Un conflit inéluctable

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France et Angleterre sont les deux principaux États d’Europe occidentale. Deux monarchies fortes, bien organisées, assises sur une puissance fiscale et militaire sans équivalent, doivent fatalement engager le combat pour la première place.

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Maître de conférences à l’université de Reims, elle a également collaboré à Pouvoirs, Église et société dans les royaumes de France, de Bourgogne et de Germanie.

Historien, il est connu pour ses émissions historiques et musicales à la radio. Il a fait paraître de nombreux ouvrages, dont La Bataille d’Azincourt (Perrin, 2002).

Professeur émérite à l’université de Caen, il a rédigé une trilogie sur l’histoire ancienne de la Normandie et des Normands, publiée aux éditions Ouest-France.

Docteur en histoire, il est l’un des coauteurs de Pouvoirs, Église et société dans les royaumes de France, de Bourgogne et de Germanie (Ellipses, 2008).

France : une autre identitéAu terme du débat sur l’identité nationale, rappelons

que la première vague d’immigration remonte à deux

siècles. Il s’agissait de ressortissants allemands.

La guerre de Cent AnsFrance et Angleterre sont les deux principaux États

d’Europe occidentale. Deux monarchies fortes, bien or-

ganisées, assises sur une puissance fiscale et militaire

sans équivalent. Fatalement les deux pays devaient

engager le combat pour la première place. Malgré son

cortège de malheurs, cette guerre va entraîner une pro-

fonde évolution sociale et politique.

Les terribles ravages du « grand hyver »Le mois de janvier 1709 va se révéler le plus rigoureux

que l’on ait connu en cinq cents ans dans toute l’Europe.

À Paris, le thermomètre affiche -20,5 °C.

50 La folie des foliesPour échapper à l’étiquette de la Cour, nobles et bour-

geois se font aménager de superbes parcs dans ce qui est

encore au XVIIIe siècle la banlieue de Paris.

52 La Savoie et Nice naturalisées françaisesAprès des négociations secrètes entre Napoléon III et

l’Italien Cavour, c’est à une écrasante majorité qu’en

avril 1860, il y a cent cinquante ans, Savoisiens et Niçois

se prononcent pour leur rattachement à la France.

Le MansOn connaît les rillettes et les 24 Heures. C’est oublier que

la cité est le berceau de la dynastie des Plantagenêts.

Deux expositions rendent hommage aux Ballets russes.

Et notre sélection théâtre, cinéma et jeu vidéo.

Edvard Munch, celui par qui le scandale arriveLa Pinacothèque de Paris expose des peintures de ce

Norvégien qui a tant choqué à la fin du XIXe siècle.

Les biographies à la « une »

De Jean Baptiste Poquelin à Molière

Pullman

Renaud

Le mariage des prêtres a toujoursété interdit

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Il est l’auteur de biographies et de sagas : C’était Georges Pompidou, chez Fayard, Les Maîtres de forges et Napoléon IV, un destin brisé, chez Albin Michel.

Après des études de journalisme et une maîtrise d’histoire, elle traite des questions de patrimoine pour différentes publications.

Productrice à France Culture, elle a assuré des entretiens, dans le cadre de l’Université de tous les savoirs, avec Éric Hobsbawn, Pierre Milza, Jean-Luc Domenach…

Maître de conférences à la Sorbonne, il a publié, en 2008, “Sans poinct sortir hors de l’orniere”. Louis II de La Trémoille (1460-1525) (éditions Honoré Champion).

Spécial ville : Le Mans p. 58La belle anglaise du royaume

Dossier : la guerre de Cent Ans p. 15

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Les Anglais conservent, à la fin de la guerre de Cent Ans, une précieuse porte d’entrée sur le continent : Calais. Après sa victoire à Crécy (26 août 1346), Édouard III a mis le siège devant Calais, face à Douvres. L’objectif est de prendre le contrôle d’un port sur le littoral français, d’où les armées venues d’Angleterre

pourront entreprendre la conquête du royaume tout entier. Au terme d’un siège de près d’un an, la cité doit capituler – la reddition de la ville par une délégation de bourgeois est l’objet du célèbre groupe sculpté de Rodin. En partie repeuplé par des Anglais, le port voit défiler une bonne partie des armées anglaises qui débarquent

sur le continent. Après la reconquête menée par Charles V et Du Guesclin, l’ennemi ne tient plus que Calais, quelques autres ports comme Cherbourg et Brest, et le duché d’Aquitaine. Après la réconciliation entre Charles VII et Philippe le Bon (traité d’Arras, 1435), le duc de Bourgogne entreprend vainement

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Possessions anglaisesDomaine royalAutres fiefs

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Territoires sous contrôleanglo-bourguignonRégions fidèles au roi deFrance Charles VII

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DUCHÉ DE NORMANDIE

1337 - La France morcelée 1435 - La France

Depuis 1066 et la conquête de l’Angleterre par Guilllaume le Conquérant, le roi d’Angleterre se retrouve vassal du roi de France, uniquement pour le duché de Normandie, rattaché à la France en 1258, puis de celui d’Aqui-taine. En 1337, le souverain français Philippe VI décide de confisquer cette dernière possession anglaise. Il met ainsi le feu aux poudres… pour cent ans !

Alors que les troupes anglaises s’emparent de vient s’ajouter au conflit. Les partisans du tiennent les Anglais contre le pouvoir royal Il faut tout le courage du jeune Charles VII la situation. Le traité d’Arras, en 1435, met

le siège de la ville, qui menace ses comtés de Flandre et d’Artois. En 1475, c’est encore à Calais que le roi d’Angleterre Édouard IV débarque : Louis XI réussit cependant à acheter son départ (traité de Picquigny). En 1513, Henri VIII, à son tour, prend pied dans la cité. Perpétuelle menace pesant sur le royaume,

Calais est aussi un centre économique de toute première importance, par lequel transite une grande partie du commerce de la laine entre l’Angleterre et le continent : les douanes de Calais fournissent au roi d’Angleterre des revenus considérables. L’intérêt stratégique, économique et fiscal

de Calais explique le soin que mettent les Anglais à en assurer la défense. Après plus de deux siècles d’occupation, il revient à Henri II, fils de François Ier, de reprendre la ville, en 1558 : il suffit au duc de Guise, commandant de l’armée royale, de quelques jours de siège pour briser la résistance anglaise. Xavier Hélary

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Possessions anglaisesDomaine royalAutres fiefs

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divisée 1461 - La France libérée

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tout le nord de la France, une guerre civile duc de Bourgogne, Philippe le Bon, sou-de Charles VI et son parti des armagnacs. soutenu par Jeanne d’Arc pour retourner fin au conflit avec la Bourgogne.

La guerre se termine. Les deux rois, Édouard IV pour l’Angleterre et Louis XI pour la France, signent le traité de Picquigny le 29 août 1475, mettant fin à plus de cent ans d’affrontements. Moyennant le versement de 75 000 couronnes d’or et d’une rente annuelle, les Anglais repassent la Manche, ne conservant en France que la ville de Calais qui restera anglaise jusqu’en 1558.

Jean Verdon« On comprend que Jean Favier considère Louis XI comme celui qui a véritablement mis fin à des siècles de conflit franco-anglais en 1475. »

Si la question peut sembler purement académique, elle

Charles VII a-t-il mi

On fixe traditionnellement la fin de la guerre de Cent Ans à l’année 1453 (bataille de Castillon et prise de Bordeaux). À l’exception de Calais, la

France anglaise n’existe plus. Faut-il en conclure que la longue guerre qui met aux prises France et Angleterre depuis les années 1340 est définitivement terminée ? Je pense que la question mérite une réponse plus nuancée.En 1420, le traité de Troyes instaure une double monarchie : Charles VI fait du roi d’Angleterre son héritier. Mais avec Jeanne d’Arc l’espoir renaît. Charles VII est sacré à Reims. En 1435, le duc de Bourgogne, Philippe le Bon qui, à la suite du meurtre de son père Jean sans Peur, s’est rallié aux Anglais signe, à Arras, la paix avec Charles VII. Celui-ci réorganise son armée. Par ailleurs, il ne faut pas oublier la « naissance de la nation France ». De sorte que la reconquête de son royaume peut avoir lieu. Reconquête de la Normandie en 1449-1450 dont Charles VII retire un grand prestige. Ensuite, en 1450-1453, reconquête de la Guyenne que les Anglais détiennent depuis trois siècles. La bataille de Castillon se déroule le matin du 17 juillet ; les Français en sortent vainqueurs. Fin juillet commence le siège de Bordeaux qui tombe le 19 octobre 1453. L’Anglais est alors « bouté » hors de France. Mais la paix n’est pas au rendez-vous. Ces victoires militaires du roi de France ne sont suivies d’aucun traité. Bien plus, dans un accord conclu quelques années plus tard avec le roi du Danemark, Charles VII demande à ce dernier de l’aider sur mer si les hostilités reprennent avec les Anglais. Le roi d’Angleterre Édouard IV, qui n’a pas renoncé à toute vue sur la France, négocie, en 1474, avec le duc de Bourgogne Charles le Téméraire. Éleveurs anglais de

moutons et tisserands des Pays-Bas ont besoin les uns des autres. Par le traité de Londres, Édouard IV s’engage à débarquer en France l’année suivante, la trêve entre la France et la Bourgogne venant à expiration le 1er mai 1475. Louis XI comprend que le temps joue contre lui et déclenche les hostilités dès l’expiration de cette trêve. En juillet 1475, le gros des troupes anglaises débarque à Calais où se rencontrent bientôt Édouard IV et le duc de Bourgogne. Mais Édouard IV, qui ne trouve pas le soutien escompté de la part de ses alliés, entreprend de mettre fin à une aventure qu’il ne contrôle pas. La paix est signée à Picquigny. Moyennant finances, les Anglais se retirent. On comprend que Jean Favier ait intitulé l’un des chapitres de son Louis XI : « La fin de la guerre de Cent Ans. » En résumé, on peut se demander si ce qu’on appelle la guerre de Cent Ans est cette fois terminée, car il faut la resituer dans la longue durée, celle des relations franco-anglaises. Depuis qu’Aliénor d’Aquitaine épousant, en 1152, Henri Plantagenêt lui avait apporté ses domaines, les relations des rois de France et d’Angleterre étaient évidemment mauvaises. Comment un roi pouvait-il être le vassal d’un autre roi ? La trêve conclue à Picquigny ne suffit certes pas à mettre fin à des siècles d’hostilité. Quel a été le rôle personnel de Charles VII ? Si sa personnalité peut susciter des réserves, car il apparaît bien souvent indécis, il n’en reste pas moins que, par ses réformes, il a contribué à renforcer l’État et joué ainsi un rôle dans l’issue de la guerre de Cent Ans. Professeur honoraire des Universités, Jean Verdon est

spécialiste de la vie quotidienne médiévale. Il vient de publier

chez Perrin Information et Désinformation au Moyen Âge.

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La question peut sembler purement académique. Un consensus s’est établi autour de la date du 19 octobre 1453, moment où Charles VII s’empare

définitivement de Bordeaux. De nombreux arguments permettent de contester ce choix.Des questions de droit, tout d’abord. Aucun traité de paix n’est signé, alors qu’on en avait conclu déjà deux au cours du conflit : Brétigny (1360) et Troyes (1420). Ensuite, aucun des deux points litigieux à l’origine de la guerre n’est tranché : la question de la souveraineté sur l’Aquitaine, et celle de la couronne de France, que continue à revendiquer le roi d’Angleterre. Peut-on considérer la guerre comme terminée, alors que les deux parties campent sur leurs positions ?Sur le plan territorial, la reconquête du territoire français par le Valois n’est pas achevée. Calais reste aux mains des Anglais, comme un défi permanent. De plus, sur le terrain, personne ne semble croire que la guerre est finie. Des escarmouches ont encore lieu, longtemps après la prise de Bordeaux, comme le saccage de l’île de Ré et du port de Sandwich en 1457. En 1456, en signant un traité avec le roi du Danemark, Charles VII demande que ce dernier lui fournisse, si l’occasion se présente, une flotte pour combattre les Anglais, signe que le roi de France lui-même se considère toujours en guerre. Le conflit semble bien se prolonger après la mort de Charles VII. Surtout, il y a la campagne menée en France par Édouard IV en 1475 en tant qu’allié du duc de Bourgogne. Cette fois, l’affaire aboutit à un véritable accord, à Picquigny : Louis XI achète le désistement d’Édouard IV au prix fort, avec une rente de 50 000 écus par an. Le roi d’Angleterre se rembarque, et pendant

trente-cinq ans les deux royaumes cesseront les hostilités. Pour certains historiens, le traité de Picquigny marquela véritable fin de la guerre de Cent Ans.Je reste pourtant favorable à l’opinion traditionnelle, en réaffirmant que c’est bien Charles VII qui a mis fin à cette guerre, en 1453, à la prise de Bordeaux. En l’absence du droit, le fait est là : une guerre est finie quand on cesse de se battre. Il faut en effet attendre 1513, soixante ans plus tard, pour assister à un nouvel affrontement direct entre les armées française et anglaise, quand Henri VIII remporte un petit succès à Guinegate. Le contexte et les enjeux sont alors complètement différents ; ce n’est plus la même guerre. Quant aux escarmouches navales et terrestres de la période 1453-1513, elles font partie de la routine de la guerre froide franco-britannique.L’objection de Calais ne tient pas davantage, ou alors il faudrait dire que c’est… Henri II qui a mis fin à la guerre de Cent Ans, par le traité de Cateau-Cambrésis, en 1559, dont un article prévoit que la ville, reprise par le duc de Guise en 1558, restera française. Quant à Picquigny, ce « traité » n’est en réalité qu’une trêve comme il y en a eu tant : conclue pour sept ans, elle porte sur des sujets totalement différents des enjeux de la guerre de Cent Ans, dont elle ne règle en rien les problèmes de fond : il n’y est question ni de la couronne de France, ni de la Guyenne, ni de Calais. En l’absence d’une meilleure alternative, laissons donc à Charles VII le mérite d’avoir mis fin, victorieusement, à la guerre de Cent Ans. Certes, il n’en est pas conscient, mais après tout, Christophe Colomb n’a jamais su qu’il avait découvert l’Amérique ! Georges Minois, historien, est l’auteur de La Guerre

de Cent Ans. Naissance de deux nations (Perrin, 2008).

Georges Minois« Les hostilités prennent fin en 1453 avec la prise de Bordeaux. En l’absence du droit, le fait est là : une guerre est finie quand on cesse de se battre. »

continue de susciter la polémique chez les historiens.

s fin à cette guerre ?

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par Élisabeth Couturier

La Pinacothèque de Paris présente jusqu’au 18 juillet une exposition intitulée “L’Anti-Cri”, en référence à l’œuvre la plus célèbre du peintre norvégien. Fera-t-elle autant de bruit que celle de Berlin à la fin du XIXe siècle ?

Edvard Munch Celui par qui le scandale arrive

« Je ne me suis jamais tant amusé. Incroyable que quelque chose d’aussi innocent que la peinture puisse créer un tel remue-ménage », écrit Edvard Munch à sa tante Karen, après l’énorme scandale provoqué par ses toiles exposées à Berlin. Inaugurée en grande pompe au mois de novembre 1892, la manifestation fait alors grand bruit. Le public, loin de comprendre la démarche novatrice de l’artiste norvégien, n’y voit qu’une provocation d’inspi-ration anarchiste. Indignation ou hilarité se succèdent face à ce spectacle jugé consternant. « Der Fall Munch » (l’affaire Munch) devient le grand sujet de conversation de toute la capitale germanique.

Ce qui choque alors le public ? Ce ne sont pas tant les thèmes abordés que la technique utilisée. Cette peinture, dans laquelle priment l’émotion et le ressenti, montre des formes qui semblent inachevées ou mal exécutées. Mais surtout, aux yeux des conservateurs allemands, Munch est la vivante illustration du sort qui attend un artiste germa-nique quand celui-ci se laisse influencer par la sensualité de l’impressionnisme français : le résultat ne peut être que désastreux ! L’exposition suscite une violente querelle entre les peintres de la jeune garde et ceux de la vieille gé-nération. La polémique monte jusqu’au sommet de l’État. Et plusieurs membres de l’Association des artistes sont convo-qués par le Kaiser. Guillaume II souhaitait alors, comme le souligne Arne Eggum dans une monographie consacrée à Munch, « exercer une réelle influence sur un projet qui lui tenait à cœur : il s’agissait de préparer, depuis sa capitale Berlin, l’avènement d’un âge d’or purement germanique en matière artistique ; s’y épanouirait un idéal de grandeur et de pureté qui ne pourrait que favoriser le développement et l’unification de l’État allemand. Toute influence venant de la France était donc indésirable ». L’entrevue avec le Kaiser

est suivie d’une réunion extraordinaire de l’Association. Par 120 voix contre 104, on décide que les œuvres de l’artiste seront décrochées. Finalement, par courtoisie envers un invité, les toiles de Munch restent exposées jusqu’à la fin de la manifestation, qui est cependant écourtée. L’artiste en recueille une soudaine célébrité. Tous les cercles litté-raires et mondains progressistes de Berlin le courtisent. Cette histoire fait tant de bruit que le marchand de tableaux Eduard Schulte lui signe un contrat et expose ses toiles à Düsseldorf et à Cologne. Le succès commercial est tel que l’ensemble des œuvres scandaleuses est à nouveau présenté à Berlin, dans des salles privées louées pour l’occasion. L’exposition, légèrement remaniée, est ensuite envoyée, sous la forme de « spectacle payant », à Copenhague, Bres-lau, Dresde et Munich. Edvard Munch s’installe durant quatre ans à Berlin où il travaille assidûment. La ville est le centre de tout un réseau de marchands qui possèdent des galeries dans les capitales des nombreux états allemands. Et ce circuit privé se montre, à l’égard de cette forme d’art, plus ouvert que les pouvoirs publics.

Cet incroyable épisode dans la vie de Munch – où l’on peut voir comme les prémices d’une idéologie qui, dévoyée, condamnera plus tard l’art dit « dégénéré » – ne doit pas faire oublier la lente éclosion d’un talent singulier et la rigueur d’une démarche commencée à l’âge de 17 ans, en 1880. Les transformations que connut sa peinture une dizaine d’an-nées plus tard, reflètent celles qui se manifestaient dans tous les domaines de la vie intellectuelle de l’époque où le réalisme et le naturalisme cédaient le pas au néoroman-tisme et au symbolisme. L’œuvre de Munch traduit à la fois la tragédie de la condition humaine et le désarroi profond de l’homme vis-à-vis des mutations du monde en cette fin du XIXe siècle. En cela, elle est toujours aussi moderne.

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Les piétons. Ils prennent l’allure d’une inquiétante

procession de spectres. L’artiste a-t-il voulu insister sur l’anonymat d’une foule dont chaque individu avance, indifférent aux autres ? Ou bien a-t-il voulu traduire l’angoisse de l’homme moderne, seul, face à sa destinée ?

La rue. Ainsi mise en perspective, elle barre

obliquement la composition en deux parties distinctes. Telle la rivière Gjöll qui, dans la mythologie nordique, sépare le monde des vivants de celui des morts, elle marque la frontière entre deux univers. Et ceux qui l’ont franchie, côté droit, ne sont plus que des ombres.

Le rocher. Il est probable que Munch l’ait placé

pour faire allusion au tableau d’Arnold Böcklin, L’Île aux morts, réalisé en 1880. Ainsi Soir, rue Karl Johan serait à lire comme la transposition d’un épisode mythique de la destinée humaine dans le monde moderne.

Les couleurs. La gamme reste restreinte. Munch joue

ainsi sur l’effet du clair-obscur et son pouvoir dramatique.

, 1892. Huile sur toile, 84,5 cm x 121 cm

Les immeubles. Ils ferment la scène et

empêchent toute échappée vers un ailleurs. D’où un sentiment de claustrophobie.

Historia rétablit chaque mois une vérité historique, en allant à l’encontre d’une notion aussi communément admise qu’erronée.

des conciles de Latran II en 1139, La-tran III en 1179 et Latran IV en 1215 réitéreront l’interdiction de l’ordina-tion des hommes mariés et du concu-binage des prêtres. Rappelée à chaque concile, elle sera minutieusement appliquée jusqu’à aujourd’hui dans l’Église catholique latine à l’inverse des chrétientés d’Orient catholique et orthodoxe qui continuent d’ordon-ner des hommes mariés. La seule in-flexion au célibat ecclésiastique appa-raît en 1967 lorsque Paul VI restaura le diaconat permanent pour les hommes célibataires ou mariés. Olivier Tosseri

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. Bon époux, bon père, certes, mais incompatible avec la charge et, surtout, proscrit par Rome.

Suivant l’exemple de Jésus et de ses disciples, les premiers chrétiens restent célibataires. L’Église impose très tôt cette règle de vie

Le mariage des prêtres a toujours été interdit

L’obligation du cé-l ibat des prêt res ne remonte qu’au XIe siècle. Dans la tradition de l’Église catholique latine, l’ordination d’hom-

mes mariés a donc été plus longtemps tolérée qu’interdite. Jésus n’a jamais formulé une telle interdiction, cer-tains apôtres étaient mariés et le ju-daïsme, dont est issu le christianisme, n’imposait pas le célibat aux rabbins. Pourtant dès ses premiers siècles, l’Église accorde une place importante à l’ascèse. Une tentative pour faire re-connaître le célibat des prêtres échoue au concile de Nicée en 325, qui institue cependant l’interdiction du mariage après l’ordination. Il semble que cette clause ne fut pas scrupuleusement respectée et les prêtres des premiers temps étaient donc pour nombre d’en-tre eux mariés. Au IVe siècle, de grands évêques tels que Grégoire de Naziance ou Grégoire de Nysse avaient une fem-me et trente-neuf papes eurent épouse et enfants, quelques-uns succédant même à leur père.

Avec l’essor du monachisme, la règle de célibat tend à s’imposer à l’en-semble du clergé. D’autant plus que les moines sont de plus en plus souvent choisis pour occuper les premières places de la hiérarchie ecclésiastique. Dès 385, le pape Siricius prend un dé-cret allant dans le sens de l’interdic-tion de l’ordination des hommes ma-riés. La multiplication des décisions

papales, des conciles et des synodes d’évêques réitérant l’injonction du célibat sacerdotal montre la difficulté pour l’Église de l’imposer. Celle-ci tra-verse une période de troubles graves avec la chute de l’Empire carolingien au Xe siècle. Le clergé est le premier concerné. Les maux sont profonds : féodalisation qui éloigne des ques-tions spirituelles, simonie (ventes des biens sacrés et des bénéfices ecclésias-tiques) et nicolaïsme (incontinence des prêtres qui se marient ou vivent en concubinage) sont dénoncés. Une réforme est nécessaire. Initiée par Léon IX, c’est le pape Grégoire VII qui donnera son nom à la « réforme grégo-rienne ». Il poursuit et précise, entre autres, sa critique de l’incontinence des clercs. Il veut un clergé entière-ment voué à sa tâche, sans liens fami-liaux qui permettraient la fondation de castes qui pourraient détourner les biens de l’Église. Au concile du Carême de 1074, le pape fait interdire l’accès aux églises pour les prêtres mariés ou vivant en concubinage.

Que ce soit en Allemagne, en France, en Angleterre ou en Espagne, ces décisions sont mal acceptées par les clergés locaux et le concubinage des prêtres persiste. Parallèlement, la population adhère de plus en plus aux décisions papales et rejette ceux qui continuent d’avoir une maîtresse ou ont des mœurs dissolues. La volonté d’un meilleur encadrement du clergé et d’une définition plus stricte de sa discipline ne faiblit pas. Les canons