Une autre approche de la difficulté scolaireUne autre approche de la difficulté scolaire (8:04,...

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Au fil des jours Une autre approche de la difficulté scolaire Je n'irai pas par quatre che mins : votre livre est lumineux ! Passionnant et d'une clarté totale. Commençons pourtant par des formules d'usage. Hors son titre, assez explicite mais sur lequel on reviendra quand même, de quoi parletil ? Au départ, votre accompagnement s'adresse bien à des jeunes en difficulté... ...et vous pensez que l'on doit pouvoir gé néraliser à la population d'ensemble des élèves. Mais comment transférer le dispositif ? Rendre la parole aux élèves suppose qu'ils l'ont déjà eue ?... « Rendre », c'est comme si par nature l'élève l'avait déjà, cette parole, qu'elle était po tentiellement présente, qu'elle préexistait à toute entreprise éducative... [rires : JeanPierre Bourreau fait partie du GD 68 depuis plus de 40 ans.] On peut entrer dans votre livre de dif férentes manières : par les titres des chapitres, par les clés, par les chroniques. Prenons l'exemple de la clé... Rendre la parole aux élèves, Clés pour les accompagner sur les voies de la réussite

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  • CHANTIERS n°25 Mars 2014

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    Aufild

    esjour

    s Une autre approche de la difficulté scolaire

    Martine Boncourt – Je n'irai pas par quatre chemins : votre livre est lumineux ! Passionnant etd'une clarté totale. Commençons pourtant par desformules d'usage. Hors son titre, assez explicitemais sur lequel on reviendra quand même, dequoi parletil ?Jean-Pierre Bourreau – I l parle d'une expériencemenée auprès d'élèves en difficulté, au seuil derupture (en 6e, en 2de professionnelle et géné-rale), et d’élèves en voie de décrochage. Cetteexpérience est autre chose que ce qu'on fait d'or-dinaire – soutien, aide au travail personnel, remé-diation. Nous avons voulu expérimenter une autrefaçon de prendre en charge la difficulté scolaireen permettant à ces élèves-là de s'exprimer surleur vécu scolaire et d'échanger sur leurs pra-tiques. Tout cela dans un contexte qui était aussil ié à notre statut à cette période-là : d'abord, à lamarge du système, ensuite dans le cadre de l 'ac-compagnement personnalisé.

    MB – Au départ, votre accompagnements'adresse bien à des jeunes en difficulté...Michèle Sanchez – Oui, mais pas dans le handi-cap cognitif. On est dans la difficulté ordinaire quiest souvent le résultat de malentendus chez cesélèves de mil ieux défavorisés qui ont un rapport àl 'école soit uti l i tariste, soit négatif, dans le pur etdur. C'est pour ça qu'on essaie de les faire réflé-chir sur l 'idée d'apprendre. Apprendre à l 'école, çaveut dire quoi ? On essaie de clarifier avec euxcet aspect-là. Quels sont les gestes de l 'étudequ'i l faut avoir pour entrer dans les apprentis-sages et dans l 'appropriation des savoirs sco-laires. . .MB – ...et vous pensez que l'on doit pouvoir généraliser à la population d'ensemble des élèves.Mais comment transférer le dispositif ?JPB – Nous préférons le terme « adapter » auterme « transférer ». Et puis, i l ne s'agit pasd'adapter le dispositif mais la démarche d'accom-pagnement, avec en particul ier tout ce qui a traitaux échanges de pratiques. Nous pensons

    qu'adapter des éléments de notre démarche estparfaitement possible, dans le cadre d'un ensei-gnement discipl inaire ordinaire. On l'a fait avec uncollègue d'histoire et un prof de math qui ont bienvoulu jouer le jeu. Ça fonctionne.

    MB – Rendre la parole aux élèves suppose qu'ilsl'ont déjà eue ?...JPB – Notre premier titre était Donner la paroleaux élèves en difficulté. Mais ce titre était tropplat, trop trivial . I l nous fal lait l 'idée de « prisesur » par l 'élève.MB – « Rendre », c'est comme si par naturel'élève l'avait déjà, cette parole, qu'elle était potentiellement présente, qu'elle préexistait à touteentreprise éducative...JPB – C'est ça ! Mais el le a été confisquée parl 'école. Depuis le début. En dehors, bien sûr, despédagogies alternatives, comme la pédagogieFreinet que je connais un tout petit peu [rires :JeanPierre Bourreau fait partie du GD 68 depuisplus de 40 ans.], on ne laisse pas les élèves s'ex-primer ou, quand on les laisse s'exprimer, c'estpour une parole formatée, avec des réponses at-tendues.

    MB – On peut entrer dans votre livre de différentes manières : par les titres des chapitres,par les clés, par les chroniques. Prenonsl'exemple de la clé...JPB – La « clé » est un élément de notre dé-marche qui met le projecteur sur une ou plusieurspratiques, le plus souvent adossées à un ou plu-sieurs outi ls. Chaque clé ne se limite pas de dé-crire la pratique ; el le en précise l 'objectif, fournitles appuis théoriques et pédagogiques auxquelsel le se réfère et explicite les enjeux. Mais el lefournit aussi d'autres pistes, fait partager au lec-teur nos hypothèses, nos interrogations issues denotre propre réflexivité. Ainsi, l 'enseignant peut àson tour s'aventurer, tâtonner et modifier peu àpeu ses pratiques pour al ler plus loin.

    MS – Et i l y a toujours le pendant en résonance,la manière dont l 'élève s'est exprimé à ce sujet-là.Et c'est peut-être ce qui fait la force de notre ou-vrage : on ne dit pas que c'est comme ça qu'i l fautfaire, mais : voilà ce que nous avons proposé etvoilà comment les élèves ont réagi. Dans leschroniques, on montre comment toutes ces clésont été orchestrées à travers les groupes d'élèvesqu'on a pris en charge. Et nous analysons. Etcette analyse-là, ces commentaires nous ontpermis de nous adapter au plus près des besoinsdes élèves et de la dynamique du groupe.

    MB – Un exemple de clé, le « Quoi de neuf ? ».Les lecteurs du NE connaissent bien... Parleznous plutôt d'autres clés...JPB – Le « Quoi de neuf » n'est pas une clé maisune pratique présentée dans la clé n° 3 : « Instau-rer des rituels ». Dans la clé n° 2, i l y a le photo-langage qui permet aux élèves de se présenteren faisant part au groupe de leur ressenti et deleur rapport à l 'école, en s'appuyant sur une photoqu'i ls ont choisie comme représentative de leurétat émotionnel du moment. I l y a aussi, dans laclé n° 5, ce que nous appelons la « pause ré-flexive » : les élèves sont invités à faire le pointsur ce que leur a apporté, par exemple, uneheure de cours. Nous leur demandons ainsid'identifier la discipl ine, le sujet du cours, ce qu'i lsont retenu et, pour finir, d'essayer de dire ce quele professeur a voulu leur faire apprendre. Unautre point fort concerne, dans la clé n° 6, les« échanges de pratiques scolaires », pour partirde ce que font les élèves, concrètement. Concer-nant, par exemple, le travail personnel, nous pro-posons aux élèves de relater une situationrécente dans laquelle i ls ont eu du mal à effectuerle travail demandé par le professeur. Le tempsd'écriture individuel le est suivi d'une présentationau groupe, avec questionnement d'explicitation,puis réflexion collective pour essayer de dégagerles hypothèses de compréhension des difficultésrencontrées et, autant que faire se peut, proposerdes pistes pour les surmonter.

    MB – Le dispositif que vous décrivez là est enplace depuis cinq ans. Il a donc bien évolué au fildu temps et des expériences ?MS – Beaucoup, oui. Mais ce sont surtout lesgroupes avec lesquels ça n'a pas marché quinous ont obligés à aller chercher d'autres outi ls.Certes on en sortait penauds, parfois pas fiers,très mal, ou même en colère tout simplement,mais c'est grâce à ces groupes-là qu'on a dû allerchercher autre chose et que cette autre chose apu fonctionner. Et nous continuons aujourd'hui àexplorer d'autres outi ls avec de nouveauxgroupes d'élèves.

    MB – Pourriezvous préciser vos « objectifs et finalités », pour employer une terminologie trèsInstructions Officielles ?MS – Au travers de tel les activités, nous souhai-tons permettre aux élèves de s'exprimer sur leurvécu scolaire et les amener à opérer un retour surleurs pratiques scolaires et les savoirs en jeudans les séquences d'enseignement-apprentis-sage. Par exemple, i ls sont toujours déstabil iséspar notre ultime question dans la pause réflexivequi est : « Pourquoi votre professeur vous a-t-i ldonné ce travail ? Qu'est-ce qu'i l a bien vouluvous faire apprendre ? » Perplexité ! Pourquoi ?« C'est lui qui nous a donné ce travail . Nous, ons'est jamais posé la question pour le savoir. . . »C'est justement ce qui serait intéressant pour lesélèves.JPB – Avec le secret espoir de faire évoluer leurtriple rapport à l 'école, aux savoirs et à l 'ap-prendre. Pour les élèves de 6e, l 'école étant obli-gatoire, l 'objectif est d'essayer de les réconcil ieravec l 'école. On n'a pas de réponse claire et défi-nitive là-dessus. Avec des élèves de seconde quine sont plus soumis à l 'obl igation scolaire, on es-saie de faire en sorte qu'i ls puissent assumer leurchoix, y compris celui de quitter l 'école, lorsqu'i lspensent que leur voie est ai l leurs. Mais qu'i ls nesoient pas dans un rapport négatif ou uniquementuti l i tariste au savoir et surtout à la culture. Tu vois,on n'est pas dans une logique qui consiste à ca-ser à tout prix les décrocheurs. Nous voudrionsqu'i ls puissent faire des choix aussi lucides quepossible. C'est pour ça qu'on en arrive àquestionner avec eux la notion même de réussite,une notion qui ne soit pas seulement associée àsa dimension scolaire.

    MB – Vous observez surtout que ce qui fait défautà votre public, c'est une bonne connaissance desattentes institutionnelles. Cette méconnaissancede leur part se double d'une ignorance totale deleurs propres processus cognitifs. Ce qui donneune image d'euxmêmes extrêmement dévalorisée. À cela s'ajoute encore une représentation dusavoir et un rapport à ce savoir à la fois de répulsion et d'aliénation...JPB – Tout cela, ce sont des compétences oudes implicites qu'i ls ne partagent pas, parce quedans leur mil ieu d'origine, ça n'a pas été appris.Dans les mil ieux populaires, i ls n'ont pas cescodes-là, cette habitude de décrypter les attenteset les modes d'apprentissage. Donc c'est de celaque nous allons parler dans ces groupes pour re-cadrer, mais de façon indirecte, avec des média-tions qui évitent le face à face et permettent lepas de côté. Histoire aussi de ne pas en prendreplein la figure. C'est vrai qu'on va parfois chercherlà où ça fait mal. On est un peu embêtants avecnos questions.

    À l 'occasion de la sortie de leur l ivre Rendre la parole aux élèves, Clés pour les accompagner sur lesvoies de la réussite (Chronique Sociale, octobre 201 3, 283 pages, 1 5,70 €), Martine Boncourt ainterviewé ses auteurs Jean-Pierre Bourreau et Michèle Sanchez.

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    AufildesjoursUne autre approche de la difficulté scolaire

    Martine Boncourt – Je n'irai pas par quatre chemins : votre livre est lumineux ! Passionnant etd'une clarté totale. Commençons pourtant par desformules d'usage. Hors son titre, assez explicitemais sur lequel on reviendra quand même, dequoi parletil ?Jean-Pierre Bourreau – I l parle d'une expériencemenée auprès d'élèves en difficulté, au seuil derupture (en 6e, en 2de professionnelle et géné-rale), et d’élèves en voie de décrochage. Cetteexpérience est autre chose que ce qu'on fait d'or-dinaire – soutien, aide au travail personnel, remé-diation. Nous avons voulu expérimenter une autrefaçon de prendre en charge la difficulté scolaireen permettant à ces élèves-là de s'exprimer surleur vécu scolaire et d'échanger sur leurs pra-tiques. Tout cela dans un contexte qui était aussil ié à notre statut à cette période-là : d'abord, à lamarge du système, ensuite dans le cadre de l 'ac-compagnement personnalisé.

    MB – Au départ, votre accompagnements'adresse bien à des jeunes en difficulté...Michèle Sanchez – Oui, mais pas dans le handi-cap cognitif. On est dans la difficulté ordinaire quiest souvent le résultat de malentendus chez cesélèves de mil ieux défavorisés qui ont un rapport àl 'école soit uti l i tariste, soit négatif, dans le pur etdur. C'est pour ça qu'on essaie de les faire réflé-chir sur l 'idée d'apprendre. Apprendre à l 'école, çaveut dire quoi ? On essaie de clarifier avec euxcet aspect-là. Quels sont les gestes de l 'étudequ'i l faut avoir pour entrer dans les apprentis-sages et dans l 'appropriation des savoirs sco-laires. . .MB – ...et vous pensez que l'on doit pouvoir généraliser à la population d'ensemble des élèves.Mais comment transférer le dispositif ?JPB – Nous préférons le terme « adapter » auterme « transférer ». Et puis, i l ne s'agit pasd'adapter le dispositif mais la démarche d'accom-pagnement, avec en particul ier tout ce qui a traitaux échanges de pratiques. Nous pensons

    qu'adapter des éléments de notre démarche estparfaitement possible, dans le cadre d'un ensei-gnement discipl inaire ordinaire. On l'a fait avec uncollègue d'histoire et un prof de math qui ont bienvoulu jouer le jeu. Ça fonctionne.

    MB – Rendre la parole aux élèves suppose qu'ilsl'ont déjà eue ?...JPB – Notre premier titre était Donner la paroleaux élèves en difficulté. Mais ce titre était tropplat, trop trivial . I l nous fal lait l 'idée de « prisesur » par l 'élève.MB – « Rendre », c'est comme si par naturel'élève l'avait déjà, cette parole, qu'elle était potentiellement présente, qu'elle préexistait à touteentreprise éducative...JPB – C'est ça ! Mais el le a été confisquée parl 'école. Depuis le début. En dehors, bien sûr, despédagogies alternatives, comme la pédagogieFreinet que je connais un tout petit peu [rires :JeanPierre Bourreau fait partie du GD 68 depuisplus de 40 ans.], on ne laisse pas les élèves s'ex-primer ou, quand on les laisse s'exprimer, c'estpour une parole formatée, avec des réponses at-tendues.

    MB – On peut entrer dans votre livre de différentes manières : par les titres des chapitres,par les clés, par les chroniques. Prenonsl'exemple de la clé...JPB – La « clé » est un élément de notre dé-marche qui met le projecteur sur une ou plusieurspratiques, le plus souvent adossées à un ou plu-sieurs outi ls. Chaque clé ne se limite pas de dé-crire la pratique ; el le en précise l 'objectif, fournitles appuis théoriques et pédagogiques auxquelsel le se réfère et explicite les enjeux. Mais el lefournit aussi d'autres pistes, fait partager au lec-teur nos hypothèses, nos interrogations issues denotre propre réflexivité. Ainsi, l 'enseignant peut àson tour s'aventurer, tâtonner et modifier peu àpeu ses pratiques pour al ler plus loin.

    MS – Et i l y a toujours le pendant en résonance,la manière dont l 'élève s'est exprimé à ce sujet-là.Et c'est peut-être ce qui fait la force de notre ou-vrage : on ne dit pas que c'est comme ça qu'i l fautfaire, mais : voilà ce que nous avons proposé etvoilà comment les élèves ont réagi. Dans leschroniques, on montre comment toutes ces clésont été orchestrées à travers les groupes d'élèvesqu'on a pris en charge. Et nous analysons. Etcette analyse-là, ces commentaires nous ontpermis de nous adapter au plus près des besoinsdes élèves et de la dynamique du groupe.

    MB – Un exemple de clé, le « Quoi de neuf ? ».Les lecteurs du NE connaissent bien... Parleznous plutôt d'autres clés...JPB – Le « Quoi de neuf » n'est pas une clé maisune pratique présentée dans la clé n° 3 : « Instau-rer des rituels ». Dans la clé n° 2, i l y a le photo-langage qui permet aux élèves de se présenteren faisant part au groupe de leur ressenti et deleur rapport à l 'école, en s'appuyant sur une photoqu'i ls ont choisie comme représentative de leurétat émotionnel du moment. I l y a aussi, dans laclé n° 5, ce que nous appelons la « pause ré-flexive » : les élèves sont invités à faire le pointsur ce que leur a apporté, par exemple, uneheure de cours. Nous leur demandons ainsid'identifier la discipl ine, le sujet du cours, ce qu'i lsont retenu et, pour finir, d'essayer de dire ce quele professeur a voulu leur faire apprendre. Unautre point fort concerne, dans la clé n° 6, les« échanges de pratiques scolaires », pour partirde ce que font les élèves, concrètement. Concer-nant, par exemple, le travail personnel, nous pro-posons aux élèves de relater une situationrécente dans laquelle i ls ont eu du mal à effectuerle travail demandé par le professeur. Le tempsd'écriture individuel le est suivi d'une présentationau groupe, avec questionnement d'explicitation,puis réflexion collective pour essayer de dégagerles hypothèses de compréhension des difficultésrencontrées et, autant que faire se peut, proposerdes pistes pour les surmonter.

    MB – Le dispositif que vous décrivez là est enplace depuis cinq ans. Il a donc bien évolué au fildu temps et des expériences ?MS – Beaucoup, oui. Mais ce sont surtout lesgroupes avec lesquels ça n'a pas marché quinous ont obligés à aller chercher d'autres outi ls.Certes on en sortait penauds, parfois pas fiers,très mal, ou même en colère tout simplement,mais c'est grâce à ces groupes-là qu'on a dû allerchercher autre chose et que cette autre chose apu fonctionner. Et nous continuons aujourd'hui àexplorer d'autres outi ls avec de nouveauxgroupes d'élèves.

    MB – Pourriezvous préciser vos « objectifs et finalités », pour employer une terminologie trèsInstructions Officielles ?MS – Au travers de tel les activités, nous souhai-tons permettre aux élèves de s'exprimer sur leurvécu scolaire et les amener à opérer un retour surleurs pratiques scolaires et les savoirs en jeudans les séquences d'enseignement-apprentis-sage. Par exemple, i ls sont toujours déstabil iséspar notre ultime question dans la pause réflexivequi est : « Pourquoi votre professeur vous a-t-i ldonné ce travail ? Qu'est-ce qu'i l a bien vouluvous faire apprendre ? » Perplexité ! Pourquoi ?« C'est lui qui nous a donné ce travail . Nous, ons'est jamais posé la question pour le savoir. . . »C'est justement ce qui serait intéressant pour lesélèves.JPB – Avec le secret espoir de faire évoluer leurtriple rapport à l 'école, aux savoirs et à l 'ap-prendre. Pour les élèves de 6e, l 'école étant obli-gatoire, l 'objectif est d'essayer de les réconcil ieravec l 'école. On n'a pas de réponse claire et défi-nitive là-dessus. Avec des élèves de seconde quine sont plus soumis à l 'obl igation scolaire, on es-saie de faire en sorte qu'i ls puissent assumer leurchoix, y compris celui de quitter l 'école, lorsqu'i lspensent que leur voie est ai l leurs. Mais qu'i ls nesoient pas dans un rapport négatif ou uniquementuti l i tariste au savoir et surtout à la culture. Tu vois,on n'est pas dans une logique qui consiste à ca-ser à tout prix les décrocheurs. Nous voudrionsqu'i ls puissent faire des choix aussi lucides quepossible. C'est pour ça qu'on en arrive àquestionner avec eux la notion même de réussite,une notion qui ne soit pas seulement associée àsa dimension scolaire.

    MB – Vous observez surtout que ce qui fait défautà votre public, c'est une bonne connaissance desattentes institutionnelles. Cette méconnaissancede leur part se double d'une ignorance totale deleurs propres processus cognitifs. Ce qui donneune image d'euxmêmes extrêmement dévalorisée. À cela s'ajoute encore une représentation dusavoir et un rapport à ce savoir à la fois de répulsion et d'aliénation...JPB – Tout cela, ce sont des compétences oudes implicites qu'i ls ne partagent pas, parce quedans leur mil ieu d'origine, ça n'a pas été appris.Dans les mil ieux populaires, i ls n'ont pas cescodes-là, cette habitude de décrypter les attenteset les modes d'apprentissage. Donc c'est de celaque nous allons parler dans ces groupes pour re-cadrer, mais de façon indirecte, avec des média-tions qui évitent le face à face et permettent lepas de côté. Histoire aussi de ne pas en prendreplein la figure. C'est vrai qu'on va parfois chercherlà où ça fait mal. On est un peu embêtants avecnos questions.

    À l 'occasion de la sortie de leur l ivre Rendre la parole aux élèves, Clés pour les accompagner sur lesvoies de la réussite (Chronique Sociale, octobre 201 3, 283 pages, 1 5,70 €), Martine Boncourt ainterviewé ses auteurs Jean-Pierre Bourreau et Michèle Sanchez.

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    s MB – Vous bousculez des certitudes...MS – Mais après ils disent que ça leur a quandmême permis de réfléchir. La fameuse question :« Quoi de neuf depuis la semaine der-nière ? – Rien ! Ici , j 'ai rien à dire ! » I l n'y a mêmepas l'effort d'y réfléchir un tout petit peu. C'est dupassé, le passé, ça ne compte plus. On a eu unenote, c'est soldé, on passe à autre chose. C'estcomme ça l'école, ça fonctionne comme ça. . .

    MB – Ça fonctionne aussi comme la société :tout, tout de suite et maintenant, les ravages ducapitalisme pulsionnel. On vit, on jette et onpasse à autre chose...Je vois naturellement partout des références àdes pratiques pédagogiques empruntées à différents courants : Freinet, Institutionnel, maisaussi au protocole AGSAS ou GEASE dans l'analyse des pratiques en cinq temps, au débat philoen général, Michel Tozzi, ou encore ateliersphilode Jacques Lévine (on s'écoute, on s'exprime, onne juge pas, on se dépouille de son costumed'élève...). Mais justement, pour que vos savoirfaire soient adaptables ailleurs, ne fautil pas queles enseignants les connaissent ou les pratiquentau moins un peu, qu'ils en aient sinon intégré, dumoins compris l'éthique ou la philosophie d'ensemble ?JPB – Eh oui, on est d'accord, Martine ! C'est lal imite. . .MS – Pour moi, la formation des enseignantspasse par l 'analyse des pratiques. C'est ainsiqu'après ils peuvent al ler voir ai l leurs. Maisd'abord se mettre en mouvement. « Pas le typede formation, comme nous disait récemment unecollègue débutante, d'où on ressort en se disantqu’on est nul. Là, avec votre ouvrage, on est ré-conforté parce que vous dites aussi quand ça nemarche pas. »

    MB – Et à ce propos, j'ai beaucoup aimé les chroniques avec lesquelles vous illustrez vos analyses. Cet aspect narratif, pour moi, c'est trèsédifiant. Surtout que vous n'avez aucune complaisance pour vousmêmes... C'est ce qui contribueà rendre la démarche et les résultats crédibles.Vous relatez sans maquillage tout ce qui a puéchouer complètement malgré vos attentes. Certaines réactions d'élèves sont très dures visàvisde vos propositions, et pourtant vous ne vous découragez pas...JPB – Ça, tu peux le dire ! C'est parce qu'on étaità deux. C'est important. C'est une des vertus dela coanimation ; pour pouvoir supporter toutes cesagressions : oubli de matériel , perte, absen-téisme, refus de participer, propos parfois à la l i-mite de la correction. . .MS – Mais on a quand même encore ce regardde compréhension et de bienveil lance vis-à-visdes élèves en question. Franchement, les élèvesde LP, i ls reviennent de loin. I ls ont connu cetteblessure narcissique dont parle Bernard Charlot,double blessure, voire triple : i ls ont eu une scola-rité où on leur a toujours dit qu'i ls étaient nuls,plus la stigmatisation que représente, pour cer-tains, le passage par la SEGPA, et quand ils ar-rivent au LP, i ls sont orientés par défaut, dans desfi l ières qu'i ls n'ont pas choisies. Souvent, i ls serévoltent. C'est un travail de fond qu'i l faudraitfaire avec eux. Et sur un temps beaucoup pluslong.

    MB – En tout cas, même si au départ vous parlezd'élèves en difficulté, votre livre est un formidableplaidoyer pour une autre manière de travailler àl'école, en général, avec tous les élèves. Merci àvous, Michèle et JeanPierre.

    Les associations constitutives du Collectif desassociations partenaires de l’école publique(CAPE), mouvements d’éducation populaire etd’éducation nouvelle, mouvements pédagogiques,dénoncent avec la plus grande vigueur et fermetéles désinformations grossières à l’encontre desdispositifs « ABCD de l’égal ité » d’une part et lesmanœuvres d’intimidation des plus violentes àl’encontre des enseignants-es, des parents et desacteurs de terrain impliqués.

    C’est à dessein que, par le mensonge etl ’amalgame, quelques groupes extrémistes etréactionnaires sèment trouble et confusion, portéspar une logique de clivage de notre société. C’estaussi une vision totalement rétrograde de l’école,alors réduite à l ’ instruction absurdement dissociéede ses missions d’éducation et d’émancipation quiest ainsi véhiculée.

    Qu’on le veuil le ou non, les hommes et lesfemmes n’ont pas la même place dans la société(par les salaires, les métiers exercés, lesresponsabil ités politiques), c’est un fait et desétudes le prouvent. Personne ne peut ignorer lesstatistiques et les réalités qu’el les décrivent. Maisrien ne justifie ces inégalités et leur cortège dediscriminations à l’œuvre ! Nous nous devonsdonc de faire partager les valeurs et principesfondateurs de la République démocratique,inscrits dans la constitution et le droit, au premierrang desquels l ’égal ité. C’est en cela quel’éducation contre les préjugés et lesdiscriminations a toujours été au programme del’école républicaine.

    En effet, l ’éducation à l’égal ité s’attache à inscriredans les pratiques, dans les comportements et lesreprésentations des enfants et des jeunes cetteégalité grâce à l’apprentissage d’un regard délivrédes préjugés, déjouant les stéréotypes, basé surla reconnaissance de l’égal ité de dignité entrefi l les et garçons, ainsi que sur le respect, nonnégociable, de soi et de l ’autre.

    Nous, mouvements d’éducation, mouvementspédagogiques, laïques et acteurs de terrainaffirmons que seul l ’accès à l’ information et auxsavoirs permet à chacune et chacun de seconstruire pour l ’exercice d’une citoyenneté pleineet entière.

    Lutter contre les inégalités est l ’un desfondements de l’école républicaine. C’est unenjeu de démocratie, de progrès social garantd’un accès aux droits pour toutes et tous.

    C’est cette société-là à laquelle nous aspirons,sans crainte, car el le respecte la dignité humaine.

    Contact presse : Jean-Luc CAZAILLON - 06 89 5253 1 6

    jean. luc.cazail [email protected]: //col lectif-cape.fr

    L’ICEM fait partie du CAPE.Cf article Collectif CAPE Chantiers 21/22

    Prise de position du CAPECeux qui combattentl’égalité de dignité entre filles et garçonsparticipent à la régression de l’humanité

    Margot CE2Ecole de Fréland