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No 3 - février 2004 BRÉSIL : L’ÉCOLE LEFEBVRIENNE (suite) Comme le numéro précédent (No 2), ce No 3 de La somme et le reste est aussi consacré à l’école lefebvrienne au Brésil. Thème central de cette livraison : l’urbain et la production de l’espace. Les contri- butions des auteurs brésiliens, et la réac- tion d’un urbaniste français : Jean-Pierre Lefebvre, sont complétés par un article, de 1989, d’Henri Lefebvre. Mais il n’y a pas qu’au Brésil qu’une activité lefebvrienne se manifeste. Elle existe aussi, par exemple, en Grande Bretagne. Il faut, par exemple, signaler la publication récente, en 2003, à Londres et à New-York, du Henri Lefebvre : key wri- tings, par les éditions Continuum. L’ouvrage propose un choix de textes illustrants l’œuvre d’Henri Lefebvre où tous les domaines de sa pensée sont abordés. Terminons par une annonce : la publi- cation de numéros spéciaux de La somme et le reste, numéros inclus sans supplé- ment dans l’abonnement. Ils sont consa- crés à des approches théoriques de l’actualité. Le No A.1 traite d’un sujet brûlant : Henri Lefebvre : classes sociales et formes de luttes nouvelles , le suivant – A.2 – engage le débat sur ce sujet avec, notam- ment, un texte de l’économiste Jean Ma- gniadas. Ces numéros sont bien sûr consultables et téléchargeables sur le site de la revue. Revue éditée par l’Association La Somme et le Reste. Avec la participation d’Éspaces Marx Diffusée par courrier électronique 64, Bd Auguste Blanqui 750 13 Paris Tél. : 01 60 02 16 38 E mail : Pensee [email protected] Site Internet : www.Espaces-Marx.eu.org/SomReste Abonnement : versement unique de 20,00 Euros. Chèque à l’ordre de : « Association la somme et le reste » Sommaire ACTUALITÉS – PUBLICATIONS - Robert Maggiori : Lefebvre, l’éternel retour 1 COLLOQUES (St-Denis - Paris VIII – juin 2001) - Amélia Luisa Damiani, Odette Carvalho de Lima Seabra : Une pensée métaphilosophique sur la révolution urbaine. 3 - Ana Fani Alessandri Carlos : Les défis à la construction de la problématique urbaine. 6 - Jorge Hajime Oseki : L’unique et l’homogène dans la production de l’espace. 12 - Jean-Pierre Lefebvre : Sur « L’unique et l’homogène dans la production de l’espace ». 15 - E. V. Kosminsky, M.M. de Andrade : L’État - et les classes sociales. 20 TEXTES - Henri Lefebvre : Quand la ville se perd dans la métamorphose planétaire. 21 Président de l’ « Association la somme et le reste » : Armand Ajzenberg Rédacteurs(trices) – correspondants(antes) : Ajzenberg Armand (F), Andrade Margarita Maria de (Brésil), Anselin Alain (Martinique), Beaurain Nicole (F), Bihr Alain (F), Carlos Ana Fani Alessandri (Brésil), Damiani Amélia Luisa (Brésil), Devisme Laurent (F), Gromark Sten (Suède), Guigou Jacques (F), Hess Rémi (F), Joly Robert (F), Kofman Éléonore (Royaume Uni), Labica Georges (F), Lantz Pierre (F), Lenaerts Johny (Belgique), Lufti Eulina Pacheco (Brésil), Martins José de Souza (Brésil), Montferran Jean-Paul (F), Müller-Schöll Ulrich (Allemagne), Öhlund Jacques (Suède), Oseki J.H. (Brésil), Querrien Anne (F), Ra- fatdjou Makan (F), Sangla Sylvain (F), Seabra Odette Carvalho de Lima (Brésil), Spire Arnaud (F), Sposito Marilia Pontes (Brésil), Tosel André (F). Études lefebvriennes - Réseau mondial

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No 3 - février 2004

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BRÉSIL : L’ÉCOLE LEFEBVRIENNE(suite)

Comme le numéro précédent (No 2),ce No 3 de La somme et le reste est aussiconsacré à l’école lefebvrienne au Brésil.Thème central de cette livraison : l’urbainet la production de l’espace. Les contri-butions des auteurs brésiliens, et la réac-tion d’un urbaniste français : Jean-PierreLefebvre, sont complétés par un article,de 1989, d’Henri Lefebvre.

Mais il n’y a pas qu’au Brésil qu’uneactivité lefebvrienne se manifeste. Elleexiste aussi, par exemple, en GrandeBretagne. Il faut, par exemple, signaler lapublication récente, en 2003, à Londres età New-York, du Henri Lefebvre : key wri-tings, par les éditions Continuum.L’ouvrage propose un choix de textesillustrants l’œuvre d’Henri Lefebvre oùtous les domaines de sa pensée sontabordés.

Terminons par une annonce : la publi-cation de numéros spéciaux de La sommeet le reste, numéros inclus sans supplé-ment dans l’abonnement. Ils sont consa-crés à des approches théoriques del’actualité. Le No A.1 traite d’un sujetbrûlant : Henri Lefebvre : classes sociales etformes de luttes nouvelles , le suivant – A.2 –engage le débat sur ce sujet avec, notam-ment, un texte de l’économiste Jean Ma-gniadas. Ces numéros sont bien sûrconsultables et téléchargeables sur le sitede la revue.

Revue éditée par l’AssociationLa Somme et le Reste.

Avec la participation d’Éspaces MarxDiffusée par courrier électronique

64, Bd Auguste Blanqui750 13 Paris

Tél. : 01 60 02 16 38 E mail : Pensee [email protected] Site Internet : www.Espaces-Marx.eu.org/SomReste

Abonnement : versement unique de 20,00 Euros. Chèque à l’ordre de : « Association la somme et le reste »

SommaireACTUALITÉS – PUBLICATIONS- Robert Maggiori : Lefebvre, l’éternel retour 1

COLLOQUES (St-Denis - Paris VIII – juin 2001)- Amélia Luisa Damiani, Odette Carvalho de Lima Seabra : Une pensée métaphilosophique sur la révolution urbaine. 3- Ana Fani Alessandri Carlos : Les défis à la construction de la problématique urbaine. 6- Jorge Hajime Oseki : L’unique et l’homogène dans la production de l’espace. 12- Jean-Pierre Lefebvre : Sur « L’unique et l’homogène dans la production de l’espace ». 15- E. V. Kosminsky, M.M. de Andrade : L’État - et les classes sociales. 20

TEXTES- Henri Lefebvre : Quand la ville se perd dans la métamorphose planétaire. 21

Président de l’ « Association la somme et le reste » : Armand AjzenbergRédacteurs(trices) – correspondants(antes) :Ajzenberg Armand (F), Andrade Margarita Maria de (Brésil), Anselin Alain (Martinique), Beaurain Nicole (F), BihrAlain (F), Carlos Ana Fani Alessandri (Brésil), Damiani Amélia Luisa (Brésil), Devisme Laurent (F), Gromark Sten(Suède), Guigou Jacques (F), Hess Rémi (F), Joly Robert (F), Kofman Éléonore (Royaume Uni), Labica Georges (F),Lantz Pierre (F), Lenaerts Johny (Belgique), Lufti Eulina Pacheco (Brésil), Martins José de Souza (Brésil), MontferranJean-Paul (F), Müller-Schöll Ulrich (Allemagne), Öhlund Jacques (Suède), Oseki J.H. (Brésil), Querrien Anne (F), Ra-fatdjou Makan (F), Sangla Sylvain (F), Seabra Odette Carvalho de Lima (Brésil), Spire Arnaud (F), Sposito MariliaPontes (Brésil), Tosel André (F).

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ACTUALITÉS – PUBLICATIONSArticle de Robert Maggiori paru dans le

journal Libération le jeudi 15 janvier 2004 àpropos de la réédition aux Éditions Syllepsedu Nietzsche d’Henri Lefebvre, préface deMichel Trebitsch (208 pp., 22 Euros). Cet arti-cle est reproduit ici avec l’aimable autorisa-tion du journal Libéartion.

Robert MAGGIORI

Lefebvre l'éternel retour

ersonne n'aurait aujourd'hui l'idéede parler de Carlos Marx ou de Lu-

dovic Wittgenstein, mais à une époque, ilétait loisible de dire Renato Cartesio ou Be-noît Spinoza. Quand un ouvrage sur l'un deces philosophes date un peu, on le voit à cedétail. C'est le cas de celui d'Henri Lefebvre,sur « la destinée spirituelle de Frédéric Nietz-schee ». Mais, plutôt que par péremption engâter la teneur, être daté lui donne tout sonintérêt - comme à une bouteille de vin. Cevieux Nietzsche est en effet un livre neuf,qu'hors quelques proches, nul n'a pu lire.Achevé d'imprimer le 18 mai 1939, il n'aguère eu le temps de vivre : dès l'automne, sadiffusion est bloquée par les mesures prises àl'encontre du Parti communiste, et, début1940, quand le gouvernement Daladier s'at-taque aux maisons d'édition du PC, il est saisiet mis au pilon. Il n'a jamais, depuis, été ré-édité. S'il est néanmoins cité par les historiensdes idées qui s'intéressent à la «réception» deNietzsche en France, c'est qu'il est paru jus-tement à l'heure où le philosophe allemandfaisait l'objet des plus âpres luttes d'appro-priation, philosophique et surtout politique.Nietzsche est donc comme une carte postalequi, parvenue avec plus d'un demi-siècle deretard, d'un côté réévoquerait la figure quel-que peu estompée d'Henri Lefebvre, et, del'autre, illustrerait ce moment, autour duFront populaire, où une part de la penséemarxiste française - en consonance avec cer-tains courants allemands, marxistes ou non,représentés par des intellectuels exilés, parKarl Jaspers ou Karl Löwith - tente «d'arra-cher Nietzsche au fascisme».

Dès la publication en 1936 de la Cons-cience mystifiée (avec Norbert Guterman) et,surtout, de la Critique de la vie quotidienne en1947 (1), Henri Lefebvre a été l'un des philo-sophes et sociologues les plus connus en

France (sait-on qu'on lui doit le terme de «so-ciété de consommation» ?). Généralement, on enfait le «père putatif» de Mai 68, par son projetde «changer la vie», l'idée de la révolutioncomme fête et de l'insurrection esthétiquecontre le quotidien. Mais Lefebvre, «de façonnietzschéenne», se voyait lui-même comme un«chaos subjectif», «bien plus et bien pire qu'unenchevêtrement de flux». Né en 1901 à Haget-mau (Landes), fils d'une «bigote» et d'un «li-bertin», élève de Maurice Blondel, membredu PCF dès 1928, révoqué par Vichy en mars1941, capitaine FFI à Toulouse, très tôt atta-qué pour son idéalisme hégélien, accusé de«révisionnisme», expulsé de la Nouvelle Criti-que en 1957, «suspendu» par le Parti en 1958,proche des surréalistes, décisif dans l'élabo-ration des manifestes situationnistes (c'est luiqui fait connaître Raoul Vaneigem à Guy De-bord et Michèle Bernstein), longtemps pro-fesseur de collège (Montargis) avant d'entrerau CNRS puis d'enseigner la sociologie auxuniversités de Strasbourg et de Nanterre (oùil a pour assistants Jean Baudrillard, HenriRaymond et René Lourau), altermondialisteavant l'heure, il eût pu être prêtre, homme dethéâtre (le Maître et la servante a été joué auxMathurins), poète, paysan, peut-être peintre,urbaniste ou architecte. Il aura été un héréti-que, un homme des frontières, ou un explo-rateur qui, une fois ouverts de nouveauxchemins, laisse passer tous ceux qui suivent.

La réflexion marxiste, il l'a approfondieen repensant le noeud Marx-Hegel - qu'Al-thusser s'escrimera à délier - et en mettantl'accent sur les concepts de conscience, mysti-fication, aliénation. Il quittera toute ortho-doxie, à laquelle il était rebelle, lorsqu'ilélaborera la critique de la quotidienneté, dontil voulait qu'elle pût s'affranchir du rôlequ'elle a sous le capitalisme, qui est de repro-duire les caractères imposés à la vie collectivepar la classe dominante, de constituer unesorte de dépôt chimique où se sédimententles conventions, les mensonges et les traficsidéologiques du pouvoir, et, ainsi, d'empê-cher que l'imagination, la créativité, la libertétrouvent des voies d'expression autonomes.Quant à la définition de la modernité - onlaisse de côté ses autres travaux, sur la so-ciologie rurale, la ville, la mondialité, etc. -,Lefebvre la bâtit en «mixant», si on peut dire,des pensées qui semblent «incompatibles» :

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celles de Hegel (Etat), de Marx (société) et deNietzsche (civilisation). Hegel, Marx, Nietzscheou le royaume des ombres paraît en 1975. L'in-terprétation lefebvrienne de Nietzsche appa-raît de la façon la plus claire dans cetouvrage-là, comme elle était apparue dans laFin de l'histoire (1971) ou apparaîtra dans laPrésence et l'absence (1980). Mais sa passionpour l'auteur du Zarathoustra est bien anté-rieure, et date de l'époque où, jeune philoso-phe, il suivait les cours de Blondel à Aix-en-Provence et, une fois à Paris, participait, avecles autres membres du groupe Philosophies(Pierre Morhange, Norbert Guterman, Geor-ges Politzer...), aux expériences avant-gardistes des années 1920.

Son Nietzsche de 1939 n'est donc pasune improvisation. Mais il introduit à une«dialectique tragique», à un nietzschéismes'intégrant «naturellement dans la conceptionmarxiste de l'homme», à un Nietzsche qu'au-jourd'hui, après le travail d'édition critiquede Giorgio Colli et Mazzino Montinari, aprèsles lectures de Nietzsche effectuées par Jas-pers, Heidegger, Cacciari, Foucault, Vattimo,Lyotard, Derrida, et évidemment Deleuze, onne reconnaît presque plus. Aussi, indépen-damment de l'opération politique décisivequ'il traduit - consistant à montrer tout ce quichez Nietzsche ne pouvait pas être récupérépar la pensée d'extrême droite ou «l'idéologiehitlérienne» -, le livre dit-il davantage de Le-febvre lui-même, qui, à l'époque, plaçant lespremières balises de son cheminement, entreNietzsche et Marx, saint Augustin et Pascal,savait peut-être qu'il chercherait toujours àconcilier «le conçu et le vécu». Il est un mot deNietzsche, «quelque chose d'infiniment saluble»,qu'il continuera à entendre toute sa vie :«Refusez les consolations !»

(1) Les éditions Syllepse, depuis 1999, réédi-tent tout Lefebvre. Sont disponibles : la Cons-cience mystifiée, Métaphilosophie, Elémentsde rythmanalyse, Du contrat de citoyenneté,Mai 68, l'irruption... Parmi les autres livres deLefebvre, on citera : le Marxisme (Que sais-je?), Introduction à la modernité (Minuit, 1962),Marx (PUF, 1964), Sociologie de Marx (PUF,1966), le Langage et la société (Gallimard,1966), le Droit à la ville (Anthropos, 1968),l'Irruption de Nanterre au sommet (Anthro-pos, 1968), Du rural à l'urbain (Anthropos,1969), Manifeste différentialiste (Gallimard,

1970), la Somme et le reste (Bélibaste, 1970),la Fin de l'histoire (Minuit, 1970), Hegel,Marx, Nietzsche (Castermann, 1975), leTemps des méprises (Stock, 1975), De l'Etat (4vol., 10/18, 1975-78), Une pensée devenuemonde (Fayard, 1980), Qu'est-ce que penser ?(Publisud, 1985)...

HENRI LEFEBVRE :tous les livres disponibles en France

Anthropos : Méthodologie des sciences(2002), Contribution à l'esthétique (2001),Rabelais (2001), La fin de l'histoire (2001),L'existentialisme (2001), Du rural à l'urbain(2001, Espace et politique (2000), La pro-duction de l'espace (2000), Actualité de Fou-rier (1975), Trois textes pour le théâtre(1972).

Arche éditeur : Critique de la vie quoti-dienne, Vol. 1, 2 et 3 (1977-1983), Diderotou les affirmations… (1983), Musset (1970).

Aubier : Lukacs 1955 (1986).

Cairn : Pyrénées (1999).

Denoël : Vers le cybernanthrope (1971).

Fata Morg. : Le jeu de Kostas Axelos(1973).

Fayard : Une pensée devenue monde…(1980).

Gallimard : Morceaux choisis de Hegel(1995), Le manifeste différencialiste (1970).

Méridiens : La somme et le reste (1989), Lenationalisme contre les nations (1988).

Minuit : Introduction à la modernité (1977).

Seuil : L'idéologie structuraliste (1975).

Stock : Le temps des méprises (1975).

Syllepse : Métaphilosophie (2001), La cons-cience mystifiée (1999), Mai 68, l'irruption…(1998), Éléments de rythmanalyse (1992),Du contrat de citoyenneté (1991), Nietzsche,préface de Michel Trebitsch (2003)

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COLLOQUES(St-Denis - Paris VIII - juin 2001)

Amélia Luisa DamianiOdette Carvalho de Lima Seabra

Membres du Programme d’Études sur HenriLefebvre au Laboratoire de Géographie Ur-baine (LABUR) à l’Université de São Paulo

À l’occasion du “Centenaire de HenriLefebvre”, à propos du thème Lefebvre mé-taphilosophe.

Grâce à la version en portugais du livre“La révolution urbaine”, il nous est désor-mais possible, de proposer la lecture et uneréflexion sur ce texte extraordinaire du Le-febvre métaphilosophe. Ce livre contient unexercice de méthode qui crée les conditionspour un parcours d’analyse inusité ; la mé-thode régressive-progressive. Celle-ci méritenotre attention car elle fait intervenir, si-multanément, les continuités et discontinui-tés du processus historique, les conquêtesréelles et celles qui sont restées imbriquées etpar conséquent compromises, dans la ratio-nalité étroite d’une époque. L’exposé descommentaires, au sujet de l’ouvrage, setrouve dans la recension qui suit et qui futélaborée en fonction de la récente éditionbrésilienne "A Revolução Urbana". [Lefeb-vre, Henri. A Revolução Urbana. EditoraUFMG, Belo Horizonte, 1999. Traduction deSérgio Martins, révision technique de Mar-garida Maria de Andrade. 178 pages. ISBN:85-7041-195-2/9788570411952]

Henri Lefebvre et le mouvement de ce quiest en formation

enri Lefebvre, sans aucun doute,est un des philosophes qui ont

influencé et influencent, encore, la penséegéographique de cette fin de siècle. Ses ou-

vrages sont lus depuis longtemps. Déjà dansles années 60, Pierre George, géographefrançais, en coopération avec l'Institut de So-ciologie Urbaine, dirigé à l'époque par Le-febvre, suggérait d'étudier la questionurbaine, en considérant l'espace vécu et saplace pour la compréhension du processusde l'urbanisation.

Pour Lefebvre, il était impensable de selimiter à une science. Il se disait philosopheou mieux « métaphilosophe » : penseur de laréalité sociale dans sa totalité, incluant aussile virtuel; sans définir une pensée indépen-dante de la pratique; ni transformer la réalitépensée en un système défini et achevé. Il nerejetait aucune contribution scientifique,qu'elle vienne des sciences naturelles ou so-ciales. Sa philosophie ne planait pas au des-sus des sciences et de leurs découvertes, niau dessus de la praxis, même la plus quoti-dienne. Il ne séparait pas non plus, au pointde l'exclure, le « sentir » du « penser », ni lapensée de l'art. Il ne pouvait même pas sépa-rer la vie de l'art. Ainsi, l'univers est celuid'un mode d'existence philosophique qui nesert pas de cloche protectrice par rapport à lavie et à l'art et qui ne s'installait pas dansl'absolu, en un fondement absolu. Sans quoi,la philosophie deviendrait immédiatementune aliénation philosophique. Parmi les ca-tégories qui ont influencé sa pensée, l'aliéna-tion est considérée comme cruciale. Il l'aempruntée chez Marx et a retravaillé cetteénorme contribution, contestée par la penséemarxiste dogmatique à laquelle il s'est oppo-sé. Cette notion est également traitée dansl'œuvre de Hegel. Grâce à l'aliénation, oumieux, aux aliénations, à leur reconnaissanceet à leur critique, la colère éclate en mêmetemps que s'installe la lutte contre le ou lesabsolus, comme impossibilité de vivre. C'estainsi qu'est apparue la nécessité d'une so-ciologie, qui penserait la médiation du social,entre l'économique et le politique, rejetant lesinterprétations ontologiques et vides des in-termédiaires. Pour lui, les médiations fon-damentales pour la réflexion sont lasubjectivité, le social, l'aliénation, le quoti-dien, le vécu, la perception etc. Ceci ne signi-fie pas qu'il se dise sociologue et nonphilosophe ou qu'il aie choisi une branchedu savoir parmi les sciences établies; ce qu'ilfait, c'est définir sa manière d'être philoso-

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phique.Dans « La Révolution Urbaine », il

s’agit de la puissance d'une pensée d'ordremétaphilosophique, sur l'urbain. Henri Le-febvre ne définit pas l'urbain comme unthème parmi d'autres thématiques. Pour lui,le mouvement de l'histoire humaine et de sespossibilités inclut l'urbain. Pas vraiment lesvilles réelles ou le processus d'urbanisation,réduits à leur actualité factuelle inexorable,mais plutôt la production possible de l'ur-bain, mi-réel, mi-virtuel, en formation, à par-tir de l'urbanisation présente et depossibilités latentes, d'une histoire des villesdont le parcours coïncide, dans la pratique,avec celui de la production de l'hommecomme être humain. Lefebvre se disait pas-sionné par ce qui est en formation ; amant dumouvement, du devenir. Il recherchait unecertaine manière d'être sur le mode du nonêtre : une manière de vivre (sur) le possible,par l'imagination. Il aimait la vie présentepour ce qu'elle contient de puissance, de fer-ment, non dans sa stabilité. Il faut qu'il y aidans le présent, un acte orienté vers le futur.C'est le chemin philosophique, ou mieux,métaphilosphique car il incorpore l'action. Lapensée, l'analyse, doivent rechercher le sensde ce qui est en formation. L'urbain repré-sente le possible, construit comme tel par lapraxis humaine et humanisante. Il ne peutêtre défini que si l'on considère une histoiredes villes, dans laquelle la ville est une œu-vre. Son argumentation s'appuie sur la mé-thode régressive-progressive. Régressive,allant du virtuel à l'actuel, de l'actuel au pas-sé, et progressive, en mouvement, du dépasséet du fini vers ce qui présage la fin, qui an-nonce et fait naître quelque chose de neuf. Celivre, qui amplifie une virtualité contenuedans l'histoire de la pensée, va au-delà de ladéduction et de l'induction formelles; il tra-vaille la puissance de la transduction, définiecomme une réflexion sur l'objet possible.

Le mouvement du réel passe par diffé-rentes phases: dans un premier temps, l'in-dustrialisation est la force motrice del'urbanisation; puis, en un saut qualitatif duprocessus de développement, celle-ci passeau premier plan et l'urbain ouvre les voiespour le dépassement des aliénations, en ga-rantissant l'appropriation.

Lefebvre, quand il était jeune, voulaitdevenir mathématicien et, bien qu'il aimât le

mouvement, le temps et le rythme, il n'a ja-mais renoncé à la signification de la formali-sation, de la forme, de la structure. S'ilquestionnait les pratiques et les stratégies dela reproduction, la tendance à la systématisa-tion et à la stabilité, il ne manquait pas d'in-terpréter dans ses détails, la puissance quiparalyse, son organisation et sa logique. Onne peut interpréter des contenus en mouve-ment sans examiner la dialectique de la formeet du contenu. Dans ce livre, l'urbain n'est pasconceptualisé à peine par des contenus ; il sedéfinit comme forme, la forme urbaine(mentalement, la simultanéité; socialement, larencontre, la réunion).

La révolution est totale et va bien audelà des frontières existantes depuis la pré-dominance de l'agriculture. Avec l'industrie,apparaissent des processus jusqu'alors in-connus. Aujourd'hui encore, la logique re-productive de l'industrie mobilise, à sonavantage, la nature, l'espace et les hommes,décrétant l'obsolescence pour produire lenouveau, en un mouvement ascendant géo-métrique jusqu'alors inusité. En 200 ans, lemonde est devenu petit. Mais, dans son ou-vrage, Henri Lefebvre affirme que ce quimontre les dimensions et la profondeur deces processus, aussi voraces et rapides qu'ilssoient, ce sont toujours les particularités de lasociété concrète où ils se produisent.

À partir de ces prémisses, l'emphasedonnée au singulier permet de voir la logiquese réaliser en tant qu'Histoire. On peut alorsanalyser des systèmes d'évolution lente,comme les patrimoines reçus en héritage, les« savoirs », comme des aptitudes et des traitsde culture, la religion et les lois, parmi d'au-tres systèmes partiels.

Sous l'impact de l'industrie, la sociétéentière, le monde gagne en puissance car c'estavec force que la logique reproductive ducapital industriel retire et réunit les élémentsdispersés pour les condenser en un processusunique et généralisant: : l'industrialisation. Laconcentration spatiale apparaît alors commeune conséquence logique. Cette concentrationde choses, de personnes, d'activités, de ri-chesses, d'objets, d'instruments, de moyens etde pensées, représente, alors, une conquêtede la modernisation générale de cette sociétégrâce à laquelle la vie peut se libérer descontingences impérieuses de ses modèlestraditionnels. C'est cette implosion de puis-

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sance qui a dévasté la ville, la transformantd'abord en une grande ville. Les rythmes et laportée de ces transformations dans la villesont absolument inégaux, motif pour lequel ilne suffit pas de discuter les transformationsde la ville à peine du point de vue de laconcentration.

La croissance inégale des nécessités etdes moyens pour les satisfaire, en fonctiondes lieux sociaux et spatiaux des sujetsconcernés, doit être considérée lors de l'ana-lyse de la ville, devenue incapable d'accom-moder ses contenus. La métaphoreempruntée à la physique, pour traduire lesaspects du phénomène urbain-métropolitain,prend toute sa force: la ville implose et ex-plose vraiment. En d'autres termes, elle ré-unit ce qui est disséminé et intègre demanière inégale, en intensifiant et en accom-pliant cette force, en fragments éparpillés. Ceraisonnement se vérifie lorsque l'on étudie lemarché des terrains et du travail.

Le processus d'intégration des marchéset des marchandises à la ville (personnes,choses) dure depuis des siècles. La ville poli-tique résiste ; et c'est la ville commerciale,implantée sur la ville politique qui précèdel'émergence du capital industriel. Si l'indus-trie se rapproche de la ville, c'est pour se rap-procher des capitaux et des capitalistes.Mouvement étrange et admirable, qui renou-velle la pensée dialectique : la non-ville etl'anti-ville vont conquérir la ville et la péné-trer, la faisant exploser. L'auteur arrive àl'hypothèse théorique, une deuxième in-flexion : l'industrialisation, puissance coac-tive, devient réalité dominée, en période decrise profonde, au prix d'une énorme confu-sion dans laquelle le passé et le possible, lemieux et le pire s'enchevêtrent.

On ne peut pas dire qu'il y ai unescience de la ville mais plutôt une connais-sance d'un processus global en formation.L'urbain ne se définit pas comme une réalitéachevée mais comme un horizon possible. Laconnaissance théorique ne peut laisser cetobjet virtuel dans l'abstrait. Elle doit montrerle terrain sur lequel se fonde la pratique ur-baine concrète. Voici le nouveau.

L'urbain comme mode de vie soulèvediverses questions comme par exemple, cellede savoir jusqu'à quel point la révolutiontélématique, les modalités de transport demasses, en rapport avec les changements

dans le monde du travail, sont-elles en trainde tisser une autre structure urbaine? Lesrévolutions, pour pouvoir être ainsi dénom-mées, doivent atteindre la structure fine de lavie. Et les redéfinitions, que l'usage de cestechnologies implique, indiquent une forteinflexion, résultat de l'urbanisation générali-sée. Aujourd'hui, le tissu urbain prolifère,dans un monde colonisé par des objets.

Cet ouvrage nous amene à penser qu'àla base des grands changements survenus enOccident, se trouvent les mouvements issusde la campagne. Mais aujourd'hui, seul l'ur-bain, comme cadre de vie, peut supporter lacritique radicale, celle qui compare le réel etle possible, démontant l'illusion urbanistiquee affrontant les stratégies de l'immobilier etde l'État dans ce capitalisme d'organisationqui ne signifie pas, pour autant, organisé.

Finalement, la pression de la réalité ur-baine fait s'éclater, non seulement la villehistorique mais aussi de nombreuses idéolo-gies qui ont fondé l'industrialisme, en dévoi-lant l'absurde d'une philosophie et d'unepratique qui font du travail une fin en soi,pour des millions de travailleurs en mêmetemps qu'elles lancent d'autres millions depersonnes, dans des conditions inhumaines.La critique est urgente et le fait que cette so-ciété entre dans une période de révolutionurbaine ne signifie pas que la problématiqueurbaine puisse se résoudre facilement : cettesociété, fortement industrialisée, ne répondpas à la problématique urbaine, par unetransformation capable de la solutionner; aucontraire, elle plonge dans le chaos, sous lecouvert d'une idéologie de l'ordre et de lasatisfaction.

L'importance de cet auteur pour lesgéographes, sans vouloir limiter son champd'influence à la géographie, est due à sonacuité quand il traite l'espace. Il corrige lacompréhension de l'espace sur le plan descontenus – naturels, sociaux, économiques –et la mène vers un entendement Qui englobela dialectique de la forme et du contenu.

Deux géographes ont décidé de mettrecet ouvrage sur l’urbain, à la disposition deslecteurs brésiliens. Lecteurs attentifs et fidèlesà l’œuvre de l’auteur, ils ont produit cetteversion en portugais. Tout au long du livre,on perçoit leur souci et leur compromis, entant que spécialistes de l’œuvre de Lefebvre ;ils apparaissent ici comme d’excellents tra-

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ducteurs. Connaissant les auteurs qui in-fluencent Lefebvre et le parcours des notionsqu’il utilise, ils ne tombent jamais dans lepiège de la vulgarisation. Grâce au travail deces deux géographes, on comprend quel’œuvre lefebvrienne fait partie d’une penséesur l’espace, dans le monde actuel.

Amélia Luisa Damiani ([email protected])Odette Carvalho de Lima Seabra ([email protected])Membres du Programme d’Études sur HenriLefebvre au Laboratoire de Géographie Ur-baine – LABUR – à l’Université de São Paulo[membres du Programme : Amélia LuisaDamiani ([email protected]) ; Ana Fani Ales-sandri Carlos ([email protected]) ; MargaridaMaria de Andrade ([email protected]) ;Odette Carvalho de Lima Seabra ([email protected]) ; Jorge Hajime Oseki ([email protected]) ; Silvana Maria Pintaudi([email protected])]

@@@@@@

Ana Fani Alessandri Carlos

[email protected]

LES DÉFIS À LA CONSTRUCTION DE LAPROBLÉMATIQUE 1 URBAINE

omment penser la ville, aujour-d'hui, dans le cadre théorique que

nous propose l'œuvre de Henri Lefebvre?

La problématique urbaine contempleun ensemble cohérent de problèmes. Queressort-il de cette pensée? Vers où le proces-sus d'urbanisation entraîne-t-il la vie sociale? 1 Pour Lefebvre, la problématique est théorique tandisque la pratique spatiale est empirique et se réfère à lavie au plan du vecu; cet aspect est riche et contemple lesubjectif, non en soi mais telle que perçue. C'est à ceniveau que se produisent les références, telles l'identité,les luttes et la production de la ville.

À quelle pratique socioculturelle se réfère-t-il? Comment orienter ce processus? Com-ment le mouvement de la pensée de Lefebvrepeut-il nous aider à répondre à toutes cesquestions?

Les problèmes posés par l'urbanisationsurviennent dans le domaine de la reproduc-tion générale de la société et c'est là, à monavis, le point central du débat.

Je n'ai pas l'intention d'analyser toutel'œuvre de Henri Lefebvre car, bien que trèsfascinante, elle requiert une analyse de tout leXXe2 siècle. Sa production est immense etprofonde et révèle une pensée en mouvementqui ne se laisse pas emprisonner, comme cellede Marx, dans un système limité et figé. Enfait, nous pouvons utiliser les propres com-mentaires de Lefebvre sur l´œuvre de Marx,pour penser son œuvre " il s'agit avant tout,d'une méthode d'analyse de la pratique so-ciale et non une série de présuppositions, depostulats et d'affirmations dogmatiques"3.

Pour lui, la fonction du Marxisme dans lapensée contemporaine, est de prolonger l'u-topie. C'est pourquoi il construit la méthodede la transduction, une pensée qui s'ouvresur le possible. Il nous place ainsi devant unmouvement critique de la pensée, issu deMarx, qui se prolonge et se surpasse.

Lefebvre critique la formulation du sa-voir de même que sa limitation à la connais-sance d'une collection de faits. Dansl'immense complexité de son œuvre sur laville, sans vouloir l'épuiser ou simplifier leproblème, une série de provocations nousincitent à penser et indiquent un chemine-ment possible pour comprendre le phénomè-ne urbain actuel, ce qui ne se fera pas sansprendre de sérieux risques.

La construction de la problématiqueurbaine nous oblige, dans un premier temps,à considérer qu'elle ne se réfère pas seule-ment à la ville mais qu'elle nous défie à pen-ser l'urbain. L'urbain apparaît, dans l'œuvrede Lefebvre, comme une réalité réelle etconcrète,

2 Lefebvre se propose de ranimer le marxisme, de ma-nière critique, qui permette une compréhension de laréalité moderne- une réflexion qui incorpore la prati-que.3 Henri Lefebvre, le matérialisme dialectique p. 17PUF, Paris, 1971

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en même temps qu'une virtualité c'est à direune réalité en formation dont le projet est unetentative de penser les transformations duprésent et les multiples facteurs du possible.La critique confronte le réel et le possible. Lastratégie réunit la théorie et la pratique. Cecheminement nous alerte contre l'atomisationdes recherches qui pensent la ville isolément,que ce soit comme un cadre physique oucomme un milieu urbain dans lequel la villeapparaît comme objet indépendant, isolé,théâtre de l'action humaine vue seulementdans sa négativité, chaotique, pour nous pla-cer devant la réalité en mouvement, en for-mation, beaucoup plus riche et profonde.

La problématique urbaine pas limitée àla ville, se réfère à la vie de l'homme, fondéesur une certaine conception du monde enmême temps qu'elle révèle qu'il n'y a pas depensée sans utopie, sans exploration du pos-sible. Grâce à cette idée, Lefebvre nous placedevant un nouvel humanisme4 basé sur unprojet qui rompt le rationalisme (qui prendl'aspect d'une domination) et projette la réali-sation de la philosophie dans la pratique.C'est ainsi que pour formuler le projet poéti-que de changer tout l'aspect irréel de la vie,Lefebvre introduit la notion de quotidienneté– ce qui modifie les termes du problème-,donne une nouvelle idée de la pauvreté et dela richesse des relations sociales permettantque l'on formule des exigences pratiques.Dans ce sens, le plan théorique s'articule auplan empirique, celui de la pratique socio-spatiale qui concerne la vie. D'une part, l'états'efface devant les intérêts des groupeshumains et d'autrepart, la métamorphose dela vie passe par l'intervention des intéresséset non par une simple consultation aux indi-qués. Ici, son raisonnement s'élargit pourpenser l'auto-gestion. Dans ce sens, l'human-isme contemple la réalisation des virtualités

4 Pour l´humaniste marxiste, l´homme est le point dedépart de la pensée et de l´action révolutionnaire, quimontre la nécessité de réalisation/émancipation del´homme par l´abolition de sa condition d´exploité etd´opprimé, et la nécessité de sa libération. Pour Le-febvre, l´homme, aujourd´hui, comprend mal ses rela-tions avec la société et, au lieu de les dominer, il selaisse dominer par ces relations, manipulées elles-mêmes par les forces économiques et sociales; cecioblige à trouver une unité entre la conscience privée etla conscience sociale.

de l'humain, ouvert, selon l'Auteur, aux rela-tions conflictuelles entre le possible et le réel,car pour lui, le monde n'est pas un simpleproduit de contradictions objectives: il tientcompte des déterminations possibles et desdécisions.

Sur le chemin de la constitution de laproblématique urbaine, la récurrence / in-sistance autour de la signification de la no-tion de production, idée également présentedans l'œuvre de Marx, oriente la réflexion.Dans bon nombre de ses livres, il réaffirmel'importance de la "production" (et du déve-loppement de cette notion-reproduction).

Au travers de cette notion importante,Lefebvre interprète la production comme unecréation, l'auto-création de l'être humain avecses déterminations, possibilités et décisions.Lefebvre nous introduit à cette idée que lemode de production doit se reproduire maisque cette reproduction ne coïncide pas avecla production des moyens de production; elles'effectuerait aussi à d'autres niveaux, nousconfrontant à "de nouvelles productions":l'espace, l'urbain, le quotidien (la quotidien-neté) qui expliquent le monde moderne. Denouvelles productions, de nouvelles relationsjalonnent le sens et les possibilités créées aulong de l'histoire, par une société déterminéeau sein de laquelle contradictions et conflitssurgissent car ces nouvelles productions seheurtent aux permanences. Dans ce sens,Lefebvre élucide aussi le moment que nousvivons aujourd'hui: celui du passage de laproduction à la reproduction –qui constituele sens le plus profond de ce débat.

La réflexion déborde la sphère de laproduction de marchandises, sans toutefoisl'abandonner. Elle se réfère à d'autres ni-veaux de la réalité et change significative-ment les éléments d'analyse, indiquant uneproblématique qui concerne l'ensemble de lasociété. À la question de savoir où se formu-lent les problèmes de la production de l'exis-tence humaine, c'est à dire, l'existence socialedes êtres humains, Lefebvre répond: dans lequotidien. Mais c'est dans l'urbain que lequotidien s'installe, il complète. Un nouvelespace apparaît. Pour le moment le Mode deproduction capitaliste s'est étendu, et à mesu-re qu'il se réalisait, il a envahi le monde; c'estle moment de la redéfinition de la ville, deson explosion, de l'extension des périphéries,de la construction d'un nouvel espace. La

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problématique urbaine assume ainsi une di-mension mondiale: la société ne peut se défi-nir qu'à l'échelle planétaire et cette extensionde l'urbain ne se fera pas sans conflits etdrames. L'expansion du phénomène urbainproduit de nouvelles formes, fonctions etstructures, sans que les anciennes aient com-plètement disparu. D'autre part, dans lemonde moderne, il y a, selon Lefebvre, unconflit entre les forces homogénéisantes et lesforces différenciatrices. Ceci signifie que denouvelles catégories seront conçues, quipermettront de renforcer les résistances etleur donneront un sens jusqu'à ce qu'un nou-veau type d'intelligibilité apparaisse5.

Pour Lefebvre, ce qui défie la compré-hension de notre époque, c'est exactement lacohabitation entre les nouvelles et les ancien-nes relations subsistantes. Pour lui, nousnous trouvons devant cet inconnu que nousappelons modernité et mondialité6. La sociétése modernise, s'unifie, en même temps qu'ellese différencie: c'est la fin d'une certaine his-toire e le début d'une historicité consciente etdirigée7..

Un des points forts de son oeuvre estque la réflexion sur la mondialité indique laspatialité –moment où l'espace prédominesur le temps. L'espace porterait en lui la fina-lité générale ou l'orientation commune detoute activité, allant des travaux partagés à laquotidienneté. L'espace entier devient le lieude reproduction de la vie matérielle ethumaine; quant à l'espace marchandise, il seréalise et se reproduit en tant que marchandi-se.

Quelques questions prennent un nou-veau sens à partir de ces travaux. En premierlieu, la différenciation/imbrication entre lesconcepts de la ville et de l'urbain, celui ci enprocessus de formation – parce qu´il s'agitd'une réalité réelle et concrète, en mêmetemps que virtuelle. C'est dans ces conditionsque se prête à l'analyse, la discussion sur laformation de la société urbaine. L'urbain ac-centuerait la constitution d'humanité del'homme, thème que Lefebvre développe àpartir de sa préoccupation pour les sens plusprofonds du terme reproduction. Cela signi-

5 Fin de l´histoire, page 3006 Conversation avec Henri Lefebvre, p. 197 idem, ibidem, p. 19

fie que sa méthode relativise toute affirma-tion qui tendrait à s'ériger en absolu, pouréclairer le possible, s'appuyant sur une pen-sée basée elle-même sur le virtuel (cette idéeprend son sens dans la transduction).

Dans ce sens, la société urbaine ne dé-signe plus la vie en ville, elle surgit de l'ex-plosion de la ville, conséquence de l'intenseurbanisation. Suite aux problèmes de détério-ration de la vie urbaine – en tant que momenthistorique - l'urbain englobe ou plutôt trans-cende la ville; c'est pourquoi pour Lefebvre, ilest possible d'analyser, grâce au concept del'urbain, le double processus de l'implosion-explosion, durant lequel la ville d'origine nedisparaît pas avec la modernité mais l'agglo-mération se disperse autour d'elle. Ce termedésignerait un processus plus ample, "danslequel modernité et quotidienneté vont sedévelopper dans le monde moderne". Ceterme bien que lié à la production, montrebien ce qui se passe en dehors de l'entrepriseet du travail. Le mode de production existanta amplifié le domaine de la marchandise,étendant son emprise sur tout le territoire,inondant et redéfinissant les relations socia-les. L'urbain accentue la production de laquotidienneté8

La vie quotidienne pourrait déterminercomment se réalisera la reproduction et cecin'est pas une trivialité. En d'autres termes, lavie quotidienne apparaît dans le contexte dela reproduction, dominée et organisée parelle. Il ne s'agit donc pas d'un espace-tempslaissé en liberté mais un espace d'attentionsqui tend à se constituer en systèmes car lareproduction dans le monde moderne ne sefait pas au hasard. Résultat du monde de lamarchandise, comme programme du capita-lisme et de l'état qui organise la vie quoti-dienne parce qu'il organise la société deconsommation.

Dans ce sens, Lefebvre affirme9 que laproblématique urbaine se déplace et modifieprofondément la problématique issue duprocessus de l'industrialisation. Ceci parcequ'un saut qualitatif important accompagnela croissance quantitative de la production

8 Le retour à la dialectique –12 mots-clés9 Dans le livre Espace et politique, qui suit "Le droit àla ville", Ed. Anthropos, Paris.

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économique, originant un phénomène quali-tatif qui se traduit par une nouvelle problé-matique: la problématique urbaine.

Le moment actuel montre les nouvellesexigences du capitalisme, moment où la pro-duction cesse d'assurer spontanément la re-production, moment où l'historicité setransforme en mondialité qui signifie pourLefebvre, spatialité et non historicité; l'histoi-re ne sert plus de références car les facteursqui permettent le développement des forcesproductives détériorent la vie sociale (sansignorer les dissolutions et les permanences).Au cours de sa réalisation, le capitalisme setransforme; la reproduction sort du champ dela production de marchandises "pour gagnerla société toute entière". C'est là que se repro-duisent les relations sociales, au delà du lieude travail c'est à dire dans la société entière,dans l'espace entier.

La reproduction, dans son mouvementréel, incorpore des tendances contradictoires.Le quotidien apparaît comme le niveau d'a-nalyse où s'établit le néocapitalisme, affirmeLefebvre. L'analyse de l'urbain révèle aussi larelation espace-temps; un temps limité autemps productif, dans lequel les rythmes im-primés par la rationalité du travail s'établis-sent dans une pratique spatiale qui révèlel'espace oppressif /répressif.

Mais la société urbaine se généralise, lasociété entière se transforme en une sociétéurbaine. Le processus sort de la ville vers uneéchelle plus ample, celle de toute la société.Ce processus qui ne se produit pas sans deprofonds conflits.

La ville joue un rôle dans les transfor-mations du processus de production; dans lescadres de la reproduction sociale, elle serévèle, révélant le cadre de la généralisationde l'échange, de la constitution du monde dela marchandise, de l'instauration du quoti-dien, de la concrétisation, dans l'ordre local,de l'ordre distant, indiquant dans l'espace, laréalisation de la société en tant que sociétéurbaine. Dans ce sens, la société contempo-raine apparaît comme une société urbaine enformation ce qui signifie que, en même tempsqu'elle caractérise une réalité concrète, ellesignale aussi une tendance, la possibilité desa réalisation. Dans cette perspective, l'urbainapparaît comme une réalité mondiale, dépas-se les concepts partiels et impose une mét-hode qui pense la pratique urbaine dans sa

totalité, sur le plan de la reproduction desrelations spatiales.

Selon Lefebvre, c'est seulement dans laseconde moitié du XXe siècle, que l'espace etla ville sont vus comme des problèmes10. C'està ce moment de la reproduction que le capi-talisme a intégré la ville historique, permet-tant l'échange des espaces auparavantinoccupés. L'espace social et politique de-vient un espace réel et opérationnel, donnéeet instrument, nécessité et virtualité, élémentfondamental pour le maintien des relationsde domination. Il signale aussi une générali-sation de la production et de la consomma-tion. Cela montre bien un mode de penser laréalité sociale à un moment où la totalité sedilue et où l'on ne perçoit plus que la frag-mentation.

En fait, ce n'est pas seulement la sociétéentière mais l'espace entier qui deviennent lelieu de la reproduction (des relations de pro-duction et pas seulement des moyens de pro-duction). L'espace, occupé par lenéocapitalisme, sectorisé, réduit à un milieuhomogène et par conséquent fragmenté,émietté (on ne vend à la clientèle que desfragments d'espace), devient le siège du pou-voir. Les forces productives permettent à quien dispose, de maîtriser l'espace et même dele produire. Cette capacité productive s'étendà l'espace terrestre. L'espace naturel est réduitet transformé en un produit social par l'en-semble des techniques, de la physique et del'informatique; ainsi, si d'une part, l'espacereproduit activement les relations de la pro-duction, il contribue, d'autre part, à sa per-manence et à sa consolidation11.

Lefebvre attire encore notre attentionsur le fait que l'expansion de la reproductionqui se produit actuellement sur le plan mon-dial, donne un nouveau sens aux relationssociales, dans une sphère plus vaste que celledu gain immédiat ou de la croissance de laproduction accompagnée d'une modificationqualitative de ces relations. Les relations dedomination qui à l'origine, sous-tendent, ren-forcent les relations d'exploitation, devien-nent essentielles, centrales. Les loiséconomiques et sociales perdent leur aspect

10 Une pensée devenue monde. Fayard, Paris, 1980.11 La survie du capitalisme p.116. Anthropos, Paris,1973.

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physique (naturel), décrit par Marx, aveugleset spontanées: elles deviennent chaque foisplus contraignantes sous la couverture d'uncontrat (ou même à découvert)12

La caractérisation du monde moderne,lu au travers de la ville, comme celui de lavictoire de la valeur d'échange sur la valeurd'usage, donne un autre sens au débat surl'espace public et les modes d'appropriation.On observe, en effet, une généralisation del'espace en tant que marchandise, une géné-ralisation de la propriété privée du sol ur-bain, et la formation d'un espace soumis à ladomination de la valeur d'échange par laspéculation et les investissement du capital.En contrepartie, l'espace urbain est surtoutun usage, une valeur d'usage. Ceci démystifiele discours, si évident aujourd'hui, qui réduitle citoyen à la condition d'usager de services,dans un espace géométrique et visuel où lavie quotidienne est programmée par la con-sommation manipulée. Ici, le droit à la ville,celui de la possibilité d'appropriation desespaces pour la vie dans toutes ses dimen-sions, perd de son sens. Ici, l'usager est réduità la passivité et au silence, à moins qu'il ne serévolte.

Ce conflit, entre l'usage et l'échange estpratique et se réfère à une pratique socio-spatiale réelle et concrète dans laquellel'usage correspond à une nécessité humaineautour de laquelle surgissent les conflits. Ici,la question du territoire, se pose, selon l'au-teur, pour chacun et pour tous. C'est à ce ni-veau que la propriété, en toute évidence, seconfronte à l'appropriation de l'espace:l'échange et la valeur d'échange se heurtent àl'usage, au corps et au vécu, sans toutefois selimiter à ce niveau de la réalité. C'est ici qu-'apparaît le rôle de l'état, fondamental pour laproduction de l'espace et de la ville.

Dans ce sens, l'usage potentiel se révèlelui aussi au travers de l'attention qui diffé-rencie l'habiter (analysé comme activité,comme œuvre) de l'habitat où la maison estréduite à la fonction de marchandise; unefonctionnalité produite et déterminée pourdes raisons techniques, "fournissant un ré-ceptacle où les personnes peuvent installer

12 La survie du capitalisme, idem, pp. 116/117

leur vie quotidienne"13. En ce moment histori-que, la "ville œuvre" disparaît devant la géné-ralisation du produit, dans la mesure où lavaleur de l'usage tend à se soumettre à celuide l'échange, avec toutes les conséquence dece processus comme l'implosion des ancien-nes relations de voisinage, la perte d'identitécausée par la destruction des référentiels ur-bains issus du passé, et les valeurs anciennesqui se transforment et se confrontent dans laville. Ici, les morphologies spatiale et socialese juxtaposent, exposant la ségrégation quiapparaît sous formes multiples, avec la géné-ralisation de la proprieté privée.

Selon Lefebvre, "plusieurs marxistes"ont négligé les questions relatives à l'espaceet à l'urbain justement parce que la réflexionmarxiste portait, dès le début, sur l'analysecritique de la production, au sens strict, d'unpoint de vue strictement économique, celuide l'entreprise et du travail productif. Cen'est que récemment qu'ils ont pris conscien-ce de cette problématique, et encore, "de ma-nière simplifiée". Lefebvre affirme qu'uneidéologie est apparue, acceptée par lesmarxistes, selon laquelle, la production in-dustrielle, porteuse de l'essentiel de la viesociale et politique, ne pose que des problè-mes administratifs. En cas d'erreur, elle pro-viendra de la gestion capitaliste de l'industrieet d'une planification rationnelle des forcesproductives. Ainsi, on tente de restituer sacohérence au processus de croissance, ensimplifiant le réel car la réalité spatiale et ur-baine se réduit à des sujets comme la rente dela terre, la spéculation immobilière et le rôledes promoteurs et des banques, ce qui n'estpas faux mais limité.

Les relations existantes sont très com-plexes: ainsi, pour l'individu, par exemple laville est le lieu du désir et d'un ensemble decontraintes qui inhibent les désirs. La ville estle support du rêve et de l'imaginaire, qui ex-plorent le possible. Les multiples fonctions dela ville et de l'espace n'épuisent pas le réel:"l'espace et la ville sont être poétique et ex-pression durement positive. La ville et l'ur-bain suscitent un savoir et un lyrisme,composent une totalité ouverte et partielle,

13 Introduction, p.XI, Boudon, F. Pessac de Le Courbu-sier Ed. Dunod, Paris, 1969.

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des niveaux de totalités plus vastes. Pourquoile marxisme devrait-il effacer le symbolique,le rêve et l'imaginaire?"14.

Le sens de la ville en tant qu'œuvre dela civilisation ne se limite pas seulement à saconstruction physique. Il se réfère aussi à laconstruction de l'humanité, de l'homme. Leparcours de Lefebvre permet ainsi une lectu-re de l'histoire et de notre condition dans lemonde moderne, y compris l'idée d'un projetpour la société: la ville est un lieu de contra-intes mais aussi celui de la liberté.

La compréhension du contenu dumonde moderne passe par une discussion surla reproduction de la ville, aujourd'hui. Ledéfi consiste à penser la pratique socio-spatiale, le sens des appropriations réelles etpossibles, ainsi que les luttes qui les entou-rent.

Donc, dans la perspective analytiqueque nous développons ici, la ville apparaîtcomme le "lieu du possible" Elle rassembletous les niveaux de la réalité et de la cons-cience, les groupes et leurs stratégies, lessous-groupes ou les systèmes sociaux, la viequotidienne et la fête. Ses fonctions sontnombreuses mais les fonctionnalistes ou-blient les plus importantes, la fonction ludi-que et la fonction informative. Elle comportedes contraintes impérieuses et des appro-priations rigoureuses du temps et de l'espace,de la vie physique, des désirs (...), la ville estle produit du possible (...), la conception de cepossible se base non pas sur l'analyse del'actuel mais sur la critique de l'actuel, brisépar l'analyse, par l'idéologie et par la straté-gie fondée sur une compréhension analytiqueet non sur la rationalité dialectique15

Le sens de l'urbain transcende la ville,tout en l'englobant; la société urbaine s'an-nonce et se projette sur la vie, la recréant,formant non seulement une totalité plus am-ple mais se transformant aussi en objet vir-tuel.

Dans cette perspective, on peut faireune évaluation critique de cette "planificationurbaine" qui, fréquemment, fait table rase dela pratique socio-spatiale, la faisant disparaî-

14 De l'État, volume IV, página 270, Union Générale del'Editeur. Paris, 1978.15 C'est une stratégie dialectique, pour concevoir le réel,il faut, selon Henri Lefebvre, passer par l'utopique etl'impossible.

tre et réduisant la ville à son cadre physique,inerte, passible d'intervention, transformantles citoyens en usagers des moyens de con-sommation collective, installés dans l'espacede la ville.

La "réforme urbaine", qui apparaît sousla forme fragmentaire de la rénovation par-cellaire de la ville, au travers de l'ouverturede voies de trafic, de la construction de pontset viaducs, des grands édifices ou même desimmeubles en co-propriété fermés, contribueà créer des périphéries implosées, produitsindiscutables du progrès, où tout est imposépar le " chantage de l'utilité". Celui-ci forge"le consentement de la société" grâce à desprojets spectaculaires présentés comme seulesolution possible. La ville, vidée de son sensde l'habiter, se vide du ludique et de toutepoésie.

La ville d'aujourd'hui, planifiée, se re-produit comme un spectacle qui vient com-penser l'impossibilité de participation; laville, devenue spectacle, dissimule l'établis-sement des normes et les contraintes des usa-ges de l'espace du capitalisme moderne quiorganise la réduction de toute la vie sociale àun spectacle. La ville produite comme unspectacle compose un cadre solide pour lareproduction et ses exigences actuelles, àpartir de l'imposition d'un espace géométri-que et rationnel, en réalité vide, qui réduitl'usage car il soumet le temps, réduisant sonemploi et par là, l'usage de l'espace. Espace ettemps vidés, produisent un quotidien frag-menté où le désir réduit à une nécessité, videla propre vie de son sens.Traduction du texte Elisabeth DeLiège Vas-concelos (qui a aussi traduit le texte numero 4de ce colloque)

Sommaire du No A.1

Armand Ajzenberg : classes et formesmodernes de lutte de classe

- Les forces sociales en présence 2- Psychologie collective des classes 3- Les classes dans une société globale 4- Ce qui a changé depuis 1963 10- Production et extraction de plus-value 15- Formes prises par la lutte de classe 16- Les coordinations 21

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Jorge Hajime Oseki

L’Unique et l’homogène dansla production de l’espace16

enri Lefebvre aura sans doute étéle seul grand penseur à prévoir la

possibilité de l’émancipation de l’homme àtravers l’espace. La raison en est qu’il a étécelui qui le mieux a analysé et critiqué la mi-sère quotidienne de l’homme qui se soumet àl’espace moderne.

L’espace avait été pensé par la philoso-phie d’abord comme œuvre divine, attributde l’être absolu, ensuite comme un “espaceen soi”, lui-même un absolu. Un infini sanscontenu et, cependant, incogniscible. Pour leconnaître, toutefois, il a été nécessaired’introduire un corps (un contenu). Le corps,de son côté, étant action et énergie, en oc-cupant l’espace s’est mis à le posséder. Il aproduit un espace en même temps qu’il a étéproduit par lui. Le corps est devenu un corpsspatial.

Au centre du corps humain demeureun noyau irréductible, un « quelque chose »non-indifférent, qui associe dans l’espacetous les sens (odorat, toucher, ouie, goût etvision). Un corps total avec des propriétés etdimensions spatiales. Ce corps-fondement de

16 Ce texte se fonde essentiellement sur La productionde l’espace (1974), dans sa référence à la théorie del’espace et sur le tome IV de l’État (1978), lorsqu’ils’agit de la théorie de l’État et sa relation à l’espace.Ont été utilisés également Espace et politique (1974),Le matérialisme dialectique (1940) et Le marxisme(1948).

l’espace et du pratique sensible – se scinde endevenant sujet et objet de la pratique sociale.

L’humain (puissance, connaissance,action, amour, corps et âme) se développealors, au moyen de contradictions, prendforme au moyen de l’inhumain. L’aliénation,selon Marx, n’est pas seulement théorique,idéale, mais surtout pratique : elle se réitèredans tous les domaines de la pratique17.

Dans le capitalisme, l’espace social ab-solu devient abstrait. Il se constitue progres-sivement en tant qu’abstraction concrète, avecune existence mentale et une réalité socialeconcrètes.

Analyser et exposer la production del’espace (un concept théorique et une réalitépratique) revient à l’élire comme un momentde la société actuelle, c’est-à-dire, comme unrévélateur de cette même société qui peutpermettre de l’appréhender en tant que ré-alité. Moment dans lequel, au moyen d’unresserrement extrême de la contradiction ilest possible d’entrevoir sa fin, la possibilitéde son dépassement. « Non seulement decaractériser l’espace où nous vivons et sa ge-nèse, mais de retrouver la genèse, à travers etpar l’espace produit, de la société actuelle »18

L’espace comme « milieu » parvient à latautologie totale, produit le reproductible,produit en imitant la production passée.“Contradiction ultime : la capacité produc-trice de l’espace ne produisant que du repro-duit n’engendre que le répétitif et larépétition. La production d’espace se changeen son contraire : reproduction des chosesdans l’espace”19

L’espace participe aussi bien des forcesproductives que des relations de productionet de propriété, de l’idéologie, de la produc-tion, de la réalisation et de la répartition de laplus-value. « Le moment où l’espace devientprédominant, c’est-à-dire où se constitue unespace dominant (politique), c’est aussi lemoment où la production cesse d’assurerspontanément et aveuglément la reproduc-tion des rapports sociaux (…) Le processusde reproduction ne s’autonomise

17 Henri Lefebvre, Le marxisme, PUF, Paris, 1983,20ème édition, pp.39 et sq.18 Idem. La production de l’espace, anthropos, Paris,1986, 3e éd., p.VIII19 Henri Lefebvre, La production de l’espace, op. cit.,p.434-5.

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pas fonctionnellement ; il se réalise dans unespace, l’espace politique, condition de lareproduction généralisée... ».20

Dans le capitalisme, le mouvement créépar la consommation demande la reproduc-tion de choses, en un espace de production.Cet espace à son tour requiert un espace dereproduction, contrôlé par l’État, qui garan-tisse la reproductibilité même des choses.D’où la nécessité de la production d’espaces.D’un mode de production de choses dansl’espace on arrive à la production d’espaces.Dans le néocapitalisme (capitalisme d’État)toutefois, l’espace institutionnel, en se fon-dant sur le répétitif et le reproductible, barrela création du nouveau. Cet espace de la bu-reaucratie frustre sa propre possibilité : lemode de production de l’espace, qui apporte aveclui la désintégration de la propriété privée del’espace et conjointement avec cette derrièrela suppression de l’État lui-même. « Ce quiimplique le passage de la domination àl’appropriation <de la nature seconde> et leprimat de l’usage sur l’échange (le dépéris-sement de la valeur d’échange) ».21

L’espace capitaliste tente d’immobiliserl’espace. Le capitalisme s’approprie l’espaceexistant et tend à créer son propre espace. « Àtravers et par l’urbanisation, sous la pressiondu marché mondial. Sous la loi du reproduc-tible et du répétitif, en annulant les différen-ces dans l’espace et dans le temps, endétruisant la nature et les temps naturels.L’économique fétichisé dans le marché mon-dial et l’espace qu’il détermine, la politiqueportée à l’absolu ne risquent-ils pas de dé-truire leur propre fondement, la terre,l’espace, la ville et la campagne? Et, parconséquent, de s’autodétruire? »22.

Quel sera-t-il, cependant, l’ «espace decatastrophe» de l’espace actuel ? “La nouvellemodalité d’occupation spatiale semble au-jourd’hui portée à ses plus extrêmes consé-quences stratégiques: occupation des mers,menaces « tous azimuts » couvrantl’ensemble de l’espace planétaire et même au-delà. L’espace de la propriété étendu de laterre au sous-sol et à l’espace entier, pourraità lui seul passer pour « espace de catastro-

20 Idem, De l’État, tome IV, op.cit., p. 307.21 Idem, La production de l’espace, op.cit, p.471.22 Henri Lefebvre, La production de l’espace, op.cit.,p.375-6.

phe » : il chaotise, atomise, pulvérise l’espacepréexistant, le met en miettes”23.

L’espace capitaliste - homogène, brisé ethiérarchisé - ne survit que grâce à l’étatiquequi le soutient et le “planifie”.Le dépasse-ment possible devra par conséquent êtredouble : de l’espace et de l’État. Et pourtant,les possibilités de l’œuvre et de réappropria-tion, les exigences du corps expulsé et dé-porté de l’espace abstrait, peuvent générerdans les souterrains de l’espace étatique desalternatives utopiques (un contre-espace, uncontre-projet, une contre-culture).

L’espace pulvérisé tendrait à se re-constituer dans des espaces différenciés selonl’usage. L’espace étatique empêche cette re-constitution par la violence, voilée ou expli-cite. l’État n’élimine pas le chaos, seulementle planifie. « Seul le contrôle par la base etl’autogestion territoriale exerçant contre lesommet étatique une pression et menant unelutte réele pour des objectifs réels, peuventopposer à la démocratie concrétisée à la ra-tionalité administrative, c’est-à-dire, soumet-tre la logique étatique à une dialectiquespatialisée (concrétisée dans l’espace sansperdre de vue le temps, au contraire: en inté-grant l’espace au temps et le temps àl’espace ».24

Lefebvre lui-même reconnaît qu’il a euune certaine attitude pamphlétaire dans ladescription de la production architecturaleeuropéenne d’après-guerre (périphéries,ghettos, ensembles, maisonnettes), ce quil’aurait empêché de percevoir quelque chosequi pouvait indiquer quelque résidu en di-rection de son dépassement. « L’espace abs-trait est donc répressif par essence et parexcellence, mais d’une façon particulièrementhabile parce que multiple, la répression im-manente se manifestant tantôt par la réduc-tion, tantôt par la localisation (fonctionnelle),tantôt par la hiérarchisation et par la ségré-gation, tantôt par l’art. Voir (de loin),contempler (ce qu’on a séparé), ménager des« points de vue » et des « perspectives »(dans les meilleurs des cas) change les effetsd’une stratégie en objets esthétiques /…/ Cequi ne correspond que trop bien àl’urbanisme de maquette et de plan de masse,

23 Idem, De l’État, tome IV, op.cit., p.320.24 Idem, ibidem, p.323.

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complément de l’urbanisme d’égouts et desvoiries, où le regard du créateur se fixe à songré et à sa aise sur des « volumes », l’œilfaussement lucide qui méconnaît à la fois lapratique sociale des « usagers » et l’idéologiequ’en soi même il contient »25.

Pour Lefebvre « l’architecte, plus parti-culièrement, occupe une situation inconforta-ble. En tant qu’homme de science ettechnicien, producteur dans un cadré déter-miné, il mise sur le répétitif. Entantqu’inspiré, artiste, sensible à l’usage et aux‘usagers’, il mise sur le différentiel. Son lieu,c’est la contradiction douloureuse et le renvoisans fin de l’un à l’autre. À lui, architecte,incombe une tâche difficile: surmonter la sé-paration entre le produit et l’œuvre »26.

Une nouvelle société pourrait inventer,créer, produire des formes nouvellesd’espace. Les relations de production et depropriété empêchent ces possibilités dans lamesure où elles fragmentent l’espace. Le réelconduit à la banalité des pavillons et desgrands ensembles.27

La relation entre l’édifice (prose dumonde) et le monument (poésie) est sembla-ble à celle entre quotidienneté et fête, entre leperçu et le vécu, entre l’homogène etl’unique, entre produit et œuvre. « Il n’y aaucune raison de séparer l’œuvre d’art duproduit jusqu’à poser la transcendance del’œuvre. S’il en est ainsi, tout espoir n’est pasperdu de retrouver un mouvement dialecti-que tel que l’œuvre traverse le produit et quele produit n’engloutisse pas la création dansle répétitif »28.

Rappeler rapidement ces moments del’exposition de la production de l’espace chezLefebvre nous permet de réfléchir sur :le Mouvement Moderne d’architecture auBrésil (et dans le Tiers Monde) qui a eu descaractéristiques différentes de l’européensurtout dans la mesure où il s’est décollé desa base populaire (la question du logementde la classe ouvrière dans l’après-guerre) etoù il s’est réalisé dans une société fortconservatrice. Ainsi à Brasilia, œuvre deNiemeyer, épitomé du modernisme brésilien,

25 Henri Lefebvre, La production de l’espace, op.cit.,p.366.26 Idem, ibidem, p. 456.27 ibidem, p.412.28 ibidem, p. 93.

outre une « société technocratico-étatico- bu-reaucratique » - (qui) se projette si fidèlementdans l’espace, qu’il atteint une cocasseriedans l’aveu”29, l’étatique produit simultané-ment la cité illégale (« les villes satellites »), leterritoire envahi qui va accueillir les pauvreset exclus (les « candangos »), les bâtisseurs dela cité légale. On bâtit en même temps la mai-son des maîtres et la maison des escla-ves30dans l’heureuse (re)interprétation del’architecte J.B Villanova Artigas del’expression de Gilberto Freire, il y a parconséquent création conjointe par l’étatismebrésilien moderne d’un urbain et d’un infra-urbain.

Quel serait son « espace de catastro-phe » ? À notre avis cette possibilité se trouvecontenue dans l’apparition, dans les années70, et surtout de 80, de programmes munici-paux importants de maisons auto-construites(« mutiroes »), auto-gérées, dans la régionmétropolitaine de la Grande Sao Paulo, refletdes vigoureux mouvements sociaux urbainsde lutte pour l’habitation. Ces programmesavaient des projets élaborés par des structu-res techniques composées d’architectes, ingé-nieurs, avocats, sociologues, entre autres, quiont tenté d’élaborer une nouvelle stratégie,susceptible de rendre viable la participationpopulaire directe aussi bien dans les projetsque dans les chantiers des œuvres ; Si parrapport au projet la participation est restéeencore limitée (pour des raisons évidentes),par rapport au chantier, le changement a éténotable : locus traditionnel d’extraction de laplus-value (absolue et relative), les chantierssont devenus par moments, lors de ces expé-riences, des lieux de citoyenneté, de joie et defête.

L’espace contient des possibilitésd’émancipation de l’homme à la recherche deson universalité. De même que pour Marx, leprolétariat supporte toute l’aliénation et pourcela il est le germe du dépassement de la so-ciété capitaliste, aux yeux de Lefebvre, dansles villes homogènes et homogénéisantes ducontinent américain, avec les inégalités so-ciales immenses qu’elles rassemblent, àl’origine des processus de ségrégation et vio-

29 ibidem, 36030 référence l’œuvre de Gilberto Freyre, Casa grande esenzala (1933), en français Maîtres et esclaves, trad.Roger Bastide, Gallimard, Paris, 1952.

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lence urbaine inédits, il pourrait se générerdes pratiques indicatrices-révélatrices d’unetransformation urbaine radicale.31.

Renseignements sur l’auteur :Architecte et urbaniste, professeur du Départe-ment de Technologie de l’Architecture et del’Urbanisme de l’Université de Sao Paulo (USP),directeur de recherche au NAP/PLAC (noyaud’appui à la recherche production et Langage del’Envireonnement Construit), recherche :Fleuveset Villes – identité et conflit, membre du Pro-gramme d’Études sur Henri Lefebvre au Labora-toire de Géographie Urbaine (LABUR) de la USP,participant du séminaie sur l’œuvre d’Henri Le-febvre organisé par le professeur. Dr. José de Sou-za Martin du Département de Sociologie de laUSP (1987 à 1993).auteur de “ O unico e o ho-mogêneo na produção do espaço” in Henri Lefeb-vre e o retorno à dialética, de José de SouzaMartins (org.) São Paulo: Hucitec, 1996 t dee “Lafluvialité urbaine des fleuves” in LUGARES:d’un continent, l’autre, de Sylvia Ostrowetsky(coord.), Paris: L’Harmattan, 2001.

BibliographieLefebvre, H.,- Le matérialisme dialectique, PUF, Paris, 1940.- Le marxisme, PUF, Paris, 1948.- Du rural à l urbain, Anthropos, Paris, 1970.- La révolution urbaine, Gallimard, Paris, 1970- Droit à la ville, suivi de Espace et politique,Anthropos, Paris, 1975.- De l’Éta t, tome III et tome IV, UGE, col. 10-18, Paris, 1978.- Une pensée devenue monde, Fayard, Paris,1980.- La production de l’espace, Anthropos, Paris,1986.

31 Henri Lefebvre, La Révolution Urbaine, Paris,Gallimard, 1970, p. 193 pass.

Jean-Pierre Lefebvre

Sur "I’Unique et l'homogène dans laproduction de l'espace",

communication de Jorge HajimeOseki, Université de Sao Paulo,

au colloque du centenaire d'HenriLefebvre.

e texte très pertinent de JH Osekisur l'approche lefebvrienne de l'ur-

banisme appelle des commentaires, puiséscette fois dans les expérimentations urbainesen France des années soixante et dix, notam-ment dans les banlieues dirigées par le PCF,en Seine-SaintDenis, à Ivry, Villejuif, Givors,Saint Martin d’Hères, engagées selon la pra-tique de Jean Renaudie et auxquelles nousavons participé pendant vingt ans, en tantqu'animateur de la société d'aménagement dela Seine Saint Denis.

Henri Lefebvre a exprimé jadis le regret den’avoir pu s’impliquer suffisamment dansl'histoire et la théorie de l'architecture. Il s'estappuyé successivement sur des architectes degauche tels que Riboulet, Boffil, Ciriani,Chémétov dont la pratique était insuffisam-ment dégagée des contraintes de la sphèreéconomique. Il n'y a pas eu de rencontre avecJean Renaudie, l'architecte qui a porté le plusloin la critique moderne d'un certain mou-vement moderne, englué dans la pratiqueurbaine du capitalisme. Si les idées de HL ontpendant vingt ans irrigué notre praxisd'aménagement, une collaboration “trèsfructueuse” n'a eu lieu qu'en un court mo-ment, de 1981 à 1987.

L

Sommaire du No A.2

- Jean Magniadas : MYSTIFICATION ET CONSCIENCE DE CLASSE 2

- Jean Péaud : LA LUTTE DE CLASSE 14

- A. Ajzenberg : A PROPOS DE CRÉATION DE PLUS-VALUE ET D’EXTRACTION DE CELLE-CI 16

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L'aménagement contestataire en ban-lieue rouge a produit sur une échelle demasse des quartiers différents, comprenantplusieurs milliers de logements sociaux, dansles bâtiments desquels étaient intégrés descentres commerciaux, des équipements pu-blics et culturels, des activités tertiaires. Enprenant le risque de résumer ses critères - cequi peut se révéler réducteur - on peut déga-ger les traits d'une utopie urbaine, sans douteinfiniment perfectible, mais qui présentel'avantage d'exister sur une échelle indus-trielle. Rappelons que ces logements HLMsont chacun d'un plan différent, qu'ils utili-sent largement les qualités d'espace élaboréespar le mouvement moderne dans ses villas deluxe (duplex, triplex, mezzanines, coursives,loggias, surhauteurs, plans obliques, éclaira-ges zénithaux, courbes, angles aigus, etc.). lissont organiques selon Van Eyck, mixtes (mé-lange des fonctions comme des origines so-ciales), complexes, suivant en celal'autosimilarité des structures fractales. Defaible hauteur et densité moyenne (de 0,5 à2,0), ils sont piétons et généreusement plan-tés. Ils comportent notamment une terrasseen pleine terre pour chaque logement enétage. La démarche renaudienne s'inscrit entout point comme l'exacte antithèse de lacharte d'Athènes et de ses zonage et orthogo-nalité simplificateurs. Elle s'efforce de donnerune base spatiale à ce qui pourrait être unhabitat autogestionnaire, niant l'utilité desmonuments du pouvoir, développant jus-qu'au bout, dans les conditions du moment, àun pôle la différence et l'autonomie des per-sonnalités par le droit au choix de formesindividualisées de chaque logement, à l'autrepôle l'encouragement, grâce aux volumes etespaces extérieurs offrant un linéaire impor-tant pour les échanges(clarté labyrinthique deVan Eyck), aux micro-relations sociales dequartier, à la convivialité.

Il s'agit donc d'une utopie concrète ac-quise par la lutte, et aboutie, qui est en mêmetemps un compromis obligé avec les secteurséconomiques et bureaucratiques. Elle a prou-vé sa pertinence en maintenant, vingt ansaprès, malgré la dégradation sociale générali-sée, des qualités d'environnement et de vieévidentes, quoique naturellement différen-ciées d'un lieu à l'autre en fonction de lacomposition sociale et des inégalités d'entre-

tien par les organes bureaucratiques de ges-tion.

Il n'y a pas eu d'élaboration conjointedes plans avec les futurs utilisateurs pour labonne raison que ceux-ci sont, dans le cas desHLM, inconnus au moment de la projétation.Assez souvent, les gens consultés renvoientaux plans médiocres de la publicité envahis-sante. Au hasard des consciences des éluspopulaires, des consultations ont néanmoinseu lieu avec les habitants. La diversité desplans a permis un choix adapté aux person-nalités. Contrairement à Sao Paulo, les chan-tiers ont été menés à bien de façon classique -souvent dans la tension avec l'architecte, so-lidement appuyé sur la maîtrise d'ouvrage -par les entreprises dans le cadre du marché etdes normes étatiques.

Ces quartiers constituent un gisementd'enseignements pour l'élaboration de mo-dèles souhaitables d'une ville réconciliée oùla valeur d'usage supplanterait enfin la va-leur d'échange, un chantier expérimentald'une ville qui soit une "Oeuvre", comme lasouhaitait HL.

Leurs difficultés de vie actuelles tien-nent à deux facteurs : l'absence d'évolutionpositive des conditions sociales et démocrati-ques, et, au contraire, leur dégradation de-puis vingt ans sous l'effet du chômage. Toutse passe comme si, cette fois, l'édification,l'enveloppe, avaient été en avance sur l'évo-lution (ou la révolution) sociale. Secondpoint, la construction de ces ensembles n'ajamais été assumée théoriquement par le PCFquand bien même, au nom des "cent fleurs"du comité central d'Argenteuil, il ne les a pascondamnées, préférant prudemment faireconstruire ses sièges par la valeur corbu-sienne et consacrée de Niemeyer plutôt quepar ces dérangeants avant-gardistes.

Ces quartiers sont le résultat de l'ou-verture et de l'ardeur révolutionnaire de telsou tels de ses élus ou de ses cadres. Une forteopposition n'a cessé d'émaner des milieuxéconomiques (trusts du bâtiment qui sub-ventionnaient le fonctionnement des partis),des milieux bureaucratiques du Ministère oudes mairies, des élus et militants les plusobtus, enfin des architectes affairistes - sou-vent "en carte" - qui voyaient dans cette pra-tique hérétique de l'architecture la mort de lapoule aux œufs d'or des honoraires obtenuspar le respect des normes ultra simplifiées

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des trois majors français du bâtiment qui ontgénéré leur "style" international.

La plupart de nos chantiers ont été me-nés à bien par des entreprises moyennes, sanssupplément de prix notables ni subventionsd'aucune sorte.Comment cette expérimentation a-t-elle puvoir le jour? La base réside dans les excèsmême de la fabrication de l'antiville et danssa dénonciation par HL, reprise en maisoixante huit ("métro, boulot, dodo" et "HLMblêmes"), par les livres, le cinéma, la chanson,les milieux populaires. Si assez peu de luttesurbaines spontanées se sont développées, untissu associatif a cependant aidé ces expé-riences et continue de les défendre.

L'alliance, dans la mouvance du PCF,de la partie des architectes la plus agissante,la plus radicale, la mieux attentive à la quoti-dienneté des salariés et la plus exigeante enmatière esthétique, avec les éléments les plussensibles, les mieux radicaux et les moinsbureaucratisés d'un parti marqué par l'ou-vriérisme et le post stalinisme bréjnévien,joint au fait qu'ils disposaient de quelquesmoyens d’État, ont permis la résistance fa-rouche au nivellement fonctionnaliste et laprise en compte d'une sociologie quotidienneet d'une esthétique qui tendait à dépasser lesimpasses du mouvement moderne, dans lafoulée de "Team Ten”.

L'acte de bâtir résulte pour nous de laconfrontation dialectique de trois champs,l'économique, le démocratique, le conceptuelartistique, eux-mêmes habités chacun par descontradictions secondaires. Dans la sociétécapitaliste étatique, le champ économique estdominant et a tendance à écraser les deuxautres. Dans des nations à forte tradition ar-chitecturale comme la Hollande ou la Fin-lande, une certaine résistance culturelle de lasociété civile parvient à contenir relativementla prédation capitaliste. En France, après lamontée de son urbanisme municipal pro-gressiste dans les années soixante et dix, lagauche a, en 81, investi l’État, mais elle n'afait qu'aggraver ses tares bureaucratiques enouvrant dès 83 la voie à une capitulation ré-formiste, éclatante dès le début au sein duMinistère de l’Équipement. La particularitécolbertiste française, avec son Corps desPonts et Chaussées, alourdit le facteurconservateur et mercantile car ses ingénieurs

se retrouvent indifféremment dans l'admi-nistration et les directions d'entreprises.

L'institution architecturale a joué unrôle décisif : le post modernisme, qu'il s'ins-pire de Venturi, Corbusier ou Mies Van derRohe, a justifié l'agenouillement devant lesexigences réductrices des grandes affaires. Lemot d'ordre "faire avec" , (entendez la préda-tion de l'entreprise), a été lancé dès 1981 parl'historiciste Huet ou le corbusien Chémétov,tous deux à l'époque marxisants. Quelquesmandarins de gauche ont régi les revues, lescrédits d'études ministériels, l'enseignement,les grands prix et étouffé la tendance renau-dienne qui n'est nulle part enseignée.

Les élus de gauche ont basculé dans lamode dominante, encouragée par Mitterrandavec ses grands chantiers dépourvus d'intérêtarchitectural.

La reconstruction d'une ville bienfai-sante aux hommes passe par le rééquilibragedes rapports de force entre les trois acteurs etpar l'adoption par la majorité des citoyens demodèles adaptables d'utopies urbaines. Lacontradiction dialectique entre trois facteurségaux est ingérable notamment en astrono-mie, où elle est régie par le chaos. En se pré-munissant d'assimilations hâtives, en matièred'édification de la ville il est possible d'ima-giner une contradiction binaire et équilibréeentre le secteur économique d'une part et,d'autre part, une alliance solide entre leschamps démocratiques et culturels capablede l'équilibrer. Tel fut, dans des circonstancesspécifiques, la base de notre pratique de vingtans en Seine Saint Denis, qui s'appuya surd'autres tendances de l'architecture avec desrésultats moins significatifs, et qui fut bruta-lement interrompue en 1994 par un renver-sement du rapport de force.

En 2000, après des années de résistancede la conjuration bureaucratique et affairiste,le Ministère accepte enfin de démolir lesgrands ensembles où se cristallise partout lemal vivre, l'inégalité et la violence urbainedans ce pays pourtant si riche. Mais aucunepolitique d'ensemble, nourrie de fine sociolo-gie et d'esthétique exigeante, n'est même en-visagée au stade expérimental par leMinistère de la Ville, pourtant créé à cet effet.Le Ministre responsable n'est porteur d'au-cune idée et sa ville reste un prototype demassacre urbain par la promotion privée. Desdinosaures, auteurs de grands ensembles,

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sont même chargés de "soigner" ces quartiersde la honte.

Les quartiers renaudiens sont négligéset les rares expositions qui leur sont consa-crées se tiennent loin de Paris. On pousse lesouci d'extermination jusqu'à faire réhabili-ter, à Aubervilliiers, un de ces ensembles ex-périmentaux après avoir évincé son auteur.

Cet acharnement témoigne de la crainteextrême des bénéficiaires de l’antiville de voirun jour remise en cause leur profonde noci-vité sociale. Il témoigne aussi de la pertinencede ces expériences qui, pour durer commecontenant, attendent un contenu adéquat : ledépérissement de la valeur d'échange, le dé-périssement de l’État, de sa bureaucratie etleur remplacement par une autogestion pru-demment progressive. Celle-ci ne pourra eneffet se substituer au précédent mode deproduction qu'à compter du moment où elleaurait apporté, au moins théoriquement, lapreuve d'une efficacité économique supé-rieure à celle du capitalisme. De ce point devue, les études théoriques sont encore à en-gager.

Comme au Brésil mais par des cheminsdifférents, ce qui a eu lieu à l'état de prémis-ses hier peut être renouvelé demain. Il s'agitde la même société, composée des mêmescitoyens. Certes, la mondialisation capitalisten'incite pas à l'optimisme. Des notions évi-dente comme la municipalisation des soispour s'opposer à la spéculation assassine detout projet urbain décent, semble aujourd'huirelever d'une archéologie délirante. Les aidesétatiques prodiguées au pavillonnaire ruinenttout essor de quartiers d'habitat collectif bienconçus au profit des lugubres grands ensem-bles horizontaux. L'inclusion dans un mêmebâtiment de fonctions différentes, logements,activités, équipements, qui était notre pro-blématique majeure en 1988, est aujourd'huitotalement exclue par la logique simplifica-trice du milieu économique qui y voit uneatteinte au profit facile. Le système construc-tif « poteaupoutre » est sous utilisé au profitdu facile refend porteur, quand il permettraitla fabrication d'espaces différenciés, contrai-rement au second. L'utilisation du bois restemarginale quand il offre une légèreté sanspareille aux structures constructives. Le re-cours à l'économie mixte pour une maîtrised'ouvrage urbaine débureaucratisée est peuou prou abandonnée quand elle avait aidé

nombre d'avancées. Le Ministère consacredes sommes folles à une "recherche" introu-vable quand la construction en réseau deFriedman et Emerich n'a jamais connu devéritable expérimentation alors qu'elle per-mettrait sans doute une sculpture urbainedans les trois dimensions. Jusqu'à une daterécente, la conception par ordinateur rédui-sait paradoxalement la projétation aux for-mes de la boîte plutôt que de favoriserl'invention de volumes géométriques com-plexes et imaginatifs, etc. Tout se passe, ausiècle de bouleversements inouïs de la tech-nique, comme si rien ne s'était vraiment passédans le domaine de la construction depuisdeux millénaires.

Tout l'effort financier planétaire est di-rigé vers la virtualisation accélérée de la so-ciété marchande aux besoins manipulés,quand un continent de savoir architecturalhautement humanisé est délibérément laisséen friche, ignoré même de l'intelligentsia, afortiori par la masse des citoyens, cependantque des milliards d'individus sont promis aupurgatoire de l'urbanisation sauvage dans lesprochaines décennies.

Le prolongement apporté par l'expéri-mentation française (mais aussi hollandaise,anglaise, finnoise, etc.) des années soixantedix à la pensée d'Henri Lefebvre sur l'espace,tient donc à la question de l'alliance avancéeplus haut : quelles architectures, quelles théo-ries prendre en considération pour faireavancer les modèles d'utopie urbaineconcrets, réalistes et irréalistes? Réalistes, carils ne doivent déroger aux coûts moyensqu'une nation donnée peut consacrer à unmoment donné au logement social et à la ville- contrairement, par exemple, aux HLMd'Hundertwasser à Vienne, merveille poéti-que et haut lieu touristique qui ont coûté cinqfois le prix des nôtres - . Irréalistes sur lesplans idéologiques et politiques, quand onperçoit l'immensité du terrain perdu par lesidées sensibles et rationnelles sous le défer-lement de la pensée unique et l'état déliques-cent des théories urbaines de la gauche,fut-elle radicale.

Comment ne pas réfléchir par exempleau succès politique de l'écologie, justifiée pardes attitudes radicales et utiles sur les OGM,la malbouffe ou la pollution atmosphérique?Ce succès n'a-t-il pas occulté l'affaissementdes doctrines urbanistiques libératrices, no-

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tamment celles de HL? N'y a-t-il pas parfoisune certaine tétanie à propos du nucléaire oude certaine faune quand on abandonne auxgrandes affaires la responsabilité du cadre devie urbain qui concerne l'essentiel de l'avenirhumain? L'écologie doit concerner en prioritéla ville en recommandant des modes de vieplus frugaux. Faute d'avoir assimilé les ana-lyses théoriques de HL ou des grands archi-tectes modernes comme Wright et lesavancées des praxis révolutionnaires, partvitale du patrimoine d'intelligence planétaire,on laissera se dégrader inexorablement lesconditions de vie en ville.

L'institution architecturale en France n'estpas sans rappeler la peinture de la fin du dixneuvième siècle, quand l'académie était tenuepar une centaine de pompiers dont chacun aaujourd'hui oublié le nom, cependant que lesimmenses talents des impressionnistes et deCézanne, Van Gogh, Gauguin, Degas, quiallaient révolutionner l'art moderne, végé-taient dans la méconnaissance du public.L'art doit être urbain ou disparaître, disaitHL. Le problème est que l'architecture dé-pend entièrement du secteur économiquepour exister. Y-a-t il une fatalité à un triom-phe ultérieur d'un génie méconnu quand lesmêmes forces mercantiles détiennent aujour-d'hui tous les moyens planétaires d'informa-tion et les normes qui président au chaosurbain? Un artiste dépourvu de pugnacitécommerciale n'a aujourd'hui aucune chancede construire.

Il ne s'agit pas de proclamer une archi-tecture officielle. Dans des conditions allégéesde pesanteur capitalistique, les styles s'ouvri-raient dans des directions différentes, adap-tées à la diversité des géographies, desnostalgies stylistiques ou des tempéramentsindividuels, probablement au travers d'oppo-sitions violentes dans la diachronie spécifiquede cette culture particulière, comme cela esttoujours survenu. Mais la pertinence esthéti-que se mesurera aussi à la tension mise enœuvre pour identifier puis éliminer les mu-tilations dues à la dictature du secteur pro-ductif marchand. La qualité ne sera pas issuede cette seule tension mais en l'absence decette tension, la qualité ne pourra se révélerque douteuse et polluée.

La ville du capital est à reconstruire defond en comble, prédisait justement Guy De-bord, en bon élève radical de HL. Ajoutons

que le chemin obligé est celui de la divisiondu travail, au sein de laquelle la conceptionsensible doit oser l'utopie critique si elle veutavoir quelque chose à vendre aux citoyens. Sasurvie à long terme en dépend. L'antivillepeut aussi bien être édifiée par l'ingénieur.L'Olympe architecturai est un archipel mon-tagneux, avec quelques sommets repérablesdans la brume, de nombreux mirages média-tiques, quelques dangereuses sirènes et uneinfinité de hauteurs dans les talents décrois-sants où il est difficile de faire circuler la bar-que du critique éclairé. Il faut pourtant bienprendre la mer si on veut ramener du poissonet, pour étreindre Pénélope, repérer le som-met qui indiquera la direction d'Ithaque.

Il faudrait ensuite aborder le continentdémocratique et réfléchir sur la condensationnécessaire de la délégation de pouvoir. Si,après le sanglant vingtième siècle des révo-lutions tristement manquées et des totalita-rismes sinistrement achevés, les théories de latable rase sont caduques, il n'est d'autre issueque de révolutionner de l'intérieur les struc-tures moisies de la démocratie des partis degauche qui ont copié le modèle bourgeois dela fusion des élus avec leurs bureaucraties,dans un sultanat renouvelable chaque six ans,grâce à la maîtrise des techniques modernesde manipulation de l'électorat. La difficultéest de tenir les deux bouts du filin, celui del'exigence du progrès de la vie démocratiquedans une transparence basiste, et celui, aussivital, de l'excellence théorique et pratique, ycompris dans le domaine sensible et artisti-que, avec une élite qui s'efforcerait de rejoin-dre les intérêts populaires.

De la progression au sein des troischamps de ces deux derniers facteurs dépendle succès de la révolution patiente. De cepoint de vue, la lumière semble venir aujour-d'hui de Sao Paulo et de Porto Allegre,comme des ONG antimondialistes, fondéesur l'initiative des citoyens et une expertisealtruiste. On peut s'étonner, après l'écho reçupar les CIAM dans la première moitié duvingtième siècle, que ne se soit pas encorecréée une ONG de lutte pour une urbanisa-tion planétaire au contenu enfin humaniste,qui résiste au déferlement mercantile et dicteau système productif des solutions architec-turales durables, belles et affectueuses dont lamémoire est à leur disposition.

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L’État et les classes socialesEthel Volfzon Kosminsky,

(Universidade Estadual Paulista-Campus de Ma-rília-Brasil)

Margarida Maria de Andrade, (Universidade de São Paulo-Brasil)

Dans ce petit texte nous avons essayéde résumer le travail présenté1,le 14 Mai 1993, au Colloque “L’Aventure In-tellectuelle d’Henri Lefebvre”, organisé parle Professeur Dr. José de Souza Martins dansle Departamento de Sociologia da Faculdadede Filosofia, Letras e Ciências Humanas daUniversidade de São Paulo.

Nous avons eu l’intention, dans ce tra-vail, de saisir les formulations d’Henri Le-febvre sur la relation entre l’État et lesclasses sociales exposées dans “De L’État”2.

Comprendre cette relation supposeexaminer, avec l’auteur, les transformationsdans les rapports sociaux qui ont accompa-gné la mondialisation de l’État.

Dans le monde moderne, en mêmetemps que les rapports d’équivalence sediffusent, des institutions s’accumulent et, àleur tour, deviennent productrices derapports sociaux. Ainsi, se dessine ce queLefebvre caractérise comme productionpolitique des rapports sociaux.

À notre avis, c’est celui-ci le fondementde la contestation d’Henri Lefebvre àl’emploi, dans le marxiste dogmatisé, desconcepts de bourgeoisie, petite-bourgeoisie,prolétariat. Reprenant et prolongeant la pen-sée de Marx à la lumière des transformationsqui marquent l’avancement du capitalismeau XXème siècle et réaffirmant l’existencedes classes, Henri Lefebvre révèle la frag-mentation de la société, gérée par l’État, encouches, groupes, catégories fortement hié-

rarchisées. Ainsi, les notions “classiques” de“bourgeoisie” ou “grande bourgeoisie”, de“petite-bourgeoisie” et de “classe ouvrière”3

ne sont plus suffisantes par elles-mêmes.Parmi les thèses et les questions discu-

tées par Henri Lefebvre sur la relation entrel’État et les classes sociales, nous voulonssouligner celles concernant l’ascension desclasses moyennes et son rôle de support del’État; le rôle de la bureaucratie (noyau desclasses moyennes); le conservatisme de laclasse ouvrière (que n’exclue pas la possibi-lité de rebondissement du mouvement ou-vrier).

Finalement, il faut relever qu’ainsi quepour Marx, la question centrale pour HenriLefebvre continue à être celle de l’État, ledépassement de la société existente suppo-sant la dissolution de l’État à traversl’absorption du politique dans le social par lavoie de l’approfondissement de la démocra-cie. Supposant de “nouvelles forces so-ciales”, independantes de l’État dans leurorganisation, ce dépassement comporte desmouvements divers, dont, celui de la classeouvrière. (trad. de Michèle Saes).

1 – Pour le texte complet: Andrade, Marga-rita M. de et kominsky, Ethel V., O Estado eas classes sociais. In: Martins, José de Souza,Lefebvre e o retorno à dialética, Säo Paulo, Edi-tora Hucitec, 1996, p. 51-70.2 – Henri Lefebvre, De l’État, 4 vols.,Paris:Union Générale d’Éditions, col. 10-18, 1976-1978.3 – À propos de la classe ouvrière “l’identitésouvent postulée entre classe ouvrière etproletariat doit être examinee de très près”(Lefebvre, Henri, La survie du Capitalisme,Paris, Anthropos, 1973, p. 128).

Ethel Volfzon Kosminsky ([email protected])Margarida Maria de Andrade ([email protected]) -Membre du Programme d’Études sur Henri Lefebvreau Laboratoire de Géographie Urbaine à l’Universitéde São Paulo.

[ Membres du Programme: Amélia Luisa Damiani([email protected]); Ana Fani Alessadri Carlos([email protected]); Margarida Maria de Andrade([email protected]); Odette Carvalho de Lima Seabra([email protected]); Jorge Hajime Oseki([email protected]); Silvana Maria Pintaudi([email protected]) ].

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TEXTES

Ci-après un texte d'Henri Lefebvre, ré-digé et publié en 1989 (probablement l’un desderniers qu'il ait écrit) à propos de la ville etde l'urbain. Il est paru dans "Le Monde di-plomatique" de mai de la même année, dansun dossier intitulé « Le temps des ruptures ».

HENRI LEFEBVRE

QUAND LA VILLE SE PERD DANS LAMÉTAMORPHOSE PLANÉTAIRE

n eut l'impression, voici quelquesdizaines d'années, que l'urbain en

tant que somme de pratiques productives etd'expériences historiques serait porteur devaleurs nouvelles et d'une civilisation autre.Ces espoirs s'effacent en même temps que lesdernières illusions de la modernité. On nepourrait plus écrire aujourd'hui avec lyrismeet cette sorte d'extase moderniste chère àApollinaire :

« Soirs de Paris ivres du ginFlambant de l'électricité

Les tramways feux verts sur l'échineMusiquent au long des portées

De rails leur folie de machines... »La critique de la ville moderne rejoin-

dra tôt ou tard la critique de la vie quoti-dienne dans le monde actuel. Cependant, lebilan rencontre immédiatement quelquesparadoxes. Le premier tient à ce que, plus laville s'étend plus les relations sociales s'y dé-gradent. Elle a connu une croissance extraor-dinaire dans la plupart des pays développésdepuis la fin du siècle dernier, suscitant biendes espérances. Mais, en réalité, la vie en ville

n'a pas donné lieu à des relations socialesentièrement nouvelles.

Tout se passe comme si l'extension desanciennes villes et la constitution de nouvel-les servaient d’abri et de refuge aux rapportsde dépendance, de domination, d'exclusion etd'exploitation. En bref, le cadre de la quoti-dienneté a été quelque peu modifié ; lescontenus n'en ont pas été transformés. Et l'onpourrait aller jusqu'à dire que la situation descitadins s'est aggravée en rapport, d'un côté,avec l'extension des formes urbaines et, d'unautre côté, avec l'éclatement des formes tra-ditionnelles du travail productif. L'un va avecl'autre. L'apparition de nouvelles technolo-gies aboutit simultanément à une autre orga-nisation de la production et à une autreorganisation de l'espace urbain qui réagissentl'une sur l'autre et s'aggravent réciproque-ment plus qu'elles ne s'améliorent.

Il y eut une époque où le centre desvilles était actif et productif, donc populaire.De plus, la cité existait surtout par son centre.La dislocation de cette forme urbaine a com-mencé vers la fin du dernier siècle, aboutis-sant à la déportation de tout ce que lapopulation comptait d'actif et de productif,vers des banlieues de plus en plus lointaines.On peut en incriminer la classe dominante ;mais il faut ajouter qu'elle a seulement utiliséavec habileté une tendance de l'urbain et uneexigence des rapports de production. Était-ilpossible de maintenir des usines et des in-dustries polluantes au sein des villes ?

Cependant le profit politique pour lesdominants est clair : embourgeoisement descentres-villes, remplacement de cette centra-lité productive par un centre de décision etde services. Le centre urbain ne devient passeulement un lieu de consommation, il prenden lui-même une valeur de consommation.Exportés ou plutôt déportés dans les ban-lieues, les producteurs reviennent en touris-tes vers le centre dont ils ont été dépossédés,expropriés. On voit aujourd'hui les popula-tions périphériques réinvestir les centres ur-bains comme lieux de loisirs, de temps videet inoccupé. Le phénomène urbain s'entrouve profondément modifié. Le centre his-torique a disparu comme tel. Il ne reste que,d'une part, les centres de décision et de pou-voir, et, de l'autre, des espaces factices et arti-ficiels. Il est vrai que la ville persiste, maisdans un aspect muséifié et spectaculaire.

O

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L'urbain conçu et vécu comme pratique so-ciale est en voie de détérioration et peut-êtrede disparition.

Il s'y produit une dialectîsation spécifi-que des rapports sociaux, et c’est un secondparadoxe : centres et périphéries se suppo-sent et s opposent. Ce phénomène, qui a desracines lointaines et des précédents histori-ques célèbres, s'accentue, de nos jours, à telpoint qu'il s'étend à la planète entière, parexemple dans les rapports Nord-Sud. D'oùune question cruciale et qui déborde celle del'urbain. S'agit-il de formes nouvelles quisurgissent ainsi dans le monde entier et quis'imposent à la ville ? Ou bien s'agit-il, aucontraire, d'un modèle urbain qui s'étendraitpeu à peu à l'échelle mondiale ? Selon unetroisième hypothèse, on assisterait aujour-d'hui à des mutations, au cours d'une périodetransitoire, pendant laquelle l'urbain et lemondial se recoupent l'un l'autre et se per-turbent réciproquement.

Poursuivons le bilan critique. Vers lafin du siècle dernier, la connaissance scienti-fique commença à s’occuper de la ville. Lasociologie urbaine, comme discipline scienti-fique, s'inaugura en Allemagne, entre autres,avec Max Weber. Or cette science de la villen’a pas tenu ses promesses. Elle a suscité cequ'on appelle aujourd'hui « l’urbanisme »,qui se résume en consignes très contraignan-tes pour la création architecturale et en in-formations très vagues pour les autorités etpour les gestionnaires. Malgré quelques ef-forts méritoires, l'urbanisme n'a pas accédéau statut d'une pensée de la ville. Et même, ils'est peu à peu rétréci jusqu'à devenir unesorte de catéchisme pour technocrates.

Comment et pourquoi tant de recher-ches et de mises en perspective n’ont-ellespas abouti à la réalisation d'une cité vivanteet vivable ? Il est facile d'incriminer le capita-lisme et le critère de rentabilité et de contrôlesocial. Cette réponse semble d'autant plusinsuffisante que le monde socialiste connaîtles mêmes difficultés et les mêmes échecs enla matière. Dès lors, ne faut-il pas interrogeret mettre en question le mode de pensée oc-cidental ? Après tant de siècles, chez nous lapensée dépend encore de ses origines ter-riennes. Elle n'est pas encore devenue com-plètement citadine et n'a su produire qu'uneconception étroitement instrumentaliste del'urbain. Cette conception règne depuis les

Grecs et a fondé leur pensée. Pour eux, la citéest un instrument d'organisation politique etmilitaire. Elle devint au Moyen Age un cadrereligieux pour accéder par la suite au statutd'instrument de reproduction de la force detravail, avec l'arrivée de la bourgeoisie in-dustrielle. Seuls, jusqu'ici, les poètes ontcompris la ville en tant que la demeure del’Homme. C'est ainsi que peut s'expliquer unfait étonnant : le monde socialiste ne prendque lentement et tardivement conscience del'immensité des questions urbaines ainsi quede leur caractère déterminant pour construireune société nouvelle. Ce qui constitue un au-tre paradoxe.

Cependant, de graves menaces pèsentsur la ville en général et sur chaque ville enparticulier. Ces menaces s'aggravent de jouren jour. Les villes tombent sous la doubledépendance de la technocratie et de la bu-reaucratie, en un mot des institutions. Orl'institutionnel est l'ennemi de la vie urbaine,dont il fige le devenir. Les villes nouvelles neportent que trop visiblement les marques dela technocratie, marques indélébiles quimontrent l'impuissance de toutes les tentati-ves d'animation, que ce soit par l'innovationarchitecturale, par l'information, par l'anima-tion culturelle ou la vie associative. Les mu-nicipalités, comme chacun peut le constater,s'organisent sur le modèle étatique; elles re-produisent en petit les habitudes de gestionet de domination de la haute bureaucratied'État. Les citadins voient s’y amenuiser leursdroits théoriques de citoyen et la possibilitéde les exercer pleinement. On parle beaucoupde décision et des pouvoirs de décision, alorsque, en fait, ces pouvoirs restent aux mainsdes autorités. On parle encore plus de l'in-formation et des techniques informationnel-les à l'échelle municipale. Le câblage, parexemple, s'il donne un droit nouveau àconsommer de l'information, ne donne aucundroit à en produire. Sinon sous la forme déri-soire de cette supercherie de la communica-tion que l'on nomme « interactivité ». Leconsommateur de l'information n'en produitpas, et le citoyen reste séparé du producteur.Une fois de plus, on a changé les formes de lacommunication en milieu urbain mais nonpas les contenus.

Autre menace : la planétarisation del'urbain. Il s'étendra à l'espace entier au coursdu prochain millénaire si rien ne vient

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contrôler ce mouvement. Cette extensionmondiale ne va pas sans un grand risqued'homogénéisation de l'espace et de dispari-tion des diversités. Or l'homogénéisations'accompagne d'une fragmentation. L'espacese divise en parcelles qui s'achètent et sevendent. Leur prix dépend d'une hiérarchie.C'est ainsi que l'espace social, tout ens’homogénéisant, se fragmente en espaces detravail, de loisirs, de production matérielle,de services divers. Au cours de cette différen-ciation, autre paradoxe : les classes sociales sehiérarchisent en s'inscrivant dans l'espace, etcela de façon croissante, et non pas, commeon le prétend si souvent, de façon dépéris-sante. Bientôt, il ne restera plus à la surfacede la Terre que des îles de production agri-cole et des déserts de béton. D'où l'impor-tance des questions écologiques : il est exactd'affirmer que le cadre de vie et la qualité del'environnement passent au rang des urgen-ces et de la problématique politique. Dèsqu'on accepte une telle analyse, les perspecti-ves et l'action se modifient en profondeur. Ilfaut restituer la place éminente de formesbien connues mais quelque peu négligées,telles que la vie associative ou l'autogestion,qui prennent un autre contenu dès lorsqu'elles s'appliquent à l'urbain. La questionest alors de savoir si le mouvement social etpolitique peut se formuler et se réarticulersur des problèmes ponctuels mais cependantconcrets concernant toutes les dimensions dela vie quotidienne.

Au premier abord, la quotidiennetésemble très simple. Elle est fortement mar-quée par le répétitif. Celui qui l'analyse endécouvre bientôt la complexité et les multi-ples dimensions : physiologiques, biologi-ques, psychiques, morales, sociales,esthétiques, sexuelles, etc. Aucune de cesdimensions n'est fixée une fois pour toutes, etchacune d'elles peut faire l'objet de multiplesrevendications, cela dans la mesure où la viequotidienne constitue le lieu le plus traversépar les contradictions de la pratique sociale.Ces contradictions elles-mêmes se décou-vrent peu à peu. Par exemple, entre le jeu etle sérieux, mais aussi entre l'usage etl'échange, le mercantile et le gratuit, le localet le mondial, etc. Dans la ville, notamment,le jeu et le sérieux tous deux présents sontopposés et mêlés; habiter, aller dans la rue,

communiquer et parler, c'est à la fois sérieuxet ludique.

Le citoyen et le citadin ont été dissociés.Etre citoyen, cela voulait dire séjourner lon-guement sur un territoire. Or, dans la villemoderne, le citadin est en mouvement per-pétuel; il y circule; s'il se fixe, bientôt il sedéprend du lieu ou cherche à s'en déprendre.De plus, dans la grande ville moderne, lesrapports sociaux tendent à devenir interna-tionaux. Non seulement en raison des phé-nomènes migratoires mais aussi, et surtout,en raison de la multiplicité des moyens tech-niques de communications, sans parier de lamondialisation du savoir. À partir de tellesdonnées, n'est-il pas nécessaire de reformulerles cadres de la citoyenneté ? Le citadin et lecitoyen doivent se rencontrer sans pour au-tant se confondre. Le droit à la ville n'impli-que rien de moins qu'une conceptionrévolutionnaire de la citoyenneté.

Sommaire du No 1

ACTUALITÉS – PUBLICATIONS- N. Guterman, H. Lefebvre : Comment devient-on électeur du Front national ? Comprendre 2- Programme d’études sur Henri Lefebvre au L.A.B.U.R. (Brésil) 6- Arnaud Spire : Henri Lefebvre, le retour 8COLLOQUES (St-Denis - Paris VIII – juin 2001)- Rémi Hess : Vue panoramique sur la vie et l’œuvre d’Henri Lefebvre 11- Lucien Bonnafé : La tête de la passion 17- Laurent Devisme : Lire Henri Lefebvre 19TEXTES- Henri Lefebvre : A propos du centenaire de la mort de Marx (1984) 20COURRIER - DÉBATS- A. Ajzenberg: Comment naît un Manifeste? 27

Sommaire du No 2ACTUALITÉS – PUBLICATIONS- Jean-Paul Monferran : La révolte et le crime. 2- Lucien Bonnafé : Diviser pour régner ? 3COLLOQUES (St-Denis - Paris VIII – juin 2001)- José de Souza Martins : Les temporalités de l’histoire dans la dialectique de Lefebvre. 6- Eulina Pacheto Lutfi : Lefebvre et les fondements théoriques des représentations. 13- Ana Cristina Arantes Nasser :Travail, famille et loisir (relation et représentation dans la vie des exclus sociaux). 18TEXTES- Henri Lefebvre : Justice et vérité 22- Alain Anselin : Nous sommes tous des Haïtiens. 26

COURRIER - DÉBATS- Sebastien Raoul : Lettre 29