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    LXI[ N ot e fu r ia p re se nt e editiont ext e. L es l ist es d eLo V oi e d es m (L Jq ue J er de R eg ar de r i co ut er l ir e~onn en t di rec ternen r l es r ef er en ce s ut il isee s ; ;I es l i~1 es d'Hiffoire de

    -Lynx e r dc. iPo:ii" ; a IOUI f renvOlent eUes,-memes a une b lb lio~~-phie qui suit immediace rnenr. Dans lecas d Hittoire deLynx, ces refe-rences sonr appelees dans l e texte par une ler rre en exposant er enpetites majuscules.v. D.

    Notre reconna is sance va il 'equ ipe de laPleiade qui ri'a pas reculed eva nr l es di ff ic ul tes t echnique s po s ees p ar ce vo lume et tou t pa rt i-culierernent :i Eri ca Char aver, pour sa rigueur, sa patience, et sesprecieuses suggeStions. .Vincent Debaene rernercie le Department of French andRomance Phi lology de Co lumbia Univer si ty pour s on sout ien sa nsfai lle au long du pro je t.Le s e di teu rs de c e volume remerci ent Mar io n Abe les er S andr ineLecointre , b ib liotheca ires au Laboratoire d 'anthropolog ie soc ia le ,--- ---ains r-que-B-a-rbara-Angerc .cdcs- editions-Plon .~-_ - ._ :-. -. -_ ._ -. -.__ ._- ---- ---

    Nous avons pu benefi cier de l'appui de nombr eux collegues eramis qui ont donne de l eur temps et de leur savoi e. Nous pensonsnotarnrnent :i, Claude-Franco is Baudez, Carmen Bernand , HeloisaBerr ol Domi ngues, Anke Bi rkenr nai er, Syl vi a Caiuby Novaes,Philippe Desco la , Marie Des rnartis, Marce l Drach , Claude Durnezi l,Patrick Hochart , Den is Hollier , Miche l Iza rd , Jean jamln , Chris tineLauriere, Patrice Manig lier , Eudes Mello Campos, Ricardo Mendes,Fernanda Peixoto, Elena Pelliccioui, France-Marie Renard-Casevitz,EmmanueUe Sa ada , Lu ci ana Vi ll as Boas . Nou s t enons a l eur di renotre gratitude ,., .Not re r econn ai ssa nc e va e nl in a Moruqu e Lev i-St ra us s, pour saconstante disponibilire, et :iClaude Lev i-Strauss, qui a repondu avecpat ien ce a no s innombrab l~ s qu eS tior ;s e t do~t ]a b ien ve il lanc e et l agenerosite ont accompagne chaque et ape d'un travail qw lui doi ttanto

    v. D., F.K.,M. M. ctM. R.

    ..'-.::" (j\ I /~~'~~(~---->j

    \",,~~~.,.v/---~--.-----.---------,-~--.-----~ --~ --_.._-----._ - ._.-.. .- .. - .. - .TRlSTES TROPIClliESPou r L a u re n t.

    Nec minta ergoante haecquam tu cecidere, cadentque.LUCRE-CE, De rerum natura, III, 969'.

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    ---------------------;~!~p~~t~a:sr~~~~nf~s l~~;;~f~~~e::~~;~;~id~ {:~~~pour m'yresoudre l Qpinze ans ont passe depuis que j'aiquirte pour la derniere fois le Bresil er, pendant routes cesannees, j 'a i souvent projere d 'entreprendre ce livre; chaquefois, une sorte de honre er de degout rn'en ont ernpeche. Ehguoi? Faut-il narrer par le menu tant de details insipides,d'evenements insignifiants ?L'avenrure n'a pas de place dansla profession d'ethnographe ; elle en eft seulement une ser-v itude , el le pese sur l e travai l ef fi cace du poids des semainesou des mois perdus en chernin ; des heures oisives pendantque l' informateur se derobe ;de la faim, de la fat igue, par foi sde la maladie ; et toujours, de ces mille corvees qui rangentIes jours en pure per te e t redui sent l avie dangereuse au cceurde la foret vierge a une imitation du service militaire . .. Qg' ilfaille tant d'efforrs, et de vaines depenses pour atteinclreI 'obje t de nos etudes ne confe re aucun prix a ce qu'il faudraitp lu tor cons iderer cornrne l 'aspec t negar if de not re meti er .Les verites que nous allons chercher si loin n'ont de valeurque depouil lees de cett e gangue. On peut, cer te s, consac re rs ix mois de voyage, de priva tions et d 'ecceurante l as si tudea l a coll ecre (qui prendra que lques joms, par fo is que lquesheures) d'un my t he inedit , d 'une regIe de mariage nouvel le ,d'une liste complete de noms claniques, mais cette scoriede la mernoire : A 5 h 30 du marin, nou s entrions en radede Reci fe t ancl is que pia il lai ent le s mouet tes e t gu'une Hot-tille de rnarchands de fruits exotiques se pressait le long de

    -_-----:---- ------. _ -- ----0-- -----,- _------------ ...

    Au recto__Dcssin fai t par u ric femme caduveo representan tune incligene a la figute peinte.

    cL ib ra in e P lo T t, I!iJ J, 19 Jj

    Premiere partieLA FIN DES VOYAGES

    DEPART

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    4 Tr i fl e s t r opique:l a coque , un si pauvre souvenir rnerire-r-il que je leve laplume pour le f ixer?Pourtant, ce genre de recirs rencontre une faveur quireste pour moi inexplicable. L'Amazonie, le Tibet etI 'Afrique envahis senc les bout iques sous forme de livres devoyage, comptes rendus d'expedition er albums de pho-tographies ou le souci de l'effer dornine trop pour que lelecteur puisse ap precier la valeur du rernoignage qu'onapport e. Loin que son esprit c rit ique s' eveil le, il dernandetoujours davantage de certe pature, ilen englout it des quan-t ires prodigieuses . C' est un met ier , ma intenant, que d 'et reexplorateur ; metier qui consiste, non pas, comme on pour-rai t le croire, a decouvr ir au ter rne d 'annees studieuses desfai ts res tes incon nus, rnai s a parcourir un nornbre elevede kilomet res et a rassemble r des projec tions f ixes ou ani-m ees;-de-preferem:-n- CQ uleurs., grace_i .quoi ~_!Il pliraune sa ll e, p lusi eurs jours de suit e, d 'une foule d 'audireursauxquels des platitudes et des banalites sembleront mira-culeusement transrnurees en revelat ions pour la seule raisonqu'au lieu de les dernarquer sur place, leur auteur les aurasanctifiees par un parcours de vingt mil le kilometres.Qg' enrendons-nous dans ces conferences e t que l isons -nous dans ces livres ~ Le detail des caisses ernportees, lesrne fai ts du peti t chien du bord, et , me lees aux anecdotes, desbribes d'informarion delavees, trainanr depuis un derni-s iecledans taus les rnanuels, et qu'une dose d'impudence peucommune, mais en juste rappore avec la naivete et l'igno-ranee des consommateurs , ne c ra in t pas de presente r comrneun ternoignage, que dis -j e, une decou,; erce originale. Sansdoute il y a des exceptions, et chaque epoque a connu desvoyageurs honneres : parmi ceux qui se pattagent aujour-d'hui les faveurs du public, j'en citerais volontiers un oudeux. Mon but n'eSt pas de denoncer lcs myStifications oude decerner des diplornes, mais plutot de comprendre unphenornene moral e t social, tres pa rt iculi er a la France etd'apparit ion recente,meme chez rious. .On ne voyageait guere, il y a uric vingta ine d 'annees , et cen'etaient pas des salles Pleyel cinq ou six fois combles quiaccueil laient les conteurs d'aventures ' , rnais , seul endroit aParis pout ce genre de manifestations, Jepetit amphitheatresombre, gJacial et delabre qui occupe un pavilion ancien aubout du Jardin des plantes. La Societe des amis du Museumy organisait chaque sernaine - peut-erre y organise-t-elle

    I. LA Fin des v l ~' y ag e s. - Chapitre Iroujours - des conferences sur l es sc iences narurel les ', L' ap-pareil de projection errvoyair sur un ecran trop grand, avecdes lampes trop faibles, des ombres imprecises donr leconferencier, nez colle a l a paroi , parvenait ma l a percevoirl es conto~rs e t que le publi c ne diSt inguait guere des tachesd'hurnidite ma_culanr les murs. Un quart d'heure apres Ietemps. annonce, on se dernandair encore avec angoisse s'ily aurart des auditeurs, en plus des rares habitues dont Iessi lhou~t tes ~parses garni ss ai ent l es gradins. Au moment aul 'on desesp;raJ t, l a, sa ll e se rempl iss ai t a demi d'enfantsaccompagnes de meres ou de bonnes, les uns avides d'unchangement gratuit, les autres lasses du bruit er de la pous-siere du dehors. Devant ce melange de fant6mes mites et demarrnaille impatiente - supreme recompense de rant d'ef-forts, de soins et de travaux - on usait du droit de deballer

    ____ ~t r:~s? !_ de souverurs a 1amaJs glaces par une teye seance,et qu en parlanrdans la-penombre on-sentaie se detaeher desci er tornber un par un, cornrne des cailloux au fond d'unpuits.T~l etair le retour, a peine plus siniStr~ que les solennitesdu depar t. : banquet offec t par Ie cor ru te France-Amer iquedans un hotel de I 'avenue qUI s'appelle aujourd'hui Franklin-

    Roosevelt ) ; demeure inhabitee, ou , pout I 'occasion , un t rai -teur et ait ; -enu deux heures auparavant ins ta lle r son campe-men,t der~chauds e,tde valss~lIe, sans qu'une aerat ion hativeait reUSSI a p urger I endroit dune odeur de desolation. ,_,Aussi peu hab~tues a la d ignite d'un tel lieu qu'au pous-siereux ennui qu il exhalair, assis autour d'une table trappente pour un va ste salon dont on avait tout juste eu Ietemps de balayer l a pat tl e central e ef fect ivement occupee,no us prenlons pour la premiere fois contact les uns avec Iesautres, j eun~s professeurs qui venions a peine de debuterdans nos lycees de provInce er que Iecapri ce un peu perversde Georges Dumas allait ~rusquement faire passer de I'hu-rnide hivernage dans les hotels meubles de sous-prcfeclureimpregnes d'une odeur de grog, de cave et de sarrncntsref ro id is , aux rners tropica les e r aux bateaux de luxe ; toutesexperJence~, d'ailleu,rs, dest inees a offrit un lointain rapcpor t avec I Image Ine luctablement fausse que , par la fa ra li teprorre au~ ;oxa{\es, nous nous en forrnions dCJa.J avais ete I e leve de Georges Dumas a l 'epoque du Traitede psych%gle .one fois par sernaine, je ne sais plus si c'etaic Iej eudi ou le dimanche rna tin , il reunissai t les etudiants de phi-

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    6 T r i ff e s t rop i qu e s I. La F in d es v o_ }a ge s. - C ha pi lr e I 7losophie dans une salle de Sainte-Anne, dont le mur oppose Ce savant un peu rnystificateur, animateur d'ouvrages deaux fenerres etait entierernent couvert de joyeuses peintures synrhese dont l'ample, dessein :e~'tait au service ~'un positi-d'alienes ' . On s'y sentait deja expose a une sorre parriculiere visme critique assez decevant, etait un homme dune g randed'exotisme ; sur une estrade, Dumas installait son corps noblesse; il devait me Iemontrer p lus t ard, au lendernain derobuste, taille a la serpe, surrnonte d'une tete bosselee qui l'armiStice et peu de temps avant sa mort, lorsque, presqueressemblait a une grosse racine blanchie et depouillee par aveuzle deja et retire dans son village natal de Ledi~an, ilun sejour au fond des mers. Car son teint cireux unifiait le avait'" reriu a rn 'ecrire une lettre attentive et discrete quivisage et les cheveux blancs qu'il portait tailles en brosse et n'avair d'autre objet poss ib le que d 'a ff irmer sa solida ri retres courts, et la barbiche, egalement blanche, qui poussait avec les premieres victirnes des evenernenrs '. .dans rous les sens. Cette cur ieuse epave vegetale, encor e rai toujours regrette de ne pas l'avoir connu en pleineherissee de ses radicel ies, devenait tout a coup humaine par jeunesse, quand, brun et basane a l 'image d'un conquistadorun regard charbonneux qui accentuait la blancheur de la et tout fremissant des perspectives scientifiques qu'ouvraittete, opposition continuee par celle de la chemise blanche et la psychologie du XIX< siecle, il etaic par ti a l~conquere spi -du col e rnpese e t rabat tu , conrrast anr avec Ie chapeau a large riruelle du Nouveau Monde. Dans cette espece de coup debord, la l avalliere et le costume, toujours noirs. foudre qui allait se produire entre lui et la societe bresilienneSes cours n'apprenaient pas &rand-chose; jamais il ri'en sest cer tainement rnani fest e un phenornene myster ieux,

    ____ 2~f>ar~~_E2_

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    s T r i fl e s t rop i ql le savait, certes, incroduits au Bresil, rnais pour lui servir enpartie de caution, er pour l'aurre de passe-temps., ,.Mais le soir du diner France-Amerique, nous n en euonspas encore, mes coll~gues et moi -: etnos fem~es qui nousaccompagna ient - , a rnesurer Ie role l l;-v;>lor;t alreque nousaIl ions jouer dans l 'evolutlon de lasociete bresi lienne. Nouseuons t rop occupes Ii nc:us survei ll er l es uns les autre; : e ta surveiller nos faux pas evenruels ; car nous veruons d etreprevenus par Georges Dumas q~' il fal l< ;- itn?us pre~arer imener la vie de nos nouveaux martres : C est-a-dire frequen-t er l 'Automobi le -Club,l es cas inos e t l es champs de courses.Ce la parai ss ai c ext raOrdinai re a de jeunes profes seurs Aquigagnaient auparavant ~J~gt-SIXmille fr:ncs par an, et men;e_ rant les candidars a I e xpatnatlon eraienr rares - apre~qu'on eut triple nos trairernents. . A~~~~~...unout_nous avan dit Dumas, il faudra etre bien.. habil le' s~uc i~ux~den6us- - ras sure r; ir -a jouta it avec 'unecandeur assez touchante que cela pouvait se faire fort eco-nomiquemenr, non loin des Hailes~ dans un e tabl is sen;entappele A f a C ro ix de Jean~ette dont II aV,alt toujc;urs eu a selouer quand il e ta it j eune e tudiant en rnedec ine a Pans.

    IIEN BATEAU

    Nous ne nous doutions pas, en tout cas, que, pendant lcsquat re ,o ,u c inq annees qui suiv irent, not re peti t groupe e tai tdestine a conStJtuer - sauf de rares exceptions - I e ffectifenti er des premie res sur l es paquebots rnixtes , de I~Compa-gnie des t ranspor ts man times qUI desse rvai t IAmerique duSud '. On nous proposait les secondes s~r le seul bateau deluxe qui fai sa it ce tt e route, ou les prer rueres sur des ,navlresplus rnodestes . Les int~lgants Ch01S1SSalentla premle;e for-mule en payant la difference de leur poche; lis esperaienrainsi sc {ratter aux ambassadeurs et en recueillir des avan-tages problematiques. Nous autres, nous prenions les b~teauxmixtes qui rnettaient SIXJOurs de plus, mats dont nous etionsles rnaitres et qui faisai,ent be~uco~p d,'e;;cales, . .. .Je voudrais aUjOllrdhUIqu il malt ere donne, VOIC!vJngt

    I. La F in d es v oy ag es . - C ha pit re IT 9ans, d'apprecier a sa [us te valeur Ie luxe inoui , l e roya l priv i-lege qui consi st e dans I 'occupa tion exc lusive, par l es huir oudix passagers du pont, des cabines, du fumoir er de la sallea manger des premieres, sur un bateau concu pour accorn-moder cent ou cent cinquance personnes. En mer pendantdix-neuf jours, cet espace rendu presque sans borne parl'absence d'autrui nous etait une province; notre apanagese rnouvait avec nous. Apres deux ou trois traversees, nousretrouvions nos bateaux, nos habitudes; et nous connais-sions par leur nom, avant rnerne de rnonrer a bord, tousces excellents Stewards marseil lais , moustachus er chaussesde fortes semelles, qu i exhalaient une puissante odeur d'ailau merne moment qu'ils deposaienr dans nos assiettes lessupremes de poularde et les filets de turbot. Les repas, dejaprevl. ls pour et re pant~el iques,l e devenaienc encore davan-tage du fait que nous etions peu nombreux a consommer la-~~~"'cu~his;;'jne-du-bord . . '. .. . .La f in d 'une c iv il isa tion, le debut d 'une aut re, l a souda inedecouver te par nOCIemonde que , peut-etre, il commence a

    devenir trop petit pour les hommes qui I'habitent, ce ne sontpo int tant les chiffres, les statisuques et les revo lutions quime rendenc ces verires palpables que la reponse, recue il ya quelques sernaines au telephone, alors que je jouais avecl'idee - quinze ans apres - de retrouver rna jeunesse a l'oc-casion d 'une nouvelle visite au Bresil: en tout etat de cause,il me faudrait rerenir un passage quatre mois a l'avance.Moi qui rn' irnagina is que , depui s l' et ablis sement des se r-v ices aer iens pour pas sagers entre l 'Europe e t l 'Amerique duSud, i l ri'y avai r p lus que de rares excent riques pour prendreles bateaux' Helas, c'esr encore se faire trap d 'illusions, decroire que l'invasion d'un dement en libere un autre. Du faitdes Constellations", la mer ne r etrouve pas plus son calrneque les lotissements en serie de la Cote d'Azur ne nousrendent des environs de Pari s v il lageois .Mais c'est qu'entre les traversees merveilleuses de laperiode 193 j et ceUe a quoi je m'empressai de renoncer ily en avait eu, en 1941, une autre dont je ne me doutais pas.non plus a quel point elle serait symbolique des tempsfuturs. Au lendemain de I 'arrnist ice, I 'arnicale attention por-tee ames travaux erhnographiques par Robert H. Lowieer A. Metraux, jo inte a la vigilance de parents installcs auxErat s-Unis, m'avai t valu, dans lc cadre du plan de sauve tagedes savants europeens menaces par l 'occupation a ll emande

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    10 T r i ff eJ t r op ique!elabore par la fondation Rockefeller, une invitatio_n a laNew School for Social Research de New YorkJ II fal lair ypartir, mais cornrnent ? Ma premiere idee avait ete de pre-t endre rejoindre Ie Bres il pour y poursulvre mes recherchesd'avant-guerre. Dans Ie petit rez-~e-chausse~ vichyssois ous' eta it inst all ee I 'ambassade du Bres il , une breve e t pour mortragique scene se deroula, quand j 'allai sol lici ter Ie renouvel-lement de mon visa. L'ambassadeur Luis de Souza Dantas,que je connaissais bien et 9ui aurait agi d~ me~e. si, j e nel'avais pas connu", avait leve son cachet et s appretrut a tam-ponner le passeport, quand un conseiller deferent et glaciall 'i nt er rompit en lui fais ant observer .que ce pou,;o lr venaitde lui e tre reti re par de nouve lle s disposi tions legIsl auves.Pendant que lques secondes le? ras res ta en l 'ai r. v : regardanxieux presque suppli ant, 1ambassadeur tenta d obtenirde son 'collaborateur qu'il detournat la tete tandis que le

    ~----':t:;;:a:::m~pon'atfaT'STI~m~er-meH-a-n-t;-ainsi~~uitte~_laFrance, sinon peut-eere d entrer au Bresil. Rien n y fit, 1 celldu conseiller resta fixe sur la main qui machinalernentretomba, a cote du document. Je n'aurais pas rnon visa, lepasseporc me fut rendu avec ,un geSte navre ..Je rejoignis rna matson ceveno le! non loin de laquelle,a Mont;Pellier , ~e hasard, de la [etr~te ~vrut voulu 3 .ue Jefusse demob ilise, et Jem en allai trainer a Marseille; la, desconversa tions du por t rn'appri rent qu'un bateau devai t b ien-tot partir pour la Martinique. De dock en dock, d'officine enoff icine , je sus f inalement Cjue le bateau en ques tion appar -tenait a la merne Compagnie des t ranspor ts manumes dontl a miss ion unive rsi tai re f rancais e au Bresi l ava it constitue,pendant routes les annees pr ecedentes, une cli~ntde f idele\:t tce.s exclusive Par une bise hivernale, en fevrier 1941,je rerrouvai, dans des bureaux non chaufies et ierrnes auxt ro is quart s, un fonCl :!Onnarre qw jadis venair nous saluerau nom de la Compagnie. Oui, Ie bateau exrstart, ow, il allaitpar tir ; mai s iJ e ra it imposs ib le que je Ieprenne . ~ourCJuoi ;>Je ne me rendais pas compte, IIne pouvart pas m explique,r,ce ne serait pas comme avant M::lS comme~t;> Oh, tr~slong, t re s pcnible, II ne pouvart meme pas m ImagIner la-dessus.Le pauvre homme voya it encore en rnor un ambassad~u:au petit pied de la cu lture francaise : r noi, Je me sentais dejagibier de. camp de concentrauon. Au surplus, Je venais depasser les deux annces precedentes, d 'abord en p leine foret

    I. L A F in d es v oy ag u. - C ha pitre IT IIvier ge puis, de cantonnement en cantonnement, dans uneretraite echevelee qui m'avait conduit de la ligne Maginota . Beziers en passant par la Sarrhe, la Correze et l'Avey-ron: de trains de bestiaux en bergeries- ; e t les scrupules demon inter locuteur me parai ssa ient incongrus . Jeme voyai sreprendre sur l es oceans mon exis tence e rrante , admis a par-t ager l es t ravaux et l es f rugaux repas d'une poignee de mate-lots lances a l 'avenrure sur un bateau c landest in , couchantsur Ie pont et livre pendant de longs jours au bienfaisanttete-a-tete avec la mer .

    Fina lement j 'obt ins mon bil let de passage sur l e Capitaine-Paul-Lemerle, rna is j e ne cornrnencai a comprendre que Iejour de I 'e rnbarquernenr, en f ranchissant l es haies de gardesmobiles, casques e t mit ra ill et te au poing, qui encadra ientle quai et coupaienr les passagers de tout contact avecles parents ou arr us venus Ies accompagner, abregeant lesdieux ar des bourrades et des injures. il s'agIssart biend'aventure solitaire, cetait pluto t un epart de for~at s~PI~-encore que la man iere dont on nous traitait, notre nombreme frappai t de stupeur. Car on entas sa it t ro is cent c inquantepcrsonnes environ sur un petit vapeur qui - j'allais le veri-fier tout de suite - ne comprenait que deux cabines faisanten tout sept couchettes. L'une d'elles avait ete affeCl:ee a troisdames, l'autre serait partagee entre quatre hommes dont[ 'erais , exorbitance faveur due a I'irnpossibilire ressentie parM. B. (qu'il en soit ici rernercie) de transporter un de sesanciens pas sagers de luxe comme du be tail. Car tout l e rest ede rnes compagnons, hommes, f emmes et enfants, etaienrentasses dan s des cales sans air ni Iurniere, ou des charpen-tiers de la marine avaient sommairement echafaude des Iitssuperposes, garnis de paillasses Des quatre males privile-glt.~,~'un e . t A . i t Uri. ffiacc.hw.d. d.e meraux autrichien qui savaitsans doute ce que lui avait cou te cet avantage ; un autre, ur ijeune beke - riche creole - coupe par la guerre de saMart in ique nata le e t qui rner it ait un t ra itement spec ia l e ranr,sur ce bateau, le seul qui ne fUtpas presume juif, etranger ouanarchisre ; Ie dernier , enf in , un singul ie r personnage nord-africain qui prerendait se rendre a New York pour quelquesjours seule .ment (proje t ext ravagant, si l' on pense que nousall ions rnettre trois rnois pour y arriver), ernportai t un Degasdans saval ise , et , b ien que juif autant que moi-merne, parai s-sait p e rs o na g r at a aupres de routes les polices, su retes, gen-darmeries et services de securite des colonies et protecto-

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    I T r if le s t ro p iq u esr ats, econnant myster e en cene conjor ictu re er que je ne su isjamais arrive a percer8. . . .La racai ll e, corn rnc disa ient Ies gendarmes , comprenal tentre autres Andre Breton et Victor Serge". Andre Breton,fort mal iaise sur cer te galere, d earnbu lait de long en largesu r les r ar es espaces v ides du pont; vetu de peluche~ _ il res-semblait iun ou rs bleu. Entre nous, une durab le arm tr e allaitcommencer par un echange de lettres qui se prolongea assezlongremps au cou rs de cet in termi~able ;royage, er OUnou~discutions des rapports entre beaute esthe tique er original it eabsolue".QEant i Vitl:o,l: Serg:_, son passe de" compagnon deLerune m'intimidait en meme temps que) eprouvals la plusgrande difficulte il'integrer i;sonpersonnage, qui evoquaitp lu to t une vie il le demOIsel le a pnn~lpes. Ce": ls age glab,re,"ces traits fins, cerre--volx-clatte'){71f1tS-a-Eie-s.cma.fue.~Scgwlldee.e t precautionneuses c :. ff ra ient ce carac tere presque asexueque je devai s reco' :,nalt re plus t ard c~ez les, mOIne_: ;boud-dhistes de la fronnere birrnane, fort eloigne du male tem-per ament et d e la surab(~ndance vitale que la tr~dition fr an-caise aSSOCle aux at\:lvlces dires subver sives C est que destypes culturels qui se reprodwsent assez sem?lables danschaque societe, p arce. 9ue construrts autou r d OpposItion stres simples, sont, utilises I;ar chaque g roupe pou r remplirdes Ionclions socialcs differen tes Celw de Serge avait pus'aB:ualiser dans une carriere revo lutionnair e en Russie;qu'en efi t-il ete ail leurs _ ? Sa~s ?oute , l es rela tions ent re ~euxsocietes seraient factl itees s il etait possible , au moyen duneso rte de gr ille, d 'etablir un systerne d'equivalences entre icsmanie res donr chacune uti li se des types hurna ins ana loguespour remp lir des fon tl:ion s soci~ esdiff erentes Au lie,u de seberner comme 00fai t aujourd hui , a confronte r rnedecinset medec ins induSt ri el s e t indus tr ic ls , professeurs e r profes-seurs, on s'~peIcevra it peut-er re qu' il exi sre d:_s cor respon-dances plus subtil es ent re l es indiv idus e t l es roles.En p lus de sa cargaisoo humaine, Ie bateau rr ansporrait jene sai s que l mater ie~ c landcs tin ;~on pas sa un temF;s prodi -~etlX, en Mediterranee et sur la cote oC,cldentale de IAfrique,a se refugier de port en port pourechapper, semble-t-il,au controle de la f lo tt e angla is e. Les t irul ai res de pas seport sfr ancais etaienr parf~is autorises i descendre a terre, lesaut res res ta ient parques dans les que lques dizaines de cenu-metres canes i la disposrtion de chacun, sur un pont que la

    T La F in d es v qy ag es . - C ha pitre II 1)chaleur - croissance i mesure qu'on se rapprochait des tro-pIques et qui rendait intolerable le sejour dans les cales -transformait prog ressivemen t en une combinaison de salleimanger, chambre i coucher, pouponn ier e, buanderie etso larium. Mais le plus desag reable er ait ce qu 'on appeUe auregiment les soins de prop rete . Disposees symerrique-men t Ie long du baStingage, ibabord pour les hommes etitribor d pou r les femmes, l'equ ipage avait construit deuxpal r es de baraques de planches, sans air ni lumiere : l'unecontenait quelques pommes de douche alirnentees seule-ment le matin ; l'autr e, meub lee d'une longue rigo le de boisgro ssierement doublee de zinc i l'in rerieur et debouchanrsur l' ocean, s erva it i l 'usage qu'on devine; l es ennemis d 'uneprornis cuit e t rop grande e t qui repugna ient i l 'acc roupisse-ment colletl :i f, rendu d'ail leurs instable par le roulis, n'avaienrd:; l' :l tre [~s~( )urce que de s' evei ll er for t tot e t, pendant toutela t rave rsee , unc sorte decourse s'organisa entre les a 'e l l- - - ~ . . - ,cats, de sorte qu'i la fin ce n'etait plus qu'a 3 heures dumatin env ir on qu'on pouvait .esperer une solitude relative.On finissait p ar ne plus se coucher. A deux heures pres, il enerait de merne pour les douches ou jouait, sinon la mernep reoccupation de pudeur, du moins celle de pouvoir se faireune place dans la cohue ou une eau insuffisante, et commevaporisee au contact de tan t de corp s moites, ne desccndaitmerne plus jusqu'a la peau. Dans les deux cas, i! y ava it l ahate de finir et de sortir, car ces baraques sans aerationetaienr faites de planches de sapin frais et resineux qui,irnpregnees d'eau sale, d'urine et d'air marin, se mirent ifermenter sous Ie solei! en exhalant un parfum ucde, sucree t nausecux, l eque l, a joute id 'aut res senteurs, devenai t v iteintolerable, surtout quand ily avait de la hou le.Qgand, au bout d'un mois de traversee, on aper~ut aumilieu de la nuit le phare de Fort-de-France, ce ne fut pasl'espoir d'un repas, en fin mangeab le, d'un lit avec des draps,d'une nuit p aisible, qu i gonfla Ie cceur des passagers. Tausces gens qu i, jusqu 'a l'embarquemen t, avaien t jou i de ce quel 'angla is appel le jol iment l es arnenites de la civilisation,plus que de la faim, de la fatigue, de l'insornnie, de la pro-miscuite et du rnepris, avaient sou ffert de la salete forcee,encore agg ravee par la chaleur, dans laquelle us venaicnt depasser .ces quatre semaines. II y avait ibord des femmesjeuneset joli es ; des f li rt s s' et aienr dess ines , des rapproche-ments s'etaient produirs. Pour dies, se montrer avant la

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    I4 Tr i t tes tropiques 1. La Fin des v o ya g er . - Ch ap it re II I5separation enfin sous un jour, f~vorable etait p,lus qu'un merne type: Y' avait plus d' morue, l'ile etair foutue ,souci de coquertene : une traire a r egIer, une dette a honorer, entendait-on dire frequernrnent, tandis que d'autres expli-la preuve loyalement due qu'elles n'etaient pas foncierernent quaient que Hitler a'etait autre que Jesus-ChriSt redescenduindignes des, a ttention~ dont, avec une touchante delic~tesse, sur terre pour punir la race blanche davoir, pendant les deuxelles consideratent qu on leur avarr seulernent fait credit. II mille ans qui avaient precede, mal suivi ses enseignements.n'y avait donc I?as simple~ent un cote bouffon, rnais aussi Au moment de l'arrnistice, les grades, loin de rallier laune dose discrete et patheuque, dans ce crt qUI rnontart France libre, se sentirent a I 'uni sson du regime rne tropo-de routes les poi trines, rer nplacanr le terre! terre ! des lirain. Ils allaient continuer a rester hors du CoUP ; leurrec it s de navigat ion traditionne ls : Un bain Ienfin un bain ! resistance physique er morale rongee depuis des mois les e utdemain un bain ! entendait-on de toutes parts en rnerne rrus hors d'etat de cornbattre, si tant eSt qu'ils s'y fussentt emps que l 'on procedait a l'invenraire nevreux du dernier jamais trouves , leur esprit malade retrouvait une sorte demorceau de savon, de la serviette non souillee, du chemisier securite a remp lacer un ennemi reel, mais si elo igne qu'il enserre pour cette grande occasion. etait devenu invisible et com me abstrait - les Allemands -,Outre que ce reve hydrotherapique irnpliquait une vue par un ennerni imaginaire, mais qui avait l'avantage d'etreexageremenc optimiSte de l'ceuvre civilisatrice qu'on peut proche et palpable: les Arnericains. D'ailleurs, deux bateauxattendre de quatre siecles de colonisation (car les salles de de guerre U.S.A. croisaient en permanence devant la rade.bains 50[1 r--rares-a--.-Fof-t-de-FFaf1(8)T"1~p-as-s-ag-?1'S-4l'.a.ll.aien.~~=-=lJ-n-habil~adioinLdtLcommandanLen.__cheLdes__for.c.esJran::_._ -- _plus tarder a apf;rendre que leurbatea~~r~sseux er bonde

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    16 Tristes tropique:de guerre, avaienr vecu en fait a l'abri de la doctrine deMonroe" ...Adieu les bains !On decida d'inrerner tout Ie monde dansun camp appele le Lazaret'), de l'autre core de la baie. Tro ispersonnes seulernent furent aurorisees a descendre a terre:le ( beke , qui e ra it hors de cause, Ie rnys te ri eux Tunis ien surpresentation d'un document et rnoi-rnerne, par une gracespeciale accordee au commandant par le Conrrole naval,car nous no us etions retrouves cornrne de vieil les connais-sances : il erair second sur un des bateaux que j 'ava is emprun-res avant la guerre.

    IIIANTILLES'-

    Sur Ie coup de z heures ap res r nidi,Fort-de-France etaitune vill e mor te ; on aurai t c ru inhabit ecs les masures bordantline longue place plan tee de palrniers er couver re d'h er besfoI le s, qui parai ssa it un ter ra in vague au mili eu duque l aurai tete oubliee la Statue verdie de 10sephine Tascher de LaPagerie, p lu s tard Beauharnais '. A peine installes dan s unhotel deser t, le Tunis ien e t moi -rne rne, encore bouleversespar les evenements de la matinee, nous jetames dan: unevoitu re de louage en direction du Lazaret, pour aller recon-for te r nos compagnons et p lus par ti culi erement deux jeunesfemmes allemandes qui, pendant la traversce, avaient suDOUS donner [ 'impression 9u'e ll ,e s e ra ient en ~~nde hate detromper leurs mans aussitot gu il leur aurait e re poss ib le dese laver. De ce point de vue, I 'affaire du Lazaret aggravaitnotre deception.Tand is que la vi~ille Ford se hissait en pr emiere au longde pistes accidentees er que Je retrouvais avec ravisse-rnent tant d'especes vegetales qui rri 'etaicnr farni lieres depuisJ'Amazqnic, mais que j'allais apprend re ici a designer denouveaux noms: cai rn ire pour J ru ta d o c on de - idee de I 'art i-chaut enclose dans la poire -, corrosol et non plus graviola,papaye pour mammdo, sapotiUe pour mangabezra, j'evoquaisl es scenes penibles qui venarent de se produire e t j 'e ssaya isde les rel ier a d 'aut res exper iences du merne type . Car , pour

    ILa F in d es v qy ag es - C ha pitre ill 17mes compagnons lances dans l 'avenrure apres une exi st encesouvent paisible, ce melan~e de, mechan~ete et de betiseapparaJssaJt comme un phenomene mow, uruque, excep-t ionnel , l' incidence sur leur personne indiv idue ll e et sur ceUede leurs geolie rs d 'une catast rophe interna tionale comme ilne s 'en e ta it encore jamais produit dans l 'h istoi re . Mais moi ,qui avais vu Ie monde et qui, au cours des annees prece-dentes , rn'e ta is t rouve place dans des si tuat ions peu banales,ce genre d 'exper iences ne rn' ecai t pas comple re rnent e rran-ger . J e savai s que, de facon lente et progres sive , e lle s se met -raient a sourdre comme une eau perfide d'une hurnaniresaruree de son propre nombre et de la cornplexite chaquejour plus grande de ses probler nes, comme si son epidermeeut e te i rr it e par le f ro tt emenc resul tant d 'echanges mate ri el se t in te ll ec tuel s acc rus par l' in tensi re des communicat ions .Sur ce tt e te rre f rans:ai~e , l a guerre e t l a defaire n'avaient pasfiilt"atIrre-o-Gh"osc-quechateda-marche-.d:uo_prQcess.u.sc:univer-sel , facil iter l 'ins tallat ion d'une infection durable, et qui ne dis-parait ra it jamais cornple rement de la face du monde , renai s-sante en un point quand e ll e s' af fa ib lirai t ai Il eurs Toutes cesmanifes tat ions s tupides, haineuses e t c redules que les grou-pemcnts sociaux sccreten t cornmc un pus quand la distancecommence a l eur manquer , j e ne les rencont ra is pas aujour -d'hui pour la premiere fois.

    C'est hier encore, quelques mois avant la declaration deguerre er sur la route du retour en France, a Bahia ou je meprornene dans la ville haute allant de J'une a I 'aut re de cesegli ses qu'on dit e tre au nombre de t ro is cent soixante-cinq ,une pour chague jour de l'annee, et varices par Ie Style etla decorat ion interieure a I'image merne des jours et dessaisons. Je suis tout occupe a photographier des detai lsd'architeEture, poursuivi de place en place par une bandede negrillons a demi nus qui me supplient : tira 0 retrato Itira 0 retrato ! ~(Fais-nous une photo! A la fin, touche parune r nendicite Sl gracleu se - une pho to qu'ils ne verr aienrjama;s plutot que quelques sous -, j'accepte d'exposer uncliche pour cootenter les enfams. Je n'ai pas rnarche centmet res qu'une main s' abat sur man epaule :deux inspecteursen c iv il , qui rn' onr suivi pas a pas depuis le debut de rna pro -menade, m'informent que je viens de me livrer a un aEtehostile au Bresil: cette photo, u tilisee en Europe, pouvantsans doute accrediter la legende qu'il y a des Bresilicns apeau noire et que les gamins de Bah ia vont nu -pied s. Je suis

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    18 Tnfles tropiques 1 . La F in d es v oy ag es . - C b ap it re illrnis en erat d'arreStation, pour peu de temps heureusernenr, Bresil de facon definitive, j'avais :i certain moment lacraintecar Ie bateau va partir'. qu'on les mit en f;ieces sur Ie,s quaispendan; que le bateauCe bateau me porrait decidernenc malheur; peu de jours !everait l'ancre), c e st mor-rnerne qUI dictai a mon inrerlo-auparavant j'avais rencontre sernblable avenrure ; certe fois cuteur les terrnes cinglants d'un rapport ou il s'attribuair laa I 'embarquement, er encore a quai dans Ie port de Santos: gloire d'avoir, en permettant mon depart et celui de mesa peine monte a bord, un commandant de la marine bre- bagages, sauve, son pays d'un conflit international et de l'hu-silienne en grand uniforrne accornpagne de deux fusiliers miliation subsequente.marins baionnette au canon me fait prisonnier dans rna Peut-etre, d'ailleurs, ri'aurais-je pas agi avec tant d'audacecabine. La , il faut quatre ou cinq heures pour elucider le si je ne m'erais encore trouve s,ous I'influence d'un souve,nirmystere : l'expedition franco-bresilienne, que je venais de qui depoUlUa..tt d e tout leur serreux les polices sud-amen-diriger pendant un an , avait ete sournise a la regie du par- caines. Deux rnois auparavant, devant changer d'avion danstage des colleCtions entre les deux pays. Ce partage devait un gros village de basse Bolivie, j'y fus bloque pendantetre fait sous Ie controle du Musee national de Rio de quelques jours avec un compagnon, Ie Dr J. A. Vellard, pourJaneiro qui ava it aus sitot nor if ie a taus les ports du pays: attendre une correspondance qui ri'arrivait pas '. En 1938 ,au cas OU , nourrissant de tenebreux desseins, je tenterais' de l'aviation ressernblait peu a ce qu'elle eSt aujourd'hui . Sau-_____~:~~1u~: :j~:~~~~~c~ ;~~~~~t~~~:~~~~I~t~~~~~ ~=-~~= =_~c-~:f~f~~~;P:~~d~~~~~~~~lt;~:~;~:1:~1~~~~~pl~~':~~_._ on devrait a rout p rix s'assurerde r na personne. __eulement,.. .. _.dans Ie role de p:~~cne-pour aes-v illageoisqui 'jusqu"alors, enau retour ?e I:expecli,tion, Ie Musee, de Rio ~vait change l'absence deroute~ peidaien~-plusietir-s [ours pourse rendred'avis et decide de ceder Ia part bresilienne a un mstirut a la foire VOISine, a pled ou a cheval. Main tenant, un vol descientiEque de Sao Paulo; on rri'avait bien inforrne qu'en quelques minutes (rnais, a c li re vra i, souvent en retard d 'unconsequence l'exportation de la part francaise devrait se nombre tres superieur de jours) leur perrnettait de trans-faire par Santos et non par, R io, m~is co~me on avait oub~e porter leurs poules et leurs canards entre lesquels on, voya-que la quest ion avart faJt I objet dune reglementatlon cliffe- geait Ie plus souvent accroupl, car les peuts avions etaienrrente un an auparavant, j'erais decrete criminel en vertu bourres d'un melange blgarre de paysans nu-pieds, d'ani-d'instructions anciennes dont les auteurs avaient perdu le rnaux de basse-cour et de caisses trop lourdes ou trop volu-souvenir, rnais non point ceux charges de les executer '. mineuses pour passer dans les pisres de forer.Heu reusement qu'a cette epoque il y avait encore au cceur Nous trainions done notre desceuvrernent dans les ruesde tout fonCl:ionnaire bresilieri un anarchiste sornrneillant, de Santa Cruz de la Sierra, transforrnecs par la saison destenu vivant par ces bribes de Voltaire et d'Anatole France pluies en torrents boueux qu'on passa..tt a gue sur de grossesqu i, rn er ne au plus profond de la brousse, restaient en sus- pierres placees a i nt erva ll es regul ie rs comme des pas sagespension dans la culture nationale ( Ah, monsieur, vous etes cloutes vrairnent infranchissables aux vehicules, quand unefrancais !Ah, la France I Anatole, Anatole! s'ecriait boule- patrouille remarqua nos visages peu familiers ; raison suffi-verse, en me serrant dans ses bras, un vieilJard d'une bour- sante pour nous arreter er, en attendant l'heure des cxpli-gade de l'interieur et qui, jamais encore, ri'avair rencontre cations, nous enfermer dans une piece d'un luxe desuet :un de mes cornpatriores '). Aussi, suffi.samment experirnente ancien palais de gouverneur provincial aux murs couvertspour accorder tou t le temps necessair e a la demonstration de boiseries encadrant des bibliotheques vi trees dont dede mes sentiments de deference envers I'Etat bresilien en gros volumes richement relies garnissaient les rayons, inter-general et l 'autorite marit ime en particulier, je rri 'employai a rompus seulernent par un panneau, vitre lui aussi et enca-faire resonner certaines cordes sensibles : n on sans succes, dre, presentant I'etonnante inscription calligraphiee quepuisque apres quelques heures passees en sueurs froides (les Je traduis ici de l'espagnol: Sous peine de severes sanc-collections ethnographiques erant melangees dans les caisses tions, il est rigoureusement interclit d'arracher des pages desavec mon mobilier et rna bibliorheque, car 'Je quitrais Ie archives pour s'en servir a des Ens par ticul ie res au hYgie-

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    zo Tritles tropiques 1 . La F in d es v oy ag es . - C b ap itr e III z (niques. Toure personne qui cont reviendra a cerre interdic- les faux bruits sur l'arrivee des bateaux hypothetiques quit ion sera punie". > . ? . , , . . , devaiene tous nous tirer de la, La situation changea :i nou-J edois a la v ,eute de, rec?~naJtre que rna, siruauon a la veau quand le commerce vill ageoi~ , j aloux de laJ: re f~cl :ure ,Martinique s'ameliora grace a) intervention d un hau,t fonc- fit valoir qu'il avait lUI a USSI droit a sa pare de retugies. Dutionnaire des Pones et Chaussees qw dissimulait derriere une jour au lendemain, on mit tout Ie m onde en residence forceereserve un peu fcaide ~es sentim,ents eloignes de ceux d~s dans les villages de l'interieur ; j'y echappai encore, maismilieux officiels ; peut-etre aussi a cause de mes visrtes fre- anx.ieux de suivre mes belles amies dans leur nouvelle resi-quentes a un journal religieux, dans les bureau~ duquel des dence au pied du mont Pele, je dus :i cette derniere machi-Peres de je ne sais quel,ordre avaient accum~le, des caisses nation policiere d'inoubliables promenades dans cette liepleines de veStiges archeologiques remo?eanc a I occupation d'un exotisrne tellernent plus classique que le continentindienne , e t que j 'empl?YaJs mes 101SltS a Jnvent~ner_.. sud-americain: sombre agate herborisee enclose dans une

    Un jour, je suis entre ~~ns la salle de I~ cour d as,slses qm aureole de plages en sable noir paillete d'argent, tandis queetait alors en session : c etait rna prerruere visite a un ttl- les vallees englouties dans une brume laiteuse laissent iburial et c'est demeure la seule. On jugeait un paysan qui, peme deviner - et, par un egouttement continuel, a I'oweau cours d'une querelle, avait ernporte d'un COt;p de dents plus encore qu'a la vue - la geante, plumeuse et tendreun marceau d'oreille de son adv~rsaJre. Accuse, plaIgnant mousse des fougeres arborescentes au-dessus des fossiles

    =--=---et=rem-oins cs"e*primalentc~n=uru~.r~Qle.:,Y,_Qlubile=dQm-F.J;lUU1-_~"~~==-==:\l-i'l~Htt:;"d!:-.le\!~troflC:_~---=---===____ _ ,-- ---- ----- tellieu; --la cristallin c fr aicheu r off rait.quelque.cho se de .Su.r-.-- - -- - -Si-j'avais __erLjusqu'alo rs favoDse_p_a( ca.P12Qrr amesnaturel. On t raduis ai t i trois juges qui supportaient mal, compagnons, je ri'en restais _pas rnoins preoccupe d'un pro-sous la chaleur, des toges rou~es et des ,fourrure~ iquo I blerne qu'il faur bien que j'evoque ici puisque la redactionl'humidite ambiance avait enleve leur appret. Ces defroques rnerne de ce livre devait dependre de sa solution, laquelle,pcndaient auteur ~e leurs corps cornme d~s pansements on va Ie voir, ri'alla pas sans difficulte. Jc transportai~ pOt:rensanglantes. En c lnq, minutes exacte rnent, I lrasclbl~ NOI! seu le fo rtune une malle remplie de rnes documents d expe-s'entendir condamner a huit ans de prISon. La justice etait et dinon : fichiers lingulStlques et technologiques, Journal deresre toujours associee dans rna pensee au doute, au SCIU- route, notes prises sur le terrain, cartes, plans et negatifspule, au respect. QE'on puis~e, a~ec cetre desinvolrure, dis- photographiques - des rnilliers de feuillers, de fiches et deposer en un temps 51 bref d un erre hurnain me frappa de cliches. Un ensemble aUSSI suspect avait franchi la ligne destupeur. Je ne pouvais ad,mettre que je ver:_aisd'assister a un demarcati?n ~u prix d'~n con:iderable risq~e pour le pas-evenemenr reel. Aujourd hw encore, nul rcve, Sl fantastique seur qw s en etait charge. De Iaccucil re

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    22 Tn t tes t r op iqees 1. La F in d es v oy ag es - C ha pitr e IT I 23avant qu'il se materialisat un beau marin comme un gros Au bout de quelques jours, mes derniers compagnons dejouet d'un autre siecle, peint ineuf) la malle devrait d'abord voyage ont regie leurs difficulres personnelles et sont partisenrrer i la Martinique, puis en ressortir. II n'en erair pas pour New York.Je reste seul iSan Juan, flanque de mesquestion. Et c'e~ ainsi ~ue j'embarquai .pour Po~to ~co sur deux policiers qUI, sur rna demande, m'accompagnent aussiun bananier suedois dune blancheur immaculee ou, pen- souvent que Je le desire aux trois points autorises : le c onsu-dant quat re jours , j e savourai , comme un arriere-gout des lar de France, la banque, l'immigration. Pour tout autretemps revolus, une traversee paisible er presque solitaire, deplacement, je dais solliciter une autorisation speciale. Uncar nous e tions huit passagers ibordo J e faisais bien d'en jour, j'en obtiens une pour aller il' un iversi re ou man gar -profiter. dien de service a la delicatesse de ne pas penetrer avec moi ;Apre~ la p olicefran~ais~, la police arnericaine. En rnetrant pour ne pas m'humilier, ilm'attend ilaport e. E t comme lui -ie pied a P orto Rico, Je decouvns deux choses : pendant le merne et son compagnon s'ennuient, ils violent parfois lecouple de mois qui s'etaient ecoules depuis Ie depart de reglernent et me permettent, de leur propre initiative, de lesMarseille, la legislation d'immigration aux Erars-Unis avait emmener au cinema. C'est seulement dans les quarante-huitchange, et les documents que je tenais de la New School heures qui s'ecoulerent entre rna liberation et rnon embar-for Social Research ne correspondaient plus aux nouveaux quement que je pus visiter l'ile, sous l'aimable conduite dereglements; ensuite et surtout les soup~or:s que j'avais pre- M .. Christian Belle, alors consul general et en qui je retrou-_=----..eSc.iJa=P0]jCe-martJrllqUalS.e-.relau.'lem~n..t.. .a._mesd.o

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    Tr i tt e s t rop iques I. La F in d es v ry ag eJ . - C ha pi tr e w Z jtal , m'incite maintenant a considerer Oxford comme une d'une mission rniliraire qui se rendait au Paraguay. Une tra-lnde qui aurai t reu5si a conrroier la b oue, la rnoisissure et les versec familiere en etait rendue meconnaissable, ainsi quedebordernents de la vegerarion. l'acmosphere, jadis si sereine, du paquebot. Ces officiers etL'inspecteur du F.B.I. arrive trois sernaines apres mon leurs epouses confondaient un voyage transatlantique avecdebarquernent a San Juan. Je cours a la douane, j'ouvre une expeclition coloniale et Ie service com me instructeursla malle, I'instant est solennel. Un [eune homme courtois aupres d'u~e arrnee somme to,ute assez modeste, ~vec l'oc-s'avance, tire au hasard une fiche, son ceil se durcit, il se cupaoon d un pays conquls a laquelle ils se preparaJent,rourne fer ocernent vers moi: C'est de I 'allemand I En moralement au rnoins, sur le pont trans forme en placeeffet, il s'agit de la reference de I'ouvrage classique de von d'armes, Ie role d'indigenes etant devolu aux pas sagers civils.den Steinen, man illustre et lointain predecesseur dans le Ceux-ci ne savaienr plus ou fuir une insolence si bruyanteMato Grasso central , Unter denNatur tJo /kern Zen tra !-Br tu i li enJ qU'elle avait reussi a provoquer un malaise jusque sur la pas-Berlin, 1894'0. Irnrnediaremenr apaise par cette explica- serelle. L'atnrude du chef de mission s'opposair a celle de sestion, l'expert si longtemps attendu se desinteresse de route subordonnes ; lui-rneme et sa femme etaienr deux personnesl 'a ffai re . Ca va bien, O.K., je sui s admis sur l e sol a rner icain, a la conduite discr ete et p revenante, 1 Is r n'aborderent ur ije suis libre. jour dans le corn peu frequente ou j 'essayais d'echapperII faut s'arrerer Chacune de ces menues aventures, dans au vacarme, senquirent de mes travaux passes, de l'objet~ __ ~_, JD.Q.ps. ru lYenir en.1ai t+a.i l. l. iLune. .aut*e.-G: ft ai. n~mm-e-ee l: le de l il a r rr rs sie rr --er -s crer rt par C juelques-at lt rsiuns-me -fa ire'_____ .__ qu'on __ient .de .lire,liees a,Ja.guerre-rnais-d'autres- Eluefa i- - - - - - -- -- --comprenc :he- Ieur - ro le+de +temoins+impurs' san t s -et - -c la ir -conrees plus haut, anterieures. Et )e pourrais en ajouter voyants. Le contraste etait s i flagrant qu' il paraissai t recou-encore de .plus recentes, si i '7mprunta is a l'experience, de vrir U I : mySte,re; tr ois ou quatre ans plus rard, l'incid enrvoyages aSlatlques remontant aces routes dernieres annees. revint a rna mernorrc en retrouvant dans la p resse le nom deQgant a mon genti! inspecteur du F.BI., it ne scrait pas cet officier dont la position personnelle etait, en effet, para-aujourd'hui si aisement satisfait. L'air devient partout aussi doxale '.lourd. Esr-ce a lors que j'ai, pour la premie re fois, compr is ce

    qu'en d'autres reg ions du monde, d 'aussi d ernoralisan tescirconStances m'on t derinitivcmenr enseigne ? Voyages,coff re ts magiques aux pro messes reveuses, vous ne l ivre rezplus vos t resors intac ts . Une c iv ili sa tion proliferante e t sur-excitee trouble a j arna is l e s il ence des rne rs . Les par furns destropiques et la fralcheur des etres sont vicies par nne fer-mentation aux relents suspects, qui mortifie nos des irs etnous voue a cueillir des souvenirs a derni corrompus.Aujou rd'hu.i ou des iles polynesicnnes noyees de betonsont rransforrnees en porte-avions pesamment ancres aufond des rners du Sud , ou I'Asie tout entiere prend le visaged 'une zone rnaladive, ou les bidonvilles rangent I'Afr ique,ou l'av iation commerciale et rnilitaire fletrit la candeur dela forer a rner icaine ou melanes ienne avant rne rne d 'en pou-voir detruire la v ir ginite, comment la pretendue evasion duvoyage pourrai t-ell e reus s ir aut re chose que 'nous confron-ter aux formes les plus malheureuses de notre existencehistorique ? Cette grande c iv ili sa tion occ identa le , c reat ri cedes mervei ll es dont nous jouis sons, e ll e n 'a ce rt es pas reuss i

    IVLA Q!IETE DU POUVOIR

    Ces senteurs douteuses, ces ven ts tou rnants annoncia-teurs d'une agitation p lus profonde, un incident futile m'ena fourn i Ie pr emier indice et reste dans rna mernoire commeun presage. Ayant renonce au renouveilernent de moncontrat a l 'unive rs it e de Sao Paulo pour me consacrer a unelongue campagne dans l'interieu r du pays, J'avais devancernes col legues e t pri s, que lques semaines avant eux, l e bateauqui devait me rame~er. au Bresil' ; pour la 'premi~re foisdepuis quatre ans,) etais done seul unrversitarre a bord;pour la premiere fois aussi il y avair beaucoup de pas sagers :hommes d'affaires errangers , rnais surtout l 'effectif complet

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    2 6 Trittes tropiques I. LA F in d es v oy ag es . - C ba pi tr e Wales produire sans contrepartie. Comme son ceuvre la I'epoque aEtueUe l;s mceurs de je, n e sais queUe h,umanit~plus fameuse, pile ou s'elaborenr des architectures d'une rimitive cancaturee en quelques legers chapitres, J a passecornplexire inconnue ', l'ordre et I'harmonie de l'Occident aes semaines de rna vie d'etudian~ a annote,r les ouvragesexigent I'elirnination d'une masse prodigieuse de sous-pro- que voici cinquante ans, parfois rnerne tout recemment, desduits maldiques dont la terre est aujourd'hui infeEtee. Ce ho~mes de science ont consacres a son etude, avant queque d'abord vous nous montrez, voyages, c'est notre ordure Ie contaEt avec les Blancs et les epidernies subsequentes nelancee au v isage de l 'hurnanire. l'aient reduite a une poignee de rniserables deracines, CetJe compr ends alo rs la passion , la folie, la duperie des autre groupe, dont l'existence, dit-on, a ete decouverte etrecits de voyage. Ils apportene l'illusion de ce 9ui n'existe I'etude rnenee en quarante-huit heures par un voyageur ado-plus et qui devrait etre encore, pour que no us echappions lescent, il a e te entrevu (et ce r i' est pas negligeable ) au coursa I'accablante evidence que vingt mille ans d'histoire sont d'un deplacement hors de son territoire dans un campementjoues II n'y a plus rien a faire : l a civilisation n'est plus cette provisoire, narvernent ~ris pou; un viUag~ p e,rmanenc. Et onHeur f ragi le qu'on prese rvai t, qu' on developpa it i grand- a minutieusement gaze les methodes dacces, qUI auraientpeine dans quelques coins abrites d'un rerroir riche en especes revele le poste rnissionnaire depuis vingt ans en relationsrusnques, rnenacantes sans doute par leur vivacite, mais ermanentes avec les indigenes.Ja petite ligne de navigationqw perrnettalent auss: de vaner et de revlgorer Ies sernrs f moteur qu i penetre au plus profond du pays, mais dontL 'hurnani te s' inst al le dans la monocul ture ; eUe s 'appre re i I 'ceil entraine infer e au ssitot l'ex istence d 'ap res de menus- -=-_'-- . . produire.Ia ..civilisation ..en masse.rcomrne.Ia. bettera ve,Son, ,--- ----detai ls-photographiques,k . .cadrage-n' ayant .. pas ,: .tou~oursordinaire ne cornportera Elus gue ce plat. ...Leussi a eviter les bidons rouilles 00. cette humanite vlerge---------On' t1squaft jaclissavle a a n - s -reslndesoLiaUx AmerTques ..---- fait s - ; - popote~- -pour rapporter des biens qui nous paraissent aujourd'hui La varute de ces pretentious, la cr edulite naive qui lesderisoires : bois de braise (d'ou Bresil) : teinture rouge, ou accueille et meme les suscite, le merite enfin qui sanEtionnepoivre dont, au temps d'Henri IV, on avait a c e point la folie tant d'efforts inutiles (si ce n'est qu'ils contribuent a etendreque la Cour en mettait dans des bonbonnieres des grains a la deterioration qu'ils s'appliquent par ailleurs a dissimu-croquer. Ces secousses visuelles ou olfaEtives, cette Joyeuse ler), tout cela implique des ressorts psychologiques puis-chaleur pour les yeux, cette bruhire exquise pour la langue sants, tant chez les aEteurs que dans leur public, et queajoutaient un nouveau registre au clavier sensoriel d'une l'etudc de certaines institutions indigenes peut contribuer acivilisation qui ne s'etait pas doutee de sa fadeur. Dirons- mettre au jour Car I'ethnographie doit aider a comprendrenous alors que, par un double renversement, nos modernes la mode qui attire vers eUe tous ces concours qui la des-Marco Polo rapportent de ces memes terres, cette fois sous servent.forme de photographies, deIivres et de recits, les epices Chez un bon nombre de tribus de I'Amerique du Nord,morales dont notre societe eprouve un besoin plus aigu en le preStige social de chaque individu est determine par lesse sentant sombrer dans i'ennui ) circonStances entourant des eprcuves auxquclles les ado-Un autre parallele me semble plus significatif Car ccs lescents doivent se sournettrca I'age de la puber te . Cer-modernes assaisonnements sent, qu'on Ie veuillc ou non, tains s'abandonnent sans nourriture sur un radeau solitaire ;falsifies. Non certes parce que leur nature eSt purement psy- d'autres vont chercher I'isolement dans la montagne, expo-chologique; mais parce que, si h onnete que soit Ie n artateur, ses aux betes Ieroces, au froid et a la pluie. Pendant desil ne peut pas, il ne peut plus nous les livrer sous une forme jours, des semaines ou des mois selon le cas, ils se .priventauthentique. Pour que nous consentions ales recevoir, il de nourriture : ri'absorbant que des produirs grosslers, oufaut, par une manipulation qui chez les plus sinceres est seu- jefinant pendant de longues periodes, aggravant rnerne leurlernenr inconsciente, trier et tamiser les souvenirs et substi- delabrernent physiologique par I'usage d'ernetiques. Touttuer Ie p oncif au vecu. ]'ouvre ces recits d'explorateurs : t elle est pretexre a provoquer I'au-dela : bains glad~s et prolon-tribu, qu'on me decrit comme sauvage et conservant jusqu'a ges, mutilations volontaires d'une ou de plusieurs phalanges,

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    Trittes tropiques I. La F in d es v oy ag es . - C b ap it re [Vdechirernent des aponevroses par l'insertion, sous les m uscles Q,!i ne voit a quel poin t cette que te du pouvoir sedorsaux, de chevi ll es poinrues a tt achees par des cordes a de trouve remise en honneur dans la societe francaise contern-lourds fardeaux qu'on essaye de trainer, ~and rnerne its poraine sous la forme naive du rapport entre le public etn 'en vienr ienr pas a de tel les e~tremites. au moins s 'epuisent- ses explorareurs ;lDes l'age de [a pubcrre aussi, nos ado-lis dans des travaux gratults ; e pJlage du corps poil par poil, !escents rrouvent licence d'obeir aux ~imulations auxquellesou encore de branchages de sapin jusqu'a ce qu'ils soient tout les sournet depuis la petite enfance, et de franchir, d'unedebarrasses de routes leurs aiguilles ; evidernent de blocs de maniere quelconque, l'ernprise mornenranee de leur civili-pierre". sation. Ce peut etre en hauteur, par l'ascension de quelqueDans l'etat d'hebetude, d'affaiblissernenr ou de delire ou montagne; au en profondeur, en descendant dans les a birnes ;

    les plongent ces epreuves, ils esperenr entrer en comrnu- horizontalement aussi, si 1'0n s'avance au cceur de regionsnication avec le monde surnarurel. Emus par l'intensire de lointaines. Enfin, la dernesure cherchee peut etre d'ordreleurs souffrances et de le~rs prieres, un animal t;'la~que sera moral, comme chez ceux qui se placenr volontairement danscontrarnt de leur apparattre; une VISion leur revelera celui des situations si difficiles que les connaissances actuellesqui sera desorrnais leur esprit gardien en merne temps que le semblent exclure toute possibilire de survie '.nom par lequeliis seront connus, et Ie pouvoir particulier, Vis-a-vis des resultats ,q?'on voudrattappe!er rationnelstenu de leur proteB:eur, qUI l eur donnera, au sein du groupe de ces aventures, la societe affiche une indifference totalesocial, leurs p rivileges et leur rang II ne s'agit r u de decouverte scientifique, ni d'enrichisse-

    _ _ ._ ._ .. D .iJH ::.QQ . ..qIJ.e.,.PQg_r_~e.s_..ndigene.s~il.n.~j'..a_riel1..iattendre ... ._. men.tp9~gB\!.~~~_Jj_tterai~,_l~~te!_1}.

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    30 T nJ1es t rop iques r . LaF in d es v oy ag es . - Chapitre IVl eur inrermediaire reussi r a s 'appropr ie r vos charmes ;> Non deja hors de portee. Ou est-il, ce vieux, ce vrai Lahore? Poursatisfait encore ni rne rne consc ient de vous aboli r, il lui faut I'atte indre a I 'ex tremite de cet te banli eue maladroit ementras sasi er f ievreusement de vOS' ombres le cannibalisme implantee et deja d~crepite, il faut e~core par~ourir un kilo-noStal~que d'une histoire a laquelle vous avez deja sue- metre de bazar ou une joaillerie a la portee des petltescombe. bourses, qui travaille a la scie mecanique un or de l'epaisseurPredecesseur blanchi de ces coureurs de brousse' du fer-blanc, voisine avec les cosrnetiques, les medicaments,derneure-je done le seul a n'avoir rien retenu dans me; les matieres plaStiques d'importarion. Vais-je enfin le tenir

    mains , que des cendres ? 110n unique voix remoignera-t-elle dans ces ruelles ombreuses ou je dois m'effacer le longpour l 'echec de I 'evasion ? Comme l'Indien du my the, je suis des murs pour faire place aux troupeaux de moutons a laalle aussi loin que la terre Ie p ermet, et quand je suis arrive toison teinte de bleu et de rose, et aux buffles - chacun grosau bout du monde, j'ai inrerroge les etres et les choses pour comme trois vaches - qui vous bousculent amicalemem,retrouver sa deception: II rests la tout en larmes ; priant et mais plus souvent encore aux camions ;> Devant ces boi se -gemissant. Et cependant, il n'entendit aucun bruit myste- ries croulantes et rongees par les ans ? Je pourrais devinerrieux, pas davantage ne fut-il endormi pour etre trans porte leur dentelle et leurs ciselures si l 'abord n'en etait interdit pardans son sommeil au temple des animaux magiques II ne Ia toile d'araignee rnetallique que lance, d'un mur a l'autrepouvait pas subsister pour lui Ie moindre doure : aucun pou- er par route la vieille ville, une installation eled rique baclee.voir, .~~P~r:s_C:>1}0_~,_rl~1 1 . i ~t;lj_t~~hlJ.~,.,) --.---._._- --- ... ..-- -- ..---De-temps ..entemps-aussi;- certes',-pollrqlielqllessecoilQes~-. - - - - -- - - - - . Le reve, dieu des sauvages , chsaientJ.es an~~.!ls_.l!J~:.__. s.1.!J_QueLq\l_es_ro_etr.esruneimage,.un.echo-sumageant do-fond

    -. sionnaires1, comme-un mercure suEtil a toujours glisse entre des ages: dans la ruelle des batteurs d'or et d'argent, le caril-!pes doigts. Ou rn'a-t-il laisse quelques parcelles bri llantes ? lonnement placide et clair que f erair un xylophone fr appeA Cuiaba don t le sol liv rait jadis les pep ites d'or ? A Uba- diStraitcment par un genie aux mille bras. J'en SOtS pourtuba, port aujourd'hui desert, ou il y a deux cents ans on tornber aussitot dans de vastes traces d'avenues coupantchargeait les galions;> En survolant les deserts d'Arabie, brutalemem les decornbres (dus au.x erneutes recences ') der oses et verts comme la nacre de l'h aliotid e ;> Serait-ce en maisons vieiJles de cinq cents ans, mais si souvent detruitesAmerique ou en Asie ? Sur les banes de Terre-Neuve, les et reparees que leur inelicible vetuste ri'a plus d'age. Tel jeplateaux boliviens ou les collines de la frontiere birmane ;> je me reconnais, voyageur, archeologue de l'espace, cherchantchoisis, au hasard, un nom tout confit encore de preStiges vainement a reconstituer l'exotisme a l'aide de parcellcs etpar la legende : Lahore". de debris.Un terrain d'aviation dans une banlieue imprecise; d'in- A1ors, insidieusernent, l'illusion commence a t isser sesterminables avenues plan tees d'arbres, bordees de villas; dans pieges. Je voudrais avoir vecu au temps des urau voyages,un enclos, un hotel, evocateur de quelque haras normand, quand s'offrait dans route sa splendeur un spectacle nonaLgne plusieurs batimcnts tous pareils, dont les portes de encore gache, contaminc et maudit ; n'avoir pas franchiplain-pied et juxtaposecs comme aurant de petites ecuries cette enceinte moi-mcrne, mais comme Bernier, Tavernier,donnent acces a des appartements identiques : salon par- Manucci 10. .. U ne E o i s entarne, l e j eu de conjectures n 'a plusdevant, cabinet de toilette par-derriere, chambre a coucher de fin. ~and fallait-il voir I'Inde, a quelle epoque l'etudeau milieu. Un kilometre d'avenue conduit a une place de des sauvages bresiliens pouvait-elle apporter la satisfaB:ionsous-prefeclure d'ou partent d'autres avenues bordees de la plus pure, les faire conriaitre sous la forme la moinsrates boutiques: pharmacien, photographe, libraire, horloger. alteree ? Eu t- il mieux valu ar river a Rio au XVIII' siecle avecPrisonnier de cette vastite insignifiante, mon but me parait Bougainville, ou au XVI' avec Lery ct Thever't ? Chaguelustre en arriere me per met de sauver une coururne, de

    gagner. une fete, de partager une croyance supplernentaire .Mais je connais trop les textes pour ne pas savoir qu'enm'enlevan t un siecle, je renonce du meme coup ides infor -.. On m'a reproche cee alexandrin. Mais Anatole France.: ( v icux pelerin

    blanchi dans l 'Occ idenr barba re : (Syi",{ / n Bonnard ). Bonne compagnie . (Notede '00)"006.)

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    rnations et ides curiosires p rop res a enrichir rna refiexion.Er voici, devan t moi, le cercle infeanchissable: main s lescultures hurnaines eraienr en mesure de communiquerentre elles et donc de se corrompte par leur con tact, mainsaus si l eurs e rn iss ai res respecti fs e ta ient capables de perce -voir la richesse et la signification de cette diversite. En finde compte, j e suis pri sonnie r d 'une a lt erna tive : t anto t voya-geur ancien, confronre a un prodigieux spectacle dont toutou pr esque lui echappair - pire encore inspir :u t raillerie etdegour : t anror voyageur moderne , courant apres l es veS tIgesd 'une rea lit e d ispa rue. Sur ces deux tableaux Jeperds , e t p lusqu'il ne semble: ca; moi qui gemis devant des ornbres, nesuis -j e pas impermeable au, vrai spectacle qw prend form~en cet instant , mars pour I o bservation duquel mon degred'hurnanite manque encore du sens requis ) Dans quelquescentain es d 'annees, en ce rneme lieu, un autre voyageur,aussi desespere que rnoi, pleurera la disparition de ce que---------faurais pu -voir et-jui, rn'a echappe-Viccimed'une. double . ._. .. . ._. _-infirmitc; totlt-ce-que-,aperO;;0l-s-me-bls-ssc::,-et-Je-me.reproche _sans rel ache de ne pas regarde r assez.

    Longremps paralyse par ce dilemme, ilme semble pour-t ant que Ie t rouble l i9uide commence a . repose r. Des formesevanescentes se preclsent, la confusion se dissipe lente-menr. QQe s'eSt-il donc passe, sinon la fu ite des annees ?En roulant mes souvenirs dans son flux, l'oubli a fait plusque les user et les ensevelir. Le p:ofond edific~ qu'il acon struit de ces fragments propose a mes pas un equilib replus Stable, un dessin plus clair a rna vue. Un ordre a et~substitue a un autre. Entre ces deux falaises rnainrenant adistance rnon regard et son objet, les annecs qui les ruinentont commence a enrasser les debris. Les aretes s'arne-nuisent, des pans en tiers s'effondrent, les temps et leslieux se heurtent, se juxtaposen t ou s'inversent, comme lessediments disloques par les tremblements d'une ecorcevieillie. Tel detail, infime et ancien, jaillit comme un pic;tand is que des couches entieres de mon passe s'aflaissentsans laisser de traces. Des evenernents san s rappo rt appa-rent; proven ant de periodes et de regi?ns heteroclites,glissent les uns sur les autres et soudain s i rnrnobilisent enun semblant de castel dont un architccte plus sage quemon histoire eut rnedite les plans Chaque homme, ecritChateaubriand, porte en lui un monde compose de toutce qu'il a vu et airne, et ou il rentre sans cesse, a lors rne rne

    T n il es t ro p iq u es I LaF in d es v qy ag es. - C ba pitr e IVqu'il parcourt et semble habiter U? monde etranger'.Desormai s, l e pas sage est pos sible, Dune facon ina ttendue,entre la vie et rnoi, le temps a allonge son isthrne ; il a falluvingt annees d 'oubli pour m'amener au tet e-a.- te te avec uneexperience ancienne donr une pourswte aUSSI longue que lat er re m'ava it j ad is refuse Iesens e t ravi l' in tirni te .

    , V~~g,m [Iali,. a l a d at e du tt decernbre.