Une Maman en Cadeau

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 Une maman en cadeau Chapitre : 1 234567891011 1 - 2 - 3 - 4 - 5 >> Littéralement sauvée par le gong, la souris remporta la première manche. Sans la sonnerie inopportune de la porte d’entrée, Anita aurait pris l ’avantage dans la lutte acharnée qu’elle livrait au rongeur qui s’invitait sans vergogne dans son modeste logis. Au moins aurai t elle ainsi marqué un point contre l’adversité qui s’acharnait sur elle en cette journée caniculaire et totalement calamiteuse ! Le carillon égrena une nouvelle fois ses trois fausses notes. Rien de comparable avec la douce mélodie qui annonçait l’arrivée de ses visiteurs dans son appartement de Los Angeles ! Tirant un trait sur le passé, elle avait résilié son bail pour venir s’installer à Mercy, petite ville paisible de l ’Indiana, où elle entendait jeter les bases d’une nouvelle existence. Pour l’heure, il fallait bien l’admettre, sa situation n’était guère reluisante. Son havre de paix se réduisait à une bicoque délabrée, hantée de surcroît par une colocataire famélique dont l’œil torve et la queue répugnante ne lui inspiraie nt guère de sympathie. Ainsi présentée, sa vie ressemblait à un mauvais mélodrame. Peu encline à s’apitoyer sur son sort, Anita secoua la tête et se dirigea vers la porte. La poignée pivota, mais, une fois de plus, le lourd battant refusa de s’ouvrir. Les pluies torrentielles de la fi n de l’été avaient fait gonfler le bois, imbriquant hermétiquement le panneau dans son cadre. En fin de matinée, au prix d’efforts insensés , elle était parvenue à entrebâiller la porte récalcitrante. Mais cette fois, elle doutait de parvenir à ses fins. Troisième sonnerie.   Un instant ! cria-t elle, hors d’haleine. Elle agrippa la poignée des deux mains, banda les muscles de ses avant-bras et tira de toutes ses forces. Pas question de laisser repartir son visiteur ! Du plombier, de l’électricien ou de l ’employé des télécommunications, elle n’aurait su dire lequel elle attendait avec le plus d’impatience. Un flot jaunâtre  jaillissait du robinet de la cuisine, l’éc lairage variait d’intensité de la façon la plus fantaisiste et, sans téléphone, elle était coupée du reste du monde. Le battant bougea d’un millimètre. Récompensée de ses efforts, elle fit une nouvelle tentative. Soudain, la poignée lui resta dans la main. Elle recula d’un pas et considéra d’un air ahuri le malheureux bouton de porcelaine.    Bonjour ! risqua de l’autre côté une voix fluette.    Un instant, répéta Anita. Je… j’ai un petit problème avec la porte.  Elle replaça la tige de la poignée dans son logement, mais le mécanisme tourna dans le vide. Résignée, elle se pencha, colla un œil au trou de la serrure et vit se balancer de l’autre côté du battant un bocal de conserve rose bonbon.    Bonjour ! répondit elle en direction de l’objet singulier.  Le bocal disparut de son champ de vision, aussitôt remplacé par une pupille bleu clair.

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Une maman en cadeau

Chapitre : 1 234567891011 1 - 2 - 3 - 4 - 5  >> 

Littéralement sauvée par le gong, la souris remporta la première manche. Sansla sonnerie inopportune de la porte d’entrée, Anita aurait pris l’avantage dansla lutte acharnée qu’elle livrait au rongeur qui s’invitait sans vergogne dans sonmodeste logis. Au moins aurait elle ainsi marqué un point contre l’adversité quis’acharnait sur elle en cette journée caniculaire et totalement calamiteuse ! Le carillon égrena une nouvelle fois ses trois fausses notes. Rien de comparableavec la douce mélodie qui annonçait l’arrivée de ses visiteurs dans sonappartement de Los Angeles ! Tirant un trait sur le passé, elle avait résilié sonbail pour venir s’installer à Mercy, petite ville paisible de l’Indiana, où elleentendait jeter les bases d’une nouvelle existence. Pour l’heure, il fallait bien

l’admettre, sa situation n’était guère reluisante. Son havre de paix se réduisaità une bicoque délabrée, hantée de surcroît par une colocataire faméliquedont l’œil torve et la queue répugnante ne lui inspiraient guère de sympathie. Ainsi présentée, sa vie ressemblait à un mauvais mélodrame. Peu encline às’apitoyer sur son sort, Anita secoua la tête et se dirigea vers la porte. Lapoignée pivota, mais, une fois de plus, le lourd battant refusa de s’ouvrir. Lespluies torrentielles de la fin de l’été avaient fait gonfler le bois, imbriquanthermétiquement le panneau dans son cadre. En fin de matinée, au prixd’efforts insensés, elle était parvenue à entrebâiller la porte récalcitrante. Mais

cette fois, elle doutait de parvenir à ses fins.Troisième sonnerie.

 — Un instant ! cria-t elle, hors d’haleine. Elle agrippa la poignée des deux mains, banda les muscles de ses avant-braset tira de toutes ses forces. Pas question de laisser repartir son visiteur ! Duplombier, de l’électricien ou de l’employé des télécommunications, ellen’aurait su dire lequel elle attendait avec le plus d’impatience. Un flot jaunâtre

 jaillissait du robinet de la cuisine, l’éclairage variait d’intensité de la façon laplus fantaisiste et, sans téléphone, elle était coupée du reste du monde.Le battant bougea d’un millimètre. Récompensée de ses efforts, elle fit unenouvelle tentative. Soudain, la poignée lui resta dans la main. Elle recula d’unpas et considéra d’un air ahuri le malheureux bouton de porcelaine. 

 — Bonjour ! risqua de l’autre côté une voix fluette.  —  Un instant, répéta Anita. Je… j’ai un petit problème avec la porte. Elle replaça la tige de la poignée dans son logement, mais le mécanismetourna dans le vide. Résignée, elle se pencha, colla un œil au trou de la serrureet vit se balancer de l’autre côté du battant un bocal de conserve rose

bonbon. —  Bonjour ! répondit elle en direction de l’objet singulier. Le bocal disparut de son champ de vision, aussitôt remplacé par une pupillebleu clair.

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 — Bonjour, très chère. Et bienvenue à Mercy !L’inconnue se redressa et une étiquette s’imposa cette fois à la vue d’Anita.

 Jambon cuit à la vapeur. Fumé à l’érable. Conservation à températureambiante. 

 —  Je fais partie du comité d’accueil de Mercy.  — Auriez-vous un tournevis ? Ou mieux, une massette ?La question provoqua d’abord un silence interloqué. 

 — Une massette, avez-vous dit, très chère ?Anita renonça.

 —  C’est inutile. Je vais passer par la fenêtre. La porte du jardin, Anita le savait déjà, était tout aussi récalcitrante que cellede l’entrée principale. Ravalant sa colère, elle souleva la vitre de la fenêtre àguillotine, grimpa sur le rebord, et se coula non sans mal à l’extérieur. La vieilledame qui l’attendait près du petit portail de bois blanc ne parut pass’émouvoir de cet accueil bien peu conventionnel.

Agée de quatre-vingts ans environ, elle portait une robe sans manches,imprimée de gros motifs multicolores, dont la coupe en forme de clochen’avait certes pas germé dans l’esprit d’un grand couturier. 

 — Et voilà notre nouvelle voisine ! s’exclama-t elle en propulsant son panier dans les bras d’Anita. Je suis Alice Marchand. Anita vacilla légèrement sous le poids de la corbeille en osier qui regorgeaitd’un assortiment invraisemblable d’objets hétéroclites et de spécialités locales.Torchons brodés, boîtes à clous, tire-bouchon et dénoyauteur se mêlaient auxliqueurs de fruits, petits-fours et pots de confitures recouverts du traditionnel

tissu à carreaux rouge et blanc.Tous les talents de la petite ville semblaient rassemblés dans ce cadeau debienvenue. Même les pompes funèbres avaient participé à cet élan degénérosité : Dix petites choses à savoir pour bien préparer l’au-delà, pouvait-on lire sur un éventail largement ouvert et planté entre deux bocaux decerises.Anita resta sans voix.

 —  Je… eh bien merci, madame Marchand. 

 —  Oh ! pas de « madame » avec moi ! Jamais je n’ai été fichue de supporter un homme !Elle s’approcha un peu plus. 

 —  Trop romantique…, murmura-t elle sur le ton de la confidence. Bien tropromantique pour le train-train de la vie à deux.Anita improvisa un petit rire de circonstance.

 — Ce panier est somptueux. Merci encore. —  Ce n’est rien. Juste un échantillon de notre hospitalité. La marmeladed’oranges est l’œuvre de Colleen, ma voisine. Les dames de la paroisse

fabriquent le pain aux céréales. J’oubliais ! Vous trouverez aussi un bon pour lesalon de coiffure. Entre nous, la boutique a beaucoup perdu depuis le départde Claire. C’est elle qui habitait cette maison avant vous. Sa remplaçante,Dorene, ne ménage pas ses efforts, mais, Dieu me pardonne, elle ne lui arrive

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pas à la cheville.La charmante commère porta une main à ses lèvres et forma un cornet autour de sa bouche.

 —  Son coup de ciseaux n’est pas très sûr, et elle est un peu trop généreuseavec sa bombe de laque. Méfiez-vous, conseil d’amie ! 

 —  Je… euh… je n’oublierai pas… Par respect des convenances, Anita aurait aimé l’inviter à entrer, maiscomment proposer une partie d’escalade à une personne de son âge ? 

 — Je peux aller chercher à boire, si vous voulez… La vieille dame secoua énergiquement la tête.

 — Très chère, vous avez suffisamment à faire !Puis, pointant un doigt en direction du ventre arrondi d’Anita : 

 — Sans parler de ce qui vous attend dans quelques mois, ajouta-t elle sansvergogne.Anita portait un bermuda, en partie recouvert d’un T-shirt trop grand. Elle était

enceinte de sept mois, mais son état passait généralement inaperçu. — Comment savez-vous que j’attends un enfant ?  —  L’intuition d’une vieille femme, sans doute. Et puis, vous avez laissé quelquesindices.Suivant la direction de son regard, Anita aperçut le magazine féminin et lespetits chaussons qu’elle avait négligemment laissés sur les marches du perron. 

 —  Oh ! les chaussons ! Mais ce ne… Alice Marchand agita vigoureusement les deux mains pour l’empêcher depoursuivre.

 —  Je ne vous demande pas d’explications, très chère ! Vous, au moins, voussavez faire quelque chose de vos dix doigts ! C’est si rare, chez les jeunesfemmes d’aujourd’hui ! Sur ce verdict élogieux, elle décida de prendre congé.

 —  Je vous souhaite une bonne journée. Oh ! et si vous avez besoin d’aide pour votre installation, n’hésitez pas à appeler John Dole ! J’ai glissé dans le panier une liste de numéros de téléphone. Vous y trouverez le sien. Depuis qu’il est àla retraite, il offre généreusement ses services à ses concitoyens. Il est très

habile de ses mains. C’est le plus charmant des hommes, et le plus heureux despapas. J’ai eu ses garçons en classe de biologie. D’excellents éléments !D’ailleurs, Claire a épousé l’un d’eux. La vieille dame sourit.

 — Elle a toujours été très intelligente. —  Vous avez dit John Dole ? demanda Anita d’un air soudain préoccupé.S’agirait il par hasard du père de Luke Dole ? 

 — Exactement ! Et il y a aussi Mark, Matt et Katie. Une famille très bien. Si vousavez la chance de rencontrer l’un d’eux, vous tomberez tout de suite sous le

charme. —  C’est déjà fait. La voix d’Anita avait perdu toute légèreté, tandis que le souvenir obsédant deson dernier tête-à-tête avec Luke resurgissait dans son esprit. La folle étreinte

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qui les avait unis ce jour-là les avait tous deux terrifiés et à jamais éloignés l’unde l’autre. 

 — Vit il à Mercy, maintenant ?Alice Marchand sourit et ses yeux bleus scintillèrent d’un soudain intérêt.

 — Oui, très chère. Nous avons eu le bonheur de le voir revenir dans notre petitecommunauté. Il a quitté l’usine où il travaillait à Los Angeles pour s’installer àson compte. Il travaille à domicile. A deux cents mètres d’ici. La petite maisonblanche, au coin de Cherry Street. Vous devriez passer lui dire bonjour, puisquevous semblez être de vieux amis… Le ton de sa dernière remarque appelait très clairement une réponse de lapart d’Anita. 

 —  En fait, si je suis ici, c’est un peu à cause de lui. — Oh ?La vieille dame fixa d’un air entendu le ventre de la jeune femme. 

 —  Oh non ! Ce n’est pas son bébé. 

Elle eut un petit rire nerveux puis ajouta : —  Quand je l’ai rencontré, en Californie, il ne tarissait pas d’éloges sur Mercy. Al’entendre, cette petite ville était un vrai paradis terrestre. Ses arguments m’ontconvaincue.

 — Il sait que vous êtes là ? —  Non, je… eh bien, je n’ai pas encore eu l’occasion de l’informer de mondéménagement.Une rencontre avec Luke Dole était exclue de ses projets. Les hommes en

général n’en faisaient pas partie. Son seul désir était de s’installer dans unendroit tranquille, où son bébé grandirait en paix et en bonne santé.

 —  Ici, les nouvelles se répandent plus vite qu’une épidémie de varicelle, repritl’intarissable visiteuse. Luke vous rendra très vite une petite visite.Anita en doutait, mais elle jugea inutile de le préciser.

 —  Ce panier me met en appétit. J’apprécie beaucoup cette marque debienvenue.Cette tentative de diversion resta sans effet.

 — Si vous avez envie de parler à Luke, insista Alice Marchand, vous n’avezqu’à appeler chez John. Il habite provisoirement chez ses parents. Le pauvre atraversé une bien pénible épreuve.Là-dessus, elle tira sur la laisse d’un petit teckel dont Anita avait à peineremarqué la présence. Docile et apparemment impatient de se remettre enroute, le chien se mit à remuer la queue et bondit dans une petite carriolerouge qui avait sans doute servi à transporter le panier.

 —  N’oubliez pas ! La liste des numéros de téléphone est glissée sous le bocal à jambon.

Elle agita la main en signe d’au revoir, saisit la poignée de sa petite charretteet s’en alla d’un pas décidé. Anita s’attarda un instant près du porche, le lourdpanier sur la poitrine. A Los Angeles, personne ne lui avait jamais manifesté cegenre d’attention. Elle ne connaissait même pas ses voisins de palier ! La vie à

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Mercy serait plus douce et moins anonyme ; l’endroit idéal pour mettre aumonde son enfant.Un petit cri plaintif la tira de ses pensées. La souris avait profité du répit qui luiétait accordé pour regagner du terrain. Perchée sur le rebord de la fenêtre,elle remuait le bout du nez d’un air inspiré. 

 —  Toi alors, tu ne manques pas de toupet ! s’écria Anita. Mais ne te faisaucune illusion ! Ce cadeau n’est pas pour toi. Loin de s’avouer vaincu, le rongeur s’étira de toute sa longueur, laissantapparaître aux yeux de l’égoïste jeune femme des côtes affreusementdécharnées. Anita soupira, jeta un coup d’œil à l’intérieur du panier et repéraun paquet de biscuits.

 —  D’accord, mais un seulement ! La souris dégringola de son perchoir pour se jeter sur le festin émietté sur le sol.Sans perdre une seconde, Anita glissa le panier à l’intérieur de la maison, sefaufila à son tour dans la cuisine et rabattit vivement la fenêtre. Victoire ! Elle

n’avait peut-être ni eau chaude, ni électricité, ni téléphone, mais elle étaitdébarrassée de cette bestiole famélique.Le destin lui souriait de nouveau. N’avait elle pas suffisamment de provisionspour soutenir un long siège ?Luke Dole arpentait avec tant de rage la chambre de sa fille que ses pasn’allaient pas tarder à creuser un sillon dans l’épaisse moquette. Sans relâche,il passait en revue les endroits où Emily pouvait bien se trouver. En vain. Elleavait disparu après la fin de ses cours, mais au moins connaissait il les raisons desa fugue. En début de soirée, le principal du collège avait appelé pour lui

relater son dernier acte de défiance et annoncer son renvoi provisoire, et ceune semaine tout juste après la rentrée.Il jeta un coup d’œil à sa montre : 22 h 30. Où diable pouvait elle bien secacher ? A deux reprises, déjà, il était parti à sa recherche et revenubredouille. Les deux fois, il était rentré en espérant la retrouver à la maison.Malheureusement, ses sandales n’avaient pas regagné leur place près de laporte d’entrée et son lit n’était toujours pas défait. Des visages lugubres dechauffards, de violeurs et de tueurs en série lui torturaient l’esprit. 

 —  Ça me rappelle le temps où j’attendais ton retour et celui de ton frère.La voix de son père le tira de ses sombres pensées. Il fit volte-face et l’aperçutdans l’encadrement de la porte. Vêtu de son peignoir bleu marine, John avaitun verre d’eau à la main. 

 —  Papa ? J’ignorais que tu étais encore debout. —  Eh bien moi, je savais que tu n’étais pas couché. A toi seul, tu fais autant debruit qu’un troupeau d’éléphants ! Il alla s’asseoir sur le bord du lit de sa petite-fille.

 —  Ne t’inquiète pas, Luke ! Je suis sûr qu’elle va bien. Une fois de plus, elle te

met à l’épreuve.  — Eh bien, ce soir, elle a largement dépassé les limites. Seigneur, où est elle ?Il recommença à tourner comme un ours en cage.

 — Je vais appeler la police.

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 —  Mercy n’est pas Los Angeles, dit posément le chef de famille. Aurais-tuoublié tes douze ans ? Avec Mark, vous avez fait les quatre cents coups. Riende bien méchant, heureusement. Sauf la fois où vous avez séquestré le chiende miss Tanner pour le peindre en violet.Luke se détendit un peu.

 —  La pauvre vieille ne nous l’a toujours pas pardonné ! — La moitié de la ville vous soutenait. Cet animal était une vraie calamité. Ilaboyait à longueur de journée, même après les moustiques.Il but une gorgée et posa son verre sur la table de nuit en osier blanc. A septans, Emily adorait le mobilier de sa chambre. Aujourd’hui, ce n’était plus qu’unsujet de discorde parmi tant d’autres entre le père et la fille. Luke supportaitmal qu’elle détruisît avec tant d’acharnement l’univers qu’il avait construitpour elle avec Mary.John se leva et posa une main sur son épaule.

 — Emily traverse une phase difficile. Elle a perdu sa mère au moment où elle enavait sans doute le plus besoin.

 —  Moi aussi, j’ai perdu Mary. Et je n’arrive pas à faire face. Je suis incapable de jouer le rôle de deux parents à la fois.Il portait ce fardeau depuis près de deux ans, et n’avait pas le sentiment deprogresser.

 —  Je suis trop maladroit… Je passe mon temps à tout gâcher.  —  Vous avez un certain nombre de choses à régler tous les deux, c’est tout. Tuverras, tout finira par s’arranger. 

Luke avait entendu ces paroles trop souvent. De la bouche du psychiatre à quiil avait confié Emily après la mort de Mary. Puis de celle des professeurs etdirecteurs d’écoles qui, les uns après les autres, avaient jeté l’éponge apr èsavoir sans succès tenté d’améliorer le comportement et les résultats del’enfant. Désemparé, il était revenu habiter chez ses parents, dans l’espoir qu’ilsl’aideraient à briser le mur qu’elle avait érigé entre eux avec tantd’obstination. Un autre aurait sans doute mieux réussi que lui. Un autre aurait été capable

de… cette pensée lui brisa le cœur. Il ne supportait pas sa propre défaite.  — Quand, papa ? Dis-moi quand nous serons enfin capables de vivrenormalement !Les yeux de John s’embuèrent imperceptiblement.

 —  J’aimerais pouvoir te répondre, mon fils. Il le serra longuement dans ses bras.

 — Va chercher Emily ! Parle-lui ! Vous avez tant besoin l’un de l’autre ! Rien n’était plus vrai. Malgré cela, ils ne cessaient de se repousser, commedeux naufragés se disputant le dernier gilet de sauvetage d’un navire en

détresse.Luke sourit tristement à son père et sortit. Pour la troisième fois, il parcourutméthodiquement les rues de Mercy au volant de sa voiture. La petite villecomptait à peine plus de six mille habitants et il en eut vite fait le tour. En une

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demi-heure, il n’avait croisé qu’un pauvre chien errant et s’apprêtait àrenoncer lorsque soudain il repéra la silhouette familière de sa fille, ses cheveuxfuchsia et son T-shirt orange. Elle grimpait à la fenêtre d’une petite maison qu’ilconnaissait depuis longtemps. Claire Richards l’habitait autrefois, avantd’épouser Mark, son frère jumeau. Ensuite, le couple avait quitté la région pour s’installer en Californie. Les locataires n’étaient pas légion, à Mercy. Peu à peu,la maison était tombée en décrépitude avant de devenir le lieu de rendez-vous préféré des jeunes qui y organisaient régulièrement des surprises-parties.Sa mère lui avait bien parlé d’une nouvelle occupante, mais Luke ignorait sielle avait déjà emménagé.L’endroit était plongé dans l’obscurité et paraissait encore inhabité : lacachette idéale pour Emily. Il gara sa voiture devant le portail de la villavoisine, se glissa dans l’allée qui séparait les deux bâtisses, et posa les mains sur le rebord de la fenêtre par laquelle Emily avait disparu.Anita se redressa brusquement dans son lit. Une ridicule petite souris ne pouvait

être à l’origine d’un tel vacarme. A moins qu’elle n’ait organisé un bal àl’intention de quelques milliers de ses congénères.Son cœur battait violemment dans sa poitrine et le film de son agressionimminente se mit à défiler devant ses yeux. Penché sur son cadavre, unmédecin légiste énonçait les circonstances dramatiques de sa mort, tandisque la mystérieuse disparition du panier du comité d’accueil de Mercy faisaitla une de tous les journaux du comté.Elle respira profondément et tenta de s’éclaircir les idées. Une arme. Il lui fallaitune arme. Dans la pâle lueur du croissant de lune qui éclairait la chambre, elle

ne distingua aucun objet contondant, hormis une paire de chaussures à talonsaiguilles. Elle plissa un instant les paupières pour habituer ses yeux à lapénombre. Près de la penderie trônait un énorme carton qu’elle n’avait pasencore trouvé le courage de transporter jusqu’à la cuisine. Avec un peu dechance, elle pourrait en extirper son rouleau à pâtisserie ou, mieux encore, songaufrier.Se glissant hors du lit, elle avança sur la pointe des pieds et entrouvrit la boîteprovidentielle. Un grincement sinistre lui parvint de la pièce voisine ; elle retint

son souffle. Jack l’Eventreur lui laisserait il le temps de préparer sa défense ?Dans sa hâte, elle se saisit du premier ustensile qui lui tomba sous la main. Unepoêle : deux millimètres d’épaisseur d’acier massif et un long manche de bois.Elle se redressa vivement, trop vivement sans doute, car une soudaine nauséemenaça de réduire ses efforts à néant.

Tremblante, elle quitta la chambre et, levant son arme improvisée au-dessusde sa tête, elle s’avança prudemment dans le petit hall qui desservait l’autrepièce. Tel le leader d’un commando se préparant à neutraliser un terroriste,

elle se plaqua dos au mur et se coula sans bruit dans le bureau.Tout d’abord, elle ne distingua rien de particulier. Puis un mouvement furtifattira son regard vers la fenêtre. La silhouette d’un homme se dessina dansl’encadrement. Une silhouette gigantesque. Terrifiée, elle continua à se

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rapprocher silencieusement de l’intrus. Sans remarquer sa présence, il sauta sur le sol et déplia ses membres de géant. Comme il marquait une pause, Anita sedétacha du mur, et sans réfléchir davantage aux conséquences de son acte,propulsa la lourde poêle dans sa direction. Toutefois, au dernier moment, savolonté vacilla et ses muscles fléchirent. Le coup violent qu’elle espérait luiasséner se réduisit à une tape légère, accompagnée d’une grimacevaguement menaçante.Comprenant ce à quoi il venait d’échapper, l’homme porta les mains au-dessus de sa tête pour parer à une nouvelle attaque. Dans son affolement, iltrébucha et s’étala de tout son long sur le parquet, face contre terre. Anitaleva de nouveau son arme, prête à profiter de son avantage mais, cette foisencore, elle hésita.Son adversaire était immense. Si elle l’assommait, comment parviendrait elleensuite à traîner son corps inerte hors de chez elle ? Par la porte, c’étaitimpossible. Par la fenêtre, impensable. Si au moins sa ligne avait été branchée,

elle aurait pu appeler la police, mais y avait il seulement une permanence denuit dans une petite ville comme Mercy ? L’idée lui vint de retourner dans sachambre pour s’emparer de ses talons aiguilles. Si elle brandissait devant sesyeux les bouts pointus, il prendrait la fuite à coup sûr. Non, pas si vite ! Elle seraitbien stupide de ne pas profiter de la situation. Pas question de laisser partir unhomme aussi robuste avant qu’il n’ait débloqué la porte de l’entrée ! Etpendant qu’il y était, il déplacerait aussi la lourde table de la salle à manger qu’elle ne parvenait pas à pousser toute seule. Le célibat, elle devait bienl’avouer, ne présentait pas que des avantages. 

Elle tendit les bras pour lever la poêle un peu plus haut. S’il fallait en arriver là,elle lui flanquerait un bon coup sur la tête et l’attacherait avec les fils dutéléphone qui trouveraient au moins ainsi une utilité. Ensuite, ellel’abandonnerait à la charmante compagnie de la souris. 

 —  Hé ! Mais c’est mon père ! hurla une petite voix derrière elle. Arrêtez ! Stupéfaite, Anita se laissa désarmer par une adolescente surgie de nulle part.Toujours allongé sur le sol, l’homme émit un grognement de douleur. Il portaune main à son front et roula sur le côté.

 — Qui êtes-vous ? demanda-t il. Et que faites-vous dans la maison de Claire ?Puis, intrigué par le visage qui lui faisait face, il cligna plusieurs fois des yeuxpour ajuster sa vue.

 — Anita ?Elle reconnut la voix aussitôt. S’approchant un peu plus, elle distingua les traitsfamiliers mais refusa de se rendre à l’évidence. Non, c’était impossible ! Soncambrioleur ne pouvait être… 

 — Luke ? demanda-t elle enfin d’une voix blanche.  — Papa, ne lui réponds pas ! Cette femme est complètement cinglée. Un peu

plus, et elle te tuait avec une poêle à frire !Anita la regarda s’agenouiller près de son père. Elle n’avait pas rencontré Emilydepuis bien des années.

 — Comment te sens-tu, papa ?

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 — Je vais bien.Il se leva doucement, frotta les manches de sa veste et dirigea sur Anita unregard totalement incrédule.

 —  Eh bien ! Si c’est ainsi que vous accueillez vos visiteurs, je préfère ne jamaisconnaître la manière dont vous les invitez à prendre congé !

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Luke n’essaya pas de dissimuler la surprise que lui causait la présence d’Anita àMercy. Sans nouvelles depuis plus d’un an, il ne s’attendait certes pas à laretrouver à quelques pas de chez lui et si loin de Los Angeles. Le mystère deces étranges retrouvailles restait à éclaircir.

 — Que diable faites-vous ici ? —  J’habite ici. 

La réponse lui parut un peu courte. —  C’est tout de même curieux, avouez-le ! — Vous entrez chez moi comme un voleur, et vous osez demander desexplications ?Lorsqu’elle se pencha pour ramasser la poêle qui gisait sur le sol, sonmouvement exposa ses longues jambes aux reflets ambrés du clair de lune.

 — Je suis armée, reprit elle fièrement, comme si son ustensile de cuisine luidonnait un quelconque avantage. C’est à vous de répondre à mes questions.Pourquoi êtes-vous passé par la fenêtre de mon bureau ?

Luke s’efforça de reprendre ses esprits. La silhouette d’Anita l’avait toujoursfasciné.

 —  Voilà des heures qu’Emily aurait dû rentrer à la maison ! dit il en gratifiantl’intéressée d’une œillade assassine. Mais elle semble avoir oublié quelquesrègles de conduite élémentaires.L’adolescente poussa un long soupir et prit un air de profond agacement. 

 —  J’ai écumé toute la ville pour la retrouver. Et quand je l’ai vue s’introduire ici, je l’ai suivie.

 —  Je cherchais juste un endroit où me mettre à l’abri.  — Tu cherchais surtout à éviter une punition, corrigea-t il. J’ai honte de toi,Emily. T’es-tu au moins regardée dans une glace ?Il désigna d’un geste excédé la teinte écarlate de sa chevelure. Peu disposéeà capituler, elle croisa les bras sur sa poitrine.

 — Je déteste mon existence.Lorsqu’il l’entendait parler ainsi, Luke finissait toujours par perdre son sang-froid.

 —  Va m’attendre dans la voiture ! Tout de suite ! Tu es privée de sortie  jusqu’ànouvel ordre.

Butée, elle plaça les deux poings sur ses hanches. —  T’as pas le droit de m’enfermer ! Il s’avança alors vers sa fille d’un pas si menaçant qu’Anita jugea bond’intervenir. 

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 — Allons chercher de la glace pour votre front ! suggéra-t elle avec douceur.Et aussi une bouteille d’orangeade. Ensuite, nous parlerons tranquillement tousles trois.Elle savait mieux que personne apaiser les esprits. Il avait eu cent fois l’occasionde le remarquer quand elle travaillait à ses côtés dans l’entr eprise de logicielsqu’il avait créée avec son frère, six ans auparavant. Lorsque l’affaire avaitcommencé à connaître des difficultés, elle avait continué à les assister, sans

 jamais se plaindre des retards parfois extravagants qu’enregistrait sur soncompte en banque le virement de ses salaires. Plus qu’une collaboratrice,Anita était une amie. Et, en vérité, beaucoup plus qu’une amie… Il repoussa le souvenir encore brûlant de leur brève et unique étreinte.Aujourd’hui, la seule femme qui comptait à ses yeux était sa fille Emily. Lesautres, et celle-ci en particulier, ne devaient pas le détourner de sespréoccupations paternelles.C’était presque mot pour mot le discours qu’il avait servi à Anita dix-huit mois

plus tôt en refusant d’engager une quelconque relation avec elle. Or,aujourd’hui, sa présence à Mercy risquait bien de faire vaciller ses bonnesrésolutions. Pourquoi, dans un territoire aussi vaste que les Etats-Unis, avait elleprécisément choisi d’élire domicile ici ? Quels sentiments motivaient sa venue ?L’envie de le séduire ou le désir de se venger de la manière un peu brutaleavec laquelle il l’avait éconduite ? Les circonstances se prêtaient mal à pareille discussion, d’autant que sesaffaires de cœur ne concernaient guère Emily. L’irruption imprévisible d’Anitadans sa vie lui faisait perdre l’esprit et le détournait de ses objectifs. Il devait

prendre le large au plus vite.Toutefois, refusant d’écouter sa raison, ses pas le guidèrent telle unemarionnette dans le sillage de la jeune femme. Comme ils atteignaient lacuisine dans une obscurité presque totale, il leva la main vers l’interrupteur qu’ildevina près de la porte.

 —  Non ! s’exclama Anita en essayant de retenir son geste. Trop tard ! Une violente décharge parcourut l’avant-bras de Luke. Il étouffa un

 juron. Bon sang, dans quelle maison hantée avait il mis les pieds ? Devait il

s’attendre à d’autres traquenards ? Cette fois, c’était sûr, le spectre vengeur d’Anita commençait à frapper sous les traits d’une fée enjôleuse. L’éclairage violent du plafonnier était aveuglant.

 — Cette lampe fonctionne parfaitement bien, claironna Luke, tout fier de sonexploit.Trop bien, sans doute. Très vite, ils entendirent un sifflement puis un grésillementinquiétant et bientôt le souffle d’une sourde explosion. Un bouquet d’étincellesillumina le plafond, tandis qu’une gerbe de verre brisé s’abattait au milieu dela pièce. Et ce fut de nouveau l’obscurité. 

 — Bien joué, papa ! persifla Emily.Anita se débarrassa avec précaution des éclats pointus accrochés auxépaules de son T-shirt.

 — Voilà bien les hommes ! soupira-t elle. Ils se croient toujours plus malins !

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Luke réprima un fou rire. — Mais nous le sommes ! affirma-t il sans vergogne. Ou tout au moins, nousaimons le faire croire.Remise de ses émotions, Anita se détendit à son tour.

 — Cet incident me rappelle un voyage en voiture absolument interminable.Oh ! vous connaissiez le chemin sur le bout des doigts, et pour rien au mondevous n’auriez écouté mes conseils ! La côte Ouest n’avait aucun secret pour vous. Malheureusement, au lieu de rouler vers San Francisco, vous filiez toutdroit en direction de l’Oregon. Comme un souvenir anodin réveillant une très ancienne complicité, lapénombre teintait l’évocation d’Anita d’une troublante intimité. Luke n’avaitrien oublié de ce périple mémorable. Totalement désorienté, égaré pendantdes heures sur les routes sinueuses de l’arrière-pays californien, il avaitobstinément refusé d’admettre ses erreurs. Il s’éclaircit la gorge et préféra revenir à des considérations plus pratiques.

 — Bien. Soyons efficaces ! Auriez-vous par hasard une lampe de poche àportée de la main ?Anita craqua une allumette et alluma le chandelier placé avec prévoyanceau centre de la table. Dans le halo vacillant des bougies, ses traits paraissaientencore plus délicats.Tout à la fois romantiques et déterminés, songea Luke, charmé par cettenouvelle apparition.Il la trouvait plus belle encore que dans son souvenir. Ses cheveux étaient pluscourts. Jadis, ils descendaient plus bas que ses épaules. Aujourd’hui, ses

mèches s’arrêtaient à la hauteur de sa nuque, encadrant avec grâce l’ovaleparfait de son visage.

 — Orangeade ou thé glacé ? demanda-t elle de sa voix mélodieuse.Son regard provoqua chez Luke une nouvelle décharge électrique.

 —  Euh… je… non, merci. Nous allons rentrer. Le plus grand piège se trouvait sans nul doute dans les yeux d’Anita. Mieuxvalait s’en éloigner au plus vite. 

 — Nous allons rentrer, répéta-t il sans beaucoup de conviction.

 —  Vous l’avez déjà dit, observa-t elle avec humour.Comme bien des fois, il envia l’aisance de son frère Mark qui, en toutescirconstances, par quelques paroles inspirées et toujours bien senties, se sortaitdes pires situations sans jamais se couvrir de ridicule. Au lieu de cela, ilmarmonna quelques excuses incompréhensibles et batailla cinq bonnesminutes avec la porte du jardin avant de parvenir à l’ouvrir. Levant les yeux auciel devant un spectacle aussi affligeant, Emily sortit en se dandinant devantlui. Il lui emboîta le pas, fulminant de rage et de honte, et incapable deprendre dignement congé.

 —  Une maison de correction jusqu’à ta majorité, c’est cela que tu veux ? Dans la voiture, l’ambiance était plus tendue que jamais. La scène qu’ilsvenaient de vivre en présence d’Anita avait redoublé la colère de Luke contre

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sa fille. Et puis, il lui était plus facile de se concentrer sur les problèmes d’Emilyque sur les conséquences de ses retrouvailles avec la jeune femme.

 — Je devrais te faire placer un système électronique autour de la cheville. Tusais, un de ces anneaux pour délinquants en liberté surveillée. Ah vraiment, tupeux être fière de toi ! Tout ce que tu as gagné aujourd’hui, c’est uneinterdiction de mettre le nez dehors pendant une semaine. Et je suis encoreassez bon pour t’autoriser à sortir de ta chambre. Aussi immobile et silencieuse qu’une statue, l’adolescente fixait sans ciller lavitre de sa portière.

 —  Le principal du collège m’a appelé en fin d’après-midi.Toujours aucune réponse.

 —  L’année scolaire vient tout juste de commencer, et tu as déjà trouvé lemoyen de te faire remarquer. Une semaine de renvoi en raison du non respectdes codes vestimentaires de l’établissement. Tu le fais exprès. Tu savais trèsbien ce qui t’attendait. Quelle idée de te mettre cette chose violacée sur le

crâne ?Il porta le regard sur sa droite, sur le profil d’Emily, si semblable à celui de samère. Les yeux aussi étaient les mêmes. Deux taches bleues immenses, pures etlumineuses, que rien au monde, pas mêmes les teintes les plus extravagantesde sa chevelure, ne parvenait à ternir. En dépit des conflits qui les opposaientchaque jour, Luke aimait profondément sa fille. Depuis des mois, il tentait sansrelâche de briser le mur d’incompréhension qui les séparait. En vain. Il esquissaun geste dans sa direction puis se ressaisit, de crainte de la voir se raidir un peuplus sur son siège.

A peine avaient ils atteint la demeure familiale qu’elle descendit de voiture ets’engouffra dans l’entrée sans un regard pour son père. Il soupira, tourna aveclassitude la clé de contact et franchit d’un pas lourd le seuil de la maison. Atrente ans à peine, il se faisait l’effet d’un vieillard centenaire. Comment une petite fille si douce et si charmante avait elle pu se transformer en une telle furie ? Elle ne montrait plus la moindre affection à son égard. Oùétait l’enfant qui lui grimpait sur les genoux pour lui appliquer de gros baisers sur les joues et le supplier de jouer ? Dans quelles contrées lointaines avait elle

disparu ? La vie dont il avait rêvé pour elle autrefois n’était que tristesse depuisla disparition de Mary.Avec le peu d’énergie que lui avait laissée cette journée éprouvante, Luketenta de se ressaisir. Il ne servait à rien de ressasser le passé. Il existait pour safille et pour lui un avenir meilleur. Restait seulement à trouver le moyen del’atteindre… Le lundi matin, de gros nuages noirs s’amoncelaient dans le ciel. Pour conjurer la morosité du temps, Anita décida de s’offrir un solide petit déjeuner. Lecadeau de bienvenue du comité d’accueil lui offrait un appétissant choix de

gelées et de confitures. Après réflexion, elle opta pour la marmeladed’oranges dont miss Marchand lui avait fait l’éloge. Elle l’étala généreusementsur sa tartine et mordit avec appétit dans le pain aux céréales des dames dela paroisse.

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 Bienvenue à Mercy ! Une grimace de dégoût déforma les traits de son jolivisage. La mixture était infecte, inqualifiable. Produit pharmaceutique oupâtée pour chien à bas prix ? Anita eût été bien incapable de trouver les mots

 justes pour décrire pareille abomination.Première leçon de ce début de semaine : se tenir à distance de ColleenTanner et de ses « productions maison ». De deux choses l’une : soit cettefemme avait les talents culinaires d’un chimpanzé, soit elle dissimulait sousl’apparence trompeuse d’une charmante vieille dame des dons de sorcellerieabsolument terrifiants.Le nez retroussé, les yeux plissés par le goût amer, Anita se força à avaler uneseconde bouchée. Ses provisions se résumaient au contenu de ce panier, etl’état de son compte en banque lui interdisait pour l’instant de faire desemplettes. Entre les pleins d’essence, la location d’une remorque et lescautions versées pour son installation, ses économies avaient fondu comme

neige au soleil. Heureusement, sa petite voiture n’avait pas rendu l’âme avantd’arriver à Mercy. Il est vrai que pendant les deux cents derniers kilomètres, ellel’avait encouragée sans relâche, lui promettant vidange et révision complètesi elle la menait à bon port. Son déménagement la laissait sans un sou, et ellecomptait sur l’arrivée imminente du chèque de son éditeur pour se remettre àflot.Le travail de pigiste auquel elle se consacrait depuis quelques semaines luipermettait d’envisager l’avenir avec sérénité. Elle attendait le règlement deplusieurs articles, une rentrée non négligeable, amplement suffisante pour 

acquitter ses factures, remplir son réfrigérateur et acheter quelques tenues degrossesse. Et puis, il y avait aussi la commande de son amie Gena. Propriétaired’une boutique de vêtements pour enfants à Los Angeles, elle était tombée enextase devant les premières paires de chaussons qu’Anita avait réalisées aucrochet pour son bébé. Toujours à l’affût de nouveautés à proposer à saclientèle, elle les avait exposées dans sa vitrine. Son flair ne l’avait pas trompée: le succès avait été immédiat et elle attendait avec impatience unréapprovisionnement. Trop occupée par son déménagement, Anita n’avait

pas trouvé le temps de s’y consacrer jusqu’à présent, mais elle comptait bienle faire sans tarder.Malgré les aléas de son installation à Mercy et les mauvaises surprises que luiréservait sa nouvelle maison, Anita restait optimiste. L’enfant qui grandissait enelle la remplissait de confiance. Jamais, depuis le jour où elle avait franchi leseuil de la banque du sperme de Los Angeles, elle n’avait regretté son choix.Obsédée depuis des années par le désir de fonder une famille, elle n’avait pasvoulu attendre l’arrivée peu probable d’un prince charmant dans sa vie. D’ailleurs, la déclaration décevante de son fiancé l’avait confortée dans ses

convictions. « Les enfants ne m’intéressent pas », lui avait il annoncé un soir, dela manière la plus désinvolte. Elle lui avait rendu sa bague, mettant un terme àune relation bien trop superficielle et décidant qu’elle n’avait besoin depersonne pour réaliser son vœu le plus cher. 

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Dès l’annonce du résultat positif de son test de grossesse, elle avait quitté leposte qu’elle occupait dans une agence de communication et pris ses dispositions pour commencer une nouvelle vie loin du rythme trépidant de laCalifornie. Quand elle était enfant, sa mère lui avait souvent parlé d’une petiteville de l’Indiana, son pays d’origine. Bien des années après sa disparition, Anitaavait gardé à la mémoire le souvenir de ces évocations nostalgiques. Le nomprécis de la localité lui avait échappé, mais il lui semblait que Mercy serapprochait en tout point de la description de sa mère. Après toutes cesannées d’errements et de solitude, elle plaçait beaucoup d’espoir dans cedéménagement.La voiture de la poste s’arrêta devant le porche et le facteur glissa plusieursenveloppes dans sa boîte aux lettres. Elle traversa le séjour d’un pas joyeux etpesta contre le battant inamovible de la porte d’entrée qui l’obligeait encoreune fois à sortir par la fenêtre.Son courrier était abondant. Installée à son bureau, elle le classa

méthodiquement : une pile pour les factures, une pour la publicité et unetroisième pour le courrier qu’elle jugeait plus intér essant. Découvrant enfin laréponse de son éditeur, elle déchira fébrilement l’enveloppe. La lettrecommençait sur un ton très amical mais s’achevait malheureusement par unemauvaise nouvelle.Bien reçu vos articles… Réductions budgétaires… Regrettons de vousinformer… Style impeccable… Plus besoin de vos services… Vous souhaitonsbonne chance pour un nouvel emploi… Le projet dans lequel elle avait placé tant d’espoir lui filait brutalement entre

les doigts. En l’espace de quelques secondes, et par l’intermédiaire d’unvulgaire morceau de papier ! Un chèque d’un montant inférieur de moitié àcelui qu’elle escomptait complétait le courrier. En s’attelant à ce travail derédaction, elle avait cru à sa chance. C’était une occupation idéale pour quivoulait se construire une carrière à domicile sans négliger l’éducation de sonenfant. Naïvement, elle avait cru que ses droits d’auteur, ajoutés aux modestesrevenus qu’elle tirerait de la vente de ses chaussons, lui permettraient de

 joindre les deux bouts.

Son beau château de cartes s’effondrait d’un seul coup. Comme pour ponctuer sa déconvenue, le tonnerre se mit à gronder dans le ciel et destorrents d’eau s’abattirent violemment sur le toit. De grosses gouttescommencèrent à tomber au beau milieu de son bureau. Anita courutchercher une casserole dans la cuisine et la plaça précipitamment sous lafuite. Bientôt, l’eau s’infiltra dans tous les coins de la maison. En moins d’unquart d’heure, elle utilisa cinq pots, deux marmites et six saladiers pour limiter les dégâts.

A la liste déjà trop longue des travaux, il lui fallait ajouter la réparation de latoiture. Comme elle regardait autour d’elle d’un air désespéré, elle vit sonamie la souris traverser la pièce en sautillant. Sans compassion aucune, lerongeur se planta devant elle et renifla bruyamment par deux fois.

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 —  Pauvre chérie ! Tu crains l’humidité ? Tiens, je t’offre ma tartine ! Elle lança sur le carrelage la tranche de pain agrémentée de l’ignoblemarmelade. La souris s’approcha, flaira avec prudence ce cadeau tombé duciel puis, sans même y toucher, disparut sous l’évier. 

 —  Pour une fois, nous sommes d’accord ! s’exclama Anita dans un éclat derire. Mais rassure-toi ! Dans deux ou trois jours, nous mangerons un bon rôti.Disons plutôt un poulet, c’est plus économique. Je finirai bien par trouver unesolution.Joignant le geste à la parole, elle enfila son imperméable, sortit par la porte du

 jardin et monta dans sa voiture. Anita n’était jamais à court d’idées. A labibliothèque de Mercy, elle se connecterait à Internet et trouverait sans malune nouvelle source de revenus. Sa formation et son expérienceprofessionnelle joueraient en sa faveur. Puis, en rentrant, elle se consacreraitcorps et âme à ses petits chaussons. Le seul fait d’agir lui apporta un immenseréconfort ; elle n’était pas du genre à se laisser abattre. Le cœur gonflé

d’espoir, elle tourna la clé de contact. Le moteur toussa deux ou trois fois, maisrefusa de démarrer.

 — Allons, ma belle ! Tu ne vas pas te laisser impressionner par quelques gouttesd’eau ! Une pluie torrentielle s’abattait sur le pare-brise. Anita enfonça l’accélérateur et fit une nouvelle tentative. Cette fois, l’engin resta totalement muet. Elle sortitet souleva le capot. Rien d’anormal, à première vue : le même amas defer raille et le même entrelacs de fils depuis six ans, mais Anita n’était pas ungénie de la mécanique.

Plus de voiture, plus de travail, presque plus d’argent, une maisoncomplètement délabrée… Son optimisme à toute épreuve commençait àfaiblir. Elle ne connaissait personne, à Mercy. Bien sûr, il y avait Luke. Non,l’appeler au secours risquait de l’entraîner dans une voie qu’elle savaitdangereuse. Par contre, rien ne l’empêchait de demander de l’aide à sonpère. Miss Marchand lui avait vanté avec insistance les mérites de John Dole.Elle alla chercher un parapluie et, son ordinateur portable en bandoulière, semit en chemin d’un pas décidé. 

En dix minutes à peine, elle atteignit la petite ferme blanche et sonna à laporte des Dole.

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Les notes vives et joyeuses du carillon résonnèrent dans toutes les pièces de lamaison, jusqu’au petit bureau que Luke avait installé dans une alcôve de lasalle de séjour. Il délaissa le logiciel de comptabilité qu’il développait pour son

nouveau client, se leva et étira les muscles endoloris de ses épaules.Travailler à domicile présentait bien des avantages, mais il se surprenaitsouvent à regretter le fauteuil directorial de son ancien bureau californien. Ledossier raide de la chaise de cuisine généreusement prêtée par sa mère eût

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sans doute mieux convenu à la colonne vertébrale d’un rhinocéros. Il atteignit le hall en même temps qu’Emily. 

 — Je sors, lui annonça-t elle en passant son sac à dos sur son épaule.Sur son T-shirt blanc, on pouvait voir le dessin doux et gracieux d’un ange. « Un comble ! » songea-t il en son for intérieur.Il s’abstint toutefois de tout commentaire : toute remarque sur l’ironie de satenue aurait sans l’ombre d’un doute remis le feu aux poudres. 

 — Je te rappelle que tu es punie, dit il simplement. Privée de sortie. — Mais, papa !La sonnerie retentit une deuxième fois. Ignorant les éclairs furieux que lançait leregard de sa fille, il s’approcha de la porte. 

 —  J’ai dit non ! déclara-t il en ouvrant le battant. Et je… La phrase mourut au fond de sa gorge quand il reconnut sa visiteuse. Anita !Les cheveux trempés malgré le parapluie, l’étoffe légère de sa robe adhérantà sa silhouette comme une seconde peau. Luke perdit tout contact avec la

réalité. Son regard erra lentement de son beau visage aux courbes suggestivesde ses seins pour s’arrêter avec surprise sur son ventre arrondi. Elle attendait unenfant ? Sidéré, il chercha vainement une alliance sur sa main gauche.Enceinte et toujours célibataire ?

 —  Bonjour ! s’exclama-t elle d’un ton enjoué et quelque peu ironique. Je suisbien chez la famille Dole ?Il s’éveilla soudain de sa torpeur. 

 — Pardonnez-moi ! J’ai travaillé toute la matinée et je… Comme il s’effaçait pour la laisser passer, Anita entra timidement dans le hall. 

 — En vérité, je venais voir votre père. — Mon père ? —  Miss Marchand m’a vanté avec enthousiasme ses talents de bricoleur . Mavoiture est en panne et je suis absolument incapable de la réparer. Pour moi,rien ne distingue un piston d’une bougie et j’ai versé plus d’une fois l’eau dansle réservoir d’huile. Il sourit en s’adossant contre le mur. 

 — Rappelez-moi de ne jamais vous confier mon 4x4 !

Elle leva la main droite. — Je jure de ne jamais y toucher ! Parole de scout ! — Vous avez été scout ? —  Non, jamais, répondit elle en riant. Mais je suis tout à fait capable d’allumer un feu de bois et de vous vendre un carnet entier de billets de loterie.Luke aurait aimé l’interroger sur sa grossesse, mais il ne voyait commentaborder le sujet avec tact.

 — Personne chez vous pour vous aider ? improvisa-t il un peu maladroitement. — Je vis seule.

Il aurait dû s’en douter. La veille au soir, il n’avait vu qu’une seule assiette et unseul verre dans son évier.

 — Cela doit être difficile, observa-t il pour tenter d’en savoir un peu plus.  — Pas vraiment.

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Elle sourit, apparemment peu désireuse de disserter sur les raisons complexesde son célibat.

 —  Mon existence d’ermite me convient à merveille, sauf pour ce qui est dubricolage et des réparations. Et vu l’état de la maison que je viens de louer, jeme vois obligée de convoquer tous les corps de métiers.

 —  C’est un endroit très agréable, ob jecta Luke. —  Vous l’avez vu dans l’obscurité. Mais croyez-moi, à la lumière du jour… Et, dépliant un à un les doigts de ses deux mains, elle se lança dansl’énumération de ses nombreux griefs. 

 —  Ma porte d’entrée est coincée. Celle du jardin s’ouvre encor e mal. Il y a desfuites dans la toiture. L’eau des robinets a une couleur de rouille absolumentrépugnante. Le téléphone n’est toujours pas branché. Et en plus, il y a cettemaudite souris qui… Luke secoua la tête.

 — Pauvre Anita ! On dirait que vous avez tiré le gros lot ! Mon père est sorti,

pour l’instant, mais entrez donc prendre un café ! Dans un geste de pure amitié, il lui prit l’avant-bras pour l’entraîner vers lacuisine.

 —  Beaucoup de… Il s’interrompit brusquement et retira sa main comme s’il l’avait approchéed’un foyer incandescent. Comment un contact aussi anodin pouvait il letroubler de la sorte ? Il plongea ses poings dans ses poches et la précéda dansle hall.

 —  Beaucoup d’eau a dû couler sous les ponts depuis notre dernière rencontre.

Vous avez… Emily n’hésita pas à lui couper la parole. 

 —  Papa, il faut absolument que j’aille à la bibliothèque. J’ai un devoir à rendrepour vendredi prochain.Adossée au comptoir de la cuisine, elle tapait impatiemment du pied sur le sol.Ce soudain intérêt pour le travail scolaire parut à son père éminemmentsuspect et il n’y vit qu’un nouveau prétexte pour quitter la maison. 

 — Non, répondit il avec fermeté.

Dépitée, elle laissa tomber son sac sur le carrelage. —  Comme tu voudras ! J’aurai une mauvaise note en histoire. A cause de toi.Luke soupira. L’humeur joyeuse provoquée par l’arrivée d’Anita était soudainretombée.

 — Tu peux très bien trouver les informations dont tu as besoin dansl’encyclopédie de ta grand-mère.Elle lui roula des yeux incrédules.

 —  Y’a rien d’intéressant, dans ces vieux bouquins !  — Emily, je te rappelle que tu es privée de sortie. Par ta faute, uniquement. Si tu

n’avais pas dépassé les bornes…  —  Je n’ai rien fait de mal ! Et de toute façon, tu ne comprends jamais rien.  Jamais à cours d’idées pour apaiser les esprits, Anita suggéra un arrangement. 

 — Emily pourrait utiliser mon portable, proposa-t elle en désignant sa sacoche.

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Je l’ai pris dans l’intention de me rendre à la bibliothèque. Je pourrais l’aider àeffectuer ses recherches d’ici.L’adolescente redressa le menton en marmonnant des motsincompréhensibles, puis elle parut se résigner.

 — Après tout, pourquoi pas ! concéda-t elle. —  Je ne sais pas où j’ai la tête ! s’exclama Luke. Pourquoi n’ai -je pas pensé àlui proposer mon ordinateur ?

 —  Vous n’y avez pas pensé, c’est tout. La voix d’Anita était douce et compréhensive. 

 — Laissez-moi l’aider ! chuchota-t elle à son oreille. Elle écoutera plusfacilement une personne étrangère à la famille.Elle passa devant lui pour déposer sa sacoche sur la table, laissant dans sonsillage un étourdissant parfum de jasmin.

 —  Je m’appelle Anita, dit elle en tendant amicalement la main à Emily. Hier soir, nous n’avons pas vraiment eu le temps de nous présenter. Je ne pense

pas que tu te souviennes de moi. La dernière fois que je t’ai vue, tu avais dixans à peine. Tu venais rendre visite à ton papa après l’école. Emily hésita.

 — Je suis contente de vous revoir, murmura-t elle au prix d’un gros effort depolitesse.Puis elle se dépêcha d’ouvrir son sac à dos pour en sortir ses cahiers. Anitabrancha un cordon de connexion sur son appareil.

 — Y a-t il une prise téléphonique dans cette pièce ?Luke entendit à peine sa question tant il était occupé à la regarder s’affairer.

Anita avait de longs doigts fins de pianiste. Tout en elle était gracieux et ellesemblait à l’aise en toutes circonstances. 

 —  Luke ? J’ai besoin d’une prise.  — Oh ! Oui, bien sûr !Il s’éclaircit la gorge, prit la fiche et la brancha à la place du téléphone. 

 — Merci. —  Je déteste l’histoire, ronchonna Emily. — Ceux qui ne la connaissent pas sont condamnés à la répéter, répondit

patiemment Anita. — Je ne risque pas plus de redéclencher la Première Guerre mondiale que departir en tournée avec Bruce Springsteen !Anita rit de bon cœur. 

 — Moi non plus. Je ne sais pas chanter. Par contre, j’adore mettre des disqueset jouer à la star devant mon miroir.Emily la considéra avec un intérêt mêlé de suspicion.

 —  Je croyais que les grandes personnes ne s’amusaient plus à ce genre dechoses.

 — Juste entre nous, murmura tout bas Anita. J’ai rêvé très longtemps dedevenir une vedette internationale.Luke n’avait aucune envie de se laisser écarter de la conversation. 

 —  Je me souviens d’une soirée karaoké où vous avez fait des prouesses, dit il

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d’un ton malicieux.Son visage rayonnant et le timbre cristallin de sa voix étaient restés gravés danssa mémoire comme un soleil au milieu d’une soirée ennuyeuse à laquelle Mark l’avait littéralement traîné, deux mois après la mort de Mary. 

 —  Certes, vous n’étiez pas Céline Dion, mais votre prestation avait été trèsapplaudie.

 —  Je dois avouer que les quelques margaritas… Elle se mordit la lèvre inférieure en se rappelant soudain la présence de sa

 jeune élève. — Revenons un peu aux choses sérieuses ! Ce que je voulais te dire, Emily, c’estque nous avons bien des leçons à tirer de l’histoire. Tous ces gens dont on parledans les livres ont eu une vie, comme toi et moi. Et bien souvent, elle a étébouleversée ou détruite par des erreurs qu’ils ont commises ou par des choixqu’ils ont subis. Devant l’ennui manifeste de son interlocutrice, elle tenta une nouvelle

approche. — Tout serait beaucoup plus facile pour toi si tu regardais tes leçons commeautant de feuilletons télévisés. Si tu imaginais par exemple Winston Churchillcomme le héros d’un grand film, tu aurais envie de mieux connaître sa vie. Emily se redressa sur sa chaise.

 —  Je n’y avais jamais pensé, mais je vais essayer. Anita tapa sur le clavier l’adresse d’un site qu’elle avait maintes fois visité. 

 — Regarde ! Il y a ici une mine d’informations sur le deuxième conflit mondial.Avant de quitter Los Angeles, j’ai écrit un article sur un groupe d’anciens

combattants. J’ai trouvé là l’essentiel de ma documentation. Elle nota quelques autres adresses, orienta l’écran vers Emily et l’invita àcommencer ses recherches.

 —  Ah oui, c’est super ! Et y’a plein de photos ! Le tableau attendrissant formé par les deux femmes fit germer dans l’esprit deLuke les pensées les plus folles. Une fois de plus, il dut se faire violence pour reprendre pied dans la réalité. Anita avait sa vie ; elle attendait un enfant. Ildevait la considérer comme une amie, et ne rien attendre de plus.

 — Votre fille est déjà une experte dans le maniement de la souris, lui confia-telle en venant se placer à son côté. Il vaudrait mieux la laisser, maintenant. Sielle pense qu’on la surveille, elle arrêtera de travailler. Juste pour vous défier. Il lui sourit avec gratitude.

 — Merci, Anita. Je vois que vous avez rapidement cerné le personnage ! —  Ce n’est pas très difficile. J’ai eu douze ans, moi aussi. Il l’invita à le suivre dans le salon et lui indiqua un fauteuil. 

 — Nous abusons de votre temps, je le crains. Emily pourrait aussi bien se servir de mon ordinateur.

 —  C’est sans importance. Il pleut encore à verse. J’irai à la bibliothèque plustard. Et puis, je vous connais, Luke. Vous n’aimez guère que l’on touche à votreoutil de travail.Elle le considéra d’un air moqueur. 

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 — Vous le bichonnez comme un loulou de Poméranie.Il éclata de rire et fit quelques pas dans la pièce pour tenter de trouver unecontenance. S’arrêtant devant la cheminée, il déplaça d’un air absentquelques photographies.

 — Eh bien, chère Anita, quelles sont vos premières impressions de Mercy ?Elle haussa les épaules.

 — Disons que c’est un peu différent de Los Angeles ! Un peu moins animé, entout cas !

 —  N’allez pas médire de notre petite ville ! Nous avons un boulevardpériphérique et dix réverbères allumés la nuit sur l’avenue principale. Lacivilisation est arrivée jusqu’ici. 

 —  Je n’en doute pas.  —  Il est vrai qu’une citadine comme vous doit un peu s’ennuyer, ici. Anita prenait plaisir à entendre le timbre profond de sa voix. Il parlait toujoursd’une façon très mesurée, à la fois directe et apaisante. 

 — Pas du tout, répondit elle. J’ai trouvé à Mercy le cadre paisible que jerecherchais.Pour une raison qui lui échappait, Luke paraissait tendu et mal à l’aise en saprésence. Craignait il qu’elle ne revînt sur le moment d’intimité autrefoispartagé ? Il n’avait rien à redouter de tel. Sa réserve et sa discrétion luiinterdisaient d’exiger des explications ou de régler des comptes. Elle voulaitelle aussi voir dans leur étreinte fugitive un simple moment d’égarement.Comme lui, elle préférait refuser tout engagement. Son avenir, elle entendait leconsacrer à son enfant et la présence d’un homme à ses côtés compliquerait

la réalisation de ses projets.Pourtant, l’embarras manifeste de Luke la gagnait peu à peu et elle cherchaità en comprendre les raisons. A Los Angeles, le bureau était quasiment leur seullieu de rencontre. Son irruption inattendue dans le domaine privé de sa maisonsuffisait elle à expliquer l’étrange malaise qui planait sur leur tête-à-tête ? Elles’efforça d’orienter la conversation vers des sujets moins personnels.

 — Donnez-moi des nouvelles de votre frère !La question le détendit un peu.

 —  Vous n’allez pas me croire. Il est marié et très heureux en ménage !   — Mark ? répéta-t elle sans chercher à dissimuler sa surprise. Lui qui juraittoujours de devenir le plus vieux célibataire des Etats-Unis !

 —  Sa rencontre avec Claire l’a complètement transformé.  — Claire Richards ? Celle qui occupait ma maison avant moi ? — Exactement. Un véritable coup de foudre. Je vous raconterai cela dans ledétail une autre fois.Un silence gêné s’installa de nouveau dans la pièce. A son tour, Luke tenta dele briser.

 — Je doute que vous soyez venue vous installer dans la région pour des raisonsprofessionnelles. Il y a si peu d’opportunités, par ici ! 

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  — Pour être franche, je ne travaille pas beaucoup depuis quelque temps. J’aiquitté mon emploi quand je suis tombée enceinte et maintenant, je… eh bien,disons que je me suis lancée dans la confection de chaussons.

 — La confection de chaussons ?Son air incrédule était presque comique.

 —  C’est une longue histoire, dit Anita dans un éclat de rire.  — Nous devrions aller dîner un soir tous les deux. Nous avons tant de choses ànous raconter… Un vif étonnement se peignit sur le visage de Luke, comme si l’invitation luiavait échappé.

 —  Je… je ne suis pas sûre que ce soit une très bonne idée. Je veux dire…enfin… Elle laissa sa phrase en suspens, tandis que des images plutôt séduisantes d’undîner aux chandelles défilaient dans son esprit.

 — Vous avez probablement raison, conclut il à sa place.Lorsqu’elle se leva dans l’intention de prendre congé, elle ressentit unecrampe digestive assez désagréable. Depuis son décevant petit déjeuner, ellen’avait rien avalé. 

 — Je vais vous laisser, dit elle en prenant la direction du hall. Emily peut garder mon portable. Je passerai le reprendre plus tard.Soudain, son estomac émit un long gargouillis.

 — Vous avez faim ?Anita sentit ses joues se colorer.

 — Oui, un peu. En vérité, je suis affamée. Je vais vite rentrer chez moi etdévorer mon jambon en conserve.

 — Du jambon en conserve !Luke partit d’un joyeux éclat de rire. 

 —  Je vois que vous n’avez pas échappé à la visite de notre cher comitéd’accueil ! Conseil d’ami : n’ouvrez jamais les pots confectionnés par missTanner ! Ses mixtures abominables sont la risée de tout le pays.Anita approuva d’un air de regret. 

 —  Je n’en suis pas surprise. Même mon amie la souris a refusé d’y toucher. Il jeta un bref coup d’œil par la fenêtre.  —  L’orage ne s’est pas calmé. Vous devriez rester pour le déjeuner. Toute mafamille sera là. Cela ne vous engage à rien.

 —  C’est très aimable, mais… Il fit un geste en direction de sa fille, toujours aussi absorbée dans sesrecherches.

 —  On dirait qu’Emily a découvert un trésor grâce à vous. A mon avis, elle nevous rendra pas votre portable de si tôt. Après le repas, nous irons jeter un

coup d’œil à votre voiture.  — Je suis un peu gênée de vous imposer ainsi ma présence.Il secoua énergiquement la tête.

 —  Voilà six mois que ma fille n’avait pas passé plus de cinq minutes à ses

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devoir s ! Vous avez été très convaincante, et j’aimerais beaucoup que vousrestiez encore un peu.Anita hésitait encore. La compagnie de Luke était agréable, trop agréablesans doute. Il faisait partie de ces hommes qu’elle voulait éviter à tout prix, deceux qui se consacrent corps et âme à leur travail, capables de s’enfermer nuit et jour dans leur bureau en oubliant jusqu’à l’existence de leur entourage.Faire renaître leur relation risquait de la mettre en danger.Elle réfléchit à la manière de décliner son invitation, imagina une dizaine deréponses polies, puis son regard tomba sur le rôti de bœuf qui dégelait sur lecomptoir, à côté d’une rangée impressionnante de pommes de terre. L’eau luivint à la bouche. Depuis combien de temps avait elle mangé autre chose quedes conserves ?La porte donnant sur le jardin s’ouvrit brusquement, et la mère de Lukeapparut, les bras chargés de paquets, suivie d’une meute agitée et bruyante. 

 —  Mes pauvres enfants ! Quelle journée ! Je suis trempée jusqu’aux os ! 

Elle se débarrassa de son chargement et tapota affectueusement le museaudes trois chiens qui sautillaient en jappant autour d’elle. 

 —  Bonjour, Emily ! Comme c’est agréable de te voir travailler ! Elle s’approcha de sa petit-fille et déposa un tendre baiser sur sa nuque.Debout au fond de la pièce, Anita observait en silence les allées et venuesénergiques de la petite femme aux cheveux gris, vêtue d’un simple jean etd’un chemisier blanc. 

 —  Luke, mon chéri, tu veux bien m’aider à sortir les sacs du coffre de la voiture?

Elle lui tendit ses clés et marqua une pause soudaine en apercevant Anita. —  Bonjour ! s’exclama-t elle avec un charmant sourire. Nous ne nousconnaissons pas encore, je crois.Tout en parlant, elle marcha d’un pas décidé jusqu’à elle et lui tendit la main.Comment une personne aussi bouillonnante avait elle pu donner naissance àun tempérament aussi paisible que celui de Luke ?

 — Je suis Grace Dole. Enchantée. — Anita Ricardo.

 —  Votre nom ne m’est pas inconnu ! Elle fronça les sourcils.

 —  J’y suis ! Vous étiez la collaboratrice de Luke à Los Angeles. A l’époque, mesdeux fils ne tarissaient pas d’éloges à votre sujet. 

 — Vraiment ? dit Anita, quelque peu embarrassée. —  Elle est super, mamie ! s’exclama Emily en quittant brusquement sa chaise.Elle m’a prêté son portable et m’a donné plein d’idées pour mon devoir. C’estcool !

 — Trop cool ! renchérit Grace à la surprise générale.Des rires joyeux résonnèrent dans la cuisine et, fort désireux de participer, leschiens se mirent à aboyer de plus belle.

 — Maman, où donc as-tu appris le langage des adolescents ?

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Luke venait de reparaître, deux gros sacs à provisions dans les bras. — Je suis la plus branchée des grand-mères de Mercy, répondit elle non sansfierté. Tu n’as qu’à regarder mes baskets ! Elle s’assit et leva les pieds pour montrer ses chaussures.

 —  Waouh ! s’écria Emily. Je veux les mêmes. T’es vraiment la plus rigolote desmamies ! J’avais pas ri comme ça depuis… Emily s’arrêta au beau milieu de sa phrase et une ombre passa sur son visage.Le silence s’abattit sur la pièce comme une chape de plomb. Tandis que leregard d’Emily s’abaissait vers le sol, celui de Luke fixait un point lointain par lafenêtre. Les yeux de Grace s’humectèrent de tristesse et de compassion. Dansce moment de douleur très intime, Anita se faisait véritablement l’effet d’uneintruse, mais comment s’esquiver sans donner l’impression de fuir ? 

 — Mes enfants, il est tard, reprit vivement la maîtresse de maison. Vous devezêtre affamés. Je vais enfourner le rôti. J’ai rapporté des tomates et desconcombres. Anita, voulez-vous les couper en rondelles pour les ajouter à la

laitue ?Elle lui mit d’autorité un couteau dans la main et lui indiqua une planche àdécouper.

 —  Je ferais mieux de vous laisser…  — Ne dites pas de bêtises ! Vous n’allez pas partir au moment du déjeuner ! Elle fronça les sourcils d’un air faussement sévère. 

 — Je vous demande seulement de me donner un petit coup de main. Voyez-vous, mes garçons ont toujours eu la fâcheuse habitude de disparaître aumoment du coup de feu.

Luke ne partageait pas cette interprétation des faits. — Tu as toujours tendance à exagérer, protesta-t il. Et à généraliser, aussi… Il adressa un clin d’œil complice à Anita. 

 —  Si mes souvenirs sont exacts, j’étais de corvée de vaisselle bien plus souventque mon frère.Grace le couva d’un sourire tout maternel. 

 —  C’est vrai. J’ai toujours beaucoup compté sur toi. Toujours aussi gênée, Anita s’affaira à la préparation de la salade. 

 — Luke, viens donc aider un peu ton amie !Comme elle l’eût fait avec un garçon de dix ans, elle prit son fils par la main etl’invita à se placer au côté d’Anita. 

 —  Fais des rondelles fines, mon chéri. C’est plus digeste.  — Tu sais bien que je suis le plus appliqué des garçons, maman. — Je dirais même plus, un horrible perfectionniste ! — Rassurez-vous ! souffla Luke à l’oreille d’Anita. Elle aboie beaucoup, mais ellene mord jamais.Grace posa les deux mains sur ses hanches.

 — Je commence peut-être à vieillir, mon chéri, mais je suis loin d’être sourde.Tâche donc de te conduire correctement, et ne me fais pas honte devantnotre invitée !Et c’est ainsi qu’Anita Ricardo fit son entrée dans l’univers des Dole. 

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 Etourdi par le délicieux parfum d’Anita, Luke faisait mine de se concentrer sur sa tâche, tout en observant à la dérobée son joli teint de pêche et les bouclesbrunes qui caressaient langoureusement ses épaules nues. D’une mainappliquée bien qu’un peu tremblante, elle épépinait les tomates et lesdisposait avec soin sur le bord de la planche à découper. Derrière eux, letapotement des doigts d’Emily sur les touches du clavier et le manègeinfatigable des chiens formaient une ambiance sonore familiale etréconfortante.Au moment de verser les crudités dans le saladier, leurs doigts s’effleurèrent.L’émotion réciproque provoquée par ce contact fugitif les plongea tous deuxdans le plus vif embarras.

 —  Je… euh… je trouve ce plâtre très réussi.  — Vous dites ? — Ce pot, avec une tête de chien !

Elle désignait le modelage qui trônait fièrement à l’extrémité du comptoir.  — Oh… ça ! C’est une des nombreuses productions de ma mère. La périodecéramique.

 — La période céramique ? — Oui, ma chère maman est une artiste un peu versatile. Un jour la céramique,une autre fois le verre soufflé… Il désigna sur sa gauche une grande corbeille à fruits.

 —  Voici un spécimen de l’époque macramé !  —  C’est magnifique. 

Ne trouvant quant à lui rien de très admirable dans ce panier, Luke douta unpeu de sa sincérité, mais n’en laissa rien paraître. 

 — Soyez sans crainte ! Si vous êtes toujours à Mercy pour les fêtes de Noël, voushériterez certainement d’un échantillon de ce génie créatif. 

 —  J’en serais ravie. J’adore ce genre d’objets. Luke n’était toujours pas convaincu. 

 —  Je ne vous crois pas. Une fille de Los Angeles ne s’intéresse pas au travailmanuel. Dans les grandes villes, tout n’est qu’apparence et superficialité. 

Elle lui sourit d’un air songeur.  —  J’ai changé, Luke. Je ne suis plus la femme que vous avez connue.  Il s’autorisa un regard prolongé sur son visage. 

 — Vraiment ? Adieu la vie trépidante, les tailleurs élégants et les talons aiguilles?

 —  Adieu les horaires démentiels, aussi. Je n’ai plus les mêmes priorités.  —  Hum…, murmura-t il, encore sceptique. Vous…  — Alors, cette salade ? coupa la voix enjouée de la maîtresse de maison.Comme une petite fille prise en faute, Anita sursauta et s’éloigna de Luke. 

 —  Elle est prête, répondit elle en se tournant vers l’évier pour se rincer les mains.  — Enfin presque, corrigea Luke. Nous avons juste oublié de la remuer.Silencieuse, Anita le regar da sortir les couverts et, soudain, l’atmosphèreaffairée et joyeuse lui devint intolérable. Elle n’était pas à sa place dans cette

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cuisine. Pourquoi avait elle accepté de se joindre aux préparatifs de ce repasfamilial ? Elle s’essuya les mains et reposa le torchon sur le comptoir.

 —  Luke, il faut que je rentre. Vous savez, je n’ai pas encore fini de déballer mescartons. Je vais vous laisser manger tranquillement.

 — Si vous partez, ma mère ne vous le pardonnera jamais. —  Mais je…  — Et vous ne connaissez rien encore de ses talents culinaires. Vous avez aiméson artisanat, vous allez adorer sa sauce béarnaise !Anita ne put réprimer un éclat de rire.

 —  C’est que… je me sens un peu comme une intruse.  —  Ne dites pas de bêtises ! dit il en lui mettant d’autorité le saladier dans lesmains. Nous sommes deux vieux amis qui se retrouvent autour d’un bon repas.Quoi de plus naturel ?Malgré son air faussement décontracté, Luke partageait le malaise d’Anita.Pendant que le rôti finissait de cuire, il se retira dans l’alcôve qui lui servait de

bureau et se remit au travail. Anita rejoignit Emily. —  Bravo ! s’exclama-t elle en s’installant à son côté. Tu as fait une bellesélection de documents. Maintenant, nous allons… Luke essaya de se concentrer sur l’écriture de son programme informatique,mais les voix et les rires provenant de la cuisine le distrayaient de sa tâche. Il seredressa sur sa chaise et relut les quelques lignes qu’il venait de rédiger. Ducharabia ! Son texte était dénué de toute logique. Il passa une main dans sescheveux, rectifia de quelques millimètres la position de son écran, tournalégèrement son clavier et posa les doigts sur les touches. En vain. L’inspiration

ne venait toujours pas. — Le repas est prêt !La voix de Grace lui procura un immense soulagement.

 — Merci ! soupira-t il avant de fermer son document.Quand il regagna la cuisine, la simple vue d’Anita lui rendit sa bonne humeur.Comment expliquer le miracle qui s’opérait à chacune de ses apparitions ? Ilvenait de passer deux années entières dans un état de profonde tristesse, etcette femme avait le don de lui redonner goût à la vie. Une fois de plus, ce

constat éveilla sa méfiance. Il s’était juré de se consacrer à sa fille. En cettepériode délicate, elle devait faire l’objet de toutes ses attentions.Comme il s’asseyait en face d’Anita, Grace déposa au centre de la table unplat aux dimensions impressionnantes.

 —  J’espère que vous avez faim, mes enfants ! Luke secoua la tête.

 — Tu es incorrigible. Tu fais toujours à manger pour un régiment ! Enfin, j’auraistort de m’en plaindre… 

 — Personne ne pourra jamais dire que je nourris mal mes enfants.

Elle sourit à Anita. — Ou mes invités, ajouta-t elle. — Il y a bien longtemps que je ne me suis pas attablée devant un tel repas,répondit Anita.

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 —  J’ai élevé deux garçons, expliqua Grace. Ici, nous avons l’habitude des grosappétits.Comme attiré par les bonnes odeurs qui flottaient dans la maison, le père deLuke apparut à son tour. Il se pencha pour embrasser la joue de son épouse.

 — Que nous as-tu préparé de bon aujourd’hui, Gracy ? Elle fronça les sourcils et le considéra d’un air sévère. 

 — Pour toi, il y a un reste de pâtes. Pour nous, un bon rôti et des pommes deterre avec de la sauce béarnaise.

 —  Ah mince ! s’exclama-t il en faisant claquer ses doigts. J’ai oublié que c’étaitmon tour de cuisiner, aujourd’hui. Je n’ai pas fini d’installer les placards chezHenry. En plus, je me suis coincé la main dans une porte et…  Il s’interrompit brusquement en apercevant Anita. 

 — Désolé, miss ! Décidément, je suis en dessous de tout, aujourd’hui ! Il lui tendit la main.

 — John Dole.

 —  Anita Ricardo, répondit elle. Une… une amie de Luke. Luke fut presque déçu par cette présentation. Une amie ? Pourquoi pas unevulgaire connaissance ? Pour se consoler, il se servit généreusement et seconcentra sur le contenu de son assiette tandis que, en bonne maîtresse demaison, Grace faisait la conversation à son invitée.

 — Pourquoi avez-vous choisi de vous installer à Mercy, Anita ?Anita reposa son verre avant de répondre.

 —  En réalité, c’est à cause de Luke. Dans un même mouvement, le regard curieux des deux époux se porta sur leur 

fils.« Non, ce n’est pas moi le coupable », fut il sur le point de répondre, comme sila grossesse d’Anita pouvait constituer le seul motif de leur étonnement.

 —  Quand nous travaillions ensemble à Los Angeles, il ne tarissait pas d’élogessur sa ville natale. Autrefois, ma mère m’avait aussi parlé de l’Indiana avecbeaucoup d’émotion. Alors j’ai décidé de venir m’installer au bon air de cepays pour élever mon bébé.Luke devinait bien des interrogations dans l’expression de sa mère, mais elle

était trop bien élevée pour poser la moindre question sur le père de l’enfant.  —  Vous aimerez notre petite ville, et je suis sûre qu’elle vous aimera aussi. —  Je l’espère, dit simplement Anita.  —  Vous êtes bien jeune, pour venir vous enterrer ici ! s’exclama John avec sonfranc-parler habituel. Y’a pas beaucoup de distractions à Mercy. Et puis, la mer va vous manquer. Moi, je ne rêve que d’une chose : aller passer ma retraite enFloride. Mais ma femme ne veut pas en entendre parler.

 — Je te rappelle que nous partons en croisière à la fin de la semaine, sedéfendit Grace. Et je suis prête à parier qu’au bout de deux jours, tu te

plaindras de la chaleur. — La chaleur de tes étreintes ? demanda-t il d’un air coquin. Grace rougit imperceptiblement.

 — John, surveille un peu ton langage ! Il y a des oreilles chastes autour de

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cette table.Emily ne tarda pas à réagir.

 —  Mamie, j’ai douze ans ! soupira-t elle, exaspérée. Vous pouvez bien parler de sexe en ma présence !Luke manqua de s’étouffer. Ces paroles sortaient elles réellement de labouche de sa fille ? Il avait sans doute oublié de la regarder grandir.

 — Mange ! ordonna-t il d’un ton coupant. Elle s’appliqua à pousser un à un ses morceaux de viande au bord de sonassiette.

 — Tu sais très bien que je suis végétarienne !Là-dessus, elle plissa le nez et reposa sa fourchette.

 —  C’est dégoûtant de tuer des vaches et de les découper en morceaux.  —  Emily ! s’indigna Luke en adressant un regard d’excuse à Grace et à John.Tes grands-parents ont travaillé dur pour nous offrir ce repas. Ne leur manque

pas de respect, s’il te plaît !  —  Mais c’est pourtant vrai, ce que je dis ! Il a bien fallu que quelqu’un saignecette pauvre bête dans un abattoir et que… 

 — Assez ! Epargne-nous les détails sordides dont tu as le secret ! — Emily, proposa Anita avec douceur. Pourquoi ne dis-tu pas à ton pèrecomment avancent tes devoirs… 

 — Ils avancent bien, coupa-t elle d’un air renfrogné. — Tu as fait une recherche impressionnante, poursuivit la jeune femme, et jesuis très admirative de tes talents de rédaction. Tu ne t’es pas contentée de

recopier les documents. Le style de ton introduction est très original.Emily leva sur elle ses grands yeux clairs.

 —  Vous pensez vraiment que j’ai bien travaillé ? Anita hocha la tête avec conviction.

 — A mon avis, tu auras une très bonne note. —  J’adore écrire, murmura Emily comme si elle lui livrait un secret. Et lire, aussi.Surtout les romans de J. K. Rowling.

 —  Moi, c’est le deuxième tome de Harry Potter que j’ai préféré, dit Anita. Et toi,

tu les as tous lus ? —  Oh oui ! Plusieurs fois, même. J’ai beaucoup aimé le troisième, celui où Harryet Hermione… Et elle se lança dans une longue description de sa scène favorite. Anital’écouta avec attention et glissa même quelques détails dont elle avait gardéle souvenir. Eberlué, Luke les regardait tour à tour. Etait-ce bien sa fille, enéchec scolaire depuis plus d’un an, qu’il entendait ainsi parler de littérature ?Anita était un cadeau du ciel. Très vite, une idée commença à germer dansson esprit.

Le repas terminé, les deux hommes retournèrent à leurs occupations, tandisqu’Anita aidait Grace à débarrasser le couvert. Tout en travaillant, les deuxfemmes bavardèrent avec entrain et Grace ne se montra pas avare deconseils sur les avantages et inconvénients des boutiques de Mercy. Dotée

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d’une nature chaleureuse et spontanée, elle traitait la nouvelle venue commeune vieille connaissance.Garde tes distances ! se dit prudemment Anita. Nouer des relations tropamicales avec la famille Dole te rapprocherait bien trop dangereusement deLuke !Renonçant une nouvelle fois à se concentrer sur son logiciel, celui-ci reparutdans la cuisine et ôta le torchon des mains d’Anita. 

 —  Je vais vous reconduire chez vous et m’occuper de votre voiture. Mon pères’est blessé à la main : vous êtes condamnée à accepter mon aide.  

 — Vous avez des connaissances en mécanique ? — Un peu. On ne grandit pas dans la maison de John Dole sans être initié aubricolage. Je ne me risquerais pas à changer un arbre de transmission, mais jesuis tout à fait capable de réparer les pannes courantes.

 —  Très bien ! De toute manière, je n’ai guère les moyens de m’offrir les servicesd’un professionnel en ce moment. Je prends mes affaires et je vous suis !

Quelques minutes plus tard, ils roulaient en direction de la maison d’Anita. Lapluie avait cessé et un beau soleil inondait les rues de Mercy.Quand Anita descendit de voiture, elle inspira avec délices les odeurs du

 jardin. Comme pour inviter le visiteur à entrer, les branches touffues d’un ormeà larges feuilles formaient une voûte accueillante en retombant sur la façadede la petite maison. La pelouse épaisse était de nouveau verdoyante et le cield’un bleu limpide. 

 —  Comme c’est beau, ici ! s’exclama-t elle avec bonheur. —  Un peu trop calme à mon goût, mais oui, c’est assez beau, concéda Luke. 

Il récupéra le parapluie et le portable oubliés sur la banquette arrière et la suivitsous le porche tandis qu’elle continuait à s’extasier sur le paysage. 

 —  Ici, on dirait vraiment que la main de Dieu est à l’œuvre. A Los Angeles, toutn’est qu’acier et béton. La nature est invisible au milieu des gratte-ciel et desbretelles d’autoroutes. Elle inspira une nouvelle fois et abaissa les paupières.

 — Quel air pur ! Et quel calme ! —  Vous l’apprécierez peut-être un peu moins dans un mois. Quand vous ne

trouverez pas un magasin ouvert le dimanche, ou quand votre téléphone seracoupé trois fois dans la même semaine, vous aurez de Mercy une idée biendifférente.

 —  Je ne pense pas. Je… Elle sourit et posa une main sur son ventre.

 — Nous sommes ici pour y rester.Luke lui tendit ses affaires et l’observa longuement. 

 — Je suis content de vous revoir, Anita. Très content.Il paraissait à la fois sincère et très ému.

 —  J’ai souvent pensé à vous, pendant tout ce temps, confia-t elle à son tour.Elle regretta aussitôt son aveu mais ne put s’empêcher de poursuivre. 

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 — Je me demandais ce que vous deveniez. — Eh bien, comme vous voyez, j’essaie de faire face. Je n’ai pas vraiment lechoix.

 —  Oui… Dans un élan de sympathie, elle posa une main sur son avant-bras, mais quandses doigts effleurèrent sa peau nue, le réconfort qu’elle souhaitait lui apporter par ce geste amical se transforma en une sensation qui dépassait de loin sesintentions.Luke s’éclaircit la gorge et recula d’un pas. 

 —  Anita, je… Je ferais mieux d’ouvrir le capot de votre voiture.  — Vous avez raison. Elle est garée le long du trottoir, juste devant la maison.Elle lui désigna le véhicule et, lorsqu’elle lui tendit ses clés, les doigts de Luke serefermèrent sur sa main et il marqua une pause, comme s’il cherchait à luiparler. Quelques secondes s’écoulèrent, puis il se détourna et repassa sous leporche.

Anita le regarda s’éloigner en regrettant son attitude. La vie lui avait pourtantappris à ne pas jouer avec le feu… Elle s’assit sur le siège encore humide de labalancelle et se poussa doucement avec le pied. Quel élan de folie l’avaitdonc amenée à Mercy ? Il y avait à travers le pays des centaines de petitesvilles comme celle-là, et elle savait pertinemment en venant s’installer iciqu’elle renouerait des relations avec Luke. Allait elle se mentir encorelongtemps ? N’était-ce pas son désir le plus cher ?Elle avait longuement observé la manière dont il regardait sa fille pendant lerepas. Dans ses yeux, elle n’avait décelé que tendresse et inquiétude

paternelles. Certes, leurs relations étaient tendues, mais quoi de plus normalaprès l’épreuve douloureuse qu’ils avaient traversée tous les deux ? Au-delàde leurs disputes, la sincérité de leur attachement ne faisait pas l’ombre d’undoute. Luke était une personne de qualité, elle l’avait su dès leur premièrerencontre. A l’époque, il appartenait à une autre femme, mais aujourd’huic’était un homme libre. Refusant de se laisser entraîner plus longtemps sur la pente dangereuse de sespensées, elle cessa le balancement, se leva et entra dans la maison. Elle

appuya sur l’interrupteur de l’entrée sans beaucoup d’illusions et, quandl’ampoule s’alluma, elle remercia le ciel de ce bienfait inattendu. Dans lacuisine, elle pressa sa dernière orange et ressortit pour en offrir le jus à sonvisiteur.Luke avait enlevé sa chemise et son torse nu disparaissait à moitié sous lehayon du coffre. Anita s’approcha et retint son souffle tout en regardant sesmuscles puissants se tendre et se relâcher au gré de ses mouvements, tandisqu’il dévissait des pièces mystérieuses ou se penchait pour fouiller dans saboîte à outils.

 — Je… euh… j’ai pensé que ce rafraîchissement vous serait agréable. Il sursauta, se cogna violemment le crâne contre la tôle, et se frotta la nuqueen se retournant.

 — Décidément, le port du casque devrait être obligatoire, avec vous !

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 — Pardonnez-moi ! Je ne voulais pas vous faire peur.Anita eût aimé disparaître dans un trou de souris. Vu de face, le torse de Lukeétait plus impressionnant encore. Elle lui tendit le jus de fruits d’un geste un peusec.

 — Tenez ! — Vous êtes un ange.Il s’essuya le front du revers de la main, prit le verre, et en vida le contenu d’untrait.

 —  J’avais espéré que la pluie ferait un peu chuter la température, mais ondirait que c’est encore pire ! 

 — Vous faites toujours votre footing quotidien ?Luke approuva d’un hochement de tête.

 — Dix kilomètres par jour. — Cela se voit !Anita crispa soudain les mâchoires. Etait elle idiote au point de ne pas mesurer 

le sens de ses paroles ? Allait elle se jeter à ses pieds pour exprimer sessentiments de façon encore plus claire ?

 — Enfin, je veux dire…  — Vous venez de me faire un compliment. Ne le retirez pas !Il posa délicatement le verre sur le trottoir.

 —  Il y a bien longtemps qu’une femme ne m’en avait pas fait ! Il faut dire que je vois si peu de monde… Anita jouait nerveusement avec le col de sa robe.

 —  Vous n’avez pas de petite amie ? 

 —  Non, pas depuis… Il détourna tristement le regard.

 — Non.Un silence gêné s’installa entre eux. 

 — Vous avez un peu de cambouis sur le visage, dit enfin Anita pour alléger l’atmosphère. Soulagée de trouver quelque chose à faire, elle prit un chiffon dans la boîte àoutils puis se hissa sur la pointe des pieds et le passa sur sa joue. En s’atténuant,

la marque s’étendit et elle dut se rapprocher un peu pour la faire disparaîtrecomplètement. Sans le vouloir vraiment, elle s’était presque plaquée contre luiet elle sentait sa poitrine se gonfler contre la sienne au rythme de sa respiration.

 —  Je ne… je n’arrive pas à l’enlever tout à fait… La bouche de Luke prit alors possession de ses lèvres et ses bras l’entourèrentde toute leur puissance. Comme lors de leur première étreinte, leurs corpss’enlacèrent dans une vague de désir impérieux que leurs deux volontésréunies furent incapables d’apaiser. 

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Il l’embrassait avec ardeur, tel un conquérant fougueux impatient d’occuper 

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un territoire depuis longtemps convoité. Lorsqu’elle sentit ses doigts effleurer lapeau vibrante de sa nuque, Anita gémit de bonheur. Depuis combien detemps n’avait elle pas été touchée, caressée, désirée de la sorte ? Luke étaitson point d’ancrage. A l’image d’un frêle esquif perdu en mer depuis des mois,elle rejoignait enfin son port d’attache. Quand brusquement il la relâcha, elle ouvrit les yeux et cligna des paupièressans parvenir à reprendre contact avec la réalité. Non, elle n’avait pas rêvé cemoment de pur enchantement. Voulant s’en assurer, elle passa un doigt sur seslèvres pour y sentir l’empreinte de sa bouche. 

 —  Je n’aurais pas dû, dit il. Sa voix semblait sortir d’outre-tombe.

 — Je suis désolé. — Je ne vous ai pas repoussé, objecta Anita. Je désirais ce baiser autant quevous.Il détourna tristement le regard.

 —  N’attendez rien de moi ! Je ne veux plus d’engagement. Avec personne.  — Vous avez enduré une terrible épreuve avec la mort de votre femme, maisvous pouvez… 

 —  Je ne peux rien, Anita. Ne me demandez pas l’impossible ! Il se pencha pour ramasser le chiffon tombé sur le trottoir et le posa sur l’aile dela voiture.

 —  Ce qui vient de se passer entre nous était… Il secoua la tête.

 —  De la folie. J’ai perdu le contrôle de moi-même. Encore une fois, je suis

désolé. Je suis seul depuis longtemps et…  — Je comprends, Luke. — Non, vous ne pouvez pas comprendre. Il serait plus sage que nous gardionsnos distances.Sensible à sa souffrance, elle tenta d’alléger l’atmosphère. 

 —  La situation n’a rien de dramatique, Luke. Soit, nous avons échangé unbaiser. Mais vous ai- je demandé de me conduire à l’église ? Savez-vouspourquoi vous m’avez embrassée ? 

Loin de se détendre, il se raidit un peu plus. — Je sais pertinemment pourquoi je vous ai embrassée. —  Parce que vous me désirez. Et je l’ai fait pour les mêmes raisons. Soyonshonnêtes ! Aucun de nous n’a oublié ce qui s’est passé dans votre bureau. Luke posa de nouveau le regard sur elle.

 —  C’est juste.  — Alors, pourquoi êtes-vous terrifié ? — Je ne suis pas terrifié. —  Oh si ! Vous l’êtes ! Je vous fais une peur bleue. Et vous cherchez n’importe

quelle excuse pour rentrer dans votre coquille. Je vous connais, Luke,beaucoup mieux que vous ne le pensez.

 — Je ne rentre pas dans ma coquille !Incapable de trouver des arguments pour sa défense, il se contentait de nier 

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ses accusations. —  Bien sûr que si ! Vous vous réfugiez dans le travail et prétendez qu’autour devous le monde n’e xiste pas. Je ne suis pas insensible à votre charme, Luke. Jementirais en affirmant le contraire. Mais je ne suis pas assez folle pour vouloir vous passer la corde au cou. Je n’ai aucune envie de partager ma vie avecun escargot.Sa remarque parvint enfin à le décrisper.

 — Je préférais nettement quand vous me faisiez des compliments sur monphysique !Anita sourit.

 — Soit, alors disons un escargot avec une belle coquille !La tension était tombée et ils rirent tous deux de bon cœur. 

 — Restons amis, Luke ! Je tiens beaucoup à notre complicité, et je ne veux pasmoi non plus la gâcher par une aventure sans lendemain.Il approuva d’un signe de tête. 

 — Marché conclu, Anita. Des amis. Juste des amis. —  Parfait ! s’exclama-t elle d’une voix forte, comme si elle voulait seconvaincre elle-même.Puis elle pivota sur ses talons et retourna dans la maison.Resté seul, Luke maudit l’inconséquence de son attitude. Quel imbécile il était !Il ne méritait pas mieux qu’un bon coup de clé à molette sur la tête. Anitaavait bien raison : il était aussi courageux qu’un gastéropode et se rétractaitau moindre danger.Furieux contre lui-même, il disparut de nouveau sous le capot pour se

concentrer sur les branchements électriques et les soupapes de distribution.Après une heure de travail intense, il s’installa au volant de la petite voiture etfut récompensé de ses efforts par le doux ronronnement du moteur.Par un malheureux baiser, il avait probablement perdu la confiance d’Anita, etruiné tout espoir de la voir accepter sa pr oposition. Ils s’étaient promis de rester amis, mais il doutait sincèrement de ses capacités à respecter un tel contrat.Comment pourrait il regarder avec les yeux d’une chaste amitié une femmequi éveillait en lui un désir aussi brûlant ? Le combat était perdu d’avance.

Il soupira avec regret. S’il avait entaché d’une lourde ambiguïté sa relationavec Anita, il avait au moins tenté de se racheter en réparant sa voiture. Ilcoupa le contact, rangea ses outils, remit sa chemise, se dirigea vers la ported’entrée et sonna.Depuis le début de l’après-midi, il caressait un projet pour le bien d’Emily. Quelaccueil Anita allait elle lui réserver ? Comme il n’obtenait aucune réponse, ilappuya une deuxième fois sur la sonnette.

 —  Merci pour ma voiture ! Vous m’avez rendu un fier service !

Anita était penchée à la fenêtre de sa cuisine. Il la vit soudain baisser la tête,sortir une jambe et se glisser allègrement à l’extérieur. Dans l’exercice, sa roberemonta sur ses cuisses. Luke abaissa les paupières et implora le ciel de luiépargner ce genre d’épreuve. Quand il rouvrit les yeux, elle se tenait près de

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lui. Dieu merci, l’étoffe de son vêtement avait retrouvé sa place. Elle fit un geste en direction de la porte.

 —  La poignée n’est toujours pas réparée, expliqua-t elle. Et l’humidité de cematin n’a rien arrangé. Par chance, la fenêtre accepte encore de s’ouvrir. Il fronça les sourcils.

 — Vous ne devriez pas vous livrer à de telles acrobaties. Dans votre état, cen’est pas raisonnable. 

 — Je suis enceinte de sept mois, et je me porte comme un charme. Les coursde danse que je prenais à Los Angeles m’ont sans doute aidée à garder laforme.

 —  Ecoutez… Il posa la clé de contact dans la paume de sa main et marqua une pauseavant de poursuivre.

 — Je me suis conduit comme un idiot. Je ne sais comment me faire pardonner.Et puis… 

Il hésita encore. —  J’ai une proposition à vous faire. Mais je vais d’abord réparer votre porte ;nous en parlerons ensuite.Anita le considéra d’un air tout à la fois méfiant et malicieux. 

 — Quel genre de proposition ?Luke déploya des efforts surhumains pour ne pas la reprendre dans ses bras.Presque malgré lui, il s’empressa de débarrasser leur conversation de touteambiguïté.

 —  C’est au sujet d’Emily. 

Apparemment déçue qu’il ait ainsi clarifié sa pensée, elle resta un instantsilencieuse. Puis elle se ressaisit et affronta bravement son regard.

 —  D’accord, mais à une condition !  — Je vous écoute. —  Dévalisez toutes les boutiques de la ville s’il le faut, mais rapportez-moi unetonne de chocolat ! En barre, en tablette ou en pot, tout ce que vous voudrez,mais vite ! Je me sens soudain en manque et je vais en avoir furieusementbesoin !

Sur ces mots, elle retourna à la fenêtre, retroussa le bas de sa robe avec le plusgrand naturel et disparut à l’intérieur.Anita dut ingurgiter trois barres chocolatées, une brioche bourrée de pépites etune part de forêt-noire avant de pouvoir affronter avec calme un nouveautête-à-tête avec Luke. Impressionné par sa voracité, il lui servit un grand verred’eau, installa une deuxième chaise devant elle et l’invita à y poser les jambes. 

 —  Il ne faut pas exagérer ! s’indigna-t elle. Je ne suis pas une poupée deporcelaine.

 —  Les femmes enceintes méritent tous les égards. C’est en tout cas ce que

disait ma grand-mère. Profitez-en ! — Si vous insistez, dit elle avec un sourire. —  J’insiste. Il remplit de nouveau son verre et s’installa en face d’elle. 

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 —  Je voudrais m’excuser de nouveau pour…  —  C’est inutile. Elle jouait distraitement avec les papiers d’emballage éparpillés sur la table.

 —  Si vous continuez à vous excuser de m’avoir embrassée, je vais commencer à me poser des questions sur moi-même. A ma connaissance, la grossessen’est pas une maladie contagieuse. 

 — Ne vous moquez pas, Anita ! Vous me plaisez. Vous me plaisez mêmebeaucoup.

 — Pour être franche, je me sens à peu près aussi attirante que le mont Everest,en ce moment.Luke secoua la tête.

 —  Ne dites pas de bêtises ! Vous êtes ravissante. Et je… Il hésita un instant ; Anita resta suspendue à ses lèvres. Une seconde s’écoula,puis une autre.

 —  Vous aviez raison, reprit il. Vous me faites vraiment peur. C’est que… il y a

bien longtemps que je ne me suis pas trouvé en compagnie d’une femme. Il soupira.

 — Une éternité, en vérité.

Puis il se redressa, croisa les mains devant lui et lui fit enfin part de l’idée qui luioccupait l’esprit depuis des heures. 

 —  Ce n’était pas de moi que je souhaitais vous parler. Je voulais vous offrir unemploi.Anita ne chercha pas à dissimuler sa surprise. Elle ne s’attendait certes pas à

ce genre de proposition. — Un emploi ? Mais je ne suis plus du tout dans le marketing, vous savez. —  Il ne s’agit pas de vous embaucher dans notre entreprise. Mark et moitravaillons sur une plus petite échelle, aujourd’hui. Qui sait, nous aurons peut-être un jour besoin d’étoffer notre équipe, mais ce n’est pas le cas en cemoment.Il se servit à boire et enroula les doigts autour de son verre tout en cherchantses mots. Pour obtenir l’accord d’Anita, mieux valait lui présenter les choses

avec diplomatie. —  J’ai besoin d’aide pour Emily.  — Emily ? répéta-t elle sans comprendre. —  J’aimerais que vous l’aidiez.  — A faire ses devoirs ?Il secoua la tête.

 —  A redevenir ma fille. Je vous ai observées, toutes les deux, aujourd’hui. Vousêtes la seule personne capable d’entretenir avec elle une conversationcivilisée. Bien sûr, il y a le travail scolaire. C’était une bonne élève, autrefois.

Mais ce que je voudrais surtout… Il inspira profondément. Sa requête était délicate.

 —  J’ai besoin de votre aide pour reconstruire ma relation avec elle.Anita lui opposa un refus catégorique.

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 —  Elle a besoin d’un psychologue. Je ne suis pas qualifiée.  — Vous avez été adolescente, vous aussi. Vous avez traversé cette périodedifficile.

 —  Oui, mais…  — Cela me suffit.Elle secoua énergiquement la tête.

 —  Je suis incapable d’aider Emily à apaiser ses souffrances. Je pourraiscommettre les pires maladresses.

 —  Il vous suffira d’être vous-même. Comme aujourd’hui, rien de plus.  —  Je ne vois pas très bien…  —  Vous pouvez l’aider à retrouver confiance, l’encourager un peu. Si elleparvenait à racheter sa mauvaise conduite au collège, obtenir un ou deuxbons résultats, peut-être que… 

 —  Un peu de réussite la ferait changer d’attitude et lui donnerait envie decontinuer dans la bonne voie ?

 — Exactement.Anita se leva et posa son verre sur la pierre de l’évier. 

 —  Je ne sais pas, Luke. Je ne suis pas entraînée à ce genre d’exercice. Jepourrais tout aussi bien aggraver la situation.

 —  Non. Elle ne pourrait être pire qu’aujourd’hui. Le timbre sourd de sa voix exprimait tout son désarroi. L’aveu de sonimpuissance ne devait pas lui être facile.

 —  C’est donc si grave ? demanda-t elle avec douceur.Les épaules de Luke s’affaissèrent. 

 — Depuis la mort de Mary, je ne reconnais plus ma petite fille. Elle a construitautour d’elle un mur infranchissable et refuse obstinément d’en enlever lamoindre brique. J’ai tout essayé. Ces derniers mois, je l’ai accompagnée chezplusieurs thérapeutes.

 — Que vous ont ils conseillé ? — Les deux premiers voulaient la mettre sous médicaments. Le troisième aessayé de me rassurer en affirmant qu’il s’agissait seulement d’un mauvaispassage.

Il ramassa à son tour un papier d’emballage et commença à le déchirer enpetits morceaux. — Je refuse de droguer Emily, mais je sais aussi que son mal est plus profondqu’une simple crise d’adolescence. Elle a besoin de parler à quelqu’un. Il relâcha brusquement le papier argenté.

 —  Mais ce n’est pas à moi. Anita posa une main sur son épaule.

 — Luke, elle vous aime. Tout ira bien, j’en suis sûre. Luke avait entendu tant de fois ces paroles dans la bouche de ses parents

qu’elles restaient sur lui sans effet.  —  Je ne crois pas aux contes de fées. Pour une raison que j’ignore, Emily merend responsable de la mort de sa mère. Elle me rejette. Oh ! je ne lui en veuxpas ! Il m’arrive si souvent de ne plus supporter ma propre compagnie… 

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Anita contourna la table pour s’installer de nouveau devant lui. La souffrancequ’elle décela dans le bleu profond de ses yeux la bouleversa. 

 — Vous faites de votre mieux, Luke. Ce n’est pas si facile. Il n’y a pas derecette universelle pour soigner la douleur de ceux que l’on aime. 

 —  Vous ne comprenez pas. C’est beaucoup plus que cela. Emily n’est mêmepas… Il décida brusquement de ne pas achever sa phrase.

 —  Elle est tout ce qui compte pour moi, aujourd’hui. Je suis prêt à tout tenter pour la retrouver avant… Un lourd silence s’abattit dans la pièce. 

 —  … avant qu’il ne soit trop tard. 

 —  Il n’est pas trop tard, j’en suis sûre. Ni pour elle ni pour vous.  —  Nous n’y arriverons pas tous les deux. J’ai besoin de votre aide, Anita.Accepterez-vous ma proposition ?

Comme elle ne répondait pas, il crut qu’elle persistait dans son refus.  —  Je vous paierai vingt dollars de l’heure. Plus, si vous voulez. Si vous acceptiezde passer, disons quatre à six heures auprès d’elle pendant les prochains jours,elle pourrait peut-être reprendre le dessus et recommencer l’année scolaire dubon pied.

 —  C’est embarrassant pour moi d’accepter votre argent contre un service decette nature.Luke sut dès lors qu’il avait gagné la partie. 

 —  Essayez de l’envisager comme un défi ! proposa-t il en retrouvant l’espoir.

Votre mission est de vendre à Emily la recette du bonheur. Croyez-moi, tous vostalents commerciaux vous seront nécessaires !Anita se détendit à son tour.

 —  Quand vous parlez ainsi, vous êtes…  — Irrésistible ? — Absolument irrésistible et tout à fait convaincant !Elle accepta sa main tendue.

 — Marché conclu, Luke. Je vais pouvoir remplir mon garde-manger et m’offrir 

autre chose que du jambon en conserve. Mon amie la souris sera ravie. — Vous avez des soucis financiers ? — Rien de grave. Je viens de perdre mon travail de pigiste, mais je ne tarderaipas à en trouver un autre.Il tenait toujours sa main dans la sienne.

 — Anita, si vous avez besoin de quoi que ce soit…  — Tout va bien, Luke. Merci. —  Il n’y a aucun mal à demander de l’aide, vous savez.  —  Pas plus qu’il n’y a de mal à embrasser une amie ! 

Brusquement saisi de panique, il recula d’un pas.  — Il se fait tard. Je vais chercher ma caisse à outils pour réparer votre porteavant de partir.Restée seule, Anita attaqua une nouvelle barre de chocolat. La perspective

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de passer les prochains jours dans l’entourage de Luke rendait tout à faitindispensables d’importantes réserves de magnésium !Pour Luke, le travail était une saine occupation. Dès l’instant où Anita arrivaitpour s’occuper d’Emily, il s’immergeait dans la création de ses logiciels. Larésolution de ses problèmes informatiques requérait toute sa concentration.Jamais il ne trouvait le temps de s’interroger sur les motivations profondes quil’avaient poussé à engager la jeune femme. De toute manière, il était sûr d’avoir fait le bon choix. Du côté d’Emily, toutallait pour le mieux. Elle avait réagi très favorablement à la présence d’Anita etaccueillait chaque matin l’arrivée de son professeur avec un large sourire. Entrois jours, elle avait rattrapé le retard accumulé sur son travail scolaire.L’alcôve transformée en bureau était à la fois pour Luke un refuge et unevéritable chambre de torture. Quand les intonations joyeuses d’Anitaparvenaient jusqu’à ses oreilles, il lui était difficile de ne pas se laisser distraire.Le climat et l’air pur de Mercy semblaient fort bien lui convenir. Ses traits

reposés et son teint légèrement hâlé la rendaient encore plus séduisante, etLuke la soupçonnait de déployer des trésors d’imagination pour jouer un peuplus avec ses nerfs.Le lundi, elle portait une ample salopette et des baskets. Une couette hautedégageait les cheveux de son visage et mettait en valeur la douceur de sestraits. Un ange tombé du ciel ! Le mardi, l’innocence avait fait place à laséduction. Elle avait teinté ses lèvres d’un rouge sombre qui attiraitimmanquablement le regard sur le dessin parfait de sa bouche. Le mercredi,elle avait peint ses ongles de la même couleur.

Le jeudi, elle arriva avec une jupe très courte et des sandales dont les bridess’enroulaient sensuellement autour de ses chevilles. Ce jour-là, ne pouvant en supporter davantage, Luke prétexta un besoinurgent de fournitures de bureau pour fuir la maison. Il passa de longues heuresà traîner dans les magasins pour acheter des accessoires dont il n’avait nulbesoin, et emprunta pour rentrer à Mercy la route la plus longue. A son retour,Anita avait quitté la maison.Il posa ses achats sur la table de la cuisine, à côté des affaires d’école de sa

fille, et se mit à consulter ses cahiers. Emily ne tarda pas à faire son apparition.Elle se servit un verre de lait et s’adossa nonchalamment au comptoir. — Inutile de vérifier mon travail, papa ! Je suis à jour et je retourne au collègedemain. Tu seras enfin débarrassé de moi.

 —  C’est bien, Emily. Il referma le livre de mathématiques.

 — Dis-moi, que penses-tu d’Anita ? Elle t’a vraiment aidée ? 

Elle haussa les épaules. La teinte fuchsia de ses cheveux s’était atténuée, et

elle commençait à retrouver ses mèches blondes. — Avec elle, je ne me sens pas stupide comme avec la plupart de mes profs. —  Tu n’es pas stupide.  — Evidemment, tu ne vas pas dire le contraire, puisque tu es mon père.

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 — Je ne te mentirais pas, Emily. Surtout sur un sujet aussi important. Je suistoujours sincère avec toi.Lorsqu’il prononça ces mots, Luke sentit son cœur se serrer. Depuis toujours, il luicachait un lourd secret. Si elle venait à le découvrir, leur relation en serait à

 jamais détruite. — Est-ce que par hasard Anita t’aurait parlé de moi ? Emily retroussa le nez dans une drôle de grimace.

 — Papa ! Pourquoi voudrais-tu qu’elle me parle de toi ?  — Oh ! tu sais, elle travaillait avec moi à Los Angeles et… Devait il vraiment avoir ce genre de conversation avec sa fille ? Etait il à cepoint désemparé qu’il espérait trouver auprès d’une gamine de douze ans desindices sur les sentiments qu’Anita éprouvait envers lui ? Il désigna un dossier agrafé.

 —  C’est ton devoir sur Churchill ?  — Oui.

 — Je peux le lire ? — Si tu y tiens !Elle le surveilla avec méfiance, tandis qu’il parcourait les feuilles de son dossier. 

 —  Tu ne vas pas l’annoter au crayon rouge, j’espère !  — Emily, pour qui me prends-tu ? —  Pour quelqu’un qui ne peut pas s’empêcher de mettre son grain de sel là oùce n’est pas nécessaire. Anita a tout relu. D’après elle, je me suis très biendébrouillée toute seule.Sur la première page, il remarqua une faute de frappe, puis une virgule

manquante dans le troisième paragraphe. —  Elle n’a pas corrigé tes fautes ?  —  Elle a dit que j’étais assez intelligente pour les trouver moi-même. Elle m’adonné une liste de choses à vérifier et je l’ai fait toute seule. La voyant ainsi sur la défensive, Luke réfléchit un instant. En temps normal, il luiaurait indiqué ses oublis et ses erreurs. Mais devait il persister dans cetteattitude ? Jusqu’à présent, cela n’avait fait qu’envenimer leur relation. Anitasemblait avoir instauré avec elle un rapport de confiance. Dommage qu’elle

ne fût pas à ses côtés pour lui indiquer la marche à suivre en pareillecirconstance !Il referma le dossier.

 — Je suis sûr que tu as bien travaillé, Emily.Il prit un siège et l’invita à s’asseoir près de lui.

 — Dis-moi un peu ce que tu as appris en rédigeant toutes ces pages ! — Papa !Elle s’installa à contrecœur à son côté. 

 —  Tu ne trouves pas que j’ai assez travaillé ? Je voulais aller chez Sarah pour 

 jouer avec sa nouvelle console.Sarah habitait la villa voisine. Dès son arrivée à Mercy, Emily avait tout de suitesympathisé avec elle. En dehors d’un penchant un peu trop marqué pour lemascara, Luke n’avait rien de particulier à lui reprocher. 

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 —  J’espérais que nous pourrions parler un moment. Déjà, Emily rangeait ses cahiers dans son sac.

 —  Papa, je peux aller chez Sarah ? S’il te plaît ! Il hésita un instant.

 — Vas-y ! soupira-t il enfin. Mais ne… Il n’eut pas le temps d’achever sa phrase qu’elle avait disparu. 

 — Mais ne sois pas en retard pour le dîner !Une fois encore, Anita se vit dans l’obligation de faire appel à la générosité deLuke. Sa meilleure amie se trouvait à des milliers de kilomètres et, en dehors dela famille Dole, elle ne connaissait toujours personne à Mercy. Le vendredi, elleprit donc de bon matin le chemin de la petite maison blanche.

 — Anita !Le visage de Grace se fendit d’un large sourire à son arrivée. 

 — Quelle bonne surprise ! Grâce à vous, Emily est retournée au collège cematin. Elle devrait rentrer en milieu d’après-midi.

 — Bon jour, madame Dole. Oui, je sais. En fait, ce n’est pas elle que je venaisvoir.Elle se racla la gorge avec embarras.

 —  J’ai besoin de parler à Luke. Le sourire de la maîtresse de maison s’agrandit encore. 

 —  Je vais l’appeler. Entrez, je vous en prie ! Elle lui prit le bras et l’entraîna à l’intérieur. Le hall était encombré de bagages.Luke était il sur le départ ? Envisageait il de déménager ?

 — Bonjour, Anita !

La maîtresse de maison s’éclipsa discrètement. Luke venait d’apparaître sur leseuil de la cuisine. Ses cheveux noirs étaient encore humides. Visiblement, ilsortait tout juste de la douche et s’apprêtait à prendre son petit déjeuner. Leparfum de son eau de toilette flottait agréablement dans le hall. Confuse,Anita regretta d’avoir fait intrusion dans son intimité à une heure aussi matinaleet fut incapable de prononcer le moindre mot.

 —  C’est gentil de nous rendre visite, dit il pour tenter de la mettre à l’aise. Emilyest au collège, ce matin.

 —  Oui, je sais, votre mère me l’a dit. Elle indiqua les bagages d’un geste de la main.  — Vous partez en voyage ? —  Non, ce sont mes parents qui s’en vont. Ils partent en croisière. Dix jours auxBermudes.Grace avait effectivement mentionné ce voyage pendant le déjeuner qu’elleavait partagé avec eux. Anita l’avait oublié. Voilà qui n’arrangeait guère sasituation !

 — Dix jours ?

 — Oui. Ils attendent cela depuis des mois. — Et vous allez rester seul avec Emily ? — Eh bien oui. Pourquoi ? —  Euh, je… 

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N’osant affronter son regard, elle dirigea de nouveau les yeux vers les valisesalignées près de la porte.

 —  Ce n’est certainement pas le meilleur moment pour vous demander cela,mais je… Elle respira profondément et énonça d’un trait la raison de sa visite. 

 — Je cherche un endroit où habiter. Ma cuisine a entièrement brûlé.Luke fronça les sourcils.

 —  Brûlé ? Mais que s’est il passé exactement ?  —  Le propriétaire a voulu faire des économies en m’envoyant son neveu pour refaire l’électricité. Le gamin a travaillé en dépit du bon sens. Quand j’ai utilisémon grille-pain, un premier fusible a sauté. Et puis il y a eu une réaction enchaîne et tout le mur a pris feu. Ce n’était pas beau à voir. Il s’approcha et lui prit la main avec sollicitude. 

 —  Vous n’avez rien ? Et le bébé ?  — Je vais très bien, merci. Mais la cuisine est à refaire entièrement. Et il flotte

dans toute la maison une odeur insupportable. Je vous assure, c’est irrespirable!Elle plissa le nez avec une grimace de dégoût.

 — Même la souris a pris la fuite.L’invitation de Luke fut naturelle et spontanée. 

 — Venez vous installer ici pendant quelque temps ! —  Je ne sais pas si… Il lui sourit d’un air malicieux. 

 — Qui vous inquiète le plus, de nous deux ? Vous ou moi ?

Anita releva fièrement la tête. — Je ne suis pas du tout inquiète à mon sujet. Croyez-moi, je suis tout à faitcapable de vivre sous le même toit qu’un homme ! Je suis très ordonnée et trèsconciliante.

 — Bon !Son sourire s’élargit. Avait il vraiment besoin de se tenir si près d’elle ? 

 —  J’espère que vous n’avez pas trop d’exigences en matière culinaire. —  Aucun risque. Je suis une adepte des œufs brouillés. 

 — Parfait !Anita affichait une bravoure et une assurance qu’elle était bien loind’éprouver. En venant vivre auprès de Luke, elle commettait sans doute la plusgrave erreur de sa vie. Pourquoi avait elle encore une fois sonné à sa porte aulieu de prendre simplement une chambre d’hôtel ? Soit, l’état de ses financesne lui autorisait guère de telles dépenses, et elle ignorait la durée des travauxnécessaires à la réhabilitation de sa maison.Toutefois, le sourire chaleureux de Luke ne la rassurait en aucune façon. N’étaitelle pas tout simplement en train de se précipiter dans la gueule du loup ?

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 Cet après-midi-là, les parents de Luke prirent congé dans un vacarmeassourdissant où les aboiements des chiens se mêlaient confusément aux crisd’excitation et aux joyeux « au revoir ». Après leur départ, Anita retourna chez elle pour y faire sa valise et revints’installer dans l’une des chambres d’amis. Emily rentra du collège en find’après-midi, déposa rapidement son cartable et, avec l’autorisation de sonpère, courut rejoindre son amie Sarah.Luke et Anita se retrouvèrent en tête à tête, dans une maison étrangementcalme.

 —  L’ancienne chambre de Katie vous convient elle ? demanda-t il en laprécédant dans la salle de séjour.Feignant une aisance et un calme qu’il était loin de ressentir, il s’installanonchalamment sur le canapé. Anita prit place dans le rocking-chair.

 — Elle est parfaite, répondit elle. J’ai déjà rangé mes vêtements. Il faut dire que

mon bagage était réduit à la plus simple expression. Une petite valise et unvanitycase. J’ai préféré laisser la souris derrière moi. 

 — Pauvre bête ! —  Elle survivra, j’en suis sûre. Quand elle croisa les jambes, sa jupe remonta nettement au-dessus de sesgenoux. Elle s’empressa de la remettre en place mais, une fois encore, Luke sedemanda combien de temps ses nerfs résisteraient à ce genre de spectacle. Ilse racla la gorge et s’empressa de meubler le silence.

 —  Je voulais vous remercier pour votre présence auprès d’Emily, cette

semaine. Grâce à vous, elle a repris l’école dans d’excellentes dispositions. Il se leva pour lui remettre un chèque et regagna sa place.

 — Comme vous le savez, poursuivit il, son devoir d’histoire lui a valu une trèsbonne appréciation. Elle est très fière de son résultat. Evidemment, elle refusede l’admettre. 

 —  Je n’en suis pas surprise, répondit Anita avec un sourire. Ne sachant comment occuper ses mains, Luke tripotait nerveusementl’accoudoir du canapé. 

 — Votre aide lui a été précieuse. —  A dire vrai, je n’ai pas fait grand-chose. C’est une enfant intelligente.  — En quelques jours, vous avez ramené le sourire sur ses lèvres. Vous avez réussilà où j’ai échoué pendant près de deux ans.

 — Luke, vous passez votre temps à vous dévaloriser. Vous êtes un pèremerveilleux.

 — Détrompez-vous ! Pendant les premières années de sa vie, je n’étais jamaisauprès d’elle. J’étais un père absent, qui se consacrait corps et âme à son travail.

Il se leva de nouveau et fit quelques pas dans la pièce. —  Si vous saviez comme je le regrette ! J’aimerais tant revivre autrement toutesces années !

 —  Vous ne pouvez pas réécrire l’histoire. L’important, c’est que vous soyez très

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présent auprès d’elle aujourd’hui.  — Vous avez sans doute raison. Mais on dirait que je suis invisible à ses yeux.Il prit un cadre sur le manteau de la cheminée et regarda tristement la photoqu’il contenait. Sur le cliché, sa petite fille alors âgée de trois ans essayait sonnouveau tricycle. Folle de joie, elle lui adressait un sourire radieux. Comme cetinstant paraissait lointain et irréel !

 — Nous ne nous entendons pas très bien, comme vous avez pu le remarquer. — Laissez-lui un peu de temps ! —  Du temps ? C’est pr écisément ce qui nous manque. Elle a déjà douze ans.Dans quelques années, elle quittera la maison pour l’université. C’est madernière chance. Si je n’arrive pas à rétablir une véritable relation avec ellemaintenant… Anita vint se placer à son côté.

 — Nous mettrons tout en œuvre pour y parvenir, Luke. Ne vous inquiétez pas ! Il resta silencieux un instant. Avait il bien entendu, ou était-ce un effet de son

imagination ? Anita était elle réellement déterminée à l’aider dans lareconquête si difficile du cœur de sa fille ? Il reposa soigneusement laphotographie à sa place.

 —  M’inquiéter ! soupira-t il. C’est malheureusement tout ce que je sais faire !  — Eh bien, dorénavant, nous serons deux !Il se retourna et croisa son regard empli de sollicitude. Il pouvait compter sur elle, il n’en doutait pas. Quelques années auparavant, lorsque son entrepriseétait proche de la faillite, le soutien d’Anita n’avait jamais faibli. Aujourd’huiencore, son amitié lui serait précieuse.

Reconnaissant, il lui prit la main et l’attira contre lui pour l’embrasser sur la joue.Très vite, l’étreinte amicale se chargea d’une tout autre émotion. Sa raisonl’abandonna et il abaissa ses lèvres jusqu’à sa bouche. 

 —  Anita… Il murmurait son nom entre deux baisers. Une semaine d’attente, de frustration,à la regarder aller et venir dans la maison et à s’interdire toute marqued’affection avait eu raison de ses bonnes résolutions.

Après une brève hésitation, Anita passa les bras derrière sa nuque et ilss’accrochèrent éperdument l’un à l’autre.Immédiatement, Luke oublia soucis et responsabilités. La grossesse d’Anita,l’éducation de sa fille, le retard pris dans son travail… Son esprit se libéra peu àpeu de toutes ses préoccupations. Il vivait pour les autres depuis troplongtemps. Quelques minutes, c’était tout ce qu’il exigeait pour lui-même. Unsursis capable d’apaiser le besoin d’amour, le désir qui le dévorait. Il la serra un peu plus fort ; sa bouche se fit plus gourmande et ses mains,comme douées d’une volonté propre, explorèrent aveuglément le corps de

celle qui avait passé tant de temps auprès de lui et qu’il connaissait pourtant sipeu.

 — Luke !Comme il ne paraissait pas l’entendre, elle le repoussa doucement. 

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 — Luke, murmura-t elle encore. Arrêtons cela avant qu’il ne soit trop tard !Le retour à la réalité fut infiniment douloureux.

 —  Vous avez raison, répondit il en essayant d’apaiser le rythme de sarespiration. Nous devrions… 

 — Arrêter, répéta-t elle. Avant de nous laisser entraîner plus loin que nous ne lesouhaitons.Il abaissa les paupières et tenta de ravaler sa frustration.

 — Si nous devons partager le même toit, reprit elle encore, nous ne devons pas jouer avec le feu.Anita avait raison, il le savait. Pourtant, jamais il n’avait à ce point désiré unefemme.Le claquement de la porte d’entrée le ramena plus brutalement encore à laréalité.

 — Papa ! Je suis rentrée !La mine réjouie, Emily fit irruption dans la pièce.

 — On mange quoi, ce soir ? — Et si tu commençais par dire bonjour ? suggéra-t il gentiment.L’adolescente leva les yeux au ciel.

 — Bonsoir, papa ! As-tu passé une bonne journée ? Au fait, qu’as-tu prévu pour le dîner ?L’éclat de rire un peu nerveux d’Anita trahissait le trouble provoqué par cettearrivée inopportune.

 — Absolument rien, répondit Luke. Je suggère que nous en décidions tous lestrois.

Ils se rendirent ensemble dans la cuisine, optèrent pour un plat de spaghettis etse mirent aussitôt au travail. Emily se chargea de hacher des feuilles de basilicet Anita improvisa une sauce à la crème tandis que Luke déposait une grandemarmite remplie d’eau sur le feu. Absorbés dans leurs tâches, les deux adultesretrouvèrent un semblant d’apaisement. 

 —  Comment va Rocky, aujourd’hui ? demanda Emily. Luke leva un sourcil.

 — Rocky ?

 —  C’est le bébé, papa. Il remue tellement dans le ventre d’Anita que je l’aibaptisé Rocky. — Oh !Anita marqua une pause et s’assit près du comptoir. 

 —  Il bouge de plus en plus. Je crois qu’il commence à manquer de place. Unvrai boxeur !

 —  Vous êtes sûre que c’est un garçon ? s’enquit Luke.C’était la première fois qu’il posait une question au sujet de l’enfant d’Anita. Ilprit brusquement conscience de son égoïsme et se le reprocha sévèrement.

 —  Non, je ne connais pas son sexe. Le médecin m’a proposé de me le révéler,mais j’ai préféré ne rien savoir. La vie réserve si peu de surprises. Celle-ci estsans doute la plus… Elle posa avec bonheur les deux mains sur son ventre.

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 —  … la plus merveilleuse !  —  Moi, je parie que c’est un garçon ! décréta Emily. Sarah m’a parlé d’un testà réaliser avec un fil et une aiguille.

 —  Vraiment ? s’étonna Anita. Je suis curieuse de le connaître !  — Attendez-moi, j’en ai pour une minute ! L’adolescente s’éclipsa moins d’une minute et reparut avec une trousse àcouture. D’un air très sérieux et très affair é, elle enfila un fil dans une aiguille etle suspendit au-dessus du ventre de la jeune maman.

 —  D’après Sarah, si l’aiguille se balance d’avant en arrière, le bébé est unefille. Se elle se met à tourner, c’est un garçon. 

 — Luke, approchez-vous ! dit Anita en lui adressant un signe de la main. Nousavons besoin d’un jugement impartial. 

 —  L’aiguille décrit des cercles, constata Emily. Luke se pencha en avant pour bien observer l’expérience. 

 —  Je suis d’accord avec toi. 

 —  Eh bien, s’exclama Anita, puisque vous l’affirmez tous les deux, il n’y a pasde doute. C’est un garçon ! Luke rit de bon cœur. 

 — Si vous croyez vraiment à ces sornettes, je vous conseille une reconversiondans la voyance. Qui sait, vous pourriez avoir un franc succès à Mercy endiseuse de bonne aventure !Ils achevèrent les préparatifs du repas dans un silence très complice, de ceuxque partagent des amis de longue date. Emerveillé par l’humeur joyeuse de safille, Luke s’installa le premier à table et remplit copieusement leurs trois

assiettes. — Et si nous allions au cinéma après le repas ? suggéra-t il avec enthousiasme.

Les yeux d’Emily scintillèrent de plaisir. Plus jeune, elle adorait fréquenter avecson père la grande salle de Los Angeles. Ils s’y rendaient une fois par mois. Puis,sans raison, leurs sorties s’étaient peu à peu espacées. Aujourd’hui, Luken’arrivait même plus à se rappeler le titre du dernier film qu’ils avaient vuensemble. Pourquoi le temps lui avait il ainsi échappé ? Comment avait il pu

manquer tant d’occasions de bonheur à partager avec sa fille ?Elle ouvrit la bouche pour accepter avec enthousiasme, puis elle hésita et sonvisage se décomposa brusquement.

 —  J’avais oublié… Il y a une réunion au collège, ce soir. Les profs nous ontdemandé de venir pour faire un point sur la rentrée.Elle enroula quelques pâtes autour de sa fourchette.

 —  Tu veux que je t’accompagne ? proposa Luke. Emily haussa les épaules.

 —  Je crois qu’il le faut. 

A contrecœur, elle sortit une petite feuille de papier de sa poche.  — La présence des deux parents est souhaitée, ajouta-t elle d’un air morne.C’est ce qui est écrit. 

 —  Oh ! Em… 

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Il détestait ces moments où l’absence de Mary resurgissait brusquement dansun quotidien si difficile à reconstruire.

 —  Puisque maman est… Elle baissa les yeux sur le contenu de son assiette avant de pouvoir prononcer les mots qui la faisaient encore si cruellement souffrir.

 —  Puisque maman n’est plus là, je me suis dit que… qu’Anita pourrait peut-être… 

 —  Tu veux qu’Anita vienne avec nous ? demanda Luke avec beaucoup dedouceur.

 —  Oui, comme ça, elle pourrait voir mon collège et… Elle repoussa soudain sa chaise.

 —  Non, je… Excusez-moi, ce n’était pas une bonne idée.  —  J’aimerais beaucoup y aller ! intervint Anita avec conviction. Elle posa la main sur l’avant-bras d’Emily pour la retenir près de la table. Tupourrais me montrer ta classe et… 

Emily secoua la tête. — Je préfère que vous me laissiez à la maison. Je regarderai un film à latélévision.

 —  Ah non ! s’indigna Anita. Ce n’est pas juste ! Si ton père et moi devonspasser une partie de la soirée au collège, tu dois nous accompagner ! J’ai uneidée : après la réunion, nous irons manger une glace. Qu’en penses-tu ?

 —  Si vous voulez ! soupira Emily. Mais d’abord, il faut que je me change !  Joignant le geste à la parole, elle monta en courant dans sa chambre, coiffalonguement ses beaux cheveux blonds et enfila son bermuda rose pâle et son

chemisier assorti. Un trait noir très discret autour de ses yeux mit une touchefinale à sa tenue très douce et très féminine.Quand elle redescendit au rez-de-chaussée, le spectacle qu’elle offrit à sonpère le remplit d’émotion. Luke avait le sentiment de retrouver enfin sa fille.Impatient de s’en assurer et de reconnaître l’odeur magique dont il aimait tants’enivrer quand elle était enfant, il voulut s’approcher et l’attirer contre lui. Il fitun pas en avant, mais se ressaisit de peur de l’effrayer. Après les mois difficilesqu’ils venaient de passer, mieux valait ne pas brusquer ses sentiments et la

laisser libre de venir à lui quand elle le désirerait vraiment.Sans même y être invitée, Emily participa à la vaisselle et au rangement de lacuisine. Puis elle enfila son blouson et sortit pour aller s’installer à l’arrière de lavoiture.

 —  Je n’en crois pas mes yeux ! s’exclama Luke. L’adorable jeune fille qui apartagé notre repas était elle bien Emily ? Ou bien s’agissait il de son fantôme?

 — La vraie Emily ne vous a jamais quitté. Il fallait juste prendre le temps de laréveiller un peu.

 — Anita, je ne connais pas votre méthode, mais en tout cas, elle est efficace.D’abord les bonnes notes au collège, et puis cette résurrection…Vous méritezle prochain prix Nobel.

 —  N’exagérons rien ! 

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Elle se pencha pour tenter de mettre ses sandales. — Oh ! mon Dieu, je ne vois même plus mes pieds ! Je suis un peu confuse devous le demander, Luke, mais pourriez vous m’aider… 

 — Bien sûr !Il s’agenouilla devant elle et glissa les brides dans leur passant, au-dessus deses chevilles délicates. Tout en elle était finesse et élégance. Il se redressa en sesermonnant une fois de plus et ramassa la clé de la voiture sur la tablette del’entrée. A quoi bon s’émerveiller sans cesse devant les qualités de cette femme ? Ellen’était pas pour lui. Trop d’obstacles s’opposaient à leur relation. Anitaattendait un enfant. L’enfant d’un autre. Il aurait beau l’adopter, il seraittoujours privé du lien fort qui unissait un père à son enfant. Ne connaissait il pasce scénario par cœur ? Seul un idiot commettrait deux fois une erreur aussigrossière !

Mary avait été une mère parfaite, pour Emily. Trop parfaite, sans doute. Elleavait construit avec sa fille un monde à part, dont il s’était senti bien souventexclu. S’il s’attachait à Anita, et si plus tard il l’épousait, quelle place trouveraitil dans cette nouvelle cellule familiale ? Les deux situations étaient certes biendifférentes, et les sentiments qu’il éprouvait à l’égard d’Anita ne ressemblaienten rien à ceux qui l’avaient rapproché de Mary… 

 — Luke ? Tout va bien ?Il sursauta.

 —  Euh… oui, tout va bien.

 — Menteur ! Cet air préoccupé, je le connais bien. Dites-moi ce qui vousennuie !

 — Rien, je vous assure.Anita marqua une pause sur le perron.

 — Vous préférez que je reste ici ? Si vous avez envie de partager seul cemoment avec votre fille, je le comprendrai très bien. Elle semblait vouloir que jevous accompagne, mais si vous… 

 —  Les désirs d’Emily sont des ordres ! Elle semble revenue à de meilleures

dispositions, et je n’ai aucunement l’intention de la contrarier. D’ailleurs, si elleveut ingurgiter une dizaine de sorbets tout à l’heure, je suis prêt à dévaliser leglacier.Il s’arrêta à quelques pas de la voiture en apercevant la mine réjouie de sa fillequi les attendait sur la banquette arrière. Son humeur joyeuse lui réchauffait lecœur. Il y avait si longtemps qu’il ne l’avait pas vue si heureuse ! 

 — Elle compte tellement pour moi. — Je sais, dit Anita en posant une main sur son épaule.Luke secoua la tête.

 — Non, vous ne pouvez pas savoir. —  C’est votre fille, je comprends très bien.  — Emily est… Elle… Incapable de poursuivre, il ouvrit la portière du passager, invita Anita à

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s’asseoir, et mit un terme à la conversation.  — Elle va être en retard si nous ne partons pas tout de suite ! — Non, madame, vous ne pouvez pas entrer avec cette chose !Le jeune apprenti paraissait excédé.

 —  C’est chaque fois la même histoire, soupira-t il en redressant sa toque decuisinier. Vous le savez très bien !Anita s’arrêta sur le seuil de la boutique du glacier. A l’école, la réunion s’étaitdéroulée pour le mieux. Emily les avait conduits dans sa classe pour leur montrer ses réalisations d’art plastique et, tandis qu’elle bavardait avec sescamarades, le professeur principal avait longuement entretenu Luke duchangement très positif remarqué récemment chez sa fille et des réellescapacités que l’équipe pédagogique voyait en elle. Détendus et heureux, ils attendaient maintenant leur tour chez le marchand deglaces.

 — Je vous le répète, insista le pauvre garçon. Cette chose doit absolument

rester dehors !Anita comprit très vite à quoi il faisait allusion en entendant s’élever derrièreelle un grognement terrifiant. Lorsqu’elle aperçut l’énorme doberman, elleréprima un cri d’effroi. L’animal semblait aussi aimable qu’une porte de prison. 

 — Je vous présente Duchesse, dit Luke avec un sourire. Une des figures deMercy.Il tapota sans crainte la tête de l’animal et avança d’un pas pour se placer entre lui et la Anita.

 — Et miss Tanner, son heureuse propriétaire, ajouta-t il non sans humour.

Anita aperçut une toute petite vieille, coiffée d’une capeline rose bonbon, quiagrippait à deux mains la laisse de l’impressionnante créature, 

 — Miss Tanner, voici Anita Ricardo ! —  Si vous croyez que j’suis pas au courant ! bougonna-t elle d’un ton peuamène. Toute la ville est au courant. C’est pas New York, ici. Il suffit d’ouvrir unœil pour savoir que le fils du postier s’est sauvé avec la fille de l’épicier. Puis elle dirigea un regard furibond vers le comptoir.

 —  Alors, gamin, c’est pas bientôt fini ces âneries ? Mon bébé veut sa glace et

moi aussi ! —  Madame, s’évertua encore l’apprenti, les chiens sont interdits dans laboutique.

 — Expliquez-le donc à Duchesse ! Figurez-vous qu’elle a une faim de loup ! Profitant de son avantage, elle avança de plusieurs mètres et dépassa sansvergogne tous les autres clients. Excité par l’odeur du sucre, le dobermandonna un grand coup de langue sur le comptoir.Le pauvre jeune homme crispa les mâchoires et déclara forfait. Tout comptefait, il tenait plus à fêter son seizième anniversaire qu’à faire respecter au péril

de sa vie les règles élémentaires d’hygiène.  —  Euh… oui, madame, combien de boules ?  —  Cinq pour bébé, s’il vous plaît. A la vanille. Et pour moi, une coupe decerises au chocolat et un banana-split.

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 Anita réprima un fou rire. A Los Angeles, les animaux de compagnie étaientaffublés de vêtements ridicules et leurs propriétaires les traitaient comme desprinces. Mais elle n’avait jamais vu un doberman imposer sa loi chez un glacier.Apparemment habitués à la scène grotesque qui se déroulait sous leurs yeux,les autres clients de la boutique restaient sans réaction.Seule miss Marchand s’autorisa une remarque. 

 — Colleen, pourquoi ne laisses-tu pas cette bête chez toi ? Mon teckel estattaché à un réverbère, sur le trottoir, et il n’embête personne.

 —  Je suis vieille, répondit miss Tanner sans s’émouvoir. J’ai tout de même ledroit de faire ce que je veux !

 —  Tu n’es pas vieille, tu es têtue comme une mule ! Tandis que l’intéressée agitait la main avec le plus grand dédain, missMarchand se tourna vers Anita.

 — Ne vous formalisez pas, ma chère enfant ! Sous ses dehors revêches, Colleen

est une personne très charitable. —  Arrête de dire n’importe quoi ! grogna encore miss Tanner, dont le grandâge ne semblait pas avoir amoindri l’acuité auditive. Tu vas gâcher maréputation. Et puis, garde un peu tes distances avec les étrangers ! On n’abesoin de personne, à Mercy !

 — Voulez-vous que je passe votre commande, miss Marchand ?Luke s’interposa à point dans la conversation. Dépitée, miss Tanner glissa lalaisse de sa chienne autour de son poignet et arracha plus qu’elle ne prit sonplateau des mains de l’apprenti. Puis elle sortit sur la terrasse, précédée de sa

fidèle compagne qui, apparemment lasse d’attendre son festin, la tiraitdangereusement vers l’avant. 

 —  Vous êtes charmant, répondit miss Marchand. Deux boules de moka, s’ilvous plaît. Je vais m’installer dehors avec ma nouvelle voisine. Sur ces mots, elle prit d’autorité le bras d’Anita qui eut tout juste le temps de seretourner pour adresser à Luke un regard désemparé.

 — Rassurez-vous ! s’exclama-t il. Je ne vous oublie pas. De toute façon, jeconnais déjà vos goûts. Du chocolat, encore du chocolat et rien que du

chocolat !Dehors, la température était tombée et une brise douce et embaumée duparfum des fleurs emplissait l’atmosphère. Quelques rares voitures roulaientencore dans la rue principale. Anita s’installa avec soulagement dans lefauteuil en osier que lui proposait miss Marchand.

 — Alors, chère amie, comment trouvez-vous notre petite ville ? —  Je l’adore.  — Hum ! ronchonna miss Tanner, installée à quelques pas de leur table. Bientôt,on ne sera plus chez nous !

 — Colleen, mange ta glace et tais-toi !Prêtant une oreille distraite aux bavardages des deux vieilles dames, Anitacontemplait les devantures joliment éclairées des boutiques. Toutefois, satranquillité fut de courte durée.

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 — Je vois que vous avez trouvé la famille Dole sans trop de difficulté, observamiss Marchand en entrant sans tarder dans le vif du sujet qui l’intéressait.

 —  J’avais besoin d’aide pour réparer ma voiture, alors…  —  Luke est un bel homme. N’allez pas dire le contraire ! Je ne suis pas née dela dernière pluie, vous savez.Anita s’efforça d’afficher un visage impassible. 

 —  Il n’y a rien entre nous, miss Marchand. Nous sommes des amis de longuedate, c’est tout. Il en aurait fallu plus pour décourager son interlocutrice.

 —  J’ai déjà entendu ce refrain tant de fois ! C’est d’ailleurs mot pour mot ceque me chantaient Claire et Mark avant de se marier !

 — Non, vraiment, il n’y a rien entre nous. Cette fois, miss Marchand ne cacha pas son étonnement. La situation luiparaissait anormale.

 — Mais pourquoi ? demanda-t elle d’un air presque suspicieux. 

Embarrassée, Anita arrangea soigneusement les plis de sa jupe. Elle entendaitrester courtoise, mais n’avait aucune envie de se justifier. 

 —  C’est compliqué, répondit elle évasivement en espérant ainsi mettre unterme à la conversation.

 —  Je parierais que c’est à cause du père du bébé ! s’exclama miss Tanner àqui, décidément, rien ne semblait échapper.Elle essuya le coin de ses lèvres avec sa serviette en papier avant depoursuivre.

 — Il vous fait des ennuis ?

Visiblement impatiente d’entendre sa réponse, miss Marchand se tourna versAnita et pencha la tête de côté. Le temps semblait s’être arrêté, et un silencepesant régnait sur la terrasse.Anita était au pied du mur.

 —  Non, pas du tout. En vérité, cet enfant n’a pas de père. Enfin si, il en a unbien sûr, mais… Elle exhala un long soupir.

 —  C’est vraiment compliqué, répéta-t elle en guise de conclusion.Miss Tanner ne paraissait pas du tout satisfaite. — De mon temps, les choses ne se passaient pas ainsi. Je ne comprends pasles jeunes d’aujourd’hui ! Miss Marchand lança à son amie un regard de reproche.

 — Ne leur jette pas la pierre, Colleen ! Le monde a bien changé.Duchesse ne prêtait aucun intérêt à la conversation. Après avoir englouti lecontenu de son assiette en quelques coups de langue, elle s’assit et bâilla à endécrocher sa gigantesque mâchoire.

 — Luk e est un brave homme, reprit miss Marchand. Quelles que soient vos…euh… complications, j’espère qu’il n’aura pas à en subir les conséquences. Lavie ne l’a guère épargné, jusqu’à présent. 

 — Rassurez-vous ! répondit patiemment Anita. Je ne lui veux aucun mal.

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 —  Je l’espère de tout cœur. Vous êtes une jeune femme sympathique etapparemment très bien, mais vous devez comprendre que Mercy n’est guèreplus grand qu’un village. Nous nous connaissons tous, et nous veillons sur nosenfants.Le discours ne surprit pas Anita. La vieille dame faisait partie des angesgardiens de Mercy. Son rôle était de mettre en garde les étrangers. Pendantles premiers mois, ses faits et gestes seraient passés au crible et le moindre fauxpas lui serait reproché.

 — Je comprends, dit elle avec un sourire poli. Mais n’ayez crainte, je ne suispas venue ici pour semer la zizanie !Affalée sous la table, Duchesse ronflait à présent sans beaucoup d’élégance.Sa maîtresse, quant à elle, n’avait rien perdu de sa vivacité. Comme si lesrecommandations de son amie lui paraissaient insuffisantes, elle crut bon d’yajouter les siennes.

 —  En résumé, c’est assez simple ! Si vous ne voulez pas d’histoires, vous avez

intérêt à vous tenir à carreau !S’il lui manquait d’un brin de diplomatie, le franc-parler de miss Tanner avait aumoins le mérite de la clarté.

Chapitre : 123456 7 891011 1 - 2 - 3 - 4 - 5  >> 

 — Je ne sais comment vous remercier, Luke. Rien ne vous obligeait àm’accompagner. 

Ils étaient assis dos à dos sur le sol et Anita cherchait désespérément contre luila position idéale.

 —  Pour exécuter ce genre d’exercice, il faut être deux. La participation de Luke à une séance de préparation à l’accouchement étaittout à la fois rassurante et très embarrassante.

 — Je pourrais trouver un autre partenaire. Vous avez sans doute beaucoupmieux à faire que… 

 — Taisez-vous et respirez !

Ce soudain accès d’autorité l’amusa. Elle éclata de rire.  — Vous aimez bien jouer au chef, n’est-ce pas ? — Je suis né pour commander. Maintenant, assez de bavardages ! Respirez,puisqu’on vous le dit ! Docile, Anita s’appliqua pendant quelques minutes à inspirer et à expirer, selonles conseils maintes fois répétés de l’infirmière, une petite femme débordanted’énergie et d’enthousiasme qui avait fait son entrée ce jour -là en chantant àtue-tête le dernier tube à la mode. Ensuite, elle s’était lancée dans le récitdétaillé de ses cinq accouchements. Des moments inoubliables où, à l’en

croire tout au moins, le bonheur de la naissance réduisait à rien la douleur.Six couples assistaient régulièrement à ses cours. Infatigable, elle tourbillonnaitentre chacun d’eux, prodiguant ses recommandations et grondant gentimentles mauvais élèves.

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 —  Steve et Barbara, vous n’aurez pas les félicitations du jury, aujourd’hui ! Le duo ainsi épinglé se trouvait à proximité de Luke et Anita. Recroquevilléedans les bras d’un mari apparemment excédé, la jeune femme avait cessél’exercice depuis une bonne dizaine de minutes.

 —  Vous n’êtes pas là pour vous reposer ! s’indigna Jan.  —  Je n’y arrive pas, gémit Barbara. Puis elle fit une horrible grimace et se tordit de douleur.

 —  Je… je crois que je vais accoucher ! L’infirmière s’accroupit auprès d’elle, posa une main experte sur son ventre etsecoua la tête.

 —  Ce n’est pas pour tout de suite, mon cœur. Quand le travail commencerapour de bon, vous le saurez, croyez-moi !

 — Je vais avoir très mal, se plaignit encore Barbara. A quel moment me fera-ton une piqûre ?

 — Une piqûre ? Elle sera inutile si vous respirez bien.

 —  J’ai demandé une péridurale et je l’aurai ! Le ton n’admettait guère de réplique. Jan haussa tranquillement les épaules. 

 — La décision vous appartient. En attendant, respirez ! Cela peut toujours servir.Sur ces mots, elle se releva et s’approcha d’Anita. 

 —  Comme vous devez être heureux, tous les deux, à l’approche de cettenaissance !

 —  Euh… non, enfin ce n’est pas exactement…  — Nous sommes très heureux, coupa Luke avec autorité.Anita le dévisagea sans comprendre. A quoi jouait il, exactement ? S’il

persistait dans cette voie, la ville entière croirait bientôt qu’il était le père del’enfant. 

 — Alors, reprit Jan, vous êtes-vous trouvé un point à fixer dans la salle ? — Non, pas encore. Rien n’attire vraiment mon regard.  —  J’ai la solution ! dit l’infirmière en souriant. Un truc infaillible ! Elle demanda à Luke de prendre place en face d’Anita. 

 — Fixez votre mari et ne le lâchez pas des yeux une seconde ! —  Euh… d’accord… 

Anita s’exécuta. Après tout, elle avait connu des punitions plus désagréables. —  Et maintenant, reprenez l’exercice ! La recette de Jan était miraculeuse. Anita concentra sans mal son regard sur les pupilles de son partenaire. Toutefois, dans le même temps, son esprit se mità vagabonder très loin de l’hôpital et des pensées bien peu raisonnablestroublèrent sa belle application.La voix de Jan lui parvenait comme dans un rêve.

 — Doucement, Anita ! Si vous continuez à respirer ainsi, vous allez accoucher sur votre tapis ! Détendez-vous, ma grande. Ce n’est pas une course contre la

montre !Anita rougit en reprenant contact avec la réalité.

 —  Je… je n’y arrive pas. Je devrais fixer autre chose. Un point plus neutre, jecrois… 

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 —  J’ai une idée ! s’exclama Luke en fouillant dans sa poche.Il en extirpa un petit objet rond en plastique qu’il glissa dans la main d’Anita. 

 —  Vous l’avez gardée ? C’était une montre à l’effigie d’un personnage de dessin animé, Elmer lechasseur. A la place des traditionnelles aiguilles, deux minces fusilsparcouraient le cadran.

 —  Evidemment ! Puisque c’est vous qui me l’avez offerte !

Anita se transporta instantanément dans le passé. Le lendemain de leur étreinte mémorable dans le bureau de Los Angeles, Luke fêtait sonanniversaire.

 — Mais ce n’était qu’une plaisanterie ! dit elle. Un petit cadeau pour rire. Jen’imaginais même pas que vous alliez l’utiliser. 

 —  Je l’ai gardée en souvenir.  — En souvenir ?

Anita enfonça le bouton gauche du cadran et la voix nasillarde d’Elmer se mità bredouiller : « Ne faites pp-pp pas de bruit. Je chasse des des la-lapins… » Elle éclata de rire.

 — En souvenir de quoi ? Ne me dites pas que je bégaye comme lui ! —  Pas du tout. Je l’ai gardée pour me dérider de temps en temps. Elle plaça la montre sur le haut de son ventre.

 — Ainsi, Elmer me rappellera de rire dans les moments difficiles ! —  C’est une bonne idée. Anita se courba et frotta son dos endolori. Sans qu’elle eût besoin de le

demander, Luke se replaça derrière elle et commença à lui masser la colonnevertébrale.

 — Vous êtes vraiment doué ! Cela me fait un bien fou ! — Nous formons une belle équipe, tous les deux.Anita fut parcourue d’un frisson. Luke s’exprimait comme s’ils formaient unvéritable couple. Mesurait il bien la portée de ses paroles ?

 — Très bien, mes enfants !Jan se posta au centre de la salle en tapant dans ses mains.

 — Nous allons maintenant regarder un petit film sur le miracle de la naissance. —  Je crois que je l’ai déjà vu en sixième, plaisanta un homme dans le fond.   — Détrompez-vous, Arnold ! Il est assez différent de ce que vos professeurs ontpu vous montrer au collège.Elle mit le magnétoscope en marche, avant de s’écarter et d’éteindre lalumière. Des images de femmes grimaçant de douleur, le son inquiétant deleurs cris et le visage pâlot des futurs papas envahirent la salle jusque-làpaisible de l’hôpital. En couleur. Et en stéréo. 

 — Oh ! mon Dieu ! gloussa Anita en portant une main à sa bouche. Le sujet

était abordé bien différemment en sixième ! —  C’est certain. Ce reportage ne laisse guère de place à l’imagination ! La voix de Luke trahissait un mélange de surprise et d’angoisse. 

 — Un reportage ? reprit Anita. Vous êtes sûr que ce ne sont pas des

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comédiennes, à l’écran ? Appuyée contre le mur, un sourire béat aux lèvres, Jan buvait du petit lait. Lesautres spectateurs donnaient plutôt l’impression d’assister à la projection d’unfilm d’horreur. 

 —  Cela se passe vraiment ainsi ? murmura Anita à l’oreille de Luke lorsque lacaméra passa au bloc opératoire. Et en plus, elles sont totalement nues ?Luke essaya d’alléger l’atmosphère. 

 —  Juste retour des choses. N’est-ce pas en se dénudant qu’elles en sontarrivées là ? La boucle est bouclée, pourrait-on dire.Elle lui pinça violemment le bras.

 — Il faut être un homme pour plaisanter sur un sujet aussi grave ! Taisez-vous ! —  Et pourquoi donc ? s’indigna-t il. Il y a un fond de vérité dans ce que je dis.Vous ne trouvez pas ?Cependant, la vidéo continuait de dérouler le processus d’un accouchement

 jusqu’au moindre détail. 

 — Oh ! par pitié ! dit elle encore en se cachant les yeux. Rien ne nous estépargné. Vous voudrez bien m’avertir quand ce passage sera terminé ? 

 —  Désolé, Anita. C’est insoutenable pour moi aussi. Elle étouffa un rire dans l’obscurité. 

 —  La naissance d’Emily ne vous a donc pas aguerri ? — Figurez-vous que j’ai manqué le meilleur à cause des embouteillages ! Mafille est venue au monde avant même que j’arrive à l’hôpital. Anita souleva prudemment une paupière.

 —  Bon, vous pouvez regarder, maintenant. Rien d’effroyable en vue, si ce n’est

quelques poitrines dénudées.Luke ouvrit grands les yeux.

 —  Voilà qui m’intéresse davantage ! Elle lui pinça le bras plus fort que la première fois.

 —  Je vous signale que vous êtes supposé n’avoir d’yeux que pour moi !  — Rassurez-vous, Anita ! Aucune autre femme ne trouve grâce à mes yeux.Comment devait elle interpréter ses paroles ? L’incongruité de la scène et leton de plaisanterie qu’il adoptait sans cesse rendaient ses sentiments

indéchiffrables.

Le film touchait à sa fin. L’épilogue montrait un couple heureux et un bébégazouillant. Puis, accompagné d’un bouleversant concerto pour violon etorchestre, un vol d’hirondelles disparaissait dans un somptueux coucher desoleil.Jan se tamponna les yeux.

 —  C’est tellement beau que j’en pleure chaque fois !Manifestement, Barbara ne partageait pas son émotion.

 —  Moi, j’exige une péridurale et un accouchement en petit comité dans unechambre calme. Je ne suis pas une bête de foire.

 —  Dommage ! ironisa Steve. J’espérais tant que la mise au monde de notrerejeton serait filmée pour le journal télévisé de Mercy !

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N’appréciant pas du tout son humour, sa femme lui lança un regard assassin. Ilse décomposa et, penaud, se remit très vite à lui masser le dos.Jan conclut la séance par un énième chapitre sur les techniques respiratoirespuis, lentement, les futurs parents se dirigèrent vers la sortie.

 —  A la semaine prochaine, mes enfants ! D’ici là, les papas ne devront pasoublier la sacro-sainte règle de trois. Massage, respiration, vitamine B ! Prenezgrand soin des mamans, si vous voulez qu’elles soient en forme pour biendorloter vos petits bouts de chou !Anita et Luke furent les derniers à quitter la salle. Comme ils s’apprêtaient àregagner le parking, il lui prit la main pour la retenir.

 — Nous ne sommes pas si pressés. Que diriez-vous d’un bon thé et d’unepâtisserie ?

 — Une pâtisserie ?Il avait prononcé un mot magique, mais elle parut hésiter. Un nouveau tête-à-tête était il bien raisonnable ?

 — Il faut veiller à bien nourrir les futures mamans, reprit il sans lui laisser le tempsde parler. Jan a beaucoup insisté sur ce point. Je ne voudrais pas manquer àmon devoir.Anita éclata de rire.

 —  J’ignorais que les pâtisseries étaient réputées pour leur teneur en vitamines.   — Croyez-moi ! Elles constituent un apport nutritionnel très complet et tout àfait indispensable.L’invitation était tentante, mais elle ne devait pas l’accepter. La compagniede Luke agissait comme une drogue. Plus elle s’y habituait, plus il lui serait

difficile de s’en passer. Dès le lendemain, il retournerait à ses occupations.Immergé dans son travail, il redeviendrait distant et très peu disponible. Pour s’épargner des regrets, il fallait savoir dire non à la gourmandise. 

 — Je vous emmène dans le meilleur salon de thé de la ville, insista-il encore. Ony sert une tarte aux pommes réputée dans toute la région. Marge, lapropriétaire, la prépare elle-même. Pas d’ingrédients en conserve, ni deproduits surgelés.

 — Une pâte artisanale ?

 — Vous ne trouverez pas plus authentique.La tentation était trop forte. Après tout, qu’y avait il de plus anodin qu’unmoment partagé dans un salon de thé ?Une demi-heure plus tard, ils se trouvaient attablés dans l’un des meilleursétablissements de Mercy.

 —  Mangez, c’est un ordre ! s’exclama Luke en lui indiquant son assiette. Vousêtes bien trop belle pour vous imposer des privations.Anita secoua doucement la tête.

 —  Vous ne voyez pas que j’ai au moins cinq kilos de trop ? 

 —  C’est pour une bonne cause. Il se retint de lui dire que ses rondeurs avaient adouci son apparence, larendant plus séduisante encore.

 —  Luke, je vous remercie beaucoup de m’avoir accompagnée à cette

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séance. Mais je n’abuserai pas de votre gentillesse. A l’avenir, j’irai seule.  — Je tiens à vous aider, Anita.Elle laissa échapper un soupir.

 —  Notre relation est en train de devenir… comment dire ? Un peu tropcompliquée… 

 — Oui, vous avez raison.Depuis le jour où Anita avait resurgi dans sa vie Luke savait que, tôt ou tard, ildevrait regarder la vérité en face. Ces derniers mois, elle n’avait cesséd’obséder ses pensées et l’émotion qu’il éprouvait en sa présence aujourd’huimettait cruellement en évidence la superficialité des sentiments qu’il avaitéprouvés pour Mary. Son mariage avait été une mascarade ; il n’avait jamaisété amoureux de sa femme. Nul ne le savait et, pour le bien d’Emily, il devaitgarder pour lui son lourd secret.

 — Vous avez raison, répéta-t il comme pour s’en convaincre. D’autant quevous… 

Il désigna maladroitement son ventre. —  Oui ? l’encouragea Anita.  —  Eh bien, vous portez l’enfant d’un autre homme. Il se coupa un morceau de tarte, mais le laissa dans l’assiette. 

 — Vous devriez peut-être éclaircir la situation avec le père. Il… Pardonnez-moi !Je n’ai pas le droit de m’immiscer dans votre vie privée.Anita avala sans s’émouvoir une gorgée de thé. 

 —  Eclaircir la situation avec le père ? C’est tout à fait impossible. 

 —  Ne soyez pas aussi catégorique, Anita ! J’ignore ce que cet homme a puvous faire, mais… Un enfant a besoin de ses deux parents. S’il y avait juste unepetite chance, même la plus mince, pour que… 

 — Croyez-moi, il n’y en a aucune ! Embarrassée, elle détourna le regard.

 —  Il n’est même pas au courant, ajouta-t elle.Luke ne s’attendait pas à semblable révélation. 

 — Vous ne lui avez rien dit ?

 —  C’est que… En fait, je me suis adressée à une banque.  — Je ne comprends pas. Vous sortiez avec un guichetier ?Elle laissa échapper un petit rire nerveux.

 —  Vous n’y êtes pas. Il ne s’agit pas d’un établissement financier. Désireuse de mettre fin au quiproquo, Anita se décida enfin à lui dire la vérité.

 — Eh bien voilà : je me suis adressée à la banque du sperme de Los Angeles.Vous savez, ce genre d’endroit où l’on donne de l’argent en échange d’unbébé.

 —  Vous… vous… 

Luke ne pouvait se résoudre à croire ce qu’il venait d’entendre.  —  Vous avez payé pour avoir un bébé toute seule ? Mais qu’est devenu votrefiancé ?Il se souvenait trop bien de la jalousie mêlée de résignation qui le rongeait au

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moment de son départ. — Nicolas ? Oh ! une malheureuse erreur de jeunesse ! Le jour où je lui ai parléde mon désir d’enfant, il a rompu. Sans l’ombre d’une explication. Son visage affichait une amertume bien peu habituelle.

 —  C’est ma faute. J’aurais dû me méfier. Compter sur les autres pour vousrendre heureux conduit inévitablement aux désillusions.

 —  Ce n’est pas toujours vrai…  — Bien sûr que si ! coupa-t elle d’un ton définitif. Luke reposa sa fourchette.

 —  Alors, vous vous êtes mis en tête de devenir une mère célibataire… Par dépit?

 —  C’est une façon de voir les choses. — Cette décision me paraît terriblement égoïste.Anita se rembrunit un peu plus.

 —  J’apprécie votre sollicitude, Luke, mais je vous en prie, épargnez-moi une

leçon de morale ! —  Je… pardonnez-moi. C’est juste que… Il exhala un profond soupir.

 —  Je sais aujourd’hui combien il est difficile d’élever seul un enfant. Et j’ai peineà comprendre que cela puisse être un choix délibéré.

 —  Mon plus cher désir était de fonder une famille. Malheureusement, je n’aipas rencontré le prince charmant.Elle haussa doucement les épaules.

 —  Après mûre réflexion, l’insémination artificielle m’est apparue comme la

solution la plus simple. —  Et aujourd’hui, vous ne regrettez pas cette décision ? Anita se sentit brusquement lasse.

 —  Aujourd’hui, j’ai faim ! Soyez gentil, et laissez-moi manger en paix !Elle avala une généreuse portion de tarte et pointa sa fourchette en directionde Luke pour appuyer ses dires.

 — Sachez tout de même que je suis très heureuse ! Parfaitement comblée.Il la dévisagea d’un air sceptique. 

 — Cet enfant grandira sans père. —  Et alors ? J’ai bien grandi sans père, moi aussi. Je ne suis pas devenue unetueuse en série pour autant.Elle repoussa son assiette.

 —  Ecoutez, Luke ! Une famille avec deux parents est un schéma idéal. J’en suistout à fait consciente, et je n’essayerai pas de vous prouver le contraire.Simplement, puisque la vie ne m’a pas donné cette chance, j’ai fait un autrechoix. Et je ne vois pas ce qui pourrait m’empêcher de vivre heureuse avecmon enfant, mon travail à domicile et mon amie la souris. Qui a dit que les

contes de fées sans prince charmant n’existaient pas ? Là-dessus, pour clore le chapitre, elle lui adressa le sourire charmeur qu’ilconnaissait si bien.

 — Anita, insista-t il encore, la vie avec un enfant n’est pas aussi simple. Vous… 

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 —  Ne dites pas un mot de plus ! J’aime passionnément ce bébé, et il n’estmême pas encore né. Ce choix a transformé mon existence. Je n’éprouveaucun doute, aucune peur, ni aucun regret.

Elle posa les deux mains sur son ventre et son v isage s’illumina.  — Ce bébé et moi, nous sommes déjà les plus heureux du monde.Luke détourna le regard. Anita se trompait, il en était persuadé. Elle n’avait pasla moindre idée des difficultés qui l’attendaient, mais comment lui faireentendre raison ? Comment lui expliquer que chaque décision concernant sonbébé se transformerait bientôt en une source de doute intarissable, et que lepoids d’une telle responsabilité se révélerait beaucoup trop lourd à assumer dans la solitude ? D’ailleurs, il était mal placé pour lui donner des leçons. Queconnaissait il lui-même de l’éducation d’un enfant, avant la disparition deMary ?Il ne lui restait qu’une chose à faire. Sans crier gare, il écarta son assiette et lui

prit les deux mains. Anita et son bébé auraient besoin de lui dans un procheavenir.

 — Epousez-moi, Anita !

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Anita ne cessait de revivre mentalement les événements de la veille. Laproposition de Luke l’avait plongée dans le plus grand désarroi.

Sans un mot, elle avait quitté le salon de thé, abandonnant derrière elle tarteaux pommes et demande en mariage. De retour au domicile de la familleDole, elle avait rassemblé ses affaires, bien déterminée à retourner chez elle,quelle que fût l’avancée des réparations de sa maison.Elle avait besoin de trouver refuge dans un endroit solitaire et propice à laréflexion. Persuadé qu’elle ne pourrait affronter seule son statut de mèrecélibataire, Luke lui avait proposé de devenir sa femme. Elle n’avait que faired’une démonstration de chevalerie inspirée par la pitié. 

 — Balayez encore un peu plus fort, et on pourra voir à travers les lattes de cepauvre perron !Anita releva la tête. Une jeune femme, à peine plus âgée qu’elle, avançaitdans sa direction. Elle était précédée d’une poussette double, dans laquelledeux bambins joufflus mâchouillaient des bananes.

 —  Je suis Katie Webster, la sœur de Luke. Son visage souriant était très amical. Ses cheveux châtains étaient remontés enune épaisse queue-de-cheval, et elle portait un jean et un T-shirt rose.

 —  Bonjour ! s’exclama Anita. 

Elle posa son balai et s’approcha pour contempler les frimousses barbouilléesdes deux enfants.

 — Ils sont superbes ! Comme je vous envie ! — Ils ne me laissent pas une minute de paix, mais je les adore, répondit Katie.

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Je vous présente Gracie et Eddie.L’un des jumeaux essaya d’agripper le nez d’Anita. Comme elle lui répondaitpar une chatouille sur la poitrine, il laissa échapper un adorable éclat de rire.

 — Ils sont tellement charmants que j’en oublie les bonnes manières ! Elle se redressa et tendit la main à la jeune maman.

 — Anita Ricardo. — Je sais. En ville, on ne parle plus que de vous. — Vraiment ? — Oh ! vous finirez par vous y habituer ! A Mercy, les gens sont toujours à l’affûtde nouveaux sujets de conversation. En ce moment, la rumeur porte sur vouset sur mon frère.

 —  Mais il n’y a rien entre nous ! se défendit Anita.  — Croyez-moi, ce n’est pas ce qu’on entend dans le salon de coiffure ! Lesbraves commères de notre petite communauté vous ont déjà mariés.Anita sentit son estomac se nouer.

 —  Je pensais que la vie ici serait plus…  — Tranquille ? —  Eh bien oui… Ayant terminé sa banane, la petite arracha l’autre des mains de son frère quise mit à hurler.

 —  Gracie, tu n’es pas gentille !Katie se baissa, partagea le fruit et en rendit une moitié au garçon qui n’en fitqu’une bouchée. Elle se releva et agita la main à la manière d’un éventail. 

 —  Quelle chaleur aujourd’hui ! C’est épuisant !  — Voulez-vous entrer un instant ? proposa Anita. Il fait plus frais à l’intérieur. Katie jeta un coup d’œil aux jumeaux qui se disputaient maintenant une vieillepeluche.

 —  J’espère que vous n’avez chez vous aucun objet de valeur, ni rien de tropfragile.

 —  N’ayez crainte ! répondit Anita avec un sourire. Ma pauvre maison est dansun tel état qu’elle ne risque plus rien. 

 — Vous ne les connaissez pas encore. On les a baptisés « les deux terreurs deMercy ». J’ai un peu honte, mais je dois dire qu’ils ne l’ont pas volé. Elle se pencha pour attraper des sacs rangés sous la poussette et les tendit àAnita.

 —  Prenez cela, moi je m’occupe des enfants ! Je vous ai apporté quelquesvêtements pour bébé, un paquet de couches et des hochets. Matt, mon mari,viendra plus tard avec un siège à bascule et une table à langer.Anita était un peu embarrassée.

 —  Comment vous remercier ? Je n’ai pas encore eu le temps d’acheter 

grand-chose. Vous êtes bien sûre que tous ces accessoires ne vous feront pasdéfaut ?

 — Vous plaisantez ?Katie fouilla dans son vanity case et en sortit la réplique du jouet que les

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 jumeaux se disputaient. Elle le tendit à Gracie, ce qui interrompit aussitôt lespiaillements.

 —  Matt rêve d’avoir cinq enfants, mais moi, très franchement, j’ai assez à faireavec ces deux-là ! Ils n’ont que deux ans et… Gracie, je t’ai déjà dit de ne paséborgner ton frère ! Les hommes ne se rendent pas compte. C’est tellementplus facile de travailler à l’extérieur que de rester à la maison pour… Eddie,arrête de manger les cheveux de ta sœur ! Excédée, la jeune maman poussa un long soupir. Anita vint à son secours.

 — Vous aimez les gâteaux, les enfants ?Elle avait prononcé le mot magique. Les chamailleries s’arrêtèrent net et deuxpetites paires de mains potelées se tendirent dans sa direction. Katie défit lesceintures de la poussette et les deux phénomènes se ruèrent sur les marchesdu perron.

 —  La cuisine est sens dessus dessous, s’excusa Anita en invitant Katie à la suivre.

J’espère que vous n’allez pas vous formaliser. Les travaux d’électricité étaient en cours et de longues saignées couraientencore le long des murs. Une plaque chargée de biscuits refroidissait près dufour.

 — Je vais en donner aux petits. Cela les occupera un moment. —  J’admire votre courage ! s’exclama Katie en s’épongeant le front. Se lancer dans la pâtisserie avec cette canicule… A moins que vous ne cherchiez desaines occupations pour vous sortir de la tête mon grand bêta de frère ?Gênée, Anita lui tourna le dos et s’affaira à remplir une carafe de glaçons. Elle

avait passé la nuit à tricoter des chaussons et astiquait sa maison depuisl’aube. 

 — Mon frère est un crétin. A-t on déjà vu demande en mariage plus maladroite?Plus pâle que le marbre, Anita vint s’asseoir près de sa visiteuse. 

 — Comment ? Vous êtes au courant de sa proposition ?Katie eut un petit rire espiègle.

 — Dans notre famille, il est impossible de garder un secret. Si vous devez en

faire partie un jour, autant que vous le sachiez tout de suite !Anita secoua négativement la tête. —  Je suis venue m’installer à Mercy pour construire ma vie toute seule. Je n’aibesoin de personne pour élever mon enfant. Je n’ai pas l’intention d’épouser Luke, ni d’entrer dans votre famille. Les mots lui avaient échappé un peu trop brutalement. Elle chercha tout desuite à s’excuser. 

 — Pardonnez-moi, je ne voulais pas…  —  Il n’y a pas de mal. Je vous comprends parfaitement. Mais je… 

Elle s’interrompit pour lancer un avertissement à sa progéniture trop bruyante.  — Arrêtez un peu, tous les deux ! Vous commencez à nous casser les oreilles !Anita se leva pour leur offrir d’autres gâteaux. 

 —  J’aime beaucoup votre famille, reprit elle en rejoignant Katie près de la

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table. Mais je tiens par-dessus tout à ma solitude et à ma tranquillité. — Je vois. Vous êtes sans doute marquée par une enfance agitée, des frères etsœurs un peu trop tyranniques ? 

 —  Euh… non, je suis fille unique. Je n’ai jamais connu mon père et ma mère estmorte quand j’avais dix ans. Ensuite, j’ai été placée dans des famillesd’accueil. Katie semblait horrifiée par de telles révélations.

 — Je suis désolée. Vous avez dû souffrir le martyre ! —  Ce n’était pas si terrible. Je m’en suis bien sortie. Anita n’aimait guère s’attarder sur les épreuves de son passé, et elle détestaitpar-dessus tout susciter la compassion ou la pitié.

 — Donnez-moi plutôt des nouvelles d’Emily ! demanda-t elle. Comment va mapetite protégée ?Katie lui sourit avec compréhension et accepta bien volontiers de changer desujet.

 — Elle se porte à merveille et fait des prouesses au collège. Par contre, à lamaison, c’est bien différent. Elle rend son père directement responsable devotre départ et ne lui adresse plus la parole.

 —  Il faudrait que je lui parle. Que je lui explique ce qui…  — Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Mon frère est un type génial,mais pour ce qui est de communiquer, il est à peu près aussi doué qu’ungorille. Il faudra bien qu’il apprenne un jour à résoudre ses problèmes avec safille.Un cri aigu s’éleva dans le fond de la pièce. 

 —  Méchante, Gracie ! Elle m’a tapé… Katie leva les yeux au ciel.

 — Vous voyez un peu ce qui vous attend ? En toute franchise, je les aimebeaucoup, mais j’ai tendance à les préférer quand ils dorment. Les deux enfants de Katie avaient le teint mat et les mèches brunes de leurscheveux frisottaient le long de leurs joues rebondies. Anita se demanda si sonbébé lui ressemblerait ou s’il hériterait des traits de l’inconnu qui avaitcontribué à sa conception.

 —  Tenez, j’y pense ! reprit la sœur de Luke. Mercredi soir, il y a une séance decinéma en plein air. Tous les mois, la municipalité organise une projection.Chacun apporte sa couverture et son pique-nique. Vous voulez venir avecnous ? Matt serait ravi de faire votre connaissance.

 —  Un peu de distraction me fera le plus grand bien, répondit Anita. J’accepteavec plaisir.

 — Super ! Nous viendrons vous chercher vers 19 heures. Un conseil : munissez-vous de vos délicieux biscuits, et vous serez immédiatement dans les petitspapiers de Matt !

 — Marché conclu !Katie se leva pour prendre congé.

 — Je dois rentrer, maintenant. Si les jumeaux ne font pas une petite sieste dansl’après-midi, ils sont insupportables au moment du dîner.

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Elle réprima un bâillement. —  A vrai dire, c’est sans doute moi qui aurais le plus besoin de dormir ! Elles ne furent pas trop de deux pour installer dans leur poussette les deuxbambins récalcitrants.

 —  J’ai été très heureuse de vous rencontrer, dit Anita. Et je vous remercieencore pour les affaires de bébé.Katie posa une main amicale sur son épaule.

 —  L’avenir nous dira comment évolue votre relation avec Luke. Quoi qu’il ensoit, vous faites partie de la famille, désormais. Emily, ma mère et moi vousavons déjà adoptée.Sans lui laisser le temps de répondre, elle lui adressa un clin d’œil complice etl’énorme poussette s’ébranla le long du trottoir.Restée seule, Anita regarda Katie et ses enfants s’éloigner en songeant qu’il luiserait impossible d’éviter l’entourage de Luke si elle décidait de rester à Mercy. 

 — Alors, frangin, comment avance ce logiciel ?

La communication téléphonique entre la Californie et l’Indiana restituait avecnetteté la voix de Mark.Deux jours s’étaient écoulés depuis le départ précipité d’Anita, et le travail deLuke n’avançait pas. 

 —  C’est bien la première fois que tu es en retard ! reprit Mark. Que se passe-t il?Les épaules de Luke s’affaissèrent un peu plus. 

 —  J’ai… hum… j’ai eu un petit contretemps.  —  Il ne s’agirait pas d’Anita, par hasard ? 

Luke fronça les sourcils. — Comment es-tu au courant ?A l’autre bout de la ligne, Mark pouffa. 

 — Le circuit habituel ! Maman en parlé à Katie, qui en parlé à Claire, qui m’ena parlé. J’ai été content de l’apprendre. Après ce que tu as enduré, tu méritesbien une part de bonheur.

 —  Ce n’est pas le mot le plus approprié pour décrire ce que j’éprouve en cemoment.

En vérité, la disparition d’Anita l’avait anéanti.  — Regarde le bon côté des choses ! Le verre est à moitié plein et non à moitiévide.

 —  Ce n’est pas aussi simple, soupira Luke. Anita est enceinte.  —  Oui, je sais. Et tu n’es pas… Mark s’interrompit. 

 — Non, ce bébé n’est pas de moi. Son père est un donneur anonyme. Anitavoulait un enfant, alors elle n’a rien trouvé de mieux que de faire appel à labanque du sperme de Los Angeles.

Mark éclata de rire de nouveau. —  Je la reconnais bien là ! C’est une femme tellement volontaire, tellementdéterminée. Je suis heureux pour elle.

 —  Heureux pour elle ? Elle est enceinte, toute seule, sans travail et… 

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 —  Tu ne dois pas avoir peur, Luke. Anita est très différente de Mary. L’histoiren’est pas en train de se répéter. Luke avala péniblement sa salive.

 —  Tu… tu es au courant pour ça aussi ?  — Je suis ton jumeau. Je sais tout. —  Mais… comment ?  —  Il y a bien longtemps que j’ai recollé les éléments du puzzle, frangin. Cen’était pas très compliqué. 

 —  Ah… Luke était blême. Lui qui pensait être le seul à connaître son secret ! Lorsqu’ilavait décidé de l’épouser, Mary était enceinte d’un autre homme ; Emilyn’était pas sa fille. 

 — En as-tu déjà parlé à quelqu’un ? demanda-t il avec angoisse. —  Non. Ce n’est pas à moi de le faire. C’est de ta vie qu’il s’agit.   — Emily ne sait rien.

 —  Et c’est une bonne chose, selon toi ?  —  A l’époque, Mary et moi avions pensé que c’était la meilleure décision, maisaujourd’hui… Il exhala un soupir douloureux.

 — Je ne sais pas. Elle est très jeune encore, et puis elle a suffisamment souffertces derniers temps.

 — Il faudra bien que tu acceptes de la voir grandir. Tu dois aussi tourner lapage, Luke, recommencer à vivre pour toi également.

 —  C’est exactement ce que je fais. 

 —  Mouais…  — Comment ça, mouais ? — Rien. Juste mouais. —  C’est bien ce que je pensais. Luke saisit son bloc-notes et retrouva les éléments de sa dernière conversationavec Mark.

 —  Bon, revenons à notre logiciel ! J’avais justement quelques questions à teposer.

Un bref silence se fit sur la ligne. —  Tu tiens vraiment à parler travail, aujourd’hui ?  —  Ce n’était pas le motif de ton appel ?  — Non. Je voulais prendre de tes nouvelles.

 —  Eh bien, voilà qui est fait ! J’ai besoin de quelques précisions sur l’entreprisede notre client pour affiner mon programme.Mark ne se laissa pas décourager aussi facilement.

 —  D’accord, je te les donne. Mais à une condition. 

 — Laquelle ? —  Que tu ne t’immerges pas dans ce projet au point d’oublier la ravissantebrunette qui habite à deux pas de chez toi. Anita est une femmeexceptionnelle. Ne fais pas l’erreur de passer à côté ! 

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 —  Mark…  —  Oh ! je sais que tu ne t’attendais pas à ce genre de discours de ma part ! Luke étouffa un rire.

 —  C’est que, il n’y a pas si longtemps, tu étais encore un célibataire endurci. — Ma rencontre avec Claire a transformé ma vie. Je vous ai bien observés,Anita et toi, à Los Angeles. Il y a quelque chose de spécial entre vous, c’estévident. Quelque chose qui n’arrive pas tous les jours. Tu dois saisir ta chance,Luke !

 —  Le problème, c’est qu’elle me déteste, maintenant.  —  Mais non, elle ne te déteste pas. Elle a été froissée par ta maladresse, c’esttout. Il suffirait que tu lui fasses un peu la cour… 

 — Tu voudrais que je lui envoie des fleurs ? Que je lui joue une sérénade avecmon harmonica ?Cette fois, Mark rit de bon cœur. 

 —  Je ne suis pas sûr, pour l’harmonica. 

 — Pardonne-moi, je n’ai pas ton expérience de don Juan !  — Laisse-toi guider par ton intuition ! Tu verras, c’est très simple. Luke se cala avec détermination contre le dossier de sa chaise.

 — Bon, et si nous revenions à ce logiciel, maintenant ?Pendant plus d’une heure, les deux frères se concentrèrent sur leur travail,débattant des exigences de leur client et de la manière dont Luke pourrait lestraduire en langage informatique. Il s’engagea à fournir une première versiondu programme d’ici à la fin de la semaine, raccrocha et se mit aussitôt àl’ouvrage. Cependant, son esprit était ailleurs et l’inspiration s’obstinait à le fuir.

Sa place était auprès d’Anita, cela ne faisait plus aucun doute pour lui.Comment avait il pu agir avec si peu de tact ?Il ne la blâmait pas d’avoir fui aussi précipitamment leur dernier tête-à-tête. Labrutalité et les raisons de sa demande en mariage avaient dû lui paraître bienétranges. Depuis, il avait réfléchi. Sa motivation ne se résumait pas à l’urgencede donner un père au bébé d’Anita. Au fil des années, la nature dessentiments qu’il nourrissait à son égard avait profondément changé. Gagné par une fièvre soudaine, il se leva, repoussa sa chaise et se précipita

dans la cuisine. Arrivé près de l’évier, il se servit un verre d’eau qu’il oublia deboire. Tandis que son regard vagabondait au-dehors, sur l’étendue verte du jardin, les paroles de Mark lui revinrent à la mémoire.« Il y a quelque chose de spécial entre vous, c’est évident. Quelque chose quin’arrive pas tous les jours. Tu dois saisir ta chance, Luke ! » Soudain, tout se mit en place dans son esprit.

 — Quelle guigne ! pesta-t il. Voilà que je suis tombé amoureux !Maintenant, il ne lui restait qu’à trouver comment se sortir de ce guêpier. 

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 —  Inspirez !… Expirez !… 

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Inlassablement, Jan s’appliquait à communiquer son énergie aux futuresmamans.

 — Apprenez à vous détendre ! Faites appel à votre imagination, et pensez àl’endroit paradisiaque où vous aimeriez vous trouver en ce moment ! 

 —  Un Jacuzzi ! s’exclama Anita. Avec une margarita bien frappée ! L’infirmière fronça sévèrement les sourcils. 

 —  L’alcool et la grossesse ne font pas bon ménage, chère madame.Anita essayait de trouver sur le sol une position confortable, mais les coussinsdont elle s’était entourée n’avaient rien de comparable avec les épauleslarges et rassurantes de Luke.Lorsque Jan se dirigea vers le magnétoscope, une nouvelle cassette à la main,la classe entière poussa des cris de protestation.

 —  Je vois que j’arrive à point pour la suite de notre feuilleton préféré, ditsoudain une voix grave et familière.Anita sursauta.

 — Luke ? Mais que faites-vous ici ? —  Chère amie, vous saurez que l’on ne se débarrasse pas de moi aussifacilement. Je suis votre partenaire pour ce cours, et j’entends mener à bienma mission.

 —  Mais…  — Rien du tout ! Je ne vais pas revenir sur mon engagement sous prétexte quenous avons eu un petit désaccord.

 — Un petit désaccord ? répéta-t elle, incrédule.Depuis une semaine, elle ne répondait pas au téléphone et laissait sans

réponse les somptueux bouquets qu’il lui faisait livrer par Katie. Comme elle s’apprêtait à lui répondre, il posa une main sur sa bouche.

 — Ne dites rien et concentrez-vous sur la vidéo ! Personnellement, je suisimpatient de voir ce que nous réserve ce nouvel épisode.

 —  Eh bien, pas moi ! S’il est aussi effrayant que le précédent…  — Chut ! Cette fois, j’ai l’intention de prendre des notes. Elles pourraient serévéler très utiles pour la suite des événements.Anita secoua désespérément la tête.

 — Luke, arrêtez, je vous en prie ! Je croyais avoir été suffisamment claire. Je nevous épouserai pas. Comment dois- je vous le dire ? Je n’ai pas besoin d’unchevalier servant.

 —  Oui, ça je le sais. Et mon intention n’est pas de voler au secours de la mèreet de l’orphelin. Il approcha doucement ses lèvres de son oreille.

 — Je cherche juste à vous séduire, murmura-t il.Cette fois, elle manqua de s’étouffer. 

 — Me séduire ?

 — Exactement, miss Ricardo ! Vous faire tourner la tête ! Vous rendre folleamoureuse !Jan avait baissé la lumière. Le générique du film apparaissait à l’écran. Dans lapénombre, Anita put dissimuler son trouble et la rougeur de ses joues.

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Depuis des jours et des nuits, elle s’efforçait de chasser Luke de ses penséespour l’exclure définitivement de sa vie. Quelques minutes avaient suffi pour réduire à néant tous ses efforts.Sans lui laisser le temps de prévenir son geste, il l’attira contre son épaule.Presque aussitôt, une vague de bien-être la submergea et elle oublia pour uninstant le conflit que se livraient son cœur et sa raison. Le film que Jan avait choisi de leur montrer était un documentaire inoffensif ettrès pédagogique sur les premiers soins à apporter aux nouveau-nés. Une fois laprojection terminée, l’infirmière aborda un nouveau chapitre. 

 —  Le sujet dont je vais vous parler maintenant s’adresse tout particulièrement àvous, messieurs. Voyez-vous, il est essentiel que vous appreniez à anticiper lesbesoins de vos épouses. En salle d’accouchement, la communication nepasse pas toujours par les mots.Elle invita les futurs papas à s’asseoir face à leur compagne et à lui prendre lamain.

 — Regardez celle que vous aimez droit dans les yeux et essayez de lire dans sespensées !Anita fut obligée comme les autres de se prêter à un jeu qui pour elleprésentait mille dangers. Comment lutter, en pareilles circonstances, contrel’attirance grandissante qu’elle éprouvait pour Luke ? 

 — Maintenant, dites à haute voix ce que vous avez deviné !Une timide rumeur s’éleva dans la salle. 

 — Vous me désirez, murmura Luke. Mais vous avez peur.Elle eut un petit rire nerveux.

 —  J’ai follement envie d’une glace au chocolat, certainement pas d’unhomme.

 — Ne plaisantez pas, Anita ! Je suis sérieux.Il s’approcha un peu plus.

 —  La mort de Mary m’a enseigné une chose : la vie est courte. Il ne faut paslaisser passer sa chance par crainte de souffrir.

 — Je n’ai pas peur.  —  Alors pourquoi m’évitez vous, depuis une semaine ? 

 —  J’ai confié un mot pour vous à Katie. Vos fleurs étaient magnifiques.  —  Je n’ai que faire d’un message apporté par ma sœur. Je veux vous voir.   — Eh bien, vous me voyez maintenant ! Et vous êtes censé lire dans mespensées.

 — Ce que je réussis très bien, il me semble.Elle se détourna.

 — Désolée, Luke. Mais vous vous trompez sur toute la ligne.Il lui saisit l’épaule, l’obligeant à lui faire face de nouveau. 

 —  Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Je ne vous intéresse pas, c’est cela ?

Fixez-moi bien dans les yeux et dites que je ne vous intéresse pas !Anita leva le regard sur son visage et s’arma de courage. 

 —  Vous ne m’intéressez pas, Luke. Malgré la peur immense que suscitaient en lui ces paroles, il parvint à rester de

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marbre. — Je ne vous crois pas, Anita. Vous arrivez peut-être à vous mentir, mais moi, jesais que vous ne dites pas la vérité.

 —  Eh bien, mes chers enfants, qu’avez-vous appris ? demanda Jan avec soninlassable enjouement.Anita fut soulagée de cette interruption. Son cœur battait si fort qu’il menaçaitd’exploser dans sa poitrine. Elle fit mine de porter toute son attention sur l’infirmière qui se déplaçait entre les couples. 

 —  Rien de très passionnant ! s’exclama Barbara depuis le fond de la salle. Jesais maintenant que mon mari a les facultés extrasensorielles d’un singe. Jerêve d’un bain moussant et d’une bonne sieste, et pendant ce temps, cerustre s’imagine que je n’aspire qu’à la bagatelle. Dans l’état où je suis, c’estbien la dernière chose que j’ai en tête ! 

 —  C’est toujours la dernière chose que tu as en tête, bougonna Steve. Depuisle jour de notre mariage… 

 — Bien, coupa Jan de sa voix chantante. Encore quelques progrès à faire,mais ne vous découragez pas, mes enfants !Puis elle se dirigea rapidement vers le couple suivant. Peu après, elle rejoignaitLuke et Anita.

 —  Et vous, qu’avez-vous appris, tous les deux ? —  Ma femme donnerait tout ce qu’elle possède pour une tablette dechocolat.Luke avait pris la parole promptement, pour épargner à Anita l’embarrasd’une réponse. 

Elle devait bien se rendre à l’évidence : il savait lire dans ses pensées mieuxque personne.D’âpres négociations avaient finalement convaincu Anita de ne pas rentrer chez elle immédiatement apr ès la séance à l’hôpital. Munis d’un gros paquetde biscuits, ils descendaient maintenant la rue principale de Mercy endirection du parc. La lumière du jour déclinait peu à peu, et la ville se faisaitsilencieuse.

 —  J’aimerais que vous me parliez un peu de vous, dit soudain Luke tout en lui

indiquant un banc où s’asseoir. Anita s’installa et finit tranquillement de manger son gâteau.  —  Luke, vous me connaissez depuis cinq ans ! Vous savez déjà tout ce qu’il y aà savoir sur mon compte.Voilà qui n’était guère encourageant ! Il essaya d’engager la conversationd’une autre façon. 

 —  J’ai bien peu travaillé ces derniers jours, vous savez. Elle resta muette.

 — Vous ne me demandez pas pourquoi ?

Anita daigna enfin tourner la tête dans sa direction. — Je vous écoute. —  Je n’arrivais pas à me concentrer. Cela ne me ressemble pas du tout. Elle fronça les sourcils et parut réfléchir longuement à la question.

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 — Effectivement, approuva-t elle d’un ton neutre. Vous n’avez pas du tout letempérament d’un rêveur. Il se pencha en avant et chercha les mots capables d’exprimer ce qu’ilressentait sans l’effrayer. 

 —  Depuis des années, j’invente des logiciels. Je passe ma vie devant monécran. L’archétype de l’informaticien solitaire, ennuyeux à mourir et bien peuattentif à son entourage. Jamais je ne m’étais torturé pendant des heures pour choisir entre des roses rouges et des orchidées.

 — Les orchidées ont gagné, apparemment. — Je les trouve plus originales.Elle entama un nouveau biscuit pour tromper sa nervosité.

 — Je les aime beaucoup, moi aussi.Un timide sourire éclaira les traits de Luke.

 —  Tant mieux ! Je l’espérais de tout mon cœur. 

Il avançait maintenant en terrain inconnu, bien loin du cadre rassurant d’unerelation de travail ou du refuge si souvent utilisé d’une conversation à proposd’Emily. 

 —  J’ai été incapable de travailler, car je n’ai cessé de penser à vous. J’aiessayé d’imaginer votre enfance, de deviner votre couleur préférée, votreanimal fétiche, la musique que vous aimez écouter… Il haussa les épaules.

 —  De petites choses, c’est vrai. Mais vous ne pouvez pas savoir l’importancequ’elles revêtent pour moi au beau milieu de la nuit quand je n’arrive pas à

trouver le sommeil.Anita s’éloigna de quelques centimètres. 

 —  Luke, je…  —  Vous n’avez qu’à commencer par le plus facile. Quelle est votre couleur préférée ?Elle se mordilla la lèvre puis accepta finalement de se prêter à son petit jeu.

 — Le rouge. —  Voilà ! Ce n’était pas si difficile, vous voyez ! Préférez-vous les chiens ou les

chats ? — Les chats. Les chiens sont un peu trop dépendants à mon goût. — Dommage, je les adore ! Mais nous pourrons sans doute trouver uncompromis.Cette fois, elle se leva et avança en direction de l’aire de jeu qui se trouvait àquelques mètres de là. Elle posa la main sur le montant d’une balançoire etpivota pour lui faire face de nouveau.

 —  Luke, redescendez sur terre, je vous en prie ! Je ne veux pas d’une relationavec vous. Comment faut il vous le dire ? Je suis venue ici pour élever 

tranquillement mon enfant. La famille idéale, ce n’est pas pour moi.  — Pourquoi ?Il la rejoignit et lui prit tendrement la main.

 —  Pourquoi refuser si obstinément le bonheur d’un foyer… 

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Elle l’interrompit par un petit rire chargé d’amertume.  — Parce que ces choses-là n’existent que dans les contes de fées !Lorsqu’elle tenta de retirer sa main, il l’en empêcha. 

 —  Que vous est il arrivé, Anita ? Qui vous a ainsi persuadée que vous n’aviezpas droit au bonheur ?Des larmes roulèrent sur sa joue, mais elle les essuya aussitôt.

 — Personne en particulier. Je ne me suis jamais bercée d’illusions, c’est tout.Dans la vie, il ne faut compter que sur soi-même.

 —  L’échec de votre relation avec Nicolas a dû vous faire beaucoup souffrir. Elle s’installa sur le siège de la balançoire et s’élança au-dessus de l’aireensablée.

 — Notre rupture a été une délivrance. Depuis le début, notre relation était uneerreur. En vérité, auprès de lui j’ai cru pouvoir oublier… Les mots moururent au fond de sa gorge.

 — Oublier qui ?

 —  C’est sans importance. Luke se transporta un instant dans le passé et se remémora la précipitationavec laquelle Anita avait organisé ses fiançailles. Et si… Il contourna la balançoire et arrêta son mouvement.

 —  Anita, je… Celui que vous cherchiez à oublier, était-ce moi ?Elle n’osa pas affronter son regard.

 —  En acceptant cette promenade, je ne pensais pas… 

Luke baissa les paupières. — Ce soir-là, dans mon bureau, je me suis comporté comme un mufle. Je vousai embrassée et puis j’ai pris peur. J’ai dit des choses que… Sa brutalité n’avait eu d’égal que son aveuglement, se dit il. 

 —  Je n’était pas prêt pour cette rencontre, Anita. Je vous ai dit de ne rienattendre de moi.

 —  Et vous m’avez annoncé votre départ de Los Angeles. Elle descendit de la balançoire et passa devant lui.

 —  C’est de l’histoire ancienne, Luke. N’en parlons plus !  — Parlons-en, au contraire !Cette fois, il était déterminé à ne pas se laisser éconduire.

 —  Les choses ont changé, Anita. Je suis différent, aujourd’hui.  — Je ne vois pas en quoi. — Peut-être n’avez-vous pas bien regardé !Anita prit sa remarque pour un reproche.

 —  Vous n’allez tout de même pas me donner des leçons ! Vous qui n’êtes pascapable d’observer les changements de votre propre fille, ni de dialoguer 

avec elle !Les épaules de Luke s’affaissèrent. Sans le vouloir, elle avait atteint son point leplus sensible. Un tourment qu’il n’avait jamais partagé avec personne. Il avança jusqu’au toboggan et passa les doigts sur le métal lisse. 

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 — Il y a certaines choses que vous ignorez, Anita. —  Ce n’est pas une réponse. Vous battez en retraite, comme toujours. Luke,notre relation n’a aucun avenir. Sans lui laisser le temps de s’expliquer, elle lui posa le sac de biscuits dans lesmains, lui appliqua un baiser amical sur la joue et tourna les talons.

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 —  La soirée s’annonce difficile, soupira Matt Webster. Il paraissait épuisé d’avance. L’un des jumeaux se tortillait en grognant sur sesgenoux. L’autre venait de s’échapper, obligeant Katie à se lancer unenouvelle fois à ses trousses.

 —  Je suis sûr que ce film ne les intéressera pas. Il n’y a que les dessins animésavec de gros chiens bleus et des éléphants roses pour retenir leur attention.

Anita sourit avec indulgence. — Ils sont encore très jeunes, observa-t elle. Et leur énergie est la preuve de leur bonne santé.

 — Vous avez raison. Mais je vous conseille de prendre des forces avant lanaissance de votre bébé. Croyez-moi, vous en aurez besoin !Elle s’assit avec précaution sur la couverture et se cala contre les coussinsqu’elle avait apportés. Des dizaines de familles étaient ainsi installées sur lapelouse du parc, devant l’écran géant monté à proximité de l’entréeprincipale. Des effluves sucrées de pop-corn flottaient dans l’atmosphère. 

Si elle affichait une humeur détendue et joyeuse, Anita n’avait pas le cœur àla fête. Le souvenir de sa dernière conversation avec Luke la hantait. Elleregrettait profondément les reproches qu’elle lui avait adressés au sujetd’Emily. En repoussant maladroitement ses avances, elle l’avait blessé et terni à

 jamais leur amitié. D’une main tremblante, elle essuya le coin de ses paupières.Elle ne pouvait guère se permettre de fondre en larmes au beau milieu duparc municipal de Mercy.Pendant ce temps, le pauvre Matt cherchait toujours à occuper sa

progéniture. —  Regarde, Gracie ! Ce n’est pas tonton Luken que j’aperçois là-bas ?La petite se redressa et agita joyeusement la main.

 — Tonton Wookie !Anita s’interdit de tourner la tête dans la direction indiquée par l’enfant. Il luifallait faire preuve de détachement et apprendre à maîtriser l’émotion quesuscitait toujours en elle la présence de Luke. Cependant, très vite, la curiositél’emporta sur les bonnes résolutions. A quelques mètres de là, Luke dépliait un grand plaid. Emily arborait sa mine

des mauvais jours, mais ses yeux pétillants trahissaient le plaisir que lui procuraitla soirée. Elle s’installa à distance raisonnable de son père, suffisamment loinpour manifester sa rébellion adolescente, mais pas trop tout de même pour montrer qu’elle ne le considérait pas comme son pire ennemi. 

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Déterminée à ignorer la présence de Luke, tout comme il semblait ignorer lasienne, Anita s’allongea sur le côté et détourna le regard. Il ne paraissait mêmepas l’avoir remarquée. 

 —  Arrête de frapper ton frère ! gronda Matt à l’intention de Gracie. Il ne t’arien fait.

 —  Ils n’ont pas voulu dormir, cet après-midi, soupira Katie.Elle installa le petit garçon à l’écart de sa sœur et lui tendit un verre de jus defruits qu’il s’empressa de renverser sur la belle couverture aux couleurs rouge etblanc de l’université d’Indiana. Comme un superbe papillon de nuit voletait aux alentours, Gracie s’échappa des bras de son père pour essayer de l’attraper. Eddie voulut la suivre, maiscomme sa mère refusait de le lâcher, il se mit à hurler en agitant violemmentbras et jambes pour se libérer.

 — Regarde, bonhomme, le film a commencé ! dit Katie qui commençait àperdre patience.

Eddie cria de plus belle. Peu après, Matt revenait en berçant la petite fille dansses bras. L’épisode du papillon semblait oublié, mais quand il voulut la poser àcôté de son frère, elle refusa obstinément et devint rouge de colère.Katie exhala un long soupir.

 —  Tu avais raison, Matt. Ce n’était pas une bonne idée de les amener ici tousles deux.Dans une dernière tentative d’apaisement, elle sortit un hochet de son sac etle tendit à Gracie qui le jeta rageusement devant elle.

 — Très bien ! Puisque c’est ainsi, nous allons rentrer à la maison. 

Puis elle se tourna vers Anita et, obligée de hausser le ton pour se faireentendre, lui présenta des excuses.

 — Je suis vraiment désolée. Je vous ai invitée et voilà que je vous abandonne !Anita s’empressa de la rassurer. 

 —  C’est sans importance. Je vais rester et regarder le film.  —  Vous êtes sûre ? Je n’aime pas vous laisser seule ici.  — Ne vous inquiétez pas ! Ma maison est à deux pas. La nuit est magnifique, et je vais passer un très bon moment.

Katie haussa les épaules. —  Entendu ! Mais si vous avez besoin de quoi que ce soit… Elle laissa sa phrase en suspens et leva le regard en direction de Luke. Profitantde sa distraction, Gracie fonça vers la balançoire.

 — Bon, au revoir, Anita. Il faut que je rattrape cette petite chipie avant de laretrouver dans la mare aux canards. Je vous appellerai demain. Nous pourrionsprendre un verre en ville ?

 — Avec plaisir.Quelques minutes plus tard, la petite famille avait disparu avec tout son attirail.

Anita trouva une position confortable et essaya sans beaucoup de succès deconcentrer son attention sur l’écran.

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Pour Luke, l’exercice se révélait tout aussi difficile. Depuis qu’il avait étalé sonplaid sur l’herbe sèche du parc municipal, il n’avait pas quitté du regard lanuque gracieuse d’Anita. Du film, il n’avait pas retenu la moindre réplique. 

 —  Papa, c’est ennuyeux à mourir ! ronchonna Emily. L’histoire d’un mort quirevient parmi les vivants pour réparer ses fautes… Je me demande vraimentqui ça peut bien intéresser.

 — Cet homme est mort, tu es sûre ?Elle le considéra d’un air désespéré. 

 —  Tu vois, t’y comprends rien, toi non plus. Et en plus, c’est même pas encouleur ! Chaque fois, c’est la même chose. Je commence à en avoir marrede venir ici.

 — Je pensais te faire plaisir. Avant, tu aimais bien les séances en plein air. —  Avant, ouais, quand j’avais cinq ans. Mais j’ai un peu grandi, tu sais. Luke ouvrit la bouche pour lui répondre, mais n’en eut pas le temps. 

 — Salut, Em !

Un jeune garçon vêtu d’un pantalon trop large s’était arrêté tout près d’eux.Une masse de cheveux hirsutes retombait sur les épaules rapiécées de sonblouson.

 —  Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t il encore.Mine de rien, Emily s’était un peu éloignée de son père. 

 — Rien de spécial, répondit elle avec nonchalance. —  Y’a une fête chez Lisa, ce soir. Tu devrais venir.  — Ah ouais ?Son regard s’illumina, puis elle reprit très vite son air d’adolescente blasée par 

l’existence.  — Je viendrai peut-être. J’sais pas encore. Jamais de la vie ! songea Luke. Il préférait mourir que de savoir sa fille enpareille compagnie.

 —  Cool, alors à plus ! s’exclama le garçon avant de s’éloigner d’unedémarche traînante.Luke se retourna aussitôt vers sa fille.

 —  Ce n’est même pas la peine de me demander l’autorisation, Emily. La

réponse est non. Il est hors de question que tu traînes avec ce genre d’individu.  —  Papa ! Tu sais qui c’est, au moins ?  —  Quelle importance ! On dirait un…  —  C’est Kevin Lewis, le garçon le plus mignon de l’école. Je n’en reviens pas ! Ilvient de m’inviter à une soirée. Tu te rends compte ? Je veux y aller. 

 —  J’ai dit non.  —  Papa, tu es en train de ficher ma vie en l’air. Il lui sourit d’un air indulgent et s’efforça de dédramatiser la situation. 

 — Crois-moi ! Des fêtes, il y en aura beaucoup d’autres ! 

Emily s’affala brutalement sur la couverture.  — Pas avec Kevin. — Mais si. Allez, regarde le film !Elle parut accepter la décision de son père et reporta son attention sur les

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images qui défilaient à l’écran. Très vite, l’esprit de Luke se remit à vagabonder. Anita était seule, maintenant.La galanterie lui dictait de l’inviter à les rejoindre, mais comment l’aborder sansse couvrir de ridicule après l’échec cuisant de leur dernière conversation ? Contrairement à son frère Mark, il n’était pas un expert en matière deséduction et sa vie sentimentale pouvait se résumer en une phrase. Aprèsquelques amourettes passagères avec des camarades de lycée, il avaitépousé Mary. Un mariage précipité, dicté par les circonstances, fait de respectréciproque mais dénué de passion. Très vite, il avait trouvé refuge dans sontravail. Les années avaient passé, ternes et monotones, et la disparitiontragique de sa femme l’avait laissé seul avec la responsabilité d’une enfantdont il s’était peu à peu éloigné.Anita lui redonnait goût à la vie. Dès qu’il l’apercevait, son cœur si longtempsrongé par la mélancolie semblait tout à coup inondé de soleil.Comme il dirigeait une nouvelle fois les yeux sur sa silhouette, il surprit son

regard posé sur lui. Il n’en fallut pas plus pour le décider.  — Je reviens tout de suite, dit il à Emily.D’un pas décidé, il franchit en quelques enjambées la distance qui lesséparait. Anita parut surprise.

 — Bonsoir, Luke ! Je ne pensais pas vous retrouver ici. —  J’ai voulu proposer une sortie à ma fille. Apparemment, ce n’est pas uneréussite. Le film ne lui plaît pas. Enfin, j’aurai au moins essayé de lui faire plaisir ! Elle approuva d’un signe de tête. 

 —  Vous avez raison, c’est l’intention qui compte. 

 — Vous ne pourriez pas vous asseoir ? s’écria derrière eux une voix furibonde.On ne voit plus rien du tout !Anita se déplaça sur le côté et tapota le bout de couverture qu’elle venait delibérer pour inviter Luke à s’asseoir. 

 —  Vous êtes sûre ? s’étonna-t il. Hier, ma compagnie semblait plutôt vousimportuner.Elle se raidit imperceptiblement.

 — Asseyez-vous ! Vous gênez les autres spectateurs.

 —  Oh ! bien sûr… 

La réponse n’était guère chaleureuse. Luke dissimula sa déception et s’installaà son côté.

 — Vous avez apporté des biscuits ? —  Vous me connaissez ! Deux heures sans chocolat, pour moi, c’est impossible.Servez-vous, je vous en prie !Lorsqu’elle lui tendit le paquet, il remarqua les tremblements de sa main. Elleparaissait tendue, presque timide. Sa présence lui procurait elle plus d’émotion

qu’elle ne voulait l’admettre ? Il mordit dans un gâteau et resta un instantsilencieux, avec l’espoir qu’elle accepterait enfin de changer d’attitude. Des nuages gris s’amoncelaient au-dessus du parc ; l’air devenait lour d ethumide. Luke pria pour que l’orage ne vînt pas le priver trop vite de la

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compagnie d’Anita.  — Je voulais vous présenter mes excuses, dit il enfin. Vous avez dû me trouver bien indiscret, hier.Comme elle secouait la tête, ses cheveux effleurèrent gracieusement sesépaules nues. Ebloui par tant de beauté, Luke rêva un instant de la serrer dansses bras. Il se l’interdit cependant, de peur de l’effrayer une nouvelle fois. 

 —  Vous êtes pardonné. Tout est ma faute. Quand on s’intéresse un peu trop àmoi, j’ai toujours le réflexe de fuir.Il étouffa un petit rire.

 —  Qu’y a-t il de si amusant ? demanda Anita. —  Eh bien, je pensais qu’à nous deux nous faisions décidément la paire ! Vousdans le rôle du lièvre, et moi dans celui de la tortue.Elle lui rendit son sourire.

 —  C’est juste. A la moindre alerte je détale et vous, vous disparaissez dansvotre carapace.

Un éclair aveuglant suivi d’un grondement de tonnerre arrêta net la discussion,mettant un terme brutal à la soirée que Luke espérait bien finir aux côtésd’Anita. L’écran devint blanc et une vague de panique gagna subitement lepublic.Dans le plus grand désordre, les familles rassemblèrent en hâte enfants,couvertures, paniers et glacières avant de se ruer vers le parking pour seprotéger de l’averse. Luke aida Anita à se relever.

 — Allez vite vous abriter sous le porche ! Je vais récupérer Emily, et nous vous

déposerons chez vous. —  D’accord. Merci beaucoup. Sous un torrent de pluie, il courut à la recherche de sa fille. A l’endroit qu’iloccupait avec elle quelques minutes auparavant, il ne trouva que lacouverture. L’adolescente avait disparu. La main en visière, Luke se mit àscruter les environs et à courir en tous sens en criant son nom à tue-tête pour tenter de la retrouver. Sans résultat. Soudain, Anita surgit à son côté.

 — Vous ne la voyez pas ? demanda-t elle avec inquiétude.

Il s’arrêta dans sa course.  — Que faites-vous là ? Vous êtes trempée. — A deux, nous avons plus de chances de la retrouver.L’averse avait redoublé de violence, et la visibilité était presque nulle.

 —  Nous n’arriverons à rien dans des conditions pareilles. Mieux vaut trouver unabri et attendre une accalmie. Il y a un kiosque à musique juste derrière l’écrande cinéma. Allez-y, je vous rejoins !Tenant sa couverture au-dessus de sa tête, Anita partit dans la direction qu’il luiindiquait. Bientôt, le tissu détrempé lui échappa des mains et se mit à balancer 

dangereusement au niveau de ses sandales.En spectateur impuissant, Luke devina ce qui allait se produire. Anita se prit lespieds dans la couverture et tomba de tout son long sur le bord du trottoir. Il larejoignit en une fraction de seconde.

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 — Anita ! Tout va bien ? —  Oui, je… je crois. Après l’avoir doucement soulevée dans ses bras, il la transporta jusqu’aukiosque.

 — Et le bébé ? Il n’a pas été touché, au moins ?  — Non, mais ma jambe me fait mal.Il découvrit une grande entaille au-dessous de son genou gauche, soulignéed’un vilain hématome qui paraissait enfler à vue d’œil. 

 — Il faut appeler les secours. —  Non, ce n’est pas si grave.Sans paraître l’entendre, Luke scruta le périmètre de fond en comble. Le parcétait à présent désert.

 — En dehors des pompiers, je ne vois pas qui pourrait nous aider. Il y a enprincipe une équipe de garde, les soirs de projection. Je vais vous porter 

 jusqu’au pavillon situé près de l’entrée. Il y a là-bas une cabine téléphonique

d’où je pourrai les prévenir.  —  Luke, je peux très bien…  —  Vous débrouiller toute seule, comme d’habitude ? Cette fois, non, ce n’estpas possible. Que cela vous plaise ou non, votre sort est entre mes mains.Elle se pencha pour regarder sa jambe puis, vaincue, releva les yeux sur lui.

 —  Vous avez raison. J’ai vraiment besoin de votre aide. Il porta une main à son oreille comme s’il n’avait pas bien saisi ses paroles.

 — Vous dites ?

 —  Vous savez très bien ce que j’ai dit ! Ne profitez pas de mon handicap pour me faire répéter ce que vous avez envie d’entendre ! Cette fois, il mima un salut militaire et parvint à lui arracher un sourire.

 — Très bien, capitaine Ricardo ! Ai-je la permission de vous soulever denouveau dans mes bras ?

 —  Puisqu’il le faut ! Malgré ses réticences, Anita trouva contre sa poitrine un refuge infinimentréconfortant et le trajet jusqu’au pavillon lui parut trop rapide. Arrivé sur place,

Luke la déposa avec mille précautions sur une table de pique-nique. — Voilà ! Ne bougez surtout pas ! Je vais appeler du secours.Tout en parlant, il remarqua la pâleur soudaine de son visage.

 — Comment vous sentez-vous ? — Parfaitement bien, mentit elle. Ne vous inquiétez pas !Il poussa un soupir légèrement agacé.

 —  Vous êtes une dure à cuire, n’est-ce pas ? — Disons que je ne suis pas une poupée de porcelaine, rétorqua-t elle enréprimant une grimace de douleur.

Cette fois, il ne put s’empêcher de déposer un baiser sur ses lèvres. — Je reviens tout de suite ! La cabine est dans la pièce voisine. Resteztranquille et ne vous morfondez pas en mon absence ! Enfin, pas trop !Il disparut pendant quelques minutes qui parurent à Anita une éternité. A son

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corps défendant, elle dut admettre qu’il avait commencé à lui manquer dèsl’instant où il avait retiré ses lèvres des siennes. Elle éprouvait depuis un étrangevertige dont l’origine lui paraissait incertaine. Devait elle l’attribuer à sa chute ?Le bref moment d’intimité partagé avec Luke n’en était il pas plus sûrement lacause ? Depuis des jours, elle tentait de se raisonner, sans beaucoup desuccès, il fallait bien l’avouer. Ce malheureux incident les avait rapprochés, anéantissant tous ses efforts,balayant toutes ses bonnes résolutions. Elle avait peur. Peur de s’ouvrir àl’amour, peur de s’exposer au chagrin et aux regrets. Luke reparut enfin et son regard azur attira le sien comme un aimant. Il avançabras tendus dans sa direction, ignorant tout du terrible conflit qui se livrait enelle.

 — Nous sommes sauvés ! annonça-t il gaiement. J’ai trouvé George à deuxpas d’ici. C’est l’un des sapeurs-pompiers volontaires de la ville. Avec sa radio,il a appelé le médecin de garde. Il sera là d’une minute à l’autre. 

 — Dieu soit loué !Elle étendit doucement sa jambe sur la table, ce qui eut pour effet immédiatde calmer ses palpitations.

 — Merci pour tout, Luke. Laissez-moi, maintenant, et partez vite à la recherched’Emily ! 

 —  Je parie qu’elle est allée rejoindre Kevin, le beau gosse aux bouclesd’oreilles. 

 — Kevin ?La grimace de Luke fut éloquente.

 —  A en croire ma fille, il s’agirait du plus beau garçon du pays. Je suis loin departager son opinion. Avec des cheveux jusque-là… Il pointa son biceps pour illustrer ses paroles.

 —  … et des vêtements douteux et rapiécés, il incarne pour moi le pirecauchemar d’un père de famille inquiet des fréquentations de sa progéniture. Anita gloussa.

 — Vous parlez comme un grand-père rétrograde ! —  Si vous aviez vu l’individu, vous me comprendriez un peu mieux. Il l’a invitée

à une fête chez une certaine Lisa. C’est un début de piste. Mercy est unepetite ville, mais je ne connais pas le prénom ni l’adresse de toutes les jeunesfilles qui l’habitent. 

 — Demandez à Georges de vous aider. Il ne doit pas être bien difficile delocaliser une fête dans les environs.

 —  Vous avez raison. Mais je ne vous laisserai pas avant l’arrivée des secours.  — Je ne risque rien ici. Le médecin va arriver. Je peux très bien me débrouiller seule.Il secoua la tête d’un air désespéré. 

 — Non, vous ne pouvez pas. Pas toujours. Blanche Neige elle-même avaitbesoin de l’aide de ses petits compagnons. 

 — Je ne suis pas une héroïne de conte de fée. Je suis une femme bien réelle ettout à fait capable de s’assumer. 

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Existait il sur terre une personne plus têtue ? Que devait il lui dire pour avoir enfin le dernier mot ?

 — Vous êtes aussi la plus belle des créatures ! Que vous le vouliez ou non !Le ton autoritaire et très inhabituel la laissa sans voix.

 —  Qu’avez-vous bu ce soir, monsieur Dole ? demanda-t elle, un peu à courtd’arguments. 

 — Du thé glacé. Sans bulles.Il s’avança si près qu’elle vit battre ses cils et sentit la chaleur qui se dégageaitde sa peau.

 —  Vous êtes une femme ravissante, Anita. Je l’ai toujours pensé. Et depuis quevous êtes venue vous installer à Mercy…eh bien… je vous trouve toutsimplement irrésistible.Elle le regardait avec de grands yeux incrédules.

 — Etes-vous bien le Luke que j’ai connu à Los Angeles ? C’est la première fois

que je vous entends parler avec autant de conviction. —  C’est que ma vie a changé du tout au tout. Grâce à vous, je suis un autrehomme. Le matin, je me réveille avec bonheur et, croyez-le si vous voulez, jechante à longueur de journée.Il l’attira tout près de lui, lui prit les deux mains et les posa sur son torse.

 — Je suis amoureux, Anita. Fou amoureux de vous.Anita resta bouche bée. En venant au parc ce soir-là, elle n’avait pas imaginéentendre une telle déclaration. Elle avala péniblement sa salive. Luke était ilsincère ? Ne prenait il pas en pitié la mère célibataire qu’elle allait devenir ? 

Son silence inquiéta Luke. — Vous êtes surprise ? —  Euh… oui, très surprise. Et pour tout dire, totalement paniquée.  —  Mais pourquoi ? L’amour ne réserve pas que de mauvaises surprises, voussavez… L’arrivée de trois hommes tira Anita d’une situation délicate. Il s’agissait dumédecin et de deux brancardiers.

 — Bonsoir, Luke ! dit le premier en ouvrant sa mallette. Comment vas-tu ?

 — Parfaitement bien, Ted, mais la jeune dame que tu vois là a une vilaineblessure à la jambe.Le médecin examina Anita sans attendre.

 —  Eh bien, miss Ricardo, vous avez dû faire une belle chute. L’entaille estimpressionnante, mais rassurez-vous, il n’y a rien de grave ! 

 — Vous connaissez mon nom ? s’étonna-t elle. — Vous savez, à Mercy, personne ne passe inaperçu.Il nettoya soigneusement la plaie, puis enroula de la gaze autour de son mollet.

 — Evitez de forcer sur votre jambe pendant quelques jours et appliquez le plus

souvent possible de la glace pour réduire l’hématome ! Vous pouvez marcher,mais n’abusez pas de la station debout. Vous aurez besoin d’aide pour fairevos courses et votre ménage.

 —  Tu ne l’envoies pas à l’hôpital ? demanda Luke d’un air soucieux. 

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 —  Ce n’est pas nécessaire pour l’instant.Puis, se tournant de nouveau vers Anita :

 — Si la douleur persiste au-delà de cinq jours, venez me voir au cabinet. Je suissûr que Luke se fera un plaisir de vous accompagner.Ted administra une bourrade complice sur l’épaule de son vieux camarade etprit congé avec ses deux brancardiers.

 — Vous voyez bien que vous avez encore besoin de moi, dit Luke en aidantAnita à descendre de la table.Sans un mot, elle se laissa guider jusqu’à la voiture. Il la reconduisit chez elle et,malgré ses protestations, la porta jusqu’en en haut des marches du perron.Arrivé dans le séjour, il la déposa sur le canapé et cala confortablement sa

 jambe sur des coussins. Puis, apparemment déterminé à prolonger leur tête-à-tête, il s’installa à côté d’elle. 

 — Quelle soirée ! soupira-t il. Quand je vous ai vue tomber, tout à l’heure, j’aicru succomber à une attaque.

 —  J’ai eu peur, moi aussi, mais maintenant tout va bien. Ce qui m’inquiètedavantage, c’est Emily. Vous devriez partir à sa recherche. D’ordinaire, l’adolescente constituait le principal sujet de préoccupation deLuke. Anita le vit hausser les épaules avec une étonnante désinvolture.

 —  Elle m’a désobéi une fois de plus, dit il après un temps. Mais je ne pense pasqu’elle soit en danger. Je dois apprendre à lui faire confiance. Et puis… Il changea plusieurs fois de position, croisa les jambes, les décroisa, et sedécida enfin à affronter le regard de son interlocutrice.

 —  J’ai besoin de vous parler, Anita. Il y a trop de choses que vous ignorez. 

Les événements des dernières semaines avaient provoqué en lui une soudaineprise de conscience. Pour détruire la barrière qu’il avait érigée entre lui et lesautres, il avait enfin compris qu’il devait se décharger de son secret auprès deses proches.

 —  Je n’ai jamais été amoureux de Mary, déclara-t il de but en blanc.Malgré sa vive surprise, Anita préféra garder le silence.

 —  Tout le monde voyait en nous un couple heureux et uni. Ce n’était pas lecas, même si nous étions tous les deux liés par une profonde amitié et animés

des meilleures intentions du monde.Il marqua une pause et passa nerveusement la main dans ses cheveux. — Pauvre Mary ! Elle ne méritait pas cette fin tragique. — Que lui est il arrivé ? — Un accident stupide. Elle était en retard pour récupérer Emily à la sortie del’école. Un contretemps au supermarché ou au pressing, je suppose. Pendantce temps, moi je travaillais. Comme d’habitude. A l’époque, je ne vivais quepour mon travail.

Anita approuva dans un sourire. —  C’est vrai que vous passiez l’essentiel de votre temps au bureau. Souvent, jerepassais le soir devant l’immeuble de la société, et votre lampe était toujoursallumée. Je me demandais parfois s’il vous arrivait de quitter votre ordinateur 

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et de rentrer chez vous.Luke passa la main dans ses cheveux.

 — Trop tard, Anita. Toujours trop tard.Il avala sa salive et poursuivit.

 — Vous connaissez les problèmes de circulation à Los Angeles. Il suffit parfoisde partir avec cinq minutes de retard pour se retrouver piégé dans unembouteillage interminable. Ce jour-là, il pleuvait. La chaussée était glissante.Mary a débouché un peu trop vite dans un carrefour. Un chauffard lui a coupéla route.Les images obsédantes du lieu de l’accident lui revinrent à la mémoire danstoute leur cruauté. Il ferma les yeux et, comme tant de fois, les barrières jaunesde la police, la voiture pulvérisée et le visage consterné des ambulanciersdéfilèrent dans sa mémoire.

 —  Il était ivre mort. Il n’a rien vu.  —  Luke, je suis désolée. Cette histoire est si triste… 

 —  D’après les médecins, elle est morte sur le coup. Au moins, elle n’aura passouffert.Il frotta ses tempes douloureuses, et inspira longuement avant de poursuivreson récit.

 — Ce jour-là, je ne suis pas retourné au bureau. Ni aucun autre jour de lasemaine. Je reprenais doucement le travail quand le secteur des nouvellestechnologies a connu sa première crise importante. Notre affaire a coulé,comme tant d’autres. 

 — Vous avez traversé une période bien difficile, murmura Anita avec

sollicitude. — Oui. Mais à quelque chose malheur est bon. Cette faillite a agi comme unsignal d’alarme. Je suis revenu parmi les miens et j’ai changé mon mode devie. Après bien des années perdues, je me suis enfin donné les moyens dem’occuper de ma fille. Oh ! ce n’est pas tous les jours une réussite ! Il m’arrived’être encore très maladroit. Avec humour, elle tenta d’alléger la tristesse qui imprégnait son visage. 

 —  C’est tout naturel. Un ours polaire ne se transforme pas du jour au lendemain

en animal de compagnie !Luke retrouva enfin le sourire. —  D’abord la tortue ! Ensuite l’ours polaire ! Je vous trouve bien sévère avecmoi, miss Ricardo.Comme pour se faire pardonner, elle se redressa sur ses coussins et déposa untendre baiser sur ses lèvres. Surpris, Luke resta un instant sur la réserve puis il pritfurieusement possession de sa bouche.Soudain, un bruit sec leur parvint de la pièce voisine. Il se releva en sursaut.

 —  Qu’est-ce que c’était ? 

 — Mon amie la souris a dû inviter ses copines, murmura Anita, les yeux mi-clos.Elle sait que j’ai préparé des biscuits au chocolat. Il embrassa son front, puis ses joues.

 — Comme votre peau est douce, Anita !

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Sans plus de retenue, elle se pendit à son cou. — Faites attention à votre jambe ! protesta-t il. Vous devriez la laisser allongée. — Ma jambe ? Figurez-vous que la douleur s’est envolée ! Elle rapprocha ses lèvres.

 — Et si nous reprenions ce que nous avions si bien commencé ?Luke prit le visage d’Anita entre ses mains et le regarda amoureusement. 

 —  J’en meurs d’envie, Anita. Mais avant, je voudrais vous révéler un secret. — Un secret ?Elle le dévisagea un instant avec gravité.

 —  C’est très sérieux, n’est-ce pas ?Il acquiesça.

 —  Oui. En dehors de mon frère, personne n’est au courant. Anita reprit sa position initiale sur le canapé.

 — Je vous écoute, Luke.Il abaissa un instant les paupières. Cette ultime révélation était la plus difficile

mais, pour le bien de leur relation, il ne pouvait s’y soustraire.  —  Emily n’est pas ma fille, murmura-t il dans un souffle. — Vous dites ?L’aveu était de taille ; Anita mit quelques secondes à revenir de sa surprise.

 — Quand nous étions au lycée, reprit Luke, Mary sortait avec mon meilleur ami.Les parents de Jeremy la détestaient. Elle n’appartenait pas à leur milieu et ilsconsidéraient qu’elle ne méritait pas d’entrer dans leur famille. Jeremy était un

 joyeux fêtard. Un soir, il était vraiment très éméché et… le genre de bêtisetypique de l’adolescence… 

Il se leva et arpenta la pièce de long en large. —  J’ai essayé de l’empêcher de prendre sa moto pour rentrer chez lui. Maryaussi. Mais il n’a rien voulu entendre. Il s’est écrasé contre un arbre en pleinecampagne.

 — Il est mort ? — Oui, après un mois de coma profond. Mary était enceinte de quelquessemaines. Elle a voulu se confier aux parents de Jeremy, mais ils n’ont pasaccepté de l’entendre. Ils la tenaient pour responsable de sa mort. 

Anita garda le silence. Que dire d’une histoire aussi triste et aussi injuste ?  — Depuis toujours, nous traînions toujours tous les trois. Vous savez ce quec’est… Les autres en arrivaient parfois à se demander qui de nous deux était lepetit ami de Mary.

 — Et tout naturellement, vous avez remplacé Jeremy.Luke revint près du canapé et s’accroupit à son côté. 

 — La famille de Mary était pauvre. Elle ne pouvait en attendre aucune aide.Mais ce n’était pas l’unique raison. La disparition de Jeremy était pour nousinsupportable. Le bébé était tout ce qu’il nous restait de lui. Nous l’aimions tant,

tous les deux, que nous nous savions capables d’aimer son enfant. Tendu, Luk e chercha la compréhension dans le regard d’Anita. 

 —  C’était mon meilleur ami, ajouta-t il encore dans un souffle. Enabandonnant Mary, j’aurais eu l’impression de l’abandonner lui aussi. 

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 —  Peu d’hommes auraient agi comme vous l’avez fait, dit elle avec uneadmiration sincère.Il secoua la tête.

 —  Cela, je n’en sais rien.  —  Vous êtes un être exceptionnel, Luke. Emily ne connaît pas la chance qu’…  — Comment as-tu osé ?Aiguë et tremblante de rage, la voix d’Emily s’éleva à l’entrée de la pièce. Luke se redressa d’un bond. 

 — Que fais-tu là ? —  Je suis passée par la fenêtre de la cuisine. On m’a dit qu’Anita s’étaitblessée au parc. Alors, j’ai voulu lui rendre visite sans l’obliger à se lever pour m’ouvrir la porte. Je ne m’attendais pas… Elle marqua une pause. De grosses larmes roulaient sur ses joues.

 —  Je… je n’arrive pas à croire que tu m’aies menti… Il lui prit doucement la main, mais elle la retira aussitôt.

 —  Emily, tu ne peux pas comprendre…  — Oh si ! je comprends très bien ! Et vous êtes là tous les deux à roucouler sansmême vous inquiéter de mon sort… Avec un sanglot déchirant, elle fit volte-face et se précipita hors de la pièce.

 —  Emily ! cria Luke. Emily, reviens, je t’en supplie ! Il se précipita dans le hall pour la rattraper, mais la porte se refermaviolemment devant lui.** *

Après deux heures de vaines recherches sous une pluie battante, Luke revintauprès d’Anita. Epuisé, il se laissa tomber sur le canapé. 

 —  Je suis allé partout. J’ai sonné à toutes les portes. Personne ne l’a vue. Apeine rentré à Mercy, mon père est parti à sa recherche, lui aussi. La police estprévenue et une voiture de patrouille sillonne les rues.Anita lui apporta une serviette de bain. Il était trempé jusqu’aux os. 

 — Ne vous inquiétez pas ! dit elle avec douceur. Elle a besoin de temps. Ellereviendra d’elle-même, j’en suis sûre. 

Les épaules de Luke s’affaissèrent.  —  J’espère que vous avez raison. Elle s’assit près de lui et le prit tendrement dans ses bras. 

 —  Oh ! Anita, j’ai tant besoin de vous ! Si vous saviez comme   je vous aime… A ces mots, elle se raidit.

 —  Luke, je… Tout va un peu trop vite pour moi.  — Vous avez peur ? Mais pourquoi ? —  C’est une longue histoire. Peu désireuse de s’étendre sur le sujet, elle s’écarta et se laissa tomber contre

le dossier. — Eh bien ? s’étonna-t il. Le lièvre se verrait il affublé d’une carapace,aujourd’hui ? Un demi-sourire se dessina sur les lèvres d’Anita. 

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 —  Le lièvre n’est pas très en forme, avec sa patte folle. Et puis, je n’aime pasbeaucoup parler de moi.

 — Moi non plus. Et pourtant, je l’ai fait.  —  C’est vrai.  — Alors, je vous écoute !Après un bref soupir, elle commença à se confier.

 —  Je n’ai jamais connu mon père, et ma mère est morte quand j’avais dix ans.Les services sociaux m’ont placée d’office dans un foyer, mais je n’y suis pasrestée. Alors, je suis passée de famille d’accueil en famille d’accueil. Quivoudrait adopter une gamine de dix ans ?Elle haussa les épaules, comme pour nier le chagrin causé par chacun de ceséchecs.

 —  Je n’étais déjà plus une charmante petite poupée que l’on peut habiller àsa guise et dont on se plaît à natter les cheveux. Adolescente, j’avais même untempérament très rebelle.

 — Combien de familles avez-vous connues ? — Sept. Huit, peut-être. J’en ai perdu le compte.  —  C’est à peine croyable, dit Luke en secouant la tête. J’ignorais que notresystème autorisait de telles pratiques.

 —  C’est toujours mieux que l’orphelinat. J’ai appris très jeune à me débrouiller seule et à ne pas m’attacher. 

 —  Et vous trouvez que c’est une bonne chose ? Un coup énergique frappé à la porte interrompit la conversation. Luke seprécipita dans le hall, tandis qu’Anita s’élançait derrière lui en boitillant. 

 — Monsieur Dole ?Un agent de police se tenait sur le seuil.

 — Je pense que nous avons retrouvé votre fille.Toutes griffes dehors, une adolescente inconnue vociférait à son côté.

 —  Vous allez me lâcher, à la fin ? J’suis pas celle qu’vous cherchez.J’m’appelle Anna Jones, et j’habite pas dans cette ville de sauvages ! Ça faitune heure que j’vous l’répète ! Profondément dépité, Luke secoua la tête.

 —  Ce n’est pas ma fille. Il raccompagna le policier et Anita le rejoignit au bas des marches du perron. — Quelle perte de temps ! soupira-t il. Comment ont ils pu croire un instant quecet énergumène échevelé pouvait être ma fille ?Anita passa un bras sur son épaule.

 — Je vais préparer quelques sandwichs et nous partirons tous les deux à sarecherche.

 — Vous feriez mieux de vous allonger pour reposer votre jambe ! —  Vous avez besoin de moi, Luke. J’aurai tout le temps de me reposer plus

tard.Il saisit la main posée sur sa nuque et la porta à ses lèvres.

 — Je ne remercierai jamais assez le destin de vous avoir placée sur monchemin.

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 — Je ne crois pas au destin, ni à la fatalité. Chacun de nous est responsable deses choix et de son existence.Main dans la main, ils remontèrent jusqu’à l’entrée. 

 —  C’est pourtant bien le destin qui vous a amenée à Mercy, protesta-t ilencore.

 — Qui sait ?Sur ces paroles énigmatiques, Anita le précéda à l’intérieur de la maison. Recroquevillée sur le canapé, les genoux repliés sous le menton, Emily lesattendait dans le salon. En apercevant la voiture de police le long du trottoir,elle avait discrètement longé les murs et s’était introduite dans la pièce par laporte-fenêtre.Luke s’agenouilla devant elle.

 — Emily ! Oh ! Emily, où étais-tu passée ?Anita s’assit discrètement dans un coin. 

 —  Je suis retournée à la fête, répondit l’adolescente en reniflant bruyamment.

Je… je pensais que Kevin serait gentil avec moi et qu’il essayerait de meconsoler. Mais il a continué à danser en se moquant complètement de moi.

 —  C’est certainement à cause de toutes ses boucles d’oreilles, ironisa Lukepour tenter de ramener un sourire sur ses lèvres. A mon avis, elles créent desinterférences au niveau de son cerveau.

 —  T’es vraiment pas drôle, papa ! A ces mots, les deux adultes échangèrent un regard. Le mot « papa » étaitspontanément sorti de sa bouche. Tout espoir de réconciliation ne semblaitpas perdu.

Emily sortit un mouchoir de sa poche et s’essuya le nez. —  Je n’aurais pas dû m’enfuir, je suis désolée. Mais ça m’a fait un drôle d’effetd’apprendre… 

 —  J’aurais préféré que tu l’apprennes d’une tout autre manière, Em. Il y a trèslongtemps que je voulais t’en parler, mais ce n’était jamais le moment. Elle hocha tristement la tête.

 —  C’est pour ça que tu travaillais toujours autant quand j’étais petite ? Tu net’occupais jamais de moi parce que je n’étais pas ta fille ? 

 —  Oh non ! Em… Il attira sa tête contre sa poitrine et la serra tendrement. —  J’ai toujours voulu vivre auprès de toi, et je t’ai toujours aimée très fort. Je nesavais pas le montrer, c’est tout. Et puis ta maman s’occupait si bien de toi,que… eh bien… peut-être que je n’arrivais pas très bien à trouver ma placeentre vous deux.Emily se redressa doucement.

 —  Maman était cool, mais… Elle se mordilla nerveusement la lèvre.

 — Je me suis toujours sentie plus proche de toi. Comme si nous étions pareils,toi et moi. Tu comprends ? Evidemment, ça paraît idiot, maintenant, puisque tun’es même pas… Luke secoua la tête. Il semblait soudain rayonner de bonheur.

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 —  Non, ma chérie, ce n’est pas idiot du tout. C’est même la plus belle choseque j’aie jamais entendue. 

 — Est-ce que tu veux… euh, est-ce que tu vas te marier avec Anita ? murmura-t elle dans un souffle.

 —  Tu serais d’accord ? Emily jeta un coup d’œil du côté de la jeune femme. 

 —  Oh oui ! elle est trop sympa ! Mais… Une soudaine angoisse assombrit son visage.

 — Mais tu me garderais quand même avec toi ?Il la serra de nouveau contre sa poitrine et caressa doucement ses cheveux.

 — Bien sûr, ma chérie ! Pour moi, tu es ce qui compte le plus au monde. Et je tepromets d’être un meilleur papa et de passer beaucoup plus de temps avectoi.Une heure plus tard, rassérénée par un bon chocolat chaud et surtout rassuréepar les paroles de son père, Emily dormait comme un ange sur le canapé.

Luke et Anita se retirèrent dans la cuisine. — Alors, que faisons-nous, maintenant ? demanda Luke en reposant sa tassede thé.Epuisée, Anita laissa échapper un long soupir.

 — Il est tard. Le lièvre est un peu fatigué.Il contourna la table et s’agenouilla devant elle. 

 — La soirée a été animée, en effet. Mais permettez-moi de vous déclarer encore une fois mon amour ! Voulez-vous m’épouser, Anita ? 

 — Et voilà que vous recommencez à me faire peur !

Lorsqu’elle reconnut l’objet qu’il sortait de sa poche, elle ne put réprimer unéclat de rire.

 —  Une femme très avisée m’a un jour offert cette montre, reprit il. En merecommandant de croquer la vie à pleines dents. Elle devrait suivre son propreconseil.

 — Vous croyez ?Un sentiment de plénitude submergea soudain Anita. Luke était un hommebon et dévoué. Elle l’avait vu à l’œuvre avec sa fille. 

 — Adopterons-nous d’abord le chat ou le chien ? demanda-t elle avecmalice.Il écarquilla ses grands yeux bleus.

 — Etes-vous en train de dire que…  —  Attendez ! Je voudrais d’abord m’assurer d’une chose.  — Laquelle ? — Voulez-vous m’épouser parce que vous m’aimez, ou pour sauver un pauvrebébé de l’absence d’un père ? 

 — Anita, je veux vous épouser parce que j’adore le mouvement de vos

boucles brunes sur vos épaules. Parce que ce vernis rouge sur vos orteils merend fou. Parce que ma première pensée au réveil est pour vous. Et enfin,parce que je ne peux pas envisager de vivre loin de vous.Elle lui offrit le plus beau des sourires.

8/2/2019 Une Maman en Cadeau

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 — Dans ces conditions, je dis oui !Leurs lèvres s’unirent dans un long baiser langoureux. 

 —  Attendez ! s’exclama Luke à son tour. La partie est un peu inégale. Pour quelles raisons acceptez-vous de m’épouser ? Il lança un regard éloquent sur les murs encore défoncés de la cuisine.

 — Avez-vous envie d’un mari, ou besoin d’un bon bricoleur ? Ils rirent ensemble de bon cœur. 

 — Je veux devenir votre femme parce que je vous aime, Luke. Evidemment, sivous savez manier le pinceau, c’est encore mieux… Chapitre : 12345678910 11Épilogue 

 — Veux-tu la montre d’Elmer le chasseur ? Ne sachant que faire pour la réconforter, Luke faisait les cent pas autour du litd’hôpital où son épouse subissait des contractions de plus en plus

rapprochées. —  Non, je n’ai que faire d’Elmer en ce moment. Viens plutôt t’asseoir près demoi et donne-moi la main !Une nouvelle vague de douleur assaillit Anita. Elle s’appliqua à respirer selon lesrecommandations de Jan.Une fois la crise passée, elle se détendit contre son oreiller.

 — Tu te sens mieux ? demanda-t il, plein de sollicitude.Anita exhala un long soupir.

 — Oui. Maintenant, je vais essayer de reprendre des forces en prévision de la

prochaine attaque !Luke lui sourit en admirant secrètement son calme et son courage.Au même instant, des éclats de voix s’élevèrent dans le couloir. Tournant latête dans un même mouvement, ils virent passer Barbara soutenue par deuxinfirmières.

 —  Je veux ma péridurale tout de suite ! Qu’est-ce que vous attendez ? — Un peu de marche aidera le bébé à arriver plus vite. —  Pour l’amour du ciel, je ne me suis pas inscrite à un marathon ! s’écriaencore Barbara. Trouvez-moi une chambre, et faites venir l’anesthésiste ! Toutde suite !Steve essaya gentiment de la calmer.

 —  Encore un tout petit peu de patience, ma chérie. Tu…  —  Il n’y a pas de chérie qui tienne ! C’est ta faute, si j’en suis là aujourd’hui.Mais rassure-toi, tu ne perds rien pour attendre ! Et tu as tout intérêt à savoir changer les couches de ton rejeton !Luke et Anita échangèrent un regard complice et rirent de bon cœur. Puis le visage d’Anita se tordit de nouveau de douleur. Avec une infinie

tendresse, Luke se pencha au-dessus d’elle et lui caressa doucement le front.Lorsque la contraction fut passée, il déposa un baiser sur ses lèvres.

 — Anita, grâce à toi, je suis le plus heureux des hommes !Sans y avoir été invitée, la voix d’Elmer vint brusquement s’immiscer dans la

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conversation.« Ne faites pp-pp pas de bruit. Je chasse des des la-lapins… » Amusée, Anita regarda Luke sortir précipitamment la montre de sa poche.

 — Tais-toi donc, vieux frère ! s’exclama-t il en pressant le bouton du cadran. Jevoudrais être un peu tranquille avec ma femme.

 — Tranquille, tu ne le seras plus très longtemps, mon amour. Notre famille vas’agrandir avant ce soir. Et je n’ai pas du tout l’intention de m’arrêter là !

FIN