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à Tahiti PRÉFACE DE MARIE-THÉRÈSE EYCHART ELSA TRIOLET à l’heure nouvelle. On a franchi l’équateur. Le paquebot est entré dans la rade pour vingt-quatre heures, le temps de charger charbon et victuailles, et s’en est allé. Nous, nous sommes restés, avec de l’eau tout autour. Nous nous dirigeons vers l’hôtel. C’est le soir et il pleut. Nous marchons à travers un épais mur d’eau tiède. L’air est fait d’un parfum sucré de vanille. J’ai du mal à traîner mes jambes lourdes, mon corps liquéfié. Ne pourrait-on pas, tout de suite, sans attendre, partir pour n’importe quel pays ordinaire, un pays comme tous les pays? Un bâti- ment à étage, une terrasse longue et étroite comme un couloir, plusieurs portes. Une grande pièce presque vide, une bougie, un lit encombrant…

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ISBN : 978-2-916136-41-7 15 euros

à TahitiPRÉFACE DE MARIE-THÉRÈSE EYCHART

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© Jean Ristat

© Les Éditions du Sonneur, 2011 pour la présente édition

ISBN : 978-2-916136-41-7

Dépôt légal : octobre 2011

Conception graphique : Anne Brézès

Les Éditions du Sonneur5, rue Saint-Romain, 75006 Paris

www.editionsdusonneur.com

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à TahitiTraduit du russe par l’auteur

Préface de Marie-Thérèse Eychart

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« FEMME SANS MÉTIER, à quoi passes-tu ton temps ? »,

demandait l’écrivain Victor Chklovski à Elsa Triolet,

qu’il aimait sans espoir de retour et qui, solitaire, errait

à Berlin, âme en peine, écrasée par la nostalgie, inca-

pable de trouver un sens à sa vie. Si Chklovski commu-

niait avec cet insondable mal du pays, il savait aussi,

par expérience, que l’écriture permet de vivre et de se

projeter dans l’avenir. Aussi pensait-il qu’écrire pouvait

donner à la jeune femme un métier et un équilibre. En

1923, quand il fit lire à Gorki son manuscrit Zoo, lettres

qui ne parlent pas d’amour ou la Troisième Héloïse,

comportant des lettres d’Elsa Triolet, le grand homme

déclara que le meilleur de ce roman épistolaire était

la lettre de celle-ci sur Tahiti. Il estimait qu’elle pouvait

en faire un livre et qu’il « y aurait là fraîcheur et nou-

veauté, pourvu qu’elle sût garder le ton de sa lettre ». Il

demanda à la rencontrer et la persuada d’écrire, malgré

les réticences initiales de celle-ci.

À Tahiti fut publié en avril 1924 dans le premier

numéro de la revue Le Contemporain russe, sous l’égide

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de Gorki, avant de paraître aux éditions Aténéï de

Leningrad l’année suivante. Le texte, très différent des

ouvrages à l’exotisme surchargé et au style fleuri de

l’époque, fut bien reçu par la critique russe qui décou-

vrait un récit donnant un sentiment de spontanéité, à la

manière d’un journal intime. Fraise des Bois et Camou-

flage se succédèrent en 1926 et 1928, avant que la jeune

femme n’abandonne en 1938, avec Bonsoir, Thérèse, la

langue russe pour le français, au prix d’une douloureuse

et difficile mutation. À Tahiti disparut des mémoires jus-

qu’à ce que son auteur, entamant en 1964, avec Ara-

gon, le grand travail des Œuvres romanesques croisées

qui tressait leurs livres les uns aux autres, décidât de le

traduire pour présenter aux lecteurs « une entrée en

matière de [son] autobiographie littéraire ». C’est d’ail -

leurs le seul de ses textes écrits en russe qu’elle jugea bon

de traduire malgré les difficultés que cela représentait et

le sentiment que le français n’allait pas « au teint de cet

À Tahiti : la simplicité s’y fait naïveté, le langage spéci-

fiquement russe ne trouve pas en français ses associa-

tions d’idées, de sentiments ». Peut-être… N’empêche

qu’il garde pour nous, lecteurs français du XXIe siècle, un

charme étonnant qui tient à un art de la simplicité maî-

trisée allié à une acuité vive et originale.

La présence au cœur de la narration d’une jeune

femme touchante dans ses faiblesses, impressionnante

par la puissance de son intelligence, par sa capacité à

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bouleverser notre perception en rendant insolites les

choses les plus banales – et non pas comme le préconi-

sait Gorki d’une Européenne devenue « appareil enregis-

treur » – produit un récit aux contours paradoxaux et

pour finir inclassable. Aragon disait de À Tahiti, placé

en tête des Œuvres romanesques croisées, que ce récit,

« tremplin de l’imaginaire » de la romancière, était aussi

le tremplin de sa vie intérieure. En traduisant son

ouvrage, Elsa Triolet choisit d’orienter le lecteur vers

cette double donnée, par la dédicace : « À André » et par

l’exergue : « Je vous livre l’enfance de mon écriture… »

En 1917, Elsa avait rencontré André Triolet, officier à

la mission française de Moscou. Voulant terminer ses

études d’architecture, elle quitta la Russie en 1918 pour

Londres, où André la rejoignit. Ils se marièrent à Paris

l’année suivante, avant leur départ pour Tahiti, qu’ils

vécurent comme une évasion : « Mon mari sortait de la

guerre, il en avait assez des cadavres et des vivants et ne

rêvait que solitude, île déserte. En 1919 nous sommes

partis pour Tahiti. » Elle-même fuyait la déception d’un

amour : Maïakovski était entièrement occupé de sa pas-

sion pour la sœur d’Elsa, Lili. Situation insupportable et

sans issue. Peu investie dans la lutte révolutionnaire,

à la différence de ses amis – tels Roman Jakobson, Vic-

tor Chklovski ou Maïakovski –, de sa sœur et de son

beau-frère, le critique Ossip Brik, elle n’avait ni dérivatif

ni perspective dans la vie. De ce mari « étranger », qui

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n’était pas « des siens », tellement différent de son milieu

et de ses amis russes qu’elle s’en séparera peu après leur

retour sur le continent, elle restera toujours une amie

proche. André, qui, décidément, n’était pas fait pour

elle, n’avait jamais pu appren dre le russe. La scène haute

en couleur du récit où la jeune femme tente de faire

apprendre sa langue à son époux en s’appuyant sur

l’Abécédaire de Tolstoï et de traduire avec ce passionné

de chevaux La Guerre et l’Univers de Maïakovski, mani-

feste le fossé qui sépare le couple. Il y a, bien sûr, l’inap-

titude totale de cet homme à partager l’amour de la

poésie de son épouse, mais surtout l’incapacité à com-

prendre que la langue russe est l’air qui fait respirer celle

dont il partage la vie. Ce sera rédhibitoire. Par l’une de

ces phrases brèves, incisives et implacables dont elle a

le secret, Elsa Triolet règle le compte de cette relation

dans l’ouverture des Œuvres romanesques croisées :

« À Tahiti est dédié à mon mari. Il ne l’a jamais lu,

ne connaissant pas ma langue maternelle. Aussi nous

sommes-nous séparés. » La méconnaissance de la lan -

gue russe est l’aune de leur irréductible différence.

Elsa, résistante, écrivain et journaliste reconnue, Russe

devenue Française mais dont la « russité » est constitu-

tive de sa personnalité, de son regard sur le monde et de

son écriture, choisira tout compte fait – et ce n’est pas

anodin – de conserver son accent, marque, selon elle, de

son identité de femme et d’écrivain. Dans À Tahiti, hor-

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mis les quelques éléments de comparaison qui ont pour

fonction de faire comprendre à ses compatriotes l’atmo-

sphère et l’exotisme des îles, elle n’a aucune raison de

s’étendre sur la Russie puisque son but, comme le lui

conseillait Gorki, est de « traduire très fortement ses

impressions sur Tahiti ». Pourtant la Russie est là, pré-

gnante et nostalgique, et son image se mêle aux descrip-

tions de la vie dans l’île. Lettre ou poème de Maïakovski,

vers de Pasternak, chansons populaires russes, extrait

d’un poème d’amour qui lui a été adressé par « R. J. »

c’est-à-dire Roman Jakobson… Au-delà de l’autobiogra-

phie, ces épigraphes installent une connivence avec le

lecteur russe. Quarante années plus tard, le lecteur fran-

çais, dont l’angle de vision est dédoublé par un effet de

miroir avec le récit premier en russe, est dépaysé par

deux exotismes de nature opposée et emporté par la

magie poétique de ces ouvertures. La première épigra -

phe, qui cite Roman Jakobson, inscrit le récit dans le

chagrin du départ et de l’amour perdu, et trouve un

écho douloureux dans la Chanson russe du chapitre

« Nous dansons », où le mariage est un départ dans « un

village étrange » de pluies perpétuelles. Nostalgie, mal

du pays imprègnent le récit. Le chapitre « Là-bas, pas de

printemps » en est l’acmé. Alors que l’île s’enfonce dans

l’immobilité et la touffeur, tout est mouvement et méta-

morphose dans le printemps russe, qui devient le contre-

point de ce pays brûlant au soleil aveuglant et impla-

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cable. Le sentiment de la perte irrémédiable se mêle à un

mal de vivre, une peur de la vie qui hantera Elsa Triolet

pendant des années.

Sur ce sentiment réel, en romancière, elle assoit son

travail. Pour que le livre se « hérissât de quelques

piquants », elle voulait « opérer dans le sens de la peur

de la vie ». Une peur que « l’affreuse nature tropicale »

fait éprouver « au plus haut point », écrit-elle à Gorki.

Le récit exotique attendu n’aura pas lieu. Du moins pas

dans ses stéréotypes. C’est un autre paysage, loin de l’at-

tente engendrée par ce genre, qui surgit dès les pre miè-

res pages : pays encerclé et emprisonné par l’eau, pluies

épaisses et tièdes, cancrelats répugnants… La géogra-

phie de l’île en fait une « forteresse-prison ». Pourtant,

dans cette île où « l’été est au mois de janvier », tout est

plus complexe qu’il n’y paraît. À la nuit pluvieuse succè-

dent des couleurs fortes : bleus et verts de la mer, vert

de la végétation, bleu du ciel, rouge, blanc, bleu, orange

des paréos. Ces tissus éclatants, le bronze de la peau des

Maoris, le noir des cheveux des femmes nous plongent

brusquement dans l’univers des tableaux de Gauguin.

Mais, le charme à peine installé, c’est un misérable petit

vapeur qui est là, sous nos yeux, appuyé sur la berge,

avant que la pluie épaisse et molle ne rende tout gris et

que n’arrive un vieillard frappé d’éléphantiasis, exhi-

bant ses jambes couvertes d’ulcères. De l’île de Moorea,

Elsa Triolet fait la quintessence du monde tropical, non

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pas dans une objectivité de reportage, mais dans la plus

totale subjectivité. Dans cet univers, négation de la

nature russe qui a formé sa sensibilité, la narratrice est

paralysée, comme foudroyée par la violence de la cha-

leur et de la lumière, par l’implacable éternité de ce pay-

sage et de l’océan sans limites. Toutes les peurs de la vie

s’y expriment : « Dans la beauté étrangère, je sens une

menace, une conspiration, il n’y a pour moi ici ni repos

ni paix. » Paysage miroir stupéfiant dans les différents

sens du terme.

Paradoxalement, alors que le principe du récit exo-

tique est largement subverti, une grande place est néan-

moins accordée à la description du mode de vie des

Maoris, à leurs mœurs et à leurs croyances. La beauté

étrange de ce peuple, son ingénuité et sa ruse, les parti-

cularités de ses relations familiales participent des ima -

ges traditionnelles de ce qu’on a appelé le primitivisme,

dont Gauguin est un illustre représentant. On est frappé

par les correspondances entre le récit d’Elsa Triolet et les

œuvres de Gauguin à Tahiti, bien connues de l’intelli-

gentsia russe. Là aussi, l’envers du décor, avec la syphilis

et le hama – la honte –, introduits par les Blancs, raconte

le rôle néfaste de la colonisation. Les colons, sur lesquels

s’attarde la narratrice, ne sont guère reluisants. Attachés

à cette terre qui les détruit, ils y tournent en rond, ané-

miés moralement, abîmés physiquement, con trepoint

lamentable à la vitalité inouïe des indigènes, à leur

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« allure fière », à leur « maintien simple et digne ». Ce

faisant, elle néglige les reproches que lui faisait Gorki :

« Il y a dedans trop d’Européens, trop de détails euro-

péens. » On voit dans cette divergence de point de vue

l’objectif de l’auteur : elle ne cherche pas tant à faire un

énième récit exotique qu’à rendre compte en profondeur

de ce qu’est l’île, ce faux Eden où l’arrivée des Blancs a

modifié les modes de vie et les rapports sociaux. Obser-

ver ces Blancs et les relations qu’ils ont avec le peuple de

l’île, c’est s’attacher à donner une image vraie et la plus

complète possible de Tahiti.

Mais rendre le réel, ce n’est pas pour Elsa Triolet

décrire à la façon d’un écrivain naturaliste. Très tôt

imprégnée par les débats des futuristes, puis des forma-

listes, sur la technique littéraire, elle fait siens nombre de

leurs procédés. À commencer par la cons truction du

récit fabriqué comme un montage. Mis au point par des

cinéastes et des photographes comme Rodtchenko, cette

technique a été transposée à la littérature par les écri-

vains qui construisaient romans et nouvelles avec des

éléments dissociés, entremêlés ou juxtaposés. C’est exac-

tement sur ce modèle que se succèdent les chapitres de

À Tahiti. Mise à part une vague trame chronologique,

constamment brisée et rendue diffuse pour créer l’im-

pression d’un temps immobile et répétitif entre une arri-

vée et un départ, le passage d’un chapitre à l’autre appa-

raît souvent aléatoire, aucun événement ne venant

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marquer le temps. Pourtant, l’alternance de sujets hété-

roclites, de textes de longueurs différentes, engendre un

rythme, suggère des mises en relation, crée des associa-

tions, des con frontations dans ce monde clos.

Un autre procédé énoncé par Chklovski en 1916, qu’il

nomme « ostranénié » et que l’on peut traduire par

« étrangeté » ou « étrangéïsation », concourt à donner

de la force au récit. Pour lui, le but de l’art est de don-

ner une sensation de l’objet « comme vision et non pas

comme reconnaissance », et donc de l’extraire de son

enveloppe d’associations habituelles. Images, métony-

mies, ellipses, alliances de mots jouent dans ce sens. La

description d’André marchant dans la ville « façon bal-

lerine ou Charlot, et tombant d’un pied sur l’autre,

comme s’il ne pouvait décider de quel côté il devait

boiter » donne soudain de ce mari une vision nou-

velle, inattendue et cocasse. Cette même techni que est à

l’œuvre dans l’évocation de « l’air qui grince et craque de

chaleur » ou du langage des Maoris qui « ne se divise pas

en mots, [mais] se confond en un chant inconnu ». La

représentation devient insolite, crée des énigmes, des

renversements et déplacements dans le temps et l’espace

comme en cet instant où « le temps s’arrête [et] devant

les yeux pousse un mur d’eau, tiède et mou ». Dans cette

perturbation de la vision surgissent les objets et les

figures du passé russe avec une force de réalité qui s’op-

pose à la dilution du monde réel. Les impressions non

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contrôlées par la raison produisent une réalité fantas-

tique. Les alliances de mots ou les métonymies, resti-

tuant le brouillage angoissant des repères habituels,

créent cet effet d’« étrangéïsation ». Dans la nuit tropi-

cale « le silence résonne dans les oreilles », et soudain

« se met à couler, à suinter par toutes les fentes, à nous

assaillir, quelque chose d’incompréhensible, d’inconnu,

d’anonyme » – « la chose » de la nouvelle de Maupassant

est là, sous la forme du toupapaou, âme des morts. Ainsi

le lecteur européen vit-il ce que vivent les indigènes, sans

pouvoir opposer une once de rationalité à ces impres-

sions bouleversantes. Ce savant travail technique opère

aussi où on ne l’attendrait pas a priori, dans la simpli-

cité même du récit, simplicité de parti pris particuliè-

rement difficile – « un faux pas et l’on se rompt le cou ».

Netteté des constructions, précision des mots, expres-

sions familières, voire banales sont mises au service

de cette simplicité qui induit une lecture limpide. La

banalité est pour Elsa Triolet un procédé utile dans le

dépouillement du langage, « une prose où chaque mot

vaut son pesant d’or est illisible », écrit-elle et « les ima -

ges légalisées par le temps » perdent leur statut pour

devenir « des moyens de conter ».

Ce premier livre d’un « bizarre exotisme », écrivait

Ara gon, reflet d’un moment de la jeunesse de la roman-

cière et de ses premiers pas en littérature, est d’autant

plus insolite que les années, les langues et les lecteurs se

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superposent et s’éclairent les uns les autres dans un jeu

de miroirs. Il est aussi la preuve, s’il en était besoin, du

talent original de cette jeune femme qui ne voulait pas

alors être écrivain, mais savait, avec une précoce subti-

lité, manier les multiples registres de la langue, de la

construction d’un récit, et utiliser ses émotions et ses

peurs comme un fil tendu ou brisé soutenant la mar che

de la narration.

À Tahiti traverse le temps pour nous permettre de

découvrir, lecteurs français du XXIe siècle, une île mythi -

que présentée par une Russe à ses contemporains du

début du XXe siècle et traduite dans cette fin de siècle

pour nous. Quel parcours de l’imaginaire…

MARIE-THÉRÈSE EYCHART

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À André.

Je vous livre l’enfance de mon écriture…

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NOTE DE L’ÉDITEUR : nous avons respecté la graphie des mots d’ori-

gine étrangère choisie par l’auteur.

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IL ’ O C É A N PA R E S S E U X

Je ne pourrais pas te le taire

Que je t’aime et t’aimerai

Si tu t’en vas sur cette terre

Jamais ne m’en consolerai

R. J.

Nous allions tout d’abord sur l’eau, puis sur terre, puis

encore sur l’eau. Les océans se distinguent par la

vague : l’un l’a courte et serrée – on monte on descend

on monte on descend –, tantôt c’est la proue, et tantôt

la poupe qui reste suspendue dans les airs ; l’autre a la

vague longue et lente, le paquebot s’y loge en entier et

la descend comme un traîneau la pente d’une mon-

tagne.

Tout d’abord nous voguions emmitouflés dans les

fourrures, entortillés dans des lainages, puis avec rien

que du blanc transparent, de la toile. Nous mettions

nos montres à l’heure nouvelle. On a franchi l’équa-

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teur. Le paquebot est entré dans la rade pour vingt-

quatre heures, le temps de charger charbon et vic-

tuailles, et s’en est allé. Nous, nous sommes restés,

avec de l’eau tout autour.

Nous nous dirigeons vers l’hôtel. C’est le soir et il

pleut. Nous marchons à travers un épais mur d’eau

tiède. L’air est fait d’un parfum sucré de vanille. J’ai du

mal à traîner mes jambes lourdes, mon corps liquéfié.

Ne pourrait-on pas, tout de suite, sans attendre, partir

pour n’importe quel pays ordinaire, un pays comme

tous les pays ?

Un bâtiment à étage, une terrasse longue et étroite

comme un couloir, plusieurs portes. Une grande pièce

presque vide, une bougie, un lit encombrant sous la

moustiquaire soigneusement fermée.

Épuisée, je me laisse tomber sur la seule et unique

chaise. Il faut attendre que les choses s’arrangent,

que l’on apporte nos malles et valises, que l’on fasse

le lit. Une femme à la peau bistre apporte un broc

d’eau. Pour faire passer le temps, j’essaye de lui parler,

mais j’y renonce aussitôt, le vague de ses réponses me

déroute. Tant pis… Pourvu que je puisse arriver au lit,

me coucher.

J’attends.

Et voilà qu’apparaissent enfin des hommes basa-

nés, ils sont tout joyeux – pourquoi, mon Dieu ? – et

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lancent dans un coin comme de la plume nos lour-

des malles. Ils ont la tête ornée de fleurs, une fleur der-

rière l’oreille, ils rient, ils disent des choses. Dans la

demi-obscurité, je les vois se mouvoir comme à travers

l’eau : ils se déforment, s’allongent, plient. Leur lan-

gage étranger ne se divise pas en mots, se confond en

un chant inconnu.

Les voilà partis…

J’éteins, je me couche, j’attends le repos… Les oreil -

lers ont une odeur qui ne ressemble à rien, les draps

transparents comme du canevas glissent du matelas,

la couverture de coton, sans drap de dessus, ne pèse

étrangement rien sur le corps. Les moustiques qui se

sont introduits sous la moustiquaire y font z-z-z-z-z…

C’est le matin. Les persiennes sont encore fermées,

mais le rideau qui pend de travers devant la porte

ouverte sur la terrasse est étroit, et dans la pièce il fait

presque jour. Derrière une cloison aux planches mal

jointes, il vient un bruit d’eau cascadante, des voix, un

sifflement, des rires. André, une serviette-éponge sur

l’épaule, s’affaire au-dessus des valises et se réjouit

bruyamment. J’ai un sourire forcé et je dis que tout

va très bien. Mollement, j’essaie de me lever, je soulève

la moustiquaire qui sent la poussière. Je prends un

savon, une serviette et je m’achemine vers la salle de

bains.

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Sur la terrasse si étroite que, si on ouvrait les bras en

croix, une main sortirait au-dehors, il y a, près de la

porte de notre chambre, une table et deux chaises ban-

cales. Ceci, je me le rappelle depuis hier soir… Plu-

sieurs portes donnent sur la terrasse, tout comme hier.

La terrasse est fermée par un treillis de bois, vert : à tra-

vers le treillis l’on voit la rue, les gens passent tout près,

mais eux ne peuvent pas nous voir.

Je rencontre le patron. De jour, c’est un homme

replet, agréable d’aspect, le teint clair, les traits petits,

les mains grassouillettes, les épaules pleines. Nulle-

ment gêné de ce que je sois peu vêtue, le patron com-

mence avec moi une conversation mondaine. Il est

nu-pieds, il porte une chemise blanche déboutonnée,

une fleur orne son oreille. Je le regarde de tous mes

yeux et même, d’étonnement, je m’anime : qu’est-ce !

Un homme, une femme ?… Mais, après tout, peu m’im -

porte.

La salle de bains, ou plutôt le bain tout court, est une

grande pièce aux murs délabrés. Un sol de pierre grise,

des marches qui descendent dans un grand trou, au-

dessus de ce trou, une douche. Devant la fenêtre est

tiré un rideau aussi sinistre que celui de la chambre.

C’est ainsi que je m’imagine une caverne de brigands.

Je marche avec méfiance, pieds nus sur le sol tiède, je

descends dans une mare d’eau savonneuse. Tout me

dégoûte, même l’eau propre qui tombe de la douche.

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Après la douche froide, le corps brûle encore bien plus

qu’avant.

Sur la terrasse, grande agitation. Deux jeunes indi-

gènes, la tête la première, exécutent les ordres d’une

énorme vieille qui les houspille, souffle et halète : on

est en train de préparer notre petit déjeuner et de faire

la chambre. Sur la table il y a du pain, du beurre et des

fruits comme je n’en ai jamais vu. André boit le mau-

vais café, rayonne et croit à un avenir radieux. Je m’ins-

talle doucement à côté de lui et je pense aux trois can-

crelats, noirs, gros et gras, qui sont sortis de sous le

linge, dans la valise ouverte.

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