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1 Chapitre unique : Des cartes pour comprendre le monde. BO : L’étude consiste à approcher la complexité du monde par l’interrogation et la confrontation de grilles de lectures géopolitiques, géoéconomiques, géoculturelles et géo-environnementales. Cette étude, menée principalement à partir de cartes, est l’occasion d’une réflexion critique sur les modes de représentations cartographiques. Capacités : Lire une carte et sa légende, lire différentes projections, différentes centrations et différents types de représentations. Identifier des documents, les localiser, Cerner l’idéologie ou le présupposé sous-jacent à la production d’un document, Voir ce que ne dit pas un document Confronter des documents Changer des échelles et mettre en relation Problématique générale : Quelles sont les réalités traduites par les cartes et de quelle manière nous permettent-elles d’appréhender la complexité du monde dans lequel nous vivons ? I. Une humanité marquée par de multiples inégalités géoéconomiques. A. Représenter les inégalités géoéconomiques : 1) Peut-on encore parler de limite Nord/Sud ? Carte de la limite Nord/ Sud dans les manuels des années 1950 et 1989. Rappel : définition conventionnelle de la limite Nord/Sud : Nord : ensemble des pays développés, Sud : ensemble des pays en développement. La notion de développement mesurée par l’IDH : indice de développement humain mesuré à partir de 3 indicateurs : le Revenu National Brut par habitant, l’espérance de vie à la naissance et

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Chapitre unique : Des cartes pour comprendre le monde.

BO : L’étude consiste à approcher la complexité du monde par l’interrogation et la confrontation de grilles de

lectures géopolitiques, géoéconomiques, géoculturelles et géo-environnementales. Cette étude, menée

principalement à partir de cartes, est l’occasion d’une réflexion critique sur les modes de représentations

cartographiques.

Capacités :

▪ Lire une carte et sa légende, lire différentes projections, différentes centrations et différents types

de représentations.

▪ Identifier des documents, les localiser, Cerner l’idéologie ou le présupposé sous-jacent à la production

d’un document, Voir ce que ne dit pas un document

▪ Confronter des documents

▪ Changer des échelles et mettre en relation

Problématique générale : Quelles sont les réalités traduites par les cartes et de quelle manière nous

permettent-elles d’appréhender la complexité du monde dans lequel nous vivons ?

I. Une humanité marquée par de multiples inégalités géoéconomiques.

A. Représenter les inégalités géoéconomiques :

1) Peut-on encore parler de limite Nord/Sud ?

Carte de la limite Nord/ Sud dans les manuels des années 1950 et 1989.

▪ Rappel : définition conventionnelle de la limite Nord/Sud :

• Nord : ensemble des pays développés,

• Sud : ensemble des pays en développement. La notion de développement mesurée par l’IDH : indice de développement humain mesuré à partir de 3 indicateurs : le Revenu National Brut par habitant, l’espérance de vie à la naissance et

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le niveau de scolarisation.

▪ limite Nord/Sud comme héritage de la colonisation et des débuts de la décolonisation. Notion de développement pour pallier à l’échec de la notion de « mission civilisatrice ».

▪ limite Nord/Sud en mouvement selon les époques, aujourd’hui une limite qui devient de plus

en plus difficile à tracer avec la notion de pays émergents.

Donc le monde est marqué par des inégalités de développement importantes Nord est fonction IDH mais le Brésil au Sud quand Russie au Nord avec IDH similaires

▪ Notion d’émergence : au départ une notion qui s’appuie sur des critères économiques, mais tous les économistes ne s’accordent pas entre eux sur les critères de l’émergence même si un consensus apparaît autour de certains pays

La notion de BRICS (inventée par la banque d’affaires Goldman Sachs pour mise en place de produits financiers indexés sur la croissance de ces pays). Une notion qui ne peut cependant se résumer à l’aspect économique : l’émergence doit aussi prendre en compte le développement humain, mais aussi certains aspects de la puissance, tels que le hard power (pouvoir de contrainte, d’imposer sa volonté)

▪ Quand un pays passe-t-il de l’émergence à être émergé ? Ce sont des critères toujours difficiles à définir, mais il faut prendre en compte le bien-être de la population : aspects économiques, sociaux, culturels, notion de libertés politiques aussi. (Cf cours Seconde du développement au développement durable mdr).

2) D’autres manières de lire les inégalités :

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L’IDH est différent du PIB :le PIB/hab mesure la richesse produite par habitant seulement (indicateur

utilisé dans la mesure de la croissance à un moment où l’on liait ce critère à un mieux-être des

populations)

Donc même dans les pays où PIB est important, l’IDH peut-être faible si des inégalités des existent. On peut mesurer par exemple les inégalités de revenus avec le coefficient de Gini, qui donne une

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indication sur les inégalités économiques au sein d’un pays.

Des Nords et des Suds à toutes les échelles. Il y a des Nords dans les pays des Suds (ex à l’échelle locale quartier des affaires à Abidjan en Côte d’Ivoire, quartier de Zamalek sur l’île de Gezireh au Caire : ambassades, groupes sociaux aisés, expatriés… + ex. à l’échelle nationale : Sudeste brésilien plus riche que le Nordeste,…)

Des Suds dans les Nords : ex : SDF qui vivent dans les égouts de Las Vegas, bidonvilles en région parisienne ; c’est une notion de ségrégation socio-spatiale, voire de fragmentation socio-spatiale comme à Mumbai (Dharavi, plus grande bidonville d’Asie dans la capitale économique indienne, ou Rio de Janeiro et ses favelas face aux gated communities).

Existence aussi d’autres indicateurs comme l’IPH calculé pour les pays en développement (IPH-1 qui prend en compte le pourcentage d’individus à l’espérance de vie à la naissance inférieure à 40 ans, le taux d’analphabétisme, le pourcentage de population privée d’accès à l’eau potable, le pourcentage de population privé d’accès aux services de santé, le pourcentage d’enfants de moins de 5 ans souffrant d’insuffisances pondérales) et pour les pays développés IPH-2 (% d’individus à l’espérance de vie à la naissance inférieure à 60 ans, le taux d’illettrisme, le pourcentage de personne vivant sous le seuil de pauvreté monétaire (50% du revenu médian du pays), le taux de chômage longue durée). Ces indicateurs permettent d’obtenir des visions plus nuancées des situations vécues à l’intérieur de chaque territoire par une meilleure prise en compte de leurs spécificités.

3) Le choix du cartographe : projection et centration et discrétisation des

données :

les choix du cartographe influent aussi sur les représentations que nous nous faisons des

phénomènes montrés. Quels sont ces choix ?

o Les choix thématiques, des choix synthétiques : carte possède un cadre limité et

doit être lisible ce qui limite la quantité et la qualité des informations qui y sont

contenues

o Le choix de l’échelle de représentation qui gomme ou surreprésente un

phénomène (déjà vu plus haut)

o Le choix de la projection pour ce qui concerne les planisphères : problème :

comment représenter une surface sphérique sur un espace plan sans déformer les

surfaces. Il existe ainsi de multiples projections possibles.

La projection de Mercator est la plus courante, mais elle accentue les surfaces aux pôles et par contrecoup, réduit les surfaces des terres à l’équateur, où se situent la majorité des habitants et des

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anciens pays colonisés. Elle influe encore beaucoup sur la représentation que les hommes ont de la surface terrestre. Développée en 1569 par Gerhard Mercator. Elle est dite « conforme » car elle conserve les formes et les directions (angles). Très utilisée pour les cartes marines. Elle est beaucoup moins pratique pour représenter les terres émergées ; elle altère les tailles des surfaces et cette distorsion augmente au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’équateur. Dans les faits le Groenland est plus petit que l’Arabie Saoudite, et il est 14 fois plus petit que l’Afrique. De ce fait cette carte minimise l’importance des pays les plus pauvres qui sont généralement situés en zone intertropicale. (Attention cela n’était pas intentionnel cependant !)

La Projection de Peters qui rétablit l’équilibre des surfaces. Apparue au début des années 1970, cette projection respecte les surfaces : c’est une projection équivalente. Sur cette carte l’Afrique et l’Amérique latine regagnent l’importance que la carte de Mercator leur faisait perdre. Cette carte fut donc un outil très apprécié des tiers- mondistes puis des altermondialistes. Ici c’est une utilisation intentionnelle d’une projection cartographique à des fins politiques. Mais cette projection a l’inconvénient d’écraser les distances et les directions, de même que les surfaces perçues des pays en direction des pôles. En somme le monde n’a pas cette forme-là, il ne faut donc retenir que son message principal et donc la comparaison des surfaces réelles des continents.

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La Projection polaire semble plus équilibrée. Utilisée aussi pendant la Guerre Froide pour montrer proximité USA/URSS. Donc chaque type de projection n’est pas neutre et suppose d’être défini, voire explicité, critiqué. Cette représentation, que l'on peut faire tourner autour du pôle Nord ou du pôle Sud, a un mérite : L'Europe (ou l'Amérique) n'est plus au milieu et on peut se rendre compte que la mondialisation, c'est d'abord la prise en compte de la circularité du monde, son bouclage en quelque sorte.

La centration de la carte est aussi un élément à prendre en compte. En règle générale les cartes sont

centrées sur le pays qui les produit. Néanmoins, la centration fait aussi varier les perceptions :

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La carte européo-centrée : Océan Atlantique parait plus important que l’Océan Pacifique, tandis que ce dernier est plus vaste. Chinois et américains produisent ainsi des cartes centrées sur le Pacifique par exemple pour montrer les liens qui unissent ces deux pays.

La discrétisation des données représentées permet aussi de faire varier les perceptions d’un même phénomène et donc de produire un discours. Ex : discrétisation IDH à des seuils différents permet d’intégrer, ou non, certains pays dans le « club » des pays du Nord (= valorisation d’une forme de puissance, comme la capacité à satisfaire ou non les besoins de sa population).

B. Un monde ou l’interdépendance va croissante :

1) Le poids des réseaux : NTIC et FMN :

Cette carte est produite par l’Organisation Mondiale du Commerce, dont la vocation est la libéralisation du commerce mondial (suppression des entraves au commerce). Planisphère de projection polaire centré sur l’Europe, flux interrégionaux en vert, inter-régionaux en orange.

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Elle montre également des flux commerciaux parcourant le monde (comment ? la carte ne le dit pas( navires porte-conteneurs)), notion de mondialisation (bouclage du monde par les flux de toutes natures, mais surtout de marchandises).

Les espaces qui polarisent le commerce mondial sont les pôles de la Triade, même si ce terme mérite aujourd’hui d’être nuancé (rappel : Kenichi Ohmae, gourou du management, un libéral, et utilisation du nom de mafia chinoise pour montrer confiscation du commerce et des flux mondiaux au bénéfice de pôles : Amérique du nord, Europe de l’ouest, Japon- Asie orientale).

Mais une carte qui montre aussi intégration des pays des Suds dans le commerce mondial, notamment les BRICS.

2) La mondialisation de nos jours :

Les cartes représentant les flux dans le monde nous permettent aussi de prendre conscience de l’importance du phénomène de mondialisation. Ces cartes renforcent la conscience d’interdépendance entre les différentes parties du Monde. On parle ainsi de monde en réseaux.

Parfois on entend le terme de globalisation, terme américain francisé et synonyme mais qui en français fait référence à la mondialisation financière.

Les flux de toutes natures (personnes, marchandises, capitaux, informations) se sont multipliés récemment. Aujourd’hui, aucun espace ne se trouve totalement à l’écart des flux mondiaux. Néanmoins, il existe des espaces qui sont plus ou moins fermés ou enclavés (Corée du nord dans une certaine mesure) et qui ne sont concernés par ces flux mondiaux que dans une moindre mesure (ex : cœur de l’Amazonie)

Une notion majeure : celle de Triade = ensemble de pays qui concentrent 75% des flux mondiaux (Amérique du Nord, Europe occidentale, Asie Pacifique). Mais l’émergence des BRICS tend à redistribuer fortement les cartes de la puissance économique et financière mondiale. On préférera donc cette année les

termes de pôles et aires de puissance.

3) Ce que la carte ne dit pas :

des acteurs transnationaux : FTN (firme transnationale : entreprise possédant au moins une unité de

productions et différentes unités de commercialisation à l’étranger, et qui utilise les différences entre

Etats (avantages comparaifs) dans la mise en place de sa stratégie (trans-nationale : au travers) +

mafias (des FTN illégales ? ex : les Zetas au Mexique, Camorra italienne, Triade chinoise, ….)

flux financiers qui sont aussi importants que les flux commerciaux et qui circulent par le biais des

NTIC + flux de matières premières + flux d’informations + flux humains ?

Le commerce mis en place par ces firmes, qui s’appuient sur révolution des transports

(gigantisme, conteneurisation, accélération) et avantages comparatifs (sociaux, fiscaux,

humains, environnementaux, culturels, politiques) qu’offrent chaque Etat, et chaque territoire de

manière plus large.

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C. Un monde polycentrique et régionalisé:

1) Les organisations régionales :

Le monde apparaît connecté avec cette carte et la circulation semble se réaliser autour de 3 pôles : Europe, Asie et Amérique du nord. Néanmoins tous les continents semblent connectés.

La carte produite par l’OMC dont la vocation est la libéralisation des échanges au niveau mondial est aussi un discours. Mais… on constate aussi qu’une part importante du commerce mondial se réalise au sein de zones régionales comme :

L’UE : la plus importante en termes d’échanges commerciaux. Le marché commun le plus abouti à l’heure actuelle. En Asie : les échanges sont aussi très importants, notamment entre le Japon et la

Chine. ASEAN est sur la voie de la constitution d’un marché commun, même si des obstacles persistent. Actuellement existe une zone de libre-échange relative (Asian Free Trade entre les 10 pays membres) En Amérique du nord : ALENA propose la libre circulation des marchandises entre le

Canada, les Etats-Unis et le Mexique (mais pas des personnes). Il existe aussi d’autres organisations régionales à vocation économique, voire

politique dans le monde : Mercosur, Union Eurasiatique (Russie, Biélorussie, Kazakhstan), Organisation de coopération de Shanghai (Chine-Russie)

2) La fin de la Triade ?

De fait, malgré l’importance des échanges entre les pôles de la Triade (Europe de l’ouest, Amérique du Nord, Japon) on constate une place croissante des pays émergents dans les échanges mondiaux.

Triade : notion essentielle que l’on doit cependant critiquer aux vues de l’évolution actuelle des relations économiques et financières mondiales.

Chine : première puissance industrielle mondiale depuis 2013. Elle est l’atelier du monde, mais aussi la banquière des Etats-Unis (détention d’un quart de la dette américaine : T-Bonds) Une part de plus en plus importante des FTN de localisent dans les

pays émergents (notion floue, au départ / croissance éco.)

La crise des subprimes de 2007 aux USA et crise de la dette en Europe viennent remettre en cause la domination de ce groupe sur l’économie mondiale. L’appel aux pays émergents a été nécessaire pour rétablir des relais de croissance, acheter la dette et éviter la faillite de certaines FMN ou de certains Etats (sauvetage assureur AIG par USA, achat dette US par Chine, programmes consécutifs de quantitative easing : injonction de liquidités pour rachat dettes, par les Banques centrales américaine, européenne, chinoise)

3) Le modèle centre-périphérie (Alain Reynaud) en question ?

Le postulat du modèle centre-périphérie : centre : espace qui commande et périphérie est un espace commandé.il est valable à l’époque des empires coloniaux, mais c’est un modèle qui est remis en cause par l’évolution actuelle des FMN (réalisant plus de 500M$ de CA dans au

moins 6 pays différents). FMN : un centre capitalistique et un ancrage dans un pays d’origine, mais externalisation des fonctions de production, voire de recherche (ex : Bengalore en Inde : la Silicon Valley indienne). « Externalisation » y compris des bénéfices dans les paradis fiscaux (ex : Google en France qui ne paye que 17Me d’impôts en 2014…)

La multiplication des centres de décisions dans une économie mondialisées multipolaire : mise en réseau des bourses mondiales par exemple.

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Il existe des périphéries aussi dans les centres (ex : ghettos ethniques dans les villes américaines), et des centres dans les périphéries sous l’effet de la mondialisation (ex : quartier d’affaires dans les capitales économiques des pays en développement), du métropolisation et de la mise en réseau du monde (NTIC, libéralisation des flux financiers et de services). De fait, malgré l’importance des échanges entre les pôles de la Triade (Europe de l’ouest, Amérique du Nord, Japon) on constate une place croissante des pays émergents dans les échanges mondiaux.

II. …et une grande diversité géoculturelle….. A. L’échelle mondiale permet-elle de représenter les contrastes géoculturels

du monde ?

Carte des aires de civilisation selon Samuel Huntington extraite de son ouvrage « Le choc des civilisations » (1993)

Samuel Huntington : professeur de sciences politiques américain, expert en contre-insurrection

de l’administration Lyndon Johnson au Vietnam, puis directeur de l’Institut d’études

stratégiques de Harvard.

La Légende présente neuf « civilisations » : chinoise, japonaise, hindoue, islamique, occidentale,

latino-américaine, africaine, orthodoxe, bouddhiste.

Contexte : fin de la Guerre Froide, attentat américain contre le World Trade Center du 26 février

1993 (6 morts, + 1000 blessés) ainsi que la réaction à la vision libérale de Francis Fukuyama («

La fin de l’histoire », 1992) qui postulait la généralisation de l’idéal démocratique et le

triomphe de l’économie de marché

1) La notion d’aires de civilisation : des aires uniformes ?

Définition Aire de civilisation : entité géographique définie par un ensemble de caractères matériels, moraux, religieux, linguistiques, artistiques, sociaux communs à une société ou un groupe

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de sociétés. C’est un produit historique, forgé dans la longue durée avec des limites spatiales parfois floues.

Géographie des aires de civilisation qui change d’un géographe à l’autre, dans le temps aussi,

notamment avec le contexte géopolitique. Après 1990 : contexte de post-communisme, renouveau de la prise en compte des religions (Victoire des Talibans en Afghanistan après la chute de l’URSS)

Exemple de l’Américain Samuel Huntington : il présente des civilisations fondées principalement sur la religion dominante. Opposition à la thèse de l’uniformisation présentée par Fukuyama mais avec une dimension très géopolitique.

La thèse de Huntington a cependant fait l’objet de nombreuses critiques :

Elle présente une vision géopolitique du monde en termes de conflits où les Etats-nations restent importants et centraux, mais où les conflits opposent les nations et les groupes relevant de civilisations différentes. Une place trop importante est faite au fait religieux, notamment dans des lieux ou les Etats ne se définissent pas par rapport à leur religion (spirituel-temporel). Ex : En Europe, faiblesse du sentiment religieux dans le cadre de la sécularisation des sociétés.

Carte des aires de civilisation selon Yves Lacoste extraite de son ouvrage « Le choc des civilisations » (1993)

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Les aires de civilisation demeurent dans le temps en s’adaptant. Ses structures sont forgées sur la longue durée (Histoire) qui parviennent à résister aux grands changements en s’adaptant.

l’aire de civilisation européenne s’est forgée en large partie sur le socle des valeurs judeo-chrétiennes. Elle a été par la suite dans le contexte de révolution industrielle le lieu de l’invention de la prise de distance des sociétés vis-à-vis des religions, comme de tout ce qui bride la liberté de l’individu. Aujourd'hui : aire qui se définit à la fois par sa référence à la chrétienté et la laïcité ainsi que des droits de l’homme ce qui correspond à un agencement complexe.

2) Le pouvoir de la carte : de l’imaginaire au réel :

La vision de Samuel Huntington passe sous silence un certain nombre de faits.

Ainsi, pour ne citer que cet exemple, il évoque une civilisation islamique allant du Maghreb à l’Indonésie, mais il oublie le clivage essentiel entre islam sunnite (majoritaire) et islam chiite. Clivage qui néanmoins n’implique pas nécessairement des solidarités entre membres de chaque groupe.

De plus, il évoque sous l’appellation civilisation, une religion. La carte ne dit pourtant rien de la pratique religieuse et oublie les athées, ou les non-pratiquants qui peuplent les espaces qu’il décrit.

De même, il assimile Turquie et Arabie Saoudite, Iran dans un même espace. Or, dans ces trois pays les différences sont profondes. La Turquie est un pays laïc, l’Arabie Saoudite est un royaume régi par une interprétation wahabbite de l’islam (=rigoriste et sunnite), tandis que l’Iran est une République islamique, mais chiite. Les divisions entre ces trois pays sont profondes comme le montre les conflits actuels dans cette partie monde, et le manque de réponse coordonnée de ces acteurs face à ces conflits.

Cependant, la vision de Huntington propose une clé de lecture du monde qui a un retentissement important, au moment où les Etats-Unis commençaient à faire face à une contestation de leur emprise sur le monde de la part d’extrémistes religieux (attentat du World Trade Center en 1993).

De fait la carte, qui part du réel pour aboutir à une représentation, permet aussi de créer des

représentations qui aboutissent à des sentiments réels (ex : USA et invasion Irak et Afghanistan avec sentiment d’être attaqué).

3) Le choix des mots de la légende fixe les représentations de la pensée :

Dans l’exemple donné, Huntington associe la notion de civilisation à celle de religion, or Yves

Lacoste nous a montré les précautions qu’il convenait de prendre à ce sujet.

De plus, Huntington emploie le terme de « choc » des civilisations, présupposant ainsi des conflits qui n’ont pourtant rien de préexistant nécessairement, et il fait fi des écarts importants de développement entre les espaces évoqués (lecture géoéconomique).

Les « aires de civilisation » sont souvent définies par des considérations politiques, et constituent une notion englobante à manier avec précaution.

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B. Le raisonnement multiscalaire permet-il de mieux rendre compte des contrastes géoculturels mondiaux ?

1) Des contrastes culturels à toutes les échelles

Par exemple : Liban est rangé dans la catégorie civilisation islamique, or l’on y retrouve une diversité religieuse et ethnique importante à toutes les échelles.

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C’est la même chose en Syrie, ancien mandat français où coexistent de nombreuses communautés religieuses).

La carte, donc, par ses aplats de couleurs, et les limites qu’ils fixent, masque des réalités aux infra-échelles (diversité religieuse et ethnique dans les exemples étudiés de Huntington et de Lacoste)

2) Le poids des réseaux dans la diffusion des pratiques culturelles :

Photographie de la fête de Ganesh à Paris (30/08/2009)

Le monde est parcouru par des flux humains, et il existe de nombreuses diasporas à l’image de la diaspora indienne que l’on retrouve notamment à Paris. (Diaspora chinoise, juive, libanaise, arménienne)

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Les migrants apportent avec eux leurs cultures (gastronomie, modes, fêtes religieuses, pratiques culturelles au sens large). Ces migrants restent en contact avec leurs pays d’origine, via la télévision par satellite, internet, journaux…

Des diasporas qui ne sont pas isolées mais reliées par des moyens de communications modernes (NTIC – présence de nombreux téléphones portables cellulaires sur les photos). On parle ainsi de fonctionnement en réseau, et ces réseaux contribuent à la diffusion de pratiques culturelles.

Ceci nous montre la nécessité de raisonner à différentes échelles, mais aussi et surtout de voir comment ces échelles s’emboîtent les unes dans les autres (diaspora indienne en France, mais surtout au Royaume-Uni en lien avec l’ancienne colonisation de ce pays par les britanniques, donc une diaspora indienne importante au Royaume-Uni et qui est prise en compte par les pouvoirs politiques). Comprendre le poids de cette diaspora dans le pays d’accueil : poids démographique, politique, économique et social, mais aussi en lien avec le pays de départ via notamment le fait des remises (transferts d’argent au pays) qui sont importantes.

Le monde ou le lieu pour montrer les contrastes ou l’uniformisation culturelle ?

Donc la question se pose du message véhiculé par les cartes (ou les autres documents) et de l’échelle la plus pertinente pour montrer le Monde, c’est-à-dire une société mondiale émergente. Les cartes ne sont alors peut-être pas le support le plus adapté…Une photographie de Times Square à New-York pourrait ainsi très bien représenter le monde (Denis Rétaillé, « Les lieux de la mondialisation »)

Par conséquent, il est important de faire varier les échelles et voir la manière dont elles s’emboîtent et sont en relation les unes entre elles pour avoir une vision plus nuancée de la complexité des phénomènes géographiques étudiés.

C. Vers un monde culturellement uniformisé ?

Document : la carte des grands événements sportifs mondiaux

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1) La diffusion d’une culture mondiale :

Cette carte montre la localisation des grands événements sportifs mondiaux et leurs audiences télévisuelles. Sa projection est celle de Jacques Bertin (1950) où les formes et les distances souffrent d’une distorsion minimale. Cette projection est régulièrement utilisée pour montrer des phénomènes mondiaux. La carte est centrée sur l’Europe.

On constate alors que l’Europe concentre la majorité des grands événements sportifs mondiaux. Peut-être parce qu’elle est à l’origine de ceux qui sont ici représentés (Jeux Olympiques modernes - Athènes, Pierre de Coubertin, été 1896 ,les JO de la Grèce antique,l’ Invention du football et du rugby en Europe à la fin du XIXe siècle au Royaume-Uni qui domine alors au niveau mondial).

Cette carte montre la diffusion planétaire de ces événements sportifs, diffusion télévisuelle. L’on constate ainsi que selon les chiffres de la carte, plus de la moitié de l’humanité suit ces événements mondiaux. On pourrait de ce fait évoquer la diffusion d’une culture mondiale, au travers de produits mondialisés, les spectacles sportifs étant de ceux-ci.

On peut alors définir la culture mondiale comme étant une culture partagée des habitants de l’ensemble des pays de la planète. Cette culture mondiale en construction induit aussi l’idée d’une uniformisation des modes de consommations (ce que l’on retrouve avec les sponsors des grands événements sportifs par exemple)

Cette carte montre représentée la géopolitique actuelle du sport, dans le sens où ce sont les pays qui dominent les sports qui sont montrés. De plus, on constate que les principaux événements sportifs mondiaux sont organisés par les pays développés principalement. Ainsi la capacité à organiser un événement sportif de niveau mondial, et la capacité à gagner les grandes compétitions mondiales sont révélatrices de la puissance de certains Etats (ex le Qatar).

Néanmoins, la carte montre aussi l’émergence de certaines puissances au niveau sportif :

c’est notamment le cas de la Chine, du Brésil, mais aussi de l’Afrique du Sud (3 pays qui appartiennent au groupe des BRICS).

2) La construction d’une opinion publique mondiale :

Plus généralement, l’accès généralisé de la planète aux médias de masse et aux NTIC contribue à la construction d’une opinion publique mondiale. Certains auteurs (Marshall Mac Luhan en 1962) évoquent le terme de « village global » pour désigner cela. Néanmoins cette expression cache une représentation géopolitique globalisante qui tend à présenter ce phénomène de mondialisation comme inéluctable, mais il oublie d’évoquer la fracture

numérique mondiale….

Néanmoins, l’on constate, par exemple des réactions mondiales face à des publications a priori locales (un exemple parmi tant d’autres: manifestations contre les caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo qui débouchent sur des manifestations en Afghanistan, en Algérie, au Niger….), donc signe d’une opinion publique qui se joue à l’échelle mondiale, mais dans toute sa diversité.

3) Vers un monde uniformisé ?

Dans ce processus d’émergence d’une société mondiale, les valeurs véhiculées ne sont pas neutres et tout le monde n’est pas concerné.

En 1991, les Etats-Unis étaient la seule hyper-puissance dans le monde, et leurs FTN se sont développées dans de nombreux espaces du monde. Coca-cola, Mac Donalds, Nike diffusent via

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les grands événements sportifs mondiaux, une communication qui laisserait à penser que le monde « s’américanise ». La diffusion mondiale des films hollywoodiens envoie le même message.

Or, face à cette apparente « américanisation » du monde (diffusion modes de vie et idéologie américaine : soft power, capacité de persuasion) des résistances existent. Ainsi, face à Hollywood, le cinéma indien (Bollywood) triomphe. Au Nigéria, Kollywood est à l’origine de nombreuses productions qui concurrencent les américains. De même pour le Coca-Cola (Breizh Cola, Mecca Cola,….).

Donc si le monde semble gagné par une certaine uniformisation culturelle, l’on constate de nombreuses résistances, des adaptations…L’on se rend aussi compte que cette apparente uniformisation concerne des produits commerciaux, donc proposés par des FTN…Et il en va différemment de la culture au sens « noble » du terme (théâtre, littérature, cinéma,…) mais aussi des espaces qui ne sont pas touchés par cette culture mondiale (fracture ville/campagne).

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