7/25/2019 Un Pseudo-besant Du Royaume de Jerusalem

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UN PSEUDO-BESANT DU ROYAUME DE JERUSALEM

Marc PARVRIE

Un curieux et trs intressant objet montaire dcouvert en 2004 dans l'est de la France a trcemment port notre connaissance1. Il semblerait premire vue s'agir d'un besant en or fourr,frapp par le royaume de Jrusalem, l'imitation des dinars fatimides du calife al-mir bi-Ahkm-

illah (1101-1130), probablement au cours du XIIesicle, peut-tre dans l'atelier de Tyr. Mais, entreautres curiosits, le poids trs faible (1,63 g), la relative qualit de la calligraphie et la mention del'atelier de Tyr en font un lment difficilement classable parmi les monnaies lgendes arabes desEtats croiss.

Cette monnaie a t frappe sur un flan recouvert d'une fine couche d'or qui laisseapparatre en plusieurs endroits, notamment sur la tranche, une me cuivreuse. Elle pse 1,63 g, soitmoins de la moiti du poids habituel des besants (c. 3,8 g), pour un diamtre de 20 mm (Fig.1). Surles deux faces, une courte lgende centrale sur deux lignes est entoure par deux lgendescirculaires spares par un double cercle linaire. La calligraphie de ces lgendes est curieusementtantt parfaitement lisible, voire assez lgante, tantt une simple juxtaposition de barres verticaleset de ronds sans signification, et ce, au sein d'une mme phrase !

Figure 1 :pseudo-besant du royaume de Jrusalem imitant les dinars d'al-mir, XIIesicle. Ech. 2:1

Au droit, on devrait trouver les lgendes suivantes :

Lgende circulaire extrieure :

... /

Au nom de Dieu, le Clment, leMisricordieux, ce dinar a t frapp Tyr

en l'an ... et 500 / en 10 et 500

Lgende circulaire intrieure :

AbcAl al-mir bi-Ahkm-illah mir des

croyants

Dans le champ, sur 2 lignes :

L'imm al-Mansr

Sur le prsent exemplaire, la lgende circulaire extrieure semble mentionner l'atelierde Tyr (bi-Sr/ ), plutt que Misr (), dont il manquerait alors le mm :

1 Monnaie prsente sur le forum Dtection Passion, post n70819. Merci Didier pour tous les renseignements qu'ilnous trs aimablement communiqus.

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Le dbut de la date est incomprhensible : un mot fortement corrompu peut ressembler soit sana/ (en l'an), soit casharat/ (dix). En revanche, la graphie du mot khams mi'at(500),quoique dforme, est trs proche du Balog & Yvon 1958, n 23. On aurait dans un cas ... Tyr en

l'an [manque] et 500 , dans l'autre ... Tyr [manque] 10 et 500 .La lgende circulaire intrieure mentionnant le titre califal n'est que partiellement lisible.

Trois cercles remplacent notamment les lettres mm-waw-mm de amr al-M'minn (commandeurdes croyants) :

Dans le champ, on trouve le nom al-imm al-Mansr dform, mais parfaitementreconnaissable :

Au revers, les lgendes de l'original fatimide sont les suivantes :

Lgende circulaire extrieure :

Coran IX,33 : Mahomet est l'envoy deDieu, Il l'a envoy avec la guide et la

religion de vrit, afin de la faire prvaloirsur la religion en entier, n'en dplaise aux

associateurs.

Lgende circulaire intrieure :

Il n'y a pas d'autre dieu que Dieu, Mahometest l'envoy de Dieu, 'Ali est l'ami de Dieu.

Dans le champ, sur 2 lignes :

Trs forte[teneur en or fin]

La lgende circulaire extrieure du revers, en partie efface n'est que trs partiellement

lisible :

Il en est de mme pour la lgende intrieure, dont le dbut est bien lisible, alors que le restede la profession de foi est illisible :

La lgende du champ est quant elle parfaitement lisible, avec une calligraphie assez prochede l'original :

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Cet exemplaire se caractrise par une frappe nette, un bon style et une lgante calligraphied'une partie au moins des lgendes. Mais la date est incomplte (peut-tre 510 AH ?) et les lgendesreligieuses du revers sont en partie illisibles. En revanche, les lettres l (), d ( ) et d ( ) dela lgende extrieure du droit sont de longueur normale et ne sont pas accompagnes de points. Onne remarque aucun globule, annelet ou autre signe distinctif dans les lgendes du droit et du revers.Les trois cercles de la lgende centrale du droit ne doivent tre confondus avec ces marques

typiques des missions tardives2

: placs dans la continuit de la lgende, il s'agit de la dformationdes lettres mm waw mm () du titre amr al-M'minn , mais d'aucuns ont pu avancerque cette figure en triangle pouvait aussi relever d'une christianisation volontaire du prototypemusulman3.

L'ensemble de ces caractristiques rapproche notre monnaie des types Balog & Yvon1958, n 21 et 23 25, Malloy & alii 1994, n 9a/10, et Leonard 2010, type J3e. Les missions dece type sont dates de la deuxime phase du monnayage des Etats croiss, c'est--dire des annes1148/59-1187 pour A. G. Malloy, et 1133-1191 pour R. D. Leonard4.

Pour autant, elle ne correspond parfaitement aucun de ces types, dont elle se dmarque parla graphie de certains mots et la curieuse juxtaposition de lgendes lisibles et illisibles d'une part, etpar la mention tout fait inattendue de l'atelier de Tyr (Sr / ), d'autre part.

L'atelier de Tyr, qui avait frapp au nom d'al-mir (1101-1130) jusqu'en 1122 / 516 AH,tombe aux mains des croiss en 1124, et il est possible que les croiss aient poursuivi la frappe devrai-faux dinars fatimides pendant quelques annes leur profit avec les coins saisis5. Mais, par lasuite, les besants imits des dinars d'al-mir, qu'ils aient t frapps Tyr ou dans un autre atelierfranc6, portent presque exclusivement le nom de l'atelier de Misr (exceptionnellement al-Iskandariya ou al-Qhirah) ! La mention de l'atelier de Tyr serait donc tout fait exceptionnelle.Peut-tre faut-il simplement y voir une corruption du mot Misr dont il manquerait notamment le mm , mais une telle graphie n'a jusqu' prsent pas t note7.

Si l'on retient la lecture Misr , la calligraphie tant la fois proche du style original, maisfortement dgnre par endroits, il pourrait s'agir d'une copie aux lgendes plus maladroites d'unbesant d'assez bonne facture de la deuxime partie du XIIe sicle (copiant lui mme les originauxfatimides). L'ide d'une copie de copie pourrait assez bien rendre compte de cette dperditionpartielle de la lisibilit des lgendes.

Cependant, si l'on accorde crdit la lgende du droit mentionnant l'atelier de Tyr et unedate proche de 510 AH, il pourrait alors s'agir d'une copie directe, par un atelier franc, l encoredurant la deuxime partie du XIIesicle, d'un original fatimide frapp Tyr dans les annes 510-516AH(1117-1122), c'est dire avant la prise de la ville par les croiss.

Dans les deux cas, le fait que la monnaie soit fourre et qu'elle ne pse qu' peine la moitid'un vritable besant semble exclure l'ide d'une fausse monnaie. En effet, les besants du royaumede Jrusalem circulaient paralllement aux espces musulmanes et taient apprcis jusqu'en Syrie

et en Irak

8

. Sans nul doute parfaitement reconnaissables par les changeurs (par le style et la mentiond'un calife fatimide depuis longtemps disparu), ils s'changeaient au 2/3 de la valeur d'un dinar 9. Enrevanche, personne, ni dans les Etats latins ni dans les pays musulmans, ne se serait laiss tromperpar une monnaie ne pesant que 1,63 g au lieu des 3,8 g environ attendus, fourre de surcrot.

2 Balog & Yvon 1958, n 28 34 ; Malloy & alii 1994, 117-118, type n5 ; Leonard 2010, types J3e J9.3 Les trois cercles reprsentant la Trinit. Hypothse avance par Robert D. Leonard, qui parle ce propos de

marque secrte des graveurs chrtiens pour se dmarquer des originaux fatimides.4 Malloy & alii 1994, 90-115 ; Leonard 2010.5 Balog & Yvon 1958, 141-2 et Malloy & alii 1994, 91 citant le chroniqueur Ibn Khallikn : "Durant ces trois annes

qui suivirent la conqute de Tyr, les Francs continurent battre monnaie au nom d'al-mir ; mais au bout de cetemps il cessrent de le faire".

6 Voir Balog & Yvon 1958, 140-142 et Malloy & alii 1994, 107.7 Merci Lutz Ilisch, Robert D. Leonard et William Gallagher pour leur aide et leurs conseils de lecture.8 Balog & Yvon 1958, 136 notes 3 et 4.9 Cahen 1983, 142.

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On peut ds lors se demander pourquoi on s'est donn tant de mal produire une copied'assez belle facture aux critures soignes, mais dont la finalit montaire reste prouver ? Peut-tre un autre objet montaire produit huit sicles plus tt, mais prsentant des caractristiques assezsemblables pourrait-il fournir quelques lments de rflexion ? En effet, lors de la Journe d'tudesde la SENA la Monnaie de Paris le 25 avril 2009, Andr Ronde et Dominique Hollard ont prsentun pseudo-aureusttrarchique lui aussi fourr et pesant moins de la moiti du poids attendu (2,5 g

au lieu de 5,45 g), de trs belle facture laissant imaginer une production d'un atelier officiel, maisavec un motif de revers modifi par rapport l'original. Les auteurs de la communication se sontappuys sur ce subtil dtournement du revers10 pour se demander s'il ne pouvait pas s'agir d'une sorte de jeton cr par un artisan de l'arme pour honorer par exemple un officier partant enretraite ou bien ayant bnfici d'une promotion11?

Dans le cas de notre pseudo-besant, aucun indice iconographique clair ne permetd'approcher autant les motivations du graveur et du destinataire de l'objet. Cependant, le poids trsfaible et la modification des lgendes (en apparence en partie maladroites, et mentionnantcurieusement l'atelier de Tyr), montrent que l'on a voulu produire un objet montiforme, de belaspect, mais qui ne puisse pas tre confondu avec les besants en circulation, cartant ainsil'accusation de produire de la fausse monnaie. Il s'agit donc bien d'une mdaille, un jeton ou une

amulette. Etant donne la qualit de la gravure et de la frappe, celle-ci semble avoir t ralise parun trs bon artisan, voire mme par un graveur de coin d'un atelier officiel, de sorte que l'on peut sedemander s'il n'existait pas, dans ou en marge des ateliers officiels, la possibilit, moyennantfinances, d'obtenir la frappe de telles mdailles montiformes. Dans quel but ? Le lieu dedcouverte laisse imaginer qu'il puisse s'agir d'un souvenir rapport de croisade par un chevalierlorrain revenant au pays

Trs peu de monnaies des croisades ont t dcouvertes en France et parmi celles-ci aucunbesant12, ce qui fait de ce pseudo-besant lorrain un unicum, qu'il serait pourtant trs intressant deresituer dans la production et la circulation des monnaies de Terre sainte. L'hypothse d'une frappede mdailles ou d'amulettes par un atelier montaire du royaume de Jrusalem mriterait ainsi d'treapprofondie, notamment par une tude spcifique des quelques exemplaires connus de besantsfourrs et/ou de poids anormalement faible.

Balog, P. et J. Yvon (1958), Monnaies lgendes arabes de l'Orient latin,RN, Paris.Cahen, C. (1983), Orient et Occident au temps des Croisades, Paris.

Leonard R.D. (2010), "Dating the Saracenic Bezants of Jerusalem and Tripoli", Actes du CongrsInternational de Numismatique de Glasgow, publication en cours.Duplessy J. (1985, Les trsors montaires mdivaux et modernes dcouverts en France. Vol. I :751-1223, Paris.Malloy, A.G. & alii (1994), Coins of the crusader states,New York.Ronde A. & D. Hollard (2010), "Digression sur un pseudo-aureus fourr imit du monnayage deConstance Chlore Csar Siscia", L'Arme et la Monnaie II, Actes de la journe d'tudes du 25avril 2009 la Monnaie de Paris, RTSENA, Paris, 67-70.

10 Ronde & Hollard 2010. Le dieu Mars en costume militaire tenant une victoriolaest remplac par un officier romain

portant la tenue et le casque conique des troupes du dbut du IVesicle et tenant une statuette de Mars.11 Ronde & Hollard 2010, 69.12 Duplessy 1985. Seul le trsor de Chtellerault (86) contient des deniers de Jrusalem, Damiette, Tripoli et Chypre

datant de la premire moiti du XIIIesicle (trsor n92).