Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec

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Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec 19 mars 2014

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Un nouveau pacte pour les grandes villes du Québec19 mars 2014

UN NOUVEAU PACTE POUR LES GRANDES VILLES DU QUÉBEC

Le monde a changé. Les transformations sociales et économiques des sociétés avancées, ainsi que les effets de la mondialisation, ont transformé les villes, surtout les villes de plus grande taille. Les grandes villes sont devenues à certains égards des cités-États dans un monde globalisé aux frontières plus poreuses. Ce terme, qui fait image, a cédé la place, dans les débats internationaux, à un autre concept qui décrit la même réalité, celui de villes mondiales, ou en anglais, de « global cities ». Ces villes, confrontées à des problèmes nouveaux, doivent assumer des responsabilités qui dépassent largement leur rôle traditionnel. Le Québec ne compte pas de villes de taille mondiale, mais il compte deux grandes villes, une métropole, Montréal, et une capitale, Québec, qui possèdent la plupart des caractéristiques de ces villes globales et qui sont confrontées aux mêmes défis. Le cadre institutionnel dans lequel évoluent ces deux villes québécoises ne s’est cependant pas transformé pour tenir compte de ces nouvelles réalités. On peut observer, particulièrement au Canada et au Québec, un décalage important et croissant entre les obligations des villes et les outils dont elles disposent pour les assumer. Il en résulte un déséquilibre politique, un déséquilibre fiscal et un déséquilibre de gouvernance qu’il est essentiel de corriger pour assurer le développement économique et social du Québec. Ce document de travail analyse les changements structurels qui ont affecté les villes, il en identifie les causes, il décrit ce qu’est et ce que devra être le rôle des villes dans ce contexte nouveau, il se penche ensuite sur les conditions qui permettraient ce changement, un nouveau pacte entre les gouvernements supérieurs et les deux grandes villes du Québec, un nouveau partage des responsabilités, et des réformes fiscales qui permettraient à Montréal et à Québec de pleinement jouer le rôle qui devrait être le leur. Il se penche également sur le cadre stratégique susceptible de rendre fructueux le débat sur l’avenir des villes.

1. LE NOUVEAU PARADIGME Depuis plusieurs millénaires, sur tous les continents, les villes ont toujours joué un rôle important. C’est dans les villes que se sont toujours concentrés le pouvoir, les échanges et le commerce, que se sont développés les ports, que se sont implantées les fonctions économiques spécialisées, tout comme la production et la diffusion artistiques. C’est dans l’Antiquité que se sont créées ce que l’on a par la suite appelé des cités-État. Depuis longtemps, on décrit les villes comme des locomotives économiques. Le poids des villes dans nos sociétés s’est accru progressivement au fil des siècles. Ce processus s’est renforcé au cours des dernières décennies, parce que les transformations de l’économie et de la société ont joué en faveur des plus grandes villes. Ce mouvement majeur se poursuivra dans les années à venir et le poids des villes sera sans doute encore plus important parce que les villes exercent une attraction croissante. Cette nouvelle place des villes peut s’expliquer par des facteurs économiques, sociaux et politiques, et notamment à travers quatre tendances lourdes : le développement de l’économie du savoir, l’évolution du rôle des États, les pressions démographiques et surtout, la mondialisation.

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1.1. L’attrait des villes : le phénomène de l’urbanisation On a assisté à une tendance lourde, dans les sociétés avancées, celle de l’urbanisation, à partir du milieu du XIXème siècle, qui résultait du développement de l’industrie et de la perte de poids relatif de l’agriculture. La recherche d’emplois et le manque de ressources poussaient la population rurale vers les villes. Selon Statistique Canada, la population urbaine du Québec, à 15 % en 1851, est passée à 40 % au tournant du siècle, en 1901, pour monter jusqu’à 63 % en 1941. Le processus s’est poursuivi avec le boom économique d’après-guerre, où l’industrialisation accrue se doublait du développement d’un secteur des services et de l’économie tertiaire qui augmentaient encore plus le pouvoir d’attraction des villes. L’exode rural s’est ainsi poursuivi tant et si bien que la proportion de la population habitant dans les villes a bondi à 78 % en 1966, un niveau auquel elle se maintient à peu près depuis. Selon le recensement de 2011, 81 % des Québécois habitaient dans les villes. C’est une proportion légèrement inférieure à celle que l’on retrouve dans les trois autres provinces industrialisées et urbanisées, 86 % en Ontario et en Colombie-Britannique, 83 % en Alberta. À l’intérieur de ce processus d’urbanisation, on assiste également à un déplacement du poids démographique des petits centres urbains vers les grands pôles urbains. En 2013, 25,5 millions de Canadiens, soit 69,7 %, habitaient dans les grandes villes, les régions métropolitaines de recensement. En 1981, la région métropolitaine de recensement de Québec comptait pour 9,1 % de la population québécoise. Cette proportion est passée à 9,5 % en 2001 et à 9,7 % en 2013. On assiste au même phénomène à Montréal. De 43,7 % en 1981, la proportion de la population québécoise habitant dans la RMR de Montréal est passée à 47,8 % en 2001 et à 48,8 % en 2013. Au 1er juillet 2013, la RMR de Québec comptait 791 934 habitants, et celle de Montréal, 3 981 802. C’est ainsi que ces deux centres urbains regroupent près de 60 % de la population du Québec. Ce renforcement des grandes villes dans les dernières décennies tient à d’abord à un phénomène économique. On assiste à un déplacement plus marqué de l’économie vers le secteur tertiaire, d’autant plus marqué que les activités manufacturières sont en déclin dans nombre de pays industrialisés. Cela a affecté les grandes villes, mais plus encore les petites villes industrielles dont la survie reposait souvent sur une seule entreprise ou une seule industrie. Et les grandes villes, contrairement aux petites, ont pu compenser les pertes industrielles par le développement du tertiaire : finances, télécommunications, commerces spécialisés, services aux personnes et aux entreprises, administration publique, et toutes les activités liées à l’économie du savoir – universités, centres de recherche, industries de pointe, comme l’informatique, les nouvelles technologies de l’information et des communications. Ce sont toutes là des activités plus susceptibles de se développer dans les grands centres. Il y a aussi un phénomène démographique. Ce sont également les grands centres urbains qui, en période de faible fécondité, peuvent compter sur l’apport à la croissance de la population qu’est l’immigration. Au Canada, l’immigration explique les deux tiers de la croissance démographique des RMR. Au Québec, Montréal attire environ 85 % des quelque 50 000 immigrants qui choisissent la province à chaque année.

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À ce phénomène démographique s’ajoute une réalité sociologique, le fait que les villes exercent un attrait. Il y a, dans la société contemporaine, bombardée par la télévision et l’Internet, une attirance accrue pour les villes, à cause des études, des opportunités d’emploi, mais aussi le type de qualité de vie du milieu urbain, commerces, loisirs, culture, liberté, mode de vie. Cela attire en outre souvent dans les villes les éléments les plus jeunes, les plus instruits et les plus productifs. Cela contribue à renforcer le poids des cités. Et c’est ainsi que l’âge moyen dans les RMR canadiennes est plus bas que dans le reste du territoire, 39 ans contre 43,4 ans. Ce phénomène n’est certainement pas unique au Québec et au Canada. Il s’agit d’une tendance mondiale, partout dans le monde industrialisé, mais aussi dans les économies émergentes où l’urbanisation pose des défis majeurs. L’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, arrive à un même constat pour ses pays membres. « L’accélération de l’urbanisation a renforcé le poids des grandes villes, ou des régions métropolitaines. Plus de la moitié (54 %) de la population totale de l’OCDE vit dans des régions à prédominance urbaine, et l’OCDE compte 78 métro-régions avec 1,5 million d’habitants ou plus, qui tendent à concentrer une part importante de leur activités économiques. » (Villes, compétitivité et mondialisation, OCDE, 2007)

Un document de l’ONU va dans le même sens. « Entre 2011 et 2050, on prévoit que la population mondiale augmentera de 2,3 milliards, passant de 7,0 milliards à 9,3 milliards. Pour la même période, la population vivant dans des zones urbaines progressera de 2,6 milliards, passant de 3,6 milliards en 2011 à 6,3 milliards en 2050. Ainsi, les zones urbaines du monde devraient absorber toute la croissance démographique des quatre prochaines décennies tout en absorbant une partie de la population rurale. Cette tendance se manifestera surtout dans les pays en développement, parce que le processus est déjà abouti dans les sociétés industrialisées. Les villes gigantesques, celles qui auront plus de huit millions d’habitants, il y en aura autour de 36 en 2025, seront toutes situées dans des pays en développement. »

L’Union européenne vit la même chose. « L’Europe est l’un des continents les plus urbanisés du monde. Aujourd’hui, plus des deux tiers de la population européenne vivent dans des zones urbaines et ce chiffre ne cesse d’augmenter. Le développement de nos villes déterminera l’évolution économique, sociale et territoriale future de l’Union européenne », dit un document de la CEE (« Les villes de demain- défis, visions et perspectives.)

Il s’agit donc d’un phénomène majeur sur lequel se penchent les autorités européennes, l’OCDE, l’ONU, mais qui ne semble pas être un thème de réflexion pour les autorités canadiennes et québécoises. 1.2. Le poids économique des villes

Cette urbanisation a des conséquences économiques mesurables. L’OCDE note que des villes comme Budapest, Séoul, Copenhague, Dublin, Helsinki ou Bruxelles, que l’organisme appelle des métro-régions, concentrent près de la moitié du PIB de leur pays. Au Canada, Toronto, Montréal et Vancouver génèrent la moitié ou plus de la production nationale de leurs provinces respectives. En Norvège, en Nouvelle-Zélande et en République Tchèque, un tiers ou plus de la production provient de leur métro-région, soit Oslo, Auckland et Prague. Paris, Londres, Stockholm ou Tokyo représentent autour de 30 % du PIB national. On note aussi que la grande majorité de ces métro-régions, soit 66 sur 78, affichent des PIB per capita supérieurs à celui de leurs pays.

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On observe la même chose au Canada. Selon le Conference Board, les dix principales cités-régions comptaient pour 51 % du PIB et 51 % de l’emploi en 2005. Et que pendant la décennie précédente, 65 % de la création nette d’emplois s’est faite dans ces zones urbaines. Tout près de 70 % de la population habite dans une agglomération urbaine. Plus de 90 % de la croissance démographique se concentre dans ces mêmes régions métropolitaines. Si bien que le Canada se classe tout en haut des pays les plus urbanisés de la planète.

Au Québec. Montréal, avec 2 038 200 emplois, et Québec, avec 431 900 emplois en janvier 2014, offrent respectivement 50,26 % et 10,65 % des emplois du Québec. Dans le cas du PIB, celui de la région montréalaise équivaut à 51,1 % de celui de l’ensemble du Québec, et celui de la région de Québec à 10,8 %. Les deux pôles urbains représentent ainsi 61 % de l’emploi et 62 % du PIB. On note aussi que le PIB per capita de Montréal, à 44 668 $, est supérieur à celui de l’ensemble du Québec, 41 298 $, et que l’écart devient plus marqué dans le cas de Québec, avec 46 784 $. Mais ces données ne permettent toutefois pas de décrire les deux grandes villes du Québec comme des locomotives. Leur proportion de l’emploi et de la production est supérieure à leur poids démographique, leurs revenus sont supérieurs, mais pas par une marge significativement différente de l’ensemble du territoire du Québec. En outre, Montréal tire de l’arrière sur le marché du travail, avec un taux de chômage de 7,9 % en janvier 2014, au-dessus de la moyenne québécoise de 7,5 %. À ce chapitre, la RMR de Québec se distingue avec un taux de sans-emplois de 4,1 %, le plus bas au pays.

1.3. Le rôle moteur des villes Mais cette domination économique n’est pas que purement quantitative, elle n’est pas qu’un simple reflet mécanique de leur poids démographique. Non seulement les villes ont-elles un poids économique important, elles ont aussi un dynamisme supérieur qui leur permet de jouer leur rôle de locomotive. Les grandes villes ont en général un niveau de productivité plus élevé que le territoire sur lequel elles se trouvent, et leur contribution au produit intérieur brut dépasse leur poids réel, comme on l’a vu plus haut dans le cas de Montréal et Québec.

L’Union européenne note la même chose : « La concentration de consommateurs, de travailleurs et d’entreprises dans une zone ou une région, combinée aux institutions formelles et informelles qui assurent la «densité» et la cohésion d’une agglomération, a le potentiel de produire des externalités et d’accroître les rendements d’échelle. Le PIB de l’Europe est généré à 67 % dans les régions métropolitaines, alors que leur population ne représente que 59 % de la population européenne totale. Une comparaison de la performance économique des villes européennes indique également que les grandes villes obtiennent de meilleurs résultats que les autres ».

Ces avantages des villes peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs. Leur rôle d’agglomération, qui leur permet d’attirer des sièges sociaux, des services plus spécialisés, des infrastructures plus complètes, parfois la présence d’un centre politique où se prennent les décisions. La spécialisation et la diversité, qui permet de produire une plus grande valeur ajoutée. La présence d’un grand bassin de main-d’œuvre, à la fois spécialisé pour les industries plus performantes, et moins spécialisé pour l’ensemble des services et des commerces. Une concentration de la recherche, des universités, et une proximité entre le monde de la recherche et celui de la production. Un niveau de capital humain supérieur à la moyenne, avec des aptitudes plus élevées, des jeunes qualifiés, attirés par la vie urbaine et les salaires. Un capital physique, terrains, immeubles, infrastructures.

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Ces attributs traditionnels ont été renforcés par le développement de l’économie du savoir. C’est dans les grandes villes que sont produites les nouvelles idées, les nouvelles industries, les nouveaux produits. Mais l’autre facteur qui a contribué à modifier et à renforcer de façon radicale le rôle des villes, c’est la mondialisation, qui a transformé leur nature même. Le concept de mondialisation est une sorte de parapluie qui décrit un ensemble de phénomènes distincts, mais interreliés, de nature économique, politique et technologique. D’abord, une augmentation importante des échanges de biens et services, une véritable explosion même. Dans le cas du Canada, les exportations, de 13 milliards en 1970, atteignaient 443 milliards en 2013. Cette augmentation a été possible entre autres par les effets du libéralisme économique, qui a mené à l’élimination progressive des barrières tarifaires et non-tarifaires, par la multiplication des marchés communs et des traités de libre-échange, par l’ouverture au commerce des anciens blocs communistes, et par la montée des pays émergents, qui exportent davantage, mais qui sont aussi des marchés pour le monde industrialisé. Ensuite, des révolutions technologiques dans le domaine de l’information et des communications, le développement de l’informatique et des télécommunications. Cette révolution a eu un impact sur la production, en facilitant la sous-traitance, l’outsourcing, la délocalisation, et de façon générale un éclatement de la production : à peu près tout peut être produit partout. L’impact de ces nouvelles technologies a été particulièrement puissant dans le domaine financier, en permettant l’information quasi-instantanée, le transfert de capitaux à la nanoseconde. Le monde est en quelque sorte devenu un marché financier unique, avec des mouvements de capitaux rapides et parfois dévastateurs, qui échappent au contrôle des États, d’autant plus que l’on a assisté à un mouvement de dérèglementation du monde financier. Cette internationalisation du capital a accru l’interdépendance des pays, comme on l’a vu au moment de l’éclatement de la crise de 2008-2009. La mondialisation, c’est aussi la croissance des déplacements des personnes, grâce à la démocratisation du tourisme, aux voyages d’affaires, à la mobilité professionnelle, aux stages internationaux, et aux mouvements massifs d’immigrants et de réfugiés. C’est aussi la circulation de l’information et des idées. Le résultat, c’est une contraction du temps et de l’espace. La planète s’est rapetissée, et le temps s’est accéléré. Il n’y a plus de distance, et il n’y a plus de délais. 1.4. L’avènement des cités-États On aurait pu croire que cette mondialisation, parce qu’elle échappe aux contrôles des pays et qu’elle ne respecte pas les frontières, serait partout et nulle part, qu’elle serait virtuelle, qu’elle échapperait aux règles normales de la localisation. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit. La mondialisation des activités financières, des échanges, de la production, des déplacements, des communications, a besoin de points de chute, ne serait-ce que des lieux de transbordements, ports et aéroports, de sièges sociaux, d’institutions internationales, de services essentiels à son fonctionnement. Et ces lieux, ce sont les grandes villes qui le fournissent.

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Mais cette fonction des villes dépasse le rôle traditionnel de place d’échanges. On a assisté à l’émergence d’une nouvelle architecture de la planète, qui se divise moins entre pays, dont les frontières sont devenues poreuses et les pouvoirs limités, qu’en régions urbaines où se concentrent ces activités liées à la mondialisation. Les échanges mondiaux, au lieu de se faire entre pays, se font entre zones urbaines qui, parfois, sont à cheval sur les frontières des pays ou des États et provinces au sein des pays. Ces villes deviennent ainsi des points nodaux, des centres nerveux du réseau de la mondialisation, pour la circulation de l’information, les échanges, la mobilité des capitaux, les mouvements de personnes. Cette réalité nouvelle est bien décrite par le concept de Cité-État, ou de Cité-région, qui définit les grandes villes comme les véritables pôles de développement dans leurs propres pays, capables de développer leurs propres stratégies, mais intégrées à un réseau mondial. Une ville comme Barcelone est plus liée aux autres ports méditerranéens que sont Gênes et Marseille qu’à la capitale espagnole Madrid. Séoul est plus proche des grands centres asiatiques que sont Singapour et Hong-Kong que des plus petites villes de la Corée du Sud. L’accélération des échanges sous toutes leurs formes a, dans les faits, rapproché les grandes villes du monde, ces cités-État. Mais elle les met aussi en opposition. Les confrontations sont de plus en plus dures à mesure que les protections traditionnelles pour des industries locales s’affaiblissent. Les villes agissent en interaction, mais aussi en concurrence. Elles se battent entre elles pour les investissements, le talent, les marchés, la reconnaissance. C’est donc par les villes que passeront de plus en plus les stratégies économiques. Le dynamisme et l’énergie, qui feront la différence entre la médiocrité et le succès, dépendront aussi des synergies et du climat que les milieux urbains pourront créer. Ce virage considérable est bien résumé par une étude de l’OCDE, « La ville dans le village mondial : « Finalement, l’importance des villes pourrait fort bien s’accentuer au cours du siècle prochain. L’une des raisons à cela tient au fait que les villes vont se modeler en fonction d’un nouvel espace, celui d’une économie mondialisée plus ouverte et plus concurrentielle. Les réseaux interurbains qui se construisent à l’échelle mondiale leur donneront sans doute davantage d’importance. Grâce à ces réseaux, les villes auront plus d’initiatives pour exploiter les marchés mondiaux et forger de nouveaux liens économiques au-delà des frontières nationales. En fait, ces réseaux exerceront une profonde influence sur les villes, tant d’un point de vue politique qu’urbanistique, et souvent d’une manière beaucoup plus marquée qu’au niveau national ou régional. Ils se comporteront comme de véritables autoroutes où se véhiculent les connaissances et le savoir-faire qui permettent de stimuler l’innovation dans l’action publique et l’élaboration de projets. Ils serviront aussi de catalyseur pour la coopération économique. » Si le terme de « cité-État » décrit bien ce phénomène, c’est un autre terme qui s’est imposé dans les forums internationaux. Et c’est celui qu’a proposé un professeur de sociologie à l’Université de Chicago, Saskia Sassen, qui a analysé en profondeur l’évolution des villes comme relais de la mondialisation. Après avoir jonglé avec diverses appellations, « cités mondiales », ou encore « supervilles », qu’elle utilisait en français, celui qu’elle a retenu et imposé, c’est celui de « cités globales », de « global cities ». Cette réalité nouvelle a amené une évolution de la pensée économique, voulant que les villes, dans ce contexte de mondialisation, jouent un rôle encore plus stratégique qu’avant, que leur développement et leur succès est absolument essentiel pour le succès des pays dont elles sont le pôle urbain.

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Une société dont le succès et la capacité de croissance reposent de plus en plus sur le savoir, l’éducation supérieure, l’innovation, la présence d’industries de pointe, dépendra nécessairement de la vitalité de ses villes, et plus particulièrement de ses grandes villes, puisque c’est là que se concentrent les institutions de savoir, les centres de recherche, les industries performantes. C’est la concentration de ces atouts qui donne une masse critique nécessaire. Et qui permet d’améliorer la compétitivité. De nombreux spécialistes et organismes économiques mettent maintenant les villes au cœur des stratégies de développement. Le taux d’urbanisation d’une société est devenu un critère de son potentiel de succès. Des spécialistes, comme Richard Florida, sont devenus des croisés du développement urbain. L’Organisation de développement et de coopération économiques, depuis des années, analyse la performance des villes. En 2006, l’OCDE a publié une importante étude, « Villes, compétitivité et mondialisation », qui décrit le rôle central des grandes villes, dans un contexte où elles servent de points nodaux dans un monde globalisé. Au Canada, le Conference Board affirme que l’un des ingrédients majeurs pour que le Canada relève les défis du XXIème siècle et puisse ainsi connaître le succès, c’est le succès de ses villes. « La prospérité du Canada dépend du succès de ses principales villes. Les gouvernements à tous les niveaux doivent diriger des ressources vers ces grandes villes, qui ont un potentiel spécial et qui font face à des défis uniques. » On assiste, dans le monde industrialisé, à un foisonnement d’études, à la création de centres de recherches et de « think tanks » qui se penchent sur l’émergence de ces villes globales, de leur rôle stratégique, de l’importance de les soutenir et de les développer, d’identifier les facteurs de succès. L’Union européenne a créé des groupes de travail et publié un rapport sur la question, « Les villes de demain, défis, visions et perspectives. L’OCDE, depuis une décennie, se penche sur la question avec ses examens territoriaux et a publié de nombreuses études sur la question. Les centres de réflexion se multiplient : A.T Kearney et le Chicago Council on Global Affairs, le Globalization and World Cities Research Network britannique, le Global Cities Eesearch Institute australien, le Martin Prosperity Institute du Rothmans School of Management de l’Université de Toronto, le Economist Intelligence Unit, associé au prestigieux hebdomadaire britannique. Le Conference Board du Canada en a fait un des axes prioritaires de sa recherche, avec ses rapports « Villes-aimants ».

Le Canada n’atteindra pas le niveau de prospérité qu’il souhaite s’il ne dynamise pas ses grandes villes, s’il ne s’occupe pas de ses villes. Et c’est tout aussi vrai pour le Québec. Si le Québec n’investit pas dans ses villes, il ne réussira pas à créer de la richesse autant qu’il le devrait, et il ne comblera pas ses retards historiques. Mais c’est une préoccupation qui ne semble pas se manifester au niveau des gouvernements du Québec et du Canada. 1.5. Les attributs des villes performantes Qu’est-ce qui, en fait, caractérise ces villes globales, ces cités-États, et quels sont les facteurs qui permettraient de les renforcer? Si ces villes jouent un rôle majeur, quelle est la clé de leur succès? Il est clair que les déterminants généraux du succès économique et de la création de richesse s’appliquent aux villes globales. Elles sont toutes tributaires des politiques macroéconomiques et du climat économique des pays où elles se trouvent. Et donc, la base du succès repose, dans

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leur cas aussi, sur les interventions qui favoriseront la production et l’élévation du niveau de vie, qui passent, dans les sociétés avancées, par une forte productivité. Le succès des villes tient à leur capacité, et à celles de leur pays, de favoriser l’investissement, de stimuler l’innovation, d’investir dans l’éducation. Il tient aussi au cadre fiscal, à l’environnement réglementaire, à la prévalence de la démocratie et de la société de droit. Mais une ville n’est pas un pays. C’est une entité particulière qui a des besoins particuliers étant donnée la nature de son économie, les défis qu’elle doit relever. C’est entre autres une entité plus homogène qu’un pays, concentrée en termes de densité, qui peut être sujet à des états d’âme et dont le succès repose aussi sur les perceptions. La création de richesse dépend beaucoup de la vitalité que l’on retrouvera dans les villes, de leur image, de leur capacité d’attraction. Car les villes sont à la fois des creusets et des aimants. Des creusets où s’opère une certaine alchimie. Des aimants qui peuvent attirer le talent, les entreprises, les capitaux. Cette question du talent est devenue cruciale parce que les « patterns » traditionnels de l’embauche se sont inversés. Traditionnellement, c’est la main d’œuvre qui se déplace là où il y a des opportunités d’emploi. Mais avec l’économie du savoir, dans bien des cas, c’est plutôt le bassin de main-d’œuvre qualifiée qui attirera les entreprises. Une façon indirecte pour identifier les facteurs de succès est de s’inspirer des classements des villes mondiales réalisés par plusieurs centres recherche, moins pour les classements eux-mêmes, qui peuvent être affecté par la méthodologie, la subjectivité et les effets de mode, que pour comprendre les critères que ces organismes utilisent, qui traduisent une conception du développement urbain. Dans les pages qui suivent, nous allons nous référer à certains de ces classements mondiaux, en insistant moins sur les classements eux-mêmes que sur les critères retenus qui, on le verra, se recoupent. Il est clair qu’à cette échelle mondiale, Montréal reste une ville de taille et d’importance relativement modestes, qui ne peut pas rivaliser avec les grands centres urbains de la planète. À plus forte raison, Québec, une région urbaine dont la population est inférieure à un million, ne figure tout simplement pas dans plusieurs classements. Mais il faut noter que Montréal, et aussi Québec, peuvent compter sur plusieurs des attributs qui caractérisent les plus grandes villes. Malgré leur plus petite taille, les approches adoptées par les plus grands centres peuvent et doivent s’appliquer. C’est en renforçant ces attributs qu’elles pourront se développer. Cela sera évident pour Montréal, une métropole internationale, même si elle est de taille moyenne et que son niveau de richesse est très bas. Pour certains, l’application de ce raisonnement à Québec pourrait sembler moins évident. Mais il faut souligner le caractère unique de la Capitale nationale. Même si la RMR compte un peu moins de 800,000 habitants, elle affiche plusieurs caractéristiques propres à des villes de plus grande taille. Québec compte sur le siège d’un gouvernement, et est donc un centre de décision, elle est un des principaux lieux touristique du continent, et donc un lieu de convergence internationale, elle peut compter sur une image de marque forte, on y retrouve des sièges sociaux, des universités et des centre de recherche, ainsi que des services, des commerces, une infrastructure, des institutions culturelles qui normalement ne se retrouvent pas dans une agglomération de cette taille. Aux États-Unis, les zones urbaines de la taille de Québec - Birmingham Alabama (749,000), Albuquerque, Nouveau-Mexique, (741,000), McAllen, Texas, (728,000), ou Omaha, Nebraska, (725,000), ne peuvent tout simplement pas se comparer à Québec en termes d’influence, de rayonnement ou de qualité de vie.

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La mesure du succès des villes qui a, depuis une décennie, le plus d’influence est certainement l’approche développée par le géographe Richard Florida, professeur en aménagement urbain à l’Université de Columbia, à partir de son essai « The Rise of the Creative Class ». Ce fut une révolution dans la réflexion sur les villes. Selon lui, le facteur déterminant dans le succès des villes est la présence d’une classe créative. Cette classe créative est composée de ceux qui doivent penser dans l’exercice de leur fonction, métiers liés aux sciences et à la technologie, à la culture, professionnels et gestionnaires, éducation et formation, communications. Ce modèle repose sur une hypothèse, l’inversion des mouvements traditionnels de population : contrairement au modèle classique où les gens se déplacent là où il y a de l’emploi, ce seraient maintenant les entreprises qui se déplaceraient là où est le talent. La stratégie qui découle de ce postulat, pour le développement des villes, repose sur la capacité de celles-ci d’attirer et de retenir ce talent, ce qui mène à privilégier des politiques pour renforcer l’attractivité d’une ville, comme la qualité de vie, la tolérance, la culture. Les classements des villes de Richard Florida reposent ainsi sur une série d’indicateurs qui tiennent compte du poids de cette classe créative, ainsi que celui de la classe super-créative (artistes, architectes, informaticiens, etc.), des mesures du niveau d’éducation (taux de scolarité), des indicateurs de tolérance (diversité, homosexualité, indice bohémien), des mesures de la qualité des services (parcs, établissements culturels), des mesures quantitatives de succès économiques (croissance de la population, de l’emploi, revenu per capita, prix du logement). Montréal, évaluée par M. Florida, se classe assez bien. L’approche de Richard Florida ne fait pas consensus. Mais on peut noter que plusieurs éléments de son approche se retrouvent dans la plupart des analyses des atouts des villes, notamment en ce qui a trait à la qualité de la vie. Le Globalization and World Cities Research Network, GaWK, issu de l’Université Loughborough, du Royaume Uni, propose un indice des villes classées en villes « alpha », « beta », « gamma ». Londres et New York sont les seules villes « alpha + ». Hong Kong et Paris sont parmi les villes « alpha », Chicago, Milan et Toronto sont « alpha –» . Séoul, Melbourne, Barcelone et Montréal sont dans le groupe « beta+ ». Québec ne figure pas dans ce palmarès, ce qui s’explique par les critères retenus, une quantité importante d’indicateurs économiques qui tentent de déterminer les interconnexions commerciales entre les grandes villes pour établir une hiérarchie entre régions urbaines. Le Martin Prosperity Institute du Rothman School of Management de l’Université de Toronto utilise quatre catégories d’indicateurs. Catégorie talent : diplomation, dépenses en éducation, institutions d’enseignement, classe créative. Catégorie technologie : brevets, innovation, croissance de l’emploi, entrepreneuriat, politiques vertes. Catégorie tolérance : diversité, immigration, minorités visibles, intégration, présence gaie, droits. Catégorie qualité de vie : Symphonie-ballet-opéra, musées, spectacles, vie nocturne, criminalité, loisirs, voies cyclables. Dans ce classement de 61 villes, c’est Ottawa-Gatineau qui arrive au premier rang. Les autres villes qui méritent un A sont Seattle, Oslo, Washington, Amsterdam, Tel Aviv, Copenhague et Londres. Montréal, au 11e rang, et Québec, au 15 e rang, font partie du groupe des villes qui décrochent un A-, avec entre autres, New York, San Francisco, Paris. Dans le AT Kearney Global City Index, Montréal est au 30e rang sur 60. New York, en tête, obtient une note de 6,35. Toronto est au 16e rang avec 2,92, Montréal est au 30e, avec 2,32.

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Cet indice classe les zones métropolitaines à partir de 25 indicateurs dans cinq catégories, moins inspirées par Richard Florida. Catégorie activité économique : sièges sociaux, entreprises de services de haut niveau, marché des capitaux, nombre de conférences internationales, volume des ports et aéroports. Capital humain : capacité d’attirer le talent avec taille de la population immigrée, qualité des universités, nombre d’écoles internationales, étudiants étrangers, diplomation universitaire. Catégorie circulation de l’information : chaînes télé, présence internet, nombre de bureaux de presse internationaux. Catégorie expérience culturelle : événements sportifs, musées, salles de spectacles, restaurants, voyageurs internationaux. Catégorie poids politique : ambassades ou consulats, think tanks, organisations internationales, conférences politiques. L’étude du Economist Intelligent Unit, classait, en 2012, Montréal au 28e rang sur 120 villes. L’étude produite par BMO Groupe financier et le Boston Consulting Group, « Créer un nouvel élan à Montréal », notait que la métropole obtenait une bonne note dans six des huit catégories avec lesquelles le EIU mesure la compétitivité globale. « Montréal fait ainsi très bonne figure au regard de son capital physique, c’est-à-dire ses infrastructures (aussi étonnant que cela puisse paraître!), la présence de leviers financiers, son efficacité institutionnelle, sa vitalité sociale et culturelle, son capital humain, représenté par l’abondance de ses collèges et universités, et le fait qu’elle soit peu exposée à des désastres naturels ou à des catastrophes environnementales. Mais notre métropole accuse par contre une ‘puissance économique faible’, c'est-à-dire qu’elle sous-performe sur le plan économique et souffre d’un ‘attrait mondial limité » révélé notamment par une desserte aérienne réduite et une faible attractivité auprès des grands groupes internationaux. » Le Conference Board du Canada a publié deux rapports sur le rôle des villes au Canada. Le second, Cité-Aimants II, classe 50 villes canadiennes en fonction de leur capacité d’attraction pour des travailleurs spécialisés et une population mobile, « Parce que les villes incapables d’agir comme aimants et d’attirer de nouvelles personnes auront du mal à rester prospères dans les décennies qui viennent ». Attirer des travailleurs qualifiés et créatifs est crucial à la compétitivité de la nation et des villes. Mais l’étude estime que même si les migrants universitaires utilisent d’autres critères que les autres quand il s’agit de décider où vivre, une ville attirante pour les diplômés universitaires le sera aussi pour les autres. Les leaders de ce classement sont : Calgary, Waterloo, Ottawa, Vancouver, St. John’s, et Richmond Hill. Québec est au 19e rang, avec un B, et Montréal au 35e, avec un C. La catégorie « société » regroupe 14 indicateurs, liés à l’accessibilité (modes de transport, densité de la population, accès à la culture), à la diversité (population immigrante, diversité et âge de la population, multilinguisme), à la cohésion sociale (intégration des immigrants, égalité des sexes, pauvreté, criminalité), à la créativité (emplois culturels). La catégorie santé comporte quatre indicateurs : nombre de lits, nombre de généralistes, de spécialistes, proportion de la population travaillant en santé. La catégorie économie : hausse du PIB, hausse de l’emploi, taux de chômage, revenu disponible per capita, employés liés au savoir. Environnement : température moyenne, utilisation de l’eau, qualité de l’air, distance automobile du travail. Éducation : proportion de détenteurs d’un bsc, diplômes supérieurs, nombre d’enseignants. Innovation : emplois dans les sciences, emplois haute technologie, diplômés en génie-mathématiques-informatique, productivité. Enfin, logement : pourcentage du revenu consacré au loyer ou à l’hypothèque.

Les six types de classement se retrouvent en annexe à la fin du document.

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2. DES LEVIERS POUR LES GRANDES VILLES Cette revue de plusieurs classements de villes peut aider à mieux définir les axes de développement et les types d’intervention qui permettent à une ville globale de se distinguer. Le terme qui peut le mieux servir de dénominateur commun à la plupart des indicateurs associés au succès est sans doute celui d’aimant : le pouvoir d’attraction d’une ville, sa capacité d’attirer des entreprises, des capitaux, des activités, des individus, surtout ceux qui, par leurs spécialisation et leur talent, peuvent soutenir l’économie du savoir. Et les ingrédients qui confèrent à une ville globale cette capacité d’attraction sont son dynamisme économique, mesuré par la croissance, le niveau de vie, les attributs associés au savoir, un bassin de main-d’œuvre spécialisée, mesuré par la diplomation, la classe créative, ainsi que la qualité de vie. Ce très large éventail des interventions incontournables démontre qu’il est absolument impossible pour une administration municipale de s’acquitter de ses fonctions sans déborder largement de ses responsabilités traditionnelles. Il y a un décalage croissant entre la réalité concrète des villes et le cadre dans lequel elles doivent évoluer. Les villes doivent s’occuper de plus en plus de dossiers qui, en principe, ne sont pas de leurs champs de compétence. Cela pose des questions sur la place des villes, mais aussi sur le leadership municipal. Les villes ne sont plus comme avant, et cela n’est pas reflété dans la façon dont le partage des responsabilités se fait entre les trois ordres de gouvernement. Dans les pages qui suivent, ces champs d’interventions qui permettent à une ville de se distinguer en tant que ville globale sont regroupés non pas selon les regroupements traditionnels, par exemple, économie, urbanisme, etc., mais en fonction de la nature du partage de juridictions entre les municipalités et les gouvernements supérieurs. 2.1 Soutenir les responsabilités municipales traditionnelles Plusieurs axes d’interventions nécessaires pour permettre à une ville de s’imposer comme cité-État correspondent aux responsabilités traditionnelles des villes. Exprimé autrement, cela signifie que, lorsqu’une ville s’acquitte consciencieusement de ses obligations de base, elle contribue déjà à son essor. À contrario, délaisser ou négliger ces fonctions traditionnelles aurait des effets négatifs.

Les services municipaux traditionnels de base: salubrité, voirie, déneigement, gestion des déchets.

Les services municipaux associés à la qualité de la vie : loisirs, parcs, bibliothèques.

Les fonctions de cohésion sociale, activités communautaires, vie de quartier, logement.

Les fonctions de planification : permis, zonage, aménagement, urbanisme.

Le développement et la promotion économiques : parcs industriels, représentation internationale, bureaux touristiques démarchage.

Le leadership municipal, initiatives pour créer une cohésion, susciter la fierté, renforcer l’image de la ville, lancer des projets porteurs. L’exemple de Jean Drapeau à Montréal avec l’Expo et les Jeux Olympiques nous rappelle que ce rôle n’est pas nouveau. À Québec, c’est une tradition. Quatre maires successifs se sont imposés par leurs grands projets : Gilles Lamontagne, Jean Pelletier, Jean Paul L’Allier et maintenant Régis Labeaume.

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Mais il est clair que ce cadre est trop restreint. La conception traditionnelle de la fonction municipale, comme celle que professait Mme Andrée Boucher à Québec - déneigement, loisirs, voirie et déchets- ne correspond plus aux besoins et obligations des municipalités. Son refus de s’impliquer dans un débat sur l’aéroport de Québec, parce qu’il s’agissait d’un domaine de juridiction fédérale, exprimait un point de vue incompatible avec le développement d’une cité-État. 2.2 Élargir le cadre des responsabilités traditionnelles La façon dont ces champs d’action traditionnels sont pris en charge a cependant évolué à travers le temps, un processus de transformation qui s’est accéléré dans le cadre du développement des cités globales. La mondialisation économique et l’intensification de la concurrence entre elles provoquent de profondes mutations dans la gouvernance des villes, que l’on pourrait définir comme le passage d’une culture de gestion vers une culture plus entrepreneuriale, reposant sur l’innovation et la concurrence.

Les interventions liées à la qualité de vie, par exemple, dépassent le cadre traditionnel des services de proximité pour devenir des sources d’attractivité, parfois pour une clientèle qui ne fait pas encore partie du bassin de ses citoyens.

On a assisté à une tendance des villes, dans ce contexte de concurrence, à soutenir des activités évènementielles, festivals, congrès, grands rassemblements, qui ont une fonction de loisir, mais qui ont aussi pour but de faire la promotion de la ville et de contribuer à son « branding ».

Les interventions liées aux loisirs et à la culture s’élargissent pour forcer les villes à développer une véritable politique culturelle, parfois plus structurante pour la ville que celles des gouvernements supérieurs. Il ne s’agit pas seulement de s’assurer de la présence d’une offre culturelle, de soutenir des festivals, mais d’attirer des créateurs, de devenir un foyer de création.

Les questions liés à l’aménagement du territoire dépassent le zonage pour devenir l’expression d’une vision de la ville une conception de l’aménagement une vision de la ville.

Le développement économique dépasse la sollicitation et le démarchage, la promotion et le soutien aux projets, pour se transformer en véritable stratégie de développement, par exemple les grappes industrielles du maire Gérald Tremblay. Québec est un bel exemple de ville dont le succès s’explique en partie par la clarté de sa stratégie, la compréhension partagée de miser sur la fonction gouvernementale, le tourisme et le savoir. Ce rôle de stratège est nouveau.

2.3 Optimiser les interventions des gouvernements supérieurs Plusieurs facteurs importants pour le succès des villes relèvent cependant clairement des niveaux de gouvernement supérieurs.

C’est par exemple le cas des grands déterminants de la création de la richesse, la fiscalité, les lois du travail, les normes environnementales, les politiques de développement économique qui ont une influence sur les investissements et la productivité. Le fait que Montréal et Québec aient un niveau de vie très bas à l’échelle nord-américaine tient en grande partie aux retards de l’ensemble du Québec à cet

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égard et à l’inadéquation des politiques nationales. Dans la plupart des classements, Montréal et Québec perdent des points en raison de leur faible performance économique. Des facteurs importants sur lesquels les pouvoirs municipaux ont peu de prise sinon celui de faire des représentations.

En plus de leur impact macroéconomique global, ces politiques nationales peuvent avoir un impact spécifique sur les grandes villes, soit parce que ces politiques ne tiennent pas compte des spécificités urbaines, soit parce que les villes sont plus vulnérables à leurs conséquences. Cela est sans doute plus marqué au Québec où, souvent les gouvernements privilégient des politiques qui, en principe, doivent s’appliquer plus ou moins uniformément à toutes les régions.

Par exemple, les politiques économiques globales, comme la fiscalité ou la réglementation peuvent avoir des impacts plus marqués dans les grandes villes, parce que c’est là qu’on trouve les entreprises qui peuvent choisir d’aller ailleurs et les personnes plus mobiles qui peuvent quitter le Québec ou refuser de s’y établir si les conditions ne sont pas favorables.

Certaines infrastructures relevant des gouvernements supérieurs jouent un rôle vital pour le succès des villes. Les aéroports, dont le succès repose sur des politiques fédérales, ou les installations portuaires, de juridiction fédérale, dont la gestion peut ne pas être optimale si le degré de concertation n’est pas suffisant. C’est également le cas du transport ferroviaire.

Certaines politiques ne tiennent pas compte des spécificités des grands centres urbains, que les gouvernements supérieurs ne maîtrisent pas toujours pleinement. Cela est sans doute davantage le cas pour Montréal que pour Québec, en raison de la composition démographique de la métropole et de son absence de proximité avec le gouvernement provincial. On pense aux politiques linguistiques qui, indépendamment de leur pertinence, n’ont d’impact économique négatif que pour Montréal. Ou récemment, à la réaction du milieu montréalais à une politique nationale, la Charte des valeurs. Ou encore, au débat sur les frais de scolarité et sa conséquence, le quasi-gel des droits, qui affectera davantage Montréal et Québec où se trouvent les grandes universités de recherche qui souffrent le plus du sous-financement.

Il n’existe aucun mécanisme formel pour tenir compte des spécificités et des besoins des grandes villes dans les politiques québécoise et canadienne, sinon à travers des efforts de représentation et l’établissement de rapport de forces. Ce déséquilibre est renforcé par l’affaiblissement des gouvernements traditionnels. Partout, les gouvernements disposent de moins de moyens financiers. Ils ont également moins de pouvoirs, parce que l’interventionnisme est moins prisé, mais aussi parce que les règles du commerce mondial réduisent leur capacité d’agir. En outre, les gouvernements supérieurs ont souvent du mal à prendre fait et cause pour une ville au détriment d’une autre, ou pour favoriser les villes au détriment des réalités régionales. 2.4 Les responsabilités mal partagées Dans plusieurs secteurs, vitaux pour l’avenir des villes, les administrations municipales et les gouvernements supérieurs, surtout provincial, interviennent dans des domaines où ils ont tous deux des compétences, sans que les règles de partage des ressources et des responsabilités soient claires. Cela est plus visible dans les secteurs où les investissements des gouvernements supérieurs sont importants.

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Ce qui caractérise les tensions, dans ces dossiers, c’est le sous-financement chronique, ainsi que l’imprévisibilité du financement, qui tiennent moins à une indifférence des gouvernements supérieurs, qu’à leur crise financière permanente.

Les infrastructures de transport. La fluidité des transports, et son opposé, la congestion, celui des marchandises et celui des personnes, jouent un rôle important pour le fonctionnement économique d’une ville et sa qualité de vie. Cette responsabilité est partagée. En gros, le réseau de voirie urbain est de ressort municipal et les autoroutes sont de responsabilité provinciale. Si le gouvernement provincial intervient dans le financement et l’entretien d’axes routiers sur le territoire des grandes villes, c’est parce le transport des personnes et des marchandises sur ces axes de circulation sert l’ensemble de la population québécoise, de la même façon que les petites municipalités n’ont pas à financer les portions des autoroutes, par exemple la 20 ou la 40, qui passent sur leur territoire.

Le problème est que ces axes autoroutiers sont imbriqués dans le tissu urbain et peuvent avoir un impact important pour le développement et le fonctionnement d’une ville, des impacts qui dépassent le champ de compétence et d’analyse d’un ministère des Transports. Pour reprendre les termes d’un débat connu, celui du déséquilibre fiscal Ottawa-Québec, les besoins sont dans les grandes villes, la connaissance des dossiers aussi, mais l’argent et le pouvoir de décision sont à Québec. Les exemples sont nombreux où la prise en compte des besoins et du know-how municipal a été inadéquate. L’échangeur Turcot à Montréal, et plus récemment, le dossier de la transformation de l’autoroute Henri IV à Québec. Ou encore, le remplacement du Pont Champlain à Montréal, dont la nature et le financement sont discutés entre Ottawa et Québec sans que les municipalités qui seront affectées soient des parties prenantes. On note des incongruités anecdotiques, mais révélatrices, comme le fait que c’est le ministre des Transports du Québec, Sylvain Gaudreault, qui ait annoncé la fermeture temporaire de voies sur le pont Champlain, ou le gouvernement fédéral qui décide l’hiver de la fermeture de la Côte Gilmour à Québec. Plus récemment, la réponse du ministère des Transports à une priorité du maire Coderre, celle de couvrir une partie de l’autoroute Ville-Marie, a été révélatrice, « ce n’est pas dans les cartons du ministère », qui rappelle où est le centre de décision.

Le transport en commun joue lui aussi un rôle essentiel dans le développement des grandes villes, pour la qualité de vie des travailleurs, la congestion, la pollution, et l’image verte. C’est de responsabilité municipale. Mais les bénéfices du transport en commun dépassent les frontières de la zone urbaine, et surtout, la nature de la fiscalité municipale ne permet pas son financement de façon adéquate. Pour ces raisons, et pour introduire une équité entre le financement des routes et celui du transport en commun, une participation des niveaux de gouvernements supérieurs se justifie. Et celle-ci est insuffisante pour les besoins criants des grandes villes.

Un problème financier qui peut se doubler de problèmes politiques. Par exemple, dans la région montréalaise, où les transports en commun régionaux sont gérés par un organisme provincial, l’Agence métropolitaine des transports, dont la présence vient brouiller les cartes.

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Les grands travaux peuvent avoir un effet très structurant sur les grandes villes, par exemple des parcs, des musées, des centres hospitaliers, pour la qualité de vie, l’image, l’activité économique. Et même si cet impact peut être déterminant pour les villes, il est fréquent que les villes participent peu à leur planification si le financement provient des niveaux supérieurs de gouvernement, même si ce sont ces villes qui détiennent le know-how nécessaire. C’est par exemple le cas pour la façon dont ont été planifiés les grands travaux hospitaliers, le choix encore contesté de la localisation du CHUM à Montréal, ou plus récemment, à Québec, le sort de l’Hôtel-Dieu, qui semble être décidé par le gouvernement du Québec, même si le sort de cette institution est vital pour la vie de la capitale.

2.5 Assumer des responsabilités élargies Si les villes sont des aimants et des creusets, elles sont aussi des entonnoirs, des lieux de convergence des principales problématiques qui confrontent nos sociétés et dont la résolution est essentielle pour assurer qualité de vie, harmonie et attraction. Les villes ont des avantages comparatifs dans le domaine économique, et leur croissance a des effets bénéfiques qui débordent sur l’ensemble du territoire. Mais il y a un effet contraire, cette croissance engendre des externalités qui comportent des coûts et des inconvénients. Il y a un prix à payer pour le succès : criminalité, congestion, pollution, prix croissants du logement, pressions sur les infrastructures. Dans bien des cas, les grandes villes deviennent les terminus des problèmes de l’ensemble de la société. Et cela vient avec des tâches et des responsabilités additionnelles. Selon l’OCDE, la relation entre le revenu et la taille de la population est négative pour les régions métropolitaines de plus de six millions d’habitants. Au Québec, nous n’en sommes heureusement pas là. Mais les défis sont là. Les villes doivent s’impliquer dans des dossiers qui ne sont pas nécessairement de leur compétence, mais qu’elles ne peuvent absolument pas délaisser si elles veulent assurer leur développement harmonieux. C’est le cas de l’immigration, de la culture, de l’ordre public et des questions liées à la violence et l’insécurité, des politiques sociales et des luttes contre les inégalités, la culture, l’environnement, et, à la limite, de l’éducation et de la santé. Nous en parlerons plus en détail dans la section consacrée au partage des pouvoirs.

3. UN CADRE STRATÉGIQUE POUR UN NOUVEAU PACTE Cette revue des obligations des villes illustre de façon très claire l’existence d’un déséquilibre important entre les pouvoirs des villes, leurs moyens, et les tâches auxquelles elles sont confrontées. Elle illustre par conséquent l’importance de modifier de façon significative le cadre de gouvernance dans lequel elles évoluent, ce que nous appellerons un nouveau pacte entre le gouvernement du Québec, ses grandes villes et éventuellement le monde municipal. Mais pour changer les choses, il faudra remettre en cause des traditions bien ancrées et affronter de profondes résistances.

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Il faut cependant être bien clair. La démarche proposée dans les pages qui suivent ne mène pas à l’établissement de ce qu’on appelle souvent une « liste d’épicerie » dans le cadre d’une campagne électorale. Dans ce document, les grandes villes ne déposent pas leurs demandes, elles proposent plutôt un projet de réforme majeur de la gouvernance municipale, et posent les premiers jalons d’un nouveau cadre de fonctionnement pour Montréal et Québec et d’une nouvelle façon d’établir leurs relations avec le gouvernement du Québec. 3.1 D’abord, vaincre les résistances Au niveau québécois, tout comme au niveau canadien, cette nouvelle vision des villes ne suscite pas une grande écoute, contrairement à ce que l’on peut observer, par exemple, dans l’Union européenne, qui semble plus sensible au rôle stratégique de ses grandes villes. Voici, par exemple, ce qu’écrivait, en 2011, Johannes Hahn, Membre de la Commission européenne responsable de la politique régionale, dans la préface d’un rapport intitulé « Les villes de demain, défis, visions et perspectives ». « Nous devons mieux comprendre les défis auxquels seront confrontées, dans leur diversité, les villes européennes dans les années à venir. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de réunir des experts urbains et représentants de villes européennes afin que nous réfléchissions à l’avenir. Ce rapport est le résultat de cette réflexion. Il a pour but de provoquer une prise de conscience des incidences éventuelles de certaines tendances, telles que le déclin démographique et la polarisation sociale, ainsi que la vulnérabilité de différents types de villes. Il souligne également les possibilités ainsi que le rôle essentiel que peuvent jouer les villes pour la réalisation des objectifs de l’Union européenne, en particulier la mise en œuvre de la stratégie Europe 2020. Il présente des modèles et des visions prospectives. Enfin, il confirme l’importance d’une approche intégrée du développement urbain. Le processus de réflexion sur les «villes de demain» constitue une source d’inspiration pour les décideurs et les professionnels impliqués dans le développement urbain, que ce soit au niveau local, régional, national ou européen. La réflexion sur l'avenir et le développement de visions des villes de demain revêtent une importance croissante à tous les niveaux. Le développement de nos villes déterminera l’avenir de l’Europe. » C’est ce genre de préoccupation et de détermination qu’il serait souhaitable de retrouver au Québec.

Le cadre dans lequel évoluent les villes remonte à Constitution canadienne, datant de 1867, qui repose sur un partage entre deux ordres de gouvernements, le fédéral et le provincial. Dans un tel cadre, les villes n’ont pas d’existence propre, ne constituent pas un troisième niveau de gouvernement. Elles sont plutôt une émanation du gouvernement provincial, ce que l’on a décrit comme des créatures du gouvernement provincial. Le cadre dans lequel évoluent les villes a été défini à une époque où le rôle des pouvoirs publics était radicalement différent et où la population était majoritairement rurale. Le pourcentage de la population urbaine atteint maintenant 81 %, dont 69,7 % dans les grandes agglomérations, les régions métropolitaines de recensement. Par ailleurs, ce cadre est à contre-courant des grandes tendances dans la dispensation des services publics voulant que le gouvernement le mieux à même de fournir les services est celui qui est le plus proche des commettants. Ce problème dépasse largement le statut juridique des villes. Les villes ne sont pas au cœur de préoccupations du gouvernement fédéral, de la plupart des gouvernements provinciaux, des partis politiques fédéraux ou de ceux du Québec. Elles ne constituent pas une priorité, elles n’ont pas droit au niveau de ressources souhaitable.

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Peu de gouvernements ont été prêts à axer leur stratégie économique sur le développement des villes. Ce fut brièvement le cas du gouvernement libéral dirigé par Paul Martin à Ottawa, qui a voulu miser sur le développement des grandes villes, était prêt à leur accorder des sources de revenus et d’en faire des partenaires à part entière. Mais il a rapidement dilué sa stratégie en faveur de l’ensemble des municipalités, grandes et petites. On a assisté au même phénomène au Québec, où le parti-pris du gouvernement Bouchard pour Montréal a aussi été de courte durée, quand il a lancé des politiques régionales qui, en bout de ligne, niaient ce pari pour la métropole. Québec s’en est mieux tirée dans les dernières années, mais moins en raison de sa nature de grande ville, mais grâce à son statut de capitale. Cette absence de choix pour les villes s’explique en grande partie par des raisons liées à la politique. Nos structures électorales donnent aux régions non-urbaines un poids politique supérieur à leur poids réel tandis que les villes sont sous-pondérées. En outre, les gains politiques qui assurent les victoires électorales se font davantage en région. Dans le cas de Montréal, l’électorat est figé, entre autres sur des bases linguistiques, et le potentiel d’une bascule des circonscriptions électorales d’un parti à l’autre est limité, ce qui rend les efforts pour séduire la métropole peu rentables en termes électoraux. La dynamique n’est pas de même nature à Québec, dont la population peut changer d’allégeance, ce qui encourage les efforts de séduction des partis politiques fédéraux ou provinciaux. Cela explique en partie le succès relatif de la ville de Québec dans ses représentations. Les nouvelles stratégies politiques, enfin, reposent moins sur les grandes politiques globales que sur des interventions très ciblées pour remporter les circonscriptions une à une. Cela favorise les régions d’abord parce que l’appui aux villes n’est pas populaire auprès des tranches de l’électorat que l’on veut séduire, ensuite parce qu’une promesse bien ciblée en région peut être récompensée en termes électoraux. Ce contexte politique ne se traduit pas uniquement en comportements électoraux. On sent une réticence des gouvernements à donner l’impression de privilégier ou même de s’occuper des grandes villes. Cela s’explique par la méfiance du monde rural à l’égard des grandes villes, et aussi par les problèmes réels que connaissent plusieurs régions. Le discours politique, tant libéral que péquiste ou caquiste, part du principe que les villes sont prospères et que les problèmes sont ailleurs. Cette réticence, on la retrouve dans les stratégies de développement, souvent régionalistes, dans la façon de diluer les politiques urbaines pour traiter de façon similaire les grandes villes et les villes de taille moyenne. On peut la mesurer de multiples façons. Par exemple, par le fait que les villes, et à plus forte raison les grandes, n’ont pas droit à leur propre ministère et relèvent plutôt du MAMROT, le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire. Les deux premiers grands dossiers que ce ministère met de l’avant, sur son site Internet, sont la Politique nationale de la ruralité et l’Occupation et la vitalité des territoires. Cette réticence se retrouve dans de nombreux discours. Le document de consultation pré-budgétaire libéral en 2007, « Des régions plus prospères », ne consacrait que trois pages sur 44 aux deux grandes villes. Le gouvernement Marois, dans sa stratégie nationale de mobilité, consacre 25 pages au milieu urbain, et 25 au milieu rural, quand, de toute évidence, le transport en commun est essentiellement urbain. Ou encore, dans le dernier budget fédéral de février, on décrit le pont Champlain comme « un nouveau pont pour le Saint-Laurent », sans doute pour éviter de citer Montréal.

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3.2 Une approche stratégique : un développement bipolaire Comment briser cette logique régionaliste qui nuit à Montréal et à Québec, et par voie de conséquence, à l’ensemble du Québec? En principe, Montréal pourrait lancer une bataille, comme l’a réussi Toronto, comme l’ont fait d’autres villes dans d’autres provinces. C’est par exemple ce que tente de faire Jacques Ménard, président pour le Québec de la BMO Groupe financier, qui a produit une étude avec le Boston Consulting Groupe sur les retards de la métropole, intitulée « Créer un nouvel élan à Montréal ». Si une telle initiative peut mobiliser le milieu montréalais, elle ne réussira pas à briser la logique régionaliste qui prévaut au Québec. En apparence, il peut sembler normal que ce soit la métropole qui aille au front pour revendiquer un statut de grande ville. C’est la candidate logique pour profiter de ce changement, en raison de sa taille et de sa fonction économique. Mais cette stratégie est vouée à l’échec au Québec. On a pu observer, au fil des décennies, à quel point il est difficile pour un gouvernement fédéral de sembler favoriser le Québec, de le traiter différemment des autres provinces. On assiste, pour de toutes autres raisons, au même phénomène dans le cas de Montréal. Les réticences sont fortes à l’idée de lui donner un quelconque statut, en raison de la méfiance d’une grande partie de la population québécoise à l’égard de sa métropole. Elle tient en partie aux relations difficiles des régions avec leurs grandes villes, un comportement que l’on observe dans d’autres provinces et dans d’autres pays, mais qui se double ici du fait que Montréal est très différente du reste du Québec, qu’elle revêt un caractère étranger, en raison de sa composition linguistique et de sa diversité ethnique. Voilà pourquoi le modèle qui permettrait le mieux de faire avancer le dossier des grandes villes, c’est une stratégie que l’on peut qualifier de bipolaire, qui repose sur le développement de ses deux principaux centres urbains, Montréal, sa métropole, et Québec, sa capitale. Cette stratégie repose sur des considérations politiques, mais aussi sur des réalités sociales et économiques. Au Québec, il y a une seule grande ville qui est une métropole, qui a les attributs et la vocation internationale propre à une très grande ville de taille mondiale. Et c’est Montréal. Et qui, à ce titre, en toute logique, a des besoins particuliers qui la mettent dans une classe à part. Mais le Québec a la chance de compter sur une deuxième grande ville, Québec, plus modeste en taille, qui n’est pas une métropole, mais qui peut compter sur de nombreux attributs lui permettant de jouer le rôle d’une ville capable de tirer son épingle du jeu dans la concurrence internationale. Québec joue en outre un rôle de centre pour toute une portion importante du territoire du Québec. Et Québec contribue de façon significative à la création de richesse. La ville de Québec joue un rôle économique assez important, et surtout, a un potentiel assez prometteur pour que le Québec développe une stratégie bipolaire et fasse reposer son développement sur ses deux centres urbains, en jouant sur la concurrence et la complémentarité. Au plan strictement politique, l’expérience du passé et l’analyse du contexte actuel indique qu’il ne sera pas possible pour Montréal de revendiquer un autre statut pour jouer pleinement son rôle de cité-État. Les réticences de la population sont trop grandes et la volonté politique, peu importe le parti, n’est pas là. Sans oublier les scandales et la corruption qui ont entaché son image. De son côté, la ville de Québec ne peut pas espérer disposer d’outils propres aux grandes villes si Montréal, qui a quatre fois sa taille, ne peut pas les obtenir.

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Bref, dans cette bataille politique, Québec a besoin de l’appui de Montréal, en raison de sa taille et de son statut de métropole. Mais Montréal a aussi besoin de Québec, une ville qui entretient des liens étroits et harmonieux avec plusieurs régions du Québec et qui ne suscite pas la même méfiance. Des concessions ou un statut différent, qui sembleraient inacceptables si on les consent uniquement à Montréal, seraient perçus de façon beaucoup plus positive si on les accorde aussi à Québec. Bref, Québec a besoin du poids économique et démographique de Montréal, et Montréal a besoin de l’influence et de l’acceptabilité sociale de Québec. Une stratégie gagnant-gagnant, d’autant plus, qu’en joignant leurs forces, les deux villes, qui représentent une part importante de la population québécoise, donnent une légitimité accrue à leur cause. Mais il n’y a pas que le calcul politique. L’idée de miser sur ses deux grandes villes représente pour le Québec un modèle de développement plus prometteur, parce qu’une stratégie bipolaire est plus équilibrée, qu’elle permet de mieux intégrer le monde urbain et le monde régional et de réduire la coupure villes-campagnes. Il y a en outre une complémentarité réelle entre les deux villes, qui ont plusieurs attributs communs, vie universitaire, industries du savoir. Ce sont aussi les deux grands centres touristiques du Québec. Et n’oublions pas leur proximité géographique, les deux grands carrefours d’un corridor extrêmement achalandé. L’alliance entre les deux centres urbains est souhaitable. Elle est dans l’intérêt des deux villes. Québec profite, en s’associant à Montréal, d’une reconnaissance à laquelle un centre urbain de 750 000 personnes n’aurait pas accès en temps normal. Montréal, de son côté, avec une alliance, pourrait faire accepter par l’ensemble de la province des égards qui n’auraient jamais été acceptés si elle était la seule à les réclamer.

4. LES PILIERS D’UN NOUVEAU PACTE Un nouveau pacte entre le gouvernement du Québec et ses deux grandes villes est absolument nécessaire, pour le développement de Montréal et de Québec, mais aussi pour que le Québec dans son ensemble retrouve la voie de la création de richesse. Ce nouveau pacte pourrait reposer sur cinq piliers. 4.1 La reconnaissance Le premier axe d’intervention pourra sembler symbolique. Et c’est celui de la reconnaissance. Il y a un préalable à un débat sur le partage des pouvoirs et sur le partage des ressources, et c’est l’acceptation d’un principe : que le gouvernement, et que les partis politiques, reconnaissent formellement le rôle unique de leurs deux grandes villes, pour briser le régionalisme, et créer les bases qui serviront de guide dans l’action par la suite. Cette reconnaissance est le fondement d’un nouveau pacte, sans lequel rien ne sera possible.

Cette reconnaissance ne se retrouve ni dans les programmes politiques des partis, ni dans les énoncés des gouvernements. Elle existe ailleurs, notamment chez nos voisins ontariens, où l’obtention du pouvoir habilitant dont rêvait Montréal a pris une forme toute différente dans le cas de Toronto. La ville-reine a obtenu beaucoup plus qu’une certaine liberté fiscale.

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La loi 53, en 2006, qui a défini le nouveau statut de Toronto n'a pas été écrite en vase clos par des fonctionnaires provinciaux revanchards. Elle est le fruit de deux ans de travail entre la ville et le gouvernement pour moderniser en profondeur les statuts de la ville pour refléter son importance et ses besoins (voir les détails en annexe). Son préambule comportait des principes dont le Québec devrait s’inspirer.

« L’Assemblée reconnait que la cité de Toronto, en tant que capitale de la province, est un moteur économique de l’Ontario et du Canada. Elle reconnait que la cité joue un rôle important dans la création et le maintien de la prospérité économique et de la haute qualité de vie de la population de l’Ontario.

« L’Assemblée reconnait que la réussite de la cité exige la participation active des divers paliers de gouvernement qui travaillent en commun dans le cadre d’un partenariat fondé sur le respect, la consultation et la collaboration.

« L’Assemblée reconnait en outre l’importance de fournir à la cité un cadre législatif au sein duquel elle pourra bâtir une ville forte, dynamique et durable qui est en mesure de prospérer dans l’économie mondiale. L’Assemblée reconnait par ailleurs que la cité est une administration qui est en mesure d’exercer ses pouvoirs en pratiquant une saine gestion assortie de l’obligation de rendre compte.

L’Assemblée reconnait enfin qu’il est dans l’intérêt de la province que la cité se voit conférer ces pouvoirs. »

Ni Montréal, ni Québec n’ont eu droit à une telle forme de reconnaissance de leur différence, de leur importance, de leur rôle. Une telle reconnaissance mène au respect, à la compréhension des réalités urbaines. Mais surtout, elle est le fondement de tout l’édifice de changement. 4.2 Une nouvelle logique régionale La première utilité de cette reconnaissance formelle, c’est d’affirmer clairement que les besoins et le potentiel de nos deux grandes villes n’ont aucune commune mesure avec ceux des autres municipalités du Québec. Et donc, pour employer un terme utilisé dans d’autres domaines, faire accepter le principe d’une politique municipale à deux vitesses. Un nouveau pacte n’a en effet de sens que si on évite le mur-à-mur, si l’on ne dilue pas la problématique urbaine, comme on l’a trop fait au Québec. Les villes ne sont pas toutes pareilles, n’ont pas les mêmes problèmes ni les mêmes besoins, et ne devraient pas toutes être dans la même catégorie. Les villes qui jouent un rôle de moteur économique, les villes-régions où se concentrent le savoir, qui ont une fonction stratégique sont essentiellement les grandes villes, et à certains égards les très grandes villes, assez grandes pour constituer un pôle ou une plaque tournante. Si on essaie de traiter toutes les municipalités de la même façon, comme on a tendance à le faire au Québec, dans les faits, on nie la spécificité des grandes villes, et on applique la règle du plus petit dénominateur commun.

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En principe, le fait d’insister sur le rôle stratégique des villes devrait être la meilleure façon de modifier les perceptions, de bien poser la problématique des villes, pour démontrer qu’il y a urgence, que l’avenir du Québec en dépend, et surtout, que la recherche du succès des grandes villes ne se fait pas au détriment du reste de la province. Bien au contraire, c’est une condition sine qua non pour que le Québec dans son ensemble puisse prospérer. Par exemple, dans le domaine des ressources naturelles, l’interaction positive entre une grande ville et les régions peut être illustrée par Osisko. Une entreprise québécoise dont la mine d’or, à Malartic, en Abitibi, emploie 900 personnes. Cet investissement a profité à Montréal, grâce à la présence du siège social et de ses nombreuses retombées. Mais à l’inverse, il est important pour l’Abitibi que cette entreprise reste québécoise et que son siège social reste à Montréal pour s’assurer que le développement ultérieur de la compagnie se fera, dans les régions, à travers les sous-traitants québécois. Cela serait compromis si la compagnie était achetée et que les activités de siège social se déplaçaient à Vancouver. Le même principe s’applique à Bombardier, qui a remporté, avec la firme française Alstrom, le contrat international pour les wagons de métro de Montréal qui seront construits à La Pocatière. On peut également illustrer cette interdépendance fructueuse avec l’amphithéâtre de Québec, une infrastructure qui profitera évidemment à Québec, mais un équipement sportif et culturel qui desservira et bénéficiera à un bassin de population beaucoup plus vaste, Mauricie, Centre-du-Québec, Saguenay-Lac-Saint-Jean, Chaudière-Appalaches, Bas-Saint-Laurent, Côte-Nord. Cependant, le fait de donner un statut spécial à nos deux grandes villes ne pénalise pas les autres municipalités et ne leur enlève rien. Au contraire, cette réflexion peut débloquer le débat municipal. Les représentations de Montréal et de Québec peuvent servir de catalyseur. On peut sans doute envisager une stratégie visant de nouveaux rapports entre l’État et ses villes qui se décline à plusieurs niveaux, en fonction des besoins spécifiques propres à chaque catégorie de villes. À certains égards, les centres urbains de plus petite taille, comme Gatineau, Saguenay ou Sherbrooke, ont des problèmes communs avec les grands centres, au plan fiscal, avec leurs obligations de villes-centre. À ce titre, elles pourraient profiter d’un débat plus large sur le rôle des villes que mèneraient les deux grandes villes, même si leurs besoins sont plus limités et que certains enjeux ne les concernent pas. Enfin, l’ensemble des municipalités ont certainement des besoins fiscaux et profiteraient d’un nouveau pacte fiscal. Bref, en menant une bataille qui est spécifique aux grands centres, Québec et Montréal tout en se distinguant de l’ensemble du monde municipal, n’excluraient pas l’ensemble des municipalités et ne les pénaliseraient pas, bien au contraire. Comme Montréal joue un rôle de pôle pour les régions et les villes de l’ouest du Québec, et que Québec a la même fonction pour l’est de la province, le statut différent et les nouveaux outils qui assureraient le développement des deux grandes villes auraient un effet d’entrainement dans leurs zones d’influence et amélioreraient le sort des villes moyennes. Si le principe de la hiérarchisation des villes correspond à une conception du territoire, il y a une autre dimension du découpage territorial québécois qui a un impact sur les grandes villes, et c’est la façon dont le Québec est divisé en régions.

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Cela est plus marqué dans le cas de Montréal. La grande région métropolitaine s’étend sur cinq régions administratives différentes, l’Île de Montréal, qui est officiellement la région montréalaise, Laval, le sud des Laurentides, le sud-ouest de Lanaudière, et le nord de la Montérégie. Ce découpage fait en sorte que les banlieues immédiates de l’île de Montréal, où habitent des centaines de milliers de personnes qui travaillent quotidiennement à Montréal, vivent dans d’autres régions : Vaudreuil ou Brossard sont en Montérégie, les municipalités qui bordent l’autoroute 640, comme Lorraine, sont dans les Laurentides, tandis que Repentigny est dans Lanaudière. Ce découpage, qui ne tient pas compte de la dynamique urbaine, est une aberration géographique. Il a des impacts négatifs, parce que ces zones qui appartiennent à la fois à la métropole et à une autre région ont tendance à s’investir dans ces régions dont elles sont souvent les pôles dominants, un réflexe compréhensible pour échapper à la domination de Montréal. Mais la conséquence, c’est que ce découpage administratif provoque des mouvements excentriques et affaiblit la cohésion de l’espace métropolitain. Par exemple la ville de Laval, en tant que région à part entière, dispose de sa propre Association touristique régionale, même si, au plan touristique, rien ne la distingue de Montréal. Ou encore, les intervenants de villes de la Rive-Sud, comme Brossard ou Boucherville, lorsqu’ils participent à des instances régionales de planification des besoins de main-d’œuvre et de formation, le font dans un cadre montérégien, avec Sorel et Bromont, même si une grande partie de leur population travaille à Montréal, ce qui devrait les amener à plutôt tenir compte des besoins des employeurs de la métropole. Une logique régionaliste qui mène à une mauvaise planification. Dans la même logique, l’Université de Sherbrooke s’est installée à Longueuil, parce que cette institution, située en Estrie, a un mandat de desserte pour la région voisine de la Montérégie. On se retrouve avec une antenne de l’Université de Sherbrooke au métro Longueuil, à dix minutes de la station Berri-UQAM, où se situe l’UQAM. Une logique régionaliste qui mène à une mauvaise utilisation des ressources. Le problème est moins aigu pour la capitale nationale, parce que son territoire, au nord du fleuve Saint-Laurent, correspond assez bien à la grande zone urbaine. Mais une partie importante du territoire urbain, Lévis et les municipalités au sud du fleuve, est englobée dans la région Chaudière-Appalaches, même si leur économie et leurs mouvements de population sont inter-reliées. Le problème est d’autant plus réel que Lévis est un pôle pour le bas du fleuve ce qui développe là aussi une logique excentrique, dont l’implantation de l’UQAR à Lévis est un symbole. Cette logique régionale, on en voit aussi l’illustration à la halte routière de l’autoroute 20, juste avant l’arrivée au pont Pierre-Laporte, où l’on trouve un imposant bureau d’information touristique de la région Chaudière-Appalaches, même si la plupart des automobilistes qui utilisent cette halte se dirigent vers Québec. On ne refera certainement pas le découpage territorial du Québec. Mais on pourrait en atténuer les effets négatifs par la création d’institutions dédiées aux grandes villes et par une réorganisation de certains organismes provinciaux dont les structures, qui épousent les régions, ne tiennent pas bien compte des réalités des deux grands pôles urbains. Récemment, les maires de Québec et Lévis et les préfets de la Communauté métropolitaine de Québec (CMQ) ont fait une sortie publique pour dénoncer l’inutilité de la Conférence régionale des élus (CRÉ) sur leur territoire. En effet, on peut se demander à quoi sert une CRÉ lorsqu’on a une communauté métropolitaine où tous les programmes et les fonds de la région peuvent être concentrés.

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D’abord, il faut une redéfinition des responsabilités ministérielles, pour que les enjeux urbains ne soient pas dilués au sein du MAMROT dans les problématiques régionales et territoriales qui y semblent prioritaires. Un ministre responsable des régions peut difficilement être en même temps un ministre préoccupé par le mieux-être des grandes villes, non seulement parce qu’il peut y avoir conflit entre ces objectifs, mais surtout parce que les problèmes et les enjeux sont radicalement différents. Les gouvernements du Québec ont compensé cette anomalie en donnant à un ministre la responsabilité de la métropole et de la capitale, sans toutefois que cela se reflète dans la structure administrative. Faut-il revenir à un ministère des Affaires municipales, ou à un ministère des Affaires métropolitaines? Ensuite, il faudrait réorganiser certains ministères, quand les directions régionales, qui reposent sur le découpage administratif formel du territoire québécois, ne correspondent pas aux besoins et à la réalité. Par exemple, le ministère des Finances et de l’Économie dispose de dix bureaux régionaux, où Montréal, Laval et la Montérégie sont distincts, tout comme la Capitale nationale est distincte de Chaudière-Appalaches. Un découpage qui ne repose pas sur les réalités urbaines. Le ministère de la Santé et des Services sociaux, repose sur 18 Agences de santé qui épousent les régions, indépendamment de la taille des régions, et là encore, des réalités urbaines. Le ministère de l’Éducation, des Loisirs et du Sport fusionne, dans son organisation régionale, la Capitale nationale et Chaudière-Appalaches, il fusionne Laval avec les Laurentides et Lanaudière, peu urbanisées, au lieu de le faire avec Montréal. En tourisme, à travers les 21 Associations touristiques régionales, Laval est séparée de Montréal, Québec est séparée de Chaudière-Appalaches et de Charlevoix. Transport Québec sépare la Montérégie, mais en régions est et ouest, et coupe encore Montréal de ses banlieues. Ce sont des divisions non fonctionnelles qui reposent sur une logique bureaucratique. 4.3 L’autonomie pour les grandes villes La reconnaissance formelle du statut des deux grandes villes a un autre rôle. Elle peut mener à un nouveau partage des responsabilités, mais plus encore, accepter que, dans des dossiers majeurs, les grandes villes, leurs élus et leurs administrations soient des partenaires importants, qu’ils ont un know-how considérable et qu’ils ont les attributs de gouvernements. Il faut faire accepter le fait que, dans plusieurs dossiers, les villes sont plus que des entités juniors, des créatures des provinces, mais des joueurs à part entière, qui ont leur mot à dire, qui ont des compétences. Et qui doivent donc participer au processus de décision. Mais surtout, modifier le statut des grandes villes pour qu’elles puissent prendre librement leurs décisions dans les domaines qui sont de leur compétence. C’est le principe de l’autonomie. À bien des égards, les villes sont dans une situation de tutelle de facto, parce que, dans plusieurs dossiers qui les touchent de près, c’est le gouvernement provincial qui est le gestionnaire. Et que pour plusieurs de leurs initiatives, elles doivent obtenir l’aval du gouvernement provincial et parfois passer par une modification de leur charte. En réalité, c’est la bureaucratie provinciale qui dirige les villes.

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On pourrait avoir l’impression que ce contrôle provincial sur les affaires municipales est nécessaire, qu’il se justifie à la lumière des manquements à la gouvernance dévoilés dans certaines villes, notamment Montréal et Laval. Mais dans les faits, on doit noter que ce n’est pas le MAMROT qui a découvert l’existence de la collusion et de la corruption et qui a réussi à combattre ces fléaux. Le ministère, malgré ses outils et ses mécanismes de contrôle, n’a rien vu ou n’a pu révéler quoique ce soi. Ce sont plutôt les révélations journalistiques et ensuite, des enquêtes spéciales, qui en ont démontré l’existence. L’exemple de la création du poste d’inspecteur général à Montréal a été révélateur à cet égard. Cette initiative relativement simple a exigé la participation de quatre ministères, des mois de négociations, et un projet de loi pour modifier la charte. Dans une logique d’autonomie, la création d’un poste comme celui-ci aurait dû relever des autorités municipales. Un grand nombre de dossiers très concrets, qui sont de nature purement municipale, comme le rôle des arrondissements, les mécanismes de gouvernance, les structures de développement économique, comme la Conférence régionale des élus et les CLD, sont définis et imposés par Québec. Avec le principe du pouvoir habilitant accordé à Montréal en 2007, qui permet à une ville de taxer sans nécessiter l’aval de l’Assemblée nationale, là où il n’y a pas d’interdiction spécifique, par exemple des péages, ou une taxe sur le stationnement, le Québec a cru avoir calqué le modèle ontarien. Mais la ministre de l’époque, Mme Nathalie Normandeau, a nié le principe même de ce concept, en demandant à la ville de préciser les champs fiscaux qu’elle avait l’intention d’occuper. Elle restait dans la même logique où les villes ne peuvent agir sans l’imprimatur gouvernemental. La question de l’autonomie se pose aussi dans l’application de la charte des valeurs dans la sphère municipale. Non seulement nie-t-on le droit des villes de faire leurs propres choix dans leurs rapports avec les minorités, mais on le fait en appliquant encore une fois le principe voulant que les villes soient des créatures du gouvernement provincial. Car l’interdiction des signes religieux ostentatoires repose sur le principe de la laïcité de l’État et pour l’étendre aux villes, on définit celles-ci comme des prolongements de l’État québécois. On pourrait dire que les administrations municipales constituent un autre ordre de gouvernement qui n’est pas l’État québécois. 4.4 Un nouveau partage des responsabilités Il est nécessaire de repenser le partage des responsabilités entre les grandes villes et les gouvernements, surtout celui du Québec, pour tenir compte de trois considérations. Premièrement, l’émergence des cités-États exige une redéfinition de la mission des grandes villes, de leurs besoins, et de leurs outils. Le rôle des villes a changé radicalement et le partage formel des responsabilités ne correspond plus à la réalité et encore moins aux besoins futurs. La structure de financement n’a pas non plus suivi l’évolution des villes. Deuxièmement, le partage des responsabilités et des pouvoirs entre niveaux de gouvernement doit s’inscrire dans une réflexion sur la gouvernance. C’est la meilleure façon de mettre la table pour aborder la question des responsabilités. Quels sont les champs d’activité où le système actuel ne correspond pas aux besoins et à la réalité? Qui est le mieux placé pour exercer des responsabilités en termes de coûts, d’efficacité, de pertinence et de qualité?

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La proximité que les villes ont avec leurs citoyens, l’interactivité avec leurs partenaires, leur connaissance intime des problèmes spécifiques auxquels les agglomérations urbaines sont confrontées, sont des facteurs qui permettent de croire que certaines responsabilités qui ne sont pas formellement celles des villes seraient mieux acquittées si les grandes villes les assumaient. Le test devrait être celui de la valeur ajoutée. Troisièmement, au-delà du financement et du partage des tâches un principe doit être mis en relief, et c’est la reconnaissance des compétences des villes, et l’importance d’en faire des partenaires, plutôt que des courroies de transmission. Dans cette réflexion, on peut, jusqu’à un certain point, s’inspirer de ce qui se fait ailleurs dans le monde. Ces comparaisons ont cependant leurs limites, parce que le rôle des villes dépend aussi de la façon dont chaque pays conçoit ses services publics. Si on regarde les grandes villes françaises comme Lyon, Bordeaux ou Marseille, on constate qu’elles jouent un rôle significativement plus grand que les villes canadiennes. D’abord, elles exercent également la fonction de mandataire de l’État français pour une multitude d’activités où le citoyen doit transiger avec le gouvernement. C’est à la mairie où le citoyen se rend pour de multiples raisons, formules de passeport, inscription des enfants à l’école, état civil. Ces activités donnent aux villes une présence plus grande, ce qui reflète davantage le poids de l’État dans la société qu’une plus grande autonomie des villes. Par contre, ces villes sont clairement perçues et traitées comme le centre de leurs zones urbaines, et c’est là que s’exerce leur capacité de mieux contrôler leur destinée. On note enfin que les villes, sans gérer la santé et l’éducation, sont responsables d’un grand nombre de politiques de proximité, comme la gestion des places dans les garderies, les repas du midi à l’école, l’organisation des activités du troisième âge et la santé publique. La comparaison avec les villes américaines est encore plus difficile, parce que les modèles d’organisation varient d’un État à l’autre et aussi parce que le rôle des gouvernements, peu importe le niveau, est bien différent que celui des pouvoirs publics au Canada, Mais dans cette mosaïque, on décèle quelques tendances. Les grandes villes ne sont pas traitées comme les petites. Les métropoles, comme New York, Chicago ou Boston, ont des statuts différents et des pouvoirs plus étendus, notamment en éducation. Elles sont les responsables de la santé publique. Elles sont plus présentes dans les services de proximité. Elles s’occupent davantage de dossiers économiques, par exemple Chicago qui gère directement ses aéroports. Ailleurs au Canada, par contre, à l’exception du cas particulier de Toronto, les villes évoluent dans un système comparable à celui du Québec, prisonnières du même cadre constitutionnel et de la même indifférence gouvernementale. Cette réflexion peut s’appliquer à huit secteurs d’intervention des deux grandes villes du Québec. 4.4.1 Le développement économique L’essor des deux grandes villes du Québec est crucial pour l’ensemble du Québec. Un nouveau pacte doit à la fois leur donner les moyens pour soutenir ce développement au maximum et faire en sorte que les politiques des gouvernements supérieurs servent les villes de façon optimale. Les grandes villes jouent déjà un rôle important que le gouvernement provincial ne peut pas jouer : définir une stratégie industrielle, exercer des synergies, faire la promotion de sa ville et sa région, attirer des investissements. Cela est déjà accepté.

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Mais pour que les villes atteignent leur plein potentiel, il faut pouvoir davantage miser sur le leadership municipal, un élément majeur du succès économique qui repose sur la dynamique du milieu, l’état d’esprit, la synergie, la cohésion des partenaires pour l’atteinte d’objectifs communs, avec partenaires sociaux, chambres de commerce, entreprises, monde culturel. Et pour cela, il faut lui donner des outils. Comme maître d’œuvre du développement de la zone métropolitaine. Pour mettre sur pied des structures qui reflètent mieux la problématique du développement urbain que les mécanismes tels que la CRÉ et CLD - toutes deux créatures du gouvernement -, qui s’inscrivent davantage dans une logique de développement régional et local. À Québec, le CLD et la CRÉ ont développé leurs outils de planification en silo, sans avoir le réflexe de s’arrimer à la Stratégie de développement économique de la Ville. Pourtant, avec le levier d’une entente par laquelle Québec reçoit 7M$ par année pendant 5 ans du gouvernement provincial, les organisations œuvrant en développement économique sur le territoire devraient joindre leurs efforts à ceux de la Ville. D’autres volets du développement économique, comme la nécessité de développer l’entrepreneuriat, pourraient jouer un rôle bénéfique, mieux que le peuvent les gouvernements supérieurs. La recherche et l’innovation sont également essentielles pour des villes innovantes. Ce sont des secteurs qui relèvent des niveaux de gouvernement fédéral et provincial, mais où les grandes villes ne peuvent pas se cantonner dans l’inaction. Notamment en jouant un rôle essentiel de trait d’union et de catalyseur entre les différents joueurs, universités, centres de recherche, entreprises. Plusieurs politiques macro-économiques, et encore davantage les politiques conçues dans une optique régionale, servent mal les villes. Par exemple, le sous-financement universitaire, dont l’existence a été bien établie, pénalise davantage les grandes universités de recherche, l'Université de Montréal, McGill, Laval, et jusqu’à un certain point Sherbrooke, parce qu’elles sont financées selon les mêmes critères que les autres universités, même si leurs besoins sont plus grands en raison de leurs activités et parce qu’elles sont en situation de concurrence avec les universités canadiennes et américaines. Ou encore, une hausse d’impôt sur le revenu pour rendre le système d’imposition plus progressif affectera davantage les grandes villes, parce que c’est là qu’on trouvera une plus forte proportion de citoyens à revenus élevés, ainsi qu’une plus forte proportion de citoyens plus mobiles capables de réagir à une hausse d’impôt en déplaçant leurs activités ou en choisissant un autre lieu de résidence. Au niveau provincial, cela exige le développement de structures mieux adaptées, de coordinations ministérielles et de directions au sein des ministères pour s’adresser spécifiquement à l’enjeu du développement des grandes villes. Cela exige du financement, un nouveau partage des responsabilités où le rôle essentiel des villes est reconnu. 4.4.2 La culture et les loisirs La culture, ainsi que sur ce que l’on pourrait décrire plus largement comme les déterminants de la qualité de vie, les loisirs, la présence d’équipement sportifs, l’aménagement, les parcs, les pistes cyclables, les espaces piétonniers, sont ces éléments qui, souvent, joueront un rôle important dans l’attractivité d’une ville et sa capacité d’attirer des éléments prometteurs. En culture, la ville joue un rôle déjà important. Pour la ville, la culture est un enjeu majeur. Et l’expertise des villes n’est pas à négliger. Dans la plupart des grands événements qui structurent notre vie culturelle, les grandes villes ont une contribution majeure, par leur soutien, leur encadrement.

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Mais la majorité des fonds passe par des canaux qui échappent à la sphère municipale. Et on peut se demander si le maître d’œuvre ne devrait pas être la grande ville, qui a ses stratégies, ses objectifs spécifiques, par exemple Québec, qui, avec son créneau de la relève Première Ovation, veut devenir un centre de création capable d’attirer les jeunes. Un nouveau pacte impliquerait une dimension financière, mais aussi une participation stratégique des villes, qui sont des joueurs incontournables. 4.4.3 L’immigration La présence d’un bassin d’immigrant est un atout incontournable pour une ville globale, pour assurer un bassin de main-d’œuvre, comme reflet de sa tolérance et de son ouverture sur le monde, qui sont des attributs essentiels pour une ville globale. C’est dans les villes que se posent les enjeux de l’immigration. C’est là que se concentrent les nouveaux venus, que s’expriment les tensions interculturelles et où se posent les défis de l’intégration. Montréal ne peut pas ne pas s’occuper de l’immigration, elle doit s’assurer que les immigrants aient droit à des services appropriés, qu’ils trouvent un emploi adéquat, qu’ils s’insèrent dans la communauté. Le problème de Québec est d’un autre ordre, celui de favoriser l’immigration pour assurer sa croissance démographique et économique, et donc développer des politiques d’attraction et de rétention. Une partie importante du processus d’immigration, après la sélection des immigrants, se fait dans un cadre urbain. C’est dans les villes que les immigrants s’établissent, dans une proportion de 85 %, c’est au niveau urbain que se dérouleront donc l’intégration et l’embauche. Et s’il y a échec, ce sont les villes qui écopent. Dans bien des cas, les villes, à la recherche de main d’œuvre et de talent, ont entrepris des démarches d’attraction des immigrants, ici ou à l’étranger. Ce sont au niveau des villes que s’opèrera le climat favorable à l’intégration. Les villes devraient également devenir l’intermédiaire avec les organismes communautaires qui jouent un rôle majeur dans l’intégration. Les villes ont-elles les moyens de s’acquitter de leurs responsabilités? Sont-elles reconnues comme un partenaire incontournable? 4.4.4 Le développement social La lutte à la pauvreté est aussi un enjeu majeur, au nom de la justice sociale et parce que la pauvreté est une source importante de violence et de tensions sociale. La réduction des inégalités et la recherche de l’harmonie contribuent ainsi à la qualité de vie. C’est dans les villes que se trouvent les formes les plus criantes de pauvreté et d’inégalités. Ce n’est pas un champ d’intervention d’abord municipal, mais les villes doivent intervenir dans des domaines comme le logement social, tenir compte de la pauvreté dans leur offre de services. C’est dans un tel cadre que le maire de Montréal, Denis Coderre, a fait de l’itinérance l’une de ses priorités.

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Le raisonnement appliqué à l’immigration peut s’appliquer à certaines problématiques sociales. Ce sont les villes qui ont les problèmes, elles disposent de certains outils pour contribuer à leur solution, comme les équipements et les locaux, elles ont l’avantage de la proximité pour dispenser certains services et une capacité de mobilisation. Dans bien des cas, les élus et les mandataires de la ville ont une connaissance de terrain que n’a pas le gouvernement provincial, elles connaissent les clientèles dans le besoin, elles ont des liens plus intimes avec les organisations communautaires. Mais elles ne sont pas des maîtres d’œuvre. Elles jouent un rôle de mandataire dans certains domaines, comme le logement social, mais restent dépendantes de l’imprévisibilité du financement tant fédéral que provincial. Mais dans certains cas, on note une ouverture. La nouvelle politique de l’itinérance du gouvernement Marois, « Ensemble, pour éviter la rue et en sortir » déposée fin- février 2014 par la ministre Véronique Hivon, propose un cadre d’intervention qui devrait inspirer et qui mérite d’être cité in extenso. « Les villes sont des partenaires essentiels à la mise en œuvre d’une politique visant à prévenir et à contrer l’itinérance. En tant que témoins privilégiés des réalités rencontrées au regard de ce phénomène, leur implication et les initiatives qu’elles soutiennent et mettent de l’avant ont des impacts tant sur les personnes en situation d’itinérance que sur l’ensemble de la collectivité. Le leadership qu’elles peuvent assumer sur la mobilisation de leurs ressources, la collaboration avec les différents acteurs et les actions à déployer sur leur territoire en font des alliées dans la mise en œuvre de la présente politique. Ainsi, une collaboration des plus étroites entre les instances gouvernementales, les villes et les municipalités du Québec touchées par le phénomène de l’itinérance est nécessaire et vivement souhaitée. » C’est le genre d’esprit, de collaboration, de reconnaissance des compétences et de respect qui devrait servir de guide. Et qui pourrait s’appliquer à d’autres problématiques telles que l’encadrement préscolaire et l’alimentation dans les milieux défavorisés. 4.4.5 La sécurité La criminalité, la violence, la sécurité, sont des facteurs qui affectent de façon significative la qualité de vie. Montréal et Québec sont des villes peu violentes, ce qui leur confère un avantage comparatif. Mais c’est dans ces villes que se posent néanmoins des problèmes de criminalité et de violence les plus inquiétants, le crime organisé, les réseaux, la prostitution, qui forcent les autorités municipales à investir davantage dans la sécurité, et souvent d’engager des dépenses qui, dans les faits, ont un impact bien au-delà de leur territoire et qui gèrent des problèmes qui tirent origine de l’extérieur de leur territoire. Dans ce domaine, les dépenses municipales ont en partie une fonction nationale, sans que les moyens financiers accompagnent ces responsabilités. 4.4.6 L’éducation Dans une ville de savoir, et dans une ville globale où le talent est l’élément le plus déterminant, l’éducation est peut-être l’ingrédient principal du succès. Le nombre d’institutions d’enseignement supérieur, les centres de recherche, le nombre d’étudiants, le nombre d’étudiants étrangers, le taux de diplomation universitaire sont tous des indicateurs récurrents dans tous les classements et des priorités dans toutes les stratégies de développement. Une ville doit s’assurer de la vitalité de ses universités et du monde lié aux universités.

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Elle doit aussi, au Québec, pouvoir s’attaquer à un paradoxe. Montréal et Québec sont des villes universitaires, c’est un de leurs atouts, elles attirent des étudiants étrangers en grand nombre, mais le Québec ne produit pas suffisamment de diplômés, qui seront sa richesse de demain. Ce retard dans la diplomation, qui doit être inversé, justifie certainement une intervention locale. À l’autre bout du spectre, le succès d’une ville dépend aussi d’un bassin de travailleurs, d’autant plus que le déclin démographique a un effet négatif sur l’offre de main d’œuvre. Dans un tel cadre, le décrochage devient un problème majeur, tout comme les pénuries de métiers dont une ville a besoin, construction, soudeurs, ouvriers spécialisés, cuisiniers, etc. Voilà des enjeux auxquels une ville ne peut pas rester indifférente et où elle doit agir. Mais il s’agit d’un dossier plus délicat. Qui peut se poser à plusieurs niveaux. Au premier, presque mécanique, il y a une synergie évidente à gagner au niveau de la gestion des installations scolaires et de leur utilisation. Les villes ont un know-how évident dans la gestion des locaux et équipements collectifs. Il y a des gains certains à mettre en commun, ce qui se fait déjà en certains endroits, pour utiliser pleinement les équipements, cours d’école, infrastructures de loisir, locaux. Il y a certains des avantages à confier la gestion immobilière aux villes quand on voit, par exemple, l’état déplorable des locaux scolaires à la Commission scolaire de Montréal. Ce rôle des villes serait également très utile dans la planification des équipements. Les commissions scolaires déterminent leurs besoins, en écoles nécessaires, en écoles de trop, en vase clos, sans synergie avec les villes, quand ce sont celles-ci qui connaissent le mieux l’évolution des populations sur le territoire, et donc les besoins. À un deuxième niveau, un débat existe sur le rôle des commissions scolaires que certains voudraient voir éliminées. Une solution difficile à appliquer si on ne confie pas à d’autres les activités centrales que les écoles ne peuvent pas assumer, comme le bâtiment ou la gestion fiscale. La toile de fond de ce débat est l’échec de la démocratie scolaire, qui fait que les dirigeants de la plupart des commissions scolaires ont une légitimité fragile. Assez pour croire que les élus municipaux, qui incarnent la seule démocratie locale fonctionnelle, pourraient prendre le relais. Les conseils municipaux deviendraient en fait des lieux de débat pour recentrer l’école au cœur de la communauté et en améliorer la qualité. En région, peut-être à travers les MRC. Mais à Montréal et à Québec, il y a une logique évidente à confier ces fonctions à la ville. À cet égard, on peut s’inspirer de ce qui se fait ailleurs. Mais pas dans les autres provinces canadiennes, où l’on retrouve les mêmes commissions scolaires qu’ici, avec le chevauchement de commissions publiques, de commissions catholiques, et parfois de commissions francophones, dont les territoires ne sont pas les mêmes. Dans des grandes villes américaines, ce sont les administrations municipales qui contrôlent carrément le réseau des écoles. À Chicago, l’État de l’Illinois a accepté de transférer la responsabilité du district scolaire au maire de la ville, qui nomme ses dirigeants. À Boston, le superintendant du district scolaire est nommé par un conseil scolaire dont tous les membres sont désignés par le maire. Le budget du district scolaire est déterminé par le conseil municipal. À New York, l’intégration à l’appareil municipal est totale, avec un Département de l’Éducation de la Ville de New York. Dans les grandes villes françaises, la gestion de l’éducation est nationale, mais les territoires scolaires épousent ceux des villes et la mairie est la porte d’entrée du système scolaire, pour les inscriptions, et la ville prend en charge de nombreuses responsabilités périphériques, garde des enfants, cantines scolaires, etc.

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À cela s’ajoute un troisième niveau. Et c’est que la ville, comme entité, représente un lieu privilégié pour résoudre un certain nombre de problématiques scolaires que le régime actuel ne permet pas de combattre, comme le décrochage, comme l’intégration des immigrants, comme l’inégalité des chances. Les plus beaux succès contre le décrochage sont atteints quand une ville, avec tous ses intervenants, choisit de se prendre en main. C’est le modèle développé par le Saguenay-Lac-Saint-Jean, où les forces vives du milieu – plus de 100 volontaires provenant des médias, syndicats, patronat, chambre de commerce, etc. – se mobilisent depuis plus de 10 ans. Grâce à leurs efforts concertés, la région affiche aujourd’hui un taux de persévérance scolaire supérieur à la moyenne québécoise. Le développement de la main d’œuvre se fait aussi au niveau régional, et dans le cas des grandes villes, au niveau de la ville, entre commissions scolaires, cégeps, universités, associations d’entreprises, dans un dialogue sur le terrain. Le trait d’union devrait être davantage le pouvoir municipal que les appareils provinciaux. 4.4.7 Les infrastructures Les villes jouent déjà un rôle dans le domaine. Mais elles souffrent d’importantes carences et d’un sous-investissement qui exige des correctifs. Bien des grands projets sont financés majoritairement par les gouvernements supérieurs, conçus et gérés par eux, ce qui pose des problèmes d’efficacité, de convergence des objectifs. Et qui justifierait une présence plus grande des villes dans les choix et la mise en œuvre de projets dont l’impact est déterminant pour elles. Et une fiabilité du financement. Outre les besoins considérables pour le transport en commun, la mise à jour d’infrastructures comme les égouts et les aqueducs, le caucus des maires des grandes villes du Canada mettaient en relief, lors de sa rencontre de février 2014, les problématiques de la congestion, dont le coût, colossal, de 10 milliards, frappe uniquement les villes, ainsi que celle du logement social. Les grandes villes craignent aussi ne pas avoir leur juste par des ressources du nouveau Fonds Chantiers Canada. Il faudrait trouver une autre façon d’exprimer ces inquiétudes légitimes que le jeu traditionnel du lobby politique. 4.4.8 L’environnement L’environnement est devenu aussi un enjeu majeur. Pour l’importance de l’enjeu, mais aussi parce que l’attribut de ville verte joue un rôle important pour la qualité de vie et pour l’image. Mais plus profondément, les deux grandes zones urbaines, avec les 60 % de la population et 62 % de la production, et donc le lieu de la concentration industrielle, ont un effet important sur la pollution industrielle, la consommation d’eau, le traitement des eaux usées, les émissions de GES par les transports, la gestion des déchets. Une réduction de la pollution, ainsi que la réduction des gaz à effets de serre sont impossibles si la bataille n’est pas gagnée dans les villes et donc impossibles si les villes ne jouent pas un rôle actif. Sans les villes, ça n’arrivera pas. Et pour cela, il faut que les villes soient au cœur de l’intervention environnementale, et qu’elles en aient les moyens.

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4.5 S’attaquer au vrai déséquilibre fiscal La première conclusion à laquelle mène ce tour d’horizon est de nature fiscale. Les villes ont des besoins croissants pour lesquels elles ne disposent pas de moyens. Elles souffrent d’un sous-financement important pour leurs grands projets, leurs infrastructures, ou le transport en commun. Leurs obligations croissantes ne s’accompagnent pas de revenus équivalents. Dans certains cas, elles sont les victimes de ce que l’on pourrait décrire comme du « dumping », du pelletage de la part du gouvernement provincial. Ce problème fiscal majeur est autant quantitatif que qualitatif. Au plan quantitatif, les villes étouffent, manquent de ressources, et sont en droit de réclamer un nouveau pacte, et avoir accès à de nouveaux revenus, soit en libérant pour elles des champs de taxation, soit à travers des transferts, pour corriger ce qui est le principal déséquilibre fiscal dans notre société, bien plus grave que celui dont se plaint le Québec face à Ottawa. Au plan qualitatif, le régime fiscal actuel, qui repose essentiellement sur les taxes foncières, et accessoirement sur les frais d’usagers, manque de souplesse et ne permet pas aux villes de profiter en termes fiscaux du dynamisme économique. La taxe foncière, en plus d’être rigide, peut être inéquitable. En outre, elle n’est pas associée directement à la prospérité et au dynamisme économique. Le plus bel exemple, ce sont les fêtes et grands événements organisés à Montréal et à Québec, qui occasionnent d’importants frais pour ces villes, mais sans leur procurer de revenus équivalents. Parce que leur assiette fiscale, foncière, ne bouge pas à l’occasion de ces activités économiques. Par contre, les ventes accrues, ainsi que l’activité touristique, enrichissent les gouvernements supérieurs à travers l’impôt sur le revenu et les taxes de vente. Un autre exemple, c’est la difficulté des villes à profiter d’une augmentation naturelle de leurs revenus fonciers sans déclencher d’intenses débats, qui s’explique en bonne partie par une des caractéristiques de notre impôt foncier, le fait que les rôles d’évaluation ne sont pas revus sur une base annuelle. La hausse des revenus n’est possible que par un geste discrétionnaire, visible, l’augmentation du taux de taxation. À l’inverse, Québec et Ottawa peuvent compter sur une hausse substantielle et automatique de leurs revenus à mesure que les salaires augmentent ou que la consommation progresse. Il y a donc évidemment là un enjeu majeur. Mais il ne peut pas constituer le point de départ d’un nouveau pacte entre les municipalités et les gouvernements supérieurs. En fait, une démarche pour repenser le rôle des villes n’est pas, et ne doit pas être une façon pour les villes d’augmenter le fardeau fiscal de leurs citoyens. D’abord pour des raisons liées à la stratégie politique. Les enjeux de fiscalité municipale ne suscitent pas de passion dans l’opinion publique. Ils peuvent même être contre-productifs. Parce que les citoyens réagissent mal à la perspective de hausses de taxes municipales et que tout débat sur la fiscalité municipale risque d’être interprété comme une tentative d’alourdir le fardeau. Le maire Gérald Tremblay l’a découvert dans le dossier de pouvoir habilitant. Il a perdu tous ses appuis dans la métropole quand on s’est aperçu qu’il cherchait essentiellement à obtenir de nouveaux revenus fiscaux.

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Les objectifs d’une correction du déséquilibre fiscal sont triples. Premièrement, donner les moyens aux villes non pas de plus taxer, mais de mieux taxer, de le faire plus intelligemment. Deuxièmement, assurer la stabilité du financement que reçoivent les villes. Troisièmement, s’assurer que les nouvelles responsabilités des villes disposent des ressources adéquates, ce qui implique dans certains cas un nouveau partage des ressources entre le gouvernement du Québec et les grandes villes. La fiscalité vient après, pour que les fonds dont disposent les villes couvrent leurs besoins, pour que les transferts de responsabilités, passés ou futurs, s’accompagnent d’un transfert de ressources. Mais fondamentalement, cette réflexion mène à une révolution du champ fiscal municipal, du moins celui des grandes villes.

CONCLUSION Voilà 35 ans qu’on ne s’est pas questionné sur le rôle, le statut et le financement des villes au Québec. S’il était, jadis, payant pour une ville d’impulser un dynamisme sur son territoire, ce n’est plus le cas aujourd’hui, comme le souligne Éric Forest, président de l’UMQ : « Avant, on avait un retour sur la TVQ, des revenus de taxes sur le gaz et l’électricité, une taxe d’amusement. On captait une partie de la richesse liée au développement de notre territoire. On a enlevé tout ça pour que tout repose sur l’impôt foncier. On considérait qu’on donnait plus de services aux immeubles et non pas aux personnes ». Il est grand temps de faire évoluer nos paradigmes pour en arriver à la réalité du XXIe siècle, une réalité où le rôle des villes s’est complètement transformé. La démarche proposée dans ce rapport constitue d’une certaine façon une révolution, parce qu’elle redéfinit le rôle des grandes villes ainsi que l’esprit des politiques urbaines, et parce qu’elle reconnaît un statut particulier à Montréal et à Québec, la métropole et la capitale. Mais surtout parce qu’elle transforme la gouvernance du Québec en jetant les bases d’un véritable troisième niveau de gouvernement. Elle sera difficile à mettre en œuvre parce qu’elle suscitera des résistances. Pour cette raison, cette démarche doit être amorcée de façon prudente. Les résistances les plus évidentes proviendront des régions et des plus petites villes qui craindront de faire les frais de cette réforme, qui craindront que l’attention particulière que l’on consacrera aux deux grandes villes les prive de ressources et rendent leurs problèmes moins prioritaires. Ce document fournit toutefois des réponses convaincantes à ces inquiétudes en montrant qu’un développement des grandes villes profiterait à l’ensemble du territoire. L’autre source de résistance proviendra du gouvernement du Québec lui-même, tant au niveau politique qu’administratif, parce que ce nouveau pacte avec les grandes villes constitue effectivement un déplacement du pouvoir du gouvernement provincial vers des gouvernements municipaux. Si les grandes villes sont reconnues, si elles disposent de plus d’outils et d’une marge de manœuvre accrue, elles deviennent un contre pouvoir réel, qui repose sur 60 % de la population québécoise. Au plan politique, cela pourra être perçu comme une menace pour le gouvernement du Québec, et certainement pour son appareil administratif. Mais l’essentiel, c’est qu’un partage des responsabilités et des ressources mieux pensé, plus moderne, plus à même de bien servir les citoyens est dans l’intérêt collectif.