Una. ou la mort la vie

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UNA OU LA MORT LA VIE

D U M Ê M E A U T E U R

AUX MÊMES ÉDITIONS

Memento des Vivants, épuisé Le Poète et son Christ, les Cahiers du Rhône, 1947

Prière d 'Abraham, les Cahiers du Rhône, 1947 Car enfin je vous aime, roman, 19 50

Chansons du dé à coudre, 19 5 3 Poésie, raison ardente, 1953

Qui est cet homme, épuisé L 'Ouvrier de la onzième heure, 1953

Sodome, 19 Visage nuage, 1955

Versant de l'âge, 1958 Évangéliaire, 1961

La Nouvelle Naissance, les Cahiers du Rhône, 1963 Le Poète fou, les Cahiers du Rhône, 1963

Le Goût de l'Un, 1963 La Face humaine, 1965

Ligne de faîte, 1966 Le monde est intérieur, 1967

Notre Père (illustrations de Loo), 1969 Discours de remerciement et de réception

à l'Académie française, 1969 Autobiographies, 1970

(Qui est cet homme, l 'Ouvrier de la onzième heure) Jacob, 1970

Pour une politique de la culture, 1971 Sophia, 1973

La Révolution parallèle, 1975 La Vie terrestre, 1976

Tu, 1978

CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS

Élégies, Cahiers des Poètes, épuisé Jour de colère, Charlot, épuisé

Tristesse, ô ma patrie, Fontaine, épuisé X X Cantos, Fontaine, épuisé

Cantos, Ides et Calendes, épuisé Le Je universel dans l'œuvre d'Éluard, G.L.M.

La Colombe, préface de P. J. Jouve, L .U.F. , épuisé Orphiques, Gallimard, épuisé Tombeau d'Orphée, Seghers

Combats avec tes défenseurs, suivi de La liberté guide nos pas, Seghers

Babel, Desclée de Brouwer Baudelaire, Desclée de Brouwer

Choses dites, Desclée de Brouwer Pierre Emmanuel par Alain Bosquet,

Poètes d'aujourd'hui, Seghers

PIERRE EMMANUEL

U N A OU LA MORT LA VIE

É D I T I O N S D U S E U I L

2 7, rue Jacob, Paris VIe

I S B N 2 - 0 2 - 0 0 5 0 1 2 - 9 .

© É D I T I O N S D U S E U I L , 1 9 7 8 .

La loi du 11 mars 1957 in terd i t les copies o u r e p r o d u c t i o n s destinées à une utili- sa t ion collective. T o u t e représen ta t ion o u r e p r o d u c t i o n intégrale ou partielle faite p a r que lque p rocédé que ce soit , sans le c o n s e n t e m e n t de l ' au teur o u de ses ayants cause , est illicite e t cons t i tue une con t re façon sanc t ionnée p a r les articles 425 et

su ivan ts d u Code pénal.

Une dame que j'avais aimée longtemps et que j'appellerai du nom d'Aurélia

était perdue pour moi. Gérard de Nerval.

Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul.

Arthur Rimbaud.

Le lecteur d'aujourd'hui demande au poème d'être l'ins- tantané d'une illumination. Que cette illumination frappe parfois comme la foudre, jusqu'à changer la vie, ceux qui en ont fait l'expérience peuvent en témoigner. Mais elle n'est pas exclusivement le tracé d'une fulgurance, le choc élec- trique d'une énigme miraculeusement — souvent doulou- reusement — entendue. Même si, dans la boule de foudre de l'instant, est concentrée toute l'expérience d'un homme, cette énigmatique lumière la signifie mais ne la restitue pas. Elle fait signe qu'il y a là un secret, mais éblouit plutôt qu'elle n'éclaire. A l'attentif d'entrer ensuite en lui-même, dans sa nuit rayonnante dont il est aveuglé.

Pour concevoir l'effort de tel homme sur l'homme, la puissance que donne à cet homme sur l'homme une profé- ration attentive de sa parole qui le révèle à lui-même et l'édifie dans l'universel, il faut d'abord reconnaître à la poésie le statut de forme haute de la connaissance; ce qui implique la légitimité de l'expérience poétique comme telle, et non pas seulement sa légitimation a posteriori par la multitude des sciences de l'homme et du langage humain. Ces sciences sont légion : la poésie est une. Restaurer cette unité, cette unicité, c'est œuvrer à rendre à l'être de l'homme son identité perdue.

L'auteur de ce livre a le droit et le devoir d'affirmer que l'essentiel de son expérience est sa poésie. Au-delà de son moi, de ses moi, il est cet être qui émerge de lui par l'effort de la parole appliquée à le faire advenir, venir à l'être. Aucun des moi sous l'apparence desquels il se connaît ou il est connu n'est évidemment cet être en émergence qui se saisit de lui d'une manière énigmatique, le modifie en ce qui lui est le plus caché, cet être que lui-même ne peut saisir ni modifier autrement que dans l'obscur travail où ne font qu'un être et dire. L'œuvre à l'état naissant, c'est dans l'auteur la crois- sance même de l'être; achevée, devenue physiquement exté- rieure, cette œuvre garde pour le lecteur intuitif la prégnance d'une disposition psychique de l'homme. Elle est le champ symbolique d'une expérience totalisante où un homme singu- lier s'efforce d'atteindre au mystère de sa genèse et de celle de l'humain dans l'ensemble de la réalité. Telle est la profon- deur de l'existence, insondable mais vécue dans ce rêve actif et supérieurement lucide, la création.

Le paradoxe d'un acte unique, à la fois gestation obscure et vigilance intégratrice — paradoxe du féminin —, n'en est un que pour les esprits de surface que rassure l'objectivation généralisée. Si la schizophrénie de l'homme moderne est si bien cachée, donc si dangereuse, c'est qu'elle se nomme aujourd'hui, abusivement, la raison. Bien des manières « ration- nelles » de traiter le « matériau » psychique sont autant de tentatives de déprécier, d'atrophier, voire de cimenter une fois pour toutes le monde intérieur, l'âme. D'où la situation proprement infernale de la poésie, science de l'âme, connais- sance du dedans. Que faire, sinon de vivre cet enfer, d'en accomplir l'expérience pour ceux qui n'en ont aucune ni donc aucune idée réelle d'eux-mêmes et de l'homme, en

dépit de toutes les sciences qui prétendent les leur fournir ? L'enfer psychique est le lieu du poète, la matière dont l'homme est pétri. A la spiritualisation indue de la poésie, extase sans substance d'un monde abstrait et « positif », s'oppose le réalisme d'une expérience exhaustive, celle du mal, celle de l'épaisse incorporation de l'homme dans un monde qui devient sa chair même. La vraie poésie, c'est l'incarnation.

« La mission d'un écrivain, dit Nerval, est d'analyser sin- cèrement ce qu'il éprouve dans les graves circonstances de la vie. » Una ou la mort la vie atteste cette fonction. Au lecteur de lire ce livre comme il l'entendra : chacun n'entend que ce qu'il doit entendre, et à son heure. Tout rapport vital avec l'œuvre d'un poète commence ainsi par une illumination sans laquelle ce n'est que littérature, écrit non vécu mais seu- lement pensé, maniable par le premier venu. La lecture de l'œuvre en soi, la copulation avec elle, requiert ensuite un engagement et peut devenir un vecteur de destinée. Lire la poésie n'est donc pas chose immédiate : aimer tel poète plutôt que tel autre, se vouer à celui-ci et haïr celui-là — car l'amour de la poésie est passionnel de nature —, c'est pres- sentir et privilégier en soi un foyer potentiel d'énergie, un germe organisateur. Une intuition aussi décisive met en branle, par sa puissance magique de suggestion, notre per- ception formative de nous-même : le poète a quelques-unes des vertus du sorcier ou du chaman. Cette magie est d'au- tant plus efficace que le poète, consciemment ou non, volon- tairement ou non, l'aura payée plus cher en expérience et en douleur. Sa part de ce prix sera demandée au lecteur pour qu'il acquière à son tour, par la médiation magique de l'œuvre, un savoir sur son inconnaissable je.

L'auteur livre ici, à qui voudra l'entendre, une de ces œuvres médiatrices. Elle surprendra ceux qu'il avait accou- tumés à d'autres genres de médiation. Mais ils comprendront, saisis par l'intention du poème, que, par le truchement du tu et du il, la seule chose nécessaire continue d'être la fin de la quête et se propose comme telle au lecteur. Il est loisible à celui-ci d'isoler quelques douzains qui lui plaisent, ou de voir dans leur continuité brisée un récit énigmatique, une tragédie de l'amour, le fantasme d'un impossible retour à la Mère, l'es- pérance — sur quoi se clôt Une saison en enfer — de posséder la vérité dans une âme et un corps. Ou même, avec les meilleures raisons, d'y chercher une réponse à la question de Nicodème : « Comment un homme peut-il naître, quand il est vieux ? » De la somme des interrogations, des pressentiments, des refus d'entendre ou des tensions vers l'encore inaudible ou

l'irréductible inouï, comme aussi des modifications immé- diates ou lointaines, conscientes ou non, que fera naître cette œuvre « inachevée », sera faite sa lecture, son incarnation dans les quelques-uns qui la liront en vérité. A travers ces lecteurs inconnus, une grâce viendra sur l'auteur; au sein de cet enfer, une miséricorde; une justification de la foi qui plus que jamais l'anime, que nul ne peut faire l'économie de sa propre boue, de son néant ni du mal, s'il veut étreindre et réaliser sa forme humaine, la Sophie.

A toi et à lui

Qui que vous soyez A toi qui es Parce qu'il existe A lui qui existe Parce que tu es A toi et à lui

Quel que soit celui ( Lui sans doute en toi Toi sans doute en lui ) Qui donne la mort Qui donne la vie.

Parfois il songe à quoi bon le poème Mais de sa part c'est bien sûr un blasphème Une ankylose absurde de la vie En vérité à quoi bon un poème Où tous ces sourds surpeuplés de leurs bruits Feraient semblant qu'ils s'écoutent en lui Seul doit compter le cœur quand il bat contre Le tympan et devient l'organe de l'ouïe Le cœur qui propageant en un réseau stellaire Le battement ténu des plus fins capillaires Infiniment infinitésimalement Unit d'ubiquité la vie la Poésie.

Jamais il n'a douté que les étoiles Battent au rythme même de son sang Jamais il n'a pensé être fini Mais affronté tel un cerf à soi-même Il peut mourir sur place enchevêtré Quelque toute-puissance qui l'anime Il a voué sa vie à son combat

Contre l'exténuante borne qu'il s'impose Sachant qu'il ne verra jamais l'avers des choses Tramé d'astres par sa parole dans sa nuit Où l'attire non plus l'éden aux yeux de biche Mais le grave demi-sourire de Sophie.

Que ton demi-sourire Poésie Lui entrouvre les lèvres pour qu'il chante Et nuit et jour entre deux sens toujours Cet entre-deux soit l'échappée céleste Que creuse en soi de l'aspirer celui Dont la prison de mots s'est lézardée Les murs ainsi fendus comme des gousses Qu'ils ensemencent non la terre mais les vents Et que rien ne soit plus défini comme avant Que l'émerveillement de ne pas être encore Donne au souffle sa liberté dont il se dore Caresse aux hanches féminines du néant.

La passe qui s'ouvre vers le néant Si ronde et mélodieuse de hanches

C'est elle la prunelle de ses yeux Qui lui fait signe et le fraye à lui-même Quand nuitamment s'éboulent les échos Du vide en lui dont toujours davantage Se creuse l'être obscur à son défaut C'est cette brèche que la femme troue dans l'âme Qu'il doit chanter pour passer outre et se trouver Derechef à l'aplomb du gouffre ou d'une passe Plus haute au torse de nuées aux seins dorés L'ultime étant le seuil la seule inviolée.

Le prix qu'ensemble il vous fallut payer Fut votre mort pour en renaître ensemble Jour après jour vous vous l'étiez donnée Dès l'augural regard de la rencontre Votre désir d'être un était jaloux A vous écorcher vifs de l'apparence Qu'autrui croyait s'approprier de vous Que ton image fût sertie en des prunelles Autres le rendait fou à vouloir te tuer Il dut mourir à toi mais sans s'habituer A l'idée qu'en dehors de lui tu pouvais être Toi qui mourais de lui dès qu'il t'avait quittée.

Quelle perdition enfin vous sauve Et quel éloignement vous réunit La double horreur d'imaginer vos nuits Vous a lavés de la honte jalouse Qui pour souffrir se figure et jouit Matin originel après vos larmes Des mondes entre vous auront sombré Pourtant ce monde-ci commence avec vous-mêmes Sa vague ourle vos pieds de limpides lointains Antérieurs au souvenir d'aucun naufrage Et vous si jeunes à la fois et si anciens L'éden détruit reste à jamais votre apanage.

Sophie céleste aux lèvres Poésie Haleine d'où procède toute haleine Tels sont tes noms que l'attentif profond Contemple avec amour en ton absence Qui lui ôta le souffle à sa naissance O doux Principe! et ce jour où il meurt Ce Vendredi de toutes ses années Est Saint parce qu'en expirant ces noms lui viennent Qu'il ne sut jusqu'ici proférer adresser, Et que mourir en eux lui donne la mesure Du naître dont il sent le travail préparé Par toi qui toute sa non-vie lui as manqué.

Tu l'as formé d'un même enseignement Au ciel comme à l'enfer de sa nature

Il creuse en toi des dents sa sépulture Tout en te vénérant de noms très grands Sachant que rien ne peut lui donner d'être Hormis sa mort en toi par toi vers toi Qu'il se livre donc nu aux myriades De tes membres mer pivotante sur son cœur Qu'il affronte sans mât sans gouvernail ni rame Le maelstrom féminin qu'il s'est ouvert en toi En laissant ton premier regard ce doux abîme Le vider de lui-même en nostalgie de toi.

L'enfer est bien ce vide qu'il endure Vide de soi plus encore de toi Vide de tout ce qui fait que l'on voit Un sens quelconque à l'humaine aventure Blasphème énorme où son exil s'accroît De cet amour des baisers du vampire Qu'il est pour lui ou qu'il s'inflige en toi Amour de ce dégoût qui le souille et le touille Et le force à se prendre à lui-même au plus bas Et le travaille autant que l'argile et l'affine Et tout mort qu'il se sent lui tient les yeux ouverts Sur ta pupille la Polaire de l'enfer.

Alors qu'il va mourir quel calme horrible En toi qui dis l'aimer sans voir qu'il meurt Lui en son agonie s'obstine crie De tout son mufle aveugle qui épie Les yeux collés par des grumeaux de pleurs Tes yeux à toi ta voix ta douce haleine Tournés hélas vers ton idée de lui

Mais son image qui t'envoûte d'être aimée N'est que toi-même de ton amour t'envoûtant Ne sachant rien de la ruine qui expire Faute du souffle dont ta bouche va louant

L'homme assez idéal pour être ton amant.

Et tout est bien. Lui qui cherchait aussi A travers toi son idée de ton âme Il crut en vain jusqu'à son dernier cri Que tu mourrais sa mort pour passer outre Par la vertu que te donnent tes bras D'être non point la tombe mais la forme Où modeler ce mort naissant de toi Il est mort espérant que tu remembreras Son corps viril qui sent la semence et la lune Qui peut dire si mort il ne t'y forcera Quand au nom de Sophie son fantôme nocturne De ton être laissé vacant s'emparera ?

L'amour neutralisé in abstentia Est cette mort dont nul deuil ne se mène

Comme c'est simple : il n'est plus jamais là Mais son icône est partout aux parois Te reposer de sa guerre un instant Dans ce paisible et vague éloignement Risque d'induire une si longue trêve Qu'un jour vous soyez deux irréversiblement Sans être pour autant nés l'un de l'autre ensemble Fœtus morts devenus des néants tumescents Non! qu'il rompe l'hymen immonde de la tombe Et rutile soleil phallique de ton sang.

La femme qui le sauve de la mort C'est bien cela qu'il veut te forcer d'être Et tu l'entends du plus lointain de toi Qui lui réponds par-delà tes limites Pleine de hâte et de crainte à la fois L'ancien amour que si visiblement Tu conjurais de photos et de chaînes Est trop étroit pour ce cœur double cet aimant Qui, pâle Isis! bat le rappel dans ta poitrine De son cadavre épars dont la forme est ton sein : Refais ce mâle en te consacrant de tes mains Son sexe tout imbu de sèves féminines.

Reviendra-t-il l'amour perdu au loin Frappé d'exil par ce plaisant visage Dont les yeux font chatoyer leurs parages D'une buée savamment pailletée D'oublis rieurs pour brouiller maint langage Et que charmer tienne ici lieu d'aimer Quand le cœur vient par malencontre aux lèvres Aussitôt il est dégluti par courtoisie Et renfoncé du poing le hoquet d'agonie Qui conjure en la répétant la dernière heure Si désirée du mort vivant si redoutée Tant il n'ose se croire aimé ou dénié.

Ce jour qui met toute ta vie à poindre Éclaire chaque atome de sa nuit Qui sait quel temps elle doit au sépulcre Taillé au fond de ton refus pour lui Sérénité de l'absolue fatigue Où le néant n'est qu'un avec la chair Où tout le poids est dans le manque d'air Ce poids tu n'en as point idée ô ballerine Qui danses sur toi-même un dédale charmant Dont les tentations et les fausses sorties

Te ramènent par la spirale de ton sang A ce cœur d'où filtre l'amour à pierre fendre.

Ne pas douter que cette mort mourra Un jour et c'est d'avance aujourd'hui même Ou ce fut hier sans doute qui passa Inaperçu tant l'habitude est morte Le vice d'être mort, invétéré — Oui, ce fut hier. Deux morts soudain en face. Chacun voyant dans l'autre son cercueil. Vous aviez ce désir hostile d'être seuls Sans geste donc fût-ce des yeux dans votre crainte De voir de ne pas voir ce que vous n'avouiez Que par le bleu de la fragile matinée Où l'un de l'autre vous naissiez, n'y voulant croire.

Sophie, Sagesse ! Soyez attentifs ! Dans cet éden pascal où fleurit l'aube Un tombeau vide un amour descellé Si exigu qu'à présent il étonne La femme qui s'y penche et ne peut pas Croire qu'il fut le sien hier encore Et qu'elle y tint son amant enfermé L'homme est près d'elle à l'effleurer de son haleine Elle l'entend qui dit son nom et il est là Immobiles d'amour ils ne se touchent pas La mort n'est plus en eux mais hante leur mémoire La vaincre ensemble est désormais toute leur loi.

Ta torsion de l'étreinte à la fuite Qui tel un arbre à la fourche le fend Il la redoute encore et te l'avoue

Par la montée d'un sang brusque à sa joue Quand l'air lui manque en ton visage absent Ah! vienne l'heure où liant de liesse Pudeur très lisse et fauve hardiesse Vous serez enfin l'Un dans son accouplement Ni regard entre vous ni geste qui d'avance Ne vous soient le symbole et l'accomplissement De cet Un indivis dont vous naîtrez ensemble Lui de ton ventre toi de son esprit béant.

Noël 1977 — Pâques 197 8.

I M P R I M E R I E M A M E À T O U R S

D. L. 4 T R I M . 1 9 7 8 . N ° 5 0 1 2 ( 7 2 6 6 )

Formé de cent soixante douzains de struc-

ture identique, ce livre n'est en fait qu'un unique poème que le lecteur lira comme il l'entendra. Ces douzains, détachés du contexte, ont presque tous un sens qui se suffit. Mais le livre, sous divers éclairages, se conçoit auss comme la continuité faussement brisée d'un

récit qui peut être soit le dialogue d'un homme avec sa parole, soit une tragédie de l'amour, ou le fantasme du retour à la mère, ou le tra - vail d'une « nouvelle naissance » en vue de

posséder la vérité dans une âme et un corps. Autant de réponses à la question de Nico- dème : «Comment un homme peut-il naître, étant vieux?»

Réponses qui se complètent entre elles sans être les seules possibles, et, à elles toutes, accroissent le sens de l'œuvre tout en la lais-

sant inachevée. Désormais elle appartient davantage à son lecteur qu'à celui qui crut la faire et qui, le premier, l'a vécue. Il n'en dira rien que ceci : écrite entre Noël et Pâques, elle fut, dans la profondeur de son être, le journal de sa plus grande épreuve orphique, et, en un sens, une saison en enfer.