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Une fenêtre vers la Mésopotamie: un fragment d'un mythe de Catabase autour du dieu du vin (?) En réalité, j'ai peu à vous dire. Il s'agit, en effet, d'un document: une petite tablette cunéiforme en langue akkadienne, retrouvée à Ur, autour des années trente, au cours des fameuses fouilles anglaises. Le texte en avait été publié en 1966 ; mais c'est seulement en 1990 qu'un des plus forts et des plus sûrs de nos collègues (W.G. Lambert) en a proposé une lecture et une interpré- tation, qu'il me faut vous résumer. Mais vous verrez que, comme trop souvent (c'est une des malédictions de l'assyriologie), le texte ainsi excellemment traduit, est comme tel décevant, et reste au bout du compte opaque. Mais ce qu'il nous apprend, tout au moins, est précieux, à savoir l'existence, en Mésopotamie, autour du XVIIIe siècle avant notre ère (date de notre document), et peut-être pas mal de temps aupa- ravant, d'une nouvelle Catabase, à ajouter à celle, fameuse depuis son déchiffrement et sa publication en 1874 (Schrader), dite d'Istar aux enfers. Je dois vous la remettre d'abord en mémoire, car elle a son impor- tance pour juger et même "comprendre" celle que je veux vous présenter, et, de toute manière, c'est un mythe à connaître. Mais avant tout, je dois, en quelques mots, vous situer ces Catabases dans le milieu mythologique des anciens Mésopotamiens. Ces gens étaient avant tout polythéistes et anthropomorphistes, avec un grand nombre de divinités, la plupart héritées des Sumériens, qui avaient d'abord introduit dans le pays leur déjà haute civilisation, avant de disparaître, au cours du Ille millénaire, phagocytés par les Sémites- Akkadiens qu'ils avaient d'abord acculturés. Les uns et les autres voyaient l'Univers comme un immense sphéroïde divisé en deux : "l'En- haut", comme ils disaient (nous dirions le Ciel), siège des plus grands dieux, brillant et clair, et qui illuminait cette sorte d'île démesurée de la Terre des hommes vivants, desquels la raison d'être et le motif de la création par les dieux avaient été de "servir" ces derniers ; de travailler pour leur procurer tout le nécessaire à une vie plantureuse et béate. Symétrique et antithétique du Ciel, "l'En-bas" (l'Enfer, comme nous dirions), noir, sinistre et lugubre, gouverné par ses propres dieux, sous la mainmise de leur roi et surtout de leur reine: "la Dame-de-Ia Grande Terre" (EreshkigaD. A la mort de chaque homme, il se détachait, en 19

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Une fenêtre vers la Mésopotamie:

un fragment d'un mythe de Catabase autour du dieu du vin (?)

En réalité, j'ai peu à vous dire. Il s'agit, en effet, d'un document: une petite tablette cunéiforme en

langue akkadienne, retrouvée à Ur, autour des années trente, au cours des fameuses fouilles anglaises. Le texte en avait été publié en 1966 ; mais c'est seulement en 1990 qu'un des plus forts et des plus sûrs de nos collègues (W.G. Lambert) en a proposé une lecture et une interpré­tation, qu'il me faut vous résumer. Mais vous verrez que, comme trop souvent (c'est une des malédictions de l'assyriologie), le texte ainsi excellemment traduit, est comme tel décevant, et reste au bout du compte opaque. Mais ce qu'il nous apprend, tout au moins, est précieux, à savoir l'existence, en Mésopotamie, autour du XVIIIe siècle avant notre ère (date de notre document), et peut-être pas mal de temps aupa­ravant, d'une nouvelle Catabase, à ajouter à celle, fameuse depuis son déchiffrement et sa publication en 1874 (Schrader), dite d'Istar aux enfers.

Je dois vous la remettre d'abord en mémoire, car elle a son impor­tance pour juger et même "comprendre" celle que je veux vous présenter, et, de toute manière, c'est un mythe à connaître.

Mais avant tout, je dois, en quelques mots, vous situer ces Catabases dans le milieu mythologique des anciens Mésopotamiens. Ces gens étaient avant tout polythéistes et anthropomorphistes, avec un grand nombre de divinités, la plupart héritées des Sumériens, qui avaient d'abord introduit dans le pays leur déjà haute civilisation, avant de disparaître, au cours du Ille millénaire, phagocytés par les Sémites­Akkadiens qu'ils avaient d'abord acculturés. Les uns et les autres voyaient l'Univers comme un immense sphéroïde divisé en deux : "l'En­haut", comme ils disaient (nous dirions le Ciel), siège des plus grands dieux, brillant et clair, et qui illuminait cette sorte d'île démesurée de la Terre des hommes vivants, desquels la raison d'être et le motif de la création par les dieux avaient été de "servir" ces derniers ; de travailler pour leur procurer tout le nécessaire à une vie plantureuse et béate. Symétrique et antithétique du Ciel, "l'En-bas" (l'Enfer, comme nous dirions), noir, sinistre et lugubre, gouverné par ses propres dieux, sous la mainmise de leur roi et surtout de leur reine: "la Dame-de-Ia Grande Terre" (EreshkigaD. A la mort de chaque homme, il se détachait, en

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quelque sorte, de son cadavre une sorte de double ombreux, volatil, impalpable, analogue aux images que l'on voit en songe: le "fantôme", comme on dirait, lequel était dès lors retenu à jamais dans les sinistres cavernes infernales, et voué là, sans fin, à une interminable torpeur. Les deux domaines, Ciel et Enfer, étaient totalement séparés, et ni les dieux de l'Enfer n'étaient normalement admis à monter au Ciel, ni les dieux du Ciel à descendre en Enfer.

La plus anciennement connue de nos deux versions de La Descente d'Istar aux Enfers était un texte assez court (138 lignes) en langue akkadienne. Le texte en était complet, mais c'était, en fait, une sorte d'abrégé, ce qui nous a longtemps abusés sur le sens du récit lui-même. On l'a entendu comme s'il s'était agi, pour Istar (la déesse de l'amour libre, c'est-à-dire non asservi par les nécessités de la vie de famille et de la procréation des enfants), de descendre aux Enfers pour en retirer et sauver son amant Dumuzi (Tammouz), qui s'y trouvait retenu. Vers 1950, on en a édité et traduit une autre version, plus longue (400 li­gnes), en langue sumérienne, dans laquelle l'héroïne portait le nom sumérien donné au personnage d'Istar : Inanna, douée des mêmes prérogatives. Cette version a remis les choses au point. En réalité, si Istar-Inanna était, de son propre mouvement, descendue aux Enfers, c'était, de la part de cette sorte d' "enfant terrible" des dieux, par pure fantaisie, ce qui était dans son caractère. Mais, en fois "en-bas", sur l'ordre de la Reine de ces lieux, Ereshkigal, elle avait été dépouillée de toutes ses forces vives, comme l'étaient obligatoirement tous les humains qui y descendaient, et immobilisée, comme morte. Son absence avait stoppé tout "amour" physique sur la terre, entre animaux aussi bien qu'entre hommes; les dieux risquaient donc de manquer, à la fin, de nourriture et de "fournisseurs". C'est pourquoi le plus malin d'entre eux, Ea (les Sumériens l'appelaient Enki) avait dû trouver une parade contre ce danger. Il avait imaginé et créé un (deux dans la version sumérienne) être humain inverti, un homme-en-femme, pour attendrir Ereshkigal, ou la faire rire, de telle manière qu'elle ne s'opposât plus à la délivrance d'Inanna/lstar. Seulement il y avait une loi inviolable de l'Enfer, qui exigeait un substitut pour remplacer tout libéré. Voilà donc Istar qui remonte sur terre, mais accompagnée de sortes de gendarmes infernaux, disons de "démons", chargés de ramener en Enfer le gage et substitut choisi par elle. Refusant de se séparer de ses serviteurs, elle jetait à la fin son dévolu sur son amant, Dumuzi. Et c'est lui qui était entraîné en Enfer pour six mois, au bout desquels il remonterait, remplacé par sa sœur. Rythme annuel qui rendait sans doute compte et de la succession de cérémonies liturgiques et, au-delà, de l'alternance des plantes souterraines, germées et sorties du sol. Ce n'est d'ailleurs là qu'une vraisemblance interprétative entre plusieurs autres, et le mythe, comme souvent, devait se lire sur plusieurs niveaux.

Que nous raconte notre nouvelle Catabase? Je vous en résume le texte, malheureusement interrompu de nombreuses lacunes, petites ou

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plus importantes, qui le défigurent et ne nous permettent pas de le traduire à la suite, nous laissant souvent perplexe. Le sujet principal de cette "Descente", ce n'est plus la fantasque Inanna /Istar, mais un dieu mineur, un dieu sumérien ancien, dont les attributions et les prérogati­ves sont multiples, comme c'était plus ou moins la règle pour ces archaï­ques divinités sumériennes. Son nom (sumérien) était Nin-gesh-zi-da, mot à mot: "Le Maître du Bois - par excellence". Quel bois? On n'en sait rien, mais on a pu l'entendre de la vigne, vu la qualité de son épouse. Le fait qu'il ait été notoirement l'époux de la déesse Ama­geshtin-anna : "La Dame de la Vigne céleste", nous a donné de bonnes raisons d'en faire le dieu du vin. Car si le pays ne se prêtait guère, au moins dans sa partie méridionale, culturellement la plus importante, à la production du vin (la boisson principale était céréalière : la bière ; et le vin avait été d'abord importé du Nord et du Nord-Ouest depuis, au plus tard - 2400, sous le nom de "bière de la montagne"), il était bien connu dans le pays puisqu'il a pu légitimer l'existence d'une déesse "patronne de la Vigne", et d'un dieu du vin, son époux. Vu la situation secondaire du vin, en Mésopotamie, tout au moins à l'époque ancienne où sont élucubrés tous ces mythes, c'étaient, naturellement, des dieux mineurs.

Aux premiers mots intelligibles de la face de la tablette, est exhorté aux larmes, au deuil, un personnage non défini, possiblement la mère de Nin-gish-zida, qui reparaîtra ensuite jusqu'à la "fin" du texte. Cette situation nous invite à penser que, non seulement la mise en place des personnages, mais les raisons du deuil et des larmes étaient exposées dans une première partie du poème, que nous n'avons pas retrouvée ; vous verrez que la même conjecture s'impose pour la fin. Autrement dit, il Y a toutes'les chances que nous n'ayons ici que la partie centrale du mythe, ce qui; ne nous le rend pas plus intelligible! La raison immédiate des larmes, dû. moins, serait donnée en toutes lettres : "Le Roi - proba­blement le rôrdes Enfers - veut t'emporter, / là où nul n'est épargné, / où les dieux de l'Enfer sont assis en silence/ ... , où/ tous les rois se morfon­dent (?) dans la poussière". Ce qui est, proprement, le tableau de l'Enfer, triste, silencieux et poussiéreux à jamais. Le roi de cet Enfer a député un de ses représentants, un "démon", pour emmener avec lui en Enfer le condamné : "Un monstre mauvais, un "démon, représentant du Roi des Enfers, s'est dressé devant Nin-gish-zida et s'est adressé à lui: "Tu viendras avec nous en Enfer comparaître devant Ereshkigal ... ". Après quoi, le texte dévasté laisse transparaître des supplications de la victime à son bourreau, et des appels à son père et à sa mère ... Mais rien ne change, puisque, au bas de la face, on lit encore : "Tu viendras avec nous en Enfer". Il est clair qu'à la différence de la Catabase d'Inannaiistar, cette "descente" n'est pas volontaire, mais bel et bien forcée. Mais pourquoi? On dirait une condamnation, mais pour quelle raison? Nous n'en savons rien et seule la retrouvaille de la "page" précédente, je veux dire de la tablette où se trouvait consignée, selon l'habitude des copistes, la partie antérieure du mythe, nous permettrait de le savoir. Le ton général de ce

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que nous avons nous ferait seulement pencher pour un acte de violence : Nin-gish-zida n'a rien d'un coupable à châtier. C'est une victime, qui ne peut que gémir et pleurer.

Au revers de la tablette, c'est-à-dire à la suite du texte, on voit seulement la mère de la victime qui pleure toutes les larmes de son corps, qui "meugle" plaintivement, "comme une vache" et qui semble prête à offrir des cadeaux à ses gardiens "pour que la vie (de son fils) soit sauve". Elle paraît même conseiller (à son fils, ou au garde de son fils) de jeter contre Ereskigal, pour lui faire lâcher prise, des conjurations "par la Terre et le Ciel". Suit la "fin", fort énigmatique. On y lit seulement : "Mais elle (la mère de la victime) sans (pouvoir) retenir son fils, meuglait après lui comme une vache" (ce sont là des images pour nous insolites, mais en Mésopotamie, pays d'éleveurs, tout à fait courantes). Nin-gish-zida s'en alla donc avec son "soutien", / Rendant des larmes rouges-couleur-de-Ia­laine-teinte". Puis, plus rien: la suite, obligatoire, (les mythes, pas plus que les autres récits, ne se terminent jamais ainsi en queue de poisson) devait figurer - comme nous l'avons conjecturé pour le début de notre récit - dans "la page suivante" une tablette (au moins) qui faisait suite.

Ce que je vous ai traduit est ambigu. Nin-gish-zida s'en va-t-il sur la terre, pour y remonter, libéré? Ou bien suit-il son chemin vers l'Enfer? Le verbe illak peut s'entendre d'une manière ou de l'autre. Il y a bien la précision: il s'en va "avec son soutien". Ce mot (tiklu) a généralement un sens positif, qui favoriserait ici une traduction "s'en alla (délivré) et soutenu par quelque aide compatissante". Mais qui jouerait ce rôle? Les larmes et la douleur de sa mère exclut qu'elle soit vraiment pour son fils un secours. Tiklu doit donc s'appliquer plutôt aux démons, à l' "escorte" qui l'entraîne ... Pourquoi, du reste, s'il était vraiment libéré de l'Enfer, pleurerait-il des larmes de sang? Car le terme "rouge" n'est pas celui du vin (sûmu), comme si,une fois hors de danger il avait inventé ou créé le vin en versant des larmes de joie. C'est le mot qui s'entend du "rouge vif' de la laine teinte (sirpu), des larmes si navrantes et douloureuses qu'elles font penser à du sang. Dans ce cas, il est clair que Nin-gish-zida n'a donc pas été autorisé à quitter l'Enfer. Pourquoi? Et que se passait­il par la suite? Nous n'en pouvons rien savoir. Mais du moins, comme je vous l'ai dit, ce fragment de mythe nous a-t-il révélé (dans un contexte tout à fait obscur, et incompréhensible il est vrai) un autre mythe de Catabase, en Mésopotamie. Vous voyez bien que je n'avais, hélas, pas grand chose à vous apprendre ...

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Jean BOTTÉRO Ecole Pratique des Hautes Etudes

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Actéon, Orphée, Penthée :

mise en abyme et initiation manquée

dans les Bacchantes d'Euripide

« Mettre en abyme » est une expression qui, à ma connaissance, apparaît pour la première fois dans le Journal d'André Gide1. Mais si l'expression est récente, la pratique est bien antérieure. L'abyme (ou abî­me, mais, avec Gide, je préfère le charme désuet de la forme ancienne, plus proche de l'étymologie) dans le langage de l'héraldique désigne, selon Littré, «le centre de l'écu lorsqu'il porte une ou plusieurs pièces qui ne chargent aucune des autres » (Il faut donner à "charger" le sens de "toucher"). Exemple proposé: « Il porte trois besans d'or, avec une fleur de lys en abîme ». Mais la signification de l'expression "mettre en abyme", utilisée par Gide à propos de tableaux de Memling ou de Quentin Metsys dans lesquels « un petit miroir convexe et sombre reflète, à son tour, l'intérieur de la pièce où se joue la scène peinte », est plus restrictive et correspond plutôt à cette définition proposée par Lucien Dallenbach : « est mise en abyme toute enclave entretenant une relation de similitude avec l'œuvre qui la contient »2. L'expression est récente mais la réalité est ancienne, beaucoup plus ancienne que les peintures des Memling, Metsys, Van Eyck ou Velasquez ou même que l'art du blasori:Les écrivains de l'Antiquité la pratiquaient déjà. Dans des études antérieures j'ai essayé d'en donner deux exemples en mon­trant comment la figure de Tydée dans l'Iliade et, dans une moindre mesure, celle de son fils Diomède, constituaient pour Achille des miroirs brouillés, reflétant la violence animale à laquelle il lui arrive de succom­ber quand se déchaîne sa fureur guerrière, ivresse du sang à laquelle néanmoins il parvient en général à résister. À la différence de Tydée il ne brise pas toutes les barrières qui séparent l'humanité de l'animalité3. L'autre exemple est celui d'Amphiaraos, miroir d'Étéocle dans les Sept contre Thèbes (tous les deux appartiennent à une famille célèbre, portent

1 André GIDE, Journal 1889-1939, Paris, Gallimard, coll. de la Pléiade, 1948, p. 41. Le passage est de 1893. 2 Lucien DALLENBACH, Le récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme, Paris, Seuil, 1977,p.18. 3 Alain MOREAU,« Tydée dans l'Iliade: une mise en abyme d'Achille ? », Uranie, 1, 1991, Mythe et Création, pp. 73-85.

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un regard aigu sur l'avenir, manifestent de la piété, sont des solitaires incompris au milieu de va-t-en guerre sanguinaires ou de femmes hystériques, tous les deux pensent qu'ils sont destinés à la mort, tous deux manifestent de l'amertume}. Mais, comme Homère, Eschyle souligne aussi la différence : devin occasionnel seulement et soumis à l'Imprécation paternelle, Ara, qui obscurcit son jugement, Étéocle n'a pas, comme Amphiaraos, la lucidité parfaite qui lui permettrait d'échapper à un sort funeste4. C'est le même jeu de mise en abyme que je voudrais mettre en évidence dans les Bacchantes en montrant com­ment les allusions à Orphée et Actéon constituent autant de signes adressés au spectateur pour préparer ou rappeler le destin de Penthée.

Mais avant de parler d'Orphée et d'Actéon, miroirs de Penthée jusque dans le destin, il convient de consacrer un développement à un person­nage qui, par bien des aspects, ressemble à Penthée et aurait pu consti­tuer pour lui un modèle, Tirésias. Le devin apparaît aussitôt après la parodos. Ce devin chenu, donneur de sages conseils que le roi refuse de suivre, par bien des aspects ressemble pourtant au Penthée des Bacchantes, comme en témoigne l'hymne V de Callimaque qui reprend ici une version ancienne puisqu'elle est déjà attestée chez Phérécyde au ve siècleS :

Elles [Athéna et sa compagne la nymphe Chariclô, mère de Tirésias] se baignaient toutes deux, et c'était l'heure de midi, et le silence profond régnait sur la colline. Tirésias seul, avec ses chiens, jeune homme au duvet mûrissant, promenait ses pas en ce lieu sacré : altéré tant qu'on ne peut dire, il s'approcha des eaux courantes. Infortuné ! Sans le vouloir il vit ce qu'on ne doit voir. Pleine de colè­re, Athéna pourtant lui parla : « Qui donc, fils d'Evérès, toi qui d'ici n'emporteras pas tes yeux, quel mauvais génie te mit en ce chemin funeste? » Elle dit, et la nuit prit les yeux de l'enfant...Et la nymphe clama: « Qu'as-tu fait de mon fils, Vénérable ? ... Tu m'as pris les yeux de mon fils. 0 mon enfant, infortuné ! tu as vu le sein et les flancs d'Athéna ; tu ne reverras plus le soleil. Malheur sur moi ! ô mont, ô Hélicon, terre que je ne foulerai plus, tu as gagné beaucoup en donnant peu; oui, pour avoir perdu quelques daims et quelques faons, tu tiens les yeux d'un enfant !

(Callimaque, Hymnes, V, Pour le bain de Pallas, 73 ss.) Tirésias a commis une transgression, Penthée s'apprête à en com­

mettre une en prétendant enchaîner un dieu. Tirésias chasse les daims et les faons ; toute une thématique de la chasse parcourt les Bacchan-

4 Id., « Fonction du personnage d'Amphiaraos dans les Sept contre Thèbes: le blason en abyme ", BAGB, 1976,2, pp. 158-18l. 5 Phérécyde, 3 F 92 Jacoby. Pour le mythe de Tirésias, il faut lire le livre essentiel de Luc BRISSON, Le mythe de Tirésias. Essai d'analyse structurale, Leiden, 1976 ; id., Le sexe incertain, Paris, Les Belles Lettres, 1997.

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tes6 : Penthée ira chasser les Ménades dans la montagne (228), il demande à ses hommes de rechercher les traces de l'étranger (352), il croit avoir pris Dionysos dans ses filets (451), sa mère l'imagine à la poursuite des fauves (1253-55). Tirésias est jeune et Penthée égale­ment: ennemi de Dionysos, il est aussi son double7 ; or le dieu est dépeint comme un adolescent aux boucles blondes (235), aux longs cheveux bouclés ondoyant sur la joue, à la peau blanche (455-457). Et Agavé, dans son délire, alors qu'elle tient dans ses bras la tête de son fils, l'imagine au milieu des jeunes gens (en neaniaisi, 1254). La scène de l'aveuglement de Tirésias se passe sur une montagne, le Mont Hélicon, la chasse aux Bacchantes et la mort de Penthée ont pour cadre une montagne, le Cithéron, nommé treize fois dans la pièce d'Euripide, et l'on rencontre vingt-deux occurrences d'oros, la montagne, et des mots de la même famille8.

Dans une autre version, encore plus ancienne puisqu'elle est attestée chez Hésiode9, c'est parce que Tirésias a révélé le secret des femmes, à savoir que dans l'acte d'amour les femmes obtiennent neuf parts de jouissance contre une seule pour l'homme qu'Héra (et non Athéna) le prive de la vue. Mais c'est moins la transgression qui nous intéresse ici que la raison pour laquelle Tirésias connaissait le secret des femmes. TI avait vu, sur une montagne, le mont Cyllènè, deux serpents en train de s'accoupler et les avait blessés, acte qui lui avait valu d'être métamor­phosé en femme. Notons au passage que la scène se déroule encore une fois sur une montagne... qui devient le Cithéron dans la variante de

6 Sur ce thème, voir Charles SEGAL, Dionysiac Pœtics and Euripides' Bacchae, Prince­ton University Prèss, 1982, p. 32 ss. et passim. 7 Sur ce thème, voir Richard SEAFORD, « Dionysiac Drama and the Dionysiac Mysteries »,

CQ, 31, 1981, pp. 252-275 (p. 268, note 252) ; Albrecht HENRICHS, « Changing Dionysiac Identities », in B.F. MEYERS 1 E.P. SANDERS (éd.), Jewish and Christian Self·Definition III, London, 1982, pp. 137-160 et 213-236; Charles SEGAL, a.c., pp. 158-214 (p. 160); Giovanni CASADIO, « Antropologia Orfico-Dionysiaca nel culto di Tebe, Corinto e Sicio­ne »> in Sangue e Antropologia, Riti e culta, Roma, 1987, pp. 191-260 ; Alain MOREAU, « Dionysos antique: l'insaisissable », in Dictionnaire des mythes littéraires (éd. Pierre BRUNEL), Paris, éd. du Rocher, 1988, pp. 438452 (p. 441-442) ; Jean-Pierre VERNANT, « I.e Dionysos masqué des Bacchantes d'Euripide », in J.-P. VERNANT 1 Pierre VIDAL­NAQUET, La Grèce ancienne. 3. Rites de passage et transgressions, Paris, Seuil, 1992 (première version publiée dans l'Homme, 93, 1985, pp. 31-58 ; repris dans J.-P.VERNANT / Pierre VIDAL-NAQUET, Mythe et Tragédie en Grèce ancienne II, Paris, la Découverte, 1986, pp. 237-269; Jan BREMMER, « Dionysos travesti », in MOREAU, L'Initiation, Actes du Colloque International de Montpellier 11-14 Avril 1991, Publications de la Recherche, Univ. Paul Valéry, 1992, tome I, pp. 189-198. Ainsi, bien entendu que le commentaire de Jeanne ROUX, Euripide. Les Bacchantes, II, Paris, Les Belles Lettres, 1972, passim. 8 I.e Cithéron : 62, 661, 751, 797, 945, 1045, 1142, 1177 (deux fois), 1219, 1292, 1384 (deux fois) ; oreidromos : 985 ; oreios ; 1068; oras : 33, 51, 76, 86, 116, 135, 140, 155, 165, 191,228, 658, 719, 726,791,811,977,986,1169,1225. 9 Hés., Fr. 275 M.W. Les deux versions sont recueillies par le pseudo-Apollodore, III, 6, 7.

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Tzetzès10. Quelque temps après, il les avait à nouveau rencontrés en train de s'accoupler et était alors redevenu homme. Or Penthée connaît aussi ce passage par le féminin. Si au début il garde sa belle chevelure blonde tressée et relevée au-dessus de la tête, « en aristocrate qui prati­que le sport et la lutte ,,11, dit Jeanne Roux, alors que l'efféminé Dionysos (thèlumorphon, 353) la laisse s'épandre sur ses épaules, il est ensuite costumé en femme par le dieu qui le transforme en un autre lui­même pour mieux le perdre: tresses dénouées, robe de lin aux longs plis, peau de faon tachetée (la nébride), et thyrse en main comme une Bacchante.

Jeunesse, transgression, féminisation, localisation des événements décisifs sur la montagne. Quel enseignement peut-on tirer de ces multi­ples points de rencontre qui ne sauraient être des coïncidences? Qu'il y a là un signe, un clin d'œil du dramaturge vers les spectateurs qui connaissent bien le mythe du plus célèbre des devins, déjà prestigieux dans l'Odyssée, et celui du roi thébain. La sanglante histoire de celui-ci avait été mise en scène peut-être par Thespis dans son Penthée (mais l'attribution est douteuse), et plus sûrement par Eschyle, qui avait composé deux tétralogies thébaines ; même si nous n'avons pas de certitude absolue en ce qui concerne l'intrigue de son Penthée12. Ce qui est assuré, en tout cas, c'est qu'Eschyle, et par conséquent les spectateurs d'Euripide aussi, connaissait parfaitement l'histoire, comme le prouvent ces vers des Euménides :

Là règne Bromios ,- je me garde de l'oublier! - depuis le jour où sa divinité conduisit au combat les Bacchantes et à Penthée trama la mort d'un lièvre. (Eu. 24-26)

Mais on peut se demander si le signe ne vaut pas aussi pour Penthée lui-même. Or non seulement Penthée ne perçoit pas le signe, mais il donne à cette occasion une preuve éclatante de son hubris :

Mais le devin que voici, ton maître en imbécillité, sera puni. Vite ! qu'on coure vers le siège d'où cet homme observe les oiseaux. Prenez un pic, un trident, soulevez et tournez à l'envers son trône et mettez

10 Tzetzès à Lycophron, 683. 11 Jeanne ROux, O.c., II, p. 406 (comm. aux vers 455-456 ). 12 L'hypothesis des Bacchantes, se référant à Aristophane de Byzance, affirme qu'Euri­pide emprunte son sujet à cette pièce. Malheureusement il ne reste qu'un seul vers de la tragédie d'Eschyle (<< Ne laisse pas tomber une goutte de sang sur le sol ", Fr. 183 Radt), ce qui est un peu insuffisant pour vérifier la véracité du témoignage ... car une telle recom­mandation pourrait se trouver dans un certain nombre d'autres tra~édies. Pour les problè­mes concernant les tétralogies thébaines d'Eschyle, voir Rachel AELION, Euripide héri­tier d'Eschyle, Paris, Les Belles Lettres, 1983, Tome I, pp. 249-259 ; Bernard DEFORGE, Eschyle, poète cosmique, Paris, Les Belles Lettres, 1986, pp. 141-154 ; François JOUAN, « Dionysos chez Eschyle ", Kernos, 5, 1992, pp. 71-86. Voir aussi Victor CASTELLANI, « Everything to do with Dionysos: Urdrama, Euripidean Melodrama, and Tragedy ", in Melodrama, ed. by James REDMOND, Themes in drama, n° 14, Cambridge Univ. Pr., 1992, pp. 1-16.

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bien tout sens dessus dessous, livrez à la fureur des vents ses bande­lettes : ce châtiment pour lui sera le plus cuisant. (Bacch. 346-351)

Je n'ai pas prononcé l'expression "mise en abyme" pour Tirésias, parce que les similitudes entre le devin et le roi ne sont que partielles : l'histoire de Tirésias, si elle commence mal, se continue bien. Il devient le plus prestigieux de tous les devins et, s'il meurt d'épuisement ou pour avoir bu de l'eau de la source Tilphoussa sur la route de l'exil après la prise de Thèbes par les Épigones, c'est après avoir vécu sept vies d'hommes et vu passer dans sa cité treize gouvernements ou régences différents, de Penthée à Laodamas13.

D'une tout autre nature est l'allusion à Orphée. Une seule allusion, mais qui fait naître de nombreuses résonances. Le passage suit l'affrontement entre Penthée et Dionysos. Le roi vient d'ordonner à ses gardes d'enchaîner et d'emprisonner le dieu. Le Chœur chante:

Où conduis-tu ton thiase, Dionysos thyrsophore ? Est-ce à Nysa, berceau des fauves, est-ce aux sommets coryciens ? Ou peut-être dans les retraites de l'Olympe aux bois touffus, où la cithare d'Orphée, jadis, par ses accents, rassemblait et les arbres et les bêtes sauvages. (Bacch;·556-564)

Nysa doit certainement être identifiée au Nyseion sacré, à travers lequel Lycurgue, roi de Thrace, poursuit les Ménades (Iliade, VI, 133). Et la tendance actuelle des spécialistes, malgré l'opinion de Jeanmaire, est d'identifier ce Nyseion sacré avec le Mont Pangée, en Thrace, lieu de culte dionysiaque14. Or l'alliance des mots Lycurgue, Mont Pangée et Orphée nous conduit inévitablement à effectuer un rapprochement avec l'une des deux tétralogies thébaines d'Eschyle, la Lycurgie. Pour cet ensemble noùs connaissons les noms et l'ordre des pièces grâce à une scholie d'Aristophane15 : les Édoniens, les Bassarides, les Jeunes Gens

13 Il est vrai qu'Euripide triche un peu quand il nous le présente comme un vieillard chenu : l'adolescent Penthée est fils d'Échion, l'un des Spartes, et Tirésias, selon le pseudo-Apollodore, III, 6, 7, est «fils d'Évérès et d'une nymphe, Chariclo, de la famille d'Oudaios, le Sparte ». Il est donc, au mieux, le petit-fils d'un Sparte et, par conséquent, plus jeune d'uune génération que Penthée. Pour les besoins de sa tragédie Euripide l'a présenté dans son apparence traditionnelle: on voit mal un bambin donnant des conseils à un adolescent. Sur la mort de Tirésias près de la source Tilphoussa, sur le mont Tilphô­sion, voir pseud.-Apollod., III, 7, 3. (c'est celui-ci qui déclare qu'il mourut après avoir bu de l'eau de la source) ; Diodore (IV, 67, 1) affirme que « les Cadméens lui rendirent de somptueux honneurs funèbres et l'honorèrent de cultes à l'égal des dieux» (trad. Janick Auberger) ; Pausanias, qui a vu sa tombe près de la source (IX, 33,1), dit aussi ailleurs (IX, 18, 4) qu'il y avait un cénotaphe sur la route qui va de Thèbes à Chalcis. 14 Voir à ce sujet le commentaire de Jeanne Roux aux vers 298 et 556 des Bacchantes et celui de G.S.KIRK, The Iliad : a Commentary, vol. II, Cambridge Univ. Pr., 1993 à Il., VI, 132-137 ; Henri JEANMAIRE, Dionysos. Histoire du culte de Bacchus, Paris, Payot, 1ère éd. 1951,2e éd. 1970, pp. 57-78. 15 Schol. Ar. Thesm. 135. Les principales études sur cette tétralogie, outre celles qui sont indiquées à la note 12, sont les suivantes, par ordre chronologique: Louis SÉCHAN,

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(Neaniskoi), Lycu1J5ue satyrique. Il est possible de reconstituer approxi­mativement les Edoniens grâce aux fragments du Lycurgue de Naevius, qui semble s'être largement inspiré d'Eschyle. Voici le résumé qu'en propose François Jouan 16 :

Dans le prologue, un messager annonçait au roi thrace l'arrivée d'un personnage entouré d'un bruyant cortège de musiciens et de danseurs - Dionysos et son thiase. Le roi ordonnait de les arrêter et de les faire comparaître devant lui. Dans la parodos, le Chœur, sans doute composé de sujets de Lycurgue, décrivait le cortège dionysiaque. Un garde rendait compte de l'arrestation des trublions et de leur docilité. Le roi interrogeait lui-même Dionysos, comme le Penthée des Bacchantes. Aussi mécontent des réponses de Dionysos que le prince thébain, il l'emprisonnait avec sa suite dans son palais, où il devait trouver, lui disait-il ironiquement « un logement gratuit». Mais la défaite du dieu n'était que provisoire. Bientôt les liens des captifs tombaient d'eux-mêmes, Dionysos apparaissait dans sa gloire sur le toit du palais, qui vacillait sur sa base et se nimbait de flammes: autre motif inclus dans nos Bacchantes. On ne sait comment se terminait le drame.

Il me paraît inutile de commenter ce résumé plus que ne le fait François Jouan. Il est clair que si Naevius s'est largement inspiré de la tragédie d'Eschyle, l'hypertexte d'Euripide, pour utiliser le vocabulaire de Gérard Genette, lui doit beaucoup aussi. L'allusion à Nysa et les multi­ples échos des Édoniens dans les Bacchantes amenaient nécessairement les spectateurs à comparer le roi thébain au roi thrace et à imaginer la catastrophe finale, dont il est difficile de dire à quel moment de la trilogie elle se plaçait, mais dont on devine la forme grâce à un stasimon

Études sur la Tragédie grecque dans ses rapports avec la céramique, Paris, Champion, 1926, rééd. 1962, pp. 73-79 ; K.DEICHGRÂBER, « Die Lykurgie des Aischylos. Versuch einer Wiederherstellung der dionysischer Tetralogie », NGG, NF, III, 8, 1938-1939, pp. 231-310; W. STEFFEN, Studia Aeschylea praecipue ad deperditarum fabularum fragmentia pertinentia, Polska Akademia Nauk, Archiwum Filologiczne, 1, Wroc\aw, Zaklad Naro­dowy im. Ossolinskich Wydam, 1958 ; Bruna Marinella PALUMBO, « Un frammento della Bassaridi di Eschilo », RCCM, 8, 1966, p. 205-209 ; id., «Eschilo, fr. 23 N2 », RFIC, 94,4, 1966, pp. 407-413 (sur les Bassarides) ; id., « Eschilo, fr. 75 Mette », BPEC, 15, 1967, pp. 147-148 (sur les Édoniens) ; Dana SUTTON FERRIN, « Aflschylus'Edonians ", in Fons peren­nis. Saggi in onore di V.d'AGOSTINO, Torino, 1971, p. 387-411 ; Georges DEVEREUX, « Le fragment d'Eschyle 62 Nauck 2. Ce que signifie Xl-ouvm; », REG, 86, 1973, pp. 277-284 (les Édoniens). Chr.THEODORIDIS, « Ein neues Fragment des Aischylos », ZPE, 19, 1975, pp. 180-182 (Fr. 146 b Radt ) ; M.L.wEST, « Tragica l », BICS, 24, 1977, pp. 89-103 (Fr. 84 Mette: les Bassarides) ; Stefan RADT, « Der unbekanntere Aischylos », Prometheus, 12, 1986, pp. 1-13 ; P. MUREDDU, « Senofonte di Lamsaco e gli Edoni di Eschilo », Eikasmos, 3, 1992, pp. 105-108; Massimo DI MARCO, « Dionisio ed Orfeo nelle Bassaridi di Eschilo »,

in Orfeo e l'orfismo. Atti del Seminario Nazionale (Roma-Perugia 1985·1991) (éd. Agostino MASARACCHIA, éd.), Roma, Gruppo Editoriale Internazionale, 1993, 652 p. (p. 101-153) ; P. MUREDDU, « Le "lunghe gambe" di Dioniso (Aesch. fr. 62 R.) », Eikasmos, 5, 1994, pp. 81-88. 16 F. JOUAN, a.c., pp. 73-74.

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d'Antigone et à une série de vases attiques et italiotes : Lycurgue, saisi de folie, frappe de sa hache sa femme et son fils Dryas qu'il prend pour un pied de vigne, il est enfermé par Dionysos dans une grotte du mont Pangée où il retrouve peu à peu la raison ... pour prendre conscience du désastre. Homère, quant à lui, choisit de l'aveugler et de le faire mourir rapidement17. Chez le pseudo-Apollodore18, le châtiment continue après la folie et l'enfermement : le pays est frappé de stérilité; on consulte l'oracle qui réclame la mort de Lycurgue; celui-ci est attaché sur le mont Pangée et « selon la volonté de Dionysos » est anéanti par des chevaux sauvages. Quelle que soit la version, on voit combien les échos sont nombreux entre les deux ennemis de Dionysos: hubris, folie, châtiment sur la montagne, destruction finale qui peut prendre la forme d'un sparagmos, que connaît aussi le jeune Dionysos Zagreus attiré dans un piège par les Titans.

La deuxième pièce de la trilogie d'Eschyle, les Bassarides ou Bassarai, tisse de nouveaux liens en faisant intervenir le personnage d'Orphée, soit pour le présenter à Lycurgue comme l'exemple à ne pas suivre, soit comme personnage central de la pièce. Dans cette hypothèse le poète aurait rompu l'unité narrative pour renforcer l'unité thématique. Car Orphée y était présenté lui aussi comme un transgresseur, refusant d'honorer Dionysos Bassareus pour adresser sur le mont Pangée ses prières à Hélios invoqué sous le nom d'Apollon. Bien sûr cela se termine très mal. Dionysos lui envoie les Bassarides (les Bacchantes thraces vêtues de la bassara, la peau de renard) qui le mettent en pièces (sparagmos) et dispersent ses membres (diasparagmos). Faut-il suivre West qui, dans sa reconstitution, suppose un stasimon évoquant la triste histoire de Thamyris qui, pour avoir voulu rivaliser dans l'art du chant et de la musique avec les Muses, fut aveuglé par celles-cL.sur le mont Pangéé1,~? Ma recherche dans ce domaine n'est pas assez avancée pour que je puisse vraiment prendre parti. Mais c'est peut-être trop parfait pour être vrai. Ce jeu sans fin de mise en abyme dans la mise en abyme, comme deux glaces placées l'une en face de l'autre et qui reflètent jusqu'à l'infini des images homothétiques de plus en plus peti­tes, finirait par donner le vertige. Quoi qu'il en soit, on voit que quelques vers d'un stasimon suffisent à faire résonner de multiples échos, à moduler le motif de l'hubristès, ennemi de Dionysos, qui subit son châtiment sur la montagne. Ajoutons que l'hubris apparaît aussi dans le fait de mettre en mouvement par la musique les arbres et les fauves (et d'autres sources ajoutent les rochers2o), ce qui dérange l'ordre du monde.

17 Il., VI, 139-140. 18 Pseudo-Apollod., III, 5, 1. 19 Voir le Rhésos attribué à Euripide, 921 ss. 20 Ainsi Apoll.Rh., l, 26-27, le pseudo-Apollodore, l, 3, 2. Déjà, avant Euripide, le pouvoir d'Orphée avait été évoqué par Simonide, Fr. 567 Page, Eschyle, Ag. 1630 et Bacchylide,

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Celui-ci est encore plus dérangé par le fait de ramener un être humain des Enfers, comme tente de le faire Orphée en allant chez Hadès chercher son épouse Eurydice (un épisode auquel Euripide fait allusion dans Alceste21). Certes Penthée ne peut saisir toutes ces connotations puisqu'il n'est pas présent; il ne profite donc pas de l'avertissement, mais les spectateurs, eux, connaissent la délicieuse angoisse de l'attente d'une catastrophe que signes, allusions, échos viennent peu à peu confirmer.

Le blason en abyme le plus représenté est Actéon22. Il est fait cinq fois allusion à ce personnage dans les Bacchantes. C'est Penthée lui­même, qui, incidemment, cite son nom dans des menaces lancées contre les filles de Cadmos (dont sa mère), qui ont rejoint les Ménades:

Et j'irai relancer le reste à la montagne. Dans mes filets de fer je les tiendrai captives, Inô, et Agavé, la femme d'Échion, ma mère, -Autonoé, la mère d'Actéon. Elles abjureront ce culte scélérat ! (Bacch. 228-232)

Cadmos met en garde Penthée en lui rappelant le sort de ceux qui osent défier la divinité:

Sais-tu point le funeste destin d'Actéon, que les chiens carnassiers que lui-même éleva, déchirèrent un jour qu'il chassait dans les halliers sacrés23, parce qu'il se vantait d'être plus grand veneur ... qu'Artémis! Crains son sort ! Viens ici, laisse-moi, de ce lierre, couronner ton front. (Bacch. 337-341)

Cadmos ramène du Cithéron les débris du corps de Penthée : Je repris le chemin de la montagne, d'où je rapporte le corps de mon

fils, massacré par les mains des Ménades ! J'y vis Autonoé, l'épouse d'Aristée, et mère d'Actéon, avec sa sœur Inô, errant sous l'aiguillon d'un sinistre délire par la futaie ; et l'on m'a dit que vers ces lieux Agavé s'empressait dans sa course bachique. (Bacch. 1225-1231)

Agavé, revenue à la raison, interroge son père Cadmos sur les circons­tances de la mort de son fils :

- Parle ! mon cœur palpite en attendant la suite. - C'est toi qui l'as tué! Toi-même avec tes sœurs!

fragments de dithyrambes, 5, vers 6 : «et les arbres aussi» (éd. Irigoin/Duchemin/Bardol­let), p. 65. 21 Eur., Alc. 357-362. On notera que si Héraclès réussit à ramener Alceste des Enfers, Orphée, lui, ne parvient pas à ramener son épouse. 22 Sur Actéon, voir aussi les excellentes remarques de C.Segal, Dianysiac Pœtics ... , p. 33, 79,166. 23 Il ne faut pas rendre par "plaine", comme le fait Grégoire, puisqu'on apprend plus loin qu'Actéon meurt sur le mont Cithéron. Le mot argas, littéralement "plein de sève" désigne une terre grasse et fertile (ce qui ne veut pas nécessairement dire "plate"), une contrée boisée et aussi la portion de territoire fertile consacrée à Déméter et Perséphone entre Athènes et Mégare. La notion de terre sacrée n'est certainement pas à exclure dans le contexte des Bacchantes. Ma traduction par "halliers sacrés" est empruntée à Jeanne Roux (commentaire aux vers 337-342).

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- Où périt-il ? Dans mon palais ? ou dans quels lieux ? - Où les chiens ont jadis déchiré Actéon ! - Qu'allait-il faire au Cithéron, le malheureux? - Il allait y railler Bakk:hos et tes orgies !

(Bacch. 1288-93)

Cadmos fait ses adieux à sa fille : Ô mon enfant, va < vers les lieux où périt> le fils d'Aristée.

(Bacch. 1371) Notons tout d'abord que, comme pour Lycurgue, Euripide se souvient

certainement d'Eschyle qui avait consacré une tragédie, les Toxotides (les Archères) au mythe d'Actéon. Le fragment 241 Radt fait allusion à la passion d'Actéon pour la chasse : « pas un jour sans chasse ». Les fragments 242 et 243 semblent indiquer l'indignation d'Actéon contre les compagnes d'Artémis dont le regard hardi prouve, selon lui, qu'elles ont «

goûté de l'homme ». Enfin le fragment 244 nous fait connaître la triste fin du héros: « Les chiens réduisaient leur maître en sable ». Trois des principaux thèmes déjà rencontrés sont là : chasse, hubris, mort de l'hubristès sous la forme du sparagmos. À la différence de ce qui se passe pour Orphée, nommé dans un passage riche de résonances, mais unique, les cinq allusions à Actéon constituent un ensemble dont il convient d'étudier l'organisation.

On notera dans la première allusion (228-232) la thématique de la chasse: verbe thèrasomai, allusion aux "filets de fer". Actéon n'apparaît ici que comme moyen d'identifier Autonoé, "mère d'Actéon". C'est la mise en place du thème. Dès la deuxième allusion tout est dit: l'hubris, qui rappelle celle d'Agamemnon. Celui-ci, ayant atteint d'un trait un cerf, avait osé déclarer: « Pas même Artémis » (ne pourrait faire aussi bien), jactance qui allait entraîner successivement l'immobilisation de la flotte, le sacrifice d'Iphigénie, la haine de Clytemnestre contre son époux et, pour finir, l'assassinat/châtiment de l'auteur de la parole présomp­tueuse24. Après l'hubris, le châtiment: les chiens (ou plutôt les chiennes, puisque skulakes est suivi d'un relatif au féminin) "mangeuses de chair crue" (ômositoi) déchirent et dévorent leur maître (le sparagmos). C'est un avertissement sans frais: « Crains son sort ». Il n'est pas sans intérêt de noter que les sources proposent deux autres formes de l'hubris en relation avec la sexualité. Dans une version ancienne, celle de Stésichore (236 Page), Artémis châtie Actéon parce qu'il a pris pour épouse sa tante maternelle, Sémélé. Dans la version de Callimaque (Hymnes, V, 107-118) il est châtié pour avoir vu Artémis en train de se baigner. Comme

24 Pseudo-Apollodore, Épitomé, III, 21. Variante: "Même Artémis n'aurait pu décocher sa flèche de cette façon» (schol. Il., J, 108), ce qui laisse supposer que pour le scholiaste cette version du motif de la colère divine contre Agamemnon est fort ancienne. Sur la parole sacrilège, voir A. MOREAU, « Pour une apologie de la transgression? », Kernos, 10, 1997, pp. 104-108.

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Callimaque est le premier à proposer cette version, on peut supposer qu'il l'a inventée. Mais le poète est ce qu'on appelle un "antiquaire" et il a fort bien pu exhumer une version rare. L'intérêt de ce thème de la sexualité est qu'il nous ramène au premier héros-miroir, Tirésias, qui fut aveuglé pour avoir vu, lui aussi, une déesse vierge, Athéna, dans son bain, et qu'il se retrouve aussi chez le personnage de Penthée bientôt transformé en voyeur:

Déjà, dans les buissons, ainsi que des oiseaux, au doux piège d'amour je crois les voir captives. (Bacch. 957-958)

Le choix d'Actéon comme miroir de Penthée s'avère donc un excellent choix, puisqu'il suscite de multiples échos et par ce qui est dit dans la pièce elle-même et par les réminiscences mythologiques qu'il éveille chez les spectateurs.

La troisième allusion est un bel exemple de composition circulaire. Aux vers 228-232 étaient nommées Inô, Agavé, Autonoé. C'était le temps de la faute : Penthée voulait les emprisonner dans ses filets de fer. Aux vers 1225-1231 sont nommées Autonoé, Inô, Agavé. Elles ne sont pas enchaînées, mais déchaînées : dans quelques instants Agavé va entrer, tenant triomphalement, comme un trophée, la tête de son fils. Le chasseur est devenu gibier. C'est le temps du châtiment. Et l'on ne peut manquer de rappeler à cette occasion que, comme Agavé, Inô fut une mère infanticide. C'est Euripide lui-même qui le dit à propos d'une autre infanticide, Médée:

- Malheureuse! tu étais donc de roc ou de fer, pour tuer de ta propre main tes enfants, le fruit de tes entrailles ! Une seule femme, une seule dans le passé, m'a-t-on dit, porta la main sur ses enfants aimés. - Inô, frappée de folie par les dieux, quand l'épouse de Zeus l'eut chassée de sa demeure, à l'aventure. -Elle se jeta, la malheureuse ! dans l'onde amère, infligant à ses enfants un trépas impie. - D'un bond par-delà la falaise marine, elle les entraîna tous deux dans la mort

(Méd. 1279-1289)

Le dramaturge avait d'ailleurs écrit une tragédie intitulée Inô, où il présentait une version un peu différente si l'on admet la Fable 4 d'Hygin comme témoignage possible de la tragédie perdue. Dans cette version c'est le père, Athamas, qui tue le fils aîné, Léarque. On dit qu'Athamas frappa Léarque de son épieu, le prenant pour un cerf. Actéon est métamorphosé en cerf. Dans l'allusion d'Eschyle Bromios trame à Penthée la mort d'un lièvre. Agavé, dans son délire, le prend pour un lion. Métaphore, métamorphose ou illusion, toute une thématique du gibier humain investit la pièce.

La quatrième allusion confirme définitivement l'adéquation de l'exem­plum : c'est à l'endroit même où Actéon fut déchiré par ses chiennes, sur le Cithéron, que Penthée est déchiré par sa mère, ses tantes et les Bacchantes, appelées "chiennes agiles" au vers 731 et "chiennes de

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Lyssa" au vers 977. La dernière allusion, dans un passage malheureu­sement incomplet, est une cauda. C'est le temps des adieux: Cadmos s'en va chez les Barbares et Agavé s'en retourne vers le lieu où périt le fils d'Aristée, c'est-à-dire Actéon, où périt son fils Penthée.

Tirésias, Orphée, Actéon constituent des miroirs de Penthée. Les allusions annoncent ou rappellent le sort du roi qui osa affronter une divinité. Mais elles font plus que cela. Elles développent une théma­tique, celle de l'initiation, ou plus exactement de l'initiation manquée. Deux types d'initiation s'entremêlent, celle des mystes, comme il est normal dans ce contexte dionysiaque, avec les thiases, les transes, les danses et les cérémonies secrètes, mais aussi celle des kouroi, des adolescents quittant l'enfance pour entrer dans l'âge adulte25. Trois des quatre héros en effet ont l'âge des kouroi. Tirésias est un "jeune homme au duvet mûrissant" lorsque pour son malheur il aperçoit Athéna se baignant dans une source. Penthée est le double de Dionysos dépeint comme un adolescent. (Seul Orphée, marié, est un adulte. L'expédition des Argonautes à laquelle il participe est, certes, une expédition initia­tique de kouroi26 mais chez Apollonios Orphée, premier nommé dans le Catalogue du livre l, y apparaît plutôt comme un guide, un protecteur, un adjuvant).

Cette initiation se déroule sur la montagne, lieu de tous les dan­gers27 : aux Tirésias, Penthée, Orphée, Lycurgue, Thamyris qui connais­sent le malheur sur le Cithéron ou le Pangée, il faudrait encore ajouter Oedipe exposé sur le Cithéron28. Mais aussi lieu d'habitation d'un sage, le Centaure Chiron, qui demeure sur le mont Pélion, en Thessalie ; un homme-cheval, être intermédiaire, du côté de la cité et de la culture par son humanité, du. côté de la nature par son animalité et son lieu d'habitation, et par là apte à servir d'intercesseur pour les plus brillants des adolescents dans leur passage de l'enfance à l'âge adulte : Pélée, Achille, Néoptolème, Jason, Asclépios, Apollon et bien d'autres, dont l'un de nos héros, Actéon29. C'est près de l'Olympe que grandit le jeune Orphée, fils de l'une des Muses. C'est sur une montagne encore, le mont

25 Sur cette question la littérature est innombrable. On trouvera une importante bibliogra­phie dans MOREAU, L'Initiation, II, pp. 297-305 (références complètes à la note 7) ; id., « Initiation en Grèce Antique », DHA, 18,1, 1992, pp. 191-244. 26 Voir Alain MOREAU, Le mythe de Jason et Médée: le ua-nu-pied et la sorcière, Paris, Les Belles Lettres, 1994, pp. 117-142., ainsi que Bernard DEFORGE,« Eschyle et la légende des Argonautes », REG, 100, 1987, pp. 30-44 (44). 27 Voir à ce sujet Richard BUXTON,« News from Cithaeron: Narrators and Narratives in the Bacchae », Pallas, 37, 1991, pp. 39-48 ; id., « Imaginary Greek Mountains », JHS, 112, 1992 a, pp. 1-15 (12-14); id., La Grèce et l'imaginaire. Les contextes de la mythologie, Paris, éditions de la découverte, pp. 100-116 (= Imaginary Greece. The Contexts of Mythology, Cambridge Univ. Pr., 1994, pp. 86-96). 28 Soph., O.R.,passim. 29 Pseud.-Apollod., III, 4,4.

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Lycée en Arcadie que se déroulent les cérémonies nocturnes de confréries d'hommes-loups, le mythe fondateur étant celui du loup par excellence, Lykaon, entraînant ses cinquante fils (un nombre initiatique) dans des rites mystérieux et inquiétants, qui ont peut-être donné naissance aux légendes sur le loup-garou30. Notons au passage que LycurguelLykurgue ("celui qui façonne les loups") porte, comme Lykaon, un beau nom d'homme-animal initiateur: c'est bien comme une épreuve initiatique qu'il convient d'interpréter l'épisode nyséen, qui s'achève par une autre épreuve: le plongeon du jeune dieu dans la mer31.

Sur ces montagnes ces adolescents pratiquent la chasse : Tirésias et Actéon chassent les daims et les cerfs, Penthée chasse les Bacchantes32. La thématique de la chasse est abondamment représentée dans la pièce d'Euripide: on suit la piste du gibier, on le fait tomber dans des filets. Or la chasse est un thème initiatique important. Pour l'adolescent chasser, c'est se préparer à guerroyer: chasse du jeune Ulysse chez son grand-père maternel Autolykos (encore un homme-loup, le loup en personne), chasse aux monstres du jeune Thésée passant par l'isthme de Corinthe, chasse de Calydon avec cinquante chasseurs comme il y a cinquante Argonautes. Chasses de Mélanion, Idmon, Adonis, Atys, Hyas. Chasse au lion de Némée, au sanglier d'Érymanthe, à la biche de Cérynie, aux oiseaux du lac de Stymphale ou au taureau de Crète d'Héraclès, un kouros dont les épreuves ont été métamorphosées en une histoire se déroulant sur une vie entière. Mais à dix-huit ans déjà il tuait le lion de Cithéron, ce qui fut d'ailleurs l'occasion d'un autre exploit dont on contestera difficilement qu'il constitue le passage de l'adolescence à l'âge adulte : la défloration en cinquante jours de cinquante vierges, les filles du roi Thespios33.

Dans l'initiation des adolescents on pratique le travestissement féminin : ekdusia de Crète où garçons et filles échangent leurs vête­ments ; Héraclès revêtant la longue robe d'Omphale ou les vêtements de

30 Sur le mythe de Lykaon aussi la documentation est innombrable. Voir, par exemple, Clara MAINOLDI, L'image du loup et du chien dans la Grèce ancienne d'Homère à Platon, Paris, Ophrys, 1984, p. 11 ss. ; Pierre BONNECHÈRE, Le sacrifice en Grèce ancienne, Centre International de la Religion Grecque Antique, Athènes-Liège, Kernos, Suppl. 3,1994, p. 85 ss. ; Alain MOREAU,« Le loup-garou », à paraître, pour s'en tenir à la critique en langure française. 31 Voir Jeanmaire, o.c., pp. 73-78. 32 Comme Lycurgue. Mais celui-ci a alors dépassé le stade de l'adolescence. Il est marié et a deux enfants. 33 Pseudo-Apollod., II, 4, 9-10 ; Nous nous refuserons, bien sûr, à accepter la version d'Hérodoros (31 F 20 Jacoby) selon laquelle c'est en sept nuits que l'adolescent enleva leur virginité aux cinquante Thespiades (avec une confusion entre le nom de Thespios, roi de Thespies, et celui de Thestios, roi de Pleuron) et encore moins celle de Pausanias (IX, 27, 6), un Grec d'Asie Mineure, qui prétend qu'il ne lui en fallut qu'une seule. N'oublions pas que ce sont des Grecs originaires d'Asie Mineure qui ont fondé Marseille, la ville des galéjades.

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la grosse matrone de Thrace; jeune Thésée aux cheveux tressés et vêtu d'une robe descendant jusqu'à ses pieds, qui entre dans Athènes sous les quolibets de maçons qui l'appellent "fille à marier". Il s'agit d'affir­mer de façon éclatante, pour la dernière fois, l'élément féminin, au moment où l'adolescent va quitter définitivement le monde des femmes qui l'ont élevé durant son enfance pour entrer dans le monde des hommes. Dionysos est un dieu très féminin. Pour qualifier les boucles de sa chevelure le Chœur utilise l'adjectif trupheros, qui signifie "tendre, délicat, mou, efféminé" et plus loin Penthée utilise un terme équivalent, habros34. Il dépeint cet "enchanteur venu de la Lydie, les cheveux parfu­més épars en boucles blondes, le teint haut en couleur et les yeux tout remplis du charme d'Aphrodite"35. Et c'est ce dieu efféminé qui, maître en initiation, va changer son ennemi et son double en femme sous les yeux des spectateurs36. Quant à Tirésias, plus radicalement encore, il est véritablement métamorphosé en femme. ,

L'énigme constitue parfois l'une des épre}lves du kouros. Enigme de l'homme posée par la Sphinx à Oedipe37. Eni$ille du lion et du miel posée par Samson aux trente compagnons38. Enigme implicite posée à Thésée (comment sortir du labyrinthe ?) ou au Petit Poucet (comment sortir de la forêt inextricable ?). L'énigme était également utilisée dans les initiations des mystères, à en juger par des passages de Démétrios, Jamblique, Porphyre, Plotin39. Et déjà Platon, bien avant eux, parle du "langage énigmatique" de ceux qui enseignent les mystères4O• L'énigme et sa résolution sont en parfaite harmonie avec le jeu sur l'obscurité et la lumière qui fait partie du rituel des mystères. Telle est bien l'épreuve que fait subir Dionysos à Penthée dans une confrontation paradoxale où le roi interroge un interlocuteur prisonnier et enchaîné sans se rendre compte que c'est lui-même qui passe un examen au cours duquel il doit trouver le sens des paroles ambiguës:

- D'où tiens-tu ces mystères qu'en Grèce tu apportes? - Dionysos, le fils de Zeus, nous initia. (465-466)

- Puisque tu vis le Dieu, quelle était sa figure? - Eh ! celle qui lui plut: je n'avais rien à dire! - Subtile échappatoire encor, pour ne rien dire !

34 Bacch. 150,493. 35 Bacch. 234-236. 36 Baech. 819-861. 37 Voir Marie DELCOURT, Oedipe ou la légende du conquérant, 1re éd. Liège, 1944 ; 2e éd., Paris, Les Belles Lettres, 1981, pp. 141-152. 38 Livre des Juges, 14. 39 Voir Richard SEAFORD, a.c. (références complètes à la note 7), qui cite pp. 254-255, notes 29 et 30 : Démétrios, Sur le Style 100 s. ; Jamblique, Vit. Pyth. 103-104, 227 ; Porphyre, Vit. Plot. 15; Vit. Pyth. 41 ; Plotin, Enn. V, 1, 7 ; R. MERKELBACH, Roman und Mysterium in der Antike, Munich, 1962, p. 161, 168,334. Voir aussi p.271. 40 Plat., Phédon, 69 c.

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- L'ignorant trouvera sot un sage langage. (477-480)

- Et puis lâche ce thyrse que tu tiens à la main. - Viens le prendre à Bakkhos, auquel il appartient ... - Puis nous te garderons au fond de notre geôle. - Le Dieu viendra me libérer quand je voudrai. - Quand tu l'invoqueras au milieu des Bacchantes ... - Dès cet instant, présent, il voit comme on me traite. - Où donc est-il? Mon œil du moins ne le voit pas! - Où je suis, mais l'impiété te rend aveugle! - Qu'on l'emmène! À moi-même, à Thèbes il fait outrage! - Je défends qu'on me lie : aux fous je parle en sage. - T'enchaîner est mon droit: je suis plus fort que toi. - Que dis-tu, que fais-tu? Qui es-tu? Tu l'ignores. - Je suis Penthée, fils d'Échion et d'Agavé ! - Ce nom te prédestine à être malheureux. (495-508)

Penthée a raté son examen de passage. Il n'a été capable ni de décrypter les paroles ambiguës, ni même d'analyser son nom et de comprendre que celui-ci est formé sur penthos, le deuil, l'affliction. Et dans le mythe rater son examen de passage n'a pas pour conséquence le redoublement, mais la mort, le plus souvent dans des conditions effroyables. Il rate tout, d'ailleurs, ce roi présomptueux, ce kouros inca­pable : il échoue dans sa chasse et se transforme en gibier ; le travestis­sement féminin se dégrade en déguisement grotesque ; ce qui aurait pu être époptie, contemplation exaltée des mystères divins, dégénère en voyeurisme d'un adolescent mal dans sa peau, qui voudrait voir les Bacchantes camper dans les montagnes, fût-ce "au prix d'un énorme poids d'or", qui est pris d'un "violent désir" (megan erôta)41 et qui, au moment de quitter le palais pour le Cithéron imagine avec concupiscence le spectacle qui l'attend, celui des Bacchantes captives du "piège d'amour"42.

En réalité celui qui se préparait à voir le spectacle devient objet du spectacle et rate sa dernière épreuve initiatique, le sparagmos. Dans la symbolique initiatique de la mort et de la résurrection, le sparagmos (meurtre, corps découpé, renaissance) est subi avec succès par un certain nombre de héros et de dieux, à commencer par le jeune Dionysos Zagreus dans l'épisode des Titans, mais aussi Achille, Mélicerte (devenu ensuite le petit dieu marin Palémon), Pélops, Héraclès, Jason43. Mais Penthée déchiré par les Ménades ne renaîtra jamais, pas plus qu'Actéon déchiré par ses cinquante chiennes (comme par hasard un nombre initiatique),

41 Bacch. 810-812. 42 Vers 957-958 cités p. 8. 43 Voir A. MOREAU, " Initiation en Grèce Antique» (références complètes à la note 25), pp. 225-227 ; id.," Têtes coupées en Grèce antique », Euphrosyne, 25 (N.S.), 1997, pp. 47-60 (56-58).

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pas plus que Lycurgue déchiré par des chevaux sauvages, pas plus qu'Orphée déchiré par les Bassarides44.

Les miroirs se sont révélés maléfiques. Penthée n'a pas su choisir les bons modèles, les deux sages vieillards, qu'il avait pourtant devant lui dès le vers 215, Tirésias et Cadmos. Au delà de la mort Tirésias restera un devin prestigieux, celui que vient consulter Ulysse dans la Nékyia. Et Cadmos, après avoir, pour une faute qui n'est pas la sienne mais que le dieu considère comme coUective45, subi l'épreuve d'un séjour chez les Barbares comme chef de guerre attaquant des cités grecques, sera transporté par les Olympiens, avec son épouse Harmonie, dans la terre des Bienheureux, pour l'éternité46. Mais sans doute était-il difficile à un jeune roi écervelé et aveuglé de dépasser les apparences et de se choisir comme parangons deux vieillards grotesques revêtus de la tenue des Bacchantes, improvisant une danse bouffonne peu en rapport avec leur âge, comme des Silènes du drame satyrique.

Alain MOREAU Université Paul Valéry, Montpellier

44 Orphée constitue néanmoins un cas à part dans la mesure où il réussit l'une des épreu­ves de la symbolique de la mort et de la résurrection, la descente aux Enfers. Il en revient, sain et sauf, comme Héraclès, Énée ... et Dionysos ramenant sa mère Sémélé. La différence avec Dionysos est que celui-ci ramène sa mère, tandis qu'Orphée ne parvient pas à rame­ner son épouse. Mais d'un autre côté de nombreuses sources font d'Orphée le fondateur de mystères souvent qualifiés de dionysiaques : pseud.-Apollod., l, 3, 2 ; Rhésos attr. à Eur., 943 ss. ; Aristoph., Gren., 1032 ; Plat., Prat. 369 D ; id., Rép. II, 7, 365 E-366 A ; Dém., Or. XXV, 11, p. 772; Diod. Sic., l, 23 ; l, 96, 2-6 ; III, 65, 6 ; N, 25, 3; V, 77, 3 ; Paus., II, 30, 2 ; IX, 30, 4; X, 7, 2 ; Plut., Frag. 84 (éd. Didot, vol. V p. 55). Ce mythème lui donne une complexité qui ne lui permet pas d'être le miroir parfait de Penthée. Il est plus proche de Dionysos que de Penthée. C'est pourquoi sans doute il n'est l'objet que d'une seule occurrence, alors qu'Actéon apparaît cinq fois (quatre fois nommé directement, une fois sous la forme d'une périphrase). 45 Voir le commentaire de Jeanne Roux, II, p. 623. 46 Bacch. 1337-38.

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L'épiphanie de Dionysos dans le mythe

d'Ariane et dans les Bacchantes d'Euripide

Les épisodes les plus célèbres du mythe d'Ariane sont sans doute ceux qui unissent son sort à celui de Thésée : grâce au fil offert par la jeune femme, le héros put s'échapper du Labyrinthe, après y avoir tué le Minotaure; leur fuite commune les ramena vers Athènes, mais, oublieux de ses promesses d'amour, Thésée abandonna Ariane sur l'île de Dia ou de Naxos, la condamnant à pleurer son amour et ses espoirs déçus, dans la solitude et le désespoir. Hauts faits et trahisons présents à l'esprit de tous, et qui occultent sans doute les événements postérieurs : Dionysos découvrit la jeune fille errant sur le rivage et séduit par ses pleurs et sa beauté, l'épousa et l'associa à sa divinité. Cet aspect moins connu du mythe, rattache étroitement Ariane au culte bacchique. L'exemple d'une union amoureuse heureuse entre Dionysos et la mortelle, d'un bonheur autorisé et voulu par le jeune dieu peut servir de contrepoint à l'étude des Bacchantes d'Euripide et plus précisemment à l'étude du sort cruel des femmes de Thèbes. Le point de départ de notre réflexion porte sur le contraste manifeste entre une ressemblance première des deux mythes et leur issue radicalement différente. Dionysos intervient tout d'abord de façon identique dans l'existence des personnages féminins: HIes arrache à leur situation initiale, les métamorphose et les incorpore à son thiase. Puis, à ces actes semblables succèdent des conséquences opposées. Ariane est divinisée, tandis que la gente féminine de Thèbes est plongée dans le deuil.

Pour illustrer et commenter cette double intervention dionysiaque, nous confronterons au texte grec des Bacchantes, des textes latins. En effet, le mythe d'Ariane n'a connu, dans la littérature grecque classique, aucun traitement d'ampleur remarquable; la crêtoise n'y est citée que de façon périphérique ou allusive. Par contre, il suscita l'intérêt de nombreux auteurs latins, au premier rang desquels figurent Catulle et Ovide. Le premier, dans le Carmen 64, célébration des noces de Thétis et Pélée, consacre 213 vers à la description de la tapisserie qui recouvre le lit nuptial: y sont représentés les amours d'Ariane et Thésée, l'aban­don de la jeune fille et, de façon plus brève, l'épiphanie de Dionysos. Chez Ovide se trouve une évocation complète du mythe: si l'Héroïde X ne traite, en toute logique, que de l'abandon, l'union avec le dieu et la divi-

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nisation d'Ariane sont décrites dans l'Art d'Aimer, les Métamorphoses et les Fastes 1.

A la lumière de ces textes sur lesquels s'appuie notre étude, je me propose d'analyser les convergences et les divergences présentées par les deux mythes afin de dégager quelques significations possibles de deux épiphanies si différentes d'un même dieu au coeur de destinées féminines.

Pour les femmes de Thèbes et pour Ariane, la présence dionysiaque se manifeste de la même façon, sur le mode d'une métamorphose violente. Sous l'action du dieu, chacune voit son sort radicalement transformé.

Thèbes a été désertée par ses femmes; sous l'aiguillon de Dionysos, elles "ont quitté en foule leur foyer", s'échappant de la cité pour fuir vers les montagnes et y vivre selon les lois de leur nouveau dieu. A la vie citadine et sédentaire dominée par les travaux féminins2, succède la vie nomade et rurale du thiase. L'importance de cette métamorphose est soulignée par le nouvel aspect physique des "dames vénérables", dont rend compte le messager :

"D'abord elles laissèrent le flot de leurs cheveux couler sur les épaules; puis l'on en vit qui remontaient leurs peaux de faon dont les liens s'étaient relâchés, ceignant ces nébrides tâchetées avec des serpents qui les léchaient à la joue.311

Le sort d'Ariane connaît, sur un plan différent, une transformation tout aussi radicale. L'abandon de Thésée la condamne à la solitude, au désespoir et à la lamentation. Elle gémit ainsi longuement sur le désert qui l'entoure:

"Et puis sur ce rivage pas un toit ; une île solitaire ; pas une issue ouverte sur les flots de la mer qui l'environne ; aucun moyen de fuir, aucun espoir ; tout se tait, tout est désert, tout me présage le trépas."4

Puis brusquement sa solitude se trouve envahie par le thiase tumul­tueux ; son désespoir et ses larmes cèdent la place à l'étonnement le

1 Définition du corpus et des éditions utilisées pour les citations et les traductions: Catulle; Carmen 64, in Poésies, texte établi et traduit par Georges Lafaye (He tirage). Paris, Les Belles Lettres, 1984. Ovide ; Art d'Aimer, l, 523-562, in Art d'Aimer, texte établi et traduit par Henri Bornecque. Paris, Les Belles Lettres, 1929. Métamorphoses VIII, 162-182, in Métamorphoses, texte établi et traduit par Georges Lafaye (6e tirage revu et corrigé par Henri le Bonniec) Paris, Les Belles Lettres, 1989. Fastes, III, 459-516, in Fastes, texte traduit et annoté par Henri le Bonniec. Paris, Les Belles Lettres, 1990. 2Bacchantes, 118 : "la cohorte des femmes qui a déserté les métiers, les navettes". 3 Ibid., 695-698. 4 Carmen 64, 184-187 : "Praeterea nullo litus, sola insula, tecto,

Nec patet egressus pelagi cingentibus undis ; Nulla fugae ratio, nulla spes ; omnia muta, Omnia deserta sunt, ostentat omnia letum."

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