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La collision continentale Michel FAURE Une convergence lithosphérique à l’origine d’un épaississement crustal Les mouvements de la lithosphère La réalité des plaques lithosphériques et de leurs mouvements à la surface du globe est bien établie. La sismicité, et plus particulièrement, l’étude des mécanismes aux foyers des séismes permet de définir des limites de plaques divergentes, coulissantes et convergentes. Certaines limites sont caractérisées par des failles normales, là où les plaques divergent, d’autres par des failles inverses, là où les plaques convergent et enfin par des failles coulis- santes (ou transformantes) qui accommodent des différences de vitesses ou de sens de dépla- cement entre les plaques. Remarquons que si les failles inverses sont pratiquement absentes le long de limites divergentes, des failles normales peuvent exister dans certaines limites convergentes. Un type de faille en lui-même ne suffit pas à définir la nature de la limite de plaque. Il faut aussi tenir compte des abondances relatives des failles inverses, normales ou décrochantes. La géodésie (GPS, triangulation, etc.) permet de connaître les mouvements relatifs « instantanés » des plaques lithosphériques. Le magnétisme des roches (paléomagné- tisme et inversions magnétiques) fournit des valeurs moyennées sur une plus grande échelle de temps de 10 5 à 10 8 ans. La diversité des limites de plaques convergentes Les limites convergentes sont caractérisées par le phénomène de subduction, c’est-à-dire le passage d’une plaque lithosphérique sous une autre. Le grand nombre des facteurs interve- nant dans la subduction permet de comprendre sa diversité. Ainsi, par exemple, on peut évo- quer : la vitesse de convergence, l’orientation du vecteur de déplacement relatif des deux plaques par rapport à la limite de plaque, le pendage du plan de Wadati-Benioff, la durée de la subduction, la taille et l’âge des plaques en présence, etc. Mais le paramètre le plus impor- tant est la nature pétrologique des plaques lithosphériques. De façon un peu caricaturale, on peut distinguer deux types de lithosphère en fonction de leur épaisseur et de leur composition pétrologique. Une lithosphère continentale a une épaisseur moyenne de 120 km alors que cel- le d’une lithosphère océanique n’est que de 80 à 90 km (fig. 1). Si l’on accepte cette division Biologie Géologie n° 4-2004 735 Géosciences Mots-clés : collision continentale, convergence lithosphérique, épaissiment crustal, Himalaya, Alpes, chaînes de collision. Michel Faure, Institut des sciences de la Terre d’Orléans (ISTO), Université d’Orléans, [email protected]

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La collision continentaleMichel FAURE

Une convergence lithosphérique à l’origine d’un épaississementcrustal

Les mouvements de la lithosphère

La réalité des plaques lithosphériques et de leurs mouvements à la surface du globe estbien établie. La sismicité, et plus particulièrement, l’étude des mécanismes aux foyers desséismes permet de définir des limites de plaques divergentes, coulissantes et convergentes.Certaines limites sont caractérisées par des failles normales, là où les plaques divergent,d’autres par des failles inverses, là où les plaques convergent et enfin par des failles coulis-santes (ou transformantes) qui accommodent des différences de vitesses ou de sens de dépla-cement entre les plaques. Remarquons que si les failles inverses sont pratiquement absentesle long de limites divergentes, des failles normales peuvent exister dans certaines limitesconvergentes. Un type de faille en lui-même ne suffit pas à définir la nature de la limite deplaque. Il faut aussi tenir compte des abondances relatives des failles inverses, normales oudécrochantes. La géodésie (GPS, triangulation, etc.) permet de connaître les mouvementsrelatifs « instantanés » des plaques lithosphériques. Le magnétisme des roches (paléomagné-tisme et inversions magnétiques) fournit des valeurs moyennées sur une plus grande échellede temps de 105 à 108 ans.

La diversité des limites de plaques convergentes

Les limites convergentes sont caractérisées par le phénomène de subduction, c’est-à-direle passage d’une plaque lithosphérique sous une autre. Le grand nombre des facteurs interve-nant dans la subduction permet de comprendre sa diversité. Ainsi, par exemple, on peut évo-quer : la vitesse de convergence, l’orientation du vecteur de déplacement relatif des deuxplaques par rapport à la limite de plaque, le pendage du plan de Wadati-Benioff, la durée dela subduction, la taille et l’âge des plaques en présence, etc. Mais le paramètre le plus impor-tant est la nature pétrologique des plaques lithosphériques. De façon un peu caricaturale, onpeut distinguer deux types de lithosphère en fonction de leur épaisseur et de leur compositionpétrologique. Une lithosphère continentale a une épaisseur moyenne de 120 km alors que cel-le d’une lithosphère océanique n’est que de 80 à 90 km (fig. 1). Si l’on accepte cette division

Biologie Géologie n° 4-2004 735

Géosciences

➤ Mots-clés : collision continentale, convergence lithosphérique, épaissiment crustal, Himalaya,Alpes, chaînes de collision.

� Michel Faure, Institut des sciences de la Terre d’Orléans (ISTO), Université d’Orléans,[email protected]

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schématique en lithosphère océanique et lithosphère continentale, il existe 4 cas possibles desubduction (fig. 2).

– subduction intraocéanique : une lithosphère océanique passe sous une lithosphère océa-nique ;

– subduction océanique : une lithosphère océanique passe sous une lithosphère continen-tale, c’est ce phénomène qui est communément appelé « subduction » ;

– subduction d’une lithosphère continentale sous une lithosphère océanique, ce mécanis-me est aussi appelé « obduction » ;

– subduction de lithosphère continentale sous une autre lithosphère continentale, ou« collision ».

Remarquons que les deux derniers cas peuvent aussi être considérés comme des « sub-ductions continentales ». Contrairement à un des postulats de la théorie des plaques desannées 60, il est maintenant prouvé, notamment par la découverte de roches métamorphiquesd’ultra-haute pression (comme les éclogites à coesite-diamant) que la lithosphère continenta-le peut être enfouie, ou subductée, dans le manteau asthénosphérique à des profondeurs supé-rieures à la centaine de km.

Définition d’une chaîne de montagnes

L’étude comparée des épaisseurs lithosphériques et crustales en Europe permet de mieuxcomprendre ce qu’est une chaîne de montagnes (fig. 3). A l’exception de la Scandinavie, oùelle peut atteindre 180 km, et de la Méditerranée, où elle est de l’ordre de 30 km, l’épaisseurde la lithosphère continentale, est relativement constante autour de 100 km en moyenne. Enrevanche, l’épaisseur de la croûte continentale présente des variations significatives. Il existedes régions où la croûte continentale est très mince, voire inexistante : c’est le cas notammentdes mers Tyrrhénienne et Ligure dont les parties centrales sont occupées par de la croûteocéanique de 10 à 20 km d’épaisseur. Inversement, la croûte continentale est particulièrementépaisse sous les chaînes de montagnes récentes : Alpes (60 km), Carpates (50-60 km) etPyrénées (50 km). On met ainsi en évidence sous les régions à relief important des « racinescrustales » où l’épaisseur a été doublée (60 km) par rapport à l’épaisseur normale de 30 kmd’une croûte continentale stable.

L’examen d’une carte de l’anomalie de Bouguer en Europe montre clairement que lesanomalies négatives du champ de pesanteur se superposent à ces racines crustales. Ceci estbien compréhensible puisque à l’emplacement des racines, de la croûte continentale de den-sité moyenne 2,6 remplace le manteau lithosphérique de densité moyenne 3,2.

Cette constatation est à la base de la définition d’une chaîne de montagnes : c’est unezone où la croûte continentale est plus épaisse que la normale, mais pas la lithosphère.

Les modalités de l’épaississement crustal

La question qui se pose alors est de déterminer quels sont les processus géologiques àl’origine de l’épaississement crustal. Théoriquement, trois mécanismes peuvent être invoqués(fig. 4) : 1) un serrage symétrique (ou coaxial), 2) un cisaillement plat (ou non-coaxial), 3) untransfert de matériel du manteau dans la croûte. Si les deux premiers mécanismes sont fon-damentalement tectoniques, le troisième est typiquement magmatique. Le serrage symétriqueest responsable d’une anisotropie des roches, (appelée schistosité ou foliation selon l’impor-tance des recristallisations métamorphiques associées), verticale et d’une anisotropie linéaire(ou linéation d’étirement et minérale) verticale. Au contraire, le cisaillement plat (ou chevau-

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Subductionintra-océanique

Subductioncontinentale= obduction

Subduction océanique sousune lithosphèrecontinentale =marge active

Collision continentale

LVZ

LVZ LVZ

LVZ

LVZ LVZ

LVZLVZ

arc volcanique

prisme d'accrétion

nappe ophiolitique

nappe ophiolitiquezone de sutureavant-pays

arrière-pays

MOHO

MOHOMOHO

MOHO

arc magmatique

Manteau lithosphérique

Croûte continentale

Croûte océanique

Asthénosphère

2. - Les différents cas théoriques de subduction

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100 km

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ETAT INITIAL : Croûte et lithosphère d'épaisseur normale

Arc Magmatique

LVZ

Epaississement crustal par serrage coaxial avec allongementvertical

Epaississement crustal par cisaillement plaet allongement subhorizontal

Epaississement crustal par magmatisme

30 km

100 km

Transfert de matière du manteau vers la croûteau cours d'une subduction

croûte supérieure fragilecroûte inférieure ductile

MOHO

LVZ

manteau supérieur lithosphérique

manteau supérieur asthénosphérique

4. - Schéma théorique des mécanismes possibles d’épaississement crustal

chement) est à l’origine d’une foliation à faible pendage et d’une linéation d’étirement sub-horizontale. L’étude des chaînes de montagnes montre que le mécanisme du cisaillement platassocié aux chevauchements prédomine largement.

Le principe du cisaillement simple (fig. 5A) est un modèle théorique très schématique.Dans la nature, la déformation est, la plupart du temps, hétérogène, ce qui introduit des com-plications (fig. 5B). Dans une déformation non-coaxiale, plus le cisaillement, mesuré par leparamètre γ, augmente, plus le grand axe, X, de l’ellipse de déformation se rapproche de ladirection de cisaillement et par conséquent l’angle α diminue. Pour des valeurs de γ de l’ordrede 5 ou 6, l’angle α devient très petit. En pratique, il devient alors impossible de distinguer ladirection de cisaillement et la direction d’allongement maximum (X), c’est-à-dire queconcrètement, il devient légitime de considérer que l’orientation de la linéation d’étirementindique aussi la direction de cisaillement et donc de transport de la matière. Ce postulat estimplicitement admis par les géologues qui considèrent que dans les zones profondes et duc-tiles des chaînes de montagnes, la linéation d’étirement indique la direction de déplacementdes nappes de charriage.

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Profils rhéologiques et discontinuités crustales.

Les variations de comportement rhéologique d’une lithosphère peuvent être représentéespar un diagramme donnant les variations du déviateur des contraintes (paramètre [σ1 - σ3]]/2)en fonction de la profondeur (z). La grandeur (σ1 - σ3)/2 traduit la « déformabilité » desroches, (en anglais « strength »). σ1 est la contrainte principale maximale s’exerçant sur lesmatériaux, σ3 est la contrainte principale minimale, (σ1 - σ3)/2 exprime donc la contraintenécessaire à la déformation des roches. L’allure de ces courbes, appelées courbes rhéolo-giques (fig. 6), dépend de la roche considérée et plus précisément des propriétés physiquesdes minéraux constitutifs et du géotherme, c’est-à-dire des variations de température avec laprofondeur T = f(z). Pour établir ce graphique il faut donc connaître la nature et la proportionrelative des minéraux constitutifs des roches le long du profil. En première approximation, onconsidère que la rhéologie de la croûte continentale est contrôlée par le quartz et celle dumanteau est contrôlée par l’olivine car ce sont les minéraux prédominants dans ces enve-loppes. De 0 à 15 km de profondeur, la relation entre la profondeur (z) et (σ1 - σ3)/2 est dutype P = ρgz (avec ρ : densité, g accélération de la pesanteur). C’est la loi de Bayerlee qui tra-duit le fait que la croûte se déforme de façon cassante et que la température intervient peu. A

Biologie Géologie n° 4-2004 741

Déformation homogène

Déformation hétérogène

γ γ = tg= tgϕ

ϕ

α direction du direction du cisaillementcisaillement

axe Xaxe X

axe Zaxe Zγ = 2 cotg 2 = 2 cotg 2αX/Z = 1+X/Z = 1+γ2

5. - Principe du cisaillement simple (déformation homogène) et d’un cisaillement hétéro-gène

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partir de 15 km, la température atteint 350 °C, le quartz devient ductile. Les roches se défor-ment sans se casser, elles fluent comme des liquides visqueux. La valeur de (σ1 - σ3)/2 décroîtexponentiellement jusqu’à 30 km. La forme exponentielle de la loi prend en compte le géo-therme et la vitesse de déformation qui est le paramètre le plus important dans la déformationductile des roches, beaucoup plus que les contraintes. Pour fixer les idées, dans le domaineductile, la vitesse de déformation est de l’ordre de 10-15 à 10-18 % s-1. C’est très faible, maissi on calcule le nombre de secondes qu’il y a en 1 million d’années, on voit que finalement,la déformation n’est pas du tout négligeable puisqu’elle peut atteindre plusieurs centaines,voire milliers, de %. A 30 km de profondeur, on change de matériau, le minéral dominant estl’olivine, qui dans ces conditions de température (800 à 900 °C) a un comportement fragilede type Bayerlee. Vers 50 km, la température atteint 1200 °C, l’olivine devient ductile et lemanteau se déforme de façon continue jusqu’à la LVZ.

Dans la réalité, les variations lithologiques à travers la croûte font que les profils rhéolo-giques peuvent prendre une forme en dents-de-scie (les anglo-saxons parlent de « l’arbre deNoël rhéologique »). Ces changements de comportements rhéologiques entre des domainesductiles et cassants successifs permettent de comprendre pourquoi les zones de cisaillementse localisent le long de discontinuités crustales. La limite croûte-manteau ou MOHO consti-

742 Biologie Géologie n° 4-2004

σ1-σ3 (déviateur des contraintes)

Z (profondeur) km Z (profondeur) kmLVZ

Croûte ductile

Croûte fragile

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loi de Bayerlee (quartz)

Manteau fragile(olivine)

Manteau ductile(olivine)

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Température (°C)

Géotherme

Profil rhéologique théorique et géotherme correspondant pour une lithosphère continentale simplifiée constituée essentiellement de quartz et olivine. Le comportement rhéologique dépend du géotherme, de la lithologieet de la vitesse de déformation

LVZ

6. - Exemple de courbe rhéologique de la lithosphère continentale correspondant augéotherme représenté à côté

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tue la plus importante de ces discontinuités, mais il en existe d’autres comme l’interface entreles séries sédimentaires de la croûte supérieure et les roches métamorphiques de la croûtemoyenne ou encore la limite entre la croûte moyenne hydratée et la croûte inférieure plus« sèche » déjà identifiée par les sismologues comme la discontinuité de Conrad. En Europeoccidentale, l’importance de la discontinuité socle-couverture est encore accentuée parl’existence d’évaporites qui même à basse température peuvent se déformer ductilement. Lesprofils sismiques réalisés à travers les continents montrent l’existence dans la croûte infé-rieure de nombreux réflecteurs subhorizontaux. On parle de la croûte inférieure litée proba-blement constituée par des granulites comparables à celles que l’on peut observer dans lazone d’Ivrée des Alpes ou en enclaves dans les basaltes du Massif Central. Le litage de cettecroûte inférieure est dû à des cristallisations orientées des minéraux métamorphiques pendantla déformation et aussi, en partie, à des concentrations de fluides comme l’ont montré desforages très profonds.

Un exemple : la collision indienne et la formation de l’Himalaya

Les preuves de la dérive de l’Inde

Bien que l’existence de flores gondwaniennes (comme les fougères arborescentes du gen-re Glossopteris) en Inde ait depuis longtemps suggéré qu’au Carbonifère ce continent etaitplus proche de l’Afrique et de l’Australie que de l’Asie, il est intéressant de remarquer quedans les schémas paléo-géographiques de Wegener, l’Inde reste solidaire de l’Asie. C’est en1924 que le géologue suisse E. Argand proposa que la chaîne de l’Himalaya soit le résultatd’un rapprochement entre l’Inde et l’Asie. Les conceptions d’Argand ont joué un grand rôledans l’évolution des idées sur le mobilisme continental, mais pour cet auteur, les déplace-ments restaient de l’ordre de quelques centaines de km.

C’est à partir des années 70, que dans le cadre de la tectonique des plaques, les géologueset les géophysiciens ont pu démontrer que l’Inde s’était déplacée vers le nord de plusieursmilliers de km, environ 6000 km (fig. 7). Les anomalies magnétiques de l’océan indien et lespaléo-latitudes déterminées à partir des roches prélevées sur les continents (Inde, Tibet, Asiecentrale) montrent que l’Inde s’est détachée du Gondwana au Crétacé supérieur, il y a envi-ron 100 Ma lorsque l’océan Indien occidental s’est ouvert. Corrélativement, au nord del’Inde, la convergence est absorbée par la subduction (ou fermeture) vers le nord de l’océanTéthysien sous le Tibet.

La structure de l’Himalaya

Le schéma structural et la coupe de la chaîne de l’Himalaya montrent les grands traitsgéologiques de cet orogène (fig. 8, 9).

La suture de l’Indus-Zhang Bo correspond à ce qui reste de l’océan Téthys. On reconnaîtdes nappes ophiolitiques ainsi que des séries sédimentaires (turbidites, flysch à blocs,mélanges) correspondant à un prisme d’accrétion et aux sédiments syn-tectoniques forméslors de la fermeture de la Téthys.

• Au nord de la suture, le plateau du Tibet est caractérisé par des séries de grès rouges conti-nentaux et de laves calco-alcalines du Crétacé et quelques calcaires marins d’âge crétacé-éocè-ne. Ces roches sont dans l’ensemble faiblement déformées par des plis droits à grand rayon decourbure, sans schistosité et sans métamorphisme associé. Il existe aussi de vastes plutons degranitoïdes calco-alcalins (granodiorite, diorite) formant le batholite trans-himalayen.

Biologie Géologie n° 4-2004 743

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Inde est

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B

7. - Carte de la dérive de l’Inde vers le nord et courbes des vitesses de convergence(d’après Patriat et al., 198)

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Biologie Géologie n° 4-2004 745

500 km

Plateau du Tibet

MCT

Batholite trans-himalayenASIE

INDE

Suture ophiolitique de l'Indus

Haut Himalaya Dalle du Tibet

Bas Himalaya

Siwaliks

Bramhapoutre

Gange

MBT

INDE

MBT MCT FNNH KT ObductionSutureduTsang Po

Bloc de LhassaInde

100 km

0

Couverture sédimentaire de l'Inde

Socle précambrien de l'Inde Roches sédimentairestéthysiennes

OphiolitesGranodiorites d'arc

Séries volcano-sédimentaires

Leucogranites

8. - Carte structurale de la chaîne himalayenne (d’après Debelmas et Mascle, 1997 ; Brunel, 1986)

9. - Coupe schématique de l’Himalaya (simplifiée d’après Brunel, 1986)

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• Au sud, sous les flyschs à blocs, le continent indien est subdivisé en Haut Himalaya,Bas-Himalaya et Sous-Himalaya. Le Haut-Himalaya comprend au nord la zone Téthysienneconstituée de roches sédimentaires plissées, déversées au sud et transportées par le chevau-chement de Kangmar sur les séries téthysiennes de la « dalle du Tibet ». Il s’agit de rochessédimentaires paléozoïques reposant sur des gneiss à disthène et sillimanite. L’ensemblemétamorphique du Haut-Himalaya chevauche le Bas-Himalaya par l’intermédiaire duChevauchement Central Principal (MCT = Main Central Thrust). Le Bas-Himalaya formé deroches sédimentaires et métamorphiques chevauche également vers le sud des formations ter-rigènes du Tertiaire inférieur qui constituent la zone sous-himalayenne (ou « collines desSiwaliks »). Ce chevauchement est appelé le Chevauchement Bordier Principal ou MBT(= Main Boundary Thrust).

Cette zonation montre clairement que les deux continents qui sont entrés en collision sonttrès inégalement déformés. Le continent asiatique en position supérieure est peu déformé. Lecontinent indien en position inférieure est débité en grandes lames crustales séparées parplusieurs chevauchements ductiles : suture ophiolitique, Kangmar, MCT et MBT. La structu-re de l’Himalaya, bien connue dans la partie centrale, au Népal, se suit tout le long de la chaî-ne sur près de 2500 km.

Les roches métamorphiques du Haut-Himalaya sont caractérisées par des linéationsd’étirement transverses à la chaîne indiquant le sens de déplacement des nappes vers le sud,conformément au modèle du cisaillement simple (fig. 8). La chaîne de l’Himalaya présenteaussi un métamorphisme inverse. Pendant que le fonctionnement des cisaillements crus-taux, l’empilement d’une nappe plus chaude que l’unité sous-jacente provoque son réchauf-fement et la formation de nouveaux minéraux métamorphiques de haute température et bas-se pression comme biotite, grenat, staurotide. Les isogrades du métamorphisme le plusintense (sillimanite, muscovite) s’observent au niveau du contact des nappes. Puis lorsqu’ons’éloigne du contact, la chaleur diminue, le métamorphisme décroît, on observe du grenatassocié à de la staurotide puis du grenat et de la biotite. Le métamorphisme s’accompagne defusion crustale (ou anatexie) à l’origine de plutons leucogranitiques dont la mise en placedans la croûte supérieure est associée à des failles normales. Ainsi, le flanc nord de l’Everest,du côté chinois, est découpé par la faille normale nord himalayenne qui abaisse le compar-timent nord (le Tibet) par rapport à l’Himalaya.

Un scénario d’évolution probable : découplage croûte manteau et Grande Inde

La formation de la chaîne de collision de l’Himalaya se réalise par un empilement crus-tal édifié progressivement dans le temps et dans l’espace. On observe une migration du nordvers le sud des grands cisaillements crustaux (fig. 10). Dans un premier temps, entre leCrétacé supérieur et l’Eocène inférieur, la disparition de la Téthys est accommodée par sasubduction sous l’Asie à la vitesse de 140 mm.an-1. Au Crétacé supérieur, le sud Tibet est unechaîne de subduction de type andin. La croûte océanique téthysienne est ensuite charriée(obductée) sur la partie la plus septentrionale de l’Inde qui subducte sous le Tibet. La colli-sion se produit au début de l’Eocène, vers 50 Ma. Le continent indien est alors découpé engrandes nappes de charriage par les chevauchements de Kangmar, le MCT puis le MBT. Cesont ces cisaillements qui sont à l’origine de l’épaississement crustal. Notons que puisquel’océan indien continue actuellement à s’ouvrir, le rapprochement Inde-Asie se poursuit pardes déformations intracontinentales à la vitesse de 50 mm.an-1. Les anomalies magnétiquesde l’océan Indien montrent que depuis 50 Ma, l’Inde et l’Asie ont connu un raccourcissementintracontinental de l’ordre de 2 500 km. La convergence se poursuit encore actuellementcomme en témoigne la sismicité actuelle des Siwaliks et même parfois en Inde. Des considé-rations structurales, géophysiques et paléogéographiques amènent la plupart des auteurs à

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conclure qu’avant la collision, le continent indien s’étendait plus au nord sur environ1 000 km de large. Ce domaine, situé au nord de l’Inde actuelle et appelé la Grande Inde(Greater India), a donc disparu par subduction sous la chaîne de l’Himalaya (fig. 11).Ce schéma évolutif montre aussi que la collision indienne est responsable d’un épaississe-ment limité à la croûte. On doit donc admettre l’existence d’un découplage mécanique trèsimportant entre la croûte et le manteau lithosphérique, au niveau du MOHO. De récentesétudes de tomographie sismologique ont montré l’existence, dans l’asthénosphère, àl’aplomb du continent indien, d’anomalies positives de la vitesse des ondes P (fig. 12). Cesanomalies sont interprétées comme des panneaux de manteau lithosphérique détachés lors dela collision indienne ou lors de subductions mésozoïques antérieures à la collision.

Biologie Géologie n° 4-2004 747

1

12

3 12

4 123

Subduction océaniquePrisme d'accrétion

Obduction

Ecaillage crustal

Propagation de la déformation

décollement croûte-manteau

10. - Modèle d’évolution géodynamique de l’Himalaya (d’après Mattauer, 1986)

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748 Biologie Géologie n° 4-2004

Apulie

Inde IndeGrande

Lhassa

Sikhote Alin

Japon

W. Philippines

Tethys

Valaisan

Liguro-Piemontais

AtlantiqueCentral

Golfe duMexique FAG

FNP

FC FG

FAG : faille Açores-Gibraltar FNP : Faille Nord Pyrénéenne FC : Faille des Cévennes FG : Faille des Grisons

Tur

Tur : Turquie Ir : Iran AF : Afghanistan

IndochineIr Af

Antarctique Australie

500

1500

1000

2000

2500

IndeTibet

1 : lithosphère relique de la collision jurassique du bloc de Lhassa avec l'Asie2 : lithosphère océanique de la subduction andine de la Tethys3 : lithosphère océanique de la subduction intraocéanique de la Tethys4 : lithosphère continentale de la Grande Inde

1

2

3

4

12. - Interprétation des données tomographiques sous l’Inde et le Tibet (d’après Van derVoo et al., 1999).

11. - Reconstruction paléogéographique globale au Jurassique supérieur montrant laGrande Inde et les bassins océaniques alpins : liguro-piémontais et valaisan

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Les effets à grande distance de la collision indienne

La collision continentale ne se limite pas à la zone de contact entre les deux plaques,c’est-à-dire à la chaîne de l’Himalaya. La déformation affecte des régions éloignées de plu-sieurs centaines voire des milliers de km. Les déformations tertiaires d’Asie s’étendent del’Himalaya au lac Baïkal et de l’Afghanistan au Vietnam.

Le modèle du « poinçon continental rigide » proposé par Molnar et Tapponnier en 1976est devenu très populaire. Selon ce modèle, la croûte indienne rigide déforme, « poinçonne »,la croûte asiatique plus ductile et hétérogène en réactivant certaines structures héritées destectoniques paléozoïques et mésozoïques. Au nord du Tibet, la compression himalayenne estresponsable de la réactivation de failles paléozoïques et de la surrection des chaînes du KunLun et du Tian Shan qui peuvent atteindre des altitudes très élevées (entre 3000 et 5000 m).L’Asie Centrale fournit donc un exemple exceptionnel de subduction continentale (fig. 13).

Le poinçonnement indien est aussi accommodé par un échappement de l’Asie vers l’estrendu possible grâce à l’existence du bord libre constitué par les zones de subduction de lapartie orientale de l’Eurasie sous les plaques Pacifique et Mer des Philippines : arcs desKouriles, du Japon, de Nankai et des îles Ryukyu, de Manille. Ainsi, au nord de l’Himalaya,le plateau du Tibet est découpé par de grands décrochements sénestres dont la faille del’Altyn Tag constitue la structure la plus spectaculaire. A l’est, des décrochements lithosphé-riques accommodent l’extrusion de grands blocs crustaux : Indochine, Chine du Sud, Chinedu Nord et Mongolie. Ce déplacement vers l’est s’accompagne d’une distension crustale.C’est ainsi que l’on peut expliquer la formation de plusieurs systèmes de rifts continentaux dedirection globale N-S : Tibet central, lac Baïkal, Shanxi. Dans certaines régions, l’étirementcrustal est tellement important que la croûte continentale disparaît et est remplacée par de la

Biologie Géologie n° 4-2004 749

Himalaya suture du Tsang-Po

TIBETINDE

Kunlun

TARIM

Tianshan

JUNGGAR

Altai

SIBERIEUplift du plateau

Détachement du manteau lithosphérique

13. - Coupe schématique de l’Asie Centrale à l’échelle de la lithosphère

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croûte océanique. Les bassins océaniques de la Mer de Chine du Sud et de la Mer d’Andamanseraient formés de cette manière.

Remarquons que le modèle du « poinçon » est bidimensionnel (2D en plan). Il tient peucompte de la dimension verticale. Mécaniquement, l’extrusion latérale vers l’est de l’Asie estincompatible avec la subduction continentale de grande ampleur qu’implique la reconstruc-tion de la « Grande Inde ». Dans l’état actuel des connaissances, il n’existe pas de modèlesatisfaisant permettant de concilier les deux interprétations (fig. 14).

Deux autres aspects de la collision indienne demeurent encore mal expliqués, il s’agit dela haute altitude (5000 m en moyenne) du plateau du Tibet et de l’origine de la croûte épais-se de 50 km sous ce plateau. Pour certains auteurs, l’augmentation d’altitude qui est un phé-nomène très récent d’âge Miocène serait due au détachement d’une partie du manteau litho-sphérique (fig. 12). Ainsi, comme un bateau dont la ligne de flottaison remonte si on enlèveson lest, l’altitude d’une plaque augmente si elle s’allège en perdant une partie de son man-teau lithosphérique. Si cette explication est souvent proposée, le mécanisme conduisant à laperte du manteau reste encore largement inexpliqué. On pourrait invoquer l’action de cou-rants de convection dans l’asthénosphère qui « éroderaient » le manteau lithosphérique ouencore le « détachement en masse » de ce manteau.

La racine crustale étant située sous l’Himalaya, c’est-à-dire au Sud du plateau, on ne peutpas invoquer la collision pour rendre compte de l’épaississement crustal du Tibet. Une hypo-thèse privilégie le rôle de l’héritage tectonique antérieur à la collision indienne. En effet, leTibet est constitué de plusieurs microcontinents issus du Gondwana et entrés en contact avecl’Asie au Mésozoïque. Il s’agirait donc d’un épaississement fossile.

750 Biologie Géologie n° 4-2004

poinçon rigide

INDE

ASIE

croûtedéformable

su

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n océanique

IndeOcéanindien

Makran

subduction de la plaque indo-australienne

14. - Les deux modèles du poinçon rigide et de la subduction continentale de la GrandeInde pour expliquer la tectonique de l’Asie (d’après Mattauer et al., 1999).

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Le cas des Alpes franco-italiennes

La structure de la chaîne

Il ne s’agit pas ici de décrire en détail la structure et l’évolution géodynamique de la chaî-ne des Alpes qui est également un exemple classique de chaîne de collision. Les Alpes sontétudiées depuis près de deux siècles, il est donc beaucoup plus difficile d’extraire les infor-mations les plus significatives au sein d’une énorme masse de données. En outre, la paléo-géographie qui contrôle le dépôt des sédiments ultérieurement tectonisés est beaucoup pluscomplexe que dans l’Himalaya et par conséquent les structures résultantes sont égalementassez complexes. Une autre différence entre les deux chaînes est due au fait que la chaînealpine résulte de la collision de deux continents, l’Europe et l’Apulie, issus d’une même mas-se continentale initiale, la Pangée, préalablement structurée au Paléozoïque lors de la forma-tion de la chaîne hercynienne. De ce fait, les socles des deux continents possèdent de grandesanalogies.

D’une manière très simple, la chaîne alpine peut être perçue comme la superposition detrois unités, de bas en haut de l’édifice :

a) la croûte continentale de l’Europe, écaillée et métamorphisée à des degrés divers,mais globalement de plus en plus intensément d’Ouest en Est, selon les différents sous-domaines : dauphinois, ultra-dauphinois, sub-briançonnais, briançonnais, massifs cristallinsinternes ;

b) la nappe des schistes lustrés à ophiolites (Viso, Chenaillet, etc.) représentant lesreliques de l’océan liguro-piémontais ;

c) le socle continental de l’Apulie et sa couverture sédimentaire mésozoïque peu défor-mée forme le domaine austro-alpin, représenté dans les Alpes Occidentales par les sommetsdu Cervin et de la Dent Blanche, qui chevauche la suture ophiolitique.

Cet empilement est responsable de l’épaississement crustal qui atteint 60 km. Le méta-morphisme de haute pression et même d’ultra-haute pression (éclogites à coesite de DoraMaira) démontre que la croûte continentale de la plaque inférieure a connu une subductioncontinentale puis une exhumation rapide.

L’analyse de la déformation ductile, en particulier des linéations d’allongement, du méta-morphisme associé à la déformation ductile et des données géochronologiques permettentd’identifier trois grandes phases de déformation et de métamorphisme (fig. 15).

a) des cisaillements contemporains d’un métamorphisme de HP/BT daté entre 50 et40 Ma ;

b) des cisaillements vers l’ouest nord-ouest, dans le faciès des schistes verts, d’âge éocè-ne (40-30 Ma) ;

c) des cisaillement tardifs vers le NW, d’âge oligo-miocène (30-15 Ma), associés à un trèsfaible métamorphisme (faciès des schistes verts ou des zéolites).

Au milieu des années 80, des éclogites à coesite ont été découvertes pour la première foisdans le massif de Dora Maira. Cette découverte a profondément bouleversé les idées surl’évolution géodynamique de la lithosphère. En effets ces minéraux de ultra-haute pressionindiquent que des roches continentales peuvent être subductées à des profondeurs asthéno-sphériques puisque la stabilité de la coesite implique des pressions de 3 Gpa, correspondant àdes profondeurs de l’ordre de la centaine de km. Cependant, l’âge du métamorphisme de HPet UHP reste un problème. Des datations radiométriques (Ar/Ar notamment) indiquent un âgecrétacé pour cet événement qualifié de « eo-alpin » précoce. D’autres datations (U/Pb,Sm/Nd) donnent des âges éocène. De nombreux géologues alpins considèrent que le méta-morphisme de HP et UHP est éocène, les âges crétacés étant dus à des problèmes d’excèsd’argon dans les minéraux. Cependant, d’autres considérations géologiques, comme lesflyschs crétacés, suggèrent aussi l’existence d’un événement eo-alpin.

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L’évolution géodynamique des Alpes Occidentales

Les auteurs s’accordent sur les grandes étapes de la formation de la chaîne. On distingueainsi :

– le rifting du Trias supérieur au Jurassique : après une période de distension intraconti-nentale au Trias-Lias, l’océan Liguro-Piemontais s’ouvre du Jurassique moyen au Crétacéinférieur (fig. 11) ;

– la subduction océanique commence dès le début du Crétacé inférieur (90-80 Ma) com-me en témoignent les flyschs (p. ex. flyschs à Helminthoïdes de l’Embrunais) interprétéscomme des dépôts de prisme d’accrétion ;

– la subduction continentale qui succède à la subduction océanique reste mal datée. Pourcertains auteurs, elle commence au Crétacé supérieur (vers 80-70 Ma) pendant la phase eo-alpine. Elle serait responsable de la déformation syn-métamorphe, en contexte de haute àultra-haute pression des massifs cristallins interne (Mont Rose, Grand Paradis, Sesia) ;

– la collision atteint son climax au Paléocène (vers 50 Ma). La propagation de la défor-mation d’est en ouest est bien analysée par la migration des bassins turbiditiques dans les-

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green schists

15-30 MaSchistes vertsPrehnite-pumpellyiite

30-40 MaAmphiboliteSchistes verts

40-50 MaSchistes bleus Eclogite

Digne

Turin

Grenoble

green schists

amphibolite

amphiboliteInsubric F.

back-folding axisback-folding axis

back-folding axis

Sens de cisaillement ductile, métamorphisme et âge associés

15. - Carte cinématique des Alpes occidentales (d’après Lemoine et al., 2000)

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quels se déposent des flyschs. Ainsi, dans la zone briançonnaise, les flyschs à blocs sont d’âgeéocène alors que dans les zones ultra-helvétique et helvétique, ils sont Eocène supérieur àOligocène. Au nord et à l’ouest de la zone helvétique, des dépôts molassiques peu profondsse forment au front de la chaîne entre l’Oligocène supérieur et le Miocène.

Les traits originaux des Alpes comparés à ceux de l’Himalaya

Des ophiolites atypiques

Dans les Alpes occidentales, les ophiolites sont très bien exposées dans des massifscélèbres : Viso, Chenaillet, Queyras. Les roches basiques ou ultrabasiques sont recouvertespar des radiolarites du Jurassique moyen et par des calcaires ou des schistes noirs du Crétacé.Contrairement à d’autres séries ophiolitiques (Oman, Nouvelle-Calédonie, etc.), le réseaufilonien de diabase est absent, les gabbros sont rares et les massifs ultrabasiques modestes.On observe souvent des roches sédimentaires directement posées sur des serpentinites ce quitémoigne d’une altération et d’une dénudation du manteau avant la tectonique alpine. On ren-contre également des ophicalcites qui sont des brèches à fragments de gabbro ou de serpenti-nite dans une matrice carbonatée. Ces roches peuvent être considérées comme des brècheshydrauliques témoignant d’une importante circulation de fluides le long de failles. Plus géné-ralement, l’abondance de brèches de roches basiques, de grès gabbroïques et de hyaloclastitesmontrent l’existence d’un détritisme ophiolitique, connu par ailleurs dans d’autres environ-nements sous-marins comme des failles transformantes ou des zones de démantèlementd’ophiolites (c’est le cas par exemple au Japon sud-ouest). Ces faits sont invoqués pour consi-dérer que l’océan liguro-piémontais était de petite taille (moins de 1 000 km) et comparti-menté par plusieurs failles transformantes.

En Savoie et en Suisse, on connaît aussi des ophiolites dans le domaine valaisan. Il s’agitsans doute d’un petit bassin océanique situé à l’ouest de l’océan liguro-piemontais (fig. 11).Ainsi l’océan alpin se révèle être un bassin de taille modeste qui n’est qu’un appendice del’Atlantique central, limité par les failles transformantes des Açores-Gibraltar au sud et desGrisons au nord. De même, il se pourrait que l’ouverture du petit bassin valaisan soit contrô-lée par des décrochements tardi-hercyniens réactivés comme la faille des Cévennes et la faillenord pyrénéenne.

Une marge passive assez bien préservée

Malgré la déformation alpine, responsable de « l’inversion tectonique », des structurescontemporaines du stade de rifting peuvent encore être identifiées dans la zone helvétique. Larégion du Taillefer-col du Lautaret est un site classique où l’on retrouve des blocs basculéslimités par des failles normales et des discordances progressives dues à la sédimentation syn-rift. Des structures comparables, non reprises (non-inversées) par l’orogenèse alpine, se ren-contrent dans le bassin du sud-est et jusqu’à la marge ardéchoise. La faille des Cévennesconstitue la limite occidentale de ce domaine en distension, formé lors de l’ouverture del’océan liguro-piémontais.

Un « couvercle » des nappes de socle austro-alpines

Contrairement à l’Himalaya, dans les Alpes, les nappes ophiolitiques ne représentent pasles unités les plus élevées de l’édifice. Des nappes crustales formées d’un socle de rochesmétamorphiques et magmatiques paléozoïques et d’une couverture de séries sédimentairesmésozoïques recouvre les ophiolites. Il s’agit des nappes austro-alpines, le fameux « traîneauécraseur » de P. Termier, très développées dans les Alpes orientales (Autriche, Suisse, Italie).

Biologie Géologie n° 4-2004 753

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Dans les Alpes franco-italiennes, elles forment les klippes modestes, mais spectaculaires, dela Dent Blanche ou du Cervin.

Le problème de la zone Sesia

Le massif de Sesia constitue le massif cristallin interne le plus oriental des Alpes franco-italiennes. Il est constitué de roches métamorphiques de haute pression (c’est dans cette zoneque se trouve le remarquable Monte Mucrone qui est un granite hercynien entièrement éclo-gitisé). Pour de nombreux auteurs, la zone Sesia appartiendrait à la partie la plus inférieuredes nappes austro-alpines. Cependant, l’intensité du métamorphisme et de la déformationsubis par ces roches suggèrent qu’elles appartiennent plutôt à la croûte européenne profondé-ment subductée. Cette question importante, puisqu’elle conditionne la position de la suturealpine, reste encore débattue.

Le problème du « corps d’Ivrée »

On sait depuis longtemps qu’il existe une très forte anomalie positive de gravité àl’aplomb de la zone d’Ivrée, appelée le « corps d’Ivrée ». La modélisation de cette anomalieindique qu’elle diminue vers l’ouest. Le profil ECORS-Alpes confirme également l’existen-ce du corps d’Ivrée. De nombreux auteurs considèrent que le corps d’Ivrée est constitué pardu manteau lithosphérique apulien venant « poinçonner » l’empilement des nappes. Cetteinterprétation implique que la limite lithosphérique que représente la suture ophiolitique soitcisaillée. Un tel processus est mécaniquement très difficile. Une autre possibilité serait deconsidérer que les roches denses qui constituent le corps d’Ivrée ne sont pas du manteau, maisde la croûte continentale éclogitisée (fig. 16). Il est alors intéressant de remarquer que l’ano-malie de gravité se trouve au-dessus du massif éclogitique de Dora Maira.

Les éléments manquants

Il est bien sûr plus difficile de discuter de l’absence d’un fait que de sa présence, mais onpeut néanmoins souligner les traits suivants.

Absence d’arc magmatique. Bien que l’on connaisse des formations terrigènes remaniantdes éléments volcaniques calco-alcalins (p. ex. flyschs oligocènes de Taveyannaz), contraire-ment à l’Himalaya, il n’existe pas dans les Alpes d’arc magmatique correspondant à la sub-duction anté-collisionnelle. Ce fait est généralement expliqué par la brièveté de la subductionet son faible pendage (il s’agit d’une subduction forcée d’une lithosphère jeune).

Absence de fusion crustale. Contrairement aux chaînes himalayenne ou hercynienne,l’anatexie crustale et le plutonisme sont pratiquement absents dans les Alpes. Les petits mas-sifs granitiques de Bergell et d’Adamello à la frontière italo-helvétique ainsi que le dôme duTessin sont les rares représentants des phénomènes thermiques post-collisionnels (fusioncrustale ou métamorphisme de HT) dans la chaîne alpine. Certains auteurs considèrent quedes plutons granitiques sont présents en profondeur mais pas encore exposés à la surface. Cetargument se heurte à la présence de roches de ultra-haute pression formées plus profondé-ment et pourtant elles déjà exhumées. Une autre hypothèse séduisante est de considérer queles roches continentales qui constituent la chaîne alpine ne sont plus « fertiles ». En effet, cesroches ayant déjà exprimé des liquides magmatiques lors de l’orogenèse hercynienne, leurspotentialités comme sources de magmas pendant l’orogenèse alpine sont quasi nulles.

754 Biologie Géologie n° 4-2004

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Biologie Géologie n° 4-2004 755

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Les caractères généraux des chaînes de collision

Les marqueurs de la collision

A la lumière des exemples précédents, plusieurs critères d’identification d’une chaîne decollision peuvent être mis en avant. Cependant, certains caractères, bien que nécessaires nesont pas suffisants pour conclure à une collision continentale. On retiendra la présence deséléments suivants :

– une suture ophiolitique entre deux continents, mais il existe des nappes ophiolitiquessans collision ;

– des traces de subduction océanique précédant la collision : arc magmatique, prismed’accrétion dans la plaque supérieure ;

– des traces de marge passive inversée dans la plaque inférieure ;– des preuves d’épaississement crustal d’origine tectonique : nappes, chevauchements ;– des marques d’un métamorphisme de haute pression et/ou un métamorphisme inverse

(selon le modèle classique du « fer à repasser ») dans les nappes crustales de la plaque infé-rieure ;

– une racine crustale mise en évidence par la sismologie ou la gravimétrie ;– un relief important dans les chaînes récentes, mais tous les reliefs élevés ne résultent pas

de collision.

Les conséquences géologiques de la collision

Les deux derniers critères s’appliquent aux chaînes récentes, ils manquent la plupart dutemps dans les chaînes anciennes. En effet, afin de retrouver son équilibre isostatique, unecroûte continentale, mécaniquement et thermiquement perturbée par l’épaississement, varecouvrer son épaisseur initiale en faisant disparaître le relief et la racine, on parle de « des-épaississement crustal ». Intuitivement, il est facile de concevoir que le relief que constitueune chaîne de montagne est un site privilégié pour l’érosion. Il est classique d’observer dansles chaînes anciennes que le relief a été arasé et que les anciennes structures, comme les plis,sont recouvertes en discordance par des dépôts terrigènes.

Cependant, la comparaison des volumes érodés, estimés à partir de la profondeur de for-mation des roches métamorphiques affleurantes et des volumes de roches sédimentairesdéposées dans les bassins autour des chaînes montre que le compte n’y est pas. Même impor-tante, l’érosion seule ne peut pas rendre compte de la mise à l’affleurement de roches méta-morphiques et magmatiques formées profondément dans la croûte. Il est nécessaire de faireaussi appel à des mécanismes tectoniques pour expliquer l’exhumation des racines deschaînes. L’instabilité gravitaire créée par l’épaississement constitue le moteur de la tecto-nique de des-épaississement. Ainsi on peut dire qu’une chaîne de montagnes porte en ellemême les germes de sa disparition car elle s’écroule sous son propre poids. Plusieurs phé-nomènes accompagnent le des-épaississement crustal.

Effets mécaniques : compression et extension

Les cisaillements plats sont responsables de l’épaississement crustal. Au cours de ladéformation ductile, les roches acquièrent des anisotropies planaire (foliation) et linéaire(linéation) irréversibles qui conditionnent leur comportement rhéologique ultérieur.Contrairement à une idée répandue dans les années 80, la déformation ductile des roches nesignifie pas nécessairement tectonique compressive. On a pu établir, par l’étude des cor-dillères nord-américaines notamment, que de grandes failles normales ductiles à faible pen-

756 Biologie Géologie n° 4-2004

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dage pouvaient se former dans la croûte moyenne et inférieure et exhumer les roches méta-morphiques de la croûte profonde dans des dômes métamorphiques (fig. 17).

Dans une chaîne de montagnes, la tectonique extensive peut se produire soit pendant lacompression : c’est l’extension syn-orogénique, soit après la compression : c’est l’extensiontardi- à post-orogénique (fig. 18). Dans l’Himalaya, le fonctionnement simultané de la faillenormale nord himalayenne et du MBT illustre bien l’extension syn-orogénique (fig. 9). Dansles Alpes, la faille normale du Viso est aussi une structure importante pour accommoder ledes-épaississement. Des modélisations analogiques, (fig. 19) reproduisent l’exhumation d’uncoin crustal limité à sa base par un chevauchement et à son toit par une faille normale.Comme le moteur de l’exhumation est la poussée d’Archimède qui fait remonter les unités lesplus légères, l’érosion, en allégeant le coin crustal accélère son exhumation.

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Modèle d'exhumation de roches metamorphiques profondes et de formation d'un dôme métamorphique (metamorphic core complex) avec un étirement horizontal de la croûte de 55%

17. - Schéma de formation d’un dôme métamorphique (Metamorphic Core Complex)montrant l’exhumation des roches métamorphiques (d’après Spencer, 1984).

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758 Biologie Géologie n° 4-2004

Extension syn-compression

Suture

bassin intramontagneux bassin

d'avant-chaînebassin

d'avant-chaîne

Extension post-orogénique

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Extrusion d'un coin crustal

Début de l'effondrement gravitaire

demi-grabben

magmatisme crustalgranulitisation en base de croûte

18. - Les divers cas d’extension dans les chaînes de montagnes (d’après Malavieille, 1993)

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Biologie Géologie n° 4-2004 759

erosion

erosion

19. - Modélisation analogique de l’exhumation d’un coin crustal pendant une compres-sion et favorisé par l’érosion (d’après Chemenda et al., 1996)

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Effets métamorphiques

Au cours de son histoire, une roche impliquée dans la formation d’une chaîne vaconnaître des successions de conditions de pression (P) et de température (T) qui peuvent êtrequantifiées par l’étude des minéraux métamorphiques. On représente graphiquement cesvariations thermodynamiques par des diagrammes de trajets P-T. Quand les conditions le per-mettent, le trajet P-T peut aussi être paramétré en fonction du temps. Le trajet rétrogradecontemporain de l’exhumation peut s’accompagner ou non de fusion crustale (fig. 20). Enprofondeur, l’extension ductile, contemporaine du métamorphisme granulitique de hautetempérature dû au flux thermique du manteau, est responsable de la formation de la croûteinférieure litée.

760 Biologie Géologie n° 4-2004

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Exhumationavec fusion

Exemples d'évolutions pression-température associées à la subduction continentale et à l'exhumation déterminées par l'étude des minéraux métamorphiques. Les différents domaines de pressions et de températures (éclogite, amphibolite, etc.. ) correspondent à des assemblages minéralogiques caractéristiques pour des compositions chimiques données.

Métam

orphisme syn-subduction

20. - Trajets P-T suivis par les roches continentales impliquées dans la subduction conti-nentale et l’exhumation

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Effets magmatiques

L’épaississement crustal a pour conséquence d’élever le géotherme, notamment à causede l’accroissement des éléments radiogéniques. La fusion crustale, favorisée par une abon-dance de fluides, produit des migmatites et des granites alumineux (à muscovite, cordiérite,grenat). A propos du magmatisme, il est important de distinguer clairement trois aspects : i)la profondeur et la composition des sources des magmas, ii) les modalités de transport desliquides magmatiques dans la croûte et iii) la mise en place finale des plutons. On constateque les roches granitiques possèdent souvent des structures planaires et linéaires qui permet-tent de construire la structure interne d’un pluton. Le passage progressif entre des structuresacquises à l’état magmatique (au cœur des massifs) et à l’état solide après la cristallisation(sur les bordures des plutons) démontre le caractère syntectonique des plutons. A cet égard, lachaîne hercynienne fournit de nombreux exemples de plutons mis en place dans des contextestectoniques décrochants, comme dans le Massif armoricain, ou extensifs, comme dans leMassif Central.

Effets sédimentaires

Les produits de l’érosion de la chaîne vont s’accumuler dans des bassins sédimentaires.On en distingue deux grandes catégories. Les bassins intramontagneux sont des réceptaclesde petite taille, limités au moins d’un côté par une faille normale (fig. 18). Ces demi-grabenssont l’expression de surface de la tectonique extensive au cœur de la chaîne en voie de des-épaississement. Dans le Massif Central, les bassins houillers de Saint-Etienne, Graissessac ouMontluçon sont des exemples classiques de ce type de bassin intramontagneux formés pen-dant l’effondrement gravitaire de la chaîne hercynienne. Les bassins d’avant-pays ou bassinflexuraux représentent les sites d’accumulation des produits terrigènes ayant connu un certaintransport. Il s’agit de dépressions synclinales formées par flexuration de la lithosphère enréponse à l’épaississement de l’arrière-pays (fig. 21). Le « sillon molassique périalpin » ou le« bassin molassique sous-himalayen » correspondent à de telles structures.

Rôle et devenir du manteau lithosphérique

Une chaîne de montagnes résultant d’un épaississement crustal, le manteau qui supportecette croûte doit nécessairement se décoller au niveau du MOHO et s’enfoncer dans l’asthé-nosphère (fig. 22). C’est exactement ce que montre la tomographie sismologique (fig. 12).Cette délamination lithosphérique a d’importantes conséquences géodynamiques.

En profondeur, la substitution de manteau lithosphérique froid par du manteau asthéno-sphérique chaud est susceptible de déclencher la fusion crustale à cause de l’apport de cha-leur et de fluides. En outre, la remontée d’asthénosphère peut aussi engendrer directement desmagmas basaltiques par fusion partielle.

En surface, l’allègement de la plaque produit une surrection (uplift) de la topographie (cf.cas du plateau tibétain, fig. 13). Notons que surrection ou formation du relief n’est pas syno-nyme d’exhumation qui est la mise à l’affleurement de roches métamorphiques.

Enfin, nous évoquerons ici, sans le développer, le rôle important joué par la collisioncontinentale sur l’évolution du climat. Intuitivement, on conçoit facilement que la formationd’un relief va modifier les circulations atmosphériques, le régime des précipitations et la dis-tribution des températures sur de vastes surfaces. Ces perturbations auront en retour desconséquences sur l’installation du réseau hydrographique, le drainage et le stockage desmatériaux terrigènes dans les bassins sédimentaires.

Biologie Géologie n° 4-2004 761

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762 Biologie Géologie n° 4-2004

Région étudiée

50 Km

Sillo

n

Hou

iller

COMMENTRY

COMMENTRY

DOYET MONTVICQ

DOYET-MONTVICQ

décollement hypothétique

PermienStephanien

roches métamorphiques

granite

5 Km

5 K

m

VILLEFRANCHE

VILLEFRANCHEBOURBON

L'ARCHAMBAULT

3E

46N20

MEAULNES

ESTIVAREILLESN

AUMANCE

Montmarault

ST- ELOY

Depots Permiens

Bassin houiller Stéphanien

Granite de Montmarault

Socle métamorphique

Dépots Meso-Cénozoïques

Montluçon

46N20

NOYANTAumance

R.C

her

SSW NNE

2E40 3E

Bourbonl'Archambault

DENEUILLE

21. - Exemple de bassin intramontagneux en demi-graben dont l’ouverture est contrôléepar une faille normale listrique. Cas des bassins houillers d’âge carbonifère supérieur(Stéphanien) du Nord du Massif Central (Faure, 1995).

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✵ ✵

Un phénomène fondamental dans le cycle des mégacontinents

La collision continentale est un processus géodynamique majeur de la lithosphère. C’esten effet un des mécanismes permettant le couplage entre la croûte et le manteau. Les récentesdonnées tomographiques suggèrent que le volume de croûte continentale recyclée dans lemanteau a été jusqu’à présent sous-estimé. Les couplages entre les processus géodynamiquesinternes et externes par l’intermédiaire de la collision sont des sujets de recherche en pleindéveloppement. Leur présentation et leur discussion dépassent le cadre de cet exposé.

La collision est aussi responsable du rassemblement régulier et périodique des massescontinentales en mégacontinents. Dans l’histoire du globe, on commence à identifier descycles de rassemblement et de dispersion des mégacontinents avec une périodicité de l’ordrede 350-400 Ma. La Pangée, formée vers 300-250 Ma, après l’orogenèse hercynienne, est ledernier et le mieux connu de ces mégacontinents. Son éclatement au Mésozoïque puis sonregroupement est à l’origine des chaînes de collision « alpino-himalayennes ». Le rassemble-ment de tous les continents n’est pas encore achevé, puisque la collision Eurasie-Australiecommence à peine au sud de l’Indonésie (Timor, Papouasie-Nouvelle-Guinée) et quel’Atlantique n’a pas encore débuté sa fermeture, ce qui ne saurait tarder, à l’échelle géolo-gique bien sûr!

Avant la Pangée, on identifie les mégacontinents Rodinia vers 750-600 Ma et Columbiavers 1200-1000 Ma. Ces reconstructions paléogéographiques, fondées sur le paléomagnétis-me, les corrélations de formations remarquables (comme les dépôts glaciaires) ou l’analysestructurale des chaînes issues des collisions, restent encore débattues et constituent une desvoies de recherche en sciences de la Terre.

Biologie Géologie n° 4-2004 763

Apport sédimentaire

MOHO

Subsidence

Surrection

Epaississement

crustal

Flexuration de la lithosphère

22. - Schéma conceptuel d’un bassin flexural ou d’avant-pays formé en réponse àl’épaississement crustal de l’arrière-pays

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764 Biologie Géologie n° 4-2004

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