Unanimisme de façade Présidentielle, Pétrange silence sur ...

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p. 1/4 Analyses Unanimisme de façade Présidentielle, Pétrange silence sur l’euro Pourquoi les extrêmes de droite et de gauche mettent en sourdine leurs revendications de souveraineté monétaire Présidentielle 2022, Jean-Michel Lamy Vingt ans et la vie devant soi. Pour l’euro, la formule ne va pas de soi. Sous prétexte que les can didats à l’Élysée ne déclarent plus la guerre à la monnaie unique, la question euro ne se poserait plus. L’on comprend certes que l’im mense filet protecteur dressé par la Banque centrale européenne (BCE) sur les comptes des États membres désarme les opposants. Mais derrière la dévotion unanime, le travail de sape de plusieurs boutefeux, et non des moindres, continue. Nouveau monde ou pas, un choc politique peut déclencher des ajustements de marché de façon séquentielle. L’inconcevable devient alors possibilité. Sans Union européenne forte, pas d’euro solide L’appartenance à la zone moné taire pilotée par la BCE va de pair avec une gouvernance éco nomique exigeante. Faute de preuves d’amour, il faut y montrer sa capacité au compromis. Tirer à vue sur le pianiste UE au nom de ses propres doctrines souverai nistes ou anticapitalistes n’est pas la meilleure façon de s’y prendre. C’est même la plus mauvaise. Sauf à avancer sous un masque. Accepter l’euro, c’est aussi accepter une gouvernance globale. “Sans la monnaie commune, la facture de la crise sanitaire aurait été bien plus élevée pour la France.” Sans le grand marché d’une Union européenne solide, l’euro ne tien dra pas longtemps. Sans la conso lidation intense des fractures et des fissures de la zone monétaire des Dix-Neuf, cette assurance-vie volera en éclats. Toutes postulent des partages de souveraineté. II ne sert à rien de faire accroire aux électeurs que telle ou telle straté gie de rupture se déroulera sans encombre à l’ombre bienveillante de l’euro, dès lors que l’on affirme ne plus le quitter. Certes, toutes les conséquences plus une de l’adhé sion à la zone monétaire sont amé nageables. Elles le seront dans un “policy mix”, politique monétaire politique budgétaire, sûrement à refonder, mais sur des bases évolu tives plutôt que disruptives. Le décrochage français par-rap port à l’Allemagne Que s’est-il passé depuis l’arrivée des pièces et billets en euro dans le porte-monnaie des Français? Eh bien la France a décroché par rapport à l’Allemagne alors qu’elle était à parité, entre autres pour l’endettement, le PIB par habitant Edition : 07 janvier 2022 P.8 Journalistes : JEAN MICHEL LAMY

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Analyses

Unanimisme de façade

Présidentielle, Pétrange silence sur l’euroPourquoi les extrêmes de droite et de gauche mettent en sourdine leurs revendications de souveraineté monétaire

Présidentielle 2022,Jean-Michel Lamy

Vingt ans et la vie devant soi.Pour l’euro, la formule ne va pasde soi. Sous prétexte que les candidats à l’Élysée ne déclarent plusla guerre à la monnaie unique, laquestion euro ne se poserait plus.L’on comprend certes que l’immense filet protecteur dressé parla Banque centrale européenne(BCE) sur les comptes des Étatsmembres désarme les opposants.Mais derrière la dévotion unanime,le travail de sape de plusieursboutefeux, et non des moindres,continue. Nouveau monde ou pas,un choc politique peut déclencherdes ajustements de marché defaçon séquentielle. L’inconcevabledevient alors possibilité.

Sans Union européenne forte,pas d’euro solide

L’appartenance à la zone monétaire pilotée par la BCE va depair avec une gouvernance économique exigeante. Faute depreuves d’amour, il faut y montrersa capacité au compromis. Tirer àvue sur le pianiste UE au nom deses propres doctrines souverainistes ou anticapitalistes n’est pasla meilleure façon de s’y prendre.C’est même la plus mauvaise. Saufà avancer sous un masque.

Accepter l’euro, c’est aussiaccepter une gouvernanceglobale. “Sans la monnaiecommune, la facture de la crisesanitaire aurait été bien plusélevée pour la France.”

Sans le grand marché d’une Unioneuropéenne solide, l’euro ne tiendra pas longtemps. Sans la consolidation intense des fractures etdes fissures de la zone monétairedes Dix-Neuf, cette assurance-vievolera en éclats. Toutes postulentdes partages de souveraineté. IIne sert à rien de faire accroire auxélecteurs que telle ou telle stratégie de rupture se déroulera sansencombre à l’ombre bienveillantede l’euro, dès lors que l’on affirmene plus le quitter. Certes, toutes lesconséquences plus une de l’adhésion à la zone monétaire sont aménageables. Elles le seront dans un“policy mix”, politique monétairepolitique budgétaire, sûrement àrefonder, mais sur des bases évolutives plutôt que disruptives.

Le décrochage français par-rapport à l’Allemagne

Que s’est-il passé depuis l’arrivéedes pièces et billets en euro dansle porte-monnaie des Français?Eh bien la France a décroché parrapport à l’Allemagne alors qu’elleétait à parité, entre autres pourl’endettement, le PIB par habitant

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ouune balance commercialeprochede l’équilibre. Passons sur les économistes altematifs qui ne voientlà que l’effet de l’austérité imposéepar les critères de Maastricht. La‘Recherche’ de Natixis retient troisexplications de fond.Le recul de la qualité du systèmeéducatif; la hausse des impôts desentreprises qui brident l’emploi;le recul de l’effort d’innovation etde modernisation du secteur productif. Quant à la facture des 35heures, si son calcul macroéconomique prête à controverse, celuidu coût psychosocial sur l’ardeurau travail du pays ne saurait êtrecontesté. Absolument aucun de cesfacteurs n’est soumis à l’impériumde l’euro. Si ce n’est que la fin desdévaluations jointe à l’absence decorde de rappel sur les taux d’intérêt poussaient la France aux facilités sans risque. Cela se mesureà une progression plus rapide desdépenses publiques de ce côté-cidu Rhin que de l’autre côté.

L’épisode grec fondateurpour l’esprit communautaire

Dans la courte histoire de la monnaie unique, le premier récif futgrec. En cause, dans la fouléede la crise financière 2008 dessubprimes, le déficit public et ledéficit extérieur gigantesquesd’Athènes (toute ressemblanceavec la France d’aujourd’hui neserait que fortuite). La montéesoudaine de l’aversion au risquea rendu hors de contrôle le financement sur les marchés de cesardoises. Les retards pris dans l’arrivée de l’aide internationale etdans la restructuration de la dettepar la BCE auraient pu conduireAthènes à sortir de l’euro. Untourbillon fatal aurait pu toutemporter. Le personnel politiquea fait le choix de préférer la solvabilité budgétaire sous abri euroen contrepartie d’une pesante

austérité. Rétrospectivement, lesautorités monétaires confessentavoir eu la main trop lourde !L’épisode grec a mûri les comportements, notamment allemands, versl’exigence de solidarité. En 2015,laBCE a mis en place une politiquemonétaire durablement expansionniste. Elle permet de contrôler parl’achat massif de dette publiqueles écarts de taux sur les marchésentre les Dix-Neuf pour l’accès aufinancement international. C’estune façon de corriger le grand handicap par rapport à un État fédéralcomme les États-Unis où le dollarne connaît qu’un seul taux.

Les grandes fragilitésde la zone euro

En 2020, l’arrivée de la pandémieCovid a accéléré le processus versant BCE. Versant Commission,celle-ci s’est engagée- grande première - à emprunter sur les marchés 750 milliards d’euros pourfinancer des plans de relance,dont 350 milliards en subventions.Une action menée à l’échelle desVingt-Sept qui démontre l’étroiteimbrication entre l’écosystèmebruxellois (Commission, Conseileuropéen, Parlement, Cour deJustice de l’UE) et la zone euro.Accepter l’euro, c’est aussi accepter une gouvernanceglobale. “Sansla monnaie commune, la facturede la crise sanitaire aurait été bienplus élevée pour la France”, relèvePhilippe Crevel dans ‘La LettreÉco’ du Cercle de l’Épargne.Cette résilience exemplaire n’élimine en rien les grandes fragilitésde la zone euro. C’est une machineà fabriquer de la divergence. Pourune raison simple : la mobilité desbiens et des services entre les paysest forte, alors que la mobilité dutravail et des capitaux est faible.Conséquence: les déficits de telou tel État membre ne sont pasfinancés par l’épargne des pays

excédentaires ou l’arrivée de brassupplémentaires. Le dynamismeva au dynamisme, le rattrapage estimpossible. En particulier, le basde laine allemand va s’investir horsd’Europe ! Une des tâches,méconnue, de la BCE consiste d’ailleursà compenser les déséquilibres depaiements entre les banques dedifférentes nationalités. Quandla banque italienne voit ses fondspartir dans les banques berlinoises, la BCE ajuste les balances.

Le processus fédératif

Ces facteurs de blocage sont masqués par la grande générositémonétaire de la BCE et celle desfinancés publiques. Tôt ou tardsur ces deux fronts, une normalisation devra s’opérer. II y a dessolutions pour l’accompagnersans trop de casse. Cela s’appellel’Union bancaire, qui pourraitprendre la forme d’une réassurance européenne pour les systèmes nationaux de garantie dedépôts. Cela s’appelle l’Union desmarchés de capitaux unifiée auniveau desVingt-Sept.À chaque fois, la ratification de telsfacilitateurs de financement suppose le sens de l’intérêt communeuropéen par les parties prenantes.C’est flagrant pour l’intention deparvenir à un pacte budgétairerévisé prévoyant une différenciation du niveau de dette par État etun régime spécial pour les investissements “verts”. EmmanuelMacron espère amorcer cette“avancée” en mars lors d’un sommetdesVingt-Sept à Paris, avec l’appuidu président du Conseil italienMario Draghi. La concrétisationprendra du temps, au-delà de laprésidence française de l’UE.Encore s’agit-il d’argumenter dansla durée, à l’intérieur de la sphèrebruxelloise, avec des réformes pertinentes. Dans maints domaines, laCour des comptes donne des clefs

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pour agir de façon visible sous leregard de nos partenaires. Que l’onregarde par exemple le diagnosticsur le personnel de la Justice figédans des dossiers non numérisés.Même le gouverneur de la Banquede France a fait un vceu devant laFondation Schuman: “que l’augmentation annuelle des dépensespubliquespassesimplementde1 % à0,5 % en volume,et la dettebaisserade10points dePIB endix ans”.Vœupieux ou vœu à valeur d’engagement politique? Qui le reprendraà son compte devant l’électeur?Les résultats de l’élection présidentielle et de celle des législatives pèseront dans les arbitrageseuropéens. L’appellation politique de processus “fédératif”est prononcée dans l’accord decoalition allemand. En France, lemot est imprononçable devant lesuffrage universel. Comment imaginer qu’un nouveau président dela République crée du consensusavec les pays de la zone euro enbrandissant “le rapport de force”à l’égard de l’entité Bruxelles- dixit Jean-Luc Mélenchon -?Ou avec le profil d’un Zemmourvouant l’UE aux gémonies ?Au vrai, les “alternatifs” veulenttoujours “en finir avec l’euro”.En octobre 2016, Jacques Sapirpubliait ‘L’euro est-il mort?’ pourdémontrer le possible rétablissement de souverainetés disparuesavec la privatisation des monnaies et le possible cheminementvers une “forme renouvelée del’État-nation”. Les descendants decette fresque sont bien vivants.Simplement, en 2022, les concurrents à l’Élysée de gauche extrêmecomme de droite extrême ontjugé plus judicieux de mettre ensourdine l’agenda de la souverai

neté monétaire. Oui ou non, l’euroempêche-t-il le redressement économique de leurs vœux?II faudraitsavoir si le feu anti-euro couvesous la cendre de la revendicationnationale. La résignation n’est pasun projet d’avenir. Curieusement,un grand silence recouvre l’enjeudirect autour du futur de l’euro.

En 2022,lesconcurrents à l’Élyséede gauche extrêmecomme de droiteextrême ont jugé plusjudicieux de mettreen sourdine l’agendade la souverainetémonétaire.Curieusement,un grand silencerecouvre l’enjeudirect autour du futurde l’euro.

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Comment imaginerqu’un nouveau président de la République crée du consensus avec les pays de la zone euro en brandissant “le rapport de force” à l’égard de Pentité Bruxelles - dixit Jean-Luc Mélenchon -? Ou avec le profil d’un Zemmour vouant

l’UEauxgémonies?

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