Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer,...

36
Fuir Les camps de réfugiés offrent protection et perspectives Zimbabwe Autrefois, un État agraire prospère. Aujourd’hui, un pays ruiné et en faillite De l’argent plutôt que du riz Les programmes de transferts monétaires : une alternative à la distribution de vivres Un seul monde N o 4 / DÉCEMBRE 2017 LE MAGAZINE DE LA DDC SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATION www.ddc.admin.ch

Transcript of Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer,...

Page 1: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

FuirLes camps de réfugiés offrent

protection et perspectives

ZimbabweAutrefois, un État agraire prospère.

Aujourd’hui, un pays ruiné et en faillite

De l’argent plutôt que du riz Les programmes de transferts

monétaires : une alternative à ladistribution de vivres

Un seul mondeNo4 / DÉCEMBRE 2017LE MAGAZINE DE LA DDCSUR LE DÉVELOPPEMENT ET LA COOPÉRATIONwww.ddc.admin.ch

Page 2: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

2

Un seul monde est édité par la Direction du développement etde la coopération (DDC), agence de coopération internationaledu Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Cetterevue n’est cependant pas une publication officielle au sensstrict. D’autres opinions y sont également exprimées. C’estpourquoi les articles ne reflètent pas obligatoirement le point devue de la DDC et des autorités fédérales.

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Sommaire

D D C

F O R U M

3 Éditorial4 Périscope26 DDC interne34 Service35 Coup de cœur avec Milo Rau35 Impressum

H O R I Z O N S

C U L T U R E

D O S S I E R CAMPS DE RÉFUGIÉS6 Des vies en suspens

Plus de 65 millions de personnes sont forcées à l’exil à travers le monde. Plongée dans le quotidien des réfugiés en Jordanie et au Liban.

15 «L’aide sur place reste insuffisante»Entretien avec Andrew Harper, du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés

17 Faits et chiffres

18 Ici, rien n’est comme ailleurs Le Zimbabwe, pays enclavé au sud de l’Afrique, est pratiquement en faillite. Corruption, chômage, pauvreté et inégalités gangrènent cet État.

21 Sur le terrain avec…Juliane Ineichen, responsable du programme régional de la DDC en Afrique australe, évoque son travail et l’engagement de la Suisse au Zimbabwe

22 Où vas-tu, mon Zimbabwe?L’écrivain Beaven Tapureta décrit les conditions de vie démoralisantes dans son pays d’origine

23 L’école, une priorité pour lutter contre la marginalisationLa DDC favorise l’accès à l’éducation des familles nomades en Afrique de l’Ouest et centrale

24 Quand l’eau fait revivre un villageDepuis que la décentralisation en Ukraine commence à prendre forme, la vie change dans les communes

27 Les transferts monétaires questionnent l’aide humanitaire Depuis quelques années, les sacs de riz ont fait place aux cartes électroniques sur les terrains de crise

30 Maroc : station terminus !Carte blanche : Driss Ksikes raconte la transformation du paysage social des villes marocaines, après l’arrivée de migrants dans son pays natal

31 Tournages en Afghanistan : une réalité complexeLes réalisateurs afghans font face à des problèmes d’insécurité dans leur pays

Page 3: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

3

Éditorial

Un seul monde No4 / Décembre 2017

En février, j’ai visité l’un des plus grands camps dumonde : celui de Kakuma, dans le nord-ouest duKenya. Il accueille quelque 180 000 réfugiés. Près dela moitié d’entre eux ont fui les conflits récurrents auSoudan du Sud ; les autres ont échappé à la violenceet aux troubles qui secouent les pays voisins. La DDCmène à Kakuma un projet de formation profession-nelle visant à offrir de meilleures perspectives auxjeunes, tout d’abord au sein du camp et, si possibledans un avenir proche, dans leur pays d’origine.

En me rendant sur place, je voulais me faire une idéede la situation humanitaire qui prévaut dans le campet m’assurer, parallèlement, que notre programmeaméliore la vie des jeunes. Je souhaitais, de plus, ob-tenir la réponse à une question qui m’avait pris au dé-pourvu, il y a deux ans, lors d’une discussion avecdes jeunes dans un camp de réfugiés syriens enJordanie. Que pouvons-nous faire pour aider cesgens à surmonter l’un des plus grands défis inhérentà la réalité des camps : l’inactivité forcée et le senti-ment de passer à côté de leur vie?

À Kakuma aussi, cette frustration est devenue op-pressante. Le camp existe depuis les années 1990.La majorité des résidents sont nés dans ce lieu isolé,soumis aux assauts du soleil, du vent et de la pous-sière. Ne vous méprenez pas. Je n’ai nullement l’in-tention de critiquer ce camp. Au contraire. La bonnenouvelle est que nul n’y meurt de faim ou de soif. Leproblème de la violence et de la criminalité n’y est pasplus prégnant que dans une ville «ordinaire », de tailleet de type similaires. Il n’empêche, ces réfugiés restenttributaires de l’aide humanitaire et leurs libertés sontrestreintes: deux points qui posent des difficultés enparticulier aux jeunes.

Le projet de la DDC leur propose une formation, notamment dans les domaines suivants : mécaniqueautomobile, couture, réparation d’ordinateurs et pro-grammation. J’ai surtout rencontré des femmes dansl’atelier de couture. En revanche, j’ai été accueilli par

des apprentis des deux sexes dans le garage à cielouvert, au salon de coiffure et dans le magasin infor-matique. Souvent, ces jeunes m’ont à juste titreignoré, trop occupés à manier leurs outils ou à tapersur leurs claviers pour prêter attention au visiteur venude Suisse. J’ai tout de même réussi à me faire photo-graphier avec une mécanicienne arborant de belleslunettes de protection.

L’histoire d’un apprenti informaticien soudanais m’aété racontée avec fierté. Le jeune homme est retournéà Juba, une fois son diplôme en poche. Il y a ouvertun magasin d’informatique, dont les affaires sont flo-rissantes. Anecdotique, ce récit n’en confirme pasmoins les résultats de diverses études : plus ils sontinstruits, plus les réfugiés tendent à rentrer chez euxlorsque les conditions le permettent.

Au cours de cette première phase, le projet entendformer quelque 500 jeunes – pour moitié des réfugiésdu camp et pour l’autre moitié des Kenyans de la villevoisine, Kakuma. Nous soutenons également la po-pulation locale pour, d’une part, accroître l’accepta-tion du camp dans ses environs immédiats et, d’autrepart, tenir compte du fait que les Kenyans de la régionvivent à peine mieux que les réfugiés.

Certes, les besoins sont immenses et le nombre desplaces de formation limité. Pour les 500 apprentis, leprojet fait, néanmoins, la différence : de l’inquiétude àl’espoir.

Manuel SagerDirecteur de la DDC

(De l’allemand)

Face à l’inactivité forcée, une lueur d’espoir

DD

C

Page 4: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

4

Ash

ley

Gilb

erts

on/V

II/R

edux

/laif

Tim

Gra

ham

/rob

erth

ardi

ng/la

if

Périscope

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Le savon sauve des vies(bf) Il existe un lien direct entre la présence de savondans un ménage et la mortalité infantile. C’est ce quevient de prouver une équipe de chercheurs de l’agenceaméricaine USAID et de l’Unicef dans une étudeconjointe, publiée par l’Université de Buffalo. Les scienti-fiques ont analysé des données liées au lavage desmains, recueillies tous les trois à cinq ans dans plus de100 pays. En Afrique, la proportion de familles disposantde savon varie entre 0,1% en Ethiopie et 34,7% auSwaziland. À titre de comparaison, elle atteint 96,4% enSerbie, 42,6% en Afghanistan et 21,4% au Bangladesh.L’équipe de chercheurs, dirigée par Swapna Kumar etPavani Ram, estime que le lavage des mains constituel’un des meilleurs moyens de prévenir les six millions dedécès infantiles enregistrés chaque année dans lemonde. En conclusion, l’accès à l’eau et au savon estparticulièrement important dans les régions rurales, oùles enfants meurent souvent de pneumonie et de diarrhée.

L’école par la radio (zs) Les violences de BokoHaram, dans la région du lacTchad, ont contraint plus d’unmillion d’enfants à quitter leurfoyer et leur école. Depuis le début de l’insurrection, en 2009,le groupe djihadiste a détruit descentaines d’établissements sco-laires. Pour offrir une éducationaux victimes, l’Unicef a élaboré,avec le concours de l’Union eu-ropéenne ainsi que des gouver-nements camerounais et nigé-rien, un programme radiocomportant 144 épisodes. Ceux-ci ont trait à la lecture, à l’écri-ture et au calcul. S’adressant à

différentes catégories d’âge, ilssont diffusés sur des chaînes pu-bliques en français et dans leslangues locales (kanouri, peul ethaoussa). Les parents sont sensi-bilisés à l’importance de la dé-marche afin d’encourager leurprogéniture à suivre assidûmentles activités proposées. Quelque200000 enfants déplacés dansl’Extrême-Nord du Camerounet la région de Diffa, au Niger,bénéficient du projet. «Dans unfutur proche, nous espéronsqu’ils recevront un certificat et réussiront l’année scolaire », souligne Marie-Pierre Poirier,directrice régionale de l’Unicef

pour l’Afrique de l’Ouest et centrale.

Une ampoule qui s’allumedans l’eau (zs) Une jeune Ivoirienne a euune idée lumineuse pour éclairerses compatriotes, dont près de la moitié vivent encore dans lapénombre. Diplômée de LaSorbonne, Delphine Oulaï a découvert une ampoule (à diodeélectroluminescente), capable des’allumer au contact de l’eau. Ledispositif contient «une pile hy-dro-électrique qui lui permet deconserver de l’énergie durantune semaine», explique la ving-tenaire, originaire de la régiondu Tonkpi, à l’ouest du pays.Cette pile est composée d’unetige de carbone et de poudre demagnésium. Plongée dans l’eau,elle produit une réaction élec-trochimique à la surface desélectrodes, permettant de géné-rer de l’électricité et donc d’allu-mer la lampe. Pour assurer lalongévité de l’ampoule, qui peutatteindre six ans, cette dernièredoit être rechargée à un rythmehebdomadaire. Pas simple quandl’énergie fait défaut dans les régions reculées. L’idée deDelphine Oulaï pour remédier à la situation : faire circuler unecharrette pourvue de panneauxphotovoltaïques dans les villages.

Le mariage précoce entravela réduction de la pauvreté(zs) Chaque jour, plus de 41000filles sont mariées avant l’âge de 18 ans. Elles sont quelque 15 millions à subir ce sort chaqueannée, avant même d’être physi-quement et psychologiquementprêtes à devenir femmes et mères. Le mariage précoce metnon seulement en danger leursanté (grossesse et accouche-ment prématurés), mais les priveégalement d’éducation et de revenu. Elles sont davantage exposées à la pauvreté et à laviolence de leur partenaire.

Outre les jeunes épouses elles-mêmes, le phénomène affecteaussi leurs enfants et la société.D’ici à 2030, il coûtera des milliards de dollars aux pays endéveloppement, selon une étudede la Banque mondiale et duCentre international de recherchesur les femmes. L’analyse détailleson impact économique surquinze États, avec des extrapola-tions pour une centaine de pays.Mettre un terme à cette pratique,en maintenant les filles à l’écolenotamment, apporterait desbénéfices en termes de bien-être. Une augmentation deschances en matière d’éducationet d’emploi permet de juguler la pression démographique, deréduire la pauvreté et de stimulerla croissance. Le mariage pré-coce est donc un problème social, mais aussi économique. http ://www.costsofchildmarriage.org/publications

Plus de droits fonciers pourles femmes( jlh) Dans la province deRayagada, en Inde, la terre appartient non pas aux hommes,comme dans le reste du pays,mais aux femmes. Et ce sont lesfilles qui en héritent. Ce statut

Page 5: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

5

Chr

ista

Lac

henm

aier

/laif

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Des

sin

de J

ean

Aug

agne

ur

tout à fait particulier conféré à lagent féminine induit non seule-ment une quantité inhabituellede plantes comestibles et médici-nales, mais également unemeilleure résistance des culturesau changement climatique.Pourtant, il demeure une excep-tion, note un rapport du réseaumondial Rights and Resourcespublié cette année. Si la plupartdes pays en développement étu-diés prévoient des droits égauxpour les deux sexes, ce n’est leplus souvent que sur le papier.Les femmes, responsables del’entretien des terres et des forêtsdont vivent leurs familles, enprennent un soin tout particu-lier. Elles ne peuvent, cepen-dant, ni posséder de terres ni enhériter. Elles n’ont pas voix auchapitre dans les instances poli-tiques de leurs communes. Or,selon le rapport, l’égalité consti-

tuerait un formidable moyen des’assurer que les familles et lescommunes gardent le contrôlede leurs terres. Elle permettraitégalement de satisfaire les be-soins alimentaires, tout en atté-nuant les effets du changementclimatique et de l’avancée desdéserts.

Pêcher dans les champs de riz( jlh) Dans certains pays asia-tiques, une méthode agricolepratiquée depuis des siècles suscite soudain un grand intérêt.Lorsqu’ils irriguent leurs rizièresen terrasse, les paysans y intro-duisent des poissons qu’ils sa-voureront plus tard avec le riz.Cette cohabitation est sans dan-ger pour l’environnement.Surtout, elle se révèle pertinente:si les poissons trouvent, dans leschamps de riz, la protection et la

nourriture dont ils ont besoin, ilsaèrent le sol et lui fournissent desnutriments. Selon la FAO, la rizipisciculture recèle un grandpotentiel pour lutter contre lapauvreté et la faim dans lemonde. L’organisation soutient

actuellement les paysans danssept pays asiatiques. Ses expertset collaborateurs ont lancé plusieurs programmes visant à développer et faire connaîtrecette approche.

Page 6: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

6 Un seul monde No4 / Décembre 2017

DO

SS

IE

R

Des vies en suspensLe monde compte plus de 65 millions de personnes déplacéesen raison de violences et de persécutions. À eux seuls, la Jordanie et le Liban accueillent quelque deux millions de réfu-giés syriens. Les modes d’hébergement, dans ces deux pays, varient : le quotidien et les perspectives également. Reportagede Christian Zeier.

Wazira, assise dans sa tente, pleure. Adel observeles conteneurs habitables à l’infini. Ahmed prendla pose dans une chambre en tôle. Et Nizar fait visiter fièrement son trois pièces avec salle de bainset cuisine. Depuis mars, cet appartement lui ap-partient. Wazira, Adel, Ahmed et Nizar ne seconnaissent pas. Ils partagent, néanmoins, un destin commun. Tous les quatre vivent en tant queréfugiés au Moyen-Orient. Ils ont fui leur paysd’origine pour s’installer avec leur famille dans un pays voisin de la Syrie : deux se trouvent au

Liban, deux sont en Jordanie.Alors que l’Europe se lamente à propos de la crise des migrants, ces deux États ont accueilli plus de deux millions de Syriens. Selon l’ONU,les réfugiés en Jordanie représentent presqu’un dixième de la population et même un quart au Liban. Ce sont de loin les chiffres officiels les plus élevés du monde. Bien que fortement mise à contri-bution en comparaison européenne, la Suisse accueille vingt fois moins de réfugiés au regard desa population totale.

Le camp de Zaatari accueillerait provisoirement plus de 150000 réfugiés. Officieusement, il est considéré comme la quatrième ville de Jordanie.

HC

R

Page 7: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

7

Chr

istia

n Ze

ier

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Camps de réfugiés

Wazira, 30 ans, BhanninePas de camps au LibanCe mois de juillet se révèle particulièrementchaud au Liban. Le soleil est brûlant : la tempé-rature effleure les 40 degrés. Si aucune tâche nes’avère urgente, les gens se reposent à l’ombre.C’est du moins le cas des adultes. Dans une courintérieure de Bhannine, localité au nord du pays,des enfants courent autour des grandes tentes, évi-tant les cordes pleines de linge, tendues entre des

arbres chétifs. Les cinq tentes constituent leurmaison – provisoirement.Elles abritent trente Syriens, dont Wazira (30ans) de Homs. Lorsque la guerre a éclaté dans son pays, il y a six ans, elle a fui avec sa famille etpassé la frontière toute proche avec le Liban pours’établir à Bhannine. « Trouver l’endroit n’a pasété difficile », raconte la jeune femme. « Le rendrehabitable, ce fut une autre histoire. » À leur arri-vée, les Syriens ont dû débroussailler les lieux. LeHaut Commissariat des Nations Unies pour lesréfugiés (HCR) leur a fourni du matériel pourconstruire des abris : des bâches en plastique, deséléments en bois et du béton ont permis d’amé-nager des tentes de plusieurs pièces avec des fon-dations en dur. Wazira, son mari et leurs cinq enfants ne viventpas dans un camp. Il n’en existe pas au Liban. Dumoins pas pour les réfugiés Syriens. Après lesmauvaises expériences avec les camps palesti-niens, le Liban applique une politique anti-camptrès stricte.

Meilleure intégration à l’extérieurSelon Khaled Kabbara, représentant du HCRdans la ville portuaire de Tripoli, « il est préférableque les réfugiés trouvent un abri hors des camps ».

Ils s’intègrent ainsi plus facilement dans la com-munauté d’accueil et l’aide qui leur est destinéebénéficie à l’ensemble de la société. Les camps devraient toujours constituer l’option de dernierrecours, préconise l’agence onusienne dans unedirective parue en 2014. Ils peuvent avoir desconséquences néfastes tant pour les occupantsque pour le pays hôte.Le nombre actuel de réfugiés met pourtant cettepolitique à rude épreuve (voir l’interview en page 15). « Prendre en charge tous ceux qui ne ré-sident pas dans des camps représente une tâcheénorme », souligne Khaled Kabbara. Leur seulenregistrement relève du défi. Pour obtenir unsoutien, ces personnes doivent, en effet, s’enre-gistrer dans l’un des quatre centres du pays.D’après le HCR, elles seraient un million. Legouvernement estime, pour sa part, leur nombreà un million et demi. La plupart vivent dans desappartements. Une autre partie importante résidedans des bâtiments inachevés, des garages, des ma-gasins ou des caves. Enfin, à l’instar de Wazira,près de 250 000 Syriens habitent dans des cam-pements informels, répartis à travers tout le pays.

Campements de fortuneArrivés il y a près de six ans, Wazira et ses proches

Syrie

Jordanie

IrakLiban

ArabieSaoudite

WestBank

Chypre

Égypte

Amman

Tripoli

Beyrouth

Camp de Zaatari

Camp de Azrak

Camp de Nahr el-Bared

Méditerranée

Gaza

Israël

Campement de Bhannine

Page 8: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

8

Chr

istia

n Ze

ier

Chr

istia

n Ze

ier

Un seul monde No4 / Décembre 2017

ne vivent qu’avec le strict minimum. Deux réser-voirs surélevés assurent l’approvisionnement eneau et l’électricité n’est disponible qu’à certainesheures. La famille a accès aux services de santé et,bien que le système éducatif libanais soit débor-dé, les cinq enfants fréquentent l’école locale. Interrogée sur ses projets futurs, Wazira se tait etbaisse le regard : «Nous ne savons pas ce que l’ave-nir nous réserve. Nous espérons ce qu’il y a de mieuxpour nos enfants», dit-elle les larmes aux yeux.

Des petits boulotsAu-delà du logement et de l’infrastructure, c’estl’absence de perspectives qui prédomine à Bhan-nine. Le mari de Wazira travaille de temps à autreà la journée, dans l’agriculture ou le bâtiment.Grâce à ces petits boulots, il gagne entre 15 et 18dollars par jour, au noir : comme la plupart des Syriens, il n’a ni autorisation de séjour ni permisde travail. Ce revenu ne suffisant pas, la famille re-çoit 135 dollars par mois du Programme alimen-taire mondial (PAM) de l’ONU. Wazira douteque les conditions soient meilleures dans un campde réfugiés. Elle connaît une famille qui vit dansun camp en Jordanie : « Je préfère notre situation.Nous sommes au moins libres d’aller où nous voulons. »

Adel, 31 ans, ZaatariUne véritable villeÀ Zaatari, la liberté de mouvement s’arrête auxbarbelés. Après un trajet d’une heure en voituredepuis la capitale jordanienne, Amman, en di-rection du nord-est, une clôture se profile au loin.Le site équivaut à sept cents terrains de football.Des conteneurs s’alignent à perte de vue. Quelque 80 000 Syriens y ont trouvé refuge.Pour toute sortie, une autorisation est nécessaire.Ouvert en 2012, Zaatari est aujourd’hui l’un desplus grands camps de réfugiés du monde.Au milieu de cette cité de conteneurs, sur les hau-teurs, Adel (31 ans) regarde les innombrables toitsen tôle. « La vie est dure ici », raconte-t-il. En hi-ver, il fait très froid ; en été, très chaud. Lors detempêtes, le sable pénètre dans le conteneur. Le-quel mesure trois mètres sur cinq. Adel y vit avecsa femme et leurs quatre enfants. Comme beau-coup de familles à Zaatari, la sienne est origi-naire du sud-ouest de la Syrie, foyer de l’insur-rection contre Bachar el-Assad. Elle a franchi lafrontière toute proche en avril 2013. Au camp,elle a trouvé une tente, un set de cuisine et des couvertures pour tous. « Depuis, les choses se

sont nettement améliorées », note Adel. Pourcommencer, la famille a reçu le conteneur. Avecl’aide de proches, le jeune père a, ensuite, cimentéle sol, puis construit une cuisine et une entrée.L’eau et l’électricité sont désormais disponibles.Les enfants vont à l’école et les services médicauxfonctionnent.

Le rêve d’une vie normaleAdel est, néanmoins, persuadé que la vie seraitmeilleure hors du camp. Il a des connaissances quivivent dans des logements avec une à deux

Les chiffres exactsAvant de pouvoir venir enaide aux plus défavorisés,il est nécessaire de lesidentifier et de les localiser.Au Liban, le HCR a dé-nombré un million de réfugiés syriens. Pour les atteindre, l’agence onu- sienne collabore avec desbénévoles, qui glanent desdonnées dans leur com-munauté pour, ensuite, les partager. En mai 2015,le gouvernement libanaisa, toutefois, enjoint auHCR de suspendre les enregistrements. Selon lesexperts, jusqu’à un demi-million de réfugiés syriensseraient arrivés depuis etvivraient donc au Libansans reconnaissance officielle. N’étant pas enregistrés, ils n’ont droit à aucun soutien.

Trente Syriens résident dans cette cour intérieure, àBhannine. Leurs logements sont essentiellement faits debois et de bâches.

Page 9: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

9

Chr

istia

n Ze

ier

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Camps de réfugiés

Ressources limitées« La Jordanie court à la ca-tastrophe ! », avertissait leroi Abdallah II dans les médias début 2016. Lemonarque affirmait queson pays ne pourrait plusadmettre de nouveauxSyriens sans soutien sup-plémentaire. En réponse àcet appel désespéré, uneconférence internationalede donateurs, qui s’esttenue à Londres l’an der-nier, a permis de lever neufmilliards d’euros pour fi-nancer l’aide aux réfugiésen Turquie, en Jordanie etau Liban. En contrepartie,ces pays ont promis de favoriser l’intégration desmigrants dans le mondedu travail.

À Zaatari, les réfugiés ont affectueusement surnommé la rue principale du camp «Champs-Élysées». De l’agence devoyage à l’atelier de réparation pour vélos, tout ce qui répond à une demande s’y trouve.

chambres à coucher. «En comparaison, notre conte-neur est une boîte de conserve. » S’il avait un em-ploi, Adel s’en irait aussitôt. Selon lui, ses enfantspourraient mieux s’intégrer à l’extérieur du campet enfin mener une vraie vie. Deux d’entre euxsont si jeunes qu’ils n’ont jamais connu un autreenvironnement que la chaleur, le sable et leconteneur. «Lorsque nous sommes sortis du camprécemment, ils ont vu un arbre pour la premièrefois ! »La famille ne pourra sans doute pas quitter la zonebarbelée de sitôt : elle n’a personne qui puisse l’ac-cueillir à l’extérieur et ses quatre années d’exil ontabsorbé toutes ses économies. Sa situation illustreparfaitement le malheur et la chance que repré-sente un camp de réfugiés. Si celui-ci rend ses occupants tributaires de l’aide étrangère et les empêche d’être complètement autonomes, il pro-tège les plus vulnérables de l’exploitation à la-quelle ils pourraient se plier pour survivre.

Un regard sur les statistiques permet d’identifierle type d’hébergement prisé par les Syriens: surles 200 000 personnes officiellement enregistréesà Zaatari en avril 2013, moins de la moitié y vivent encore. Bien qu’une majorité des réfugiéssoient tout d’abord arrivés dans l’un des campsjordaniens, l’on estime que 85% d’entre eux ré-sident aujourd’hui ailleurs, principalement dansles agglomérations urbaines.

Les «Champs-Élysées » de ZaatariCela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de vie à Zaatari. Aux alentours de midi, la rue principaledu camp, affectueusement surnommée «Champs-Élysées » par les résidents, est très animée. Les gensse pressent dans les restaurants, des piétons flânentdevant les boutiques et des cyclistes transportenttoutes sortes de marchandises. Cinq ans après sonouverture, le site offre toutes les prestations ré-pondant à une demande: de la pizzeria à l’atelier

Page 10: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

10 Un seul monde No4 / Décembre 2017

de réparation des vélos en passant par le salon decoiffure.Cette dynamique fait suite à la situation plus oumoins chaotique qui régnait les premières annéesà Zaatari. L’infrastructure était alors déficiente,des troubles ont éclaté et des groupusculescontrôlaient des rues entières. Une certaine li-berté d’aménager le camp a été laissée à ses utili-sateurs. Celui-ci ressemble désormais, à s’y mé-prendre, à une ville : les Syriens ont déplacé leursconteneurs et les ont transformés en petites bou-tiques. Ils ont dérobé l’électricité du réseau offi-ciel et introduit clandestinement diverses mar-

chandises. Ils ont ainsi façonné le camp en fonc-tion de leurs propres besoins. C’était un casse-têtepour les services de sécurité, mais une chancepour les habitants.« Diriger un camp de réfugiés relève toujours del’équilibrisme », observe Juliette Stevenson, char-gée de communication du HCR à Amman.«D’un côté, il est parfois nécessaire de fixer desrègles ; d’un autre, il est bon que la vie prenne sesaises. » Au fil du temps, il a fallu trouver des com-promis à Zaatari : les gérants des petits magasins,par exemple, paient désormais l’électricité qu’ilsconsomment et bénéficient en échange d’un

(cz) L’aide suisse s’est retrouvée sous le feu des projecteurs en mai dernier. Le conseiller fédérald’alors Didier Burkhalter a inauguré dans le campd’Azraq, en Jordanie, un nouveau réseau de distribution d’eau améliorant le quotidien de mil-liers de réfugiés syriens. Financé et construit par la Suisse, il est géré par le Fonds des Nations Uniespour l’enfance (Unicef). «Grâce à cette installation, nous n’avons plus be-soin de livraisons d’eau et économisons énormé-ment d’argent », se réjouit Saleh Al-Sharabati, re-présentant de l’institution onusienne en charge del’enfance à Azraq. Le forage réalisé fournit les ca-pacités requises, tandis que le nouveau réseau re-lie les puits aux réservoirs centraux et aux pointsd’eau répartis dans le camp. Selon plusieurs habi-tants, l’eau est de bonne qualité et les trajets quo-tidiens pour s’approvisionner se révèlent désormaismoins pénibles. L’équipement mis en service faci-lite la vie de tous.

Appui fourni aux écolesPour aider les réfugiés accueillis au Liban et en Jordanie, la Suisse verse des contributions à des organisations multilatérales, telles que le HCR, leCICR et l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine auProche-Orient (UNRWA). Elle soutient les acti-vités bilatérales d’ONG locales et internationales.Elle réalise, de plus, ses propres projets d’ententeavec les gouvernements respectifs.

Au Liban, la DDC développe, en collaborationavec les autorités locales, l’approvisionnement eneau dans la plaine de la Bekaa, une région agri-cole importante. Dans le nord du pays, elle a réhabilité les écoles : de nouvelles portes, fenêtreset installations sanitaires ont amélioré l’état d’éta-blissements mis à forte contribution par la haussedes effectifs. En 2012, la Suisse a lancé une action similaire en Jordanie : 58 écoles, qui accueillent des enfants réfugiés de Syrie, ont été rénovées et30 classes supplémentaires ont été construites.Quelque 50 000 élèves en bénéficient.

Travailler sur le long termeCes projets profitent autant aux Syriens qu’aux habitants de la région. Ils viennent en aide aux personnes en difficulté, tout en améliorant la per-ception des réfugiés, indique Rahel Pema, cheffesuppléante du bureau de la coopération suisse àAmman. «Nous montrons ainsi aux pays d’accueilqu’on ne les laisse pas seuls face aux problèmes. »Au Liban, le fait que le gouvernement ne veuillepas de camps pour les Syriens constitue une chance, selon le chef du bureau de la coopération suisse à Beyrouth, Philipp Beutler. «Nous pouvonsdavantage travailler sur le long terme et améliorerles infrastructures communales. » Les représentantssuisses sont unanimes sur un point : les réfugiés s’in-tègrent mieux au sein de la société. ■

(De l’allemand)

Aider les réfugiés et les communautés hôtesLa Suisse contribue grandement à améliorer les conditions devie des réfugiés au Moyen-Orient. Son aide vise en particulierles personnes qui résident à l’extérieur des camps officiels.

La stratégie helvétiqueAu Moyen-Orient, laSuisse améliore les condi-tions des populations vul-nérables affectées par unconflit afin qu’elles puissentvivre dans la paix et la sé-curité. Elle réduit la préca-rité, prévient et résout lesconflits. Tels sont les ob-jectifs principaux de sastratégie de coopérationrégionale. Celle-ci se fondesur une approche globale,à laquelle collaborentl’Aide humanitaire de laDDC, la Division Sécuritéhumaine du DFAE, le Secoet le Secrétariat d’État auxmigrations. L’engagements’articule autour de quatreaxes prioritaires: la protec-tion des réfugiés et celledes personnes défavori-sées, l’accès aux soins debase et la gestion durablede l’eau. Cette année, laSuisse aura dépenséquelque 26 millions defrancs en Jordanie et 20millions au Liban.

Page 11: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

11

Chr

istia

n Ze

ier

Chr

istia

n Ze

ier

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Camps de réfugiés

approvisionnement sans coupure. Les services desécurité sont plus présents, mais ferment un œilsur les activités des boutiques informelles. Seuls les emplois font encore défaut à Zaatari. LaJordanie a, certes, lancé une initiative qui doitpermettre à plus de Syriens de travailler légale-ment et les réfugiés peuvent, depuis peu, deman-der un permis de travail dans un centre de place-ment interne. La majorité des habitants demeurent,néanmoins, dépendants de l’aide humanitaire.

Ahmed, 35 ans, AzraqOrganisé et structuréÀ Azraq, ouvert après Zaatari, tout devait mieuxse passer. Alors que la venue d’autres Syriens étaitattendue et qu’un seul camp ne suffirait pas pourles accueillir, le HCR et le gouvernement en ontprévu un supplémentaire. C’est ainsi qu’Azraq aété mis en service en 2014. L’agence onusienneaffirme alors avoir tiré les leçons de Zaatari etd’autres camps. Azraq vaut-il mieux que Zaatari ?Peut-il servir de modèle ? Oui et non. La ré-ponse dépend du point de vue et du domaine pris en considération.

La sécurité aux dépens de la libertéAsraq est organisé de manière nettement plus dé-centralisée. Le camp est divisé en plusieurs zones,appelées « villages », qui fonctionnent de façonquasi autonome. Chacun d’eux comprend descentres communautaires, un dispensaire, desécoles, des places de jeux ainsi que divers équi-pements. Selon Alaa Amoush, experte du HCR,« de petites entités sont plus faciles à gérer ». Lenouveau camp est plus structuré. Dès le départ,les services de sécurité ont été mieux préparés.

Le principal atout de ce camp constitue aussi safaiblesse. Tandis que Zaatari s’est développé demanière organique, Azraq résulte d’une planifi-cation approfondie. Les libertés y sont sacrifiéessur l’autel de la sécurité : une autorisation est né-cessaire pour entrer dans le camp ou le quitter,tout comme pour ouvrir un magasin. Si l’ontrouve des boutiques illégales à Azraq, le marchén’est pas aussi dynamique qu’à Zaatari. Le site setrouve au milieu du désert, à des kilomètres detoute agglomération et d’éventuels partenairescommerciaux.« Pour nous, c’est un avantage », souligne le co-lonel Fakhri Al-Quatarneh, à la tête des services

Un réfugié syrien a ouvert cette pizzeria sur la place dumarché, dans le camp d’Azraq, en plein désert.

Page 12: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

Chr

istia

n Ze

ier

12

Chr

istia

n Ze

ier

Un seul monde No4 / Décembre 2017

matelas sur lesquels la famille dort et reçoit seshôtes. Abu Rim et ses proches sont arrivés à Az-raq en août 2014. « À l’époque, le sol était ensable. Nous n’avions pas de cuisine et le pointd’eau était très éloigné », se souvient-il. « Depuis,notre situation s’est grandement améliorée. » Lesenfants vont à l’école. La formation est acceptable,les soins de santé efficaces et l’infrastructure ex-cellente, précise le père de famille.

Installations solairesAzraq est le premier camp de réfugiés qui couvreses besoins en électricité grâce à ses propres ins-tallations solaires. Le réseau d’eau a été transfor-mé cette année (voir article en page 10). Lemanque de travail et de perspectives demeure leprincipal problème. Abu Rim pense à son frère,qui vit à Amman et a un emploi : « Si je trouvaisun travail à l’extérieur, je partirais d’ici tout desuite. »Les résidents d’Azraq ne partagent pas tous lemême point de vue. Loin s’en faut. « Nous pré-férons vivre dans le camp », déclare Ahmed (35ans). « Même si j’avais un emploi à l’extérieur, latotalité de mon salaire servirait à payer le loyer,l’électricité et l’eau. » Sa famille reçoit 100 dinars(140 francs) par mois au titre de l’aide interna-tionale, auxquels s’ajoutent les 180 dinars de sonrevenu d’enseignant auprès d’une ONG. «À l’ex-térieur, je gagnerais davantage, mais ne trouve-rais pas de travail. » Tous attendent que la vie re-prenne son cours. « Notre avenir appartient aupassé. Nous misons à présent sur celui de nos en-fants », confie Ahmed.

Nizar, 45 ans,Nahr el-BaredÉviter les erreurs du passéLes conséquences d’une intégration ratée des ré-fugiés s’observent au nord du Liban. À la péri-phérie de Tripoli, une large route passe devantun point de contrôle militaire, avant de mener àNahr el-Bared. C’est ici que les premiers Pales-tiniens se sont installés voici bientôt septante ans.Nahr el-Bared est l’un des douze camps palesti-niens officiels au Liban, géré par l’Office de se-cours et de travaux des Nations Unies pour lesréfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA).« Nous apprécions toute forme d’aide, mais notrevie est loin d’être confortable », déplore Nizar. LePalestinien de 45 ans nous invite dans son appar-tement, au deuxième étage d’un immeuble

Depuis douze ans, Abu Ahmed vend et répare des vélos àAzraq. Les affaires marchent bien, selon lui.

de sécurité jordaniens à Azraq. « Nous ne sou-haitons pas isoler les gens, mais les troubles sontmoins fréquents en l’absence de ville à proximi-té», indique-t-il. Les résidents apprécient la si-tuation différemment, comme le montrent leschiffres : quelque 53 000 personnes sont enregis-trées à Azraq, mais seules 35 000 y résident véri-tablement. L’écart s’explique par le fait que les ré-fugiés autorisés à quitter temporairement le campprolongent leur séjour à l’extérieur.

Rester ou partir ?Installé depuis trois ans à Azraq avec les siens, AbuRim est convaincu que « la qualité de vie estmeilleure à l’extérieur ». « Surtout, j’aurais plus dechances de trouver un emploi. » Ce Syrien deHoms, sa femme et leurs quatre enfants sont as-sis dans le conteneur familial. Le sol bétonné estcouvert d’un tapis. Aux coins de l’unique pièce,qui mesure 24 mètres carrés, sont installés de fins

L’hospitalité arabeEn Jordanie et au Liban,l’accueil des migrantsrelève de la tradition. À lafin des années 1940, descentaines de milliers dePalestiniens ont trouvé re-fuge au Liban et la plupartd’entre eux vivent aujour-d’hui dans des camps extraterritoriaux. LaJordanie a, pour sa part,admis, ces dernières dé-cennies, d’importantsgroupes de réfugiés enprovenance d’Arménie, dePalestine ou d’Iran. Depuis,beaucoup ont obtenu lanationalité jordanienne.

Page 13: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

13

Chr

istia

n Ze

ier

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Camps de réfugiés

beige, et nous fait visiter fièrement les troischambres. Le logement vient d’être achevé dansle cadre de la reconstruction de Nahr el-Bared parl’UNRWA. Il appartient, depuis mars, à Nizar età sa famille. « Nous étions très heureux de pou-voir revenir dans le camp, mais avons l’impres-sion de vivre en prison. »L’histoire de Nizar est étroitement liée à celle ducamp. Son père est né à Nahr el-Bared. C’était

Si les nouveaux immeubles, dans le camp palestinien de Nahr el-Bared, réjouissent les réfugiés, un problème demeure :les restrictions à la liberté de mouvement.

L’Ouganda en exempleLe manque d’emplois etde perspectives reste l’unedes plus grandes difficultésà laquelle doivent faire faceles migrants. Ces dernierssont soumis à des restric-tions dans de nombreuxpays. Essentiellement pourdes questions politiques,les gouvernements refusentde reconnaître leurs droitsles plus fondamentaux.L’Ouganda s’est engagésur une tout autre voie.Accueillant des centainesde milliers de réfugiés, illeur garantit le droit à la liberté de mouvement, autravail, aux soins de santéet à la formation. Le paysleur accorde également lesdroits de vote et d’électionau niveau local. Cette poli-tique d’intégration lui vautdes éloges de toutes parts.

en 1949, un an après l’expulsion de sa famille duterritoire israélien actuel. À l’époque, le campcomprenait essentiellement des tentes et des abrismiteux, à l’instar de l’hébergement des Syriensaujourd’hui. Au fil des ans, Nahr el-Bared s’estmué en petite ville : des maisons sont sorties deterre et le commerce a pris son essor. La situationdes Palestiniens au Liban s’est, cependant, sé-rieusement détériorée, avant même le début dela guerre civile. Aujourd’hui encore, on les tientpour responsables de l’éclatement du conflit.Leurs camps sont perçus comme un danger pourla sécurité de l’État et comme centres de recru-tement pour les extrémistes : telle est l’une desprincipales raisons pour laquelle le Liban veut éviter d’aménager des camps pour les réfugiés syriens.

Un marché florissant réduit à néantNahr el-Bared a été détruit en 2007, lors des com-bats qui ont opposé l’armée libanaise au mouve-ment islamiste radical Fatah al-Islam. Si la re-construction a commencé dès 2009, le site res-semble encore aujourd’hui davantage à un campjordanien qu’à une ville florissante. «Autrefois, ce

Page 14: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

14

Chr

istia

n Ze

ier

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Le coût de l’aide« Les camps devraient êtrel’exception », affirme leHCR dans sa directive de2014 concernant l’héber-gement des réfugiés.L’agence prône d’autressolutions, bénéficiantautant aux réfugiés qu’auxpays d’accueil. Cettestratégie pose, toutefois, leproblème des coûts. Si lespersonnes déplacées ré-sident dans des camps, lacommunauté internationaletendra à financer l’aide. Si elles vivent dans les agglomérations urbaines,la facture sera plutôt à lacharge de l’État hôte. Unepolitique misant sur dif-férentes options ne pourraêtre efficace que si elleprévoit un soutien auxpays concernés. Ceux-ciseront ainsi moins incités à ériger des camps.

camp était ouvert », témoigne Bilal, qui possèdeun magasin d’alimentation dans la rue centrale.Selon ce commerçant de 31 ans, la proximité avecla mer et les prix bas attiraient alors le chaland.« Aujourd’hui, les gens de l’extérieur ne viennentplus ici. » Bien que le camp ait été en grande par-tie reconstruit, son économie est anéantie. Le sitene se trouve plus sur la route principale de Tripoliet les contrôles d’accès le privent de son attrait et ne font que l’isoler. Pire encore, les réfugiéspalestiniens n’ont généralement pas la nationalitélibanaise et sont donc désavantagés du point devue légal.

Une mise en garde pour l’avenirAinsi, la situation de Nahr el-Bared sert d’aver-tissement, rappelant qu’une société peut bénéfi-cier ou non de la présence de réfugiés. Couvrirles besoins de base est, certes, essentiel : chaquefamille a besoin d’un toit, de repas réguliers,d’électricité et d’eau. Mais cela ne suffit pas : siNizar dispose d’un logement, il ne possède pas de

Trois jeunes posent devant une école, à Nahr el-Bared. La formation dans le camp est intéressante, mais les perspec-tives en matière d’emploi sont maigres.

travail. Sa fille aînée étudie, mais n’a guère deperspectives d’emploi.Le Liban doit déjà faire face à des centaines demilliers de Palestiniens quasiment sans avenir surle marché du travail. Si l’on perpétue les erreursdu passé et n’accorde pas un soutien supplémen-taire à la Jordanie et au Liban, le Moyen-Orientcomptera une nouvelle génération perdue. AuxPalestiniens s’ajouteront les Syriens qui ne peuventni retourner chez eux ni aspirer à un avenir. Wazira, Ahmed, Adel et leurs enfants connaîtrontle même sort que celui de Nizar. ■

(De l’allemand)

Page 15: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

15Un seul monde No4 / Décembre 2017

Camps de réfugiés

Un seul monde : Monsieur Harper, le HCRs’oppose officiellement aux camps de réfu-giés, mais gère quelques-unes des plusgrandes structures du monde. Comment expliquez-vous cette contradiction? Andrew Harper: Les organisations humanitairesont beau louer les avantages de stratégies diffé-rentes : celles-ci ne peuvent, toutefois, s’appliquerque si les pays d’accueil reçoivent un soutien suffi-sant. Sinon, ces derniers nous disent très vite : «Pourque nous puissions maintenir nos frontières ou-vertes, vous devez vous occuper des gens qui arrivent. » C’est exactement ce qui s’est produit enJordanie.

Ce pays ne voulait-il pas de camps? On était d’avis que les camps étaient contraires à laculture locale et à l’hospitalité arabe. Les Jordaniensont partagé leurs maisons, leur nourriture et leursvêtements avec les réfugiés. N’étant elles-mêmes pas très riches, les communes ont rapidement été débordées. Ce n’est qu’à ce stade que le gouverne-

ment nous a demandé d’ouvrir un camp.

Le HCR affirme avoir beaucoup appris surles camps en Jordanie ces dernières années.Or, lorsque l’on compare Zaatari et Azraq,la qualité de vie semble moins bonne dans lenouveau camp que dans l’ancien.Nous n’avons pas pu apporter les nombreuses amé-liorations prévues. Des arbres rendraient, parexemple, le site nettement plus accueillant. Les au-torités n’en ont pas voulu pour des raisons de sécu-rité. Et n’oublions pas qu’il y a toujours des gensopposés à un minimum de confort pour les réfu-giés.

L’un des principaux reproches émis à l’en-contre d’Azraq, c’est son isolement. Que ré-pondez-vous?Tout d’abord, dans un pays comme la Jordanie, leszones d’habitation classiques sont déjà affectées. En-suite, le terrain doit appartenir au gouvernement.L’accès à l’eau et à l’électricité ainsi qu’à la route

«L’aide sur place reste insuffisante»Après avoir représenté le HCR en Jordanie, Andrew Harperprépare l’accueil futur des réfugiés depuis le siège de l’orga-nisation, à Genève. Dans un entretien accordé à Christian Zeier, il explique comment les camps voient le jour et pour-quoi ils ne constituent qu’une solution d’urgence.

Avec d’autres représentants du HCR, Andrew Harper accompagne des réfugiés syriens, tout juste arrivés à la frontièrejordanienne.

Andrew Harper travaille,depuis 1990, au sein duHaut Commissariat desNations Unies pour les ré-fugiés (HCR). Après despostes au Timor occiden-tal, en Iran et à Sumatra,l’Australien fut responsable,six ans durant, des opéra-tions en Irak, depuis lesiège de l’organisation àGenève. Représentant duHCR en Jordanie de 2011à 2016, il a coordonnél’aide internationale dans le contexte de la crise syrienne. C’est à cette période que deux des plusgrands camps de réfugiésdu monde ont vu le jour :Zaatari et Azraq. AndrewHarper est de retour àGenève depuis septembre2016 : après avoir dirigél’unité du HCR pour l’inno-vation, il est désormais à la tête de la division de lagestion et de l’appui auxprogrammes.

HC

R/S

ebas

tian

Ric

h

HC

R/J

ared

Koh

ler

Page 16: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

16 Un seul monde No4 / Décembre 2017

constitue une autre condition. Le camp ne doit pasêtre trop éloigné de la frontière afin de faciliter unretour sûr et digne. Enfin, il est nécessaire que lapopulation locale accepte le camp. Bien que son emplacement ne soit pas idéal, Azraq constitue lameilleure solution.

Existe-t-il de bonnes pratiques en Jordaniepouvant s’appliquer ailleurs? Nous avons lancé le premier programme mondialde transferts monétaires, qui utilise la reconnais-sance de l’iris pour identifier les bénéficiaires. Grâce aux données biométriques, nous pouvons garantir que chaque centime parvient aux bonnespersonnes.

Pourquoi les camps sont-ils conçus à titreprovisoire, alors que les gens y passent denombreuses années? Lorsque le nombre des réfugiés dépasse 100 000, ilest fort probable que leur séjour se prolongera. Onnous affirme, cependant, invariablement ceci : « Ilsne resteront que six mois. Il ne vaut pas la peine d’in-vestir. » Dans le cas d’Azraq, nous avons misé d’em-blée sur une infrastructure plus durable. En lieu etplace de tentes, nous avons fourni des conteneursaux familles, afin de leur offrir plus d’intimité.

Y a-t-il un stade où vous vous dites: «Nousavons atteint un bon niveau et pouvons re-noncer à adapter le camp»? Nous ne devons jamais cesser d’améliorer la vie desgens. J’ai souvent entendu que les camps en An-gola et au Soudan n’étaient pas aussi réussis que ceux en Jordanie. C’est vrai. Cela n’empêche pasqu’il faille agir partout au mieux. Le problème reste les ressources.

Si les camps en Somalie sont nettement moins accueillants qu’en Jordanie, est-cedonc juste par manque de moyens? Pour commencer, c’est le gouvernement qui dé-cide si nous pouvons ériger un camp et où. Vient

Quelque 8000 personnes ont trouvé refuge dans le camp d’Aïn Issa, géré par le HCR. Elles ont fui les violents combatsqui faisaient rage à Raqa, ville syrienne aux mains de l’État islamique jusqu’en octobre dernier.

ensuite la question de l’accès : il est beaucoup plusdifficile d’acheminer de l’aide en Somalie qu’en Jor-danie. Enfin, il y a l’argent: le HCR dépend descontributions versées par les pays donateurs et lesparticuliers. Pour la Jordanie, nous avons eu lachance de recevoir des fonds des pays occidentaux,mais aussi de nombreux États du Golfe.

Les pays donateurs décident eux-mêmes del’utilisation de leurs fonds. Cela pose-t-il unproblème?Oui. Comme les pays investissent de plus en plusdans des projets humanitaires sur leur propre terri-toire, il reste toujours moins d’argent pour l’aide in-ternationale. Et les gens se demandent pourquoi tantde réfugiés essaient de gagner l’Europe… C’est parce que l’aide sur place est insuffisante !

Que pensez-vous du travail de la DDC?Au Moyen-Orient, il dépasse toutes les attentes. EnJordanie, les Suisses ont été les premiers à croire ennotre programme de transferts monétaires. Ils nousont permis de le lancer. Dans le monde entier, nousprofitons aussi des compétences techniques de laDDC. De plus, comme la Suisse est un pays neutre,elle peut mener des actions humanitaires avec plusde transparence, d’indépendance et de rapidité qued’autres États.

Au Liban et en Jordanie, la DDC est activeessentiellement hors des camps. Ceux-ci at-tirent néanmoins plus d’argent et d’attentionmédiatique. Quelle est la meilleure option?Je devrais répondre qu’il faut privilégier les camps,car le gouvernement estime que c’est là où les ré-fugiés doivent séjourner. Pourtant, 85% d’entre euxvivent à l’extérieur…

Est-ce là une réponse?Oui. Quiconque souhaite se profiler et cherche l’attention des médias investit dans les camps. ■

(De l’anglais)

HC

R/B

assa

m D

iab

Page 17: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

17

Thie

rry

Mon

asse

/Pol

aris

/laif

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Faits et chiffres

Camps de réfugiés

Un triste recordLe HCR enregistrait, fin 2016, plus de 65 millions de personnesdéracinées à travers le monde. La majorité d’entre elles se sontdéplacées contre leur gré à l’intérieur de leur propre pays, tandisque 22,5 millions ont dû trouver refuge à l’étranger. La plupart vivent au sein d’agglomérations urbaines, dans des appartements,des garages, des maisons inachevées ou des campements de fortune. Seul un tiers d’entre eux résident dans des camps officiels.

Types de camps• Le Liban, la Syrie, la Jordanie, la bande de Gaza et la

Cisjordanie comptent, depuis bientôt septante ans, des camps palestiniens. Ceux-ci sont régis par l’Office de secourset de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA).

• Les camps de réfugiés en Turquie accueillent essentiellementdes Syriens. Ils sont gérés par l’État turc et disposent le plus souvent de bonnes infrastructures. De sévères restrictions légales sont, néanmoins, imposées aux résidants.

• En Ouganda, les structures d’accueil ressemblent davantage à des agglomérations qu’à de véritables camps. Elles ne sontpas entourées d’une clôture entravant la liberté de mouvement.De nombreux réfugiés reçoivent des terres qu’ils peuvent exploiter. De plus, ils sont officiellement autorisés à travailler.

• Le Liban applique une rigoureuse politique anti-camp. La plupart des réfugiés vivent donc dans des campements de fortune, des logements ou des immeubles inachevés. Ce système favorise l’intégration au sein de la société, mais met à rude épreuve les institutions nationales, telles que les hôpitaux et les écoles.

Pays d’origine de la majorité des réfugiés

• Syrie : 5,5 millions • Afghanistan : 2,5 millions• Soudan du Sud : 1,4 million

Pays accueillant la plupart des réfugiés (enregistrés auprès du HCR)

• Turquie : 2,9 millions• Pakistan : 1,4 million• Liban : 1 million• Iran : 980 000 • Ouganda : 940 000 • Éthiopie : 790 000

Source : HCR

270000 160000 Bidi Bidi (agglomération, Ouganda)

250000

170000 Palorinya (agglomération, Ouganda)

80000

Kakuma (Kenya)

Zaatari (Jordanie)

Nombre de réfugiés dans les plus grands camps du monde

120000Imvepi (agglomération, Ouganda)Dadaab (regroupement de cinq camps, Kenya)

Page 18: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

18

Pet

e M

ulle

r/N

YT/

Red

ux/la

if

Un seul monde No4 / Décembre 2017

HO

RIZ

ON

S

«Au Zimbabwe, vous ne pouvez jamais comptersur rien», raconte Ntando Moyo. «Vous roulez surune route bien goudronnée et, soudain, un nid-de-poule s’ouvre devant vous, aussi grand qu’unebaignoire. Vous vous arrêtez pour faire le plein etl’employé qui vous sert est professeur de mathé-matiques. Ou alors vous vous rendez dans la zoneindustrielle de Bulawayo, deuxième ville du pays,et découvrez que les anciennes usines d’acier et detextiles sont devenues des églises. » « Ici, rien n’estcomme ailleurs », poursuit notre interlocuteur.«Ne soyez pas surpris si, un soir, un policier élé-gant, qui danse dans un bar, vous tend un joint. »

Un pays ruinéJ’ai rencontré Ntando il y a cinq ans, à Johannes-burg. L’étudiant en ingénierie qu’il était alors vo-lait des roches aurifères dans des mines abandon-nées. Aujourd’hui, le jeune trentenaire travailledans un hôpital de Bulawayo, où il s’occupe dejeunes séropositifs. Son histoire est à peine moinstourmentée que celle de son pays.

Malgré une pénurie de liquidités, le centre de la capitale zimbabwéenne, Harare, est très animé.

Le Zimbabwe était autrefois un État agraire floris-sant, du moins pour ses propriétaires fonciersblancs. Aujourd’hui, après 37 ans d’indépendance,il n’est plus qu’un pays ruiné, pratiquement enfaillite. Dès quatre heures, chaque matin, delongues queues se forment devant les banques deBulawayo. Elles ne désemplissent pas au fil de lajournée. Des clients tentent désespérément de pré-lever au moins quelques dollars sur leur compte.Cela fait déjà huit ans que le Zimbabwe ne pos-sède plus de devise nationale. Après un taux dechange démentiel – un dollar américain contre 35 millions de milliards de dollars zimbabwéens –,le gouvernement a abandonné sa monnaie. Depuis,le pays utilise la livre, l’euro, le rand, le yuan ouencore le dollar américain.À 30 ans, Ntando vit avec sa fille de dix ans chezses parents. Son salaire mensuel de 200 dollars amé-ricains ne lui en laisse guère le choix. La petite mai-son, dans le quartier de «Pumula South » à Bula-wayo, est équipée du wifi et de la télévision. Ellecompte une salle de bains et quatre pièces où co-

Ici, rien n’est comme ailleursAprès 37 ans d’indépendance, le Zimbabwe est à peine recon-naissable. Cet État agraire, autrefois prospère, disposait de lapopulation la mieux éduquée d’Afrique. Corruption, chômage,misère et inégalités rongent aujourd’hui ce pays enclavé au suddu continent africain. De Johannes Dieterich, à Harare.

La fin d’un régime auto-ritaire de plusieursdécennies?Depuis son indépendanceil y a 37 ans, le Zimbabwea été dirigé sans interrup-tion par Robert Mugabe.Malgré son grand âge(93 ans), ce dernier a étédésigné comme candidataux élections présidentiel-les de 2018 par son partil’« Union nationale africainedu Zimbabwe - Front patri-otique (Zanu/PF) ». Maisen coulisses, la lutte poursa succession a gagné enintensité. Dans la nuit du15 novembre, l’armée estfinalement intervenue, assi-gnant le président Mugabeà résidence. Pour justifierson action, elle a indiquéviser des «criminels» dansl’entourage de Mugabe.Des observateurs pensentque l’armée voulaitempêcher l’épouse duprésident, Grace Mugabe,d’accéder à la tête del’État. Des représentantsde l’armée ont affirmé qu’ilne s’agissait pas d’uncoup d’État, mais d’uneprise de pouvoir provisoire.La communauté internatio-nale a multiplié les appelspour que l’ordre constitu-tionnel soit rétabli rapide-ment et sans violences. Aumoment de l’impressiondu dernier numéro du ma-gazine « Un seul monde »,l’évolution de la situationau Zimbabwe était encoreincertaine.

Page 19: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

19

Pet

e M

ulle

r/N

YT/

Red

ux/la

if

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Zimbabwe

Le Zimbabwe en bref

NomRépublique du Zimbabwe

CapitaleHarare

Superficie390 580 km2

Population15,6 millions d’habitants.

Composition ethnique70% de Shonas, 20% deNdébélés, autre groupesethniques africains, petiteminorité européenne

Langues nationalesAnglais, shona, ndébélé,ainsi que treize langues deminorités ethniques

Religions90 à 95% de Chrétiens.Divers cultes africains tra-ditionnels, petite minoritémusulmane

Moyenne d’âge20,6 ans

Espérance de vie59,2 ans

habitent six personnes, dont trois enfants qui dorment à même le sol. Les parents de Ntandoconstituent une exception au Zimbabwe : ils sonttoujours ensemble et perçoivent tous deux un re-venu mensuel régulier. Lui est professeur à l’écolepédagogique et elle infirmière à l’hôpital Mpilo.Tous les membres de la famille – le père et la mère,leurs deux filles mariées ainsi que Ntando – viventencore au Zimbabwe : une situation rare dans ce

pays en déliquescence, qui a vu un quart de sa po-pulation émigrer au cours des quinze dernières an-nées.

Expropriés et chassés Comme ses deux sœurs, Ntando a étudié au lycée.Durant les premières années encore prospères deson « règne », Robert Mugabe pouvait se vanterd’être le président du pays le plus instruit d’Afrique.Brillant élève, Ntando a survolé les épreuves dubaccalauréat. C’était juste avant la dramatique dé-gringolade du pays. La fin des années 1980 a vu émerger le Mouve-ment pour le changement démocratique (MDC),en opposition au régime toujours plus corrompudu mouvement de libération nationale, le Zanu-PF. Le MDC, soutenu par les fermiers blancs, atenté de défaire le président par les urnes. RobertMugabe a alors lâché ses « vétérans de guerre » surles propriétaires terriens. Ceux-ci ont été expro-priés et poussés à quitter le pays. L’économie dupays s’est effondrée. Le produit intérieur brut a

Journée de lessive à Epworth, dans la banlieue de Harare. La pauvreté y est omniprésente.

liste en réseaux informatiques. Alors que la criseéconomique sévit, ses parents se retrouvent à courtd’argent. Il doit arrêter ses études. Comme plus dedeux millions de Zimbabwéens, il gagne l’Afriquedu Sud voisine pour y trouver un emploi. Le jeunehomme installe la fibre optique dans des mines au-rifères, jusqu’à ce que sa société fasse faillite. Mal-gré d’intenses recherches, il ne décroche pas de tra-vail. Il décide de se joindre à un groupe d’anciensmineurs qui exploitent illégalement les mines d’orabandonnées des environs de Johannesburg poury extraire les derniers restes du métal précieux.

Risquer sa vie pour survivreAu début, les compères, qui se faufilent au péril deleur vie dans des galeries menaçant de s’effondrer,réalisent de bonnes affaires. Ntando envoie régu-lièrement de l’argent à ses proches sans leur avouersa provenance. Sa famille sait combien le travail des«Zama Zama» (mineurs d’or artisanaux) est dan-gereux. Si Ntando a réchappé aux nombreux ac-cidents pouvant frapper les mineurs clandestins, il

chuté, d’innombrables entreprises ont fermé etl’inflation a connu un pic historique, avec un tauxde 80 milliards %(!). Les Zimbabwéens continuentde se rendre aux urnes tous les cinq ans, mais leshommes de main de Robert Mugabe veillent à ceque l’élection présidentielle se solde par une vic-toire de l’autocrate.Ntando a entamé des études d’ingénieur à l’écolepolytechnique de Bulawayo pour devenir spécia-

Zimbabwe

Mozambique

Zambie

Océan IndienAfrique du Sud

Botswana

Harare

Malawi

Page 20: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

20

Joha

nnes

Die

teric

h

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Ntando Moyo (au centre) avec deux de ses amis : « Il faut être complètement ivre pour supporter la vie ici. »

a été victime de l’autre malédiction des «ZamaZama» : les pilleurs. Ces derniers ont, un jour, blo-qué la sortie de la mine pour s’accaparer du butindes mineurs qui remontaient à la surface. Ntandoa été retenu prisonnier trois jours durant dans lesgaleries. Le garçon, qui n’avait à l’époque que 25ans, n’a rien pu faire lorsque les malfaiteurs ont précipité l’un de ses camarades, qui se montrait rebelle, au fond d’un puits de plusieurs centainesde mètres. Après cet événement traumatisant, Ntando rentredans sa ville natale, où sa vie prend un nouveautournant inattendu: il devient conseiller en matièrede VIH/sida, un emploi financé de l’étranger. Samission : convaincre les jeunes de reprendre leurtraitement, après avoir abandonné leur cocktail demédicaments salvateurs. Il réconforte également lespersonnes récemment diagnostiquées séropositives.Au départ, ce nouveau travail lui était quasimentinsupportable. Aujourd’hui, il rêve d’étudier lapsychologie.Le Zimbabwe escompte, lui aussi, une telle issuepositive. En vain. L’opposition tente, depuis desannées, de défier l’inamovible Robert Mugabe etle Zanu-PF. Les querelles récentes pour succéderau vieil homme l’ébranlent quelque peu.

Situation prérévolutionnaireLe pays connaît actuellement un état de flottementprérévolutionnaire : la population regarde avec inquiétude les fissures croissantes qui émaillent laforteresse, alors que de nombreux aspirants aupouvoir tentent de s’assurer la plus grande part desvestiges. Ntando a songé à s’affilier au MDC comme acti-viste politique, mais s’est vite rendu compte quele parti d’opposition ne pourrait pas l’aider nonplus. «Dans notre situation, la question n’est pastant de savoir quel parti défend le meilleur pro-gramme, mais lequel te procurera un emploi, dequoi manger et quelques billets de banque», souffle

le jeune homme désabusé.Ntando possède ainsi dans son armoire un T-shirtaux couleurs du Zanu-PF et un autre à celles duMDC. Selon les occasions, il porte celui qui ser-vira le mieux ses intérêts. C’est bien ce confor-misme obligé qui vaut à Mugabe sa longue survieà la tête du pays, car c’est le parti gouvernemen-tal, mieux doté, qui maîtrise parfaitement le jeu despetites faveurs.

Pour résister : l’alcoolSes 200 dollars mensuels ne lui permettant pas vrai-ment de survivre, Ntando se mue, le week-end,en contrôleur de minibus, en mécanicien auto-mobile ou encore en maçon. Ce sont, toutefois,les soirées dans les bars, autour d’une table debillard, ou dans les discos avec ses amis qui le rendent pleinement vivant. Parmi ces derniers, ontrouve des experts comptables diplômés devenuspoliciers ou des ingénieurs électroniciens qui gagnent leur vie comme concierges.Selon sa mère, Ntando boit trop. Le trentenairen’est pas le seul : «Neuf Zimbabwéens sur dix ontun problème d’alcool », se justifie-t-il. « Impossiblede tenir autrement », poursuit l’amateur de bièreforte. « Il faut être complètement ivre pour sup-porter la vie ici. » ■

(De l’allemand)

Johannes Dieterich  est  correspondant  en Afrique pour la «Frankfurter Rundschau», «Geo», « brand eins » et«Profil ». 

Le pays des maisons depierre En shona, Zimbabwe signi-fie « maisons de pierre ». Au 11e siècle déjà, les habi-tants de l’ancien royaumevivaient dans des bâtimentsen pierre, dont on peut en-core admirer les vestigesdans le « Grand Zimbabwe »,un ensemble de ruines àproximité de Masvingo.Lors de son accession offi-cielle à l’indépendance, le18 avril 1980, l’ancienneRhodésie du Sud a été re-baptisée « République duZimbabwe ». Quinze ansauparavant, le gouverne-ment minoritaire blanc di-rigé par Ian Smith avait déjàproclamé l’indépendancede l’ancienne colonie bri-tannique, mais l’ONU nel’avait pas reconnue. Destensions récurrentes appa-raissent entre les Shonas,majoritaires, et le peupledes Ndébélés, issu desZoulous sud-africains.

Page 21: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

21Un seul monde No4 / Décembre 2017

DD

C

Harare est une ville verte. De grands arbres bordentles nombreuses allées. On sent la présence, touteproche, de la nature. Sur mon trajet entre mon domicile et l’ambassade, où je travaille, je peuxapercevoir des zèbres paissant dans un petit parc. Ilvaut mieux, du reste, se concentrer sur la route, se-mée de nids-de-poule et d’obstacles. Le trafic estlent, mais imprévisible. Quasi aucun vélo ne cir-cule.

État agraire jadis prospère et exportateur majeur, leZimbabwe connaît de graves difficultés depuis desannées. Les gens n’aiment pas parler du régime duprésident Robert Mugabe. Pourtant, le pays pos-sède une presse relativement critique, qui n’hésitepas à prendre position ouvertement. Au Zimbabwe,même l’impossible s’avère parfois possible. En 2008,le pays a subi une hyperinflation dramatique.Chaque jour, il fallait ajouter plusieurs zéros auxprix affichés. En novembre 2008, le taux d’infla-tion a atteint un niveau record (80 milliards %).Après cet épisode, le pays a adopté, en 2009, le dollar américain comme monnaie nationale. Le

Quinze pays, un programmeLe programme régional de la DDC en Afrique aus-trale couvre les quinzeÉtats de la Communautéde développement del’Afrique australe (SADC),qui regroupe une popula-tion d’environ 300 millionsde personnes. Se concen-trant sur cinq pays –Lesotho, Malawi, Zambie,Zimbabwe et Swaziland –,il compte trois axes priori-taires: prévention du sida,sécurité alimentaire et ren-forcement de la gouver-nance. Les projets réussisau niveau local sont, en-suite, réalisés à l’échellenationale et régionale. Leséchanges entre les paysmembres de la SADCjouent un rôle essentiel àcet égard.

volume de dollars en circulation demeure, toute-fois, insuffisant. Il en va de même pour les «billetsd’obligation», émis en 2016 comme monnaie deremplacement. L’argent liquide est quasi inexistant.L’économie aurait dû s’effondrer depuis longtemps.Pourtant, elle tourne. Mal. Mais elle tourne.

Basée à Harare, je dirige le programme régionalmené par la DDC dans quinze pays d’Afrique aus-trale. Je vais régulièrement à la rencontre de nospartenaires au sein des gouvernements ou des ONGet accompagne la mise en œuvre de nos projets lo-caux. Environ 40% des personnes séropositivesdans le monde vivent en Afrique australe. Dansnotre seul groupe-cible, quelque 270000 personnespar an contractent le virus. C’est pourquoi nouscollaborons avec la Communauté de développe-ment d’Afrique australe pour que toutes les écolessensibilisent leurs élèves à la problématique du

«Dans notre seulgroupe-cible,

270000 personnes par an contractent

le virus. »

VIH/sida et que le mariage des enfants soit défini-tivement interdit.

Le Zimbabwe importe aujourd’hui une grandepartie de ses semences, en particulier celles de maïs.Ces variétés importées ne sont, pourtant, pas lesmieux adaptées aux effets du changement clima-tique. Nous encourageons la culture de semencesanciennes de maïs, plus résistantes, ainsi que d’autresvariétés oubliées de céréales et de légumineuses.L’objectif est de générer de nouvelles sources de re-venus pour les paysans et de renforcer la sécuritéalimentaire.

C’est en 2016 que le programme régional a rem-placé l’Aide humanitaire de la DDC, présente auZimbabwe dès 2009. Des perspectives de déve-loppement à plus long terme constituent aujour-d’hui la priorité. Mais la crise perdure ou, du moins,n’est jamais loin. Les médecins et les enseignants nesont pas payés – ou avec énormément de retard.Beaucoup ont quitté le pays. Nous soutenons ainsila «Newlands Clinic », fondée par le professeursuisse Ruedi Lüthy. Ce spécialiste du sida a lui-même formé les infirmières qui dirigent l’institu-tion. Les résultats sont remarquables.

La situation au Zimbabwe est grave, mais tout n’estpas perdu. Dans mes échanges avec les jeunes, jesens leur ouverture aux idées nouvelles et aux mo-dèles non conventionnels. Un bon quart des Zim-babwéens vivent en ce moment à l’étranger. Si lasituation politique devait changer un jour, le Zim-babwe pourrait compter sur un riche potentiel etune grande créativité. ■

(Propos  recueillis  par  Jens  Lundsgaard-Hansen ;  de l’allemand)

Sur le terrain avec…Juliane Ineichen, responsable du programme régional de la DDC en Afrique australe à Harare, au Zimbabwe

Zimbabwe

Page 22: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

22

Felip

e Tr

ueba

/Rep

ort D

igita

l-RE

A/la

if

Zimbabwe

Je suis assis dans ma «maison de la faim» à Epworth,l’une des banlieues densément peuplées qui s’étendautour de la capitale Harare. Une voix résonne enmoi, forte et claire, comme un rappel constant : « Ily a le lancement d’un livre ce soir à l’Alliance française,au centre-ville. Ne le rate pas comme le dernier, Mon-sieur le rat de bibliothèque », répète la voix.

Je scrute l’horloge au mur. Il me reste quelquesheures avant l’événement. Je regarde mes vêtementsdécolorés et mes chaussures. La semelle gauche estabîmée, en raison de mes innombrablesdéplacements infructueux. Comme enattente d’un miracle, je glisse ma maindans ma poche, mais celle-ci est vide.Tandis que les fils et les filles de nos di-rigeants corrompus s’affairent à virerdes dollars à leurs proches via les appli-cations mobiles à la mode, mon porte-monnaie résonne d’un vide funeste. Lesystème de transfert mobile, ou mon-naie plastique, a supplanté les banques,désormais exsangues. Je ne pourrai plusemprunter. C’est fini. Je vais devenir unreclus.

Qui suis-je ? Je suis le pays. Je sers monpeuple à travers ce que j’aime et connaisle mieux : la  littérature. Un écrivain sedoit d’écrire dans son propre monde,libre de toute entrave, mais ce pays a faitde moi un imbécile. Tout pays qui necesse d’emprunter creuse sa propretombe dans l’indignité.

L’autre jour, je marchais dans le centre-ville en sla-lomant entre les marchandises étalées sur le trottoirpar les commerçants. Les industries qui fournissaientdes emplois au Zimbabwe ont disparu. De nom-breuses personnes se muent en vendeurs de rue,illégaux. Les mères portant leur bébé dans le dos etles adolescents, tous s’évertuent à attirer le chaland.Je poursuis ma route, fatigué d’entendre toujoursle même refrain, en me demandant qui peut être

Où vas-tu, mon Zimbabwe?assez fou et cruel pour vouloir ainsi arrêter net lesrêves de son peuple. Ce sont là les forces vives denotre économie que l’on entasse à l’arrière des camions municipaux comme des rats, juste bons àêtre empoisonnés et jetés en chemin !

Avant que je n’atteigne l’arrêt du minibus devantme ramener chez moi, une confusion soudaine attire mon attention. De l’autre côté de la rue, deshommes et des femmes épuisés font la queue devant une banque pour retirer de l’argent. La pé-

nurie de liquidités nous a durementfrappés. Tous les regards se tournentvers ce qui est devenu un drame quo-tidien. Cette fois encore, je poursuismon chemin, faisant mine de ne rienvoir.

Mes pensées me portent vers le livreque j’ai laissé chez moi. Je dois finir dele lire pour en rédiger une critique. Jecontinue à marcher, me réjouissant deretrouver mon cocon de livres, dansma «maison de la faim» qui m’attendles bras ouverts. Je suis le patriote dontl’amour pour son pays ne compte plus,puisque l’on estime désormais les gensà ce qu’ils ont dans la poche et non dans le cœur. Je suis un être miniatureque personne ne pleurerait s’il mouraitaujourd’hui. Dans cette ville, les pèresteignent en noir leurs chevelures blanches, se rasent et revêtent d’élégantscomplets pour s’exprimer devant desjeunes qui ont vu leurs cheveux virer

au gris en raison de la pauvreté: ils leur promettentdes emplois inexistants. Les pères sont devenus lesjeunes et nous sommes devenus les vieux à qui l’onne sert que des théories censées déguiser le men-songe qui a mis à genoux mon pays.

Le minibus est bondé. Quelques jeunes droguéss’accrochent à l’arrière, alors qu’il sort du centre-ville. Du fait des nombreux postes de contrôle, lechauffeur évite la route principale et emprunte lesrues traversant la banlieue. Pas un jour ne passe sansqu’il ne propose un pot-de-vin aux policiers quil’arrêtent, sous peine de saisie du véhicule. À bord,un silence de mort. Ni musique ni mélodie!

Peu après, Epworth me tend les bras. J’arrive chezmoi. Mon seul réconfort est ma bibliothèque. Dansma tête, une question tourne, en silence : où allons-nous, mon Zimbabwe? ■

(De l’anglais)

Beaven Tapureta est un

poète, romancier et jour-

naliste zimbabwéen. Il

tient une chronique litté-

raire hebdomadaire, intitu-

lée Bookshelf, dans The

Herald, l’un des quotidiens

nationaux. Il est le fonda-

teur et directeur du Writers

International Network

Zimbabwe, une associa-

tion d’écrivains qui encou-

rage les jeunes talents.

Page 23: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

23

©A

PE

SS

DD

C

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Une région mise à genoux par la sécheresseLa pauvreté est tradi-tionnellement associée au Sahel, cette région quiforme la ceinture méridio-nale du Sahara. Parmi lessept États d’Afrique occi-dentale situés dans cettezone climatique, le Mali, leNiger, le Burkina Faso, leBénin et le Tchad sont despays prioritaires de la DDC.Au cours des 40 dernièresannées, les sécheresses récurrentes ont périodi-quement mis la populationà genoux et exacerbé lephénomène socio-écono-mique de la pauvreté multi-dimensionnelle. Le Sahelest exposé à une ariditécroissante, portant atteinteà l’autosuffisance alimen-taire de pays qui dépendentdans une large mesure dela production de sorgo etde millet. Outre le climat,d’autres facteurs ont boule-versé les interactions com-plexes des mécanismes –naturels, climatiques, so-ciaux, historiques et écono-miques – sur lesquels repo-sait l’équilibre alimentairedéjà fragile.

(lb) Le regard concentré, Hassane et Pétél tracentune série de lettres «q » sur une ardoise emprun-tée d’un centre de formation de Sagbiègou, auTogo. «Depuis que je sais lire, je fais beaucoup plusattention à la date de péremption des médicamentsque j’achète au marché pour mes vaches », affirmeHassane, 23 ans. « Je suis parvenue toute seule àtrouver l’acte de naissance de mon fils parmi desmilliers de documents », raconte Pétél.Tous deux suivent un cours d’alphabétisation dis-pensé dans le cadre du Programme régional d’édu-cation et de formation des populations pastoralesen zones transfrontalières (PREPP), soutenu par laDDC. Ils sont près de 8200 éleveurs nomades, dont40% de femmes, à avoir appris à lire, à écrire et àcompter dans les 125 centres de formation répar-tis dans les cinq zones transfrontalières de la région :Bénin – Burkina Faso – Togo, Burkina Faso –Mali, Bénin – Niger, Mali – Mauritanie et Niger– Tchad. Environ 1700 ont suivi des cours pro-fessionnels dans le but d’améliorer leurs connais-sances en matière d’élevage ou d’étudier les texteslégislatifs régissant la transhumance. Jusqu’à présent, l’accès à l’éducation de base étaitquasiment verrouillé pour les pasteurs nomadesd’Afrique de l’Ouest. Outre l’écueil de la mobili-té, les programmes scolaires ne prenaient pas suffi-samment en compte les valeurs et les besoins de

cette population. Il n’est donc pas surprenant queson taux d’alphabétisation soit très bas (entre 5 et10%). «La Suisse soutient la création d’offres édu-catives pour les communautés pastorales dans le butde réduire leur marginalisation sociale, politique etéconomique», explique Mary-Luce Fiaux, conseil-lère régionale en matière d’éducation et de for-mation à Cotonou, au Bénin.

Changement climatiqueEn dépit de son importance socioculturelle et éco-nomique dans la région – il génère en moyenne20% du produit intérieur brut –, le pastoralismerencontre de graves difficultés. En cause : le chan-gement climatique, le terrorisme, le banditisme ouencore la diminution des pâturages et des corridorspour la transhumance. «Grâce à des comités transfrontaliers, il a été pos-sible de renforcer la cohésion sociale entre les éleveurs et d’améliorer la coexistence avec les au-torités locales », indique Jean-Mathieu Bloch, res-ponsable du programme à la DDC. Avec le temps,les centres d’éducation et de formation se sontmués en lieux de rencontre indispensables entre leséleveurs nomades et la population locale. Dans denombreux cas, cela a permis de résoudre, à un stade précoce, les conflits entre les deux commu-nautés. ■

L’école, une priorité pour lutter contre la marginalisation

Trop longtemps oubliés, les éleveurs nomades d’Afrique occidentale ont désormais la possibilité de suivre des coursd’alphabétisation et de formation professionnelle grâce à unprogramme transfrontalier soutenu par la DDC. Leur intégrationsociale, politique et économique s’en trouve ainsi améliorée.

Des programmes de formation et des cours d’alphabétisation favorisent l’intégration sociale des familles nomades.

Page 24: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

24 Un seul monde No4 / Décembre 2017

( jlh) À l’image de nombreuses localités ukrai-niennes, Snitkiv pourrait être aujourd’hui unepetite bourgade déprimante : des routes et des in-frastructures publiques déplorables, une eau de piètrequalité, pas d’emplois, peu de perspectives d’ave-nir pour les jeunes et un manque de confiance envers le gouvernement. La commune a, pour-tant, connu un sort différent. Viktor Olševskij,maire de ce village de 650 âmes menacé par le dé-clin, a cherché à y apporter dynamisme et déve-loppement. Son idée: un approvisionnement eneau autonome et fiable.C’est ici qu’intervient le projet Despro (Swiss-Ukrainian Decentralization Support Project) de laDDC. Ce dernier soutient les initiatives concrètes

de communes, visant à mettre en place des ser-vices au niveau local, tels que l’approvisionnementautonome en eau potable ou le traitement effi-cace des déchets. À Snitkiv, dès l’été 2015, un fo-rage profond a permis d’accéder à des ressourceshydriques. Plus de treize kilomètres de conduitesont été posés à ce jour. Depuis avril 2016, tous lesménages, l’école maternelle ainsi que le centre desoins disposent d’une eau de bonne qualité.La Suisse a fourni près de la moitié des fonds né-cessaires. La commune et certains de ses habitantsont apporté le reste. La participation au finan-cement des infrastructures par les autorités localesfait partie des principes fondamentaux du projet.Les communes et les bureaux correspondants,

Quand l’eau fait revivre un villageIl y a quelques années encore, dans un pays centralisé commel’Ukraine, les communes ne disposaient que de maigres compétences et les services fonctionnaient à peine. Le gou-vernement, avec le soutien de la Suisse, s’est engagé dans un processus de décentralisation. Depuis, la vie a changé dans les villages.

Depuis que le village ukrainien de Synktiv dispose d’un approvisionnement en eau fiable, la confiance de la populationen l’avenir et envers les autorités s’est accrue.

Des services convaincantsLe projet Despro (Swiss-Ukrainian DecentralizationSupport Project) offre unsoutien technique ainsique des investissementsdirects dans le domainedes infrastructures locales,telles que l’approvision-nement en eau ou le traite-ment des eaux usées etdes déchets. Les com-munes apprennent à mo-biliser leurs propres res-sources et à résoudre les problèmes par elles-mêmes. En moyenne, leurapport correspond prati-quement aux deux tiersdes fonds nécessaires. À ce jour, le programme asensiblement amélioré laqualité de vie de quelque100 000 personnes. Lorsde sondages, plus de 80%des personnes interrogéesse sont déclarées convaincues par la qualitédes nouveaux services.Les enseignements tirésde ce projet ont été mis à profit dans le cadre del’effort de décentralisationdu pays et de la communi-cation sur ce sujet.www.dencentralization.gov.ua

Des

pro

Page 25: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

25Un seul monde No4 / Décembre 2017

Une plantation de baies a vu le jour. L’exploitation emploiejusqu’à 400 personnes.

souvent fraîchement installés, doivent aussi assu-mer des responsabilités dans le cadre de la plani-fication, de la construction, de la gestion et del’entretien.En Suisse, l’existence de compétences et de ser-vices au niveau communal a une longue tradition.Longtemps centralisée, l’Ukraine connaît uneautre réalité. Indépendant depuis 1991, le pays asigné la Charte européenne de l’autonomie localeen 1997 déjà, mais la décentralisation est restée àla traîne. Elle constitue une réforme prioritaire deKiev dès 2014.

Compétences reconnuesAu début du processus, le projet Despro interve-nait surtout au niveau des infrastructures locales.Ces dernières années, l’action de la coopérationsuisse s’est élargie, explique Jean-Gabriel Duss, dela DDC: «Quel rôle la commune peut-elle jouerdans le secteur des services publics locaux ? Com-ment peut-elle organiser et financer ses propresservices ? Ces questions plutôt stratégiques sontégalement cruciales aujourd’hui. » Ainsi, le savoir-faire suisse en matière de gouvernance locale estmis à profit. Dans sa présentation des avantages dela décentralisation, le gouvernement ukrainientire aussi parti de l’expérience acquise au fil desannées à travers les projets.La DDC n’est pas la seule à s’engager en Ukraine.Différentes organisations multilatérales, à l’instardu Programme des Nations Unies pour le déve-loppement, ainsi que des donateurs bilatéraux, telsque les États-Unis, l’Union européenne ou le Ca-nada, soutiennent l’effort de décentralisation avecd’importants moyens financiers. Là encore, laSuisse joue un rôle spécifique: le bureau de co-opération helvétique à Kiev a été chargé par legouvernement ukrainien de coordonner le travailet les projets des acteurs internationaux ainsi quela mise en œuvre de la réforme par ce même gou-vernement. «La Suisse est connue et reconnuepour son expérience spécifique en matière de dé-centralisation et de gouvernance locale », résumeJean-Gabriel Duss.

Une agriculture enfin rentableEntré dans sa dernière phase, qui durera jusqu’en2020, le projet relève un nouveau défi: il est éten-du à la région de Lougansk, à l’est, touchée par leconflit armé. De nombreux déplacés internes viventsur les territoires de cette région rurale certescontrôlés par le gouvernement, mais encore in-stables. Le processus de décentralisation n’en est que plus délicat, comme le souligne Ilona Postemska, responsable nationale des programmesau sein du bureau de coopération suisse à Kiev :

Engagement à grandeéchelleLa stratégie de coopéra-tion 2015-2018 avecl’Ukraine constitue la basedu soutien apporté par laSuisse à cet État. Outre laCoopération avec l’Europede l’Est et l’Aide humani-taire de la DDC, le Seco et la Division Sécurité humaine du DFAE y sontégalement actifs. Pour lapériode 2015-2018, lebudget atteint presque100 millions de francs. Lespoints forts de l’engage-ment helvétique sont lagouvernance, la promotionde la paix, la santé, l’éner-gie et le développementéconomique. Fragilisée parun conflit armé, l’Ukrainecompte environ 1,5 millionde déplacés internes. Lasituation humanitaire etéconomique de la popula-tion est critique, en parti-culier à l’est du pays.

«Les réformes nationales ne peuvent aboutir quesi la population locale y est associée. La complexitéet la fragilité du contexte politique et socio-éco-nomique doivent aussi être prises en compte. »

Un rêve devenu réalitéDans le cadre des activités de la DDC, le travaild’éducation à la paix devient un élément-clé, re-lève Jean-Gabriel Duss. Selon lui, il est indispen-sable d’ancrer des compétences au niveau local et

de mettre en place des infrastructures viables pourrenforcer la confiance en l’avenir et envers les autorités.Revenons à Snitkiv. Dans ce village, les réformesont changé la vie des habitants. Grâce au systèmed’irrigation, une plantation de baies a vu le jour.L’exploitation emploie jusqu’à 400 personnes. Lesfruits frais et congelés sont vendus à travers le pays,mais aussi à l’étranger. Les maisons abandonnéesreprennent vie, les prix de l’immobilier se re-dressent, le taux de natalité a triplé : les gens croientà nouveau en l’avenir. Une villageoise le confirme:«Grâce à l’amélioration de l’approvisionnement en eau, notre rêve d’une agriculture rentable estdevenu réalité. » ■

(De l’allemand)

Des

pro

Page 26: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

26

Gui

llem

Lop

ez/A

uror

a/la

if

DDC interne

Un seul monde No4 / Décembre 2017

-

autres, les personnes en situation de handicap et lesautres groupes marginalisésne reçoivent pas le soutiendont ils ont besoin. Dans lecadre du projet « Leave noone behind », la Suisse aideles communes à renforcerleurs capacités organisa-tionnelles et personnelles demanière à assurer aux per-sonnes vulnérables un meil-leur accès aux services publicset sociaux. Pour que leurs besoins spécifiques soientmieux pris en compte, les populations marginaliséesdoivent être davantage inté-grées dans les processus décisionnels, notamment lorsde l’établissement des planset des budgets communaux.Durée : 2017-2021Volume : 8 millions CHF

Examen et suivi de l’Agenda 2030(ule) L’Agenda 2030, et ses 17objectifs, encadre les effortsdéployés au niveau internatio-nal pour relever les grandsdéfis du développement du-rable. Outre sa mise en œuvre,l’examen régulier des progrèsaccomplis se révèle crucial.La DDC soutient les instituti-ons chargées de fournir lesconnaissances et les capa-cités nécessaires aux acteursconcernés, afin qu’ils puissentrépondre de leur action. Elle

Assurer l’accès à l’eau potable : une priorité auTadjikistan(cek) Bien que le Tadjikistandispose d’importantes res-sources hydriques, une largepart de sa population ruralene bénéficie que d’un accèslimité à l’eau potable. Lessources sont souvent pol-luées et contribuent à la propagation des maladies. Le projet «Eau potable et installations sanitaires auTadjikistan » aborde le pro-blème à différents niveaux.Sur le plan national, il pro-meut le dialogue politiquepour un approvisionnementcouvrant l’ensemble du terri-toire. À l’échelon régional etlocal, il encourage les com-munes à collaborer et les utili-sateurs à s’investir dans leprocessus de planification,afin de garantir l’accès detous à l’or bleu. Durée : 2017-2021Volume : 15,4 millions CHF

Vers une meilleure intégration des minorités en Albanie(cek) Depuis la chute du régime communiste, l’Albaniea fortement progressé sur les plans politique, social etéconomique. Les minoritésdemeurent, néanmoins,prétéritées. Dans les servicespublics ou sociaux entre

contribuera, par ailleurs, aupremier rapport détaillé sur laréalisation des objectifs àl’échelle mondiale.Durée du projet : 2017-2019Volume : 3,5 millions CHF

Les entreprises appelées à coopérer(ule) Le secteur privé doit da-vantage soutenir les pays endéveloppement. Pour quecette contribution bénéficieaux plus défavorisés, la DDCappuie l’initiative «BusinessCall to Action» du Programmedes Nations unies pour ledéveloppement. Ce texte in-vite les entreprises à intégrerles populations vulnérablesdans leurs chaînes de valeur,que ce soit au sein de la clientèle, du personnel ou de la direction. Leurs engage-ments pris dans le cadre dece projet sont publics et véri-fiables. Jusqu’ici, plus de 170 sociétés, actives dans 65 pays, ont répondu à l’appel.Durée du projet : 2017-2019Volume : 750000 CHF

Action globale contre lesmines antipersonnel enColombie(ung) La DDC poursuit sonsoutien aux activités del’ONG Handicap Internationalen Colombie, dans les dépar-tements du Cauca et deNariño, à l’ouest du pays. Leprojet regroupe des actionsmenées jusqu’alors séparé-ment, telles que la sensibilisa-tion aux dangers des mines,le déminage humanitaire,ainsi que l’assistance et laréhabilitation physique et psy-chique des blessés. Il vise àrenforcer les capacités descommunautés locales dansces domaines en les intégrantdans les activités, tout encontribuant aux efforts de

paix. Il a pour but égalementde consolider les compé-tences nationales en matièrede déminage civil.Durée du projet : 2017-2018Volume : 650000 CHF

L’eau au service de la paix (bm) Le Liban connaît des difficultés croissantes dans le secteur hydrique.Augmentation importante dela population (accueil de plusd’un million de réfugiés sy-riens), urbanisation galopanteet activités agricoles gour-mandes en eau en sont lescauses. La situation s’est en-core aggravée en 2014, enraison d’une forte sécheresse.Pour l’améliorer, la DDC aideles autorités à mieux gérer lesressources. Les populationsvulnérables vivant au nord dupays, où le taux de pauvretéet de sous-emploi est le plusélevé, bénéficient notammentdu projet. Ce dernier met l’ac-cent sur la récolte et le par-tage de données pour renfor-cer le système d’approvi-sionnement et d’assainisse-ment à l’échelle nationale. Il encourage une utilisationdurable et responsable.L’objectif est de favoriser unemeilleure cohabitation entreles communautés locales etles réfugiés syriens, qui repré-sentent un quart de la popula-tion libanaise.Durée du projet : juillet 2017-juin 2020 Volume : 2,4 millions CHF

Page 27: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

27Un seul monde No4 / Décembre 2017

FO

RU

M

Les transferts monétaires questionnent l’aide humanitaireDepuis quelques années, les sacs de riz ont fait place aux cartes électroniques sur les terrains de crise. L’assistance monétaire coïncide-t-elle avec un changement de paradigme?Les pays donateurs sont-ils prêts à renoncer aux intérêts deleurs agriculteurs? Tour d’horizon. De Zélie Schaller.

Des cargaisons de riz, de maïs ou de blé : voiciquelques années, les organisations humanitairesacheminaient des tonnes de céréales dans les paysen crise. Si elles ont sauvé des vies, ces opérationsd’urgence ont aussi nui aux populations locales.Ces dernières ont vu leur dignité fondre sous le soleil, en attendant une maigre ration dans des files sans fin. Les agriculteurs ont été submergés par les produits importés et ne sont pas parvenus àvendre leurs récoltes.Depuis une décennie, la livraison de biens se ré-vèle de plus en plus décriée. Arrivée tardive demarchandises inadaptées, logistique considérable,empreinte écologique élevée : les critiques ne manquent pas. L’écoulement des excédents occi-dentaux, qui déstabilise les économies locales, faitégalement débat. La situation est-elle en passe dechanger ? L’aide humanitaire se veut plus efficace et adaptéeaux contextes locaux. En ce sens, quinze États,dont la Suisse, ont ratifié la Convention relative àl’assistance alimentaire, entrée en vigueur en 2013.L’un des principes de cet accord est de fournir un

soutien «d’une manière qui protège les moyens desubsistance et renforce l’autonomie et la résiliencedes populations vulnérables et des collectivités locales (…)». Ce texte, contrairement au précé-dent datant de 1999, ne porte pas seulement surles livraisons de céréales. Il comprend aussi la dis-tribution de bons d’achat alimentaire et un appuifinancier.

Des avantages multiplesLes programmes de transferts monétaires (PTM) sedéveloppent sous diverses formes : coupons papiers,cartes prépayées ou de retrait, paiement par télé-phone mobile. La DDC les a inaugurés en 1998déjà, dans les Balkans. À l’origine de ces outils, unpostulat : ce sont les victimes qui connaissent lemieux leurs besoins. Les sinistrés reçoivent ainsi del’argent pour acheter de la nourriture ou payer lechauffage en hiver par exemple. En 19 ans (jus-qu’à fin 2016), la coopération suisse a réalisé 29projets recourant à ce type d’aide, pour un mon-tant de 66,6 millions de francs. Deux conditions s’imposent pour mettre en œuvre

À Homs, ville syrienne ravagée par six ans de guerre civile, une femme paie ses marchandises au moyen d’un bon obtenu via le programme de transferts monétaires de la DDC.

L’OMC réglementel’aide alimentaire internationaleLe commerce des produitsagricoles a longtemps étéentravé par des subven-tions à l’exportation. Aprèsdes années de litige, lesmembres de l’OMC sesont engagés à supprimerces soutiens financiers,responsables de distor-sions sur le marché mon-dial. Cette décision histo-rique a été prise à ladixième Conférence ministérielle de l'institutionà Nairobi, au Kenya, en décembre 2015. Elleconcerne l’aide alimentaireinternationale, qui ne doitpas affecter négativementla production nationale.Cette prescription est im-portante pour les agricul-teurs des pays défavorisésqui n'ont pas les moyensde rivaliser avec les Étatsoccidentaux. Ces derniersfaisaient gonfler leurs ex-portations au moyen desubsides, provoquant notamment une baisse des prix des produits àl’échelle mondiale. Avec,pour conséquence, une di-minution des parts de mar-ché et des recettes pourles autres exportateurs.Tous doivent, désormais,bénéficier de conditions de jeu égales.

PA

M

Page 28: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

28

Gia

nluc

a C

ecer

e/la

if

Un seul monde No4 / Décembre 2017

un PTM: un marché qui fonctionne et des sys-tèmes de paiement fiables. Les avantages sont nom-breux. L’assistance s’avère plus rapide et les coûtsde la logistique diminuent. Les familles choisissentleurs aliments selon leurs habitudes culinaires etachètent le matériel dont elles ont précisément besoin, évitant le gaspillage. Agriculteurs et com-merçants locaux poursuivent leurs activités, favo-risant le relèvement de la région. «Les projets mo-nétaires permettent d’injecter des ressources plusgrandes dans le marché local et donc d’avoir un ef-fet multiplicateur sur l’économie du pays », sou-ligne Dominique Magada, chargée de communi-cation au Programme alimentaire mondial (PAM).Et de citer une enquête menée au Rwanda en2016, qui démontre qu’«un dollar transféré aux réfugiés se traduit par un impact d’environ deuxdollars sur l’économie locale ».Les PTM représentaient un quart du portefeuillede l’agence onusienne l’an passé, avec 880 millionsde dollars versés dans 60 pays contre 60 millionsdans 19 États en 2010. Dans le même temps, lenombre de bénéficiaires a bondi de 3 à 14 millions.Cette progression reflète une réorientation straté-gique : l’assistance alimentaire s’est substituée àl’aide alimentaire. Il y a quelques années encore,les gens avaient faim ; on leur distribuait des vivres.Aujourd’hui, une compréhension plus large desbesoins nutritionnels sur le long terme et desmoyens pour y répondre (denrées et PTM) est né-

cessaire. Surtout, les bénéficiaires sont considéréscomme des acteurs : on leur donne la parole et,dans la mesure du possible, le choix de leur ali-mentation. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour lesréfugiés dispose aussi d’une large expérience dansles transferts monétaires. Pour la première fois l’anpassé, ses programmes en la matière ont dépassél’aide en nature. De 2015 à 2016, ils ont plus quedoublé, grimpant de 325 millions à 688 millionsde dollars. Selon l’organe onusien, ces activités pro-meuvent la coexistence avec les communautéshôtes. Autre point : les abus ne sont pas plus grandsavec ces mécanismes qu’avec la livraison de den-rées, d’après le Comité international de la Croix-Rouge.

Faible utilisationSur la scène internationale, les PTM alimentent lesdiscussions. Au Sommet humanitaire mondial à Is-tanbul en 2016, ils se sont vu confier «un rôle depremier plan», note le partenariat global Cash Lear-ning Partnership. Pourtant, même si leur perti-nence n’est plus à démontrer, ils ne représententque 7% de l’aide internationale. Cette part pour-rait croître jusqu’à 50%, selon une étude du PAM.Pourquoi est-elle si faible actuellement? Alice Golay, chargée des PTM à la DDC, met en avantplusieurs obstacles : les compétences à parfaire, lesdifficultés de coordination et les mentalités. Ces

Transmettre le savoirLe Corps suisse d’aide hu-manitaire (CSA) collaboreavec le partenariat globalCash Learning Partnershippour promouvoir les pro-grammes de transfertsmonétaires (PTM) dans les situations d’urgence.Ensemble, ils diffusent lesconnaissances liées àcette forme d’aide auprèsdes acteurs humanitairessur le terrain. Ils mettent aupoint des outils de forma-tion et explorent les modesd’utilisation en rapportavec les nouvelles techno-logies notamment. Le CSAcompte plus de 130 ex-perts formés en la matière,qui soutiennent les organesonusiens, ainsi que lesONG suisses et internatio-nales dans leur mise enœuvre des PTM.

Photo de gauche : du riz égyptien pour la population dans le besoin. Le Programme alimentaire mondial de l’ONU ainsique d’autres organisations humanitaires achètent désormais les denrées alimentaires qu’ils distribuent sur les marchés locaux. Photo au centre : un bon alimentaire dans le camp de réfugiés de Zaatari, en Jordanie.

Page 29: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

29

Mar

ia F

eck/

laif

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Photo de droite : au Sri Lanka, de nombreuses familles ont reconstruit leur maison après la guerre civile, grâce à un soutien financier de la Suisse.

dernières «doivent changer : les programmes cashse concentrent davantage sur l’impact à moyen terme que sur les résultats à court terme. Ils deman-dent aux humanitaires d’être moins paternalistes etde laisser les bénéficiaires définir leurs priorités. » Autre écueil : la pression des lobbies agricoles oc-cidentaux. En juin dernier devant le Parlement hel-vétique, le ministre des Affaires étrangères d’alors,Didier Burkhalter, a dû batailler ferme sur une mo-tion demandant la poursuite de l’aide alimentairefournie par la Suisse en produits laitiers. Le textea finalement été rejeté après moult débats. Fini l’achat au prix fort de lait en poudre auprèsdes transformateurs pour le distribuer dans les paysen développement. Dès 2018, les 20 millions defrancs annuels consacrés à cet effet – enveloppe quia atteint 40 millions par le passé – seront attribuésau PAM. Celui-ci devra tenir compte de l’offresuisse s’il recourt à du lait en poudre, mais les prixà l’exportation seront pratiqués. Le nombre de bé-néficiaires s’en trouvera ainsi accru.Jusqu’ici, la DDC acquérait, tous les ans, quelque3000 tonnes de produits laitiers, soit 0,8% de laproduction annuelle totale du pays et 4% de la pro-duction de lait en poudre. L’OMC et l’OCDE ju-geant cette forme d’aide en nature comme unesubvention déguisée aux exportations, la Hauteécole des sciences agronomiques, forestières et ali-mentaires de Zollikofen (BE) a évalué son bien-fondé en 2015. Conclusion: « Il existe actuellement

des moyens plus efficaces que les produits laitierssuisses pour traiter la malnutrition », à l’instar d’ali-ments thérapeutiques prêts à l’emploi composés depâte d’arachide. Désuet, le «programme lait », néen 1959, sera donc adapté pour mieux répondreaux exigences actuelles.

Produits indigènesLa DDC soutient, en priorité, l’achat de denréessur place. De son côté, l’Union européenne four-nit une assistance alimentaire en large partie sousforme financière. Forte de cette position, elle nes’est pas privée, ces dernières années, de lancer despiques aux États-Unis, rappelant que l’aide en na-ture ne devait pas servir d’« alibi » pour soutenir lesagriculteurs. USAID ne livre plus de surplus. «Legouvernement américain achète des produits lo-caux. Il distribue des biens états-uniens en casd’urgence, si les marchés sur place ne fonctionnentpas ou que leurs volumes sont insuffisants », pré-cise Tom Babington, porte-parole de l’agence.Celle-ci figure parmi les donateurs qui favorisentle plus les PTM.L’heure est-elle donc à la digital food ? «Si les mar-chés et les contextes opérationnels le permettent,les programmes monétaires doivent être le moded’aide privilégié et par défaut », dixit l’ancien se-crétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon. ■

De l’argent pour soutenir les familles sri-lankaisesAprès la guerre civile auSri Lanka (1983-2009), laDDC a aidé les popula-tions à reconstruire leursvillages. Elle a adopté uneapproche holistique qui faitappel aux transferts moné-taires. Les familles ontreçu des conseils tech-niques et un soutien finan-cier afin de rebâtir leurmaison en ruine. De l’ar-gent leur a également étéversé pour leur permettrede démarrer une activitégénératrice de revenus(maçonnerie, pêche, petitscommerces). La coopéra-tion suisse a rémunéré, deplus, les gens prêts à ré-habiliter les infrastructurescommunautaires (routes,écoles, systèmes d’irriga-tion). Elle a dispensé desconseils financiers à tousles bénéficiaires, qui ontperçu leur argent via labanque de leur village.Plus de 7500 foyers ontprofité de ce projet qui aduré six ans (2009-2015).

DD

C

Page 30: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

30

Dan

iel E

tter

/laif

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Géographiquement, le Marocest à la pointe occidentale del’Afrique. Historiquement, il alongtemps échangé avec le restedu continent, du sel contre del’or, des esclaves contre de laprotection, de la sainteté contredes concubines ou encore desmanuscrits contre de l’allé-geance. Ce fut ainsi dans lestemps précoloniaux. Bien plustard, après les indépendances, il y eut un désir commun d’af-franchissement qui enclenchaune ruée vers l’eldorado euro-péen. Mais voilà que depuis unevingtaine d’années, au gré desillusions engendrées par la mon-dialisation et de la fermeturegraduelle de la citadelle euro-péenne, le Maroc cesse d’êtreune terre de passage. Il devient,pour les migrants subsahariens,une station terminus. Qu’est-ceque cela change pour le pays ?

Le paysage social des grandesvilles s’en trouve bouleversé.Vu d’en haut, il se révèle plusmétissé et plus hybride. En revanche, vu de plus près, àmême le réel, l’on observe deseffets de ghettoïsation, accom-pagnés de relents de racisme quiressurgissent ci et là. Cette po-

pulation étrangère, largementhétérogène (étudiants, maçonsinformels, cadres, sportifs etpersonnes sans revenu), estquelquefois confrontée à desexpressions de rejet et d’inter-diction d’accès à des lieux pu-blics, voire à des injures et à dela violence. Nombre deMarocains nient cette réalité,comme s’est employée à le dé-noncer la campagne de sensibi-lisation lancée par des acteursciviques en 2016, intitulée « Je ne m’appelle pas Azzi ». Ceterme signifie nègre en arabedialectal marocain. Des initia-tives, certes marginales maisayant un fort impact média-tique, surgissent également poursignifier un dynamisme sociétal.Le festival annuel Migrant’scène,par exemple, se veut un lieud’échange et de réflexion au-tour des questions liées aux mi-grations. Il est organisé, depuis2010 à Rabat, par le Groupeantiraciste de défense et d’ac-compagnement des étrangers etmigrants (GADEM) et la com-pagnie d’art pluridisciplinaireDABATEATR.

Loin des villes, dans les zonesfrontalières, l’arrivée impromptue

de migrants bravant les barrièresterritoriales suscite aussi des ten-sions. Depuis la fameuse fu-sillade des sans-papiers escala-dant les barbelés à Ceuta(enclave espagnole située sur lacôte nord du Maroc) en 2005,le souci de limiter les flux sansprovoquer de drame ostenta-toire est permanent. Les forêtsaux abords des villes de Nadordans le Rif, de Tanger sur ledétroit de Gibraltar et d’Oujdaà l’est du pays sont régulière-ment peuplées de migrants quivégètent et se terrent, en atten-dant un probable départ versl’autre rive.

Pris dans cet engrenage, leMaroc officiel a su, depuisquelques années, construire undiscours qui lui tient lieu de paravent et de faire-valoir.Premier point mis en avant : entant que gendarme du Sud, ils’estime faiblement rétribué par le Nord européen pour lesefforts consentis. Deuxièmepoint : il vend au Sud l’imaged’un eldorado de substitution,avec une plate-forme aéropor-tuaire, des centres commer-ciaux, des zones franches indus-trielles et quelques institutions

universitaires d’accueil.Troisième point : il dévoile unefibre humanitaire et lance desopérations de régularisation desmigrants, promouvant sonimage à l’international.

Dans la réalité quotidienne, ilest évident que les populationsétrangères dorénavant installéesau Maroc sont essentiellementunies par la religion, qui retentitcomme une bouée spirituellecontre le désespoir. Elles entrenten communion dans les quelqueséglises catholiques, clairsemées à travers le pays. Dans les mos-quées, les immigrés musulmanscréent des liens grâce au sou-fisme qui a des extensions histo-riques, à partir du Maroc, jus-qu’au Mali et au Sénégal. Aupassage, l’accès à l’école, à lasanté et à l’emploi demeure lecoin aveugle de cette politique,encore rudimentaire et, à cer-tains égards, discriminatoire. ■

Maroc : station terminus !

Driss Ksikes, né en 1968 àCasablanca, est écrivain etjournaliste. Ancien rédacteur en chef du magazine TelQuel(2001-2006), il est actuellementprofesseur à l'Institut deshautes études de management,à Rabat. Il dirige le centre derecherche pluridisciplinaire decet établissement et sa revueEconomia. Driss Ksikes réalisedes projets dans le domainedes médias et de la culture, en partenariat avec plusieurs laboratoires du Maghreb et dela Méditerranée. Il anime, enoutre, des ateliers d’écriture etcollabore avec plusieurs publi-cations culturelles. Dramaturge,il est également auteur dequelques récits et essais.

Carte blanche

Page 31: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

31

1

Un seul monde No4 / Décembre 2017

CU

LT

UR

E

Tournages en Afghanistan : une réalité complexe

La cinéaste afghane Shahrbanoo Sadat a reçu le «Art Cinema Award» pourWolf and Sheep à Cannes, en 2016. Depuis, son premier long-métrage est passé sur les écrans d’une vingtaine de pays et a enregistré plus de 5000 entrées en Suisse. Il devrait être projeté prochainement à Kaboul. Commentles professionnels du cinéma afghan voient-ils leur travail dans leur pays? DeWalter Ruggle.

Trig

on-f

ilm

Il y a quelques années, le réalisa-teur palestinien Elia Suleiman a lancé cette phrase qui fonc-tionne terriblement bien en anglais grâce au double sens dumot « shooting » : «Sometimeswe couldn’t shoot, becausethere were other people shoo-ting. » Quand on interroge lesprofessionnels du cinéma afghanà propos des conditions de pro-duction, la sécurité est rapide-ment évoquée : à Kaboul, les attentats font partie du quotidien.Le réalisateur de documentairesJawed Taiman (Addicted inAfghanistan) décrit la situationainsi : «Une différence fonda-mentale par rapport à d’autrespays demeure et c’est le premier

paramètre à prendre en comptelors de la planification d’untournage : la sécurité. Quels sontles sites suffisamment sûrs ? Y a-t-il un risque d’attentat ?Sur place, les gens vont-ils nousaccepter et les mollahs ne se-ront-ils pas contre nous ? » Unefois ces points clarifiés, on peutse pencher sur les problèmesspécifiques à la réalisation d’unfilm.

Tourner ailleursIl existe des productions inter-nationales qui ont l’Afghanistanpour décor et dont le tournage abien eu lieu sur place. Elles sup-posent, toutefois, un très lourddispositif de sécurité. Par exem-

ple, Entre deux mondes, le film deFeo Aladag, a été tourné à l’in-térieur du fort occupé par l’ar-mée allemande. La populationlocale ne peut compter sur laprotection de l’armée. Chacuninsiste donc sur la nécessitéd’une évaluation des risques.Beaucoup se décident la mortdans l’âme, mais, en fin decompte, s’il ne s’agit pas d’unprojet marginal, le choix estclair: on tourne ailleurs. La ci-néaste de 26 ans, ShahrbanooSadat, qui lutte contre l’imagetronquée que le monde a del’Afghanistan, a, elle aussi, dû seplier à cette réalité. Dans Wolfand Sheep, elle veut notammentmontrer d’autres facettes de son

pays : celles d’une vie banale à lacampagne, difficile sans doute,mais paisible. Le réalisateurDawood Hilmandi estime quel’on peut tourner en toute sécurité hors de Kaboul, parexemple dans la région de Ba-mya-n, dont il est originaire.En août 2017, son premierlong-métrage lui a valu l’«OpenDoors Grant » à Locarno. Il y est question de la force de l’ima-gination.

Femmes au cœur de l’imageShahrbanoo Sadat ne pouvait serésoudre à mettre en danger lavie des personnes engagées dansle tournage. Après de longueshésitations, elle opte pour le

Page 32: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

32

2

3

Un seul monde No4 / Décembre 2017

Tadjikistan voisin. La reconsti-tution de sa localité natale y estsi fidèle que même les paysansjouant les figurants la consi-dèrent comme un village afghan.Ce qui frappe dans son histoire,c’est le sort des femmes – unthème récurrent dans le cinémaafghan. Plusieurs films dé-peignent la façon dont elles sont traitées, le manque de respect qu’on leur témoigne etl’attitude des hommes qui lesconsidèrent comme un bien,une marchandise.

Fillette déguisée en garçonLe premier long-métrage après la chute des talibans enAfghanistan, tourné par SiddiqBarmak, racontait déjà l’histoired’une petite fille que sa mèredéguisait en garçon pour qu’elleait une chance dans la société.Un portrait désolant de la situa-tion des filles et des femmesdans ce pays traversé parl’Hindu Kush. Pour ce qui estdu marketing, le producteur iranien, Mohsen Makhmalbaf,avait plus d’un tour dans sonsac. Il a persuadé le réalisateurd’abandonner le titre prévu,Sous l’arc-en-ciel, pour Osama,alors que le personnage qui faisait les gros titres à l’époquen’avait aucun lien avec l’histoire.

Religion mal compriseMariée au fonctionnaire encharge du cinéma dans un paysconsidéré comme profondémentcorrompu, la réalisatrice RoyaSadat (A Letter to the President) aaujourd’hui la tâche plus facile.Elle raconte la richesse de la vieculturelle et des cinémas d’au-trefois, avant ces 40 années deguerre. Elle-même a dû secontenter de la sphère privée :sous le régime des talibans, lesfemmes n’étaient pas autoriséesà sortir. Grâce aux livres, ellecommence à se documenter surle cinéma, mais c’est seulementaprès 2001 qu’elle peut se

mettre à l’ouvrage. Elle de-mande à un caméraman de latélévision de travailler avec elle et comprend vite que desconcepts comme la «plongée »,appris dans les livres, étaienttrop compliqués pour lui. Il luipropose de dire simplement « re-gard de Dieu» quand la caméradoit être pointée vers le bas : ilsaura alors ce qu’elle attend.Siddiq Barmak avance deux rai-sons pour expliquer la situationdifficile dans laquelle se trouveson pays : sa position géostraté-gique et une religion mal com-prise. La première a entraîné leballottement du pays entre diffé-

rents protagonistes ; la seconde aconduit à une domination dureligieux telle qu’on la découvredans les histoires. On pourraitajouter encore l’élément mascu-lin qui marque la vie quoti-dienne. Les cinémas ont été détruits par les talibans ou trans-formés en mosquées, si bien queKaboul ne compte aujourd’huiplus que quatre salles, dont lePamir et l’Ariana. Le cinéma indépendant n’y a pas sa placeparmi les productions Bolly-wood, les films d’action améri-cains et les classiques pakistanais.D’ailleurs, ces salles sont réser-vées aux hommes. Les femmes

Page 33: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

33

5

6

4

trig

on-f

ilm (5

)

Un seul monde No4 / Décembre 2017

n’ont pas le droit d’y entrer etdoivent trouver d’autres moyenspour visionner des films. Si ellesont accès à Internet, elles peuventle faire sur des sites illégaux.Certains cinéastes indépendantstéléchargent eux-mêmes leursœuvres sur ces plates-formespour que les copies disponiblessoient au moins de bonne qualité.

«Un contexte mafieux»Shahrbanoo Sadat, pour l’heurela réalisatrice afghane la plus reconnue, prépare actuellementson prochain long-métrage, touten essayant de montrer son pre-

mier film à Kaboul. Elle espèretrouver des salles adaptées dansdes zones suffisamment sûres.Selon la jeune femme, c’est unevéritable mafia qui règne sur lemonde du cinéma: une quaran-taine de personnes, dont toutdépend. Lorsque Wolf and Sheep,seule production ayant réelle-ment une chance, a manqué sasélection aux Oscars, la cinéastes’est courageusement opposéeau processus de sélection en vi-gueur à Kaboul. Dans un postsur Facebook, elle relève qu’« enAfghanistan tout dépend de lamafia, le cinéma y compris. » «Si tu n’en fais pas partie, c’estperdu d’avance. » Commed’autres jeunes professionnels du cinéma, elle continue àcompter sur des partenariatsavec l’Europe.

Longs cheminsEn Afghanistan, pays escarpé etmontagneux, les chemins onttoujours été longs. Pour le ci-néma, un contexte offrant deschances réalistes semble encorelointain. Bien entendu, il existedes problèmes plus fondamen-taux à régler. Dans son court-métrage Finding Zalmay, SamiHasib Nabizada montre un facteur à vélo, en route vers unposte de police éloigné où ildoit remettre à un homme, dunom de Zalmay, une lettre deson père. Il finit par trouverl’endroit, mais Zalmay est mort. On l’a tué alors qu’il défendait

une école. ■

(De l’allemand)

Walter Ruggle est journaliste et directeur de la fondation trigon-film.Celle-ci a notamment assuré la sor-tie de «Wolf and Sheep » en DVDet s’engage depuis 1988 en faveurdu cinéma du Sud et de l’Est.

1. Finding Zalmay (2012) de

Sami Hasib Nabizada

2. Earth And Ashes – Khâkestar-

o-khâk (2004) de Atiq Rahimi

3. Addicted in Afghanistan (2009)

de Jawed Taiman

4. Wolf and Sheep (2016) de

Shahrbanoo Sadat

5. Osama (2003) de Siddiq

Barmak

6. A Letter to the President

(2017) de Roya Sadat

Page 34: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

34 Un seul monde No4 / Décembre 2017

Livres

Film

ServiceMusique

Vastes horizons sonores(er) Le groupe israélien «LolaMarsh », formé de la chanteuseYael Shoshana Cohen et dumulti-instrumentiste GilLandau, distille, depuis 2013, unharmonieux mélange de folk, depop et d’indie qui séduit au-delàde ses fans. À la fois interprète etcompositeur, le duo déploie unemusique teintée de légèreté queYael Shoshana Cohen décritcomme dynamique, nostalgiqueet romantique. Associé à troismusiciens pour livrer une per-formance dense et savammentorchestrée, il vient de publier

son premier album. Les balladessuccèdent aux textes presquechuchotés pour évoquer le jar-din de roses de la maison fami-liale, l’amitié ou encore l’amourde la vie. De par sa voix lumi-neuse, chaude et légèrementvoilée, la musicienne de TelAviv ouvre de vastes horizonssonores rappelant les vagues dela Méditerranée ou les ventsbrûlants du désert. La voieroyale pour conquérir la scènemusicale mondiale. Lola Marsh : «Remember Roses »(Barclay/Universal Music)

À ciel ouvert(er) La musique d’Amériquecentrale était à l’honneur cetteannée, au Village du monde duPaléo Festival, à Nyon (VD). Legroupe jamaïcain Inna de Yardfigurait parmi les invités demarque. Véritable légende duroots reggae, il compte desicônes telles que Ken Boothe ou

Cedric «Congo» Myton, maiségalement de remarquablesjeunes talents encore inconnusen Occident. Son dernier album, exceptionnel, a été enre-gistré dans une acoustique à cielouvert: sur la terrasse d’unemaison perchée sur les collinesde Kingston, sans équipementnumérique. Les voix masculines,saisissantes, sont chargéesd’émotion, tout comme leschœurs aux couleurs gospel.Côté instruments, de solides riddims se tissent, joués par destambours Nyabinghi, une gui-tare, une basse et un piano. S’y ajoutent d’épais accents autrombone et de douces mélodiesà l’accordéon. Treize pistes vibrantes pour faire vivre l’âmedu reggae jamaïcain, sous lesigne du Power Of Togetherness. Inna de Yard : «The Soul ofJamaica » (Chapter TwoRecords/Disques Office)

Des vies en exil(dg) Ali, neuf ans, son jeunefrère Mohammad et leurs pa-rents ont fui l’Afghanistan pourtrouver refuge en Turquie.Parlant à peine le turc, le garçonvit son premier jour d’école,pendant que ses parents s’in-stallent dans l’appartement som-maire qu’ils louent. Comme son oncle, sa famille prévoit derejoindre plus tard la Bulgarie,avant de gagner l’Europe cen-trale. Pour subvenir aux besoinsfamiliaux et gagner un peu d’ar-gent en vue du voyage, les deuxfrères vont quotidiennement,après les cours et le repas demidi, cirer les chaussures despassants. Un jour, un autre gar-çon, lui aussi muni de brosses àreluire et de cirage, arrive dansleur rue. Les deux frères défen-dent violemment «leur» bout detrottoir. Le lendemain matin àl’école, leur victime leur est pré-sentée comme réfugié syrien… «Angelus Novus – Voyage versl’inconnu», court-métrage

d’Aboozar Amini,Afghanistan/NL/GB 2015, 25min., dès douze ans; disponible enligne auprès d’éducation 21 ou sousforme de DVD sur www.filmeine-welt.ch

Un roman autobiographiquedans le Kurdistan irakien(zs) Le livre Quand les montagnespleurent de Gharbi Mustafa vientde paraître en français. Ce pro-fesseur d’anglais à l’Universitéde Dohuk, dans le Kurdistanirakien, évoque la questionkurde à travers le regard dujeune Hamko. Il dépeint lequotidien de son héro àMossoul sous le régime deSaddam Hussein, l’endoctrine-ment du parti Baas dans lesécoles, les crimes d’honneur,l’enrôlement forcé dans l’armée.Hamko perd peu à peu son in-souciance d’enfant jusqu’àl’exode de son peuple, en 1991,dans les montagnes turques. «La frontière avait été bouclée et l’armée turque tentait de re-pousser les Kurdes de l’autrecôté. Tout à coup, la montagnefut secouée par le tonnerre destirs d’artillerie irakiens. (…)Nous étions pris au piège entreles deux plus puissantes arméesdu Moyen-Orient et il semblaitn’y avoir aucune échappatoire»,raconte-t-il. Une histoire quifait étrangement écho à l’actua-lité.Gharbi Mustafa: «Quand les mon-tagnes pleurent», L'Harmattan,Paris, 2017. 

Un groove universel(er) Oumou Sangaré faitl’objet d’un véritable cultedans son pays, le Mali, et en Afrique de l’Ouest.Depuis les années 90, ses chansons engagées,en faveur des droits desfemmes notamment, font

fureur. À presque 50 ans, la chanteuse, auteure-composi-trice et ambassadrice de bonne volonté des NationsUnies présente, après une pause de huit ans, son sep-tième album, intitulé «Mogoya». Ce terme peut se tra-duire par «humanité » ou « les gens d’aujourd’hui ». D’unevoix forte et claire, elle y témoigne sans complaisance deson époque et lance un vibrant appel à la tolérance,contre la terreur et le machisme. Son chant, ancré dansla tradition des chasseurs Wassoulou, est accompagnéd’un n’goni (luth malien), d’un carillon tubulaire, d’undjembé, d’une guitare électrique et d’une basse, de claviers et de synthétiseurs. La batterie est assurée par Tony Allen, pionnier de l’afrobeat aux sonorités jazz-funket ancien directeur artistique du chanteur nigérian FelaKuti. Des producteurs européens ont soutenu la créationde ce groove irrésistiblement dansant. Oumou Sangaré : «Mogoya» (Indigo/Musikvertrieb)

Page 35: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

35Un seul monde No4 / Décembre 2017

Impressum :Un seul monde paraît quatre fois par année,en français, en allemand et en italien.

Éditeur :Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéraldes affaires étrangères (DFAE)

Comité de rédaction :Manuel Sager (responsable)George Farago (coordination globale) Beat Felber, Barbara Hell, Isabelle Kaufmann,Marie-Noëlle Paccolat, Anja Prodöhl, Özgür Ünal

Rédaction :Beat Felber (bf – production)Luca Beti (lb), Jens Lundsgaard-Hansen (jlh),

Zélie Schaller (zs), Christian Zeier (cz), Ernst Rieben (er)

Graphisme : Laurent Cocchi, Lausanne

Photolitho et impression :Stämpfli SA, Berne

Reproduction :Les articles peuvent être reproduits, avecmention de la source, à condition que la rédaction ait donné son accord. L’envoi d’un exemplaire à l’éditeur est souhaité.

Abonnements et changements d’adresse :Le magazine peut être obtenu gratuitement(en Suisse seulement) auprès de : Information DFAE, Palais fédéral Ouest, 3003 Berne.

Courriel : [email protected]él. 058 462 44 12Fax 058 464 90 47www.ddc.admin.ch

860215346

Imprimé sur papier blanchi sans chlore pourprotéger l’environnement

Tirage total : 47400

Couverture : Un pont relie deux « villages »dans le camp de réfugiés d’Azraq ; ChristianZeier

ISSN 1661-1675

Coup de cœur

Un seul monde

Milo Rau est réalisateur, dramaturgeet essayiste. Ses œuvres ont étéprésentées dans plus de 30 pays.En novembre, le Bernois a mis enscène le premier parlement mondialdans «The General Assembly».

Je voyage pour effectuer des re-cherches sur le terrain. Où que jetravaille – au Congo, en Irak, enRussie ou en Chine –, cela ne faitaucune différence pour moi. Je neparlerais même pas de pays diffé-rents. Nous vivons dans un seulmonde. Les grandes entreprisesl’ont bien compris. Mon conceptde réalisme global consiste àmettre en scène la réalité com-plexe d’une économie mondialedans des pièces de théâtre. Pourque nous agissions, nous nous in-formions et nous laissions inspirerau niveau international. Nous de-vons développer une sensibilité affirmant l’existence d’une seulehumanité, afin que les événementssur cette Terre nous concernenttous. L’art peut être un instrumentpour y parvenir. Il crée des es-paces utopiques ou de nouvellesréalités. Lorsque j’allais à l’écoleavec des enfants en provenancedu Rwanda et du Kosovo, j’ai réa-lisé que le monde ne s’arrêtait pasaux frontières d’un pays. Cetteprise de conscience est devenueune évidence, qui m’accompagneaujourd’hui encore. Je voyage pourme forger une opinion sur place.

(Propos recueillis par Christian Zeier)

zVg

Entre espoir et désespoir(zs) De nombreux réfugiés dé-barquent en Europe par l’île ita-lienne de Lampedusa, proche dela Sicile. Désespérés, ils fuient laguerre ou la faim. Après avoirsurvécu à un terrible voyage, ilsont grand besoin de soins et deréconfort. Pietro Bartolo, méde-cin, les leur apporte. Non sanspeine. Effaré et désemparé face à l’ampleur de la tâche, il souffre.Dans un livre, il fait part de sonsentiment d’impuissance parfois,de sa fatigue et de sa rage. « J’aila nausée, un poids énorme sur

la poitrine. C’est trop dur. J’aienvie de hurler. On a beau s’efforcer de conserver l’armurequi nous permet de continuer,on finit inévitablement par selaisser atteindre, au plus profondde son cœur. Comme si on par-ticipait à une guerre. Uneguerre que nous n'avons pasvoulue mais que nous devonsmener, avec des moyens déri-

soires. » Un admirable exemplede courage et d’engagement.Pietro Bartolo et Lidia Tilotta,«Les larmes de sel : le médecin deLampedusa », JC Lattès, Paris,2017.

Un cours gratuit sur le climat(bf ) De combien le niveaumoyen de la mer est-il montéentre 1901 et 2010? Quels sontles principaux gaz à effet deserre qui contribuent au ré-chauffement climatique ?Quelles variations de tempéra-ture et des précipitations sontprévues au cours du siècle ? Cesont là quelques-unes des ques-tions abordées dans le cours gra-tuit et accessible à tous, intitulé« Introduction aux changementsclimatiques ». Soutenu par leDFAE et proposé sur la plate-forme multimédia des NationsUnies, il rencontre un succèscroissant. Depuis son lancementvoici environ trois ans, quelque80000 personnes l’ont déjàsuivi. Le profil des participantsest très varié : écoliers, ensei-gnants, étudiants et chercheurs,responsables de la protection del’environnement, collaborateursd’ONG et citoyens intéressés. www.unccelearn.org www.interactive.eda.admin.ch/blog(cours en ligne sur le changement climatique)

Cursus post-gradeLe Nadel (Centre pour le déve-loppement et la coopération) de

l’École polytechnique fédéralede Zurich propose, au semestrede printemps 2018, le cycle deformation continue suivant :Migration : un défi pour la coopération internationale (du 20 au 23 février)M4P – Making Markets Workfor the Poor (du 26 février au 2 mars)Climate Change andDevelopment (du 5 au 9 mars)VET between PovertyAlleviation and EconomicDevelopment (du 12 au 16 mars)Gestion financière et viabilitééconomique des projets de développement (du 19 au 23 mars)Développement des capacitésdans la coopération (du 4 au 6 avril et le 4 mai)Mediation Process Design :Supporting Dialog andNegotiation (du 9 au 13 avril)Disaster Risk Reduction (du 17 au 20 avril)ICT4D – concepts, strategiesand good practices (du 24 au 27 avril)Débats stratégiques actuels dans la coopération (du 7 au 9 mai)Peace Promotion (du 22 au 25 mai)Renseignements et inscriptions :www.nadel.ethz.ch

Divers

Page 36: Un seul monde 4/2017€¦ · de la situation humanitaire qui prévaut dans le camp et m’assurer, parallèlement, que notre programme améliore la vie des jeunes. Je souhaitais,

«Si je trouvais un travail à l’extérieur,je partirais d’ici tout de suite. »Abu Rim, page 12

« Il faut être complètement ivre poursupporter la vie ici. » Ntando Moyo, page 20

«Les acteurs humanitaires doivent être moins paternalistes et laisser lesbénéficiaires définir leurs priorités. » Alice Golay, page 29