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MUSEUM LESSIANUM – SEC- TION PHILOSOPHIQUE N 0 19 Études sur la Psychologie des Mystiques PAR JOSEPH MARÉCHAL, S. J. Docteur en Sciences. Professeur au Collège philosophique

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  • MUSEUM LESSIANUM SEC-TION PHILOSOPHIQUE N0 19

    tudessur la

    Psychologie desMystiques

    PAR

    JOSEPH MARCHAL, S. J.

    Docteur en Sciences.Professeur au Collge philosophique

    1

  • et thologique de la Compagnie deJsus Louvain-Eegenhoven.

    TOME SECOND

    LDITION UNIVERSELLE, S. A.53, RUE ROYALE, BRUXELLES

    1937

    2

  • De licentia Superiorum Ordinisnihil obstat

    Mechliniae, 6 Octobris 1936J. Naulaerts, Can., Lib. Cens.

    IMPRIMATUR :

    i

  • Mechliniae, die 6 Octobris 1936 Et. Jos. Carton de Wiart

    Vic. Gen.

    1

  • PRFACELAvant-propos du tome I

    (1924) de ce Recueil annonaitun second volume, dont le plantait ds lors esquiss. Le pro-gramme anticipativement sou-mis aux lecteurs navait rien, ensoi, de chimrique ; sa ralisa-tion, partiellement assure, exi-geait pourtant encore, de lau-teur, une srie de recherches,que la maladie vint bientt lui

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  • PRFACE

    rendre difficiles, et mme luiinterdire compltement. Privdun surcrot de documenta-tion quil jugeait indispensable,il abandonna son projet depublication, non que la ma-tire manuscrite ft dfaut en quantit , mais parce que lesfragments dj rdigs parais-saient trop ingaux et trop im-parfaitement coordonns pourconstituer un groupement pr-sentable. Il avait, en se dro-bant de la sorte, compt sansles amicales sommations de sesditeurs. Sil obtempre aujour-dhui celles-ci, du moins croit-

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  • A. Groupe de travaux concernant lintuition de Dieu au sommet de la contemplation.

    il devoir, par simple probit lit-traire, marquer exactement enquoi les promesses du tome Iont, ou nont pas, t tenuesdans le prsent volume.

    A. Groupe detravaux concernantlintuition de Dieuau sommet de lacontemplation.

    Jusqu lEssai IX, inclusive-ment, le dessein primitif est peu prs respect.

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  • PRFACE

    Une vue vol doiseau sur lesgrandes phases du dveloppe-ment de la mystique catholique(Essai IV) pose dabord uncadre gnral ; puis cinq tudes,en partie indites (Essais VVIII IX), et cinq Appendicesplus spcialement documen-taires, traitent un unique pro-blme : lintuition de Dieu parles mystiques. Ce problme estabord sous langle de lhis-toire : il ne sagit pas dap-prcier la probabilit ou lim-probabilit dune vue directede Dieu dans la contemplation,mais de savoir quelles furent,

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  • A. Groupe de travaux concernant lintuition de Dieu au sommet de la contemplation.

    ce sujet, les prtentionsdes contemplatifs et lavis dequelques thoriciens classiquesde loraison. On trouvera peut-tre que cest abriter beaucoupd histoire sous le pavillonde la psychologie ; lauteurna quune excuse : cette contri-bution historique tait prati-quement invitable pour garan-tir, en une question assez obs-cure, la lecture correcte de do-cuments ncessaires au psycho-logue mme.

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  • PRFACE

    B. Groupe derecherches sur lafrontire infrieurede la mystique.

    Le tome I faisait prvoir untravail, ou un ensemble de tra-vaux, sous le titre : A la limiteinfrieure des tats mystiques.Dans cette zone, o les grcesdoraison empruntent encore silargement les mcanismes na-turels, le champ dobservationdu psychologue est videmmentbeaucoup plus vaste et plussr qu laltitude des cimes.

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  • B. Groupe de recherches sur la frontire infrieure de la mystique.

    Lauteur et volontiers greff,sur ltude projete, un exa-men des problmes nouveauxou apparemment tels, que lestravaux rcents de psychana-lyse et de phnomnologie re-ligieuse posent la psychologiedes mystiques 1. Pour les raisonsdites plus haut, cet ordre de re-

    1. Malgr la demande qui en a tfaite, nous ne croyons pas opportunde rimprimer ici, dans un volume ex-clusivement consacr la mystique,notre tude sur Les lignes essentiellesdu freudisme (Nouvelle Revue tho-logique, t. LII, 1925, p. 537-551, 577-605 et t. LIII, 1926, p. 13-50) danslaquelle la psychologie religieuse fait peine lobjet dune allusion rapide.

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  • PRFACE

    cherches dut tre sacrifi. Rien,dans le tome II, ne rappelle laIXlimite infrieure des tats mys-tiques , sinon lexpos duneancienne mthode de priresusceptible dacheminer parfoisvers cette limite, la mthodedite d application des sens (Essai X). Faute dune placemeilleure, on a cru pouvoir in-srer cet endroit, en raison dequelques remarques incidentessur la prtendue roto-manieet sur les anomalies nerveusesdes mystiques, lanalyse, mal-heureusement assez sommaire(Essai XI), dun ouvrage trs r-

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  • B. Groupe de recherches sur la frontire infrieure de la mystique.

    pandu, qui reprsente presquetypiquement la tendance em-piriste dans linterprtation dumysticisme tous ses tages :en apprciant, avec une svrequit, luvre du professeurLeuba, lEssai XI institue leprocs, non du savant, maisde la mthode quil personnifie.Cette critique prend ainsi unesignification assez gnrale pouren justifier linsertion dans ceRecueil.

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  • PRFACE

    C. Travaux relatifs la mystiquecompare.

    Un dernier groupe dEssaistait rserv la Mystique com-pare. LIntroduction la Mys-tique compare, annonce dansla Prface de 1924, devait rev-tir un caractre nettement tech-nique ; elle est remplace ici parun article de vulgarisation, autitre plus modeste (Essai XII).A vrai dire, cet article mme,rsidu de deux confrences, re-pose, dans ses diffrentes par-ties, sur un ensemble denqutes

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  • C. Travaux relatifs la mystique compare.

    et de lectures infiniment plustendu que ne le ferait soupon-ner la petite bibliographie miseau bas des pages.

    A lIntroduction gnraledont on vient de parler, le planprimitif du volume ajoutaitdeux tudes spciales. La pre-mire Quelques doctrines etpratiques mystiques de lInde ne venant pas dun indianistede profession, ne pouvait avoirdautre but que de confronterentre eux, et de grouper autourde quelques ides directrices,les rsultats obtenus par desXchercheurs originaux. Dans

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  • PRFACE

    ces limites, et moyennant lecontrle de bons connaisseursayant sjourn aux Indes,pareil travail nencourait pasncessairement le reprochede tmrit. Cest ainsi, dumoins, que lentendit lauteur,lorsquil entreprit jadis, travers textes, commentaires,monographies et ouvrages g-nraux, une longue explorationdes problmes ethnologiques,psychologiques, mtaphysiqueset religieux soulevs par lesdiverses formes du Yoga. Lesfragments considrables, maisinachevs, de cette recherche de

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  • C. Travaux relatifs la mystique compare.

    seconde main eussent alourdiassez inutilement le prsentvolume.

    Par contre, la rimpression, sitardive soit-elle, du mmoire in-titul : Le problme de la grcemystique en Islam, rpond unsouhait maintes fois exprim :lauteur se rjouit dautant plusdy satisfaire, quil attache lui-mme plus de prix cettetude, dont lintrt rside toutentier dans la documentationriche et neuve emprunte M.Louis Massignon : le savant pro-fesseur au Collge de Francesoit remerci davoir tolr, na-

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  • PRFACE

    gure et aujourdhui, ce pillageeffront de ses travaux.N. B. Sauf trs rare ex-

    ception, la bibliographie des ar-ticles, rimprims ou indits,antrieurs 1936, ne descendpas au-dessous de la date o ilsfurent crits. Cette date est tou-jours indique dans une note aucommencement de larticle.

    Louvain-Eegenhoven, le31,juillet 1936.

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  • IVLES TOUR-NANTS

    PRINCIPAUXDANS

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    LHISTOIREDE LA

    MYSTIQUECATHOLIQUEUNE VUE AVOLDOISEAU3

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  • Remarque prliminaire : phnomne mystiques et paramystique

    Remarqueprliminaire :phnomnemystiques etparamystique

    Lunit et loriginalit dugroupe des mystiques catho-liques orthodoxes saffirmentprincipalement :10 par la continuit mme

    dune histoire qui stenddepuis les origines chr-tiennes jusqu nos jours ;

    20 par une certaine conceptionde lobjet et des modes de

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    lexprience mystique ;30 par linsertion ncessaire de

    cette exprience dans lecadre dogmatique, sacra-mentaire et disciplinaire delglise.

    La cohsion de ces trois pointsde vue pourrait faire lobjetdune tude thorique appro-fondie. Notre but est plus mo-deste : nous voudrions seule-ment donner notre assertionune justification de fait, en par-courant les phases les plus d-cisives du dveloppement de lamystique catholique.

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  • Remarque prliminaire : phnomne mystiques et paramystique

    Avant mme de commen-cer cette enqute sommaire,une remarque de terminologiesemble opportune. Dans la plu-part des ouvrages modernes despiritualit, le mot mystique couvre la fois deux ordresde ralits, dont la valeurreligieuse est, pour le moins,ingale : dune part, un modeexceptionnel dunion Dieu,par connaissance et amour,appel dj, chez les auteursplus anciens, thologie mys-tique , et rattach par eux lexercice de loraison sup-rieure ou contemplation ;

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    dautre part, un lot variablede phnomnes supranormaux,sinon miraculeux, plus oumoins frquemment associs la contemplation mystique :transe extatique, visions ; par-fois aussi clairvoyance, dondes langues, prophtisme ; ouencore, lvitation, stigmatisa-tion et autres manifestationspsychosomatiques. Nous r-serverons ces phnomnessecondaires, qui peuvent tretotalement absents chez uncontemplatif, la qualificationde paramystiques .

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  • Priode Apostolique

    PRIODEAPOSTOLIQUE :

    Les thmesfondamentaux de lavie surnaturelle

    4Les origines de la mystique

    catholique se confondent aveccelles du christianisme. Dans laprdication des Aptres, la doc-trine paulinienne du Christ R-dempteur, Fils de Dieu et Chefdu corps mystique des fidles,devenus par Lui les templesvivants de lEsprit-Saint, faitpendant la doctrine johan-

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    nique du Logos incarn, Lu-mire et Vie, appelant tousles hommes la participationde son unit avec le Pre etlEsprit : or, ces enseignementsapostoliques, par leur accent etpar leur porte, trahissent uneexprience religieuse qui d-passe de beaucoup le niveau dela pit commune. Par ailleurs,dans les premires commu-nauts chrtiennes, les visionset charismes ntaient pasrares ; il semble que les b-nficiaires de ces dons para-mystiques furent souvent des asctes , observant la conti-

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  • Priode Apostolique

    nence et sadonnant plus spcia-lement la prire.

    En dvoilant la ralit pro-fonde de toute vie surnaturelle,lenseignement apostolique li-vrait les thmes fondamentauxdont la mystique chrtienne nepourrait se dpartir (car celle-cinest quun degr plus minent,ou du moins une conscience plusimmdiate, de cette vie sur-naturelle mme) : thme ec-clsiologique, thme christolo-gique, thme thologique trini-taire, cest--dire ceux qui tra-duisent le rythme essentiel detoute vie chrtienne :

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    a) appartenance lglise,corps mystique du Christ,

    b) afin dy vivre de la vie duChrist Verbe incarn,

    c) et de participer ainsi lavie de la Trs Sainte Tri-nit.

    PRIODEPATRISTIQUE

    La ncessit dexprimer, decontrler et, jusqu un certainpoint, dorganiser lexpriencereligieuse individuelle, contrai-gnit trs tt de faire, la spcu-

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  • Priode Patristique

    lation philosophique, lempruntde formules et de doctrines.De cette laboration thorique,sajoutant aux illusions tou-jours possibles de la fantaisieindividuelle, naissait, pour lamystique, un risque srieux dedviations.

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    LES PREMIERSSICLES

    5

    Aux prises avec legnosticisme

    Ds la priode aposto-lique, la dvotion chrtiennedut tre protge contreles infiltrations orientales etjudo-hellnistiques : contre legnosticisme, qui rdera long-temps encore aux frontires ;puis contre lencratisme, dontle rigorisme excessif, choassourdi du vieux dualismepessimiste, sduisait plus dun

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  • Les premiers sicle

    ascte ; plus tard, contre lemontanisme, avec ses pro-phtes et ses prophtesses,dont lilluminisme extatique fitdes victimes chez les chrtiensdAsie et dAfrique et en im-posa mme au grand Tertullien(160-245). En condamnantces extravagances, lautoritecclsiastique rencontrait djles principales formes de fauxmysticisme contre lesquelleselle ne cessera de devoir ragir.

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    Clemens dAlexandrie

    Cette rpression, dailleurs,ne visa jamais une utilisationprudente des systmes philoso-phiques ou thologiques. Versle dbut du IIIe sicle, le sto-cisme et le platonisme alexan-drin furent mis contribu-tion par la naissante tholo-gie chrtienne, sous les auspicessurtout de Clment dAlexan-drie (c. 150-215) et dOrigne(185-254) : ce dernier na pasduvre proprement mystique,mais son an esquisse, dans lesStromata, un vritable traitdasctique et de mystique ; il

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  • Les premiers sicle

    montre le gnostique chrtienslevant la connaissance deDieu par la voie des renonce-ments et des ngations, et p-ntrant enfin, comme Mose,dans la nue obscure (r-miniscence de Philon ?), o iljouit dune contemplation sur-naturelle analogue lintuitionplatonicienne du Bien.

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    Du IVe au VIe sicle :facteur dcisifs pourlavenir de la mysiquechrtienne :

    Du IVe au VIe sicle appa-raissent les facteurs les plus d-cisifs pour lorganisation futurede la mystique chrtienne, tantspculative que pratique :

    Le monachisme primitif

    a) Le monachisme primitif,rpandu en Egypte et dans leproche Orient, partir de lafin du IIIe sicle, soit sous la

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  • Les premiers sicle

    forme rmitique (saint Paul deThbes, vers 340 ; saint An-toine, 356), soit sous la formecnobitique (cfr la Rgle desaint Pacme, 348, et celle desaint Basile, 330-374), ralise,en dehors des parti-pris dcole,une exprimentation quasi pro-fessionnelle de la vie intrieure tous ses degrs. Lascse, tou-jours svre, souvent excessive,pratique par les moines orien-taux du IVe sicle, tendait un amortissement des passions(pjeia) conu parfois, tropngativement, sur le type de6limpassibilit stocienne (p. ex.

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    dans lenseignement asctiquedvagre le Pontique, c. 345-399) ; mais cette ascse purifica-trice restait subordonne unbut principal, la prire : prirecontinuelle, qui devenait ais-ment, chez les plus fervents, uneoraison mystique accompagneou non dextase. Beaucoup din-dices dune prire suprieure serencontrent, soit dans lHistoirelausiaque de Palladius 1 et endautres biographies des VitaePatrum (Migne, PG. XXXIV et

    1. Dans Migne, PG., XXXIV, oudans : Dom Cuthbert Butler, Thelausiac History of Palladius. Textsand Studies. Cambridge, 1898-1904.

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  • Les premiers sicle

    PL. LXXIII-LXXIV) ; soit dansles Homlies de saint Macairelgyptien (n vers 300, 389),dont la vie, au dire de Palladius,fut une extase presque ininter-rompue ; soit dans les Colla-tiones de Cassien (360-435), quidevaient, avec les crits de Ru-fin et de saint Jrme, contri-buer tellement enrichir lOc-cident latin de lexprience spi-rituelle accumule dans les soli-tudes dOrient. Plus tard, saintJean Climaque (525 ?-6o5) ex-posera, en des traits systma-tiques, cette doctrine monacaledascse et de contemplation.

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    Linfluence de saint Augustin

    b) Tmoins de la spiritualittraditionnelle des glises occi-dentales, les crits de saint Au-gustin (354-430) refltent unevie intrieure singulirementleve et constituent une dessources dinspiration les plusimportantes de la mystiquechrtienne. Ils offrent cette par-ticularit dadopter largement,pour dcrire les phases de lacontemplation surnaturelle, levocabulaire et les cadres de lamtaphysique plotinienne. Pu-rification du cur ; recueille-ment et introversion ; intuition

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  • Les premiers sicle

    de la Lumire divine au centrede lme ; chappes fugitivesvers la source mme de cetteLumire : tout cela par la grcedu Verbe incarn et dans le seinde lglise maison de Dieu ici-bas : telles sont, daprs saintAugustin, les tapes principalesde lascension mystique.

    Linfluence du Pseudo-Denys

    c) Moins discrtement quelvque dHippone, le pseudo-Denys (vers la fin du Ve sicle)emprunte aussi au noplato-nisme alexandrin. La fiction lit-traire par laquelle ce myst-

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    rieux inconnu usurpait le nomde lAropagite, contemporaindes Aptres, valut ses crits,profonds et quintessencis, une7tonnante fortune chez les tho-logiens mdivaux, et pesa surles destines de la mystiquethorique. Cette influence fut-elle heureuse de tout point ?Il faut dire, la dcharge deDenys, que souvent lon sestexagr le caractre ngatif dela contemplation prne danssa Thologie mystique : enralit, lorsquil dcrit le som-met surnaturel de lextase, lethme ngatif de la tnbre

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  • Les premiers sicle

    divine variante dun thmephilonien, dj repris par Cl-ment dAlexandrie et par saintGrgoire de Nysse (c. 335-395) alterne avec le thme posi-tif de la lumire divine, su-prarationnelle, rsidant au fondde lesprit, o elle est or-dinairement masque par lesfausses lueurs de la connais-sance discursive. La contempla-tion dionysienne, en teignantces fausses lueurs, plonge la rai-son dans une obscurit orien noffusque plus le rayon-nement dune clart suprieure.Le commentaire des crits dio-

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    nysiens par saint Maxime leConfesseur (580-662) contribuabeaucoup les accrditer et les rpandre.

    Linfluence de saint Groire leGrand

    d) Saint Grgoire le. Grand(540-604), magistrat romain,puis moine et pape, reprsenteen ascse et en mystique latradition occidentale la plussobre. Totalement tranger lasphre du pseudo-Denys (dontil connaissait pourtant, ft-cepar ou-dire, le Trait de laHirarchie Cleste), il se range

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  • Moyen ge

    dans la ligne spirituelle desaint Benot de Nursie (480-543), le grand lgislateur de lavie monastique. Sur la contem-plation, il reprend les vues desaint Augustin, en les dga-geant toutefois de leur frangedontologisme platonicien.

    MOYEN GE

    Le moyen ge prolongea, sousdes complications nouvelles, lesprincipales tendances qui diver-sifiaient la priode patristique :

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    Mystique affective, saintBernard

    a) A linspiration de Cassien,de saint Augustin et de saintGrgoire le Grand, linfluenceaussi des abbayes bndictines,se rattache la spiritualit sage-ment traditionnelle, plus sou-cieuse de dvotion que de sp-culation, qui conduisit la mys-tique affective de saint Bernard(1090-1153) et de ses imita-teurs.8

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  • Moyen ge

    Mystiqueaugustino-dionysiennedes Victorins

    b) Au XIIe sicle, une mys-tique augustino-dionysienne,conciliant la pit personnelleavec la spculation thologique,slabore chez les chanoinesrguliers de Saint-Victor, Paris : Hugues (1097-1141)et Richard ( 1173) prennentrang parmi les autorits enmatire de contemplation, tan-dis que leur confrre Thomasde Verceil ( 1226) composeet rpand une Extractio (ex-

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    traits paraphrass) des uvresdu pseudo-Denys. Celles-ciavaient, dj, t traduites enlatin par Hilduin ( 842), parJean Scot rigne ( 877) et,vers 1167, par Jean Sarrasin.

    Les grands thologiensscolastiques

    c) Les essais des Victorinsouvrent, dans le dveloppementde la mystique chrtienne, lapriode proprement scolastique(XIIIe sicle, et au del). A la thologie mystique se super-pose une thologie de la mys-

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  • Moyen ge

    tique : la description, le sys-tme. Entre ces deux points devue, exprimental et thorique,un conflit pouvait natre ; enfait, laccord rgna pour les-sentiel, sur la base dune tra-dition dj ferme, en margede laquelle sinscrivit la diver-sit des coles (cfr saint Albertle Grand, 1206 ?-128o, et saintThomas dAquin, 1225 -1274 ;dautre part, saint Bonaven-ture, 1221-1274, David dAug-sbourg, 1271, etc.) 1.

    1. Un aperu historique, par lesgrandes lignes, comme nous le faisonsici, sattache forcment lhistoire

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    Les mystiques allemandsdu XIVe sicled) Au sein des coles, dans

    la mystique plus affectivedes Franciscains comme dansla mystique plus spculativedes Dominicains, lautoritde lAropagite et de saintAugustin tait affiche au pre-

    doctrinale de la mystique plutt qulhistoire de lexprience mystiquemme. Si nous voulions prsenter unesorte de galerie des grands mystiqueschrtiens, labsence de certains nomsdans nos pages, par exemple ceuxde saint Franois dAssise et de sespremiers disciples, ne se justifieraitgure.

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  • Moyen ge

    mier plan, avec une fidlitlittrale qui nexcluait pasdinconscientes transpositionsdoctrinales. Celles-ci se rsu-maient ignorer pratiquementlarrire-fond noplatoniciendes textes invoqus. Or, prci-sment, ce fond noplatonicien,renforc jadis lexcs par Scotrigne, allait reparatre, sousun masque albertino-thomiste,dans le groupe si importantdes mystiques allemands duXIVe sicle : Eckhart (c. 1260-1327) et Tauler (c. 1290-1361),thoriciens et prdicateurs ;le bienheureux Henri Suso

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    (1295-1365), dont les opus-9cules prsentent un curieuxmlange de pit affective etde spculation eckhartienne ;enfin, lauteur inconnu de laTheologia germanica (XIVesicle). Dans la doctrine deces crivains mystiques, troispoints parurent suspects beaucoup de thologiens :

    10 la prsuppositionontologique gnrale,cest--dire limmanencedivine, naturelle et surna-turelle, entendue commeune sorte didentit dufond essentiel de lme

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  • Moyen ge

    avec Dieu ;20 la mthode dintrospection

    et de dpouillement, pous-se jusqu la complte nudit de lesprit ;

    30 le but poursuivi : lunion( Dieu) sans diffrence(perue) . On voit affleu-rer ici lambigut reli-gieuse inhrente aux for-mules noplatoniciennes :elles doivent videmmenttre interprtes, chez lesmystiques rhnans, daprsle contexte littraire etpsychologique ; ce pointde vue, Suso, Tauler et

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    mme Eckhart, sils ren-contrrent des critiquesmfiants, ont trouv aussides apologistes parmi lesthologiens les plus autori-ss.

    La mystiquebrabanonne : Ruusbroecet son influence

    e) De ces mystiques rhnansau grand contemplatif braban-on, le bienheureux Jean deRuusbroec (1293-1381), les af-finits sont videntes : ellesexpliquent les quelques suspi-

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  • Moyen ge

    cions dont il fut lobjet, mal-gr sa lutte vigoureuse contrelilluminisme et le quitismedes Bghards. Sa doctrine mys-tique, de tenue thologique trssre, se rattache plus direc-tement que celle de Eckhartaux Victorins et saint Au-gustin. Des juges aussi com-ptents que le R. P. L. Rey-pens, S. J., voient en elle lach-vement des lignes essentiellesde la mystique introspective ,cest--dire de toute la mys-tique spculative occidentale.Cette synthse dun long pass,Ruusbroec la prsente sous des

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    traits spcifiquement chrtiens :non seulement sa mystique re-pose sur une solide ascse, maiselle est sacramentaire (eucha-ristique), christologique, trini-taire, anime par un espritduniverselle et active charitpuis aux sources de la.charitdivine.

    Nous ne pouvons songer suivre ici, jusquen ses ramifica-tions, linfluence de Ruusbroecsur le dveloppement ultrieurde la mystique catholique. Parla propagande des Frres de laVie Commune et des chanoinesrguliers de Windesheim (XIVe-

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  • Moyen ge

    XVe sicles) ; par les crits deDenys le Chartreux (D. de Ri-jckel, 1402-1471) et de Louisde Blois (1506-1566) ; par latraduction latine des Rusbro-chii Opra due au chartreux co-10lonais Surius (1552) 1, et parle recueil dextraits mystiquesrhnano-nerlandais appel lePseudo-Tauler (1553) ; sur-tout par la fameuse Theolo-gia mystica (Cologne, 1538,1545,1556, d. corrige : Rome,

    1. Ds 1512 tait imprime, Pa-ris, chez Estienne, la traduction la-tine, par Jordaens, du principaltrait de Ruusbroec, le De ornatuspirituahum nuptiarum.

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    1586) du franciscain Van Herp(Harphius, 1477), ou en-core par la Perle vanglique (De groote evangelische Peerle),cet opuscule anonyme dontles ditions et traductions semultiplirent aux XVIe-XVIIesicles ; par toutes ces voies,et par dautres moins connues,lenseignement de Ruusbroec,associ trs souvent celui deTauler, rejoint, dans les pays la-tins, lambiance immdiate desainte Thrse et de saint Jeande la Croix, du Card. de B-rulle, de Jean de Saint-Samson,etc. A peu prs tout ce que

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  • Moyen ge

    la mystique, de moins en moinsspculative, des ges suivantsdira sur la structure de lmeen rapport avec la saisie deDieu, sera directement ou in-directement emprunt Ruus-broec ou ses sources mdi-vales et rhnanes (Reypens,dans le Dictionn. de spiritua-lit, Paris, 1932, sq., t.1, col.459, art. me).

    La fin du moyen ge

    f) En cette fin de moyen ge,paralllement la tendancehautement spculative des

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    Dominicains rhnans, persis-tait, chez les Frres-Prcheurs,la tradition contemplative,plus sobrement dionysienne,quavait connue et prcisesaint Thomas. De leur ct, lesFranciscains continuaient saintBonaventure, mais faisaientune place de plus en plus large la mditation affectueuse dela vie et de la passion du Christ.En Angleterre, au XIVe sicle,apparat un groupe dcritsmystiques dont lorientationmoyenne sexprime dans le titremme du principal dentre eux :The Cloud of Unknowing (Le

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  • Moyen ge

    Nuage de lInconnaissance).En France, Jean Gerson (1363-1429) puise dans la traditionmystique tout entire, maisavec une prdilection signifi-cative pour saint Bernard, lesVictorins, saint Bonaventure etHugues de Balma (chartreuxdu XIIIe sicle, dont lopusculeDe triplici via fut attribu long-temps au Docteur Sraphique).Proccup de dnoncer lesdangers trop rels du fauxmysticisme, il ne dissimule pas11sa mfiance envers la mystiquespculative du Nord.

    Cette diversit de groupes

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    et de tendances se reflte dansles biographies et les critsdillustres contemplatives :de mme que la spiritualitbndictine avait form unesainte Gertrude (1256-1301),et la spiritualit dominicaineune sainte Catherine de Sienne(1347-1380), la spiritualitfranciscaine inspira une bien-heureuse Angle de Foligno (1309) ou une sainte Catherinede Bologne (1413-1463). Parcontre, sainte Catherine deGnes (1447-1510), dont lesenseignements jouirent dunehaute faveur chez les spirituels

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  • Priode moderne

    de la Renaissance, ne subitpoint, semble-t-il, linfluencedune cole particulire.

    PRIODEMODERNE

    Dans la priode moderne,lenchevtrement des influencesactuelles et des dpendances lit-traires devient tel, que ce se-rait chimre de prtendre endonner en quelques lignes unaperu mme trs sommaire.Deux ou trois remarques seule-ment.

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    Trait dominant,problmes nouveaux

    a) La littrature mystiquecatholique, partir du XVIesicle, se distingue moins parloriginalit des interprtationsthoriques que par la richessedes analyses descriptives et parla prcision croissante des m-thodes (mthodes doraison, dedirection, de discernement desesprits ).

    b) Au XVIIe sicle pour-tant, un problme se for-mule, qui navait point t

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  • Priode moderne

    pos distinctement jusque-l :tant donn que la contempla-tion, selon lenseignement tra-ditionnel, forme le couronne-ment normal de toute vie das-cse et de prire, existe-t-il, ct de la contemplationinfuse , proprement mystique,pur don de linitiative divine,une contemplation acquise ,oraison simplifie, dpendantde leffort personnel aid seule-ment de la grce commune ? Larponse positive ou ngative cette question entranait, parune consquence plutt psycho-logique que strictement logique,

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    des corollaires, encore dbattusaujourdhui, touchant la limiteinfrieure des tats mystiques etla vocation plus ou moins res-treinte ces tats.12

    Quelques noms saillants

    c) Avec la condamnation of-ficielle de Molinos (1627-1696),de Mme Guyon (1648-1717) etde quelques autres, se ter-mine la lutte plurisculaire dela mystique catholique contretoutes les formes, mme att-nues, de quitisme. (Au fonddu quitisme gt toujours, dans

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  • Priode moderne

    une mesure plus ou moinslarge, cette double erreur, tho-rique et pratique : dattribuer des tats purement psycho-logiques de simplification oudinactivit, pouvant aller jus-qu la transe extatique inclu-sivement, les privilges de la contemplation infuse , op-ration de Dieu dans lme, et ainsi de livrer lme, sanscontrle rationnel ni garantiedivine, aux surprises de lin-conscient, souvent mme duninconscient quaucune ascsepralable na srieusement dis-ciplin).

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    d) Parler de mystique ca-tholique moderne , cest vo-quer avant tout les figures domi-nantes de sainte Thrse (1515-1582) et de saint Jean de laCroix (1543-1591) : sainte Th-rse, qui puisa dans son ex-prience personnelle lincompa-rable description quelle a lais-se de la vie doraison tousses degrs ; saint Jean de laCroix, contemplatif et tholo-gien gal aux plus grands, pro-clam, en 1926, docteur delglise pour son enseigne-ment mystique si prudent et sicomplet.

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  • Priode moderne

    A ces noms, comment nepoint ajouter, tout au moins,ceux de deux autres matresde la spiritualit des der-niers sicles : saint Ignacede Loyola (1491-1556), dontles Exercices spirituels , sanstraiter expressment de mys-tique, ont dispos tant dmesaux oraisons suprieures, etsaint Franois de Sales (1567-1622), dont la pit affectiveet pratique, trs loigne desspculations la Tauler, slvenanmoins aux plus hauts som-mets.

    Bornons-nous l : trop de

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    noms devraient tre cits pourprsenter sous leur vrai jourles familles dcrivains mys-tiques qui remplissent la p-riode moderne : coles bn-dictine, cistercienne ou carthu-sienne ; coles carmlitaine, do-minicaine, franciscaine, igna-tienne, salsienne ; cole fran-aise du cardinal de Brulle(1575-1629) ; cole liguorienne(saint Alphonse de Liguori,1696-1787), etc., sans compterles praticiens et thoriciens dela contemplation qui nappar-tiennent aucun groupe dfini.

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  • Priode moderne

    Orientation de lamystique contemporaine

    e) Cette varit de nuancesindividuelles et collectives, qui13sest perptue jusqu nosjours, ne doit pas tonner. Loinde constituer un symptmede dsagrgation par diffren-ciation excessive, elle marqueau contraire dapprciables en-richissements dun patrimoinecommun jamais entam. Nouscroirions mme que la diver-sit des interprtations et desorientations dcoles, non moinsque labondance et la prci-sion accrues des documents bio-

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    graphiques, font ressortir deplus en plus distinctement les constantes de la vie mys-tique, un peu comme lchelledes variations , dans linduc-tion baconienne, fait apparatreles invariants.

    Mieux encore, parmi les traitspermanents de la vie contem-plative au sein de lglise, telsou tels semblent prendre, de-puis les derniers sicles, unrelief nouveau. Faut-il parlerdune volution de lexpriencemystique mme, ou seulementdune conscience plus explicite et dune expression littraire

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  • Priode moderne

    plus avertie de certains as-pects de cette exprience ? Quoiquil en soit, nous songeons sur-tout, en crivant ces lignes, aurle central de la mdiation duChrist dans la pit chrtienne,mdiation ncessaire jusquausommet de lunion mystique ;ou encore lintention so-ciale, universaliste , aujour-dhui plus vidente que jamaisdans loraison contemplative ;et nous constatons aussi quecette intention duniverselle etsurnaturelle charit rejoint vo-lontiers le sentiment aviv delappartenance au corps mys-

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    tique dont le Christ est leChef.

    Lallusion, que nous venonsde faire, quelques tendancesactuelles, assez apparentes, dela mystique catholique pourraitntre pas dpourvue de signi-fication rtrospective. Lvolu-tion gnrale de la pit mo-derne ne marquerait-elle pas,sur le plan mystique mme,un retour vers cette plnitudechrtienne de vie spirituelledont les crits apostoliques de-meurent la charte authentique ?Ce retour signifie, si nousne nous trompons, que, pour

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  • Priode moderne

    les contemplatifs catholiques, laphase pseudo-dionysienne, tropabstraitement spculative, tropasservie un rythme philoso-phique demprunt, est dsor-mais close. Peut-tre devait-elle, de faon ou dautre, tretraverse, telle une priode decroissance. Nul doute, en ef-fet, que linfluence mdiate dela thosophie plotinienne etcelle, plus prochaine, de lamystique ngative du Pseudo-14Denys, naient contribu utile-ment, du VIe au XIVe sicle,et plus tard encore, prserverde la contamination sensible

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    la limpidit tout intellectuellede la haute contemplation :il importait quune dmarca-tion nette ft trace, dansloraison extraordinaire, entreune rgion psychologique in-frieure, ambigu, o peuventsurgir dj les phnomnes lesplus troublants de lextase, etla zone de pure spiritualit osopre, avec ou sans extase,le contact divin. Serait-il tm-raire de penser que le desseinde la Providence, en permettantltonnante aventure littrairequvoque le nom de lAropa-gite, ft daccoutumer les mys-

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  • Priode moderne

    tiques chrtiens et leurs di-recteurs cette svre disci-pline de limagination et des d-sirs qui devait tre codifie dfi-nitivement, au XVIe sicle, parsaint Jean de la Croix ?

    Du reste, pour le Docteurmystique espagnol, comme djpour son prdcesseur du XIVesicle, Ruusbroec, il ne suffi-sait plus de recueillir ce que ladoctrine dionysienne des puri-fications chelonnes et de lacontemplation obscure offraitdassimilable : il fallait com-plter, et au besoin corriger,par les leons de lexprience

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    chrtienne intgrale, lenseigne-ment thorique du Pseudo-Aropagite ; ou, si lon veut, ilfallait prolonger, jusque danslabme sans fond et sans rivagede la Thologie mystique , lesthmes christologique et eccl-siologique de la Hirarchie c-leste et de la Hirarchie ec-clsiastique . Pour emprunterla terminologie mme de ces ou-vrages, si Jsus, que la commu-naut chrtienne invoque, danslobscurit de la foi, tra-vers le symbolisme des rites,comme le principe et la finde toute la hirarchie sacre ,

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  • Priode moderne

    (cest--dire des ordres eccl-siastiques et des sacrements) :tn pacwn erarqiwn rqnte ka telewsin, >Ihsoun (Deecclesiastica Hierarchia, cap. I,M., PG. III, col. 373), si Jsusest substantiellement, commeVerbe divin, la Lumire duPre, ...par laquelle (seule) nousavons accs au Pre, sourcede toute lumire : t pa-trikn fwc ... d o

  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    abandonner ce Jsus indivisible,vrai Dieu tout ensemble et vraiHomme, sur le seuil du sanc-tuaire o elle obtiendra lau-15dience du Pre ? Or, pour desraisons que nous ne pouvonsessayer ici de conjecturer, laThologie mystique de De-nys semble prononcer cette ex-clusion : du moins ne nous dit-elle pas comment, dans lin-diffrentiation abyssale de la tnbre divine , le Jsussuressentiel perosioc>Ihsouc. De mystica Theolo-gia, cap. III, M., PG. III, col.1033), dpouill de ses attributs

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  • Priode moderne

    anthropomorphiques (njrw-pofuikaic lhjeac. Ibid.),pourrait se rvler lme. Ma-nifestement, la nue obscure ,le heoc gnfoc,, ne sauraittre, en chrtient, le derniermot de la mystique spculative :une synthse plus large sim-pose.

    Cette synthse, ralise vi-talement toute poque danslme des mystiques, sembleaujourdhui en voie de sex-pliciter de plus en plus dansles doctrines : nous compre-nons mieux que le mystique ca-tholique nest pas seulement,

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    par rapport aux autres fidles,un spar, un vad vers uneindistincte transcendance ; quelascension mystique est faited intgrations plus que de retranchements ; quelle nedoit effacer, de la commune viechrtienne, aucun trait spci-fique ; bref, que le parfait mys-tique serait, en cela mme, leparfait chrtien, et nous en-tendons un chrtien que lesplus hautes faveurs divines nar-rachent pas la solidarit dessouffrances et des conqutes delglise militante 1.

    1. Voir plus loin, dans ce Recueil,

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  • Conclusion

    CONCLUSION :Caractres gnrauxet permanents de lamystique catholique

    Sous des nuances contin-gentes, locales et personnelles,ltat mystique ne varie gure,pour le fond, dune poque lautre. Il rpond, chez lescontemplatifs catholiques, auxcaractres gnraux et perma-nents que voici :

    le mmoire intitul ; Rflexions surltude compare des mysticismes (p.461 465).

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    10 Constamment appuy surune ascse morale trsexigeante, il se dveloppedans le cadre dogma-tique, sacramentaire etdisciplinaire de lglise.

    20 II consiste essentiellementdans le recueillementdune me saisie par lac-tion divine et possdant lesentiment plus ou moinsl6confus de cette prsenceactive de Dieu en elle :exprience intime, qui est la fois connaissance etamour ; exprience dou-loureuse, dans la mesure

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  • Conclusion

    o elle achve la purifica-tion des facults de lme( purifications passives )et dans la mesure aussio elle aiguise le dsirdune union plus troiteavec Dieu ; expriencebatifiante, dans la me-sure o Dieu se donne ;exprience dont le cyclecomplet enveloppe tou-jours en quelque faon lamdiation du Christ et laparticipation la vie de laSainte-Trinit.

    30 Cette absorption intrieuredans le divin peut tre

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  • IV Les tournants principaux dans lhistoire de la mystique catholique

    pousse, certains mo-ments, jusqu lextasecomplte, o cessent, nonseulement le jeu des sensexternes et de limagina-tion, mais la consciencede soi. Pourtant, ausommet dernier (tatthopathique, mariagespirituel ), les extasessont plus rares ou tota-lement absentes ; lunionmystique, devenue per-manente, nentrave plusle libre exercice des fa-cults ; souvent mmeelle confre lactivit

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  • Conclusion

    extrieure du contemplatifune puissance nouvelle.

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  • V.LINTUITIONDE DIEU

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    DANS LAMYSTIQUECHR-TIENNE 1

    1. Cet article a paru dans les Re-cherches de Science religieuse, Paris,t. V, 1914, p. 145 sqq.

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  • Telle que nous lavons propo-se prcdemment (voir le tomeI de ces tudes ), lhypothsedune intuition de Dieu dans lehaut tat mystique nest pointnouvelle ni contraire aux don-nes de la thologie. Nous mon-trerons mme plus tard, silplat Dieu, en quel sens cettehypothse, dinspiration augus-tinienne, fut et reste un heu-reux prolongement de la psy-chologie et de la mtaphysiquethomistes. Contentons-nous iciden dfendre sommairement lalgitimit.

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    I. Jusqu la fin dumoyen ge

    A. Dans luvre de saint Tho-mas, se retrouve, aussi netteque possible, la trace dunetriple influence, qui ragit sur samanire denvisager les tats dehaute contemplation :10 linfluence de saint Augus-

    tin ;20 celle du pseudo-Denys

    lAropagite ;30 celle de Richard de Saint-

    Victor 1.

    1. Nous nous bornons l par soucide brivet, et sans nier lintrt

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    Saint Augustin10 Saint Augustin 1. On sait

    combien volontiers saint Tho-mas sy rfre. Dans la ques-tion prsente, les anciennes di-tions de la Somme citent De Ge-nesi ad literam, livre 12, et AdPaulinam, de videndo Deo, ep.112, cap. 12 (voir le Corpus deVienne, tome XLIV : AugustiniEpistularum, pars III, ep. 147).que prsenterait une comparaison d-taille avec dautres thologiens de lapriode prthomiste.

    1. Voir plus loin, dans ce Recueil,le travail intitul : La vision deDieu au sommet de la contemplation,daprs saint A ugustin.

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    Quon se reporte, par exemple,au livre 12 du De Genesi ad li-teram, surtout aux chapitres 26et suivants, et lon constatera20sans peine que saint Augustinadmet une intellectualis vi-sio dans laquelle Dieu, connuimmdiatement per speciem,non per aenigmata (l. c, cap.XXVI), se fait lui-mme la lu-mire de lintelligence : illud(lumen) iam ipse Deus est (l. c, cap. XXXI). Pareille vi-sion entrane ou suppose ltatde ravissement, dans lequellme rapitur, ... a carnali-bus abstracta sensibus..., etc.

    90

  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    (l. c., cap. XXXI) ; elle eutdillustres bnficiaires, Moseet saint Paul (l. c., cap. XX-VIII, etc.) ; mais la maniremme dont saint Augustin parledelle montre quil nen res-treint point, en principe, leprivilge ces saints per-sonnages ; nous devrons faireune remarque analogue, tout lheure, pour saint Thomas.

    Pseudo-DenyslAropagite

    20 Celui-ci, comme tous lesdocteurs mdivaux, tenait en

    91

  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    singulire estime le pseudo-Aropagite. Il le cite frquem-ment pour se ranger son avis.Nous ne savons si lon a suf-fisamment tir parti, pour in-terprter la pense du Doc-teur anglique, de certains pas-sages imprgns de noplato-nisme, tel le curieux chapitrequi se trouve dans la Sommethologique (IIa IIae, 180, Devita contemplativa, art. 6). Or,bien que lon oppose parfoisles formules du pseudo-Denys la thse que nous avonsfaite ntre, il peut sembler, aucontraire, qui tient compte

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    du temprament philosophiquealexandrin, si fortement mar-qu dans cet minent inconnu,que la connaissance extatique,quil dcrit, implique, moyen-nant effacement de toutes lesdterminations finies, un vri-table contact entre la divinitet lintelligence : un contactobscur mais immdiat, lequel,sans raliser encore le sens duplonasme thologique : visiointuitiva , prsente nanmoinstous les caractres essentiels del intuition intellectuelle dfi-nie par les psychologues 1. Nous

    1. Voir, plus loin. Appendice I.

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    ne pouvons faire ici la dmons-tration, trs dlicate, de cettethse, mais nous avons limpres-sion, avouons-le, que pour biencomprendre lascension diony-sienne de lme prc tn touJeou sktouc ktna, il fautsaider dune certaine familia-rit avec des philosophes pro-fanes comme Plotin et Pro-clus 1.21

    1. Voir ci-dessous larticle intitul :Le seul seul avec Dieu dans lex-tase, daprs Plotin.

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    Richard de Saint-Victor

    30 Richard de Saint-Victorfut un des matres doraisonles plus autoriss du moyenge. On ne saurait sexagrerlimportance qui sattache,pour lexgse des mystiquesdu XIIIe et du XIVe sicle, lanalyse de ses deux ouvrages :De praeparatione animi adcontemplationem (Beniaminminor) et De gratia contem-plationis (Beniamin maior).Plusieurs des considrationsque nous avons dveloppesailleurs sur les phases pra-lables la contemplation

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    suprieure, se trouvent pro-poses et l dans ces deuxtraits. Quant aux tats quenous appelions union pleine ou haute contemplation , ilscorrespondent aux deux degrssuprmes parmi les six degrsde contemplation que Richarddistingue soigneusement. Or,lobjet de ces deux degrs, cestla vrit divine , au senspropre de cette expression ;cest le Dieu un et trine, dontla vrit interne ne peut treconnue que par une rvlationdirecte ou par lautorit de lafoi (Benj. maior, IV, 2). Le prin-

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    cipe psychologique, interne, decette contemplation suprieure,cest la pure intelligence, paropposition la raison discursiveet limagination Benj. maior,I, 3, sqq.), cest lintelligenceoprant soit supra rationem,sed non praeter rationem, soit supra rationem et praeterrationem (Ibid., I, 6, 7). Et leprincipe externe de la contem-plation de pure intelligence,cest la rvlation que Dieufait directement de lui-mme(Ibid., I, 3, 7 ; IV, 2 sqq. etsurtout 7). A vrai dire, trs peuatteignent ces degrs sublimes :

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    vix soli perfecti ad omniasex contemplationum gneraproficiunt (Benj. maior, I,10). Voil, nous semble-t-il, descaractres absolument dcisifspour qui sait apprcier la valeurtechnique de la terminologiemdivale.Mais Richard nous fournit des

    prcisions plus tranches en-core, si possible.Citons quelques passages ca-

    ractristiques :

    a) Les cinquime et siximecontemplations, comparables la troisime paire dailes du

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    chrubin dzchiel, sont nces-saires pour pouvoir usque adtertium caelum cum Apostolopenetrare , ad tertii caeliscrta et divinitatis arcana vo-lare (Benj. maior, I, 10, versla fin). Or, on sait commentsaint Augustin, et aprs luisaint Thomas et bien dautres,interprtaient la vision desaint Paul : celle-ci avait au22moyen ge la valeur dun para-digme, dont le sens thologique,quelque opinion que lon pro-fesst, tait trop prcis pourpermettre un emploi par peuprs.

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    b) Ces deux suprmes contem-plations sont de lordre de laconnaissance anglique :

    In ultimis... duobus(contemplationum generi-bus), totum pendet ex gratia.Et omnino longinqua sunt, etvalde remota ab omni humanaindustria, nisi in quantumunusquisque caelitus accipitet angelicae sibi sitnilitudinishabitum divinitus superducit. (Benj. maior, I, 12).

    Et la connaissance anglique,dont il est ici question, est celledes anges les plus levs et lesplus proches de Dieu (Ibid., IV,

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    1, 7) ; bien plus, cest la connais-sance surnaturelle que ces angesont de Dieu, la vision intuitive :

    ... huius novissimi operis di-gnitas (se. utriusque supremaecontemplationis), quae supre-mae illius hierarchiae in an-gelis archangelicam sublimita-tem, ex quadam industriae suaeaemulatione, imitatur. Cogita...cuius sit excellentiae illius or-dinis in se similitudinem perimitationem trahere, qui sum-mae claritati immdiate adhae-ret, qui facie ad faciem, et sinespeculo, et sine aenigmate vi-det Ibid., IV, 7).

    101

  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    c) Cette sorte de contempla-tion est, dans la vie prsente,une anticipation, une inchoa-tion de la vision batifique :

    Plenitudo itaque scientiaeDeum cognoscere ; plenitudoautem huius scientiae pleni-tudo est gloriae, consumma-tio gratiae, perpetuitas vitae...Ad huius scientiae plenitudi-nem hae novissimae specula-tiones paulatim nos promovent,et quandoque sane perducerehabent. Huius plenitudinis per-fectio in hac vita inchoatur, sedin futura consummatur (Benj.maior, IV, 5).

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    Peut-tre est-il bon de re-marquer encore, que le modede connaissance par infrencedes effets la cause, si simpli-fi quon le suppose, appartien-dra toujours incontestablement,pour un mdival, lactivitdiscursive de la raison : or, se-lon Richard de Saint-Victor, dsle quatrime degr de contem-plation, l oculus rationis ,qui fait remonter des effets auxcauses, se ferme pour tre rem-plac par l oculus intelligen-tiae Benj. maior, III, 9) 1.23

    1. Voir quelques indications com-plmentaires, sur la doctrine mys-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    Saint Thomas dAquinB. Aprs une tude attentive

    de Richard de Saint-Victor, lechapitre de la Somme tholo-gique, o Saint Thomas rap-pelle les six degrs de contem-plation, apparat lumineux (cfrS. theol., IIa Iae, qu. 180, De vitacontemplativa, art. 4). On com-prend la porte exacte des ex-pressions suivantes, rptes iciet ailleurs : Ipsa contemplatio divinae

    veritatis , sublimis contem-platio divinae veritatis, in qua

    tique de Richard, dans lAppendice2, A.

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    finaliter contemplatio perfici-tur , contemplatio optimi in-telligibilis .On comprend aussi le sens

    plnier de cette admirable for-mule :Ultima perfectio humani in-

    tellectus est Veritas divina ;aliae autem veritates perficiuntintellectum in ordine ad verita-tem divinam (loc. cit.).Si lon veut bien lire ensuite,

    dans la mme question 180,larticle 5, intitul : Utrumvita contemplativa secundumstatum huius vitae possit per-tingere ad visionem divinae es-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    sentiae , on se convaincra ai-sment que le principe tho-logique sur lequel nous avonsappuy notre interprtation duhaut tat mystique savoir,la possibilit dune intuition deDieu, ft-ce mme dune visionde lessence divine, ds cettevie ne mrite, aucun degr,lpithte de risqu 1.Nous ne pouvons songer 1. Si lon veut achever de sen

    convaincre, quon daigne lire BenotXIV, De canoniz. servorum Dei, III,50, 5 (Opra omnia, d. Bassanen-sis, 1767, t. III, p. 360, col. 1, 2)ou Cornely, Cursus scripturae sa-crae. In 2 Cor., P 326-327, pour nepoint parler de thologiens encore en

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    analyser ici par le menu d-tail les divers passages, siriches dindications, dans les-quels saint Thomas prcise lesconditions de possibilit de lavision de Dieu ici-bas ; voicila rfrence aux principauxdentre eux : Summa theol., I,12, 11, 2um ; IIa IIae, 175 enentier, et surtout art. 3 ; IIaIIae, 180, surtout art. 5. Summacontra gentiles, III, 47 ; et voiraussi le commentaire de Syl-

    vie et de nombreux auteurs de trai-ts de mystique. Sur la doctrine desaint Thomas concernant le sommetde la contemplation , voir ci-dessous,lEssai IX.

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    vestre de Ferrare : Quaest. dis-put. De veritate, X, De mente,24art. II ; XII, De prophetia, art.7 ; XIII, De raptu, art. 2, 3, 4.Quaest. quodlibet., I, art. .1.A ces diffrents endroits lon

    constate que, pour saint Tho-mas, la vision directe, lin-tuition de Dieu, ici-bas, estpossible, mais seulement dansltat de ravissement (in raptu,alienatis sensibus) ; que cette vi-sion fut ralise typiquement,mais non pas exclusivement 1,chez saint Paul, et peut-tre

    1. Et ceci est de tradition augus-tinienne. Bien avant saint Thomas,Haymon dHalberstadt (Expos, in

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    chez Mose, ou mme chezAdam, durant son sommeilmystique ; quelle est bien unevision de lessence de Dieu ,du mme ordre donc que lavision batifique ; quelle sup-pose, comme cette dernire,le lumen gloriae , non pas

    II Cor., cap. 12, M., PL, CXVII),parlant de la vision de la sub-stance mme de Dieu par saintPaul, ajoute cette remarque, trans-crite littralement du De videndoDeo : Et non fit incredibile quibus-dam sanctis, nondum ita ex toto de-functis ut sepelienda cadavera rema-nerent, etiam istam excellentiam vi-sionis fuisse concessam. (M., PL.,loc. cit., col. 663 B).

    109

  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    per modum formae perma-nentis , comme dans la Patriecleste, mais per modum pas-sionis cuiusdam transeuntis ,do vient quelle na pas leffetstablement ni mme pleinementbatifiant de la vision des bien-heureux ; quen ltat de ravis-sement, l actus fidei est sus-pendu, mais non pas l habitusfidei , etc.

    Saint Bonaventure

    C. Cette doctrine de saint Au-gustin et de saint Thomas nousla croyons assez rpandue au

    110

  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    moyen ge pour pouvoir lappe-ler commune . Il slve nan-moins des voix discordantes :encore, lopinion exacte quellesexpriment est-elle souvent mal-aise dchiffrer. Sans doute,linterprtation errone de cer-tains textes de la sainte cri-ture ou de Pres, en particulierde saint Grgoire le Grand, amis quelques thologiens mdi-vaux en dfiance contre tout cequi ressemblait une vision de Dieu anticipe ds ici-bas.Et nous rencontrerons ce cou-rant de dfiance, grossi par laraction ncessaire contre des

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    erreurs successives, dans toutle dveloppement ultrieur dela thologie. Parmi les repr-sentants les plus brillants de latendance rserve on a citrcemment (pour lopposer notre thse) saint Bonaventure.Nous croirions plutt que saintBonaventure, dans cette ques-25tion, nest pas tellement loin desaint Thomas. Le principal pas-sage, do lon peut tirer le pouret le contre, se trouve dans leCommentaire sur les Sentences(In secundum libr. Sent., dist.XXIII, art. 2, qu. 3. dit. deQuaracchi, t. II). Il est trs vrai,

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    comme on nous la object, quele saint docteur y dfinit un tatmystique normal, qui consis-terait dans une connaissancede Dieu obtenue par linterm-diaire dun effectus interior ,ou, comme il dit ailleurs, parla vision intellectuelle alicuiusgratiae vel influentiae..., sicutsentit anima sancta quando li-quefit, cum Sponsus alloquituream (op. cit., t. II, p. 546, col.1). Mais il faut remarquer ceci :

    a) La question formellementtraite en cet endroit est cellede la vision de Dieu quau-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    rait eue Adam in statu in-nocentiae . Saint Thomas estdaccord avec saint Bonaven-ture pour reconnatre que pa-reille vision, si toutefois elleeut lieu, na pu tre habituelle,mais il admet quelle peutstre produite transeunter , in sopore Adam, suppo-ser que ce sommeil miraculeuxft un ravissement . Le doc-teur franciscain ne formule pasmme cette dernire restriction propos dAdam ; il en admetcependant le principe dans deuxbouts de phrase, qui nous pa-raissent jeter quelque lumire

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    sur sa vritable pense en laquestion prsente, et sur lidequil se faisait de la vocation largement ouverte ltatmystique : Si quae auctoritates id di-

    cere inveniantur, quod Deus inpraesenti ab homine videtur etcernitur, non sunt intellegendaequod videtur in sua essentia,sed in aliquo effectu interiori co-gnoscitur... [voil la rgle ordi-naire], nisi 1 fortassis in his quirapiuntur, sicut credimus fuissein Paulo, qui specialitate pri-vilegii statum viatorum super-

    1. Nous soulignons.

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    grediuntur nec ibi aliquid aguntsed solum aguntur [voil lini-tiative exceptionnelle, imprvi-sible, de la munificence divine lgard de privilgis] Op.cit., t. II, p. 544, col. 2).Un peu plus loin, aprs avoir

    parl de la tnbre diony-sienne (nous allons y revenir),il ajoute :Hunc modum cognoscendi

    arbritor cuilibet viro iustoin via ista esse quaerendum ;quodsi Deus aliquid ultra faciet,hoc privilegium est spciale,non legis communis Op. cit.,p. 546, col. 1).26

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    b) On sent, chez saint Bo-naventure, le souci de ne pasconfondre les tats de contem-plation avec la vision bati-fique. Il est fort impressionnpar les expressions ngativesdu pseudo-Aropagite et parun texte fameux de saint Gr-goire (cfr op. cit., p. 544, col.2). Dautre part, lascension delchelle contemplative lui pa-rat une voie normale, o doitprogresser toute me visant la perfection. Aussi bien, son-geant aux dons mystiques quipeuvent tre raisonnablementdsirs, dfinit-il la contempla-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    tion sans tenir compte de lex-tension thoriquement possiblede celle-ci : il la dcouronne(tout au moins par prtri-tion) de cette extrme cime, o,daprs Richard de Saint-Victoret saint Thomas, elle trouveson panouissement complet : lacontemplation bonaventurienneatteint Dieu plus ou moins clai-rement, mais toujours indirec-tement in effectu proprio op. cit., p. 545, col. 1).

    Il faudrait de longs dvelop-pements pour analyser les rai-sons de cette divergence determinologie. Toutefois, avant

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    dabandonner le sujet, signa-lons lattention encore un pas-sage suggestif. Ayant oppos laconnaissance de Dieu per ef-fectum la connaissance di-recte per deiformitatem glo-riae , saint Bonaventure pour-suit :Concedo tamen nihilomi-

    nus, quod oculi aspectus inDeum figi potest, ita quod adnihil aliud aspiciat 1 ; attamennon perspiciet vel videbit ip-sius lucis claritatem, immo po-tius elevabitur in caliginem etad hanc cognitionem elevabi-

    1. Les mots souligns le sont dansle texte original.

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    tur per omnium ablationem, si-cut Dionysius dicit in libro Demystica theologia, et vocat is-tam cognitionem doctam igno-rantiam. Haec enim est in quamirabiliter inflammatur affec-tio, sicut eis patet qui aliquotiesconsueverunt ad anagogicos ele-vari excessus. Hune modum co-gnoscendi arbitror cuilibet viroiusto in via ista esse quaeren-dum ; quodsi Deus aliquid ul-tra faciet, hoc privilegium estspciale, non legis communis. (Op. cit., p. 546, col. 1).

    Au jugement du Saint, laconnaissance mystique de

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    lAropagite constitue le sum-mum des tats mystiques pourlesquels la grce est offerte tous, mais non pas le summumabsolu des tats mystiques.Remarquons dailleurs quelextase dionysienne, telle quela dcrit saint Bonaventure,nimplique dj plus linfrence27deffet cause, ni le symbolismede la connaissance analogiquede Dieu (nihil aliud quamDeum adspicit anima) ; que,par consquent, si elle nestpas un tat de pure affecti-vit inconsciente, elle rpondrigoureusement la notion

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    psychologique dintuition, lin-tuition tant caractrise parl immdiation objective dela connaissance. Pourtant, saintBonaventure recule devant lemot vision : pourquoi ?Parce que cette expressionmtaphorique lui parat incom-patible avec lobscurit de lacontemplation dionysienne : visio non dicit qualemcumquemodum cognoscendi, sed mo-dum cognoscendi completumop. cit., t. II, p. 545, col. 2).

    Si bien que, finalement, nouspourrions avec quelque raisonappuyer notre hypothse gn-

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  • I. Jusqu la fin du moyen ge

    rale sur saint Bonaventure lui-mme, si paradoxal que pa-raisse, de prime abord, cerecours 1 : le Docteur sra-phique ne distingue-t-il pas clai-rement, dans les tats dorai-son, trois plans superposs :

    1. Limpression, de prime abord,serait dailleurs presque aussi dfavo-rable notre thse si lon consultait,chez saint Thomas, cette uvre dedbut moins personnelle que sontles Commentaires sur les Sentences : In librum II, dist. 23, quaest. 2, art.10 , il traite la mme question quesaint Bonaventure, et de manire fortsemblable. Sur la mystique de saintBonaventure, voir lAppendice 2, C,III, ci-dessous.

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    une connaissance mystique m-diate de Dieu (zone ordinairede la contemplation) ; une in-tuition immdiate mais obscurede Dieu (sommet normal de lacontemplation ici-bas) ; une vi-sion claire de Dieu (qui sembletre du mme ordre que la vi-sion batifique : sommet ab-solu de la contemplation, au-quel Dieu nlve que transitoi-rement et trs exceptionnelle-ment ici-bas) ?

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  • II. Ruusbroec : Lornement des noces spirituelles

    II. Ruusbroec : Lornement desnoces spirituelles

    Ce serait une tche fort int-ressante, et probablement fruc-tueuse, de chercher prci-ser quelques points plus dli-cats dexgse thomiste (noussongeons certains confins duthomisme et du noplatonisme)par ltude des mystiques al-lemands et nerlandais de lafin du XIVe sicle. La plu-part, en effet, appartiennent lOrdre dominicain, et sont im-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    bus de philosophie albertino-28thomiste. En mystique, ils nousparaissent se rattacher la tra-dition dont nous avons dgagci-dessus quelques lments. Or,quil sagisse de Matre Eck-hart, dont le degr dorthodoxieest encore lenjeu de contro-verses rudites, ou bien de mys-tiques incontestablement ortho-doxes, comme le bienheureuxSuso, comme Tauler, comme ledvt prieur de Groenendael, lebienheureux Jean Ruysbroeck,partout nous trouvons affirme,au sommet de ltat mystique,une union directe, sans inter-

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  • II. Ruusbroec : Lornement des noces spirituelles

    mdiaire interpos, entre Dieuet lintelligence, cest--dire, entermes psychologiques, une in-tuition de Dieu.Nulle part cette doctrine de

    lunion mystique ne prsente,sous la bonhomie et parfois sousla gaucherie de lexpression, uneunit systmatique plus troiteet une plus grande profondeurque dans les crits de Ruys-broeck, surtout dans son ou-vrage principal : LOrnementdes noces spirituelles. Rappe-lons seulement ici 1 les troistapes de la vie spirituelle, dont

    1. On peut trouver, dans ltudepublie ci-aprs, sous le titre : R-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    la description fait lobjet destrois livres de cet incomparabletrait :10 La vie des uvres, vita

    actuosa , cest--dire lapratique active des vertuschrtiennes.

    20 La vie vraiment intrieure, vita interna, elevata etaffectiva , champ dexer-cice de l introversion , ceprocd de recueillement

    flexions sur ltude compare desmysticismes et de la mystique (III, 6,vers la fin), un expos un peu plusdtaill des grandes tapes de la viecontemplative daprs Ruysbroeck.Voir aussi Appendices 3, 4 et 5.

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  • II. Ruusbroec : Lornement des noces spirituelles

    si particulirement cher la mystique du Nord 1. Le

    1. Introversio, recollectio, concen-tratio, puis sursumductio : la termi-nologie varie un peu, mais le procdest de tous les temps. On lit, parexemple, dans lopuscule De adhae-rendo Deo, longtemps attribu saintAlbert le Grand (Opra omnia,vol.21, Lugduni, 1651, ou, dans la rdi-tion Borgnet, vol. 37, Paris, 1898) : Flix ergo qui per abstersionemcontinuam phantasmatum et imagi-num, ac per introversionem et in-ibi per sursumductionem mentis inDeum, tandem aliquando oblivisciturphantasmatum, etc. (cap. 4) ; ...in tua introversione et recollectione (cap. 12). Il ny a dailleurs en ceci,lauteur le rappelle, quune applica-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    point culminant de cetteseconde tape ne semblepas trs loign de lacontemplation absolumentsimple, mais obscure, de29lAropagite ; malgr tout,lactivit mystique nytreint pas encore Dieului-mme : elle sexerce infra Deum, bienquelle soit la connaissancede Dieu la plus intimequi puisse, sur terre ouau ciel, tre reue increato lumine . Cest

    tion de la maxime augustinienne : ascendere ad Deum, hoc est intrarein seipsum (cap. 7).

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  • II. Ruusbroec : Lornement des noces spirituelles

    bien l Dieu connu inproprio effectu , selon laformule bonaventurienne.Par del, stend la grandetnbre, que seules les ful-gurations divines peuventilluminer : nihil restataliud nisi vita contem-plativa, quae in divinolumine et divino quodammodo agitur . (D. JoannisRusbrochii, Opra om-nia, latine reddita per L.Surium. Coloniae, 1552, p.351).

    30 La vie contemplativesuressentielle : vita

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    contemplativa superessen-tialis . Ici, lobjet de lacontemplation, la fois,et le mdium cognitio-nis ne sont autres quelessence mme de Dieu,de linsondable Trinit. Lavision se fait in divinolumine, absque medio (op. cit., p. 369). Et cettelumire divine, cest leVerbe :

    Tertium (contemplanti ne-cessarium) est, ut in divinita-tis essentia, omnis modi nes-cia, et in caligine, ubi omnescontemplatores fruendo aberra-

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  • II. Ruusbroec : Lornement des noces spirituelles

    runt, nec seipsos unquam se-cundum creaturae modum re-perire queunt, seipsum amise-rit. In cuius quidem caliginisabysso, in qua spiritus amoreflagrans sibi ipsi mortuus est,Dei manifestatio et vita aeternaincipit. Isthic lux quaedam in-comprehensibilis lucet ac nas-citur quae est Filius Dei, inqua vitam contemplamur aeter-nam : et in ipsa videre incipi-mus. Op. cit., p. 369).

    Peu parviennent ces som-mets : aussi les descriptionsde ces privilgis rencontrentdes sceptiques ; ceux-ci Ruys-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    broeck adresse une prire :

    quae cum itase habeant, obsecroomnes, ad quorummanus ista noti-tiamque pervenerint,si quidem ea nonintellexerint, nequein spiritus sui fruitivaunitate sentiant acexperiantur, ut nequod hinc ofendi-culum capiant, sedsinant esse id quodsunt : neque enimnisi vero consentaneaprolaturi sumus

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  • II. Ruusbroec : Lornement des noces spirituelles

    (op. et loco cit.) 1.

    Certes, la mystique de Ruys-broeck, comme celle, toute voi-sine, de Tauler, donna quelqueinquitude des thologiensproccups avant tout de com-battre les erreurs quitistes et30illuministes 2 ; mais elle trouva,

    1. Nous devons notre collgue leP. L. Reypens, de prcieuses indica-tions sur la valeur de la traduction deSurius, et sur dautres points concer-nant la mystique nerlandaise.

    2. On sait que Gerson attaqua vi-vement la troisime partie des Nocesspirituelles. (Voir dans : Io. Gerso-nii, Opra omnia, edit. du Pin, Ant-werpiae, 1706, t. I, les pices du pro-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    ds le dbut, des dfenseurs au-dessus de tout soupon, telsDenys le Chartreux, Louis deBlois, Canisius, Bellarmin, Les-sius. Nous ne pensons pascs, cest--dire la lettre de Gerson auP. Barthlmy, chartreux, la dfensede Ruysbroeck par le prieur Jean vanSchoonhoven et la rponse de Ger-son). Quoi quil en soit de la valeurdes critiques, beaucoup trop svres,du chancelier de Paris, on remar-quera quelles ne portent point surlaffirmation dune intuition mystiqueanalogue la vision batifique, maissur lincorrection prtendue dexpres-sions do lon aurait pu, craignait-il,dduire une sorte dunion panthiste,par annihilation en Dieu de la person-nalit ou de lesse du contemplatif.

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  • II. Ruusbroec : Lornement des noces spirituelles

    dailleurs que quelquun saviseaujourdhui de contester la par-faite orthodoxie du prieur deVauvert (Groenendael). Per-sonnellement, nous dirions plusencore : non seulement sadoctrine est orthodoxe, mais,sous des traits augustiniens,elle constitue, dans lordre mys-tique, un prolongement authen-tique de la philosophie et de lathologie thomistes.

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    III. La mystiquelatine des XVIe etXVIIe sicles

    Quelques traits gnraux

    On sest accoutum consi-drer la Renaissance dans lespays latins comme la priodeclassique de la mystique chr-tienne. Nous ny contredironspas, car nous prtendons ne lecder personne en admirationpour des matres comme saintJean de la Croix et sainte Th-rse. Il est permis nanmoinsde se demander si linterprta-

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  • III. La mystique latine des XVIe et XVIIe sicles

    tion thorique de leurs crits nepeut sclairer utilement de ladoctrine mystique des poquesantrieures. Ils crivaient en unsicle o la forte mtaphysiquethomiste elle-mme stait affa-die dans les malencontreux al-liages du nominalisme : il nestpas bien sr que leur philoso-phie et leur psychologie fussent, la nuance prs, celles quiorientaient la pense des mys-tiques mdivaux ou des mys-tiques germano-nerlandais :do, sans doute, des glisse-ments de point de vue etdes diffrences de terminologie

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    qui purent ntre pas tousgards un progrs. Surtout, ilsavaient tenir compte de la31mfiance quinspirait aux tho-logiens toute tendance qui, deprs ou de loin, rappelait lequitisme et lilluminisme : cestpeut-tre lpoque o lon voitse marquer, chez les auteurs or-thodoxes, la dfaveur la plusinstinctive envers la thse, si r-pandue au moyen ge, de la pos-sibilit exceptionnelle, sansdoute dune vision directe deDieu en cette vie. La proccupa-tion de ne pas confondre, ou pa-ratre confondre, lunion mys-

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  • III. La mystique latine des XVIe et XVIIe sicles

    tique avec la vision batifiquesintensifie chez les contempla-tifs eux-mmes et se trahitdans leurs crits. Dailleurs,leur texte, dj prudent parsoi, tait expos, comme lontmontr les plus rcents diteursde sainte Thrse, se voirsurcharger encore dintercala-tions et de gloses. En ce quiconcerne sainte Thrse, donton possde les manuscrits origi-naux, le mal fut rparable. Maispour saint Jean de la Croix,na-t-on pas cru dcouvrir lin-dice certain de retouches su-bies par son texte ? Une ana-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    lyse trop littrale risque doncdgarer le chercheur, et dansltat actuel des diverses di-tions, serait probablement pr-mature 1. Tenant compte deces circonstance, nous croyonspouvoir complter les analysesplus richement psychologiqueset plus volontiers pratiques desgrands mystiques de la Renais-sance latine, par la doctrineplus spculative, plus systma-tique, plus soucieuse de mta-physique, de leurs devanciersseptentrionaux. Ayant lu et

    1. On voudra bien se souvenir quececi fut crit vers la fin de 1913. Voir,ci-dessous, lAppendice 5.

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  • III. La mystique latine des XVIe et XVIIe sicles

    relu, cette lumire, les uvresde sainte Thrse et de saintJean de la Croix, notre impres-sion fut toujours lidentit fon-cire des doctrines et des exp-riences, sous la varit et parfoislapparente opposition des pr-occupations contingentes. vi-demment, cette proposition de-manderait une dmonstrationlongue et dtaille : nous ne laformulons ici que comme lex-pression trs modeste de notreconviction personnelle.

    Ce qui contribua le plus nous confirmer dans cette opi-nion, ce furent, outre lensei-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    gnement de Ruysbroeck, si clairpour qui le rapproche de lapense mdivale, un ensembledindices, que nous rencontrions chaque pas dans nos lectures32de mystiques, et que nous pour-rions grouper comme suit en ca-tgories abstraites :

    1. Labsence, frquemment af-firme, du discours dansles tats mystiques suprieurs.Sil faut prendre la lettrecette suspension du mode dis-cursif de connatre, lopra-tion intellectuelle alors exer-ce rpond la notion psy-chologique d intuition intel-

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  • III. La mystique latine des XVIe et XVIIe sicles

    lectuelle . Et quand lobjet decette intuition est, en ju-ger par lexpression ritre desmystiques eux-mmes, non plusleur propre moi , affect parla grce, grce damour ou delumire intime, mais purementet simplement Dieu, nous nouscroyons en droit de parler dune intuition de Dieu , cest--dire dune connaissance imm-diate, suprieure celle quisobtient par infrence ou parsymbole.

    2. Prcisment un des carac-tres descriptifs les plus univer-sellement affirms par les mys-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    tiques est cette immdiation ou cette immdiatet de leurconnaissance de Dieu : laf-firmation revt les formes lesplus diverses, mais le fond iden-tique quelle exprime nous pa-rat saccorder moins aismentavec lhypothse dune connais-sance indirecte, toujours infreet symbolique.

    3. Laffirmation, si souvent r-pte aussi, de l ineffabilit absolue de la haute contem-plation et de la diffrence radicale qui la spare de laconnaissance ordinaire, ne secomprend qu demi, si toute la

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  • III. La mystique latine des XVIe et XVIIe sicles

    diffrence se rduit une inten-sification damour accompagnedune luminosit plus grandede la connaissance abstractive,conceptuelle. A tout le moinsfaudrait-il supposer la surve-nance du mode anglique deconnaissance . Mais, connais-sance de quoi ? De lme, refletde Dieu et terme de son action,ou bien, directement, de Dieuprsent dans lme ?

    4. Le point de comparaisonqui vient le plus spontanmentsous la plume des mystiques,dcrivant leurs tats les plus su-blimes, est emprunt soit la

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    perception sensible, notre seulacte naturel dintuition objec-tive, soit hardiment la visionbatifique : lintuition mystiqueleur apparat comme lanticipa-tion lointaine et fugitive, laubeencore voile de cette vision deplein midi.

    5. Avec une unanimit signifi-cative encore, ceux des contem-platifs dont les descriptionsstendent jusquaux sommets33de ltat mystique, y signalentune vision de la trs sainte Tri-nit et de ses oprations im-manentes theoricam revela-tionem et non pas seule-

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  • III. La mystique latine des XVIe et XVIIe sicles

    ment une connaissance notion-nelle de la Trinit ou une repr-sentation symbolique relative la Trinit 1.

    1. Faut-il, lexemple dcrivainsmystiques contemporains, tenirtoutes ces visions intellectuelles dela Trs Sainte Trinit pour tran-gres la contemplation proprementdite, en allguant le principe, justedailleurs, que ltat mystique neconsiste pas dans les visions et r-vlations ? Nous croyons, qu ladiffrence dautres visions, celles quiportent directement sur le Dieu unet trine, intimement prsent lme,constituent, non un pisode acciden-tel, mais la substance mme de lacontemplation son degr suprieur.

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    Saint Jean de la Croix

    Des exemples ? Nous navonspas lespace de les multiplierici : il sen rencontre dans nosautres travaux et jusque sousla plume de nos plus dcidscontradicteurs. Un mot pour-tant au sujet de saint Jean de laCroix, la plus impressionnante autorit que lon puisse icinous opposer. Il est incontes-table :10 Que le Saint voit surtout,

    dans ltat mystique, uneunion damour ;

    20 Quil distingueformellement et plu-

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  • III. La mystique latine des XVIe et XVIIe sicles

    sieurs reprises cet tatmystique de la visionintuitive de Dieu, dont ilfait le synonyme rigoureuxde vision batifique ;

    30 Quil insiste sur le maintiende la connaissance de foi travers tous les degrs decontemplation dcrits parlui.

    Et cependant, lirelExplication du Cantique etla Vive flamme avec cette ideprconue que rien, dans ltatmystique suprieur, ne peutrpondre la notion psycholo-gique dintuition de Dieu, on

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    se heurte, mme dans le textepeut-tre retouch dont noussommes rduits nous servir,on se heurte, disons-nous, des problmes insolubles et des modes dexpression pourle moins droutants. Le Saint,ou bien se contredit, ce quinest gure probable, ou bienuse dexpressions trangementhyperboliques. Nous prfrons,pour notre part, une interpr-tation moyenne, qui permetdchapper cet inacceptabledilemme, et qui, dautre part,rattache, pour lessentiel, lamystique de saint Jean de la

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  • III. La mystique latine des XVIe et XVIIe sicles

    Croix celle dautres poques.Tout dabord, le Saint, si nousnous en rapportons la re-marque finale de Vive flamme,npuise peut-tre pas, dansses crits, la description detoutes les stations mystiquesdont il avait lexprience.34Celles quil nous propose ex-pressment demeurent, malgrleur sublimit, de lordre deces faveurs divines que lonpeut, sans tmrit, dsireratteindre (cfr ci-dessus saintBonaventure). Mais parmices dernires mmes, nouscroyons reconnatre des tats

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    de connaissance immdiate etintuitive de Dieu, au sens onous employons ces expressions.Le Saint y contredirait-il ? Neretrouverait-il pas sa pense,transpose en un autre langagephilosophique, dans laffirma-tion dune connaissance deDieu immdiate, mais nonpleinement batifique, directemais obscure ? Le problmemriterait au moins examen 1.

    1. Pour prciser, voici, dans Viveflamme, quelques-uns de ces pas-sages. qui donnent penser : nousrenvoyons aux Vie et uvres spiri-tuelles de saint Jean de la Croix.Traduction nouvelle des Carmlites

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  • III. La mystique latine des XVIe et XVIIe sicles

    Quant savoir si saint Jeande Paris, t. IV, 50 dit. Cfr p. 521,528, 531, 540, 544, 546, 547, 554,579 581, 627 sqq., 638, 640. Ilest intressant de comparer la tra-duction nouvelle avec lancienne tra-duction latine du P. Andr de J-sus (Coloniae, 1639). Cette derniredonne parfois une nuance diffrente.A la page 628, la traduction fran-aise est certes moins intelligible : ...il lui fait connatre les cratures parDieu et non pas Dieu par les cra-tures. Ce nest pas la cause qui d-montre les effets ; ce sont les effetsqui font connatre la cause . Lan-cien traducteur, plus fidle lorigi-nal, crivait, au contraire : Et haecest ingens expergefactionis delecta-tio, cognoscere videlicet effectus percausas ipsorum (op. cit., p. 324).

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    de la Croix et admis, pour leravissement, les larges possibili-ts dintuition quy dcouvrentsaint Augustin et saint Thomas,possibilits qui stendent jus-qu la collation transitoire du lumen gloriae , nouslignorons, ou plutt, nous neserions pas tonn quil y etmis plus de rserves ; et en celail serait bien de son temps etde son milieu.Bref, notre pense, nous la

    reconnaissons, formellement ex-prime, dans le courant mys-Voir plus loin, dans lAppendice, 5,une exploration plus mthodique deVive Flamme.

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  • III. La mystique latine des XVIe et XVIIe sicles

    tique qui traverse le moyenge, partir des Victorinsjusquaux mystiques germano-nerlandais, en passant par lamtaphysique et la thologiethomistes ; nous la reconnais-sons aussi dans lexpressionnave de contemplatifs, tran-gers aux subtilits des tho-logiens ; et nous la retrou-vons mme, pour lessentiel,dans les retours hsitants, dansles circonlocutions embarras-ses, dauteurs mystiques, chezqui un souci louable dortho-doxie a prcis ou parfois sim-35plement guind lexpression.

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    Divers

    A ce dernier point de vue,il y aurait faire une tudeassez intressante des thori-ciens de la mystique, dans lespays latins, du XVIe au XVIIIesicle. On les verrait se dbattrecontre la difficult de concilierles dires des mystiques avec ladistinction, qui doit tre sau-vegarde, entre ltat dunionsuprieure et la vision ba-tifique. Plusieurs nosent pasmme admettre, malgr le pr-cdent pos par saint Thomaset tant dautres, que saint Paulait pu voir lessence divine .

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  • III. La mystique latine des XVIe et XVIIe sicles

    Le P. Godinez, par exemple son cas est typique danssa Praxis theologiae mysticae(Opusculum latine redditum,cum commentariis, a P. E. I.de la Reguera, S. I., t. II, Ro-mae, 1745), visiblement embar-rass de caractriser en termesscolastiques les degrs sup-rieurs de contemplation, inter-pose, entre la vision intui-tive , quil entend au sens ri-goureux de vision batifique ,et la connaissance abstractiveindirecte , une connaissanceabstractive directe , quil ap-pelle aussi, linstar de Duns

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    Scot, une connaissance quid-ditative (op. cit., p. 25).

    A la terminologie prs, lathse gnrale que nous avonsdfendue nest peut-tre pastellement diffrente de cettethologie prcautionne. Nousne nous sentons pas non plusen dsaccord bien grave avec leclassique Alvarez de Paz (Opraspiritualia, t. III. De inquisi-tione pacis. Moguntiae, 1614) :pour le fond, et tenu comptede quelques divergences dordrephilosophique, nous acceptonsvolontiers, comme conciliableavec notre thse, son interpr-

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  • III. La mystique latine des XVIe et XVIIe sicles

    tation des degrs suprieurs delchelle mystique 1.36

    1. Nous eussions pu tout aussi biennous appuyer sur des auteurs carmes,par exemple sur la courte et intres-sante Theologia mystica du P. Jeande Jsus-Marie (Opra omnia. Co-loniae, 1622), qui sinspire largementde saint Thomas et de Denys leChartreux ou bien, sur la pluscomplte et plus dtaille Summatheologiae mysticae (Lyon, 1656) duP. Philippe de la Sainte-Trinit(rdition Bruxelles-Paris, 1874), onous signalerions surtout les cha-pitres intituls : Contemplatio su-pernaturalis aliquando ad claram Deivisionem pertingit et Principiumformate elicitivum contemplationissupernaturalis aliquando est lumen

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    IV. Prcisionsncessaires sur lesens de lexpression :intuition de Dieu ausommet des tatsmystiques

    Quon nous permette, pourterminer, de prciser en deux

    gloriae . (Ces deux titres sont aussiceux darticles de la Mystica theolo-gia D. Thomae, de Vallgornera, O.P., Barcinonae, 1662 : Quaestio III,disp. III, art. 10, et disp. IV, art. 5.Cfr la rimpression de Berthier, O.P., Turin, 1924, vol. I, p. 460 et 485).

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  • IV. Prcisions ncessaires sur le sens de lexpression : intuition de Dieu au sommet des tats mystiques

    mots les aspects de notre opi-nion qui firent difficult auxyeux de quelques critiques.

    10 Lintuition de Dieu quenous plaons au pointculminant des tats mys-tiques, est-elle identique la vision batifique ?Nullement : elle en diffreen toute hypothse.a) A supposer mme

    que nous consid-rions comme le som-met] pour ainsi dire connaturel , destats mystiques la visio Dei per essen-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    tiam, au sens quesaint Thomas donne cette expression et il nous semble bienque telle soit la pensede Ruysbroeck et deplusieurs autres 1 il resterait encore,selon saint Tho-mas lui-mme, que

    1. Voir une allusion leur opiniondans Godinez (op. sup. cit., p. 622,n0 291) et dans Alvarez de Paz (op.sup. cit., col. 1846 1851). Il est re-marquer que les plus timors parmiles auteurs mystiques de la Renais-sance attribuent cette contemplationsurminente au moins la Trs SainteVierge.

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  • IV. Prcisions ncessaires sur le sens de lexpression : intuition de Dieu au sommet des tats mystiques

    cette intuition serait,ici-bas, passagre,imparfaite, et res-pecterait l habitusfidei . Ni totalement comprhensive (cela va de soi), niactuellement satu-rante, elle demeure-rait mle dombre,et tnbreuse en saclart mme. Tout voile ne serait paslev, toute brume neserait pas dissipe ;et par consquent lafrontire qui spare

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    lordre de la foi delordre de la gloirene serait point encorefranchie.

    b) Mais lexpressionpsychologique : intuition stricte-ment intellectuelle de Dieu ne signifiepas ncessairementque, selon la formulethomiste, lessencede Dieu devienne laforme intelligible dela facult humaine 1,

    1. Saint Thomas. Qu. disp. De ve-ritate, X, de mente, art. n, in corp.,et S. c. Gent., III, 51.

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  • IV. Prcisions ncessaires sur le sens de lexpression : intuition de Dieu au sommet des tats mystiques

    de manire que lop-ration de celle-ci soit,au sens rigoureux duterme, divinise .Il suffirait, pour quily et intuition in-tellectuelle de Dieu,que lintelligence Leconnt sans recoursau phantasme, ni audiscours, ni uneinfrence, si lmen-taire soit-elle ; endautres termes, sansque, au point de vuecognitionnel, aucunobjet cr sinterpost

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    entre Dieu et lme tanquam mdiumin quo . Cette so-lution hypothtique37nest pas nouvelle :elle sest impose tous les thoriciensde loraison qui ontrecul, soit devantune interprtationtrop lche du textedes mystiques, soitdevant lhypothse g-nralise dune visioper essentiam dansles plus hauts tatsde contemplation.

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  • IV. Prcisions ncessaires sur le sens de lexpression : intuition de Dieu au sommet des tats mystiques

    Un exemple seule-ment entre beaucoupdautres. Max San-daeus, S. I., dans sonTrait bien connu :Theologia mystica(Moguntiae, 1627)consacre tout un cha-pitre l intuitiomystica ; il rappellelopinion fort int-ressante de Denys leChartreux, puis sersume comme suit :Docet igitur Carthu-sianus et consentiuntmystici, intuitione

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    illa intellegentiamcognoscere Deumimmdiate, et obiec-tive : nempe ut noncognoscat per mdiumquod habeat ratio-nem obiecti, quamvisinterveniat mdiumhabens rationemspeciei intelligibilis(cest--dire, commeil appert dautrespassages, specieiimpressae qua etnon pas speciei inqua ) (op. cit., p.282).

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  • IV. Prcisions ncessaires sur le sens de lexpression : intuition de Dieu au sommet des tats mystiques

    Dans nos travaux an-trieurs nous navonspas opt entre lesens large et le sensplus restreint de lex-pression intuitionde Dieu , et nousnavions pas le faire,parce que, du pointde vue phnomno-logique et descriptifde la mystique com-pare, une option nesimpose en aucunefaon 1. En effet, depart et dautre, le pro-

    1. On peut douter dailleurs, sansassimiler pour cela lintuition mys-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    cessus psychologiqueest un processus intui-tif, ayant Dieu pourobjet immdiat. Etun processus intuitifqui a Dieu pour objetimmdiat, apparatncessairement, vuden bas, dans la lignede la vision batifique.

    tique la vision batifique, que lex-plication de Denys le Chartreux, San-daeus et autres offre un sens mta-physique bien dfinissable. Nous nenous dissimulons aucunement la com-plexit dun problme dont nous croi-rions plutt que les donnes dcisivesnous chappent.

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  • IV. Prcisions ncessaires sur le sens de lexpression : intuition de Dieu au sommet des tats mystiques

    20 Ainsi comprise, lintuitionde Dieu est-elle vraiment,au tmoignage unanimedes contemplatifs, deceux, bien entendu, quidcrivirent les degrs mys-tiques suprieurs, lv-nement caractristiquede la haute contempla-tion ? Dautres que nouslont pens, et ce ne noussemble pas srieusementcontestable.

    30 Les tats de contemplationinfrieurs lintuitionde Dieu ne mritent-ilsdonc pas la qualifica-

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  • V. LIntuition de Dieu dans la Mystique chretienne

    tion de mystiques ?Pourquoi non ? Il estbien vrai que, parlant enpsychologue, nous avons38considr, ailleurs, lin-tuition de Dieu commela note distinctive de lamystique chrtienne. Nousavions pour cela cetteexcellente raison, que lasur-naturalit stricte, etdonc aussi le caractrespcifiquement chrtien,de lintuition directe deDieu rsulte de la ph-nomnologie mme decet tat, o lexprience

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  • IV. Prcisions ncessaires sur le sens de lexpression : intuition de Dieu au sommet des tats mystiques

    devient transcendanteet atteint le sommet deltre, tandis que les tatsmystiques infrieurs, lorsmme quils sont ontolo-giquement surnaturels etde la sorte spcifiquementchrtiens, ne diffrent pasradicalement, par leursseuls caractres empi-riques, dtats similairesqui se rencontrent endehors du christianisme.Or, nos prcdents articlesavaient pour but, soit demontrer, dans la mystiquechrtien