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Université de Droit, d’Economie, et des Sciences Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III) Institut de Formation en Ecologie Humaine et Anthropologie Master 2 Recherche, mention Anthropologie Spécialité : Anthropologie Bioculturelle Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien Le cas des ‘suins’ du Maharashtra Mémoire présenté par Jessica L. Hackett Sous la direction de Pr. Alice Desclaux Juin 2006 Centre de Recherches Cultures, Santé, Sociétés

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Université de Droit, d’Economie, et des Sciences Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III)

Institut de Formation en Ecologie Humaine et Anthropologie

Master 2 Recherche, mention Anthropologie Spécialité : Anthropologie Bioculturelle

Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien

Le cas des ‘suins’ du Maharashtra

Mémoire présenté par Jessica L. Hackett

Sous la direction de Pr. Alice Desclaux

Juin 2006

Centre de Recherches Cultures, Santé, Sociétés

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Dedicace et Remerciements… Je tiens à dédier ce mémoire à ma grand-mère, qui a donné naissance à ma mère, et qui ensuite a donné naissance un jour de grande chaleur du mois de juillet à ma sœur et à moi-même. La disparition de ma grand-mère lors de mon terrain en été 2005 m’a profondément bouleversée. Même si elle n’a jamais quitté sa Pennsylvanie natale, j’aime croire qu’elle a toujours voyagé avec moi, dans mon cœur. Je tiens à remercier …

…toutes les suins qui m’ont accueillie si chaleureusement en partageant un petit peu de leur temps avec moi afin de répondre à mes questions …Pr. Alice Desclaux, ma directrice, pour mes études et pour ce mémoire

…la commission Fulbright/IIE qui m’a aidée avec une bourse généreuse me permettant de passer autant de temps en Inde …l’association de Guy Poitevin à Pune, et tous ses animateurs qui m’ont accompagnée et hebergée dans leurs villages …l’Institut Français de Pondichéry qui m’a offert une occasion de faire partie d’une équipe de chercheurs dynamiques …enfin, tous ceux et celles qui ont croisé mon chemin et qui ont pu former ou transformer ma manière d’appréhender le monde.

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SOMMAIRE

Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien : Le cas des suins du Maharashtra

Remerciements 2

Sommaire 3

Introduction 6

Objectif et développement de la problématique 7

Présentation du plan 8

Première Partie Contextualisation I : Background 10

Chapitre I : Brève Introduction à L’Inde et au Maharashtra 12

L’Inde 12

Le Maharashtra 16

Pune district 18

Chapitre II : Clarification et justification sémantique : l’utilisation du terme ‘suin’ 20

Deuxième Partie Contextualisation II : Réflexion 27

Chapitre I : Méthodologie 28

Préparation du terrain 28

-choix du sujet 28

-Arrivée en Inde 30

Terrain et Obstacles envisagés 31

-Attentes de la part de l’association 31

-Obstacles prévus 32

Contraintes du terrain et changement de méthodes d’enquête 33

-Young Anthropologist from French University seeks Translator !

33

-You speak 5 languages…so what ?

Do you know how to communicate ? 34

-Interprète devient research assistant 35

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4

Outils méthodologiques employés 36

-Le déroulement du terrain ou Du projet de recherche au terrain

36

-Un terrain…des terrains 37

-Entretiens semi-directifs 40

-Les suins rencontrées 41

-Les questions posées 42

-Après les périples méthodologiques, le sujet se modifie

et se transforme 43

Chapitre II : Approches Conceptuelles 44

La naissance en anthropologie 44

-Naissance & ‘Authoritative Knowledge’ 46

-Naissance & soins 47

-Naissance & rite de passage 48

-Naissance & folklore 49

Troisième Partie La naissance, une fenêtre sur la société et la culture villageoise en milieu rural maharashtrien 50

Chapitre I : Une ethnographie de la naissance en milieu rural maharashtrien 52

La femme en milieu rural maharashtrien 52

Fécondité et changement de statut 53

La maison : espace féminin 56

La grossesse et l’assistance en couches-domaine féminin 59

Fin de grossesse, récompense : Dohal Jewan 62

Les douleurs arrivent, appelons la suin 63

La position de l’accouchée 65

Le traitement du cordon et de la délivrance 66

Les premiers soins et les suites de couches 67

Après l’accouchement 69

Chapitre II : La suin, qui est-elle ? 72

Suin, seulement assistante en couches ? 75

Rituels autour de la naissance…Pacvi & Baravi 77

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Quatrième Partie Une observation d’une ONG travaillant en milieu rural maharashtrien 86

Chapitre I : L’Association de Poitevin 87

La structure existante 87

Les financements 90

Les Objectifs et Projets Principaux 91

Chapitre II : Programme de santé et des suins 93

Une célébration des suins 99

Conclusion 104

Bibliographie 106

Glossaire (marathi – français/anglais) 111

Annexes

I : Données démographiques 114

II : Interprètes 115

III : Suins rencontrées 117

IV : Guide d’entretien 121

V : Quelques extraits d’entretiens avec des suins 124

VI : Quelques images 129

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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien : le cas des suins du Maharasthra

Introduction

un ‘chula’, cuisinière à bois typique en milieu rural.

Le fourneau, la cuisinière, le foyer… symbole de la culture, cœur de la maisonnée, et ainsi symbole de

la famille. Dans l’Inde villageoise, c’est à côté du ‘chula’ que nous trouvons les femmes, cuisinant du

matin au soir pour toute la famille et pour les visiteurs. Ce sont elles qui, en plus de leur travail aux

champs et de la surveillance des enfants, sont chargées d’allumer le feu au petit matin et de le nourrir

le long de la journée. La cuisine est centrale dans une maison de village. Si nous prenons ce

symbole, le fourneau, comme une sorte de métaphore à partir de laquelle nous pouvons commencer

à regarder la culture villageoise, nous allons pouvoir facilement et tout naturellement nous diriger

sémantiquement vers la maisonnée par le biais du terme foyer. Celui-ci est doublement convenable

comme synonyme de ce fourneau et également comme terme désignant le cœur de la famille. Dans

ce sens, le foyer se construit et se définit à partir du mariage et surtout de la naissance des enfants.

Ce sont deux événements qui marquent la vie d’une femme en milieu rural maharashtrien lui

accordant une place et un statut particulier. Dans les pages qui suivent, je propose de regarder cette

culture à partir de la naissance et de l’accouchement en Inde rurale, étape obligatoire dans la

constitution et la continuation de la famille. L’analyse de cet événement offrira une meilleure

compréhension de la condition féminine au village et de leur environnement socio-culturel, de leurs

rapports sociaux et religieux et surtout de leur santé.

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Objectif et développement de la problématique… La naissance d’un enfant en milieu rural indien cimente la cohésion d’une famille et assure la

pérénnité du lignage. L’étude qui suit prend pour point de départ une question simple : Comment la

naissance et l’accouchement se déroulent-ils dans le monde rural au Maharashtra, en Inde ? Cette

question à visée ethnographique ouvre sur d’autres interrogations. Où l’événement se déroule-t-il ?

Qui sont les acteurs présents ? Quelles sont les représentations de cet événement et aussi des acteurs

principaux ? Est-ce que les pratiques dites ‘traditionnelles’ sont en train de dépérir au profit d’une

biomédecine croissante dans ces régions ? A partir de cette première question, le champ d’étude

semble infini. J’ai donc choisi d’articuler la présente recherche autour des ‘suins’, praticiennes

‘traditionnelles’ des soins liés à l’accouchement en milieu rural maharashtrien. Des questionnements

persistent. Qui sont-elles ? Comment pratiquent-elles ? Que font-elles ? C’est à partir des

questionnements qui émergent autour de cette figure que je constate une dynamique à plusieurs

niveaux. Tout d’abord à un niveau très local, c’est à travers l’ethnographie de l’accouchement que les

mécanismes et les forces se dévoilent entre les femmes, la parturiente et la praticienne.

Après plusieurs mois de recherche et d’entretiens dans ces campagnes du Maharashtra, je

commençais à ressentir un lien avec ces vieilles femmes. Lors d’une sortie au village, un animateur

associatif qui m’accompagnait a écouté les interrogations que je livrais à haute voix à mon traducteur

à propos des suins lors d’une longue marche à travers une colline. A un moment donné, il nous a

arrêté et m’a expliqué : « Jessica, tu sais, quand ma fille était en âge de porter le sari 1, un jour elle est

arrivée à la maison en savari sari. C’était un scandale !! Pourquoi ne portait-elle pas le sari à neuf

mètres que porte sa mère, que portait sa grand-mère, que portent toutes les femmes au village ?!!... et

tu sais quoi…elle a continué à porter son sari de 5 mètres…et petit à petit, le scandale qu’il y avait eu

au début s’est estompé. Aujourd’hui, plus personne ne remarque le fait qu’elle n’a jamais porté le

navari sari. Cette pratique traditionnelle se perd et on n’y peut rien. Alors, c’est bien que tu viennes

t’intéresser aux suins mais elles vont disparaître aussi…c’est comme ça. On n’y peut rien. » Cette

histoire de Khandbhor m’a intriguée. Comment cet animateur villageois faisant partie d’une

association active dans la lutte pour l’autonomie villageoise depuis tant d’années pouvait me dire avec

tant de non-chalence que ces suins allaient disparaître ? Non seulement Khandbhor m’a fait me

questionner quant à la validité de mon étude mais ses remarques m’ont également permise de

m’interroger sur les personnes qui pouvaient être intéressées par ces femmes et leurs pratiques « en

voie de disparition ». C’est alors en observant les activités d’une ONG travaillant en milieu rural

1 Le sari est le vêtement traditionnel féminin en Inde. Il est porté de différentes manières. Au Maharashtra, il existe un sari à neuf mètres, appelé le navari sari. Ce sari est drapé et ensuite passé entre les jambes et ne se porte pas par-dessus un jupon. C’est ce sari qui est porté traditionnellement dans cet état. Aujourd’hui dans les villages ruraux le navari est toujours porté, mais de moins en moins de jeunes femmes portent celui-ci, préférant le savari sari (sari à 5 mètres) qui se porte par-dessus un jupon et qui ne se passe pas entre les jambes.

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qu’une autre dynamique se manifeste lorsque l’on se pose la question : Qui s’intéresse aux suins et

pourquoi ?

La dynamique sociale, à ces différents niveaux, entourant l’événement de la naissance en milieu rural

et ses actrices, est alors au centre de la problématique de cette recherche.

Présentation du plan Ce mémoire se divise en 4 parties, chacune divisée en deux chapitres. Les deux premières parties

contextualisent l’étude qui a été menée. En premier lieu, une brève introduction à l’Inde et au

Maharashtra permettra aux lecteurs de situer le lieu de l’étude dans une région qui n’est que peu

étudiée par des anthropologues francophones. Ensuite, je propose de faire un détour sémantique.

Le long de ce mémoire, je choisis délibérément d’employer le terme local de ‘suin’ pour désigner

l’assistante en couches en milieu rural, l’objet de cette étude. Ce chapitre expliquera mon choix tout

en exposant les différentes actrices qui assistent à l’accouchement en Inde rurale et leurs divserses

appellations.

La deuxième partie du mémoire, une suite de cette contextualisation, est d’un ordre épistémologique

présentant plus précisément l’étude en question. Tout d’abord, je dévoilerai la méthodologie que j’ai

employée pour effectuer cette étude. Je présenterai alors le choix du sujet de départ ainsi que le

chemin parcouru pour arriver au sujet qui sera abordé dans ce mémoire. J’expliquerai également les

diverses contraintes rencontrées lors de cette étude. Cette partie méthodologique sera suivie d’une

présentation des approches conceptuelles en anthropologie qui ont étayées cette étude permettant de

regarder la naissance et les acteurs associés.

La troisième et la plus grande partie de ce travail présente une ethnographie de la naissance en milieu

rural maharashtrien. L’observation de cet événement nous permet non seulement d’analyser les

pratiques de la suin lors de l’accouchement, mais aussi le rôle de la femme et sa vie en milieu rural.

Suite à cette ethnographie, je propose un chapitre qui s’articulera autour de la suin, où je pose la

question « la suin, qui est-elle ? ». Ce chapitre abordera donc la manière dont une femme devient une

suin et le rôle de celle-ci. Cette discussion nous permettra de comprendre que son rôle va au-delà de

l’assistance en couches.

La dernière partie de ce mémoire concerne une association non gouvernementale basée à Pune qui

travaille depuis une trentaine d’années en milieu rural. Cette organisation m’a accueillie sur place et

m’a mise en lien avec les suins dans les régions visitées. J’ai choisi d’introduire ce chapitre dans le

mémoire car il est important de saisir les conditions dans lesquelles ce terrain a été effectué. Ce

chapitre n’est en aucun cas exhaustif pour des raisons qui seront abordées dans le chapitre lui-même

mais l’exemple de cette ONG me semble très intéressant, non pas pour représenter l’ensemble des

ONG en Inde, mais pour donner un aperçu du genre de travail qui s’effectue dans une région rurale

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indienne. Cette association a de nombreux projets, mais ce qui retiendra notre attention est leur

programme de santé et celui des suins. Ceci nous permettra d’aborder des notions de légitimité et de

revalorisation de pratiques « traditionnelles », de tradition vs modernité, et de questionner la notion de

développement.

En fin de mémoire, se trouve un glossaire marathi-français/anglais suivi de plusieurs annexes visant à

faciliter la lecture.

J’espère au fil de ces chapitres offrir aux lecteurs une partie de ma rencontre avec l’accouchement en

Inde rurale et aussi les mener vers une compréhension de ce que voudrait traduire le titre de ce

mémoire : une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural maharashtrien.

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PREMIERE PARTIE

Les pages de cette première partie serviront de ‘toile de fond’. Je propose d’offrir deux chapitres

pour contextualiser l’étude qui a été menée. Dans le premier chapitre, je souhaite tout d’abord

dresser un portrait de l’Inde et du Maharashtra. Je reprendrai ici des éléments culturels et historiques

clés qui aident à mieux comprendre le contexte auquel le jeune chercheur en Inde est confronté. Je

reprendrai des notions de castes si présentes en Inde ainsi que des grands mouvements culturels qui

ont formés ce pays. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit ici que d’une ‘toile de fond’. De nombreux

chercheurs passent leur vie à examiner l’histoire de l’Inde et ce système de castes qui à eux seuls

mériteraient un mémoire à part entière. Pour continuer dans la contextualisation, je souhaite ensuite

faire part d’une réflexion autour du terme ‘suin’ qui sera utilisé le long de ce mémoire pour désigner

les femmes qui assistent aux accouchements en milieu rural maharashtrien. Un détour pour examiner

la sémantique autour de cette femme est alors à mon sens intéressant et nécessaire.

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L’Inde

La Carte de l’Inde

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Chapitre I : Brève Introduction à l’Inde et au Maharashtra L’Inde…Le Maharashtra…Pune district

Le positionnement géographique de l'Inde dans le Monde

Avant de rentrer dans le vif du sujet de ce mémoire, je souhaiterais tout d’abord présenter très

brièvement le pays, l’état, et la région où s’est déroulée cette étude. Certains diront qu’en Inde on

peut trouver tout et son contraire. Malgré la complexité et les contradictions que l’on peut

rencontrer dans ce vaste pays, il est important d’avoir quelques informations sur sa géographie,

l’histoire, et la culture pour mieux apprécier les études que l’on peut y faire. L’Inde est constitué

d’une quantité de diverses régions et de diverses cultures. C’est pour cette raison que je suivrai cette

brève introduction d’une présentation de l’état du Maharashtra, où s’est déroulée la présente étude.

L’Inde « India offers astounding variety in virtually every aspect of social life. Diversities of ethnic, linguistic, regional, economic, religious, class, and caste groups crosscut Indian society, which is also permeated with immense urban-rural differences and gender distinctions. Differences between north India and south India are particularly significant, especially in systems of kinship and marriage. Indian society is multifaceted to an extent perhaps unknown in any other of the world’s great civilizations—it is more like an area as varied as Europe than any other single nation-state. Adding further variety to contemporary Indian culture are rapidly occurring changes affecting various regions and socioeconomic groups in disparate ways. Yet, amid the complexities of Indian life, widely accepted cultural themes enhance social harmony and order. » (Jacobson, 2004)

L’Inde est une république fédérale constituée de 28 états et de sept territoires fédéraux gouvernée par

un président et un premier ministre, tous deux élus par le Parlement pour une durée de cinq ans. Son

parlement est divisé en deux parties : une Chambre du peuple et un Conseil des Etats, élus pour cinq

ans et six ans respectivement. L’Inde est un grand pays comptant un peu plus d’un milliard

d’habitants, soit le deuxième pays le plus peuplé du monde, sur une superficie d’environ 3 287 000

km².

Si le début de cette république date de 1947, date de son Indépendance, son histoire remonte

beaucoup plus loin. En effet, la civilisation de l’Indus (Mohenjo-Daro) vit son apogée vers 2500-

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1800 avant J-C. Dans ce deuxième millénaire avant JC, les Aryens arrivent en Asie centrale et

colonisent ce qui est aujourd’hui l’Inde du Nord, amenant leur langue, le sanskrit, leur religion

védique, soit la base de l’Hindouisme, et leur conception de la hiérarchie sociale, soit le système des

castes.

L’Inde a connu plusieurs invasions après l’arrivée des Aryens, parmi elles notamment, les Grecques

avec l’arrivée d’Alexandre le Grand vers 327-325 avant JC, puis par les musulmans de 1206-1414.

C’est à partir du 15ème siècle que la colonisation européenne atteint l’Inde d’abord avec les Portugais

(1497), les Anglais (1660), puis les Français (1664). Après un siècle de lutte pour la domination de ce

pays d’épices, ce sont des Anglais qui dominent d’abord avec la Compagnie Anglaise des Indes

Orientales, puis en 1858, cette compagnie est supprimée et le pays est rattachée à la Couronne

Britannique. Pendant cette période coloniale, les Anglais développent ce pays, en apportant leur

langue, leurs systèmes éducatifs et juridiques. Ils ont largement développé les réseaux ferroviaires.

Les rapports que faisaient des agents administratifs britanniques sous forme de Gazeteer ont apporté

une précieuse documentation quant aux mœurs et coutumes présentes en Inde. Ces gazeteers sont

toujours consultés par de nombreux chercheurs encore aujourd’hui.

Au début du vingtième siècle, une lutte nationale pour l’Indépendance a été lancée par l’Indian

National Congress, menée par des Indiens dont Tilak, Gandhi, S.V. Patel, J. Nehru. Des millions de

manifestants s’engageront dans les campagnes de ‘civil disobedience’, s’engageant à obéir à une non-

violence totale. Ce mouvement de résistance non-violente contre le colonialisme Britannique a

amené l’Inde vers son indépendance en août 1947. Depuis ce moment-là, l’Inde est divisée en deux,

l’Inde et le Pakistan. Source de nombreuses disputes entre hindous et musulmans, ce conflit a

influencé de nombreuses guerres dont une, qui en 1971 a résulté en la séparation du Pakistan de l’Est

devenant une nation à part entière, celle du Bangladesh.

L’économie de l’Inde est vaste et diverse, incluant l’agriculture traditionnelle et moderne, l’artisanat,

l’industrie moderne de tous genres, et un important secteur de service. C’est à ce secteur que l’Inde

doit la partie principale de sa croissance économique. Environ 3/5 de sa force de travail réside dans

le secteur de l’agriculture. Depuis à peu près une dizaine d’années, l’Inde connaît une ouverture

économique due à la libéralisation de l’investissement dans des secteurs de l’aviation civile, de

télécoms, et de la construction. Cependant, malgré ce boom économique qu’elle connaît

actuellement, l’Inde est tourmentée par un problème social, économique, et écologique majeur ; celui

de la surpopulation.

Que connaît-on de l’Inde ?

L’image d’un pays extrêmement pauvre est peu à peu en train de changer grâce notamment à diverses

études qui ont pu y être menées, mais aussi par un intérêt médiatique et touristique pour ce pays en

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pleine croissance depuis son ouverture économique dans les années 90. Mais quelle image retient-

on de l’Inde ?

Depuis longtemps ce « pays d’épices » a attiré voyageur et chercheur occidentaux. Aujourd’hui,

l’Inde représente toujours une terre d’accueil ; pour visiteurs et pour réfugiés. Pour ces personnes

venant de l’extérieur, l’Inde est connue non seulement pour sa surpopulation mais aussi pour certains

éléments culturels qui intriguent chercheurs et touristes. Des trouvailles des sites archéologiques et

de ce que l’on peut lire dans des écrits, livres sacrés, permettent de nous éclairer sur certains éléments

de cette culture ancienne. Sont élaborés, le système médical ayurvédique, des lois sociales dites de

Manu, et la base de l’élément culturel le plus frappant et certainement le plus compliqué ; son système

social hiérarchisé traduit par ce que l’on appelle son système de ‘castes’. Certains l’appellent une

« casse-tête », et j’ai tendance à les comprendre. Ceci dit, ce système mérite un détour afin de donner

un aperçu à ce pays.

Bien que l’Inde semble être fière d’être la plus grande démocratie du monde, les notions d’égalité

complète sont peu évidentes dans la vie au quotidien. Ceci est particulièrement marqué dans la vie

villageoise, rurale. « L’inégalité » la plus apparente réside dans le système de castes. Le mot ‘caste’

semble venir du portugais ‘casta’ signifiant « l’espèce » ou « la race ». Des termes indiens que l’on

retrouve assimilant cette notion sont ceux de varna, jati, jat, et d’autres. Le terme varna, qui signifie

couleur, réfère aux quatre grandes catégories, Brahman, Kshatriya, Vaishya, et Shudra. Selon le Rig

Veda, les textes sacrés d’il y a plus de 3 000 ans, les quatre varnas représentent les différentes parties

du corps de l’homme crée par Brahma. A l’image du corps et ses différents organes et membres,

chaque groupe avait un rôle particulier afin d’assurer le bon fonctionnement de la vie sociale ; le

corps social. Les Brahmanes étaient désignés prêtres, sortant de la bouche, fournissant les besoins

spirituels et intellectuels de la communauté. Les Kshatriyas, guerriers et rois, dérivés des bras, avaient

pour rôle de régner et de protéger les autres. Les Vaishya, propriétaires terrestres et marchand,

sortant des cuisses, avaient le devoir de s’occuper du commerce et de l’agriculture. Les Shudras,

artisans et serviteurs, venant des pieds, devaient fournir le travail manuel. Une cinquième catégorie a

été conceptualisée par la suite ; celle des Intouchables, que l’on appelle aujourd’hui Dalit ou Scheduled

Castes. Ceux-ci s’occupent des tâches « polluantes » en relation avec le corps des animaux et humains,

et la décomposition de celui-ci. Inhérente à cette notion est donc celle de pureté/pollution. Les plus

hautes castes sont associées à une pureté, alors que les basses castes à une pollution.

Traditionnellement, on associe certaines occupations aux groupes de castes. Le varna est composé de

groupes endogames hiérarchisés d’où l’appartenance est déterminée par la naissance. Ces groupes de

parenté sont fondamentaux dans la structure sociale en Inde fournissant une appartenance et un

soutien à ses membres. Les autres termes, jat ou jati, réfèrent aux castes et des subdivisions de celles-

ci. Les groupes de castes sont particulièrement associés à l’Hindouisme bien que des groupes

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ressemblants peuvent se trouver chez des Musulmans, Chrétiens, et d’autres groupes religieux en

Inde.

Il est difficile aujourd’hui pour le chercheur ou pour le visiteur de passage de discerner les différentes

castes à première vue, surtout en milieu urbain. Ici, d’autres facteurs socio-économiques rentrent en

jeu aujourd’hui permettant certains de grimper l’échelon social. Des mariages inter-castes et d’autres

unions deviennent de plus en plus apparentes. En milieu rural, même si la relation entre caste et

occupation est en déclin, le système de caste reste plus apparente qu’en ville de par la disposition

géographique du village et le maintien de la tradition des mariages arrangés.

Aujourd’hui, même si les hiérarchies traditionnelles semblent s’affaiblir, les identités de castes sont

réinforcées dans certaines situations surtout parmi les plus désavantagés par la mise en place de

système de quotas dans les domaines de l’éducation et du travail, surtout dans le cadre des

fonctionnaires de l’état. En opposition avec la rigidité du système hiérarchique hindoue, de

nombreux dalits se sont convertis au Bouddhisme suivant l’exemple de B. R. Ambedkar.

Le Maharashtra

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Carte du Maharashtra avec les divisions de districts. Le district de Pune est entouré en noir. (Carte tirée du Maharashtra Road Atlas, Indian Map Service, 2004)

La référence à Dr. Ambedkar me permet de faire un lien avec l’état où s’est déroulé mon terrain

d’étude, le Maharashtra. Bien que je ne traiterai pas ici ce mouvement politique important qu’est la

conversion au Bouddhisme qu’a incité cet homme, il reste néanmoins à noter que ce mouvement a

été suivi largement dans cet état. Certaines des suins que j’ai rencontrées issues de basses castes sont

ce que l’on appelle aujourd’hui des « néo-bouddhistes », suite à ce mouvement.

Le Maharashtra, un des plus grands états de l’Inde avec une population d’environ 96 752 247

personnes (recensement 2001), est bordé au nord par le Gujarat et le Madhya Pradesh, au sud-est par

l’Andhra Pradesh et le Karnataka et à l’extrémité au sud-ouest Goa. Ainsi cet état, marathiphone, est

entouré d’états et de territoires de différentes langues et cultures. Ce qui est intéressant à noter, c’est

que le Maharashtra se situe à la frontière des langues d’origine indo-aryennes au nord et au sud des

langues du groupe dravidien. Cette place particulière se fait ressentir non seulement au niveau de la

structure de sa langue, mais surtout culturellement.

Ce sont des divisions géographiques qui marquent les frontières du Maharashtra plus que des

divisions politiques et administratives. Le Maharashtra se trouve au sud de la rivière Narmada et de

la chaîne des Satpuda. A l’est, cet état donne sur une plaine appelée le plateau du Chattisgadh et une

zone forestière, le Bastar, (peuplés de divers groupes ethniques, notamment les Gond). Cette région

est ouverte au nord.

Le Maharashtra est un très grand état (devenu ainsi en 1960) et « son étendue donne à chacune de ses

régions une importance propre. » (Kshirsagar et Pacquement, 1999 : 15) On oppose la bande côtière

du Kokan au plateau du Deccan que l’on appelle le Desh. Ces deux régions sont séparées par la

chaîne des « Western Ghâts » qui est parallèle à la côte puis par le Mawal, une bande d’une trentaine

de kilomètres de large constituant le versant est des Sahyadri. Pour l’étude présentée ici, il a été prévu

d’enquêter dans cette région entre les montagnes et la plaine. Il se trouve que j’ai pu effectuer des

enquêtes dans cette région mais également dans un taluka2 voisin et dans un taluka du Desh.

2 Taluka : Il s’agit d’une sous-division administrative des districts qui correspond au ‘cantons’ en France

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Même si les divisions majeures du Maharashtra sont la côte et le plateau, le plateau peut être divisé en

sous-régions : le Desh (à l’ouest), le Khandesh (au nord est du Desh), le Marathwada (à l’est du Desh)

le Berar (à l’est du Khandesh et au nord-est du Marathwada) et le Vidarbha (à l’est du Berar).

La langue parlée dans tout l’état est le Marathi, bien que dans le Kokan (la région côtière), on parle le

kokani, un dialecte du marathi (que l’on retrouve également à Goa). Le hindi et l’anglais sont

également parlés dans les grandes villes.

La caste la plus importante dans cet état est celle des « Maratha ». Il s’agit de la caste des chefs

militaires qui ont été artisans au temps de l’expansion marathe du XVIIIème siècle. A l’origine de

caste shudra, soit au bas de la hiérarchie traditionnelle des castes, ils ont acquis la terre, et c’est

naturellement qu’autour d’eux la société villageoise traditionnelle s’est structurée. Chefs de villages,

ils étaient les meneurs, ce qui leur conférait un rôle important en temps de guerre. Ceux qui ont pu à

l’époque des dynasties musulmanes se constituer des fiefs et ensuite accéder à des positions de

commandement dans les armées de Shivaji et des Peshwa ont constitué dans la société du pays

marathe une sorte d’aristocratie à la fois militaire et terrestre appelée les « 96 familles », cependant

que la caste dans son ensemble s’octroyait le rang de Kshatriya. (Kshirsagar et Pacquement, 1999)

L’antagonisme entre les Maratha et les Brahmanes, une autre caste dominante du Maharashtra, est un

élément-clé de l’histoire politique et sociale du pays marathe. Ce que l’on peut décrire comme une

lutte d’influence a tourné à l’avantage des seconds à partir de l’époque des Peshwa au XVIIIème

siècle et, de manière encore plus nette, sous les Britanniques. Ce sont les Brahmanes qui ont imposé

leur mode de vie et de pensée dans le Maharashtra contemporain, tout particulièrement dans les villes

et les milieux éduqués. Cette primauté socioculturelle brahmane explique sans doute le succès avec

lequel le néologisme « maharashtrien » supplante, pour désigner les habitants du Maharashtra, le mot

« marathe » qui réfère trop explicitement à la caste des Maratha et à la société rurale qu’ils incarnent

toujours.

Pune district aujourd’hui…:

Pune district et ses 14 talukas. Pune se situe au milieu représenté ici par un point noir. Les lieux visités pour ce terrain se trouvent dans les talukas de Mulshi, Maval, et Shirur.

Au cœur de Pune district se situe la deuxième plus grande ville du Maharashtra, Pune, connue sous le

nom de Punavadi ou Poona au temps de la colonialisation britannique. Souvent appelée « the

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Queen of the Deccan » (La reine du Deccan), Pune est la capitale culturelle des Maharashtriens qui

ont pour langue natale le marathi. Sa population en 2005 était estimée à environ 4 485 000 habitants

selon les calculs du recensement de 2001. Ce chiffre prend en compte la banlieue proche de Pimpri-

Chinchwad qui est la jumelle industrielle de Pune. Ici, on parle marathi bien que l’anglais et le hindi

soient couramment utilisés. Actuellement, Pune connaît une croissance de l’investissement dans les

secteurs de l’automobile et du IT (Information Technology), ce qui provoque un flux de travailleurs

venant du pays entier. Pune, parfois appelé « the Oxford of the East », est également connu pour ses

écoles supérieures et universités, parmi elles notamment, Deccan College et le Bhandarkar Institute

of Indology, attirant des étudiants de toute l’Inde mais aussi du monde entier.

La présente étude s’est déroulée entièrement dans le district de Pune, c’est à dire dans la région rurale

entourant la ville du même nom. Pour certains des villages visités, on a pu tout simplement

emprunter un ST bus (bus de transport public de l’état) pour s’y rendre. Pour d’autres, ce voyage en

ST a été accouplé de quelques heures de marche.

Ce district est divisé en quatorze talukas. Il s’agit de divisions politiques qui peuvent correspondre

aux communes que nous connaissons ici en France. Ce district couvre une surface d’environ

700 km². Les régions que j’ai visitées lors de ce terrain se trouvent dans trois talukas du district de

Pune. Il s’agit de Mawal, Mulshi, et Shirur talukas. Malgré le fait que ces trois talukas se trouvent

dans un même district, leur alimentation, leur agriculture et leurs coutumes sont variées à cause d’une

géographie différente. Mawal et Mulshi sont talukas voisins dans la région montagneuse à l’ouest de

la ville de Pune. Shirur taluka se trouve à l’est de Pune dans les plaines.

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Chapitre II : Clarification et justification sémantique : l’utilisation du terme ‘suin’ Dans la littérature concernant la naissance dans les pays du Sud, on retrouve une pléthore de mots

désignant la personne qui assiste une femme pour son accouchement. Le milieu rural en Inde ne fait

pas exception. Il est ainsi important d’examiner ces différentes appellations afin d’offrir une

clarification sémantique. Dans cette étude, je choisis d’employer le terme utilisé localement, ‘suin’,

pour désigner cette femme. Il s’agit d’un choix personnel qui nécessite une explication voire

justification. Parce que ce papier concerne principalement un public francophone, je souhaite tout

d’abord justifier mon refus des termes tels ‘matrone’ ou ‘sage-femme’ simplement pour la raison que

ces termes renvoient à un système médical spécifique. Aujourd’hui, même si on emploie ces termes,

il n’existe pas d’assistante en couches correspondant à la femme qui assiste en milieu rural

maharashtrien. Aujourd’hui en France, même si une femme accouche à domicile, elle a recours à une

assistante spécialisée, soit une sage-femme, soit une doctoresse ; toutes deux issues de formation

universitaire biomédicale longue.

De ces trois termes (matrone, accoucheuse, sage-femme), ‘accoucheuse’ ou bien ‘matrone’

conviendrait en cas de besoin de traduction car ils réfèrent à une femme qui est appelée à venir en

aide, dépourvue de formation biomédicale. Même si ces comparaisons, voire parallèles, peuvent être

dessinées, ces termes sont également plein de sens, référant au développement d’un système de santé

spécifique ; dans ce cas celui de la France. L’utilisation des termes ‘matrone’ ou ‘accoucheuse’,

probablement le plus proche si nous prenons en compte le rôle historique de ces personnages,

nécessiteraient pour décrire les assistantes en milieu rural maharashtrien un rajout complémentaire de

‘maharashtrienne’ voire ‘indienne’, mais un mot composé, tel ‘accoucheuse indienne’ ne convient pas

ici dans le sens où la pratique de cette femme varie de région en région et l’étude présentée ici ne

prétend pas à une exhaustivité pour généraliser sur une pratique indienne. De plus, nous allons voir

que la pratique de cette assistante en couches va au delà de la simple assistance en couches. Ainsi le

terme ‘accoucheuse’ ne prendrait pas en compte cette dimension supplémentaire. Je préfère donc ne

pas utiliser ces termes car ils sont aujourd’hui sans correspondance dans le langage courant.

Les termes venant de l’anglais ou même du hindi, tels ‘TBA’, ‘midwife’ ou ‘dai’ méritent aussi examen

car il s’agit de termes utilisés au quotidien en Inde. Malgré le fait que chacun de ces termes désignent

une assistante en couches, chacun est rempli de sens propre avec une utilisation connotée.

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En anglais, en Inde et ailleurs, on emploie souvent le terme de Traditional Birth Attendant (TBA). TBA

se réfère selon le WHO (World Health Organisation) 3 à :

« Strictly, (the term TBA refers) only to traditional, independent (of the health system), non-formally trained and community-based providers of care during pregnancy, childbirth and the postnatal period.» 4 (WHO, 2004)5

Derrière cette courte définition apparaît un discours associé au développement impliquant non

seulement une dichotomie tradition vs. modernité, mais aussi une opposition entre cette praticienne6 et

une autre qui selon WHO et d’autres institutions serait plus apte à conduire des accouchements: la

skilled birth attendant.

“a skilled attendant is an accredited health professional — such as a midwife, doctor or nurse — who has been educated and trained to proficiency in the skills needed to manage normal (uncomplicated) pregnancies, childbirth and the immediate postnatal period, and in the identification, management and referral of complications in women and newborns.” (WHO : 2004)7

Il n’est pas difficile de voir la différence de vocabulaire dans les deux définitions. Alors que selon les

anthropologues, les soins font partie intégrale d’un système de santé, dans le vocabulaire des

développeurs, le mot “care ”8 employé dans la définition de la TBA renvoie à la place inférieure

accordée à cette dernière par rapport aux “skills” (en français : compétences ou techniques) que possède la

“skilled attendant”. La TBA est regardée par cet organisme et par ceux qui suivent cette posture

comme une extension d’un système de soins ; une personne qui peut apporter du ‘care’, mais qui n’a

pas les compétences à assister en couches et qui devrait donc servir d’intermédiaire entre le peuple et

le système de soins ; une personne ne pouvant jamais acquérir les ‘skills’ que possède l’autre ; une

personne qui n’est donc pas envisagée comme une professionnelle.

« Experts believe that the best role for the TBA in the skilled attendant strategy is to serve as an advocate for skilled care, encouraging women to seek care from skilled attendants. TBAs

3 En français, on dit “Organisation Mondiale de la Santé” (OMS); Dans ce mémoire, je citerai des extraits de

documents venant des textes anglais, donc j’employerai le terme WHO. 4 Traduction personnelle : « Strictement, (le terme TBA se réfère) seulement à ceux ou celles qui de manière indépendante, traditionnelle, sans formation formelle, basée dans une communauté, donnent (apportent) de l’aide et des soins pendant la grossesse, l’accouchement, et la période suivant l’accouchement » 5 WHO, 2004. Making Pregnancy Safer: the critical role of the skilled attendant: A joint statement by WHO, ICM and FIGO. (Geneva: WHO). [http://www.who.int/reproductive-health/publications/2004/skilled_attendant.pdf] consulté le 27 juillet 2005. 6 Ici, j’emploie le terme au féminin, mais en anglais le genre n’est pas apparent. 7 Traduction personnelle : « une assistante compétente est une professionnelle de la santé reconnue, diplômée – telle une sage-femme, médecin, ou infirmière – qui a été éduquée et formée (to proficiency) dans les techniques requises pour gérer des grossesses normales (celles sans complications), l’accouchement, et la période immédiatement post-natale, et dans l’identification, gestion, et renvoie (à des systèmes de soins) de femmes et nouveaux-nés. » 8 L’utilisation du mot care nous renvoie au concepts de ‘care vs cure’. Ces concepts ont été bien exploités par F. Saillant et d’autres en anthropologie de la santé ; le domaine du ‘care’ est renvoie souvent à l’univers domestique alors que ‘cure’ renvoie souvent au domaine professionnel.

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will be able to perform this role effectively only when there are good working relations between TBAs, skilled attendants, and staff in referral facilities. The TBA must be welcomed by the health care system and seen as an extension of it. » (WHO : 2004)9

Les stratégies de valorisation des pratiques des accoucheuses qui ont amené ces débats autour des

‘TBA’ et ‘skilled attendants’ auxquels je fais référence en citant l’OMS ont également concerné l’Inde.

Même si dans ce débat de santé publique l’accoucheuse a pris première place depuis les années

soixante-dix en Inde comme ailleurs, ce n’est pas la première fois que l’on s’adressait à ces femmes

afin d’améliorer la santé et tâcher d’instaurer des programmes. Selon C. Van Hollen, même dans la

période coloniale, on donnait des cours pour ces femmes. Selon d’autres, c’est surtout à partir des

« 5-year-plans » qu’a instauré Nehru en 52, que l’on commence à apprêter plus d’attention aux ‘dais’.

On leur accorde une place importante dans la mise en place d’un système de soins à plusieurs

échelons. L’accoucheuse, appelée en hindi, dai, suivant une posture plutôt pragmatique, devait servir

d’élément central. Se basant sur son statut de femme respectée au village et par le fait qu’elle

s’occupe des naissances et par extension de la santé, on estimait que cette femme était la mieux placée

pour renseigner le peuple villageois sur les règles de bases en hygiène et d’autres soins de santé

primaires. Ce n’est que depuis assez récemment que l’on a changé de stratégie, laissant la première

place aux ‘skilled attendants’ car il s’est avéré que la stratégie suivie auparavant n’atteignait pas la cible

voulue en terme de baisse considérable de mortalité maternelle et infantile. Aujourd’hui, selon un

document WHO de 2004, il s’avère que “the skilled attendant is at the center of the continuum of

care.” On change alors un peu de discours. On a donc laissé de côté l’idée que la dai puisse remplir

la tâche d’intermédiaire entre le village et les structures publiques de soins, préférant la skilled

attendant.

“The skilled attendant is at the center of the continuum of care. At the primary health care level, she/he will need to work with other care providers in the community, such as traditional birth attendants and social workers. She/he will also need strong working links with health care providers at the secondary and tertiary levels of the health system. Recognizing the pivotal role of the skilled attendant in reducing maternal and newborn mortality and morbidity, WHO, ICM and FIGO undertake to work together to increase access to skilled attendants for all women and newborns in pregnancy, childbirth and the immediate postnatal period.” (WHO : 2004)10

9 Traduction personnelle : « Des experts disent que le meilleur rôle pour la TBA dans la stratégie des assistantes compétentes est de servir en tant qu’avocates pour les soins techniques, en encourageant des femmes à consulter des assistantes techniques et compétentes. Les TBA peuvent accomplir ce rôle de manière efficace seulement lorsqu’il existe de bonnes relations entre les TBA, ‘skilled attendants’, et le personnel dans les structures des soins de référence. » 10 Traduction personnelle : « L’assistante compétente est au centre d’un continuum de soins. A un premier niveau de prise en charge, elle/il devra travailler avec d’autres fournisseurs de soins dans la communauté, tels les TBA et les travailleurs sociaux. Elle/Il aura besoin de liens forts avec le personnel soignant aux deuxième et troisième niveaux du système de soins. Reconnaissant le rôle important du skilled attendant pour la réduction de la mortalité maternelle et infantile, WHO, ICM et FIGO travailleront ensemble pour accroître l’accès aux

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Ces termes de ‘TBA’ et ‘Skilled Attendant’ sont comme nous avons pu percevoir chargés d’un discours

d’organismes internationaux, de programmes ayant pour but de réduire la mortalité maternelle et

infantile. Leur posture pragmatique a favorisé la prise en compte de l’accoucheuse non spécialiste

qu’ils ont alors nommé TBA. La baisse de la mortalité infantile et maternelle n’atteignant pas les taux

souhaités, ces organismes ont changé de cible, prenant alors une femme avec un niveau plus élevé

d’éducation. Je ne voudrais pas m’étendre sur les différents programmes de ces organismes de

développement, je souhaite simplement insister sur le fait que ces deux termes réfèrent à une

assistante en couches spécifique, avec un « background » de discours d’organismes de santé. Ceci ne

correspond pas à mon sens à la femme que je voudrais représenter ici. Ne voulant pas la réduire à ce

profil, je m’abstiendrai d’utiliser ces termes en son égard.

En Inde, en anglais-indien, il y a également une autre femme dans le tableau villageois qui peut

assister aux accouchements. Elle s’appelle l’Auxiliary Nurse Mid-Wife (ANM). Il s’agit d’une femme

de formation biomédicale qui peut pratiquer des accouchements.

Primary health centers are the cornerstone of the rural health care system. By 1991, India had about 22,400 primary health centers, 11,200 hospitals, and 27,400 dispensaries. These facilities are part of a tiered health care system that funnels more difficult cases into urban hospitals while attempting to provide routine medical care to the vast majority in the countryside. Primary health centers and subcenters rely on trained paramedics to meet most of their needs. The main problems affecting the success of primary health centers are the predominance of clinical and curative concerns over the intended emphasis on preventive work and the reluctance of staff to work in rural areas. In addition, the integration of health services with family planning programs often causes the local population to perceive the primary health centers as hostile to their traditional preference for large families. Therefore, primary health centers often play an adversarial role in local efforts to implement national health policies. (Source : U.S. Library of Congress; http://countrystudies.us/india/36.htm)

Elle est « the multipurpose extension health worker(s) who works at the interface between the

community and public health system, »11 et qui « manages the sub-center, mandated at a population

of 3,000-5,000 for rural areas. »12 Il s’agit donc d’un personnage présent dans le milieu villageois en

Inde, pas seulement au Maharashtra. Mais cette femme n’est souvent pas originaire du village où elle

exerce son métier, ni est-elle mariée avec quelqu’un de ce village.

“In India, performance and quality of health system in rural areas is significantly dependent on Auxiliary Nurse Midwives (ANMs), the multipurpose extension health worker who works at the interface between the community and public health system. While a team of physicians and paramedical workers staff the primary and community health centers, a single ANM

skilled attendants pour toutes femmes et nouveaux-nés pendant la grossesse, la naissance, et la période post-natale. » 11 Traduction personnelle : « une personne, extension versatile du système de soins, qui travaille à l’interface entre la communauté et le système de soins public » 12 Traduction personnelle : « gère le centre de soins subsidiaire, à une population de 3 000 à 5 000 personnes pour des régions rurales »

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manages the sub-center, mandated at a population of 3,000-5,000 for rural areas.

She is expected to perform a large number of diverse preventive and curative functions such as motivation for family planning, immunization, conducting deliveries, and treatment for childhood illnesses. She is expected to reside in the subcenter village and remain available round the clock.” (Mohan, et al. : 2003.)13

Même si au sein du terme Auxiliary-Nurse Midwife, on retrouve le terme “midwife” qui veut

habituellement en anglais signifier « la femme qui aide ou assiste aux accouchements », les devoirs de

l’ANM vont bien au delà des accouchements. Ce terme réfère à un agent de santé désigné par les

autorités gouvernementales ayant suivi une formation particulière. Elle est souvent nommée à un

endroit, un quartier particulier. Mais il s’avère que ces ANM pour diverses raisons socioculturelles

n’occupent pas toujours leurs postes et ne sont donc pas toujours présentes au village quand les

accouchements ont lieu.(cf. Iyer et Jesani, 1999) La femme qui assiste en couches dont je voudrais

dresser le portrait n’est pas celle-ci.

Ne voulant ni se référer aux TBA, ni aux skilled attendants, certains chercheurs contournent ces termes

en utilisant pour l’assistante indienne en milieu rural un terme hindi, ‘dai’. Il s’agit d’un mot venant

du hindi ‘adopté’ par les gouvernements pour désigner la TBA. Ce terme est très répandu en Inde,

même dans les régions où le hindi n’est pas la langue maternelle. Les indiens citadins marathiphones

que j’ai pu rencontrer à Pune-ville, fiers de m’apprendre du vocabulaire dans la langue locale, à

l’annonce de mon sujet de recherche, me traduisait le terme ‘mid-wife’ ou ‘traditional birth attendant’

par ‘dai’. « In the village, we say ‘dai’ for this woman who helps with birth. » ou « We call her the ‘dai’. »

« It is worth noting that the term dai is also commonly used in India, although the word itself appears to be of Arabic origin. In North India, the term is used to refer to women, generally of low-caste Hindu groups, but sometimes also Muslim, whose primary function appears to be dealing with and removing the « pollution » assiociated with birth» (Rozario)14

Dans le nord de l’Inde, donc région hindi-phone, ce terme a peut-être gardé sa définition d’origine,

c’est-à-dire désignant une femme âgée venant en aide aux couches pour enlever la pollution associée

13 Traduction personnelle : « En Inde, la performance et la qualité du système de santé en régions rurales est dépendante de l’ANM, cette personne soignante, extension versatile, qui travaille à l’interface entre la communauté et le système de soins public. Lorsqu’une équipe de médecins et de personnel paramédicaux occupent les centres primaires et communautaires de soins, l’ANM, à elle seule, gère le centre de soins subsidiaire, d’une population entre 3,000 et 5,000 personnes pour des régions rurales. On s’attend à ce qu’elle accomplisse un grand nombre de diverses fonctions curatives et préventives, dont l’encouragement pour le planning familial, l’immunisation, les accouchements, et le traitement de maladies infantiles. Elle devrait résider dans le village où se trouve son centre subsidiaire afin de rester disponible 24h/24h. » 14 Traduction personnelle : « Il faut noter que le terme ‘dai’ est utiliser de manière commun en Inde, bien que le mot semble être d’origine arabe. Dans le nord de l’Inde, le terme est utiliser pour référer aux femmes, généralement de groupes hindous de basse-castes, mais aussi parfois des musulmanes, à qui la fonction primaire est de s’occuper de et de retirer la « pollution » associée à la naissance » (tiré d’un article en ligne, voir bibliographie)

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à la naissance. Il va de même que ce terme soit utilisé couramment dans ces régions dans le langage

quotidien pour désigner cette femme qui vient en aide au moment des couches. Mais dans des

régions non hindi-phones, ce terme ‘dai’ vient dépourvu de son sens primaire. Ce terme apparaît

alors comme une importation et par conséquence est peu utilisé par les locaux. Santi Rozario a

rencontré ce questionnement lors de son enquête en Bangladesh. « In Noakhali, I found that village

women avoided using the term dai, but, although no specific term was used to refer to TBAs, they

had no difficulty in identifying those local women who assisted at births » (Rozario).15 Rozario a

démontré une différence intéressante entre la ‘dai’ et l’assistante en couches. La ‘dai’ était

historiquement celle qui coupait le cordon, acte hautement ‘polluant’ et refusé par beaucoup. Les

femmes qu’elle a pu rencontrer lors de son enquête ont cherché à se différencier de la ‘dai’. Au

Maharashtra, je n’ai pas rencontré cette même situation, mais j’ai pu relever une différence tout de

même pertinente en milieu rural. Dans les régions rurales de Pune district où j’ai mené mon enquête,

les femmes (marathiphones) ne maîtrisent pas le hindi. Quand les ONG et OG (organisations

gouvernementales) viennent dans ces campagnes maharashtriennes pour promouvoir des formations

pour des ‘matrones traditionnelles’, on utilise le terme ‘dai’ pour désigner l’accoucheuse. Le terme est

ainsi approprié par les femmes de ces régions rurales pour désigner l’accoucheuse qui a suivi cette

formation. A d’autres moments, les villageoises peuvent employer le terme ‘dai’ lorsqu’elles

s’adressent à des étrangers ou citadins, sachant que ce terme vient de l’extérieur, lorsqu’elles veulent

faire la distinction entre une ‘sage-femme biomédicale’ et une ‘matrone’. Lorsque les femmes

villageoises des régions que j’ai pu visiter parlent entre elles de la vieille femme réputée pour sa

prouesse dans les accouchements, la femme qui connaissaient tout ce qu’il fallait faire dans ces

moments difficiles, qui a appris d’une autre vieille femme, elles utilisent le terme ‘suin’ et non pas

‘dai’, ni ‘doctor’, ni ‘nurse’, ni ‘midwife’, pourtant ce sont des termes qui s’emploient au quotidien.

Outre le fait d’établir une précision sémantique uniquement pour la présente étude, cette déclinaison

sémantique laisse apparaître des divergences à un niveau local de la représentations associées à de ces

divers termes. Au village, ‘dai’, ‘midwife’, et ‘suin’ n’ont pas la même signification, alors que les trois

s’emploient. Le mot ‘dai’, dans la région étudiée, est associé aux programmes gouvernementaux ou

non-gouvernementaux de développement, de formation de nouvelles techniques qui peuvent différer

de celles dont les ‘suins’ ont l’habitude. Le terme de ‘midwife’ se réfère à cette femme, souvent jeune,

venant d’ailleurs, ayant suivi une formation biomédicale, qui ne s’occupe pas seulement

15 Traduction personnelle : « A Noakhali, j’ai trouvé que les femmes évitaient d’utiliser le terme dai, mais, bien qu’il n’y a pas d’autre terme spécifique pour désigner la TBA, elles n’ont pas eu de difficulté à identifier les femmes locales qui assistaient aux accouchements » (tiré d’un article en ligne, voir bibliographie)

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d’accouchement et très souvent ne partage pas les traditions des locaux du village où les autorités

l’ont placée.

Afin d’éviter l’utilisation de terminologie connotée non seulement d’une hiérarchisation/stratification

exogène mais aussi d’une attache à un système médical ou à une histoire culturelle qui n’est pas

propre à cette praticienne et pour ne pas utiliser ces termes qui sont à mon sens trop chargés de

connotations relatives à ce discours que nous pourrions appeler « celui des développeurs », je préfère

me restreindre à l’utilisation du terme local de suin. Il s’agira au cours de cette étude de situer la

fonction et le statut de la suin et les représentations et pratiques sociales dont elle fait l’objet. A divers

moments on pourrait la considérer sous la lumière de la terminologie employée par divers organismes

et/ou chercheurs. Si j’emploie ces termes dans ce récit, ils y sont explicitement remplis de sens et

leur utilisation est ainsi intentionnelle.

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DEUXIEME PARTIE

Méthodologie et Approches Conceptuelles

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Dans cette deuxième partie, le lecteur pourra découvrir la méthodologie que j’ai employée pour

mener cette enquête ainsi que les approches en anthropologie dont je me suis inspirée.

Cette partie méthodologique est une portion biographique du mémoire où j’expose l’évolution d’un

projet de recherche vers une enquête de terrain. Suite à la partie méthodologique, j’examinerai

différents concepts en anthropologie que j’ai exploré lors de cette étude.

Chapitre I : Méthodologie Préparation du terrain

Choix du sujet

Lors d’un séjour en Inde en 2000-2001, j’ai pu côtoyer des villageois dans les campagnes de Pune

district dans le cadre d’enregistrements des chants de la meule dont mon ex-mari était responsable

pour une association/ONG locale dirigée par un socio-anthropologue français installé en Inde depuis

les années 70. Lors d’une des sorties, l’association tenait une réunion, qu’ils ont appelé ‘suinmela’, avec

des « matrones traditionnelles », qui je l’ai appris par la suite s’appellent ‘suins’. Ces femmes, toutes

âgées, se plaignaient, anxieuses quant à la pérennité de leur savoir en matière d’accouchement. Elles

disaient que des jeunes femmes du village ne voulaient pas reprendre le flambeau, que personne ne

voulait apprendre. Elle blâmaient « l’hôpital », et la médecine « moderne » venant de la ville et ainsi

de l’Occident. Cette rencontre n’était qu’une parmi tant d’autres que j’ai pu faire en allant dans ces

villages. Mais pour une raison que je ne maîtrise pas encore, j’étais interpellée par les apparentes

inquiétudes de ces femmes. L’association leur avait consacré une réunion pour mieux comprendre

leurs plaintes. Je m’interrogeais alors sur cette plainte. Quel savoir revendiquaient-elles ? De quelle

tradition parlaient-elles ? Pourquoi désigneraient-elles la médecine « moderne » comme raison pour

la désuétude de leurs pratiques et ainsi de leur « tradition »? Peut-on opposer de façon si tranchante

le bon et le mauvais, la tradition et la modernité ? Pour quelles raisons cette association s’intéressait-

elle à ces femmes ? Quel message était véhiculé par cette association ? S’agissait-il d’une volonté de

«revalorisation » de leurs « traditions » ? Lors de ce séjour, j’ai fait donc une triple rencontre qui

changera mon orientation professionnelle et ainsi ma vie : une rencontre avec un anthropologue et

donc l’anthropologie et le terrain, une rencontre avec l’Inde et son milieu rural, et une rencontre avec

les suins et ainsi le domaine de la naissance.

Une fois de retour en France après ce premier séjour, je me suis promise de repartir un jour en Inde

pour mieux comprendre le sort de ces femmes. J’ai donc pris des mesures pour le faire dans les

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meilleures conditions. Je me suis réinscrite à l’université pour préparer une licence puis une maîtrise

en ethnologie. Même si je détenais déjà une licence en lettres et études internationales, faire ces deux

diplômes en France m’a permis d’approfondir mes connaissances théoriques et conceptuelles dans le

domaine de l’ethnologie à un niveau personnel mais aussi pour acquérir un statut de diplômée pour

ainsi légitimer un futur voyage auprès des locaux.

Pour embarquer sur un terrain dans un pays qui m’est à la fois cher et tout de même lointain, je me

suis préparée à plusieurs niveaux. Un terrain de n’importe quelle durée doit se préparer

académiquement, matierellement et financièrement. C’est pour cette raison que j’ai fait une demande

de subvention auprès de la Commission IIE/Fulbright16. N’étant ni ressortissante française ni

européenne, cette commission était un de mes seuls recours. Avant d’avoir la certitude d’une réponse

positive de la part de cette commission, je me suis préparée à l’étude dont l’exposé va suivre sur

d’autres plans. Mon enquête et mémoire de maîtrise, soutenu en septembre 2004 à l’Université de

Provence, Aix-en-Provence, a porté sur l’accouchement à domicile dans le sud de la France. Etudier

des questions rapportant à l’accouchement, même si ceci avait lieu dans un pays « développé » m’a

permis de me familiariser avec non seulement le vocabulaire de cet événement mais aussi les

questionnements anthropologiques le concernant et la littérature actuelle en anthropologie de la

naissance venant de divers pays.

La bourse que j’ai finalement obtenue m’a permise de partir pendant une durée beaucoup plus longue

que ce qui est normalement exigé pour un terrain de Master 2. Cependant, je ne voulais pas refuser la

bourse pour des raisons de dates et échéances universitaires. J’avais tout à fait l’intention de

continuer sur ce même sujet après ce diplôme. Le terrain m’a, donc, servi doublement : un premier

terrain en Inde en tant qu’universitaire et apprentie chercheure en anthropologie, mais aussi de « pré-

terrain » pour une éventuelle thèse en anthropologie.

La commission de bourse exigeait un rattachement institutionnel en Inde. En février 2004, lors d’un

court séjour à Pune, j’ai préparé ma demande avec l’aide de Mr. Guy Poitevin, directeur de

l’organisme non-gouvernemental [que je nommerais C.] qui m’hébergerait et me servirait d’affiliation

institutionnelle pendant mon séjour en 2005. Cette association, dont j’ai fait la connaissance lors de

mon premier voyage en Inde, s’intéressait depuis ses débuts à des campagnes de santé mais

seulement depuis quelques années aux ‘matrones traditionnelles’.

16 La bourse IIE/Fulbright est à destination de ressortissants américains voulant étudier dans un pays étranger, mais existe également pour des étrangers voulant étudier aux Etats-Unis d’Amérique. Pour plus d’informations voir le site internet : www.fulbright.org

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L’occasion s’est présentée en février 2004 de retourner en Inde. Ceci m’a permis de mettre au point

l’accord pour le dossier de bourse avec Mr. Poitevin et son organisation mais aussi d’aller un peu sur

le terrain. Il semblait pour moi être le lieu idéal pour faire une étude anthropologique sur les suins

car cette association avait des contacts et un certain prestige dans les villages depuis une trentaine

d’années. Leur démarche me semblait intéressante également car aucun des chercheurs associés ne

venaient du milieu médical alors que le sujet, me semblait-il, était en relation directe avec la santé.

J’apprendrais une fois à Pune qu’il y a eu un médecin avec qui l’association avait collaboré pour les

campagnes de santé dans les années 80-90.

Avoir un anthropologue spécialisé sur l’Inde et sur cette région en particulier sur place était pour moi

un salut car en tant qu’apprentie anthropologue, j’avais encore beaucoup de questions et de doutes

quant à mes recherches. Aussi, je ressentais un besoin de conseils quant à la littérature locale

abondante. Malheureusement, il s’est avéré que Mr Poitevin est tombé gravement malade en juillet

2004 et a succombé à son trouble en août 2004. Avec l’accord et l’encouragement de sa veuve qui

reprit la direction de l’organisation, j’ai décidé de poursuivre mon projet initial malgré l’absence de M.

Poitevin.

Entre temps, j’ai été contactée par Dr. Laurent Pordié, pour faire partie d’une équipe de recherche

sur les sociétés et médecines de l’Asie du Sud à l’Institut Français de Pondichéry. J’ai accepté son

offre. En plus d’être un merveilleux lieu de travail, ce deuxième rattachement, bien que loin de mon

lieu de terrain m’a permis de garder un lien avec les institutions et les réseaux français en Inde.

Arrivée en Inde…

Je suis arrivée en Inde au mois de février 2005 après un semestre universitaire chargé. J’ai vite repris

mes repères à Pune, ville de plus de trois millions d’habitants, où j’avais déjà vécu quatre ans

auparavant. Malgré la taille impressionnante de cette ville, j’habitais dans le même quartier et donc

j’ai fréquenté les mêmes lieux et souvent je croisais les mêmes personnes. Cette fois-ci je revenais

non seulement avec un nouveau statut d’étudiante en anthropologie mais aussi avec celui de femme

divorcée. Le fait de le préciser ici dans ce mémoire peut sembler dérisoire, mais personnellement sur

le terrain, j’ai ressenti des répercussions, des changements de regards. Avec des amis et des

connaissances du premier voyage, j’ai dû discuter de ce fait et souvent j’ai eu en quelque sorte à les

convaincre que c’était pour le mieux tout en expliquant les us et coutumes des relations entre

hommes et femmes en Occident. J’ai souvent dû donner des nouvelles de cet homme avec qui je n’ai

plus beaucoup de contact. De plus, j’ai dû me reforger une identité pour moi en tant que femme

voyageant seule. Avec des amis que je pensais proches, nous avons dû ‘recréer’ une amitié. Cela s’est

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fait très facilement. Cependant, cette période m’a permis de réaliser à quel point les relations sont à

refaire constamment car rien n’est acquis d’avance.

L’association C. a de nombreux animateurs, des travailleurs sociaux villageois. J’avais d’ailleurs pu en

rencontrer lors du premier voyage. La veuve du directeur m’a avoué qu’elle a réservé l’annonce de

mon divorce avant d’être sûre de mon arrivée. Même si les unions extra-maritales ont lieu au village

et le divorce permis par la loi, ce n’est pas chose courante et on dit souvent que si divorce a lieu, la

faute est celle de la femme, soit pour cause d’infidélité, soit pour cause d’infertilité. J’ai dû donc faire

confiance à la directrice pour bien rapporter les raisons de cette séparation même si cette dernière

souhaitait souvent savoir les raisons pour lesquels un tel « bon match » ne pouvait plus fonctionner.

Auprès des animateurs, je ressentais parfois malgré la barrière de la langue, une réticence. On leur a

donné l’ordre de m’aider lors de mes enquêtes, mais tout au long de mon séjour, j’ai dû prouver être

une femme sérieuse et déterminée. Au fur et à mesure l’atmosphère s’est détendue. Ce qui m’a aidé

et qui a légitimé ma présence, c’était l’accord que Poitevin et moi-même avions mis en place l’année

précédente. De son vivant, on avait beaucoup de respect pour lui au sein de l’association. Mais

depuis sa mort, l’association connaissait beaucoup de changements. J’ai eu l’impression que

beaucoup d’animateurs « tenaient » par leur amour et respect pour « Guy Baba17 ». Même si j’ai pu

faire mes preuves et que certains m’apprécient beaucoup aujourd’hui, je suis convaincue que leur aide

pendant mon enquête ne faisait pas exception à ce sentiment de devoir envers lui.

Terrain et Obstacles envisagés

Attentes de la part de l’association…

En février 2004, Mr Guy Poitevin a signé son accord d’affiliation affirmant que le centre de recherche

qu’il dirigeait allait me prendre en charge durant la totalité de mon séjour de terrain en Inde lors de

mon Fulbright 2004-2005. Cette institution avait comme responsabilité de m’aider dans mes

recherches dans la région, de m’offrir des conseils académiques/professionnels. Malgré son décès, sa

veuve a encouragé ma venue et mon étude. Avant d’arriver à Pune, la commission Fulbright/USEFI

a offert de m’intégrer dans un programme de « facilitation » pour faciliter différentes procédures

administratives et autres. Ils ont proposé à cette institution de s’occuper de cette étape importante

qui, en plus des démarches administratives, sert aux chercheurs pour établir un réseau avec des

chercheurs locaux de leur discipline, de découvrir les différents centres et lieux de recherche dans la

ville.

17 « Baba » est un surnom que l’on ajoute au nom d’un homme pour montrer le respect que l’on peut avoir à son égard.

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Cette affiliation institutionnelle a ainsi facilité mes démarches pour l’obtention d’un visa de recherche.

Mais je dois dire que mes attentes allaient au delà de cette démarche administrative. J’étais dans

l’expectative de plus d’aide en ce qui concerne les rencontres avec d’autres chercheurs confirmés de

cette ville réputée pour son foisonnement intellectuel. Peut-être ai-je été leurrée par la réputation de

la bourse que j’avais acquise qui aurait dû à mes yeux ouvrir certaines portes. Peut-être ai-je été

également aveuglée par la réputation que je me faisais de cette organisation et de son directeur

défunt. Avec du recul, les obstacles que j’ai vécus sur le terrain venaient principalement de ce

désillusionnement que je vivais et auquel je faisais face tous les jours.

Obstacles prévus

Je savais que l’obstacle principal de ce terrain serait la barrière de la langue. Auparavant, je n’avais

jamais fait appel à un interprète car bien que mon enquête de maîtrise se soit déroulée dans une

langue qui n’est pas ma langue maternelle, je la maîtrisais suffisamment pour tout faire seule. J’ai eu

l’intention au départ de rester à Pune pendant une période pour effectuer des cours intensifs de

langue marathi tout en profitant de la bibliothèque pour effectuer des recherches sur mon sujet.

Pour avoir déjà vécu dans cette ville, je savais à quel point il est facile de ne jamais prononcer un mot

de marathi et tout faire en anglais ou bien en hindi, d’où l’importance de motivation pour apprendre

la langue. Je pensais en vivant chez l’habitant, dans mon cas chez la directrice de l’association C., que

j’allais avoir plus de facilités à vite maîtriser la langue. Je savais que quelques mois ne suffiraient pas

pour pouvoir mener les enquêtes seule, mais je ne pensais pas que cela allait être si contraignant.

J’avais l’idée d’aller vivre directement dans le village que j’aurais choisi après un premier temps sur

place. Mes lectures lors de mes premières années en ethnologie à propos de l’enquête

ethnographique m’ont appris qu’il existe plusieurs façons de mener une enquête. Pour avoir mené

mon enquête de maîtrise à partir d’entretiens presque exclusivement, je recherchais une manière plus

complète d’aborder mon sujet. L’enquête par excellence en ethnologie est l’enquête guidée par

l’immersion complète du chercheur, autrement dit, l’observation participante. Cette méthodologie

promue depuis le début du siècle dernier en ethnologie, notamment par B. Manislowski, est bien

connue en Inde grâce au socio-anthropologue M. N. Srinivas, qui a promu cette méthode pour des

enquêtes des sociologues et anthropologues Indiens en Inde.

« The fieldwork done by a social anthropologist offers a sharp contrast to the approach, methods, and techniques used in macro-surveys. In the first place, a crucial characteristic of the anthropologist’s study is the absence of any separation between the fieldworker and the analyst. (…)Under this method, the fieldworker spends a period of 18-24 months in a society different from his own, the time being broken up in two visits, uses the local language in his talks with the indigenes, participates in their daily, seasonal, and other activities, and as far as possible, gathers his information in the course of such participation. Before setting out for

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the field, the anthropologist is expected to be familiar with the literature available on the region he has selected, and to have studied the language spoken there. » (Srinivas : 524)18

Outre cet obstacle linguistique, je n’envisageais pas de réels problèmes. Au contraire, je partais sur le

terrain à l’aise, me considérant plutôt privilégiée d’une part par la bourse que j’avais obtenue qui

m’offrait une généreuse aide financière ainsi qu’un statut de chercheur officiel approuvé par le

Gouvernement de l’Inde, et d’autre part par mon affiliation à ce centre de recherche/ONG (C.) qui

devait me fournir une aide quant à son réseau et donc me faciliter l’entrée dans les villages et parmi

d’autres institutions de recherche.

Contraintes du terrain et changement de méthode d’enquête

Young Anthropologist from French University seeks Translator !

Comme je l’avais pressenti, la contrainte première sur le terrain était celle de la langue. Malgré les

démarches que j’ai entreprises pour apprendre la langue (les cours de langue, la résidence chez une

marathiphone) mes progrès dans la langue locale n’avançaient pas à une allure favorable pour mener

des enquêtes seules. J’ai dû me résigner devant la de passer par un interprète.

Il était le souhait de mon hôtesse de m’accompagner dans les villages pour traduire les entretiens car

ce sujet l’intéresse personnellement depuis plusieurs années. Cela a été son rôle pour tant d’autres

chercheurs venant dans les villages avec l’aide de leur organisation. Cela aurait été une manière

également de surveiller les échanges entre moi et les villageois, les animateurs, et les suins. La santé

de cette directrice ne lui a jamais permis lors de mon terrain de m’accompagner dans les villages.

Toujours pensant qu’elle allait à la prochaine sortie se sentir mieux, les recherches pour un

traducteur/interprète pour la totalité de mon séjour n’ont jamais abouti. Ponctuellement et de

manière précipitée, elle faisait des recherches pour un interprète parmi ses connaissances et les

connaissances des animateurs surtout sur la base de leur situation économique et relationnelle, et non

pas de leurs compétence en traduction et surtout en communication. J’ai moi-même essayé de

chercher un interprète en mettant des annonces aux facultés de la ville. Les réponses à mon annonce

venaient principalement de jeunes hommes motivés de rencontrer une jeune femme européenne et

18 Traduction personnelle : « Le terrain effectué par un socio-anthropologue offre un contraste distinct avec l’approche, les méthodes, et les techniques employées dans les sondages. En premier lieu, un caractéristique essentiel de l’étude anthropologique est l’absence de toute séparation entre la personne qui effectue le terrain et celui qui fait l’analyse. (…) Avec cette méthode, l’anthropologue reste pendant une longue période de 18-24 mois dans une société différente de la sienne, la période étant divisée en deux visites,il utilise la langue locale dans ses conversations avec les indigènes, participe dans leurs activités quotidiennes, saisonnières et autres, et autant que possible, recueille ses informations au cours de cette participation. Avant d’aller sur le terrain, l’anthropologue doit se familiariser avec la litterature disponible sur la région qu’il a choisie, et doit apprendre la langue qu’on y parle. »

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de l’aider dans ses recherches sur l’Inde. Malheureusement, peu de ces « bénévoles » avaient une

connaissance approfondie de mon sujet de recherche. D’autres personnes que j’ai pu rencontrer,

plus compétentes, interprètes à temps plein, pratiquaient des tarifs trop élevés pour mon budget

d’étudiante. Trouver un bon interprète s’est ainsi montré un véritable parcours du combattant

relevant d’éléments auxquels je n’avais pas du tout initialement réfléchis. Qu’est-ce qu’un bon traducteur

pour un anthropologue ? S’agit-il seulement de bien maîtriser la langue de l’autre pour pouvoir bien traduire ? Quelles

sont les motivations pour l’interprète à venir sur le terrain ?

You speak 5 languages…so what ?!! Do you know how to communicate ??

Bien que je tâchais de mon mieux de suivre systématiquement les éléments figurant sur mon guide

d’entretien, le défilement de nombreux interprètes ne me satisfaisait pas car je voyais ceci comme un

élément clé qui pouvait cimenter la cohésion de mon enquête. Je ressentais un grand besoin d’avoir

un partenaire avec moi sur le terrain avec qui on pourrait discuter des différences et des thématiques

sur place. Je ne m’attendais pas à partager mon enquête mais je ressentais tout de même un besoin

d’avoir quelqu’un avec moi qui pouvait attester de la progression des informations et des entretiens.

Au premier regard, ce ressenti peut sembler aller à l’encontre de la solitude requise par une enquête

ethnologique ; une solitude qui sert au chercheur de renvoi vers soi, de mieux se comprendre et ainsi

mieux comprendre et analyser sa propre culture [cf. Srinivas, Copans]. En réalité, cette quête du bon

interprète m’a servi de leçon sur ma propre tolérance quant au travail et mon implication dans mon

travail. Pour avoir déjà fait de l’interprétation et de la traduction, et pour avoir travaillé dans des

sciences humaines, je trouvais tout à fait normal le fait de s’intéresser à l’autre, à son comportement, à

sa famille, etc. D’interprète en interprète, je voyais défiler devant moi des personnes qui ne se

montraient pas plus intéressées que cela et parfois qui ne maîtrisaient pas assez ma langue pour

pouvoir me comprendre lors des entretiens. En bon travailleur, mon traducteur acquiesçait en

hochant la tête mais des retranscriptions de cassettes une fois à Pune ont révélé que ce premier

n’avait pas compris mes remarques et questions. D’autres ne faisaient leur travail de traduction que

lorsqu’ils étaient assis en face d’une suin. Autrement, lors des visites du village, ou bien les repas du

soir, le thé au petit matin, ou des longues marches vers d’autres villages, je suis restée dans le silence à

m’imprégner de mes observations et à essayer de m’attacher au peu de mots que je pouvais

reconnaître. Ceci m’a laissé très frustrée. La directrice de l’association ne s’est pas montrée sensible

à mes angoisses. Ces angoisses qui me faisaient interroger mon terrain et son intégrité. Je suis alors

allée voir des anthropologues à l’université pour pouvoir avoir leurs avis sur les méthodes d’enquêtes

pour me réconforter dans mes démarches. Ce souci d’interprète a été bien sûr un des points

importants de discussion. C’est lorsque j’ai exprimé mon désespoir quant à ces jeunes hommes qui

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j’avais l’impression de devoir former à la méthode d’enquête en anthropologie que moi-même je

trouvais naturel. Après tout, je leur expliquais qu’ils devaient me servir d’oreilles et je leur demandais

de me traduire absolument tout ce qu’ils pouvaient. A mes angoisses, ces chercheurs affirmaient la

frustration que l’on pouvait ressentir à ce propos mais que celle-ci était tout à fait normale. Ils

confirmaient que je devais en effet former mes traducteurs à travailler, que je devais consacrer une

bonne partie de mon temps à leur enseigner comment bien traduire pour une anthropologue.

Interprète devient research assistant …

Complètement insatisfaite du travail de mon premier interprète, par son attitude et par la somme

extravagante que je devais lui remettre, et malgré le fait sa relation avec l’association C., j’ai refusé

catégoriquement de retravailler avec lui. Mi-avril, une sortie de terrain était prévue et je demeurais

toujours sans interprète. Je parlais à mon meilleur ami depuis le début de mon séjour de ces

empêchements et obstacles qui devenaient de plus en plus farfelus à mon sens et à propos de mes

angoisses pour bien réussir mon terrain. Dans un moment de mon désespoir, il a cédé. « Dis-moi les

dates, Jess. Je te dépanne cette fois-ci. De toute façon cela me fera sortir de Pune. La ville commence à me peser. »

(K.B) Nous avions pris l’habitude de parler de mon travail et de son avancement. C’était lui qui

m’aidait avec la transcription de mes entretiens enregistrés. Il était donc au courant de la sorte

d’enquête que je menais. Nous nous retrouvâmes dans diverses situations et nous connaissions

chacun très bien et savions gérer les réactions de l’autre. Alors une fois sur le terrain, tout en

connaissant mon travail, et intéressé par la vie et le travail des femmes interviewées, il s’est montré

doux et compréhensif envers elles. Il savait comment je réfléchissais à propos de mon travail pour

avoir tant discuté. Sensible à cela, il a trouvé le moyen de poser des questions tout en me consultant

lors des entretiens. Il a su également s’effacer de façon adéquate pour me laisser paraître même si je

ne pouvais pas parler de ma propre bouche. Les interlocutrices, bien qu’elles devaient toutes passer

par lui pour qu’il me traduise leurs propos, savaient que l’enquête était la mienne. Pour la première

fois, je voyais l’importance de cet interprète, je voyais en quoi la complicité entre un chercheur et son

interprète peut être bénéfique.

La méthodologie envisagée avant mon départ s’est alors transformée, de part l’utilisation d’interprètes

sur le terrain et le déroulement même du temps sur le lieu de terrain mais aussi pour cause des

divergences avec l’association.

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Outils méthodologiques employés

Le déroulement du terrain ou Du projet de recherche au terrain

Inspirée par des lectures et des précédentes visites en Inde, j’ai formulé un projet de recherche avant

de partir sur le terrain qui devait guider mon enquête. Parmi les hypothèses qui y figuraient était tout

d’abord le fait que les ‘dais’ traditionnelles du Maharashtra étaient groupées, motivées par les actions

de mouvements associatifs. Deuxième hypothèse, tout de même liée à la première était la

supposition qu’il existait une coopération entre ces « tradi-praticiennes » et les praticiens de la

biomédecine souvent à travers ce milieu associatif (ONG). Derrière ces deux premières hypothèses

résident une troisième, c’est-à-dire l’existence d’au moins trois secteurs impliqués dans les soins

entourant la naissance, à savoir un secteur traditionnel (de spécialistes non-diplômés, ici les suins), un

secteur professionnel (le milieu biomédical), et un secteur populaire (où nous pouvons classer les

mouvements associatifs). Mon projet du départ était ainsi d’obtenir des informations pour éclairer

l’intersection de ces secteurs, inspiré par les travaux d’Arthur Kleinman, pour mieux comprendre le

rôle changeant et contemporain de la suin en milieu rural maharashtrien.

Mon premier souhait méthodologique était de choisir un ou plusieurs villages, y résider afin de suivre

et observer une ou plusieurs suins. Je souhaitais faire des entretiens mais surtout de réaliser une

observation participante car je savais, comme expliqué ci-dessus, que la langue allait présenter un

obstacle majeur. J’avais choisi au préalable une entrée par le biais de l’association C. que je savais en

lien avec des suins de la région. Rester dans le village aurait facilité un certain nombre d’obstacles de

terrain, notamment la traduction et la compréhension ou l’appréhension de la vie villageoise. Je

pense que le fait de rester au village aurait également facilité l’accès à l’observation des

accouchements car à mon sens ce n’est qu’après un relativement long moment au village que j’aurais

pu créer des liens de confiance me permettant d’être invitée pour voir l’événement.

Malheureusement mon terrain ne s’est pas déroulé dans les conditions susmentionnées. Je me suis

retrouvée dans une association en crise après le décès inattendu de son directeur. Les tensions au

sein celle-ci et la volonté de contrôle de la directrice à tous les niveaux ont fait que je ne pouvais pas

résider au village tout en maintenant les liens avec cette ONG qui me servait d’affiliation

institutionnelle dans le pays. J’ai donc résidé à la ville de Pune et me suis contentée de courts séjours

sur le terrain. Au lieu de choisir un nombre réduit de suins, j’ai effectué un nombre relativement

important d’entretiens auprès de différentes suins dans trois talukas de Pune district. Mes courts

séjours sur le terrain m’ont permis de créer certains liens. Les villageois et villageoises avaient

compris que je m’intéressais à l’accouchement et aux suins. Mais mon statut de jeune femme

occidentale sans enfants et d’étudiante dans une discipline que l’on ne connaissait pas n’a pas favorisé

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des invitations pour voir des accouchements. A plusieurs reprises, il y a eu des accouchements au

village lorsque j’y séjournais, mais on ne venait m’en parler qu’après tout soit bien passé. On

m’invitait alors pour voir le nouveau né et la mère juste après la naissance.

Un terrain … des terrains

La bourse Fulbright m’a permis de rester neuf mois en Inde, du mois de février au mois de novembre

2005. Mon souhait initial était de rester à Pune seulement le temps nécessaire de retrouver mes

repères, de trouver un interprète, de faire quelques recherches bibliographiques et de suivre quelques

cours de marathi. Sur un calendrier prévisionnel que j’ai dû soumettre au financeur, j’avais prévu

donc à peu près trois mois pour ceci. Au delà de cette période je voulais être dans les villages. Même

si ce calendrier n’a pas été maintenu pour diverses raisons, je peux aujourd’hui considérer que malgré

diverses contraintes, mon véritable terrain s’est déroulé sur une période d’à peu près cinq mois ; du

mois de mi-mars à juin 2005 puis de mi-septembre à octobre 2005. J’ai sillonné les campagnes pour

trouver des suins qui exerçaient encore leur métier dans des villages du district19 de Pune.

L’association V20. s’est chargée de m’introduire dans ces villages avec un ou une de leurs animateurs

sociaux21.

Résignée au fait que mon terrain se déroulerait en court séjours dans les villages et principalement par

entretien, nous avons mis en place avec l’association C. un emploi du temps couvrant les trois mois et

demi, (mi-mars à juin 2005), où l’on me proposait de faire une huitaine de sorties d’environ cinq jours

chacune dans des endroits situés dans quatre talukas du Pune district. Ceci me permettrait de voir

des situations dans la région montagneuse à l’ouest du district et également dans la région de la plaine

à l’est du district. J’ai donc pu visiter un grand nombre de villages et hameaux (à peu près 24) allant

du plus reculé du district, coupé du monde six mois de l’année, sans eau courante ni électricité,

jusqu’au grand bourg aussi avancé technologiquement que la ville de Pune. Rentrer à Pune entre les

visites sur le terrain me permettrait de faire des transcriptions et préparer des questions pour les

prochaines sorties. Ayant cet emploi du temps mis en place, j’ai arrêté mes démarches auprès

d’autres organismes de Pune travaillant sur les questions de santé car j’estimais que je ne pouvais pas

avec un emploi du temps si chargé me consacrer à une étude sur leurs activités. De plus, rester avec

cette ONG en particulier me permettrait d’y garder un lien et de mieux voir leurs activités de façon

plus régulière et approfondie dans les villages. Selon cet emploi du temps, je devais pouvoir récolter

un maximum de données me permettant de ‘clôturer’ mon « terrain » avant l’arrivée de la mousson et

19 Lorsque l’on parle de district, il s’agit d’une subdivision administrative de l’état, ce qui correspondrait relativement aux départements en France 20 Il s’agit d’une association liée à l’association C. Ceci sera élaboré dans la dernière partie de ce mémoire. 21 « Animator » de l’association, il s’agit d’un ‘travailleur social’ de l’organisation originaire et habitant du village visité ou du village voisin. Ceci sera élaboré dans la dernière partie de ce mémoire.

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ainsi pendant cette période descendre à Pondichéry pour analyser mes données et rédiger. Chacun à

l’exception d’un seul de mes entretiens s’est déroulé en présence d’animateurs de cette organisation et

les suins ont été choisies selon leurs connaissances et préférences. J’étais hébergée par la directrice de

l’organisation dans la maison même où se déroulaient les réunions des animateurs principaux, et où

travaillaient quotidiennement pour l’organisation trois personnes dont l’animateur principal. J’avais

accepté cet arrangement car auparavant nous avions noué une amitié. Je pouvais disposer de la

maison et de la bibliothèque à mon aise. Dans un premier temps, cet arrangement m’a permis aussi

de rester dans un quartier de la ville de Pune, où prendre un appartement aurait été impossible dû à

l’augmentation des prix de location et les demandes de caution. Il faut rappeler que je n’avais pas

l’intention de rester pendant tout mon séjour à Pune, et donc dans un premier temps pouvoir être au

sein de cette maison me permettait de profiter un maximum des ressources qui y se trouvaient. Peu à

peu, j’ai réalisé que je n’habiterais pas au village pendant ce séjour. De plus la santé de la directrice de

l’association où je logeais déclinait de jour en jour. Seule avec elle, je me suis retrouvée à veiller sur

elle dans des moments difficiles car sa famille n’était pas tous les jours présente.

Malgré la mise en place de cet emploi du temps, les sorties sur le terrain s’annulaient au fur et à

mesure pour des raisons diverses. Ces raisons, allant des problèmes de santé de la directrice à des

élections locales dans les villages, devenaient à mon sens de plus en plus étranges et incongrues. On

m’affirmait que je ne pouvais pas comprendre certaines choses à propos de la vie au village ni de la

vie en Inde et que je devais me fier à leur jugement ; chose que j’ai dû faire. En dépit de cela et de ma

tolérance, ma frustration montait au fur et à mesure que le temps passait. En tout, trois des villages

initialement proposés sur les six ou sept ont été maintenus. Avant l’arrivée de la mousson, j’ai pu

visiter donc le village et les hameaux aux alentours de Dhamanahol deux fois, le village et alentours

de Nagathli une fois, et le village et alentours de Kolawade une fois. Ces trois villages se trouvent

dans les talukas de Mulshi et Mawal, donc dans la région ouest de Pune district. Une visite dans la

région de la plaine a été prévue dans la taluka d’Indapur, soit le taluka à l’extrême sud-est du district.

Mais ce terrain a été annulé le jour même. Un autre village de la plaine a pu être rajouté grâce au

contact que j’ai eu avec un de mes traducteurs lors de ma visite à Kolawade. Ce traducteur est

enseignant à Shirur et m’a affirmé qu’il connaissait des suins travaillant autour de sa ville. Sa

motivation pour ma venue était sans doute double car il voulait me montrer son école et surtout que

je fasse un don à la bibliothèque qui s’y construisait. Il n’a jamais accepté de paiement pour sa

traduction lors de la sortie à Kolawade. Je n’étais pas contre l’idée de faire un don pour cette

bibliothèque car j’estime beaucoup l’enseignement et reconnaît le besoin de matériel pour des

étudiants. Alors on s’est mis d’accord que lors de ma visite à Shirur je ferais un don du montant égal

à ce que j’aurais payé pour la rémunération de ses traductions. Je n’ai jamais mis la directrice de

l’association C. au courant de cet accord.

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Calendrier du séjour

Calendrier du séjour et visites de terrain Arrivée (février 2005) Recherches Bibliographiques, prise de contact, cours de langue et mise en place du calendrier des visites de terrain à Pune (février-mars 2005) Terrain I : Dhamanahol (avril 2005) (traducteur : M.S. & J.M.) Terrain II : Nagathli (avril 2005) (traducteur : K.B.) Terrain III : Kolawade (avril 2005) (traducteur : D.S.) Terrain I bis : Dhamanahol (mai 2005) (traducteur : Y.M.) Terrain IV : Shirur (mai 2005) (traducteur : K.B.) --- Séjour à Pondichérry (Juillet-Aout 2005) --- Satubai temple visit (septembre 2005) (traducteur : K.B.) Terrain III bis : Kolawade (septembre 2005) (traducteur : K.B.) Terrain V : Mangabatzamal (oct 2005) (traducteur : K.B.) Terrain IV bis : Shirur (octobre 2005) (traducteur : K.B.) SheetalaDevi temple (octobre 2005) (traducteur : K.B.) Retour (Novembre 2005)

Mon terrain s’est arrêté entre fin juin et mi-septembre pour des raisons climatiques. La mousson

dans les régions de Mulshi et Mawal frappe fort, et en 2005, le Maharashtra a connu les plus violentes

pluies depuis un siècle, inondant toute la région, ainsi que Mumbai. Après l’annulation du dernier

séjour de terrain pour le mois de juin, j’ai avancé mon billet pour partir à Pondichéry, pour y

séjourner et travailler à l’Institut Français de Pondichéry pendant un mois et demi avant de remonter

dans le Maharashtra. Cette pause m’a permis de prendre du recul par rapport à mon terrain et à la

situation avec l’institution d’affiliation. Pendant ce séjour à Pondichéry j’ai pu rencontrer d’autres

étudiants et chercheurs et leur aide à ce moment-là m’a été précieux.

C’est grâce à ces rencontres à Pondichéry que j’ai réalisé que cette association C. qui me servait

d’affiliation était en fait malgré moi, un lieu d’étude. Si j’ai dû modifier mon projet concernant les

suins et le déroulement de ce terrain, cette association, sa direction et son organisation, y était pour

beaucoup. L’indifférence que je ressentais de la part de l’association pour mon étude me faisait

interroger sur ma place au sein de celle-ci. A mon retour de Pondichéry au mois d’août, je voulais

retourner sur certains des terrains pour réinterviewer certaines suins. Mais ayant compris que cette

organisation jouait une rôle important dans ma propre étude, je voulais mieux comprendre leur

activités en matière de santé et leur intérêt pour les réunions des suins et ce que la présence d’une

jeune chercheure pouvait leur apporter.

Il a été prévu alors que l’on retourne à Kolawade et Shirur. Ce n’était pas possible de retourner à

Dhamanahol car la mousson a été particulièrement forte et le village est resté bloqué par les

inondations. Un autre village, celui de Mangabatzamal s’est rajouté. Celui-ci se trouve à l’est du Pune

district, faisant ainsi un équilibre entre le nombre de villages de l’est, région de la plaine, et les villages

de l’ouest, région montagneuse. Ce village avait un intérêt particulier car il est entièrement peuplé par

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une communauté qui a été réhabilitée après la construction d’un barrage dans la taluka de Mulshi.

Toutes ces personnes étaient donc anciennement voisines de mon premier terrain, à Dhamanahol.

Aujourd’hui, ils se trouvent à l’est de Pune district à environ 150 km de leur terre natale. Ici, nous

sommes allés pour voir une suin en particulier qui avait travaillé également en tant qu’animatrice pour

G. 22

Mon temps de terrain s’est divisé finalement sur beaucoup de petits terrains. Chaque visite chez une

suin m’ouvrait sur un nouveau lieu, une nouvelle maison, une nouvelle communauté. Mais

l’ensemble de ces visites constituait un seul terrain. A Pune, le séjour au sein de

l’association/institution d’affiliation en représentait un autre terrain, plus subtil, plus intense… Les

thèmes qui surgissaient des entretiens avec les suins et les animateurs sociaux villageois ont inspiré

encore une autre piste de recherche : celle des rituels et déesses entourant la petite enfance. C’est en

fin de ce séjour que cette piste s’est révélée. Avant de repartir pour la France, j’ai pu observer des

cultes à différents temples concernant deux déesses, Satubai et Sheetala.

Entretiens semi-directifs

Pendant ce séjour, mon principal outil de terrain était l’entretien semi-directif car je n’ai pas pu faire

de l’observation participante comme j’aurais aimé. Cependant, il est à noter que lors de mon petit

séjour en février 2004, j’ai pu assister à des réunions de ‘suins’ organisée par l’association V. C’est

également en février 2004 que j’ai observé un accouchement en milieu rural maharashtrien. Lors de

ce séjour, dubitative quant à la possibilité de revenir en Inde, j’ai pris des notes minutieuses de ce que

j’ai pu voir. Dans ce mémoire, j’ajouterai donc à mes données du terrain de 2005 ces observations.

En 2005, je n’ai vu ni d’accouchement ni de réunions de suins organisées par V. En ce qui concerne

les réunions de suins, je pense qu’avec le bouleversement dû à la mort du directeur, on a eu du mal à

mettre certains programmes en place. Pour ce qui est des accouchements, je pense que c’est un

mélange de concours de circonstances. Je ne résidais pas dans un village donné pendant longtemps.

Ceci a fait que l’on se méfiait de moi. Un regard et une présence étranger, on n’avait peut-être pas

assez confiance de me laisser rentrer voir cet événement. Plusieurs fois quand je séjournais au village

pour mon terrain, une jeune femme du village a accouché. On savait que j’étais là et que je

m’intéressais à la naissance et aux suins. Par contre, on venait me chercher juste à la fin de

l’accouchement afin de me montrer l’enfant qui venait de naître. Mais on se dépêchait de nettoyer la

maison, de ramasser le placenta et de l’enterrer avant que je ne rentre dans la maison. Donc

l’accouchement que j’ai pu voir en 2004 s’ajoute dans ce mémoire aux discours des suins pour

raconter ce qu’est la naissance en milieu rural maharashtrien.

22 L’association G. est une association informelle sous la tutelle de l’association V. (cf. partie V de ce mémoire)

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Une quarantaine d’entretiens ont pu être effectués lors de ce séjour. Tous les entretiens se

déroulaient dans la maison de la suin interviewée ou bien dans la maison de l’animateur associatif. Je

n’ai jamais fait venir ces suins à la ville pour les interviewer. Je tenais absolument à voir le village et le

terrain sur lequel elles exerçaient leur métier. Je n’ai jamais fait faire les entretiens par quelqu’un

d’autre, ce qui m’a été souvent proposé, surtout en milieu de terrain. « Je t’ai vu travailler, je sais comment

tu travailles. Tu peux me donner une liste de questions que tu veux leur poser et je récolterai l’information pour toi. »

[D.S. interprète]. J’étais toujours accompagnée d’une ou d’un animateur et de mon interprète. Il y

avait peu de fois où nous étions que tous les quatre (i.e.,suin, animateur, interprète, et moi.). Il n’y

avait qu’une fois où je me suis retrouvée seule pendant un quart d’heure avec une suin et d’autres

femmes de son entourage. Embarrassée par le fait qu’il y avait un homme interprète agressif dans sa

manière de questionner, une suin a fait sortir mon interprète, me laissant seule avec mon enregistreur.

Ne comprenant pas ces mots, l’entretien ne pouvait pas durer. Souvent différents membres de la

famille étaient présents, ou bien faisaient des allers-retours. Souvent des voisins étaient curieux de

savoir ce qui se passait dans la maison de la suin. Ou tout simplement, on était curieux de voir une

étrangère blanche au village.

Les suins rencontrées 23: J’ai pu rencontré 41 ‘suins’ lors de mon séjour, dont un homme qui aidait lors des accouchements.

Les suins que j’ai pu rencontrer appartenaient à diverses castes, dont Maratha, Deshmuck, Mahadev

Kholi, Dhangar, Maher, Dalit, et Katkari. Il est intéressant à noter ici la diversité de ces castes. Selon

différentes lectures que j’ai pu faire, on dit que la matrone en Inde appartient soit à une très basse

caste, soit elle est intouchable. J’ai pu en effet rencontrer des suins avec ce profil, dont celles des

Maher et Dalit. Mais j’ai également pu discuter avec certaines appartenant à des groupes ‘tribaux’,

dont les Katkari, et d’autres de la caste des bergers, dont les Dhangar. Les Maratha et Deshmuck

sont des castes bénéficiant d’un certain prestige dans le monde villageois car ce sont les personnes de

ces castes qui traditionnellement gouvernent les terres.

Toutes les femmes interviewées étaient mariées ou veuves, ayant eu des enfants. Beaucoup d’entre

elles avaient des petits-enfants. Il est difficile de donner un âge à ces femmes car la vie reproductive

d’une femme en Inde rurale commence dès son mariage, qui peut être à la fin de son adolescence24.

Sans prétendre une exactitude, l’âge des femmes interviewées pour cette étude varient entre 40 et 80

ans.

23 Une liste des suins interviewées se trouve en annexe III. 24 Aujourd’hui, l’âge légal pour une femme de se marier est à 18 ans. Mais certaines des femmes que j’ai interviewées ont dû être mariée plus tôt.

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Les questions posées :

Avant d’aller sur le terrain, j’ai préparé un guide d’entretien sur lequel figuraient des questions qui

devaient guider mon enquête25. Celui-ci comprenait des questions générales sur la suin interviewée,

son village, sa vie familiale, ainsi que des questions ouvertes sur l’accouchement en général, et des

questions plus spécifiques à sa pratique personnelle en tant qu’assistante en couches. Toujours avec

l’intention de me renseigner sur l’intersection entre les secteurs professionnels et traditionnels de

soin, j’avais prévu d’interroger ces femmes sur les programmes de formation [dai training programmes]

fournis par des associations biomédicales et des hôpitaux. J’avais également prévu de poser des

questions sur l’alimentation requise pour une femme enceinte (sur les prescriptions alimentaires

pendant la grossesse et post-accouchement). Peu à peu, à la suite de mes entretiens, j’ai ajouté des

questions ayant un rapport avec des rituels entourant la naissance. Mon guide d’entretien était ainsi

très large, car je devais à mon sens recueillir un maximum d’informations pour bien comprendre la

situation de ces femmes et l’accouchement en milieu rural.

Le sujet de la suin, de l’accouchement et de la naissance au sens large a permis d’aborder beaucoup de

différents sujets liés ; notamment le déroulement d’un accouchement en milieu rural, le travail de la

suin, les prescriptions alimentaires pour la femme enceinte avant et après l’accouchement, les

indications pour l’allaitement (quand donner le sein, donner ou non le colostrum) et tant d’autres.

Malgré ma bonne initiative de partir sur le terrain avec un guide entretien complet et fourni, je me

suis vite rendue compte de l’inutilité de sa version papier sur le terrain. Lors de ma première sortie

de terrain, mon interprète faisait plus attention aux questions écrites sur la feuille qu’aux questions

que je voulais poser. Alors après cette expérience, j’ai laissé ce guide dans sa version papier à la

maison car même si je restais fidèle à certains éléments figurant sur la liste de questions, j’avais besoin

de mener l’enquête sans avoir l’impression de faire un sondage ne me laissant jamais divaguer des

questions écrites. Ce qui m’intéressait était ce que ces femmes se laissaient dire. Même si j’ai dû de

temps à autres réorienter la discussion pour qu’elles reviennent au sujet de leur travail et à la

naissance, je ne voulais pas interrompre le flux de leurs paroles, même si elles ne répondaient pas à

toutes mes questions.

Donc, les entretiens étaient menés de façon libre, aussi libre que l’on puisse être lorsqu’on est entouré

de traducteurs et de différentes personnes de la famille et la communauté. En général, les entretiens

ont duré en moyenne une bonne heure, la fin venant souvent de la part de la suin qui, soit, trouvait

une excuse pour ne plus parler ou bien avait d’autres occupations familiales qui la retenaient. Je n’ai

pas rencontré de difficultés particulières quant aux questions posées, en d’autres termes elles

répondaient souvent très franchement. Seules deux ou trois fois, les suins refusaient de parler, gênées

par la présence d’hommes ou bien par le fait que j’étais étrangère, ou par pudeur « obligatoire » pour

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montrer leur « bonne éducation ». Il faut se rappeler que ces femmes sont d’un certain âge, d’une

génération où les femmes devaient se cacher à l’intérieur des maisons lorsque des étrangers du village

passaient.

Après les périples méthodologiques, le sujet se modifie et se transforme…

Issus de mes entretiens surgissaient divers thèmes. Certains thèmes directement liés à une

anthropologie de la naissance classique, décrivaient des techniques de l’accouchement. D’autres

d’une anthropologie plutôt de l’alimentation, décrivaient les prescriptions alimentaires suivant

différentes périodes (avant ou après l’accouchement pour la femme, et pour le nourrisson). En ce qui

concerne le travail de la suin, je me suis rendue compte d’après les réponses à mes questions que son

rôle allait au delà de l’assistante en couches. Il surgissait alors de mes entretiens un élément rituel ou

religieux entourant le travail de cette femme. La suin est la première à s’occuper de la « pollution ».

Mais son rôle « purificateur/rituel » va au delà de ce premier jour de la naissance. En fait le rôle de la

suin s’étend sur 40 jours après la naissance au cours desquels elle vient deux fois par jour pour faire

un massage et un bain pour la mère et l’enfant. Dans les douze premiers jours, elle participe à deux

rituels importants dans la vie du nouveau-né, avant les cérémonies plus connues de la vie de l’enfant

tel le « thread ceremony » ou le « naming ceremony ».

Ces thèmes qui ont surgi ainsi que le déroulement inattendu de mon terrain ont modifié mon regard

sur mon sujet et la manière dont je voulais le traiter. Le déroulement d’un accouchement en milieu

rural ainsi que le travail et le rôle de la suin étaient toujours essentiels pour mon sujet, mais l’élément

rituel m’intéressait davantage au cours de ce terrain. De plus, il existe peu de littérature sur le sujet.

C’est pour ces diverses raisons que je souhaite aborder ces thèmes dans ce mémoire.

25 Ce guide d’entretien se trouve en annexe IV.

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Chapitre II : Approches conceptuelles Ce mémoire, divisé en quatre parties, présente diverses pistes de recherche que je réunis sous la

problématique de la dynamique sociale autour de l’accouchement en Inde rurale. Pour développer

ces différentes pistes, il m’a été nécessaire de puiser dans diverses sources afin de les étayer de

manière théorique et conceptuelle. Je souhaiterais ici faire part de cette réflexion théorique à partir

des recherches en anthropologie et de ses sous-disciplines, anthropologie de la santé, et

anthropologie de la naissance, pour montrer différentes approches qui peuvent être utiles à l’étude de

la dynamique sociale autour de l’accouchement en Inde rurale.

La présente étude se situe à la suite d’un premier travail en anthropologie de la naissance que j’ai

effectué pour l’obtention d’une maîtrise en ethnologie. Je reprendrai ici des notions et concepts

qui m’ont servi pour cette précédente étude et qui sont également utiles pour la présente.

La naissance en anthropologie La naissance est seulement un événement biologique et physique mais aussi une naissance sociale, le

fondement d’une identité d’un individu au sein de la famille et de sa communauté. Ce sujet est alors

traité en anthropologie de façon à englober ces deux facettes : le biologique et le social. Nicole Belmont,

ethnologue française, a souligné ce fait en disant que l’homme est deux fois né : biologiquement et

socialement (Belmont, 1989). Pour cette raison, la naissance occupe une place importante en

anthropologie car elle est terrain propice à étudier la production de représentations sociales et

culturelles déterminant la place des individus dans la société. Au cœur de sa société, la naissance,

événement socialement construit donne un accès, une fenêtre, vers des concepts fondateurs de cette

société.

Aux débuts de la discipline de l’anthropologie, on n’a guère étudié l’événement biologique de la

naissance. Certains l’expliquent par le fait que les débuts de la discipline ont été dominés par les

chercheurs masculins ayant peu d’accès à cet événement réservé aux femmes. Davis-Floyd & Sargent

ajoutent à ceci le fait que des anthropologues avaient également la volonté de s’éloigner des

phénomènes biologiques, préférant l’étude des domaines voisins et observables, des tabous

alimentaires, des croyances populaires, des rituels, et des praticiens. (Davis-Floyd & Sargent, 1997 :

3) Mais les anthropologues ont su déceler le fait que la naissance occupe une place importante dans

toute société, car comme le dit Nicole Belmont,

« Dans la plupart des sociétés, la naissance est considérée comme l’un des rites de passage les plus importants de la vie humaine, puisque la venue au monde des enfants conditionne la reproduction sociale et qu’elle requiert des actes et des rituels destinés à intégrer ceux-ci dans la société » (Belmont in Bonte & Izard, 2000 : 503-4)

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Une approche transculturelle de l’étude de la naissance est née petit à petit à travers de nombreuses

études depuis le milieu du XXième siècle, inspirée par des auteurs tels Margaret Mead, Sheila

Kitzinger, et autres. C’est l’œuvre de Brigitte Jordan, Birth in Four Cultures, publié en 1978 qui retient

l’attention des chercheurs de cette discipline naissante. Son étude a marié un travail ethnographique

de terrain fouillé avec une comparaison transculturelle. Selon certains, son analyse a donné une

légitimité nouvelle à la discipline.

« Jordan’s ‘biosocial’ approach worked to rectify this imbalance in anthropology, as well as to counterbalance the medical bias toward ‘the physiological, and often pathological, aspects of childbearing’ (…)Her biosocial perspective, with its emphasis on the ‘mutual feedback’ between biology and culture, gave her a comparative framework for integrating ‘the local view and meaning of the event, its associated biobehaviors, and its relevance to cross-system issues regarding the conduct of birth’. (…) In other words, she anaylzed each culture’s birthways as a system that made internal sense and could be compared with all other systems – a holistic conceptualization that enabled her to avoid reifying any one system, including American biomedicine » (Davis-Floyd & Sargent, 1997 :3)26

L’ouvrage de Jordan suscite ensuite d’autres études prenant cette approche biosociale-transculturelle.

Ces recherches se situent à une époque où des organismes internationaux, notamment l’OMS

(Organisation Mondiale de la Santé / WHO, World Health Organisation) s’intéressent à la question de la

gestion de la naissance afin de comprendre les risques de mortalité maternelle et infantile dans des

pays ‘pauvres’ pour les réduire. Ces recherches, celles de Jordan, et celles qui ont suivi, ont contribué

à la production d’études de cas qui pourraient servir quant la mise en place de programmes de santé

maternelle.

Carol MacCormack, éditeur de Ethnography of Fertility and Birth (1982) a expliqué également que son

livre avait pour but d’ouvrir un débat pour contribuer à la prévention au niveau de la santé publique à

un autre niveau que celui des situations d’urgence. Pour elle, la contribution de l’anthropologie peut

être « d’inclure des aspects culturels, sociaux, et économiques concernant les risques, la prévention, et

des services appropriés » (traduction personnelle, MacCormack, 1982 : 5) Depuis cette époque d’autres

livres et d’autres auteur(e)s engagés ont su définir une place pour la naissance et l’étude de la

naissance en anthropologie ; pour n’en citer que quelques-uns/unes, Carolyn Sargent, Robbie Davis-

Floyd, Carol Laderman, Patricia & Roger Jeffrey et plus récemment Cecilia Van Hollen. Ces auteurs

et d’autres ont su rester en phase avec l’actualité en offrant des perspectives d’étude mariant des

26 Traduction Personnelle : « L’approche ‘biosociale’ de Jordan a tâché de corriger le déséquilibre présent en anthropologie, mais aussi de faire un contrepoids à la tendance médicale aux ‘aspects physiologiques, et souvent pathologiques de la maternité et la naissance’ (…) Sa perspective biosociale, avec un accent sur un ‘feedback mutuel’ entre la biologie et la culture, lui a donné un cadre comparatif afin d’intégrer ‘le point de vue et le sens local de l’événement, les biocomportements associés, et sa pertinence aux sujets transculturels concernant la naissance’ (…) En d’autres termes, elle a analysé des façons de gérer la naissance dans chaque culture étudiée comme un système à part entière qui faisait sens au sein de ce système, dans ce sens, ce système pouvait être comparé avec les autres – une conceptualisation holistique qui lui a permis d’éviter de mettre en avant un système devant un autre, incluant la biomédecine américaine. »

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ethnographies ‘classiques’ à des observations de comportements émergents utilisant les nouvelles

technologies reproductives dans les pays ‘pauvres’ aussi bien que dans des pays ‘riches’.

Naissance & Authoritative Knowledge

Le concept d’Authoritative Knowledge est issu tout d’abord de recherches nord-américaines en

anthropologie de la naissance. C’est d’abord Brigitte Jordan qui développe ce concept dans un

contexte de médicalisation de la naissance pour comprendre la place légitimée de la biomédicine en

matière d’accouchement. Mais au delà des études sur la naissance, ce concept offre un moyen

d’analyser les processus et relations de pouvoir préalables qu’une pratique nécessite avant de trouver

une légitimation totale dans une communauté donnée.

« By Authoritative Knowledge, I mean, then, the knowledge that participants agree counts in a particular situation, that they see as consequential, on the basis of which they make decisions and provide justifications for courses of action. It is the knowledge that within a community is considered legitimate, consequential, official, worthy of discussion, and appropriate for justifying particular actions by people engaged in accomplishing the tasks at hand. » (Jordan, in Davis-Floyd & Sargent, 1997 : 58)27

L’Authoritative Knowledge est construit et doit être appréhendé selon un moment et un contexte donné.

Ce concept nous permet d’appréhender la naissance, les comportements et pratiques qui lui sont

associées comme un système cohérent. Il permet également de se rendre compte que ce système

n’est pas figé : des comportements et des pratiques peuvent être modifiés. En effet, la mise en place

d’Authoritative Knowledge est issue d’un processus social continu. Dans ce sens, la dimension dialogique

impliquée dans ces processus sociaux, importants à retenir, peut être traitée par le biais de cet outil.

« The constitution of authoritative knowledge is an ongoing social process that both builds and relfects power relationships within a community of practice (…) It does this in such a way that all participants come to see the current social order as a natural order, that is, the way things (obviously) are. » (Jordan in Davis-Floyd & Sargent, 1997 : 56)28

Dans le cadre de cette étude, ce concept est particulièrement utile afin d’appréhender les différents

niveaux d’autorité des pratiques des suins selon le cadre et le contexte. Ceci trouvera un

éclaircissement dans la discussion de la dernière partie de ce mémoire.

27 Traduction personnelle : « Par ‘Authoritative Knowledge’, je veux dire, alors, qu’il s’agit d’un savoir autour duquel les acteurs sont d’accord dans une situation particulière, qu’ils perçoivent comme conséquent, sur lequel ils se basent lorsqu’ils prennent des décisions et justifient des actions. C’est un savoir qui est considéré au sein d’une communauté comme légitime, conséquent, officiel, qui mérite la discussion, et qui est approprié pour justifier des actions particulières par des personnes engagées dans l’accomplissement des tâches courantes. » 28 Traduction personnelle : « La constitution d’un ‘savoir d’autorité’ est un processus social continu qui à la fois construit et renvoie aux relations de pouvoir au sein d’une communauté de pratique. (…) C’est fait en sorte que tous les participants perçoivent l’ordre social comme étant l’ordre naturel, c’est-à-dire, comme évident. »

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Naissance & Soins

La femme est au centre de cette étude car c’est elle qui est au centre de l’événement de la naissance en

milieu rural maharashtrien. C’est également la femme qui est au premier rang en matière de soins et

de santé pour toute sa famille, que ce soit pour les soins primaires (à un niveau biologique et

matériel), mais également, comme nous allons pouvoir le constater, à un niveau spirituel au quotidien.

Ces soins qu’elle apporte au quotidien sont à prendre en compte. C’est pour cela que je souhaite

brièvement présenter ce concept tel que l’on peut le comprendre en anthropologie.

L’étude des soins occupe une place importante dans la recherche en anthropologie de la santé

aujourd’hui. C’est surtout à partir des années 70 que des analyses et écrits insistent sur la

contribution importante de la part des femmes dans la production de la santé. « S’interroger sur la

question des soins en tant qu’espace de savoirs et de pratiques spécifiques aux femmes compte en fait

un piège qui s’apparente beaucoup au débat entourant la maternité. » (Saillant, 1991 : 12). Ce sujet,

marqué idéologiquement, est alors plutôt délicat à aborder à une époque où les femmes en Occident

sont en « conquête de l’autonomie reproductive et d’une distanciation […] à la maternité ou encore la

maternité-destin » (Saillant, 1991 : 12) Mais dans les années 80, dans un contexte médical de plus en

plus puissant en matière de technologies de la reproduction, les féministes, devant ce qui est ressenti

comme une menace, « considèrent [la maternité] comme une identité en péril qu’il faut à tout prix

préserver et protéger » (DeKoninck cité in Saillant,1991 : 12) Saillant pose alors la question « Les

soins, tout comme la maternité, sont-ils en péril ? » (Saillant, 1991 :24).

C’est dans la définition suivante que je me retrouve dans ce concept. Saillant et Gagnon définissent

les soins de la manière suivante :

« Les soins constituent (…) un ensemble de gestes et de paroles, répondant à des valeurs et visant le soutien, l’aide, l’accompagnement de personnes fragilisées dans leurs corps et leur esprit, donc limitées de manière temporaire ou permanente dans leur capacité de vivre de manière ‘normale’ ou ‘autonome’ au sein de la collectivité » (Saillant et Gagnon, 1999 : 5)

La notion de soins soulève l’importance d’une interdépendance entre celui ou celle qui apporte les

soins et celui ou celle qui les reçoit. Le lien que veut restaurer la relation des soins entre le corps et

l’esprit se trouve en opposition avec la bio-médecine qui s’intéresse essentiellement à l’entretien ou la

guérison du corps. L’étude des pratiques de soins montre le développement des pratiques

alternatives à la pratique médicale. Les soins « se veulent une réponse à la fragmentation de

l’expérience […] séparation de l’individu de son environnement, de la collectivité, de son corps, de sa

psyché, du cosmos… » (Saillant et Gagnon 1999 : 8)

Analyser les soins offre une occasion de re-valoriser la femme par la reconnaissance de sa

contribution à partir de la sphère domestique dans la production de santé. L’étude des soins offre

également une opportunité de développer un regard sur différentes notions courantes en

anthropologie, le ‘privé/public’, le ‘genre’ (sphère masculin/féminin), ‘care/cure’, ‘non-savoir/savoir’,

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‘soignant/soigné’, car la relation qui leur est fondamentale est inscrite dans un processus identitaire.

En ce qui concerne ce mémoire, le concept est particulièrement intéressant car il nous permet

d’appréhender non seulement les gestes de la praticienne, la suin, mais aussi la relation avec la

parturiente. Au delà, ce concept nous aide à examiner la place de la femme dans les relations de santé

dans la société villageoise maharashtienne.

Naissance & rite de passage.

De façon plus « classique » la naissance peut être envisagée en ethnologie comme rite de passage d’après

la conceptualisation de A. Van Gennep. Pour qu’un processus cérémonial soit qualifié de rite de

passage dans le sens que voulait Van Gennep, l’événement nécessite un parcours en trois étapes

distinctes : séparation, marge, et agrégation. Ce processus doit également avoir sa place dans la

communauté et pour ce être répété. Ce concept peut être utilisé afin de regarder d’autres

phénomènes sociaux, mais se prête particulièrement bien à l’analyse du traitement de la naissance. La

période de séparation peut concerner la section du cordon et l’enlèvement du placenta qui peut être

considéré dans certaines sociétés comme le jumeau ou le petit frère de l’enfant né. Le traitement

particulier que ceux-ci subissent est culturellement prescrit afin de protéger la mère et l’enfant. La

période de marge dans beaucoup de sociétés est visible par l’éloignement ou la réclusion de la mère

pendant une période donnée. En Inde traditionnelle, par exemple, la mère et l’enfant bénéficient

d’une période de réclusion après la naissance. Pendant cette période, la mère est déchargée de ses

tâches domestiques. Mais c’est également une période pendant laquelle elle, l’enfant, et souvent sa

famille proche, sont considérés comme impurs. Des rituels signent souvent la fin de cette période de

marge, et symbolisent ainsi l’agrégation. En Occident, nous pourrions citer l’exemple du baptême

chrétien d’un enfant qui illustre un exemple de rituel d’intégration accordant à l’enfant une place au

sein de sa famille mais également au sein de la communauté. En Inde, en ce qui concerne la mère,

des rites existent signant la fin de la période de réclusion à partir desquels la femme reprend son

travail. Les rites ont souvent pour but la protection de la mère et de l’enfant pendant ce moment

considéré comme liminal, mais aussi la protection de la communauté. Selon Aijmer, Van Gennep et

autres, les rituels et les cérémonies ont un rôle social car ils maintiennent l’ordre dans la société.

« New children disrupt the social order, as they are innovations, potential individuals hitherto unheard of. Birth will therefore not take its place within the expressive order as something natural or given, but as a problem. There must be an inquest, a way to find out about what is new and to harmonize that novelty with what is already established inside the community. » (Aijmer, 1992 : 16)29

29 Traduction Personnelle : « Des nouveaux-nés mettent en déséquilibre l’ordre social établi, car ils sont des innovations, des individus potentiels jusque là inimaginables. La naissance ne se déroulera pas dans l’ordre exprimé comme quelque chose de naturel ou de donné, mais plutôt comme un problème. Il doit y avoir

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Pris dans sa globalité, l’utilisation du concept de rite de passage pour étudier la naissance nous invite à

examiner la compréhension de l’événement par la société, en considérant non seulement

l’enchaînement des actes, mais aussi la place de ces actes et de leurs acteurs dans une société donnée.

Naissance & Folklore

En relation avec les rites de passage, on peut également étudier des croyances et représentations

populaires entourant l’événement de la naissance. Ceci aide à mieux comprendre la signification de

certains comportements et rituels. Le recueil des superstitions, des histoires, et des mythes

populaires constitue le domaine du folklore. Le folklore est défini à partir de 1884 par A. Lang, d’après

les travaux de E. B. Tylor comme concernant les « débris de civilisations mortes enclavés dans une

civilisation vivante ». Aujourd’hui le terme et la discipline ‘folklore’ semblent être discrédités de par

son idéologie archaïsante. Mais « il n’en reste pas moins qu’il y a production de folklore dès que deux

cultures, l’une dominante, l’autre dominée, coexistent l’une avec l’autre. » (Belmont in Bonte & Izard,

2000 : 283-4). Je choisis de parler brièvement de cette approche car j’ai été amenée à prendre en

compte certains éléments que l’on pourrait qualifier de ‘superstitions’ ou ‘d’histoires’ concernant la

naissance en milieu maharashtrien. Il me semble important de les recueillir car il semble qu’il existe

peu d’écrits à ce sujet. Dans ce mémoire, il s’agit moins d’un travail comparatif quant à ces

différentes croyances, mais ces éléments me semble-t-il trouvernt leur intérêt pour de travaux futurs.

D’un autre côté, l’élément ‘folklore’ réapparaît dans la dernière partie de ce mémoire qui concerne une

étude de cas d’une association travaillant en milieu rural maharashtrien. Les actions de cette

association semblent être menées à la fois pour et contre une culture dominante. Ainsi le folklore

semble être enchâssé dans leur démarche, tantôt élément à refouler, tantôt élément à promouvoir et à

revaloriser.

enquête, une façon pour déterminer ce qui est nouveau afin d’harmoniser cette nouveauté avec ce qui est déjà établi au sein de la communauté. »

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TROISIEME PARTIE

La naissance, une fenêtre sur la société et la culture villageoise en milieu rural maharashtrien

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La femme de Malekar, animateur de l’association V. prépare le repas pour les visiteurs. (Photo de Jean-Charles Scottis)

Arrivée dans le village de Male, dans le Bhor district, relativement pauvre au sud-ouest de Pune city, nous sommes accueillis par l’animateur principal du village. Fier, il nous montre sa maison, d’où il tient également un magasin pour le village. Marié depuis tout juste un an, il nous présente une jeune femme qui parle très peu. Elle est entourée de la belle-mère, et sa belle-sœur, donc nous avons du mal à la distinguer dans la maison noire coupée du soleil. La jeune femme ne peut pas avoir plus de 18-19 ans, elle est enceinte presque en fin de terme. En fait, elle va partir bientôt chez sa mère, car suivant la coutume, la femme rentre chez ses parents pour le premier accouchement. Durant les quelques jours où nous avons séjourné chez eux, j’ai pu voir cette femme, stoïque, silencieuse, faire tout doucement tout le travail de la maison. Deux pots d’eau30 sur la tête, un à la taille. Accroupie devant le chula31 alors qu’il faisait très chaud pendant ces mois de février/mars dans cette région. (Extrait de mon journal de terrain, Male, février 2004)

30 Ces pots peuvent contenir peut-être chacun 15 à 20 litres d’eau (peut-être plus) Les jeunes filles commencent à aller chercher de l’eau très tôt, anxieuse d’imiter les grandes femmes. Très vite, vers l’âge de 13-14 ans, elles arrivent à porter deux sur la tête avec aise. 31 Chula : Il s’agit d’une sorte de poêle à bois artisanal que l’on utilise pour cuisiner. Il consiste en une structure faite de terre cuite, laquelle est recouverte de bouse de vache (comme le reste de l’intérieur et l’extérieur de la maison) laissant ouvert deux ou trois trous sur le dessus, sur lesquels on pose les plats, et une ouverture carrée devant, dans laquelle on peut insérer du bois pour chauffer le tout.

Chapitre I : Une ethnographie de la naissance en milieu rural maharashtrien D’après une quarantaine d’entretiens et l’observation d’un accouchement, j’ai pu dessiner la

trajectoire de la grossesse et de l’accouchement en milieu rural indien, ici maharashtrien. Mes

entretiens ont eu lieu en compagnie de nombreuses suins d’une région rurale d’un des plus grands

états de l’Inde, le Maharashtra. C’est donc à partir du discours de celles-ci que je propose de

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reconstuire une ethnographie de la naissance en milieu rural tout en mettant l’accent sur le travail de

la suin. C’est cette trajectoire qui va servir de fenêtre sur l’univers socio-culturel du village

maharashtrien et surtout celui des femmes.

La femme en milieu rural Au village…le travail sans répit…

Le quotidien au village pour une femme est rempli de tâches domestiques laborieuses. Elles se lèvent

à l’aube pour préparer l’eau pour les bains des différents membres de la famille. Elles préparent

ensuite le thé pour la famille et pour les gens qui passent le matin. Elles doivent aller chercher de

l’eau parfois à une source assez loin, préparer le repas du matin, nettoyer la maison, chercher du bois,

laver les vêtements, etc.… Elles sont souvent les dernières couchées, après avoir lavé la vaisselle du

repas du soir et avoir nettoyé la cuisine.

G. Poitevin, dans son ouvrage Inde : Village au Féminin, classifie les travaux exclusivement réservés aux

femmes maharashtriennes villageoises en cinq catégories. La corvée d’eau, la préparation et le service

des nourritures domestiques, le maintien de l’ordre et le nettoyage de la maison, la responsabilité de

l’éducation des enfants, et la toilette des morts et les soins aux malades (Poitevin, 1985 : 189. « L’aide

aux accouchées est de leur seule compétence, même et surtout quand l’accouchement présente des

difficultés particulières. » (Poitevin, 1985 : 190) En plus de ces travaux, les femmes doivent

accomplir des tâches agricoles. Comme nous avons pu voir avec l’extrait de mon journal de terrain

ci-dessus, pendant la grossesse dans le village marathi, la vie ne se déroule pas trop différemment.

Les femmes continuent à travailler. Tulsi Patel, dans son écrit suite à un terrain au Rajasthan,

remarque quelque chose de similaire :

« Childbearing and rearing are not seen as hindrances to chores at home and on the field. It is not uncommon for a woman to resume work a week after child delivery. She is a beast of burden working on land throughout the day. She wakes up before all other early in the morning to work at home and in the cattle-shed and to take care of children before leaving for the fields. After returning from a days’s work alongside men, she resumes her work – tending the home, cattle and children before going to bed. » (Patel, 1994 : 40)32

32 Traduction personnelle : « Le fait d’avoir à élever des enfants n’est pas aperçu comme un empêchement aux tâches que l’on doit accomplir à la maison ou dans les champs. Ce n’est pas inhabituel pour une femme de retourner travailler une semaine après l’accouchement de son enfant. Elle est une bête de somme travaillant la terre toute la journée. Elle se réveille avant tous les autres très tôt le matin afin de travailler à la maison et dans l’écurie et de s’occuper des enfants avant de partir au champ. Une fois de retour, après une longue journée à côté des hommes (aux champs), elle reprend son travail domestique – s’occupant de la maison, du bétail, et des enfants avant de se coucher. »

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Les suins que j’ai pu rencontrer me disaient que travailler rend une femme solide et garde son corps

‘ferme’. Cette ‘solidité’, reflet de la femme villageoise, est nécessaire pour affronter le dur travail de

l’accouchement.

Fécondité et changement de statut Dès sa petite enfance, la femme marathi est préparée à une destinée de femme mariée et future mère.

Ceci est leur rôle. Etre mère en Inde est souvent synonyme de sacrifice de ses besoins et aspirations

en tant que femme à part entière. La pire des choses qui puisse arriver à une femme est qu’elle soit

stérile, inapte à remplir ce rôle. Une femme est envoyée dans la famille de son mari afin de produire

une progéniture. Une femme stérile n’a pas de place (Gupta, Anu, [et al.] 1997).33

Au Maharashtra, comme dans d’autres régions en Inde, lorsqu’une femme est mariée, elle quitte sa

maison natale/paternelle pour aller résider avec la famille de son mari. Les relations entre belle-mère

et belle-fille en Inde sont bien documentées autant dans la littérature populaire que dans des écrits

scientifiques. « The mother-in-law is the most effective agent in channelizing the institution of

patriarchy in the household. She teaches her sons to keep their dominance over their wives and

children. (…) » (Patel, 1994 : 75)34 En règle générale, la nouvelle mariée doit faire ses preuves dans

ce nouvel environnement et les premières années sont réputées être difficiles émotionnellement.

« As a new entrant in the conjugal home, she has to work under her mother-in-law’s strict

supervision. It is only by becoming a mother that she can establish her common interest in the

household. » (Patel, 1994 : 75)35 Cette relation, rappelant à la jeune mariée sa place dans la maison et

dans la société villageoise, est source de souffrance pour celle-ci.

-Oh ! Belle-mère, ātyābāi, pourquoi me grondez-vous, assise là ? Je vous apporte un riz au sucre de canne, c’est moi qui l’ai trié -Belle-mère, ātyābāi, combien en raconter de vos histoires ? Je fais mon travail, mais je n’obtiens pas un verre d’eau. (Vers d’un ‘ovi’)36 (Poitevin, 1985 : 95)

Même si cette femme, comme le rapporte Patel, est comme une « bête de somme », la grossesse et la

naissance d’un enfant, surtout d’un fils, lui accorde une chance de ‘changer de statut’ au sein de sa

33 Gupta, Anu; Choudhury, Bharati Roy; Balachandran, Indira. [et al]: Touch Me, Touch-me-not: Women, Plants and Healing. Women's Beliefs about Disease and Health. Kali for Women. 1997. P. 66-91. 34 Traduction personnelle: « La belle-mère est l’agent principal pour la promotion de l’institution de la patriarchie de la maisonnée. Elle apprend à ses fils à maintenir leur domination sur leurs femmes et enfants. » 35 Traduction personnelle: « En tant que nouvelle dans la maison conjugale, elle doit travailler sous la surveillance stricte de sa belle-mère. Ce n’est seulement qu’en devenant mère à son tour qu’elle pourra établir son intérêt dans les affaires de la maison » 36 Ovi : chant de la meule

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nouvelle famille. Patel a observé ceci lors de son étude au Rajasthan, mais ce n’est pas différent de ce

que j’ai pu observer au Maharashtra.

« In order to get social and emotional acceptance in the conjugal family, the woman works hard in as well as outside the house. However, motherhood is the final cementing factor, especially the birth of a son. » (Patel, 1994 : 41)37

La naissance d’un enfant permet l’acquisition d’un nouveau statut mais, même s’il s’agit peut-être de

l’élément le plus important, ce n’est pas l’unique facteur. Une femme au village doit faire ses preuves.

Ce chemin se fait au travers de nombreuses années, après plusieurs grossesses et accouchements,

après beaucoup de travail, et une vie maritale respectable.

« Motherhood enables a woman to be more assertive in several household affairs, including disputes. The sheer fact of having several children is indicative of a long residence in the conjugal household. This in itself is status enhancing. But mere residence does not confer status as much as motherhood does. Fertility achievements along with a long marital life, hard work and seniority in age contribute to status enhancement. » (Patel, 1994 : 77)38

La grossesse est une étape importante dans la vie d’une femme car comme nous venons de voir, il

s’agit d’une étape essentielle dans sa vie. Mais au village, l’attitude envers la femme enceinte se révèle

plus qu’ambiguë. D’un côté, on ne prête pas d’attention particulière à la jeune femme enceinte. On

s’attend à ce qu’elle remplisse toutes ses tâches du quotidien comme tout le monde. La grossesse et

la naissance sont considérées normales, des choses pour lesquelles on ne s’inquiète pas. Pourtant,

des proverbes, chansons, et dictons locaux montrent à quel point la naissance peut représenter un

danger de vie pour la femme et l’enfant. Chez les Katkaris, (tribaux) on dit « La mort d’un homme à

la chasse, la mort d’une femme en couches». D’autres communautés de paysans ont transformé le

dicton pour dire « La mort d’un homme aux champs, la mort d’une femme en couches ». (Rairkar,

article à paraître) D’un autre côté, on attend cet événement avec impatience.

L’accouchement est pour bientôt, on rentre à la maison…

Marqueur de son nouveau statut à venir, la femme enceinte bénéficie d’un radoucissement de

rapports entre elle et sa belle-mère en fin de grossesse.

Pendant la première grossesse d’une femme au Maharashtra, la femme rentre souvent à sa maison

natale. Ceci lui permet d’alléger ses tâches ménagères et aussi de se faire choyer pendant cette

37 Traduction personnelle: « Afin d’obtenir une reconnaissance sociale et émotionnelle au sein de la famille conjugale, la femme travaille dur dans la maison aussi bien qu’à l’extérieur. Cependant, le fait d’être mère est le facteur final qui l’assure, surtout avec la naissance d’un fils » 38 Traduction personnelle: « La maternité permet à une femme d’être plus assurée dans plusieurs affaires de la maisonnée, incluant des disputes. Le simple fait d’avoir plusieurs enfants indique une résidence longue dans la maison conjugale. Ceci, à lui seul, permet de monter de statut. Mais la simple résidence ne confère pas le statut

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première grossesse. C’est un lieu qu’elle connaît bien où elle se sait et se sent aimée. C’est un lieu où

elle peut se détendre. Le deux ovis qui suivent montrent bien ses sentiments concernant sa maison

maternelle et la maison des beaux parents.

En moulant et en pilant, l’écoeurement m’envahit Chez ma mère au village, je porte mon sari tombant. 39 Chez ma mère, je laisse le pan de mon sari Tomber sur mes épaules Mais chez mes beaux-parents, je sens que je suffoque. (Poitevin, 1997 : 200)

Lorsque les femmes chantent ces chants de la meule, elles rappellent souvent leurs relations avec leur

mère.

« Il est évident que [La pratique courante de poser son bébé, fille ou garçon d’ailleurs, dans son giron] lie la fille à sa mère à plusieurs titres et constitue un des fondements les plus solides des attachements qui les unissent. Il est trop clair que la position de l’enfant ballotté sur les genoux de sa mère pendant la mouture, dans la pénombre d’une maigre lampe à huile, rappelle et répète trop, par plus d’un aspect, sa vie intra-utérine, pour que le bébé n’en soit pas définitivement marqué. » (Poitevin, 1997 : 202)

Qui peut mieux alors que sa propre mère, qui lui a donné naissance et qui l’a bercée avec tant

d’affection, l’aider dans cette nouvelle épreuve ? KNS, une des suins interviewées de Dhamanahol

raconte :

KNS de Dhamanahol : “Pour le premier accouchement, une femme rentre au village natale, son maher. Là, on la recouvre de cadeaux: un nouveau sari, un berceau pour l’enfant, des vêtements, et des bijoux pour le bébé. Les cadeaux donnés sont seulement pour la mère et l’enfant!! Si le gendre devrait venir, aucun de ces cadeaux ne seraient pour lui! Il doit apporter avec lui des cadeaux pour sa belle-mère et des pâtisseries. La femme peut rester chez sa mère entre 15 jours et un mois et quart. En règle générale, elle rentre pour le premier accouchement, mais rien ne lui empêche de revenir pour les autres accouchements.”

Pourquoi une femme qui a été « donnée » à une autre famille devrait-elle revenir pour cet

accouchement, pour le premier enfant né au Maharashtra? Symboliquement, cet enfant cimente le

statut de la femme dans sa nouvelle maisonnée et assure la continuité du lignage de cette dernière,

alors pourquoi une femme peut-elle rentrer chez ses propres parents ? Généralement dans les

premières années suivant le mariage, on attend l’arrivée d’un enfant. S’agit-il simplement d’une

question de confort ? Cependant, cette pratique n’est pas répandue partout en Inde. Dans d’autres

régions en Inde du Nord, comme le rapporte Doranne Jacobson, c’est justement pour la raison

autant que la maternité. Les accomplissements par une fertilité avec une longue vie maritale, du travail et de l’âge contribuent à l’accroissement de statut. » 39 La signification du sari tombant :

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indiquée plus haut qu’une femme doit accoucher dans sa belle-famille, et surtout pour le premier

accouchement.

« Particularly for the first birth, the woman must be at her husband’s rather than her parents’ home for delivery. If a woman bears her first child in her parental home, it is strongly believed that misfortune or tragedy will befall her relatives » (Jacobson & Wadley, 1977/1992: 144)40

Nous pourrions nous demander alors ici s’il s’agit d’une coutume particulière à l’Inde du Sud de

rentrer chez ses parents pour le premier accouchement montrant la place particulière du Maharashtra,

à cheval sur les traditions du Nord et celles du Sud. Cette interrogation sera à développer dans un

futur travail.

La maison : l’espace féminin

« Her husband had no longer any ‘real’ business inside the house, beyond occasional forays to the kitchen. Village men sleep or entertain visitors on the cots in the veranda outside, through all the seasons, leaving the inside of the house for women and children. The veranda houses the male domain. Few visitors get past the veranda into the main house. » (Bagwe, 1995 : 110)41

Anjila Bagwe tire cette conclusion d’après son terrain de thèse dans la région côtière du Maharashtra,

le Kokan, ce dont j’ai également pu témoigner dans la région du district de Pune. La véranda,

symbole du monde extérieur est le domaine masculin par excellence, alors que l’intérieur de la maison

demeure le domaine féminin. Guy Poitevin interprète cette division sociale de l’espace au pays

marathe en termes de contraintes sociales représentatives de la société patriarcale dans laquelle les

femmes vivent.

« Les nombreuses contraintes d’une société patriarcale qui donne aux hommes un droit de possession et de domination absolu sur les femmes, interdisent à celles-ci toute autonomie dans la société. Le but de ces contraintes est le maintien de la position de l’homme comme le chef, le patron, le maître, le propriétaire, etc. de la femme. (…) une expression simple, celle de l’interdiction de « sortir au-dehors », dit la nature et la principale raison de la plupart des contraintes sociales. (…) Il faut considérer cette expression comme un véritable concept

« Une paysanne au travail porte le sari remonté entre les jambes et fixé à la taille afin de libérer les membres pour travailler sans emcombres. Porter le sari tombant est signe de repos et de loisir. (…) » (Poitevin, 1997 : 200) 40 Traduction Personnelle: « Particulièrement pour le premier accouchement, la femme doit rester chez son mari plutôt que de rentrer chez ses propres parents pour l’accouchement. Si une femme donne naissance à l’enfant chez ses parents, on croit que tragédie frappera ses parents et proches » 41 « Son mari n’avait plus rien à faire à l’intérieur de la maison, en dehors des allers-venues occasionnelles dans la cuisine. Les hommes villageois dorment ou accueillent des visiteurs sur des lits sur la veranda dehors, pendant toutes les saisons, laissant l’intérieur de la maison pour les femmes et les enfants. La veranda est le domaine des hommes. Peu de visiteurs vont au-delà de la veranda pour atteindre la maison principale. »

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qui définit le motif central des répressions qui pèsent sur les femmes pour leur interdire tout entrée dans la vie publique. » (Poitevin 1985, 100-101)

La maison est la propriété de l’homme, mais ce qui s’y déroule à l’intérieur est géré par la femme.

Lors de l’accouchement, ce sont les hommes qui sont « enfermés dehors ». En zone rurale en Inde,

même aujourd’hui, l’accouchement a lieu dans beaucoup de cas à la maison. Selon le sondage

NFHS-2, 46 pour cent des accouchements au Maharashtra on lieu à domicile.42 Cela s’explique pour

diverses raisons, et premièrement pour des raisons économiques. Accoucher en milieu hospitalier

coûte de l’argent que souvent les villageois ne possèdent pas. Deuxièmement, il existe des inégalités

quant à l’accès aux soins malgré un système élaboré de santé mis en place par le gouvernement du

Maharashtra. Même s’il existe des PHC (primary health centre) et des Rural Hospital dans des régions

rurales, souvent des routes sont de mauvaise qualité ou mal desservis. Les villages comme celui de

Dhamanahol et ses environs, n’ont pas encore d’électricité et la route n’est pas encore terminée. Il

n’y a pas de PHC et un médecin itinérant vient seulement une fois par mois (s’il vient). Pour prendre

le premier transport public, la route est à environ trois ou quatre heures de marche à travers une

montagne. C’est pour ces raisons que l’accouchement a encore lieu majoritairement à domicile dans

ces régions. Dans d’autres villages comme ceux du taluka de Shirur, dans la région de la plaine, la

route est très bien desservie et des cliniques et hôpitaux abondants. L’accès est donc facilité.

L’accouchement à domicile en maharashtra rural a lieu souvent dans la maison. Dans les régions

visitées, les maisons villageoises traditionnelles comportent une à quatre pièces. Ceci varie en

fonction de la situation économique et de la caste de la famille. Mais la répartition des pièces

principales reste fondamentalement la même à savoir le séjour, l’étable, et la cuisine. Pour Guy

Poitevin, « L’observation de ces modes permet de projeter dans l’espace architectural les dimensions

de la condition féminine » (1985 : 237) Le séjour est là où les visiteurs sont reçus et également là où

dorment les hommes. « Cet espace se trouve dans les mêmes limites que l’étable mais à un niveau

très nettement supérieur. Il n’existe pas cependant de mur ni de cloison de séparation entre l’étable

et le séjour : le plus souvent les piliers qui aident à supporter la couverture des espaces (…) marquent

la frontière (…). C’est la « partie extérieure de la maison ». » (Poitevin, 1985 : 237). En revanche, la

cuisine, la partie ‘intérieure’ de la maison, est là où résident les femmes. C’est également dans ce lieu

qu’elles dorment avec les enfants. « Elle est généralement séparée du séjour par une cloison ou un

mur, mais bien située au même niveau du sol que le séjour. » (Poitevin, 1985 : 238)

42 National Family Health Survey – 2. (Maharashtra) http://www.nfhsindia.org/data/mh/mhchap8.pdf (Il s’agit d’un sondage effectué en 1999 dans l’état du Maharashtra. Les données pour le NFHS-3 ne sont pas encore accessibles)

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Poitevin constate que le lieu habituel de l’accouchement en milieu rural dans le district de Pune est

dans la cuisine, dans un coin non loin du foyer domestique chez les membres de toutes castes (1985).

Dans cette pièce, on retrouve le chula, qui, par le fait que l’on cuisine au bois, réchauffe cet lieu et la

maison entière. La cuisine est également l’endroit où les femmes passent la plupart de leur temps.

C’est aussi une pièce que l’on peut fermer complètement. Lors de mon étude dans cette région, j’ai

pu constater ce même phénomène à une exception près. Chez les Dhangar (bergers), des talukas

Mulshi, Mawal et Shirur, ont exprimé avec véhémence que l’accouchement ne devrait pas avoir lieu

dans la cuisine, sans me fournir de précision supplémentaire. Je ne peux que supposer que

l’accouchement pour ces personnes ait lieu dans la grange.

GSM de Dudhvan : « Dans les maisons dhanghar (les bergers), la naissance n’a pas lieu dans la cuisine. Partout ailleurs, mais pas dans la cuisine. »

Cependant le critère principal pour le choix de la pièce semble être qu’elle puisse fermer

complètement.

ADP de Kurunsgao : [ Où est-ce que la naissance a lieu?] - Dans n’importe quelle pièce pourvu que l’on puisse fermer les portes.

On ne peut que s’interroger sur la signification de ceci. Fermer les portes permet de garantir un

confort et une sécurité. « S’enfermer dedans », entourée d’autres femmes proches, permet de créer

un espace où l’on peut garantir l’intimité de la femme. Il y a une relation particulière entre la femme

et la maison au Maharashtra comme le souligne Hemalata Dandekar.

« Women here have differing aspirations, needs, constraints and opportunities relative to the developments and change in the larger society to which they belong. Ghar (house) and daar (door), particularly a door they can close or open to whom they choose, is an important signifier in this respect. (…) The door (daar) to that house, which may be closed or opened to various degrees, depending on the particulars of a woman’s family situation, represents their ability to enjoy security, personal space and autonomy in that village community » (Dandekar in Glushkova et Vora, 1999 : 61)43

Le fait de fermer les portes permet également de limiter l’espace pollué par la naissance.

La grossesse et l’assistance en couches – domaine féminin

43 Traduction personnelle : « Les femmes ici ont des aspirations, besoins, contraintes, et opportunités divergeants relatifs aux développements et changements dans la société à laquelle elles appartiennent. Ghar (maison) et daar (porte), tout particulièrement la porte qu’elle peuvent fermer ou ouvrir selon leur choix, est un signifiant important à cet égard. (…) La porte (daar) de la maison, qui peut être fermée ou ouverte à des degrés variables, selon des particuliarités de la situation familiale de la femme, représente leur capacité à bénéficier d’une sécurité, un espace personnel, et une autonomie dans leur communauté villageoise »

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A part une cérémonie en fin de grossesse, il ne semble pas y avoir beaucoup d’attentions particulières

portées à la femme enceinte pendant la grossesse ni en terme de prise en charge sociale, ni en termes

de prise en charge de soins. La praticienne qui est l’objet de cette étude n’intervient pas pendant la

grossesse pour donner des soins particuliers ni pour évaluer l’évolution de la grossesse. Mais il faut

prendre en compte le fait que ces femmes au village voient les femmes enceintes déambulant au

quotidien. Tout se sait au village. On sait quand une femme va bientôt accoucher.

Façons de diagnostiquer la grossesse…

La suin et les villageoises font tout de même attention aux signes du corps et au comportement de la

jeune femme afin de savoir quand le moment approche. Elles observent tout particulièrement le

corps de la femme. Elles disent que le visage de la femme « s’assèche ». Le verbe en marathi qui

voudrait traduire ceci est sukhane. On regarde également son corps, ses seins et son ventre pour y

repérer des changements de couleur, ou bien des changements de comportements.

Des suins interviewées rapportent ces différents signes.

SBhK de Mugao : (Y a-t-il des signes qui indiquent qu’une femme va bientôt accoucher ?) On peut savoir si une femme est enceinte. Après 5 mois de grossesse, les seins deviennent noirs. Comme ça on sait quand elle est enceinte. Après un ou deux mois, ça se voit au visage d’une femme. La femme ne mange rien, ne boit rien. La façon dont elle marche change également quand elle est enceinte. Quand elle est enceinte, ses joues deviennent ‘sèches’. Si elle devient très grosse, elle porte sans doute une fille. Autrement, si elle est faible et mince, elle porte un garçon.

KSS de Dhamanahol : [Sukane (to dry, or to lose freshness) Ce verbe est employé : une femme va perdre de sa vitalité…] Elle (la femme enceinte) va devenir frêle, et va peut-être s’évanouir. Elle ne mange plus alors qu’elle a faim Elle a la nausée. TDB de Mugao :

Le visage change, s’étend, et développe une couleur jaunâtre. La femme a la sensation de vomir juste avant l’accouchement

KBM/KKM/RM de Kangurmal : On fait bien attention à trois choses : son visage et son expression faciale ; son corps ; et sa respiration. En observant ces trois choses, on peut savoir quand l’accouchement est imminent. Sa peau semble ramollir et son ventre ‘descend’. Ses yeux grandissent. Elle ne veut plus manger.

YNW de Nagathli : [y a-t-il des signes qu’une femme va bientôt accoucher ?] J’examine la femme pour voir si son ventre ‘est descendu’. J’écoute le ventre pour écouter le battement du cœur. Parfois, la femme maigrit aux jambes, aux bras et au visage (YNW utilise le terme sukhane). Quand ceci a lieu, on sait que la femme va accoucher très bientôt, dans les 10-15 jours suivants.

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Les suins que j’ai vues ne m’ont pas parlé de soins particuliers pendant la grossesse. Beaucoup

affirment ne rien faire de particulier pendant cette période. Elles interviennent seulement s’il y a

problème ou inquiétude. Mais il faut relativiser ces paroles. Au village tout se sait et on s’observe

les uns et les autres. Lorsqu’une jeune femme est enceinte, on observe ses mouvements, son

alimentation. Si la suin n’accorde pas de ‘consultation’. C’est à travers une observation attentive au

quotidien que la suin et les autres femmes du village surveillent le déroulement de la grossesse.

Précautions à respecter

Même si ces suins prétendent ne pas intervenir pendant la grossesse d’une femme, elles sont parmi

d’autres femmes au village vigilantes quant aux précautions alimentaires à respecter pendant la

grossesse. Si un malheur devait arriver, une fausse-couche ou autre complication, le non-respect de

certaines précautions et interdictions pourrait en être la cause.

Le comportement de la femme est observé scrupuleusement. La principale précaution à respecter

concerne l’excès ; tout particulièrement l’excès dans la consommation d’aliments. La gourmandise

d’une femme enceinte peut être la cause de malheur. Selon certaines suins, la femme a deux estomacs.

Un est réservé pour la nourriture et l’autre pour l’enfant. Si une femme mange trop pendant sa

grossesse, l’enfant n’aurait pas assez de place pour grandir. Geetabai de Uksan l’explique.

GHA de Uksan : Selon GHA, la femme a deux estomacs, un pour l’enfant et l’autre pour la nourriture. Lorsque ces estomacs se situent devant, on sait que l’accouchement est proche. Le fœtus descend doucement et traverse une sorte de rideau séparant les estomacs.

Si une femme ne doit pas trop manger, elle doit également faire attention à la nature des aliments

qu’elle consomme. Les aliments proscrits sont classifiés sous le terme ‘wauda’. Ce concept de wauda

est directement lié aux représentations de ‘chaud’ et de ‘froid’. Il semble qu’un excès de ‘chaud’

puisse être dangereux pour la femme et le fœtus, car ceci causerait une fausse-couche. Mais un excès

de ‘froid’ après l’accouchement peut causer la diarrhée chez l’enfant. Gupta, Choudhury et al.

rapportent ceci du Karnataka, état voisin du Maharashtra.

« Another belief, prevalent in Chickmaglur, Karnataka, is that excessive heat in the woman's body can cause abortion. Nanki of Saharanpur reasons similarly: If there is excessive oil in the lamp, the lamp flickers. In the same way if there is excessive heat in the body, the womb cannot hold the foetus, and abortion occurs. » (Gupta, Anu; Choudhury, Bharati Roy; Balachandran, Indira. [et al]. 1997. Touch Me, Touch-me-not: Women, Plants and Healing. Women's Beliefs about Disease and Health. (Kali for Women.). P. 66-91..)44

44 Traduction personnelle : « Une autre croyance, que l’on trouve à Chickmaglur, Karnataka, est que l’excès de chaleur dans le corps d’une femme peut causer l’avortement. Nanki de Saharanpur l’explique avec une métaphore. S’il y a trop d’huile dans une lampe, la lumière oscille. De même, s’il y a un excès de chaleur dans le corps, l’utérus ne peut pas retenir le fœtus, et l’avortement (fausse-couche) a lieu »

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Lors de mes entretiens, on m’a indiqué ce que l’on considérait comme /waude/ ou interdits pendant

la grossesse. Ce que les femmes interviewées rapportent corrobore ce qu’écrit Gupta et al..

GGT de Thorangao : (nourriture /wauda/pendant la grossesse) Certaines choses ne sont pas permises, tel que : le fruit du jaquier et la papaye. Ils sont considérés comme des fruits « chaud » [Qu’est-ce qui se passe si on mange ces choses ?] Le fœtus sort si on en mange trop. (en d’autres termes, ca peut être la cause d’une fausse couche) ou bien ça peut causer un accouchement prématuré. YNW de Nagathli : [Y a-t-il des proscriptions alimentaires pendant la grossesse ?] ‘Jackfruit’, papaye, et bananes. [Pourquoi ?] Parce que le fœtus s’en va.

Les proscriptions alimentaires continuent après la grossesse et l’accouchement. Leur durée peut

varier selon la région, la caste, et la situation économique de la famille. Quelques suins énumèrent ces

interdits qui sont liés à ces conceptions de ‘chaud/froid’.

KNS de Dhamanahol : Pour l’accouchée, il y a un régime spécial à suivre pendant quelques mois, elle peut manger du riz bien humide. Mais elle ne peut pas manger des pommes de terre, des petits pois, des aubergines, de la viande, des œufs, pendant 5 mois. Si elle a un garçon, elle ne peut pas manger de piment pendant 5 mois, si c’est une fille, la restriction tient pendant 2-3 mois.

GSM de Dudhvan : Après l’accouchement, pendant une période d’environ 6 mois, la nourriture un peu épicée est prohibée pour l’accouchée. Pendant la grossesse, le poisson n’est pas admis. On dit que ça rend la femme trop « chaude ». On ne donne pas d’arachide. Par contre, on donne volontiers des œufs, du ghee (beurre clarifié), du lait, du tak (buttermilk) pendant la grossesse. Après l’accouchement, on donne volontiers du tup (ghee), methi (fenugrec), bhat (riz), et dal (lentilles). Ce qui est wauda (prohibé) c’est la patate et d’autres légumes (pois) pendant deux mois. (C’est « lourd » pour l’estomac et la digestion).

ADP de Kurunsgao : Ushna : (« chaud») : fruit du jaquier, bananes, mangues, aubergines. [Ces aliments devraient être évités, surtout en grandes quantités.]. Mais les légumes verts sont bons. La femme peut manger de la viande, mais seulement après le cinquième jour. Pendant ces 5 jours, elle doit prendre du riz sans sel. Pendant 5 jours après l’accouchement, la femme doit prendre du Tup (beurre clarifié), Jaggery (sucre), ghul (sucre).

LGK de Mhase Budruk : (nourriture après la naissance) Il faut lui donner des dattes et de la noix de coco à manger. Il faut lui donner ses repas à des heures régulières. Après 12 jours, elle peut manger du poisson, de la soupe au poulet… Mais avant, il faut lui donner du rava et du blé. Elle doit manger ‘moins chaud’ car cela sort par le lait et le bébé peut souffrir de la diarrhée.

PNG de Kharavade : La mère peut tout manger. Mais avant la naissance, il y a certaines choses qu’elle ne doit pas manger : des haricots, de la papaye, du fruit du jaquier, des bananes. La viande n’est pas ‘wauda’. Une femme doit avoir de la force, donc elle peut manger de la viande.

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Certaines de ces proscriptions alimentaires sont remises en cause par des autorités médicales car elles

peuvent entraîner des carences importantes. Les suins ont parlé de ‘dai training courses’ où on leur

demande de préscrire la prise d’aliments tels la papaye alors que traditionnellement celle-ci est

interdite.

Fin de grossesse, récompense : Dohal Jewan Je voudrais faire remarquer que la nourriture est un symbole de l’attention que l’on porte à la femme

enceinte. Dans le monde villageois, la femme est habituellement la dernière à savourer le repas

qu’elle prépare pour le reste de sa famille. C’est également la femme qui doit se soumettre

régulièrement aux jeûnes qu’elle considère essentiels pour la protection de ses enfants et de sa famille.

Pendant la grossesse, le simple fait que l’on prête une telle attention à l’alimentation de la femme

enceinte révèle l’importance de la grossesse, de l’enfant qu’elle porte, et du rôle reproductif de la

femme. C’est par les aliments que l’on montre à celle-ci l’acceptation de son changement de statut et

qu’on lui accorde un relâchement et un radoucissement des tensions habituelles.

Il existe une cérémonie qui a lieu dans les derniers mois de la grossesse pour féliciter cette femme

enceinte. Au Maharashtra, cette cérémonie est appelée le ‘Dohal Jewan’. Généralement au 7ème mois,

on invite les relations féminines et amies du village pour rendre hommage à la femme enceinte et la

féliciter avec des cadeaux.

KBM/KKM/RM de Kangurmal :

[Y-a-t-il des cérémonies spéciales avant l’accouchement?] Dohal Jewan. Au 7ème mois, ottipurne est fait devant la future mère. Des bracelets, noix de coco, tissus, épices, et autres choses lui sont offertes. Seulement des femmes sont invitées. La suin vient également.

Cette cérémonie de Dohal Jewan dont les suins de Kangurmal parlent est importante. C’est lors de

cette cérémonie que la femme enceinte est habillée telle une déesse ; peut-être la première fois depuis

son mariage. On dit que les femmes enceintes ont des envies pendant la grossesse. Ces envies en

marathi se traduisent par le mot Dohal. Tout le long de celle-ci, elle doit faire attention à ce qu’elle

mange. La fête de dohal jewan littéralement traduite voudrait dire le « repas des envies ».

KNS de Dhamanahol : La femme veut manger des drôle de choses (dohal). Dans le cas d’un enfant garçon cela peut durer 2 mois et demi, pour une fille, 1mois et demi

KKP de Kulshi : La femme a des envies de manger différentes choses, des choses amères, du tamarin, des cendres, de la terre.

GHA de Uksan : /Dohal jewan/ se fête dans le 7ème mois. La femme a des envies. Elle veut manger du sable, des murs, ou des sucreries.

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Lors de cette fête, on présente la femme enceinte et on lui présente différents aliments. Cette pratique a lieu partout en Inde, revêtant différents noms selon l’endroit.

« A widely prevalent practice all over India is shrimanta. In the seventh month of pregnancy special rituals are performed and different types of sweets are prepared and given to the parents-to-be. The purpose is to give moral support and encouragement to the pregnant woman and celebrate her achievement of having reached near full-term. The sweets are generally made of wheat flour, jaggery, ghee, fenugreek and dry fruits. In the final stages of pregnancy, the pregnant woman is supposed to eat these foods custom every day. This is a good custom because it provides the calories and protein needed for the rapidly growing foetus in the last trimester of pregnancy. » (Gupta, Anu; Choudhury, Bharati Roy; Balachandran, Indira. [et al]: Touch Me, Touch-me-not: Women, Plants and Healing. Women's Beliefs about Disease and Health. Kali for Women. 1997. P. 66-91. ISBN: 81-85107-85-8. Location: SNDT Churchgate.)

Cecilia Van Hollen, dans son ouvrage Birth on the Threshold, dédie un chapitre à une cérémonie

semblable au Dohal Jewan où elle remarque des pratiques contemporaines autour de ce rituel. Lors de

mon terrain, certaines suins et animatrices de Kolawade, à l’ouest de la ville de Pune, ont également

remarqué que cette cérémonie n’a pas toujours eu lieu dans leurs campagnes. Elles insistaient qu’il

s’agisse d’une cérémonie empruntée aux classes et aux castes élevées du milieu urbain. Cette question

d’intégration et de syncrétisme de pratiques sera à aborder dans une future recherche.

Les douleurs arrivent, appelons la suin… La suin est appelée par un membre de la famille de la parturiente quand les douleurs fortes des

contractions commencent à apparaître chez la femme enceinte marquant le début de l’accouchement.

La suin part retrouver la femme enceinte chez elle, soit dans la maison de sa famille soit dans celle de

sa belle-famille selon où l’accouchement a lieu.

Une fois arrivée chez la parturiente, la suin rentre dans la maison pour trouver la femme entourée

d’autres femmes de la famille ou du voisinage. Elle va d’abord aller voir la femme en travail. Les

autres femmes qui peuvent assister à un accouchement sont toutes mariées avec des enfants. On ne

voit pas de jeunes enfants ni d’hommes dans la maison où elle va accoucher. Ces femmes font

diverses choses. De l’eau est mise à chauffer que l’on va ensuite verser sur le bas du dos et le ventre

pour soulager la femme de ses douleurs. On prépare également du thé pour elle. On parle de

toutes sortes de choses, mais entre toutes les conversations, on rassure la parturiente en lui disant que

tout va aller bien, qu’elle serait bientôt libérée.

Pascale Hancart Petitet rapporte les plaisanteries faites au moment de l’accouchement.

« Ses parentes telles que ses tantes, ses belles-sœurs, ses sœurs, sa mère et sa belle-mère resteront avec elle. Elles feront des farces et des moqueries pour qu’elle oublie la douleur de

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l’accouchement. Elles diront : ‘Quand tu étais heureuse avec mon frère, tu ne disais rien, mais tu avais mal, n’est-il pas vrai, alors tu ne peux pas supporter cette douleur ?’ Ou encore : ‘Pourquoi as-tu si mal, si tu couches avec mon frère, tu n’as pas mal, hein !’ » (Hancart-Petitet, à paraître)

Ces plaisanteries ont lieu pendant le travail, notamment en cas d’un accouchement difficile. Ce genre

de plaisanterie a lieu également lors des accouchements en Afrique. Ce comportement des

accompagnatrices peut être compris comme une manière de divaguer l’attention des douleurs afin de

mieux les surmonter45.

Pendant ce temps, la suin masse le ventre en prenant la femme en face d’elle, une main de chaque

côté du ventre. A partir de la colonne vertébrale de la femme, la suin tire ses mains vers elle afin de

masser les côtés du ventre. Ce massage permet à la fois de soulager la femme mais également à la

suin d’évaluer la position du fœtus.

TC de Kurunsgao : TC ne fait pas de toucher vaginal. Elle évalue le stade de l’accouchement de l’extérieur. TC dit qu’elle vérifie l’extérieur de l’abdomen. Si elle sent que les pieds de l’enfant sont sur la gauche et en haut, l’enfant est dans la bonne position….

Certaines suins mesurent le progrès en faisant un toucher vaginal, c’est-à-dire qu’elles introduisent un

doigt dans le vagin de la parturiente afin d’évaluer l’ouverture du col de l’utérus.

KNS de Dhamanahol le fait : KNS utilise son doigt comme jauge. Elle introduit un seul doigt dans le vagin de la femme pour établir où en est l’ouverture du col. Elle fait ceci avec un mouvement circulaire.

Il m’a été difficile de préciser si cette pratique est ‘traditionnelle’, ou bien sous l’influence des ‘dai

training course’ ou d’autre source biomédicale.

Si le travail n’est pas encore en stade final, la parturiente peut déambuler dans la pièce autant qu’elle

le voudrait. Une fois que les douleurs deviennent trop fortes, la suin conseille à la femme de s’asseoir.

Mais jusque là, on estime que le mouvement est bénéfique et peut contribuer à un accouchement

rapide et facile.

GHA de Uksan : La parturiente devrait marcher avec l’aide des autres femmes jusqu’à ce que la douleur devienne trop forte et alors, elle doit s’asseoir. Le mouvement de la femme pendant la phase de travail selon GHA aide le fœtus à « descendre ». Si elle/la parturiente s’asseoit trop tôt, ça peut être une obstruction au processus, autrement dit cela peut ralentir l’accouchement.

La position de l’accouchée La suin demande alors à la parturiente de prendre la position de l’accouchement. Dans les régions

visitées du district de Pune, il est courant que la suin soit accompagnée d’une autre femme ou bien

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qu’une autre femme sur le lieu d’accouchement l’aide. La suin demande à la parturiente de prendre

une position semi-allongée, semi-assise reposant sur une femme qui la soutient de derrière.

KNS de Dhamanahol : La femme, dans une position assise/accroupie, est un peu inclinée avec les genoux pliés, les jambes séparées. La suin se place devant elle. Il y a une femme qui soutient la femme de derrière. Parfois, elle lui retient ses jambes avec ses propres pieds les plaçant à l’intérieur des cuisses.

Position d’accouchement décrite par la majorité des suins rencontrées. (Dessin par Kuldeep Barve)

Chez les bergers, la position est similaire mais les jambes ne sont pas repliées.

GSM de Dudhvan : La position de l’accouchement : La parturiente est assise avec les jambes séparées mais genoux étirées. ((jambes droites et non pas repliées) Quelque chose est placé sous les fesses de la parturiente pour surélever un peu le corps.

Cette position assise n’est pas toujours prise. TK de Lawarde, une suin katkari, dit que chez elle la

femme accouche allongée. D’autres suins katkaris ont rapporté que souvent, chez elles, la femme est

surprise par les contractions lorsqu’elle est seule dans la forêt. Il arrive alors qu’elle accouche debout.

Dans la plupart des cas, la femme sur qui la parturiente se repose appuie très fort avec ses deux

pouces en bas du dos de la parturiente à chaque côté de la colonne vertébrale pour la tenir et aussi

pour la soulager. La parturiente tient ses jambes légèrement écartées, genoux repliés. La suin se place

45 Communication personnelle d’Alice Desclaux.

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devant la parturiente. Parfois, la suin appuie avec ses propres jambes pour garder les jambes de la

parturiente ouverte.

Parfois il y a également des femmes qui s’assoient à ses côtés. On lui parle. Il y a toujours un

sentiment de peur avant d’accoucher, alors les femmes et la suin lui touchent le visage et le corps en

lui disant : « bientôt tu seras libérée. »

La suin guide la femme pour qu’elle fasse l’effort de pousser pour aider la descente de l’enfant. S’il

s’agit d’une présentation normale, c’est-à-dire tête en bas, la suin n’intervient que pour masser la vulve

et lubrifier l’ouverture du vagin d’huile végétale. Elle réceptionne la tête de l’enfant entre ses deux

mains et ensuite glisse une main devant pour soutenir son corps.

Le traitement du cordon ombilical et la délivrance L’enfant est presque immédiatement placé par terre sur un morceau de tissu. On ne s’occupe pas de

l’enfant tant que le placenta n’est pas sorti et vérifié. On attend plus ou moins une demi-heure pour

que les contractions fassent expulser le placenta. Dans le cas contraire, la suin procède à différents

remèdes, tels que mettre des cheveux dans la bouche de la femme, lui donner du thé noir, ou du thé

où l’on a mis des cendres. Ceci crée une réaction de vomissement et les contractions musculaires

aident à faire décoller le placenta. Si ces remèdes n’aboutissent pas aux effets désirés, la suin

intervient et extrait manuellement le placenta. Mais avant de faire cela, la suin ou bien son

« assistante » appuie sur le ventre en le massant très fort pour que le placenta descende.

DU de Kolawade:

On attend le var (placenta) une demie heure. S’il ne sort pas, on essaie diverses choses. D’abord, on met les cheveux de la parturiente dans sa bouche. Ca va lui donner envie de tousser ou même de vomir. Ca va pousser sur le placenta et le faire sortir. Une autre technique est de pousser sur l’estomac, ou de le masser.

Il est important que le placenta sorte avant de couper le cordon ou bien de procéder à autre chose,

(i.e. le bain) car celui-ci présente un danger. Il existe une croyance selon laquelle le placenta peut

monter dans le corps, traversant la barrière de tous les organes pour recouvrant le coeur causant ainsi

la mort de la femme en couches. Pour cette raison, on ne sectionne pas le cordon tant que le

placenta reste dans le corps. Dans les rares cas où l’on doit couper le cordon dans ces cironstances,

le cordon sortant attaché au placenta est tenu, fixé à une pierre, un poids, pour empêcher que le

placenta disparaisse dans le corps. Les phrases qui suivent viennent de suins interviewées.

GDS de Pale Pattar : Si le var (placenta) remonte, c’est dangereux pour la femme, ça peut aller jusqu’au cœur et cela peut tuer la femme.

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GKM de Kangurmal: Après la naissance, on n’attend pas le placenta. [JH : Pourquoi ?] Parce que c’est dangereux pour la femme ! Le var (placenta) remontera vers le cœur et cela tuera la femme ! (Var kaljala shidla tør bai marnyachi shkyta aste) On ne fait que pousser, ou masser de l’extérieur, on n’intervient pas à l’intérieur du corps.

Ceci a déjà été documenté dans diverses régions du monde. Carla Makhlouf Obermeyer remarque

dans son article sur la naissance au Maroc une conception particulière du corps de la femme. Une

« ouverture » du corps favorise non seulement la conception, mais c’est cette même ouverture qui

permet à l’enfant de se tourner dans le ventre pendant la grossesse et également de « monter » dans

son corps causant des problèmes respiratoires pour la mère. Cette ouverture est essentielle afin de

faciliter l’accouchement. Mais cette ouverture peut également permettre au placenta de monter après

la naissance de l’enfant.

« But since the woman’s body is open, it is necessary to help it hold key parts in place to prevent the placenta from going up. The expression til’ula lkhwatat refers to the placenta going up inside the woman’s body, and the fact that there are several words in Moroccan dialect to refer to the placenta testifies to its importance in the ethnophysiology of birth. To prevent the placenta from moving up, the qalba cuts the umbilical cord and ties it to the woman’s leg. She also holds the woman and massages her upper abdominal area, or she holds her and shakes her so that the placenta comes down. » (Makhlouf Obermeyer, 2000: 188)46

Une fois le placenta sorti, la suin le place par terre près de l’enfant. Elle étire le cordon, et compte

une distance d’à peu près 3 à 6 largeurs de doigts du ventre de l’enfant. Elle sectionne le cordon avec

une lame de rasoir neuve ou avec l’aide d’un ustensile de cuisine (le vehli).

Les premiers soins et les suites de couches Ensuite le bébé est amené à côté de la cuisine dans une pièce que l’on a préparée pour le bain.

PNG de Kharavade : Le premier bain de l’enfant est fait par la suin. La farine est utilisée comme savon, et de l’eau chaude est utilisée.

La suin le savonne avec de la farine de pois chiches ou avec du savon (plus rare), et ensuite le rince à

l’eau chaude. Ensuite la mère est lavée par la suin. Préalablement, elle lui masse le bas du dos, le

ventre, les cuisses, et la poitrine. Après le bain, un dhoori (une fumigation avec de l’encens) est

46 Traduction personnelle : « Parce que le corps de la femme est ouverte, il est nécessaire de l’aider en tenant des parties essentielles du corps en place afin de prévenir que le placenta monte. L’expression til’ula lkhawatat réfère au placenta montant dans le corps de la femme, et le fait qu’il existe plusieurs mots dans le dialecte marocain pour parler du placenta témoigne de son importance dans l’ethnophysiologie de la naissance. Pour empêcher la montée du placenta, la qalba coupe le cordon ombilical et l’attache à la jambe de la parturiente. Elle tient également la femme et massage la partie supérieure de son abdomen, ou elle la tient et la secoue pour que le placenta descende. »

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préparé pour l’enfant et pour la mère. La suin, ou une autre femme, tient l’enfant dans ses mains et le

fait passer au dessus de la fumée de l’encens. Pour la femme, soit on prépare un dhoori-feu sous un

lit en métal sur lequel on demande à la femme de s’allonger et on la recouvre de couvertures ; soit on

demande à la femme, si un lit n’est pas disponible, de s’accroupir au dessus du feu et on la recouvre

de couvertures. La suin dit que le dhoori sert à assécher la vulve de la mère et pour rendre la peau

ferme.

GHA de Uksan : Après le bain, il y a une séance de « fumigation » pour le bébé et pour la mère. Methi et waudungya sont placé dans les braises. Si la fumigation n’est pas faite, la femme peut souffrir de grattements ou de problèmes de peau. (durée : 15 à 30 jours)

Après, la mère et l’enfant se retrouvent enfin. Généralement, on rhabille la femme et on enveloppe

l’enfant dans un tissu. On fait attention de couvrir la tête de l’enfant. Pour cela, on prend un

morceau de tissu en coton (souvent un vieux sari) que l’on plie en forme de triangle. On attache les

deux bouts du triangle à la nuque de l’enfant pour faire en sorte que la tête et les oreilles soient

couvertes par le tissu. On bande également le ventre de l’enfant pour protéger le nombril qui a été

préalablement enduit de cendres de bouse de vache ou de poudre antiseptique. On fait allonger la

femme tout en plaçant son enfant près de son corps.

On donne du thé à la mère si elle veut pour qu’elle reprenne un peu de force. L’enfant est mis au

sein, non pas pour téter mais pour sentir la chaleur et l’odeur de sa mère, et pour « prendre

l’habitude » du sein. Selon la suin, le lait prend environ trois jours pour monter. Pour favoriser ceci,

on donne à l’accouchée des laddhu (des patisseries très sucrées). Non seulement on dit que ceci

favorise la montée de lait, mais ceci démontre bien le statut privilégié de l’accouchée. En temps

normal, elle ne pourrait pas manger de tels délices. Après l’accouchement, sa mère et sa belle mère

en font uniquement pour elle.

GHA de Uksan : « Aliv Laddhu » est fait. L’aliv a des graines et le laddhu n’est fait qu’à partir des graines qui une fois mises dans l’eau gonflent… Des laddhus de methi, aliv, karik, coconut, tup donnés à la femme. Pendant un mois, on donne divers laddhus à la femme. On dit que cela favorise les montées de lait.

Mais les opinions divergent en ce qui concerne le colostrum. Certaines disent qu’il faut le donner à

l’enfant, d’autres disent que l’enfant n’est pas assez ‘fort’ pour le digérer.

ABB de Pale : ABB dit que le /chik/ (colostrum) est important à donner à l’enfant. Cependant, pendant les 3 premiers jours, on donne à l’enfant de l’eau et du sucre.

DGP de Samtanagar :

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Le lait monte le troisième jour. Dans cette communauté (Bhill près de Shirur) on ne donne pas le /chik/ car ça donnerait des « loose motions » au petit.

Cecilia Van Hollen, dans son étude au Tamil Nadu, a également rencontré ce problème. Des femmes

qu’elle a rencontrées ne promouvaient pas la prise du colostrum. Selon certaines, le colostrum

provoquerait la diarrhée et la nausée. D’autres associent le colostrum au sang menstruel qui

s’accumulerait pendant la grossesse et donc d’une pollution extrême. Van Hollen a également

constaté que des femmes attendent trois jours pendant lesquels on donne de l’eau sucrée à l’enfant

avant de donner le sein. Cependant, Van Hollen relève que le discours des travailleurs sociaux

associés aux programmes de protection maternelle et infantile argumente en faveur de la prise du

colostrum disant que celui-ci fournit des anticorps essentiels pour le nouveau-né. (Van Hollen,

2003 : 180)

Après l’accouchement… La suin nettoie la pièce où l’accouchement a eu lieu. Pour faire ceci, la suin refait le sol, en le

recouvrant de bouse de vache diluée à l’eau. Elle ramasse le placenta et le bout du cordon et les place

avec le sang dans un pot en terre cuite. Dans ce pot, il est important selon une suin dālit de

Kolawade, de placer le placenta avec le bout de cordon vers le ciel si l’on veut encore des enfants

dans le futur. Sinon, on met le placenta à l’envers dans le pot. Dans le pot, on met également du

halad (curcuma), kukum (poudre rouge), et du riz. Par dessus le tout, on recouvre avec la bouse de

vache et on enterre le pot près de l’endroit où l’on prend le bain. On peut planter une branche de

manguier au dessus de l’endroit. La pratique de l’enterrement du placenta n’est pas propre à l’Inde.

Bruno Saura rapporte que cette pratique est toujours vivante en Polynésie Française. Comme dans

d’autres pays, en Polynésie Française, on n’oublie pas que le placenta représente le double de l’enfant

né et doit ainsi doit subir un traitement spécifique. On l’enterre dans une terre familiale, souvent

dans la cours de la maison, et un membre de la famille y plante un arbre fruitier. « Ainsi (…) la

dangerosité traditionnelle du placenta, liée à l’impureté féminine, et au pouvoir de corruption ou de

contagion du sang, a laissé place à une vision plus positive de ce placenta, pouvant même donner lieu

à certaine exaltation identitaire. » (Saura, 2000, 6). Au Maharashtra comme dans d’autres régions en

Inde, le placenta est également sujet de traitement spécifique et pour certaines castes, il est l’objet

d’un rituel spécifique après la naissance.

Immédiatement suivant la naissance, quand la suin est libre de quitter la résidence de la parturiente,

elle rentre chez elle. Mais avant cela, elle doit procéder à certains rites pour purifier la mère, la

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maison et la famille. Doranne Jacobson et Susan Wadley rapportent qu’en Inde du Nord, la dai47

casse les bracelets de l’accouchée qui sont pollués par la naissance. Elle l’enduit de curcuma, de

farine, d’huile, et d’eau afin de nettoyer sa peau. La dai masse l’enfant. C’est également la dai qui

pratique les bains purificateurs et qui nettoie la maison, recouvrant le sol et les murs de bouse de

vache. Cependant, elles rapportent qu’après Sor, la période d’extême impureté, la dai ne s’occupe plus

de l’accouchée, que c’est la femme barbier qui reprend le travail (1992 : 147).

Au Maharashtra, souvent, avant même de rentrer dans la maison, la suin doit faire des actes de

purification qui sont similaires à ce que Jacobson et Wadley ont pu observer. Mais la suin doit

également se purifier. Premièrement, elle casse ses bracelets. Elle boit ou bien elle dilue du gomutra

(l’urine de vache) dans son eau de bain, elle procède immédiatement au bain. Une fois lavée, elle

s’habille d’un nouveau sari. C’est seulement après avoir fait tout ceci qu’elle peut rentrer dans la

maison.

GKM de Kangurmal : Qu’est-ce que la suin fait quand elle quitte le lieu d’accouchement ? Elle casse ses bracelets, prend du gomutra, prend un bain, et change de vêtement.

TSK de Kolawade : Pour enlever le « vital » Il faut nettoyer le sang et le mettre à la rivière. La suin rentre à la maison après l’accouchement. Tout d’abord, elle prend son bain, elle se lave les mains, prend du /gomutra/ pour se laver de la pollution de la naissance.

Différent de ce que rapport Jacobson et Wadley, il semble que dans les campagnes du Maharashtra, la

suin est la seule responsable de ces rites de purifications. Bien que l’accouchement soit terminé, les

devoirs de la suin continuent. C’est peut-être dans cette période post-natale que sa présence est la

plus demandée.

PNG de Kharavade : Le premier bain de l’enfant est effectué par la suin. On utilise de la farine comme savon et de l’eau chaude.

Les suites de couches consistent en massage et bain deux fois par jour pendant la période de

réclusion. La suin peut venir jusqu’à quarante jours pour faire les soins de suites de couches. Mais la

plupart des suins que j’ai rencontrées affirment que dans ces campagnes, les familles n’ont pas

les moyens de permettre à l’accouchée une période de réclusion si longue. Les femmes et les suins

interviewées parlent alors de deux dates importantes après l’accouchement qui peuvent marquer la fin

47 Le terme ‘dai’ est utilisé ici car il s’agit du terme employé par les auteurs.

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de l’intervention de la suin. Il s’agit du cinquième jour et du douzième jour, tous deux correspondant

à deux rituels importants dans la vie du nouveau-né.

GSM de Dudhvan : pendant 5 jours, son devoir est de donner le massage et le bain au nouveau-né. Le massage et le bain peuvent être donné jusqu’à 2 ou 3 mois, mais la suin assure les 5 premiers jours. KNS de Dhamanahol : La femme est donnée un bain pendant 12 jours. Massage est aussi donné à la mère et à l’enfant pendant cette période. Pour l’enfant, le massage continue pendant 4 ou 5 mois.

TC de Kurunsgao : Massage est donné entre 5 et 12 jours par la suin. TC dit que c’est important pour l’accouchée de recevoir ce massage. Le massage pour l’enfant a lieu pendant douze jours par la suin. Elle utilise du goda tel (edible oil) chauffé. DGP de Samtanagar : On fait un massage et on donne un bain (avec du goda tel et du savon respectivement) le jour de l’accouchement et pareillement pendant 4 ou 5 jours suivant la naissance deux fois par jour, matin et soir.

Il est à noter que la période semble différer selon la caste de la femme. GSM de Dudhvan est une

suin de la caste des bergers alors que KNS de Dhamanahol est maratha. Pour les bergers, la période

est plus courte que pour les marathas.

Geetabai de Uksan explique l’utilité du massage pour la nouvelle mère:

GHA de Uksan : La poitrine de la parturiente est massée car elle peut avoir des douleurs au sein dûes à la

montée de lait.

Drupadi Ubhe de Kolawade explique que la suin n’est pas obligée de faire ces massages. Souvent ce

travail revient à la grand-mère du nouveau-né.

DU Kolawade : Massage is given to the baby every day during this period. The massage is not done by the suin, but by the grandmother.

A travers cette ethnographie, nous avons pu dresser le portrait de la naissance en milieu rural

maharashtrien, de la grossesse aux suites des couches. Nous avons pu voir que la suin joue un rôle

important à toutes les étapes. Néanmoins, nous avons pu également constater que la suin est parfois

remplacée dans ses fonctions par différentes femmes, notamment par la mère de l’accouchée ou bien

par sa belle-mère. Ceci nous amène à poser une question quant au véritable rôle de la suin.

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Chapitre II : La suin, qui est-elle ? Dans ce chapitre, je propose d’examiner tout d’abord le rôle de la suin dans l’assistance à

l’accouchement. Nous allons voir qu’elle détient un rôle double, un rôle technique en matière de

couches, mais aussi en matière de rituels entourant cet événement.

Comme j’ai pu expliquer au début de ce mémoire, la suin est l’assistante en couches en milieu rural

maharashtrien. Mais plus encore…qui est-ce la suin ? Il s’agit d’une femme bien respectée par sa

famille et par le reste de la communauté. Comme nous avons pu voir, l’espace féminin par excellence

au village est celui de la maison. Si une femme arrive à se faire respecter au sein de sa propre maison,

le respect envers elle du village entier lui sera accordé. Donc, une suin est un membre de la

communauté villageoise respectée par sa famille et par le reste de la communauté.

Les différents stades dans la vie d’une femme, comme nous avons pu constater sont régulés par son

mariage, sa fertilité, son comportement, son travail, etc. La dernière transition est la fin de la fertilité

à la ménopause. Une suin est une femme qui a connu ces différentes étapes de la vie. Elle a

accouché, souvent plusieurs fois. Mais lorsqu’elle devient suin, et qu’elle est reconnue en tant que

telle, elle a atteint la ménopause.

Si la grossesse et l’accouchement accordent à la jeune femme un nouveau statut, plus assuré dans la

maison conjugale, la ménopause accorde à une femme en milieu rural un changement définitif de

statut au sein de la maisonnée. A. Bagwe, dans sa monographie d’un village dans le Kokan (région

côtière du Maharashtra) relève ce fait en parlant de Akka, une femme du village :

« She was in her early thirties when she reached menopause, a fact that had caused quite a bit of comment among her companions and female kin. Akka herself was greatly relieved, since it meant a definite elevation in her household status. Menopause was an important station that distinctly put her beyond her husband’s sexual control. Not being subject to the hormonal surges that justified her biological, and hence, in the eyes of the community, her total dependence on her man, was definitely perceived by Akka as a liberating influence in her life. It brought her more on par with her husband within the household authority structure (…) At last it enabled her to surmount the gender division in a very immediate fashion in terms of exercising her control over domestic matters, particularly since her mother-in-law was dead by then. » (Bagwe, 1995 : 109)

Je choisis cette citation pour faire un lien entre ce passage important dans la vie d’une femme et le

statut qu’elle acquière. Même si Akka, dans la monographie citée ci-dessus n’est pas une suin, je vois

tout de même certains parallèles avec les suins que j’ai pu rencontrer, toutes des femmes âgées.

Les suins vivent en milieu rural. Elles appartiennent souvent à une basse caste. Ceci correspondrait à

son travail touchant au corps, au sang, aux excréments. Mais celles que j’ai pu voir ne viennent pas

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toutes de castes intouchables. Il s’agit souvent de femmes ayant appris ce métier par un membre de

leur famille ou belle-famille. Leur savoir est ainsi un savoir qui se transmet de femme en femme lors

des accouchements. Il s’agit souvent de femmes peu éduquées, et pour la plupart illettrées. Aucune

des suins que j’ai pu rencontrer n’a suivi une formation scolaire pour la devenir. On apprend à être

suin après avoir accouché soi-même et surtout en accompagnant et en observant d’autres suins

lorsqu’elles assistent d’autres femmes. Après avoir accompagné une suin plus expérimentée plusieurs

fois, certaines se sentent assez confiantes pour exercer sans les conseils de leur aînée. A ce moment

là cette femme, apprentie-suin, assiste à l’accouchement en tant que suin. Mais ce titre lui est accordé

seulement après avoir gagné un respect qui se construit petit à petit, après plusieurs accouchements,

lui donnant une réputation de réussites en couches. Cette réussite est mesurée selon ses prouesses en

matièrement d’accouchement, en sa capacité de gérer des situations difficiles, et son expérience. Elle

sait reconforter la femme en couches, la rassurant que tout se passera bien. Pendant un

accouchement, d’autres femmes sont présentes, toutes ayant déjà accouché, mais c’est la suin qui

« commande », dictant à chacune ce qu’il faut faire.

Son rôle technique lors d’un accouchement chevauche un autre rôle. La suin est la seule à toucher le

corps et les parties génitales de la parturiente. Elle est également la seule, à part la parturiente, à

toucher les excréments du corps lié à l’accouchement, notamment le sang et le placenta. Ces

éléments relèvent de la pollution symbolique liée à l’événement. La suin est capable d’endosser cette

pollution qui touche néanmoins à tous les membres de la famille. C’est elle qui doit surveiller à ce

que tout soit bien fait dans l’ordre pour procéder aux premiers rites afin d’enlever cette pollution.

C’est pour ces raisons que c’est la suin qui, en plus du travail de l’assistance en couches, doit couper le

cordon ombilical, s’occuper de l’enlévement du placenta et du nettoyage immédiate après

l’accouchement. C’est aussi ce qu’ont observé Jacobson et Wadley dans leur étude en Inde du Nord.

Même si traditionnellement ce travail revient à la suin, toutes, la suin incluse, ont conscience de

l’extrême « impureté» de cet acte. J’ai pu assister à un accouchement où même la suin a refusé de

sectionner le cordon. Même s’il s’agit d’un cas exceptionnel, je souhaite ici relever ce qui peut

sembler anecdotique.

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Voici un extrait tiré de mon cahier de terrain de février 2004.

Lors d’une réunion de suins à Male dans le district de Bhor, nous voyons revenir une des suins qui était partie en plein milieu de la réunion. Elle nous dit qu’il y a une femme qui va accoucher dans le hameau à côté. Elle nous propose de venir voir. Avec H. et M., nous sautons presque de joie, émerveillées par la chance que nous avons de voir un tel événement. Nous nous précipitons vers nos sacs, carnets, appareils photos, prêtes à interrompre la réunion. Quelle occasion !! La suin, calmement, nous dit que nous avons le temps de boire un thé avant d’y aller. Dix minutes après nous insistons pour qu’on se mette en route. Il s’agissait d’un cinquième accouchement pour une jeune femme près du village de Male dans le taluka de Bhor. La suin venait de nous expliquer lors de la réunion à Male tout ce qu’elles font traditionnellement lors d’un accouchement. Quand je leur avais demandé si elles attendaient l’arrivée du placenta pour sectionner le cordon, elles me l’ont toutes affirmé. Elles m’ont également confirmé qu’elles ne provoquent pas la sortie du placenta. Elles attendent au moins une demie heure, qu’il fallait parfois attendre plus longtemps, mais en aucun cas elles « forçaient » la nature. Nous arrivons alors à la maison de l’accouchée. La maison est complètement fermée. On nous fait rentrer et on nous demande de nous asseoir sur le lit en métal qui se situe juste devant la cuisine. La porte de la cuisine est fermée. On se précipite pour nous servir un thé. H. et M. en boivent, j’attends ma tasse, impatiente tout de même à rentrer dans la pièce. Nous entendons un grognement, c’est tout. H., la seule à parler marathi, insiste auprès de la vieille femme qui nous sert le thé pour qu’elle nous laisse rentrer dans la pièce. Après un peu de négociation on nous permet de rentrer. Nous rentrons. J’ai juste le temps de m’accroupir à côté de la porte derrière la suin. D’ici, je peux voir tout ce qui se passe dans la pièce. Il y a des femmes à ma gauche près du chula où le feu chauffe une marmite d’eau. L’accouchée, dans une position plus ou moins accroupie-assise, est soutenue par une femme. L’accouchée est habillée. Elle a juste le sari défait, et quelques boutons de sa blouse en moins. Son jupon est à peine relevé. La suin est devant elle entre ses jambes entre-ouvertes pour réceptionner l’enfant. Aussitôt que nous rentrons dans la pièce, l’accouchée fait une grimace qui remplace un cri, et l’enfant sort. La suin réceptionne l’enfant. C’est une fille. Elle la place par terre aux pieds de la mère. Autour de nous, les femmes et la belle-mère émettent des bruits de désappointement. Je ne comprends pas ce qu’elles disent, mais H. me traduira plus tard qu’elles rouspètent car c’est encore une fille, la quatrième de ses cinq enfants. La suin n’attend pas très longtemps, juste quelques instants, avant de commencer à masser très fort le ventre de la mère pour faire descendre le placenta. La force de ses mains se lit sur le visage endolori de la mère. Personne ne s’occupe de l’enfant. Quelques instants plus tard, la suin rentre sa main dans le vagin de l’accouchée pour « attraper » le placenta afin de le faire sortir. Je reste accroupie et ébahie devant ce spectacle. Je vois que la suin porte toujours ses bracelets et je remarque la force dans ses gestes. Très vite le placenta sort. La suin vérifie si l’organe est intact et la place par terre. La suin parle à la belle-mère. Apparemment elle veut se débarrasser de la tâche du couper le cordon et de nettoyer la pièce. Elle aurait un mariage de quelqu’un dans sa famille et ne voudrait pas être « salie » trop longtemps. Les autres femmes comprennent et la déchargent de ces tâches. Je vois alors l’accouchée se remettre, toujours accroupie, elle prend le cordon et une lame neuve qu’on lui passe. C’est elle-même qui sectionne le cordon. Ensuite, elle (l’accouchée) prend le placenta et le place dans un pot en terre cuite. Elle reprend de la bouse de vache pour nettoyer le sol de la pièce. Elle passe cette bouse partout pour ramasser le sang qui a été versé par terre. Elle met le mélange de bouse et de sang dans le pot avec le placenta. Ensuite elle prend l’enfant et la place sur un bout de sari par terre et la recouvre avec une couverture. C’est la première fois que l’on s’intéresse à l’enfant. La suin, qui ne s’est pas préoccupée de toutes ces choses qui normalement lui reviennent, prend un bain. Elle ne s’occupe pas de l’accouchée. L’accouchée prend l’enfant afin de la laver. Ensuite, quelqu’un d’autre (la belle-sœur, je crois) lave et masse l’accouchée. Après nous devons partir. Mais le pot sera enterré là où la mère a pris son bain. (Journal de terrain, février 2004) L’exemple de cet accouchement est révélateur de ce rôle de suin mais aussi de sa conscience de cette

impurêté. La suin qui m’avait raconté une demie heure avant tout ce qu’elle fait lors d’un

accouchement n’avait fait que quelques gestes. Pourtant, la famille (féminine) entière présente pour

l’accouchement l’a reconnue comme suin et ce statut n’est pas remis en cause. Je me pose alors des

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questions. Est-ce que ce relâchement de ‘devoirs’ de la suin est dû au fait qu’il s’agit d’un cinquième

accouchement ? Est-ce dû au fait qu’il s’agit de la naissance d’une petite fille dont on connaît le

fardeau que sa naissance et sa vie représentent ? Est-ce dû au fait que cette femme accouche chez sa

belle-famille ? Est-ce que cet événement se serait déroulé autrement si elle avait accouché dans sa

propre famille ? Si la suin n’a pas accompli la moitié des tâches dont elle m’a parlé, est-ce qu’elle est

revenue pour les suites de couches, les massages, les rituels, ou a-t-elle également laissé ceci pour la

belle-famille ? Malheureusement, je n’ai pas les réponses à ces interrogations. Mais la recontre avec

une autre suin, d’une autre région, m’a fait comprendre que la suin n’est pas forcément une praticienne

‘holiste’ qui s’occuperait de tout l’événement, de la grossesse aux suites de couches. Certaines

s’occupent seulement de l’accouchement. D’autres s’occupent seulement de la suite des couches.

Pourtant, toutes sont appelées suin.

Suin, seulement assistante en couches ? Zanabai de Shirur se spécialise en massage pour enfants. Elle ne fait pratiquement plus

d’accouchements, mais s’identifie et se présente comme ‘suin’. En l’entendant, on apprend que la

suin n’est pas seulement l’assistante lors d’un accouchement. Dans ce context plutôt urbain où

pratique Zanabai, la suin est également la femme qui vient pour les soins des suites de couches,

notamment pour des massages et bains pendant la période de réclusion de l’accouchée.

Zanabai Dattrai Gaikwad, Shirur.

Nous sommes arrivés à Shirur, une grande ville à l’est de Pune à une heure et demie de bus. C’est ici qu’habite la famille de l’animateur principal de l’association V. Son frère tient un petit magasin et toute la famille s’en occupe. Ils ont appelé Zanabai, une ‘suin’ de la ville qu’ils connaissent. Ce sera le seul entretien que j’ai avec une ‘suin’ « semi-urbaine ». On fait l’entretien à l’étage chez eux. Il fait chaud, le ventilateur est bloqué sur nous. La télévison est allumée derrière. La petite nièce fait des danses à la Bollywood pour nous distraire. La mère de l’animateur est aussi bavarde que Zanabai et nous assistons donc à une conversation entre ces deux femmes. Peu à peu j’arrive à saisir l’histoire de cette Zanabai… Zanabai est une femme forte à un visage à la fois doux et dur. Elle ne me semble pas être très âgée comme d’autres suins que j’ai pu rencontrer. Sans certitude, je lui donnerais 65 ans. Je ne suis pas sûre de sa caste, mais de son nom de famille, Gaikwad, je suppose qu’elle n’est pas d’une caste élevée. J’avais rencontré auparavant une autre femme qui s’appelait ainsi et elle était dalit. Ceci correspondrait au statut de son métier de ‘suin’ ; un métier touchant au corps et aux excrétions de celui-ci. Elle est connue ici à Shirur. Elle y est née et y est élevée. Elle travaille en tant que ‘suin’ depuis une trentaine d’années. Sa grand-mère faisait ce travail et c’est une fois quand une des femmes de sa famille accouchait que sa grand-mère a demandé qu’elle vienne l’aider, pour voir comment elle massait. Elle commence à nous dire ce qui se faisait avant… « Avant, on utilisait une pierre pour couper le cordon » (Elle démontre avec ses mains, un mouvement d’écrasement. La maman de l’animateur principal acquiesce). « Il n’y avait jamais de soucis d’infection…personne ne s’inquiétait de ces choses-là. » « Avant, on utilisait de l’huile végétale pour le massage. On commençait à la tête, puis aux membres du corps. »

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Mais Zanabai n’a pas toujours travaillé en tant que ‘suin’. Elle nous explique qu’après la mort de son mari, elle a mené un service de ‘dabba’, (catering à l’indienne) pendant un temps. Mais après, ce travail est devenu difficile et sa situation économique demandait qu’elle fasse autre chose. C’est à ce moment là qu’elle a repris le travail de ‘suin’. Elle nous explique qu’il y a une quinzaine d’années, il y avait un certain Dr. Mutha qui avait un hôpital en ville. Elle a travaillé pour lui pendant un temps. Elle était ce que l’on appelle en Inde, ‘ayah’. Elle s’occupait de la mère et de l’enfant et du nettoyage après l’accouchement. Elle n’assistait pas aux accouchements à cette clinique. Elle dit que la logique des gens éduqués est différente et comme elle n’est pas éduquée, elle n’a jamais osé contredire le médecin à propos de ses pratiques. Un jour, une femme dans la clinique de Dr. Mutha est morte en couches. Après cela, on a battu ce médecin, et ensuite il s’est enfui. Zanabai nous raconte ceci avec un sourire aux lèvres. La mère de l’animateur principal rigole un peu en se souvenant de l’histoire. Aujourd’hui, il y a selon ces femmes 70-80 cliniques à Shirur. Le prix pour un accouchement par voie naturelle est d’environ 2500 Rps. mais pour une césarienne les prix varient entre 5000 Rps. et 15000 Rps. Aujourd’hui, on utilise les ‘scizzors’ et on craint la tension élevée, donc Zanabai dit ne même pas vouloir toucher la femme pour l’accouchement. Elle dit qu’avant les gens n’étaient pas au courant de tous ces problèmes, mais aujourd’hui, ils se réfèrent tout de suite au médecin pour n’importe quel problème. Pourtant, Zanabai me dit qu’elle est suin, qu’elle a repris ce travail après ses difficultés financières. Il y a deux choses qui m’interpellent dans le discours de cette ‘suin urbaine’. Elle dit ne pas vouloir faire des accouchements alors qu’elle s’appelle ‘suin’. De plus, elle est revenue à ce travail pour avoir de l’argent. Pour elle, ce travail se rémunère alors en argent et non pas en offrandes et en objets ! Cette Zanabai et son discours m’amènent alors à me poser la question : qu’est-ce qu’une suin si elle ne fait pas d’accouchements ?!! Zanabai ne semble pas du tout troublée par ce qui me semble être un paradoxe. Pour elle, la suin s’occupe de la mère et de l’enfant pendant les quarante jours suivant la naissance. La suin est la spécialiste de ces soins post-natals traditionnels. Zanabai s’occupe des massages et des bains post-accouchements pour la mère et pour l’enfant. Elle se rend chez l’accouchée deux fois par jour, le matin et le soir. Le matin, la session peut durer entre une demie-heure et deux heures. Le soir, entre une demie-heure et une heure. Elle utilise l’huile de graine de moutarde pour le massage. Elle masse tout le corps, tous les jours. En cas où la femme a subi une césarienne, elle ne masse pas trop le bas ventre où il y a la cicatrice de l’opération. Le matin, elle masse l’enfant et la mère, puis leur donne le bain, puis elle fait une fumigation pour l’enfant et la mère. Ceci s’appelle dhoori. Elle dit qu’il faut un certain talent pour bien faire cette dernière étape de fumigation. Il faut accorder une attention particulière à ce que les charbons soient bien chauds, mais aussi à ce qu’on continue à déplacer cette chaleur partout sur le corps. Il faut rester juste assez, mais pas trop car on peut brûler la peau. Ces séances quotidiennes durent 40 jours. Ceci correspond à la période d’enfermement de l’accouchée. Zanabai est fière de son travail et nous dit qu’elle arrive à gagner Rps 5000 par mois pour son travail. Sa clientèle n’est pas restreinte à une caste en particulière. Elle dit qu’elle travaille beaucoup pour la communauté des Gujarati. Elle dit que ces gens là peuvent payer et peuvent se permettre de prendre 40 jours sans travailler. Zanabai travaille aussi dans les communautés des Maharashtriens, mais elle dit que c’est souvent pour moins longtemps (12 jours) car ils ne peuvent pas se permettre d’arrêter le travail pendant plus longtemps. Les critères de choix dans sa clientèle sont à premier égard financiers. Mais elle nous dit qu’elle sert les familles avec qui elle se sent tout d’abord à l’aise, qu’elle connaît bien. (Extrait du journal de terrain après les entretiens avec Zanabai Dattrai Gaikwad les 24 mai et 23 octobre 2005) Zanabai se distingue des autres suins que j’ai pu interviewer. Non seulement par le fait qu’elle ne fait

pas d’accouchements, mais elle explique très clairement que son travail se rémunère financièrement.

Est-ce dû au fait qu’elle se trouve dans un milieu urbanisé ? Elle explique qu’à Shirur il y a beaucoup

de cliniques où les femmes vont accoucher. Y aurait-il alors peu de demandes pour les services d’une

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suin pour un accouchement à domicile ? Ou alors est-ce que sa réticence envers des accouchements

est plutôt due au blâme qu’elle pourrait subir si l’accouchement à domicile se déroulerait mal ? En

tout cas, Zanabai et son entourage la reconnaissent en tant que suin car elle exerce un métier qui

satisfait un besoin de soins, au sens de ‘care’ développé par F. Saillant. Rappelons que les soins sont

apportés afin de répondre « à des valeurs et visant le soutien, l’aide, l’accompagnement de personnes

fragilisées dans leurs corps et leur esprit, donc limitées de manière temporaire ou permanente dans

leur capacité de vivre de manière ‘normale’ ou ‘autonome’ au sein de la collectivité » (Saillant et

Gagnon, 1999 : 5)

La femme indienne après son accouchement est justement dans cet état fragilisé temporairement non

seulement à cause de l’acte physique d’accoucher, mais également par la pollution liée à la naissance.

La suin intervient avec les massages afin de stimuler le corps phsyique afin qu’il reprenne ‘forme’,

pour la mère et pour l’enfant. Mais la suin intervient également sur un plan rituel afin de procéder à

l’enlèvement de la pollution.

Rituels autour de la naissance…Pacvi & Baravi L’univers féminin au village comporte divers espaces d’expression malgré son apparence fermée. Au

Maharashtra, ces espaces s’intègrent dans la vie quotidienne et sont souvent sous la forme de chants,

de jeux, ou de rituels qu’elles pratiquent tout au long de leur vie.48 Inhérent à ces formes

d’expression est la conscience religieuse permettant, d’une part, par des paroles et des gestes de

préparer la femme à faire face à sa condition en milieu rural et, d’autre part, d’exprimer son

dévouement spirituel afin de maintenir la pureté et l’honneur pour elle-même et ainsi sa maisonnée.

Cette « religiosité » au quotidien des femmes au village a pour but la protection et la prévention des

malheurs et des maladies.

Les rituels liés à la naissance sont également du domaine féminin et permettent à l’accouchée de

ragagner la vie ‘normale’. Nous avons déjà vu que l’accouchée vit une période de réclusion après la

naissance, que l’on pourrait qualifier de période de ‘marge’ selon Van Gennep. Cette période permet

à l’accouchée de se reposer après l’effort de l’accouchement, mais elle est avant tout une période liée

à la pollution de la naissance qu’il faut absolument enlever avant que la femme puisse reprendre une

vie active et normale. Sa durée peut varier de cinq à quarante jours à la fin de laquelle un rituel est

effectué, souvent par l’accouchée elle-même ou par d’autres femmes de sa famille. Jacobson et

48 Il s’agit de chants de la meule (ovis), des berceuses (palne), des chansons et jeux. Ces modes d’expressions intéressantes ne sont pas développées en détail ici, mais le lecteur peut avoir plus d’informations en consultant des ouvrages de Poitevin, qui a dédié une grande partie de sa recherche à l’étude des chants de la meule et à

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Wadley ont observé que la date exacte marquant la fin de cette période peut être annoncée par un

Brahmane (1992 :152) Personnellement, je n’ai pas rencontré ce même phénomène. Dans les

campagnes maharashtriennes, il y a aujourd’hui peu de Brahmanes. Je ne peux que me demander à

ce jour si l’absence de Brahmanes dans les rituels dont on m’a parlé est due à une spécificité de ces

campagnes et de l’histoire politique maharashtrienne. Cette question des rapports des castes et de la

politique liés au domaine des pratiques de la naissance sera abordée dans un travail futur.

Dans un article du livre de Jacobson & Wadley, Jacobson décrit la naissance et les rituels entourant

cet événement dans un village en milieu rural dans le nord de l’Inde. Il est intéressant à noter des

différences entre ce que j’ai pu observer à propos des rituels au Maharashtra et ce que je lis dans son

écrit. Par exemple, selon ses observations, pendant les trois premiers jours seule la dai49 peut

approcher la mère et l’enfant qui sont dans un état d’extrême impureté. Toute la lignée patrilinéaire

de l’enfant est touchée par cette pollution. Pendant trois jours, la dai lave la mère et l’enfant après les

avoir massés. Par contre, un rituel du troisième jour marque la fin de cet état d’extrême impureté et

également la fin de l’intervention de la dai. Ce troisième jour, la dai casse les bracelets de la mère,

pollués par la naissance. Le rituel le plus important dans la région d’étude de Jacobson est le Chauk.

Il n’y a pas de date précise, mais cette cérémonie peut avoir lieu entre une semaine et 10 jours après

l’accouchement. Ce n’est pas la dai qui guide cette cérémonie mais la femme barbier (the barber

woman)50.

Au Maharashtra, il existe plusieurs rituels liés à la grossesse, à l’accouchement, et à la vie du nouveau-

né. Certains ressemblent à ce que décrivent Wadley et Jacobson de leur terrain de l’Inde du Nord.

Au Maharashtra, la suin occupe une place importante pour les rituels que je souhaite décrire. Lors de

mon étude, aucune mention de la femme-barbier qui reprendrait un rôle rituel n’a été évoquée. Dans

le chapitre précedent, j’ai exposé brièvement la cérémonie du Dohal Jewan qui a lieu pendant la

grossesse en milieu marathi et qui trouve son parallèle également dans différentes régions de l’Inde.

Maintenant je voudrais exposer deux autres rituels qui ont lieu en milieu rural marahashtrien dans les

jours suivants la naissance d’un enfant. Il s’agit du cinquième et du douzième jour. La suin est très

impliquée dans ces rituels, mais ceux-ci peut, dans certains cas, marquer la fin de son aide.

KKP de Kulshi:

l’expression du mouvement religieux du Bhakti. Concernant les palne et autres jeux au Maharashtra, le lecteur peut consulter les ouvrages et articles de Dandekar et Chitnis cités dans la bibliographie. 49 J’emploie le terme ‘dai’ ici car l’étude de Jacobson et Wadley s’est déroulée en Inde du Nord où le terme ‘dai’ est employé pour désigner l’homologue de la ‘suin’. C’est également le terme qu’emploient les auteurs. 50 « The chauk ceremony itself takes place at dusk …is a private ceremony, normally attended by women and

girls of the household and by the Barber woman, who physically guides the new mother through the ceremony. Boys and men are usually excluded” (Jacobson, 1992: 148))

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Chaque matin et chaque soir, elle (la suin) vient laver l’enfant et la mère jusqu’à Pacvi. Le jour de Pacvi, la suin prépare le patta.

Le soir du cinquième jour après la naissance, les portes sont laissées ouvertes. C’est l’occasion d’un

grand événement. Il s’agit du soir quand Satubai vient rendre visite à la mère et à l’enfant pour lui

inscrire sa fortune sur son front. On appelle cette cérémonie Pacvi.

SVP de Gadle : La cinquième nuit, les portes sont laissées ouvertes pour que Satubai puisse rentrer et écrire le destin de l’enfant sur son front. C’est une occasion heureuse. Tout le monde est heureux de savoir que la déesse vient. La pierre plate (le patta) est gardée jusqu’au 7ème jour. Ce 7ème jour, les ornements sur la pierre sont jetés là où coule l’eau. Le sixième jour, Brahmadev vient voir comment le patta a été orné.

Sarubai Kadu m’a parlé de Satubai en livrant une histoire expliquant le caractère de la déesse:

Personne ne sait quand elle vient pour écrire la fortune. Mais il faut garder les portes grandes ouvertes. L’histoire veut qu’un petit garçon a attendu derrière la porte pour Satubai. Il l’a vue et en lui tenant la main, il a demandé ce qu’allait être son destin. Satubai a été prise d’une grande colère après la question de l’enfant et lui a retorqué : « Toi, le jour de ton mariage, tu trouveras la mort. ». Naturellement, ceci a suscité beaucoup d’inquiétudes dans la famille de l’enfant. Le jour de son mariage, son père a veillé à ce que tout soit en sécurité totale et qu’aucun danger ne pourrait toucher son fils. Mais juste quand ils échangeaient les vœux, un serpent s’est glissé dans la salle et a mordu le garçon, causant sa mort.

Satubai écrit de bonnes et de mauvaises choses. On ne peut jamais demander, on ne peut jamais savoir ce qu’elle écrit. On peut lui faire des navas (vœux), des pujas (offrandes), mais on ne peut pas forcer les choses.

En milieu rural maharashtrien, Satubai et Brahmadev rendent visite dans la cinquième nuit après la

naissance. Mais une amie de caste brahmane de Pune m’a raconté une version légérement différente

de ce que je trouvais au village. Voici un extrait de mon journal :

A l’occasion d’un repas pour Dasara (le nouvel an hindou), Beena et moi avons commencé à parler de mon sujet d’étude. J’ai mentionné que Pacvi m’interessait de plus en plus et que cette déesse Satubai pour moi était plus qu’intriguante. Beena m’a dit, « Satubai ? ah…tu veux dire ‘Satvi’ » Malgré mes lacunes en marathi, je lui confirme en disant qu’au village on l’a appelée ainsi. Nous étions d’accord sur le fait que cette Satvi/Satubai est celle qui vient pour écrire le destin de l’enfant. Beena a même affirmé qu’il existe en marathi une expression « Satvi l’a écrit » que l’on utilise toujours au quotidien. Avec nous ce jour là était une étudiante allemande. Beena a commencé alors à lui expliquer que Satvi vient pour écrire comment la personne va mourir. Et puis Satvi continue à écrire les autres obstacles et difficultés que la personne rencontrera au cours de sa vie. Je suis alors intervenue pour dire qu’on m’a dit que Satubai écrivait également de bonnes choses. Beena m’a vite corrigée en disant que Satvi n’est pas celle qui écrit des choses positives. Non, il y a une autre déesse qui l’accompagne qui s’appelle Jivti. Jivti protège l’enfant du mal de Satvi, et empêche cette dernière d’écrire trop de mauvaises choses. Pour l’expliquer, Beena s’est mise à nous raconter une histoire : Il y a avait une femme qui avait beaucoup de mal à avoir des enfants. Elle avait fait année après année des puja, des offrandes aux dieux pour lui accorder la naissance d’un enfant. Elle était gentille et pieuse. Un jour, elle est tombée enceinte. Après la naissance de l’enfant, elle avait fait tout ce qu’il fallait pour remercier les divinités pour la naissance de celui-ci. Lors du Pacvi, elle avait décoré le patta de façon merveilleuse et avait laissé les portes grandes ouvertes pour que Satvi puisse rentrer voir son fils. Le soir du Pacvi, Satvi est rentrée, et elle a commencé a écrire : « Cet enfant va mourir. » Mais Jivti n’était pas loin et a vu ce qu’écrivait Satvi. Jivti a rappelé à Satvi les qualités de cette femme, les pujas, les navas, les offrandes, et le fait qu’elle ait attendu si longtemps pour cet enfant. Jivti a supplié à Satvi de ne pas écrire que l’enfant allait mourir. Les deux déesses ont querellés

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pendant un moment. Ensuite Satvi a dit, « tu sais, une fois écrit, je ne peux plus enlever ces mots. » Alors Jivti est intervenue et a rajouté quelques mots « à un âge très élevé» pour que le destin de l’enfant se lit « Cet enfant va mourir à un âge très élevé» afin de garantir une longue vie à cet enfant.

Lorsque je suis retournée dans les villages, j’ai posé la question à savoir si Jivti agissait lors du Pacvi.

Mais dans les villages, on ne parle pas d’elle. La seule chose qu’on a pu me répondre c’était

qu’effectivement il y a une dimension positive et négative associée à Satubai qui peut inspirer une

peur et une crainte chez les femmes. Elle est puissante et peut écrire la mort d’un enfant malgré les

bonnes actions de la mère. Ces deux histoires différentes m’intriguent. Est-ce que leur différence

est due aux différences de castes ? De milieu urbain vs. milieu rural ? La dimension de crainte, de

dualité (bon/mauvais) associée à Satubai n’est pas propre à celle-ci mais se trouve chez beaucoup de

divinités en Inde. Cette dimension dichotomique est à approfondir dans un futur travail.

Le jour de pacvi dans les campagnes peut marquer la fin de la période d’aide de la suin en ce qui

concerne les bains et les massages. Après ce jour, la belle-mère ou une autre femme dans la maison

se chargera des massages pour la mère et pour l’enfant. Mais ce jour, la suin tient toujours un rôle

important. C’est elle qui prépare le contenu du patta (la pierre à broyer). La suin et les femmes de la

maison participent avec beaucoup de joie à préparer l’endroit pour l’arrivée de la déesse.

KNS de Dhamanahol : La suin a une grande importance dans cette cérémonie car c’est elle qui place les divers objets sur la pierre à broyer (le patta).

La suin dresse le patta. C’est elle qui sait comment tout placer afin de plaire à la déesse. Le patta doit

être dirigé vers l’est. Neuf lamps devraient être allumées dont quatre sur le patta, deux à la tête du lit

de la femme, deux à ses pieds, et une à l’endroit où l’on a enterré le placenta. Une lampe en pierre est

également placée au milieu du patta. Une demie noix de coco est placée sur la pierre et contient des

grains de riz et du sucre non raffiné. De l’argent et des fleurs sont également disposés sur le patta. Il

existe une croyance selon laquelle l’enfant est le cadeau offert par la déesse Satubai. La cérémonie de

pacvi est donc faite en reconnaissance de cela. C’est une manière pour les femmes de rendre

hommage à la déesse et de la remercier.

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Pierre à broyer décorée pour pacvi. (Dessin tiré de mon journal de terrain, d’après l’entretien avec KNS de Dhamanahol)

Le patta, la pierre à broyer, est paré de diverses choses et préparé de différentes manières selon

l’endroit et la caste.

KNS de Dhamanahol: Des graines de fenugrec (methi), des graines de ‘wova’, neuf feuilles de ‘rui’, neuf lampes faites avec la farine de riz, une lampe en pierre, des pois cuits (gugaria), de la ficelle pour fabriquer des mèches pour les lampes, du curcuma, du ‘kukum’(poudre rouge), du sucre non raffiné (ghul), de la noix de bétel, de l’huile végétale, des amandes (badam), des dattes (karik), de la noix de coco séchée en morceaux, une noix de coco entière, des fleurs, de l’argent…

Kasabai, auteure de la citation ci-dessus, vient de Dhamanahol, une région dans une vallée à la

frontière de Pune district, au pied des montagnes Sahiyadri. Elle appartient à la caste des Marathas,

qui sont majoritaires dans le Pune district et dans le Maharashtra. Dans la même région chez les

Dhangars (bergers), on n’utilise pas la pierre à broyer mais le sup (un van, un panier plat utilisé pour

nettoyer le grain et le riz) pour exposer les offrandes pour Satubai. Le sup (le van) est important pour

diverses raisons. Non seulement cet instrument est utilisé pour séparer le grain de sa cosse, mais on

lui accrédite un pouvoir de prévenir le mal et banir les mauvais esprits. Ce pouvoir est associé à

Mariamma ou Sheetala, déesse liée à la rougeole. Abbott remarque l’importance de cet ustensile. On

remarquera également le lien entre ces rites et la protection contre des maladies.

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« When a child is attacked by smallpox a winnowing fan is used to create a wind and the child is supposed to be relieved as it is fanned (...) A winnowing-fan is used by all communities to avert evil and epidemics. The Katkari, when there is an epidemic of fever, takes a winnowing fan and places in it a conconut, liquor, and a fowl with two or three images of flour in human semblance and carries it to the village boundrary, where the comestibles are eaten and the fan is left for the next village to pass on in turn to its neighbour. (...) In the practice of Utara, in which things are waved round a sick person and deposited at cross-roads in the hope that the sickness will be transmitted to others (...) If a child be born at an inauspicious moment it is placed in a winnowing fan with grain and placed before a cow which eats the grain and smells and breathes upon the child, thus removing the anticipated evil. (...) On the sixth day after a birth when the goddess Sasthi51 is worhipped along with the instrument with which the child’s navel cord was severed a winnowing fan containing rice, coconut and a khan or bodice cloth is given to the officiating priest or his wife. » (Abbott, 2000: 388-389)52

Bien qu’on fête aussi le pacvi chez les Dhangars (Bergers), la cérémonie est moins élaborée que chez les

Marathas. La liste des éléments à mettre dans le sup est plus limitée que celle apporté par KNS

(Maratha) de Dhamanahol. Tout est réduit en nombre. Au lieu de neuf lampes, les Dhangars n’en

mettent que deux ; une sur le sup et l’autre à la place du placenta enterré. Les autres éléments sont

présents mais en moindre quantité.

A Shirur, à l’est de la ville de Pune dans les plaines, on dessine une figure humaine avec le riz sur le

patta. Parfois on n’y met qu’une seule lampe. Chez certaines castes et notamment chez les Mahadev

Kholi de la région montagneuse à l’ouest de la ville de Pune, on met du poisson sur le patta et aussi du

sable en plus des autres éléments. Si un chat vient dans la nuit et mange le poisson, c’est bon signe ;

signe que Satubai est passée pour inscrire le destin sur le front du nouveau-né.

GGT de Thorangao : Le 7ème jour après la naissance, le patta est nettoyé. Tout ce qui ne peut pas être utilisé est jeté là où l’eau coule. 12 dessins sont fait dans la maison et les portes sont laissées ouvertes. Le passage d’un chien ou d’un chat peut être auspicieux car ils symbolisent la présence de Satubai.

51 Sasthi est un autre nom pour la déesse Satubai. Le nom de Sasthi est utilisé surtout en Inde du Nord. 52 « Lorsqu’un enfant est atteint de la rougeole, un van est utilisé pour créer un petit vent et l’enfant y trouve un soulagement (…) Un van est utilisé par toutes les communautés afin d’éloigner le mal et les épidémies. Chez les Katkari, lors d’une épidémie de fièvre, on prend le van et on y place une noix de coco, de l’alcool, et un volaille, ainsi que deux ou trois images d’humains fait en farine. On porte ce van à la limite du village où ce qui est comestible est mangé et le van est laissé pour que le village voisin le reprenne et continue le rite. (…) La pratique de l’Utara est de placer diverses choses dans le van et de le présenter devant et autour du malade et ensuite le laisser au carrefour du village avec l’espoir que la maladie soit transmise à autrui ailleurs. (…) Si un enfant est né à un moment inauspicieux, on le place dans un van avec un peu de grain. Le tout est placé devant une vache qui mange le grain et renifle et souffle sur l’enfant, ainsi enlevant le mal anticipé. (…) Le sixième jour après la naissance lorsque la déesse Sasthi est vénérée avec un van contenant du riz, une noix de coco et un morceau de tissu sont présentés au prêtre ou à sa femme. » (Abbot, J. 2000. Indian Ritual and Belief: The Keys of Power. New Delhi: Manohar. (First published in 1932)

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Les éléments mis sur le patta ou dans le sup sont gardés pendant plusieurs jours, généralement

pendant trois jours, du cinquième au septième jour.

Pacvi est non seulement une fête pour rendre hommage à Satubai. Les femmes de toutes les castes

ont parlé de l’attention particulière portée au placenta. Rappelons que lorsque l’on place des lampes

sur le patta ou sur le sup, une lampe est également placée là où l’on a enterré le placenta. Les suins

katkaris ont affirmé que le pacvi concerne, chez elles, avant tout le placenta.

Extrait d’entretien avec Tarabai Katkar de Lawarde : Les katkaris font un puja spécial pour le placenta. C’est autour du placenta et non pas du patta que les katkaris fêtent Pacvi. Pour cette célébration, on met 5 feuilles décorées de halad, kukum, et kajal sur une pierre qui recouvre l’endroit où le placenta et tandul ont été enterrés. Un panier est placé à l’envers par dessus. Tarabai insiste sur le fait que ce soit la suin qui prépare tout ceci. Les feuilles sont placées dans différentes directions selon les divinités que l’on vénère. On danse et on fait la fête toute la nuit en attendant l’arrivée de Satubai. Lorsque je demande à Tarabai pourquoi les katkaris font cette fête, elle répond tout naturellement « Tradition ». Il a fallu que l’on insiste un peu pour qu’elle donne une raison plus élaborée: « Pour que l’enfant n’aies pas de problèmes plus tard. »

Mais KNS, une suin maratha de Dhamanahol parle également de l’importance de rendre hommage au

placenta :

KNS de Dhamanahol: Curcuma, kukum (poudre rouge), pois, et lampes sont placés sur une feuille et présenté devant le lieu où le placenta est enterré. C’est comme ça qu’on lui rend hommage. Personne ne parle. On honore le placenta.

Pourquoi un tel traitement pour le placenta? Quelles sont les représentations de celui-ci ? Tarabai

parle de l’honorer en souci de protection pour l’enfant. Selon certaines suins, surtout de castes

intouchables, le placenta peut rendre la vie à un enfant mort-né. Ceci et les hommages à son égard,

ainsi que le traitement spécifique qui lui est dédié décrit dans d’autres cultures, me laissent croire qu’il

existe des croyances plus profondes vis-à-vis cet organe. Ce sujet reste à approfondir.

La suin ou une autre femme de la famille fait des dessins dans la maison que l’on appelle baliram.

Selon Geetabai, une suin de Uksan, en pays mawal, à l’ouest de la ville de Pune, douze dessins sont

fait de simples traits verticaux fait de halad et kukum à plusieurs endroits dans la maison ; trois là où

on fait le bain, trois à la tête du lit, trois au pied du lit, et trois près de la porte. Ces traits symbolisent

les douze protecteurs qui sauvegardent l’enfant.

GHA de Uksan : 12ème JOUR :

/barabøli/ 12 pierres sont placées à la porte symbolisant des 12 protecteurs/guardiens. Halad et kukum sont placés sur les pierres. L’enfant et la mère sont amenés à cet endroit pour qu’ils saluent les dieux (namaskar). De la nourriture est présentée aux dieux.

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Ces dessins restent au mur jusqu’au douzième jour après la naissance de l’enfant, un autre jour

marqué de célébration rituelle : baravi.

Pour le douzième jour en pays marathi, on invite douze jeunes filles à déjeuner. On prépare toute la

nourriture le jour même, des restes ne devraient pas être servis ce jour-là. Mais avant de servir le

déjeuner aux jeunes invitées, celles-ci chantent une berceuse car le berceau est mis en place le jour de

baravi.

KNS de Dhamanahol : Le douzième jour, il y a une chanson dédiée au nouveau-né. Ce douzième jour est le jour de la fête du berceau où le berceau est suspendu et les jeunes filles sont invitées pour chanter des berceuses.

En milieu rural, le douzième jour marque la fin de la réclusion pour la mère.

GHA de Uksan: Après les dessins qui ont été fait un peu partout dans la maison sont nettoyés des murs. C’est à ce moment là que la femme peut aller dehors et recommencer son travail.

LGK de Mhase Budruk : Jusqu’au douzième jour, la femme ne peut pas bouger (quitter la maison). Le douzième jour, elle fabrique un dieu avec une pierre et elle la place avec du kukum (poudre rouge), de la noix de coco, du blé, du riz, de l’argent à deux cent mètres de la maison. Elle amène l’enfant à cet endroit et salue les dieux. Après avoir fait ceci, elle peut aller au village.

C’est donc après ces deux fêtes que la nouvelle mère commence à reprendre ses activités normales.

La période de repos pour la femme dure donc au moins 12 jours. Après, selon sa caste ou sa

situation économique, la femme restera plus ou moins longtemps en isolement.

La reconstruction d’une ethnographie de la naissance en milieu rural nous a permis de réunir un

grand nombre d’observations des pratiques liées à cet événement. Beaucoup de ces observations

laissent un champ ouvert de questionnements et de sujets à analyser plus en profondeur dans des

travaux futurs. Une discussion autour de la suin, praticienne de la naissance en milieu rural

maharashtrien nous a éclairé quant à son rôle ‘double’ dans l’assistance en couches, nous amenant à

regarder des rituels importants dans la vie du nouveau-né dans cette région. Des pratiques de la suin

suscitent une réflexion quant à leur compétence et leur validité à un niveau biomédicale. C’est pour

cette raison que de nombreux organismes sanitaires viennent dans ces régions afin de promouvoir

une meilleure acceptation de pratiques de soins en santé primaire (de type biomédical). Mais il existe

également d’autres genres d’associations venant dans ces régions rurales qui militent pour

l’autonomie des villageois et des pratiques ‘traditionnelles’. Les suins sont objets des projets de ces

deux sortes d’organismes. Malheureusement lors de cette étude je n’ai pas pu analyser les pratiques

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des organismes de type biomédical. Par contre, je propose de regarder des activités d’un organisme

non gouvernemental travaillant en milieu rural qui figure dans cette deuxième catégorie.

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QUATRIÈME PARTIE

Observation d’une ONG travaillant en milieu rural maharashtrien

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Chapitre I : L’Association de Poitevin La structure existante : historique et actualité L’association C., qui m’a servi d’institution d’affiliation, n’est qu’une partie de la structure existante à

Pune, qui était sous la direction de Guy Poitevin. Il est un peu difficile pour moi de discerner les

limites claires entre les différents éléments. L’exposé suivant soulève pour moi toujours plus de

questions que de réponses. Les données présentées sont issues de documents de l’association ainsi

que des observations et conversations informelles. Je propose de commencer en donnant quelques

détails d’ordre historique afin d’éclairer ensuite la situation de l’association lorsque j’y ai séjourné.

La structure existante aujourd’hui est composée de trois éléments. La force d’impulsion vient d’une

seule source : la vision d’un seul homme, M. Guy Poitevin. Ancien prêtre jésuite, professeur de

philosophie, M. Guy Poitevin vient en Inde pour la première fois vers 1967, faisant partie d’un

groupe de visiteurs français intéressés par la culture indienne. En 1969, il vient en Inde avec un

groupe d’étudiants et en 1972, il revient pour un séjour plus long. C’est lors de ce séjour qu’il noue

une véritable amitié avec M. A. Apte, un bienfaiteur de Pune qui avait lancé des foyers et des

programmes d’éducation pour des jeunes défavorisés des milieux ruraux. En 1975, Poitevin publie

un ouvrage consacré à l’expérience de ‘conscientisation’ en Inde du Sud.53 Sa thèse en socio-

anthropologie pour l’EHESS-Paris développe également cette notion de ‘conscientisation’ qui inspirera

un programme d’animation sociale auprès des étudiants résidants dans des foyers d’Apte, mais aussi

tous ses travaux futurs. Avec l’aide d’autrui, il décide de lancer une expérience similaire en 1978 dans

les régions rurales du district de Pune.

Dans une perspective inspirée par les écrits de Paulo Freire, Poitevin lance l’association V. après

1978. Il s’agit alors de soutenir des efforts de ‘conscientisation’ et d’organisation du peuple, et

d’explorer différentes manières d’intervention sociale. Tout en considérant les ‘sans-voix’, les ‘sans-

pouvoir’, les ‘marginalisés’, l’association a pour objectif de recruter des ‘animateurs’ locaux, de

motiver des acteurs locaux, de faciliter des initiatives collectives des villageois, de renforcer la

construction de l’engagement personnel des uns et des autres pour agir pour leur propre

communauté. La méthodologie employée dans la formation des animateurs a pour base la parole, la

discussion, le débat, et la prise de parole dans un but de réunir action et réflexion.

53 (J’ai pu consulter la version de la publication suivante : Von der Weid, Denis et Poitevin, Guy. 1981. Roots of a Peasant Movement: Appraisal of the movement initiated by Rural Community Development Association (Shubhada-Sarswat Publications: Pune) 233p. )

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Il s’agit d’une démarche lente où l’accent est mis sur le questionnement qui mène à une prise de

conscience, essentielle dans la méthode de Freire et de Poitevin.

« La lente démarche qui consiste à partir du marginal et de son expression autonome en créant dans ce but les conditions de prise de parole libre de sa part est le premier principe qui devrait guider tout effort de promotion d’un groupe humain jusque là exclu. » (Poitevin, 1985a :238)

En 1982, un centre de recherche (que je nommerais l’association C.) a été lancé avec un objectif

scientifique conséquent : « mettre en oeuvre des recherches en sciences sociales visant à éclairer les

processus de changement et de développement sociaux, en coopération avec des chercheurs

travaillant dans les mêmes perspectives » (Pacquement et Lachaier, 1996). Quelques questions

vectrices : « Qui a le droit de produire un savoir social ? Sous quelles conditions un savoir social peut

être considéré comme sincère ? Quels buts peuvent légitimer cette production ? » C’est dans le

cadre de ce centre que diverses recherches qualitatives seront produites, notamment sur les sujets des

migrants, de femmes travailleuses, des autobiographies et monographies de castes, et la valorisation

des chants de la meule. Même si pendant mon séjour, l’association semblait fermée à l’extérieur, je

sais que par le passé, cette association s’est montrée capable d’une collaboration importante avec

d’autres institutions.

Cette association de nature apparemment dualiste, assure donc deux facettes de la philosophie de

Poitevin ; de mener des recherches destinées au monde académique et intervenir sur un plan social et

politique. Si l’association V. assure l’action en monde paysan, villageois, défavorisé, sa jumelle C., fait

le lien avec un monde universitaire et académique.

Un troisième volet de cette association reste tout de même à dévoiler avant de développer des

objectifs principaux. Il s’agit de l’association informelle que je nommerai G. Cette association n’est

pas enregistrée auprès des instances administratives, mais jouit d’une notoriété dans le monde

villageois. C’est dans les premières années de la création de l’association V. que l’association

informelle G. s’est constituée. Il est difficile d’estimer combien de personnes à travers les années ont

participé à ses actions. Toujours est-il que les membres de cette association informelle sont tous

paysans des campagnes du district de Pune. La plupart de ces militants villageois ont été peu ou pas

scolarisés. Les membres sont hommes et femmes issus de milieux défavorisés, soit en termes

économiques, soit en termes socioculturels (caste, femme). Ils sont majoritairement agriculteurs à

temps plein et mènent des actions pour l’association de façon ponctuelle. Sarubai Maruti Kadu, une

suin originaire du Mulshi taluka, m’a expliqué ses débuts avec l’association G.

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Sarubai est née à Wadawoli, (qui se trouve près de Dhamanahol, Mulshi taluka). Aujourd’hui elle fait partie de ceux qui ont été réhabilités et elle vit maintenant dans la région des plaines (dans le taluka de Shirur). Quand elle habitait encore dans le taluka de Mulshi, elle a travaillé pour l’association G. en plus de son travail agricole et de son travail de suin. Elle dit qu’au début de sa participation avec l’association les gens parlaient mal autour d’elle. Ils doutaient de l’intérêt de travailler avec un tel groupe. Ils se demandaient à quoi cela pouvait bien servir. Même son frère était contre l’idée de son implication. Mais elle a décidé de ne pas les écouter et a continué à s’y investir. Elle dit que l’association G. a tenu des réunions pour mener des programmes de sensibilisation généraux pour les gens. Les gens pauvres des montagnes ont soutenu l’organisation. Après un temps, l’organisation a « quitté » les montagnes. Et les Marathas, qui l’avaient opposé au départ, l’ont petit à petit accepté et soutenu.

Le cas de Sarubai n’est pas unique. Sensible aux campagnes qu’a menées un petit groupe s’appelant

G., elle a vu une opportunité d’essayer de changer la situation dans son village. D’autant plus, ce

petit groupe était consitué de personnes issus des mêmes villages et campagnes qu’elle. Il ne

s’agissait pas à premier égard d’un organisme venant de la ville imposant pratiques et idéologies

étrangères.

Comme l’a remarqué Sarubai, les débuts de l’association informelle ont été périlleux mais la pérennité

de celle-ci dans les villages lui a accordé une certaine notoriété et une légitimité dont bénéficient

aujourd’hui les animateurs qui s’y associent. Ce groupe G. travaille en fort lien avec l’association V.

En effet, des animateurs les plus impliqués dans les actions de G. font partie d’un conseil qui se

réunit sous la tutelle de l’association V. de façon régulière afin de faire le point sur les actions menées

dans les diverses campagnes du district. Ces animateurs ont bénéficié donc d’un lien direct avec le

directeur défunt des associations V. et C. qui a été l’instigateur des trois associations. « Face à ceux qui

nous méprisent, nous traitent d’ignorants, Guy Baba nous apprenait que nous sommes nous aussi Docteurs dans notre

domaine. Nous avons la connaissance et nous pouvons la faire valoir. » (parole d’animateurs cité dans mémoire de

N’Doki,2006) Ils ont appris et se sont approprié la vision et la philosophie de Poitevin après des

années de réflexion avec ce dernier et tentent de les mettre en action dans les régions défavorisées de

Maharashtra.

Les associations V. et de G. partagent les mêmes objectifs. Ces animateurs principaux perçoivent un

salaire modeste de la part de l’association V. pour leurs actions et leur implication. Mais c’est surtout

au nom de l’association G. que les animateurs travaillent, et c’est le nom de celle-ci qu’ils prononcent

lorsqu’ils se retrouvent en mission dans les régions rurales. Au sein de V. et G., on appelle ces

personnes « animateurs » et non pas « travailleurs sociaux » pour faire une distinction entre des

personnes employées, cadres ou salariées d’une institution de développement. Ce sont avant tout des

« volontaires engagés dans une action civique. » Aujourd’hui, ils sont une trentaine et sont rémunérés

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entre 500 Rps. et 3000 Rps. par mois pour leurs actions selon leur engagement dans l’association.54

S’ils ne gagnent pas financièrement pour leur contribution à l’association, ces animateurs bénéficient

d’une notoriété dans le monde villageois. Le travail de ces animateurs contribue également aux

travaux de recherche produits par C..

L’association V. quant à elle est aujourd’hui organisée autour d’une secrétaire qui travaille avec un

comité de huit animateurs principaux.55 C’est une association formelle enregistrée en tant que

« Charitible Trust », qui doit, selon la loi, comporter un comité de gestion (« Managing Committee »).

Parmi les sept personnes occupant des places dans ce comité il y a un ancien fonctionnaire du

gouvernement du Maharashtra, un ancien ministre de ce gouvernement, un professeur d’économie,

un professeur de physique qui est le neveu de la secrétaire, un ancien comptable d’un institut de

renom à Pune, et un ancien professeur de statistiques.

Financements… L’association V. bénéficie depuis ses débuts jusqu’à mon arrivée du soutien et/ou de la collaboration

de plusieurs ONG et fondations internationaux, notamment du Bread for the World (Stuttgart), de Terre

des Hommes (Allemagne), de la Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD), de La

Fondation pour le Progrès de l’Homme (FPH), du Secours Catholique, et de Partage. Je n’ai pas pu préciser si

cette association a bénéficié de financements locaux ou nationaux. Les associations C. et V. ont

collaboré avec des organismes et centres de recherches locaux, nationaux, et internationaux au fil des

années, dont notamment le CSH à New Delhi. L’association C. a accueilli et montré son soutien

pendant des années à de nombreux chercheurs travaillant sur l’Inde. Les associations V. et G. ont

participé à de nombreuses rencontres locales et internationales, dont le Forum Social Mondial qui a

eu lieu à Mumbai en 2004.

Ces collaborations et financements ont certainement été obtenu grâce au travail de l’association mais

surtout au ‘capital social’ de l’ancien directeur. Après son décès, l’interruption du soutien de Terre

des Hommes a conduit à réduire le budget et des programmes et à chercher de nouveaux

financements. Une nouvelle association a été créée en France par les amis et membres de la famille

du directeur défunt avec pour but principal dans ce premier temps est de trouver des fonds en

Europe pour promouvoir des actions déjà menées par l’association V., mais également d’établir des

54 Information tirée du projet et du budget de l’association consultable en ligne à http://vcda.ws 55: « Un comité regroupant les huit principaux animateurs a été mis sur pied. Celui-ci comprend trois femmes, parmi lesquelles on notera Tarabai Ubhe et Kusum Sonawane, deux figures importantes de l'organisation dans la région du Mawal, à l'ouest de Poona, qui participent également activement aux activités de recherche du C.C.R.S.S. Parmi les autres personnalités du mouvement, on notera Prabhakar Gare du Mawal et surtout Pandit Padalghare, du Mawal également, qui est sans doute celui qui a le mieux intégré dans sa réflexion et sa pratique les notions de démocratie et d'égalité -- en particulier d'égalité des sexes. » (Pacquement et Lachaier )

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échanges Nord-Sud et Sud-Sud entre l’association V. et des personnes de France et d’autres pays.

C’est à ce moment-ci que je suis arrivée faire mon terrain avec l’aide de l’association.

Les objectifs et les principaux projets L’objectif principal de l’association56 est de laisser les ‘marginaux’ s’exprimer pour eux-mêmes. Ceci

est évident dans la phrase suivante de Poitevin :

“The subjugated and marginalized individual is powerless. This does not mean that he is inactive or incapable of action. But when he acts, he is a tool in the hands of another. He finds liberation only by unilaterally authorizing himself to act according to his own will.” (Poitevin, 2002a : 231)

Les objectifs tels qu’ils sont abordés par l’association, dans la documentation et dans le discours se

définissent tout d’abord par la négation, par le refus…

Le leitmotiv des animateurs sociaux est de ne plus dépendre passivement (1) du patronage de notables traditionnels, (2) de la faveur d’élites/cadres politiques voire de la force musclée de partis populistes, (3) de la bienfaisance de travailleurs sociaux et de leurs ONG paternalistes de moyennes classes urbaines, (4) de la direction d’intermédiaires ‘éduqués’ de culture urbaine et ‘moderne’ étrangers aux milieux ruraux, (5) d’agences de développement externes et de leurs cadres servant consciemment ou inconsciemment des stratégies définies par des instances idéologiques hégémoniques (néolibérales et nationalistes aujourd’hui), (6) ni surtout d’abord du ‘bon plaisir apathique de fonctionnaires irresponsables voire méprisant le peuple, et obéissant des instances politiques aux intérêts partisans. (citation tirée du « résumé et cadre d’action » consultable en ligne, http://vcda.ws)(gras, rajout personnel)

Les objectifs de l’intervention sont définis selon « quatre références fondamentales : « besoins

primaires et droits fondamentaux de l’être humain, respect des héritages de savoirs éprouvés, priorité

aux catégories et communautés marginalisées, fonction centrale de la participation féminine. »

Derrière ces vastes intitulés, l’objectif premier est la ‘conscientisation’ ou la ‘responsabilisation’.

« Il s’agit pour les ‘animateurs’ de responsabiliser d’autres villageois pour résoudre les problèmes de divers ordres qui se posent quotidiennement dans leur village, et leur région, en s’organisant collectivement à ces fins soit dans des groupes d’action ad hoc soit surtout dans le cadre des comités locaux et autres institutions locales statutaires. » (citation tirée du « Resume et Cadre d’Action » consultable en ligne à http://vcda.ws)

Les problèmes traités par l’association peuvent varier de région en région et d’animateur en

animateur selon les besoins et demandes des villageois mais aussi selon les perceptions et

compétences des animateurs. Les différents cadres d’action peuvent être dans divers secteurs dont :

les services publics (eau, santé, école, distribution/rationnement, transport) ; techniques et projets de

développement agricole ; construction de barrages et réhabilitation des populations déplacées ;

56 Je ne ferai plus la différence entre l’association V. et C. par souci de clarté de lecture. De toute façon dans la réalité du fonctionnement de l’association, il est également difficile de les discerner. Il s’agit pour ces

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emploi et travaux publics en zones rurales (plan de garanti de l’emploi) ; administration foncière et

droits à la terre ; participation civique ; en particulier des femmes et des catégories marginalisées, dans

les conseils élus, les réunions de village et les commissions statutairement définies ; contrôle du

fonctionnement de l’administration, et des actes et paroles des élus locaux ; critique réfléchie des

valeurs établies et des formes de rapports sociaux ; statut de la femme ; intervention au niveau de

l’opinion publique par des programmes d’information, d’action culturelle, d’éducation civique et

d’organisation d’une quinzaine de groupes d’action appropriés autour de tâches particulières. (citation

tiré du « Resumé et Cadre d’Action » consultable en ligne sur http://vcda.ws)

Aujourd’hui, malgré ce vaste inventaire de champs d’intervention, quelques grands programmes

retiennent l’attention. Le premier est le Self Education Workshop (SEW : Ateliers d’auto-

apprentissage pour les jeunes travailleurs de Maharashtra). Ces ateliers ont lieu dans plusieurs

districts de Maharashtra depuis 1990 et ont pour but de promouvoir la capacité de réflexion

personnelle et libre, des qualités d’autonomie de pensée et conviction personnelle.57 Ils insistent sur

l’égalité des participants. « We insist on the transparency of the communication processes which

should take place on equal level. Nobody is big or small, more learned than another. Every

participant is on equal footing. The group as a milieu of communication stands as the source of

knowledge. »58

Le deuxième projet principal est un programme de foyers mis en place pour des fillettes pauvres

scolarisées. Ces foyers existent dans quatre villages se situant dans trois talukas, (Mulshi, Mawal, et

Shirur) du district de Pune. Ce programme est pris en charge financièrement par une organisation

européenne.

Le troisième projet concerne la promotion et la participation féminine à travers une éducation

informelle.

« L’enjeu stratégique de ce programme est que le ‘pouvoir féminin’ – la prise de conscience par les femmes de leurs droits fondamentaux et leur volonté d’exercer une responsabilité collective – constitue l’un des principaux tremplins du progrès social dans son ensemble » (citation tiré du projet consultable en ligne http://vcda.ws)

C’est dans ce cadre, selon ma compréhension, que se situent les programmes qu’a mené l’association

depuis ses débuts concernant la santé. C’est pour cela que je souhaiterais m’y attarder plus

longuement.

paragraphes concernant les objectifs et les programmes de ceux de l’association V. et son homologue informelle G. car c’est celles-ci qui mènent les ‘actions’. 57 Traduction libre de: « This methodology is meant to boost the capacity of free and personal thinking, and qualities of mental autonomy, personal conviction. »

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Chapitre II : La santé : Le programme des ‘Health Workers’ et le programme des ‘suins’

What about health care? A meeting of the village council

« Et si on parlait de la santé ? Une réunion du conseil de village» (Dessin figurant dans documents de l'association V.)

Depuis le début de l’association, un programme de santé est mis en place. Pendant les années 80 et

90, Poitevin a travaillé en collaboration avec un médecin afin de mettre en place ce programme. Le

programme est basé sur l’éducation sanitaire et non pas sur la distribution de médicaments ni des

consultations médicales. Ces actions en milieu rural prennent pour cible la santé des femmes en

partant du constat qu’elles sont particulièrement négligées pour des raisons socio-culturelles. En

pratique, ces actions se déroulent dans un village choisi où pendant une semaine des animatrices

rassemblent des villageois leur montrant des diapositives, tableaux et affiches afin d’expliquer

différents problèmes de santé, comportements à risque, et maladies. L’extrait de mon cahier après

l’entretien avec le médecin ayant travaillé avec l’association retrace l’évolution de ce programme de

santé.

58 Traduction personnelle : « Nous insistons sur la transparence des processus de communication qui devraient avoir lieu sur un niveau d’égalité. Personne n’est ‘grand’ ni ‘petit’, ou plus érudit qu’un autre. Chaque participant est égal. Le groupe, comme milieu de communication, demeure la source de savoir. »

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« Dr. Ph dit que le travail en matière de santé avec V. a commencé il y a longtemps, autour de 1980 avec une sorte d’objectif double. Un de ces objectifs de départ était de faire que les villageois prennent conscience de l’usage souvent inutile des injections. L’autre objectif était de travailler contre les superstitions trouvées en milieu rural véhiculé par des ‘god men’. Dr. Ph a dit qu’il s’agissait de trouver un espace entre ces deux extrêmes afin de favoriser l’acceptation de la biomédecine dans ces campagnes. Il devait avoir alors une collaboration avec les PHC (Primary Health Centers) en quelque sorte. Mais un des buts principaux des actions était de mettre la pression sur ces institutions gouvernementales afin qu’ils livrent des soins. Dans les dernières cinq-six années de ce travail de santé, il y a eu un dialogue entre les PHC et les animateurs de santé. Un des buts était alors de pousser les gens à accepter la biomédecine. Des groupes de 10 villageois par session étaient formés par Dr. Ph. pour qu’ils reprennent le travail des animateurs de santé. Au fil des années, beaucoup de personnes ont été formées. Au départ, l’objectif était de former des villageois illettrés. Selon Dr. Ph., ceci devait changer après un temps. Alors, il a formé des garçons éduqués jusqu’au 10th standard (équivalent de la seconde dans le système scolaire français) à faire ce travail. Dr. Ph. a dit que ceci n’a pas eu le même impact que les sessions d’auparavant. La persévérance des garçons était moindre et le soutien du village n’était pas le même. Au fil des années, l’association a tenu des campagnes annuelles de santé où au mois de février, ils voyageaient de village en village dans le taluka de Mawal avec une exposition comprenant des organes humains, des affiches, de l’information sur la santé reproductive. Ceci a aidé à dissiper des superstitions et à transmettre des messages de bonnes pratiques de santé (par exemple, contre le tabac en montrant des poumons malades…) Des sujets tabous ont été soulevés par des femmes pour parler de la santé féminine (la menstruation, etc.) Après un temps, l’intérêt a diminué peu à peu. Quand je l’ai interrogé à propos de ceci, Dr.Ph. a dit d’un ton léger, en riant, que des mouvements comme celui-ci ne peuvent pas durer à l’infini. Quelques uns des animateurs sont venus, d’autres partis selon leurs divergences avec l’association. Les plus expérimentés se sont bien débrouillés et au fur et à mesure, l’association V. a exprimé plus d’intérêt pour des aspects « anthropologiques » et a démontré un souhait clair pour diminuer les aspects biomédicaux. Les animateurs ont pu continuer seuls. Les campagnes de santé ont continué régulièrement, selon Dr. Ph jusqu’en 2003. Il était censé être le ‘consultant médical’ pour ces programmes. Dr. Ph. dit qu’il y a eu beaucoup de documentation de cette expérience. Même un film a été tourné. Dr. Ph. dit avoir travaillé de très près avec Poitevin pendant de nombreuses années. Tout au long des campagnes de santé, une grande autonomie a été accordée aux animateurs. C’était ce que Poitevin avait souhaité. En fin d’entretien, Dr. Ph. admet qu’il a eu de divergences avec l’association même avant la mort de Poitevin. C’est pour ces raisons qu’il a pris ses distances. (Extrait de notes d’un entretien avec Dr. Ph., ancien consultant médical pour l’association V.)

Après le départ de ce médecin, mais également au fur et à mesure des années, l’objectif de ces

campagnes change peu à peu. Comme cela se comprend dans l’extrait, le souhait de l’association

était de se concentrer davantage sur des aspects socio-culturels. L’objectif tourne ainsi vers un rejet

plus radical de la biomédecine et ses méfaits afin de « mettre en garde » des villageois. On revalorise

de plus en plus des pratiques locales de santé.

« Dans le domaine de la santé, notamment, les équipes travaillent à la revalorisation de pratiques traditionnelles, comme celles des sages-femmes rurales, et plus généralement à une meilleure prise en charge par les communautés locales des soins élémentaires du domaine de la périnatalité » (Citation tirée du projet 2005-2008 de l’association consultable en ligne à http://vcda.ws)

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Le programme des ‘suins’ a été adopté par l’association V. et G. en 1998 après la rencontre avec une

française qui était venue faire une étude sur les pratiques d’accouchements en milieu rural. Elle avait

déjà mené des enquêtes auparavant dans les régions de Delhi et du Bihar. En 1997, elle est venue

vérifier des éléments de son questionnaire et a demandé l’aide de l’association V. Une des

animatrices venant de Kolawade a organisé une réunion. Puis au fur et à mesure d’autres occasions

de rencontres se sont présentées et l’association a pu organiser des entretiens dans quatre talukas de

Pune district. Ces rencontres ont non seulement servi à la française mais ont également amené les

animateurs à prendre conscience de son approche et de l’importance des ‘suins’. C’est ensuite à

travers des rencontres des ‘Self-Education Workshops’ que le sujet des suins a été soulevé de nouveau.

L’extrait de l’article de Hema Rairkar explique ce processus de réflexion qui a mené à la prise en

charge de ce programme pour promouvoir les suins.

« The theme was : « Though we may not occupy formal positions of power, ultimately power lies with the people, who can to some extent control a government machinery. » It was similarly stated that modern medical power tries to convince that doctors’ knowledge is superior to indigenous knowledge. In reality, the people’s indigenous knowledge is autonomous, and does not need institutional recognition or official certificate to prove its credentials. The need of the time is in particular for the traditional midwife to get back her lost position in society so that her experience be again beneficial to society. Giving priority to indigenous knowledge is a point of alternative development policy centered on man. The challenge facing social workers is therefore : « How will traditional midwives get recognition and maintain a due position in the rural society ? » »59 (Rairkar)

Nous pouvons voir alors que le programme des suins quitte les objectifs de départ qui ont inspiré le

programme de santé ; à savoir une reconnaissance de la biomédicine en milieu rural et une

reconnaissance des villageoises auprès des autorités biomédicales. Il faut se rappeler qu’à cette

époque l’association V. comme l’a expliqué le Dr. Ph. met plus l’accent sur des aspects socio-culturels

des pratiques de soins que sur la biomédecine. Le programme des suins vient alors à un moment où

la réflexion tourne autour du rejet de la biomédecine et prône une revalorisation des pratiques des

59 Traduction personnelle : « Le thème a été : ‘Bien que nous n’occupons pas de positions de pouvoir, finalement le pouvoir réside chez le peuple, qui peut d’une certaine manière contrôler la machine gouvernementale.’ Il a été également soulevé que le pouvoir de la médecine moderne essaie de nous convaincre que le savoir des docteurs est supérieur à celui des autochtones. En réalité, le savoir des indigènes est autonome et n’a point besoin d’une reconnaissance ni de certificat officiel pour prouver son efficacité. Le besoin du moment est en particulier que les matrones traditionnelles regagnent leur position perdue dans la société pour que leur savoir et leur expérience puissent redevenir bénéfiques pour la société. Accorder une priorité au savoir indigène est une manière d’établir un développement alternatif centré sur l’homme. La difficulté à laquelle les travailleurs sociaux doivent faire face est alors : ‘Comment les matrones traditionnelles obtiendront-elles la reconnaissance et pourront-elles maintenir la position dans la société rurale qui leur sont dues ?’ »

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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien

Mémoire de Masters 2 Jessica L. Hackett 2005-2006

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« matrones traditionnelles » en tant que savoir et expériences autonomes. Il s’agit d’une lutte pour la

revalorisation de pouvoir et de savoirs.

Certaines lignes directrices sont alors mises en place après les discussions lors des réunions des

animateurs et des ‘Self-Education Workshops’ et se basent sur des points suivants60 :

1) la tradition des suins est une tradition autonome qui appartient à une manière de vie alternative.

2) Si l’on compare les pratiques de la médecine moderne, celles des indigènes sont dans une position désavantagée. On ne leur accorde pas de respect et ces traditions se retrouvent dans un statut subalterne. Délaissées par la biomédecine, ces pratiques indigènes sont également d’une certaine manière délaissées par la population locale. Si nous ne réagissons pas, si nous ne les soutenons pas afin de les aider à regagner la confiance, ces traditions indigènes vont tomber en désuétude à jamais.

3) Des efforts devraient être menés afin de - encourager le potentiel des suins - obtenir une reconnaissance de la validité des pratiques des matrones auprès de

la population locale mais aussi auprès des professionnels biomédicaux - créer une atmosphère de confiance en soi qui permet une continuité des la

transmission de ce savoir - renforcer la tradition sur la base de ces propres références en créant des

occasions pour que les suins puissent partager leur savoir - initier un mouvement de soutien pour ces matrones à une échelle plus large

parmi la population. 4) Un dialogue et si nécessaire une confrontation entre suins expérimentées et

professionnels biomédicaux ouverts devraient être facilités afin de mettre à jour l’expertise des suins au sein de leur cadre de référence et l’éthique de leur tradition mais aussi de vérifier la légitimité des pratiques modernes contre le savoir des suins.

Il s’agit d’un travail d’animation sociale réunissant réflexion et action visant à une revalorisation de

l’accompagnement traditionnel de la naissance. « Le savoir populaire indigène étant autonome ne

nécessite aucune validation ni reconnaissance officielle par des experts étrangers à la culture rurale.

Cette priorité donnée à un savoir indigène menacé par la culture technocratique dominante est la

pierre d’achoppement d’une politique de développement alternatif centré sur l’humain. La question

que se posent les travailleurs sociaux est donc : « comment les sages-femmes traditionnelles peuvent-

elles reconquérir la reconnaissance et le statut dont elles bénéficiaient dans la société rurale ? » (Bel,

Bel, Poitevin & Rairkar) Leur appel a été bien entendu par les suins de la région.

« Cent vingt-huit suins ont participé volontairement à 23 rencontres destinées à revaloriser leur statut grâce à un partage des expériences et des savoirs. » (Bel, Bel, Poitevin & Rairkar)

Pour certains animateurs que j’ai pu interviewer en 2005, ce programme n’allait pas à l’encontre du

travail qu’ils faisaient auparavant dans les campagnes de santé et autres. Pour eux, il existe un lien

logique, une évolution, entre les programmes qui ont été entrepris à travers les années dans les

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villages. Un animateur explique les débuts de sa participation, son implication dans l’association et

les programmes:

« J’ai commencé au début des années 80. Il y avait des réunions de Santé dans les villages. Cela a attiré pas mal de jeunes. A ce moment là, il y avait également des réunions de villages et des réunions d’étude. Au village, les gens n’avaient pas de raisons de protester contre ce genre de réunion, donc toutes sortes de personnes venaient voir. Dr. Ph, GuyBaba, et sa femme sont venus. Ils dressaient des plans du village, pour voir la structure du village. Ils nous incitaient à demander ‘Quel est l’impact de notre santé dans notre village ?’. A partir de ces premières réunions, on a créé des groupes d’études pour ceux qui étaient les plus intéressés. Qu’il fasse beau ou qu’il pleuve, il y avait toujours 40 ou 50 personnes. Des animateurs spécifiques étaient désignés pour les programmes de santé et ceux-ci se réunissaient une fois par mois. Avant ces réunions, au village on croyait que les problèmes de santé venaient de la colère de la déesse. Petit à petit, différents sujets ont été soulevés et l’organisation les a pris en compte. Par exemple, des problèmes d’emploi, de réhabilitation (à l’époque, des barrages construits ont amené la réhabilitation de villages entiers), d’éducation, d’agriculture, de politique, etc. C’est à partir de là qu’il y a eu quelques conflits. [avec les autorités locales] Dans ma région, les sujets les plus importants étaient l’éducation et la santé. En matière d’éducation, on a mené une action pour promouvoir des enseignants sans diplômes d’état pour enseigner dans les hameaux très reculés car ces régions ne bénéficiaient pas d’écoles et des enseignants d’état ne venaient pas s’y installer. Pour des petites classes, c’étaient selon nous une alternative faisable. Peu à peu nous avons pu convaincre le gouvernement de notre initiative. En matière de santé, ce n’était pas bien différent. On formait des animateurs et des animatrices, souvent ayant fait peu ou pas d’études, pour apprendre aux autres villageois des éléments de soins et de santé primaire. La santé est au sein du système social villageois. Nous avons donc continué des programmes de santé, réunissant les villageois pour leur apprendre leurs droits en matière de ceci. La santé est entre nos mains. Pourquoi devrait-on accepter qu’une personne [le doctor = la biomédecine] contrôle ceci ? Le pouvoir médical est également entre nos mains. C’est alors à nous de voir quelles pratiques et quels savoirs nous sont utiles. C’est alors dans les années 90 que le sujet de ces différents praticiens villageois a été soulevé…des ‘vaidya’, des ‘suin’. Finalement la comité de G. a pris la décision de se concentrer sur la ‘suin’ après maintes discussions à propos de frais médicaux qu’engendrent des familles en amenant leurs femmes accoucher chez le médecin. Après A. et B. [chercheurs français] sont venus [fin des années 90] pour étudier les suins et l’accouchement en milieu rural » (propos recueillis auprès de Pandit P., animateur de l’association G/V. depuis 1980-81)

Je suis arrivée au sein de l’association à un moment où les programmes sur les suins fonctionnaient

depuis un peu plus de six ans. Mon objet n’était pas au départ d’étudier cette association et ses

actions. Mais petit à petit, j’ai été amenée à m’interroger sur ces programmes. Si l’accent n’était plus

mis sur la biomédecine, et si le médecin-consultant ne participait plus depuis un moment, que se

passait-il lors de ces réunions ? Il ne s’agissait pas pour cette association d’apprendre aux suins des

nouvelles pratiques, mais plutôt de valoriser les leurs. Mais, me semblait-il, leurs pratiques, elles le

disaient elles-mêmes, sont de moins en moins demandées. Comment et pourquoi procède-t-on alors

à une revalorisation d’une pratique qui est de moins en moins favorisée pour la population? Au long

de mon séjour de terrain, j’approchais doucement les activités de cette association. Je menais mes

60 Ces points sont traduits d’après ce que l’on peut lire dans l’article à paraître de H. Rairkar (référence citée dans la bibliographie de ce mémoire).

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enquêtes auprès des suins pour lesquelles j’étais toujours accompagnée d’une ou d’un animateur de

l’association. Ce n’est qu’en fin de séjour que j’ai interrogé ouvertement les uns et les autres à propos

des activités associatives. En octobre 2005, j’ai pu rencontrer Sarubai Maruti Kadu. Elle est suin,

donc l’entretien que j’ai mené était basé essentiellement sur mon sujet principal. Mais Sarubai a

également travaillé longtemps pour l’association G. L’extrait de mon cahier qui suit retrace la

conversation que j’ai eue avec elle.

Sarubai a travaillé avec l’association G, qui est l’association informelle de V., pendant 18 ans. Elle vit ici à Mangabatzamal car un barrage construit dans le taluka de Mulshi a inondé son village de Wadaouali. Toutes les personnes vivant dans son hameau de Mangabatzamal sont dans le même cas. Le panneau à l’entrée du hameau l’indique ; il s’agit d’une communauté entièrement réhabilitée. Ils habitaient auparavant dans la région montagneuse où l’eau est abondante. Maintenant ils sont dans les plaines. Il y a peu de travail ici. Beaucoup n’ont rien et travaillent comme laboureurs sur des fermes qui ne leur appartiennent pas. La maison de Sarubai se trouve à l’entrée du hameau. A droite et en face se trouvent des maisons en « dur ». Mais la sienne est faite de branches et de plâtre. Le toit est en feuilles séchées. Elle a une chambre qui sert de cuisine où elle nous reçoit. Il y a un vieil homme avec des lunettes assis par terre. C’est son mari. Elle a beaucoup de travail et nous demande de patienter un petit peu. Son mari reste assis à côté du chula qui chauffe doucement. De temps à autre, il lui dit de s’asseoir, souffler un peu. Elle ne l’écoute pas et continue à travailler. Nous avons le temps de faire le tour du village. Il y a deux écoles pour les petits, un temple et un balwadi (crèche) en construction. Sarubai m’a raconté le premier accouchement qu’elle a fait seule. Elle omet certains détails, mais voici ce qu’elle a pu me dire : « Après avoir accouché moi-même, j’ai commencé à observer des accouchements, recueillant de l’information par l’observation. Une fois j’étais dans la montagne et je descendais vers la route. J’ai rencontré une famille. Il y avait une femme enceinte avec eux. Cette femme s’arrêtait sans cesse car elle ne pouvait pas endurer les douleurs. Je ne faisais que passer mais j’ai commencé à parler avec eux. La femme enceinte m’a dit qu’elle avait commencé ses contractions. Je lui ai répondu que je pouvais regarder, l’aider si elle le voulait. Alors j’ai trouvé un endroit calme. J’ai attaché des saris autour pour cacher la femme. J’ai demandé à une autre femme de soutenir la femme enceinte de derrière. Je n’avais rien avec moi. J’ai vérifié le col avec deux doigts. J’ai pincé la bulle sur la tête de l’enfant. Après que celle-ci soit ouverte, les douleurs sont arrivées avec plus de force et la femme a pu accoucher d’un petit garçon. J’ai coupé le cordon. La famille m’a offert deux cent roupies car mes vêtements étaient tous salis. Ils ont dit « nous venons d’économiser 1000 Rps. ! » Près du barrage, j’ai lavé la femme. C’était la première fois que j’assistais une femme seule. » Sarubai est née à Wadawoli, près de Sacri (qui se trouve près de Dhamanahol). Quand ils habitaient encore au taluka de Mulshi, elle a travaillé pour l’association G. en plus de son travail agricole et son travail de suin. Elle dit qu’au début de sa participation avec l’association les gens parlaient mal autour d’elle. Ils doutaient de l’intérêt de travailler avec un tel groupe. Ils se demandaient à quoi cela pouvait bien servir. Même son frère était contre l’idée de son implication. Mais elle a décidé de ne pas les écouter et a continué à s’y investir. Au sein de l’association son rôle était d’aider à dissiper les superstitions que l’on peut trouver au village surtout en matière de santé ; d’aider les femmes ; d’expliquer aux femmes ce qui se passe après le mariage ; de lutter contre l’abandon des femmes. Il y a 12-15 ans, lorsqu’elle travaillait pour l’association V., la femme du directeur qu’elle appelle respectueusement ‘tai’ lui a demandé si elle voulait « s’éduquer » et participer à un « dai training programme » qui avait lieu à Paud. Sarubai y est allée volontairement. Lorsque je lui ai demandé ce qu’elle en avait pensé, elle a répondu « Nous avons de l’expérience et les Médecins ont de l’expérience ». Sarubai est allée voir afin de comprendre un peu la différence entre ces deux systèmes de savoir.

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Lors du stage, une femme était en travail d’accouchement. Le médecin responsable a demandé à Sarubai de lui montrer ce qu’elle aurait fait au village. Elle a fait remonter la femme de la position allongée vers une position assise/accroupie. Elle a vérifié le col avec un doigt. Assistée des douleurs, elle a incité la femme à pousser et elle a accompagné la sortie de l’enfant. Le placenta n’est pas venu pas tout de suite. Alors elle a massé le ventre. Puis le médecin lui a demandé ce qu’elle allait faire avec le cordon. Sarubai a arrêté sa narration pour m’expliquer l’importance de cette étape. Elle a dit que les médecins clampent le cordon ; ce qui l’empêche de remonter dans le corps ; mais au village, la suin masse le ventre car elle n’a pas de pince. Elle m’a expliqué alors que la femme peut mourir si le placenta remonte. Quand elle prend sa respiration, cela peut faire remonter le placenta et puis bloquer son souffle. Après il faut attendre que le cordon arrête de « battre » avant de le couper. Sarubai a expliqué l’importance de ceci en disant que si l’on coupe trop tôt le sang sort du nombril et celui-ci gonfle. Sur le nombril, on applique de l’huile et des cendres de bouse de vache. Elle a expliqué que les médecins sont contre cette pratique. Mais elle a dit qu’autrefois cette pratique était courante et elle n’a connu aucun problème. Elle est revenue à l’histoire de son expérience à l’hôpital en disant qu’elle n’a pas voulu nettoyer après la naissance à l’hôpital. Mais au village, de l’eau chaude est toujours prête et là elle nettoie la mère, l’enfant, puis elle-même. Après la naissance au village, c’est elle qui enterre le placenta là où coule l’eau. Elle l’enterre assez profondément pour que les chiens et les chats ne puissent pas le manger. Si ceci devait se produire, la santé de l’enfant serait en danger. Elle a essayé de se rappeler d’une chanson pour me dire comment on peut diagnostiquer la grossesse chez une femme. Elle ne s’est rappellé que de bribes. Elle a dit qu’après 2 mois et demi, la femme a envie de vomir. Dans les troisième et quatrième mois la peau de la femme tourne au rouge. Après cinq mois, il n’y a plus de problème. A partir du cinquième mois, on peut commencer à voir le ventre de la femme grossir. Elle a dit que la femme enceinte ne devrait pas trop manger pendant sa grossesse mais qu’aujourd’hui il n’y a plus vraiment de proscriptions alimentaires. Par contre, auparavant il y en avait car on croyait que certains aliments pouvaient causer des fausses couches. Sarubai a ensuite parlé des activités de l’association G. Ils ont commencé à tenir des réunions de suins afin d’expliquer à d’autres femmes le travail de la suin et de rappeller que celles-ci ont des compétences. « Quand les familles pauvres ont des grossesses et des accouchements difficiles, nous pouvons les convaincre que la femme peut recevoir de l’aide à bas prix. Quand il faut avoir recours à une césarienne cela coûte entre 10 000 Rps. et 15 000 Rps. Ceci est très cher pour des familles pauvres. Il faut faire savoir que d’autres systèmes de savoirs existent et peuvent et doivent être utilisés. » Pendant ces réunions, les suins ont échangé sur leur façon d’aider des femmes en couches. Sarubai a expliqué que l’association G. a également mis une pression sur les PHC afin d’obtenir des formations pour des femmes non éduquées pour qu’elles puissent distribuer des médicaments dans les villages lointains et difficiles d’accès. Sarubai a dit que cette action a été menée environ treize ans auparavant. (Propos recueillis lors d’un entretien le 18 octobre 2005 avec Sarubai Maruti Kadu, de caste Maratha, vivant à Mangabatzamal)

Une célébration des ‘suins’ En février 2004, j’ai pu assister à une réunion des ‘suins’ organisée par l’association V./G. à Ajiwali,

un petit village du taluka de Mawal à l’ouest de la ville de Pune. L’association ne l’a pas intitulé ‘suin

training’ mais ‘suinmela’. Le terme ‘suin’ a été déjà abordé plus haut. Le terme ‘mela’ a une origine

sanscrite qui voudrait dire ‘fête’. Ceci me semble tout particulièrement intéressant car cette journée de

réunion des suins a été une occasion pour les animatrices et les suins présentes de ‘célébrer’ ces

femmes et leur métier.

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Au village d’Ajiwali vit une animatrice de l’association V./G.. Derrière sa maison se trouve une

petite école. Il a été prévu que la réunion s’y déroulerait. Avoir une pièce fermée permettrait aux

femmes de parler ouvertement sans se soucier des regards et commentaires des passants et surtout

des hommes. Cependant, ceci n’a pas empêché des regards curieux des passants jetant un coup d’œil

par les fenêtres. Une des animatrices de l’association a ouvert la discussion appelant les ‘suins’

présentes à répondre à une question large : « Qu’est-ce que la tradition des suins ? Il faut qu’on en

parle !! ».

La question a soulevé beaucoup de commentaires. On s’est plaint « Personne ne respecte la suin ». « Les

parents préfèrent amener leurs filles à l’hôpital. Seuls ceux qui n’ont pas assez d’argent vont voir des ‘suins’ ». On a

parlé également beaucoup des différences entre les pratiques du ‘docteur’ et celles de la suin. « Le

docteur veut de l’argent pour ses services…mais nous [suins], nous avons une autre attitude ». « Ce sont nos filles et

belles-filles qui accouchent, on doit les traiter différemment ! » « A la saison des pluies, si une vache reste coincée dans la

boue, on doit l’aider à s’en sortir…c’est notre devoir d’aider nos filles ! »

Les femmes réunies étaient de différentes castes, mais toutes semblaient d’accord sur ces points et

surtout sur ce ‘devoir’. Cette question de ‘devoir’ est intéressante. Lors des réunions de cette

association, les suins et les animatrices expriment le ‘devoir’ d’aider les filles. En faisant un parallèle

avec la vache que l’on doit libérer de la boue, on se retrouve dans le registre du travail domestique, du

travail du quotidien de la femme. On ‘doit’ faire ce que l’on a toujours fait. Pour ceci, il ne faut pas

non plus demander une rémunération, on ‘doit’ rester dans un registre ‘traditionnel’. Cette question

de rémunération a été également soulevée en début de réunion. Les suins peuvent être rémunérées

lorsqu’elles participent à des réunions organisées par l’hôpital. Il s’agit alors de programmes de

formation où on leur enseigne différentes pratiques issues de la biomédecine61. Mais les réunions de

l’association V/G. ne se déroulent pas dans ce même cadre. Les animatrices insistent sur ce ‘devoir’

de la suin, sur leur façon ‘traditionnelle’ de pratiquer qui n’est pas basée sur une rémunération

monétaire, mais sur une rémunération symbolique en biens ou en gain de prestige. « C’est important

que notre savoir et nos compétences soient reconnus ! Nous considérons le travail de la suin comme le travail de Dieu.

Dans notre culture, les suins sont honorées. On ne compte pas sa valeur avec de l’argent » En plus de transmettre

une idéologie propre à l’association, ce discours valide le fait que l’association ne rémunère personne

61 « En 1997, le gouvernement de l’Inde a lancé un programme de Community Health Volunteers inspiré par celui des « médecins aux pieds nus » en Chine. Dans ce cadre, les centres de soins primaires proposent aux sages-femmes traditionnelles un stage de formation médicale rémunéré d’un mois, suite à quoi elles sont officiellement enregistrées et perçoivent une indemnité, variable selon les régions, mais toujours d’un montant dérisoire – quelques roupies pour chaque accouchement qu’elles assistent. Le premier effet pervers de cette reconnaissance officielle est que la plupart des familles cessent de leur faire des dons sous le prétexte qu’elles sont devenues des « salariées » du système… Par ailleurs, la plupart des animatrices de VCDA qui ont reçu cette formation en dénoncent l’inutilité. » (Bel, Bel, et al.)

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pour leur participation et qu’aucun échange d’argent ne s’effectue. Si les animatrices sont payées, ce

n’est pas lors de cette sortie. Même l’animatrice qui nous héberge pour ces trois jours et deux nuits

passés chez elle n’obtient pas de rémunération financière complémentaire. On apporte des cadeaux,

des légumes et des fruits pour elle et ses filles.

On a ensuite demandé aux femmes de raconter leurs expériences de leurs pratiques d’accouchement.

Ceci a suscité des questions de la part de certaines suins. Les animatrices ont demandé alors qu’elles

nous montrent pour que l’on comprenne comment on pratique. Une suin nous a montré comment

on fait déambuler l’accouchée. Une des animatrices a joué le rôle de l’accouchée, montrant sa

souffrance et sa peine, mais elle n’a pas crié. Une autre suin l’a aidée à s’asseoir et a demandé à une

autre de se mettre derrière elle. D’autres ont défait sa natte relâchant ses longs cheveux noirs. Une

suin katkari (tribale) s’est présentée pour représenter le travail de la suin pendant l’accouchement. Elle

a commencé par lui masser le ventre pendant qu’une autre femme a soutenu son dos. On lui a mis

des cheveux dans la bouche pour montrer comment on provoque une toux pour mieux aider la

descente du placenta. La suin katkari a montré la manière de couper le cordon, etc. Ces

démonstrations se sont déroulées dans une atmosphère légère et ont provoqué des fous rires chez

certaines. Mais hormis ces sourires et rires, l’animatrice principale a essayé de ramener le groupe

bruyant à l’ordre du jour. Elle a posé la question : « Qu’est ce que vous avez pensé de ce que nous venons de

voir ? » Les femmes ont partagé leurs points de vue. Certaines ont parlé des différences qu’elles ont

pu constater chez les femmes de diverses castes. Les suins « tribales » disaient que les marathas ont

plus de mal à accoucher. Elles attribuaient ceci à leur façon de porter leur sari trop serré et également

à leur alimentation. Elles disaient aussi que les marathas sont moins « en forme » que les tribales.

La réunion a duré toute la journée. Nous avons donc eu le temps d’aborder une quantité de

différents sujets touchant à leur métier. Elles ont pu s’exprimer sur leurs inquiétudes, leurs traditions,

leurs pratiques. Tout s’est fait dans une atmosphère décontractée. Les animatrices posaient des

questions de temps à autre afin de réorienter et de faciliter la discussion mais jamais de façon trop

directive. Il n’y avait aucune affiche, aucune pancarte. Aucune des suins n’a été rémunérée pour sa

participation comme elles auraient pu l’être pour des ‘dai training course’ offerts par les hôpitaux.

Pourtant, vingt-huit suins de Ajiwali et les hameaux environnants se sont présentées.

Qu’est-ce qu’elles ont tiré de cette réunion ? Quel était son but ?

Les animatrices et directeur de l’association ne se sont pas présentés comme experts de la tradition

des suins. Leur but était de faire parler les suins entre elles afin qu’elles réalisent d’elles-mêmes qu’elles

détiennent un savoir. Elles sont bien conscientes des pratiques biomédicales de plus en plus

présentes dans les campagnes. Elles en ont parlé lors de la réunion. La biomédecine prend une place

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légitime dans ces campagnes et bénéficie d’un Authoritative Knowledge. De plus, il semble aujourd’hui

qu’elle soit arrivée tout naturellement dans cette région. Comme le décrit Brigitte Jordan :

« Authoritative knowledge is persuasive because it seems natural, reasonable, and consensually constructed. For the same reasons it also carries the possibility of powerful sanctions, ranging from exclusions from the social group to physical coerciveness (…). Generally, however, people not only accept authoritative knowledge (which is thereby validated and reinforced) but also are actively and unselfconsciously engaged in its routine production and reproduction. » (Jordan in Davis-Floyd & Sargent, 1997 : 57-58)62

Mais ce propos ne signifie pas que le savoir que détiennent ces suins doit être considéré comme

désuet. L’association et ses animatrices veulent faire passer le message que la suin détient un réel

savoir, et qu’il ne faut pas que les suins se sentent inférieures à cette biomédecine, mais qu’elles soient

autonomes, qu’elles établissent un ‘authoritative knowledge’ ‘alternatif’. L’association propose d’être

juste un vecteur dans un premier temps pour mettre en place un réseau de discussion. J’ai pu

observer l’impact que peut avoir un réseau de discussion lors d’une précédente étude63. Les

discussions peuvent servir de mode de validation et de circulation d’informations aussi bien que de

connaissances des techniques des soignants et de la stabilisation des notoriétés. Leur caractère

informel permet un partage entre participants. Mais ce processus prend du temps. En ce qui

concerne les actions de l’association V., il faudra beaucoup d’heures de paroles et d’échanges.

Rappelons que la construction d’un savoir d’autorité (Authoritative Knowledge) est un processus social

continu, une notion qui se base sur l’interaction des participants d’une communauté. 64 L’espoir de

l’association V. est de continuer ce genre de suinmelas ainsi que d’autres activités afin que la prise de

conscience qu’elles suscitent puisse bénéficier aux communautés. Il semble que leur but est, à

travers ces discussions ouvertes, de faire échanger des informations à propos des pratiques, de

rappeler la place que détenait la suin auparavant. Il s’agit d’une revalorisation de cette praticienne afin

qu’elle retrouve une place légitime ; une place légitime qui garantit à cette praticienne dans un

pluralisme médical présent dans ces campagnes une valeur égale à d’autres praticiens, notamment

biomédiaux. Leur but n’est pas de faire arrêter la pratique de la biomédecine dans ces campagnes,

mais de faire en sorte qu’une alternative puisse co-exister avec son autorité propre.

62 Traduction personnelle : « Le savoir d’autorité est persuasif car il semble naturel, raisonnable, et construit par avis de consensus. Pour les mêmes raisons, il porte aussi la possibilité de sanctions fortes, allant de l’exclusion du groupe social aux contraintes phsyiques. Généralement, on accepte l’authoritative knowledge mais on s’implique activement et sans gêne à sa production et reproduction » 63 Il s’agit de mon travail de maîtrise. Hackett, Jessica L. 2004. L’accouchement à domicile en France aujourd’hui : Vers une réhumanisation de la naissance. (mémoire de maîtrise dirigé par Laurence Hérault, soutenu en Septembre 2004 à l’Université de Provence.) 64 « Authoritative Knowledge is an interactionally grounded notion » (Jordan in Davis-Floyd et Sargent, 1997: 56)

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Il est difficile à ce jour d’évaluer le travail de cette association car seulement un accès supérficiel des

activités ne m’a été ouvert. La méthode de l’association observée me semble-t-il n’est qu’une

manière de procéder à une revalorisation de techniques et de pratiques. Cette méthode relève d’une

expérience socio-culturelle et politique menée d’après la vision d’un seul homme. Cette méthode,

nous l’avons remarqué, nécessite un travail de longue haleine. Comment faut-il aborder ces questions

de ‘tradition’ et de ‘modernité’ qu’engendre une telle expérience dans une société complexe tel ce

monde villageois qui y est confronté jour après jour ? Comme raconte l’histoire de Khandbhor dans

l’introduction de ce mémoire à propos de la désuétude du port du navari sari symbole du village et de

la tradition vaincu par le savari sari, symbole de la ville et de la modernité, est-ce que l’on arrivera à

un point où la suin ne sera plus qu’un relique du passé villageois? Est-ce que cette ‘expérience’ de

revalorisation des pratiques traditionnelles menée par l’association et ses animateurs conduira à des

fins souhaitées ? Mais surtout est-ce qu’ils arriveront à maintenir cette expérience afin de parvenir à

des conclusions positives voulues?

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CONCLUSION Au fil des pages de ce mémoire, j’ai voulu traduire ce que je percevais être des dynamiques autour de

l’accouchement en milieu rural maharashtrien. Une dynamique suppose un mouvement et une force

ou un ensemble de forces sous-jacentes créant celui-ci. Une dynamique est par définition alors non-

statique. L’étude de l’accouchement permet de rendre compte de ces forces et mécanismes sociaux

qui forment l’événement de la naissance et de ses acteurs. Ici nous avons pu à travers l’ethnographie

en milieu rural observer et analyser des rapports entre femmes, entre les femmes et leur

environnement socio-culturel à partir des rapports à et des représentations du corps, des rapports à

l’alimentation liés à cette conception du corps, des représentations des étapes de la naissance et de

l’accouchement. Nous avons pu également nous rendre compte de la place et du rôle de la suin en

milieu rural qui est non seulement une assistante en couches mais qui détient également une fonction

majeure dans les rituels de début de vie. Cette ethnographie riche n’est qu’un début d’étude et

beaucoup d’éléments y figurant offrent d’excellentes pistes de recherche pour un futur travail ; parmi

ceux-ci les dimensions de ‘chaud et froid’, le traitement spécifique du placenta, les notions de

pollution et de son enlèvement. Tout ceci, à mon sens peut et doit également être abordé par la

notion de caste car malgré sa complexité elle représente un biais important dans les représentations et

pratiques. Enfin, un travail sur les rituels entourant la naissance et les déesses vénérées est également

prévu dans la suite de ce travail. C’est par ce biais que la question des castes peut être développée

mais aussi celles d’intégration et de syncrétisme de pratiques. Celles-ci peuvent relever

d’informations pertinentes quant à des questions de ‘modernisation’ ou de ‘développement’.

Le deuxième niveau de dynamique dont j’ai parlé dans l’introduction de ce mémoire concernait le

contexte de l’association qui a pu être observée. Ici, par dynamique, j’inclus le fait que cet ensemble

d’acteurs, ‘d’animateurs’, travaille afin d’améliorer à leur sens le monde villageois. Il s’agit alors d’une

force orientée vers un progrès. Au début de mon terrain d’étude je savais que l’association V. ne

menait pas des actions semblables à celles des ‘dai trainings’ des organismes sanitaires et hospitaliers,

mais je m’attendais tout de même à trouver des programmes plus axés sur des questions sanitaires. Si

l’on parlait de techniques d’accouchements lors des réunions, on ne parlait que très peu (voire pas du

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tout) de la mortalité maternelle et infantile ou de la manière de la réduire. Les suins échangeaient

devant les animatrices et la directrice de l’association sur leurs prouesses en situation

d’accouchements difficiles ; les cas de jumeaux, d’enfants morts-nés, de bébé en siège, etc. D’autres

suins racontaient fièrement comment elles ont pratiqué et réussi un accouchement ‘naturellement’ là

où le médecin allait faire une césarienne. Presque toutes affirmaient ne jamais avoir perdu une

femme lors d’un accouchement alors que le taux de mortalité maternelle pour l’état du Maharashtra

est d’environ 360/100 000 et on ne peut que supposer que le taux est plus élevé en milieu rural. Les

associations V. et G. à leurs débuts luttaient contre la dissémination de superstitions concernant la

santé en milieu rural. Il n’y aurait pas eu un rejet systématique des pratiques biomédicales et donc il

aurait pu y avoir échange avec des PHC (Primary Health Centre - Centre de Soins Primaires). Par

contre, lors de ces suinmelas, il me semble qu’il n’y avait pas de volonté d’échange avec des praticiens

biomédicaux. En réduisant l’importance accordée à une compréhension de la biomédecine, et en

s’éloignant des objectifs de départ, les associations V. et G. ne renforcent-elles pas ces pratiques

‘traditionnelles’ qui peuvent être dans certains cas dangereuses ? Cette association et leurs activités

mériteraient une évaluation considérable. Il serait également intéressant de compléter cette

observation avec une étude sur des organismes ‘médicaux’ réputés pour vouloir changer les pratiques

des suins ou pour les revaloriser en les comparant à des pratiques dites ‘traditionnelles’ de la médecine

ayurvédique. Une telle étude serait nécessaire afin d’éclaircir l’intersection entre les différents

secteurs et leurs pratiques agissant en milieu rural maharashtrien aujourd’hui.

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Glossaire… [Mot marathi = mot français [mot anglais]] A - Aadhaar=soutien [support] B - bagad = tradipraticien homme [traditional healer (man)] - bøvøra = le col de l’utérus [cervix] (entretien avec KSS de Dhamanahol) - bhokør = 1. [a tree, Cordia Myxa.] 2. [the fruit of this tree.] 3. [A pendant of an earring or a nosering.] (NB : ce mot est utilisé par GGT lorsqu’elle parle de remède pour arrêter l’écoulement du sang après la naissance. Apparament c’est aussi utilisé pour les accouchements chez les animaux) - « Elle dit bhvra. (J’ai compris que ce mot voulait dire le « col » mais c’est peut-être un mot spécifique pour l’accouchement qui veut dire que le col s’ouvre, ou bien le fait d’examiner le col. ?) » (Entretien avec KSS de Dhamanahol) - bringal = aubergine [eggplant] (NB : bringal est un mot hindi, en marathi on dit wangi) C - /chik/ = colostrum D - dhoori = fumigation - [district]= mot anglais utilisé en Inde pour décrire une division administrative de l’état qui correspond au ‘département’ français - dora = fils [thread, string] - drushtø lagne= jeter un mauvais sort par le mauvais œil [to cast the evil eye] - dudh = lait [milk] E F G - gawari = un haricot similaire au haricot vert [a bean similar to string beans)] - /ghødi/ = compresse [pad] - ghul = jaggery = sucre non raffiné [unrefined cake sugar] - /gomutra/ = urine de vache [cow urine] [It is used for purifying purposes. The suin will drink gomutra and/or use it in her bath water and/or sprinkle it about the home to purify herself and the house after the polluting act of birth] H - halad = curcuma (fr) ; tumeric (eng.) I J - /jor dete/ = forcer, pousser [give force :push ; The woman strains and pushes/ applies force (entretien avec KSS de Dhamanahol)]

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- /jagrut/ = lié au /navas/, ceci est en lien avec l’efficacité d’une divinité à répondre à une demande. [linked to navas, in that it has to do with the efficiency of a god/goddess to reply to a request. (heard this word in context of Satubai temple. Satubai is said to be a goddess who is quick to hear and respond to devotees wishes)] K - kheli= bananes [bananas] L - laddhu = sorte de patisserie [a sweet] - lāj = modestie, honte [modesty, shame] M - mahakal = la douleur principale de l’accouchement [the main pain of delivery (maha = grand [great] ; kal = douleur [pain]] - maher = La maison maternelle d’une femme, là où elle est née et élevée. [woman’s maternal home. The place where she grew up.] -mālak = le mari d’une femme. Littéralement, son propriétaire [husband, literally, owner] - mudh = miel [honey] N - nal = cordon ombilical [umbilical cord] - namaskar = une salutation comme bonjour [a greeting like hello] - navas bola/ navas pedla = demander quelque chose aux dieux/ rendre ou repayer la divinité pour ce l’accomplissement de ce que l’on a demandé [requesting something from the gods/repaying the god for having done what you requested. (this is there in every layer of society for anything as well) (generally for big occasions/ wedding/ jobs/ children/property…)] O - /ova/ = un élément mis dans le feu du dhoori (fumigation) [herb that is put in the dhoori] - otti = la partie du sari que l’on tend afin de recevoir l’ottiburne [the portion of the sari held out for the ottibarne] - ottibarne/ottiburne = geste que l’on fait pour faire des offerandes dans une partie du sari. [to put offerings in the padar of the sari] [ce terme refère à un geste que l’on effectue lors de la cérémonie du 7ème mois de grossesse /this term also refers to the ceremony that is done in the 7th month before delivery] - ovi (parfois écrit owi) = chant de la meule [grindmill song] P -Pacvi = cérémonie ayant lieu le cinquième jour après la naissance d’un enfant. [ceremony on the 5th day after the birth of a child] - palna = 1. berceau [cradle] 2. berceuse [lullaby] (ce mot refère au berceau mais également aux chansons, des berceuses que l’on chante pour la célébration du 12 jour après la naissance / this word refers to the cradle itself but also to the songs that are sung on the 12th day after birth) - pap = péché [« sin »/sinful deeds] [punya (n like infinitives) : opposite of sin, what one receives for having done good deeds…]. - pativrata = « the concept of the chaste, obedient, duty- fulfilling wife » (see article : Gupta, A. et al. « Women’s beliefs about disease and Health. » saved in computer under SNDT articles) - patta = pierre à broyer sur laquelle on prépare des masalas et chutnis. Le patta est utilisé pour le puja de Pacvi, le cinquième jour après la naissance.[grinding stone one which masalas and chutneys are prepared. In the context of birth, the patta is used for the puja on Pacvi (the fifth day after birth)] - phanas = jackfruit - pishvii (ceci veut dire ‘sac’) (entretien avec KSS de Dhamanahol) “ The baby is in the bag. …When the « bag » comes to the cervix, it stretches.” -puja = offrande [offering done in worship] Q

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R - røkta= sang [blood] - røksha = cendres [ashes]

ramrøksha= Ramaraksha (ashes are put at the door of the house) is done and the ashes are kept for seven days, from pacvi to baravi.

- rui = un arbuste particulier à la région… (la racine de cette plante est utilisée quand les douleurs de l’accouchement commencent et s’arrêtent. Généralement on prend la racine de l’arbre contre quelque chose en métal, en argent, ou en or (bref quelque chose qui a de la valeur) et on place cette racine dans les cheveux de la parturiente. Ceci est sensé faire redemarrer les contractions et donc faciliter la naissance. On redépose la racine à l’arbre et on reprend l’élément de valeur immédiatement après l’accouchement car si on ne fait pas ceci, le sang coule abondamment et peut causer des problèmes) S - sasu = belle-mère [husband’s mother] - shakti= energie [energy] - Shepa = [shep] = anis [(Woolsworth definition)= Anise-seed, Pimpinella anisum or Anethum sowa.] (ceci est un des éléments à mettre dans le dhoori (fumigation) qui a lieu après le bain) - Shendur = un melange de curcuma et vermillion créant une sorte de peinture que l’on utilise pour recouvrir des lieux saints. [halad and kukum together making a sort of paint which is commonly used to cover holy places.] - sher = unité de mesure [unit of measure] - stridharma = « a construct which has had the willing acquiescence of women in its practise » (see pativrata ; see also Guha, A. et al. « Women’s beliefs about disease and health ») - /sup/ = outil domestique en vannerie utilisé pour nettoyer le grain, notamment pour séparer le riz [a scuttle shaped basket for cleaning grain ; cet outil est utilisé à la place du patta par la communauté des bergers pour la cérémonie de Pacvi (bersten & nimbkar dictionary) ; (Used by the Dhangar community for the Pacvi ceremony)] T - /taluka/ = sous-division administrative des districts. Correspond relativement aux ‘cantons’ en français [administrative subdivision of the districts. Roughly equivalent to communes or burroughs] - /talu/ = fontanelle, le haut du crane[the top of the head] - tapasne = vérifier [ to check] - tūp = comme le ghee (beurre clarifié) [marathi word for ghee, clarified butter] U - ushnø = chaud, en termes de chaleur conceptuel [« hot » (not in terms of temperature but of conceptual warmth. ) ] V - var = placenta (près de Shirur on a trouvé une différence subtile de prononciation : /vør/) - vehli = outil de cuisine utilisé pour coupé. Une lame inversée sur planche de bois. [kitchen utensil used for cutting with inverted blade attached to wooden cutting board] - vrata = vœu religieux observé par une femme [religious vow made by a woman] W - wygola= l’aire ou les gases dans l’estomac [air or gases in the stomach… (see interview with TK de Lawarde)] X Y Z - zholi = un sac en coton [a cloth bag] - zumble/tsumble = le morceau de tissus enroulé que les femmes mettent sur la tête pour pouvoir porter les conteneurs d’eau [the piece of cloth wound into a circle used for carrying water]

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Annexe I Données Démographiques de l’Inde et du Maharasthra

L’Inde : Quelques données démographiques

Inde : quelques chiffres

Surface totale : 3,287,590 km2 Population : 1,095,351,995 (estimation du juillet 2006) [L’Inde est le deuxième pays le plus peuplé du monde] Climat : variant d’un climat tropical dominé par des moosons dans le sud à un climat tempéré dans le nord. Elevations extrêmes : à l’Océan Indien 0 m À Kanchenjunga (dans Himalaya) : 8,598m Espérence de vie : 64.71 ans Hommes : 63.9 ans Femmes : 65.57 ans Taux de fertilité : 2,73 enfants/femme (estimation du juillet 2006) HIV/AIDS prevalence : 0,9 % (estimation 2001) PLWHA : 5.1 million (estimation 2001) HIV/AIDS deaths : 310,000 (estimation 2001) Risque de maladie : haute Maladies : diarrhée bactérienne, Hepatite A & E, Typhoide Fièvre Dengue, Paludisme, Japanese Encephalitis Gouvernement : République Fédérale Nombre d’états : 28 Nombre de territoires : 7 Président : A. Kalam Premier Ministre : Mohanman Singh Suffrage : 18 ans Langues : Anglais & Hindi. Plus 14 + autres langues officielles Religions : Hinduisme : 80.5 % Islam : 13.4 % Christianisme : 2.3% Sikh : 1.9%

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Autre : 1.8% Agricultural Products : riz, blé, oilseed, coton, toile de jute, thé, sucre de canne, pommes de terre ; bétail (vaches, buffles, moutons, chèvres, volailles, poisson) Industries : textiles, chimie, alimentation, acier, equipement de transport, ciment, mines, petroleum, Informatique

Quelques données démographiques du Maharashtra

Maharashtra : quelques chiffres

Capital : Mumbai Langue : Marathi Population : 96 752 247 Mumbai : + 10 million Pune : 4,485,000 (estimation de 2005) Taux d’alphabétisation : 77.27 % (estimation de 2001) Appartenances religieuses : hindous 81,9% Jainas 1,4% Musulmans 8,5% Chrétiens 1,4% Bouddhistes 6,5% Zoroastriens 0,1% Agriculture : 214.000km2 de terre cultivées (estimation de 1994-95) produits cultivés: riz, blé, sorgho, petit mil, légumineuses, canne à sucre, coton et arachide

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Annexe II Les Interprètes… M.S. M.S. est le neveu d’un des animateurs de l’association C. M.S. vit aujourd’hui à Pune. Il est marié depuis peu, suite à un « love marriage » qu’il a contracté avec une fille de son choix personnel. Il est né dans la région de Mulshi, un des lieux de terrains. M.S., au moment de mon enquête terminait son Master en russe. Il parle alors quatre langues couramment, le marathi, le hindi, l’anglais, et le russe. Lors de son embauche, il affirmait avoir effectué des travaux de traduction. D.S. D.S est professeur de hindi dans un lycée à Shirur. Issu de très basse caste, il a connu Guy Poitevin quand il faisait ses études à la faculté. Il a aidé Guy lors d’enquêtes sur les mythes villageois. Il dit lui même que sans l’aide de Guy, il n’aurait jamais pu devenir professeur. Il doit beaucoup à Guy et à l’association C. qui lui a ouvert ses yeux au monde universitaire et académique. Il est marié et père d’un petit garçon. Il n’avait pas d’expérience au préalable de traduction mais avait tout de même eu occasion de faire des enquêtes auprès de villageois. Y.M. Y.M. a environ 30 ans. Né à Shirur, il est le frère cadet de J.M., animateur principal de l’association C. Y.M. est professeur d’école dans un village à l’est de Pune. Il ne parle pas parfaitement l’anglais. Il a accepté de venir en tant qu’interprète car la directrice de l’association le lui a demandé et il affirme reconnaître tout ce que ces directeurs de l’association C. ont pu faire pour leur famille et notamment J.M. quant à leurs études. Y.M. est marié. Sa femme est également professeur d’école. J.M. J.M. a environ 30-34 ans. Il est né à Shirur, à l’est de Pune. Il vit à Pune depuis de nombreuses années. Il détient un B. Comm. (Licence en journalisme et communication) de l’Université de Pune. Il travaille pour l’association C. depuis une douzaine d’années. Avant cela il était un membre actif de l’organisation et participait au Self-Education Workshops développés par l’association. Il a pris contact avec l’association C. en même temps que D.S. J.M. est marié et père de deux enfants. L’animateur principal de l’organisation, J.M., m’a accompagné à plusieurs reprises et a aidé l’interprète à traduire. Souvent, J.M., malgré des petites lacunes en grammaire et en langue anglaise, a

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montré un sens fin de la communication. Ceci s’explique par de nombreuses années dans les villages à faire des enquêtes pour les recherches de Poitevin sur les chansons de la meule et d’autres recherches sur la vie villageoise. Il connaissait parfaitement le terrain et savait qu’il ne fallait surtout pas brusquer l’interviewée pour obtenir des informations. Il avait un sens pour mettre à l’aise tout le monde. Il me connaissait également depuis quelques années et était au courant de mes objectifs de recherche. Il ne parlait pas parfaitement ma langue, mais avait un don pour traduire les idées et savait obtenir des informations tout en gardant le sourire. Cet animateur principal avait un rôle important au sein de l’association. C’était le seul à travailler à temps plein pour l’association à Pune. Il s’occupait de rédiger des rapports, de mener des réunions des animateurs et de s’occuper de tout ce dont la directrice avait besoin. Il avait l’habitude d’accompagner des étrangers au village pour des actions de l’association K.B. K.B. a 28 ans et vit à Pune, ville où il est né. Détenteur d’un Bachelor of Arts en Economie et Statistique avec une mineure en français, il poursuit actuellement ses études. Aujourd’hui il continue des études de langue française, un master en économie, et des diplômes en informatique. Il est issu d’une famille Brahmine, caste la plus élevée de l’Inde. Malgré quelques expériences de traduction en ville, c’était la première fois qu’il assistait en tant que traducteur pour des enquêtes en milieu rural.

Annexe III : Les suins rencontrées

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Annexe III

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Annexe III

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Annexe III

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Annexe IV Guide d’entretien Remarques générales de l’entretien: Lieu (où se passe l’entretien) : Village (si différent de celui de l’interviewée) : Personnes présentes (outre l’interviewée) : Interprète : Remarques : Questions générales pour la suin: Nom : Age : Lieu de naissance (maher): Nom de son village: Situation familiale (mariée, divorcée, veuve): Caste : Occupation autre que son travail de matrone: Combien d’enfants avez-vous ?: Où sont vos enfants aujourd’hui ?: Comment avez-vous accouché ? Avez-vous accouché ici dans ce village ? Qui vous a assisté ? Qui habite avec vous maintenant ?: Depuis quand pratiquez vous ?: Comment avez-vous appris ? Qui vous a appris ? Où allez-vous pour venir en aide aux femmes en couches? Dans quels villages ? : Est-ce que vous vous déplacez loin ? Si oui, comment (à pied, en bus, en moto ?): Combien d’accouchements pratiquez-vous en moyenne ( par mois, par an) ?: Est-ce que vous vous faites rémunérer pour vos services ? D’où viennent la plupart des femmes que vous aidez ? A propos des accouchées : Quel âge ont les femmes que vous aidez ? D’où viennent-elles ? Sont elles éduquées ? Quel genre de travail font-elles ? De quelle caste viennent-elles ? Sont-elles de différentes castes que vous ? Est-ce que les femmes de cette région préfèrent accoucher au village (à la maison) ou à l’hôpital ? Pourquoi ? L’accouchement en général: Selon vous, y-a-t-il des dangers quant à l’accouchement à la maison, ici au village ? S’il y a des risques, comment pouvez-vous les gérer ? Selon vous, y-a-t-il des dangers quant à l’accouchement à l’hôpital ? Quels sont les changements dans la façon dont l’accouchement se passe aujourd’hui par rapport à dans le passé ? Y-a-t-il des changements que vous souhaitez pour le futur ? Est-ce qu’il y a des femmes intéressées par l’apprentissage de votre travail ? Y-a-t-il des femmes qui apprennent avec vous en ce moment ? Pendant la grossesse : Est-ce que les femmes enceintes viennent vous voir pendant leur grossesse ? Si oui, dans quel mois, à quel stade de leur grossesse viennent-elles ? Est-ce qu’elles viennent seules ou accompagnées, si oui, avec qui ? Si vous faites ce genre de consultation, qu’est-ce que vous faites ? Que regardez-vous ? Est-ce que vous arrivez à déterminer la date de l’accouchement ? Si oui, comment ?

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Y-a-t-il des signes qui indiquent que l’accouchement est imminent ? Est-ce que les femmes vous consultent pour des conseils concernant leur alimentation pendant leur grossesse, ou bien à propos d’autres choses ? Quel genre de conseils donnez-vous ? Y-a-t-il des aliments spécifiques que doivent manger des femmes enceintes ? Ou bien des aliments qu’elles doivent éviter ? Est-ce que vous raconter aux femmes comment l’enfant est conçu et comment le corps va changer ? Ici, est-ce que les femmes vont à l’hôpital pour des consultations prénatales (pour des echographies) ? Si oui, pourquoi, et à quelle fréquence ? Est-ce que les femmes se préparent à l’accouchement en faisant des exercises (physique ou respiratoire), ou en prenant du repos supplémentaire ? Est-ce que les femmes s’inquiètent à propos des douleurs de l’accouchement ? est-ce que vous leur offrez des conseils à ce propos ? Quelles sont les complications les plus fréquentes liées à un accouchement ? Comment les gérez-vous ? Est-ce que vous conseillez aux femmes d’aller à l’hôpital de temps en temps ? Si oui, dans quels cas ? Y a-t-il des cérémonies (religieuses ou populaires) spécifiques ayant lieu pendant la grossesse ? Participez-vous à ces cérémonies ? L’accouchement : Si vous avez estimez la date de l’accouchement et que cette date est dépassée, que faites-vous ? Y a-t-il des remèdes pour provoquer les contractions et le travail de l’accouchement ? Que faites-vous ? Qui vient vous appeler quand la femme commence à sentir des douleurs de l’accouchement ? Quand allez-vous à la maison de la femme ? Au début des douleurs ? ou bien, attendez-vous ? Qui est avec vous et l’accouchée dans la pièce où se déroule l’accouchement ? Y a-t-il des personnes qui sont interdites lors de l’accouchement ? Que se passe-t-il dans les premiers temps de l’accouchement ? Que peut faire la femme ? Est-ce qu’elle peut se déplacer ? Ou, est-ce qu’elle doit rester couchée ? Peut-elle boire ou manger ? Peut-elle crier si elle a mal ? Parfois des femmes crient ou bien paniquent lors d’un accouchement, est-ce que vous avez connu cela, si oui, que faites-vous ? Est-ce que vous conseillez à la femme de prendre une position particulière à ce moment ? Comment vous pouvez savoir quand la femme peut pousser ? Si la femme a des difficultés à pousser pour faire sortir l’enfant, que faites-vous ? Est-ce que vous faites des gestes pour prévenir des déchirures ? (massages ou soutien) Que faites-vous immédiatement après que l’enfant soit né ? Coupez-vous le cordon immédiatement ou attendez-vous le placenta ? Combien de temps faut-il au placenta de descendre ? Si celui-ci prend du temps, intervenez-vous ? Si oui, comment ? Quand est-ce qu’on donne l’enfant à la mère ? Est-ce que la femme allaite tout de suite ? Faut-il donner le sein de suite ? Faut-il donner le colostrum ? En ce qui concerne le placenta, qu’en faites-vous ? Si vous l’enterrez, où est-ce que ceci se fait ? Y a-t-il des cérémonies spéciales qui accompagne cet enterrement ? Y a-t-il des circonstances dans lesquelles où vous n’assistez pas à l’accouchement et que vous envoyez la femme à l’hôpital ou à la clinique ? Si vous l’envoyez à l’hôpital, est-ce que vous l’accompagnez ? À quelle distance est l’hôpital ? Connaissez-vous le personnel soignant ?

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Après l’accouchement Après l’accouchement, combien de temps la mère, restera-t-elle dans cette même pièce ? Peut-elle manger ou boire immédiatement après la naissance ? Qui l’aide à se nettoyer et à nettoyer la pièce de l’accouchement ? Qui peut rentrer dans la pièce immédiatement après la naissance ? Qui vient la voir ? Est-ce qu’on lui apporte des cadeaux ? Si oui, quoi ? Y a-t-il des cérémonies à ce moment ? Que peut faire la mère pendant cette période suivant l’accouchement ? Y a-t-il des prescriptions alimentaires à suivre pendant cette période ? Que donne-t-on à l’enfant autre que le lait de la mère ? Est-ce qu’on donne quelque chose à la mère pour soulager des douleurs et des saignements après la naissance ? Qui donne le bain à la mère ? A quelle fréquence ? Qui donne le bain à l’enfant ? A quelle fréquence ? Y a-t-il une pollution associée à la naissance ? Après la naissance ? Si oui, combien de temps dure-t-elle ? Qui est concerné par cette pollution ? (seulement la mère, ou bien aussi l’entourage ?) Comment enlever cette pollution ? Est-ce que vous êtes touchée par cette pollution ? Que faites-vous ? Comment la femme va accomplir ces devoirs de travail domestique ? Y a-t-il des dangers dans la période suivant la naissance ? Que faut-il faire pour prévenir ces dangers ? Que faut-il faire pour protéger la mère et l’enfant ? Après la naissance, continuez-vous à venir voir la femme pour surveiller sa santé ? Si oui, à quelle fréquence venez-vous ? Rituels: Y a-t-il des rituels avant, pendant, ou après la grossesse d’une femme ? On m’a parlé de quelque chose qui se passe ici lors du cinquième jour ? Pouvez-vous m’en parler ? Que fait-on ce jour-là ? Qui assiste à cet événement ? où se déroule-t-il ce rituel ? A quoi sert-il ? Qui est Satubai ? Est-elle gentille ou méchante ? Que fait-elle ? On m’a également parlé des rituels qui se déroulent près de l’eau ? Pourquoi ? Y a-t-il des rituels concernant le placenta ? Y a-t-il des moments auspicieux pour un enfant de naître ? DAI training course : Avez-vous suivi une formation pour sages-femmes offerte par l’hôpital ou autres associations ?

Quand et où est-ce que vous avez suivi la formation? Comment avez-vous eu accès à cette formation?

Est-ce que vous avez reçu une remuneration pour cette formation, si oui, combien? Est-ce qu’ils ont fourni un ‘kit’? Qu’est-ce qu’il y avait dedans? Est-ce que cette formation a changé la façon dont vous travaillez aujourd’hui ? Est-ce que cette formation a changé la façon dont les gens vous regardent ?

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Annexe V Quelques extraits d’entretiens avec des suins Voici quatre extraits tirés de mon journal de terrain après des entretiens avec des suins.

Tarabai Katkar, Lawarde, Mulshi taluka

Nous sommes allés voir Tarabai Katkar après être allés voir Tulsabai Kamble à Kolawade. Chez Tulsabai, nous étions dans le hameau des intouchables, mais ici, nous sommes chez les Katkaris, les ‘tribals’. Nous ne sommes plus au village de Kolawade, mais au village de Lawarde. Comme Kolawade, ce village est divisé en différents « vastis » ou hameaux. Ici, nous sommes dans le ‘katkari wasti’, le hameau des tribaux. Ce katkari wasti est spécial, je n’ai pas d’autres mots pour le décrire. Les maisons qui ressemblent à des taudis tiennent debout comme par un fil. Les petits enfants qui courent partout sont à peine couverts de vêtements, sans culottes ni chaussures. Leurs cheveux sont tout en désordre et survolés de mouches. Leurs visages sales et le nez en train de couler. Les petites allées entre ces maisons sont pleines de déchets. Au premier regard, on dirait que ces gens sont horriblement pauvres. Nous rentrons dans une maison. Je pense que les animatrices qui m’accompagnent veulent faire un peu de travail tout en m’accompagnant. Elles se renseignent sur certaines choses. Finalement, elles demandent si Tarai est chez elle. Pendant qu’elles parlent, l’hôtesse de maison nous offre à boire. Je dois décliner car il s’agit de l’eau et je viens de finir un traitement car j’ai eu des problèmes intestinaux. Une des animatrices a également des problèmes digestifs donc on arrive à faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’une mauvaise volonté de ma part. Lorsque tous se parlent et se rafraîchissent, je regarde autour de moi. Dans ce quartier qui me semblait proche d’un taudis, je vois dans cette petite maison, deux grandes pièces. Cette pièce principale sert de chambre. Il y a un vrai lit, à côté duquel une vraie commode et une énorme télévision. Il y a même un lecteur de DVD. Le sol sous mes pieds est carrelé, et non pas recouvert de bouse de vache. Les murs sont également en « dur ». Ce contraste est un peu déboussolant. Tout d’un coup, on se lève et on part. Tarabai est au village, donc on part à sa recherche. On remonte par la route. Des gens sont vautrés dehors sur les lits, il fait très chaud. Nous arrivons devant une maison avec la terrasse balayée. Elle ne ressemble pas aux maisons avoisinantes. Une petite femme sort, son sari remonté comme la mode des katkaris, je vois ses petites jambes maigres. C’est Tarabai. Tout de suite, elle nous fait rentrer dans la pièce principale. Elle nous fait nous asseoir sur des couvertures par terre. Elle est en face de nous assise sur un haut lit en métal. De là où je suis assise, je ne peux pas voir la cuisine ; mais je vois au pied de son lit, un téléviseur et un lecteur VHS et VCD/DVD. Sa maison n’est pas comme la première, c’est un mélange de traditionnel, (le sol et murs recouverts de cette bouse de vache qui fait un plâtre marron-claire) et de moderne (un grand lit surélevé avec ces objets électroniques). Je m’interroge sur tous ces objets. Quelque part ces gens ne sont pas pauvres du tout…mais leur souci, leur préoccupation ne semble pas être d’améliorer leur situation de vie… Tarabai Katkar est bien connue de l’association V. C’est une femme très forte de caractère malgré sa petite taille menue. Lors de l’entretien avec Tarabai, elle ne me parle pas énormément d’elle-même. Elle ne me parle pas de ses activités avec l’association V. alors que je la sais assez active. Cette région, incluant les villages des animatrices qui sont avec moi, est une des régions principales de l’activité de l’association V. et d’autres. Je sais que Tarabai a été également Sarpunch (comme maire), occupant donc un poste à responsabilité politique de sa communauté. Je sais qu’elle a deux fils. Mais ce n’est pas elle qui me raconterait tout ceci. D’autres animateurs me racontent petit à petit des éléments de la vie de Tarabai. Après mes observations de ces objets que je considérais comme un luxe, on m’a dit que les Katkaris sont connus pour leur production, vente et consommation d’alcool. C’est comme cela qu’ils gagnent de l’argent et peuvent

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avoir de tels objets. A propos des objets de Tarabai, on ne me raconte pas la même histoire. On me dit qu’un de ses fils travaille à Pirungut, un gros bourg du coin. C’est là-bas qu’il gagne sa vie et peut acheter ces objets à sa mère. Je sais, de par ces paroles d’autrui, que Tarabai a une certaine réputation en tant que suin. Elle n’a pas peur d’aller contre l’avis du médecin. Presque tous les animateurs et animatrices, même la directrice de l’association m’ont parlé de ses exploits, son habilité dans des situations d’accouchements difficiles, ses confrontations avec des médecins, sa force de caractère… Non, Tarabai ne me raconte rien de tout ceci. Elle me parle de son travail de suin. Elle est suin depuis plus de 15 ans. Je sais que je ne suis pas la première étrangère à venir la voir pour lui poser des questions à propos de l’accouchement. Elle pratique toujours des accouchements et a gagné une certaine réputation pour son assistance en couches. Elle m’a dit qu’elle a appris quand elle était encore très jeune. Quand elle était petite, elle a pu voir une vingtaine d’accouchements même avant d’accoucher à son tour. La belle-mère de sa sœur était suin. Tarabai a pu observer des accouchements en sa présence. Après avoir observé quatre fois, Tarabai se sentait confiante et elle a pratiqué des accouchements seule par la suite. Elle enseigne la pratique de suin à d’autres femmes. Elle dit avoir appris déjà à huit femmes, toutes katkaris. Mais elle affirme qu’elle assiste d’autres femmes de différentes castes. Elle va chez les Dhangar, des Dalits, des Marathas, et des Katkaris. Ces différentes castes correspondent aux habitants des villages environnants. Des Dalits se trouvent dans le vasti que nous venons de voir, chez l’animatrice Kamblebai. Des Marathas, dans le village de Kolawade et le vasti d’Ubhebai. Ces villages sont sur la route en amont du barrage derrière lequel se situe Lawarde. Des Katkaris sont ici à Lawarde. Et les Dhangars sont sur la colline après le village de Lawarde. A environ trois-quarts d’heure de marche de chaque côté, on peut atteindre chacune de ces communautés. La conversation lors de l’entretien est difficile à suivre. Mon interprète a du mal non seulement à comprendre mon anglais, mais à trouver des mots pour traduire le foisonnement de paroles qui nous survolent. Tarabai insiste sur le fait que sa pratique d’accouchement est « naturelle ». « On ne coupe jamais le vagin d’une femme. L’accouchement est toujours naturel. Nous essayons de ne pas faire mal à la femme enceinte ! » Elle passe de sujet en sujet très vite. Elle s’arrête sur le sujet du placenta. Les katkaris y accordent une importance particulière. Tarabai me parle du souci si le placenta remonte dans le corps. Elle n’est pas la première à m’en parler. Mais elle continue. Elle dit que les katkaris font un puja spécial pour le placenta. C’est autour du placenta et non pas du patta que les katkaris fêtent Pacvi. Pour cette célébration, on met 5 feuilles décorées de halad, kukum, et kajal sur la pierre qui recouvre l’endroit où le placenta et tandul ont été enterrés. Un panier est placé par dessus. Tarabai insiste sur le fait que ce soit la suin qui prépare tout ceci. Les feuilles sont placées dans différentes directions selon les divinités que l’on prie. On danse et on fait la fête toute la nuit en attendant l’arrivée de Satubai. Lorsqu’on lui demande pourquoi les katkaris font cette fête, elle répond tout naturellement « Tradition ». Il a fallu que l’on insiste un peu pour qu’elle donne une raison plus élaborée: « Pour que l’enfant n’aie pas de problèmes plus tard. »

(Extrait du cahier de terrain après un entretien avec Tarabai Katkar à Lawarde le 6 mai 2005)

Kisabai Sonu Shedge, Dhamanahol, Mulshi taluka

Kisabai travaille en tant que suin à Dhamanahol depuis à peu près 25 ans. Elle a appris en observant sa propre mère dans son village natal d’Admal (au sud-est de Dhamanahol). Elle même est mère de trois enfants, deux garçons et une fille, grand-mère de sept, et arrière grand-mère pour cinq. Ses enfants n’habitent pas tous ici. Seul un fils et sa famille sont restés au village. L’autre fils est au Gujarat et sa fille habite à Mumbai. Elle pratique toujours les accouchements, peut-être 10 ou 12 par an et malgré son âge avancé (65-70) se déplace dans les villages et hameaux environnants à pied ; ce qui me semble-t-il représente parfois quelques heures de marche. Je l’ai rencontrée à Dhamanahol en avril 2005. En sachant que j’étais au village et que je m’intéressais au suins, elle est venue me parler accompagnée d’une autre femme qui s’est avérée être son apprentie. Elle s’est assise à côté de moi

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par terre devant la maison de mon hôte, un animateur de l’association V. Elle a parlé très ouvertement de son travail et l’a expliqué avec le plus grand soin tout en faisant des gestes afin de s’assurer que je comprenne. Tout d’abord, elle m’a dit qu’elle est suin depuis 25 ans mais qu’elle a suivi un ‘dai training course’ à Paud il y a une vingtaine d’années. Les cours auraient dû durer pendant un mois, mais le docteur responsable lui a dit qu’elle était très douée et plus intelligente que les autres et elle a pu partir après seulement huit jours. Elle bénéficie de beaucoup de soutien de la part de sa famille. En fait, dit-elle, c’est eux qui la poussent à continuer ce travail. Elle me parle d’une fois où l’accouchement avait lieu dans un village lointain et elle ne sentait pas la force de marcher si loin. Mais sa famille lui a dit que c’était son devoir d’aller aider la fille en couches. Elle même a enseigné à de nombreuses femmes. Ces femmes l’accompagnent quand elle assiste une femme. C’est comme ça qu’elle leur apprend. Mais lorsqu’elle est présente les autres femmes ne font qu’observer par respect pour son travail. En ce moment, elle apprend à sa belle-sœur (la femme de son frère). Kisabai dit qu’il suffit d’observer deux ou trois fois avant de pratiquer des accouchements. Mais une femme qui n’a pas eu d’enfants elle-même ne peut pas y assister. Kisabai dit que les jeunes femmes sont trop timides. Elle dit que pendant la grossesse, la suin n’apporte pas de soins particuliers. Elle-même se déplace pour voir la femme enceinte seulement s’il y a des soucis, des douleurs. Elle sait quand l’accouchement va bientôt avoir lieu car elle dit que la femme « perd de sa fraîcheur » ; on sent qu’elle va s’évanouir ; d’autres signes de faiblesse apparaissent ; elle ne mange pas malgré sa faim et elle peut avoir la nausée. Lorsque la famille de la femme enceinte appelle Kisabai, elle part tout de suite voir la femme. En utilisant le majeur de sa main gauche, elle sent délicatement dans le vagin pour faire un « check » comme elle dit ; pour évaluer l’ouverture. Lorsque la tête de l’enfant apparaît, elle l’encercle doucement d’un doigt pour ouvrir et faciliter son passage. Après elle réceptionne l’enfant avec les deux mains. Au préalable, elle met de l’huile autour de la vulve afin d’assouplir la peau. Elle soutien l’ouverture avec une main pour éviter des déchirures. Pour un premier accouchement, Kisabai rassure l’accouchée dès son arrivée. Elle m’explique ceci en se servant de moi comme exemple. Elle a placé ses mains sur mon front et mon visage ; puis sur mon ventre. Elle m’a caressé comme si j’étais l’accouchée tout en disant en marathi « Tu n’en as plus pour longtemps, ça va aller…ça va plus durer longtemps à présent ». Une deuxième femme présente pour l’accouchement s’assied derrière l’accouchée et lui masse le bas du dos. Kisabai me montre ceci également. Dans un bond, elle se retrouve derrière moi, et avec ses petites mains pleines de force, elle me masse le bas du dos plaçant un pouce de chaque côté de ma colonne vertébrale. Après que l’enfant sort, le placenta suit rapidement selon Kisabai. Après la sortie de celui-ci, elle coupe le cordon avec une lame neuve. Elle dit qu’auparavant elle utilisait une faucille mais depuis le training course, elle a arrêté cette pratique. Après l’accouchement et le bain, une compresse en tissu propre est recouverte de haldi (curcuma) et de meet (sel) et est placée sur la vulve de l’accouchée. Selon Kisabai, ceci aide à arrêter le saignement et à « refermer ». Pour les douze jours suivants, une compresse recouverte de l’huile végétale y est placée.

(Propos recueillis lors d’un entretien à Dhamanahol avec Kisabai Sonu Shedge le 11 avril 2005)

Radhabai Sapkal, Kolawade, Mulshi taluka

Radhabai a environ 65 ans quand je l’ai rencontrée à Kolawade gau en Septembre 2005. J’étais accompagnée de mon traducteur K. B. et deux animatrices de l’association V. Radhabai et veuve. Elle a trois filles mais elles n’habitent pas ici. Une est à Andegao (pas trop loin) et les deux autres sont à Pune. Parce qu’elle n’arrivait pas à avoir de garçon, son mari a pris une deuxième épouse qui lui a donné un fils. Ce garçon a été élevé par sa mère et par Radhabai. Aujourd’hui cette co-épouse est morte. Ce garçon, aujourd’hui homme habite entre Pune et Kolawade. Il est chauffeur de rickshaw. Lorsqu’il n’est pas au village, Radhabai habite seule. Sa très grande maison est en plein centre du village. Elle disparaît à la cuisine afin de nous faire du thé. Après le thé, elle nous parle de son travail. Radhabai a appris à être suin avec sa belle-mère ici à Kolawade. Elle l’a suivie et observée. Après la mort de sa belle-mère, c’est elle qui a repris le travail. Cela fait 10-12 ans.

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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien

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Elle dit qu’aujourd’hui elle ne travaille pas autant qu’avant. Les jeunes gens vont à la clinique ou à l’hôpital. Mais tout de même, elle continue à travailler. Il y a un mois environ, elle a été appelée pour assister une femme en couches. Radhabai dit qu’elle ne veut pas empêcher ces jeunes d’aller à l’hôpital. Selon elle, si quelque chose se passe mal à la maison, on blâme la suin pour tout. Dans le cas de l’accouchement à l’hôpital, il est rare que l’on blâme qui que ce soit. Quand j’interroge Radhabai sur le déroulement de l’accouchement elle me fait part de sa méthode pour savoir quand l’accouchement va avoir lieu. Elle demande à la femme comment elle a mal et où se trouve le mal sur le corps. « Si le mal est devant, on a encore du temps, mais si le mal est derrière, le processus a déjà démarré » Elle vérifie avec un doigt l’ouverture du col. En fonction de ceux-ci, elle conseille à la femme de marcher une peu, qu’on lui mette de l’eau chaude sur le bas du corps, ou de lui faire boire du thé noir. Radhabai m’explique qu’il y a un sac sur la tête de l’enfant ; et que ce sac doit ‘exploser’. Après cela, l’enfant peut sortir. La suin tient le cordon et parfois y attache une pierre car le cordon ne doit pas remonter de peur que le placenta remonte dans le corps ; cela pourrait tuer la femme. Le placenta est amené à la rivière après la naissance. A cette remarque, une des animatrices proteste en disant que chez elle on l’enterre. Radhabai continue calmement en affirmant que selon ses traditions, on le met à la rivière. On y met du halad et du kukum et on le laisse s’en aller en flottant. Les poissons et les crabes le mangeront. (Extrait du journal de terrain après l’entretien avec Radhabai Sapkal à Kolawade le 26 septembre 2005)

Manabai Tukaram Khenghe

C’est le soir après l’entretien avec TC que nous arrivâmes chez Manabai. Je vois une toute petite femme très âgée nous accueillir. Elle doit avoir environ 75 ans. Nous avons marché depuis Uksan en faisant le tour des villages et hameaux de la vallée, Thorongao et autres avant d’arriver à Karansgao. Karansgao est un gros hameau divisé en plusieurs wadis, 5 si j’ai bien compris. Celui où l’on se trouve s’appelle Brahmanwadi, mais je doute qu’il y a des gens de cette caste ici aujourd’hui. On fait le tour de la grande maison pour avant de s’asseoir au veranda avec elle. Tout est très propre et elle se précipite pour mettre une couverture en patchwork qu’elle a cousu de saris usés par terre pour moi et mon interprète. Il fait doux après une journée de grosse chaleur d’été. Nous sommes le 19 avril 2005. Manabai nous dicte doucement mais clairement son nom complet : Manabai Tukaram Khenghe. Je transcris dans mon cahier comme je peux ces sons aspirés et non aspirés que je n’arrive pas toujours à distinguer. Je répète ce que j’ai pu écrire et elle me reprend doucement en répétant le nom encore plus doucement et clairement. Elle m’affirme qu’elle est ‘suin’ depuis longtemps (environ 40 ans) et qu’elle pratique toujours aujourd’hui. Elle confirme fièrement qu’elle est allée assister une femme en couches il y a une vingtaine de jours seulement. Elle se déplace dans les différents wadis de Karansgao et va jusqu’à une distance d’à peu près 10 km. Elle a appris l’art de la ‘suin’ en observant sa mère qui était ‘suin’ à Uksan, le village où Manabai est née. Toutes ses sœurs sont ou ont été également ‘suins.’ Elle nous parle de ses prouesses en matière d’accouchement, mais ce qui me retient le plus d’attention c’est qu’elle ne tient pas un discours tout à fait similaire aux autres suins que j’ai pu rencontrer vis à vis l’hôpital. Manabai a fait un « dai training course », et apparemment suivrait régulièrement des cours donnés par ces différents organismes et hôpitaux. Elle nous parle d’un en particulier qui s’est déroulé à Telegaon et un autre à Kamshet. Elle nous dit que l’hôpital l’appelle souvent. Elle serait comme une ‘suin’ modèle, mariant l’assistance en couches à domicile et pratiques biomédicales enseignées à travers les formations. Lorsque je lui demande s’il y a eu des changements dans ses pratiques depuis ses formations, elle me parle du ‘delivery pack’ où l’on peut trouver du fils, une poudre antiseptique, une lame neuve, du coton, et un stéthoscope. Elle nous affirme qu’elle aimerait mieux que l’on l’appelle ‘doctor’, présumant qu’elle fait mieux son travail que d’autres suins qui ne suivent pas les conseils biomédicaux.

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Mais avant de nous affirmer ceci, elle m’a tout de même décrit des pratiques qui ne sont pas du tout des pratiques ‘biomédicales’. Elle nous conseille, ‘si les douleurs commencent et puis s’arrêtent, il faut donner du thé poivré à la femme pour redémarrer les contractions’. Dans les mêmes conditions, elle nous dit également que la suin va aller prendre une racine de ‘rui’ tout en laissant de l’or à la place. Cette racine est placée dans les cheveux de la femme. Ceci va faire démarrer les contractions et ainsi l’accouchement. Une fois l’accouchement terminé, il faut vite récupérer l’or qui a été laissé au pied de l’arbre car dans le cas contraire, une hémorragie peut s’en suivre. Manabai nous parle également des pratiques de bain utilisant de la farine en guise de savon, des « dhoori » pour l’enfant et la mère et aussi les massages. Elle nous affirme qu’il faut masser d’abord à partir de la tête de l’enfant puis vers le reste du corps en utilisant de l’huile. Je ne soulève pas la question, mais un homme d’un organisme de santé local qui vient dans la région nous avait parlé de cette « mauvaise pratique » qui causerait des problèmes de tetanus…Si c’est le message des organismes et autorités de santé dans la région et Manabai une telle modèle, pourquoi le fait-elle ? Toujours est-il, Manabai ne voit pas d’incompatibilité entre ses pratiques ‘traditionnelles’ et son statut souhaité de ‘doctor’. (Extrait du journal de terrain après l’entretien avec Manabai Tukaram Khenge à Kurunsgao, le 19 avril 2005)