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RENÉ BURRI . MAGNUM Günter Grass UNE CERTAINE IDÉE DE L’ALLEMAGNE STÉPHANE LAVOUÉ . PASCO Figure intellectuelle majeure de la génération 68, l’éditeur s’éteint à 83 ans. PAGES 24-25 François Maspero UNE CERTAINE IDÉE DE LA GAUCHE Prix Nobel en 1999, l’auteur du «Tambour» s’érigeait en mauvaise conscience de la nation allemande. PAGES 2-5 1,80 EURO. PREMIÈRE ÉDITION N O 10544 MARDI 14 AVRIL 2015 WWW.LIBERATION.FR IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCEAllemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 1,90 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 1,90 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal(cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300CFA.

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Figure intellectuellemajeure de lagénération 68, l’éditeurs’éteint à 83 ans. PAGES 24­25

FrançoisMasperoUNECERTAINEIDÉEDELAGAUCHE

Prix Nobel en 1999, l’auteurdu «Tambour» s’érigeaiten mauvaise conscience dela nation allemande. PAGES 2­5

• 1,80 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO10544 MARDI 14 AVRIL 2015 WWW.LIBERATION.FR

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCEAllemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 1,90 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats­Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande­Bretagne 2,00 £, Grèce 2,90 €,Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 1,90 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays­Bas 2,50 €, Portugal(cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300CFA.

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Günter Grassen 1961

à Berlin­Ouest.Il est alors

membre du«Groupe 47».

PHOTO RENÉ BURRI .MAGNUM

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L’écrivain, prix Nobel de littérature 1999, est mort lundià 87 ans. Il avait endossé le rôle de mauvaise consciencede gauche dans l’Allemagne d’après-guerre.

Günter Grasss’efface

G ünter Grass est pour l’Allema-gne bien plus que le prix No-bel de littérature de 1999– vingt-sept ans après celui

de Heinrich Böll– et le succès interna-tional du Tambour, son premier roman(lire page 5). L’écrivain né à Danzig (lecorridor allemand en terres polonaisesen partie responsable du déclenche-ment de la Seconde Guerre mondiale)en 1927 et enrôlé à 15 ans pour échapperà un père autoritaire et petit-bourgeoisa connu le destin de bien des Allemandsde sa génération. «A 15 ans, je voulaistuer mon père avec mon poignard des Jeu-nesses hitlériennes en pensée, en motset par mes œuvres d’art», écrira-t-ilplus tard. Humaniste, critique enversles idéologies comme les Eglises, Günter

Grass est un peu la mauvaise consciencede gauche de l’Allemagne d’après-guerre, malgré plusieurs polémiques,notamment à cause de ses critiques en-vers Israël, sur la fin de sa vie.«Günter Grass est l’archétype de cette gé-nération qui a connu le Troisième Reichdans sa jeunesse et s’en est voulu un libé-rateur, cette génération qui s’est perçue

comme un pilier d’une nouvelle démocra-tie, comme Helmut Kohl ou Johannes Rauà droite, ou comme le philosophe JürgenHabermas, explique le professeur de lit-térature Paul Nolte, de l’Université librede Berlin. Très tôt, dans les années 50, ila développé la conscience du “plus jamaisça”. Il voulait en quelque sorte être unprofesseur de démocratie, un intellectuelde gauche, mais indépendant. Il a tou-jours dérangé, et même de plus en plusen vieillissant. Günter Grass n’a pasconnu cette évolution vers la douceur liéeà l’âge, au contraire. En vieillissant, il estdevenu plus dissident, plus dérangeant,plus individualiste…»

«SCEPTICISME». Au lendemain dela guerre, Günter Grass se consacred’abord à son rêve : devenir artiste,malgré la désapprobation paternelle. Ilapprend la sculpture, se consacre à lapeinture, vit à Paris et Düsseldorf. Toutesa vie, il continuera à illustrer lui-mêmeses ouvrages et à dessiner les couvertu-res de ses romans. «Il est au final un ar-tiste bien plus complet qu’on ne le croit,auteur de théâtre, poète, peintre, dessina-teur…» insiste Paul Nolte. Le cours de savie change avec la percée du Tambour,en 1959, qui le propulse sur la scène lit-téraire et lui vaut la reconnaissance ausein du «Groupe 47» (lire page 5), un

Par NATHALIE VERSIEUXCorrespondante à BerlinL’ESSENTIEL

LE CONTEXTEPrix Nobel delittérature, GünterGrass est décédéà l’âge de 87 ans.Grande figurede l’après­guerreallemande, il a vu la finde sa vie ternie parplusieurs polémiques.

Par LAURENT JOFFRIN

Exorcisme

La mauvaise conscienceest-elle bonneconseillère ? En cestemps de transparenceobligatoire,de psychologismegalopant, de bonssentiments portésen bandoulière, elle estfranchement mal vue.La droite fustige lamanie de la repentance,quitte à justifier parla bande l’injustifiable ;la gauche porte souventsur les errements passésdes jugements aussisommaires querétrospectifs, oubliantla part d’ombre de toutehumanité. L’itinérairede Günter Grass réfutecet irénisme plus oumoins sincère. Oui,toute sa vie, il a cherchéla rédemption, la sienneet celle de son peuple :c’est qu’il parlait enconnaissance de cause.Oui, il a caché sonengagement dansla Waffen-SS, pardifficulté à le regarderen face. Mais c’estpeut-être pour cetteraison qu’il a sans cessemis en garde contrela reproduction de ceserreurs tragiques, deces crimes inexpiables.Il a mis son insignetalent d’écrivainau service d’uneAllemagne libéréede la folie totalitaire,vouée désormais à ladémocratie, aux côtésdu SPD de Willy Brandt,puis en oppositionavec la gauchede gouvernementquand il lui a sembléqu’elle s’écartait de sesidéaux. Toute sa vie, il adéfendu des positionssincères, quitte àsusciter la polémiqueou l’incompréhension,quand il a regrettéla réunification du paysou quand il a fustigéla politique d’Israël.Fallait-il qu’il se taise ?C’est tout le contraire.Même de manièreincertaine, il a expriméd’une voix forte la justemauvaise conscienced’une l’Allemagnedécidée à tirerles leçons de son passépour l’exorciser.

ÉDITORIAL

REPÈRES

w 16 octobre 1927 Naissancede Günter Grass à Danzig.w Octobre 1944 Rejointla 10e Panzerdivision SSFrundsberg des Waffen­SS.w 1955 Intègre le «Groupe 47».w 1956 Publie son premierrecueil de poèmes.w 1959 Le Tambour.w 1983­86 Préside l’Académiedes arts de Berlin.w 1999 Reçoit le prix Nobelde littérature.w 2006 Révèle son enrôlementdans les Waffen­SS.

Dans Peluresd’oignon, Gün­ter Grass révé­lait comment ilavait été incor­poré dans laWaffen­SSà 17 ans, sansl’avoir demandé,

un an après avoir été recaléquand il a voulu s’engager dansles sous­marins. Le souvenir res­semble à l’oignon: on enlève unecouche après l’autre, et à la fin,on ne tombe que sur du vide.

groupe d’auteurs où il était parfoisautorisé à prendre modestement laparole.Désormais connu, Günter Grass de-vient à Berlin, dans les années 60, unintellectuel de gauche actif mais aussicritique et inclassable. Après la guerre«mon naturel enjoué s’est doublé d’unscepticisme insurmontable», dira-t-il

plus tard : «Il en estrésulté une résistance,souvent même un goûtpour l’attaque, enverstoute idéologie qui pré-tend fixer des mesuresabsolues.» Il soutientle mouvement paci-fiste des années 60

et 70, milite pour le droit à l’avorte-ment et contre l’Eglise catholique,sympathise avec le printemps de Pra-gue mais rejette les tendances radicalesdu mouvement étudiant («je ne connaispas suffisamment le Vietcong pour sou-haiter sa victoire»), s’engage pour laprotection de l’environnement et con-tre le nucléaire.Pendant des années, il participe au boy-cott du quotidien populaire conserva-teur Bild, pilier de la RFA dans la guerrefroide, tout en critiquant la RDA, où seslivres sont interdits et où il est espionnépar la Stasi. Très tôt proche du Parti so-cial-démocrate, Günter Grass participeà toutes les campagnes électorales, decelle de Willy Brandt à celle de PeerSteinbrück, aux côtés du SPD. Jaloux deson indépendance, il ne rejoindra lesrangs du parti qu’en 1982, pour le quit-ter dix ans plus tard, en désaccord avecles positions restrictives du SPD surl’asile politique.Ses positions lui ont souvent valul’incompréhension des Allemands,comme lorsqu’il se prononce contre laRéunification, la partition de l’Allema-gne étant à ses yeux une juste punitionde l’histoire pour les crimes nazis.Quand il publie Toute une histoire,en 1995, le Bild l’accuse de «ne pasaimer son pays». «Pour Suite page 4

«Il voulait en quelque sorte être unprofesseur de démocratie, un intellectuelde gauche, mais indépendant.Il a toujours dérangé, et même de plusen plus en vieillissant.»Paul Nolte professeur de littérature à Berlin

«Tout écrivain est de son temps, quoiqu’il assureavec véhémence être né trop tôt ou trop tard.Ce n’est pas lui qui choisit librement son sujet;c’est au contraire le sujet qui s’impose à lui.»

Günter Grass discours de réception du prix Nobel, 1999

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lui, il ne devait plusjamais y avoir un Etat allemand fort aucentre de l’Europe, explique Paul Nolte.Au fil des années, il a fini par acceptercette réalité, mais sans vraiment fairela paix avec la Réunification, commeHabermas.»On retrouve des années plus tard cetteméfiance envers le poids nouveau del’Allemagne dans ses critiques enversAngela Merkel et sa gestion de la crisede l’euro. Grass voit en la chancelière leproduit «opportuniste» de la cultureest-allemande mêlé à l’appétit de pou-voir hérité de son mentor Helmut Kohl.«Angela Merkel a réussi à nous fâcheravec tous nos voisins en quelque temps»,déplorait-il en 2013, au plus fort dela crise.

POLÉMIQUE. La fin de sa vie reste mar-quée par plusieurs scandales commeen 2006, lorsqu’il révèle dans Peluresd’oignons (traduit au Seuil l’année sui-vante) s’être enrôlé dans les Waffen-SSà 17 ans par anticommunisme. L’Alle-magne lui reproche alors d’avoir at-tendu toutes ces années avant cet aveuqui semble décrédibiliser son engage-ment contre le nazisme. Günter Grass,lui, assure ne pas avoir participé à descrimes de guerre et avoir cru pendantdes années en avoir fait assez contrel’oubli avec ses écrits.La polémique ressurgit lors de la paru-tion du livre en Israël. Dans une inter-view au quotidien hébreu Haaretz,Grass estime que l’Holocauste «n’a pasété le seul crime» de la guerre, faisantallusion aux nombreux prisonniers deguerre allemands liquidés dans les pri-sons russes. En 2012, il s’en prend àla politique iranienne d’Israël dansun poème publié par les quotidiens al-lemand Süddeutsche Zeitung, italienLa Repubblica et espagnol El País, qui luivaut une interdiction de séjour en Israël– lui qui avait été reçu par Golda Meiren personne dans les années 70 – etl’accusation d’antisémitisme. «GünterGrass n’était pas d’avis qu’il faut à toutprix défendre Israël à cause de l’histoire,explique Paul Nolte. Pour lui, il n’y avaitpas de cécité liée à l’histoire.» •

Suite de la page 2

Günter Grass en 1979. PHOTO SOPHIE BASSOULS.CORBIS

Divers dessins réalisés par Günter Grass. PHOTOS RUE DES ARCHIVES; AKG; ULLSTEIN BILD. GETTY

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Romans, pièces de théâtre, essais…Grass laisse une œuvre protéiforme quin’est pas toujours comprise en France.

La démesurede l’ogred’outre-RhinC’ est par un éloge du feuille-

ton que Günter Grass,en 1999, entamait son dis-

cours de réception du Nobel àStockholm. «Les hommes ont tou-jours raconté des histoires. Long-temps avant que la race humaine nes’exerce peu à peu à écrire et à lire,tout le monde en racontait ; chacunétait tour à tour auditeur et conteur.»Et il expliquait comment, «enraci-nés» que nous sommes dansl’écrit, il ne nous est pas moins né-cessaire d’entretenir «le souffle hu-mide de la vie», les mots qu’il fautnous arracher de la bouche, récithésitant ou apostrophe violente.L’auteur des Années dechien se plaisait à prô-ner l’oralité des origi-nes et à l’entretenirdans sa propre produc-tion. Il aimait dire sestextes à voix haute, leslire en public. Ingérerl’indigeste histoire allemande etla recracher dans un torrent dephrases : n’est-ce pas ce qui futla mission de ce Prix Nobel de lit-térature plus dérangeant qued’autres, moins élégant ?Peut-être est-ce là la cause du re-latif désintérêt du lectorat françaispour une œuvre qu’on qualifiepourtant volontiers de rabelai-sienne. Demandez autour de vous.A part le Tambour, de quel titre sesouvient-on? Y a-t-il un livre dechevet? On met le Turbot sur la ta-ble, on ajoute éventuellementla Ratte, les a-t-on seulement lus?«Idole grimaçante». Grass re-vendiquait «la démesure», char-riant des blocs de réalisme et defantastique pêle-mêle, sculptantdes objets bizarres et recourant àla fable. Son ironie ne passe pastoujours. L’autre grande cons-cience morale de l’après-guerre,le si fin Heinrich Böll, lui est pré-féré dans l’intelligentsia pari-sienne. Par exemple, Portrait degroupe avec dame, paru en 1971,allait être un des titres les plususés par des générations de jour-nalistes. Le Groupe 47, que Grassa côtoyé et évoqué dans un romanà clés, Une rencontre en Westphalie,rassemble les écrivains les plusnovateurs de la seconde moitié dusiècle dernier, dont Böll. GünterGrass n’est pas dénué de finesse,ni d’invention formelle. Mais il estd’abord un ogre.

Michel Tournier, qui s’y connaîten ogres et en littérature alle-mande, disait avec gourmandiseà Lionel Richard, qui l’interrogeaitpour un dossier du Magazine litté-raire : «Quel curieux Allemand quevoilà ! Grass a, avec le Tambour,ouvert une voie qui l’apparente à latradition de l’authenticité par legrotesque. […] Dans le paysage lit-téraire allemand si convenable etcultivé, Grass se dresse, solitairecomme une idole grimaçante et bar-bare. On tremble en songeant que leprix Nobel a pour effet de transfor-mer la plume d’un écrivain en mas-sue redoutable. Que va-t-il entre-

prendre désormais armé de cetteautorité irrésistible?» Dans lemême numéro du Magazine,Elfriede Jelinek exprime son ad-miration pour «le côté esthétique»de Grass.«Sévérité». Huit romans, troisrécits et autant d’autobiographiesindividuelles ou collectives quisont naturellement fictives (Monsiècle, En crabe, Pelures d’oignon),des essais, des pièces de théâtre:la grande majorité de l’œuvrede Günter Grass est traduite enFrance aux éditions du Seuil. Unde ses derniers livres, l’Agfa Box,histoires de chambre noire, se pro-pose de feuilleter l’album familial.Il imagine qu’il réunit ses enfants,et que chacun donne sa version dupassé. A la fin, mélancolique, ilécrit: «Les enfants, adultes, ont dela sévérité dans le regard. Ils lemontrent du doigt. La parole lui estretirée. Les filles, les fils clamentavec force, et ça résonne : “Ce nesont que des contes, des contes…”- “Eh oui, c’est vrai, objecte-t-ildoucement, mais ce sont les vôtresque je vous ai fait raconter.”»Günter Grass désigne-t-il ici sescontemporains ? La dernièrephrase l’accuse, en ce qui leconcerne, d’avoir planqué l’appa-reil photo, «pour plus tard, parcequ’il y a toujours quelque chose quitourne en lui, et dont il doit faire ledeuil, tant qu’il est encore là…»

CLAIRE DEVARRIEUX

Il aimait dire ses textes à voixhaute, les lire en public. Ingérerl’indigeste histoire allemandeet la recracher dans un torrentde phrases.

Le premier roman de Günter Grass résonna jusqu’auFestival de Cannes 1979, adapté par Volker Schlöndorff.

«Le Tambour» à succèsV ingt années séparent la pa-

rution du roman le Tambourde son adaptation par Vol-

ker Schlöndorff, en 1979. L’auteuravait repoussé plusieurs proposi-tions jusqu’à sa rencontre avec lecinéaste qui, à l’époque, apparais-sait comme un spécialiste de latranslation chic littérature-grandécran puisqu’il s’était fait un nomaussi bien en s’attaquant, dès sonpremier long métrage, à RobertMusil (les Désarrois de l’élève Tör-less, 1966) qu’à Marguerite Yource-nar (le Coup de grâce, 1976) ou en-core à Heinrich Böll (l’Honneurperdu de Katharina Blum, 1975). Grass participa lui-même au travail de débroussaillage de son texteavec le cinéaste Franz Seitz Jr. et Jean-Claude Car-rière, qui tout au long de la décennie 70 avait tra-vaillé sur quelques-uns des Buñuel les plus reten-tissants (le Charme discret de la bourgeoisie et Cetobscur objet du désir).Oskar. La trouvaille du film fut le comédien DavidBennent, fils de l’acteur Heinz Bennent, âgéde 12 ans au moment du tournage. Avec son visaged’adulte et ses grands yeux, il campe Oskar Mat-zerath, gamin qui refuse de grandir et se trimballepartout martelant son tambour de tôle. Une figurede rebelle et d’idiot que Volker Schlöndorff, eninterview à Cannes où le film est présenté en com-pétition officielle, analyse comme l’emblème de«l’infantilisme de toute une époque, aussi bien politi-que que sexuel», puisque l’enfant monstrueux as-siste à la montée en puissance du nazisme et évo-lue dans une société aux valeurs morales délétères.«Oskar est la caricature de tous les gens qui l’entou-rent, cette petite bourgeoisie dont il emprunte lestraits caractéristiques. Comme elle, il est opportu-niste, égoïste, il refuse les responsabilités, il râle sansarrêt…» Quand un journaliste lui demande pour-quoi il adapte systématiquement des livres à suc-cès, le cinéaste a cette étrange réponse: «Je ne suispas auteur, je suis styliste et j’ai besoin du défi queconstitue une œuvre. Et puis, il y a aussi que je veux

les abattre, ces grands auteurs, ilssont sur leur piédestal et c’est seule-ment quand je les ai traînés dans laboue du cinéma qu’ils ne me font pluspeur.» Schlöndorff se déclare fas-ciné par la période de l’histoireque traite Grass dans son roman,lui qui a grandi à Vannes avant defaire des études de lettres au lycéeHenry-IV et devenir assistant deResnais ou Melville: «Parce que j’aivécu en France et que néanmoins j’yétais toujours en tant qu’Allemand,je me suis toujours un peu braqué surla question de savoir qu’est-ce quel’Allemagne ? Que sont les Alle-

mands ? Qu’est-ce que l’identité nationale ? Quelleest la part de notre histoire que l’on peut assumer ?Et quelle est la part qu’il faut rejeter ?»Ex aequo. Mais le triomphe du Tambour à Can-nes est menacé par un autre film calibré«chef-d’œuvre», et américain, cette fois: Apoca-lypse Now de Francis Ford Coppola, qui a l’air dedébouler directement d’un tournage brûlant aucœur des Philippines à la Croisette, avec toute lamythologie du mégalomane qui a payé un millionde dollars un Brando obèse pour moins d’une se-maine de tournage. La présidente du jury, FrançoiseSagan, adore le film de Schlöndorff et déteste celuide Coppola. Pourtant, elle doit assumer l’ex aequoentre les deux au palmarès final. Interrogée par Mi-chel Drucker, elle admet que les discussions entreles membres du jury ont été pénibles et difficiles,sachant que parmi les autres films, il y avait (aussi)les Sœurs Brontë d’André Téchiné, les Moissons duciel de Terrence Malick et Woyzeck de Werner Her-zog. Quelques jours après, elle fait état de pressionsde l’organisation du Festival pour qu’ApocalypseNow ait une demi-palme, rumeur jamais authenti-fiée. La postérité a tranché, le Tambour sembleaujourd’hui un film pénible à regarder, reconstitu-tion fantastico-historique gavée de lourds symbolesavec son gamin horripilant. Est restée l’affiche fran-çaise, signée Roland Topor.

DIDIER PÉRON

L’affiche française de Topor.

PHO

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Depuisleraptdeslycéennes,unand’angoisseauNigeriaMalgré la campagneBring Back Our Girlset la forte mobilisationinternationale, 219 des276 jeunes filles enlevéespar Boko Haramrestent introuvables.Un cauchemar aussipour les rescapées etleurs familles.

Par MARIA MALAGARDIS

T riste anniversaire: il y a exac-tement un an, jour pour jour,276 adolescentes, âgées de 12à 17 ans, étaient enlevées en

pleine nuit de leur lycée, à Chibok,dans le nord-est du Nigeria, par des as-saillants de la secte islamiste Boko Ha-ram. Un enlèvement spectaculaire quiavait suscité une mobilisation plané-taire sans précédent via les réseauxsociaux, notamment à travers le hash-tag #BringBackOurGirls. Jamais aupa-ravant une tragédie africaine n’avaitsuscité une telle émotion mondiale etpoussé, sous la pression de l’opinion,les dirigeants de plusieurs pays à s’im-pliquer de la sorte.Hélas, un an plus tard, le bilan est dé-sastreux. Les adolescentes restent in-trouvables, exception faite des 53 cap-tives qui ont réussi à s’échapper toutesseules dans les jours qui ont suivi l’en-

lèvement, auxquelles s’ajouteraientquelques cas isolés, mais difficiles àconfirmer, de jeunes filles qui auraientété libérées par l’armée nigériane ici etlà. Et les autres ? Pour celles restéescaptives, il est fort à craindre que l’en-fer continue, lequel avait été décrit dèsle 5 mai par Abubakar Shekau,le leader de Boko Haram, habi-tué aux déclarations provocatri-ces. Ce dernier avait alors affirmé dansune vidéo que les jeunes filles seraientmariées aux combattants ou venduescomme esclaves «sur les marchés».

«MASSACRE». Une menace réitérée àplusieurs reprises par Abubakar She-kau, qui, le 12 mai, dans une nouvellevidéo, exhibe même une centaine dejeunes filles toutes vêtues d’un hijabnoir. Sa proposition de les échangercontre des combattants islamistes em-prisonnés restera sans suite. Certainesfilles ont peut-être même fini par être

assassinées. C’est du moins ce qu’alaissé entendre début avril, un respon-sable du Haut Commissariat des Nationsunies pour les réfugiés (UNHCR), re-layant ainsi une rumeur persistante se-lon laquelle un certain nombre d’ado-lescentes, devenues des épouses

forcées, ont été tuées par lescombattants de Boko Haramavant que ces derniers n’aban-

donnent la ville de Bama, localité del’Etat du Borno reprise en janvier parl’armée nigériane. Laquelle va y décou-vrir ruines et carnages. Avec plus de2000 morts, la bataille de Bama a ainsiété qualifiée de «massacre le plus meur-trier de l’histoire de Boko Haram» parAmnesty International. Mortes ou ré-duites en esclavage, mariées de force ouencore contraintes de devenir des ka-mikazes (les femmes étant de plus enplus souvent utilisées comme «bombeshumaines» par la secte intégriste), lecauchemar sans fin des pensionnaires

RÉCIT

Dans sa maison de Maiduguri, le 21 mai 2014, Rachel Daniel montre une photo de sa fille Rose, 17 ans. Un mois plus tôt, elle était enlevée par Boko Haram à Chibok. PHOTO JOE PENNEY. REUTERS

LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 20156 • MONDE

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du lycée de Chibok souligne surtout demanière cruelle l’impuissance de lacommunauté internationale, pourtantfortement mobilisée pour les sauver. Ily a un an, la campagne lancée sur lesréseaux sociaux semblait capable defaire bouger des montagnes.

PERSONNALITÉS. Son ampleur avaitcontraint le président nigérian, Goo-dluck Jonathan, à réagir. D’abord silen-cieux, voire passif, face à cet enlève-ment massif, l’ex-homme fort duNigeria (qui a depuis perdu les élections)a dû agir et même – une première – àdemander l’aide de ses partenairesétrangers pour retrouver les jeunesfilles. Aussitôt, plusieurspays, dont la France,avaient répondu à l’appel,poussés eux aussi par l’in-croyable mobilisation deBring Back Our Girls–soutenue, il est vrai, pardes personnalités de pre-mier plan: de Michelle Obama, la pre-mière dame des Etats-Unis, jusqu’à lasecrétaire d’Etat Hillary Clinton ou Va-lérie Trierweiler, alors compagne duprésident Hollande, en passant par Ma-lala Yousafzai, la jeune pakistanaise vic-time, elle aussi, des intégristes et deve-nue depuis prix Nobel de la paix. LaFrance, le Royaume-Uni, Israël, lesEtats-Unis avaient ainsi envoyé des ex-perts. La Chine avait même proposé departager des informations recueilliespar ses satellites. Résultat? Rien.Il est certes apparu très vite que le Nige-

ria, pays au nationalisme traditionnel-lement chatouilleux, n’était guère dis-posé à ouvrir toutes ses portes auxexperts mandatés par les grandes puis-sances. Mais ni les images recueilliespar les drones américains ni les offensi-ves de l’armée nigériane dans la forêt deSambisa, où les combattants de BokoHaram avaient l’habitude de se réfugier,n’ont permis de repérer les jeunes filles,visiblement dispersées sur un territoireplus vaste.La force régionale africaine, réunissantle Niger, le Tchad et le Cameroun à par-tir de janvier, a de son côté réussi à re-conquérir du terrain, tout en freinantles velléités de Boko Haram à déborder

sur les pays voisins. En quelques semai-nes, 36 villes nigérianes (dont Bama)occupées par la secte ont pu être libé-rées. Mais pas les jeunes filles. Or, biend’autres femmes ont subi le même sort:on estime que depuis mi-2013, date àlaquelle Boko Haram inaugure l’enlève-ment de femmes et de jeunes filles, plusde 500 auraient été kidnappées. Les té-moignages recueillis par les ONG évo-quent souvent les mêmes violences :mariages ou conversions forcées à l’is-lam. Même si l’évocation du viol restesouvent taboue pour celles qui ont pu

s’échapper, par crainte de la stigmati-sation, suggère Amnesty Internationalqui publie ce mardi son dernier rapportsur les jeunes filles de Chibok. On y dé-couvre que le sort des rescapées n’estsouvent guère plus enviable : l’ONGrappelle ainsi que le fonds de soutienmis en place par les autorités nigérianesest trop souvent resté une promesse surle papier, la plupart des jeunes filles nebénéficiant d’aucun soutien psycholo-gique ou matériel.

REPRÉSAILLES. Pire, certaines de cellesqui se sont échappées ont vu leurs fa-milles menacées de représailles parBoko Haram. Et nombreuses seraientcelles qui auraient renoncé à retournerà l’école. Une vraie victoire pour BokoHaram, surnom usuel de cette secte ap-parue en 2009 signifiant: «L’éducationoccidentale est un péché.»L’incapacité à retrouver les lycéennes deChibok a certes pesé dans la défaite duprésident Goodluck Jonathan lors del’élection du 28 mars, et Boko Haramsemble aujourd’hui en perte de vitesse,mais un an après leur enlèvement, l’es-poir de retrouver les 219 jeunes captivesreste très mince.Depuis lundi, le hashtag #BringBack-OurGirls tente bien de ressusciter unsemblant de mobilisation en appelantnotamment à des rassemblementsmardi. Mais le ton est souvent celui dudécouragement et de l’amertume faceà une solidarité mondiale inédite qui n’apas réussi à sauver les jeunes disparuesde Chibok. •

Depuis mi-2013, plus de 500 femmeset jeunes filles auraient été kidnappéespar Boko Haram. Les témoignagesévoquent là aussi mariages ouconversions forcées à l’islam.

UN AN DE CAPTIVITÉw 14 avril 2014 Enlèvement de 276 étudiantesà Chibok par la secte islamiste Boko Haram.Une cinquantaine d’entre elles arrive à s’enfuir.w Mai 2014 Lancement du hashtag #BringBack­OurGirls, suivi notamment par Michelle Obama.w Avril 2015 Pas de nouvelles des jeunes filles.Des rumeurs les disent mortes.

REPÈRES

«Les recherches pour trouver les fillesde Chibok continuent. Tant quel’affaire n’est pas résolue, il ne faut pascroire les spéculations. Je vous assureque le pays est passé au peigne fin.»Le coordinateur du Centre national d’informationdu Nigeria, Mike Omeri, dimanche

Abuja

NIGER TCHAD

BÉNIN

CAMEROUN

BORNO

200 km

NIGERIA

Lagos

ChibokBama

OcéanAtlantique

LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 2015 MONDE • 7

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Lajos Rig (au centre) du Jobbik, dimanche, le soir de son élection à Tapolca. PHOTO G. VARGA. AP

L e Jobbik, ce parti d’ex-trême droite hongroise,stigmatisé pour son at-

titude envers des minorités,a emporté lundi son premiersiège au scrutin majoritairedirect, lors d’une électionpartielle dans l’ouest dupays. Après dépouillementde plus de 98% des bulletins,Lajos Rig l’a emporté d’unecourte tête dans la circons-cription de Tapolca devantson adversaire du Fidesz, leparti au pouvoir du conser-vateur Viktor Orbán.Soutien. Il s’agit là d’unevictoire importante pour unparti qui ne connaît pas uneascension fulgurante maisune longue progression inin-terrompue. Le Jobbik ne ga-gne pas là son premier dé-puté. Il a emporté 23 des199 sièges aux législativesde 2014, tous gagnés au scru-tin de listes (proportionnel).En Hongrie, une partie desdéputés est élue au scrutin delistes et l’autre au scrutinmajoritaire à un tour. La for-mation d’extrême droite, quiavait fait son apparition auParlement en 2010 avec

16,71% des voix, a progresséen 2014, où elle a raflé 20,2%des suffrages.Troisième parti en 2010et 2014, derrière le Fidesz etles socialistes, le Jobbikpourrait se trouver endeuxième position d’ici auxlégislatives, de 2018. L’insti-tut Ipsos notait en févrierque le Jobbik a le soutiende 1,3 million d’électeurs,soit bien plus qu’il n’en a ja-mais eu : «Le Jobbik se rap-proche de plus en plus du Fi-desz.» Les sondages donnentdéjà le Mouvement pour unemeilleure Hongrie audeuxième rang parmi lesmoins de 30 ans. «Il y a undésir de changement de gou-vernement en Hongrie etmaintenant il y a aussi lesmoyens de le faire», a déclarédimanche le chef du Jobbik,Gabor Vona. Sa formationentend profiter de la baissede popularité du Fidesz, quia perdu le mois dernier, lorsd’une élection partielle rem-portée par la gauche, sa ma-jorité des deux tiers. C’estcette majorité qui a permis àViktor Orbán de modifier à

deux reprises la Constitutionet de reprendre en main lesmédias. Mais la révélationd’affaires de corruption danslaquelle se sont enrichis uncertain nombre de membresdu Fidesz et certains gestesmaladroits comme l’instau-ration d’une taxe sur Inter-net, ont entamé la popularitédu parti au pouvoir.Mémorial. A l’instar du FN,le Jobbik s’est lancé dans unepolitique de dédiabolisation.«Personne ne devrait craindrel’ascension du Jobbik, a dé-claré lundi son jeune leader,le Jobbik n’a pas pour pro-gramme de discriminer desgens. Si d’aucuns –sympathi-sants ou membres – désirentcela, qu’ils trouvent un autreparti.» La communautéjuive, qui se souvient qu’undéputé qui avait crachéen 2011 sur un mémorial del’Holocauste n’avait mêmepas été exclu, reste circons-pecte. Le président du Con-grès juif mondial, RonaldLauder, a qualifié dimanchele Jobbik de «parti extrémistequi promeut la haine».

HÉLÈNE DESPIC-POPOVIC

L’extrêmedroiterêvederattraperViktorOrbánHONGRIE Avec un député élu au scrutin majoritaire, leJobbik profite de l’impopularité du Premier ministre.

Par LUC MATHIEU

Des associationsappellent à accélérerla reconstruction à Gaza

P lus de sept mois aprèsla fin de l’opération is-raélienne dans la bande

de Gaza, une coalitiond’ONG s’alarme de la lenteurde la reconstruction de l’en-clave palestinienne. Moinsde 30% des 4,3 milliardsd’euros promis en octobrepar la communauté interna-tionale ont été débloqués,note le rapport publié lundipar plus de 40 associations.

Quelle est la situationà Gaza ?L’opération israélienne Bor-dure protectrice de l’été der-nier a tué plus de 2 100 Pa-lestiniens et en a blessé aumoins 11 100. Les tirs de ro-quette et les opérations duHamas et de groupes armésont, elles, fait 71 morts israé-liens et 69 blessés. Les des-tructions à Gaza ont atteintun niveau inédit : près de20000 habitations détruites,les réseaux d’eau et d’élec-tricité également touchés,tout comme les terres agri-coles, les écoles et les hôpi-taux. Les Palestiniens viventaussi avec la menace que re-présentent les roquettes etmissiles qui n’ont pas ex-plosé et sont sous les décom-bres. Selon les Nations unies,il en reste environ 7 000.

Que préconisentles ONG ?Leur première demandeconcerne la levée du blocuset l’ouverture de la totalitédes points de passage entreIsraël et Gaza. Oxfam a cal-

culé que 0,25% des besoinsen matériaux de construc-tion avaient été satisfaits en-tre décembre et février. A cerythme, la reconstruction duterritoire nécessitera plusd’un siècle. Les ONG notentaussi que les pays donateursn’ont, pour l’heure, pas res-pecté leurs engagements. LeKoweït, la Turquie et lesEmirats arabes unis, quiavaient promis chacun200 millions de dollars(189millions d’euros), n’ontpour l’instant rien versé. LesONG plaident enfin pour lafin de la séparation entreGaza et la Cisjordanie.

Ces demandes ont­ellesune chance d’êtreacceptées ?Hormis la question du verse-ment de l’aide, non. La vic-toire de Benyamin Nétanya-hou aux législatives de marsne devrait pas aboutir à unchangement de la politiqueisraélienne vis-à-vis des ter-ritoires palestiniens. La colo-nisation et le blocus sur Gazase poursuivent. Les Gazaouissouffrent aussi de la nouvelleposition de l’Egypte: le ma-réchal Abdel Fattah al-Sissifait détruire la quasi-totalitédes tunnels qui couraientsous la frontière et permet-taient aux habitants de Gazade contourner le blocus.«Alors qu’Israël estime que leblocus est nécessaire à sa sé-curité, explique le rapport, ila en réalité perpétué l’insécu-rité à Gaza et échoué à éviterles conflits.» •

DÉCRYPTAGE

3des 5 féministes chinoises arrêtées le 7 mars, à la veillede la Journée internationale de la femme, ont étéremises en liberté lundi. Ces jeunes femmes, âgéesde 25 à 32 ans, s’étaient fait connaître en militant contreles violences faites aux femmes. Le sort des deux autresféministes n’est pas encore connu.

«“Le Soir” victimed’une attaqueinformatique.Aucun élémentconcret ne permetde faire un lienavec TV5.»

Le directeur généraldu quotidien belgefrancophone le Soir,Didier Hamann, dimanche,sur Twitter

A 71 ans, Omar el­Béchirest pratiquement assuréd’être réélu à la tête duSoudan. Le résultat duscrutin, auquel étaientconviés lundi 13,3 millionsd’électeurs paraît jouéd’avance. Son déroulementa été critiqué par lacommunauté internatio­nale. Au pouvoir depuisvingt­cinq ans, le chef del’Etat jouit de conditionspour le moins favorables:ses quinze concurrentssont peu connus et n’ontpas eu les moyens de fairecampagne. Les ténors del’opposition ont, eux, boy­cotté le scrutin. Arrivé à latête du Soudan en 1989,après un coup d’Etat, legénéral El­Béchir a axé sacampagne sur l’islam etpromis d’apporter «sécuritéet stabilité politique et éco­nomique» s’il est réélu pourcinq ans. Sa formation, leParti du congrès national(NCP), contrôle les roua­ges du pays et réprime dis­sidents et médias. Depuis2009, Omar el­Béchir estréclamé par la Cour pénaleinternationale pour crimescontre l’humanité auDarfour, ce qui isole leSoudan sur la scèneinternationale. PHOTO AP

OMAR EL­BÉCHIRASSURÉD’ÊTRE RÉÉLUAU SOUDAN

LES GENS

LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 20158 • MONDEXPRESSO

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Libertés:VallsfaceauxfrondeursLa loi sur le renseignement, examinéeà l’Assemblée et assurée d’être adoptée,suscite des craintes à l’aile gauche du PS.

U ne mobilisation associa-tive et syndicale… pourune quasi atonie politi-que. Si les organisations

de défenses des libertés et lesacteurs du numérique mani-festaient à deux pas de l’As-semblée nationale lundi, alertantsur les dangers d’une «surveillancede masse» et du «tous fichés», in-tra-muros, Manuel Valls défendaitson projet de loi sur le renseigne-ment devant un hémicycle presquevide. Et dont le vote ne fait guère dedoute, puisque l’exécutif pourracompter sur la bienveillance de ladroite et le soutien de la majorité deson groupe.

La technicité du sujet, à l’évidence,joue. L’émotion post-attentats yfait, surtout. Dans les cartons de-puis l’été 2014, le texte, dont la ré-daction a été accélérée après les at-taques de janvier, est porté par uncontexte peu propice à la contesta-

tion. «L’absence de réactionest due au fait que l’opinionest encore sous le choc, cette

loi intervient beaucoup trop tôt aprèsles attentats. Et c’est essentiellementde la procédure pour les citoyens,c’est un langage technocratique diffi-cilement compréhensible», déplorela socialiste Aurélie Filippetti.Au côté de la Quadrature du Net, duSyndicat de la magistrature, de laLigue des droits de l’homme ou en-core de la CGT police qui protes-taient aux abords du Palais-Bour-bon, l’EE-LV Sergio Coronado, luiaussi opposé au texte, estime que«le drame de janvier surdéterminemalheureusement le nombre de parle-mentaires qui soutiennent le texte».Des députés anesthésiés prêts àconsentir à la surveillance généra-lisée? Ou une Assemblée qui, dixitManuel Valls, prend ses responsa-bilités au nom «de la sécurité de laNation et de la souveraineté économi-que, diplomatique et géopolitique»du pays ? Devant les députés, lePremier ministre s’est vanté de lagrande concorde nationale qui en-toure son texte, assurant qu’il«n’installe en aucune manière un ap-pareil de surveillance policière de lapopulation». Et le rapporteur Jean-Jacques Urvoas (PS), principal arti-san du projet de loi, rappelle quecelui-ci a été adopté à l’unanimitéen commission.

AMENDEMENTS. Pourtant, sur saroute, Valls va retrouver des vieillesconnaissances. Outre les députésEE-LV et Front de gauche, un petitnoyau de socialistes a déposé denombreux amendements. Essen-tiellement des frondeurs qui, pourla première fois, délaissent lechamp économique pour en décou-dre avec le gouvernement sur leterrain des libertés. Pouria Amirs-hahi appelle ainsi ses collègues à«ne pas s’endormir sur les lauriers denotre démocratie en pensant qu’elleest infaillible». «Il y a des risques

lourds de dérives qu’on ne peut ba-layer au prétexte d’une obsessionantiterroriste», prévient-il.Le ton est moins belliqueux que lorsdu débat autour de la loi Macron,lorsque les socialistes critiquescontre sa teneur trop libérale ontmis en échec son adoption, obli-geant le gouvernement à passer enforce. «Sur la loi Macron, on s’étaitcalés sur une stratégie politique, là,

on a convergé spontanément», dis-tingue Pascal Cherki. Ce tenant del’aile gauche reconnaît la nécessitéde légiférer et admet que «le projetde loi codifie des pratiques qui avaientlieu dans l’ombre jusqu’à présent».«Mais, ajoute-t-il, prudent, il fautveiller aux effets collatéraux, au dé-part non voulus, qui seraient attenta-toires aux libertés.»C’est principalement autour dequatre points que les «frondeurs»veulent infléchir le texte. D’abord,la définition juridique des missionsconfiées aux services de renseigne-

ment pose problème. Si ceux-civeilleront logiquement à «l’indé-pendance nationale, à l’intégrité duterritoire», ils sont également mo-bilisables pour prévenir «les attein-tes à la forme républicaine des insti-tutions et les violences collectives denature à porter atteinte à la sécuriténationale». Selon Aurélie Filippetti,«cette définition est beaucoup tropvague et pourrait englober les mou-

vements sociaux. J’at-tends une clarificationjuridique et je demandeau Premier ministre desaisir lui-même le Con-seil constitutionnel afin

que ce dernier vérifie la légalité dutexte». Concernant les prérogativeset la composition de la future Com-mission nationale de contrôle destechniques de renseignement(CNCTR), des divergences profon-des apparaissent.

MENACE. Avant toute mise enœuvre d’une technique de recueild’informations, sauf en cas de me-nace imminente, son avis, seule-ment consultatif, sera requis. Lesopposants au texte souhaitent quecette commission ait un pouvoir

d’interdiction. «Puisqu’on crée uneinstance de contrôle autant qu’elle aitles coudées franches, qu’elle ne soitpas une instance alibi», plaide De-nys Robiliard (PS). Quatre parle-mentaires et quatre magistrats doi-vent y siéger et seront rejoints parun neuvième membre, au profilplus technique. A la différence deValls qui juge «suffisantes» lescompétences de cet ingénieur, Fi-lippetti estime «qu’un seul siège al-loué à un mathématicien de l’Autoritéde régulation des communicationsélectroniques et des postes [Arcep]est un peu court. La sophisticationdes moyens de détections algorithmi-ques des services sera très élevée. Ilfaut des gages supplémentaires.»Ces fameuses «boîtes noires», desdispositifs qui moulineront les don-nées (hors contenu) des opérateurset hébergeurs pour la lutte contrele terrorisme, incarnent aux yeuxde beaucoup de détracteurs dutexte le basculement vers une «sur-veillance de masse». Plusieurs par-lementaires ont déposé des amen-dements pour les supprimerpurement et simplement. Sans quel’on sache quelle concession l’exé-cutif est prêt à faire. •

Par PIERRE ALONSO, LAUREEQUY et WILLY LE DEVIN

«Cette loi intervient beaucouptrop tôt après les attentats.»Aurélie Filippetti

RÉCIT

63%C’est la part de Françaisfavorables à une restric­tion de leurs libertés surInternet au nom de la luttecontre le terrorisme.(sondage CSA, Atlantico)

REPÈRES

«Il paraîtindispensableque les [missionsdes services]soient définiesde manière préciseet restrictive.»

Jacques Toubonle défenseur des droits, dansun communiqué du 13 avril

Des députés PS ont déposé des amendements face au texte défendu par Manuel Valls. PHOTO SÉBASTIEN CALVET

Interview de laprospectiviste ValériePeugeot, chercheuseà Orange Labs.

• SUR LIBÉ.FR

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FRANCE • 9

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FN:Jean-MarieperdlatêtepourMarion

Le cofondateur du parti d’extrême droite renonceaux élections régionales en Paca et soutient à la place

la candidature de sa petite-fille pour mener la liste.

Par DOMINIQUE ALBERTINI

67%des sympathisants du Front national interrogésdu 8 au 10 avril se disaient favorables au départde Jean­Marie Le Pen, 74% estimant que sa présencemédiatique est plutôt un handicap pour le parti.

Sondage Ifop pour Dimanche Ouest­France réalisé auprèsd’un échantillon représentatif de 982 personnes

REPÈRES «Ce ne sera pasune candidaturesous tutelle. Je n’aijamais été l’objet demon grand-père.»

Marion Maréchal­Le Pendéputée FN du Vaucluse,25 ans, au journalla Provence

«Une crise grave a été ouverteau Front national, au prétexte dedeux interviews, l’une à RMC-BFMTVet l’autre à l’hebdomadaire “Rivarol”.Ceci ne justifiait pas le hourvari qu’on adéclenché dans nos rangs au risqued’affaiblir dangereusement notremouvement.»Communiqué de Jean­Marie Le Pen diffusé lundi par le FN

Marion Maréchal­Le Pen et son grand­père, à Avignon, le 1er février 2014. De son côté, Bruno Gollnisch s’est aussi porté candidat à la tête de liste FN en Paca. PHOTO ARNOLD JEROCKI.

J ean-Marie Le Pen ne sera pas tête deliste en Paca lors des élections régiona-les de décembre. Dans un communiquépublié lundi, le président d’honneur du

FN a annoncé qu’il renonçait à cette place,quelques mois après se l’être attribuée. «Jene ferai rien qui puisse compromettre la fragileespérance de survie de la France que représentele Front national, avec ses forces et ses faibles-ses», explique Jean-Marie Le Pen. Tout enconsidérant qu’il aurait été «une bonnelocomotive» pour son camp, et en se disant«navré de voir que l’espace public de liberté,tant d’opinion que d’expression, ne cesse de seréduire dans notre pays et même dansnos rangs».Une telle décision était secrètement espéréedepuis plusieurs semaines par nombre decadres frontistes ; elle a été ouvertementréclamée par la hiérarchie du parti après lapublication des propos controversés tenuspar son ex-patron au journal d’extrême

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Le microparti lié à la présidente du FN collectionne les mises en examen.

Jeanne, le côté dark de Marine Le PenL es mises en examen continuent

de pleuvoir dans l’affaireJeanne, qui inquiète de plus en

plus Marine Le Pen. Après FrédéricChatillon, Olivier Duguet et AxelLoustau, tous prestataires du Frontnational ou proches de sa présidente,c’était, lundi, le tour de NicolasCrochet, commissaire aux comptesdu FN. Les juges travaillent depuisavril 2014 sur un possible enrichisse-ment illégal de Jeanne, microparti liéà Marine Le Pen, et de Riwal, unesociété de communication devenuel’un des principaux prestataires duFN. Au cœur de l’enquête : des kitsde campagne obligatoires, conçuspar Riwal et vendus par Jeanne auxcandidats frontistes lors des canto-nales de 2011 et des législativesde 2012. Les juges soupçonnent unesurfacturation au détriment de l’Etat–celui-ci ayant remboursé la plupartdes candidats au titre des frais decampagne. L’affaire lève peu à peu levoile sur les acteurs de l’ombre de lagalaxie mariniste.

Frédéric Chatillon, dirigeant deRiwal, mis en examen en janvierAncien dirigeant du groupusculed’extrême droite GUD, ce musculeuxquadragénaire s’est reconverti dansle business. C’est aussi un ami deMarine Le Pen, aux côtés de laquelle

il est parfois aperçu. Fondée en 1995,sa société Riwal réalise de juteusesaffaires avec le FN, dont elle estdevenue le principal prestataire. Ellea notamment été chargée de conce-voir les fameux kits de campagne.Chatillon a été mis en examen endébut d’année pour faux et usage defaux, escroquerie, abus de bienssociaux et blanchiment d’abus debiens sociaux.Depuis le 8 avril, il est égalementpoursuivi pour financement illégalde parti politique, tout comme lasociété Riwal. Aujourd’hui installé àRome, Chatillon est connu pour seshabitudes fêtardes et pour ses bonnesrelations avec le régime syrien deBachar al-Assad. Il partage avec luison goût pour les régimes autori-taires, le nationalisme, ainsi qu’un«antisionisme» virulent. C’est aussiun proche de l’humoriste antisémiteDieudonné.

Axel Loustau, actionnairede Riwal et trésorier de Jeanne,mis en examen en marsAutre ancien membre du GUD, à latête d’une entreprise de sécuritéprivée travaillant à l’occasion pour leFN, Loustau se distingue par sa dou-ble casquette: actionnaire de Riwal,qui conçoit les kits, il est aussi de-puis 2012 le trésorier de Jeanne, qui

les revend, tout en prêtant aux can-didats l’argent nécessaire à leurachat. Mis en examen pour escro-querie en lien avec la campagne deslégislatives de 2012, l’homme estaussi à la tête du cercle Cardinal, unclub chargé de draguer le petit pa-tron. Sur son temps libre, Loustaus’est fait remarquer par des appari-tions musclées dans les rangs de laManif pour tous, en avril 2013.

Olivier Duguet, premiertrésorier de Jeanne,mis en examen en marsEgalement au cœur de la «GUD con-nection», interpellé, lui aussi, lorsdes manifestations contre le mariagepour tous, cet expert-comptable futle premier trésorier de Jeanne aprèsla création du microparti, en 2010. Iloccupera ce poste jusqu’enmars 2012, peu avant sa condamna-tion dans une affaire d’escroquerieau préjudice de Pôle Emploi. Brasdroit de Frédéric Chatillon, avec quiil est associé au sein de la sociétéDreamwell (filiale publicitaire deRiwal), Olivier Duguet a égalementcréé en 2009 une société de compta-bilité baptisée Equités, principale-ment chargée de certifier les comptesdes sociétés de la galaxie gudarde.Olivier Duguet a été mis en examenpour complicité de financement illé-

gal de parti politique, complicitéd’escroquerie et recel d’abus de bienssociaux.

Nicolas Crochet,commissaire aux comptes du FN,mis en examen en avrilC’est l’homme chargé de certifier lacomptabilité du Front national et deJeanne. Nicolas Crochet est poursuivipour complicité d’escroquerie lorsdes législatives de 2012, financementillégal de parti politique et blanchi-ment d’abus de biens sociaux. Atravers son cabinet, Amboise Audit,l’expert-comptable apparaît à diffé-rents niveaux dans le financement duparti frontiste. C’est lui qui a certifiéles comptes de l’ensemble des candi-dats frontistes aux législativesde 2012, celles qui intéressent le plusles juges. Pour ce scrutin, tousétaient tenus de recourir aux servicesd’Amboise Audit. Et ce, alors que ceproche de Marine Le Pen a lui-mêmeété candidat pour le FN aux légis-latives de 1992 –de quoi faire douterde son impartialité. D’autant qu’il asalarié plusieurs cadres frontistesen 2012 et qu’il a, la même année,contribué à l’élaboration duprogramme présidentiel de MarineLe Pen.

DOMINIQUE ALBERTINIet EMMANUEL FANSTEN

MARDI POLITIQUE

En direct à 19h10 sur RFI (Paris 89FM)

REBSAMEN

droite Rivarol. Jean-Marie Le Pen y dissertaitsur les mérites du maréchal Pétain et lanécessaire sauvegarde du «monde blanc».Marine Le Pen avait alors promis qu’elles’opposerait à une candidature de sonpère, qualifiant ses propos de «suicidepolitique». En se retirant de lui-même,Jean-Marie Le Pen s’épargne donc un proba-ble désaveu de la part du bureau politique duparti, qui doit se prononcer le 17 avril surl’identité des têtes de listes régionales.

PACIFIQUE. S’il ne pose aucune condition àce retrait, le patriarche a toutefois réaffirméson soutien à une candidature de sa petite-fille Marion Maréchal-Le Pen. Et a demandéà chacun d’en faire de même «dans l’intérêtsupérieur de la France». Dans la foulée, la dé-putée du Vaucluse, âgée de 25 ans, confirmaitsa candidature auprès du quotidien local laProvence. La jeune femme devient ainsi la cléd’un règlement pacifique de la crise quisecoue le FN depuis la semaine passée. Sacandidature permettrait à Jean-Marie Le Pen

de sauver la face, ayant désigné lui-mêmeune remplaçante, réputée proche de lui per-sonnellement et politiquement. En 2012,déjà, c’est sur les exhortations de son grand-

père que Marion Maréchal- Le Pens’était présentée aux élections législa-tives. Cette solution dynastique a

d’ailleurs suscité certaines réactions railleu-ses hors du FN: «Le bonneteau Le Pen conti-nue, a jugé le patron des députés socialistes,Bruno Le Roux. On s’en-gueule, on se fait interviewer,on se reparle, et au final tout seredistribue en famille !»Un autre candidat s’estpourtant mis sur les rangslundi: Bruno Gollnisch. An-ciennement implanté en Rhône-Alpes, le dé-puté européen se partage, depuis plusieursmois, entre la région parisienne et le Sud-Est.Avant les derniers événements, son nom,déjà, était évoqué comme celui d’un possibleremplaçant à Jean-Marie Le Pen. En se décla-rant candidat contre Marion Maréchal-Le

Pen, Gollnisch réintroduit une dose de polé-mique dans une désignation qui s’annonçaitconsensuelle. Et ce, d’autant plus qu’il avaitsoutenu la «liberté d’expression» de Le Penaprès son entretien à Rivarol, et qu’il est lui-même l’auteur de propos controversé sur laSeconde Guerre mondiale.Comme pour ajouter à la confusion, Jean-Marie Le Pen proposait, lundi, un partage destâches entre sa petite-fille et Bruno Goll-

nisch, la première étant tête de liste, mais cé-dant le poste de président de région au se-cond en cas de victoire. Un schémaalambiqué aussitôt rejeté par Marion Maré-chal-Le Pen: «Je ferai un ticket avec quelqu’unqui, comme moi, incarne du renouveau», aexpliqué celle-ci. La jeune femme a égale-

«On s’engueule, on se fait interviewer,on se reparle, et au final tout se redistribueen famille!»Bruno Le Roux responsable des députés socialistes

ment assuré qu’elle démissionnerait deson poste de député en cas de victoire auxrégionales.

SANCTION. Quel que soit le scénario, iln’éteindra pas la procédure disciplinairelancée contre Jean-Marie Le Pen, qui doitprochainement l’amener devant le bureauexécutif du FN. Cette instance, composée de9 membres –dont lui-même, en temps nor-mal–, pourrait prononcer une sanction allantdu blâme à l’exclusion du parti. «C’est uneprocédure parallèle qui n’a rien à voir» avec ladésignation des têtes des listes régionales, aconfirmé Florian Philippot, vice-présidentdu FN et membre du bureau exécutif. Le re-trait du titre de président d’honneur seraitcompliqué, puisqu’une telle procédure ré-clame l’organisation d’un congrès extraordi-naire, selon un cadre frontiste. Sur Europe 1,Jean-Marie Le Pen s’est montré confiant surson sort : «Je me fous pas mal des sanctions,a-t-il assuré. Je ne vois pas qui pourrait sanc-tionner le président d’honneur du FN.» •

RÉCIT

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«La responsabilitéde notre génération,c’est de mettre finaux politiquesaustéritaireset néolibéralesen Europe en pesantsur nos partis et surnos eurodéputéspour qu’ilsrespectent leursvaleurs et leursengagements.»Laura Slimani présidentedu Mouvement des jeunessocialistes, élue lundi à latête des Young EuropeanSocialists

M oins centralisé, plusdémocratique et ré-solument moderne:

les sarkozystes célèbrentavec emphase l’avènementimminent de «la nouvelle for-mation politique» promise parl’ancien chef de l’Etat. Lesstatuts de ce nouveau parti– baptisé «les Républi-cains»– seront présentés cemardi au bureau politique.En approuvant le 7 avrill’instauration d’une «pri-maire ouverte», ce mêmebureau politique vient pour-tant de priver le parti de laplus importante de ses pré-rogatives: la désignation ducandidat de la droite à la pré-sidentielle. Comme pourcorriger cette funeste évolu-tion, Nicolas Sarkozy se faitfort de démontrer que lesmilitants ont encore un rôleà jouer.Métamorphose. Sauf coupde théâtre, ses principauxconcurrents dans la course àl’Elysée (Juppé, Fillon, LeMaire et Bertrand) ne de-vraient pas soulever d’objec-tions. Ils ont bien compris lebut de la manœuvre : cons-truire une machine de guerresarkozyste. C’est avec uneindifférence polie qu’ils as-sistent à la métamorphose del’UMP. Les Républicains: lenom a été choisi en petit co-mité par Sarkozy et ses con-seillers, notamment l’anciensondeur Pierre Giacometti.Début prometteur pour unparti qui prétend promouvoirla démocratie militante… Ilest vrai que ce changement

de nom n’a pas grand-choseà voir avec un besoin de «ré-novation» : il s’agit, Sarkozys’en cache à peine, de faireoublier le sigle UMP, associéà la dévastatrice affaire desfausses factures Bygmalion.Les principales innovationsprésentées au bureau politi-que visent à augmenter con-sidérablement le nombre demilitants.Au minimum, Sarkozy veutavoir atteint les 500000 ad-hérents à la fin 2016, quandsera organisée la «primaireouverte». Grâce à cette ar-mée de fidèles, l’ancien chefde l’Etat se fait fort de barrerla route à tous ses concur-

rents : «Aujourd’hui, il saitpouvoir compter sur le dévoue-ment total des 100 000 mili-tants qui ont voté pour lui ennovembre 2014 lors de l’élec-tion à la présidence de l’UMP.S’il réussit à mettre quelquescentaines de milliers de sym-pathisants en orbite autour dece noyau dur, Sarkozy seraimbattable à la primaire», as-sure un haut responsable del’UMP.Pour atteindre cet objectif,les statuts du nouveau partiinstaurent l’élection des pré-sidents de fédérations dépar-tementales au suffrage directde tous les militants. Jusqu’à

présent, ce dernier était dé-signé par les notables locaux,qui s’entendaient souventsur le plus consensuel.Bas prix. Le suffrage directchange radicalement ladonne : les cent présidentsfédéraux élus en septem-bre 2015 seront dans leur im-mense majorité d’irrépro-chables sarkozystes. Pourassurer leur réélection, ilsauront à cœur de «faire descartes» en recrutant de nou-veaux adhérents. «Cela vacréer une forte émulation.C’est un outil très efficace pourfaire grandir le parti», expli-que un proche de NKM,chargée de superviser la réé-

criture des sta-tuts. Chaqueprésident fédé-ral signera avecla directionnationale un«contrat d’ob-jectif» où se-

ront comptabilisées les nou-velles adhésions, les dons etles initiatives politiques. Lefinancement de la fédérationsera indexé sur les résultatsobtenus. Sarkozy fonde ausside grands espoirs sur la créa-tion d’un statut pour les «e-militants», actifs sur les ré-seaux sociaux, intéressés parle débat d’idée mais sans in-vestissement militant au ni-veau local. Moyennant uneadhésion à bas prix, cessympathisants actifs grossi-raient l’armée chargée deneutraliser les concurrentsde l’ex-chef de l’Etat.

ALAIN AUFFRAY

L’UMPconsacresamueauserviceduchefDROITE L’UMP tient ce mardi son bureau politique,avec nouveaux statuts et nouveau nom au menu.

Ils étaient 120000, jeudi9 avril, à battre le pavéà Paris contre l’austérité,selon la CGT. Ou 32000,à en croire la police, qui encomptait quatre fois moins.A chaque manifestation,c’est la même rengaine.L’écart entre le nombre departicipants donné par lesautorités et celui dessyndicats est abyssal. Quicroire? Pour les troisexperts qui viennent definaliser une étude pour lecompte de la préfecturede police de Paris, c’est lapolice qui gagne. Pendantun an, le trio, qui assureavoir travaillé de manièreindépendante, a suiviles fonctionnaires depolice sur le terrain. Et il n’arien trouvé à redire surleur méthode de compta­bilisation. «Il n’y a pasd’interférence politiquedans la mesure et dansla communication dela mesure», estime l’un desexperts, Daniel Gaxie,professeur de sciencespolitiques. De quoi froisserles syndicats, pour quiles chiffres annoncés parles autorités restent tropsouvent dictés par des«choix politiques».

MANIFS :LES CHIFFRESDE LA POLICECONFORTÉS

L’HISTOIRE

Sarkozy veut avoir atteint les 500000 adhérents à la fin 2016… PHOTO ALBERT FACELLY

Faire contre mauvaise fortune bon cœur? En novembre,la maire de Paris, Anne Hidalgo, avait vertement accueillil’idée présidentielle d’une candidature parisienneaux JO 2024. En avril, changement de ton. Lundi, la voilàqui a fait voter au Conseil de Paris un vœu de soutien «aumouvement sportif». «Les conditions que j’avais posées aunom des Parisiens en novembre sont aujourd’hui réunies»,a­t­elle dit dans son discours aux élus. «Nous avons reçudes garanties.» Du Comité international olympique (CIO),pour la moralité, et de l’Etat pour les financements. Lacandidature devra intervenir avant septembre. La maires’est félicitée d’avoir résisté «à la fausse urgence médiati­que» et de pouvoir marier «l’esprit du 11 janvier» et «l’espritolympique originel». Hidalgo voit aussi dans cette candi­dature «un puissant levier au service des progrèsauxquels les Parisiens aspirent». Croit­elle aux chancesde Paris? Plusieurs membres de l’exécutif en doutent.Mais tous affirment qu’elle ira jusqu’au bout dansune candidature exemplaire. S.V. PHOTO REUTERS

FINALEMENT,HIDALGO DIT OUIAUX JO 2024 À PARIS

LES GENSIl s’agit, Sarkozy s’en cache àpeine, de faire oublier le sigleUMP, associé à la dévastatriceaffaire des fausses facturesBygmalion.

62,3milliards de dollars(58,9 milliards d’euros),c’est le montant desdépenses militaires de laFrance en 2014, au 5e rangmondial après les Etats­Unis, la Chine, la Russie etl’Arabie Saoudite.

QUESTIONS À EVE SHAHSHAHANIDE L’ACTION DES CHRÉTIENS POUR L’ABOLITION DE LA TORTURE

«La dimension humainede la demande d’asile estcomplètement oubliée»

A vant l’examen par la commis-sion des lois du Sénat du projetde loi réformant le droit d’asile,

mercredi, le Figaro a publié lundi lesextraits d’un rapport d’étape de la Courdes comptes. Les termes employés parles magistrats pour qualifier l’état dusystème sont forts: politique «insoute-

nable à court terme», procédure «dévoyée»… Tellement fortsqu’ils interrogent. Le point de vue d’Eve Shahshahani,responsable des programmes «asile» de l’Action deschrétiens pour l’abolition de la torture (Acat).w D’où sort ce rapport ?Que la Cour des comptes ait été chargée de plancher sur lesujet en vue de la réforme à venir n’est pas très étonnant.Mais on peut s’interroger sur le fait que ce rapport fuiteaujourd’hui, juste avant l’examen du texte au Sénat. Et surle vocable choisi, aussi: «la politique d’asile au bord de l’embo-lie». Cette expression est exactement la même que dans toutela communication institutionnelle du ministère de l’Intérieur.w Dire que le système actuel des demandes d’asile ne fonc-tionne plus, c’est faire un constat que vous partagez, non?Oui, le système est mal en point depuis plusieurs années.L’Acat et les autres associations dénoncent des procéduresinjustes et trop longues. Mais nous faisons une analyse dif-férente des causes du problème et des remèdes à y apporter.w C’est-à-dire ?Par exemple, il est faux de dire qu’il y a une hausse phéno-ménale du nombre de demandeurs d’asile. On a atteinten 2013 la barre des 60 000 demandes, mais ce n’est pas lapremière fois, c’est cyclique. Cela dépend aussi des crisesinternationales: les situations en Syrie, en Irak, au Soudan,en Erythrée poussent un nombre accru de civils innocentsà fuir leur pays. En mettant ainsi les chiffres en avant, on s’entient à une logique purement comptable et on élude l’essen-tiel : les demandeurs d’asile sont des personnes qui ont fuileur pays en guerre et qui cherchent un refuge. On oubliecomplètement cette dimension humaine et, pour cela, c’estdangereux.w Seuls 1% des déboutés du droit d’asile quittent le territoire…Si la plupart des 82% déboutés ne partent pas, c’est parcequ’ils sont en danger dans leur pays. En Europe, en moyenne,35% des demandes sont acceptées. La France n’est pas dutout un pays généreux.

Recueilli par MARIE PIQUEMAL

DR

LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 201512 • FRANCEXPRESSO

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Hommes,femmes:modesd’emploiDans un lycée de Roubaix, des intervenants poussent les élèves à dépasser leurs idées reçuessur les métiers qui seraient pour les uns destinés aux filles, pour les autres aux garçons.

O n frappe à la porte. VoilàFrédérique Luczkow,petite brune aux grandsyeux, longue tresse noire

sur l’épaule. «A votre avis, quel mé-tier fait-elle ?» demande Jean-Christian Fonteyne, documenta-liste et référent égalité garçons-filles, devant la classe de 15 élèvesde seconde du Lycée Maxence-Van-Der-Meersch de Roubaix. «Untruc d’homme, sinon, elle serait paslà», dit Sofia. C’était la matinéede sensibilisation à la mixité pro-

fessionnelle,jeudi dernier,comme cha-

que année depuis trois ans, dans celycée où la plupart des élèves sontd’origine modeste. On commencepar le jeu de la devinette. «Ma-çon !» «Pompier !» «Policière !»Perdu. La jeune femme brunesur l’estrade sourit, impassible.Tristan : «Mécanicien ?» Bernard :«Ferrailleuse?» Alassana: «Menui-sier!» Gagné. L’Atelier de la menui-sière, c’est le nom de l’entreprisede la dame, près de Lille. Un garçons’inquiète : «Est-ce que dans votreformation, les garçons vous considé-raient comme plus bas qu’eux ?»

VOCATIONS. Le but de cette jour-née: casser les stéréotypes de genresur les métiers, essayer de faire vi-ser haut et susciter des idées. Le ly-cée Van-Der-Meersch recrute sur-tout dans les collèges d’éducationprioritaire de la ville. Quelquesenfants des classes moyennes et,surtout, beaucoup de fils et fillesd’ouvriers, de chômeurs, qui n’ontpas la «culture scolaire», expliqueClaire Mecarelli, conseillère princi-pale d’éducation (CPE). La culturescolaire ? «Beaucoup de parentsn’ont pas le bac, n’ont pas connu lelycée. Chez certains, il n’y a pas delivre, et les parents sont au chômagedepuis plusieurs générations. Sur leschoix de métiers, ils ne sont pas trèsinventifs.» Au-delà de la lutte con-tre les stéréotypes, il s’agit de leurfaire rencontrer des gens, d’ouvrirdes perspectives. «On a tous dans

nos connaissances des gens qui sontarrivés là où ils n’auraient pas dû s’ily avait eu reproduction sociale. Ils ontfait une rencontre qui a changé leurvie. C’est ce qu’on veut offrir à nosélèves, une rencontre.» Les profs etles CPE ont bricolé sans argent: ils

ont cherché dans leurs familles,leurs amis, des professionnels inté-ressants ou décalés. Et prêts à don-ner une matinée. Ça a créé des vo-cations. David Becqueret, tee-shirtnoir, carrure de bûcheron, est as-sistant maternel. Les lycéens sesont étonné qu’il change des cou-ches. L’an dernier, un garçon lui ademandé comment faire pour exer-cer ce métier.Retour dans la classe. Ici, ces élèvesde seconde qui se destinent à unepremière S font mentir les statisti-ques: il y a six garçons et neuf filles.Les filles sont meilleures que lesgarçons en sciences mais, d’habi-tude, elles sont minoritaires en sec-tion S. Le regard des autres, quandon fait un métier dit «d’homme»?Ça peut être compliqué au quoti-dien, explique Frédérique Luczkow.«Quand je pose des fenêtres sur unchantier, parfois des ouvriers d’un

autre corps de métier secroient autorisés àm’expliquer commentfaire.» Quand elle sefait accompagner parun collègue chez unfournisseur, on

s’adresse à son collègue. «On me re-garde de la tête aux pieds. Qu’est-cequ’elle fout là, la secrétaire ?»L’intervenant suivant toque à laporte. Sofia s’attend à voir unefemme. «Elle fait quoi? Moissonneu-se-batteuse ?» C’est Jean-Bruno

Rieux, un brun au cheveu court etau sourire doux. Les lycéens l’ima-ginent coiffeur, sage-femme, infir-mier, couvreur, fleuriste. Bernardlève la main: «Je sais, vous êtes pou-belleur !» Sofia : «Non, il a pas l’airfatigué. Il est posé, au calme.» Quel-qu’un risque : «Maquilleuse ?» Etencore : «Prostitué ? Hôtesse d’ac-

cueil ? Esthéticienne ?» Sixtinetrouve : «Assistante sociale.» Lesassistants sociaux sont à 98% desfemmes. Corentin: «Il y a d’autreshommes avec vous ?» «Non je suistout seul», répond Jean-BrunoRieux. Corentin : «Respect.» Unautre: «Vous n’avez pas peur qu’ondise que vous êtes gay ?» «Non, ce

n’est pas interdit.» Il ajoute qu’êtreun homme est un petit handicap :établir la confiance prend pluslongtemps. «Il y a un côté maternantdans ce métier.»

«BLOUSE BLANCHE». Voilà deuxfemmes, dont une grande à l’alluresportive. Sofia : «Elle a un coup desoleil. Elle est skieuse.» Loupé, ellessont médecins. La grande bronzée,Louise Cappelle, est externe enmédecine légale. Valérie Coiteuxest hématologue au CHRU de Lille.Dans ce lycée, peu de filles enrêvent. «A moyenne égale, en S, lesgarçons se voient médecins, et lesfilles institutrices», raconte laconseillère principale, Claire Meca-relli. Sur le terrain non plus, cen’est pas l’égalité, reconnaîtl’hématologue. «Certains patientsfont plus confiance aux hommes.» Etles chefs sont surtout des hommes.«Les femmes ont moins confiance enelles. Elles prennent plus souvent unmi-temps pour les enfants. La car-rière est plus facile pour un homme.»Sixtine : «Vous avez des loisirs àcôté? Des amis?» Elles: «Ben, oui.»Jean-Christian Fonteyne, le docu-mentaliste, sursaute: «On voit tou-jours les femmes scientifiques commedes petites dames qui passeraient leurtemps à ça. En blouse blanche,austère, à lunettes, boutonnéejusqu’en haut. Faut arrêter. Elles ontune vie.» •

Par HAYDÉE SABÉRANEnvoyée spéciale à RoubaixPhoto AIMÉE THIRION

«On me regarde de la tête auxpieds. Qu’est-ce qu’elle fout là,la secrétaire?»Frédérique Luczkow menuisière

REPORTAGE

REPÈRES

Source : Insee, enquête Emploi 2013 - en France métropolitaine, hors communautés.

L’emploi par sexe selon les secteursEn % de la population de 15 ans ou plus en emploi

AGRICULTUREINDUSTRIE

CONSTRUCTIONTERTIAIRE

AUTREENSEMBLE

FEMMES HOMMES

Louise Cappelle (pull rose), hématologue, intervient dans une classe de seconde du lycée Van­Der­Meersch, à Roubaix, le 9 avril.

«Qui a découvertla fission nucléaire?Lise Meitner, et nonEinstein. On oublie lesfemmes scientifiques.»Le documentaliste Jean­Christian Fonteyne au lycéeVan­Der­Meersch deRoubaix

27%C’est la proportion de fillesen écoles d’ingénieurs enFrance, selon l’Educationnationale. Au lycée, les fillesréussissent pourtant mieuxque les garçons en sciences.

LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 2015 FRANCE • 13

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PSYCHIATRIE Alors que la loi Touraine prévoit de mieux encadrer le recours àl’isolement, le Dr Najman dénonce les dérives d’une époque «néoaliéniste»:

«Unemontéeenpuissancedel’enfermement»

C’ est aujourd’hui quel’Assemblée natio-nale vote toute la loi

de santé de Marisol Touraine.Dans ce très long texte, justequelques éléments sur lapsychiatrie. Et, entre autres,une disposition limitant leplacement en chambre d’iso-lement et la contention desmalades dans les hôpitauxpsychiatriques.Que le législateur se penchesur cette question pointe auminimum qu’il y a un pro-blème. Dans le texte, il en-tend mieux surveiller cespratiques; il rappelle que lesmesures de privation de li-berté «sont des pratiques dedernier recours», uniquement«pour prévenir un dommageimmédiat ou imminent pourle patient ou autrui, sur déci-sion d’un psychiatre» et «pourune durée limitée». En outre,«leur mise en œuvre doit fairel’objet d’une surveillancestricte confiée par l’établisse-ment à des professionnels desanté désignés à cette fin». Unregistre devra être tenu danschaque établissement, men-tionnant le nom du psychia-tre ayant décidé l’isolementou la contention, et celui desprofessionnels l’ayant con-trôlé. Le Dr Thierry Najmandirige un important secteurà l’hôpital psychiatriquede Moisselles, près de Paris.

Membre du Collectif des 39,qui défend une conceptionhumaniste de la psychiatrie,il va publier Lieu d’asile auxéditions Odile Jacob.Encadrer les chambres d’iso-lement, cela va-t-il dans lebon sens?Cela procède d’une bonnevolonté, mais jesuis sceptique. Unnombre impor-tant de rapports adéjà été rédigé.Dans les hôpitauxpsychiatriques, ily a une foule dejuristes, de ma-gistrats, d’avocats qui circu-lent. Tous constatent des at-teintes répétées aux libertés.Ajouter un registre ? On vaapporter au mieux une illu-sion qu’il y a un regard.Comment expliquer cettemontée en puissance de lacontrainte?Ce n’est pas simplement unemontée en puissance deschambres d’isolement ou dela contention, mais de toutesles formes d’enfermement,de toutes les forces de sur-veillance et de contrôle. Ettout le monde le dit, commechaque année dans son rap-port le contrôleur général deslieux de privation de liberté.Précisément?Certains rapports relèventdes cas de patients sanglés

pendant six mois, les quatremembres attachés, ainsi quel’abdomen, avec parfois unesonde urinaire. Il y a une fer-meture massive des portesdes hôpitaux psychiatriques,le nombre des unités pourmalades difficiles a été mul-tiplié par deux. Environ

400 000 person-nes sont hospita-lisées chaque an-née en psychiatriedans notre pays.Et plus de 20%sont hospitaliséessous la contrainte.Est-ce un retour à

d’anciennes pratiques?C’est bien plus qu’un retouren arrière. Schématique-ment, dans l’histoire de lapsychiatrie, on peut parlerde trois périodes : celle del’asile, qui va de la Révolu-tion française à la Libéra-tion; puis une période désa-liéniste, qui a correspondu àla création des secteurs, à lapsychothérapie institution-nelle ; depuis quinze ans, lasituation est différente. Jeparle d’une période néoalié-niste. Parce que lors de latoute première époque, onenfermait, certes, mais lespratiques étaient portées parla philosophie des Lumières.Aujourd’hui, ce n’est pas lecas, on est dans un contextede fermeture, de régression,

et dans un contexte debonne gestion comptabledes hôpitaux.Quel rapport avec la «bonnegestion»?L’effondrement des moyensalloués à la psychiatrie pu-blique est une réalité. Dansun service de psychiatrieoù il y a quarante maladesaigus et deux infirmières,que voulez-vous qu’ellesfassent si ce n’est fermer laporte et avoir peur ?Et vous, dans votre service?Mon service est ouvert enpermanence. Nous utilisonsde façon exceptionnelle lesmoyens de contention. Lefait d’ouvrir les portes, danstous les sens, favorise le soin.Et les enquêtes montrent quela fréquence des fugues estéquivalente dans les serviceshospitaliers ouverts et fer-més à clé.Reste que mettre un patientdans une chambre d’isole-ment est une décision du psy-chiatre. Pourquoi la prend-il?La contrainte qui se déve-loppe sur les patients se dé-veloppe aussi sur les profes-sionnels. Ils sont soumis à descontraintes économiques,administratives, bureaucrati-ques. Peut-être que beau-coup se laissent aller à unecertaine résignation, dans cecontexte de restriction.

Recueilli par É.F.

DR

Une chambre d’isolement de l’hôpital Esquirol, à Saint­Maurice (Val­de­Marne), en 2005. PHOTO PASCAL PAVANI.AFP

Par ÉRIC FAVEREAU

La maladie de Charcotau fil des mots

I l est toujours délicatd’évoquer un livre surune personne qui aus-

culte, décrit, raconte la ma-ladie dont elle est atteinte,surtout quand il s’agit d’uneinfection grave. Et la SLA, oumaladie dite de Charcot, estune saloperie. Affection dé-générative, elle attaque lesneurones moteurs qui, peu àpeu, ne répondent plus auxordres que le cerveau leurenvoie. Les muscles fondent,conduisant rapidement à laparalysie. Et le malade gardetoujours, tout au long del’évolution, une lucidité etune conscience indemnes.A la différence du sida oudu cancer, qui pouvaient êtreperçus comme le paradigmed’une société, la maladiede Charcot, elle, isole. Nesymbolise rien. Elle gri-gnote, détruit.

Frédéric Badré a tout juste50 ans. Ecrivain, il est aussipeintre. Et on lit son livre (1)comme on regarde un ta-bleau. Par touches successi-ves. On s’arrête, on revient,on a peur, on a froid. «Unemaladie sans cause lance undéfi à la raison. La SLA estsans cause, elle est donc sanssolution», écrit-il avec force.Mais c’est aussi une histoirede chaque instant: «Le doc-teur B. m’a prévenu, je devaism’attendre à une maladie sé-rieuse.» Puis: «Mon corps sesuicide… J’ai l’impression quema vie est sortie de ses gonds.Je vis une expérience du tempsgrossie. Mon corps s’est re-trouvé si vite métamorphoséque mon rapport au temps estchamboulé. Une vie normaleest fondée sur l’illusion de la

stabilité… Tous les jours, jedois imaginer de nouveauxstratagèmes pour réaliser lesgestes les plus simples, commeme relever d’une chaise ouporter un verre à ma bouche.»

La maladie est intime, maissa prise en charge est collec-tive: «Je plains le malade soli-taire, je suis heureusement trèsentouré. Comme Gregor dansla Métamorphose de Kafka, jedeviens un fardeau pour lesproches. Et j’observe ce cu-rieux transfert d’énergie dansma propre famille : les forcesphysiques disparaissent demon corps, elles se démulti-plient dans mon entourage.»Et plus loin, ce constat :«Comment un malade solitairepeut-il affronter l’administra-tion kafkaïenne des aides ?Comment peut-il avoir lesnerfs assez solides pour pa-tienter au téléphone, répéter àdes interlocuteurs interchan-geables son problème, attendreque la commission de la Mai-son des handicapés ait statuésur sa maladie ?»Frédéric Badré regarde. Ilécrit l’évolution de son mal.Il peint, aussi : «Au début, jeparvenais sans peine à inté-grer les maladresses, ces pa-rasites de la SLA en progrès,dans mes dessins, puis elle apris le dessus… Tous mes ta-bleaux resteront inachevés.»Devant la Pietà du Titien àVenise, Frédéric Badré mur-mure, à la toute fin de sonrécit : «Je reste là, immobile,j’attends d’être guéri pour quema vie reprenne son coursnormal.» •(1) «La Grande Santé»,de Frédéric Badré, éd. du Seuil,avril 2015, 194pp., 17,50€.

AUX PETITS SOINS

4,5médecins sur 1000 ont signalé un incident au Conseilde l’ordre en 2014, soit 901 cas enregistrés. Globale­ment, les violences contre cette profession ont légère­ment régressé en 2014, mais restent «élevées», selonl’Observatoire pour la sécurité des médecins, qui vient delivrer ses résultats. Ces incidents vont de l’agression pourun arrêt maladie refusé, une attente jugée excessive, unemenace pour un refus de prescription, à un vol dans lecabinet. Les généralistes, qui représentent 54% de lapopulation médicale, demeurent de loin les plus touchés:61%. Les cabinets de centre­ville sont de plus en plusconcernés, avec presque 6 incidents sur 10 enregistrés.En revanche, la proportion des incidents ayant lieu enbanlieue recule encore. Les agressions physiques repré­sentent 11% des déclarations, quand près d’un tiers cor­respondent à des «atteintes aux biens». Un record avaitété atteint en 2013, avec 925 signalements d’incidents.

LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 201514 • VOUS SANTÉ

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ARadioFrance,malgrélamédiation, lagrèvecontinue

Insatisfaitsdes avancéesrécentes, lessalariés ont voté,lundi, la poursuitedu mouvementà une largemajorité.

I l y a ceux qui promettent d’al-ler «jusqu’au bout» et quelquesautres, plus discrets, qui com-mencent à s’inquiéter à demi-

mots d’une forme de «suicide col-lectif». Au 27e jourd’un conflit social quin’en finit plus, la

grève a finalement été largementreconduite à Radio France lundi, auterme de deux assembléesgénérales. Seules 12 mains se sontlevées dans l’après-midi pour ré-clamer la fin du mouvement –26 sesont abstenues – sur les 350 à400 salariés réunis dans le stu-dio 105 de la Maison ronde. Et ni lesdébuts de divergences de vue ausein de l’intersyndicale ni la pers-pective d’une fin prématurée de lamission du médiateur laissant seulsdirection et syndicats dans un face-à-face stérile, n’ont entamé la dé-termination des grévistes. Bienconscients que leur grève, la pluslongue de l’histoire de RadioFrance, est parvenue à un tournant,ces derniers n’en ont pas moinsjugé insuffisantes les propositionsdu médiateur nommé par le gou-vernement. Et lui demandent doncde revoir sa copie. Les syndicats ré-clament à la ministre de la Culture,Fleur Pellerin, une prolongation dela médiation de vingt-quatre heu-res reconductible. «On n’y croit pasbeaucoup, explique Jean-EricZiolkowski, de la CFDT, mais on es-saie. Ce serait dommage d’échouer siprès du but, on n’est vraiment pasloin d’y arriver.» «On laisse unenouvelle chance à la tutelle et la direc-tion», déclarait pour sa part Jean-Matthieu Zahnd, de la CGT.

«CADOR». Les syndicats ont expli-qué aux salariés que le médiateuravait conditionné dimanche lapoursuite de sa mission à l’appro-bation de ses propositions par l’in-tersyndicale. Un préalable qui acrispé certains participants à l’AG,qui ont vu là une forme de «chan-tage». «Ils nous ont envoyé un cador,un marathonien, reconnaît le délé-gué syndical de la CGT en parlantde Dominique-Jean Chertier. Maisquand la ministre [Fleur Pellerin] af-firme que le dialogue social est réta-bli, il n’en est rien.»Le médiateur– et à travers lui le gouvernementqui en le nommant a fini par accé-

der à la demande des syndicats –avait clairement fixé le cadre «don-nant donnant» de sa mission jeudisoir. Il devait dans un premiertemps «permettre dans les plus brefsdélais, la fin du conflit, la reprise desantennes et le retour aux conditionsnormales du dialogue social» commel’expliquait Fleur Pellerin en luiconfiant sa feuille de route. Unemission de pompier social pour la-quelle il s’était fixé jusqu’à diman-che soir et dont la réussite condi-tionnait la deuxième étape, la plusimportante: accompagner durantles trois prochains mois la mise aupoint du contrat d’objectifs et demoyens (COM), qui fixera l’avenirde Radio France pour les cinq pro-chaines années. «Le deal était hon-nête de la part de la tutelle qui a ainsicherché à se rattraper après un in-croyable retard à l’allumage, expli-quait une journaliste non-grévistetrès inquiète de la tournure desévénements. Je ne sais pas commenton va se débrouiller maintenant quetous les ponts sont coupés avec unedirection déjà cramée. Qui va s’occu-per du plan de départs volontaires de

380 salariés? Il aurait peut-être falluy penser.» «Si nous continuons lagrève coûte que coûte, nous risquonsd’être discrédités aux yeux du minis-tère et de la direction, mettait égale-ment en garde Philippe Ballet, dé-légué syndical de l’Unsa lors de lapremière AG dans la matinée.N’oublions pas que l’on a mis troissemaines à obtenir cette médiation».Autre argument plaidant en faveurd’un arrêt du mouvement, plu-sieurs salariés ont mis en avant leslimites du système de grèves tour-nantes autour des quatre préavis etla proximité des vacances de prin-temps – qui débutent samedi.Autant de facteurs qui risquentd’affaiblir la mobilisation dans lesprochains jours.Joint par Libération, le médiateurDominique-Jean Chertier, a con-firmé qu’il était allé au bout de samission initiale. «On ne sort pas deplus de trois semaines de conflit avecun consensus, ça n’existe pas, c’estimpossible, explique-t-il. Mais letexte auquel je suis parvenu aprèsavoir longuement consulté toutes lesparties pose les bases d’un rétablisse-

ment du dialogue social en formulantune liste de recommandations à met-tre en œuvre. Soit on s’accorde des-sus, soit ma mission est terminée. Iln’y a pas de plan B.»

«EXEMPLAIRE». Assez vague pourconstituer un socle minimal sur le-quel s’accorder, le texte évoque desinstances de direction qui devrontêtre «exemplaires» et rappelle quele «dimensionnement de l’emploi nedoit pas être la seule réponse aux pro-blématiques financières». Mais lessyndicats souhaitaient que sa for-mulation soit plus explicite en cequi concerne la préservation desemplois et la question de la «syndi-cation» des programmes entre les44 antennes du réseau France Bleu.Pour le moment, dans le texte, il estsimplement écrit qu’elle «n’est pasun principe d’action». Bien plusqu’une nuance pour les grévistesqui craignent qu’elle ne s’étendedans les années à venir pour parve-nir aux 50 millions d’euros d’éco-nomies visés par le PDG de RadioFrance, Mathieu Gallet, à l’horizon2019. •

Par CHRISTOPHE ALIXet VANINA DELMASPhoto JULIEN PEBREL. MYOP

RÉCIT

Dans le studio 105 de la Maison de la radio, lundi matin, lors de l’assemblée générale des salariés de Radio France.

Les syndicats demandentle maintien des effectifs,des programmes de proxi­mité sur le réseau FranceBleu et des deux orches­tres de Radio France.

REPÈRES

27C’est le nombre de joursde grève à Radio Francece mardi. Une durée histo­rique depuis Mai 68.

LE MÉDIATEURDominique­Jean Chertier,64 ans, a été directeurgénéral de l’Unédic. Puisil est passé par la Snecmaet a été directeur généraldélégué du groupe Safran.

LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 2015

ECONOMIE • 15

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Par VITTORIO DE FILIPPIS

Les monnaies locales,espèces en voiede reproduction

S i la monnaie se substitueau troc, c’est pour facili-ter l’échange. Si elle

se dématérialise, c’est pourréduire les coûts de transac-tions. Et si elle se complexi-fie, c’est par commodité.Cette vision ne serait-elle pasune construction qui, enmettant en avant une ratio-nalité toujours plus grande,occulterait l’essentiel ? Lamonnaie a un rôle social aussiimportant, sinon plus, queson rôle technique. Telle esten substance, la conclusionde la «mission d’études surles monnaies locales complé-mentaires et les systèmesd’échanges sociaux» qui aremis son rapport le 9 avril àCarole Delga, la secrétaired’Etat chargée de l’Economiesociale et solidaire. Ce travailsur les monnaies alternativesavait été commandé parCécile Duflot et Benoît Ha-mon, respectivement ex-mi-nistre du Logement et ex-ministre délégué à l’Econo-mie sociale et solidaire.

Qu’apprend-on à sa lecture?II existe depuis plus de vingtans des systèmes d’échangeslocaux (SEL) basés surl’échange de produits et ser-vices au sein d’une commu-nauté restreinte. Il y a aussiles «accorderies», un sys-tème de crédit temps utiliséau niveau des quartiers, oùquel que soit le service

échangé, une heure rendueégale une heure reçue. Et ilexiste désormais des mon-naies locales complémentai-res (MLC).

Une trentaine de ces devises,comme l’abeille de Villeneu-ve-sur-Lot, le sol-violettede Toulouse ou la mused’Angers existent depuis peuen France. La mécanique estsimple. Il suffit d’échangerauprès d’une chambre decompensation locale, uneuro contre, par exemple, uneusko. Eusko kesako? C’estjustement la nouvelle mon-naie locale complémentairebasque qui se veut aussi unoutil de relocalisation del’économie, puisqu’ellen’est utilisable qu’entreprestataires ayant leur acti-vité au Pays basque. L’inté-rêt ? Promouvoir l’emploilocal, la solidarité entre lesentreprises, le lien au terri-toire et la réduction desémissions de gaz à effet deserre. Certes, les auteurs durapport soulignent que lemouvement est encore rela-tivement timide en France.Mais il explose en Suisse, auJapon, au Brésil. Le mondecompte plus de 5 000 mon-naies locales et solidaires. Amille lieux du bitcoin, cettemonnaie cryptée informati-que qui se revendique apa-tride et apolitique et permettous les business. •

AU RAPPORT

I ls sont rentrés lundi dansleur deuxième semaine degrève. Les salariés d’Eco-

cert à L’Isle-Jourdain (Gers)n’imaginaient pas en arriverlà. De nombreuses bandero-les pavoisent désormais lesgrilles du siège social du nu-méro 1 mondial de la certifi-cation des produits biologi-ques, créé en 1991. Le leaderqui appose les labels sur lesproductions conformes aubio voit son propre logo, unehirondelle rouge prenant sonenvol, détourné. Sur les tee-shirts et la page Facebookdes salariés en grève, l’oiseauannonciateur du printempsa endossé un noir funèbre etpique du nez.Prime. «Nous avons lancé unmouvement après des négocia-tions annuelles sur les salairesqui ont duré longtemps, ra-conte Thomas Vacheron, ledélégué syndical CGT. La di-rection refusait la reconnais-sance de l’ancienneté et notredemande d’une augmentationde 120 euros brut par moispour tout le monde.» Depuis,la direction se serait engagéeoralement à reconnaîtrel’ancienneté mais sans enpréciser les modalités. Pourla prime, elle proposait36 euros net vendredi. Loindu compte. «C’est indécentde dire ça aux grévistes qui ontdéjà perdu entre 300 et400 euros net dans cette mo-bilisation», renchérit un sa-larié. Une caisse de solidaritéet de soutien a été mise enplace. Il faut improviser,l’entreprise n’avait pas

connu de grève depuis dixans ; la plupart des salariés,35 ans en moyenne et plutôtdiplômés (bac+2, ingénieurs)n’en avaient jamais vécu.Depuis le 7 avril, pourtant,70 à 75% des 180 auditeurs(qui mènent les contrôles) ettechniciens suivent le mou-vement, selon la CGT et laCFDT. Plusieurs dizaines desalariés venus de toute laFrance ont ainsi afflué sur lesite, qui en covoiturage, quien camping-car, en signe desoutien. Mais la direction afait fermer les toilettes qui se

trouvaient dans un autre bâ-timent. Des intimidationsqui visent à pourrir le mou-vement, selon les syndicats.«L’agriculture biologique a levent en poupe, reprend Tho-mas Vacheron. On s’en réjouitet notre entreprise va bien,mais la direction refuse de re-valoriser les salaires malgré lesprofits engrangés.»La direction d’Ecocert n’estévidemment pas sur la mêmelongueur d’onde. Elle trouveque ses salariés sont bientraités et bien payés. «La di-rection d’Ecocert France prêteune grande attention au con-fort de ses salariés. A L’Isle-Jourdain, de nouveaux bu-reaux viennent d’être cons-truits pour leur offrir un cadrede travail agréable, spacieux

et écologique – avec une salledédiée à des activités sportiveset culturelles», énonce un destrois communiqués émis de-puis une semaine. Sur lapage Ecocert en grève, onsemble moins épanoui. Ladirection mélange «tous leséléments: fixes, variables (nongarantis), et les heures réali-sées en plus sur le terrain car lepersonnel est aux qua-rante heures».Photos. Des illustrationsconcrètes sont fournies avecphotos de bulletins de sa-laire: un chargé de certifica-

tion à moins de1 500 euros aprèscinq ans d’an-cienneté. Nouvelargument de ladirection dans laguerre de com-

munication qui se jouede Facebook à Facebook :«En 2014, 65% des salariésnon cadres d’Ecocert Franceont perçu une rémunérationannuelle globale nette supé-rieure ou égale à 24000 euros;soit un équivalent mensuel su-périeur ou égal à 2 000 eurosnet.» Dans un secteur auservice de l’environnement,les hirondelles semblent vo-ler bien bas.Après une distribution detracts lundi, les salariés ontreconduit le préavis et ob-tenu un rendez-vous avec ladirection ce mardi à 16 heu-res. «Nous, on est passionnéspar le bio, regrette ThomasVacheron. On a autre chose àfaire que la grève.»

FRÉDÉRIQUE ROUSSEL

«Notre entreprise va bien,mais la direction refuse derevaloriser [nos revenus].»Thomas Vacheron délégué CGT

Lessalaires,nerfdelagrèvechezEcocertSOCIAL Un conflit agite depuis une semaine le leadermondial de la certification écologique.

Elle a pris cher: ArletteRicci, fille de la créatrice dela maison de couture NinaRicci, a été condamnéelundi à trois ans de prison,dont deux avec sursis,et 1 million d’eurosd’amende. Sa faute? Avoirfraudé le fisc «pendantplus de vingt ans avec unevolonté particulièrementdéterminée» de soustraireà l’impôt 18,7 millionsd’euros sur des comptes ensuisse. Le tribunal correc­tionnel de Paris a parailleurs ordonné la confis­cation d’une maison à Pariset d’une propriété enCorse estimées à 4 millionsd’euros que l’héritière avaitplacées en SCI pour «orga­niser son insolvabilité».Dénoncée par la fameuse«liste Falciani» recensantles comptes suisses nondéclarés de riches clientsfrançais de la banqueHSBC, Arlette Ricci n’en apas fini pour autant avec lefisc: l’administration luiréclame encore plusde 10 millions d’eurosd’impôts, pénalités etautres retards. PHOTO AFP

FRAUDE FISCALE :UN AN FERMEPOUR L’HÉRITIÈREDE NINA RICCI

LES GENS

7,1%Ce devrait être la croissance du PIB chinois en 2015,traduisant un nouveau ralentissement de l’activité –auplus bas depuis un quart de siècle–, minée par les sur­capacités locales et l’érosion de la demande mondiale.

Devant le siège social d’Ecocert, lundi, à L’Isle­Jourdain (Gers). PHOTO RÉMY GABALDA. AFP

Travailler ou conduire, ilfaudrait pouvoir choisir:selon une étude comman­dée par l’assureur MMA,plus de 8 actifs sur 10 (85%)reconnaissent avoir adoptéun comportement dange­reux au volant lors d’undéplacement professionnel.En cause, le smartphone:3 personnes sur 4 (74%)utilisent leur téléphonepour passer ou prendredes appels en conduisant,53% pour lire des SMS et42% pour en envoyer. Lesprofessionnels stressésconduisent aussi trop vite(71% pratiquent l’excès devitesse) ou en état defatigue (78%). Pas étonnantque la route reste lapremière cause de décèsau travail avec 20% desaccidents mortels.

LE SMARTPHONE,UN TUEURPROFESSIONNELSUR LES ROUTES

L’ÉTUDE

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LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 201516 • ECONOMIEXPRESSO

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- RAPPEL -CONCERTATION

Cette concertation est ouverte par la délibération 2014 DU 1113-1° duConseil de Paris en date des 17, 18 et 19 novembre 2014, conformément auxdispositions de l’article L 300-2 du Code de l’Urbanisme

QUARTIER SAINT-VINCENT DE PAULPROJET D’AMENAGEMENT

REUNION PUBLIQUE DE RESTITUTIONDE LA PHASE DIAGNOSTIC / ENJEUX

Jeudi 16 avril 2015 à 19h00

MAIRIE DU 14ème

Salle des Mariages2 place Ferdinand Brunot, 75014 PARIS

Présidée par :Carine PETIT, Maire du 14ème arrondissement.

Tous les habitants, associations locales

et autres personnes concernées et intéressées

sont invités à y participer.

EP 15-056 [email protected]

Direction de l’Urbanisme

- AVIS -CONCERTATION

Cette concertation est ouverte par la délibération 2014 DU 1097 duConseil de Paris en date des 17, 18 et 19 novembre 2014, conformément auxdispositions de l’article L 300-2 du code de l’Urbanisme.

BERCY-CHARENTONParis 12ème arrondissement

REUNION PUBLIQUE DE RESTITUTION

Présentation du Bilan de la concertation et des évolutionsdu Plan Guide, schéma d’ensemble de la future opération d’aménagement.

Mercredi 22 avril 2015 à 19h00Espace Charenton

327 rue de Charenton75012 PARIS

Coprésidée par :Mme Catherine BARATTI-ELBAZ, Maire du 12ème arrondissement

Mr Jean-Louis MISSIKA, Adjoint à la Maire de Paris chargé del’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développementéconomique et de l’attractivité.

Informations sur le projet : www.urbanisme.paris.fr rubrique projets [email protected]

Tous les habitants, associations locales et autres personnes concernées etintéressées sont invités à y participer.

EP 15-061 [email protected]

Direction de l’Urbanisme

75paris

Divers société

[email protected]: Tél: 01 40 10 51 66

ANNONCES [email protected] Contact: Tél: 01 40 10 51 51Libération est officiellement habilité pour l’année 2015 pour la publication des annonces légales et judiciaires pararrêté de chaque préfet concerné dans les départements : 75 (5,49€) - 91 (5,12€) - 92 (5,49€) - 93 (5,49€) - 94 (5,49€)tarifs HT à la ligne définis par l’arrêté du ministère de la Culture et la Communication de décembre 2014.

LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 2015 ANNONCES • 17

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FerreiraCarrasco,lafontainedejouvenceduRocherLe jeune prodige belge, formé au club, affrontera avec Monacola Juventus de Turin ce mardi en quart de finale aller de laLigue des champions. Une fraîcheur bienvenue dans l’équipe.Par GRÉGORY SCHNEIDER

P our ceux qui ont suivi les pérégri-nations doloristes de Jérémy Toula-lan au fil des saisons, l’instantrésonna comme une sorte de libéra-

tion intime, un éclair dans la nuit : un éclatde rire public de l’éternel maudit de Knysna(le bus, etc.), un soir de décembre et devictoire (1-0) dans un couloir du stade Saint-Symphorien de Metz. Il y avaitmatière à rigoler : un journalisteprésent l’avait lancé sur le «grandmatch» du buteur du soir, le jeune (21 ans)ailier belge Yannick Ferreira Carrasco, lequelavait passé son match à faire n’importe quoi– sauf sur le but, évidemment.Toulalan s’était étranglé : «Oui, mais là, lesgars, sur le match de ce soir, je ne suis pascertain que Yannick ait, comment dire…» Eclatde rire général. Il ne fallait pas se méprendre:le milieu de terrain international y avait mistoute la tendresse, tout le respect du monde.Ferreira Carrasco s’était pointé dix minutesplus tard, le service com du club de la princi-pauté toujours à moins de 2 mètres –un trucqui ne trompe jamais. Un détail frappant: soncôté crâne, les yeux qui se plantent dans ceuxde son interlocuteur. Deux ou trois banalités.Puis une question venue de plus loin: que luireste-t-il à apprendre? Le Belge était montédans les tours: «Mais tout! Le mec qui est bondans le jeu de tête, il arrête de travailler le jeu detête ? Le mec qui court, il faut qu’il arrête decourir ? Pourquoi vous dites ça ?»

GAMIN. D’accord. Si ce type brûle jusquedans ses tréfonds, restait à savoir de quel feu.Plus tard, dans l’Equipe, sur son rôle de tireurde coup franc dans une formation moné-gasque où des plus expérimentés que luipeuvent y prétendre: «Si quelqu’un les frappemieux qu’un autre, c’est lui qui les tire, non ?On ne laisse pas la place à un autre parce quec’est un nom. Ça n’existe pas, les noms, dans lefoot.» Lors de son premier match profession-nel en août 2012 face à Tours (4-0), en Ligue 2,il pique le ballon des mains de son coéquipierNabil Dirar qui s’apprêtait à refrapper un coupfranc qu’il venait d’expédier dans le mur: lu-

carne. Ce jour de première, sa mère et son pe-tit frère étaient dans les tribunes de Louis-II.L’homme qui l’a fait venir à Monaco à 16 ans,Stéphane Pauwels, reçoit un SMS dans la fou-lée: c’est la première et la dernière fois que lerecruteur a été remercié de la sorte par un ga-min dont il s’est occupé.L’attaquant a alors 18 ans. Son club le metsous cloche : il ne verra plus un journalistependant un an. Faute d’explication, il faut en

revenir à la règle, édictée par unentraîneur en poste en Ligue 1: «Ouvous le faites parce que le joueur n’est

pas armé au niveau du langage, et il y a le ris-que qu’il passe pour inintelligent, notammentlors d’une interview filmée, ou vous le faitesparce que le joueur est susceptible de se voir tropbeau dans l’œil de ses interlocuteurs, et vouspouvez passer des semaines, voire des mois,à le récupérer.»L’écho du vestiaire monégasque plaide plutôtl’état de nature. Juste avant le huitièmede finale de Ligue des champions remportécontre Arsenal (3-1, 0-2), le natif d’Ixelles,

dans la région de Bruxelles-Capitale, s’estouvert comme jamais dans l’Equipe: «J’ai unemasse musculaire moins forte, c’est un avan-tage [sic]. S’il faut me gérer, je le fais à l’entraî-nement. Je suis parfois à 50% dans les séancespour ne pas me brûler, ça fait trois ans que jesuis pro, je me connais [re-sic]. On fait tout çapar fierté, on n’écoute pas ce qu’on dit de nous.[…] Je suis l’un des plus créatifs. Même si jeperds des ballons, je continue à percuter. […] Sije me sentais français, j’aurais déjà demandé unpasseport français pour jouer avec les Bleus,mais je me sens tellement belge…»De fait: il partage quelque chose avec certainsde ses compatriotes passés par l’Hexagone(Eden Hazard, Michi Batsuhayi), à savoirune forme d’inconséquence, comme si rienn’était grave – ni un mot de travers ni un

ballon qui se transforme en but pour l’adver-saire– et que le mec jouait pour lui-même, etnon pas pour une armée de parasites, ou pourl’idée que l’on pourrait se faire de lui.

BRAS DE FER. Après, si un jeune prodigebelge voyage plus léger qu’un Français de sonniveau car la pression médiatique et populaireest bien moindre, l’attaquant monégasquen’en a pas moins un certain mérite. Sesparents se sont séparés rapidement: sa mère,réceptionniste à la télévision belge, a élevéseule ses quatre enfants. A 11 ans, FerreiraCarrasco part en formation à Gand, alors qu’ilne parle pas un mot de flamand. «Je ne voulaispas aller en internat alors, avec deux autresjoueurs, on s’est trouvé une famille d’accueil,racontera-t-il dans France Football. Je voyaismes parents [divorcés] le samedi soir, et jeretournais dans ma famille d’accueil le diman-che. C’était bien, j’ai toujours été solitaire. Et j’aitoujours été déterminé.»Les recruteurs monégasques n’en revien-dront pas : dès son premier entraînement

test, il met deux joueurs sur lesfesses sur la même action. A lafin du second test, il est déjàdans le bureau pour discutercontrat. Tout à sa joie, il n’enoublie pas moins d’inclure10 allers-retours Bruxelles-Nice pour sa mère dans le deal.

Quatre années plus tard, Ferreira Carrascosera le visage électrique, imprévisible et pa-radoxal d’un club monégasque qui fonc-tionne dans une opacité complète, avec unprésident invisible et des ressorts sujets àtoutes les conjectures. Il arrive pourtantqu’on y comprenne quelque chose.Entre le 9 novembre 2013 et le 10 mai 2014,après un début de saison du feu de Dieu, Fer-reira Carrasco s’est vu accorder quarante-huit minutes de jeu: il refusait de prolongerson contrat aux conditions imposées par leclub de la principauté, et il est probable qu’enrétorsion, sa direction avait fait passer laconsigne de l’écarter du terrain.Ferreira Carrasco a raté une Coupe du mondelà-dessus, il a aussi multiplié son salaire parcinq (autour de 100000 euros mensuels dé-

sormais) au terme du bras de fer, et il ne s’ex-primera sur l’affaire qu’au calme, dix moisaprès les faits, d’une façon suffisamment cli-nique pour ne pas donner de prise.Faute de savoir où il met le curseur de la jus-tice ou de l’injustice, difficile d’en déduireune sorte d’assagissement. Disons plutôt queYannick Ferreira Carrasco en prend, et qu’ilen laisse aussi parfois. •

PROFIL

L’attaquant YannickFerreira Carrasco,le 16 mars. PHOTOVALÉRY HACHE.AFP

«On fait tout ça par fierté, on n’écoutepas ce qu’on dit de nous […] Je suis l’undes plus créatifs. Même si je perdsdes ballons, je continue à percuter.»Yannick Ferreira Carrasco

LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 201518 • SPORTS

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Le club de Leonardo Jardim ne donne pas dansla fluidité sur le terrain, mais les résultats sont là.

et promenait une sorte denégation du football desemaine en semaine, ultra-défensive, une séanced’hypnose où les hommescoachés par le PortugaisLeonardo Jardim ramassentun adversaire endormi enfin de match.Jardim a répondu le lende-main par un mélange d’in-différence et d’agacement.Tous les joueurs et entraî-neurs professionnels dumonde sont programméspour gagner les matchs 1-0,pas pour courir après l’idéeque ceux qui regardent– public, diffuseurs – sefont du spectacle sportif.Reste que Dugarry futjoueur, lui aussi. Et qu’il areçu, depuis, le renfortd’un type aussi crédibleque Frédéric Antonetti, an-cien coach à Saint-Etienne,Nice ou Rennes et peu sus-ceptible de réagir en fonc-tion d’un calcul qui luivaudrait une gratificationquelconque.Pire: interrogés là-dessus àl’envi après les matchs, lesjoueurs monégasques n’ontpas contesté le côté abrasifde leur expression, plaidanten revanche pour «les ef-forts faits en commun», et«la discipline collective» desuns et des autres, certainsd’entre eux (Layvin Kur-

zawa, Anthony Martial)ayant cependant dû être ra-menés sur la ligne droite,là-bas comme partout.Demeure un véritable mys-tère : pour être encore encourse en Ligue des cham-pions et devancer Marseille(célébrée à l’inverse pourson jeu pétillant) en Ligue 1avec des joueurs objective-ment moins forts que ceuxde Marcelo Bielsa, Monacoa forcément quelque chose.Mais quoi ? S’il suffisait dejouer ensemble pour obte-nir des résultats pareils, çase saurait. Mais alors ?Puzzle. Un entraîneurgénial, dont l’Europe dufootball n’a pas encore prisla mesure ? Un puzzle dejoueurs miraculeux, oùtoutes les pièces s’emboî-tent par enchantement ?Pour notre part, on a vu untruc. Le lendemain des cri-tiques de Dugarry, le milieuNabil Dirar, au club depuisles vaches maigres de Li-gue 2, avait été invité à réa-gir. Le Marocain avait étéformidable: candide, heu-reux de son sort, plaidantsans arrière-pensée pourla liberté d’expression duconsultant. Un joueur, danstous les sens du terme. Loindes débats sans fond surl’art et la manière.

G.S.

Les principesde MonacoC’ est une polémique a

priori étrange dontil a bien fallu pren-

dre acte, tant elle réappa-raît de manière récurrente,toutes les trois ou quatresemaines depuis le début desaison : l’AS Monaco, quiabordera ce mardi sur lapelouse de la Juventus deTurin son quart de finale al-ler de Ligue des championsavec des chances de quali-fication pour le derniercarré on ne peut plus réel-les, joue mal. Ou plutôt :elle joue moche.Battus chez eux (1-3) puiséliminés par l’équipe de laprincipauté en 8e de finalede la compétition reine, lesAnglais d’Arsenal n’avaientjamais été sortis par un clubfrançais? En grossissant letrait, on n’a parlé que de lascience monégasque ducontre, de son football àl’arraché et des ratés del’attaquant des GunnersOlivier Giroud.Artillerie. Début mars, auterme d’un Monaco-PSG deLigue 1 fermé à double tour(0-0), le consultant deCanal + et ancien joueurChristophe Dugarry a sortil’artillerie, estimant quel’ASM «ne méritait pas dejouer la Ligue des cham-pions» (c’était avant queMonaco élimine Arsenal),

Les statistiques de la saison en coursLIGUEDESCHAMPIONS-QUARTSDEFINALE

ATLETICOMADRID

JUVENTUS

PARISSG

FCPORTO

REALMADRID

MONACO

BARCELONE

BAYERNMUNICH

Match allermardi 20h45

mardi 20h45

mercredi 20h45

mercredi 20h45

Match retourmercredi 22 avril

mercredi 22 avril

mardi 21 avril

mardi 21 avril

Victoires Nuls DéfaitesButs marqués Buts encaissés

Source :UEFA

1C’est le nombre de fois oùMonaco a perdu à l’extérieurcette saison en quatre matchsde Ligue des champions.

LA JUVE SANS PAUL POGBAREPÈRES «En quart, il y avait deséquipes très difficileset des équipes très,très difficiles. La Juve,c’est très difficile.»Leonardo Jardimcoach monégasque

La présence de la Juventusde Turin (deux titres européensen 1985 et 1996) à ce stade dela compétition ressemble à unerésurrection: une seule qualifi­cation pour les quarts de laLigue des champions depuis

2006, le prix sportif de la criseéconomique qui s’est abattuesur le football italien dansl’intervalle. Contre Monaco, lesPiémontais seront privés dumilieu tricolore Paul Pogba,blessé aux ischio­jambiers.

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Le CarnetEmilie Rigaudias

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AnniverSAireDÉCÈS

Le 9 avril 2005,

Laurencedécidait de nous quitter.

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Brunomon amour 56Deux ans sans toi ....Deux ans avec toi àchaque instant..

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LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 2015 SPORTS • 19

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La modernité est d’abord uneréalité négative. C’est, en ef-fet, la sortie de la tradition.C’est la fin du vieux mondedes castes, des noblesses, del’obligation religieuse, desinitiations de la jeunesse,

des mythologies locales, de la soumis-sion des femmes, du pouvoir absolu dupère sur les fils, de la séparation offi-cielle entre le petit nombre des puis-sants et la masse méprisée et labo-rieuse. Rien ne pourra revenir sur cemouvement, amorcé sans doute en Oc-cident dès la Renaissance, consolidé parles Lumières au XVIIIe siècle, matéria-lisé depuis par l’essor inouï des tech-niques de production et le perfection-nement incessant des moyens de calcul,de circulation, de communication.Le point peut-être le plus frappant estque cette sortie du monde de la tradi-tion, cette véritable tornade sur l’huma-nité, qui, en à peine trois siècles, a ba-

layé des formes d’organisation quiduraient depuis des millénaires, créeune crise subjective dont nous perce-vons les causes et l’étendue, et dont undes aspects les plus voyants est l’ex-trême et grandissante difficulté, pour lajeunesse en particulier, de se situer dansle nouveau monde.C’est cela, la vraie crise. On croit parfoisqu’il s’agit du capitalisme financier.Mais non! Pas du tout! Le capitalismeest en pleine expansion mondiale, il seporte à merveille. Les crises et les guer-res font partie de son mode propre dedéveloppement. Ce sont là des moyensaussi sauvages que nécessaires pournettoyer les formes de la concurrence etfaire que les vainqueurs concentrent en-tre leurs mains la quantité la plus consi-dérable possible du capital disponible.De ce point de vue, strictement objectif–la concentration du capital– rappelonsoù nous en sommes: 10% de la popula-tion mondiale détient 86% du capital

disponible; 1% détient encore 46% dece capital ; et 50% de la populationmondiale ne possède exactement rien,0%. On comprendra aisément que les10% qui possèdent presque tout ne sou-haitent nullement être confondus avecceux qui n’ont rien. A leur tour, ungrand nombre de ceux qui se partagentles maigres 14% restants nourrissent un

désir féroce de conserver ce qu’ils ont.C’est pourquoi ils apportent souventleur appui, racisme et nationalismeaidant, aux innombrables barragesrépressifs contre la terrible «menace»qu’ils aperçoivent dans les 50% quin’ont rien.Tout cela aboutit à ce que le mot d’ordreprétendument unificateur du mouve-ment Occupy Wall Street, à savoir«Nous sommes les 99%», était parfaite-ment creux. La vérité, c’est que ce qu’onappelle l’Occident est plein de gens qui,sans être dans les 10% de l’aristocratiedirigeante, fournissent cependant aucapitalisme mondialisé la troupe petite-bourgeoise de supporteurs, la fameuseclasse moyenne, sans laquelle l’oasis dé-mocratique n’aurait aucune chance desurvivre. Si bien que loin d’être les 99%,même symboliquement, les jeunes cou-rageux de Wall Street ne représentaient,jusque dans leur propre groupe d’ori-gine, qu’une petite poignée, dont le des-tin est de s’évanouir, passées les fêtes du«mouvement». Sauf, évidemment, si ellese lie de façon prolongée à la masseréelle de ceux qui n’ont rien ou réelle-ment pas grand-chose, si elle trace ainsiune diagonale politique entre ceux du14%, singulièrement les intellectuels, etceux du 50%, singulièrement, d’abord,les ouvriers et les paysans, ensuite lafraction basse de la classe moyenne, sapartie mal payée et précaire. Ce trajetpolitique est praticable, puisqu’il futtenté dans les sixties et les seventies sousle signe du maoïsme. Et tenté de nou-veau récemment par le mouvement desoccupations à Tunis ou au Caire, oumême à Oakland, où une liaison activeavec les dockers du port fut au moins es-quissée. Tout dépend, absolument tout,de la renaissance définitive de cette al-liance, et de son organisation politiqueà l’échelle internationale.Mais dans l’état actuel d’extrême fai-blesse d’un tel mouvement, le résultat

objectif, mesurable, de la sortie de latradition –dès lors qu’elle s’opère dansle formalisme mondialisé du capita-lisme– ne peut être que ce que nous ve-nons d’en dire, à savoir qu’une oligar-chie minuscule dicte sa loi nonseulement à une écrasante majorité degens aux lisières de la simple survie,mais aussi à des classes moyennes occi-dentalisées, c’est-à-dire vassalisées etstériles.Mais que se passe-t-il alors au niveausocial et subjectif? Marx en a donné dès1848 une description foudroyante, ence qu’elle est infiniment plus vraieaujourd’hui qu’à son époque. Citonsquelques lignes de ce vieux texte restéd’une incroyable jeunesse: «Partout oùelle [la bourgeoisie] a conquis le pouvoir,elle a foulé aux pieds les relations féodales,patriarcales et idylliques. […]. Elle a noyéles frissons sacrés de l’extase religieuse, del’enthousiasme chevaleresque, de la senti-mentalité petite-bourgeoise dans les eaux

glacées du calcul égoïste.Elle a fait de la dignité per-sonnelle une simple valeurd’échange. […]. La bour-geoisie a dépouillé de leurauréole toutes les activitésqui passaient jusque-là pourvénérables et qu’on considé-

rait avec un saint respect. Le médecin, lejuriste, le prêtre, le poète, le savant, elle ena fait des salariés à ses gages.»Ce que décrit Marx ici, c’est que la sor-tie de la tradition, dans sa version bour-geoise et capitaliste, ouvre en réalitéune gigantesque crise de l’organisationsymbolique de l’humanité. Pendant desmillénaires, en effet, les différences in-ternes à la vie humaine ont été codées,symbolisées, sous une forme hiérar-chique. Les dualités les plus impor-tantes, comme jeunes et vieux, femmeset hommes, qui est de ma famille et quin’en est pas, misérables et puissants,mon groupe professionnel et les autresgroupes, étrangers et nationaux, héréti-ques et fidèles, roturiers et nobles, villeset campagnes, intellectuels et manuels,ont été traitées, dans la langue, dans lesmythologies, dans les idéologies, dansles morales religieuses installées, par lerecours à des structures d’ordre, qui co-daient la place des uns et des autresdans des systèmes hiérarchiques enche-vêtrés. Ainsi, une femme noble était in-férieure à son mari, mais supérieure àun homme du peuple ; un riche bour-geois devait s’incliner devant un duc,mais ses serviteurs devaient s’inclinerdevant lui ; aussi bien, une squaw detelle tribu indienne n’était presque rienau regard d’un guerrier de sa tribu,mais presque tout au regard du prison-nier d’une autre tribu, dont parfois ellefixait les règles de torture. Ou encore,un misérable fidèle de l’Eglise catho-lique était quantité négligeable auprèsde son évêque, mais pouvait se consi-dérer comme un élu au regard d’un hé-rétique protestant, tout comme le filsd’un homme libre dépendait absolu-ment de son père, mais pouvait avoirpersonnellement comme esclave le pèrenoir d’une vaste famille.Toute la symbolisation traditionnellerepose ainsi sur la structure d’ordre quidistribue les places et par consé-

On croit parfois qu’il s’agit de la crisedu capitalisme financier. Mais non!Pas du tout! Le capitalisme est enpleine expansion mondiale, il se porteà merveille.

Par ALAINBADIOUPhilosophe

La crise: vraie et faussecontradiction du mondecontemporain

L'ŒIL DE WILLEM

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quent les relations entre ces places.La sortie de la tradition, telle que réa-lisée par le capitalisme comme systèmegénéral de la production, ne propose enréalité aucune symbolisation activenouvelle, mais seulement le jeu brutalet indépendant de l’économie, le règneneutre, a-symbolique, de ce que Marxappelle «les eaux glacées du calculégoïste». Il en résulte une crise histori-que de la symbolisation, dans laquellela jeunesse contemporaine endure sadésorientation.Au regard de cette crise, qui, sous lecouvert d’une liberté neutre, ne pro-pose comme référent universel que l’ar-gent, on veut nous faire croire qu’iln’existe que deux voies: soit l’affirma-tion qu’il n’existe, ni ne peut exister,rien de mieux que ce modèle libéral et«démocratique», aux libertés plombéespar la neutralité du calcul marchand ;soit le désir réactif d’un retour à la sym-bolisation traditionnelle, c’est-à-direhiérarchique.Ces deux voies sont, à mon avis, des im-passes extrêmement dangereuses, etleur contradiction, de plus en plus san-glante, engage l’humanité dans un cyclede guerres sans fin. C’est tout le pro-blème des fausses contradictions, quiinterdisent le jeu de la contradictionvéritable. Cette contradiction véritable,celle qui devrait nous servir de repère,pour la pensée comme pour l’action, estcelle qui oppose deux visions de l’iné-luctable sortie de la tradition symboli-que hiérarchisante: la vision a-symboli-que du capitalisme occidental, qui créedes inégalités monstrueuses et des er-rances pathogènes, et la vision généra-lement nommée “communisme”, qui,depuis Marx et ses contemporains, pro-pose d’inventer une symbolisation éga-litaire. Cette contradiction fondamen-tale du monde moderne est masquée,après la provisoire faillite historique dusocialisme d’Etat en URSS ou en Chine,par la fausse contradiction –au regardde la sortie de la tradition–, opposant lapure négativité neutre et stérile de l’Oc-cident dominateur à la réaction fasci-sante, qui, souvent drapée dans des ré-cits religieux abâtardis, prône, avec uneviolence spectaculaire destinée à mas-quer qu’elle est en réalité impuissante,le retour aux vieilles hiérarchies.Ce différend sert surtout aux intérêtsdes uns et des autres, si violent en ap-parence soit leur conflit. Le contrôle desmoyens de communication aidant, ilcapte l’intérêt général, force chacun àun choix truqué de type «Occident ouBarbarie», et bloque ainsi l’avènementde la seule conviction globale qui puissesauver l’humanité d’un désastre. Cetteconviction –je la nomme parfois l’idée

communiste– déclare que dans le mou-vement même de la sortie de la tradi-tion, nous devons travailler à l’inven-tion d’une symbolisation égalitaire quipuisse escorter, coder, former le subs-trat subjectif pacifié de la collectivi-sation des ressources, de la disparitioneffective des inégalités, de la reconnais-sance, à droit subjectif égal, des diffé-rences, et, au final, du dépérissementdes autorités séparées de type étatique.Nous devons donc accorder notre sub-jectivité à une tâche entièrementneuve : l’invention, dans une lutte surdeux fronts –contre la ruine du symbo-lique dans les eaux glacées du calculcapitaliste et contre le fascisme réactifqui imagine la restauration du vieil or-dre – d’une symbolisation égalitaire,qui réinstalle les différences en faisantprévaloir des règles communes, elles-mêmes dérivées d’un partage total desressources.Pour ce qui nous concerne, nous, gensde l’Occident, nous devons tout d’abordprocéder à une révolution culturelle,qui consiste à nous débarrasser de laconviction absolument archaïque selonlaquelle notre vision des choses est su-périeure à toute autre. Elle est, au con-traire, déjà très en retard sur ce que dé-siraient et prévoyaient les premièresgrandes critiques, dès le XIXe siècle, dela brutalité inégalitaire et dépourvue desens du capitalisme. Ces grands ancê-tres avaient également bien vu que l’or-ganisation politique prétendument dé-mocratique, avec ses ridicules ritesélectoraux, n’était que le paraventd’une totale vassalisation des politiquespar les intérêts supérieurs de la concur-rence et de la cupidité. Aujourd’hui plusque jamais, nous avons sous les yeux letriste spectacle de ce qu’ils ont appelé,avec leur lucidité impitoyable, le «créti-nisme parlementaire».L’abandon massif de cette identité«occidentale» en même temps que lerejet absolu des fascismes réactifs,constitue le temps négatif obligé dansl’élément duquel nous pourrons affir-mer la puissance de nouvelles valeurségalitaires. N’être plus le jouet de lafausse contradiction, s’installer dansla contradiction vraie, changera lessubjectivités et les rendra enfin capa-bles d’inventer la force politique quiremplacera la propriété privée et laconcurrence par ce que Marx nommait«l’association libre».

Alain Badiou sur France Culture: «leSecond Procès de Socrate», pièce inéditedu philosophe. Enregistrement en publicle 29 avril à 20 heures avec la Comédie­Française au Studio 104 de la Maison de laradio. Diffusion le dimanche 10 mai,à 21 heures.

Inégalités aux Etats-Unis:Dieu y pourvoiraAux Etats-Unis, les inégalités derevenu ont fortement augmentédepuis les années 70, comme l’amontré notamment le travail deThomas Piketty. Cette montée desinégalités aurait pu amener lesAméricains à devenir plus favo-rables aux politiques de redistri-bution du revenu. Or, il n’en estrien. Bien au contraire, le goût desAméricains pour ces politiques aplutôt diminué depuis les an-nées 70. En même temps, le dis-cours politique américain est deplus en plus dominé par les libé-raux tels que le fameux Tea Party, qui a dé-claré la guerre au «Big Government».Alors, comment expliquer que les Amé-ricains soient moins favorables à la redistri-bution malgré la montée des inégalités ?N’auraient-ils pas remarqué ces inégalitéscroissantes? Une récente étude des écono-mistes Kuziemko, Norton, Saez et Stantchevamontre que mieux informer les gens sur lamontée des inégalités nechange presque rien à leursopinions politiques, la redis-tribution reste vue d’un mauvais œil.Le manque de confiance des Américains dansleur gouvernement explique, en partie, cesréticences car s’ils s’inquiètent des inéga-lités, ils ne croient pas que le gouvernementpuisse y remédier. Ainsi, en même temps queles inégalités ont augmenté, la confiance desAméricains dans leur gouvernement a baissé.Alors qu’au début des années 60, plus de70% des Américains avaient confiance dansleur gouvernement, au début des an-nées 2010, ce chiffre est tombé à 20% (PewResearch Center).Si les Américains ne font pas confiance augouvernement, alors sur qui peuvent-ilscompter ? Le 2014 Edelman Trust Baro-meter montre qu’une solide majorité d’en-tre eux (58%) fait confiance au monde desaffaires. Si l’on fait davantage confiance auxentreprises qu’au gouvernement, il estcompréhensible qu’on ne veuille pas laisserle gouvernement intervenir dans l’écono-mie. Si l’on pense que les deniers publicssont mal gérés et mal dépensés, pourquoilever des impôts sur les «forces vives» del’économie ?Les Américains ont aussi confiance dans lasociété civile, et surtout dans les Eglises.Ainsi, ils sont de loin le pays le plus religieuxparmi les pays développés. Ils croient en Dieuet participent activement à la vie de leur

congrégation religieuse. Ces con-grégations sont souvent engagéesdans l’action sociale, et cet enga-gement est vu d’un bien meilleurœil que l’intervention du gouver-nement. Physiquement, les Egli-ses aident les pauvres ; et méta-physiquement Dieu garantit lajustice, sinon en ce monde, dumoins dans le prochain.Et, finalement, l’Américain peutcompter sur lui-même. D’où unplus grand optimisme que chez lescitoyens d’autres pays dévelop-pés : tout ira bien de toute façon,

sinon aujourd’hui, alors demain. Qui donca besoin que le grand méchant gouvernementse mêle de ses affaires ? En France, le cy-nisme et le discours sur le déclin sont pré-gnants. Aux Etats-Unis, la tristesse est unemaladie qu’il faut traiter à coup de program-mes de développement personnel…Ainsi, malgré la montée des inégalités, lesAméricains sont de moins en moins favo-

rables à la redistribution.Pour résumer: d’un côté, dufait de leur optimisme, ils

ressentent moins le besoin que le gouverne-ment intervienne pour régler leurs problè-mes. D’un autre, ils font davantage confianceà d’autres acteurs tels que les entreprises etles Eglises.Mais le manque de confiance dans le gouver-nement n’est certainement pas la seule rai-son pour laquelle les Américains sont réti-cents face aux politiques de redistribution.En effet, les Français font encore moinsconfiance à leur gouvernement que les Amé-ricains (2014 Edelman Trust Barometer). S’ilss’enthousiasment davantage que les Amé-ricains pour l’intervention de l’Etat, c’estpeut-être parce qu’ils n’ont pas vraiment lechoix ! La France étant l’un des pays lesmoins religieux au monde, les Français nepeuvent donc pas compter sur les Eglises(ou Dieu !) pour régler leurs problèmes. Deplus, ils font aussi beaucoup moins confianceque les Américains au monde des affaires(2014 Edelman Trust Barometer). Finale-ment, parce que les Français sont plus pessi-mistes que les Américains, ils ne peuvent pasfacilement espérer que les choses vont s’ar-ranger d’elles-mêmes. Donc, pour eux, l’Etatest la chose sur laquelle on peut au moinscompter, à l’exception de toutes les autres.Ioana Marinescu est professeure d’économieà la Harris School of Public Policy de l’universitéde Chicago.

ÉCONOMIQUES

Par IOANAMARINESCU

Les informés de France InfoUne émission de Jean-Mathieu Pernin, du lundi au vendredi, de 20h à 21h

Chaque mardi avec

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Front national:le jour où Cordéliatua le roi LearAh, que j’aimerais serrer sur moncœur ce brave Jean-Marie Le Pen!Je savais que je pouvais comptersur lui pour dévaster la petite bou-tique familiale patiemment replâ-trée et banalisée par Marine,la benjamine. Dans l’immédiat, jene sais pas à qui profitera le car-nage psychanalytique qu’il a ini-tié. Mais je veux espérer qu’ils’emploiera à ce qu’il ne reste queruines fumantes de la maison FN.Si le diable lui prête vie, je suis as-sez confiant en ses talents deNéron incendiaire. Pour un dévoreur d’en-trailles aussi carnassier, massacrer la chairde sa chair devrait n’être qu’une bagatelle.Le chef de la horde primitive ne peut laisserimpuni l’outrage irréparable accompli parl’une de ces femelles qui oublient trop facile-ment qui les a faites reines et quel sang couledans leurs veines.Ah, Marine! Je savais que le féminisme tenaiten elle son plus beau fleuron! Elle a beau êtreune xénophobe maintenue etse défier de la libéralisationde l’avortement, elle vient dedonner des gages inestimables à la cause desfemmes. Elle prouve, et il en était besoin, queles filles aussi peuvent tuer leurs pères. Grâceà ce largage en rase campagne du parachu-tiste tortionnaire et antisémite qui a chéri sesnattes blondes, elle démontre que la violenceest paritaire. Grâce à elle, Brutus change satoge en robe et laisse César s’exclamer: «Toiaussi, ma fille ?» Grâce à elle, Médée ajouteune corde à son arc. La tragique tuait déjà sesenfants. La voilà qui zigouille l’auteur de sesjours. Le parricide se conjugue désormais auféminin. Grand progrès !Cela dit, la tâche de Marine n’est pas ache-vée. Il n’est pas venu le temps d’essuyer ladague sanguinolente à l’écarlate des rideauxde scène. Il ne suffit pas de décréter la miseà la retraite du président d’honneur, il fautaussi trucider ses avatars et ses réincar-nations qui se multiplient en gorgones den-tées. En voici la liste.Le roi Lear. Comme le souverain fatigué deShakespeare, Le Pen a trois filles. Ce traditio-naliste attaché à sa lignée a respecté le droitd’aînesse. Les grandes ont eu leur chance dereprendre le patrimoine, mais elles ont man-qué à leurs obligations. Elles n’étaient pas auniveau des attentes ou, pire, elles ont trahi.Elles ont choisi des époux retors, ont rejointdes connétables félons, ont préféré la scissionà l’adoration. La rupture a été politique etsentimentale, car on ne quitte pas sans con-séquences l’apanage du grand andouiller.Marine était la plus jeune. Celle à qui rien nedevait revenir mais qui a fini par tout avoir.Elle a longtemps été la Cordélia du roi Learde Montretout. Elle était la plus fidèle, la plusattachée, la moins implorante, la plus atta-chante. Et même, quand elle a commencé àprendre ses distances, son bon cœur faisait

boum quand le feu ravageait lecastelet du papet. Tout de suite,sans réfléchir, elle hébergeait legrand brûlé aux souvenirs partisen fumée. C’est pourquoi, je saisson désarroi à le voir errer sur lalande abîmée. A l’inverse de Cor-délia, ce qui la ravine, ce n’est pasla mémoire défaillante de l’auteurde ses jours, mais l’insistancenocive et éructante dans le pire dupire : racisme, suprématismeblanc, homophobie, etc.Sardanapale. Jean-Marie Le Pen

a 86 ans. La question de la fin se pose. Je nepense pas que le pharaon d’extrême droiteveuille emmurer vivantes sa domesticité, sesfavorites et sa descendance. Il me sembleque ce sultan jouisseur est plutôt parti pourmettre le feu à la brousse de ses plaisirs. QueMarine se méfie, si elle le voit s’étendrecomme Sardanapale, tandis que les flammesgagnent et qu’alentour on saigne les che-vaux, on fait fondre les lingots et on sacrifie

le harem. Au moment su-prême, le lutteur autodes-tructeur n’affichera pas la

moue désabusée et morose que Delacroixpeint sur le visage du pacha. Il préférera sevivre en Jeanne au bûcher, et maudire sabenjamine, la dernière des dernières, d’avoircraqué l’allumette.Le père Ubu. Il y a chez JMLP un côté char-cutier du gros mot au plus que parfait du sub-jonctif, une manière d’outrance rance enbandes molletières qui pue la fange. Ce quititille d’autant mieux les narines des péto-manes ravis de dire «merdre» à leurs élites.Marine Le Pen aura beau faire, elle ne peutnier qu’en matière d’insanités, elle a de quitenir. Ce qui est tout bénéfice quand il estélectoralement intéressant de ne pas sentirla rose. Elle n’a pas été la fille du père Noël.Elle est de moins en moins celle du pèreFouettard. Mais, cornegidouille, elle est plusque jamais celle du père Ubu.Le père Goriot. Et si Jean-Marie cachait,derrière ses fadaises foutraques de boxeurcabossé, la générosité sacrificielle d’un pèreGoriot? Et si le legs à Marion, la petite-fille,n’était qu’une fausse piste ? Et s’il donnaittout à Marine, n’obtenant en retour que soningratitude? Et s’il se suicidait politiquementpour aider Marine à se défaire enfin de cetteombre portée? Je croise les doigts pour quecette hypothèse soit fausse. Sinon la masureLe Pen pourrait bien devenir la maison deFrance.

RÉ/JOUISSANCES

Par LUCLE VAILLANT

Un fonds vertdes collectivitéspour le climat

Dans huit mois, les Etats devronts’accorder pour conclure unaccord contraignant en ma-tière de lutte contre le change-

ment climatique. Alors que les débatsont débuté et que les rencontres se mul-tiplient, le spectre de la conférence deCopenhague est dans tous les esprits. Cesommet mondial sur le climat de 2009avait nourri beaucoup d’espoir, et sonéchec généré une immense frustration.Pour beaucoup, l’échec de cette confé-

rence reste le symbole de l’incapacitédes Etats à prendre les décisions quis’imposent pour atténuer le chan-gement climatique et s’adapter à sesconséquences. C’est pourtant à Copen-hague qu’un projet d’une ampleur iné-dite a vu le jour: la création d’un fondsvert pour le climat.Le fonds vert devait être la réponse audouble impératif cher aux écologistes:un impératif de solidarité, un impératifde coopération. Il devait ainsi permet-tre aux pays riches de financer des pro-jets d’adaptation au changement cli-matique et d’aide au développementdécarbonné pour les pays les plus vul-nérables. Ce sont souvent les pays quiémettent très peu de gaz à effet de serrequi sont touchés le plus violemmentpar les événements climatiques extrê-mes. Nous avons toutes et tous en têteles images de la catastrophe survenueau Vanuatu il y a quelques semaines. Laforce de ces terribles images nousoblige, il est plus que temps de se mon-trer à la hauteur de nos responsabilités.Nous sommes la première génération àsubir les conséquences de la dégrada-tion de notre climat, et probablementla dernière à pouvoir agir efficacementpour éviter des conséquences irrémé-diables.A moins d’un an de la conférence deParis sur le climat, les négociations en-

tre les Etats sont encore loin d’apporterune réponse à la hauteur des enjeux. Sides signes positifs sont à saluer, tel quel’engagement de plusieurs Etats à abon-der dans le sens du fonds vert, le man-que de volontarisme et de courage poli-tique se fait cruellement ressentir. Lemontant dévolu au fonds vert atteintpéniblement la dizaine de milliardsd’euros pour quatre ans, soit 25 foismoins que l’engagement pris à Copen-hague pour 2020.Si la situation est extrêmement pré-occupante, nous ne devons pas céder àla résignation. Les réponses au dérè-glement climatique existent et peuvent,avec du volontarisme et du courage,être mises en place. C’est notamment lecas à l’échelon local, où bon nombre decollectivités n’ont pas attendu pour agiren faveur de la transition écologique. Deplus en plus de villes et de régions dansle monde entier démontrent qu’ellessont beaucoup plus en phase que les

Etats avec les citoyens,leurs préoccupations etles actions dans les-quelles ils s’engagent,qu’elles ont comprisque la lutte contre ledérèglement climatiqueétait un extraordinaireenjeu du vivre ensem-

ble, de développement économique lo-cal, et de création d’emplois non délo-calisables.Les écologistes ont toujours fait lechoix de contribuer résolument à la re-cherche et à la mise en œuvre de cessolutions. C’est pourquoi les élus éco-logistes soumettent ce mardi, au votedu conseil de Paris, la création d’unfonds vert des collectivités afin que lesvilles s’engagent sur la solidarité enmatière de lutte contre le dérèglementclimatique. Ce fonds permettra de fi-nancer des projets de développementtels que le renforcement de la sécuritéalimentaire face aux aléas climatiques,le développement de modes de trans-ports efficaces et durables ou encorel’accès à des énergies renouvelables etnon polluantes.Nous espérons vivement que, par cetteinitiative ambitieuse et inédite, la villede Paris parviendra à convaincred’autres villes de participer à ce fondsvert. Si, demain, de plus en plus de col-lectivités en France, en Europe et dansle monde s’engagent dans cette dyna-mique, nous pouvons renforcer la soli-darité à l’égard des pays les plusvulnérables et démontrer aux gouver-nements que la société est prête à s’en-gager concrètement pour contribuer ausuccès de l’année 2015 et à l’obtentiond’un accord global ambitieux.

Par CÉLIA BLAUEL Adjointeécologiste à la mairie de Paris en chargede l’environnement et du plan climaténergie ANNE SOUYRIS et DAVIDBELLIARD Coprésidents du groupeécologiste de Paris EMMANUELLECOSSE Secrétaire nationale d’EuropeEcologie – les Verts (EE­LV) etYANNICK JADOT Député européenécologiste

Le montant dévolu au fonds vert atteintpéniblement la dizaine de milliardsd’euros pour quatre ans, soit 25 foismoins que l’engagement prisà Copenhague pour 2020.

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LL’’AAPPRRÈÈSS--MMIIDDII Avec la poursuite de lahausse des températures, le ressenti estestival sur l'ensemble du pays, hormis lelong des côtes où les brises thermiquesmaintiennent une certaine fraîcheur.

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MARDI

L'impression reste estivale dans l'ensemblemalgré quelques nuages circulant entre lesPyrénées et le Bassin parisien. Toutefois, ils'agit le plus souvent de nuages élevés.

MERCREDI Le temps s'ennuage dans l'ouest avec desorages qui éclatent localement. Les nuagesbas s'imposent près de la Méditerranée enraison de la levée du vent marin.

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A LA TELE CE SOIR20h55. Unforgettable.Série américaine :La chasse au trésor,Le sabre noir,Un grain de sable,Jusqu’à ce que la mortles sépare.Avec PoppyMontgomery.0h20. Euro Millions.0h25. Les experts :Manhattan3 épisodes.Série.2h50. Les yeux de Julia.

20h55. Le plus beaupays du monde, opus 2.Documentairecommenté par Bruno Salomone.22h35. Au cœur du tournage.22h55. Infrarouge.Saint-Tropez, histoiresecrète d’un petit portde pêche.Documentaire.23h55. Concoursinfracourts.Documentaire.0h00. Infrarouge.

20h50.Une preuved’amour.Téléfilm français.Avec Anouk Grinberg,Eric Elmosnino.22h35. Météo.22h40. Grand Soir 3.23h20. Le divan deMarc-Olivier Fogiel.Magazine présenté parMarc-Olivier Fogiel.0h40. Couleursoutremers.Magazine.1h10. Espacefrancophone.

20h55. The GrandBudapest Hotel.Comédie dramatiquede Wes Anderson,100mn, 2014.Avec Ralph Fiennes,Tony Revolori.22h40. La Vénus à la fourrure.Drame français deRoman Polanski, 96mn,2013.Avec EmmanuelleSeigner, MathieuAmalric.0h10. Les gazelles.

20h50. Viêtnam - La "sale guerre".Une guerre de trenteans.Documentaire.22h20. Guerre du Viêtnam.Au coeur desnégociations secrètes.Documentaire.23h15. Débat.23h30. Guerre de l’eauen Asie Centrale.0h25. Hatufim -Prisonniers de guerre.

20h55. L’apprentisorcier.Film fantastiqueaméricain de JonTurteltaub, 105mn, 2010.Avec Nicolas Cage, JayBaruchel.22h50.L’attaque du métro 123.Policier américain deTony Scott, 105mn,2008.Avec DenzelWashington.0h35. Ringer.

20h50.L’as des as.Film d’aventuresfranco-allemand deGérard Oury, 100mn,1982.Avec Jean-PaulBelmondo, RachidFerrache.22h30.Meurtre à double face.Téléfilm de BrianTrenchard-Smith.Avec Cuba Gooding Jr.23h55. 10 ans de musique.

20h40. Travail au noirDocumentaire de Cyril Denvers et Marie-France Barrier.22h15. C dans l’air.Magazine présenté parYves Calvi.23h20. Entrée libre.Magazine.23h40. Quand mangersain devient uneobsession !0h35. Bernard Grasset/ Gaston Gallimard -Guerre dans l’édition.

20h40. Meurtre au soleil.Policier britannique deGuy Hamilton, 117mn,1982.Avec Peter Ustinov,Colin Blakely.22h40. Espion, lève-toi.Drame franco-suissed’Yves Boisset, 98mn,1981.Avec Lino Ventura,Michel Piccoli.0h30. Ça balance à Paris.Magazine.

20h50.Ace Ventura,détective chiens etchats.Comédie américainede Tom Shadyac, 1993.Avec Courteney Cox,Jim Carrey.22h35. Les animauxfont leur show.Émission 2.Magazine présenté parRebecca Hampton.0h25. Les animaux font leur show.Magazine.

20h50.90’ Enquêtes.Stups de Nanterre : à lapoursuite destrafiquants.Magazine présenté parCarole Rousseau.22h25. 90’ Enquêtes.Police à moto : lanouvelle chasse auxchauffards parisiens.Magazine.0h20. 90’ Enquêtes.Paris : quand ladélinquance envahit lesquartiers chics.Magazine.

20h50.La fabuleusehistoire des comédiesmusicales.Documentaire.22h40. Robin des bois.Spectacle, 140mn.Avec Matt Pokora,Stéphanie Bédard.1h00. Max Boublil : en sketches et enchansons.Spectacle, 95mn.2h35. Météo.2h40. Programmes denuit.

20h45. MissionImpossible.Série américaine :Extradition,Elena.Avec Steven Hill, PeterGraves.20h45. MissionImpossible.Enjeux,Elections à Valéria.Série.0h20. Les Zinzins de l’espace6 épisodes.Série.

20h50. Policeacademy.Policier américain deHugh Wilson, 96mn,1984.Avec SteveGuttenberg.22h40. Police academy 2 : au boulot !Comédie américainede Jerry Paris, 97mn,1985.Avec Steve Guttenberg.0h10. Programmes de nuit.

20h50.Baby boom.Best of : Nos meilleurspapas.Documentaire.22h05. Baby boom.Les rôles inversés.Documentaire.23h25. 4 bébés par seconde.Donner la vie.Documentaire.0h30. 4 bébés par seconde.Médecins en action.Documentaire.

20h50. Cars vs Wild -Mission Alaska.Épisode 7Divertissement.21h45. Cars vs Wild -Mission Alaska.La finale.Divertissement.22h40. Pawn Stars - Les rois des enchères.6 épisodes.Divertissement.1h10. Programmes de nuit.

TF1

ARTE M6 FRANCE 4 FRANCE 5

GULLIW9TMCPARIS 1ERE

NRJ12 D8 NT1 D17

FRANCE 2 FRANCE 3 CANAL +

20h50.Déjà vu.Thriller de Tony Scott,126mn, 2006.Avec DenzelWashington, Paula Patton.23h00. Sucker punch.Film fantastique deZack Snyder, 110mn,2011.Avec Emily Browning,Jena Malone.1h00. Eli Stone.Série.

20h50.Beautésempoisonnées.Comédie américainede David Mirkin, 123mn,2001.Avec SigourneyWeaver, Jennifer Love-Hewitt.23h00. La double viede Samantha.Téléfilm d’EricLaneuville.Avec Teddy Sears.0h35. Des voisins trop parfaits.

20h50.Le cercle des poètes disparus.Comédie dramatiqueaméricaine de PeterWeir, 128mn, 1989.Avec Robin Williams,Ethan Hawke.23h10. The hours.Comédie dramatiqueaméricaine de StephenDaldry, 114mn, 2002.Avec Meryl Streep,Julianne Moore.1h15. J’ai dit oui à la robe.

20h45. Un jour, peut-être.Comédie américained’Adam Brooks, 112mn,2007.Avec Ryan Reynolds,Isla Fisher.22h45. Révélations.Chauffards : les forcesde l’ordre contre-attaquent.Magazine présenté parYasmine Oughlis.0h30. LA Ink.Série.

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François Maspero,héraut detoutes les luttes

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CULTURE

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DÉCÈS Indépendancede l’Algérie,révolution cubaine:l’éditeur et libraireengagé, devenuécrivain sur le tard,est mort samedià 83 ans.

L’ éditeur et écrivain François Maspero estmort à Paris le 11 avril. Son ami méde-cin, le rhumatologue Marcel-FrancisKahn, raconte dans quelles conditions

sur le site de Mediapart, où il a annoncé le décèsle soir même : «Alerté par une fuite d’eau, on l’adécouvert dimanche mort dans sa baignoire. Il avaitpassé la journée du vendredi 10 avec moi, qui l’avaisamené dans une clinique de banlieue où il a subiun examen radiologique demandé par le spécialistequi le suivait. Il avait 83 ans. Hier, on honorait lalibération de Buchenwald où est mort son père. Jeconnaissais François depuis près de quarante anset, au fil des ans, il était devenu mon meilleur ami.»Tous ceux qu’il a édités entre 1959 et 1982, à l’en-seigne des éditions Maspero, tous les militantsqu’il a soutenus, tous les lecteurs de l’œuvre per-sonnelle qu’il a entreprise à partir des années 80:il y a beaucoup de monde dans la cohorte de ceuxqui se souviennent de lui.

CANCRE FUGUEUR. Avant de devenir un desgrands noms de l’édition des années 60 et 70, lepatronyme de Maspero est rendu célèbre par legrand-père, Gaston Maspero, égyptologue, et parle père, Henri Maspero, sinologue: deux profes-seurs au Collège de France. Jean, le frère aîné de

François Maspero, est un jeune homme brillantqui aurait dû s’inscrire dans cette lignée d’intel-lectuels s’il n’avait été tué en septembre 1944, àl’âge de 19 ans, alors qu’il avait rejoint un régi-ment américain. Membre des FTP (Francs-ti-reurs et partisans), Jean Maspero a abattu un of-ficier allemand et a été dénoncé. En représailles,son père et sa mère sont déportés le 15 août 1944,l’un à Buchenwald, où il meurt, l’autre à Ravens-brück. Seule sa mère reviendra. François Mas-pero évoque ce legs de la guerre et de la Résis-tance dans ses mémoires, les Abeilles et la Guêpe(Seuil, 2002). C’est de là qu’il vient, de la bour-geoisie éclairée, d’une famille soudain brutale-ment dévastée mais qui lui a appris à être, quoiqu’il arrive, «du côté de la vie». Cependant,il écrit : «Tout en moi affirme que je suis néle 24 juillet 1944, à l’âge de douze ans et demi.»A cette date, qui est celle d’une «naissance à lamort», un agent de la Gestapo décide que l’en-fant a la vie sauve.François Maspero a derrière lui une carrière dejeune cancre fugueur, quand même vaguementintéressé par ses études d’ethnologie, lorsqu’ildevient libraire, puis éditeur. Il acquiert sa pre-mière boutique en 1954. Il a 22 ans. Bientôt, ils’endette pour ouvrir La Joie de lire, rue Saint-Séverin, en pleine guerre d’Algérie. C’est l’épo-que où les librairies sont à la fois des centresculturels et des foyers d’idées séditieuses, ce quirevient au même. Rue Saint-Séverin, on vient

lire sur place, éventuellement acheter des docu-ments et des ouvrages qui racontent toutesles luttes possibles (l’usine, les prisons, la jus-tice). On vient aussi se procurer les titres de la«petite collection maspero» (les lettres capitalesdisparaissent souvent de la typographie, en cetemps-là). Couvertures en papier avec rabats,couleurs avenantes : rien de plus sexy pour leslecteurs d’après-Mai 68 que le Pillage du tiers-monde, de Pierre Jalée (jaune), ou Pour l’école dupeuple, de Célestin Freinet (orange). Le premiertitre de «la petite collection» est Au pied du montKenya, de Jomo Kenyatta ; les n° 2, 3 et 4, lesEcrits de Mao Zedong. Puis c’est Planification etcroissance accélérée, de Charles Bettelheim, etAden Arabie, de Paul Nizan. Les noms de CheGuevara et de Fidel Castro (l’éditeur est allé àCuba), Frantz Fanon, Louis Althusser, Régis De-bray, Daniel Guérin, Emile Copfermann, dessi-nent un archipel d’engagements politiques.

AMENDES. Revues et collections complètent ceterritoire. Du côté de la recherche, avec «Textesà l’appui», où on lit Pierre Vidal-Naquet, MarcelDétienne ou Jean-Pierre Vernant. Du côté dutiers-monde, avec la revue –interdite– Triconti-nental. S’intéressant de trop près aux dictaturesafricaines, Maspero se voit «accablé de procès etde condamnations (dont l’une pour avoir insulté ungrand ami de la France, Mobutu) à des sommesénormes, à la privation de mes droits civiques etmême à trois mois de prison (que je n’ai pas faitsgrâce à la mort de Pompidou, Giscard ayant eu labonne idée de déclarer une amnistie pour les petitespeines)», raconte l’intéressé dans un récent en-tretien donné à la revue Période (1). Si la librairieferme, en 1975, outre les amendes, c’est à causedes vols réguliers, systématiques. Au nom de larévolution, apparemment, on vient se servir. Lelibraire en sera durablement exaspéré.Brièvement communiste en 1955-1956, dégoûtépar l’écrasement de la révolution de Budapest,en 1956, inscrit à la LCR en 1970, Maspero segarde de tout sectarisme. Se battre pour changerle monde est pour lui quelque chose de concret.«Vous parlez de “projet politique”, d’“activité théo-rique”, d’“impératifs politiques et théoriques”,

dit-il encore à la revue Période. Je nevois pas les choses comme ça. Je diraiseulement que j’ai toujours été sensibleaux luttes des peuples pour leur libertéet concerné par cet axiome: “Un peu-ple qui en opprime un autre ne peut êtreun peuple libre”. En tout cas, j’ai sou-

tenu la lutte du peuple algérien, en liaison avec lafédération de France du FLN. J’ai vu assez vite laconfiscation de cette lutte au profit d’une nouvelleoligarchie.» Même expérience avec la révolutioncubaine: il a pris ses distances après la mort duChe. «Mais je n’ai jamais renoncé à soutenir toutce qui m’apparaissait porteur d’espoir.»A Libération, en 2006, rencontré à l’occasion dela sortie son livre sur la photographe Gerda Taroet de la parution du Vol de la mésange, FrançoisMaspero précise: «J’ai des sentiments extrêmementsimples de révolte et d’indignation. La dérive libéraleest la plus terrible des utopies. C’est penser que lemonde peut être régulé par la loi du marché. Elle estaussi plus terrifiante que d’autres car on n’en voitpas la fin. Je crois donc à la lutte, sinon il n’y a plusd’Histoire et peut-être plus d’humanité. Mais expri-mer son indignation ne sert à rien, c’est du cafédu commerce. Je ne peux plus faire autre chosequ’écrire, décrire, au moins j’ai l’impression de nepas baisser les bras.» Ainsi change-t-il de vieen 1982, à l’âge de 50 ans. Il devient écrivain.En 1984, il publie le Sourire du chat, l’histoire d’unenfant dont les parents sont déportés et le frère,résistant, tué au combat. Trois ans plus tard, unjeune libraire devient reporter dans le Figuier.François Maspero voyage, lui aussi –la Bosnie, laPalestine–, et continue d’écrire ou de traduiretout au long des années 90 et 2000. •(1) http://revueperiode.net/entretien­avec­francois­maspero­quelques­malentendus/

Par CLAIRE DEVARRIEUX

«La dérive libérale est la plus terribledes utopies. C’est penser que le mondepeut être régulé par la loi du marché.»François Maspero dans un entretien à Libération, en 2006

François Gèze, qui a reprisles éditions Maspero en 1982,y a appris les bases du métier:

«Etre éditeurpour diffuserdes idéesauxquellesnous tenons»A50 ans, François Mas-

pero arrête brutale-ment l’édition et

passe le relais à FrançoisGèze. Le 1er février 1983,les éditions Maspero, néesen 1959, changent de raisonsociale après le départ deleur fondateur, et devien-nent La Découverte, du nomde la collection de récits devoyages créée in situ en 1979.PDG de La Décou-verte jusqu’en jan-vier 2014, FrançoisGèze, 66 ans, resté directeurde collection, revient sur cemoment de transition et derefondation.«J’ai rencontré FrançoisMaspero à la fin des an-nées 70, quand je m’occu-pais pour sa maison d’unecollection liée au Centred’études et d’initiativesde solidarité internationale[Cedetim], dans lequel jemilitais. C’est comme çaque, de fil en aiguille, aprèsavoir fermé sa librairieLa Joie de lire en 1975, il avoulu arrêter ses activitésd’éditeur et m’a demandé dele seconder. En 1980, je mesuis proposé pour l’aiderpendant quelques mois. A lafin de l’année, il m’a de-mandé de rester et de luisuccéder. J’ai pris la direc-tion de la maison en main; ilest resté comme directeur decollection. En mai 1982, bru-talement, il a vidé son bu-reau, laissé une lettre dedémission et m’a légué sesparts. Il voulait tourner lapage.«Je ne connaissais rien aumétier d’éditeur et il m’aappris les bases. Il avait ainsiune solide culture typo-graphique et concevait lui-même les couvertures de ceslivres. Je suis resté deux ansà travailler avec lui. Quand ila décidé d’arrêter d’être édi-teur, il m’a convaincu dene pas repartir avec lemême nom. Il avait raison.Maspero était le symboled’un engagement politique.

Dans l’après-Mai 68, le noma été totalement banalisé, etdéformé par des gauchistescrétins qui parlaient mêmede “maspérisé”. FrançoisMaspero ne voulait pas queson nom demeure après sondépart et il l’a repris.«C’était un homme d’uneimmense curiosité, infini-ment cultivé, qui avait long-temps été libraire. C’était

un autodidactecomplet qui s’étaitconstruit et avait

basé son engagement sur leslittératures du monde, l’his-toire sociale du XIXe siècle etle tiers-monde.«Des Editions François Mas-pero, il reste un ADN dansLa Découverte, celui de l’en-gagement. Ne pas être édi-teur pour être éditeur, maispour diffuser des idéesauxquelles nous tenons, pourles faire connaître, c’est del’ordre du projet politique.A La Découverte, la mêmefidélité existe à ce qui aprésidé à la création deMaspero en 1959, en pleineguerre d’Algérie. Des pansimportants du cataloguequ’il a construit continuentà vivre, des livres qui sevendent depuis trente ans,comme Frantz Fanon. J’aitenté de poursuivre à sa suitel’exploration du champ del’histoire coloniale et post-coloniale, comme sur l’Algé-rie, et j’ai ouvert des champsliés à mes intérêts personnelset à ceux des éditeurs aveclesquels je travaillais, surles sciences, la santé et letravail…«Je ne l’avais pas revu de-puis une dizaine d’années.Il avait rompu les ponts.Nos chemins s’étaient sépa-rés. François Maspero étaitdevenu un magnifique tra-ducteur et écrivain. La Dé-couverte n’est pas Maspero,mais j’ai été attentif à lui êtrefidèle, sans lui arriver à lacheville sur bien des points.»

Recueilli parFRÉDÉRIQUE ROUSSEL

VERBATIM

François Masperoen avril 2006.

PHOTO STÉPHANELAVOUÉ. PASCO

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Halory Goerger,le rire de l’alien

E xiste-t-il des tentatives de science-fiction au théâtre ? Et si oui, est-cevraiment bien raisonnable? Consi-dérant les effets spéciaux inélucta-

blement cheap mis à disposition pour figureraliens et exoplanètes, pourquoi ne pas laisserce terrain narratif là où il se porte très bien,dans la littérature et au cinéma? Découragéspar ces problématiques épineuses, la plupartdes metteurs en scène ont choisi le camp dela démission (donc celui de la sagesse).L’auteur, metteur en scène et performeurHalory Goerger comprend leur position maisvoilà : lui s’enflamme précisément pour lesdéfis esthétiques casse-gueule et les expé-riences de pensée tordues. Il l’avait déjàprouvé dans Germinal, une odyssée philo-sophique déconnante devenue best-sellerthéâtral (mais oui, ça existe) et dont le projetétait, en toute simplicité, de recréer l’histoirede l’humanité et l’évolution des techniquesde communication en soixante minutes (lireci-contre). Voilà qu’il revient à la charge avecCorps diplomatique, une revisitation théâtraleet héroï-comique du mythe de la rencontregalactique.Aujourd’hui que les compositions de Bach,de Mozart ou des Beatles flottent dans l’es-pace à des milliards de kilomètres de la Terre,à l’heure où les chercheurs de l’institut Seti,en Californie, réfléchissent encore et toujoursaux signaux à envoyer aux civilisations extra-terrestres, Halory Goerger apporte ainsi sacontribution avec le pitch suivant. DansCorps diplomatique, cinq représentants ordi-naires de la race humaine (dont un journa-liste de France 3-Régions) s’embarquent dansune aventure intergalactique hors norme :créer, dans la station spatiale Jean-Vilar, lespectacle censé illustrer le patrimoine cultu-rel de l’humanité et établir une communica-tion avec d’hypothétiques formes de vie.La pression est certaine, d’autant qu’aucundes individus formant ce «corps diplomati-que» ne s’est encore distingué dans la prati-que des arts. En outre, les moyens techniquessont pauvres (un gong, quelques projecteurs)et le temps de production, illimité : aucunedeadline, l’œuvre sera probablement créée,de génération en génération, sur des milliersd’années, laissant les protagonistes seuls faceau vide créatif, à la démotivation chroniqueet à la ruine de l’utopie communautaire.

SLIP KANGOUROU. L’air de ne pas y toucher,ce space opera d’humeur montypythonesquenous plonge au cœur d’interrogationsprécieuses sur la responsabilité politique del’artiste (à l’échelle de l’univers, donc), l’uti-lité de sa création et les conditions de surviedu théâtre – cette discipline artistique queGoerger n’a épousée que récemment et qu’ilobserve «avec de la tendresse mêlée d’incom-préhension. Avec un intérêt profond, en toutcas». En effet, si précieux soit-il devenu auspectacle vivant, Halory Goerger est un totaloutsider. Le parcours de cet individu oblongau patronyme énigmatique (prononcez«go-air-jé», précise-t-on dans sa biogra-phie) indique une ébauche de carrière uni-versitaire peu concluante en science de l’in-formation: «J’ai gardé de ces études un goûtpour la dissection des phénomènes langagiers,

mais j’ai vite préféré vivre les phénomènes plutôtque de les étudier.»Aucune trace d’études théâtrales classiques,pas non plus de pratique de spectateur dethéâtre: «Je me sens plus prochede la famille de la danse qui, his-toriquement, est plus hospitalièreà l’égard des moutons à cinq pat-tes.» C’est dans sa passion pourla littérature «qui merdre» –celle qui va d’Alfred Jarry àCharles Pennequin en passantpar l’Oulipo– qu’il trouve les premières im-pulsions vers la scène, croisant alors la routed’Antoine Defoort, un performeur venu desArts décoratifs avec lequel il partage vite un

goût pour les titres pénibles à prononcer(&&&&& & &&&), les idées marketing per-chées (création d’un spa stoïcien pour cadredéprimé) et, surtout, une façon d’appréhen-

der le plateau de théâtre «avec l’œil du plasti-cien» –démarche qui les rapproche de la fa-mille des Philippe Quesne et Grand Magasin:«C’est-à-dire qu’on ne donne pas de primat au

texte et à l’acteur, que l’on écrit à même le pla-teau et qu’on a un goût partagé, il me semble,pour l’investigation des cadres et des formats.»En témoigne les différents ovnis produits parleur coopérative de projets franco-belge,l’Amicale de production, une structure crééeen 2004 et associée aujourd’hui au Phénix deValenciennes, d’où naissent des spectaclesmais aussi des projets éditoriaux ou vidéos.Détour obligé, à cet endroit, par la minisérieweb Bonjour Concert, une campagne de pu-blicité comparative destinée à départager lesdeux grands concurrents à la modernité –leconcert de rock et le spectacle de danse con-temporaine. Cette pastille vidéo, dans la-quelle Goerger personnifie la danse contem-

Par ÈVE BEAUVALLET

Ce space opera montypythonesquenous plonge au cœur d’interrogationsprécieuses sur la responsabilité politiquede l’artiste, l’utilité de sa créationet les conditions de survie du théâtre.

PERFORMANCEEntre spectacleinterstellaireet farcemétathéâtrale,«Corpsdiplomatique»,présenté cettesemaine à Paris,confirmele talent deson auteur pourles comédiesphilosophiques.

Dans la station spatiale Jean­Vilar, cinq quidams doivent créer le spectacle censé illustrer le patrimoine culturel de l’humanité et établir un contact avec d’hypothétiques formes de vie. PHOTO DIDIER CRASNAULT

LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 2015

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CULTURE • 27

poraine en slip kangourou (non sansnoblesse), donne aux internautes une pre-mière idée de ce style humoristique qui faitaujourd’hui de Corps diplomatique une œuvreindispensable, si ce n’est à la survie de l’hu-manité, du moins à celle du spectacle vivant.

«NOVLANGUE». Des hypothèses tordues trai-tées sur le mode de la conversation ordinaire,une façon d’ironiser sur les conditions deproduction et la sociologie de l’art, un talentpour réconcilier réflexions phénoménologi-ques pointues et humour de fin de soirée…Soit une liberté de ton encore trop rare authéâtre et qu’Halory Goerger nous dit retrou-ver davantage dans la BD, chez des auteurscomme Claire Bretécher («je m’inspire claire-ment de sa novlangue dans Corps diplomati-que») ou Ruppert et Mulot («j’aimerais voirau théâtre des acteurs qui parlent comme leurspersonnages»).Dans sa note d’intention, l’artiste est lucide:il est peu probable que la Nasa lui confie unjour la responsabilité d’un programme spa-tial. Dommage pour les aliens, qui auraientvraiment eu de quoi se marrer. •

CORPS DIPLOMATIQUEde HALORY GOERGER CentQuatre, 5, rueCurial, 75019. Du 14 au 19 avril. Rens.: www.104.frPuis du 13 au 15 mai à Bruxelles, dans le cadredu Kunstenfestivaldesarts. Rens.: www.kfda.be

Avec le cogito pour corde sensible, le spectacle phare du duo AntoineDefoort et Halory Goerger est repris au Théâtre du Rond-Point.

«Germinal», un voyageaux racines du langage

GERMINALd’ANTOINE DEFOORTet HALORY GOERGERThéâtre du Rond­Point, 75008.Du 15 au 25 avril. Rens.:www.theatredurondpoint.frPuis du 20 au 29 mai (relâchedu 23 au 25) à la Comédiede Clermont­Ferrand (63).

O n efface tout et on re-commence. Vasteprogramme que cette

tabula rasa qui préside auvertigineux Germinal: au dé-but de l’humanité était le son(ou phonème), puis le verbe.Sur scène, quatre person-nages anonymes font en-semble l’apprentissage de lasociabilité, du sens et de leurpropre existence. Inventer lelangage et, de là, la civilisa-tion revient d’abord à déli-miter ce qui, dans le monde,fait «pok pok» de ce qui nefait «pas pok pok» (un grandmoment de bravoure). Dis-tinguer le dur du mou, le vi-vant du minéral et ainsi desuite, jusqu’à aborder la mé-taphysique. Quésaco ?Freestyle. En marge deCorps diplomatique, au Cent-Quatre, Germinal, spectaclephare repris au Théâtre duRond-Point (Paris VIIIe), ad’abord été présenté auFestival d’Avignon en 2013avant de beaucoup tourneren France. Il exemplifie aumieux l’écriture collectivecomme modus operandi del’Amicale de production,fruit d’un compagnon-

nage du duo venu du nord,Halory Goerger et AntoineDefoort. Selon leur site web,ce groupuscule de têtes cher-cheuses «mène une expé-rience coopérative autour de laproduction de formes hybrides(du spectacle à la sucettegéante)». Avec, à leur actif,fausses conférences et autresinstallations farfelues dansdes piscines à boules.Fausse piste, le titre du spec-tacle évoque davantage uneéclosion bouillonnante et lepremier mois printanierdans le calendrier républi-cain que le roman d’EmileZola (quoique…). Sonpréambule conceptuel, quipourrait effaroucher le cha-land, n’a rien d’un aridecours de linguistique et toutd’une vaste entreprise desémiologie ludique en free-style. Accompagnés descomédiens Ondine Cloez etArnaud Boulogne, les deuxauteurs et metteurs en scènearpentent le plateau selondes configurations qui rap-pellent autant les listes à ral-longe de l’Oulipo que leséquations expérimentales àla scène de la compagnieGrand Magasin, doyens dugenre. Leur credo, fairebeaucoup avec peu, est unegageure, soit des corps enmouvement dans un espacedélimité, une table demixage, des micros et desprojections sur le mur. Ceretour en enfance permetd’explorer simultanément

les puissances de l’espritsommées d’assembler surscène un entrelacs de rai-sonnements cartésiens,d’intuitions géniales, de jou-tes verbales et de vilains jeuxde mains.Tentaculaire. Cette genèseen forme d’encyclopédie

pop, inspirée de loin par lefonctionnement démocrati-que et tentaculaire de Wiki-pedia, résiste, elle aussi, auxclassifications. Précipité gri-sant de cogito naissant quece beau prélude à un éveildes consciences.

CLÉMENTINE GALLOT

Né de l’écriture collective, Germinal a été présenté au Festival d’Avignon en 2013 avant de tourner en France. ALAIN RICO

Dans la station spatiale Jean­Vilar, cinq quidams doivent créer le spectacle censé illustrer le patrimoine culturel de l’humanité et établir un contact avec d’hypothétiques formes de vie. PHOTO DIDIER CRASNAULT

Billetterie et abonnements en ligne sur www.jazzsouslespommiers.com

Points de vente habituels et www.fnac.com et www.ticketnet.fr

à partir du 18 avril

SNARKY PUPPY & METROPOLE ORKESTMESHELL NDEGEOCELLO MELINGOESTER RADA TIGRAN HAMASYAN

VAUDOU GAME HENRI TEXIER BOSSA NEGRA GUILLAUME PERRET

OMAR SOSA AIRELLE BESSONLISA SIMONE DAVID KRAKAUER

PHAROAH SANDERS...

C O U T A N C E S M A N C H E8 A U 1 6 M A I 2 0 1 53 4 F E S T I V A Le

LIBÉRATION MARDI 14 AVRIL 2015

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CAGE Originaire de Kiev, la troupe du Théâtre Dakh installe actuellement à Paris sa «Maison des chiens»,une vision glaçante et concentrationnaire de la situation politique du pays, entre craintes et espoirs.

L’Ukraine rongée de l’intérieurLA MAISON DES CHIENSde et par VLAD TROITSKYIMonfort Théâtre, 106, rueBrancion 75015. Jusqu’au 18 avril.Un spectacle «MC93 hors lesmurs» présenté dans le cadredu festival le Standard idéal.Rens.: www.lemonfort.fr

A peine entré dans lacabane en bois quijouxte la grande salle

du Monfort Théâtre, à Pa-ris (XVe), qu’on oublie sespoints de repère. Il fautd’abord gravir les marchesd’un escalier en fer pourenfin trouver une place as-sise dans un espace relative-ment étroit plongé dans lapénombre. Le public est ins-tallé tout autour de ce quis’avère bientôt être la partiesupérieure d’une cage. Cetteétrange position en sur-plomb au-dessus de ce quiest censé constituer la scèneproduit déjà un effet trou-blant. Sans doute parcequ’elle implique le specta-teur en l’incorporant dans

un dispositif tout sauf inno-cent où il en va d’un rapportgênant entre celui qui re-garde et celui qui est regardé.Plus qu’à une mise en scène,c’est d’abord à une mise encage que nous convient VladTroitskyi et les comédiens duThéâtre Dakh, basés à Kiev,en Ukraine, dans la Maisondes chiens. A leur façon, ilsnous conduisent dans unedes fosses de l’Enfer de Danteoù se donne à voir une affo-lante meute humaine. Maiscontrairement à l’univers deDante ou aux zoos humains,les hommes et les femmesqui courent en tous sens danscet espace confiné ignorentqu’ils sont observés.Gamelles. Cette conventionest d’autant plus importanteque dans la seconde partiedu spectacle, les rôles sontinversés. Cette fois, c’est lepublic qui est dans la cage etles acteurs au-dessus. Pourautant, cela n’enlève rien àla violence de ce qui sedécouvre dès les premiers

instants de cette immersionparadoxale dans l’universconcentrationnaire. Un gar-de-chiourme armé d’unebarre de fer hurle et cognesur les portants de la cagesans que l’on comprennevraiment s’il veut effrayer oufaire obéir les prisonniers,visiblement paniqués par saprésence. Une chose est sûre,il manipule ces hommes et

ces femmes diminués, lesobligeant, entre autres, àmanger à quatre pattes àmême leurs gamelles. L’undes détenus est enfermé dansune cage plus petite. Puni, ilest asticoté à coups de barresde fer par des gardiens.Dans ce climat de peur etd’humiliation, un détail in-trigue: la présence d’une té-lévision diffusant une variété

banale, de celle qu’on pour-rait entendre dans un centrecommercial. On se demandealors: où sommes-nous? Quisont ces malheureux privésde libertés, soumis aux pirestraitements ?Plus que le goulag, évoquénotamment dans les Récits dela Kolyma, de Varlam Chala-mov, ces hommes et cesfemmes suggèrent les «bêtes

nées en cage de bê-tes nées et mortes encage de bêtes néesen cage mortes encage» dont parleBeckett dans l’In-nommable. Ici, le

goulag est avant tout mental,c’est un état d’esprit. C’estaussi le reflet d’une situationpolitique mitigée mêléed’espoirs et de craintes. Im-possible ne pas faire un rap-prochement avec les événe-ments qui se déroulentdepuis quelques années enUkraine, dont ce spectacleaux accents métaphysiquesest à sa façon une transposi-

tion. Les chœurs chantés yjouent en particulier un rôledéterminant. La secondepartie ajoute une dimensionclairement rituelle, presquede l’ordre de la prière. L’en-semble étant traversé par dessymboles parfois déconcer-tants, comme cette croix enmie de pain qui est aussi unphallus, ou ces fleurs bario-lées dont les prisonniers fontdes frises élégantes avantd’être plongés dans le noir.«Gouffre». D’un spectaclevenu d’un pays étranger, onattend parfois qu’il nousdonne des nouvelles de sa si-tuation présente. C’est bienle cas avec la Maison deschiens, comme le confirmeVlad Troitskyi. «La premièrepartie a été créée quand ViktorIanoukovitch est arrivé aupouvoir. On y évoquait le cli-mat mental d’un pays en trainde s’enfoncer dans un gouffreavec le retour de ce que j’ap-pelle le “soviétisme”, à savoirune forme d’infantilisme oùl’on attend toujours que quel-

qu’un décide à votre place.Avec les événements de Mai-dan [place de Kiev où ont eulieu les affrontements meur-triers, début 2014, ndlr], lepays est sorti enfin du gouffrepour remonter à l’air libre avecla fuite de Ianoukovitch. C’estlà qu’on a créé la seconde par-tie et qu’on a rajouté la sé-quence avec les fleurs dans lacage. Ces fleurs font référenceà la “centaine céleste”, c’est-à-dire les cent personnesqui ont péri lors de la der-nière journée de Maidan.Aujourd’hui encore, la placeest couverte de fleurs en leursouvenir. Ce spectacle, c’estune façon de poser la question:qui sommes-nous et que vou-lons-nous ? Actuellement, enUkraine, nous vivons une pé-riode particulièrement intense,avec le sentiment très fort quetout dépend de chacun denous, que notre destin est entrenos mains. C’est dur à vivre,mais en même temps, c’esttrès stimulant.»

HUGUES LE TANNEUR

La seconde partie ajouteune dimension clairementrituelle, presque de l’ordrede la prière.

Conçue par le comédien Vlad Troitskyi, la Maison des chiens est une pièce qui donne à voir une meute humaine prisonnière dans une sorte de goulag mental. PHOTO DR

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Judith Malina (à gauche), en 1964. PHOTO HEINZ KÖSTER. ULLSTEIN BILD VIA GETTY IMAGES

E lle a joué dans la FamilleAddams (1991), le filmde Barry Sonnenfeld,

et dans la série télévisée lesSoprano. Elle était la mèred’Al Pacino dans Un après-midi de chien, de Sydney Lu-met. Mais si on se souviendraencore longtemps de JudithMalina, décédée le 10 avril àl’âge de 88 ans, c’est avanttout parce qu’avecson époux, JulianBeck, elle fut lafondatrice du Li-ving Theatre,compagnie turbu-lente par qui lepaysage théâtralaméricain des années 50et 60 se trouva radicalementtransformé.Freaks. Judith Malina naîtà Kiel, en Allemagne,le 4 juin 1926, d’un père rab-bin et d’une mère qui rêvaitd’être actrice. Ses parentsémigrent aux Etats-Unisdeux ans plus tard et c’est àNew York qu’elle suit lescours d’Erwin Piscator, àpartir de 1945. Metteur enscène et théoricien d’unthéâtre politique, proche dumouvement dada, son ensei-gnement exercera une in-fluence durable lisible dansl’engagement libertairedu Living Theatre, fondéen 1947. La troupe se distin-gue d’abord par son esthéti-que avant-gardiste en mon-tant Doctor Faustus Lights theLights, de Gertrude Stein, et

le déjà controversé The He-roes, de John Ashbery.Les problèmes commencenten 1955 avec The Young Dis-ciple, de Paul Goodman, uneinterprétation très libre del’Evangile selon Marc ac-compagnée d’une chorégra-phie de Merce Cunningham,puis The Connection (1959),toujours de Goodman, dont

les héros sont des toxico-manes. Régulièrement, leurthéâtre est fermé par lesautorités sous des prétextesdivers. Avec The Brig, deKenneth Brown, pièce anti-militariste prônant la déso-béissance civile crééeen 1963, la répression de-vient plus brutale.La troupe décide alors des’exiler en Europe tandis queJudith Malina et Julian Beckpurgent des peines de prison.Nomadisme et survie consti-tuent alors l’ordinaire decette communauté de freaksdéguenillés débarquée dansun nuage de marijuana auFestival d’Avignon, à l’invi-tation de Jean Vilar, en 1968,pour présenter leur créationcollective, Paradise Now. Lesacteurs nus invitent le publicà se déshabiller et à les re-

joindre sur scène. Considéréscomme des provocateurs, ilssont expulsés par la policedès le lendemain. Frankens-tein, Antigone comptentparmi les spectacles mar-quants d’une troupe qui, deplus en plus, fait sienne lesmots d’ordre d’Antonin Ar-taud. Le Living veut abolir lafrontière entre la vie et lethéâtre, prône la libertésexuelle et demande l’arrêtde la guerre au Vietnam.Programme résumé à l’épo-que par Judith Malina dansune interview au New YorkTime Magazine: «Je demandetout – l’amour total, la fin detoutes formes de violence et decruautés telles que l’argent, lafaim, les prisons, les gens quiexercent un métier qu’ils dé-testent.»Optimisme. Julian Beckmeurt en 1985. L’aventure duLiving continue sous l’im-pulsion de Judith Malina etde Hanon Reznikoff, épouséen 1988. Interviewée par Ma-thilde La Bardonnie pour Li-bération à l’occasion de sonpassage au Festival d’Avi-gnon, en 1998, où est diffuséun film racontant l’histoirede la compagnie, Judith Ma-lina n’a rien perdu de son op-timisme révolutionnaire. Elleévoque Bakounine, Kropot-kine et insiste sur la nécessitéde «chercher des moyens delutte contre le fascisme». Plusque jamais d’actualité.

H.L.T.

DÉCÈS Actrice et cofondatrice en 1947 de la troupeaméricaine libertaire, Judith Malina avait 88 ans.

Le Living Theatreperd sa flamme

En 1963, la compagniefuit la répression et s’exileen Europe tandis que JudithMalina et son mari purgentdes peines de prison.

L’organisme en chargedes classements de ventesde disques au Royaume­Uni, l’Official ChartsCompany (OCC),a annoncé lundi le lance­ment de deux hit­paradeshebdomadaires spécifi­quement consacrés auxvinyles, qui ont atteintl’année dernière leur plushaut niveau en vingt ans.«Nous sommes ravis delancer les premiers classe­ments britanniques de ven­tes d’albums et de singlesjuste avant le Record StoreDay [la journée des dis­quaires, ndlr], ce week­end», a déclaré dans uncommuniqué le directeurgénéral d’OCC. «Alors queles ventes d’albums vinylessont déjà en hausse deprès de 70% cette année,les dingues de vinylespourraient bien avoiracquis près de 2 millionsd’unités d’ici la fin del’année», soit dix fois plusqu’il y a six ans, a­t­il ajouté.En 2014, près de 1,29 mil­lion d’exemplaires avaientété écoulés au Royaume­Uni, contre 780674 l’annéeprécédente –qui était lemeilleur score depuis 1996.Au premier trimestre 2015,l’album Chasing Yesterday,du groupe Noel Gallagher’sHigh Flying Birds, est arrivéen tête, suivi par les réédi­tions du Physical Graffitide Led Zeppelin et de AMd’Arctic Monkeys. C’estégalement Gallagherqui domine la catégoriesingles, avec les chansonsBallad of the Mighty Iet The Dying of the Light.

LE VINYLEREVERDIT AUROYAUME­UNI

L’HISTOIRE

Emmanuelle Bercot ouvrira CannesC’est la Française Emmanuelle Bercot (Elle s’en va) qui fera,avec la Tête haute, l’ouverture de la Sélection officielle lorsde la 68e édition du Festival de Cannes. Catherine Deneuve,Sara Forestier et Benoît Magimel y sont réunis au chevet d’unjeune délinquant (Rod Paradot). C’est la première fois depuistrente ans qu’une femme fait l’ouverture sur la Croisette.

Bronca turque au festival d’IstanbulPlus d’une centaine de cinéastes turcs, dont la Palme d’orNuri Bilge Ceylan, se sont dit prêts, lundi, à boycotter le festi-val d’Istanbul en réaction à la «censure» d’un documentaireretiré dimanche de la programmation sur intervention duministère de la Culture. Intitulé Bakur («Nord») et signéCayan Demirel et Ertugrul Mavioglu, le film montre le quoti-dien de combattants du Parti des travailleurs du Kurdistanet des interviews de responsables du mouvement rebelle.

Mort de l’écrivain Eduardo GaleanoL’auteur et journaliste uruguayen Eduardo Galeano est mortd’un cancer, à 74 ans, lundi à Montevideo. Il était l’auteurdes Veines ouvertes de l’Amérique latine. Paru en 1971, ce réqui-sitoire contre l’exploitation du sous-continent depuis l’arri-vée des colons espagnols était devenu un ouvrage de réfé-rence de la pensée de gauche des années 70 et 80, puis del’altermondialisme. Emprisonné à la suite du coup d’Etatmilitaire de 1973, Eduardo Galeano s’était exilé en Argentineet en Espagne avant de retrouver l’Uruguay au retour de ladémocratie, en 1985.

Le Shadok, nouveau pôle numériqueEspace municipal déclinant la création numérique sous toutesses formes, le Shadok a ouvert ses portes ce week-endà Strasbourg après presque trois années de gestation. Inves-tissant 2000m2 sur trois étages, il se veut lieu d’expérimen-tation accessible au plus grand nombre. A la fois espace d’ex-position, ateliers, studio d’enregistrement, salle de montage,bar, la «fabrique du numérique» est établie sur la presqu’îleMalraux, dans l’entrepôt Seegmuler, un bâtiment des an-nées 30 désaffecté depuis 2000 et réhabilité pour l’occasion.

Précision: Dans l’article sur Philippe Jaroussky (lire Libéra-tion de ce week-end), la chanson Hallelujah était attribuéeà Jeff Buckley. L’auteur en est bien sûr Leonard Cohen, ledéfunt Buckley l’ayant juste popularisée à travers sa reprise.

«Découvrir lesphotographiesexposées dans lecadre d’Usimages,c’est observerdes images éloignéesde leur utilité ouvocation initiale,qui conduisentà nous interrogersur l’évolution dumonde industriel,la place de l’hommeau travail.»Extrait du communiquéannonçant le premierparcours consacré à laphotographie industrielle,dans une quinzaine de lieuxen Picardie, autour de Creil,jusqu’au 31 mai(www.diaphane.org)

Germinalconception Antoine Defoort et Halory Goerger

avec Arnaud Boulogne en alternance avec Jean-Baptiste Delannoy Ondine Cloez, Antoine Defoort en alternance avec Denis Robert

Halory Goerger en alternance avec Sébastien Vial et la voix de Mathilde Maillard

15 – 25 avril, 20h30

réservations au 01 44 95 98 21 et www.theatredurondpoint.frRetrouvez-nous aussi sur Ventscontraires.net Twitter.com/RondPointParis Facebook.com/RondPointParis Dailymotion.com/WebTV_du_Rond-Point Instagram.com/rondpointparis

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Dans cet hôtel ducœur de Londres,baigné d’une am-biance cosy, ons’apprête à verser lethé vert dans lesfragiles tasses enporcelaine. Et puis,

un court instant, devant l’incongruitéde la situation, on suspend son geste. Enface de nous, souriante dans son délicatchemisier blanc brodé, Marina Litvi-nenko, 52 ans. Il y a huit ans, sa vie abasculé dans une autre tasse de thé vert.Ce 1er novembre 2006, son époux,Alexandre Litvinenko, prend le thé avecAndreï Lugovoï et Dmitri Kovtun, deuxcompatriotes russes et anciens collè-

le 27 janvier, elle se rend quotidienne-ment. Assise au premier rang, elle suitchaque témoignage, lit chaque docu-ment présenté devant le juge, Sir RobertOwen. Ce n’est pas un procès, aucunaccusé n’est assis sur le banc des préve-nus. C’est une enquête publique, unespécificité de la loi britannique,ordonnée par le gouvernement et quipermet d’examiner en public les cir-constances d’un événementexceptionnel. «Il s’agissait du meilleurcompromis possible à ce moment-là»,explique son avocate, Elena Tsirlina, quiboit aussi du thé.

Traînée radioactiveL’enquête publique a été ordonnée àl’été 2014 par la ministre britannique del’Intérieur, Theresa May, après des an-nées de résistance du gouvernement.L’affaire est diplomatiquement délicate.Très vite après la mort de Li-tvinenko, la police britanni-que identifie Andreï Lugovoïet Dmitri Kovtun commesuspects. Ils sont inculpéspour meurtre et le Royaume-Uni demande leur extraditionà la Russie. Laquelle refusecatégoriquement. Aidée par une excep-tionnelle équipe d’avocats, qui travaillegratuitement, Marina Litvinenko ex-plore toutes les possibilités juridiques.Le 31 juillet 2014, le juge annoncel’ouverture de l’enquête publique.Elle en est intimement convaincue, sonmari, son Sacha comme elle l’appelle,a été tué par Lugovoï et Kovtun, sur lesordres probables de Vladimir Poutine,ou au minimum avec son assentiment.Mais elle voulait voir le puzzle des preu-ves rassemblé et exposé «à la face dumonde». Le catalogue des révélationsprésentées pendant ces dix semainesd’audience est vertigineux. Des expertsnucléaires ont expliqué à la barre que lepolonium 210 n’est aujourd’hui fabri-qué qu’en Russie, dans un seul endroittrès précis, très surveillé. Qu’il n’y aaucune chance que du polonium ait étésorti de cette usine sans que les autori-tés ne soient au courant. Ces experts ontmis au jour une incroyable traînée ra-dioactive à travers l’Europe et dans toutLondres, suivant à la trace Lugovoï etKovtun. Du polonium a été retrouvé àHambourg, sur un canapé où Kovtun a

dormi, sur les sièges que les deux hom-mes occupaient dans l’avion pour Lon-dres. Dans leurs chambres d’hôtel, dansles restaurants et les magasins qu’ils ontfréquentés. Et même sur une chicha fu-mée par Lugovoï dans un bar marocainde Londres. Les plus hautes radiationsont été mesurées dans la chambre 848du Sheraton Park Lane Hotel, où Lugo-voï a séjourné le 26 octobre 2006, lorsd’un précédent voyage à Londres. CarLitvinenko a été empoisonné non pasune, mais deux fois, a révélé l’enquête.La première fois, le 16 octobre 2006,après, déjà, une rencontre avec Lugovoïet Kovtun. Litvinenko avait été très ma-lade. Il avait pensé à une intoxicationalimentaire après un repas trop épicé.La seconde tentative sera implacable. Ala cour, les médecins ont expliqué que«la dose de poison ingérée était tellequ’elle éliminait toute possibilité de sur-

vie». «C’était difficile d’écouter les ex-pertises, de réaliser que toute tentative dupersonnel médical de le sauver était vaine,qu’il était condamné à mort dès le début»,explique Marina Litvinenko. Son regardse voile. Les larmes affleurent souventau cours de ce long entretien, mais ellesne coulent pas. «Plusieurs fois, on lui aconseillé de ne pas assister à tel ou tel mo-ment, parce que c’était difficile, inter-rompt son avocate. Mais elle a tenu à êtrelà chaque jour. Elle avait le sentimentqu’en ne manquant pas une seule présen-tation de preuves, elle redonnait une exis-tence à Sacha.»Marina Litvinenko a elle-même témoi-gné, raconté leur vie de couple, leurrencontre en juin 1993, le jour de sonanniversaire. Tous deux avaient été ma-riés. Lui avait déjà deux enfants. Diplô-mée en ingénierie et économie des ma-tières premières, elle avait choisi dedevenir danseuse professionnelle. Unpeu plus d’un an après leur rencontre,ils étaient mariés et avaient un fils,Anatoly, aujourd’hui âgé de 20 ans.«Nous étions heureux ensemble.» Tout denoir vêtue, elle a raconté les derniers

Par SONIA DELESALLE­STOLPERCorrespondante à Londres

LitvinenkoUne affaireempoisonnée

En 2006, l’ex-agentdu FSB mouraità Londres, intoxiquépar du polonium.Sur ordre de Poutine?Alors que l’enquêtetouche à sa fin,rencontre avec saveuve, Marina, quise bat depuis huit ans.

MarinaLitvinenko,à Londres,le 18 mars.PHOTO IMMO KLINK

«Sacha était un homme ordinaire,ce n’était pas un héros, maissouvent, ce sont des personnesordinaires qui changent le monde.»Marina Litvinenko

Alexandre Litvinenko quelques jours avant sa mort, en novembre 2006. PHOTO AP

gues du FSB, les services secrets qui ontsuccédé au KGB. Désormais vigoureuxopposant à Vladimir Poutine, Litvi-nenko est réfugié depuis 2000 auRoyaume-Uni, où il collabore avec leMI6, les services de renseignementextérieur britanniques. Quelquesheures après cette rencontre au Mille-nium Hotel, il est pris de nausées vio-lentes. Au terme de trois semainesd’atroce agonie, il meurt le 23 novem-bre. Les analyses prouvent qu’il a étéempoisonné au polonium 210, unesubstance radioactive.Marina Litvinenko esquisse un douxsourire, empoigne sa tasse de thé d’unemain ferme, en boit une gorgée et com-mence à parler. Avec son anglais teintéd’accent russe, elle raconte huit annéesde combat. Elle arrive de la Haute Courde justice de Londres où, depuis

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“Maintenant, soit ils me tuent, soit c’estla prison”», dit doucement Marina Li-tvinenko. Ce sera la prison, pendantneuf mois. «Lorsqu’il est sorti, je me suisdit, c’est bon, maintenant ils vont nouslaisser tranquilles. Je n’ai pas compris.»Compris que ce n’était que le début.Elle raconte n’avoir jamais trop prêtéattention au métier de Sacha. Peut-êtren’a-t-elle pas voulu voir. «Il m’a dit “sije suis encore arrêté, pars à l’étranger”.»Finalement, ils partiront tous les deuxavec leur fils. «Lorsque j’ai quitté la Rus-sie, je n’avais aucune idée que c’était pourde bon.» Le couple s’expatrie au Royau-me-Uni, où il retrouve Boris Berezo-vsky, lui aussi réfugié à Londres et quiles aide à s’installer.

Berezovsky est mort lui aussi. Il a étéretrouvé pendu dans sa salle de bainsfermée de l’intérieur le 23 mars 2013.En dépit des apparences, le juge britan-nique a refusé de conclure à un suicideet a enregistré une «cause de décès in-connue». Lorsque les Litvinenko ob-tiennent la citoyenneté britannique, dixjours avant l’empoisonnement, «je mesuis dit que nous étions en sûreté», ra-conte-t-elle. Litvinenko collabore alorsavec le MI6, par l’intermédiaire d’uncertain «Martin», avec l’Espagne, avecl’Italie. Partout, il cherche à discréditerPoutine.

Coup de théâtreAprès la rencontre fatale avec Litvi-nenko, Lugovoï et Kovtun rentrent enRussie. Début décembre 2006, Kovtunest hospitalisé quelques jours pour em-poisonnement radioactif. En décem-bre 2007, Lugovoï devient député à laDouma, la Chambre basse du Parlementrusse, où il siège toujours. Et où il béné-ficie d’une immunité parlementaire.En 2010, il envoie à Berezovsky un tee-shirt noir, présenté à l’enquête, sur le-quel est inscrit «Polonium 210, à sui-vre». Dans le dos, ces mots: «La mortnucléaire frappe à votre porte.» Berezo-vsky transmet le tee-shirt à ScotlandYard. «Nous avons pris cela comme uneadmission de culpabilité», a raconté àl’enquête Michael Cotlick, un ancienavocat de Berezovsky. Le 8 mars 2015,en plein milieu de l’enquête et deux se-maines après l’assassinat à deux pas duKremlin de Boris Nemtsov, autre oppo-sant à Poutine, Lugovoï a reçu une dé-coration pour «services rendus à la MèrePatrie». Le 22 mars, alors que les débatsde l’enquête publique sont sur le pointde se conclure, un coup de théâtre se-coue le tribunal. Dmitri Kovtun an-nonce être prêt à témoigner, par lien vi-déo, ce qu’il avait formellement refuséjusqu’à présent. Il affirme pouvoirprouver son innocence. Le juge a ac-cepté de le laisser témoignerle 27 juillet, s’il fournit des documentsrequis avant le 22 mai. Mais il n’aura ac-cès à «ni plus ni moins de documents quetous les autres participants à l’enquête»,a prévenu le juge, visiblement agacé parce revirement.Dans le salon de thé, Marina Litvinenkos’illumine. Son fils Anatoly, étudiant enpolitique et en études slaves à la presti-gieuse University College of London,vient d’entrer. Le jeune homme parleun anglais parfait, «mais aussi très bienle russe», dit fièrement sa mère. Il pensese tourner vers le journalisme, ou ledroit. Les conclusions du juge Owen surl’enquête sont attendues d’ici la fin del’année. «Cette enquête, tellement minu-tieuse, tellement transparente, a redonnéune consistance à toute l’histoire, se féli-cite Marina Litvinenko. Je suis tellementfière d’envoyer ce message à la Russie.Parce que Sacha n’a jamais rien fait contrela Russie, il voulait juste une Russie diffé-rente.» Et elle? Quelle sera son histoireaprès cette enquête qui a occupé sespensées, ses jours pendant plus dehuit années? «Pour moi, le fait de mettretout cela en public a redonné une voix àSacha, c’est une forme de justice.» Etpuis, ajoute-t-elle en souriant, «je nesuis pas qu’une veuve, je suis aussi unepersonne qui a une voix. J’étais une femmenormale, je n’étais pas courageuse, je lesuis devenue un peu par la force desévénements». •

jours, l’agonie, la souffrance, ses motsultimes pour elle, «je t’aime». Sur sonlit d’hôpital, dévoré par les radiations,Alexandre Litvinenko a enregistré unevidéo incroyable, dans laquelle il ac-cuse Vladimir Poutine d’avoir com-mandité son assassinat. Quelques se-maines plus tôt, en octobre, peu dejours après l’assassinat à Moscou de lajournaliste Anna Politkovskaïa, autrefarouche opposante à Poutine, qu’ilconnaissait, il avait aussi accusé le pré-sident russe d’être responsable dela mort de celle-ci. «D’une certaine ma-nière, Sacha était un homme ordinaire, cen’était pas un héros, mais souvent, ce sontdes personnes ordinaires qui changent lemonde», dit Marina Litvinenko. Elle en

est convaincue, Sacha Litvinenko vou-lait changer la Russie, lutter contre unEtat mafieux. Mais il était loin d’être unhomme ordinaire. Il avait rejoint le FSB,grimpé les échelons jusqu’au grade decolonel. Il avait été affecté à la protec-tion de Boris Berezovsky, oligarquerusse proche d’Eltsine puis de Poutineavant de devenir l’un de ses plus vifsopposants.

Salle de bainLe jour où ses supérieurs lui ont de-mandé d’éliminer Berezovsky «a toutchangé», se souvient Marina Litvi-nenko. Il convoque alors une confé-rence de presse à Moscou et racontetout. «Lorsqu’il est rentré, il m’a dit :

Dmitri Kovtun et Andreï Lugovoï, les suspects du meurtre deLitvinenko, à Moscou en mai 2007. PHOTO I.SEKRETAREV. AP

Une équipeexamine unevoiture louée parDmitri Kovtun,à Hambourg, le11 décembre 2011.Les enquêteursont retrouvédes tracesradioactives leslieux fréquentéspar les suspectsà travers toutel’Europe. PHOTOFABIEN BIMMER. AP

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Page 32: UNE CERTAINE IDÉEDE L’ALLEMAGNE · IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCEAllemagne 2,50 ... la partition de l’Allema- ... Angela Merkel et sa gestion de la crise

PORTRAIT JÉRÔME GUEDJ

le gouvernement, l’Essonne aurait été le troisième départementd’Ile-de-France sauvé par la gauche», lui fait dire le Canardenchaîné. Réagissant à chaud après la diatribe de JérômeGuedj, l’ex-baron de l’Essonne Julien Dray a rappelé qu’«unebataille politique ne se gagne pas qu’à la télévision». Même ledéputé François Lamy, dont Jérôme Guedj est le suppléantdepuis 1997, en convient: «Son attirance pour les médias énerveles générations plus anciennes. Il est un peu chiant.»Ce 2 avril, à 10 heures, il est surtout mégaspeed. La passationde pouvoir est prévue à 14 heures à Evry. Or, il est encore chezlui, à Massy, il n’a pas terminé son discours, les positions devote pour l’élection du nouveau président restent à caler, sescollaborateurs l’attendent, et puis il y a ce journaliste de l’Obsauquel il a promis une interview, il faut vraiment qu’il y aille.Au lieu de quoi, il garde poliment son calme, tout juste consul-te-t-il son portable de temps en temps. On observe sa bouilleà fossettes de jeune quadra, ses yeux qui, par moments, em-pruntent des chemins contraires, son look un peu gauche,costume marine tendant au satiné, raie au milieu vieilleFrance, et cheveux tombant comme deux rideaux sur lesoreilles. Comment pourrait-il ne pas plaire aux journalistes?Il a l’air accessible et sympa du patron de PME qui répond lui-

même au téléphone et ne se fait pas prier pour aller boire descoups. «Attachant», disent de lui, non sans condescendance,ses aînés Lamy et Dray. Le premier salue son «humanité» :«Combien de responsables politiques se prennent de passioncomme lui pour des sujets aussi peu évidents que la dépendance?»«Il sait faire des manœuvres, le gamin», nuance le second, quien veut pour preuve la «chasse à l’homme» que Guedj a menéependant la campagne contre Tron, maire UMP de Draveil ren-voyé aux assises pour viol aggravé et agression sexuelle. Passi tendre, donc. La constance de ses prises de position de fron-deur opposé à la ligne économique du gouvernement l’a mêmerangé du côté des durs. «J’ai soutenu Hollande à la présidentielle,précise-t-il. Le discours du Bourget, la synthèse, j’y ai cru.Quand un élu ne tient pas ses promesses, c’est problématique.Quand il fait le contraire de ce qu’il a promis, c’est légitime de ledire.» Député, il a voté contre le pacte budgétaire européen,et a refusé d’accorder sa confiance au premier gouvernementValls, dont on murmurait pourtant qu’il pourrait faire partie.«Cela n’a pas été facile, reconnaît-il. Surtout qu’à l’époque,ma mère était très malade. Ellem’a dit : “Si ça arrive cecoup-ci, vas-y, parce que leprochain, ce n’est pas sûr queje sois là.”» C’est la seule foisoù elle est évoquée… Il mar-que une pause, se gratte l’in-térieur de la main. «Elle estmorte le 14 juillet.»Sa mère, «c’était tout». Fière,surprotectrice, «le stéréotypede la mère juive». Pied-noircomme son mari, kinésithé-rapeute, elle arrive en Franceen 1962, et travaille commesecrétaire de direction avant d’ouvrir une cafétéria d’hôpitaloù «elle bosse comme une chienne jusqu’à la retraite». Son aînéne «va pas bien», le cadet, alors adolescent, prend le parti debriller. «Pour faire plaisir à [sa] mère.»L’exemple paternel le conduit à choisir Sciences-Po, puisl’ENA. «A Massy, mon père a trouvé la voie de l’insertion dansl’engagement local, raconte-t-il. J’aimais l’espèce de reconnais-sance qui allait avec sa fonction de maire adjoint. Le voir célébrerdes mariages me fascinait.» Au conseil municipal, Jean-PierreGuedj siège avec le sénateur Mélenchon, auprès duquel Jé-rôme décroche un stage à l’âge de 17 ans. «Après ça, on nes’est plus quittés.» «Jean-Luc» lui apprend à faire de la politi-que en «puisant dans l’histoire», à s’adresser à une salle«comme à un seul homme». Leur histoire se termine brutale-ment en 2008, lorsque Guedj refuse de quitter le PS pour re-joindre le Parti de gauche, que vient de fonder Mélenchon.«C’était mon ami, on partait en vacances ensemble, et, soudain,tout s’est arrêté, comme s’il était mort.» Quatre ans plus tard,Guedj prend sa défense lorsque des ténors de l’UMP le taxentd’«accointances antisémites». Jean-Luc Mélenchon romptalors le silence, le temps d’un SMS de remerciement. Bibe-ronné à l’indifférenciation républicaine, Guedj est longtempsresté discret sur sa judaïté. «J’ai une pratique festive de la reli-gion, confie-t-il. J’adore les réunions de famille à la Pâque juive,mais, je n’ai pas toujours été enthousiaste à l’idée d’un fonction-nement communautaire.» Les assassinats perpétrés par Moha-med Merah et les «Mort aux juifs» scandés lors des manifes-tations du collectif «Jour de colère» l’ont poussé à «réagir».Constatant que «tout le monde s’en fout», il se lâche sur i-Télé,appelant la justice à utiliser tous les moyens dont elle disposepour «pourrir la vie de Dieudonné», et fonde dans son départe-ment le prix Ilan-Halimi contre l’antisémitisme et le racisme.«Jérôme croit en l’engagement, en politique comme dans sa viepersonnelle, estime sa compagne, la romancière Emilie Frè-che. Il ne croit peut-être même qu’en ça.» Elle étudie les écri-vains collaborationnistes Morand et Chardonne, il s’«aère latête» en lisant les romans noirs de Himes et Ellroy.Il se serait donc rangé des voitures? «Ma vie de patachon estderrière moi», assure-t-il, un peu gêné. Il se voit bien en ras-sembleur: de sa famille, (re)composée de son fils de 8 ans etdes trois enfants de sa compagne, de son clan politique, enfin.François Lamy en est persuadé: «Guedj rêve secrètement d’êtrele candidat de la gauche du PS à la primaire de 2017.» Ce qui luimanque? «La capacité à bâtir une stratégie dans la durée.» Ily a encore du boulot. Le lendemain de la défaite, l’ambitieuxouvrait son cœur, brisé: «Je ne sais plus où j’habite.» •

Par CHLOÉ AEBERHARDTPhoto BORIS ALLIN

EN 8 DATES

23 janvier 1972 Naissanceà Pantin. 1989 Stage auprèsde Jean­Luc Mélenchon.1998 Conseiller général.2006 Naissance de son fils,Joseph. 2008 Rupture avecMélenchon. 2011 Présidentdu conseil général del’Essonne. 2014 Refuse laconfiance au gouvernementValls. Mars 2015 Défaitedans l’Essonne.

U n homme politique qui pleure, ça, c’est de la bonnetélé. La plupart sont tellement robotisés, réponsesà côté et argumentaires en trois points, qu’unegrosse colère mal maîtrisée, avec regard perdu,

trémolos, haut-le-corps et moulinets des bras, on aime, onprend, ne coupez pas! Le 29 mars, à l’heure des résultats dusecond tour des élections départementales, BFMTV n’a pascoupé. L’interview en duplex du «frondeur» de l’aile gauchedu PS Jérôme Guedj a duré près de six minutes. Cinq minutescinquante-cinq, pendant lesquelles le président sortant duconseil départemental de l’Essonne impute la défaite à l’exé-cutif, exhortant François Hollande et Manuel Valls à «renoueravec les classes populaires», sans quoi ces élections n’aurontété que «la répétition générale de 2017».Le Premier ministre aurait d’autant moins apprécié la chargeque l’Essonne, dont il a administré la ville d’Evry pendantonze ans, a été érigée par la droite en symbole rougissant dela déculottée nationale. «S’il s’était un peu plus occupé de sondépartement et un peu moins de passer à la télé pour taper sur

En colère après sa défaite dans l’Essonne, ce grand sensibleest l’un des «frondeurs» PS les plus médiatiques.

Larmes à gauche

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