse mauritanienneMaalouma Bint El Midah

Compositeur libyenYoussef El Alem

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Avertissement« Chansons maghrébines, une mémoire commune » a été conçu dans le cadre de la deuxième édition du Festival Awtar, tenue du 6 au 9 mai 2010 à Benguerir. A mi chemin entre le livre et le catalogue, c’est avant tout un outil pédagogique accompagnant la programmation autour des concerts : « Le Maghreb en chansons. »

A travers plus d’une trentaine de biographies, il met en lumière quelques figures emblématiques ayant marqué la naissance et l’évolution de la chanson maghrébine moderne. Evidemment que c’est réducteur et mon choix, que j’assume, reste personnel et subjectif.

Dans l’attente d’une histoire, encyclopédique et pluridisciplinaire, de la chanson maghrébine, nous sommes contraints de nous contenter des travaux de quelques passionnés. Je nomme les Marocains Abdallah Chakroun, Salah Cherki, Ahmed Aydoun, les Algériens Mahiéddine Bachetarzi, Ahmed et Mohamed Lahbib Hachelaf, Achour Cheurfi, Rachid Aous, Bouziane Daoudi et les Tunisiens Mohamed Boudina, Hamadi Abassi et Tahar Melligi. Les portraits des artistes algériens et tunisiens, figurant dans ce document, sont largement inspirés des travaux de ces derniers.

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Le Maghreb en chansonsLa chanson maghrébine moderne est le fruit d’un long processus historique, brassage de différentes cultures, d’influences réciproques et du métissage des traditions africaine, amazighe et arabe. La musique andalouse, avec ses différentes variantes, Ala, Sanâa, Gharnati et Malouf, reste l’un des dénominateurs communs des pays du Maghreb.

Les maîtres, Mohamed Fouiteh, El Hadi Jouini, Mahieddine Bachetarzi, Abdelwahab Agoumi, Mohamed Jamoussi, Mohamed El Kamel, Abdelkader Rachedi, Ali Riahi, Dahmane El Harrachi ..., après avoir assimiler la renaissance égyptienne, avec Sayed Darwich et Mohamed Abdelwahab, la musique classique occidentale, les genres méditerranéens, notamment le flamenco, les modes en provenance des Amériques, tango et jazz, se sont attelés à la création d’une chanson spécifique.

Artistes d’une même famille, partageant le pain et le sel, les expériences, les frustrations et les créations, ils considéraient le Maghreb leur pays et ses peuples leur public. Difficile de dire qu’un tel genre est originaire d’un pays ou d’un autre. Le Chaâbi algérien, influencé par le Malhoun, n-a t-il pas été importé du Maroc par le cheikh Mustapha Nador ? Le renouveau du Gharnati à Oujda et à Rabat ne s’est-il pas fait grâce aux maîtres algériens, Mohamed Bensmail et Mohamed Benghabrit ? Les chants tunisiens de Cheikh Elafrit et de Saliha ne sont-ils pas puisés du répertoire populaire libyen, transmis par les judéo-arabes Moshé J’Bali et Asher Mizrahi ?

D’une mémoire musicale commune, les tubes « Alach ya ghzali »,« Mahhani zine alamar », « Chahloula », « Ya raih », « Lalla fatima »,« Al horma ya rassoul allah », « Alli gara », « Ya mouja ghanni », « Riht lablad », « Lahmam li walaftou », « Lamouni elli gharou minni », « Ya ben sidi ya khouya », « Ched Essif »…. sont fredonnés, avec plaisir, par l’ensemble des peuples de la région. La musique transgresse la géographie et transcende le temps. N’ayant pris la moindre ride, les refrains maghrébins d’hier ne sont-ils pas repris aujourd’hui à travers l’ensemble du monde arabe ?

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Figures de la chanson marocaine

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Ahmed Al BidaouiAhmed Benchahboune, alias Ahmed Al Bidaoui, est né en 1918 dans l’ancienne Médina de Casablanca, à deux pas de Jamâa Chlouh, quartier connu alors par les boutiques spécialisées en instruments de musique. Son père, qui travaillait à l’école de la marine, est originaire du Souss. En entonnant, dans une opérette dédiée à Agadir, « C’est Souss qui chante/ je lui appartiens/ et elle m’appartient/ tous les deux nous sommes sur une main protectrice. », n’évoquait –il pas ses origines ? Le texte n’est-il écrit pas l’ami et complice Wajih Fahmi Salah ?

A quatre ans, Ahmed Al Bidaoui intègre le « Msid », l’école coranique tenu par le « fqih » Si Belkhir, pour apprendre et psalmodier le Coran. Plus tard, il assiste, avec assiduité, aux cours de Haj Abderrahmane Ntifi à « Frint Oulad Haim ». D’une mémoire prodigieuse, il mémorise pendant les cours et les séances des différentes « Zaouïa », la grammaire, la conjugaison, les lettres, les sciences religieuses avec une préférence pour la poésie arabe classique. Ses maîtres lui prévoyaient un grand avenir dans le domaine religieux. Mais c’est le chant et la musique qui fascinaient et attiraient le jeune prodige.

Outre la musique andalouse, le Malhoun et les chants folkloriques en provenance des différentes régions du royaume, appréciés à Casablanca, le début du XXéme siècle a vu l’arrivée des modes orientales. Elie Bida installa un studio d’enregistrement au boulevard de Paris. Des vedettes égyptiennes commencèrent à débarquer au Maroc pour de longs séjours ou une installation définitive. On peut citer les Mohamed Al Masri, Tahar Al Masri, le violoniste Samy Chouwa, les Tunisiens Khamis Tarnane et Louisa Tounsia, les Algériens Larbi et son fils Rédouane Bensari, Amine Hassanine, Nadra, Badiaa M’sabani et Abdelmoutalib dont l’un des fils vit toujours au Maroc, à Casablanca. Grâce aux premiers gramophones et aux disques 78 tours, les Marocains s’initièrent aux « Adwar », « Mouwachah », « Taqatiq » et autres

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« Qasidas » des Salama Higazi, Zaki Mourad, Daoud Hosni, Mounira Al Mahdia, Abdou Hammouli, Salih Abdelhay, Sayed Darwich et Sayed Safti. Les radios commencent à diffuser ces répertoires et l’arrivée des films de Mohamed Abdelwahab, Farid Al Atrache et Oum Kaltoum finirent par créer une génération de mélomanes. Dans ce contexte, Ahmed El Bidaoui, qui assistait à l’enseignement de Mohamed Zniber, lance avec un groupe d’amis « le club de la musique orientale », installé dans une maison de Derb El Kebir. A partir de 1935, il s’initie au luth pour en devenir virtuose, forme un premier « Takht », constitué d’un violoniste et d’un cithariste (Qanoun), et entame une tournée à travers le pays imitant les refrains classiques en provenance d’Egypte. Peu de temps après, il lance un deuxième orchestre, formé par des musiciens musulmans dont Abdelaziz Sefrioui et juifs à l’instar de Salim Azra (qanoun) et d’Eliahou Bouhtout (violon). Après Lahrizi, Al Kazoui et Bouchaib Ould El Mouden, tous spécialistes de la musique orientale et qui, hélas, n’ont rien enregistré, Ahmed El Bidaoui occupe le devant de la scène.

Un mélomane casablancais, Haj Abdelkader, lui conseille de rejoindre la capitale. Le roi Mohammed V venait d’y installer, après la troupe « Khamsa oukhamsine », l’orchestre royal sous la direction de l’Egyptien Morsy Barakat. Ahmed Al Bidaoui le rejoint en 1938 et ne tarda pas à entamer ses premières compositions. En 1940, la société Sonyphone lui confie un rôle dans le film « Assab Al Alil ». Il y interprète trois poèmes d’Ahmed Chawki. Il joue aussi dans « Demouâa al yatim » de Bachir Laâlej chantant « Yahabibi Afik », « Hada habibi » et « Ya habiban ahwah ». Au cours d’une visite du sultan Mohammed V à Marrakech, les Marocains découvrent, grâce à la radio, les « Ya hayat arrouh » et « Ya habiba arrouh », composées par Ahmed Al Bidaoui, Abbes Al Khiati, son frère Al Ghali et Abdelkader Bensalah. A la mort de Morsy Barakat, Ahmed Al Bidaoui le remplace et assure ,dés 1954, la direction de l’orchestre moderne, dit orchestre Radio Maroc, qu’il a rejoint en 1939. La formation réunissait les plus grands instrumentistes dont

Maâti Belkacem, Abderrahim Sekkat, Salah Cherki, Amr Tantaoui, Abdenebi Jirari, Mohamed Belhachemi, Ahmed Chajaii, Maâti Bidaoui, Mohamed et Abbes Smires, Mekki Raissi…

Outre la composition et le chant, Ahmed Al Bidaoui a produit des émissions pour la radio dont « Alam Annagham » et signé des articles dans le quotidien « Al Alam » sous le pseudonyme de Sadik al moussika. D’une culture profonde à la fois religieuse, musicale et littéraire, Ahmed Al Bidaoui a crée son propre style sinon une école, appréciée au Maroc et dans les pays arabes où il entretenait d’étroites relations avec les grands artistes à l’instar de Mohamed Abdelwahab et d’Oum Kaltoum. Attaché à la langue arabe et à une composition « … classique respectant la carrure des phrases (structure binaire), les modulations classées et conventionnelles, les rythmes anciens.. », comme le souligne Ahmed Aydoun, il nous lègue un époustouflant répertoire qui reste à analyser, à questionner et à promouvoir. Celui qui, dés les années soixante, à assuré la direction du service de la musique au sein de la radio et qui a présidé les commissions de compositions et de paroles, a formé des générations d’artistes et d’instrumentistes. Pourquoi s’est-il arrêté de composer et de chanter depuis cette époque ? Le secret reste enfoui avec sa disparition le 30 août 1989 !

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Zohra ElfassiaPremière femme marocaine auteur-compositeur et interprète, Zohra Elfassia est née à Fès vers 1900. Son enfance, bercée par les appels des Muezzins, les prières des rabbins, les chants des adeptes des confréries et les coups, saccadés et rythmés, que les artisans portent au bois, au cuir et au cuivre, la petite brunette aux cheveux frisés, aux yeux noirs et aux pommettes roses, été et hiver, courait les ruelles de la sainte cité en chantonnant. A l’école de l’Alliance, elle ne ratait aucune occasion pour pousser la chansonnette tout en rêvant de devenir une grande cantatrice. Invitée ou pas, Zohra se pointait à la porte de toute maison où une fête est organisée. En s’installant à proximité de l’orchestre, on finit toujours par l’inviter pour un tour de chant. C’est ainsi qu’elle apprit toutes les chansons en vogue à l’époque.

Un de ces beaux matins, Zohra quitte Fès pour Rabat où elle est accueillie par une grande famille musulmane de la capitale dont le patriarche, mélomane notoire et fêtard invétéré, avait quatre épouses dont trois musiciennes qui l’initièrent aux chants classiques et populaires marocains, algériens et tunisiens. Après Rabat, elle s’installe à Casablanca à Boutouil, puis à Derb Lingliz pour chuter à la Place Verdun. . C’est dans la cité blanche qu’elle fait la connaissance de grands musiciens de l’époque tels Salim Azra, Bouhbout, Soulamit et autre Shloumou Souiri. Adoptée par les grandes familles bourgeoises musulmanes et juives, elle était, avec sa troupe, de toutes les grandes fêtes. Il fallait la voir animer la soirée en jouant du Tarr, instrument par excellence du chef, en dansant et en interprétant L’Aârossa (la mariée), devenue l’hymne des noces juives marocaines. Au moment de laghrama, offrandes d’argent aux musiciens, elle interpellait les convives par leurs noms de famille et leur distribuait louanges et remerciements. On venait de loin pour assister à ses prestations, mais aussi pour sa beauté. Première marocaine à enregistrer ses disques à partir de la fin des années vingt chez Columbia, Gramophone, Pathé Marconi, Philips

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et autre Polyphone, sa notoriété allait bientôt dépasser les frontières marocaines pour se faire une place de choix en Algérie et Tunisie en compagnie des Meriem Fekai, Cheikha Tetma, Reinette l’oranaise et autre Louisa Tounsia.

Au début des années soixante, Zohra Elfassia s’expatrie en Israël. Elle s’installa à Ashkelon dans une maison décorée à la marocaine. Bien coiffée, couronnée, maquillée et habillée de ses plus beaux Caftans, elle passait ses journées à cuver ses souvenirs. Entourée de poupées et de bibelots, à chaque fois que son regard croisait celui du roi Mohammed V dont le portrait trône au salon, elle chantonnait l’un des éloges qu’elle lui avait consacré.

Après une riche carrière musicale, Zohra Elfassia s’est éteinte en 1995 nous léguant de mémorables refrains, toujours fredonnés avec plaisir par les nostalgiques.

« al ghorba », « Annar », « Hbibi diali », « Mahla ousoulkoum », « Saadi rit lbareh », « Ya warda », « Alach klam laar », « Ktab ya taleb », « Lghorba oulafrak », « Chalat li nar fi galbi », « Mzinou nhar lyoum », « Lamra lakbiha », « Ayta moulay brahim », « Ayta bidaouia », « Ya najmat lahlal », « Al hira » , « Ya warda », « Nechki lrabbi », « Bilwajeb », « Mahla zhou idoum alina », « Ya biadi ana » ….La discographie de Zohra Elfassia compte une infinité de refrains d’une grande variété . Si elle est l’une des premières marocaines à exceller dans le genre Malhoun, elle a aussi interprété le Chaâbi, le Hawzi algérien, le Gharnati, ainsi que des chansons de la variété tunisienne. Ses morceaux sont sauvegardés par les radios maghrébines ainsi qu’en Israel où l’édieur Zakiphone lui sort, de temps à autre, un CD, reprises des anciens 78, 33 et 45 tours. Il y’a quelques années, le ministère de la culture marocain a consacré une anthologie au patrimoine national dans toutes ses facettes. Zohra Elfassia y figure avec un CD. « Elmaâlma » est incontournable.

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Haj BelaïdFigure emblématique et incontournable de l’ « Amarg » Amazigh, Haj Belaïd est à la chanson berbère marocaine ce qu’est Mohamed Abdelwahab à la chanson arabe. Ses refrains indémodables sont repris, depuis les années trente, par des générations de Rwayes à l’instar de Rkia Damsiria, Amentag, Amouri Mbarek, par les groupes Izenzaren, Ousman, Oudaden, sans oublier la nouvelle scène avec, entre autres, Amarg Fusion. Ses enregistrements, les documents sur son fabuleux destin, ainsi que ses photos sont très rares. Le troubadour du Souss est né au 19ème siècle, entre 1870 et 1875, à Anou n’adou dans la région de Tiznit. Issu d’une famille modeste, il perd son père dés son jeune âge. Très tôt, il quitte l’école coranique, où sa mère l’a inscrit , pour gagner sa croute et aider ses frères. Berger, il sillonne les régions d’Ida oubaâkil et d’Anzi, accompagné de son inséparable flûte.On raconte qu’il a fréquenté assidument le Mellah de Tahala dans la région de Tafraout et qu’il y a appris la musique auprès de la communauté judéo-berbère du coin. L’intervention du Cheikh R’ma de Tazeroualt, le Cherif Sidi Mohamed Ousaleh, fut décisive dans sa vie et sa carrière. Haj Belaïd intègre sa troupe en tant que flûtiste, s’initie à l’Outar et au Ribab. Par la suite, il crée sa propre troupe avec Rais Mohamed Boudrâa Tazeroualti, Moulay Ali Souiri et Mbarek Boulahcen. En leur compagnie, il erre dans le pays à l’instar des troubadours du Moyen Age avec des haltes chez les grandes personnalités politiques, religieuses et d’affaires. Très apprécié, ses passages sont courus. Ses thèmes, son jeu inégalable du Ribab et sa voix ensorceleuse ont fait pleurer les femmes et bercer des générations de mélomanes.Auteur, improvisant ses refrains, compositeur et interprète, Haj Belaïd a chanté plusieurs thèmes. Dans « L’fars », « Tadouat d’lklam », « Ribab », « Ouar laman », « Igh istara oudar », « Ika isbar yan », il évoque sa souffrance avec la poésie, l’errance et les voyages. Dans « L’jouhr », « Ajdig nimi n’trga », « Adbib », « Talb », « Atbir

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oumlil », c’est l’amour courtois, la beauté féminine qui est célébrée dans des termes très pudiques et des métaphores subtiles. Avec « Ch’rab », « Taroudant », la critique sociale est mise en avant. Haj Belaïd a aussi joué un indéniable rôle, tel un historien du quotidien, dans la consignation des événements ayant secoué la région et les nouveautés introduites alors par la civilisation occidentale, dans les chansons « L’makina ousatiam », « Tiznit oulbacha », « Chifour outoumoubil ». Haj Belaïd nous lègue aussi des morceaux d’anthologie concernant ses voyages tels « Amoudou l’hij », décrivant son pèlerinage à la Mecque en 1910, « Amoudou n’taliouine », rendant visite au pacha Haj Thami Glaoui, et son fameux « Amoudou n’bariz ». Ce dernier morceau évoque la visite du Roi Mohammed V à Paris. Bien que le grand Rais ne fût pas de voyage, il entonne en hommage à la ville lumières :

Our sul illa ch’ka gh’lberr wala gh’wamanIl n’ya plus de difficultés ni sur terre ni sur merWanna iran amoudou add our yakka laâdouratCelui qui désire le voyage, n’a plus d’excusesMkar tid ournki, lakhbar’ns lan darnighBien que nous n’ayons pas été, nous avons de ses nouvellesKoulou matidikan our iaâwid bla ghar’lkhirCeux qui l’ont visité n’en parlent qu’en bien

Au crépuscule de sa vie, « Dalail al khairat » et le Ribab en bandoulière, l’éternel errant consulta les docteurs de la foi sur la licité de faire commerce de son art. Après une réponse positive, il déclara, « Les gens vendent ce qu’ils possèdent, moi aussi ». Haj Belaïd n’a commencé à enregistrer qu’â partir de 1929. En l’écoutant chanter, à l’âge de 70 ans, « Tachirguid », « Zeroualia, Tazeroualt »,« Ouar lman » , « Tagujist » et « Toumoubil », sortie chez Gramophone, il nous est difficile d’imaginer les subtilités de sa voix quand il était jeune. Quel Dommage !

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Abdelwahab AgoumiNé à Fès le 10 octobre 1918 de parents mélomanes, amateurs de musique andalouse et du Malhoun, avec une mère qui ne cessait de bercer son enfance de sa belle voix et un père, le Alem Hachem Agoumi, qui psalmodie le coran comme personne et anime les grandes veillées du Madih et Samaa, organisées dans les Zaouia de la cité spirituelle, Abdelwahab Agoumi s’est éprit du chant dés son jeune âge.Tout en poursuivant son cursus scolaire (école coranique, école Agoumi, lycée My Idriss, l’université Al Quaraouine), il s’initie au luth et au piano et fréquente les maîtres de l’époque, les Brihi, Mtiri et autre Moulay Ahmed Loukili. Au Maroc les premiers gramophones et les disques 78 tours firent leur apparition, les films égyptiens débarquèrent, les amateurs fredonnaient Abdou Hammouli, Salih Abdelhai, Oum Kalthoum et Farid Al Atrache. Agoumi lui imitait les refrains de Mohamed Abdelwahab et s’essayait à la composition avec des textes patriotiques.

« Je l’ai vu jouer dans Kif ayuha al moutaham (debout accusé) de Abdelouahed Chaoui en 1937. C’était la première fois que je voyais un acteur et une pièce. Je suis redevable à Agoumi d’avoir fais du théâtre mon métier », témoigne le dramaturge Ahmed Tayeb El Alj. Dans un article du journal « Assaâda », on encense son jeu et les qualités de sa voix dans « Al khalifa Harroun Arrachid maâ al amir ghanem ben Ayub », présentée dans un cinéma de Meknès le 7 mars 1935. La pièce faisait partie du programme, avec « man il masoul ? houwa am hiya », de la grande et mémorable tournée organisée par Abdelwahad Chaoui pour fêter son départ en Egypte dans les années quarante avec la bénédiction du Sultan Mohammed V.Au Caire, Abdelwahab Agoumi s’inscrit à l’institut Fouad 1er avec au bout le diplôme d’études supérieures de musique, compose l’opérette « Al Abbassia okht Arrachid », pièce poétique de Aziz Abada jouée par la troupe « Ramsès », fondée par Youssef Wahbi en 1923, les chansons du film « Antara al absi » avec Siraj Mounir et Kouka et joue

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dans « Al mountakim », en compagnie de Ahmed Salem et Nour Al Houda. Figure de la scène égyptienne, il organise tournées, concerts et enregistre à Radio le Caire, à la BBC de Londres et à Pathé Marconi à Paris.

Le 22 septembre 1949, Hebdo-Radio de Casablanca écrit sous le titre « Abdelwahab Agoumi : Le rossignol andalou », « …de retour d’Egypte pour quelques mois de détente, il est arrivée la semaine dernière à Rabat, et la première visite qu’il a faite aussitôt à S.M. le Sultan a été pour lui très encourageante. ». L’enfant prodige avait dans ses cartons « Mawakib arrabiaa ». Comment convaincre l’orchestre philarmonique de Radio Maroc de jouer une symphonie arabe composée par un marocain ? La soixantaine d’instrumentistes européens , des invités solistes avec à leur tête un chef qui touchait à l’époque plus que le DG de la radio sont plus habitués aux œuvres de Beethoven , Bach , Haendel, Mozart, Mahler, Fauré et autre Béla Bartók . Finalement l’œuvre est jouée, enregistrée à la radio et présentée au public sur les scènes de l’époque.

Après la guerre, Paris est devenue la Mecque des artistes arabes. Les cabarets orientaux y abondent, à l’instar du Tam -Tam, Koutoubia, le Bghdad et Al Jazair où se produisaient les Ali Riahi, Blond Blond, Fouiteh et Salim Halali. Abdelwahab Agoumi y débarque et s’inscrit à l’ école supérieure de musique où il décroche un diplôme d’harmonie , d’orchestration et de la direction d’orchestre. Un autre diplôme, de culture musicale, est obtenu en Espagne, à l’école de musique Santiago de Compostela.De retour au Maroc, après près de 15 ans d’apprentissage, on lui confie la direction des affaires artistiques et musicales au sein du ministère de l’éducation nationale. Les nostalgiques se rappellent son émission radiophonique « Allahn al khalid » où il présentait les grands noms de la musique classique mondiale. Il fonde le premier conservatoire national de musique, de danse et d’art dramatique , en devient le directeur en 1961, crée en son sein un orchestre symphonique et envoie les étudiants

continuer leur cursus en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne. Professeur de musique dans les écoles affilées au ministère de l’éducation nationale, responsable de l’éducation et de l’enseignement musical au secteur de l’entraide national au ministère des affaires sociales, créateur de plusieurs chorales et orchestres dans plusieurs villes avec les jeunes de l’entraide nationale et des unions féminines, Abdelwahab Agoumi a formé des générations de chanteurs et de musiciens et fut à l’origine de l’installation de plusieurs conservatoires régionaux.De retour de Beni Mellal où il supervisait, en tant que conseiller du ministère de la culture Mohamed Benïssa, la mise en place du conservatoire de la ville, qui porte son nom depuis 1994, Abdelouahab Agoumi s’éteint le 20 septembre 1989, à la suite d’ un tragique accident de la route.

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Musiques instrumentales (Raksat al ghizlane, Raksat al abid, Dikrayat al jazair …), « Qasaid » en langue arabe classique telle « Attaih », opérettes et comédies musicales, chants patriotiques et chansons de variété, concoctées à l’écoute de l’air du temps (Malek hairana, Kounti fin ya hiloua, Damaa fil ain…) , l’œuvre de Abdelwahab Agoumi , enregistrée dès la fin des années quarante, est cosmopolite, éclectique et ouverte sur le monde. Dans un entretien au quotidien l’opinion, il déclarait, « c’est ainsi que j’introduisis pour la première fois dans la musique marocaine le Tango, le Mambo, le Boléro, la Samba, le cha-Cha-cha, la valse, le paso-doble et autres danses en vogue dans le temps. » Les américains n’ont-ils pas débarqué sur les côtes marocaines en 1942 avec, dans leur bagages, le blues, le jazz et les sons et danses d’Amérique Latine ? « Par ailleurs, j’ai employé dans mes œuvres, l’harmonie, les arrangements musicaux, les chœurs… ». A écouter par exemple « Barii », écrite par Hammadi Tounsi, on est séduit par sa fraîcheur et sa modernité alors qu’elle fut enregistrée dans les années ciquante !Novembre 2009 est sortie à Paris « H’na l’ghorba », une anthologie en trois CD réunissant les chansons maghrébines de l’exil. Editée par l’Association Générique et EMI Music France, Abdelwahab Agoumi y figure en bonne place avec « Bent bariz ». C’est l’orphelin enregistrement qu’on lui trouve sur le marché ! C’est pour quand une anthologie de l’arrangeur de l’hymne national ?

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Mohamed FouitehConnu sous le sobriquet Fouiteh, inspiré du nom de son père Haj Fattah Hallak, Mohamed Tadlaoui est né le 18 mai 1928 dans le quartier Al Makhfia de la médina de Fès. Orphelin à l’âge de dix ans, il fut apprenti chez un cordonnier ainsi que chez un fabricant de plateaux de thé. Il a quatre ans quand son oncle accrocha dans sa chambre un portrait de Mohamed Abdelwahab, tiré du film « Al Warda Al Baida ». L’image, qui l’intriguait et qu’il ne cessa d’admirer, le hanta pendant des années.Passionné de musique dès son jeune âge, il jouait de l’harmonica au cours des récréations pour le plaisir de son premier public, ses camarades de classe. Plus tard, Mohamed Bouzoubâa l’initia aux méandres de la musique andalouse et Thami Harrouchi au Malhoun. Outre la musique, Mohamed Fouiteh s’intéressait au dessin et au foot en jouant, comme gardien de but, dans l’équipe de l’école Al Adwa. A quatorze ans, il maniait le luth entonnant les classiques égyptiens de Mohamed Abdelwahab, Oum Kaltoum, Farid Al Atrache et Ismahan. Mehdi Elmanjra se souvient des Nzahas qu’il animait à Sefrou, Sidi Harazem et dans les jardins de Jnan Sbil. Plus tard, il crée en compagnie d’ Ahmed Chajaii et d’Abderrahim Sekkat l’orchestre Achouâa. Ensemble, ils animaient les fêtes familiales et passaient, chaque semaine, en direct de Dar Slah, antenne régionale de Radio Maroc. Sa première chanson est un poème de Mohamed Benbrahim .

Fin des années quarante, Mohamed Fouiteh s’envole pour Paris, devenue après la guerre, la Mecque des plus grands musiciens et interprètes du monde arabe. Maîtrisant les classiques orientaux, il se produisait au cabaret Al Jazair, rue de la Huchette, et au Baghdad, rue Saint André des Arts. Ce dernier était tenu par un samaritain Soussi qui ne picolait pas et ne s’intéressait pas au spectacle. Drôle de patron de cabaret ! Il s’agissait en fait d’un nationaliste qui fournissait des armes à la résistance et dont le Baghdad n’était qu’une couverture. La rencontre avec Ahmed Hachelaf, journaliste au service arabe de la radio française

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Photo : Mustapha Belouahlia

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et directeur artistique chez Pathé Marconi, fut décisive dans sa carrière. C’est grâce à lui qu’il s’est mis à composer des chansons marocaines, sur les traces de Houcine Slaoui, dont la fameuse Awmaloulou. Premier essai, premier coup de maître et premier tube du « …précurseur de tout ce qui se fait aujourd’hui dans la nouvelle musique marocaine répandue partout par Abdelouahab Doukkali, Abdelhadi Belkhiat et un grand nombre de compositeurs qui ont réussi à faire connaître et apprécier la musique marocaine en dehors des frontières du Maroc », note avec justesse le même Hachelaf.

En 1974, au cours d’une tournée en France, le capitaine Gossier,ex -directeur de Radio Maroc, invita Fouiteh et Abdelouahab Doukkali. Entre le dessert et le fromage, il leur demanda l’explication de la formule « Awmaloulou », refrain qu’il passait en boucle à l’antenne. Quand Fouiteh lui annonça qu’il s’agissait d’un texte patriotique avec un dialogue entre Mohammed V et son peuple, Gossier s’exclama : «Je connais tous les dialectes marocains et j’ai appris toutes les blagues de Marrakech et je me suis fait avoir ! ».

Outre ses propres créations, Mohamed Fouiteh , qui nous a quitté au mois de septembre 1996, a composé pour Bahija Idriss, Maâti Belkacem et Abdelhay Skalli. Il nous lègue une infinité de chef d’œuvres, inspirés des traditions populaires marocaines les plus authentiques. « Melli mchiti sidi », « Mabini oubinou walou », « Al bargui », « Lahbib a lahbib », « Hani yalli nadani », »Ahli wahbabi », « Anhabou bla khbarou »… Refrains inoubliables, toujours fredonnés par les marocains avec plaisir et nostalgie. Ils sont tels les grands crus, plus ils vieillissent plus ils prennent de la valeur.

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Abdelouahab DoukkaliCompositeur-interprète brillant à la créativité débordante et à la production innovante et continue, Abdelouahab Doukkali incarne la modernité de la chanson marocaine. Idole de la jeunesse des seventies qui a grandi avec ses chansons et qui, plus âgée, n’en continue pas moins de fredonner ses anciens airs et d’apprécier ses nouvelles et originales créations. Abdelouahab Doukkali, outre son œuvre, est avant tout un look qui défraya la chronique imposant des choix à contre courant : La mode des cheveux défrisés, la montre portée au poignet droit, les gourmettes et colliers ostentatoires, des vêtements personnalisés, les voitures cabriolet…Sur scène, il se distingue par son jeu de luth, ses mimiques, sa manière de se mouvoir et sa façon d’interpréter, fermant ses yeux tels un derviche en plein transe.

Né à Fès le 1er janvier 1941 et issu d’une famille traditionnelle, conservatrice et pieuse, Abdelouahab doukkali s’intéressa, dés son jeune âge, aux arts. Revenant de l’école, le cartable sous le bras, il écoutait derrière la porte d’une boutique du quartier Al Makhfia les discussions et les répétitions des Mohamed Fouiteh, Abderahim Sekkat, Mohamed Mazgaldi et Ahmed Chajaii. Il finit par lâcher le collège pour s’initier seul au luth et s’inscrire au conservatoire de musique qui venait d’être créer dans la ville. Mais ses premiers amours ont été la comédie. N’a-t-il pas joué, plus tard, avec la troupe nationale, le premier rôle dans « Le barbier de Séville », « La maisonnette » et « Le moulin » ? Au cinéma, il fut jeune premier au côté de Faten Hamama dans « Les sables d’or » et on le retrouve dans « Vaincre pour vivre » de Mohamed Abderrahmane Tazi, l’un des premiers films marocains, aux côtés de Laila Chenna. Entre 1958 et 1959, il décroche le premier prix d’un concours, organisé par la Radio Télévision Marocaine. Abdallah Chakroun, qui animait la manifestation, se souvient que « c’était sa première apparition en public. Après Fès, je l’ai invité pour se produire à Rabat. Et ça continue de plus belle. »

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Sa première tournée à l’étranger s’est déroulée en Algérie, au lendemain de son indépendance. Depuis il est considéré come l’une des stars préférées de nos frères algériens. En 1963, il s’installe au Caire, se lit d’amitié avec Mohamed Abdelwahab, Sabah, Baligh Hamdi, Mohamed Al Mouji, Farid Al Atrache, Faiza Ahmed, Najat Assaghira, ainsi que son concurrent de l’époque Abdelhalim Hafid.

Producteur à la radio marocaine à partir de 1965, son répertoire est d’une richesse inouïe. Collaborant avec les plus grands paroliers tels Ahmed Tayeb Laâlej, Fathallah Lamghari, Ali Hadani, Mohamed Tanjaoui et Hassan Moufti, Abdelouahab Doukali a à son actif des centaines de refrains. Comment oublier ses mémorables « Yalghadi ftoumoubil », « Anti », « La tatroukini », « Wichaya », « Balghouh slami », « Aini alach dmouâa », « Addar alli hnak », « Twist », « Habib al jamahir », « Ana mkhasmak », « Marsoul al hob », « Nadra fatnaha », « Habibati », « Hajrak kassi », « Dini maâk », « Kataajabni », « aji ntsamhou »…. ?

En 1971, Abdelouahab Doukkali déclarait dans « Al anbaa » du 21 et 22 mars que ses mémoires allaient sortir incessamment. On attend avec impatience ce qui risque d’être croustillant étant donné son époustouflant destin !

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Bahija IdrissBahija Alami Idrissi, plus connue sous le nom de Bahija Idriss, est née à Meknès en 1938. Issue d’un milieu conservateur, son père est un « Alem », lauréat de l’université Al Quaraouiine de Fès. Elle intègre le milieu artistique en 1959 au cours d’une soirée au cinéma Royal de Rabat. Mohamed Benabdessalam, le mari de sa sœur, la propulse sur scène, avec la complicité d’Abdallah Chakroun, pour entonner un refrain de Najat Saghira. Le fait qu’une femme, dévoilée, chante en public faisait partie des tabous les plus ancrés dans l’imaginaire marocain. Ce fut une grande première à l’époque. Mais elle avait le plus illustre des soutiens, celui du roi Mohammed V qui n’hésitait pas à défendre la cause féminine. C’est sur ses ordres qu’elle rejoint la radio nationale. Une dérogation étant donnée son très jeune âge. Bahija Idriss devient ainsi la première femme chanteuse au sein de la radio.

Mohamed Benabdessalam lui confectionne succès sur succès. Le premier était « Ala ouhida », écrit par Abdallah Chakroun et chanté, en duo, avec Brahim Kadiri. Les enregistrements et les soirées se succédèrent. Son refrain le plus fredonné reste « Atchana », écrit par Mohamed Gharbi et composé par l’incontournable Mohamed Benabdessalam en 1965. Sur ordre d’Hassan II, Abdelahay Skalli l’a repris en 1968 avec l’orchestre royal. A la création de l’orchestre de Meknès, on s’aperçoit que toute sa famille baigne dans le milieu artistique. Outre le maestro Benabdessalam, il y’a son frère Mohamed Idrissi avec ses « Andi badouia » et autre « Mahjouba », sa sœur Amina et son fameux « Tilifoun », sans oublier son mari, le compositeur Abderrahmane Kardoudi. De leur union est née Douaa Abderrahmane, une chanteuse à la voix suave.

Bahija Idriss voyage en Egypte et se lie d’amitié avec Abdelhalim Hafid, Farid Al Atrache, Mohamed Abdelwahab, Riad Sonbati, Mohamed Al Mouji…En décidant de ne pas s’installer au Caire n’a-t-elle pas raté maintes occasions et une célébrité plus grande ? Elle devait tourner un

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film avec Farid Al Atrach, ainsi qu’avec Abdelhalim dans « Al Khansaa ». Après sa défection, le scénario a été rectifié et le rôle confié à Samira Ahmed. De retour au Maroc, sa carrière continue de plus belle. Hélas elle décide de se retirer dans les années 90, concrétisant un vœu qu’elle s’est fixée d’avance, arrêté de chanter une fois la quarantaine atteinte. Sa dernière apparition publique remonte à 2009 à Rabat. Elle participait au « Rendez vous des artistes », dans le cadre d’une soirée de soutien à la Palestine. Sur incitation du public, elle fredonna un air d’ « Atchana », son morceau fétiche.

Depuis belle lurette, Bahija Idriss a chantée les poèmes de Nezzar Kabbani tels « Ighdab », composée par Abdellatif Sahnouni. Le public d’aujourd’hui ne connait que la version d’Assala Nasri. Elle a aussi chantée « Kalimat », bien longtemps avant Majda Roumi, composée par son mari Abderrahmane Kardoudi.Si elle a touché au Malhoun avec quasidat « l’malha » et à la chanson populaire avec « Ma houwa jari wala krib douari », son répertoire est dominé par le classique dont « Habibi taala », du poète libanais Ilias Farhat , et la variété. Citons, entre autres, « Rajaa li oukan msafer », « Khaifa kalbi la ibouh bklam ennas », « Matfahmnach », « Arafnak jmil », « Bechar l’khir », « Ayyam zaman », « Achams gharbat »… Bahija Idriss a excellé aussi dans les duos dont « Andi ouhida », avec Brahim Kadiri, « Ya saout al kadi », avec Abdelouahab Doukkali, « Anta hani ou ana hania » , avec Mohamed Bentahar, sans oublier la fameuse incursion dans « Al Kamar al ahmar », en compagnie Abdelhadi Belkhiat.

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Abdelkader RachediMaître des rythmes, tailleur des voix, notamment les féminines, fouineur dans le patrimoine, le compositeur Abdelkader Rachedi est né en 1929 au fin fond d’une ruelle, rue Tagine, de l’ancienne Médina de Rabat. Dés sa tendre enfance, il fut attiré par les chants et les mélodies grâce à une mère « Haddaria » qui organisait, en compagnie d’autres femmes du quartier, des soirées de psalmodie et autres veillées à la gloire du prophète. Son frère aîné, Haj Mohamed, l’initie au luth et l’inscrit à Dar Tarab, conservatoire Moulay Rachid, l’une des premières institutions musicales du pays. Il y fréquente les maîtres de musique andalouse et du Gharnati de l’époque, les Hamidou Chafii, Tayeb Belkahia, Mohamed M’birkou et Abdessalam Ben Yessef dit Zaôk, ces deux derniers faisaient partie de la délégation marocaine qui participa au premier congrès de la musique arabe au Caire en 1932. Après l’Andalou, le Malhoun et le Gharnati, genre venue l’Algérie qui avait ses amateurs et ses cafés dont celui de si Mohamed Ben El Mekki Al Awadi à l’Gza, il compléta sa formation, en musique orientale et solfège, grâce à Mohamed El Wali, à Alexis Chottin, auteur des premiers livres de référence sur la musique marocaine, et à Jacques Bougar. Ce dernier l’emmena une fois assister à un concert donné par Robert Casadesus interprétant, au piano, des sonates de Bach. De son coté, Abdelkader Rachedi invita Bougar à des soirées de musique andalouse.

C’est à l’age de 13 à 14 ans qu’il forma, avec une bande d’amis, sa première troupe. Avec Ismail Ahmed, il rejoint plus tard l’orchestre d’ Abdennebi Jirari, « Jawk al ittihad arribati », avant de lancer « Jawk attakaddoum arribati. » Début des années cinquante, Radio Maroc crée l’orchestre moderne, l’orchestre de musique andalouse, du Malhoun, ainsi qu’une troupe théâtrale, dirigée par Abdallah Chakroun. Il rejoint l’orchestre moderne tout en faisant partie de l’émission « Ghanni ya chabab ». Entre 1947 et 1948, il compose la fameuse « Raksat al Atlas », jouée en avant première à Kharzouza dans le Moyen Atlas devant un

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parterre de nationalistes dont Allal El Fassi et Mehdi Ben Barka. Sa relation avec le parti de l’Istiqlal le rendit suspect aux yeux des autorités coloniales qui ne cessèrent de lui créer maintes tracasseries. Avec le retour du roi Mohammed V de son exil en 1953, il compose « Oudta ya khaira imam », poème du complice et ami Mohamed Belhoucine. En 1958, il reçoit un prix à un concours organisé à l’occasion de la fête de la jeunesse. Depuis son nom fait partie des pionniers qui ont créé la chanson marocaine dite « Asria ».

Au moment de la mise en place des orchestres régionaux, Benabdessalam à Meknés, Chajaii à Fès, Maâti Bidaoui a Casablanca, le roi Hassan II envoie Abdelkader Rachedi à Tanger. N’arrivant pas à s’y intégrer, malgré la création de chefs d’œuvre dont «Machi adtek hadi », qu’interprétèrent Ismail Ahmed et Abdelouahed Tétouani, le revoilà de retour à Rabat. Une fois Ahmed Al Bidaoui nommé à la commission de musique, il le remplace à la direction de l’orchestre national.

Abdelkader Rachedi, après avoir assimilé les musiques traditionnelles marocaines, le folklore, les formes à la fois orientale et occidentale, est à l’origine d’une école musicale qui a son propre style. Ses créations se distinguent par leur langue, le « Zajal » ou le dialecte riche d’images et de subtilités, l’appel aux voix marocaines pures et des phrases musicales, inspirées du foisonnant patrimoine national avec ses instruments dont le « Bendir » ou tambourin. Il est l’un des rares compositeurs sinon le seul à pouvoir utiliser différents rythmes dans la même chanson (exemple du Btaihi andalou avec le rast oriental).

Celui qui adopta une infinité de chanteuses et chanteurs et qui avait sa manière de leur apprendre ses compositions, nous a légué une œuvre considérable. Ismail Ahmed lui a chanté plus de 80 refrains dont « Marrakech ya ourida », « Habibi lamma aad », « Al Matal al ali », « Al madad ya rassoul allah », Abdelouahab Doukkali, « Hajrak kassi », Abdelouahed Tétouani « Machi Aadtek hadi », Samira Bensaid, « Faitli

chaftak » et « Lahn J’mil » , Naima Samih, « Ghab alia lahlal », Mahmoud Idrissi, « Mouhal wach insak al bal » et Latifa Raafat « Maghyara », « Ya achrani » et « Khouyi ».

Celui qui a reçu un vibrant hommage de la SACEM, au cours d’une soirée à Paris en compagnie de Charles Aznavour, a été mis à la retraite d’une manière affligeante ! En compagnie d’autres musiciens retraités, il créa un nouvel orchestre. Au cours d’un voyage en Egypte, sentant des douleurs au ventre, il consulte un médecin qui lui suggéra une opération de foie. Abdelkader Rachedi s’y refuse et décède le 23 septembre 1999.

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A l’instar de plusieurs artistes, Abdelkader Rachedi s’est lancé dans la production de disques en créant la société Rachdiphone. Désirant imprimer son premier 45 tours, qui contenait des chansons de Abdelouahab Doukkali, il contacta une société française qui lui réclame la coquette somme de 10.000dh. L’ami Abdelkrim Jazouli, fonctionnaire au ministère du commerce, lui dénicha une usine en Tchécoslovaquie prête à confectionner mille 45 tours au prix de 3.000 dirhams au lieu des 10.000 réclamés par les français. La mondialisation ne date pas d’aujourd’hui ! N’ayant pas la somme, c’est Jazouli qui avança l’argent. L’avion, qui devait ramener la marchandise, s’écrasa pas loin de l’aéroport de Nouasser, actuel Mohammed V. Les Tchèques réimprimèrent le disque une deuxième fois. Un certain Benkirane de la place Verdun de Casablanca s’occupa de la distribution. L’affaire bénéficiaire, Jazouli remboursé et Rachedi continue sur sa lancée. Rachdiphone a produit les morceaux instrumentaux, « Raksat al Atlas et Bahjat Ghinia », les chansons composées pour Ismail Ahmed, (Al madad ya rassoul Allah, Al matal al ali, Habibi lamma aad), Abdelhadi Belkhiat (Ya jah lamqam l’ali), Mohamed Lahiani (Min day bhak), Abdelouahab Doukkali (Hajrak kassi, Balghouh slami, Aini alach dmouaa, Bla adaoua ma tkoun mhabba), Ahmed Pirou (El kaoui, Al Maâraj), sans oublier des fragments de Noubats andalouses.

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Abdessalam AmerAbdessalam Amer est né le 1er avril 1939 à Ksar El Kebir, ville du nord du Maroc, imprégnée du rêve andalou. Enfant unique, il perd son père, Omar Chouli, militaire au sein de l’armée espagnole qui a guerroyé pendant la guerre civile, et vit seul avec sa mère Khadouj Tajni. A cause d’une maladie mal soignée, il perd la vue et la musique devienne sa passion, sa boussole dans la vie. Parallèlement à ses études qu’il tenait à poursuivre comme un enfant normal malgré son handicap, il passait son temps devant les boutiques de Si Hasnaoui, du coiffeur Abrak et du Cheikh Chérif Roussi Houssaini, l’un des maîtres de la musique andalouse dans la ville, à écouter la radio. C’est ainsi qu’il apprit et ne cesse de fredonner les classiques arabes, les Abdelwahab, Oum Kaltoum et autre Farid Al Atrache. Remarquant sa passion, le maître l’invite aux soirées qu’il anime. A l’école, il s’initie à la poésie. Ne pouvant pas lire, dés qu’on lui dictait une phrase, il l’apprenait en la composant, pour ne pas l’oublier. D’une mémoire phénoménale, il réussit à décrocher son certificat d’études primaires et son brevet au collège. Laissant de coté une carrière d’instituteur, il décida de devenir un grand musicien.

Mohamed Driss Cherradi, l’un des premiers grands musiciens marocains qui a enseigné au conservatoire de Rabat et qui a dirigé ceux de Larache et de Tanger, lui conseilla d’aller tenter sa chance dans la capitale après avoir écouter ses premières créations. Mal voyant, inconnu, on lui refuse l’entrée au siège de la Radio Télévision Nationale. Abderrafiaa Jawhari l’introduit et lui présente journalistes et musiciens. Mais Ahmed Al Bidaoui, chef de service de la musique et président des commissions de paroles et de compositions, lui refusa l’accès à l’orchestre national. Amer n’a en effet fait aucune étude musicale et ne jouait d’aucun instrument ! Il rejoint alors l’orchestre de Fès où Ahmed Chajaii s’est montré plus compréhensible. L’intervention d’Abdelouahab Doukkali dans sa vie fut décisive. Il lui chante , coup sur coup, deux petites merveilles, « Akher ah » et « Habibati ». Et c’est le retour, en triomphe, à Rabat où

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il compose, avec la complicité d’Abderrafiaa Jawhari, « Miaâd », « Al Kamar al ahmar », chantées par Abdelhadi Belkhiat.

Mis au chômage et interdit d’entrée aux locaux de la radio télévision après avoir critiqué ses musiciens en retard parce qu’ils avaient passé la soirée chez un haut dignitaire, Amer, en compagnie de Abdelhadi Belkhiat, Abdelhay Skalli et Abderrahim Amin, quitte le Maroc pour l’Egypte. Depuis son enfance, il rêvait de ce moment, lui le fan de Nasser et le client assidu de « Sawt al arabe », la radio de propagande du panarabisme que le Rais a lancé en 1952. Après des escales en Algérie, Tunisie et Libye, les quatre mousquetaires débarquent au Caire retrouvant, entre autres, le poète Hassan Moufti. Ils enregistrent une vingtaine de chansons en dialecte marocain pour « Sawt al arabe », collaborent avec les poètes égyptiens Mustapha Abderrahmane, Farouk Choucha et Rouhia Lakliti. La guerre de 1967 met fin à leurs grands projets. Amer rêvait de composer pour Oum Kaltoum un texte de Salah Chahine. Au retour, ils n’avaient dans leurs valises, que « Mawakib annasr », chant patriotique dédié au roi Hassan II.

Une fois au Maroc, les quatre amis se séparent et leurs projets s’envolent. Abdessalem Amer habite un quartier périphérique de Casablanca. Grâce à Fatima Afifi, sa deuxième épouse qui s’acheta une voiture en vendant son bracelet, il fait la navette entre la cité blanche et Rabat pour les répétitions, les enregistrements et l’animation de l’émission radiophonique « Hakibat al arbiaâ ». Le 10 juillet 1971, c’est une nouvelle fois la malchance. Ce jour là, la voix de Amer annonce, en boucle, sur les ondes de la radio nationale, « l’armée, je dis l’armée…elle vient de mener la révolution pour le bien du peuple. La monarchie est finie ». Le coup d’Etat échoue, le compositeur est emprisonné pour interrogatoire. Il ne s’en sort que grâce à l’intervention du prince Moulay Abdellah. Ce fut sa fin. Banni, ses œuvres sont interdites de diffusion et ses amis le fuient. Il sombre dans la dépression. Dans l’attente des jours meilleurs, il enchaîne les refrains à la gloire du roi. Tombé malade, il succombe,

malgré les soins payés par Hassan II, le 3 mai 1979 à l’hôpital Ibn Sina de Rabat. Fin…d’un calvaire.

Adolescent et fou amoureux, Abdessalam Amer a commis sa première création fin des années cinquante. Adulte, il écrit, compose et chante, « Ma ban khial h’bibi » et « Saquia oulbir », inspirée du mythique refrain de Houcine Slaoui qu’il admirait tant. S’apercevant qu’il n’a pas la voix et abandonnant l’écriture, il se met à travailler sur les textes de poètes amis. « Akher Ah » et « Habibati », écrites par Mohamed Khammar Guennouni, interprétées par Abdelouahab Doukkali et enregistrées avec l’orchestre de Fès sous la direction du virtuose du violon Ahmed Chajaii, constituent sa vraie rentrée dans le cercle restreint des créateurs marocains. A Rabat, c’est l’amitié et la complicité avec Abderrafiaâ Jawhari et Abdelhadi Belkhiat qui est à l’origine des chefs d’œuvres tels « Miaâd » et « Al kamar al ahmar ». Il compose aussi pour la voix forte de Abdelhadi Belkhiat , « Hasebtak », pondue par le regretté Driss El Jay. Au Caire, il lui chante « Achatii », destinée au départ à Karim Mahmoud, et Abdelhay Skalli « Al Ghaib », deux beaux textes du poète égyptien Mustapha Abderrahmane. Quant à « Rahila », c’est chez Mohamed Lahiani qu’elle atterrit révélant ainsi l’une des voix les plus authentiques du répertoire national.

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Hajja HamdaouiaNée en 1930 à Derb Karloti, quartier populaire de Casablanca, Hajja Hamdaouia grandit au sein d’une famille dont le père est un mélomane invétéré. Chérif, originaire du Sud, de Zagora, commerçant, si Larbi Mohamed invitait souvent à la maison les Chikhates et autres Abidat R’ma. Très jeune, elle rejoint la troupe théâtrale de Bachir Laâlej en compagnie des Bouchaïb Bidaoui, Ahmed Souiri, Lahbib Kadmiri, Mfaddel Lahrizi avant d’intégrer l ‘orchestre « Al Kawakib », présidé par le maestro Maâti El Bidaoui qui fut le premier à découvrir les riches potentialités de sa voix. C’est dans ce contexte que Salim Halali lui fait appel pour interpréter, au Coq d’Or, les mythiques morceaux Mersaouis, chers aux Bidaouis.

En 1953, elle compose « Waili ya chibani », Ayta se moquant de la vieille gueule de Ben Arafa, illégitime remplaçant du roi Mohammed V. Le morceau, devenu un tube que fredonnaient tous les Marocains, fut à l’origine de ses tracas avec les autorités coloniales, et lui valut un bref séjour en prison.

Elle s’exile alors à Paris où elle décroche un contrat de travail au cabaret Morocco, chez Maximes, à Saint -Paul grâce à un nationaliste. Dans la ville- lumières, elle retrouve Ahmed Jabrane et Mohamed Fouiteh à qui elle emprunte et chante « Awmaloulou » et se lie d’amitié avec les grands chanteurs et musiciens orientaux et maghrébins tels Raoul Journo, Ali Riahi, Maurice Mimoun, Samy Elmaghribi, Albert Souissa, Jirari et autres El Hadi Jouini, auteur du mémorable « Lamouni elli gharou minni ». En leur compagnie, elle se produit dans les cabarets arabes de la capitale, Al Jazair, Le Koutoubia, rue des Ecoles, La Kasbah, rue Saint André des Arts, Layali Loubnan (les Nuits du Liban) et le Tam-Tam dont le propriétaire n’est autre que le père de sa copine Warda Al Jazairia. Elle ne rentre au pays qu’avec le retour du Roi et ne cesse depuis de régner sur la scène de la Ayta Pop. Radios, télés, fêtes intimes, publiques ou nationales, Hamdaouia est sur tous les fronts.

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Photo : Graham Lamb

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Et le fameux « Mnin ana ou mnin n ’ta », interprété avec l’orchestre national, est sur toutes les lèvres. Des années plus tard, elle retrouve Paris pour s’y produire à la Mutualité, à l’Olympia, à Bercy, au Zénith et à l’Institut du Monde Arabe. Des tournées suivirent un peu partout en France, avec un concert en compagnie de celui qu’elle appelle « mon fils », cheb Khaled, puis en Europe, aux Etats-Unis et au Canada.

Sa trajectoire, ses chansons avec allusions fines et coquines, ont fait d’elle, comme le note Rabah Mezzouane, « la figure emblématique qui permit aux femmes de retrouver la parole »…

Figuresde la chanson algérienne

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« Mama hyiani », « Ayamna », « Al aar,al aar », « Salba, salba », « Jilali bouya », sont quelques uns des dizaines de refrains que retient et fredonne la mémoire collective nationale . Dès l’âge de dix-sept ans, Hajja Hamdaouia a entamé sa carrière par un riche et varié répertoire. Des morceaux aux sujets religieux, nationaux, de société ou d’amour , courtois et osés. A l’instar d’un Houcine Slaoui, Bouchaïb Bidaoui ou Jacob Botbol, elle participa à « l’urbanisation » du chant rural des terroirs, la Ayta ou le blues des plaines atlantiques. Spécialiste du Mersaoui, dont elle a créé de nouvelles orchestrations , notamment pour «Laghzal» et « Alhaddaouiat » elle excelle dans le Mawal gharnati, les chansons algériennes et tunisiennes, le judéo-arabe, utilise des formes rythmiques et des mots Amazigh et se permet même de brèves incursions dans le flamenco avec des « Chica, chica…olé ! » Son premier album est enregistré, avant B. Bidaoui , chez Boussiphone à Casablanca Que ce soit au Maroc, en Algérie, en Tunisie ou en France, les sociétés de production et de distribution s’arrachent ses faveurs, les Pathé Marconi, Casaphone et autre Tichkaphone . Aujourd’hui, ses airs sont repris à travers le monde arabe par les nouvelles générations. « Hak a dada », l’un de ses célèbres morceaux, a fait le bonheur de la génération clips et la fortune du khaliji Nabil Chouail. A plus de soixante-dix ans, elle a concocté un album avec Oulad Bouazzaoui, jeunes gardiens zélés de la tradition Mersaoui, et reçoit la proposition d’accompagner à Paris, au Bendir et au chant, un groupe franco-allemand dans un arrangement World Music de sa « Hadra » ! Belle et originale manière de transgresser les frontières des genres et des pays…

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Mahieddine BachetarziTénor, comédien, organisateur de spectacles, découvreur de talents, dont celui de Salim Halali, et promoteur des jeunes espoirs. En 1926, le sultan du Maroc, Moulay Youssef, le désigna pour lancer le premier appel à la prière des hauteurs du minaret de la mosquée de Paris, le jour de son inauguration. C’est l’un des personnages incontournables de l’histoire culturelle de l’Algérie. Il est impensable d’évoquer la musique, le théâtre, la danse, la radio et la télévision sans tomber sur le nom de Mahieddine Bachetarzi.Né le 15 décembre 1897 dans le quartier de la Kasbah d’Alger, Mahieddine Bachetarzi s’initie, très jeune, à la psalmodie du texte coranique qu’il apprit en entier. Le mufti cheikh Bougandoura, qui dirigeait la chorale « Al Qassadine », lui apprend les secrets d’interprétation des modes. Dés 1915, il est Bachhazzab, chef des lecteurs de coran, à la mosquée Djemâa Djedid, puis muezzin. Ebloui par sa voix, Abderrahmane Ben Badis l’invite à Constantine où il déclama les chants religieux dans les mosquées de la ville. Edmond Nathan Yafil, élève et disciple de Mohamed Ben Ali Sfingea, auteur d’un livre incontournable sur le « Tarab Gharnati », fondateur et directeur d’ Al « Moutribia », le détourne vers la musique profane. Passionné de la musique andalouse, il commence à enregistrer des disques dés 1921. En 1930, il est le troisième maghrébin membre de la Société des Auteurs et Compositeurs de Musique de Paris (SACEM), après Edmond Nathan Yafil et le Tunisien Mohamed Kadri. Sous l’occupation, il emploie l’hymne national dans une chanson, « La ilaha ila Aelah », utilisant un pseudonyme. Mais qui ne reconnait la voix forte et inimitable du Caruso ? A la mort de Yafil, il prend la direction de la troupe musicale d’Al Moutribia en 1923, invite des grands artistes du monde arabe tels le Tunisien Mohamed Jamoussi , le Marocain Samy Elmaghribi ou l’Egyptien Youssef Wahbi, et entame des grandes tournées en Algérie, au Maroc où il est décoré en 1962, en Tunisie, en France, en Allemagne et en Italie. Nommé directeur artistique

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de La Voix de son Maître, il fait la promotion des grands chanteurs maghrébins, entre autres, Rachid ksentini, Cheikh El Afrit et Cheikh Hamada.Outre le rôle décisif qu’il joua dans la reconquête de la musique, classique et moderne, Mahieddine Bachetarzi fut, avec la complicité de Allalou et Ksentini , à l’origine de la naissance du théâtre algérien. Ils jouèrent « pour la patrie » et « la conquête de l’Andalousie ». Puis, il crée sa propre troupe, se spécialise dans le comique et sillonne le pays pour le grand plaisir d’une population qui reconquiert son identité. Celui qui nous lègue pas moins de 1000 œuvres dramatiques, jouées sur scène ou à la radio, a écrit sa première pièce en 1927, « les ignorants prétendant le savoir ».

Après l’indépendance du pays, Mahieddine Bachetarzi consacre son temps à la formation des jeunes. Il assume la direction du conservatoire municipal d’Alger de 1966 à 1974. Avec la société « Al Fakhardjia », il continue de chanter le répertoire andalou. Et c’est en se préparant à un concert pour la télévision que la mort le surprend le 6 février 1986. Le maître, qui avait 82 ans, n’a pas oublié de consigner ses Mémoires, sorties chez SNED en trois tomes, entre 1968 et 1986.

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Haj M’hamed El AnkaMonument de la chanson maghrébine, Haj M’Hamed El Anka, comme l’écrivait Ahmed Hachelaf, « était convaincu que le Maghreb arabe ne faisait qu’une seule nation malgré les frontières artificielles dressées par la colonisation et qu’il retrouverait son unité un jour ou l’autre. ». D’origine Amazigh, le fondateur du Châabi arabe algérien a interprété les plus grands succès du Malhoun marocain tels « El Meknassia », « Lalla Zhor », « Raâd » et autre « Msabbarni Lettihan ».

Issu d’une famille modeste, originaire de Tizi Ouzou, Ait Ouarab Mohamed Idir Halo est né le 20 mai 1907 à la Casbah d’Alger. De 1912 à 1918, il fréquente trois écoles qu’il quitte, à l’âge de onze ans, pour se lancer dans la vie active. Un musicien de renom, Si Said Larbi le recommande à Mustapha Nador qui lui permet d’assister aux fêtes qu’il anime. Au mois de Ramadan 1917, le cheikh remarqua sa passion pour la musique et lui permit de tenir le tarr (tambourin) au sein de sa formation qui animait les soirées d’un café prés de la gare centrale.Mustapha Nador (1874-1926), qui côtoya les plus grands musiciens du début du XXème siècle, était spécialisé dans le « Medh » religieux. Séjournant au Maroc pendant trois ans, il s’intéressa au Malhoun et à la Ayta. A son retour, il apporta plusieurs « Quasidas », refrains et airs qu’il se mit à adapter , travaillant le style et les rythmes, au goût algérien. D’après les historiens de la musique du Maghreb, il serait le premier à introduire en Algérie le genre Moghrabi, intitulé par la suite populaire et Chaâbi, à partir de 1946.

A la mort de Mustapha Nador le 9 mai 1926, Haj M’Hamed El Anka prit le relais. Il enregistre en 1928 pas moins de 27 disques 78 tours chez Columbia et prit part à l’inauguration de la radio PTT Alger. Avec son nouvel orchestre, il ne cessa de sillonner le pays faisant la promotion du nouveau genre. De retour du pèlerinage en 1937, il entame une grande tournée en France. A la création des orchestres de Radio Alger, c’est à

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lui que revient le privilège de diriger la première grande formation de musique populaire. Professeur du Chaâbi au conservatoire municipal d’Alger dès 1955, il forma la relève avec les Amar El Achab, Rchid Souki, Hssan Saîd, Abdelkader Chaaou…

Achour Cheurfi note que « La grande innovation apportée par El Anka demeure incontestablement la note de fraîcheur introduite dans une musique réputée mono vocale qui ne répondait plus au goût du jour. Son jeu instrumental devient plus pétillant, allégé de sa nonchalance. Sa manière de mettre la mélodie au service du verbe était tout simplement unique ».

Haj M’Hamed El Anka anima l’une de ses dernières soirées célébrant le mariage du petit fils de son maître, Mustapha Nador, à Cherchell en 1976. Après plus de cinquante ans au service de la poésie et de la chanson populaire, la mort le surprend le 23 novembre 1978 à Alger. Haj M’Hamed El Anka, qui interpréta pas moins de 360 textes et sortit 130 disques, reste l’une des figures les plus marquantes de l’histoire de l’Algérie contemporaine.

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Warda al jazairiaLe 16 mai 2009 à Rabat, dans le cadre de la 8éme édition du festival Mawazine, ils étaient plus de 30.000 fans, venus des quatre coins du pays, à chanter en chœurs les mémorables morceaux de la rose d’Algérie. La surprise fut grande quand le conseiller du roi Mohamed Mouatassim lui remet le Wissam Alaouite de l’ordre de commandeur. Le geste est plus que symbolique à plus d’un titre.

Née à Puteaux dans la région parisienne d’un père algérien et d’une mère libanaise, Warda a entamé sa carrière à l’âge de 11 ans en animant une émission pour enfants à la Radio Télévision Française. Au Tam-Tam, cabaret du quartier latin que gérait son père et centre d’activité du FLN avant sa fermeture en 1958, elle fréquente les grands noms de la chanson orientale et maghrébine dont les Marocains Mohamed Fouiteh et Amr Tantaoui qui l’encourageaient à poursuivre une carrière prometteuse. De cette époque datent ses premiers refrains dont « Ya mraouah lelblad » de Zaki Khraef et « Bladi ya bladi » de Mohamed Jamoussi. Ces hymnes patriotiques seront suivis par, « Ya hbibi ya moujahid », « Ana min al jazair, ana arabia », « Al watan al kabir », « Dalila al jamila », consacré à la Palestine, et « Al jil assaid », composé par Mohamed Abdelwahab et interprété par Sabah, Chadia, Najat Saguira, Abdelhalim Hafiz et Mohamed Kendil.

Au retour de la famille royale marocaine de son exil, Warda chanta pour le prince Moulay Hassan. En 1956, elle enregistre « Nachid sidi mohamed », gravé dans l’un des 78 tours de Pathé Marconi célébrant l’indépendance du Maroc. Des amis se souviennent de son séjour à Casablanca où elle fréquentait le Coq d’Or de Salim Halali et entretenait des relations intimes avec les artistes marocains dont Hajja Hamdaouia et Bouchaib Bidaoui.

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Warda al jazairia , arborant le Wissam Alaouite, au festival Mawazine de Rabat en 2009

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De retour en Algérie en 1962, après l’exil au Liban et des séjours en Egypte, Warda se marie et met un terme à sa carrière. 1972 marque son retour sur scène pour les célébrations du dixième anniversaire de la révolution. Le succès après ce premier come back est foudroyant. Libre, elle s’envole pour le Caire, se marie avec Baligh Hamdi, le plus novateur des compositeurs arabes, et les tubes se succèdent. Le public de Rabat a fredonné avec plaisir et nostalgie les « Fi yaoum wa lila », « Hikayati maa azzaman », « Akdeb alik », « khallik hina », « Ismaouni », « Laoula al malama »…A l’aise dans tous les genres musicaux du monde arabe, à l’écoute de l’air du temps, elle surprend avec « Harramt ahibbak » et « Bitouannas bik » qui relèvent de la dance music, concoctés par Omar Batticha et Salah Charnouvbi. Warda venait d’affronter, avec succès, les jeunes stars qui l’avaient enterré trop vite.

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Ahmed WahbiAhmed Wahbi, l’une des plus grandes voix arabes, admirées par Mohamed Abdelwahab et Farid Al Atrache, a vécu au Maroc de 1969 à 1973. Celui qui a repris « Zaouia » de Benomar Ziani a été rappelé en Algérie pour se voir confier la direction musicale du théâtre régional d’Oran.

Drich Sidi Ahmed Tijani, du nom artistique Ahmed Wahbi, emprunté à l’acteur égyptien Youssef Wahbi, est né le 18 novembre 1921 à la clinique Sainte Anne de Marseille. Son père Dader, nom cité dans « Ouahran, ouahran », possédait une grande voix du genre andalou, sa mère, elle, est d’origine italienne. La famille quitte la France au moment où il n’avait que trois semaines. Il grandit dans la nouvelle ville d’Oran, fréquentant assidûment la boutique de son grand père, féru d’instruments de musique. C’est là qu’il gratte pour la première fois une guitare. Il ne trouve toutefois sa vocation qu’en 1937 avec les scouts interprétant des chants patriotiques et le répertoire de Mohamed Abdelwahab, son idole.

Pendant la deuxième guerre mondiale, il fait les campagnes de Tunisie, d’Italie, du Rhin et du Danube. Au cours d’une permission en 1942, il se produit avec l’orchestre de Belaoui Houari à l’Opéra d’Oran, chantant « Nadani kalbi » de Mohamed Abdelwahab. Sa grande prestation a lieu à la salle Atlas d’Alger en 1946. La radio lui ouvre alors ses portes en 1949. Une grande partie de son œuvre fut créé à Paris entre 1947 et 1957. Coqueluche des cabarets orientaux, il menait une vie d’exilé, « celle d’un émigré, fils d’émigré et éternel émigré ainsi que le veut le métier d’artiste », comme il disait. En 1957, il fait partie de la troupe du FLN en Tunisie qui faisait des tournées pour défendre la cause nationale. Après l’indépendance et jusqu’en 1965 il dirigea, en compagnie de Belaoui Houari, l’orchestre de la RTA d’Oran.

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Outre « Ouahrane, ouahrane », les fans fredonnent « Alach tloumouni », « Ouine h’babi », « Ya dzayer », « Lasalmia »…La rencontre avec l’auteur cheikh Abdelkader El Khaldi a été décisive dans sa carrière. Le duo nous lègue, entre autres, « El ghazal », « Ya touil regba ». En s’inspirant des modes orientaux et des rythmes et poèmes maghrébins, Ahmed Wahbi a créé son propre style, portant son empreinte, l’oranais.

L’auteur, compositeur et interprète fut aussi un pédagogue qui enseigna la musique arabe à plusieurs générations. Il composa aussi pour les autres dont Oulaya, Noura et Samia Chamia . Ahmed Wahbi décède dans la nuit du jeudi à vendredi 29 octobre 1993. La scène artistique arabe venait de perdre un rossignol.

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Noura« Ya ben sidi ya khouya », chanté en duo avec Ourrad Boumedienne, « Ya rabbi sidi », « Ammi Belgasem », « Maktoub alia nwalef », « Jani bechar », « Ya bnat al houma »…Que des tubes qui ont bercé des générations, entonnés par Noura, l’une des grandes stars de la chanson algérienne, sinon maghrébine.

Fatma Zohra Badji, surnommée Noura par Sid Ahmed Lakhal, est née à Cherchell en 1942. Elle grandit au bord de la mer, menant de bonnes études primaires bilingues. Introvertie, son compagnon de solitude est un poste de radio. La petite passe des heures à l’écouter et à fredonner les airs surgis de ses ondes. Après la séparation de ses parents, elle quitte l’école et se lance dans la vie active pour aider sa mère à élever ses frères. Attirée par le monde artistique, elle fait ses débuts dans l’émission enfantine de Rédha Falaki en tant que comédienne. Maîtrisant autant le kabyle que l’arabe, elle participe à des dramatiques. Ses qualités vocales attirèrent l’attention, et à 16 ans, Said Rezzoug, directeur de la chaîne kabyle, la présente à Maâmar Ammari qui l’auditionne avec une chanson orientale, « Ana manich radia ». Séduit, il se met à lui composer des refrains sur mesure tel « El warda souda ».

Noura enregistre son premier titre en 1957, « Baad ma chaft aini », paroles de Mohamed Redha , chez Teppaz à Paris. Epaulée par les plus grands, Mohamed Jamoussi, Mustapha Skandrani, Mahboub Bati, Missoum, Lahbib hachelaf, ensemble ils créent une nouvelle chanson algérienne aux rythmes authentiques et aux thèmes exposant les préoccupations de leur génération. Les succès se succèdent à l’instar de « Yaoummi goulili » datant de 1959. En formation permanente, Noura se met à apprendre des airs kabyles, oranais, auressiens, andalous et sahariens, aidé par son mari Kamal Hammadi qu’elle épouse en 1958. C’est avec lui qu’elle chanta, en duo et en kabyle, « Rebbi ad ishal ». Après avoir suivi des cours au conservatoire d’Alger de musique classique et d’art

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dramatique, elle s’inscrit au cours Simon à Paris. Vivant entre Alger et Paris, au Quartier Latin où elle fréquente beaucoup d’artistes dont sa copine Juliette Greco, elle sort en 1965 un album dans la mouvance yé yé tout en français avec, entre autres, « Une vie », écrite par Michel Berger, et « Paris dans mon sac », composée par Kamal Hammadi .

Ambassadrice de la chanson algérienne, elle célèbre concert sur concert et voyage dans l’ensemble des pays maghrébins, arabes et européens. Et en 1970, elle est la première chanteuse maghrébine à obtenir chez Pathé Marconi un disque d’or consacrant une carrière époustouflante.

Celle qui a marqué des générations par sa voix légère et romantique a décidé de se retirer de la scène au début des années quatre vingt. Mais ses refrains sont toujours écoutés avec plaisir et nostalgie.

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Dahman El HarrachiMort dans un accident de voiture à la corniche d’Alger le 31 août 1980, le nom de Dahmane El Harrachi, maître incontesté du genre Châabi, reste lié aux thèmes de l’exil et de l’émigration.

Ya raih, win msafer trouh taaya outwalliCandidat à l’éxil/tu auras beau voyager ou tu veux/ un jour tu finiras par rentrer

Revisitée par Rachid Taha, ex Carte de Séjour, la chanson « Ya raih », qui résume la destinée de toute une génération d’émigrés, a connu un grand succès au Maghreb et en Europe. Programmée dans les boites de nuit, elle est entonnée de par le monde en diverse langues tout en sauvegardant sa sublime et mélancolique mélodie. Elle fait partie des grands succès qu’a composé Dahmane El Harrachi, en exil, dans les années cinquante.

Issu d’une famille traditionnelle et pieuse originaire de Biskara, Abderrahmane Amrani est né le 7 juillet 1926 à El Biar. Il avait cinq ans quand ses parents s’installèrent à El Harrach, quartier populeux d’Alger. Son père, cheikh El Amrani, muezzin à la grande mosquée d’Alger, le confie aux soins d’un « Fakih » à l’école coranique. Après, il poursuit ses premières études, sanctionnées par un certificat d’études primaires. Il collectionne les petits boulots dont celui de cordonnier avant d’être embauché comme receveur de tramway. Il passa sept ans sur la ligne El Harrach et Bab El Oued à observer le comportement du peuple d’Alger. C’est de cette époque que date sa passion pour la musique. Il rejoint par la suite une troupe d’amateurs avec laquelle il effectua des tournées à travers l’ensemble du pays. Dahmane, diminutif de Abderrahmane, qui se choisi El Harrachi comme nom de scène, un hommage à son quartier chéri, rejoint les professionnels tels El Haj Menouar, Abdelkader Ouchala et Khlifa Belkacem. Instrumentiste virtuose, il est le banjo de toute l’œuvre d’El Hasnaoui.

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Dahmane El Harrachi, a l’instar de beaucoup de ses compatriotes, décide d’aller tenter sa chance en France en 1949. Il passe cinq ans à Lille, quatre à Marseille, trois à Lyon, trois à Metz, avant de s’installer définitivement à Paris. Avec sa voix rocailleuse à l’Aznavour, modulée par l’alcool et le tabac, il se produisait dans les cafés et cabarets de Pigalle et de Barbes, embués par les vapeurs éthyliques de la nostalgie, chantant les souffrances physiques et morales des émigrés. Belle gueule, toujours tiré à quatre épingle, les chaussures qui brillent, survivances de son premier métier de cordonnier, il charma un public fidèle grâce à ses compositions hantées par les thèmes de l’exil, de la nostalgie et du déracinement. Alger, qui lui manque, lui inspire « Bahja bida ma thoul » (Bahja la blanche qui ne fane jamais) et la guerre de libération son fameux « Blad El Khir ».

Dahmane El Harrachi n’a fait depuis que deux apparitions en Algérie et il a fallu attendre 1970 pour qu’il monte sur une scène parisienne, au cours du Festival de la Musique Maghrébine de la Villette ! Malgré une vie dissolue, décousue, Dahmane El Harrachi, le bluesman des hautes solitudes, reste un éternel pessimiste gai, qui n’a jamais sombré dans le misérabilisme.

Auteur compositeur et interprète, Dahmane El Harrachi nous lègue pas moins de 500 morceaux. Une œuvre qui résume son vécu, ainsi que celui de ses concitoyens, avec des mélodies légères et des poésies populaires, très influencées par les textes Hawzi algérien et Malhoun marocain. Citons quelques uns dont « ya kassi », (que de malheurs dans l’ivresse), « elli hab slahou », « Elli yezra errih », « Khabbi sarrek », « Dak ezine ala slamtou », « Ya al hajla » et « Jouj hmamat », images métaphoriques de femmes désirées comparées aux perdrix et aux colombes.

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SalouaSaloua, l’une des grandes figures de la chanson algérienne, est une habituée du Maroc qu’elle considère son deuxième pays et où elle compte de nombreux amis. Parmi ses dernières apparitions chez nous, sa participation à l’une des éditions du festival de Rabat, au festival de la chanson arabe , qu’organise le syndicat libre des musiciens, sans oublier son passage sur 2M où elle entonna, a capella, « Ach dani », mythique morceau d’Ismail Ahmed…

Fettouma Lemitti, connue sous le nom de Saloua, est née en 1941 à Blida. Elle débute sa vie artistique en 1952 en tant qu’animatrice d’une émission enfantine à Radio Alger, sous la direction de Réda Falaki. Lors de la guerre d’Algérie, elle rejoint Paris et la radio diffusion française pour s’occuper de la première émission féminine destinée au monde arabe. Amraoui Missoum, en rénovateur révolutionnaire de la chanson algérienne, lançait alors un nouveau genre de musique alliant tradition et modernité. A la quête de nouvelles voix, Il fait la connaissance de Saloua qui abandonna alors la radio pour se consacrer exclusivement à la musique. Leur collaboration donna une nouvelle impulsion aux nouvelles créations.

Produit en 1962, le tube « Lalla Amina » est classé troisième des ventes de Pathé Marconi, après « Milor » d’Edith Piaf et « J’ai quitté mon pays », d’Enrico Macias. Vedette au Maghreb, Saloua entame une tournée dans le monde arabe en 1964. La mort d’Amraoui Missoum en 1961, avec qui elle était très liée, la chagrine. D’une chanteuse moderne elle s’essaye au classique andalou et Gharnati avec les encouragements de Merzak Boudjemia, jeune et talentueux compositeur qui devient par la suite son mari. Sur les traces de Yamna Bent El-Haj Mehdi et de Fadela Dziria, elle subit une véritable métamorphose qu’elle réussit avec brio.

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Dans les années soixante dix, Saloua retourne à la Télévision pour animer des émissions de promotion des jeunes talents. Elle forma des générations de nouveaux interprètes, à l’instar de Nadia Benyoussef, Narjess et Belfarouni.

A partir de 1980, Saloua se fait rare, hormis sa participation au film de Mohamed Slim Riad, « Hassan Taxi », où elle interprète un rôle aux côtés de Rouiched. Nommée, en 1990, membre du Conseil National de la Culture, elle fait son come-back sur scène en 2006 pour le grand plaisir de ses fans. Très critique sur la situation de la chanson arabe actuelle et les refrains « sandwich qui se consomment en un laps de temps puis s’effacent de la scène artistique », elle conseille aux jeunes chanteurs de « respecter la noble mission de la chanson algérienne et de ne pas se laisser entraîner par la médiocrité ». Réécouter son répertoire permet d’étayer ce conseil : « Yalli sahrouni ainik », « Saadi ya saadi », « bent bladi kouli li », « koulou li wach ndir », « arfa ma andi saad », « baba salah », « yalli sahrouni ainik », « Ki rai hemmelni »…

Après plus d’une quarantaine d’années de carrière, Saloua reste l’une des ambassadrices les plus représentatives de la chanson algérienne moderne.

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Rabah DriassaC’est l’un des incontournables noms de la chanson algérienne des années 60 et 70, sinon maghrébine. Né le 19 août à Blida en 1934, Rabah Driassa perd sa mère à l’âge de 12 ans, puis son père trois années plus tard. Orphelin, il commence à travailler dès l’adolescence pour subvenir aux besoins de ses cinq frères. Et ces les métiers artistiques qui le passionnent. Graveur sur verre pendant sept ans, il s’initie à la peinture, surtout à la miniature, grâce à Omar Racim et au peintre Bauviol. Il exposa même à Blida en 1952, ainsi qu’à Alger et à Paris. L’Enfant prodige reçoit le prix Jules Sevret, organisé à Alger et réservé aux miniaturistes, trois années successives.Sa relation avec la musique commence par l’écriture des poèmes qu’il offre à d’autres interprètes du genre bédouin tels : « kelemni oun kelmek fitilifoun », « Ya semra men hajbek », « Ya elgasba », « Touba ya lahbab »… Au cours de l’année 1953, il participe à l’émission publique de Mohamed Lahbib Hachelaf « Min kolli fan chouie », suivie par les galas de la salle Ibn khaldoun composant et chantant des textes du même Hachelaf. Rabah Driassa venait de créer un genre nouveau imprimant au saharien un cachet plus moderne, un style métisse entre l’Allaoui et le saharien. A écouter ses célèbres refrains tels « Al ouwama », « Al moumarida », « Jouj hmamat », « Nejma kotbia », on ressent l’innovation concernant les rythmes et des textes traitant de problèmes de société. Pour la première fois, les femmes sont représentées par des symboles inhabituels à la poésie populaire. Sollicité par les fans, il entame des tournées en France, en Angleterre, en Belgique et en Suisse. A Indépendance de l’Algérie, Rabah Driassa est considéré comme ambassadeur de la chanson algérienne enchaînant les galas en Irak, Koweït, Tunisie, Maroc et Libye. Rabah Driassa commence à se faire rare dés les années 80. Au Maroc, où il compte d’innombrables inconditionnels, ses visites sont fréquentes. La jeune génération l’a découvert au cours de l’une des dernières éditions du Festival de Rabat.

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Salim HalaliSalim Halali, est né le 30 juillet 1920 à Bône (Annaba), à la frontière algéro-tunisienne. Issu d’une famille de Souk Ahras, berceau des plus grandes tribus Chaouia, les Hilali, son père est d’origine turque et sa mère (Chalbia), une judéo berbère d’Algérie. A quatorze ans, il quitte le cocon familial, prend le large et débarque en 1934 à Marseille, éjecté d’un bateau dont la seule cargaison fut un troupeau de moutons.

A l’occasion de l’exposition universelle de 1937, il monte à Paris pour y débuter une carrière de chanteur de charme espagnol. Sa rencontre avec Mohamed El Kamal et Mahieddine Bashetarzi fut décisive. Ils l’initient au chant arabo-oriental, l’intègrent à la troupe «Al Moutribia», fondée par le grand Edmond Yafil, pour une grande tournée dans les capitales européennes. C’est à Paris qu’il rencontre Mohammed Iguerbouchen, fondateur du Cabaret Al Jazair, rue de la Huchette, et génie de la musique, qui lui composa des morceaux à sa mesure. Son étoile ne cessa de briller depuis. Ses disques connaissent des ventes record et il devient, dans l’effervescence des années quarante, la coqueluche des radios d’Alger, Tunis, Rabat et Tanger qui passaient, en boucle, ses chansons.

En 1940, il échappe à la déportation grâce à l’intervention de Si Kaddour Benghabrit. Ministre plénipotentiaire au Maroc sous le protectorat et premier recteur de la grande mosquée de Paris, inaugurée en 1926 par Moulay Youssef, il lui délivre une attestation de conversion à l’Islam au nom de son père et fait graver le nom de ce dernier sur une tombe abandonnée du cimetière musulman de Bobigny ! Non seulement le recteur le sauve des fours crématoires nazis, mais l’engage au café maure de la mosquée où il s’est produit en compagnie de grands artistes tels Ali Sriti et Ibrahim Salah !

En 1947, Salim Halali crée à Paris le cabaret oriental Ismaïlia Folies dans un hôtel particulier qui appartenait à Ferdinand Lesseps (ingénieur du

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canal de Suez), situé dans la prestigieuse avenue Montaigne. Au Maroc, où il fonda le Coq d’Or en 1949, le souvenir de son séjour reste intact au fin fond de la mémoire des fans et amis qui l’ont fréquenté, aimé et écouté. Salim Halali nous a quitté en juillet 2005.

Flamenco et nostalgie andalouse, chanson marocaine (l’excellente reprise de Alaach ya ghzali de Maâti Belkacem), algérienne et tunisienne, Adwar et classique à la mode égyptienne des fin 19ème et début 20ème siècles, Mawawil halabia, chants turcs et variété française ! Les paroles et les musiques de Salim Halali reflètent à merveille sa personnalité ô combien composite. On est impressionné par l’aisance avec laquelle il passe d’un registre à l’autre. Son répertoire, d’une richesse inouïe, fait de lui le pionnier des chanteurs de la world music, de la fièvre latina et autres modes orientalisantes. Tout au long d’une carrière d’une quarantaine d’année, consacrée à la musique maghrébine et arabe, il a imposé son nom et créé son propre style. Ce n’est donc pas étonnant que ses chansons (Al ain zarga, Aili hbibi diali fin houa, Dou biha ya chibani, mahanni Zine, Hbibti samra, Bin al barh wa al youm, Elli kalbou safi, Mounira, Nadira, Achek tafla andaloussia..) soient reprises par des générations d’interprètes, à l’instar de Line Monty, Lili Bouniche, Maurice Medioni, Pinhas, Karoutchi, Abdou Cherif, Raymonde, Cheb Khaled et autres Mano Tchao, figure emblématique de l’alter mondialisme….

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Slimane AzemPoète et chanteur kabyle de la première génération, Slimane Azem à influencé des générations d’interprètes Amazigh. Issu d’une famille pauvre, il est né le 19 septembre 1918 à Tizi-Ouzou. Il quitte très jeune l’école, où ne l’intéressaient que les fables de la Fontaine, pour s’engager dans la vie active. Un colon de Staouél, prés d’Alger, l’engage à tout faire. En s’occupant, il fredonne les airs des bergers de sa Kabylie natale, ainsi que les chants de Moh ou M’Hand.

En 1937, à l’âge de 19 ans, il tente sa chance en France. En compagnie de son frère aîné, il s’installe à Longwy. Manœuvre au départ, il décroche un travail au métro parisien comme aide électricien. Mobilisé pendant la deuxième guerre mondiale, réfractaire, les allemands le déportent dans un camp de travail. Libéré par les Américains en 1945, de retour à Paris, il prit la gérance d’un café dans le 15ème arrondissement. En compagnie d’un orchestre amateur, il chante pendant les week-ends pour le grand plaisir des émigrés, leur offrant un peu d’air du pays. C’est là qu’il rencontre Mohamed El kamel qui l’encourage à composer lui-même ses textes. Sa première création est « Amoh-Amoh », grand succès que les fans cherchent chez Mme Sauvitla, la disquaire spécialisée du quartier. C’est elle qui le recommande à Pathé Marconi qui lui édite, à partir de 1950, entre autres, « Eddounit », « Yefka lamane », « Ahafid », « Lalla mergaza » et « Allah ghaleb ».

En 1951, il chante avec Bahia Farah « Attass ey savr » (j’ai trop attendu). La même année, il rentre au pays pour animer la chaîne Kabyle que dirigeait Si Saïd Rezzou. Militant du PPA, puis de MTLD, il écrit et compose « Fegh ay ajrad tamurt-iw » en 1956 et « Idehr-ed waggur » en 1957, deux chansons engagées qui lui causent des déboires avec les autorités coloniales. Il regagne définitivement la France en 1959.

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Après l’indépendance, le nouveau pouvoir interdit ses chansons à la radio. Marié avec une française, il passe sa vie de cultivateur entre sa propriété de Moissac dans le Tarn-et- Garonne, les enregistrements à Paris et les tournées. En 1970, Salimane Azem reçoit, en compagnie de Noura, un disque d’or de Pathé Marconi. Son dernier récital est donné à l’Olympia en 1981.

Celui qui nous a quitté, ravagé par l’alcool, l’amertume et l’ingratitude, le 28 janvier 1983, avait déclaré, « je continue comme par le passé à dire à ma façon tout ce que je pense, libre à chacun d’interpréter. Mes chansons sont comme l’auberge espagnole, on y trouve ce qu’on y apporte. » Slimane Azem n’a été réhabilité en Algérie qu’en 1991.

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Figuresde la chanson tunisienne

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Khamis TarnaneKhamis Tarnane a baigné dans une ambiance artistique dès sa tendre enfance. Issu d’une famille originaire d’Andalousie, il est né à Bénezet le 1er janvier 1894. Son père, Ali Tarnane, ainsi que son oncle Mohamed sont des adeptes et chanteurs de la Tarika Issaouia. Après l’école coranique, on l’inscrit au primaire dans une institution que dirigeait l’écrivain Abderrahmane Kika. De 1908 à 1917, il intègre les confréries soufies : Maoulidia, Issaouia et Soulamia en tant que « mounchid ».

Sauvé de l’engagement obligatoire grâce à un beau parent du Bey, qui admirait sa voix, il s’installe à Tunis célébrant les soirées dans un café à côté de Sidi Al Bachir avant d’être embauché au café Lamrabet où il se produisait une fois par semaine. Khamis Tarnane jouait le luth à la manière orientale et chantait le Baghdadi, imitant les classiques de Youssef Al Manlaoui, Salim Kebir et Mohamed Abderrahim. Il côtoie le cheikh Ahmed Touil, grande mémoire de l’époque, Cheikh Mohamed Belhoucine, décédé en 1922, et apprend le solfège grâce à Ali Addarouich. En 1928, il voyage à Berlin, enregistre des disques en compagnie de Mohamed Abdelaziz Al Akrabi. En 1932, il participe aux travaux du premier congrès de la musique arabe, qui s’est tenu au Caire, enregistre à l’occasion des Noubas du Malouf, Istikhbarat et autres pièces du folklore tunisien.

Membre fondateur de Rachidia en 1934, Khamis Tarnane a joué un rôle déterminant dans le nettoyage du Malouf. Avec Salah El Mehdi, il revoit l’ensemble de ses Noubat , qui sont au nombre de 13, et corrige les imperfections touchant aux textes et aux structures musicales.

Khamis Tarnane a chanté Qasidat « Ya zahra », paroles de Mohamed Said Al Kholsi, et composé pour la chorale de Rachidia, entre autres, « Noubat al khadra », quasidat « Kif bilmanazil », ainsi qu’une série de « Mouachah ». Saliha lui interprète, « Hajara al habib wa ma dara »,

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« Ya oum al ouyoun zarka », « Elli machaf zinek mahroum », « Ana nhabou ouhoua mouatini », « Ya salma ya khouilti albadouia », Fathia Khairi, « Anta yalli baïd alaya », Oulaya, « Lou kan taâraf bouâdak », Naâma, « Ennar elli kouatni kouatek », « Ghanni ya ousfour »…

Figure emblématique de la musique tunisienne, Khamis Tarnane, qui a consacré sa vie au chant, à la composition et à l’enseignement, s’est éteint le 31 octobre 1964.

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El Hadi Jouini« Lamouni elli gharou menni /galou li ach âajbak fiha».

Plus qu’une chanson, un tube repris par des générations d’interprètes. Ecrit par Bachir Fahmi et composé par El Hadi Jouini, il fut chanté et enregistré, pour la première fois, par Louisa Tounsia chez Gramophone (K 4919) en 1945. Il fait partie d’une infinité de créations d’un monument de la chanson maghrébine sinon arabe.

El Hadi Jouini est né au quartier Bab Jdid à Tunis le 1er novembre 1909. Son père, Abdessalam Ben H’ssine, l’inscrit à l’école coranique où il apprend la psalmodie et les hymnes religieux. Parallèlement à ses études primaires, il s’initie au luth à partir de l’âge de 11ans auprès, entre autres, de Moché J’bali, père de Maurice Mimoun. Passionné de musique, il abandonne les études, intègre la fanfare locale et chante imitant Mohamed Abdelwahab et les autres classiques égyptiens. Un ami italien, le violoncelliste Bonora, lui apprend le solfège et l’introduit au sein d’un cercle d’Européens qui lui permirent d’intégrer le conservatoire français où il finit par enseigner le luth.

Avec « Chérie habitak, ouana min illi ritak, fi wast kalbi zay il foula, ana habbitak », écrite en s’amusant, à quatre mains, avec Chafia Rochdi , alias Zakia Al Morrakouchi, et enregistrée en 1933, El Hadi Jouini venait de créer sa première composition en francarabe. Il rejoint le groupe « Taht Essour », café littéraire où se retrouvaient une pléiade d’intellectuels, poètes et paroliers dont Abderrazak Karbaka, Hadi Laâbidi, Mustapha Kharif, Mohamed Aribi, Mohamed Marzouki, Ali Douâaji et Mahmoud Bourguiba. Membre de l’Association Rachidia, il s’initie aux différentes formes de la musique andalouse. En 1937, Birm Tounsi débarque en Tunisie, expulsé d’Egypte par le roi Farouk. El Hadi Jouini lui chante le « Dawr », « atfi aadl Kouamak », repris plus tard par Oulaya. A la naissance de la radio en 1938, il anime une émission d’une heure par

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semaine. Il voyage à Paris, en Algérie, au Maroc et en Egypte où il enregistre pour Sawt Al Arab.

Compositeur incontournable, ses créations, imprégnées de l’air du temps, notamment ses inspirations du flamenco, ont fait le bonheur et la gloire des Chafia Rochdi, Fadela Khatmi, Hassiba Rochdi et Fathia Khairi. Outre la musique, El Hadi Jouini s’intéressa au théâtre et joua aussi comme acteur au cinéma, entre autres, dans un film, tourné au Maroc.

El Hadi Jouini est décédé le 30 novembre 1990. Les archives de la radio tunisienne lui conservent pas moins de 1070 chansons et 56 opérettes.

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SalihaLe 10 novembre 1958, Saliha se produisait pour la dernière fois au théâtre municipal de Tunis. En dépit de l’avis de son médecin, elle tenait à assister à une fête maroco-tunisienne où elle interpréta, entre autres, « M’rid oufani ». Quinze jours plus tard, elle décède à l’âge de 44 ans. La Tunisie et le Maghreb venaient de perdre l’une des voix de terroir les plus authentiques.

Salouha Bent Abdelhafid, née à Nebeur dans le gouvernorat du Kef en 1914, a grandi au sein d’une famille modeste. Son père Ibrahim a quitté Souk-Ahras et l’Algérie à la recherche de moyens de subsistance. La famille finit par débarquer dans la capitale tunisienne. Salouha, ainsi que sa sœur ainée Eljia, sont placées chez la famille de Mohamed Bey, frère de Moncef Bey. La demeure du grand bourgeois reçoit les illustres artistes de l’époque, des fêtes somptueuses y sont régulièrement organisées et les princesses s’y initiaient au chant et à la pratique instrumentale. Salouha imitait, en cachette, ce qu’elle retenait. Elle continua sur sa lancée en débarquant en 1927 chez la chanteuse Badria, rue El Bacha. C’est là que l’avocat Hassoun Ben Ammar la découvre. Mais la rencontre la plus décisive dans sa carrière reste celle du luthiste Beji Sardahi qui l’intégra à son orchestre sous le pseudonyme de Soukaina Hanem. En 1938, elle fait sa première apparition sur scène à l’occasion de l’inauguration de Radio Tunis. La soirée, organisée au théâtre municipal et retransmise en direct, révèle aux auditeurs la nouvelle star de la chanson tunisienne. Ensuite son chemin croise celui de Mustapha Sfar, fondateur de la Rachidia. Elle rejoint l’institution comme chanteuse, épaulée par les grands compositeurs Khamis Tarnane, Mohamed Triki et Salah Al Mahdi qui lui composent succès sur succès sur les paroles du groupe « Taht Essour ».

Au Maghreb et dans le monde arabe, on fredonne toujours ses indémodables refrains, « Ya khlila », reprise récemment par El Gasmi,

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« Ayoun soud makhouline », « Elli ma chaf zinek mahboul », « Bakhnouk bent lamhamid », « Min frak ghzali », « Ach ifid al malam »…Saliha reste la grande dame qui a révolutionné les chants bédouins tout en les modernisant. Elle chanta aussi les textes classiques tels « Hajar al habib », « Adl Al awadil » et « Ya zahra ». La radio tunisienne à éditée une anthologie comprenant ses meilleurs morceaux.

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Mohamed JamoussiDescendant d’une famille chérifienne dont l’aïeul est le cheikh Abdalah Jamoussi, décédé en 1140 de l’hégire, Mohamed Jamoussi est né à Sfax le 12 juillet 1910. Son père, artisan forgeron qui créa des instruments d’agriculture et reçut des prix aux salons de Tunis et de Marseille, est aussi un adepte de la Zaouia kadiria, connue par ses chants à la gloire du prophète, entonnés sur les modes du Malouf. Le jeune Mohamed Jamoussi grandit dans cette ambiance, fréquente l’école coranique où il psalmodie les versets comme personne. Une fois le certificat des études primaires en poche en 1926, il poursuit ses études secondaires à Tunis, clôturées par un diplôme en mécanique et dessin industriel. Embauché par la société des chemins de fer en 1933, il apprend seul le luth, chante pour les cercles d’intimes les classiques de Sayed Darwich et côtoie le chanteur cheikh Karray, inégalable interprète des « Mouwachahat ».

En 1939, il rencontre Bachir R’ssaissi, fondateur de la première maison de disques en Tunisie, qui lui conseille d’aller enregistrer à Paris. Il accepte de venir gratuitement dans la ville lumières avec un seul but : Se rendre sur la tombe d’Alfred de Musset devant laquelle il resta une journée entière. Mohamed Jamoussi avait en effet une admiration sans bornes pour le poète romantique depuis le lycée. En 1938, il enregistre chez Polyphone « Fechatt », grand succès dans tous les pays du Maghreb. N’ayant pas la bénédiction de sa famille qui refusait son choix, il décide de rompre déclarant, « L’artiste au temps de mon enfance ne valait rien. On le désigne du doit, il est méprisé, humilié. Pour satisfaire mon penchant, la seule solution était la fuite à Paris ».

Pendant une dizaine d’années, il mena une vie de bohème chantant pour les étudiants du Quartier Latin et pour la communauté maghrébine. Il compose et enregistre à Paris Mondial, la radio arabe, des tentatives de musique symphonique sur les traces de Mohamed El Kamal et de Mohamed Iguerbouchen. Il joue aussi au théâtre de l’Odéon, « Goha

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le simple », pièce de Si Kddour Benghabrit, recteur de la mosquée de Paris. En 1938, il est la vedette de « Fou de Kairouan », l’un des premiers films maghrébins, où il chante des œuvres de sa composition dont « Meskine ».

De cette période date ses chansons nostalgiques dont « bladi ya bladi, ma ahlak ya bladi/baîd alik, ourouhi fik/al ghorba kouatni , wa al wahda hatkatni/ana alik ounadi, bladi ya bladi », ainsi que son fameux « Riht lablad ». En 1946, il se réconcilie avec la famille et le pays, retrouve la terre ancestrale et les senteurs du jasmin. Conciliant chant, théâtre et cinéma, il tourne au Maroc « Sérénade à Meryem » où il interprète sept chansons, composées par Ali Riahi. Mahieddine Bchetarzi l’engage à l’Opéra d’Alger comme directeur artistique pendant une dizaine d’années. C’est là qu’il rencontre Youssef Wahbi qui l’invite à se produire dans son théâtre « Elazbakia ». En Egypte, il joue aux côtés de Faten Hamama et Tahaya Carioca dans « Bent Echawa », avec Chadia dans « Dalamtou rouhi », film où il a interprété « fi khater ayoun el badouia », avec Rakia Ibrahim dans « Nahed ». Les Italiens font appel à lui pour des rôles dans « le trésor du Bengale » et « Le chevalier de la maison rouge ».

Vivant à Paris, la ville qu’il admire tant, il ne rentre définitivement en Tunisie qu’en 1974, à la demande du président Bourguiba. Il s’installe à Sfax pour continuer de composer et d’écrire. On lui doit deux recueils de poésie, « Le jour et la nuit » et « L’aube », ainsi que ses mémoires où il raconte un destin hors du commun. Autodidacte en musique, Mohamed Jamoussi , qui composa pour Warda, Safia Chamia, Noura, Touria et Mohamed Jirari, a commencé à enregistrer dés les années trente. Décédé le 3 janvier 1982, il nous lègue un répertoire des plus impressionnants.

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OulayaAu cours de l’une de ses innombrables visites au Maroc, Oulaya déclara que ses ancêtres étaient originaires de Bouya Rahal, patelin de la région de Kalaât Sraghna. Complice et amie de plusieurs artistes marocains, Mohamed Benabdessalam lui concocte, unique composition d’un poème classique du maestro, « Ana man ana », texte existentiel du poète libanais Ilia Abou Madi. Elle interpréta aussi « Adha attanai », avec une composition de Salah Al Mahdi, l’un des chefs d’œuvres d’Ahmed Al Bidaoui…

Beya Bent Bechir Ben Hédi Rahal est née à Tunis le 4 novembre 1936. Son oncle, Abdelmajid Errahal, n’ayant pas d’enfants, l’adopte. Tout en poursuivant ses études primaires, elle se distingua pas sa voix suave surtout quand elle interprétait les chansons scolaires. A l’âge de 12 ans, le virtuose du violon Rédha Kalaii, époux de sa sœur ainée Samira, remarque ses potentialités vocales et lui compose, à l’insu de la famille, son premier refrain, « Dhalamouni habaibi ». Elle l’enregistre sous le pseudonyme de Fatat El Manar. Une fois découverte, son père, le grand comédien Béchir Errahal, l’encourage à poursuivre sa voie. Ce qui n’était pas le cas de sa maman qui l’a mariée à l’âge de 14 ans pour la détourner du milieu artistique. Beya, têtue, continue de chanter, notamment pendant les cérémonies familiales des voisins. Et c’est au cours de l’une de ces fêtes que Salah El Mahdi la découvre. Il la fait inscrire au conservatoire Rachidia , où elle poursuit un cursus académique sous la houlette des grands maîtres tel Khamis Tarnane, lui invente son nom de scène, Oulaya, inspiré du nom de la sœur de Haroun Arrachid et lui compose ses premiers succès . Chadli Anouar, El Hadi Jouini et Abdelhamid Sassi font de même. Oulaya rejoint la troupe municipale, puis la chorale de la radio télévision, où elle occupa les premières places, et ne tarda pas à dominer la scène musicale tunisienne au point où on la surnomma « Motribat al jil » (la cantatrice de la génération).

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Oulaya au cours de l’une de ses visites au Maroc

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Chafi Abou Awn, président de la haute commission de musique arabe du Caire, la remarque en assistant à une soirée de Rachidia. Fasciné par les qualités de sa voix, il l’invite à rejoindre la troupe de musique arabe du Caire. Une fois en Egypte, accompagnée par l’orchestre d’Abdelhamid Nouira, elle interprète l’un des plus difficiles « Daour », « Ya taliâa assaâd » de Daoud Hosni. L’assistance est conquise et les plus grands compositeurs arabes ne tardèrent pas à lui proposer leur collaboration. C’est ainsi qu’elle chanta pour Baligh Hamdi, Mohamed Al Mouji, Azeddine Hosni. En 1981, elle épouse Hilmi Bakr qui lui concocte « Alli gara », son morceau fétiche. Repris par Assala Nasri, Saber Roubai, Dikra, Fadel Chaker …mais la version de la diva reste inégalée. Outre « Alli gara », la discographie de Oulaya compte une infinité de morceaux, écrits et composés par des Tunisiens et autres auteurs et compositeurs de l’ensemble du monde arabe tels « Yalli dhalimni », « Ich ya fouadi », « Assahira »….

Oulaya a aussi joué au théâtre, accompagnant son père, et au cinéma, notamment dans « Une page de notre histoire » d’Omar Khlifi, « Oum Abbès » de M’hamed Marzouki et Ali Abdelwahab, ainsi que dans « Al Mazzika fi khatar » de Mahmoud Férid , aux cotés de Mohamed Nouh et Saffa abou Assououd.

Après avoir passé douze ans en Egypte, une année au Liban, Oulaya rentre en Tunisie. Elle décède le 19 mars 1990 à l’âge de 54 ans.

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Ali RiahiAvec El Hadi Jouini, Ali Riahi fait partie des artistes rénovateurs de la chanson tunisienne. Les Marocains le découvrent grâce à la tournée, organisée par le FLN, en 1958, à l’occasion du quatrième anniversaire de la révolution algérienne. En compagnie de Warda al Jazairia, représentant l’Algérie, et de Mohamed Fouiteh, représentant le Maroc, il sillonna les villes du Maroc et de Tunisie pour le grand plaisir de ses fans. Il reviendra plusieurs fois au Maroc, notamment pour les célébrations de la fête du trône.

Issu d’une famille bourgeoise de la Marsa, Ali Riahi est né le 30 mars 1912 à Tunis. Passionné au départ par le dessin, il dut affronter le refus de ses parents pour se faire un nom sur la scène musicale. Il apparaît pour la première fois en public, à l’âge de 24 ans, en 1936, accompagné par l’orchestre de Mohamed Triki avec El Hadi Jouini, Ali Sriti, Youssef Slama et Brahim Salah. Pour l’anecdote, ce dernier a été embauché par Abdallah Chakroun au moment de la création de l’orchestre de Salé sous la direction de Mohamed Benabdessalam. Encouragé par Mustapha Bouchoucha, directeur artistique de la radio et le cheikh Salam Doufani, il anime une émission hebdomadaire, commence par imiter les classiques orientaux, mais son rêve est de créer un genre typiquement tunisien ne devant rien à l’influence égyptienne. Préférant la scène et le contact direct avec le public, il organisait lui-même ses concerts. Citadin célébrant les chants campagnards, mélangeant les modes orientaux et populaires, créant sa propre manière de se mouvoir sur scène, arborant des costumes extravagants, son public ne cessa alors de s’agrandir. En 1947, il enregistre pour Pacifique « Ghanni ya bolbol », morceau en hommage aux charmes de son pays. Passant chez Decca en 1950, il enregistre « Djahfa » et ce n’est qu’en 1955 que sort, chez Pathé Marconi , « Ched esseif », paroles de Abdesalam Nouwali, le tube de sa carrière, toujours repris et fredonné par des générations d’amateurs. Il entame alors

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des tournées au Maghreb, en Europe et en Orient chantant « Andi warda », « Dounia al hob », « Ousfour youghanni », « Jrit ourak », « Ya hamama », « Al hob yaktal », « Ya naima »…. Son voyage en Egypte en 1953 reste gravé dans les mémoires. Admiré par Mohamed Abdelwahab et Farid Al Atrache, il enregistre pour la BBC et Radio Proche-Orient, dirigée alors par Halim Roumi, père de Majda Roumi.

Le 27 mars 1970, Ali Riahi décède sur la scène du théâtre municipal de Tunis, la mort qu’il avait souhaité lui-même au cours d’une interview à la radio quelques jours auparavant ! Il s’apprêtait à chanter « Katalatni min ghair silah » (elle m’a tuée sans arme) ! Nous sauvegardons de lui, comme le note Hamadi Abbaddi, « l’image d’un dandy anticonformiste mais sincère et authentique ».

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Habiba MessikaComédienne, chanteuse et danseuse, Habiba Messika, la bien aimée, a défrayé la chronique dans les années vingt au Maghreb, en France et au Moyen Orient. En avance sur son temps, elle fait partie des dames incontournables de l’histoire du théâtre et de la musique arabes.

Issue d’une famille modeste, Marguerite est née en 1903 à Testour, ville connue par sa tradition du Malouf et sa communauté juive. Elle quitte l’école à l’âge de cinq ans pour se lancer dans la vie artistique. Sa tante, la chanteuse Leila Sfez, qui a enregistré chez Pathé Marconi dès 1929, entre autres, « Hbibi ghab », « Jani el marsoul », « Emta narja fik », l’initie au piano et l’introduit au sein des cercles des intellectuels et des artistes de la capitale. En 1908, Habiba Messika intègre la troupe théâtrale « Achahama » , encadrée par Mahmoud Bourguiba. Première femme arabe à monter sur les planches d’un théâtre en 1911, deux ans avant l’égyptienne Mounira Al mahdia, elle incarne, plus tard, des rôles dans « Le fou de Laila », « Roméo et Juliette » et « Les martyrs de la liberté », émulée dans un drapeau tunisien et scandant des slogans patriotiques.

Concernant sa formation musicale, outre sa tante, elle fait la rencontre de Moché J’bali , Asher Mizrahi, du ténor égyptien Hassan Banane qui lui enseigne le chant, le solfège , l’arabe classique, les « Qasaid », « Adouar » dont « Mali foutinntou » et autres « Mouachah ». Khamis Tarnane et Bachir Rssaisi l’accompagnent à Berlin en 1928 pour ses enregistrements chez Baidaphone.Le premier concert public de Habiba Messika a été donné au palais Assous où elle rencontre son pygmalion et amant, le ministre de plume Aziz. Les poètes l’encensent à l’instar de Mohamed Said Al khalsi et les dandys bourgeois de Tunis ne ratent aucune de ses soirées. La diva entonnait « Yafarhati », « Ala bab darek », « Ala sarir Ennoum », « Ya mamma hiloua », « Talâa ya ma ahla nourha », « Zahr elguenuna »… En 1929, elle rencontre à Berlin

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l’artiste irakien Mohamed Koubanji, celui qui a ressuscité la Maqam irakien. Ensemble, ils chantent « Talâa min bit abouha », le duo n’a malheureusement pas été enregistré.

Habiba Massika , «… un tempérament de feu sous ses grâces orientales », comme la surnommait Coco Chanel, ne cessait de multiplier les amants et les jaloux. Eliahou Mimoun, un riche de Testour, est l’un d’entre eux. Fou amoureux d’elle, il lui offre des bijoux étincelants et lui construit un palais digne des Mille et Une Nuits. La tigresse aux yeux verts, la femme fatale, le plaque. Un soir, après l’un de ses spectacles, il s’introduit chez elle, rue Alfred-Durand-Claye, l’asperge d’essence et la brûle vive. Il se jette ensuite sur elle pour mourir ensemble. C’était le vendredi 23 février 1930. Depuis, les films, inspirés de sa vie, et des livres dont « Habiba Messika, artiste accomplie », d’Ahmed Hamraoui et « Habiba Messika, la brûlure du péché », éd. Belfond, Paris, 1998, de Jeanne Faive d’Acier, ne cessent de sortir. Les mythes ne naissent-ils pas du tragique ?

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Ahmed Hamza Né le 14 décembre 1930 à Sfax, il grandit au sein d’un milieu artistique. Son père, luthiste et grand interprète du Malouf, a été le premier à intégrer le piano au sein d’une troupe traditionnelle. A l’école, il chantonnait déjà et s’essayait même à des compositions au cours des cérémonies de fin d’année. Une fois le certificat d’études primaires en poche à 12 ans, il rejoint l’orchestre de son père qui animait un café chantant du centre ville.

A 16 ans, la carrière artistique de Mohamed Hamza est engagée. En compagnie de la troupe « Ahbab Al Fan », il effectue sa première tournée en Algérie. Charmé et séduit par le pays, il y retourne plusieurs fois, notamment avec la troupe de Abdelhamid Laâbabsa, pour finir par y séjourné pendant des années. De retour en Tunisie, en compagnie de son épouse algérienne, on lui confie la composition de la musique d’un film anglais tourné en Libye, « Les black tents ». Engagé à la radio à partir de 1957, il réalise ses premiers enregistrements à « Sawt Al Arab » au Caire en 1958.

Désigné en 1963 pour diriger l’orchestre de Sfax, sa ville natale où il découvre sa véritable voie et ses sources d’inspiration, il se penche sur les chants et les danses populaires avec la complicité du Cheikh Boudeya qui lui fait découvrir des trésors insoupçonnables. C’est sa période la plus fructueuse dont datent ses plus grands succès, tels «Chahloula », « Jari ya hammouda », «Chadou alkhananba », « Ya charda b’zine », « Wallah ma nansak », « Oum laâyoun k’hila », « Hob al khandouda », « Hia hia », « Esselsla oulkhal »… Outre la musique, Ahmed hamza se permet des incursions dans le 7éme art. En 1967, il obtient le premier rôle dans le long métrage tunisien « El Fajr », mis en scène par Omar Khlifi.

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Artiste confirmé, il rejoint la capitale et l’orchestre national avec qui il effectue des tournées au Maghreb, en Europe et dans le monde arabe. En 1958, il est le représentant de son pays à la première compétition du festival de la chanson maghrébine, en 1969 au Festival panafricain à Alger, en 1971 Festival de chanson arabe du Koweït, ainsi qu’au millénaire du Caire et au dixième anniversaire de l’indépendance d’Alger.

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Cheikh ElafritCheikh Elafrit, de son vrai nom Issirène Rosio, est l’une des stars maghrébines incontournables des années 30. Difficile d’évoquer l’évolution musicale en Tunisie sans tomber sur son nom. De père marocain, Salam Rozio, probablement originaire d’Essaouira, et de mère tripolitaine, le diablotin est né à Tunis en 1897. Ses parents divorcent, et Salam retourne au Maroc, délaissant une mère avec six enfants à charge. Pour survivre, elle enchaîne les corvées, filant de la laine, vendant des gâteaux et accompagnant, en choriste, des troupes pendant les fêtes familiales. Pour l’aider, Issirène, qui n’a jamais mis les pieds dans une école, accumule les petits boulots, boulanger puis pilonneur de café. Tout en travaillant, il chantonnait tout ce qui lui passait par la tête. Découvert par un mélomane, il lui conseilla de faire du chant et de la musique son métier, tellement sa voix est prenante. A 18 ans, il embrasse une carrière de chanteur professionnel, se spécialisant dans le répertoire populaire libyen grâce à sa mère, une vraie mémoire des chants folkloriques de Tripoli et de ses environs. Aux cotés d’autres grands musiciens judéo-arabes ayant fui la Libye tels Moché J’bali et Asher Mizrahi, il apprit une infinité de morceaux qu’il adapta au goût tunisien. Remarqué, on l’invite aux soirées des mardis chez le Bey dans son palais de Hammamat-Lif en compagnie de son orchestre constitué d’Albert Abitbol au violon, Messaoud Habib à l’orgue, Maurice Benais au luth, El Malih à la derbouka et Abramino au quanoun. Devenant l’un de ses intimes, le Bey le fait chercher en carrosse et le gratifia même d’un « Wissam ».

Sa notoriété grandissante, les maisons de disques se le courtisèrent. Il commence ainsi à enregistrer dès 1926 chez Pathé Marconi, en 1930 chez Gramophone, en 1933 chez Baidaphone et en 1935 chez Polyphone. Grâce aux disques et à la radio, sa voix se répand au Maghreb et dans le monde arabe. On l’invite pour des tournées en Algérie et au Maroc. Les fans reprennent ses innombrables succès. Le plus emblématique reste

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toutefois celui que lui a concocté Asher Mizrahi, « Tasfer outgharrab » (voyages et tu connaîtras le goût de l’exil), suivent « El ayn souda », « Ana nhab alik ya bnia », « Mahboul men gal n’sa yihabouni », « Ya samra ya kahlat laâyoun », « Ya fatma », « Atak rabbi », « Lach tghir alia »… Considéré parmi ceux qui ont transmit l’héritage populaire du 19éme siècle au 20éme, ne sachant ni lire ni écrire, c’est l’une de ses filles qui l’aidait à transcrire ses chansons et qui interprétait pour lui au piano ses compositions. D’une mémoire prodigieuse, Cheikh Elafrit, qui joua un rôle indéniable dans la naissance et le développement du genre Foundo, reste l’un des personnages clef de l’histoire musicale tunisienne.

Celui qui a chanté la vie et les passions contrariées, forgeant des images évocatrices et pleines de mélancolie, a rendu l’âme le 26 juillet 1939 à l’hôpital de l’Ariana à la suite d’une bronchite. Cheikh Elafrit nous laisse comme héritage pas moins de 400 chansons enregistrées.

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Nâama Après la génération des Chafia Rochdi, Habiba Messika, Fathia Khairi et le décès de Saliha, Naâma et Oulaya occupent la place d’honneur sur l’échiquier de la chanson tunisienne. Une grande voix maghrébine qui berça les mélomanes d’hier et dont les refrains continuent d’être repris pour le grand plaisir des générations d’aujourd’hui. Habituée du Maroc, elle lui rend hommage avec la chanson « Tahiat al maghrib », composée par Chadli Anouar.

Née le 27 février 1936 au petit village d’Azmour, dans le cap Bon, Halima Bent Laâaroussi Ben Hassan Cheikh est issue d’une famille mélomane. Sa mère, la plus belle femme du coin, fredonnait, en s’occupant, les chants « Arubi » et « Sahli ». Le père est un chanteur confirmé qui animait les soirées pour les gens du village reprenant les répertoires tunisien et oriental. Ses parents divorcent. Elle a à peine six mois quand sa mère s’installe dans la médina de Tunis, rue du Divan, chez des amis de son frère. La petite Halima, passionnée de chant et de musique, fréquente la demeure de Bechir Ressaissi où elle assiste, en catimini, aux répétitions des artistes tunisiens et à leurs enregistrements. Le patron de Baidaphone avait installé un studio dans l’une des chambres de sa grande demeure.

Avec sa belle et envoutante voix, elle chante pour les voisins et aux cours de cérémonies privées. Lors d’une fête, organisée par un généreux au bénéfice des non voyants, où étaient présentes Oulaya et Nariman, Naâma chante du Mohamed Abdelwahab, accompagnée par le virtuose du Qanoun, Hassan Gharbi et de son orchestre. Dès lors, son nom fait le tour de la ville, et sa réputation ne cessa de s’élargir. Rejoignant Rachidia au milieu des années cinquante, elle fait la connaissance de Salah El Mahdi qui l’écoute entonner « ya lil jit nachki lak » de Laila Mourad, paroles de Mohamed Jamoussi. Il lui concocte le pseudonyme artistique de Nâama et la fait produire au cours des soirées de Rachidia

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Nâama en compagnie de Brahim Alami (coll. Azelarab Alami)

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à la radio. Nâama se fait vite connaître dans le pays et au Maghreb. Malgré les contraintes d’un mariage à 16 ans, elle trace son chemin et décide de sa destinée enchaînant tournées, enregistrements, radios et télévisions. Avec Oulaya, elle incarne les aspirations d’une jeunesse en quête de nouvelles mélodies. Si Oulaya préfère partir au Caire, à la recherche d’une renaissance au Moyen Orient, Nâama reste fidele à son public tunisien. Ses soirées au casino de Tunis, à la salle El Fath, à Bab Souika, avec l’orchestre Al Manar sous la direction de Redha Kalaï , pendant les mois de Ramadan, demeurent mémorables. « Avec sa voix mélodieuse au timbre légèrement voilé, Naâma dégage une énergie communicative sur scène, proposant une chanson qui swingue, chargée de belle poésie populaire. » note, avec raison, Hamadi Abassi.

Muse des grands paroliers et compositeurs tunisiens, Naâma a enregistrée quelques 500 refrains entre chanson de variété, Quasidat et autre Nachid. Khamis Tarnane lui compose, « Ennar elli kouatni kouatek », « Ghanni ya ousfour », Mohamed Triki, « Zaama isafi dahr », « Maghiara », « Zine ala zine », El Hadi Jouini, « Ya âachki fi zine labnat », « Ya chaghelni ouchaghel bali », Mohamed jamoussi, « Ellila aid », Salah El Mahdi, « Ya zine assahra ou bahjatha »…

Chanteusemauritanienne

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Maalouma Bint El Midah« Je crois que la musique est le seul langage universel susceptible de rassembler l’humanité. C’est le langage de l’âme qui permet de délivrer un message bénéfique pour chacun : La paix et la sécurité. ». Plus qu’une déclaration, il s’agit d’une profession de foi qui résume la vision et l’engagement de l’artiste la plus emblématique de la Mauritanie d’aujourd’hui.

Issue d’une grande famille du sud de la Mauritanie (Trarza), Maalouma Bint El Midah , née en 1960, a commencé à chanter à l’âge de sept ans. Son père, Mokhtar Ould El Midah, premier musicien dans le pays à concilier les textes classiques de la langue arabe avec les modes et rythmes mauritaniens, lui apprend l’art vocal. Sa mère, descendante des « Ahl Boban », famille connue par sa pratique du chant et de la musique, l’initie, avec la complicité de sa tante Nila Mint Boban, au l’ardin. Comme tout artiste qui se respecte, Maalouma finit par maîtriser le répertoire traditionnel de son pays avant de se lancer le défi de la rénovation. « J’ai appris l’art en autodidacte et le rêve de ma vie était de réussir un jour à fonder une nouvelle vision qui sortira la chanson mauritanienne de son caractère traditionnel pour atteindre une forme et un contenu différents. ». Dès sa première création, elle innove. Après un travail acharné, des luttes interminables, l’incompréhension de l’entourage, Maalouma Bint El Midah finit par atteindre son but.

« …à l’âge de six ans, j’ai chanté un texte osé, composé par des artistes de grand renom. Ce fut le scandale, mais je sentais le besoin de liberté, d’émancipation. Personne ne comprenait que ma révolte commençait déjà contre toutes les restrictions, les interdits et cette vision étroite de l’artiste confiné depuis la nuit des temps, générations après générations, dans le chant des louanges des tribus et de leurs chefs. Ma famille en a souffert. On nous a marginalisé… ». Les puristes s’acharnent sur elle, les jeunes et les intellectuels la soutiennent en créant « le club des amis

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Maalouma au Maroc, au festival de Dakhla en février 2010

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de Maalouma ». Fin des années quatre vingt, la Word music déferle sur la planète, Maalouma s’impose et impose ses choix et son style. Outre la musique orientale, elle empreinte au blues et au rock. Ses mélodies riches et singulières reflètent l’histoire du folklore mauritanien et des représentations africaines. Son nom devient synonyme du pays et ses concerts se succèdent dans le monde entier. Vedette notamment au Printemps de Bourges et au festival des musiques métisses d’Angoulême.Pour passer ses messages, la musique ne lui suffit plus. Elle s’engage en politique, décroche un siège au parlement, déclarant que « tout ce qui a tendance à opprimer les autres m’est insupportable. De même, je ne peux pardonner la ségrégation raciale en termes de maîtres et d’esclaves. ». La fille du sud sait de quoi elle parle. En ambassadrice de la chanson mauritanienne, Maaalouma Bint El Midah programme ses présentations artistiques en dehors des sessions parlementaires et rejette toute proposition coïncidant avec son calendrier politique. Au parlement, elle affronte avec courage les conservateurs, notamment sur les tabous qu’elle chante d’ailleurs, les questions religieuses, la libération des femmes et les inégalités. Bien que n’appartenant à aucun courant idéologique, elle cultive les valeurs du partage, de la justice sociale et des droits de l’homme. Le thème de la liberté lui tient à cœur. Ne cesse t-elle pas de déclarer, tel un refrain, que « la créativité a besoin de la liberté pour s’épanouir. » ?

Compositeurlibyen

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Youssef Al Alem« Ghanni li allaila », l’une des plus belles chansons de Abdelhadi Belkhiat, est écrite par Ali Ghachim et composée par Ali Maher, deux grands artistes libyens. « Zine Al Habaib » de la libanaise Ilham Younes est composée par Ibrahim Achraf qui concocta aussi des morceaux pour Laila Matar et Fahd Ballane, encore un talentueux compositeur libyen…

La Libye, connue pour son riche folklore d’inspiration africaine, berbère, arabe, turque et méditerranéenne, et son ancienne tradition de musique andalouse et du Malouf, a mis du temps pour édifier sa propre chanson moderne. L’occupation italienne a fait fuir la communauté juive vers les pays voisins dont la Tunisie. Asher Mizrahi et Mosché J’bali y ont initié des grandes figures à l’instar de Habiba Messika et Cheikh El Afrit dont le répertoire est d’inspiration libyenne. Si en Tunisie, en Algérie et au Maroc les prémisses des nouvelles créations ont débuté dans les années vingt et trente, en Libye il a fallu attendre la fin des années cinquante pour apprécier les premières œuvres modernes. La figure incontournable de cette transition reste, sans aucun doute, celle du compositeur Youssef Al alem.

Né à Benghazi, il se passionna pour la musique dés son jeune âge. Voisin d’Ibrahim Achraf, il fait la connaissance d’Abdelhamid Chadi, créateur de « Ya salam ala nasma melli tkoun maliana hob », interprétée par Adil Abdelmajid. En compagnie de ses amis, il suit les cours d’Ali Agha sur les « Noubas » et de Hassan Aâribi concernant les modes orientaux. Chaque après midi, il s’installe au balcon de la maison familiale pour gratter du luth. Un jour, un passant qui écouta ses morceaux, l’interpella et lui conseilla de rejoindre la radio. Il s’agissait de Brahim Touiyer, responsable à la station de Benghazi. Et c’est ainsi que commença l’aventure de Youssef Al Alem avec la composition.

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« La base de la chanson est le texte et le mot. Si le poème est médiocre, aucune composition, aucune voix ne peuvent l’embellir. » En artiste complet, Youssef Al Alem choisit avec minutie ses textes qu’ils soient classiques ou populaires. En 1957, avec la complicité du poète Abdessalam Kaderbouh et le grand chanteur Mohamed Sedki, il crée « Tairin fi ach al wafa ». Enregistré avec des talentueux musiciens dont l’accordéoniste Slimane Ben Zobloh, le refrain, qui a fait le tour du monde arabe, est considérée par les historiens de la musique dans le Maghreb comme la première chanson libyenne moderne. Les trois mousquetaires venaient de se libérer du joug de la tradition pour ouvrir à la chanson libyenne de nouveaux horizons. Ils ne tarderont pas à être suivis par une pléiade d’artistes qui n’attendaient que ce déclic à l’instar des Ali Maher, Ibrahim Fahmi, Atia Mohamed, Mohamed Khamis, Mohamed Hassan…Pionnier parmi les pionniers, Youssef Al Alem , à qui on doit une infinité de succès tels « ward al janain », chantée par Adil Abdelmajid, « Ya ain liche damaâtek », interprétée par Mohamed Mokhtar, « Libia ya naghma fi khatri », « N’bark lik yawm al aid », « Ana fi hobak ana »…., continue de créer pour le grand plaisir des mélomanes libyens et arabes. Une grande figure qui mérite d’être plus connue à l’ère de la confusion satellitaire et des chansons kleenex.

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