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Le et les policiers dans les romans non policiers de Rafael Menjívar Ochoa Centre Aixois d’Études Romanes Les territoires hétérogènes du polar 25 mars 2013

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Le et les policiers dans les romans non policiers de Rafael Menjívar

Ochoa

Thierry DavoUniversité de Reims Champagne Ardenne

Centre Aixois d’Études Romanes

Les territoires hétérogènes du polar

25 mars 2013

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Plan

• Présentation du Salvador et de l’auteur (biographie succincte)• Les romans policiers• La présence policière dans l’œuvre non-policière• Conclusion

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Rafael Menjívar Ochoa(San Salvador, 1959-2011)

© Mélanie Morand, 2007

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El Salvador«Le Petit Poucet» des Amériques : vingt mille km2. Pays situé en Amérique Centrale, zone soumise à une grande violence car l’isthme de Panamá constitue un enjeu géo-politique et commercial majeur.1931-1989 : Coups d’état militaires et élections contestées, gouvernements ré-pressifs.1961 : apparition des escadrons de la mort.1970 : apparition de la guérilla.

1980-1992 : conflit armé généralisé.1992 : accords de paix et fin du conflit armé .1992 à aujourd’hui : apprentissage de la démocratie mais la violence n’a pas dis-paru, elle s’est seulement déplacée.

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Rafael Menjívar OchoaBiographie

1959 – Naissance à San Salvador.

1976 – Ses parents s’installent au Mexique.

1985 – Publication de son premier roman:Histoire du traître de Jamais Plus.

1990 – Publication de son premier roman policier: Les années flétries.1999 – Retour au Salvador.

2011 – Décès à San Salvador.

1973 – Ses parents quittent le Salvador.

1983 – Publication de sa première nouvelle: La nuit de Clarence.

La période mexicaineconstitue la moitié de sa vie

Le père de Rafael Menjívar Ochoa, Rafael Menjívar Larín était un grand économiste.

Recteur de l’Université de San Salvador, il y instaura l’équivalent

de notre CROUS. C’est sous sa gestion, en 1972, que l’armée

investit le campus.

Il fonde la Maison de l’Écrivain

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L’œuvre romanesque

Histoire du traître de Jamais Plus (1985)Portrait de l’inconnu et de son épouse (inédit)Tierces personnes (1996)Les années flétries (1990)Treize (2003)Les héros tombent de sommeil (1998)La mort de temps en temps (2002)N’importe quelle façon de mourir (2006)Instructions pour vivre sans peau (2008)Bref inventaire de toutes les choses (2007)Requiem pour une femme sans cheveux blancs (inédit)Le directeur n’aime pas les cadavres (inédit)Kosta (inachevé)Barrio Coreana (inachevé)

1980-19811983-19861985-19891988-19891989-19981990-19911990-19961998-20021998-20021998-2004

20032005

2008-20092009

écriture publication

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Autres textesautour du polar

La nuit de Clarence, nouvelle, 1983Un monde où le ciel ne cesse de tomber , nouvelles, 2011Sur le roman noir, réflexions datant de 1989 publiées sur son blog en 2009Temps de folie, enquête sur le coup d’état de 1979 (2006/2008)Histoires de famille, essai inédit consacré à la mort du commandant MarcialTous les Cambodgiens, pièce de théâtreQuartier Coréenne, roman inachevéCrétins, texte dicté à sa fille lors de sa dernière hospitalisation, 2011

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Les « polars »

Rafael Menjívar en 1999 posant pour la couverture de Vértice,supplément littéraire de El diario de hoy

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Les « polars »

1. Quelques façons de mourir (La trilogie mexicaine)Les années flétriesLes héros tombent de sommeil La mort de temps en temps Le directeur n’aime pas les cadavres N’importe quelle façon de mourir

3. Kosta (le polar inachevé)

J’utilise le terme « polar » car en traduisant les romans j’ai eu besoin de trouver unterme permettant de désigner aussi bien les romans que les films ou les feuilletons,sans pour autant prêter confusion avec la fonction, ce que « policier » ne permettaitpas.

2. Requiem pour une femme sans cheveux blancs(le polar salvadorien)

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Quelques façons de mourirL’idée centrale de la trilogie, c’est l’impossibilité de savoir. Les choses sont si complexes qu’au bout du compte personne ne sait rien, à part le petit bout qui concerne chacun.

Rafael Menjívar OchoaMessage adressé à Isabelle López16 avril 2002

Trois romans devenus cinq, autant de variations sur le cynisme. Cinq mises en scène de la dialectique de la vertu et de la corruption dans trois secteurs d’activité interconnectés: la police, la politique et le journalisme.

En contrepoint, une foule d’histoires, sentimentales ou familiales, d’une humanitéblessée dont on n’aperçoit, chaque fois, qu’une petite lucarne.Il y a, derrière les gradés de la police mexicaine et leurs tueurs, le monde souvent drôte et toujours touchant des petites gens: les logeuses, les chauffeurs de taxi, les serveurs, les prostituées, les secrétaires…

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Sur l’intrigue principale viennent se greffer des intrigues secondaires, passionnan-tes au point qu’on en oublie parfois, pour les suivre, l’intrigue initiale.

«En Angleterre ou aux États-Unis on aboutit; en Sicile et en Amérique Latine, 98% des crimes ne sont pas élucidés. Il suffit de lire les journaux. Cela rend le genre policier impossible et débouche sur un genre différent. C’est pour cela que dans un roman une fin ouverte est même naturaliste. »

Rodrigo Rey Rosa

Aucune enquête n’aboutit, ou si elle le fait, c’était un mirage. Aucune des énigmes n’est élucidée sans que l’on soit vraiment certain d’être, à la fin du roman, face à « la » vérité. Si le roman policier propose sur la société un discours alternatif au discours officiel, celui que propose Menjívar est une nouvelle fiction: derrière le masque, il n’y a rien d’autre qu’un autre masque.

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1. Les années flétries1990, EDUCA, Costa Ricaécrit entre 1988 et 1989

La police a fait subir à un guérillero un interrogatoire un peu trop musclé. Six pieds sous terre, il ne pourra plus tenir la conférence de presse qu’on attendait de lui.Un acteur de feuilletons radiophoniques au chômage est alors chargé, à partir d’indices, de reconstituer sa voix et tenir à sa place la fameuse conférence de presse.Les journalistes sont de connivence, mais ce fameux guérillero, au fond, a-t-il seulement existé?Et qui est vraiment María, l’actrice-mélomane-prof-collaboratrice de la police qui héberge le narrateur? Comment son morts ses parents ? Pourquoi son beau-frère at-til pour lui autant de haine ?

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Au café du coin, il y avait Guadalupe Frejas, immense comme une boule géante de glace à la fraise. Quelque chose de bon devait arriver ce jour-là, et c’était Guadalupe. Elle avait une cinquantaine d’années, mais en faisait la moitié ; la graisse sous sa peau l’empêchait de vieillir. Elle avait un visage de bébé. Elle transpirait comme un geyser, mais ce n’était pas une transpiration violente: tout en elle n’était que douceur et tendresse. Sa voix était la plus mélodieuse à être jamais passée par un poste de radio, la plus pure. Son registre n’était pas très étendu, mais son expressivité était étonnante. Tout en elle était graisse et voix, et c’est sa voix qui la faisait vivre.

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Parfois, au milieu d’une conversation, quelque chose se brisait en elle ; elle avait comme une crise d’asthme et on pouvait craindre qu’elle soit prise de convulsions et qu’elle meure asphyxiée. Mais devant un micro, elle avait la meilleure voix de la planète. Là elle pouvait parler pendant des heures et même des siècles sans avoir de crises. Elle était resplendissante. J’étais toujours à ses côtés, et je jure qu’elle était resplendissante. —Prends un café —elle mordit dans son hamburger, d’un geste plein de candeur. Elle mangeait des hamburgers par milliers. Il n’y avait pour elle d’autre nourriture au monde que les hamburgers ; elle était sans cesse à la recherche de restaurants et de baraques, et elle racontait que, lorsqu’elle s’ennuyait, elle s’en préparait chez elle en faisant des expériences de saveurs et de mélanges.

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Elle traversa la rue lentement, comme un navire dans la mangrove. De dos, sa grosseur était douloureuse. De face, on pouvait oublier le double menton, les seins inconcevables et les bras qu’elle bougeait gracieusement. Mais de dos les gens sont comme ils sont vraiment, et Guadalupe Frejas était pathétique.

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2. Les héros tombent de sommeil DPI, San Salvador, 1998écrit entre 1990 et 1991

Un journaliste s’est pris pour un héros en réussissant à infiltrer un mouvement de guérilla. Il se voyait sans doute déjà avec le prix Pullitzer. Or il n’y a pas de guérilla au Mexique. Il aurait dû le savoir, il doit mourir. Écoeuré, le policier chargé de l’exécuter donne sa démission, ce dont Le Colonel tente de le dissuader: il doit en effet prendre sa retraite et comptait sur lui pour prendre sa succession, sans quoi c’est l’ignoble Ortega – patron d’une brigade de ripoux – qui ferait main basse sur la brigade qu’il dirige. Le narrateur accepte de reprendre du service afin d’éliminer Ortega et ses hommes.

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3. La mort de temps en temps DPI, San Salvador, 2002écrit entre 1990 et 1996

Un journaliste qui enquête sur un fait divers déterre la vieille histoire d’un tueur en série dans laquelle rien ne colle. Par ailleurs, qui a tué la fille de son ex-maîtresse? Son beau-père, avec lequel elle avait une liaison? Mais étaient-ils vraiment amants ? Et comment la petite Graciela a-t-elle pu, après avoir sauvagement assassiné ses parents adoptifs, traîner leurs corps dans toute la maison? Kathy, la journaliste blonde de la rubrique « people » retournera-t-elle à la morgue, comme elle l’a promis en minaudant au gardien qui, comme tout le monde, n’avait d’yeux que pour son décolleté ?

Je crois que j’étais le seul à ne pas voir son décolleté. Si un Martien arrivait, avant de demander à parler au leader de la planète, il regarderait son décolleté.

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Le corps se brisa à la hauteur de la taille et sur les fesses apparut une masse de chair triturée, de muscles et de graisse.

Je ne ressentis aucun dégoût. Ni peur, ni compassion, ni écœurement. Je ne ressentis rien. Je me retournai juste et je vomis. Comme si quelqu’un avait saisi mon estomac dans sa main et l’avait serré.

Le policier à la voix enrouée recula. Un de ses souliers reçut des éclaboussures du morceau de gâteau et du café que j’avais pris quelques heures plus tôt chez Cristina, la mère de la jeune morte.

–Enfoiré –dit-il.Je m’attendais à ce qu’il me frappe, mais

il ne le fit pas. Ou bien il savait se contrôler, ou bien il adorait qu’on balance des cochonneries sur ses chaussures.

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4. Le directeur n’aime pas les cadavresInédit

écrit en 2005

Depuis qu’il a vu le cadavre de sa mère, le directeur d’un grand quotidien proche du parti au pouvoir ne supporte plus leur vue. Mais, par défi, son fils s’inscrit en fac de médecine, puis devient doublure de cadavres au cinéma. Puis il voit, impuissant, mourir sa deuxième femme, Milady, victime de sa folie auto-destructrice.Mais, au fait, qui est donc l’auteur de la coquille parue dans le journal, où le mot « civique » a vu son « v » remplacé par un « n » ?Bref, qui en veut au directeur au point qu’il se retrouve magré lui au cœur de la fusillade qui oppose les hommes d’Ortega à ceux du Colonel?

Elle était Mexicaine et s’appelait Gabriela Santos. Nous nous étions croisés dans plusieurs films et séries télévisées et étions sortis deux ou trois fois ensemble. Elle était plus intéressante morte que vivante.

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5. N’importe quelle façon de mourir F&G Editores, Guatemala, 2006

écrit entre 1998 et 2002

Un policier croupit en prison après avoir avoué qu’il avait tué (mais l’a-t-il tuée) la sœur d’un trafiquant de drogue. Pas de chance, il se retrouve dans la même prison que le trafiquant en question qui depuis sa cellule gère ses affaires et organise des soirées sado-maso.Le policier reçoit la promesse de sortir de prison s’il accepte d’exécuter Le Colonel, exécution qui serait maquillée en suicide.Le Colonel, de toute façon, n’aurait pas fait de vieux os: son cancer du foie lui sortait par les oreilles.

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La trilogie mexicaine est à paraître aux éditions Cénomane

La seule chose que j’avais vue de près, c’était sa nuque. J’avais eu le temps de l’apprendre par cœur. Je me retournai et me trouvai face à la mâchoire la plus carrée qu’il m’ait été donné de voir, et je vois la mienne tous les matins. Autour de la mâchoire il y avait une tête laide. Il avait des épaules à quatre voies, mais le pire c’était ses mains. Elles étaient pleines de durillons et de cicatrices. Chaque main avait la taille d‘un poulpe de taille moyenne. Je comptai même ses doigts pour lever le doute.

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Requiem pour une femme aux cheveux blancs

inédit, écrit en 2003

Un Salvadorien rentre au pays après 21 ans d’exil. Il y retrouve d’anciens compagnons qui ont tourné la page, l’un d’entre eux, ex-guérillero est même devenu flic. Le protagoniste est le seul à ne pas pouvoir oublié, à ne pas pouvoir tourner la page de la réconciliation nationale et à trouver pervers ce qui avait été alors présenté comme un modèle de sortie de crise : intégrer au sein d’une Police Nationale Civile les anciens combattants, guérilleros et membres des escadrons de la mort confondus. Il est obsédé par le sort d’un de leurs anciens camarades, mais surtout de ses parents, tombés par sa faute entre les mains d’escadrons de la mort et portés disparus. Sa quête conduira notre protagoniste à débusquer sous les traits d’un pasteur évangélique un des plus terribles psycopathes des escadrons de la mort de l’époque du conflit. Elle l’amènera également à se souvenir du cadavre abandonné dans une cache d’un industriel séquestré il y a plus de vingt ans et qu’on avait tout bonnement oublié dans cette cache au moment de la grande débandade.

Nulle part il n’y avait de chiens. Il n’y avait pas si longtemps, la rue grouillait de chiens de toutes les tailles, de toutes les couleurs, de tous les regards. Soudain, plus aucun chien. Les gens ne semblaient pas les regretter, il s’efforçaient de marcher en zig-zag avec des yeux apeurés, ces yeux qui auparavant étaient les yeux des chiens.Il n’y avait pas non plus d’enfants. Il n’y avait pas si longtemps, la rue grouillait aussi d’enfants qui jouaient avec les chiens, fuyaient les chiens ou ignoraient les chiens. Soudain il n’y avait plus que des adultes, beaucoup d’adultes, trop d’adultes, et des groupes de jeunes qui rentraient de l’école, ou allaient à l’école. Sans écoles, la rue aurait débordé de personnes âgées, et pas de tous les âges: il n’y avait pas de gens de mon âge. De cinq ans au-dessous à cinq ans au-dessus de mon âge il n’y avait personne.

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Kostainachevé, 200-2009

Kosta est un policier spécialisé dans la négociation avec les déments qui menacent de se suicider. Un jour, on fait appel à lui pour raisonner le gardien d’une maison dans le jardin de laquelle des joueurs de roulette russe entrerrent leurs perdants. Cela le ramène à son enfance, son père -- montreur de marionnettes amateur qu’il accompagnait souvent dans ses tournées -- étant mort en jouant à la roulette russe quand il était petit. Mais est-il vraiment mort en jouant à la roulette russe?Allant se recueillir sur la tombe de son père, Kosta est témoin d’un entrerrement étrange. Parmi les participants, il reconnaît un ami de son père, présent le soir du drame…La maladie a empêché Rafael Menjívar de mener ce projet à bien. Il en a écrit quatre chapitres qui témoignent d’une maîtrise du genre qui aurait sans doute fait de Kosta (titre provisoire) le meilleur de ses romans policiers.

Kosta avait dû batailler avec deux types qui s’étaient perforé la tête parce qu’ils n’avaient pas obtenu certaines conditions pour se rendre. Un voulait qu’on lui amène sa femme pour la tuer et aller en prison pour un délit qui vaille la peine ; il lui avait déjà démoli le visage, un bras et quelques côtes au cours d’une dispute du vendredi soir. Kosta ne trouva pas très bien qu’il se fasse sauter la cervelle, comme il l’avait fait, mais mis à part le soubressaut lorsque le coup avait retenti, il n’y avait pas eu non plus de quoi se mettre à pleurer. Ça c’était fait rapidement ; à peine une fraction de soupir et, comme toujours, le quidam avait éclaboussé la chambre avec ses propres morceaux. Le pire pour la famille, ça avait dû être le nettoyage, mais s’en inquiéter n’entrait pas dans ses attributions.

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La nuit de Clarencenouvelle

La Brújula (mensuel) n° 10México D.F. , juin 1983, pp. 7-8.

Un policier, la nuit, emmène son fils sur un terrain vague pour lui apprendre à tirer au pistolet. Que contient le sac que le père porte sur l’épaule? Il faut savoir perdre lorsqu’on joue aux billes avec le fils d’un policier…

L’œuvre non-policière

“…quand j’eus pressé la détente et que le Clarence se retrouva allongé sur le sol je me demandai pourquoi je l’avais dit à mon papa, je ne pourrais plus jamais jouer aux billes avec lui, parce qu’avec le trou qu’il avait dans la nuque il devait être mort de chez mort.”

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L’histoire du traître de Jamais Plus

Premier roman de Rafael Menjívar.Xavier n’est pas un militant, c’est pour rendre service à son frère qu’il accepte de transporter des prospectus dans le double fond de sa mallette. Mais c’est le titre du livre de Chandler Le simple art de tuer qui le rend suspect aux yeux des policiers, assez peu cultivés comme il va de soi, qui l’arrêtent ce jour-là…

EDUCA, Costa Rica, 1985Cénomane, Le Mans, 1988

pour la trad. française

Il était une fois un policier laid à tête de policier qui, en planant, fit son apparition entre les lampadaires et les parcmètres de la forêt et atterrit tout à côté d'un magasin, avec une petite vieille dans la vitrine et des bonbons au miel dans les bocaux , un policier laid à tête de policier qui lui demanda où crois-tu aller, c'est à toi que je cause, petit chaperon rouge …

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Portrait de l’inconnu et de son épouse(inédit)

Deuxième roman de Rafael Menjívar.En avril 1983, à Managua, la dirigeante « Ana-María » est sauvagement assassinée de 35 coups de pics à glace. Le commando était dirigé par « Marcelo », responsable de la sécurité de l’organisation. Six jours plus tard le numéro un « Marcial » se suicide.À travers ce roman où s’entrecroisent éducation sentimentale et éducation aux dures réalités de la politique, Rafael Menjívar s’interroge sur la version officielle de ce crime.

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TreizeInstituto Mexiquense de Cultura, Mexico, 2003

Cénomane, Le Mans, 2006, pour la trad. fr.

Par désoeuvrement, parce qu’il n’a pas d’objectif dans la vie, le narrateur décide de se suicider. Mais il en a tant vu qui se sont juré qu’ils mettraient fin à leurs jours sans passer à l’acte qu’il se fixe une échéance: treize jours.En un magistral compte-à rebours à l’envers, puisqu’il commence le jour de sa mort, le narrateur nous livre son journal de ces treize jours, ses souvenirs ainsi que ses réflexions sur autant de façons de mourir ou de ne pas mourir.À la fin se suicide-t-il vraiment?

Hier soir, j’en ai fini avec le monde, comme le font tous les suicidés chaque jour de chaque année. Une chose me différencie d’eux : j’ai la possibilité de recommencer, comme un joueur d’échecs. Mort, misère, angoisse, puis à nouveau la mort, peut-être un brin de bonheur, un peu plus de misère et d’angoisse et à nouveau la mort. On remet les pièces en place, on recommence, et la mort est un point parmi tant et tant de possibilités de mouvements, de positions, d’inconnues, de problèmes. Les suicidés qui ont réussi ont eu leur récompense, mais ils n’en jouissent pas.

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Instructions pour vivre sans peau

Instructions pour vivre sans peau est l’histoire d’un Salvadorien qui à l’époque de la guerre civile, rejoint la guérilla. D’opération en opération, il devient le chef d’un petit groupe qu’il dénonce à la police par dépit amoureux. Ses camarades sont torturés, mutilés, achevés, réduits à des morceaux de viande, des cadavres de cadavres. Lui obtient un faux passeport et se refait une nouvelle vie – comme tueur à gage – à l’étranger. Tous les ans, le jour anniversaire des faits, il obéit à un étrange rituel, il donne rendez-vous à une femme mariée dans un hôtel de Phoenix pour un rapport sexuel sans amour : il poignarde de son sexe le sexe de sa partenaire. Fantasme ou réalité?

La Orquídea Errante, México, 2008Cénomane, Le Mans, 2004, pour la trad. Fr.

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Bref inventaire de toutes les choses

Indole Editores, San Salvador, 2007Cénomane, Le Mans, 2007, pour la trad. fr.

Le Bref inventaire est l’histoire d’un homme qui, après s’être entraîné sur des lapins, décide de passer à la vitesse supérieure en sculptant un corps de femme. On peut y voir une revisitation pessimiste du mythe de Pygmalion ; on peut également y voir une allégorie des Instructions, roman où les escadrons de la mort sont appelés « les artistes de la chair ».

Comme Instructions ou Tierces personnes, nous ne découvrons que pas à pas ce qui se passe, ce qui s’est passé, qui sont les personnages: l’enquêteur, c’est le lecteur.

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Bref inventaire de toutes les choses

Maquiller le cadavre. Lui vernir les ongles. Lui enfiler une robe qui lui aille, de préférence de couleur abricot pâle, sa préférée. Lui arranger les cheveux, les lui peigner puis les lui décorer avec des des rubans et des fleurs, un détail anachronique qui pourrait s’avérer seyant: Agathe — il faut bien le dire — commençait à vieillir, même si les cadavres n’ont pas d’âge. Puis la remettre sur le lit, souriante, les mains croisées sur sa poitrine. (Mais elle n’a pas de mains. Mais elle n’a pas de lèvres.) Les jambes, les aligner délicatement, légèrement ployées, légèrement séparées pour produire un effet quelque peu troublant, les pieds peut-être unis par les talons, formant un angle de quarante-cinq degrés — un degré de plus, un degré de moins —, avec une légère déviation vers la gauche par rapport à l’angle du matelas afin d’obtenir un effet fortuit. (Mais les rotules: comment les remettre? Et comment les emboîter parmi tant de viande déchirée, de ligaments coupés et désormais inflexibles, matériau à l’air, sans peau qui le contienne?)

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Treize, Instructions pour vivre sans peau et Bref inventaire de toutes les choses ont été adaptés au

théâtre par Claude Esnault

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Tous les Cambodgiens

Compositeur, poète, essayiste, journaliste, scénariste de bandes dessinées, Rafael Menjívar a peu écrit pour la scène: le livret d’une cantate, Les morts, et deux pièces de théâre .

Ici, un homme attaché à une chaise subit un interrogatoire dont la brutalité est essentiellement psychologique.

On ne découvre que dans les dernières répliques que son partenaire n’est pas un flic mais un psychiatre.

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Un monde où le ciel ne cesse de tomberIndole Editores, San Salvador, 2011

Cénomane, 2008, pour la trad.

Rafael Menjívar a peu pratiqué la nouvelle, qui ne lui permettait pas d’élaborer les structures complexes qu’il aimait. Il y avait essentiellement recours afin d’améliorer sa connaissances des personnages de ses romans. Certaines d’entre elles mettent donc en scène Le Colonel (Cimetière d’automobiles), d’autres policiers (Le Cubain) ou des hommes ayant eu la malchance d’en croiser la route (Fade out).

Dans Une lumière qui ne s’éteint jamais, un papa dont la fille est malade assiste à la veillée funéraire de la fille d’un usurier, nous plongeant dans une ambiance de roman noir.

La lecture d’autres nouvelles comme La troisième porte ou Un monde où le ciel ne cesse de tomber, du fait de leur caractère énigmatique, constituent une véritable enquête dont le détective est le lecteur.

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Temps de folieFLACSO, San Salvador, 2006

Histoires de famille

En 1979, des militaires modérés s’emparent du pouvoir. Un gouvernement provisoire est constitué, dirigé par un civil centriste. Or, quelques mois après cette relative ouverture, la guerre civile éclate. Interrogeant tant les archives que les acteurs de l ’époque, le détective Menjívar mène avec Temps de folie l’enquête sur ce paradoxe…

Dans Histoires de famille (à paraître) il revient sur la tragédie de Managua: Marcial a-t-il vraiment fait assassiner Ana-María comme le prétend l’histoire officielle, pour qui son suicide est un aveu, ou bien n’aurait-il pas plutôt été aimablement invité à se suicider, de manière à lui faire porter le chapeau, comme dans les romans policiers de Rafael Menjívar, d’un crime commandité par ceux – Cubains, Nicaraguayens et leurs alliés salvadoriens – qui n’avaient pas intérêt à voir triompher ni la ligne de Marcial ni celle d’Ana María?

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Crétinsinédit, 2011

C’est peu dire que Rafael Menjívar aura écrit jusqu’à son dernier souffle. Une semaine encore avant son décès, et alors qu’il ne pouvait qu’à peine entrouvrir les lèvres, il dictait encore à sa fille un texte étrange, qui racontait l’histoire d’un crétin, hospitalisé au milieu d’autres crétins.Ce crétin était un écrivain moribond, dont les œuvres étaient celles de Menjívar, mais qui n’était pas Menjívar.La douleur faisait revivre en lui les temps de la torture, les opérations à répétition lui rappelaient les atrocités de l’époque des escuadrons de la mort et il demandait pardon à ses personnages de les avoir tant meurtris.Une seule chose apaisait ses souffrances: imaginer que tous ces crétins qui mouraient avant lui, autour de lui, étaient des policiers…

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Crétinsinédit, 2011

Je n’ai jamais voulu être un méchant. Je n’ai jamais écrit pour déplaire à qui que ce soit. Tout du moins je ne m’en suis jamais rendu compte. J’ai écrit ce que j’avais à écrire, et s’il y eu dans mes pages quelque chose de terrible, c’était sans importance.Je mens.Un jour j’ai parlé d’un cadavre corrompu sculpté par un pauvre imbécile qui n’avait pas su quoi en faire. C’est peut-être mon meilleur texte. J’ai peut-être su dès le début que personne n’irait au-delà du troisème chapitre. Je suis certain de l’avoir fait exprès. Mais même ainsi, je n’ai pas voulu être un méchant, rien qu’un écrivain.

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Conclusion provisoreNous avons tous, en nous, quelque chose de policier… et il y a peu de textes de Menjívar qui n’en aient beaucoup. Sa première nouvelle est l’histoire d’un fils de policier, son premier roman s’ouvre avec l’aparition d’un policier laid à tête de policier, son dernier texte met en scène un crétin qui s’imagine entouré de policiers… Au-delà des raisons historiques qui expliquent cette obsession pour les policiers, on est frappé par l’importance qu’a aux yeux de Menjívar l’enquête, journalistique, historique, et même littéraire puisque souvent il ne nous livre dans le désordre (comme dans la vie) que des éléments que c’est à nous, lecteurs, d’assembler afin de reconstituer ce qui aurait pu être le fil des événements. Si lire, comme vivre, c’est toujours tenter de résoudre une série d’énigmes, l’œuvre de Menjívar en est une illustration particulièrement spectaculaire.

Il existe un enregistrement de la télévision britannique où Jacques Tati se livre à l’imitation désopilante d’un gardien de la paix français, comparé à un gardien de la paix anglais. Un policier n’est policier que dans son propre pays et le « flic » mexicain (corrompu) ou le « flic » salvadorien (ancien paramitaire) ne peut pas être le même que celui de Scotland Yard ou du quai des Orfèvres.

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Dans une note postée sur son blog, Rafael Menjívar insistait sur le caractère efficace du roman noir ou policier. C’est cette efficacité narrative qui l’a souvent poussé à en emprunter des techniques, ainsi qu’à s’être pris d’affection pour le genre, ne parvenant pas à refermer le cycle de ce qui ne devait au début n’être qu’une trilogie.

Il ne faut donc pas voir dans son œuvre policière une activité en marge du reste de son œuvre. Il y a, au contraire une cohérence profonde. Si, dans les polars les corps sont joyeusement maltraités parce que c’est la loi du genre, on tue, on meurt, on luxe les épaules, on éclate les visages contre les murs dans la plus grande bonne humeur, il en va de même dans le reste de son œuvre, la bonne humeur en moins, comme dans les deux masques allégoriques du théâtre antique, la comédie et la tragédie.

La vision de la vie et de la mort qui y prévaut est bien la même. Rafael Menjívar Ochoa en fait le Cinquième Commandement de ses Instructions pour vivre sans peau: «Cinq. Tu ne mourras pas».

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