Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre...

36
Belgïe-Belgique P.P. bureau de dépôt Liège X 9/2170 Jacques André , photo © Yoann Van Parys, Trimestriel d’actualité d’art contemporain: sept, oct, nov. 2015 • N°68• 3

Transcript of Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre...

Page 1: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Belgïe-BelgiqueP.P.

bureau de dépôtLiège X9/2170

Jacques André , photo © Yoann Van Parys,

T r i m e s t r i e l d ’ a c t u a l i t é d ’ a r t c o n t e m p o r a i n : s e p t , o c t , n o v . 2 0 1 5 • N ° 6 8 • 3 €

Page 2: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

E d i t oUne révolution dans le monde de la presse.Delacroix en solde à trois euros! Tout arrive… Laphoto de couverture est une image extraite de l’expode Jacques André aux Établissements d’en face àBruxelles. Un texte rédigé par Yoann Van Parysnous décrit la démarche de Jacques André. Dans lemonde des réappropriations, Jacques André s’estimposé. Si Buren s’est réapproprié les bandes, Zoriol’étoile, Jacques André, lui, se réapproprie le BleuOnem. Le bleu qui tapisse recto verso la carte deschômeurs en Belgique. Il fallait le faire. JacquesAndré l’a fait ! Ce numéro de rentrée sera princi-palement consacré à l’événement qui a marqué cetété : la 56e Biennale de Venise. Trois anglesd’approches différentes vous permettront de fairevotre avis personnel. Isabelle Lemaître, ColetteDubois et Louis Annecourt interviennent en nouslivrant chacun leurs points de vue. Louis Annecourt,nouveau venu dans le staff, bouscule les conven-tions dans le jeu de la critique en introduisant desnouveaux codes de lectures situés hors champ. Dans cette Biennale, que j’ai parcouru les jours deprévernissage, je retiendrai surtout une prédomi-nance de plus en plus prononcée des forces dumarché.  Rien de neuf sous le soleil à la différencequ’aujourd’hui les ficelles sont bien visibles. Jeprends pour exemple le début de l’Arsenal orchestrépar Okwi Enwezor qui, cette année, me faisaitpenser à un défilé de Haute Couture bon chic bonchoc. Un Show room de luxe parfaitement huilé,bien rythmé, doublé d’une scénographie légèrementprovoc comme on aime les retrouver dans lesdéfilés. Je pense aux tronçonneuses de Monica Bon-vicini ou aux bouquets de sabres d’Abdessemed.L’artiste franco-marocain, protégé de Pinault, était,pour la bonne cause, associé à Bruce Nauman. Éton-nant de retrouver dès la fin de la première sectiondes Corderies, le canon automoteur de Pino Pascali,qui n’est plus automoteur puisqu’il se retrouve éditéen bronze à plusieurs exemplaires par un groupe decollectionneurs. Pourquoi en bronze et avec quelobjectif? On se demande ce que pourrait en penserPino Pascali, décédé en 1968, qui entrevoyait sansdoute avec son canon baptisé « Bella ciao », une

autre destinée que celle-là... Avec Enwezor, commechez beaucoup d’artistes, l’heure est au réchauffe-ment climatique tous azimuts: Marx, Fabio Mauri,Pasolini, ... Je retiendrai de cette Biennale que de plus en plusl’art contemporain se fragilise et a constammentbesoin d’être réalimenté par le vivant. Je partagel’avis de Kendell Geers qui souligne dans son entre-tien avec Yannick Franck, que certaines œuvresd’art sont mortes et ne fonctionnent plus. De plus enplus, le réallumage de certaines pièces se fait à tra-vers le son. La lecture qui accompagne générale-ment l’œuvre et qui est récitée la plupart du tempspar un comédien, fonctionne métaphoriquementcomme un interrupteur qui allumerait une pièceoccultée. Un phénomène tellement récurrent dans lemonde de l’art, qu’il pourrait être perçu comme unenouvelle forme de maniérisme. Il n’existe plusd’expos d’art contemporain digne de ce nom sans àla clef une petite lecture qui fonctionne comme unebéquille. Comme si les œuvres, à elles seules,n’arrivaient plus à s’activer par elles-mêmes.Ce phénomène de hors champs sonore, je l’ai pra-tiqué en visitant l’expo de Jimmie Durham à la Fon-dation Querrini Stampalia. Au troisième étage,comme dans un jeu de pistes, il fallait retrouver lesœuvres de l’artiste dispersées un peu partout dansles salles. La surprise de ce jeu de piste improvisé sesitua en fin de parcours à travers la captation d’unson envoûtant provenant d’une petite constructionvotive, constituée de matériaux divers. Une doucemélopée hypnotique, que je rattachais indistincte-ment à un vieux chant rituel cherokee. Le gardien defaction me sortit de ma rêverie et me ramena à laréalité en m’expliquant que cette musique n’étaitrien d’autre en fait que le bruit répétitif d’un vieuxventilateur de réfrigération du musée. C’est proba-blement dans la marge et le hors-champ que levivant se manifeste dans toute sa vérité intérieure.Alain Geronnez, nous le rappelle lui aussi avec élé-gance dans la scénographie de sa page au cœur dece numéro. Toutes mes pensées vont vers lui en cemoment.

S o m m a i r e2 Édito.

4 Expo Marseille, “Futur de la Ville aux étoiles”

par Michel Voiturier

5 EMons 2015, Atopolis, un recensement de

l’expo par Michel Voiturier

6 Quel avenir pour 2050 au MRBA, interviex de

Pierre-Yves Desaive par Marine Bernard

Design à Liège, Reciprocity, Sylvie Bacquelaine

7 Mons 2015, La Chine Ardente, recensement de

l’exop par Michel Voiturier.

8 L’image non voulue” Henri Cartier Bresson au

musée Juif, par Raya Baudinet.

9 Expo Michel Leiris au Centre Pompidou Metz un

texte de Judith Kazmierczak.

Expo chez De Markten. Ancré dans la Chine, un

texte de sylvie Bacquelaine.

10 Les modestes proposition d’Yto Barrada, par

Catherine Angeli.

Expo d’Alexandre Christiaens à Namur.

11 A qui parle la performance artistique, un texte

de Maud Hagelstein.

12 Expo du CAP à la Chataigneraie, interview de

Jacques Lennep par Annabelle Dupret Le collectif

Aperto à la galerie Flux par Lino Polegato.

13 Réouverture du BPS22, interview de Pierre Oli-

vier Rollin par Catherine Callico. Expérience autour

de Gustave Doré par Annabelle Dupret

14/15 Double page sur la 56e Biennale de Venise

par Isabelle Lemaître.

16 Biennale Venise, images et sons, un texte de

18/19 Double page, photo de Michael Dans.

18/19 La double page d’Alain GeronneZ sur

Marc van Tichel.

20 Mons 2015, Le Grand Large, expo sur les dra-

peaux d’artistes. Interview de Bruno Robbe.

21 Le MADRE à Naples fête ses dix ans, par

Catherine Callico.

Interview de Nicolas Bourriaud rencontré à la

Biennale de Venise, par Lino Polegato.

22 Une expo de Jeremy Deller à Madrid, par Fran-

cesco Giaveri.

23 Invisible beauty au Pavillon iracquien à Venise, un

texte de Luk Lambrecht.

Marcel Berlanger à l’Ikob par Céline Eloy.

26/27 Deux boules de Stracciatella, un recensement

légèrement “hors champ” de la 56eBiennale de

Venise par Louis Annecourt.

28 le Bleu Onem revisité par Jacques André aux

aux Établissements d’en face à Bruxelles. Un texte

de Yoann Van Parys.

30/31 Un recensement de la Triennale de

Bruges par Luk Lambrecht.

31 Une interview de Kendell Geers réalisée par

Yannick Franck

32 Les salles d’expos Berlinoises sous la loupe de

Marion Tampon Lajariette.

34 Un temps sans Age, la chronique N°11 d’Aldo

Guillaume Turin. Sur Antonioni, Patrick Modiano

et la galerie 100 Titres à Bruxelles.

35 Agenda

Page 3: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 3

MARCEL BERLANGER

CATALYST vient du mot catalyseur ou catalyse, un produit qui sert à favoriser une réaction chimique entre deux éléments sans laisser de trace. Contraction des mots analyse et catastrophe ou catastrophe et liste, ce mot fait depuis longtemps partie d’une liste possible de titre. C’était le nom de l’usine du père de l’artiste.

L’exposition CATALYST est le deuxième volet d’un cycle d’expositions (FIG.) qui questionne l’apparition de la figure chez cet artiste central en 4 propositions liées entre elles et en une publication commune : Emergent (Furnes, 2014), ikob (2015), Galerie Rodolphe Janssen (Bruxelles, 2016) BPS 22 (Charleroi, 2017).

ADRIEN LUCCA (artiste invité)

L’univers artistique d’Adrien Lucca produit des « objets visuels » inhérents au langage scientifique de la théorie de la couleur qui, par l’action de la perception et le pouvoir de l’imaginaire du regardeur (par leur capacité à traduire subjectivement et poétiquement le visible), se transforment en un monde de couleurs et de lumières.

« Je m’intéresse – mais pas seulement – à la question de savoir comment, à l’aide de mesures physiques et colorimétriques précises et dans un environnement contrôlé, il est possible d’implémenter un « logiciel » qui prenne effet directement sur le champ visuel d’un observateur. » (Adrien Lucca)

L’IKOB

Situé à une demie heure de Liège, l’ikob occupe un bâtiment industriel original dans la partie germanophone de la Belgique. Plateforme discursive consacrée à la scène émergente de l’art contemporain, le musée appréhende, au travers de son programme d’expositions pluridisciplinaires et thématiques, des questionnements critiques et sociopolitiques et déploie une réflexion fondamentale sur la question des frontières.

Horaires d’ouverture : Mer. – Dim. 13.00 – 18.00

Grâce au soutien de l’Euregio Meuse-Rhin,l’ikob est membre du réseauwww.verycontemporary.org

Museum für Zeitgenössische KunstRotenberg 12 B, 4700 Eupen, Belgien.

ikob

27.09.2015 – 13.12.2015

Marcel BerlangerCATALYST

Mar

cel B

erla

nger

, B

lack

She

ep, ét

ude,

20

15

Adr

ien

Luc

ca, A

lbum

sou

rce

Alp

ha, (e

.), 2

01

5

Page 4: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 4

MaRseiLLe

Rassembler des œuvres qui permet-tent de regarder, avec le recul dutemps, comment les générationsd’artistes qui nous ont précédés ontenvisagé les transformations del’avenir, tel est l’objectif de cetteexpo qui compte pas mal de nomsmoins souvent montrés.

Des réalisations emblématiques ontposé des jalons historiques : la tour Eif-fel de Paris pour la suprématie del’acier, l’Atomium de Bruxelles pour ladictature de la chimie. Des filmscélèbres ont marqué des publics divers.Exemples parmi les plus frappants : le« Métropolis » de Fritz Lang et les« Temps modernes » de Charlie Chap-lin. En arts plastiques, le démarrage estlancé avec les Futuristes dès 1909 et sepoursuivra avec le constructivisme desannées 30.

Cités avec ou sans citoyens

Un portrait de Marinetti par EnricoPrampolini donne le ton. La figure, enquelque sorte synthétisée, du leaderfuturiste y apparaît avec un visage quirappelle celui des robots de la science-fiction. Irradié par des jaunes éclatants,serti dans un panorama de blocs debéton et d’échafaudages métalliques, ilarbore un air de prophète infaillible.Mais à part ce personnage, cette sélec-tion fait part belle à l’urbanisation etportion congrue à ceux qui en occupentles territoires. Ainsi, exception, cespassants qui parcourent les avenuessous le pinceau de Cursiter ont desparapluies réduits à des formes inci-sives plutôt cubistes, rappel bien plusévident de la comédie musicale que dela vie de quartier.

L’évolution est d’abord technologiqueainsi que le marque un dessin de Gia-como Bella tendant à traduire la vitesseavec laquelle une automobile s’élancedans l’espace pour voler du temps autemps. Et les villes escaladent le cielcomme le montre une maquette deMalevitch et un crayonné d’AntonioSant’Ella, villes aidées par ces arma-tures aussi vertigineuses que styliséesqu’affectionne Fernand Léger.

Les localités sont en train de devenir unenchevêtrement architectural, poussé àson paroxysme dans une litho de PaulCitroen. Henri Sauvage les conçoitpleines de mastodontes. Elless’éclairent de lumières mouvantes quifont un tohubohu visuel orchestré parJoseph Stella. Elles sont, parfois,l’image un peu déformée desagglomérations de naguère commechez Carl Grossberg, ou bien les voici

menacées de crash aérien dans uneluminosité onirique sous le pinceau deRadziwill, tandis que, par exemple, unBernard Boutet de Monvel se laissefasciner par New-York bien différem-ment de l’ironie d’un Pol Bury et desdéformations du Kupka « Grün undBlau ».

Avec son « Île des charmes », Saviniobâtit un ensemble issu d’une géométriemystérieuse, vaguement apparentée àChirico, édifices chaotiques marquésde signes ésotériques sous lesquels,peut-être, se dissimulent d’éventuelshabitants victimes d’un charmevénéneux lié à une trop rapide évolu-tion. César Domela avec des pho-tomontages prolonge cette atmosphèrepar un envahissement d’engins suscep-tibles d’être aussi bien métalliques quegonflables, reliés par des tuyauteries àusage inconnu et mus par une énergievenue d’ailleurs. Une énergie queKupka concrétise sous forme de bielleset de pistons en mouvement.

Des œuvres plus récentes, ainsi cette« Cité intégrée » d’Erró, mettentdavantage l’accent sur l’entassement,remplaçant l’optimisme des débuts dela foi en l’innovation par une visionplus critique. C’est également le casavec une huile où Georgia O’Keeffebarre l’horizon de deux tours funèbres.Voire encore un collage de Yona Fried-man dans lequel l’idée même de natureau sein de la ville semble avoir disparualors que « Le Théâtre de la vie » deVieira da Silva campe un décord’encombrement agressif et qu’un pho-tomontage de Peter Cook s’efforced’allier un paysage traditionnel sereinavec la menace d’un dirigeable funeste.Quant à la mégalopole imaginée parAlain Bublex, elle ressemble à un jeude lego, joyeusement colorée maisdéshumanisée. Philippe Cognée yajoute la notion d’une sorte d’efface-ment, de formes rongées par uneespèce de moisissure temporelle.

Ivan Navarro conclut à sa façon ennous envoyant en pleine rétine un jeud’optique qui ressuscite jusqu’au tour-nis les tours jumelles abattues par leterrorisme en septembre 2001, finemblématique d’une croyance aveugleen l’expansion libérale en tant quevérité universelle, comme le naufragedu Titanic ayant marqué l’épilogue dela foi inébranlable dans le sauvetage del’humanité par la technologie indus-trielle. Désillusions que Berdaguer &Péjus entérinent en suggérant le vieil-lissement de projets considérés aupara-vant comme d’avant-garde.

Polémologie et univers expansés

La paix est d’ordre utopique. La réalitéhistorique est autant jalonnée par desanglants conflits que toute la littéra-ture ou la filmographie de la S.F. Celle-ci est d’ailleurs assez présente dansl’iconographie artistique.

Animal belliqueux quasi par essence,l’homme, dès qu’il éprouve le besoinde posséder, est prêt à presque toutpour s’approprier ce qu’il désire.C’est sans doute ce à quoi faitallusion Vincente de Rego Mon-teiro à travers une scène de chasseoù s’affrontent indigènesd’Amérique du Sud et robotsinternationaux. Déjà, dans unesalle précédente de la VieilleCharité, Konrad Klapheck avaitinscrit la violence à travers uneimplacable broyeuse métalliquecondensant « Le monde du mâle »(ou du mal?).

Sans doute est-ce Di Rosa qui exprimele plus brutalement son point de vuesur le fait qu’une civilisation naît de laguerre. Il peint, dans la lignée d’unPeter Saul, un épisode rutilant et toni-truant d’affrontement entre enginsd’acier dont les conducteurs sont desfaciès grignants. Sa toile est suivie parun détournement cher aux situation-nistes : une vignette de bande dessinéede prise d’otage spatiale agrémentéed’un discours idéologiquement marqué.S’y ajoute la dérision de photos deDulce Pinzon accoutrant des immigrésde costumes de super-héros de lamythologie des USA.

Il convient de s’attarder sur lamétaphore complexe développée parWolf Vostell : un gros aéroporteurlargue des bombes sur un objectif ter-restre. Mais puisque, par analogie, lesengins de mort sont des… tubes derouge à lèvres, l’évocation d’un combatn’est plus seulement militaire, elledevient économique, écologique. ChezMatta, elle est carrément liée à l’his-toire puisqu’il s’en prend au conflit

interne sanglant de la prise du pouvoirpar Franco en Espagne. Yves Kleinétonne avec une ‘rocket pneumatique’qui anticipe à sa façon certains travauxde Panamarenko dont une pièce setrouve par ailleurs dans l’expo.

Une petite sculpture en cuivre deRudolf Belling a des allures d’androïdeautant que de vaisseau spatial. Ellepourrait accueillir le « Scaphandrier

des nuages » de Prampolini, créaturecosmique voguant dans les colorisbleus, plus poétique que scientifique.Ou bien la créature hybride, imaginéepar Victor Brauner, mélange de chair etd’acier, d’une veine très chiricienne.

Plus figuratif et opportuniste, Raysses’empare d’une photo d’astronaute éta-sunien pour en faire un portraitlumineux. Son compère Rancillac luiadjoint une « Fiancée de l’espace »issue en apesanteur d’une B.D. poly-chrome. George Condo pimente cetimprobable couple par une délirante« Paranoiac jealousy », alors que PaulVan Hoeydonck expose la statuette enalu d’un cosmonaute stylisé àl’extrême, unique œuvre d’art à avoirété déposée sur la lune. Errò synthétiseavec une pointe d’acidité un pro-gramme spatial, confrontant leshangars géométriques des fusées avecun nu féminin très classique dont lafonction évangélisatrice est résuméepar un crucifix associé à une tête demort de vanité traditionnelle.

Pour imaginer l’espace intergalactiqueou des panoramas de planètes loin-taines, il y a, bien sûr, des perforationsde Fontana qui imposent à la toiled’aller au-delà de ses deux dimensions ;Calder et ses mobiles suspendus ainsique Rodtchenko et sa construction ensuspension ; Oscar Dominguez et sesenroulements de mystérieux volutes.Voire le cauchemardesque « Piège àsoleil » de Masson ou les emboite-

ments de carrés monochromegrâce à quoi Josef Albers recréeune perspective quasi à l’infini.

Il est possible aussi de laisser sonregard parcourir les alvéolessuperposés, imbriqués que Ernstqualifie de « Monde des naïfs ».De rêver devant l’« Amasstellaire » de Monory. De suivreles traces planétaires inscrites parWilliam Kentrigde. Ou de revenirvers l’orange bleue de notreplanète peinte par Alain Jacquet.

Et, puisque rien, jamais, n’est définitif,il reste à chacun de tenter de suivrel’assemblage complexe de RichardBaquié, « Recherche de la certitude ».À douter de soi en regardant son proprereflet devenir tour à tour replet ou mai-grelet dans le miroir ballon gonflablede Bruno Peinado. Peut-être aussi des’imaginer en train de mettre à feu larigolote et dérisoire fusée à plante,juchée sur patins à roulettes parl’ironique Carsten Höller.

Michel Voiturier

« Futurs, de la ville aux étoiles »jusqu’au 27 septembre 2015 au Centrede la Vieille Charité, 2 rue de la Char-ité à Marseille. Infos : 00 33 491 15 5880 ou http://futurs.marseille.fr.

Giacomo Balla, « Dynamisme d’une automo-bile » © Galerie Natalie Seroussi

Wolf Vostell, « B-52 », © Gérard Bonnet, coll. MAC Marseille – Adagp, Paris 2015

Les futurs antérieurs du siècle passé

La Fondation Vasarely est en pleine rénovation. Les monu-mentales œuvres de Vasarely et le bâtiment ont souffert dutemps. Une expo temporaire y rend hommage à d’autresartistes préoccupés par les effets de lumière et de couleursà travers la collection de Lelia Mordoch et José Mijan.

Les œuvres gigantesques de Victor Vasarely intégrées àl’architecture restent impressionnantes, même si certaines ontété altérées par le temps qui passe autant que par les tempsqu’il a fait. On les revoit toujours avec ravissement parcequ’elles jouent avec notre rétine et ne cessent de se comporteren trompe l’œil.

Cet art de rigueur, puisque né de recherches rigoureuses surformes et couleurs, mais aussi de duperie, puisque ce qu’ilnous offre est de l’ordre de l’illusion d’optique, présente unaspect virtuosité. Il est parfois considéré davantage commedécoratif que créatif. C’est oublier que les sciences exactes sontsusceptibles de transmettre des émotions, des sensations.

Elles contiennent une sorte de beauté absolue. Elles suscitentdu vertige, des impressions d’apesanteur, une attirance quasicosmique qui suggère l’infini. Elles transmettent un plaisirludique dans la mesure où leur conception s’apparente au jeu.

« L’œil phénomène »

En annexe, une expo temporaire rappelle l’existence du GRAVou Groupe de Recherche d’Art Visuel qui fonctionna entre1960 et 68. Elle reprend ses membres fondateurs : Julio LeParc (1928) , François Morellet (1926) , Horacio Garcia Rossi(1926-2012), Francisco Sobrino (1932-2014), Joël Stein (1926-2012) , Yvaral (1934-2002) le fils de Vasarely et un nouveauvenu, lointain héritier du groupe, Michel Paysant (1955) autantchercheur scientifique que plasticien.

Ce dernier propose un travail qui, par le biais de nanotechnolo-gie, se compose d’une lithographie électronique, « Nano OpArt », sur plaque silicium, dont les motifs sont imperceptibles à

Pour se faire décoincer l’œil

Photo : Julio Le Parc, « Instabilité » © Atelier Le Parc

Page 5: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

MONS 2015

Comme une utopie, atopolis, la ville denulle part, insérée entre passé improb-able et futur indéfini, rassemble desœuvres exprimant des concepts. C’estaussi un forum assez intéressantd’artistes parmi les plus contempo-rains dans un éventail varié qui mon-tre combien la diversité des images vadu réalisme à l’intellectualisme.

Deux bâtiments rénovés intelligemmentau sein d’un jardin accueillent cette expocoproduite avec le Wiels de Bruxelles. Ilssont le fruit d’un travail architectural surl’ancien manège de Sury – autrefoiscaserne des gardes de la Protection civile,théâtre et archives du Palais de Justice -ainsi que sur l’ancien refuge de l’Abbayede l’Olive – naguère école-couvent avecchapelle et classes. Un catalogue attrayant, bilingue français-anglais, tente de multiples approches duprésent et des analyses d’éléments dupassé à travers des contributions sousforme de réflexion et de fictions, signéesEdouard Glissant, Noam Chomsky, JanBaetens, Raoul Vaneigem, Paul Lafar-gue… Il est touffu au point de donnerparfois trop d’informations simultanéesmais prolonge l’éphémère de l’expositionen vue de spéculer sur de nouvellesfaçons de penser et de voir. La volonté des commissaires CharlotteFriling et Dirk Snauwaert était dedévelopper une interrogation sur lesmélanges culturels. Et, par conséquent dese pencher à la fois sur les migrations quise sont succédé au siècle dernier dans nosrégions industrielles et sur celles qui sevivent au quotidien de notre actualitéeuropéenne.

Le langage

Pour Jef Geys (1934), l’écriture est unmoyen direct de poser les bonnes ques-tions ; il les pose à propos de l’égalitéfemmes/hommes, en les imprimant surde la toile cirée ou autre support. D’unecertaine façon, il fige la langue dans destravaux artistiques afin que ceux qui lalisent s’interrogent sur le fait que ce quiest dit de revendicatif est souvent resté,comme on dit familièrement, lettre morte.

Vincent Meessen (1971) invente despochoirs de plexiglas formant des motsdont le sens est lié à la fois au vocabu-laire, français ou étranger. Car, comme lesouligne Edouard Glissant dans le cata-logue, la confrontation des parlers engen-dre des rapports nouveaux entre les voca-bles et donc aussi entre les humains. Cemélange positif, Meschac Gaba (1961) leprend en compte à sa manière. Son ballongonflable est constitué par des bandesd’étoffes empruntées aux drapeauxnationaux des différents pays de la terre,condensés en un magma antinationaliste.

Les codes de la bande dessinée prennentun contenu inattendu avec les œuvres deWalead Beshty (1976). Des cases, isoléesde leur contexte, montrent des person-nages en situation de violence. Ellesapparaissaient dans des ouverturesexigües, miniatures soudain devenuesimages focalisées, accentuant par leurscouleurs criardes le contraste avec lanudité blanche d’un passe-partout de car-ton blanc épais, sorte de dichotomie entreparole volubile et silence. Ce mêmeartiste plante dans des locaux un assem-blage de pièces mécaniques de machinesen quelque sorte désossées, comme si,hors de leurs utilisations, elles devenaient

parfaitement inutiles, exemplairementsculptures. Le langage de la photo est remis en causepar Benoit Platéus (1972). Reprenant desimages publicitaires, il les rephotographiesous la lumière solaire qui, se reflétantdans l’encre des affiches, donne desimpressions de brûlure du sujet. D’unecertaine façon, elles émigrent vers unenouvelle forme de réalisme transposé.

L’usage

Nevin Aladağ (1972) part d’élémentsconcrets de la vie ordinaire afin de lestransposer vers un usage qui n’estgénéralement pas le leur. Sa paroi ornéed’objets reproduits en céramiques col-orées, répartis comme s’ils appartenaientà quelque galaxie, tout en ressemblant àun mur d’escalade, paraît en effet unecartographie imaginaire du quotidien. Ilen va de même en ce qui concerne lesinstruments de musique considérés entant que mobilier. Leur usage en devientà la fois familier, utilitaire, artistique.

Diego Tonus (1984) aligne une impres-sionnante collection de marteaux de céré-monie c’est-à-dire qu’ils ne sont pas desoutils d’artisan mais bien des symbolesde l’autorité de qui les manipule: au tri-bunal, lors d’une vente aux enchères, lorsd’une assemblée de parlementaires oud’actionnaires. Bref, de ces maillets cen-sés représenter une autorité, un règle-ment, une loi… et donc des valeurs àrespecter.

L’espace de 300 m² colonisé par ThomasHirschhorn (1957), dans le même espritde bricoleur profus que celui qu’il conçutl’an passé à la Fondation van Goghd’Arles (FN 67 p. 36), est livré au publicafin qu’il se l’approprie, en use selon sesenvies, réagisse, interagisse en ajoutantses commentaires, en consultant des sitesinternet, en sculptant de la frigolite… Ils’agit pour le visiteur de se laisser aller enimmersion ou en submersion à traversmots et images.

La globalisation

L’installation de Francis Alÿs (1959)mêle les genres, les supports, les inten-tions. Elle part d’une performance réal-isée avec des enfants qui, porteurs d’unechaussure réinventée en embarcation,marchent dans la mer en direction d’unepart vers le Maroc et d’autre part versl’Espagne. Elle aboutit à une réflexion àpropos des migrants, de la communica-tion entre continents, de la nécessité des

échanges culturels et ethniques. Ce bras-sage de peintures, sculptures, vidéos,assemblages… décline la notion de pontentre continents et la variété des procédésplaide pour un métissage des pratiquesartistiques autant que des manières devivre.

David Medalla (1942) invite le public àcompléter son œuvre car il est questionde sociabilité, de réalisation collective. Ilachèvera lui-même, lors d’une perfor-mance, une peinture représentant lespoètes Whitman et Rimbaud. Danai Ane-siadou (1976) s’empare de fragmentsdestinés à figurer dans des décors defilms. Ces choses, d’apparence réaliste,sont assemblées et donnent une sorte detranscription parodique de l’antiquepuisqu’elles sont stéréotypées.

Le recyclage

C’est à une cartographie très personnelleque convie El Anatsui (1944). Il assem-ble des matériaux métalliques récupéréspour en faire des tapisseries monumen-tales. Elles témoignent d’une esthétiquedu recyclage autant que d’une manière decritiquer un système de consommationqui n’est pas nécessairement bénéfiquepour les pays émergents. Elles sontimpressionnantes par leur taille, par lavariété des fragments assemblés.

Yto Barrada (1971) atteste de recherchesà connotations écologiques. À travers sesphotos, elle s’attache à montrer desexpériences hasardées dans le domainedu jardinage. Des lambeaux de pneus ser-vent à Huma Bhabha (1962). Leurassemblage, au sol, évoque quelquesaurien ou autres reptiles. Elle décryptede la sorte une perception complexe dedangers dus aux industries automobile etchimique. Son totem mystérieux ramèneà des civilisations antérieures où des rit-uels laissaient croire à une réaction divinealéatoire n’induisant pas d’office uneaction humaine culpabilisante. Abraham Cruzvillegas (1968) a conçuune tricyclette bardée de rétroviseurs etqui transmet des airs entendus durant sonenfance par cet artiste siffleur à sesheures. C’est du bricolage de récupéra-tion susceptible de promener son origi-nalité sur les voies urbaines. Un point deconvergence entre passé et futur.

L’intégration

Vlassis Caniaris (1928-2011) construit unensemble d’apparence hétéroclite. Leschoses sont rassemblées néanmoins avecune cohérence qui dépasse le simple bric-

à-brac ou la brocante sauvage. Objetsjournaliers, ustensiles, vêtements, jou-ets… décrivent un flux, celui desmigrants en partance vers d’autres lieuxdans lesquels ils devront adapter leurscomportements.En suivant de près une famille ordinairedu Borinage, Vincen Beeckman (1973)aligne des portraits qui révèlent unemanière de vivre. Sans jugement devaleur, il met en relief des façons d’êtredans le vêtement, la nourriture, les loisirs.Reste à un sociologue d’en tirer des con-clusions car chaque cliché est riched’enseignement sur nos comportements,sur les discriminations sociales.Adrian Melis (1985) a aligné des boîtesen bois. Elles contiennent une feuille depapier sur laquelle des ouvriers d’usineont consigné les rêves qu’ils faisaientlorsqu’ils s’endormaient au travail.L’ensemble impressionne par la finitiondu travail. Il sollicite une réaction men-tale qui relierait l’ouvrage artisanal, laproduction à la chaîne, les contraintes desactes à accomplir, le désir d’échapper àl’automatisation du labeur.

Le monumental acrylique de Jack Whit-ten (1939) constitue une sorte de syn-thèse. À partir de boules contenant de lapeinture et jetées de manière aléatoire surla toile, il a composé un ensemble quiressemble aussi bien à un archipel auxinnombrables îles, à une constellation, àune carte consacrée qu’à une mégalopolevers laquelle se dirigent des flux.Sans doute convient-il de laisser la con-clusion à Lawrence Weiner (1942) quiappose sur la façade du lieu, cet apho-risme condensant en quelques motsl’esprit de cette expo : « Nous sommesdes bateaux sur la mer, pas des canardssur une mare ».

Michel Voiturier

« Atopolis » au Manège de Sury, Rue desDroits de l’Homme, 1 (entrée principale:rue Damoiseaux) à Mons jusqu’au 18octobre. Infos : +32(0)65395939

Catalogue : Jan Baetens, Sébastien Biset,Yves Citton, Charlotte Friling, RaphaëlPirenne, Dirk Snauwaert, Yoann VanParys, , « Atopolis », Bruxelles,(SIC)/Wiels, 2015, 256 p.

atopolis, imaginaire cité des possibles métissages

L’es

pace

de

300

m² c

olon

isé

par T

. Hir

schh

orn,

© M

VFN

l’œil nu et ne se découvrent quegrâce à un microscope perfectionnésusceptible de rendre visible ce quiest de l’ordre inférieur au diamètred’un cheveu. C’est-à-dire, dans cecas, mettre en confrontation la per-ception de ce qui est montré et cellede ce qui est dissimulé.

Tous unissent fréquemment scienceset plasticité, un peu commel’Ouvroir de Littérature potentielle(OULIPO) pour l’écriture. Les créa-teurs du groupe originel se sontpenchés sur les rapports entre mou-vement et lumière, ont joué avecl’instabilité de celle-ci ainsi que surles reflets, la transparence et latranslucidité. Il y a là une volonté demarier les phénomènes naturels de laluminosité et les possibilités de s’enservir dans des recherches formellesméthodiques.

Ils partent de formes géométriquessimples afin de les développer ou deles multiplier, souvent en fonction decalculs mathématiques aléatoires, parexemple chez Morellet. Ils incitentquelquefois le visiteur d’expos à intervenir sur les œuvrespar des manipulations souhaitées.

S’il y a quelques toiles acryliques,une bonne partie des œuvres relèveplutôt de la sculpture. Cela au moyende mobiles, de boîtes ou grâce à desinstallations. Acier, plexiglas, fils devinyle, tubes au néon… sont leursmatériaux fréquents. Ils sont juxta-posés, emboîtés, permutés…, par-fois flanqués d’un moteur qui ajoutele mouvement. Et, en ce cas-là,comme en musique ou en vidéo, lescompositions s’étendent à la dimen-sion temporelle, elle-même peut-êtreliée à l’infini car soumise à la répéti-tion. Elles interrogent nos yeux quine parviennent pas toujours à croirece qu’ils voient ; elles interpellent carelles semblent posséder leur propretemporalité au-delà de nos repères.

Michel Voiturier

Fondation Vasarely, Jas de Bouffanà Aix en Provence, visible toutel’année. Exposition temporaire : «L’œil phénomène » jusqu’au 31décembre 2015. Infos : +33 (0) 442200 109 ou www.fondationva-sarely.org Improvisation de David Medalla le jour

du vernissage... interview sur you tubefluxlino

Page 5

Page 6: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 6

L’exposition 2050. Une brève histoirede l’avenir s’est inaugurée le 11 sep-tembre 2015, date symbolique pourl’ensemble du monde, aux MuséesRoyaux des Beaux-arts de Bruxellessous le commissariat de Pierre-YvesDesaive et Jennifer Beauloye. Ceprojet, qui trouve son pendant auMusée du Louvre à Paris, apparaîtcomme le parfait mariage entrel’ouvrage de l’économiste Jacquesattali, Une brève histoire de l’avenir(2006) et les œuvres d’artistes inter-nationaux qui, dans le passé ou pourl’occasion, nous livrent leur visiondu monde. a travers huit théma-tiques inspirées de l’ouvraged’attali, cette exposition nousprouve que l’art peut être perçucomme le révélateur d’un passé etd’un présent mais aussi commel’annonciateur de changements.L’historien et critique d’art Pierre-Yves Desaive a accepté de nous enrévéler les rouages.

Flux News : Depuis la fermeturetemporaire des Musées d’artmoderne et contemporain, il y a eule Musée Magritte en 2009 et leMusée Fin-de-siècle en 2013. Cetteexposition constitue-t-elle une nou-velle étape vers le redéploiement descollections d’art contemporain ausein des Musées royaux des Beaux-arts ? P-Y. D. : En effet, notre première mis-sion est d’appuyer l’importance dumusée dans notre société actuelle.Même s’il présente des collections duXV au XXIe siècles, les Muséesroyaux des Beaux-Arts ont un rôle à

jouer dans la compréhen-sion de l’art contemporain.D’ailleurs, les œuvres choi-sies pour l’exposition sesituent dans une immédia-teté visuelle, c’est-à-direqu’elles font écho àl’ouvrage d’Attali maiselles existent égalementpour elles-mêmes. Nous nevoulions pas les instrumen-taliser pour illustrer lespropos défendus par l’éco-nomiste mais plutôt que lepublic fasse lui-même la connexionentre les deux, de façon didactique.

F.N. : Pourriez-vous nous dire unmot sur l’œuvre de Mark Titchner,Let the Future Tell the Truth, Ano-ther World is Possible réalisée en2015.P-Y. D. : Titchner est artiste qui allieles techniques de marketing et les sys-tèmes de croyances de la sociétéactuelle. La citation écrite sur un largerectangle de motifs victoriens (XIXe

siècle) aux couleurs criardes associeune phrase de l’inventeur NikolaTesla, « Let the Future Tell theTruth », et un slogan de la conférenceannuelle du World Social Forum,« Another World is Possible ». Cetteœuvre est pertinente car elle rencontrele propos d’Attali dans la mesure oùelle fait référence au futur et au passé.L’artiste a récupéré une phrase dupassé pour anticiper l’avenir.

F.N. : Que désiriez-vous susciterauprès du public avec une telle expo-sition ?

P-Y. D. : La première chose est qu’ildécouvre la diversité des médias (pho-tographie, peinture, installation,…)propres à l’art contemporain, mis enexergue de façon non chronologique.Avec cette exposition, nous aimerionsréunir deux publics, celui qui suit deprès l’art contemporain mais aussicelui qui ne le connaît pas. En lesconvoquant, nous souhaiterions susci-ter des réactions sur l’élitisme quientoure l’art contemporain actuelle-ment. La deuxième chose est que cespublics puissent remettre en questionproblématiques de société évoquées àtravers les œuvres. L’installation quiouvre l’exposition est d’ailleurs unbonne exemple de cette volonté. Nousavons associé la Vénus de Galgenberg(36 000 av.J.-C.), Fragile Goddess(2002) de Louise Bourgeois et Toute lamémoire du monde (2006) de NinaFischer et Maroan el Sani pour souli-gner l’importance du patrimoine, de lamémoire dans nos sociétés. Il fautdevenir responsable de ce que nousvoyons et de ce que l’on va faire decette prise de conscience.

F.N. : Comment entrevoir un soup-çon d’utopie au sein de ce marasmeambiant ?P-Y. D. : Je pense que c’est à chacunde nous d’y répondre. Pour ma part,j’ai tenté d’intégrer dans cette exposi-tion des œuvres qui défendent une pos-sible utopie, un possible changement.Par exemple, Little Sun (2012) del’artiste Olafur Eliassona est un projetqui a permis à l’Afrique subsahariennede bénéficier de l’énergie naturelle dusoleil par le biais de lampes solaires.Actuellement, il existe encore de nom-breux pays dans lesquels l’énergieélectrique n’est ni accessible, ni fiable,

ni renouvelable et coûte beaucoup tropcher. Loin de faire de la charité, ils’agit plutôt de lancer un nouveaumodèle économique rentable, tournévers l’altruisme et le positif.

Marine Bernard: En regard du contexteactuel, nous pourrions conclure endisant que l’exposition 2050 constituesans aucun doute une parfaite occasionde réfléchir à la place qu’occuperal’Europe dans moins de cinquante ans.

Propos recueillis par Marine Bernard.

Durant tout le mois d’octobre 2015, laville de Liège vivra au rythme dudesign : entre expositions, projectionsde films, conférences, débats et work-shop, Reciprocity Design Liège seveut être un évènement participatifimpliquant le citoyen aussi bien entant qu’acteur que spectateur.

Existant depuis 2002 sous forme debiennale, la manifestation a pris un nou-veau nom et une nouvelle cadencedepuis 2012. Coordonnée par WallonieDesign et sous la direction artistique deGiovanna Massoni, la deuxième éditionde cette triennale maintient son cap thé-matique sur celui de 2012. Design etinnovation sociale sont les mots précischoisis cette année pour rythmer le par-cours. Notons également que pour cecru, l’architecture et le graphisme fontleur apparition dans la programmation.Si les frontières thématiques s’ouvrent,le parcours géographique se fait lui aussiplus large, incluant notamment d’autresvilles du pays ou de l’Eurégio Meuse-Rhin.

Si le design a toujours été un outil per-formant pour innover dans des domainesvariés, les organisateurs mettent icil’accent sur l’innovation sociale.

Comme l’écrit Giovanna Massoni , ledesign à impact social, la participationdes designers et citoyens à l’innovationdes services publics, l’apprentissage etl’enseignement comme berceau d’unenouvelle conscientisation éthique durôle de designer, les nouveaux modèlesde co-création, production et micro-entreprenariat, feront l’objet d’uneréflexion chorale, autour d’un évène-ment international que ses fondateursont construit comme outil de rencontre

et de travail. On est donc ici bien loinde certains clichés réduisant le design àla conception de mobilier tendance horsde prix. La vocation sociale et politiquede ce dernier est ici clairement mise enavant, sans oublier pour la cause lesgrands noms et le caractère esthétiquede la discipline. En pratique, ce n’est pasmoins d’une cinquantaine d’évènementsqui se dérouleront dans des lieux variésintra et extra-muros. Le site internet dela manifestation reprend toutes les infor-

mations nécessaires pour pré-parer ses visites. En attendant,arrêtons-nous déjà par ici ou parlà en guise d’avant-goût.

Le point de rencontre de la trien-nale n’est autre que le fablab lié-geois : le Relab. Ce dernier,matérialisé par quatre containersinstallés place Sainte-Étiennedonnera un aperçu de cette cul-ture émergente du « do it your-self » et des nouveaux modèlesde production. Espace de détenteet de dégustation de produitslocaux, le lieu servira égalementde point d’accueil pour les spec-tateurs et la presse.

Initié en 2012 dans le quartier deSaint-Gilles, le projet Welcome

To__ est représentatif des liens que peu-vent entretenir design et communautéslocales. Rassemblés autour de micro-projets, des acteurs locaux (habitants,designers, étudiants en design) unissentleurs forces afin d’impacter positive-ment leur environnement direct. Enguise d’exemple, citons les multiplesinitiatives visant à promouvoir une ali-mentation plus saine et durable, accessi-ble à tous. En dehors des interventions

in situ, un aperçu des projets réaliséssera présenté à la Cité Miroir sous formed’objets, d’images, d’histoires et deschéma.

Citons encore le projet Déconstruction– Le réemploi de matériau de construc-tion, mis en œuvre par le collectif brux-ellois Rotor, à cheval entre architectureet design. En pratique ou en théorie, cedernier questionne les notions deressources matérielles, de déchets et deréemploi. La concrétisation de cesréflexions, centrée notamment sur lechantier du Val Benoît, investit pourl’occasion l’athénée Léonie de Waha.

Vous l’aurez compris, le mois d’octobresera celui du design à Liège et il y enaura pour tous les goûts. Parmi une mul-titude d’évènements, faites donc voschoix afin de vous concocter le parcoursde vos envies.

sylvie Bacquelaine

Reciprocity Design LiègeDu 1er octobre au 1er novembre 2015www.reciprocityliege.be

En octobre, Liège conjugue design et social àl’heure internationale

DeCONsTRUCTiON. Le réemploi des matériaux de construction.a épingler dans cette Biennale, le projet de Rotor. Le collectif Bruxellois, jette un éclairage sur les pratiques de déconstruction des bâtiments et sur le réemploi des matériaux de construction.a l’athénée Léonie de Waha, du 1er octobre au 1er novembre 2015.

En réalisant des sacs de couchage en bronze peint, Gavin Turk bouscule lesconventions et redonne au déchet son statut de miroir d’une époque. Gavin Turk : " Si les artistes sont uniquement motivés par le profit, ils ne sontplus des artistes. Ils sont juste des producteurs de quelque chose ". photo © FluxNews

Quel avenir possible pour 2050 ?Pierre-Yves Desaive : « les Musées royaux desBeaux-arts ont un rôle à jouer dans la compré-hension de l’art contemporain ».

La Tour des Finances va bientôt disparaître dupaysage liégeois, ainsi que ses magnifiques dallesen marbre... © FluxNews

Page 7: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 7

La Chine, depuis quelques décen-nies, a pénétré le marché de l’artavec la force qui correspond à lataille gigantesque du pays. Lesartistes qu’elle a envoyés à travers lemonde ont montré qu’ils avaient lapratique d’une créativité nourrie decelle du passé mais surtout tournéevers l’avenir.

L’art monumental est évidemment à lahauteur de l’immensité du pays. Et leslocaux montois qui accueillent « LaChine ardente  » ne peuvent se per-mettre d’exposer certaines œuvresvéritablement gigantesques, fauted’espace. Comme ce « Phoenix  » de28 mètres de long de Xu Bing vu dansune église de New-York l’an passé.N’empêche, les exemples présentésaux Anciens Abattoirs sont éloquents.

D’hier et d’aujourd’hui

De Xu Bing (1955), précisément, desmaquettes qui suggèrent ce que sontles œuvres réalisées ensuite avec desassemblages insolites mais cohérentsde fragments d’outils informatiques,des diodes. Ces dragons d’un nouveaugenre inscrivent une certaine beautédans la perspective d’un envahisse-ment de nos existences par des techno-logies de pointe.

La voiture transplantée dans l’espacepar Jiang Xinyu (1978) a été mise àplat après découpage. Usée et inutili-sable, elle se présente telle une pierretombale, composée d’exvotos méca-niques. Une fois encore la place dutechnologique est associée à la dicho-tomie du progrès, à la fois utile et nui-sible.

Wang Du (1956) s’en prend à laconsommation puisque la Chine estdésormais sur une voie économiquesimilaire à celle de l’Occident oùl’artiste s’est installé. Un feuillet publi-citaire devenu sculpture en résine depolyester est jeté là, déchet parmid’autres dont la durée de vie n’excè-dera pas la sienne.

La table ronde imaginée par ChenZhen (1955-2000) intègre un nombrenotable de chaises disparates représen-tant des tendances, des cultures dis-semblables et signifiant par là même ladifficulté à s’entendre lorsqu’on dis-cute et débat. Le manuel des plantesmédicinales revu par Shi Hui (1955)est un hommage aux pratiques de jadisqui prend des allures d’herbier géant.Sa conceptrice semble nous rappelerque le retour vers des soins plus natu-rels est d’actualité. La vidéo signéeMiao Xiaochun (1969) et celles de QiuZhijie (1969) s’avèrent, elles aussi, unlien entre autrefois et maintenant.

La robe confectionnée par Wang Jin(1962) se réfère à la tradition des cos-tumes d’opéra à Pékin. Les falbalasôtés, la soie devenue PVC, les motifsbrodés remplacés par des fils de pêcheen nylon, reste une silhouette translu-cide, dépouillée de ses artifices scé-niques. On croirait y voir une image dece qu’est devenue la splendeur d’autre-fois liée à l’artisanat et cette pâle copienon conforme, livrée à des matièresindustrialisées.

L’hyperréalisme de Li Zhanyang(1969) surprend par le sujet traité  :deux hommes contemporains transpor-tant un Christ mort. Intitulé « La mortd’un martyr », il s’interprète commeune allégorie de la mise au rencart del’art religieux traditionnel par un orien-tal et un occidental. Ou comme la vic-toire de la laïcité sur la religion. Enfait, il y a des rapports entre la vie del’artiste et les trois personnages dont levisage est reconnaissable pour lesconnaisseurs  : un artiste chinois, undirecteur artistique d’un salon d’artinternational et un curateur. Ce quiouvre la porte à d’autres interpréta-tions.

Xiang Jing (1968) offre à la vue un nuassis de près de trois mètres de hau-teur. Elle ne fait grâce de rien de l’ana-tomie de cette dame imposante,pesante, massive, non pas impudiquemais destinée à susciter la gêne. Àmettre en cause le regard sexuel, lesétapes traditionnellement suivies avantd’aboutir à l’amour charnel. Du côtéde Zhan Wang (1962), la statuairesemble se référer à l’antiquité, à ceciprès que le marbre blanc est du polyes-ter, que le réalisme est battu en brèchepar des déformations obtenues à l’ordi-nateur à partir des reflets retravaillésdu corps du créateur. Résultat une syn-thèse où les éléments du passé se fon-dent dans une vision fragmentaire fortmoderne.

Environnement paysager

LAOZhu (1957) s’empare du paysage.Il y dispose des pierres de carrièresenduites de peinture rouge. C’est unsignal d’alarme conçu pour éveillerl’attention des citoyens sur la pollutionambiante, celle qui s’attaque non seu-lement à la nature en général maisaussi à l’homme en particulier.

Liu Wei (1972) agence de fragilespanoramas en découpant et collant deslivres. Travail minutieux qui bâtit desvilles miniatures fragiles quoique com-pactes. Leur structure en buildings lesrend troublants en fonction du rapportqu’elles font entre l’architecture et la

culture littéraire. Lin Tianmiao (1961)propose un personnage blanc, dotéd’un œil unique en forme d’écran, entrain de pondre dans l’herbe des œufseux aussi immaculés. Fable écologiqueou anecdote surréaliste ?

Chen Wenling (1969) invite à seconfronter aux reflets d’une espèced’animal inconnu dont la fonction estde refléchir l’environnement en ledéformant. Son titre «  Paysage deChine » a l’air d’indiquer que tout cequi existe se métamorphose, que lesperceptions qu’on a du monde exté-rieur sont trompeuses, que l’évolutionest permanente.

On accolerait volontiers l’étiquette d’‘arboriste’ à Li Hongbo (1974). Aumoyen de papier, il recrée les formesd’un tronc et des ses branches. Cesdernières se répandent, se croisent,donnent à leurs mouvements sinueuxdes apparences de reptiles souples,mystérieux et, de par leurs apparencesou leur matière, sensuels.

Les boites lumineuses de He An(1971) sont faites de caractères issusd’enseignes et récupérés en vue decomposer un nom lié à la biographiede l’artiste. En l’occurrence, celuid’une actrice japonaise de pornosvisionnés par l’artiste au cours de sonadolescence. C’est une manière derelier sa vie et son travail artistique,comme procède, si l’on veut, un écri-vain écrivant son journal intime.

La déconcertante collection d’osse-ments en porcelaine rehaussée demotifs bleus se présente à la façond’un classement muséal dans des éta-gères accumulées, alignées, réperto-riées. Rappelant indirectement l’agen-cement d’os des capucins sur tous lesmurs de leur chapelle à Rome, cetensemble a l’aspect d’une grandiosevanité.

Les trois cercles de soie alignés parLiang Shaoji (1945) ont d’abord àoffrir la beauté de leur matière. Libreensuite à chacun d’y voir des tunnelsmenant à l’infini alors qu’on en voit

seulement la façade… Car l’objetn’est qu’accessoire mais il a pouvoirsur l’imaginaire.

Liang Shuo (1976) assemble des objetsen se gardant bien d’user de colle oude vis. Des éléments naturels végétauxs’associent pour former une structurebaroque en équilibre. Ce qui réclameune réflexion que, d’habitude, on ometlorsqu’on les manipule. Pas mal dedérision chez Wang Mai (1972). Ilrécolte des ustensiles ou des choses derécupération pour confectionner desensembles d’apparence composite. Lesrebuts deviennent supports de ce quis’oppose à l’éphémère. Ceci avec unesprit de recul humoristique grâce à depetites poupées enfantines.

Pour réaliser ses «  Portraitsaveugles », Sui Jianguo (1956) pétritl’argile, yeux bandés. Il y laisse doncdes empreintes, traces corporellesvisibles dont l’impact est importantlorsque le modèle de départ, agrandi,devient bronze de 5 mètres de hauteur.Il ne s’agit donc nullement de la repré-sentation vériste d’une anatomie maisbel et bien d’une statue déterminée pardes traces d’actions corporelles. Uneprésence en somme plus qu’un por-trait.

Wang Luyan (1956) met en scène uncompas géant dont le mécanisme metconnexion la rotation et la stabilité.C’est une œuvre froide, elle est censéeengendrer un cercle, c’est-à-dire unefigure parfaite. Or les vibrations aux-quelles l’appareil est soumis par desressorts risquent de rendre le tracétremblotant. Du coup, un fonctionne-ment contrecarre cet écueil. De la sorteun effet négatif contrarie un autre effet,l’un versus l’autre pour annuler ce quitente d’annuler. Un vrai casse-tête chi-nois !

Enfin, un mot à propos d’un artistechinois exposé au Bois du Cazier àMarcinelle. Il pratique aussi le paysageselon une certaine tradition d’usage dupinceau. Lin Xiang Xiong (1945) com-pose ses tableaux en général en éta-geant deux ou trois zones. À l’inté-

rieur, il y a des éléments naturels oudes constructions humaines et leshommes eux-mêmes, silhouettéscomme une succession de minusculesinsectes. Les uns et les autres sont misen relation par des événements catas-trophiques (tsunami, tempête, pollu-tion, famine, guerre…).

L’amoncellement des détails, deschoses et des personnes, de traits noirsalourdit souvent les œuvres en dépitd’un objectif généreux, celui de mon-trer la misère et la détresse afin de lescombattre. Cette forme plutôt volubilelaisse interrogateur quant l’adéquationentre intention morale et manière depeindre. D’autant qu’il apparaît dans labiographie de l’exposant qu’il n’estpas seulement plasticien mais aussihomme d’affaires, dirigeant une mineen exploitation.

Michel Voiturier

«Chine ardente  » jusqu’au 4 octobre2015, aux Anciens Abattoirs, 17 rue dela Trouille. Infos  : 065 56 20 34 ouwww.mons 2015.eu

Catalogue  : Cavier Roland, Luo Shu-gang, Fan Di’an, Michel Baudson,Teng Yuning, « La Chine ardente  »,Mons, Pôle muséal, 2015, 184 p.

« Entre Orient et Occident : Lin XiangXiong », jusqu’au 4 septembre, auBois du Cazier, 80 rue du Cazier àMarcinelle. Infos  : 071 88 08 56 ouhttp://www.leboisducazier.be/

Catalogue : Michel Baudson et collab.,« Soleil de feu Terre de sang », Marci-nelle/Singapore, Bois du Cazier/GCAC.OTG.SG, 2015.

Sortir du passé vers un présent débridé

MONS 2015

"Paysage de Chine" de CHEN Wenling

Page 8: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 8

Ecrire sur l’œuvre de Cartier Bresson, c’est forcé-ment prendre du recul par rapport à une œuvredéjà faite, déjà là, mais c’est aussi raconter l’his-toire d’un regard et d’une vie. Cartier-Bressonincarne un moment de l’histoire de la photogra-phie où le photographe est encore un œil au ser-vice de ce qu’il voit, avant de chercher àreprésenter. Les images de Cartier Bresson nesont pas composées pour la photo. Que nous apprend à l’heure du numérique, lavision d’un photographe qui a photographié lesiècle dernier, alors que désormais la simple pres-sion tactile sur l’écran suffit pour recadrer,zoomer, avancer ou reculer, dans une photo ? Le point de vue d’un spectateur sur le monde estdevenu ainsi le paysage démultiplié de tous lesregards sur une image. Or « au regard du regard »pour reprendre l’expression de John Berger,l’image non dirigée, non voulue, de Cartier Bres-son, suggère que le geste de photographier puisseêtre seulement l’histoire d’un corps qui se chargede faire apparaître un autre corps à l’imageinstantanément, relativement à un événementimpossible à reproduire, et somme toute à recon-struire, au-delà du document photographique.

Un œil mystique

Cartier-Bresson écrit : « On est fait pour seregarder les uns les autres. » Avant la volonté de faire une photo, le regard estce qui préside chez le photographe. Or ce regardquel est-il ? Sans doute est-ce à la fois unappareil, et un corps qui voit, les deux fusion-nants. Il dit d’ailleurs de son Leica qu’il est leprolongement de son œil et son carnet de croquis.Ce regard est, dès lors, un l’œil qui s’ouvre tel lediaphragme de l’appareil pour forcer le passagedans la texture du monde et y faire un trou. Cettetrouée à la fois dans le réel, et dans la durée, estun instant décisif. Autrement dit, un instant quis’organise d’abord, et avant tout, à partir du corpsdu photographe, siège de son expérience dutemps.Un regard émancipé aussi des règles de lareprésentation inhérentes à la photo elle-mêmequi veut qu’on réalise un sujet pour un sujet. Et sice sujet est une figure d’autorité ; plus encore.Représenter, à l’origine, c’est servir l’ordre dumonde. Un ordre qui a toujours eu besoin depeintres, de photographes pour le légitimer. Desorte que modestement un photographe qui réduitsa volonté au seul caprice d’un œil milite volon-tairement pour l’effacement des conventions duportrait et du cliché. La Nouvelle Photographiecomme on dit le Nouveau Roman, est une avant-garde artistique par cette liberté quant au pouvoirselon un : « Je ne suis soumis à rien puisque je neveux rien, donc je vois ». Henri Cartier-Bressonincarne ainsi une rupture dans l’histoire de laphotographie dans le sillage des Surréalistes —qu’il côtoie brièvement — pour la partd’inactuelle dans l’image, et ensuite des reportersmodernes, pour celle de l’aventure ethno-graphique et transfrontalière.Cartier-Bresson opère sa coupe dans le réel par cequ’il qualifie de tir photographique. Il y a là,manifestement, un vocabulaire guerrier car ils’agit de prendre la position d’un chasseur enattente, et de laisser arriver l’événement face àl’objectif, tout en tranchant dans le vif. Tout estaffaire de saisissement du moment propice.Quand le moment opportun arrive : cibler et tirer.Cartier-Bresson est le tireur d’un seul gibier :l’instant présent où se rencontre son regard et lemonde. Cette position quasi contemplative etnéanmoins guerrière découle autant de la philoso-phie Zen japonaise que du Tao chinois oriental.Le Zen, dans l’art chevaleresque du tir à l’arcouvrage du philosophe allemand Eugen Herrigelqui relate ses cours de Kyudo avec un maîtrejaponais inspire Cartier-Bresson, qui retrouvedans cet art du tir à l’arc, sa propre méthode pho-tographique : « L ‘archer cesse d’être conscientde lui-même comme personne appliquée à attein-dre le cœur de sa cible qui lui fait face. Cet étatd’inconscience est obtenu seulement lorsque,totalement vide et débarrassé du soi, il devient unavec le perfectionnement de sa technique, quoiqu’il y ait là dedans quelque chose d’un ordreparticulièrement différent qui ne peut être atteint

par aucune étude progressive de l’art. » Présence,geste précis, et concentration sur le voir à partird’une virtuosité technique ; il s’agit de faire val-oir une sorte d’agilité de l’âme qui préexiste à laleçon du maître. Le photographe répond d’unevoie spirituelle qui fait de son geste moins uneprise qu’un don. « Il ne faut pas vouloir êtreréceptif. Si je réfléchis tout fout le camp. »souligne Cartier-Bresson. Le photographe reçoitautant qu’il vise, vide et plein sont concomitants.L’art du photographe n’est pas un vol, « s’il estun voleur c’est pour donner ». Son sujet, sessujets, ne sont ni proies, ni victimes. Leur consen-tement même tacite pour les figer dans le regardphotographique est nécessaire. Si elles sont prisesà la sauvette, les images de Cartier-Bresson,répondent d’une éthique du voir qui se méfie dusensationnalisme et de la proximité. Son compa-triote Capa a payé cher cette photographie au plusprès. Cartier-Bresson est un prudent comme peu-vent l’être les bons chasseurs : il guette, pistemais ne risque pas sa peau. La présence de sonœil est perceptive et intuitive. Il se refuse àl’intelligence qui reste une faculté d’anticiper. Leregard témoin du temps de Cartier-Bresson doitrestituer la mémoire à partir de cette utopie d’unprésent perpétuel. Lao Tseu dans son traité duTao to King écrit : « Diminue et diminue encore ;Pour arriver à ne plus agir. Par le non-agir, il n’ya rien qui ne se fasse. C’est par le non-faire quel’on gagne l’univers. Celui qui veut faire ne peutgagner l’univers. » Le photographe n’agit pas, ilest agi. Son regard est une sagesse. En 1937,Cartier-Bresson chargé pour la presse de couvrirle couronnement du roi Georges VI d’Angleterreva photographier au lieu du scoop attendu etvoulu : le passage du carrosse royal ou même lesors du palais de Buckingham, une scène hors-champ, et se placer du côté des humbles. Sur saphoto : la foule qui semble plus désemparéequ’enthousiaste, et au pied de celle-ci un hommecouché au sommeil éthylique. Cette imageéminemment déceptive, si on veut bienl’analyser, est celle de l’homme dans son milieu.Cartier-Bresson lui-même immergé dans cettechair du monde met en lumière par ce tour depasse-passe le mouvement perpétuel du devenirqui absorbe et efface les contours de l’événement.

Un regard en relation

Les photos de Cartier-Bresson parce que nonvoulue sont toujours consenties sans l’autori-tarisme inhérent à la prise de vue. Le sujet n’estpas dirigé dans le cadre. Les portraits de person-nalités faits par Cartier Bresson qu’ils soient ceuxd’écrivains ou de peintres, illustrent ce désin-téressement. La photo de Sartre, par exemple, surle Pont des arts à Paris, en 1946. Cartier-Bressonsaisit là, un Sartre non seulement en conversation,mais quasi hors cadre et fumant, occupé à toutautre chose qu’à être sur la photo. En outre, parun jeu de circonstances, dont on se demande sielles sont fortuites, Sartre est à l’extrémité dupont des Arts et on distingue à l’autre boutl’Académie Française. Quand on sait que Sartrerefusa le prix Nobel de littérature, et qu’en 1946,déjà, il ne voulait pas de la légion d’honneur, luiqui exécrait institutions et marques de consécra-tion, on mesure le clin d’œil. Faulkner aussi, prissur le vif par le photographe, apparaît moinsimportant pour la composition de la photo, queses chiens en train de s’étirer au centre del’image. Ce que rend compte Cartier Bresson, c’est com-bien ces hommes célèbres n’accordent pasd’importance à leur image —mais c’est aussiaffaire d’époque— Nous ne sommes pas encoredans la surmédiatisation des personnalités. Lanotoriété se mesure aux œuvres elles-mêmes et àleur circulation, et non à l’apparence de leur pro-ducteur. Faulkner écrit, il n’a que faire d’êtremontré ou de se montrer. Idem pour Bonnard ouMatisse, la mise en scène de soi n’est pas le pro-pre de ces photos. Elles sont tout sauf du specta-cle. Cartier-Bresson tend son appareil à ces per-sonnalités comme on tend l’oreille et le regard,attentif à capter ces hommes dans le mouvementde la vie même. L’idée étant de rester toujours enrelation avec son sujet quel qu’il soit. Ce n’estpas parce que Cartier-Bresson enclenche son

Leica que la relation se rompt. La photo est àl’intérieur de la relation, et non extérieure à elle.De sorte que c’est l’appareil qui construit del’intersubjectivité, reliant les individus entre-eux.Entre le photographe et son modèle, le lien estfragile, il ne faut pas le rompre. « L’être humainest ce qu’il y a de plus éphémère, le paysage al’éternité » écrit-il. Le regard qui saisit n’imposepas sa vision, il la partage.

Un regard phénoménologique

Cartier-Bresson a d’emblée à faire avec un désird’image, ce désir on l’a vu, est d’abord attentif àla vie. Bergson parlant de l’évolution du vivantmet l’accent sur cette dynamique qui est tout saufintellectuelle, une dynamique de création qui estauto-constituante pour le sujet. « Ainsi pour les moments de notre vie, dont noussommes les artisans. Chacun d’eux, est uneespèce de création ; et de même que le talent dupeintre, se forme et se déforme, en tous cas semodifie, sous l’influence même des œuvres qu’ilproduit, ainsi chacun de nos états, en même tempsqu’il sort de nous, modifie notre personne étant laforme nouvelle que nous venons de nous donner.On a donc raison de dire que ce que nous faisonsdépend de ce que nous sommes, mais il fautajouter que nous sommes dans une certainemesure ce que nous faisons, et que nous nouscréons continuellement nous-mêmes. » HenriBergson, L’évolution créatrice, Paris, CollectionQuadrige, PUF, 1941 p.7.La saisie photographique de Cartier-Bresson est« un imaginaire d’après nature. » 1 Titre du livrede ses réflexions qui témoigne de la façon dont leréel répond de son propre imaginaire. Toutes lesphotos de Cartier-Bresson sont, dès lors, desmorceaux de réel, autant que des éclats d’être duphotographe. Il ne faut pas perdre de vue queCartier-Bresson est un peintre déguisé en pho-tographe, dès lors, le réel dont il est question, doitêtre entendu comme un espace de fiction avantd’être un document. Merleau-Ponty dans L’œil etl’esprit cite Cézanne parlant de sa peinture : « Lanature est à l’intérieur, qualité, lumière, couleur,profondeur, qui sont là-bas devant nous n’y sontque parce qu’elles éveillent un écho dans notrecorps, parce qu’il leur fait accueil (…). » Letableau comme la photo sont des figuresanalogiques du corps. Le philosophe nous donnel’occasion de repenser les rapports constitutifsdes choses dans la perspective du regard qui lesépousent ; la vision est alors une vision venue dudedans. Le réel est décrit par la photo à partir dece que le réel ne montre pas, et que le regard duphotographe montre, porté par son imaginaire.Cet imaginaire modifie le réel autant que le pho-tographe qui imagine. Cartier-Bresson montred’un regard sa vision imaginaire du réel, à tout lemoins, son image mentale du visible qu’il tentede faire ressembler paradoxalement au réel. Ilcherche dans la réalité du monde ce qui ressembleà ce qu’il est, à ce qu’il pense, à ce qu’il ne savaitpas qu’il pensait. Photographier, c’est créer unsens nouveau du monde et du réel en devenir.Donc, faire de la photo, c’est créer à partir d’unmonde toujours changeant, et fixer ce change-ment, quitte à en tordre le sens. Pour ce faire, leregard photographique doit demeurer un rapportd’échanges entre celui qui voit, et ce qui est vu,entre un corps et le monde environnant. Là résidesans doute la leçon phénoménologique de Cartier-Bresson.

image à composer

Elève du peintre cubiste André Lhote, Cartier-Bresson apprend comment les formesgéométriques sont à l’origine de la compositionpicturale. «La photographie est pour moi lareconnaissance simultanée, dans une fraction deseconde, de l’organisation et de la significationcombinée d’un fait. » Or ces combinatoires quiprennent la mesure des formes ne s’émancipentguère de la règle du nombre d’or et de l’harmoniecar la part intuitive de l’œil n’est pas prise encompte dans cette méthode purificatrice et coerci-tive. En fréquentant les Surréalistes, Cartier-Bres-son va pouvoir transformer sa pratique artistique,et oser le médium photographique. Plus encore, il

va saisir et composer avec la contingence, en lieuet place d’une volonté de construction pho-tographique déterminée.Les Surréalistes, Man Ray en tête, se sont chargésde faire évoluer l’appréhension de ce média pouren faire une composition esthétique non voulue,aléatoire, et hasardeuse. Cartier-Bressons’émancipe par conséquent de la patiencequ’exige l’exécution picturale pour trouver unevitesse qui le conduit à voyager à travers lemonde, et l’amène progressivement à saisirl’image par la photo afin de fusionner, non seule-ment avec le hasard des formes, mais avec lemouvement à l’œuvre dans l’existence. Ainsi lespremières photos de Cartier-Bresson entre 1925et 1938, jusqu’à la guerre formalisent, et n’ontsans doute pas encore trouvées leur pleindéploiement. Hommes, femmes, enfants, objetscoïncident le plus souvent en un entrelacs designes géométriques. Les triangles de lumière, lajuxtaposition des plans, les calculs d’angles con-struisent une perspective, équilibre l’image.Cartier-Bresson fait également jouer des corre-spondances entre motifs : le pavage d’une rue oùsont disposées des tables de bistrot cylindriquesen damier noires et blanches en 1933 ; uneréclame pour les corsets qui répond au corpsgénéreux d’une commerçante en Espagne en1933 ; le tracé à la craie d’un visage d’hommesur un mur, juxtaposé au visage endormi d’unmaraîcher sur son étal à Grenade la même année.Ces agencements hasardeux d’éléments éparscomposent des coïncidences bienheureuses pourle regard. La subjectivité de Cartier-Bressoncueille l’image au beau milieu du visible, et cequi leur préexiste n’est que l’imaginaire du pho-tographe. Des images qui, souvent, correspondentà l’invisible de la forme. Des images qu’on n’apas vues, et qui se révèlent à nous spectateurs,après coup. Les photos de Cartier-Bresson nousapprennent à voir autrement ou à voir tout court,en nous désignant ce qu’il fallait remarquer. Desorte que c’est naturellement que Cartier-Bressonva se tourner vers le photojournalisme, et créeavec d’autres, en 1947, l’agence Magnum.Cartier-Bresson quitte alors ce regard qui décèlela dimension picturale dans la réalité la plusprosaïque, pour entrer dans l’ère du témoignage.Ses images, de ludiques et formalistes, vonts’affiner et faire intervenir, non seulement le jeuavec l’imaginaire et l’inconscient au service de laforme, mais également des formes de vie. Dans sa Grammaire Philosophique Wittgensteinà propos de l’image résume : « L’élément clépermettant à une image de passer du statutd’image muette à celui d’image parlante etvivante est à rechercher dans notre propre capac-ité à inscrire cette dernière dans l’arrière pland’une forme de vie. » Cartier-Bresson enregistredès lors la mémoire du monde autant qu’il s’enfait le porte-parole. Son œil devient témoin d’unsiècle. Sa photographie toutefois reste acciden-telle, il ne dirige pas ses pas vers l’événement, cedernier vient à lui par inadvertance. L’épisode desfunérailles de Gandhi est parlant à cet égard.Invité à rencontrer Gandhi en 1948, celui-ci estassassiné quelques heures après leur entretien.Cartier-Bresson se trouve in the right time, in theright moment et couvre alors l’événement pourLife. Il se pourrait bien que de son corps à corpsavec la vie, la photographie chez Cartier-Bresson— qu’il abandonnera au seuil des années 70 pourne plus faire que du dessin— relève plutôt d’unmoyen sans fin, faisant en premier lieu de sa pra-tique artistique, un geste. Un geste qui figurel’expression d’un désir. Un désir immanent, créa-teur et mobile, ignorant sa direction : un regard.

Raya Baudinet-Lindberg

1 L’imaginaire d’après nature, Paris, Fata Mor-gana, 1996.

exposition Cartier BressonMusée Juif de Belgiquehttp://www.new.mjb-jmb.org/Du 24/04/2015 au 10/09/2015Raya Baudinet-Lindberg

L’image non voulue, non dirigée d’Henri Cartier-Bresson

Page 9: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 9

Du 3 avril au 14 septembre, leCentre Pompidou de Metz aconsacré une expositionrétrospective sur Michel Leirisfragmentant le troisième étagedu musée d’art contemporainen 16 espaces, représentant aumoins 16 facettes de cethomme multiple.

Michel Leiris sans être plasticienn’a cessé de côtoyer l’art et sescréateurs en une spirale de ren-contres toutes plus riches lesunes que les autres. Le titre del’exposition « Leiris and Co »traduit en effet les mille et uneaffinités qu’il a déployées aucours de son existence avec l’artsous diverses formes: l’art desmots (Roussel, Jacob, Bataille,Sartre), l’art des peintresd’exception (Masson, Miro,Picasso, Duchamp, Giacometti,Bacon), l’art des rites (enAfrique noire, en Haïti, en Mar-tinique, en Guadeloupe, enChine), l’art musical (Satie, jazz,comédies musicales, opéras),l’art de la tauromachie, l’art devoir l’art au travers de l’autre etde lui-même et de le dépeindreavec art.

Cet homme sensible et fin obser-vateur n’a jamais cessé d’épin-gler en tant qu’écrivain, poète,ethnographe, anthropologue(puis critique d’art) à la fois des

scènes rituelles de grande inten-sité et à la fois son vécu face àtout inconnu fascinant. Telle futsa particularité : être rapporteuret transmetteur d’un savoirextrait en externe et en internede diverses expériences vues etvécues. Il intriquait ainsi unpoint de vue extérieur proched’une exploration scientifique etméthodique à vertu objectivanteet son point de vue personnel autravers de son propre vécu, valo-risant ainsi la part subjective del’expérience en cours. Sesvoyages en Afrique furent lethéâtre de ses premiers écritshybrides de l’entrée en l’autre eten lui. Recueil d’impressionsque le Centre Pompidou donne àvivre dans le passage de salle ensalle. De manière chronologique,le musée invite à pénétrer dansl’antre de ce qui fut les matièrespremières de l’œuvre de Leiris :de ses premiers émois artistiques(spectacles pour enfants quiconstituèrent par la suite ce qu’ilnomma l’archaïque/ l’enfance,avant de découvrirl’exotisme/l’Afrique) à ses ren-contres déterminantes dont lapremière fut celle avec le peintreMasson.

L’exposition retrace comment aucours de ses voyages et de sesdécouvertes, Leiris a dégagé demanière de plus en plus autobio-

graphique et poétique l’aspectsacré dans le connoté “sauvage”.Il a décelé le sacré dans lesscènes de funérailles africaines,le sacré dans des scènes detranse, le sacré dans les scènesde mise à mort du taureau lorsde corridas, le sacré dans lesoeuvres sauvages de Picasso,dans les sculptures décharnéesde Giacometti, le sacré dans lesscènes de fuite de guerre et la fintragique d’une amie, le sacrédans le sang, la mort et l’amour.Toutes ces scènes concourent àsymboliser les combats entre soiet soi avec les retraits de toutmasque, la déformation outran-cière de l’image de soi, la mortde l’ego, pour gagner du terrainvers une possible transforma-tion… Michel Leiris dans l’Aged’Homme ne s’épargne pas dansla description qu’il fait de sapetite personne qui tente de pas-ser de l’âge d’enfant à l’âgeadulte, mûr et viril. C’est pour-tant cette authenticité dans cerapport à lui-même et au travaild’autrui qui lui vaudra des ami-tiés avec des personnalités bientrempées comme Picasso, Sartreou Bacon.

Progressivement, Michel Leirisva engranger ses souvenirs, sesimpressions, ses émois, sesvécus de psychanalyse en uneréserve prenant la forme d’un

fichier où il classe et archive sesmatières qui lui serviront pourl’écriture de « La règle du jeu »en 4 tomes. Il va imprégner chaque livre deses voyages et de ses question-nements personnels. S’il luiimporte de témoigner de lui,c’est pour mieux se rapprocherdu monde dont il n’oubliejamais les tourments, les souf-frances, et les combats. L’expo-sition évoque ainsi comment ilparticipa volontiers à diversesmanifestations politiques dansles pays qu’il traversait.

Dans le dernier tome de « Larègle du jeu », « Frêle bruit »,publié en 1976, Michel Leirisévoque encore son obsession derestituer et partager sa vie inté-rieure. Déjà en 1930 avec «L’homme et son intérieur », ilmanifestait sa fascination pourles planches anatomiques et lescorps écorchés. Entre ces deuxécrits en écho, il ne cessera dedécrire les mystères de l’intério-rité de l’Homme voguant entreles cimes du visible et de l’invi-sible, tel un enfant jouant à saisirl’étrangeté de son ombre...

Judith Kazmierczak

Jusqu’au 18 octobre, l’exposition« in riotous profusion-The new pos-sibilities of ink art » prend sesquartiers à De Markten, centre cul-turel flamand situé en plein centrede Bruxelles. Huit artistes de l’abs-traction chinoise contemporainerevisitent la peinture à l’encre, tra-dition millénaire dans leur pays.

L’exposition est le fruit d’une collabo-ration internationale entre quatre insti-tutions artistiques. Déjà présentée enmai 2015 à l’Inside Out Art Museumde Haidian (Beijing), l’exposition feraensuite arrêt à la Research House forAsian Art à Chicago en novembre et sa« tournée » prendra fin en mars 2016au Ten-Po Art à Taïwan. Ces diffé-rentes dates sont révélatrices de l’inté-rêt croissant que suscite l’art contem-porain chinois, que ce soit en Chine ouà l’étranger. On notera que chez nous,les liens avec la Chine contemporaines’illustrent notamment par la fonda-tion, en 2007, de l’Ullens Center forContemporary Art dans le célèbre dis-trict 798 à Beijing, projet initié par lecouple de collectionneurs belgesMyriam et Guy Ullens.

Tendance artistique importante enChine, la pratique contemporaine del’encre séduit de nombreux artistes etest le reflet d’une Chine entre traditionet modernité. Si l’exposition présentéeici est axée sur l’abstraction et la pein-ture, les commissaires de l’exposition,

Ping Jie et jasmin Gong, le confirment,il ne s’agit que d’un volet de ce qui sevoudrait être une exploration plus largedes différents courants proposant unerelecture de la tradition de l’encre. Defutures expositions pourraient doncdans ce cadre voir le jour, centré parexemple sur l’utilisation des nouveauxmédias.

Comme l’expliquent les curateurs, lamouvance visant à réinterpréter la tra-dition de l’encre commence à se déve-lopper au début des années 80 et mêmedans les années 60 à Taiwan. Profitantdes réformes et de la politiqued’ouverture du gouvernement chinois,les artistes organisent des expositionset découvrent par la même occasionl’art venu d’occident. C’est égalementà cette époque qu’est fondé le maga-sine « China Art News », véritablepromoteur de la pratique contempo-raine de l’encre, il participera claire-ment à l’essor de cette dernière. Lasséspar les motifs stéréotypés imposés parla révolution culturelle, les artistes réa-lisant différents types d’expérimenta-tions sont nombreux à cette époque.

Les artistes exposés ici se nourrissentde culture ancestrale et réinterprètentles codes à la lueur de leur époque.Bien qu’influencé par les tendancesabstraites mondiales, il ne faudrait pascroire que leurs œuvres ne sont qu’unepâle copie d’une forme d’art dévelop-pée précédemment dans la culture

occidentale. On peut en effet décelerune approche spécifique liée à un paysd’origine, à un ancrage oriental. Pre-mièrement, la combinaison entre abs-traction et encre, matériau intrinsèque-ment lié à la culture orientale, induit defacto une spécificité. Les différentesvoies empruntées dans la réinterpréta-tion de ce matériau semblent ellesaussi se nourrir de particularismeslocaux, citons en guise d’exemple cer-taines œuvres de l’artiste Li Gang danslesquelles l’encre est obtenue par larécolte de suie des pots d’échappe-ment, renvoyant à l’expansion urbanis-tique ultra rapide de sa ville d’origine,Dali. Deuxièmement, si l’abstractionoccidentale se caractérise par une dua-lité, respectivement l’abstraction géo-métrique et l’abstraction lyrique, onpeut observer dans le travail d’une par-tie de ces artistes une sorte de synthèseentre ses deux pans, perceptible plus

largement dans la culture orientale, àl’image du yin et du yang, où le ration-nel côtoie l’émotionnel, créant uneosmose. Les œuvres de l’artiste SangHuoyao s’inscrivent clairement danscette optique. Enfin, chez d’autresartistes, la calligraphie est revisitée à lalumière de l’abstraction lyrique occi-dentale. Les éléments constitutifs decet art ancestral sont isolés pour for-mer un langage artistique nouveau,ancré dans la culture orientale maisaussi dans notre époque. Les œuvresde l’artiste Qin Feng sont révélatricesde cette approche.

La visite de cette exposition sembledonc être une excellente occasion dedécouvrir une facette de la culturecontemporaine chinoise, à cheval entretradition et modernité.

sylvie Bacquelaine

Artistes exposés : Qiu Deshu, QinFeng, Liu Zijian, Li Gang, Lan Zheng-hui, Sang Huoyao, Yuan Shun, ZhangZhaohui

De MarktenRue du Vieux Marché aux Grains 5, 1000Bruxellesdemarkten.bedu 11 septembre au 18 octobremardi-dimanche de 12h à 18hjeudi de 12h à 20hentrée gratuite

Cet article a été réalisé sur base d’unentretien avec Jasmin Gong et Ping Jie

Ancrés dans la Chine / /Ancrés dans leur temps

le rationnel côtoie l’émotionnel chez Sang Huoyao.

entre sauvage et sacré, la quête du sens et du soi.Michel Leiris au Centre Pompidou Metz

Dans cette complicité profonde entre Leiris et Bacon, qui fut lemiroir de l’autre? Dans cette quête de traquer le double, le sau-vage en soi pétri d’animalité sacrée.

Page 10: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 10

L’été dernier, on pouvait voir desœuvres de l’artiste à Mons, à Porto, àLondres ou à la Biennale de Lyon,entre autres. Chaque expo s’y faisaitl’écho d’un microcosme. Le regard etles trouvailles d’Yto Barradatrahissent pourtant le style d’une per-sonnalité aux idées fixes que sa quêted’identité amène sur des terrainsd’exploration toujours plus complexes.La force d’un travail discrètementsubversif et intensément engagé quifait autorité au niveau international.

Photographe? Oui mais pas seulement,puisqu’elle réalise aussi des films, dessculptures et des installations. Et qu’elleest depuis 2006 la Présidente de la Ciné-mathèque de Tanger. Franco-marocaine?Oui mais pas seulement, puisqu’elleréside aux États-Unis aux côtés d’un mariaméricain. Réaliste? Oui mais pas seule-ment, puisque la poésie, l’utopie commeprojet politique, sa mémoire subjectivedu temps des colonies, la rigueur de saformation scientifique, ses choix esthé-tiques, son humour, Yto Barrada ne selaisse pas étiqueter sans que l’on coure lerisque de passer à côté de l’essentiel,lequel est diffus et tient autant de sesorigines que de l’existentialisme en priseavec l’actualité d’un travail « inprogress ». Car son art est vivant. Il con-voque autour d’elle des « vrais gens »,documente des « vrais lieux » et prendles couleurs du passé qu’elle projette surla scène de notre temps en vue de lende-mains qui seraient à inventer pour fairemieux. Pour faire justice. Pour fairedurablement. En apportant un opiniâtredémenti à tous les fatalistes qui ne ver-raient que ruines dans les terrains vagues,les vieilles pierres ou les rêves des

migrants. Il y a chez Yto Barrada quelquechose de l’écrivain Albert Cossery,franco-arabe lui aussi. Sans doute unesemblable solidarité avec les « oubliés deDieu ». Une même attitude incertaineenvers « les mendiants et lesorgueilleux » qui mordent la poussière enAfrique du Nord en raison d’une vitalitéaujourd’hui pervertie par leur « désird’Occident ». Une même sensibilité auxêtres et aux objets les plus fragiles.

Depuis une quinzaine d’années déjà, YtoBarrada nous raconte son attachement àla ville de Tanger (rappelons qu’elle estnée en 1971 à Paris de parents marocainstrès impliqués dans la vie associative deleur quartier et la militance d’oppositionau pouvoir en place) et cette histoire, onse surprend à la vouloir sans fin, per-pétuellement enrichie d’épisodesenchâssés. Comme dans les contes desMille et Une Nuits. Une histoire dont lesmeilleurs messagers seraient ces oiseauxmigrateurs qui, dans leur vol, ne prennentpas garde aux frontières qu’ils traversent.Sauf qu’une telle histoire contient sa partinsidieuse de cruauté, dès lors qu’elle apour cadre une ville située au bord duDétroit de Gibraltar, si symbolique de latragédie qui confronte les populations duNord et du Sud. « Tanger est devenueune zone de transit, une immense salled’attente où chacun espère passer dansl’au-delà, version laïque », expliquaitl’artiste au moment de l’exposition quilui était consacrée en 2006 à l’Hôtel deSully (en lien avec la Galerie nationaledu Jeu de Paume et le Centre national dela photographie) à Paris. Mais en cet été2015, c’est au Portugal que se déroule unépisode majeur de la narration que nousconte Yto Barrada.

Le salon marocain

Il était une fois, dans la ville de Porto,une maison et un jardin. La FondationSerralves consiste en plusieurs bâtiments,en réalité, dispersés à travers différentsjardins. Des édifices de style modernisteà la blancheur éclatante, sobrement inté-grés dans la végétation d’un vastedomaine: le Parc Serralves. C’est dans cesomptueux écrin que se niche le Muséed’Art Contemporain de Porto, fleuronculturel ouvert au public en 1987 et dontla programmation pointue attire près de500.000 visiteurs par an actuellement. L’amateur laisse derrière lui la grille enfer forgé de l’entrée, l’œil immédiate-ment séduit par le gigantesque Plantoirrouge et son manche de bois clair, fichédans le sol la tête la première: avec ClaesOldenburg & Coosje van Bruggen, sonépouse, il se retrouve en territoire connuet se frotte les mains, partant à la décou-verte de la douzaine d’autres sculptures etinstallations diverses (Richard Serra, DanGraham, Maria Nordman, …) qui ontpris racine dans le parc. Mais c’est aubout du parterre central qu’il débouche

sur la Villa investie par l’expositiond’Yto Barrada. Une demeure patricienne,de majestueux escaliers de pierre, desjardins, … À l’extérieur, le décor etl’atmosphère rappellent « L’Annéedernière à Marienbad », le film deResnais. À l’intérieur, le visiteur estl’hôte d’un « Salon marocain ».Ce qui frappe a posteriori dans cetteexposition, aujourd’hui terminée, est laparfaite adéquation du projet avec lesluxueux espaces de la maison-musée.Tous les objets d’art semblent avoir prisplace de façon naturelle dans un lieu dontla sobre élégance aurait été conçue poureux. Aucune ostentation excessive.Aucun extrémisme. Rien de démonstratifni de grossièrement spectaculaire. Nidrame ni désespoir affiché. Une forme deneutralité documentaire qui inviteraitplutôt à la méditation. Yto Barrada n’arien du chasseur d’images qui seraientautant de trophées de chasse. Aucunecapture d’instants trop visiblementdécisifs. Aucune misère sociale qu’elleaurait débusquée en vampire. Aucunebonne conscience. De simples traces poé-tiques d’une réalité historique et politiquequi est celle du post-colonialisme àl’épreuve du regard photographique del’auteur. D’une facture magistrale d’oreset déjà classique par le truchement defragments qui donnent à voir un mondecomplexe. Des fragments qui requièrentle bref descriptif qui suit.Dans cette Villa vaste et lumineuse,accueillante sans être intimidante, nousvoici au salon, en effet, où trois modestestapis à motifs géométriques, tissés pardes Tangéroises, sont disposés sur le soloù ils convoquent la référence aux Artsappliqués de la première moitié du XXesiècle; voici ailleurs une salle de projec-tion où passe en boucle le film de 23’ (16mm et vidéo digitale) intitulé « Fauxdépart »: un reportage tournant en déri-sion la notion d’authenticité à travers lesgestes quotidiens des fabricants de fauxfossiles à destination des touristes de pas-sage au Maroc ; voici les pièces adja-centes sur les murs desquelles sont dis-posées des photos couleur de jouetsberbères (coll. du Musée du Quai Branlyà Paris) faits de trois fois rien, cailloux,brindilles, poupées de chiffons en formede chameaux, collectés à travers les âgeset les régions par les ethnologues. Photosauxquelles leur format carré (magique),la douceur de la couleur uniforme dufond (ocre ou bleu ciel), leur netteté et lepositionnement central de leur sujet, ôcombien fragile, confèrent un équilibreparfait entre valeur esthétique et statutscientifique; voici des objets dans des vit-rines: quelques-uns des fameux fossiles,tels qu’ils sont commercialisés dans lesmontagnes du Haut-Atlas… et le moule(la « pierre menteuse ») qui trahit leurcontrefaçon; voici encore un agencementde 10 photos à l’étage, dont le noir etblanc clinique rend compte des formessculpturales insolites nées des bidouil-lages opérés à l’aide de robinets et debouts de tuyaux par les plombiers ambu-lants qui s’amusent à les bricoler, plom-biers débrouillards qu’on peut notam-ment voir œuvrer au Grand Socco, lefameux souk situé au cœur de Tanger ;

voici une quinzaine de photos inédites(datant de 2013) de la série « ReprendreCasa. Carrières centrales » où ce quartierde Casablanca est rendu à une forme desauvagerie par ses habitants, suite àl’intervention d’architectes (MichelÉcochard et le groupe Gamma) malinspirés ; voici enfin de belles salles debain laissées vides, au marbreomniprésent, comme hors du temps à lafin de la déambulation.

Faux pas/faux prophète/faux filet/fauxamis/faux départ/fausses dentsLe film, les fossiles et leurs moules envitrine, la grande plaque (« PedraStone ») prêtée par la Pace Gallery deLondres, le mélange entre dénuement(des objets de son attention) et richesse(de son propos, ainsi que du lieu),… S’iln’y avait qu’une leçon nouvelle à retenirau souvenir de cette exposition mar-quante, par-delà l’histoire du colonial-isme et des racines ethnographiques dumodernisme du XXe siècle, c’est cetteconstatation induite par Yto Barrada entoute humilité: son art, son très grand artaussi procède du savoir-faire artisanal dufaussaire. Évitant les pièges de la séduc-tion formelle et tout pittoresque, sa vio-lence feutrée fait l’effet d’une bombe àretardement.

Pendant ce temps à Mons…

Dirk Snauwaert, dont on connaît lesaffinités avec le travail d’Yto Barrada,exposée au Wiels fin 2011, a fait appel àelle pour Atopolis et sa participation à cetévénement tombait sous le sens. TheSpirit of Utopia, à la Whitechapel Galleryde Londres l’été 2013, était une piqûre derappel de la thématique qui a fait con-naître l’artiste à ses débuts: « Le projetdu Détroit, une vie pleine de trous » datede 1999 déjà.Ce ne sont cependant pas les quelque dixphotos prêtées par la Franco-marocainequi auront suscité le plus de commen-taires après coup. Elles paraissent, dans lecontexte de Mons 2015, presque anecdo-tiques. Elles portent pourtant la signatureattachante de celle, trop discrète ? quiévoque volontiers la parenté de ce travailavec le souci documentaire de WalkerEvans (1903-1975) à l’époque où celui-ciétait associé aux projets de la FSA,l’organisme américain créé par le min-istère de l’agriculture en, chargé d’aiderles fermiers les plus pauvres touchés parla. Une crise que les portraits des fer-miers en Alabama réalisés par le pho-tographe documentaient dans l’entre-deux-guerres avec une frappante human-ité. Yto Barrada, à son tour, apporte sapierre à ce qui pourrait constituer latypologie des localités en retard de glob-alisation et de commerce mondialisé. Sesphotos couleur (au format carré recon-naissable entre tous) témoignent, entreautres, du travail effectué dans la fermepédagogique de l’association Darnafondée par sa mère à Tanger, loin de laculture des fruits et légumes impeccable-ment calibrés pour la production alimen-taire qui les donne à consommer en quan-tités industrielles et indifférenciées dansles allées des supermarchés. À voir, nefût-ce que pour se souvenir de laprésence de Ba Yussef, le jardinier.

Catherine angelini

« salon marocain », Musée d’Art Con-temporain de Serralves, Porto, 10 juin-20septembre. www.serralves.pt« atopolis », Manège de Sury, Mons, 13juin-18 octobre. www.mons2015.euCinémathèque de Tanger : www.cine-mathequedetanger.com

Salon marocain, Musée d’Art Contemporain de Serralves, Yto Barrada

AC : Lorsque j’ai vu cette structurecomme posée sur l’eau, dont la soliditérelative narguait l’océan, j’y ai vu, outreune beauté désolée, une dérive de plus,un monde à la dérive – et je pensaispeut-être au Parthénon, à l’Agora, auxcivilisations qui se succèdent, s’entre-choquent, s’entremêlent, se fondent, sedévastent - et toujours se poursuivent.Je photographie ces lieux à l’abandon,comme des tableaux qui hypnotisent leregard. La photographie fouille lesdéveloppements urbains, révèle nosconquêtes effrénées de territoires ; ellemet à jour le brouhaha du monde autantque la ruine grandissante des (lieux)laissés-pour-compte... je ne fais pas dephotographie documentaire. Je mets enrelation, j’exprime mon ressenti dumonde, j’explore ce que j’en découvreau gré de mes tribulations ; je poétisedes lieux, des espaces et du temps, enquelque sorte.

LP : Tes photos sont comme desapparitions spontanées...AC : Bien plus jeune, il y a d’abord eudes images mentales, charriées par lalecture d’auteurs : Ernest Hemingway,Levy Strauss et bien d’autres. Mesplongées dans leurs livres me laissaientvoir tant d’images d’un monde que jerêvais qu’il m’arrivait de m’y transpo-ser par la pensée et d’en ressentir dessensations physiques; j’en modifiaismes attitudes ou mes mouvements, jevoulais apprendre la nature et, seul, jeme suis mis à observer le monde quim’entourait … Devenir ces person-nages de romans me tenaillait. Je devi-nais le monde, naïvement : il m’appa-

raissait comme un vaste jardin publicoù pouvaient se côtoyer le naturel, levivant, le sauvage, le végétal, l’animal,le minéral… et l’humain, bien sûr. Cequi me fascinait, c’était de découvrir cequi s’y cache, ce qui ne se laisse pasapprocher facilement ; je me doutais dusecret qu’il contenait, ce monde, j’aspi-rais à découvrir l’envers du décor. Etpuis la force de la nature, sur terrecomme sur mer, me fascinait : il y avaittant d’espaces et de lieux que je meréjouissais de parcourir. Et puis, un jouril y eut le voyage physique : à partir delà, les images mentales se transformè-rent en images réelles – elles seconfrontèrent. J’ai d’abord regardé lemonde en le parcourant, en le traversant: je ne faisais pas de photographie.Aujourd’hui, alors que je continue à leparcourir, il m’arrive parfois d’avoir lesentiment que c’est lui qui me traverse,maintenant : alors, je le photographie. C’est effectivement je le pense, un sup-plément d’âme, mais aussi une position

que je prends pour rendre hommage àla conscience du monde, telle qu’elleaffleurait en moi au contact de ces écri-vains. Je pose aujourd’hui des imagespour signifier le rapport que notrehumanité entretient avec l’univers (oupas). Mes souvenirs sont nébuleux surl’auteur, c’est je pense John Berger ouCarl Havelange, qui disait que « lesimages qui tombent dans le privilège(d’être fixées et choisies sur de la pelli-cule) sont toujours des découvertes, quiéchappent à la préméditation du dispo-sitif. Alors, chaque image est nouvelleet solitaire. »

“Le Parti du Monde”Une exposition collective autour du tra-vail photo d’alexandre Christiaens Du 24/09/15 au 24/10/15Les abattoirs de BomelTraverse des Muses 18 - 5000 Namurwww.centrecultureldenamur.be

Les modestes propositions d’Yto Barrada

alexandre Christiaens : ilm’arrive parfois d’avoir lesentiment que c’est lemonde qui me traverse.

Page 11: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 11

Du 22 au 24 octobre, aCTUs connaî-tra sa quatrième édition à l’ecolesupérieure des arts de la ville deLiège (esaVL). entièrement dédiéesà l’art de la performance, cesjournées rassembleront des per-formeurs belges et étrangersextrêmement actifs sur la scène del’art contemporain. À l’initiative duprojet, les membres de l’asBL Rico-chets se sont associés à d’autres col-lectifs d’artistes européens dontl’activité principale concerne la per-formance (en particulier : PAErscheAktionlabor) pour inscrire cette nou-velle édition dans le cadre du projetArt of Encountering. Durant le moisd’octobre, cinq artistes chinoisseront invités à présenter leur travailen autriche, en suisse et en alle-magne, puis termineront leur tour-née à Liège. avec le soutien de laVille et de la Province de Liège,l’esaVL servira pendant plusieursjours de lieu d’expérimentation et deréflexion, autour d’une formed’expression artistique encore peuconnue du grand public belge.

Malgré sa position marginale sur lascène artistique contemporaine, la per-formance peut être envisagée commeune sorte de laboratoire de l’expérienceesthétique en général. Au sens où elledonne à voir l’exercice de la créativitéen acte. Du coup, pour le spectateur, seconfronter à cette forme d’expression –parfois radicale – revient bien souventà transformer en profondeur le rapportqu’il entretient aux œuvres d’art,quelles qu’elles soient. À suivre lesthéoriciens de l’art contemporain, lepropre de l’art serait de faire vivre auspectateur une expérience sensibleprise dans un rapport paradoxal de con-tinuité et d’exception avec l’expériencecommune (celle de tous les jours). Nossens et notre imagination seraientdirectement touchés, au profit d’uneexpérience dont la tonalité particulières’avère reconnaissable : une expérienceen excès par rapport à nos habitudes etqui nous fait basculer dans le domainesi singulier de l’art. La performances’inscrit de manière exemplaire dans ceprojet : elle semble l’une des animatri-ces principales de l’art actuel parcequ’elle vise à dégager – au-delà desparticularismes des médias d’expres-sion – un territoire très large (un labo-ratoire) d’expérimentation pour l’art. Àtravers leurs propositions, les artistesperformeurs montrent le travail de lacréativité à l’œuvre (plutôt qu’ils neprésentent des œuvres – au sens de« produits finis »).

Par ailleurs, la performance permetd’élargir l’expérience artistique au-delà des seules formes officiellementrépertoriées dans les Beaux-Arts. En cesens, elle est emblématique de l’artcontemporain ; elle est la lutte qui per-met que se dessine autrement le terri-toire des choses artistiques. Se cachersous un tas de feuilles mortes peut alorsdevenir une action dont la densité stim-ule directement notre imaginaire (Alas-tair MacLennan). Par son audace, laperformance transforme le découpagehiérarchique entre ceux qui ont droit auchapitre de l’art et ceux qui n’y ont pasdroit. Le domaine des actions mobil-isées par la performance artistique con-tribue exemplairement à la mise enexergue du découpage toujours problé-matique de la sphère des objets poséscomme artistiques (reconnus etdésignés comme tels par des indi-vidus) : qui autrefois aurait reconnucomme appartenant au domaine trèsprivé de l’art des actions telles que

danser sur des blocs de beurre avec destalons aiguilles (Melati Suryodarmo),enfouir sa tête dans un tas de terreau(Béatrice Didier), torturer des fraises(Eva Meyer-Keller) ou ingurgiterplusieurs verres de vin rouge pour lesrégurgiter ensuite (Julie T. André)? Etpour cause : en plus d’être potentielle-ment incongrues, ces actions ne ren-contrent aucune des convenancesreconnues par le système des Beaux-Arts et ne requièrent aucune formed’expression obéissant à des canonsbien établis.

Qu’est-ce qui fait alors qu’une actionpuisse être valorisée au rang d’actionartistique ? Et surtout : ces gestes à lafois quotidiens et décalés observés chezles performeurs sont-ils universels ?Inviter des artistes chinois à présenterleur travail à Liège, alors même queleur culture ne nous est pas familière, etproposer une session collective avecdes performeurs belges ou allemands(faire le pari de la possibilité d’un dia-logue), constitue pour cette édition undéfi inédit – et une expérience qui don-nera certainement à penser. Controver-sée et régulièrement soumise à la cen-sure par les autorités, la performances’est imposée en Chine à partir desannées 1980 comme une démystifica-tion critique des codes et des conven-tions de la culture chinoise : « Le con-cept de corps hérité de la tradition con-fucianiste et communiste veut que l’onne soit pas maître de son propre corps,lequel reste la possession d’une entitéautoritaire plus qualifiée que soi. Aussile simple fait de créer avec son corpsdevient-il une action contre l’ordreétabli » (Bérénice Angremy). Baignésdans une culture symbolique différente,serons-nous capables de mesurer laforce subversive des actions souventtrès physiques proposées par les artisteschinois?

La conférence introductive organiséedans le cadre de ces journées aborderafrontalement ce problème : La perfor-mance artistique pose-t-elle des gestesuniversels ? Est-elle l’occasion d’unlangage plus sensible, plus direct,moins dépendant des conjonctures où ils’inscrit (parce que basé sur une expéri-ence de présence effective) ?Autrement dit : le langage des actionsest-il transposable d’une culture àl’autre? A qui s’adresse la performanceartistique ? Et peut-on échanger enl’absence de codes communs ? Lesactions présentées dans les perfor-

mances font à l’occasion appel à dessymboles, précisément parce qu’ellessont généralement plastiques, et que lesmatières utilisées (surtout lorsqu’ils’agit des éléments fondamentaux : eau,terre, air et feu) sont souvent sugges-tives. Or même si des constantes nesont pas inimaginables, l’idée d’unesymbolique universelle qui rassem-blerait tous les individus autour dethèmes communs – évidents pour tous– semble, sinon impossible, à tout lemoins fragile. Si tous les hommes pos-sèdent un corps, il reste assez évidentque les postures et les usages en sontinfinis : les signes de salutation, lesgestes rituels, le rapport du corps àl’espace, aux distances, les habitudesliées à la nourriture, aux objets, toutesces choses sont culturellement condi-tionnées. Ceci dit, même si son langagen’est pas à proprement parler universel,la performance veut pouvoir s’adresserà tous. Non pas que son interprétations’impose avec évidence, mais au sensoù elle serait explicitement poly-sémique, ouverte et indéterminée, elleoffre à chacun la possibilité d’y trouverdes prises. Dans cette indéterminationréside son caractère politique, commel’a montré avec force le philosopheJacques Rancière. L’art performancepermet de sortir des déterminationsrigides, de ce qui nous assigne tropdéfinitivement à une culture, à ungenre, à une classe sociale ou politique.

Si la performance peut – comme on lesuggérait – servir de modèle à l’inven-tion artistique (au sens large), si ellepermet d’entrevoir le processus créatifà l’œuvre, c’est notamment parcequ’elle assume une certaine indétermi-nation positive – c’est-à-dire qu’ellelaisse pressentir son caractère tâtonnantet expérimental. Ceci ne veut évidem-ment pas dire que l’artiste soitdépourvu de projet ou indifférent auxeffets que pourrait produire son travail.Par contre, une expérience artistiquepourra être considérée comme aboutieindépendamment de son seul résultat(surtout s’il est décidé à l’avance), pourautant que toutes les opérations consti-tutives de l’action auront mérité lamême attention : chaque moment doitêtre soigné, y compris lorsqu’ons’éloigne du projet de départ.Autrement dit, si l’errance et lesbégaiements font partie intégrante duprocessus créatif, il aurait été absurdeles écarter systématiquement. Ils peu-vent ouvrir le travail artistique auximprévus. L’indétermination de l’issue

revêt généralement aux yeux des per-formeurs une valeur tout-à-fait signi-ficative au sens où elle intensifiel’ensemble.

Selon le philosophe anglo-saxon JohnDewey (lire son ouvrage de 1934 :L’art comme expérience), une œuvre –quelle qu’elle soit – ne peut atteindre àl’excellence sans quelque étrangetédans sa composition, c’est-à-dire sansintégrer au moins un élément inat-tendu : les aspects imprévisibles sontprécieux en tant qu’ils mettent l’œuvreà l’abri du mécanique et en tant qu’ilslui offrent une spontanéité que seule lanon-préméditation permet d’atteindre.L’artiste, comme le scientifique, doitêtre un découvreur, un expérimenta-teur. Sans quoi il prend le risque de neproduire qu’un travail strictementacadémique et sans vie. En évitant lesrépétitions à l’identique, l’artiste per-formeur cherche à préserver la créativ-ité de la maitrise virtuose. Il y aurait eneffet une technique stérile : celle quitourne à vide, qui se donne à voir demanière narcissique, qui s’observe sansse mettre en danger. En tenant comptedes incidents, en les intensifiant ou enles provoquant, l’artiste performeur sedonnerait par contre les moyens de pro-poser une expérience artistique fortequi dépasse la seule production del’œuvre mais qui l’accompagne –depuis l’émergence de l’idée, en pas-sant par toutes les errances ou erreurs,et jusqu’à l’accomplissement du projet(qui n’est pas une fin en soi mais quipoursuit l’ensemble de la démarche).En effet, l’expérience visée par l’artcommence bien avant la productiond’un objet fini et strictement identifi-able. Elle est nettement plus large.

L’indétermination de la performance –son caractère ouvert, non définitif,polysémique – affecte également laréception, par le spectateur, de laproposition. Si l’œuvre est suffisam-ment indéterminée, chacun peut poten-tiellement y trouver matière à faire uneexpérience sensible, émotive ou mêmeintellectuelle, mais surtout librementmenée. La performance nous dit« faites ce que vous voulez de moi »,en tenant à l’écart l’idée d’une justecompréhension, d’une interprétationconforme. Chacun peut vivre à partirde là une expérience singulière, sansrisquer de se tromper. L’interprétationde la performance n’est pas dirigée parles intentions de l’artiste, comme dansle cas des œuvres codées dont il faut

décrypter le sens. Telle est selonJacques Rancière la force critique decette forme d’expression : l’artiste per-formeur n’anticipe pas sur la com-préhension du spectateur, il ne pariepas à l’avance sur ses compétences ousur sa connaissance (voir Le spectateurémancipé). Surtout, le spectateur adroit à son anonymat : il a droit à ceque l’on ne vise pas en lui une certaineidentité (sociale, intellectuelle, raciale,ou autre). En ce sens très particulier, laperformance est potentiellementpartageable et génératrice de commu-nautés provisoires. Elle n’est pas uni-verselle au sens où elle rassembleraitdes individualités autour d’un systèmede normes particulier. Elle n’est pasuniverselle au sens où l’on partageraitun même code symbolique. Mais entant qu’elle s’abstient de viser tel ou telindividu, rien n’interdit de penserqu’elle puisse être reçue avec unengagement aussi intense dans des con-textes – culturels, notamment –extrêmement différents.

« La performance, c’est merveilleux,c’est le plus libre et le plus démocra-tique de tous les arts, tu n’as besoind’aucune discipline, tu n’as besoin derien, tu n’as besoin que de toi-même,tout sort de toi, tout le monde a ça. Laperformance, c’est comme un oiseauqui vole, qui s’arrête picoter ici et là etqui reprend son vol, comme unnomade, comme un gitan qui n’a mêmepas de charrette — c’est un art sansdomicile fixe qui peut s’installer par-tout » (Esther Ferrer).

Hébergé par l’ESAVL, l’événementACTUS comprendra une soiréed’ouverture à la fois théorique et fes-tive (jeudi 22 octobre) avec un dialogueautour de la question « La performanceparle-t-elle un langage universel ? »,auquel participera la chercheuse belgeBarbara Roland, suivi d’une conférenceautour de la performance en Chine –proposée par l’artiste Zhou Bin,reconnu comme l’un des plus grandsperformeurs chinois et organisateur dufestival de live art U-PON. Cette pre-mière soirée sera menée avec la collab-oration du Centre culturel chinoisZhong Ren. Les 23 et 24 octobre (ven-dredi 18 h 30 / samedi 16 h 00) serontconsacrés à la présentation de perfor-mances solos par les artistes suivants :Pierre Berthet (BE), Zhou Bin (CN),He Chengyao (CN), Yingmei Duan(CN), Anais Heraud (BE/DE), Chen Jin(CN), Boris Nieslony (DE), Gwendo-line Robin (BE), Gaetan Rusquet (BE),Evamaria Schaller (DE), Feng Wei-dong (CN). La deuxième soirée se clô-turera par une performance collective(open session) réunissant ces différentsartistes, à laquelle pourront se joindredes membres du groupe PAErsche etdes performeurs belges présents sur lesprécédentes éditions d’ACTUS.L’engagement de tous ces artistes sur lascène internationale, la diversité desstyles et l’originalité des perspectivesadoptées promettent une rencontreexplosive.

Maud Hagelstein

Textes : B. Angremy, « L’art perfor-mance en Chine », in Scènes, n° 26,décembre 2009. J. Rancière, « Le spectateur éman-cipé », in Le spectateur émancipé,Paris, La Fabrique, 2008.J. Dewey, L’art comme expérience(1934), trad. O. Marci, Paris, Galli-mard, 2010.

A qui parle la performance artistique? Polysémie du geste et réceptions multiples

Gaetan Rusquet, © Mathias Nouel

Page 12: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 12

LIEGE

annabelle Dupret: Pouvez-vous expli-quer l’origine de la réalisation d’uneexposition du CaP du 31 octobre au 13décembre 2015 à la Chȃtaigneraie?Jacques Lennep: C’est la 33ème exposi-tion du Cercle d’Art Prospectif (C.A.P.)depuis sa fondation en 1972. Une impor-tante rétrospective s’était faite à Namuren 2002 avec une publication réalisée àl’occasion par Dexia.Le projet de l’exposition actuelle remonteà 2001. L’idée était de mettre en évidenceles rapports qui se sont établis tout aulong de son évolution entre le CAP et desacteurs culturels liégeois. Jean-PierreRansonnet, membre du groupe, pritd’abord contact avec le Musée de l’ArtWallon. Mais le projet valsa aux ou-bliettes suite à la restructuration desmusées liégeois.En 2012, l’exposition CAP 40 ans.Images réelles et virtuelles au Centre dela Gravure et de l’Image Imprimée (LaLouvière) lui permit de relancer le projetgrâce à Marie-Hélène Joiret, directrice deLa Châtaigneraie à Flémalle. Quatorzeans … un délai qui permettra des mises àjour quant aux activités de ce groupe trèsactif.

Pouvez-vous dès lors m’expliquer plusen détail les liens qui se sont tissésentre le CaP et Liège?

Au préalable, je dois préciser que cesliens seront évoqués au rez-de-chausséede La Chȃtaigneraie par des oeuvres, desdocuments, et des vidéos, mais aussi dansle livre publié par les Editions YellowNow: CAP à Liège. On y trouvera destextes d’Alain Delaunois et de SébastienBiset. A l’étage, seront évidemmentexposés les membres du CAP (PierreCourtois, Jacques Lizène, feu Jacques-Louis Nyst, Jean-Pierre Ransonnet, etmoi-même) mais aussi notre invité :Jacques Charlier.Le CAP n’est pas un groupe liégeois(moi, d’ailleurs, je ne suis pas liégeois): ila été fondé à Bruxelles. Au début, s’ytrouvaient surtout des artistes abstraits,

mais qui se sont rapidement éloignés dugroupe, du fait de l’intérêt de celui-cipour la vidéo. Le groupe a acquis sa per-sonnalité dès l’arrivée d’artistes liégeoisou de la région : d’abord Nyst, puisLizène, enfin Ransonnet. Nyst, qui avaitune vaste propriété, y invitait le groupe àpasser des weekends pour y faire de lavidéo. C’était vraiment très sympathique. On y rencontrait notamment GuyJungblut, le gendre du pataphycisienAndré Blavier. À la fin des années 60, ilavait une petite galerie En Roture :Yellow Now. Son originalité: il y mon-trait des artistes plasticiens utilisant laphotographie (à l’époque, c’était unnouveau mode d’approche). Il encoura-gea des artistes comme Nyst et Lizène àutiliser ce mode d’expression et lesexposa avec des artistes étrangers, surtoutFrançais qui depuis lors sont devenus desgloires, mais qui, à l’époque, étaientencore « underground ». Il fonda ensuiteune maison d’édition pour publier tousces travaux. Son investissement estimmense à l’égard du groupe et de sesmembres qu’il n’a cessé de soutenir. On rencontrait également chez NystManette Repriels qui venait de fonderaux Chiroux la galerie Véga. Elle avaitproposé à Pierre Courtois (qui avaitobtenu le Prix de la Jeune Peinture en1972) de l’exposer. Courtois, qui suivaittoujours ses études à Saint Luc, préféracéder sa place au CAP. À cette occasion,la galerie édita une grande sérigraphiecollective pour laquelle chacun réalisaune image sur le thème du cerveau, de latête (CAP). Chaque image pouvait êtredétachée, comme des timbres-poste.C’est Gilbert Herreyns, sérigraphe, qui laréalisa.

Y a-t-il d’autres acteurs que vous ai-meriez évoquer également ?Lors des weekends vidéo chez Nyst,chacun tournait un sketch (assezcourt…), avec le matériel et les techni-ciens de deux studios: la RTC de Liège(Radio Télévision Culture), ou l’ICCd’Anvers (Internationaal Cultureel

Centrum). Les bandes collectives étaientdistribuées dans le monde entier car il yavait énormément de manifestationsvidéos à l’époque. Et nous étions despionniers. Certains travaillèrent séparé-ment avec ces studios. Donc, la « RTC »,a également été un acteur important dansl’histoire du CAP à Liège Je dois tout demême préciser que nos recherches vidéoont débuté à Bruxelles grâce au GroupVideo Chain dirigé par Raymond Zone.Mais pour celui-ci, il s’agissait plutôt defaire des documentaires sur les artistes —et nous, ce n’était pas du tout ce qu’on re-cherchait. Notre collaboration a donccessé rapidement.

Y a-t-il eu d’autres associations lié-geoises qui ont soutenu le CaP ou sesmembres?Oui, l’APIAW (Association Pour leProgrès Intellectuel et Artistique de laWallonie) dirigée par ErnestSchoffeniels, un éminent biologiste. Sil’APIAW n’a jamais consacré une expo-sition au CAP, des membres y ont faitdes expositions tout à fait dans l’esprit re-lationnel qui animait le groupe. Ainsi, le

professeur Schoffeniels avait fait une re-cherche sur une plage de Floride: MyrtleBeach. Ce qui avait intéressé Nyst, quilui consacra en 1973 un travail exem-plaire comportant des planches gra-phiques, un film et une conférence (trèsparticulière, comme lui seul pouvait enfaire). Quant à moi, j’ai pu y présenter,début 1976, un sculpteur de marrons :Pierre Bonvoisin. Celui-ci vivait dansune maison de retraite située dans la pro-priété de Nyst. C’est Nyst qui nous avaitindiqué ce personnage auquel JacquesEvrard, un photographe qui participait ànos weekends, consacra une vidéo. Moi,je proposai à Schoffeniels de monter uneexposition. Ce fut une manifestation re-présentative de l’esprit relationnel dugroupe, et dans laquelle trois de sesmembres étaient impliqués.Plus tard apparut Lino Polegato qui avaitfondé la galerie Flux à Liège, mais aussila revue Flux News. Il nous consacra unnuméro spécial lors de la rétrospective àNamur puis, en 2003, une expositiondont Charlier fut l’invité. J’avais toujourssouhaité qu’il fasse partie du groupe maisNyst m’en avait dissuadé, me disant :« Charlier joue déjà dans la cour desgrands »

il y a une question qui est irrésistibleaujourd’hui par rapport au C.a.P.: sarecherche n’a-t-elle pas une portéebien plus vaste que la pratique desmembres du groupe?Lors de nos réunions à Sprimont, je trou-vais qu’il pouvait être intéressant de setrouver un concept commun, une hypo-thèse de travail, car chacun des artistesfaisait des choses très distinctes et trèspersonnelles. Mais, selon moi, il y avaitquand même quelque chose qui nous ré-unissait. D’ailleurs, à cette époque, lescritiques étaient très embarrassés. Ils di-saient que l’art était disparate et incohé-rent (il y avait du body art, du land art, duconceptual art, etc.). Et ils ne percevaientpas quel en était l’élément unifiant. Enfait, ils confondaient technique d’expres-sion et principe esthétique…Courtois concevait alors des œuvres quiavaient pour titre « Relation ». C’étaientsouvent des paysages « conceptualisés ».Ce terme était très représentatif de ceque nous avions en commun. Et c’était,pour moi, ce principe esthétique qui uni-fiait les expériences menées à cetteépoque. Nous avons alors parlé de« concept de relation », « d’idée de rela-tion », mais jamais « d’art relationnel »(mais celui-ci a été propagé rapidementpar les critiques). Il faut signaler aussique ce concept était alors clairement dé-veloppé dans les milieux structuralistes etscientifiques en pointe, qui y incorpo-raient notamment l’interdisciplinarité(l’ouverture sur d’autres champs et disci-plines).

Nyst était très convaincu del’intérêt de cet « art relation-nel ». Il l’enrichit par l’apportde la lecture, un élément d’im-portance chez les structura-listes. Quand il proposa sacandidature pour le cours devidéo à l’académie de Liège, ildéposa un dossier sur l’apportnovateur de l’art relationnel. Avez-vous été en contact avecdes artistes ayant des accoin-tances réelles avec ce conceptde « relation », des personnesvenant d’autres disciplines?Au cours des années 70, on ainvité une soixantaine d’ar-tistes, au nom de ce conceptrelationnel, que ce soit dansnos expositions ou publica-tions. Il y eut surtout, en 1977,Le Jardin – lectures et relations

une ouvrage pluridisciplinaire qui ras-sembla un florilège d’artistes et de repré-sentant d’autres disciplines notammentscientifiques. Puis, dans le même esprit:le livre « Relation et Relation » qui sortitavec retard en 1981, avec pour sous-titre:« Contribution à l’étude de l’esthétique etde l’attitude relationnelle ». Tous deuxpubliés par Yellow Now. Parmi les ar-tistes invités, il y avait Boltanski, Costa,Forest, Gerz, Gette, Hutchinson, Le Gac,Paik, Pane, les Poirier, Venet, Vostell…

Qu’est-il advenu de ce concept rela-tionnel?C’est un concept assez large qui vise lastructure de l’œuvre, son aspect narratif(aspect très développé chez Nyst) et sadimension sociale (évidente au débutchez Ransonnet, Lizène puis dans monMusée de l’homme). C’était un dévelop-pement de ma théorie des 3 RE, des troismodes de relation. Fred Forest l’intégradans son manifeste de l’Art sociologiquepublié dans Le Monde en 1980. À la findes années 90, Nicolas Bourriaud propa-gea une esthétique relationnelle qu’il pré-tendit originale et représentative dejeunes artistes des années 90. Il ne fitjamais allusion à Forest, son compatriote,et encore moins aux Belges. Les mises aupoint ont été faites dans des études uni-versitaires récentes, notamment dans ledoctorat de Sébastien Biset.

Vous évoquez l’aspect social de l’artrelationnel. a-t-il été développé au seindu C.a.P.?Il s’est plutôt développé dans mon Muséede l’homme dont la première expositionfut consacrée à Pierre Bonvoisin. Mais enfait, j’en avais déjà eu l’idée en 1974 enencadrant un gardien des Musées royauxdes beaux-arts où je travaillais. Il s’agis-sait de mettre en valeur l’aspect humainoublié par les musées.

Dans l’existence aussi longue d’ungroupe (43 ans…), il dut parfois yavoir des tensions?Très peu. Ce n’est pas un groupe à l’an-cienne avec manifestes et excommunica-tions ! Au tout début, les abstraits lequittèrent en douceur. Puis, il y eutquelques escarmouches avec Lizène quiaimait nous titiller. Ainsi il claironnaitqu’il pratiquait, lui, un art « syncré-tique ». Malgré une exclusion passagèreen 1977, il n’en resta pas moins unmembre assidu dont l’apport est d’unegrande originalité.

exposition « C.a.P. »Du 31 octobre au 13 décembre 2015Centre wallon d’art contemporain «LaChâtaigneraie»Chaussée de Ramioul, 19 — B-4400Flémalle

Géographies du Cercle d’Art Prospectif :Entretien avec Jacques Lennep

Une soiree a Sprimont autour de Manette Repriels, 1974

Quand la question du hors champ devient primordiale...

Les pièces présentées à la galerieFlux, ( vidéos, dessins, sons ), sontissues d’une réflexion sur une ques-tion cinématographique: la capta-tion à 360° d’un espace, travelinglatéral, qui sous-entend la prise encompte du cadre, du hors champ,du glissement des images.

La question du hors champ - qu’il soitsonore ou en rapport avec les images -est fondamentale dans la démarche ducollectif, mais apparaissent aussicelles de la temporalité en boucle, duplan séquence, de l’occupation ou du

vide de l’espace, de la réalité du lieu,de la construction chorégraphique oude la narration. Chacun assure à tourde rôle la mise en scène et la directiondes membres du groupe. L’installa-tion des vidéos dans l’espace de lagalerie permet d’avoir une visiond’ensemble sur six supports différents.

Un autre principe de travail a été misen place pour la production des des-sins. Les interprétations graphiquesd’un même paysage s’additionnent parcouches. Les dessins originaux ont étépassés par le filtre de différents procé-

dés mécaniques ou numériques qui lesunifient. Scannés, vectorisés, repro-duits, leur superposition rejoue la fric-tion et les croisements expérimentésen collectif pour aboutir à une imagedense.

Collectif aperto« si l’image est chargée » >3/10/2015Galerie Flux, 60 rue Paradis, 4000 Liège,ouvert du jeudi au samedi de 16h à 19H

au sein du collectif aperto, la cogitation, le workin progress, sont au centre du boulot. La machinequ’ils ont conçue pour le tournage fait le reste,c’est-à-dire un travail de finalisation sans inter-vention humaine. Un dispositif de type machiniques’occupe de la captation en traveling à 360° dansl’espace. Un travail à valeur technologique pauvre,bricolé, mais riche de sens.  Le lent mouvement dela caméra en balayage latéral contribue à rendre lesentiment de vie tant recherché. in fine, une pro-duction autonome, sans signatures, qui prônel’effacement de l’ego de l’artiste pour offrir la pri-mauté à l’objectivité erratique de la machine.L.P.

Ils viennent tous de Montpellier. Ils ont, indépendamment de leur travail d’artiste une démarche prospective tournée vers l’élabora-tion de projets collectif.  A l’occasion de l’exposition à la galerie Flux, Eric Delayen (B) a été invité à participer au processus créatif.Une résidence d’une semaine qui a abouti à une exposition visible jusqu’au 3 octobre.

Page 13: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 13

Le BPs22 rouvre ses portes aprèsrénovation. avec une programmationenrichie, des espaces d’expositionadaptés à divers formats artistiques,plus de confort pour le public. Devenumusée d’art de la Province de Hainaut,il n’en conserve pas moins une appro-che subversive. Comme en atteste sondirecteur, Pierre-Olivier Rollin.

Le BPs22 passe du statut d’espace decréation contemporaine à celui demusée d’art de la Province de Hainaut.Cela a-t-il un impact sur la nouvelleprogrammation ?

Nous souhaitons diversifier la program-mation, et non plus suivre une ligne uni-que, tout en proposant toujours autant degrandes expositions d’artistes qui traitentdu monde contemporain et un point devue décalé. Par ailleurs, la collection de laProvince de Hainaut a été mise en dépôtau BPS22 et la programmation de 2016sera dédiée aux collections communes.Celle de la Province rassemble plus de6000 œuvres, de la fin du 19e siècle audébut du 21e, de différentes disciplines:peinture, vidéo, installation, performance,tapisserie... ainsi qu’un important fondsd’archives. Elle est surtout axée sur lesartistes hainuyers, comme Marthe Wéry(1930-2005), artiste belge majeure de lapeinture non figurative. S’y ajoute un donimportant de la famille de l’artiste auBPS22, en 2012. Un aperçu complet deson œuvre sera exposé à partir de juin.

Les deux collections se révèlent donccomplémentaires ?

Oui, tout en suivant trois axes: l’art enHainaut, le Surréalisme et les rapportsentre l’art et les différentes formes depouvoir. Les collections du BPS22 peu-vent aussi apporter un autre éclairage à

l’histoire de l’art officiel en proposant desunivers parallèles, comme la contre-cul-ture (punk, techno...) ou le graphisme. Oud’autres productions d’artistes, moinsconnues: aux côtés de deux tableaux deWarhol, nous disposons de deux pochet-tes de disques qu’il a réalisées, ou encorede partitions musicales de Magritte... Lapremière exposition axée sur les collec-tions communes de la Province de Hai-naut et du BPS22 s’intitule Uchronie.

Dans la fiction littéraire ou cinématograp-hique, l’uchronie est un genre qui reposesur le principe de la réécriture de l’His-toire à partir de la modification d’un élé-ment du passé. L’idée ici, est de proposerune histoire de l’art “ modifiée “, ainsi qu’un nouveau regard sur l’art et l’état dumonde, en articulant les œuvres ancien-nes, modernes et contemporaines desdeux collections. Au travers notammentde rencontres singulières entre AndyWarhol et René Magritte, Cindy Shermanet Marthe Wéry, Pierre Paulus et BanksViolette,...

Juste avant cela, pour ouvrir la saison,le BPs22 présente l’exposition LesMondes Inversés. Art contemporain etcultures populaires, organisée dans lecadre de Mons 2015.La quarantaine d’ oeuvres significativessélectionnées, produites par des artistesd’ici et d’ailleurs, abordent le thème durenversement symbolique des systèmesdominants -d’ordre politique, religieux,social, familial, artistique ou autre-, etévoquent d’autres modèles d’organisationdu monde qui sont autant de “mondesinversés”.

Les artistes puisent régulièrement leurinspiration dans la culture populaire (folk-lore, coutumes, légendes anciennes, tech-niques artisanales…). Quel que soit lemédium utilisé. Peinture, sculpture, instal-lation, vidéo, photographie, etc. Le carna-val par exemple est un thème récurrent,un moment de subversivité durant lequella population se détache de l’ordre établiet accède à l’utopie de l’universalité.

Le weekend d’ouverturedes 26 et 27 septembre fera la partbelle aux performances, cela annonce-t-il plus d’interventions de ce type dansle futur? Cela dépendra des subsidesalloués, mais des collaborations devraients’opérer avec Charleroi Danse et leThéâtre de l’Ancre. Le weekend se veutconvivial, avec une dimension culturelleimportante, des visites guidées gratuites,des ateliers créatifs et des performances.Entre autres, Eric Delmotte se muera enjouet télécommandé, Emmanuel Giraudmontera un banquet culinaire qui évoquele Pays noir, et Ulla von Brandenburgs’interrogera sur l’humanité dans unesorte de tableau vivant.

L’architecture du musée a égalementété repensée ?La mission confiée à l’architecte FilipRoland était de conserver les caractéristi-ques de l’ancien espace industriel duBPS22, le volume, les références histori-ques... et d’en compenser les faiblesses.Notamment au niveau de l’approche con-

textuelle artistique, il manquait d’espacesadaptés à des oeuvres de plus petit ou deplus grand format, ou à des présentationsvidéos. Aujourd’hui, grâce à la grandevolumétrie de la halle principale, l’onpeut montrer plus d’oeuvres. De même,une salle blanche a été aménagée pouraccueillir des documents plus fragiles,avec un éclairage plus modulable et direc-tionnel. Le lieu répondra davantage auxbesoins des artistes, avec par exemple dessoirées organisées autour de la présenta-tion d’un livre. Par ailleurs, l’aspect brutde la grande halle a été conservé, mais leconfort des espaces d’accueil et de circu-lation du public a été amélioré.

Catherine Callico

BPs22: Les Mondes inversés art contemporain et cultures populaires26.09.2015 - 31.01.2016

CHARLEROI

L’artiste Yvan alagbé, auteur etdessinateur faisant partie de la mai-son d’édition du FReMOK, et fon-dateur d’une de ses parties his-toriquement constitutives – amok(la branche française de la maison),a lancé un projet hors du communcet été à La « s » Grand atelier dansle cadre d’une résidence d’été deplusieurs semaines permettant à desartistes de réaliser des projets artis-tiques avec des artistes porteursd’un handicap travaillant au seindes ateliers.

Sous le couvert d’un projet enapparence très simple, Yvan Alagbétouche ici à toute la question du statutdes auteurs, c’est-à-dire dans toutesleurs situations éminemment partic-ulières, à chaque moment d’expériencegraphique, tout à fait unique et sin-gulière, même au plus près d’unprocessus de copie qui a une longuetradition derrière elle : la gravure. Fruitd’une expérience de mise en commundu travail (les grandes tables de l’ate-lier de peinture de La « S » y serontconsacrées pendant une véritable ses-sion d’invention et de création collec-tive avec tous les artistes incondition-nels de l’atelier présents pendant cettepériode de vacances), apparaît aussi,toute la singularité de chacun desauteurs qui s’y investit. Et la part dechacun des auteurs, dans un processusoù les dessins des uns s’échangent

contre les plaques de lino des autres,ne sème aucun doute, c’est bien avecdes artistes auteurs parfaitement enphase avec leur réalisations que la rési-dence se déroule. Tout en brouillant lespistes de l’attribution, c’est parce queces auteurs sont reconnus par les uns etles autres comme tels que l’expériencedébouche sur de réelles réalisations…

Le point de départ du projet est trèssimple. Au départ de ses propresaffinités visuelles et artistiques, de sesdécouvertes des nombreuses œuvres deGustave Doré qui ont été gravées à lafin du 19ème siècle, Yvan Alagbéperçoit la particularité d’unphénomène qui paraît tout à faitanodin. Alors que l’on attribue toutesces gravures à Gustave Doré, ellesrévèlent toutes, sous un regard un peuplus attentif, des graveurs interprètesayant tous des traits d’approche et ununivers plastique propres. Autrementdit, l’auteur d’un immense patrimoined’images d’Épinal illustrant la Bible,Gustave Doré, suscite directement laréférence à « ses » gravures, lors-même que dans ce cas précis, elles nesont pas de sa gouge (elles ont été réal-isées par des artistes graveurs au coursdu 19ème siècle pour être largement dif-fusées ensuite). Phénomène étonnant,le grand public ne perçoit pas qu’uneinfinité de graveurs, laissant chacunune patte particulière à sa copie dumaître, se sont prêtés à travailler avec

tout leur art graphique et leurs affinitéspropres, et leur style parfois presqueimperceptible, ces originaux, pourqu’ils soient reproduits en un nombrevaste d’exemplaires dans les recueilsreligieux. L’œil attentif aux gravures,permet de déceler une singularité appa-raissant presqu’en filigrane dans cha-cune des planches…

S’étant immiscé une première foisdans la vie des Ateliers de La « S » àl’occasion d’une résidence collectivesous les auspices du thème « Ave Luia», Yvan Alagbé a alors l’intuition departir de cette observation des gravuresattribuées à Gustave Doré pour en faireun projet en soi pour une résidenced’été à La « S », qui aurait une réelleparticularité : proposer aux uns de faire

des « copies » degravures de Gus-tave Doré, et auxautres, de faire unsecond transfert deces copies en lesgravant sur le lino.Ce processus auraitla particularité derévéler la multi-plicité possibled’auteurs dans uneréalisation et à lafois leur singularitépropre, révélant,non sans humour,la multiplicité des

lectures d’un sujet aux airs consacrés.En filigrane, mais aussi dans la fougued’une expérimentation, et d’une petiteusine à produire des images, des rela-tions se tendent entre les auteurs desdessins, et les auteurs des gravures,non sans révéler la curiosité des per-sonnalités affirmées qui participent àcette manufacture temporaire et con-temporaine. Des plaques gravées et despersonnalités qui se révèlent dans cetourbillon de production, on ne saitplus lesquelles sont les plus hautes encouleur… Ainsi par exemple, un duode choc se constitue le temps d’un xxentre Marie Bodson et Jean-ChristopheLong (également auteur au Frémok), etl’on ne sait alors plus si c’est la gougeou les jeux de l’un et de l’autre qui pri-ment…

On l’aura peut-être compris, avec lesouffle d’une recherche élaborée etd’une réflexion affutée, les résidencesd’été à La « S » sont aussi la possibil-ité de lancer de nouvelles expérienceset de renouveler des pratiques d’atelierqui n’auraient pas été imaginées toutau long de l’année. C’est ainsi que sesont joints à l’expérience Jean-Christophe Long, Thisou Dartois,Gerda Dendooven, Benjamin Monti, etBillie Mertens, qui recherchaient aussiune expérience inventive cet été. Lesrésidences sont un moment de relâcheprovidentielle recherchée par tous ;une occasion aussi, pour l’équiperégulière, de lâcher les rênes de sesateliers et de se consacrer à desrecherches plus individuelles. Ainsi,pendant la résidence, Patrick Perin, lechef d’atelier, s’est retranché avecIrène Gérard dans un antre aux airs dechapelle (consacré aux expositionsdurant l’année), pour travailler à deuxà l’élaboration d’un retable inspiré del’Agneau Mystique de Van Eyck.

annabelle Dupret

Expériences en or autour de Gustave Doré :Une résidence ficelée par Yvan alagbé à La « s » Grand atelier…

Yvan Alagbe et Thisou Dartois a La S Grand Atelier -Residence d'ete - Aout 2015

BPS22, façade - photo: Leslie Artamonow

PERRY Grayson, Revenge of the Alison girls

Un BPS22 tout neuf

Page 14: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

La Biennale de Venise 2015 : epique et solennelle all the World’s Futures, aux Giardini Globalement, la Biennale de OkwiEnwezor est décevante. Elle ne remplitpas le programme annoncé d’une poli-tique des événements, des contes,chansons et autres performances atten-dues. Que ce soit à l’ARENA, espacede spectacle et projection spécialementconçu dans les Giardini au cœur dupavillon international, ou en ville, larencontre avec le happening, tousgenres confondus, est rare. La lecturedu Capital de Karl Marx promise encontinu par Isaac Julien est retransmiseen projection et non en Live. Le Spea-king Corner de Saâdane Afif prévuquotidiennement aux Zattere ne se pro-duit qu’occasionnellement.

A l’ARENA, je suis tombée aumoment où était retransmis Le joli mai,magnifique film de Chris Marker oùhommes et femmes à Paris parlentlibrement et non sans contradiction deleur vie et de leurs erreurs. Je me suisdemandée si ce film tourné en 1962anticipait sur mai 68 (du fait de sontitre ?). Sans doute un peu, involontai-rement, quoiqu’il ait surtout qualitéintemporelle, ce que j’ai pu percevoirau détour des quinze minutes que je luiai accordé (sur une longueur de film de2h30). Car la suite du pavillonm’attendait, et au risque de me répéter,il fallait avancer montre-en-main ! Cefilm, j’allais pouvoir le revoir en vidéochez moi un soir (il est sorti aux éd.ARTE en 2012). Il ne présente aucuncaractère neuf ou original, tout demême présumé peu ou prou au coursd’une biennale d’art contemporain.Que ce film importe à Enwezor et sonéquipe pour leur sélection à l’ARENA(faite avec l’aide de Mark Nash etIsaac Julien), je le conçois. Mais lemontrer dans ces conditions, où per-sonne ne verra le film en entier, çavaut au titre de quoi ? De vignetteétayant le propos social, sociétal etanthropologique du commissaire ? Oubien doit-on se dire qu’en voir un frag-ment suffit ? Que cela donne le ton,envoie l’impulsion et innerve nossens ? Pour, au mieux, se concentrersur la suite de l’exposition et enchai-ner, au pire, consommer de l’image parpetits bouts. La bonne surprise, c’estqu’un peu plus loin, sont accrochéesdeux rangées de photos de Chris Mar-ker extraites de sa série The Passen-gers (2008-2010). Le réalisateur defilm expérimental, résistant durant laguerre 40, militant pour les droitshumains et vent debout contre touteforme d’oppression avait aussi pris enphoto « des figures dans le métro », c.-à-d. autant de portraits singuliers,reflets d’une immense humanité, pho-tographiés en clichés numériques et encaméra cachée. C’est le galeriste PeterBlum à New York qui les a révélés en2011. Ils ont ensuite été amplementmontrés aux Rencontres d’Arles lamême année.

Qu’en ce Pavillon international auxGiardini (passée la zone de l’ARENAconçue par Enwezor), l’on découvrel’installation filmique d’AlexanderKluge est une belle surprise. Encoreune fois, l’on pourrait dire « rien deneuf sous le soleil » car ce réalisateurpeut-être méconnu du champ des artsplastiques est un pionnier du « nou-veau cinéma allemand » et une figurede proue du film non commercialdepuis les années 60. Ce qu’il nousmontre est un extrait de son documen-taire Nouvelles de l’Antiquité idéolo-gique : Marx/Einsenstein/Le capital

(durée du film : 9h, durée de l’installa-tion : ca 40 min). Si l’œuvre en soidemande aussi du temps pour être per-çue, du fait qu’elle est conçue en dis-positif à trois écrans diffusant un choixd’images limités d’une part et encontinu de l’autre, elle acquiert unequalité plastique et environnementalequi confère à l’ensemble de l’épais-seur. La participation de nombreuxintellectuels et philosophes qui se lais-sent aller à l’entretien, dont MiriamHansen, spécialiste de cinéma et sonrapport au « modernisme vernacu-laire » du film en soi, nourrit uneconstruction qui prend le projet deEisenstein, désireux de filmer Le Capi-tal de Marx en image en 1927, enmodèle – ce qui ne verra jamais lejour. Est-ce qu’on peut « représenter »Le capital, Kluge en doute aussi mal-gré sa fabuleuse pratique d’un récitallégorique combiné d’intertitres, decoupes et autres incrustations deséquences cinématographiques. Enrevanche, ce qu’il amène de précieux,c’est qu’en réalité, « Marx n’est niactuel, ni démodé : c’est un classique »(Frédéric Jameson). Ce flux d’imagesgénialement montées a quelque chosed’illuminant.

On le sait, le format « installation »utilisé par nombre de réalisateurs defilm expérimental offre une plusgrande visibilité à leur œuvre, souventboudée en salle de cinéma. ChantalAkerman tient parmi les premières àl’avoir usité à l’instar d’Harun Farockidepuis les années 1990, ainsi queGodard qui adopte ce mode visuellepour ses Histoires de cinéma en instal-lant différents moniteurs dans unpavillon de Dan Graham lors de laDocumenta X en 1999 (sous la dir. deCatherine David), un grand moment !Ceci représente une évolution mani-feste du cinéma au contact de la vidéo,correspondant à la tendance d’effacerles frontières entre les arts. Pourquoi,c’est un autre débat. Avec Now, Aker-man distribue une série d’écrans etd’enceintes dans l’espace sombre desorte que le visiteur « entre » dans lesimages selon un parcours physique (etce, depuis D’Est, en 1995). Je ne sais

si ça s’use à la longue, ou si cesimages de road movie prises dans lesdéserts et en front de mer sur fond (ausol) de captation aérienne de la NASAtendent à se banaliser, même à vouloirtraduire A tragic Space. Mais le travailn’attise plus la même fascination, etl’artiste semble s’essouffler.

Au compte des œuvres vidéo dans cePavillon international, je retiens encoreGiving Birth de Fatou Kandé Senghoret Edit of Time and a Half de MikaRottenberg, des productions àl’opposé ! La première suit avec sacaméra le travail d’une sculptrice séné-galaise de figures en céramique et àcaractère mystique. Si le déroulé dufilm donne l’impression d’un docu-mentaire (et pas d’une œuvre d’art,encore que l’un empêche-t-il l’autre?)et que l’on se questionne dès lors surqui est l’auteure de l’ouvrage artis-tique, la réalisatrice ou la sculptrice,l’on pénètre dans cette zone d’ombreoù le travail « ordinaire » de l’unecomme de l’autre, convoque le mys-tère et le sacré. L’accouchement par lacéramiste d’un être hominien issu de laterre tisse un nouveau rapport avec leprésent grâce à la mise en lumière dece geste intime et sa captation encadrage caméra. En d’autres termes, àla question « est-ce que Fatou KandéSenghor ne retrace pas simplement lesfaits d’une pratique ancestrale », lavraie réponse, c’est qu’elle donne nais-sance à cette action au titre de perfor-mance, agie d’instinct, et aussi nonreléguée dans les décombres d’unsavoir obsolète. A l’inverse, Mika Rot-tenberg déploie un arsenal d’imagesfantastiques à l’écran, dont cet épisodede longs ongles peints en décalcoma-nies qui tapotent une table de restau-rant en formica et rythment un tempsinfini ! Derrière, s’envole une séried’assiettes en plastique pendant que lachevelure noire de la jeune serveuseasiatique flotte dans les airs à l’iden-tique d’une pieuvre en gesticulation.Tout est éthéré. Le propos ésotériquede cette affaire n’en est pas moins pro-fond comme le démontre l’autre etplus importante création de cette artisteà la Corderie, NoNoseKnows. Là, Mika

Rottenberg prend pour motif uneexploitation de perles fines en Chinedont on trouve des monticules de sacsà l’entrée de cet antre où se déroule lavidéo. Elle y agite la vétusté des condi-tions de travail dans une scénographietant féérique qu’exécrable où le typeaux manœuvres, dans une cave cras-seuse, porte une prothèse sur le nez.Des bulles de savon ainsi qu’un nuageimprobable circulent dans les bureaux,métaphore du capital-richesse produit.L’ensemble stimule une sorte d’irrita-tion, en même temps assez drôle. Aufait, ouvrir ces huîtres à la chaîne faitfigure d’envers de la scène quasiincantatoire de la médium et céramisteSeni Awa Camara, citée plus haut. Lesactions manuelles de chacun(e) relè-vent de modèles de société aux anti-podes remuant l’âme dans un cas,l’argent dans l’autre, en toute synchro-nie. Cette mixité hétérogène, c’est pré-cisément ce que brasse All TheWorld’s Futures !

Dans l’ensemble, le programme decette Biennale croise donc l’ancien etle nouveau dont Hans Haacke face àOscar Murillo, Walker Evans et plusloin, Huma Bhabha ou Elena Damiani,

Isa Genzken aux côtés de John Akom-frah, avec en ligne de mire, l’humanitéconfrontée au mécanisme de la mon-dialisation, des hyper puissances qui seconstituent ou entendent le rester, desinégalités abyssales qui s’en suivent etdes guerres disséminées qui servent,pour beaucoup, à maintenir les rap-ports de force au sein d’une sociétédevenue trop souvent servilementexploitante.

En ce qui concerne les Pavillons natio-naux aux Giardini, je livre ici mon hitparade : Vincent Meesen (Bel) magni-fique, Joan Jonas (USA) sublime,Heimo Zobernig (Autriche) splendide,C.T. Jasper & Joanna Malinowska(Pologne) formidable, Adrian Ghenie(Roumanie) solide, Maria Papadimi-triou (Grèce) clair et beau, CamilleNorment (Norvège) finement mené,Tsibi Geva (Israël) et Marco Maggi(Uruguay) assez réussi. Quant àl’œuvre de Chiharu Shiota (Japon) quifait la une, c’est théâtral et très attendu.Ailleurs, je retiens Sarkis au pavillonturc, Joao Louro (Portugal), DamirOcko (Croatie), et bien sûr, l’Irand’une part et l’Arménie de l’autre quiont réalisé de vraies expos en soi.

Fabio Mauri, entrée du pavillon international dans les Giardini, © Luca Stefanon

Pavillon belge, intervention de Elisabetta Benassi, artiste invitée par Vincent Meessen© Luca Stefanon

Page 14

Page 15: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 15

« Voir vite », c’est la première critique que jeferai au sujet de cette 56e Biennale de Venise.Elle porte sur son organisation plus que soncontenu. Mais elle est significative. Et elle vautsans doute dans une certaine mesure pour lesprécédentes biennales. Le pass d’entrée proposéau public s’élève à 30 € et vous donne accèsaux Giardini et à la Corderie durant deux jours,ce qui est de toute évidence trop court pour voirce profil de méga-exposition. L’entrée à lapresse n’est offerte que si vous venez au vernis-sage, dans la foule et englué dans tout le rela-tionnel qui va avec. Plus tard, avec la mêmecarte de presse, celle de l’ABCA-BVKC(AICA) compris, et même si vous vous êtesannoncé par mail à l’avance (et que vous avezdéjà écrit un billet sur la Biennale ; cfr FluxNews n° 67 en ce qui me concerne), il vous estdemandé 14 € pour avoir accès à « cette matièreartistique » sur deux jours, toujours ! Le professionnel de l’art qui veut s’étendre a lechoix, soit de s’en tenir là, soit de rempiler et

payer une seconde contribution. Sauf si vousêtes de la TV, m’indique maladroitement la res-ponsable au bureau de presse ! Le ton est doncdonné. La Biennale participe d’une machinecommerciale qui fait sensiblement perdre la têteaux organisateurs, commissaire principal com-pris. Pour tout visiteur, à quand une formulesouple qui permet de voir les œuvres souventchargées, posant leur part d’énigme, insistantparfois sur une présence physique, nécessitantune participation mentale, à celles et ceux quidésirent saisir cet art contemporain si multipleet divers ? Je veux dire, à quand une billetteriequi n’impose pas le marathon de deux jours ?En ce qui concerne le traitement accordé à lapresse où l’on sait qu’il y a de l’abus, les cartesde presse « sauvages » s’imprimant à tout va, àquand un juste, bon et honnête tri ? Par les orga-nismes concernés comme par les entreprisesd’exposition.i.L.

all the World’s Futures, aux Corderies

C’est aux Corderies de l’Arsenal que Enwezors’affranchit davantage et sort de sa réserve. A dis-poser d’entrée de jeu, une combinaison d’œuvresassociant une série de phrases en néon de BruceNauman (sur la vie, la mort, la peine, le dangerpour rappel) et un parterre de « fleurs » encouteaux et autres sabres d’Adel Abdessemedcréant des bouquets « menaçants » (venant d’unartiste de culture algérienne), c’est plus une juxta-position d’images qui se joue qu’un croisement descultures ou une hybridation des genres. Au fait, jetiens cette salle pour un moment marquant de cetteBiennale, et peut-être un véritable statment de lapart du commissaire « qui recourt à une poétiqued’observation pour examiner les différents reg-istres des phénomènes culturels, sociaux etnaturels (…) avec à l’esprit, l’épaisseur de nosprocessus ethnocentriques fondés sur l’identité. »Ce sont les propos qu’il tient lors de la Triennalede l’art contemporain à Paris en 2012. Ils sont fon-damentaux : la disjonction est plus féconde que lapolitique de l’anti-différence.

Après, se succèdent Daniel Boyd et sa peintureaborigène, Terry Adkins et ses Black Beethoven outotems et autres sculptures d’instruments silen-cieux, Melvin Edwards et ses hauts reliefs« ramassés » en métaux lourds tels autant de por-traits de la guerre ou de la diaspora, Monica Bon-vicini et ses conglomérats de tronçonneuses, scieset autres guns plongés dans le cambouis et sus-pendus donnant à ce « matos » industriel et sym-bole phallique par excellence, quelques allures dedéliquescence … pour en arriver à la vidéo noir etblanc de Raha Raissnia, familière des archives ducinéma à New York, et auteure de ce très beau filmtourné dans East Harlem en caméra cachée pourfaire un portrait non voyeuriste et presqu’abstraitde sa population. Je signale que les artistes femmessont nombreuses à avoir été choisies dans cetteprogrammation, et on s’en réjouit (enfin !). Je citeencore Thea Djordjadze aux dispositifs transi-

toires, Taryn Simon à l’herbier rare, Dora Garciaqui tente une mise en scène du séminaire 23 deLacan (le sinthome). Et aussi Lili Reynaud Dewarqui dans son esthétique déjantée déplie, sous formed’installation, un opéra chanté par plusieurs etdansé par elle, nue et peinte dans des intérieursvénitiens, la pièce portant sur le fléau du SIDA, lavulnérabilité de chacun et la porosité de notrecorps aux périls de ce monde.

Enfin, à cette critique bien sûr lacunaire, jevoudrais ajouter deux remarques. D’abord, l’onconstate une forte présence de vidéos ainsi que dedessins dans cette Biennale, deux supports artis-tiques très dissemblables, qui présentent peut-êtrecet aspect commun d’une production à faible coût(toujours possible en vidéo et évidente en dessin),permettant de mettre sur pieds d’égalité des artistesde renommée internationale et pourvus de grosmoyens avec d’autres disposant de ressource plusmodeste. En dessin, au passage, l’œuvre del’algérien Massinissa Selmani qui dépose augraphite sur le papier autant de situations de la vieordinaire, intitulée A-t-on besoin des ombres pourse souvenir ? et ayant reçu Le Lion d’argent, estépoustouflante de vibration. L’autre observationporte sur le caractère quelque peu propret de cetteBiennale, ou soigné et soigneux, pour le dire moinspéjorativement. Mais ça manque de folie et degestes un peu dingues ou démesurés. L’empreintelaissée par Okwui Enwezor relèvera plus de lamaîtrise que du délire artistique – deux projetsayant été notoirement censurés.

Reste que je regrette ne pas avoir vu le travail de lacubaine Tania Bruguera, et d’autres. Car arrivéeaux deux tiers de l’Arsenal, il ne restait qu’unechose à faire : You like, you look. You don’t like,you don’t look ! You know already, you skip ! Ama grande désolation...

isabelle Lemaître

Entrée de l’Arsenal, cohabitation entre Bruce Nauman et Adel Abdessemed, © Luca Stefanon

l'installation monumentale de Chiharu Shiota au Pavillon japonais © Luca Stefanon

Okwi Enwezor © Luca Stefanon

Place Saint Marc, Yannis Kounellis, présent cette année au pavillon italien, © Luca Stefanon

Arsenal, Pont du paradis, Marco Kabanda, artiste angolais, performance off © L.P.

Page 16: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

images et sons

Le propos de « All the World’sfutures », est pleinement politique etengagé : un propos d’aujourd’hui quis’appuie sur le présent et le passé pourtenter de construire un futur inédit. Ilen résulte un caractère inévitablementdiscursif. Cependant, ce « discours » nefait ni l’objet de cartels bavards et auto-ritaires, ni de pièces qui n’en seraientque l’illustration. Il s’incarne dans desformes fortes et poétiques. Je m’atta-cherai ici à deux grands types deformes : les performances musicales,souvent vocales où la présence de l’in-terprète introduit une émotion nouvelleet le retour de cinéastes ancrés dans levingtième siècle dont l’engagementtrouve aujourd’hui un nouveau sens.Des formes en équilibre sur le fil entrematériel et immatériel.

Une poétique des sons

L’Arena n’accueille pas seulement lalecture du Capital, c’est aussi un lieude performances musicales parfois im-pressionnantes comme les trois compo-sitions pour quatre pianos de JuliusEastman ou la proposition d’OlafNicolai inspirée par l’œuvre de LuigiNono, Un volto, del mare/Non consum-iamo Marx. Jeremy Deller y proposeBroadsides and Ballads of theIndustrial Revolution. L’artiste, en col-laboration avec son interprète JenniferReid, a sélectionné une série de bal-lades à la bibliothèque Chetham deManchester, des chansons populairesqui racontaient et accompagnaient lavie des ouvriers du dix-neuvième

siècle. Jennifer Reid les a remises enmusique et elle interprète ces ballades acapella avec spontanéité et simplicité.Dans la salle qui lui est dédiée, Deller aaccroché une bannière avec la phrase« Hello today you have day off », unmessage récemment envoyé à minuit,par mail, aux ouvriers d’une usine pourleur signifier qu’on n’avait pas besoind’eux ce jour-là… Un juke-box rutilantintitulé Factory Records propose desenregistrements de sons d’usines :broyage, hachage, bruits de machinesassourdissants qui font le quotidien destravailleurs. Sons de machines etchants, aujourd’hui comme autrefois.Non loin de l’entrée de l’Arsenal, aumilieu des sculptures associant des in-struments de musique de Terry Adkins,les huit chanteurs du choeur VoxnovaItalia tiennent une conversation musi-cale et singulière. Au centre de l’allée,ils se déplacent, vont et viennent, se re-tournent, leurs voix se répondent ets’affrontent ou partent à l’unisson. Laperformance conçue par Jennifer Alloraet Guillermo Calzadilla happe le spec-tateur à l’intérieur même du chantcomposé par Gene Coleman à partir del’oratorio La Création de Haydn.

Hors des sentiers battus de l’Arsenal oudes Giardini, Saâdane Afif a conçu TheLaguna’s Tribute (A Corner Speaker inVenice). Sur les Zattere, chaque jour aulever et au coucher du soleil, unhomme, vêtu d’un imperméable, arrive.Il se saisit d’une caisse de bois quitraine au bord du quai, grimpe dessus etsort de sa poche un carnet, il l’ouvre etcommence à déclamer des poèmes.Autour de lui, les bateaux continuent

leur course sur la Giudecca, les pas-sants déambulent parfois sans le voir.Certains s’arrêtent l’écoutent et, queces spectateurs soient nombreux ouabsents, l’homme récite. Il ne s’adressepas directement aux hommes, mais à lalagune, à la mer - voie d’accès à l’im-mensité du monde. Moment magiqueque celui qui voit la nuit remplacer lejour auprès d’un homme qui adresse savoix au monde...

La force des images

Tout au bout de l’Arsenal, dans leJardin de la Vierge, une petite construc-tion abrite la pièce de Jean-MarieStraub, In omaggio all arte italiana !L’installation se compose de docu-ments : images d’un côté, sons et textesde l’autre et, au centre, une vidéo de 10minutes. Elle est faite des restes (la pel-licule est dégradée et la couleur a viréau magenta) de la dernière partie del’ultime bobine de la copie américainede Leçons d’histoire (1972). Cette pro-jection filmée au travers des vitres de lacabine n’a rien de nostalgique. PourStraub, il s’agit plutôt d’évoquer l’Italie- pays dans lequel il a travaillé et véculongtemps - en faisant se heurter desépoques : celle du film originel, celle dela prise de vue et celle qui est contem-poraine du spectateur. L’ensemble del’installation - les archives, les images

et les sons séparés, le renvoi au travailde diction que Jean-Marie Straub etDanièle Huillet imposaient à leurs non-acteurs, un texte de Brecht, etc. -,toutes ces « vieilles choses », proposeun discours sur le présent de l’Italie (etde l’Europe). Jean-Marie Straub(°1933) n’est pas le seul cinéaste desannées 60-70 à être convoqué parEnwezor dans « All the World’sFutures », il est accompagnéd’Alexander Kluge (°1932), de ChrisMarker (1921-2012), d’Harun Farocki(1944-2014), sans oublier l’ombre dePasolini (1922-1975) présente dansl’installation de Fabio Mauri (1926-2009) : autant de figures d’auteurs sen-sibles à l’état du monde dans lequel ilsviv(ai)ent et dont les films, à chaquenouvelle vision, ne cessent d’amenerune nouvelle compréhension au tempsprésent.Nachrichten aus der ideologischenAntike, Marx, Eisenstein - Das Kapital,le film d’Alexander Kluge, revient surle projet avorté d’Eisenstein : filmer LeCapital de Marx. En découpant sonfilm en trois parties elles-mêmesscindées en séquences associant desconversations avec des personnalités,des images d’archive, des images misesen scène et des extraits de documen-taires, Kluge parvient à approcher leprojet d’Eisenstein et à lui donner touteson actualité. Le film est présenté dans

un nouveau dispositif à trois écrans oùles différentes parties de cette mosaïquesont présentées simultanément.Une installation vidéo sur six écransOwls at Noon Prelude et l’importantesérie de photos Passengers de ChrisMarker relève plus de l’hommage quede la vivacité et de l’actualité d’uneœuvre qui, par le regard singulierqu’elle pose sur le monde n’en manquepas. Reste donc à revoir ses films. Aucentre de l’Arsenal, un espace impor-tant est consacré à Harun Farocki on ytrouve la collection de Filmkritik, larevue qu’il a édité de 1974 à 1984 etpresque tous les films qu’il a réalisésentre 1966 et 2014 restaurés et rassem-blés dans une installation intitulée Atlasof Harun Farocki’s Filmography. Ilssont présentés dans l’ordrechronologique sur de petits écrans in-crustés dans le mur. L’ensemble appa-raît comme une table des matières deson œuvre, la disposition ne permettantpas de regarder chaque film isolément.Dans le livret de Moïse et Aaron,Schönberg écrivait : « N’attendez pasla forme avant la pensée, elle sera là enmême temps ». C’est ce qui se passedans cette exposition et bien au-delàdes quelques exemples décrits ici.

Colette Dubois

Page 16

Jean-Marie Straub: In omaggio all arte italiana !56. Esposizione Internazionale d’Arte - la Biennale di Venezia, All the World’s FuturesPhoto : Colette Dubois

56e BIENNALE DE VENISE

PRIX DE SCULPTURE APPEL A CANDIDATURESDepuis 2001, la FondationMarie Louise JACQUES,Fondation pour la promo-tion de la sculpture belgecontemporaine, organiseet octroie un prix annuelde sculpture. Ce Prix, d'unmontant de 9.000€, toutestaxes comprises, est attri-bué à un(e) sculpteur(e) denationalité belge ou domi-cilié en Belgique depuis unan au moins et agé(e) d'aumoins 30 ans à la dated'envoi de la candidature.

La Fondation entend parsculpture: toute créationspatiale exprimant lestrois dimensions, toutestechniques, tous matériauxou supports confondus.

Le Prix est décerné par un juryd’artistes composé conformé-ment aux statuts de la FondationMarie-Louise Jacques.

Pour l’attribution du Prix 2015 dela Fondation, les dossiers de can-didature comprennent au mini-mum:- un C.V. complet de l'artiste,- 5 œuvres au minimum, présen-tées par photo, support papier ounumérique,- un descriptif de la démarchegénérale et des œuvres.

Toute candidature doit parvenirpour le 17 octobre 2015 au plustard à l’adresse suivante : Secrétariat de la Fondation Marie-Louise JACQUESMadame Hélène Martiat5 rue du Moulin5670 MAZEEwww.fmlj.be

Pour tout renseignementcomplémentaire ou demandedu règlement du Prix : [email protected]

Le Prix de la Fondation Marie-Louise JACQUES 2014 a étédécerné à Nicolas KOZAKIS photo en annexe :White refugeBois et panneaux MDF - 230 x 200x 100 cm - 2014

Espace Européen pour laSculpture - Parc Tournay-Sol-vay - Bruxelles

Harun Farocki: Atlas of Harun Farocki’s Filmography, (2015). Video, colore, b/n, suono ste-reo, sottotitoli, quaderni, circa 100 copie della rivista “Filmkritik”, vetrina. Photo by Alessan-dra Chemollo Courtesy: la Biennale di Venezia

images et sons

Page 17: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 17

EMILIA BELLON GRAZIELLA VRUNA BJORDANA PETKOVA

Du sam 24 octobre au dim 29 novembre 2015

Exposition d’art contemporain. Commissariat : Jean-Pierre Husquinet.

Vernissage ven 23 octobre à 19h

GALERIE JUVENAL – place verte, 6 HUYfondationbollycharlier.be – 085 21 12 06

© Ja

cky

Leco

utur

ier

Édit

eur

resp

onsa

ble

: Lu

c Na

vet

– 6,

Pla

ce V

erte

, Hu

y

Page 18: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 18

Page 19: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 19

Page 20: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 20

Lino Polegato: en quoi une expo dedrapeaux d'artistes fait-elle encoresens aujourd'hui?Bruno Robbe: Planter un drapeau n'estpas un geste anodin, c'est s'approprier unterritoire, c'est un signe qui nous inter-pelle, c'est une réflexion par rapport auxcouleurs patriotiques...La notion de territoire et de drapeau estomniprésente dans notre actualité avecnotamment la question de l'immigrationmassive, de fanatisme religieux ou poli-tique. Les drapeaux d'artistes sont ici unsupport poétique mais aussi une invita-tion à réfléchir sur notre actualité géopo-litique. On peut d'ailleurs déceler dans laplupart des propositions de cette éditionun regard critique sur notre monde et lafaçon dont il tourne. De manière sous-jacente parfois comme chez Jean-MarcBustamante ou José-Maria Sicilia maisparfois beaucoup plus directe avec letravail de Michel François, EdithDekyndt ou Emilo Lopez Menchero parexemple. Dans le contexte de Mons 2015 en tantque capitale européenne de la culture, ilnous semblait intéressant que des œuvresd'artistes puissent se déployer dans toutela ville et participer au côté culturel maiségalement festif et populaire que peutinduire ce type de manifestation. Notre projet est construit sur un dialogueentre deux œuvres. Une sur papier, impri-mée en lithographie et symbolisant lacarte géographique, l'autre imprimée surtissus, prenant la fonction de drapeau.L'exposition est présentée dans deuxlieux, La galerie du Magasin de Papiermontre la série complète des 24 lithogra-phies. Les drapeaux quant à eux, se dé-ploient dans les rues de la ville et sur lesite du Grand Large. Ils sont accompagnéde deux autres collection de drapeauxd'artistes, un peu plus ancienne.L'idée de ponctuer les rues de la ville parune importante série d'œuvres d'artistesnous semblait pertinente. C'était une belleoccasion de proposer au public un par-cours permettant de découvrir la villed'une autre manière, en levant le nez etaussi d'établir un lien entre d'autres évé-nements proposés par la programmationde Mons 2015. Il est très important denoter que le drapeaux n'est pas considéréuniquement comme une bannière desti-née à animer un événement. L'objectifpremier est de constituer une édition d'art,construite sur une structure solide etsensée. La thématique proposée aux ar-tistes et les supports sur lesquels il inter-viennent est très important.

Quel est le bilan?Y a-t-il eu des retours intéressants?L'exposition continue encore jusqu'au 27septembre, nous n'en sommes pas encoreà l'heure du bilan mais nous constatonsun vif enthousiasme de la part du public,tant de la part des Montois que de la partdes nombreux visiteurs étrangers. Aussi, quelques institutions culturelles etgaleries nous ont proposé de présenter leprojet à l'étranger. Nous avons notam-ment des propositions pour la Hollande etl'Espagne. Ce qui est tout à fait réjouis-sant pour un projet baptisé le GrandLarge et qui ne demande qu'à voyager.

L'originalité résidait surtout dans ledoublage de l'expo, d'une part les dra-peaux dans la Ville et puis les oeuvressur papier montrés dans la galerie.Les estampes présentées à la galerie nesont pas un doublage de l'exposition desdrapeaux. C'est plutôt un dialogueconstruit entre deux œuvres imaginéessur deux supports bien distincts. L'une sur papier, réalisée dans monatelier, en lithographie. Le papier est pliéet se réfère à la carte géographique, avectoute la symbolique que cela peutévoquer. (territoire, les frontières, l'er-rance etc.)L'autre, un drapeau, imprimé en sérigra-phie. Objet tout aussi chargé de sens,évoquant la conquête d'un territoire, unepensée artistique transcrite sur un supporthabituellement empreint de patriotismeou de revendications...Le drapeau peut être aussi symbole àl'instar des drapeaux tibétins qui portentaux quatre coins du monde les plus bellespensées de paix.Cette édition est constituée de 24 boîtes(une par artiste) contenant chacune unelithographie et un drapeau. Le tirage estlimité à 30 exemplaires.

Le geste poétique qui vous a le plusmarqué, Daniel Dutrieux et toi danscette édition?L'ensemble des 24 éditions constitue unecollection cohérente. Difficile donc demettre en valeur une œuvre plutôt qu'uneautre. Nous avons bien sûr Daniel et moiquelques coups de cœur. Je pense notam-ment à la lithographie d'Emilo LopezMenchero qui dessine le contour de samain, indexe tendu en face duquel ilimprime son empreinte digitale. Cedessin prend immédiatement une allurecartographique, les contours deviennentfrontières. L'indexe est le doigt quidésigne mais il est aussi le doigt quimenace... et l'empreinte quant à elle, est

en soi un beau signe d'identité mais quiévoque aussi l'univers carcéral. Sur ledrapeau, on retrouve cette empreinte,agrandie sur toute sa surface, elle devientplan ou labyrinthe.

Reste-t-il des éditions à acquérir outout a été vendu?Les éditions sont disponibles à la vente àla galerie du Magasin de papier à Monsjusqu'au 27 septembre ou via nos éditions([email protected] - 0477 27 11 99)

MONS - 20.06 > 27.09.2015

LE GRAND LARGETERRITOIRE DE LA PENSÉE

UNE ÉDITION ORIGINALE DE 24 LITHOGRAPHIES ET 24 DRAPEAUX EN TIRAGES LIMITÉS :

BORIS BEAUCARNE - JEAN-MARC BUSTAMANTE - CHARLEY CASE - FRANÇOIS CURLET - EDITH DEKYNDT

LUC DELEU - PETER DOWNSBROUGH - JOT FAU - BENOÎT FÉLIX - MICHEL FRANÇOIS - JACQUES LIZÈNE

EMILIO LÓPEZ-MENCHERO - PIETER LAURENS MOL - JEAN-MARIE MAHIEU - BENJAMIN MONTI

JEAN-FRANÇOIS OCTAVE - POL PIÉRART - JEAN-PIERRE RANSONNET - JOSÉ MARÍA SICILIA

WALTER SWENNEN - DAVID TREMLETT - ANGEL VERGARA - BERNARD VILLERS - LAWRENCE WEINER

BRUNO ROBBE ÉDITIONS & DANIEL DUTRIEUX - 2015

DRAPEAUX DES COLLECTIONS :

« IN DE WIND » DU CENTRE CULTUREL DE STROMBEEK : JOHN BALDESSARI

BEAT STREULI - CHRISTOPHE TERLINDEN - JOB KOELEWIJN - KATO SIX

ANNE-MIE VAN KERCKHOVEN « WORLD WILD FLAGS » & « WORDS ON FLAGS »

DE L IÈGE : ROBERT BARRY - JEAN SYLVAIN BIETH - JACQUES CHARLIER

THOMAS A CLARK - BRIGITTE CLOSSET - PETER DOWNSBROUGH - MICHEL FRANÇOIS

TEUN HOCKS - JOËL HUBAUT - DAMIEN HUSTINX - BABIS KANDILAPTIS - STEVE KASPAR

COSTA LEFKOCHIR - MICHEL LÉONARDI - CLAUDE LÉVÊQUE - SOL LEWITT

JACQUES L IZÈNE - CAPITAINE LONCHAMPS - EMILIO LÓPEZ-MENCHERO

PATRICK MERCKAERT - PIETER LAURENS MOL - JEAN-FRANÇOIS OCTAVE - POL PIÉRART

LÉOPOLD PLOMTEUX - JEAN-PIERRE RANSONNET - ROGER RAVEEL - SAM SAMORE

FRANÇOISE SCHEIN - WALTER SWENNEN - HENDRI VAN DER PUTTEN - BEN VAUTIER

LAWRENCE WEINER - VERA WEISGERBER - TRIXI WEISS - LÉON WUIDAR

info : www.brunorobbe.com +32 477 27 11 99

© BRUNO ROBBE ÉDITIONS & DANIEL DUTRIEUX - 2015

DRAPEAUX : MONS INTRA MUROS & SITE DU GRAND LARGE 2A, RUE DU GRAND LARGE À MONS

L I T H O G R A P H I E S : GALER I E L E MAGAS IN D E PAP I ER 2 6 , RUE D E L A C L E F À MONS

DRAPEAUX & LITHOGRAPHIES

Bruno Robbe: Planter un drapeaun'est pas un geste anodin.

ci-contre, Bruno Robbe et Emilio LopezMenchero dans l’atelier. A gauche, installa-tion des drapeaux in situ, photo DanielDutrieux.

Page 21: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 21

Visitant l’expo de Danh Vo à la Puntadella dogana, nous avons croisé Nico-las Bourriaud qui nous confie sesimpressions sur la Biennale de Veniseet qui nous parle de « the great acce-leration », sa dernière expo commecommissaire à la Biennale de Taipei. il ne soupçonnait pas encore à cemoment là qu’il serait remercié de sesfonctions comme directeur de l’ÉcoleNationale des Beaux-arts et remplacépar Éric de Chassey, à la tête de laVilla Médicis depuis 2009. Le pré-texte invoqué du limogeage : il faitpasser ses projets personnels avantl’ecole. Nicolas Bourriaud a forte-ment démenti cette accusation dansun communiqué officiel. L’entretien est visible sur you tube

Lino Polegato : Comment se conçoitle concept d’une biennale?Comme n’importe quelle expo. Je nesais pas faire de différence entre uneexposition et une Biennale. J’essaie detravailler chaque Biennale comme uneexposition. Je viens de terminer la Bien-nale de Taipei, ça s’appelait The greatacceleration et c’était une expositionsur les répercussions politiques et esthé-tiques sur ce qu’on appelle l’anthropo-cène. C’est-à-dire ce moment historiqueet géologique désigné par certainsscientifiques comme un moment oùl’impact des activités humaines sur laplanète est absolument vérifiable etmassif. C’est la question du rapportentre l’humain, l’objet et le vivant. Lerapport au vivant, c’est la grande ques-tion aujourd’hui.

LP: Le rapport au vivant prend petità petit le dessus sur le rapport auxobjets, aux fétiches…NB : Oui, c’est très possible. J’y voispresque une dérivation du fétichisme dela marchandise. Il y a un très beau pas-sage dans lequel Marx parle de la rondefantomatique où les objets et les êtreshumains qui les produisent échangentleur propriété. Je crois que l’on vitquelque chose d’encore plus complexeparce que maintenant il y a à la fois, lesobjets, les êtres humains mais aussi levivant en général, sous sa forme miné-rale, végétale ou animale, qui rentredans cette ronde fantomatique, ça com-plique un peu l’équation.

LP: Tout ça fait penser à Debord…NB: Debord, en tant que penseur de la

réification posait la question de ce quise réifie. Qu’est ce qui devient objet enfait dans le vivant ? La mort saisit levif…

LP : Que penser aujourd’hui duréchauffement climatique généralisédans le monde de l’art, On réchauffetous azimuts, Marx, Pasolini,Debord…NB: On devrait peut-être aller voir deszones un peu moins explorées quecelles que l’on réchauffe actuellement.Il y a un moment où le surgelé se faitsentir aussi. À la place de Marx il fau-drait peut-être aller voir du côté de SaintSimon ou Fournier et aux côtés de GuyDebord s’intéresser à Vaneyghem parexemple. Il y a un moment où la penséetotémique a des limites.

LP: Tu réchauffes aussi à Taipei?NB: La principale question aujourd’hui,c’est la coactivité. Comment est-ce quel’être humain est obligé d’opérer denouveaux réglages, non seulement dansses rapports axés à d’autres êtreshumains – que j’ai développé dansl’esthétique relationnelle — mais aussiavec l’animal, le minéral, l’objet, le pro-duit. Tous ces éléments rentrent dans laronde fantomatique que je décrivais toutà l’heure. Aujourd’hui, comment peut-on paramétrer notre coparticipation aumonde? Ce que j’appelle la coactivité.Et ça, c’est quelque chose que lesartistes pensent déjà. Ils ne sont pasdans ce que j’appelle un animisme,

c’est-à-dire prêter une âme à l’inanimémais dans la création de circuits beau-coup plus complexes entre l’inerte, levivant, l’objet et les personnes. Ce quim’intéressait dans cette expo c’est defaire le point sur tout ça. dans cetteBiennale, il y avait des gens commePamela Rosenkranz, Laure Prouvost…

LP: Le commissaire d’expo est aussiun artiste pour toi?NB: Non, le commissaire n’est pas unartiste, pour moi c’est un auteur. Cen’est pas la même chose. Je ne meconsidère pas comme un artiste, mais enmême temps, quand je fais une exposi-tion, par le simple fait de réunir desoeuvres ou des artistes autour d’uneproblématique, c’est comme un metteuren scène qui réunit un texte, des acteurs,une musique, qui fait des découpages.Ce n’est pas un artiste, c’est un auteur.Je ne fais pas le même travail qu’unartiste. Un guitariste qui joue des notesn’a pas la même position qu’un DJ quijoue des disques.

LP : abdessemed et Bruce Naumanréunis à l’entrée de l’arsenal parenwezor, ça fait sens pour toi?NB: Ce n’est pas forcément le plus heu-reux! J’ai bien aimé le début de l’arse-nal, c’était plutôt prometteur, après il ya un peu des faiblesses. Si je devais décerner le prix du meilleurpavillon, je choisirai Joan Jonas aupavillon américain.

Pour Nicolas Bourriaud, l’art se conçoit comme un ensemble de pratiquesà penser au sein d’une société relationnelle, mais aussi comme lieu d’intri-cation entre l’humain et le vivant, qu’il soit d’origine minérale, végétale ouanimale.

Nicolas Bourriaud : « il y a un moment où lapensée totémique a des limites. »

Le MaDRe NaPOLi a 10 aNssi Naples n’a rien d’une ville-musée, et c’est aussi cela quien fait le charme, sa vitalité artistique n’est pas en reste,et le MaDRe - Musée d’art Contemporain - en attestelargement.

Ainsi dans le coeur historique de Naples et tout près de l’Aca-démie des Beaux Arts, niché au sein du splendide PalazzoDonnaregina du 19ème siècle, le MADRE étale sur troisétages et 7.200 m2 des espace d’exposition avec des installa-tions in situ, des œuvres de la collection permanente et desexpos temporaires d’artistes italiens et d’ailleurs. Mais aussiun auditorium, une librairie, des salles d’études et un restau-rant avec cafétéria.

Acheté en 2005 par la Région de Campanie pour être trans-formé en un musée d’art contemporain, le bâtiment a été gra-cieusement mis à disposition de la Fondation Donnaregina, ets’est vu restauré et rénové par l’architecte portugais ÁlvaroSiza Vieira, en collaboration avec le Studio DAZ-DumontetAntonini Zaske de Naples. Depuis 2013, la collection perma-nente a pris une nouvelle ampleur avec la thématique in pro-gress « Per_forming une collection ». La phase # 1 a soulignéle travail d’artistes de premier plan (Joseph Beuys, AllanKaprow…) de différentes générations dont les œuvres ont été

conçues comme des instruments qui relient pensée et actionsous la forme de spectacles, de textes, de happenings,d’actions théâtrales, d’installations environnementales, devidéos et de films.

La dernière phase, « Per_forming une collection (Intermezzo)» met l’accent sur la culture d’avant-garde à Naples et enCampanie. Arts visuels, théâtre, cinéma, architecture,musique et littérature. Tout en générant un dialogue entre desartistes italiens et internationaux de divers bords: VitoAcconci, Marisa Albanese, Henri Chopin, Francesco Cle-mente, Tony Cragg, Robert Filliou, Cyprien Gaillard, MarkManders, Marisa Merz, Dennis Oppenheim, Nam Juin Paik,Gianni Piacentino... A découvrir d’urgence.

Catherine Callico

www.madrenapoli.it

Madre Sam Falls,Untitled (Burgundy,Naples, Italy), 2013. © Amedeo Benestante

Andrea Pagnes et Verena Stenke pra-tiquent tous deux l’art de la perfor-mance. Dans ce projet spécifique,l’action est centrée sur la marche :800 km à parcourir. Partant du nord deL’Allemagne vers Kalingrad, devenueune enclave russe, ce projet vise àrevisiter des thèmes liés au souveniret au déracinement. Bref, tout ce quepeuvent endurer les vagues demigrants qui débarquent par millierssur nos côtes. Les artistes performeurs prennentcomme base de réflexion les originesd’une histoire personnelle. VerenaStenke a voulu revivre dans cetteaction l’expérience qu’ont vécue sesgrands-parents qui ont dû fuir pourcause de guerre civile la Prusse orien-

tale en hiver 1945 pour rejoindre lenord de l’Allemagne. Cette perfor-mance a été entièrement filmée, ellerassemble un corpus d’actions, desdialogues, des textes, des installa-tions, des paysages sonores. Sur le sens à donner à cette action, ilssont assez clairs :« Nous doutons qu’il sera possible degarder une mémoire collective de cesmoments précis, néanmoins,nousconsidérons le travail artistique demémoire et de recherche poétique,non seulement d’une importancesocio-historique et individuelle, maisfaisant partie d’une responsabilité col-lective pour contrer le silence, larépression et l’oubli.»

L.P.

La longue marche d’andrea Pagnes etde Verena stenke

Page 22: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Un souvenir d’il y a plusieurs années,c’était la grande exposition parisienneintitulée Carte blanche à Jeremy Deller.Plusieurs années, vraiment? C’était auPalais de Tokyo. Et c’était, à la limiteimperceptible entre art et anthropologie,un projet unissant l’artiste à Alan Kane: ily avait plusieurs créateurs, et leurs oeu-vres définissaient toutes une «FolkArchive». Toutes mettaient en scène cequ’on appelerait le folklore anglais, uneorganisation de structures où paraissaitune extraordinaire liberté. Des ban-deroles. Des bannières. Des couleurs trèsvives. Des rapprochements pleinsd’audace. Mon souvenir, au fait, est celuid’une sorte d’ivresse au milieu de cesespaces en béton. Ces oeuvres étonnaientdans un tel contexte d’art contemporain,dégageaient une vitalité et une énergiequ’on eût dit sans frein. Leur question:«C’est quoi, une ville, sinon le peuple?»Depuis, les travaux de Deller entraînentchez moi à la fois colère et confiance. Ils’agit d’une assignation contradictoire, desensations renvoyant à notre relation auxautres. A colère égale confiance égale,

voilà pourquoi, après avoir cru enquelqu’un il arrive que nous soyionsblessés après un dommage qui nous a étécausé.

Autant d’épisodes peu expliqués, venantsouvent faire sauter les barrières que l’artinvente, barrières qui permettent dereconstruire l’histoire d’un geste, d’unchuchotement, et d’offrir une reconfigu-ration. Ainsi en va-t-il chez Deller, où lepotentiel humain nourrit le travail, sansoublier la dose d’ironie nécessaire. Jem’aperçois que nombre de ses oeuvresjettent un pont en direction d’Aby War-burg et de sa pensée, laquelle se montreen constante voie d’achèvement. Unetelle référence se justifie, étant donné queDeller a accompli un cursus en Histoirede l’art au Courtauld Institute, par con-séquent à l’endroit précis où sont rassem-blées la bibliothèque immense, les collec-tions photographiques et les archives per-sonnelles de ce visionnaire de l’art.Accessible à tous, l’ensemble de cettedocumentation constitue un miroir desdifférents segments de l’histoire

humaine, de sorte qu’on y retrouvel’intérêt porté par Warburg à l’interdisci-plinarité. L’institut Warburg a trouvé sonorigine dans le désir de Fritz Saxl d’enfaire un lieu pour l’étude, rattachée à

l’université de Hambourg. 1933 vit , avecl’accession des nazis au pouvoir, sontransfert à Londres.Cet été, je me suis rendu à l’exposition,au CA2M de Mostoles.  Sur le chemin duretour une petite place de Madrid a attirémon attention. Quoi? Elle honore le nomde Margaret Thatcher... The battle ofOrgreave (2001) est un reenactment danslequel Deller se prend à reconstruire leface-à-face, survenu le 18 juin 1984,entre des policiers et un groupe demineurs alors grévistes. Cette vidéo apour sujet la réunion de quelques-uns deces protagonistes ayant bataillé autrefois,mais leurs rôles ont été intervertis. Deplus, on y découvre un certain nombred’individus de second plan, eux aussipartie prenante sur ce terrain de violence,aujourd’hui oubliés et dont la presse de

l’époque avait ignoré l’intervention.Opérer un reenacment n’est pas s’en seréférer à l’esthétique relationnelle prônéepar Nicolas Bourriaud lorsqu’il défendaitl’idée d’une forme d’art où l’horizonthéorique serait dominé par les interac-tions humaines, le contexte social, toutcela contre l’idée d’un espace symbol-ique d’ordre privé et donc indépendan-tiste. La leçon à tirer ici se résume dansune volonté de relecture de Warburgparce qu’il ouvre sur le présent à lalumière du passé. Ce présent se tisse dansla culture populaire et Deller à son tourbrise le tabou qui règne autour desnotions de haute et de basse culture. Dequoi revoir la copie, une fois que l’onreconsidère la bien dite «chosepublique». 

PS. «C’est quoi une ville, sinon le peu-ple?» est une expression tirée du Cori-olan de Shakespeare. Elle a servi de titreen 2009 à un projet de Deller qui tenaitdans un livre de petit format destiné auxannonçeurs du metro londonien afinqu’ils s’arrêtent dans leurs messages dif-fusés à seulement énumérer le nom desstations, ou des appels à la vigilance desvoyageurs quant aux objets qu’ils trans-portent. Cette espèce de bréviaire devaitdonner naissance à des annonces d’unautre type, et des affiches recensant descitations choisies lui donnait la répliqueen conjurant histoire et culture. 

Francesco Giaveritraduction: aldo Guillaume Turin

Jeremy Deller, populaire et changeant.

Jeremy Deller, «C’est quoi une ville, sinon le peuple?» , 2009, installation et pos-ters dans le metro londonien photo : David Spero. © Practice for Everyday Life

MADRID

BERLANGER, Marcel, "David", acrylique et huile sur fibre deverre sur châssis, 03/2015

YOKOUHODAGALLERY

RUE FORGEUR 25 B 4000 LIÈGEJE > SA - 12:00 > 18:00 DI - 10:00 > 14:00

OU SUR RENDEZ-VOUST +32 4 232 01 11 M +32 478 91 05 [email protected]

YOKO-UHODA-GALLERY.COM

FOUAD BOUCHOUCHA2/10 > 31/10

NOUVEL ORDRE

MONDIAL

L’ACTE ET LA PEINTURE.

Page 22

Page 23: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

a l’inititative de la Ruya Founda-tion, le directeur du s.M.a.K. Phi-lippe Van Cauteren a été invité àendosser le commissariat du pavillonde l’irak, l’un des pays les plus fra-gilisés et les plus violents du monde.C’est tout à l’honneur de PhilippeVan Cauteren d’avoir cherché, àpartir d’une perspective orientéevers le local, des artistes qui ne sontpas connus et qui mettent directe-ment le doigt sur l’absence de statutde l’art et de l’artiste dans unerégion si dangereuse.

Le résultat à Venise vaut la peine. VanCauteren a réalisé une présentationordinaire, anti-spectaculaire, sans tropde décor ou de design, ce qui metd’autant plus l’accent sur le travail qui,directement et à première vue,imprègne jusqu’à la moelle. Le titre del’expo “Invisible Beauty” est une allu-sion belle et sommaire autour delaquelle tourne le récit du curateur Phi-lippe Van Cauteren.

Philippe Van Cauteren: “Personnen’associe un pays comme l’Irak - quiest pourtant connu comme le “pays desdeux fleuves”, la Mésopotamie, et leberceau de la civilisation - avec l’art etencore moins avec l’art contemporain.Donc l’art de l’Irak est internationale-ment invisible. Et en ce qui concernele mot beauté, la plupart des gens asso-cient toujours l’art à la beauté ou à larecherche de la beauté, bien que le dis-cours dans l’art contemporain se soitdétaché depuis longtemps de la notionclassique de beauté. Les artistes que jeprésente dans l’exposition ‘InvisibleBeauty’, connaissent une double invi-

sibilité: ils sont invisibles au niveauinternational, mais en plus invisiblesune seconde fois dans leur pays àcause de ce langage visuel “autre”qu’ils utilisent en tant qu’artistes. Unlangage où l’engagement artistiqueprime sur la norme de beauté tradition-nelle telle qu’elle est enseignée dansles écoles d’art de Bagdad et ailleursen Irak”.

Philippe Van Cauteren a limité sasélection à cinq artistes, ce qui al’avantage de permettre de présenterun petit ensemble pour chaque artiste.Ca a aussi été toute une aventure pourarriver à un choix sensé et fondé.

Philippe Van Cauteren : “Prospecter enIrak n’est pas une sinécure. On ne peutpas simplement aller d’un atelier àl’autre comme à Berlin ou Copen-hague. La manière de se déplacer dansle pays est différente à cause du dangerpermanent. Heureusement, j’avaisaccès à la magnifique base de donnéesde la Ruya Foundation for Contempo-rary Culture, une ONG à Bagdad quifait tout pour rendre une place à l’art età la culture dans ce pays déchiré parles conflits. La base de données étaitun point de départ mais indépendam-ment de ça, j’ai mené des recherchescomplémentaires pour trouver desartistes originaires d’Irak. J’ai aussivisité des ateliers en Suède, aux Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne, enBelgique... et bien sûr aussi en Irak.J’ai fait deux voyages là-bas. On m’aproposé de mettre sur pied le pavillonavant qu’il ne soit question de l’EI.Cela n’a évidemment pas facilité leschoses. Le choix a été inspiré par le

fait que j’étais à la recherche d’artistesqui adoptaient une position déviantepar rapport à la norme de beauté clas-sique irakienne. En plus, je voulaisaussi des artistes de différentes généra-tions. Et puis comment peut-on parlerd’art contemporain dans un pays où iln’y a pas de centres culturels - ou ceuxqui existent sont pillés ou vides - ou decurateurs ou de galeries? Les acteursnécessaires pour parler d’un champartistique sont inexistants, en tout casde la manière à laquelle nous sommeshabitués ici en Occident, d’où la néces-sité d’élargir le spectre des expositionsà des artistes qui ne sont pas vraimentdes plus contemporains à nos yeux”.

Quand on visite l’exposition, on estdirectement frappé par l’énergie et la

puissance visuelle évocatrice d’œuvresqui en soi sont réalisées avec lesmoyens artistiques habituels. Dans noscontrées, l’art est en grande partieconçu à partir d’un point de vue écono-mique, pour le marché de l’art. VanCauteren parle de cette “nécessité”autre dans le travail de ces artistes ira-kiens: “Oui, c’est une matière com-plexe, vous me demander de formulerquelque chose sur ce que j’ai expéri-menté à partir d’une position privilé-giée. Je dois exprimer mon grand res-pect pour les artistes que j’ai rencon-trés, aussi bien ceux qui figurent dansl’exposition que tous les autres. Com-ment est-il possible de continuer àcréer dans des conditions où les maté-riaux ne sont parfois pas disponibles,où l’électricité et l’eau ne sont pas tou-jours une évidence et surtout où la sur-vie au quotidien est et reste le soucinuméro un?”

Pour ces artistes, ce doit être une expé-rience très particulière de pouvoir toutà coup participer à une grand-messe del’art à Venise. L’organisation d’un visaest une grosse entreprise; un voyage àVenise ouvre tout un monde et consti-tue une (première) expérience phy-sique avec les classiques et les canonsde notre histoire occidentale.

Philippe Van Cauteren : “Oui, cesartistes ont pu s’échapper un peu de lafolie du quotidien... Saisir la chanced’entrer en contact avec le travaild’autres artistes internationaux, ou devoir un Giorgione à l’Accademia, ouune œuvre de Mario Merz... Bien sûr,c’est aussi une reconnaissance mon-diale de leur travail artistique sur basede leur combat continu pour faire del’art dans un pays où ce sont d’autres“valeurs” qui priment. Que les chosessoient bien claires : deux artistes del’exposition, Salam Atta Sabri et LatifAl Ani, vivent toujours à Bagdad,Akam Shex Hadi vit à Sulaymania etHaider Habber vivait en tant que réfu-gié à Samsun mais est arrivé depuis enBelgique en suivant la route bienconnue (Turquie, Grèce, Macédoine,Serbie, Hongrie...). La cinquièmeartiste, Rabab Ghazoul, est née à Mos-soul mais vit et travaille à Cardiff.

L’artiste/photographe Al Ani (1932)occupe une place à part dans cetteexpo avec une série de photos surl’Irak autrefois moderne et intact. Sonœuvre est d’une grande pureté et derigoureuse composition mais c’est enmême temps une série d’archives surl’Irak en tant qu’ancien Etat moderne -comme un miroir parfait dans le

contexte de l’histoire de la photogra-phie.

Philippe Van Cauteren: ”Latif Al Aniest totalement autodidacte. Dans lesannées 50, le Britannique Jack Perce-val (qui travaillait pour l’Iraq PetrolCompany) a donné un appareil photo àLatif et celui-ci a commencé à photo-graphier sans arrêt. Parfois il avait descommandes en tant que photographedocumentaire pour le magazine del’IPC, mais très vite il a commencé sonpropre travail où l’intérêt était surtoutlatent pour l’Irak, alors un pays entransformation à la frontière d’unesociété traditionnelle presque agraire,tribale vers un Etat moderne. Latif acommencé à prendre des photos avantla fin de la royauté en 1958, il a parti-cipé à la révolution et c’est vraiment àtravers ses photos un chroniqueur d’unpays qui n’existe plus. Il s’intéressaitaux sites archéologiques, à la photo-graphie de rue, à la vie moderne. C’estquelqu’un qui a le regard d’un AugustSander et d’un Walker Evans. Aumilieu des années 70, il a arrêté laphoto parce qu’avec le parti Baath etl’arrivée de Saddam Hussein, c’étaitdevenu trop dangereux de travailleravec un appareil photo en rue”.

Il est très clair que Philippe Van Cau-teren est revenu “marqué” de sonaventure en tant que curateur duPavillon de l’Irak...Philippe Van Cauteren: “L’humilité,l’absolue humilité et le respect, c’estce qui reste et qui continue de réson-ner. En plus de cela, j’ai appris à quelpoint les médias occidentaux infor-ment de manière unilatérale sur leMoyen-Orient. Ce que je peux dire,c’est qu’on ne peut qu’être abasourdiquand on voit dans un camp de réfu-giés du nord de l’Irak un homme âgédessiner une grenouille. Quelqueslignes et des points verts, juste aprèsavoir échappé à la mort et à la violencede l’EI”. L’exposition “InvisibleBeauty” sera présentée en 2016 sousune autre forme au S.M.A.K. - et avantcela les dessins de Salam Atta Sabriseront visibles au Cc Strombeek. Onattend aussi les aquarelles de HaiderJabbar qui, avec ses petits portraitsintimes, met en scène un monde autourde l’in-humanité, de dés-honneur et detorture qui fait même parfois penser àl’art de la Néerlandaise MarleneDumas. Et la manière dont les photosmises en scène d’Akam Shex Hadiévoquent par le drapé la terreur de l’EIen amenant chaque fois le même voilenoir sur et dans des tableaux ordi-naires, montre encore comment l’artparvient toujours à s’arracher à toutesles formes et variantes de pouvoir, decensure et de persécution.

Fait aussi partie de cette expositionune petite publication abondammentillustrée - éditée chez Mousse Publi-shing - où de nombreux textes livrentle contexte de ces artistes très talen-tueux au sein de “Invisible Beauty”.

Luk Lambrecht

traduction estelle spoto

Pavillon de l’irak/ Ca’ Dandolo -Biennale de Venise 09.05-22.11.2015

invisible Beauty

avec « Fig. », Marcel Berlanger construit l’image etla déconstruit. Référence à la figure, ce cycle déve-loppe à travers quatre expositions une interpréta-tion de l’image telle que l’artiste la questionnedepuis des années et qui constitue le fondement deson œuvre. C’est donc l’histoire de son apparition,de son statut, des dialogues qu’elle crée une foismontrée que l’artiste retrace.

Le cycle est nourri par la proposition que l’artiste avaitélaborée avec Maïté Vissault pour la Biennale deVenise. Le projet initial a évolué et trouvé depuis sajuste formulation. Prenant une forme différente,« Fig. » est éclaté en plusieurs lieux et en autant detemporalités successives. Dès lors, quatre espaces con-sacrent chacun une exposition à une partie du projetvénitien de Marcel Berlanger : Emergent (2014), Ikob(2015), Galerie Janssen (2016) et BPS 22 (2017). Cha-que lieu aborde une dimension particulière de l’oeuvre.Quatre axes, ou plutôt quatre « actes » propres à la fig-ure et à son questionnement par l’artiste, sont ainsidéveloppés. « ZWMN » (Emergent) se veut dédiée àl’acte pictural, c’est-à-dire au vocabulaire premier del’œuvre de Berlanger et à la récurrence des motifs qu’ilinstille dans ses travaux. L’exposition à la GalerieJanssen qui suit celle de l’Ikob est consacrée à l’actefiguratif. Elle interroge, comme « ZWMN », l’image etsa figuration. Clôturant le cycle en 2017, le BPS 22propose d’explorer l’acte scénographique, jouant enguise de conclusion sur l’expérimentation et la manièredont l’œuvre structure l’espace.

Deuxième partie du cycle, l’exposition « Catalyst »,organisée à l’IKOB, fonde son propos sur l’acte instal-latif selon deux pans complémentaires. D’abord, elleévoque la mise en place de la peinture, dans l’idée dela préparer. Ainsi, Marcel Berlanger réexplore un élé-ment important au travail préalable à son œuvre : ledocument. Reprenant la documentation qui est à l’orig-

ine de la peinture, il la retravaille comme si cettedernière avait suscité un autre angle de vue. Dans ledocument retouché, augmenté, la notion du « ready-made aidé » chère à Marcel Duchamp fait son appari-tion, modifiant de la sorte le statut qu’on lui accordehabituellement. Et, si l’artiste avait auparavantprésenté ses documents conservés, il leur accorde iciune attention particulière attirant le regard vers depetites allitérations qui en changent toute la perception.C’est ensuite l’acte d’installer au sens théâtral du termeque l’exposition présente. Profitant de l’espace partic-ulier qu’offre l’institution, Marcel Berlanger installeune couche après l’autre pour déployer spatialement lapeinture. Un jeu de filtre visuel et de superpositionss’instaure alors, donnant au visiteur l’occasion de seplonger littéralement dans l’œuvre. À travers ces deuxaspects liés à la notion d’installation, l’ensemble de« Catalyst » interroge les concepts de limite, de cadre,de montage, de strate et de frontière qui s’applique à lafois théoriquement et physiquement au document, àl’œuvre et à son espace de monstration.

Le cycle « Fig. », étendu sur quatre ans, revêt tous lesactes plastiques, formels, spatiaux qui déterminentl’apparition de la figure et, au final, de l’œuvre. Tant etsi bien que les propositions sont davantage à explorercomme étant chacune des facettes d’une seule et mêmeexposition. Ainsi se construit, étape par étape ou plutôtacte par acte, l’image et l’œuvre qui ne seront achevéesqu’au terme du cycle.

Céline eloy

«Fig. 2», ikob, du 27 septembre au 13 déc. 2015 «Les Mondes inversés», BPs 22, du 26 septembre2015 au 31 janvier 2016

MARCEL BERLANGER À L’IKOB

56e BIENNALE DE VENISEPage 23

Tournage d'un film sur le tourisme dans les pays arabes, Palais nord de la cité deBabylone, 1961 Latif Al-Ani (°1932)

Page 24: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2
Page 25: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 25

aux Brasseurs:Troisième exposition du cycle septième CielMaRiON TaMPON-LaJaRRieTTe (FR) sOLeiLs NOiRs17.11.15 - 19.12.15

Pour son exposition personnelle au Centre d’art Les Brasseurs, Marion Tampon-Lajarriette présentera unensemble de photographies, collages et vidéos aux dimensions sonores et installatives.L’artiste y poursuit un travail mené à partir des collections de différents grands musées. Sculpturesantiques et modernes (« Monument », « La Nuit des Tours ») sont réinventées par le biais d’un travail surle cadrage, la mise en scène lumineuse ou les techniques d’imagerie infrarouge ; interventions qui activentleurs métamorphoses dans les registres du fantastique et de l’étrange.Ces objets historiques se voient ainsi transfigurés en possible paysages extra-planétaires où les soleils quise lèvent, se couchent ou tournent infiniment en un court circuit cosmique nous renvoient à d’autres sys-tèmes stellaires inconnus. A moins qu’il ne s’agisse d’une autre hypothétique étape de vie de notre sys-tème solaire, loin après, ou avant le bref passage de présences humaines (installation « Sun Song »). Lesvases funéraires et bustes antiques à l’origine des images de la série photographique « Igneous Rocks » oude l’installation vidéo «Gorgon Gnomon»évoquent pourtant les dieux et déesses gréco-romains Apollon,Vénus, Perséphone ou encore la gorgone Méduse – ces figures mythologiques qui constituent peut être lapart la plus divine et atemporelle de l’Homme de par leur universalité et leur lien intime avec la cosmogo-nie. Ces différentes propositions dessinent ainsi un lien entre le mystère d’un ici, soumis aux aléas dutemps et de la mémoire, et d’un ailleurs, éloigné par l’espace autant que par le temps à une échelle cos-mique.

7 de Trèfle. "Extrait de la série "54 Glorious nudes" - 2005" copyright photo Damien Hustinx

Galerie Flux :Damien Hustinx Ready-womade24/10/2015-14/11/2015

Dans sa future exposition à la Galerie Flux, Damien Hustinx réexplore les images de pin-ups des années’60. Trouvées ça et là, au gré du hasard, elles reflètent une période révolue où l’image de la femme sedéclinait dans des poses stéréotypées, exposée au regard de tous dans des cabines téléphoniques ou surdes jeux de cartes. Cinq séries, issues de contextes différents (cabine, visionneuse, jeu, film), sont pré-sentées au sein de « Ready-womade ». Elles sont le résultat d’une transformation effectuée sur chaquetrouvaille par l’artiste qui, en modifiant les couleurs, la luminosité ou la trame d’impression, les remet àl’honneur tout en marquant leur disparition. À travers la présentation de ces œuvres inédites, l’expositionest dès lors une manière pour Damien Hustinx de rendre hommage à ces femmes inconnues qui ont ali-menté les fantasmes mais dont les images sont tombées, petit à petit, en désuétude.

NeWs :Conférence de Denis Gielen à LiègeL’Alpac, l’association liégeoise pour l’art contemporain reprend son cycle de conférence avec Denis Gie-len qui vient d’être nommé directeur au MAC’s en remplacement de Laurent Busine. L’occasion pour lepublic liégeois, de découvrir la nouvelle stratégie mise en place par le nouveau directeur pour dynamiserce musée d’art contemporain. La conférence de Denis Gielen aura lieu le 12 décembre prochain dans laSalle mosane 3/4 du Palais des Congrès à 18h.

Page 26: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 26

C’est tout à fait étonnant. Cet été, je passe par la Piazzale Roma àVenise et voilà que je tombe par hasard sur Jean-Michel Jarre. Le mu-sicien. Nous sommes un peu dans le même état d’esprit : il a vu unesérie de choses à la biennale, j’en ai vu d’autres, en dilettante. Il n’estpas entièrement convaincu. Quant à moi, je ne sais pas très bien ceque j’en pense, où disons, je ne sais plus. En été, je subis souventl’effet suivant : avec les voyages et la découverte de pays nouveauxmon intérêt pour l’art contemporain s’évapore complètement.

Si Jean-Michel est dubitatif, il est cependant doté d’un bon caractère.Il précise aussitôt que des artistes l’ont quand même intrigué. Quoiqu’il en soit, il fait très beau, Venise demeure une ville extraordinaire.Et notre conversation va bon train au gré des oscillations de l’eau surles berges des canaux.

Je connais mal Jean-Michel et à la fois je le connais bien. C’est la pre-mière fois qu’il surgit en chair et en os devant mes yeux, à la piazzaleRoma, à Venise, c’est sûr. Mais voici que nous agissons comme sinous nous étions toujours connus. Par exemple, nous constatons quenous avions communément des pommiers dans nos jardins d’enfancequi donnaient à la fin de l’été des reinettes étoilées. Dans le mondemoderne, si vous regardez régulièrement des interviews de vos hérossur Youtube, vous devenez leur ami. Par correspondance. Par enthou-siasme. Vous avez des passions communes : le cinéma, CharlotteRampling. Lorsque la rencontre a lieu, ce n’en est que plus mer-veilleux. Il y a des surprises, une intensité inattendue.

Nous retournons voir quelques expositions en ville. Jean-Michel adéjà passé un jour ou deux à visiter la biennale. Il a également pousséles portes de palazzi au hasard de sa marche. Il s’est aussi reposé, toutsimplement. Il a regardé les bateaux tracer des sillons blancs sur lalagune bleutée. Deux soirs de suite, j’ai fait de même en m’asseyantsur un banc de l’île de Sant’Elena pour regarder le soleil se coucher,pour voir l’astre colorer de rose ce curieux belvédère qui marque lapointe du Lido, là-bas sur la gauche. Dieu qu’il m’apaise, quand je levois. Il suggère des ailleurs qui seraient encore Venise. Le mondeentier se transformerait en un chapelet d’îles vénitiennes. Nousn’aurions plus qu’à voguer de l’une à l’autre pour s’enivrer de nou-veaux enchantements, en ayant au préalable laissé les chagrins sur lecontinent.

Jean-Michel me dit que cette année l’exposition générale de la bien-nale est très marquée par la personnalité du commissaire, OkwuiEnwezor. Nous trouvons tout deux que c’est très bien ainsi. Il n’y apas de problème avec la position du commissaire/artiste. En véritéc’est de cette façon que ce rôle se définit véritablement. Un commis-saire est un artiste. Un galeriste est un artiste. Un collectionneur russeest un artiste. Tous les rôles potentiels du monde de l’art devraient êtrejaugés à l’aune de l’engagement artistique. Finalement, l’art, plus quele rôle professionnel devrait être le dénominateur commun, ajouteencore un Jean-Michel idéaliste.Cependant, il précise en rehaussant une mèche de cheveux que si leOkwui Enwezor fait le choix de marquer de son empreinte la biennale,il a plutôt intérêt à être à la hauteur, compte tenu des forces enprésence, à commencer par celles qu’il convoque dans son exposition.Bruce Nauman par exemple. Ou Chris Marker. Ou Oscar Murillo etHelen Marten en ce qui concerne les jeunes recrues aux pointes deflèches bien affûtées. En voilà des commissaires/artistes potentiels !Ah que la question de la négociation de la parole individuelle et col-lective est complexe ! Qu’il est délicat de l’extirper du principe depouvoir!

Nous dînons au Nuovo Galleon, Via Garibaldi, puis nous retournonsfaire un tour aux Giardini. Comme deux amateurs qui reviendraientvoir un tableau aimé dans un musée, accroché dans telle salle donnéedepuis une éternité, nous nous dirigeons irrépressiblement vers lepavillon danois où Danh Vo fait une nouvelle démonstration de sontalent. Jean-Michel s’emballe. Selon lui, Danh Vo d’un côté et RyanGander de l’autre incarnent des sommets du dernier art conceptuel. Ase demander quelle voie il reste encore à explorer après le passage deces deux Huns. Filant la métaphore, Jean-Michel m’évoque le mondede l’alpinisme : ces deux créateurs ont gravi des arrêtes si escarpées del’art conceptuel que pour se lancer dans une entreprise encore plus ac-robatique dans le futur, il faudra faire étalage de virtuosité. Dan Voh incarnerait le versant émotionnel /rationnel /atmosphérique/holistique (dans le sens asiatique) de l’art conceptuel tandis que RyanGander incarnerait le versant imaginaire/émotionnel/social (dans lesens britannique) de ce même art. Tandis qu’il parle, j’admire Jarrequi tâche d’exprimer des idées abstraites, perçues instinctivement, nese matérialisent pas nécessairement en phrases, en théories im-muables… J’écoute sa musique, sa musique électronique.

Me promenant à la suite de Jean-Michel dans les salles du pavillondanois, je reconstitue de mémoire quelques coups imaginés par Vo,joueur de Go. Son espace est très dépouillé. Ne sont montrés quequelques objets, images et phrases gravées sur les vitres du bâtiment.Je vous livre ici le compte-rendu d’un coup, ne serait-ce que pourl’exemple : le coup dit du « tesuji ».

Il y a une caisse de bois à l’intérieur de laquelle se trouve un fragmentde statue grecque originale, datant du 1er siècle avant Jésus-Christ. Elleest découpée pour s’insérer exactement dans la caisse. C’est un frag-ment de torse d’Apollon dont ne voit cependant que le revers. Sur lacaisse de bois, on peut lire en une typographie qui rappelle celle deCoca-Cola : Carnation milk / Evaporated Milk / From Contented

cows… Cette caisse de lait en poudre semble approximativementdater des années 1950. C’est la typographie d’esprit warholien quinous emmène vers cet univers. L’œuvre s’intitule Lick me, lick me,une phrase tirée du film L’exorciste, nouvelle référence dans l’œuvrede Vo.

Alors ? Nous observons le plateau de jeu, les forces en présence, etvoici ce qui ressort de la configuration des pièces : une métaphore àtiroirs. Le premier trouble instillé par Vo tient dans le fait qu’ilpossède et « abîme » une sculpture historique grecque pour créer sonœuvre d’art contemporain. Pourquoi est-ce qu’une œuvre d’art si anci-enne et donc si précieuse pour toute l’humanité peut être dans desmains privées. Quels sont les marchands (du temple) qui autorisent untel commerce ? Surtout qu’il s’agit d’Apollon, l’incarnation même dela beauté ! Quelqu’un peut-il avoir la prétention d’acheter et donc deposséder selon les codes légaux de la propriété, la beauté ? Pourquoi laloi autorise cela ? Un bien pourtant gratuit, à la portée de tous, commel’est en premier lieu la beauté de la nature. Nature que l’on croyait im-muable jusqu’à ce que des scientifiques criminels commencent à lapervertir de l’intérieur, à modifier sa plus substantifique moelle : cettematière, ce marbre, que la nature aura mis des éternités à créer est gal-vaudée en un instant pour alimenter quelque névrose contemporainedu plus, du mieux... Mais de quelle beauté parlons-nous ? Qu’est ceque la beauté parfaite, la beauté désirable d’Apollon… ? Est-ce quel’homme blanc (ou la femme blanche) incarne la beauté parfaite ?Devient-on beau en buvant du lait ? Est-ce que le pays où l’on boit dulait au petit déjeuner, chaque matin comme on l’a vu à télévision, estle pays de la beauté et du bonheur puisqu’on nous dit sur la caisse queles vaches qui ont produit ce lait sont contentes ? Si c’est le pays de labeauté et du bonheur, alors il faut s’y rendre à tout prix. Il faut toutrisquer pour y accéder. Sans la beauté, la vie ne vaut pas la peined’être vécue. Se cacher dans des camions. Se caler dans des caisses.Même si pour cela, il faut quitter notre famille, devenir un fragmentamputé, ballotté de cette famille. Nous élaborons nos rêves dans l’ob-scurité des cales, des caves, des tunnels.. Des rêves de beauté et desrêves de liberté. Des esclaves noirs ont été emmenés aux Etats-Unisdans des bateaux et ils ont rêvé dans le fond des cales. Ils sont partispour travailler et mourir dans les plantations de coton blanc, par mil-liers. Ils sont partis pour devenir les vaches à lait d’une société. Et quedevient l’art dans tout ça ? Aujourd’hui, on fait de l’art à la mesure descaisses. On fait des tableaux qui ont la taille des murs des musées quel’on fabrique pour eux, et des maisons des collectionneurs qui lesachètent. Et l’art voyage. On l’expose dans des musées étrangers. Onle livre à l’admiration de tous. On le rend plus désirable. Il devient unepublicité pour le désir de posséder un objet, pour des ailleurs qui n’ex-istent pas (s’ils ne sont pas intérieur, s’ils ne nourrissent pas une quêtepersonnelle). L’art est montré à tous mais dans d’autres cas il est aban-donné dans des caisses de bois, dans des dépôts climatisés. L’art estun migrant lui aussi. Mais un migrant de luxe pour la transition et lemaintien duquel on est prêt à dépenser des sommes folles. Pourtant :des cendres aux cendres. Nous ne sommes que poussière. La pierrevivra plus longtemps que nos chairs. Le marbre est éternel. Pourtant :un faux mouvement, et la statue est atrophiée. Nous désirons une éter-nité de synthèse, une éternité immaculée. Nous suivons une lumièreblanche comme celle que l’on voit lorsque l’âme quitte la terre, à sondernier souffle. Nous achetons une élévation divine à coup de poudreblanche condensée et de marbre ouvragé. Nous la saupoudrons sur nosesprits pour être extasiés.

Je m’extirpe de mes réflexions en me découvrant aussi lyrique queJean-Michel. Ce dernier m’attend dehors, les bras croisés derrière ledos, l’air serein. En remontant vers le pavillon français, nous tombonsnez à nez avec une employée qui, munie d’une télécommande tâchede faire repartir « l’arbre mobile », manifestement en panne, queCéleste Boursier-Mougenot à imaginé pour nous parler de l’associa-tion de la technologie et de la nature.

- L’art aurait-il des ressorts que la prévision ignore ? dis-je à Jean-Michel, un peu moqueur.

Et comme pour donner du répondant à cette petite guéguerrebelgo/française que nos deux patries entretiennent occasionnellementle temps d’un match de foot ou d’une comédie cinématographique, ilréplique :

- C’est bien curieux ce pavillon belge de l’arroseur arrosé qui parlede colonialisme en colonisant !

Faisant mine d’être vexé, titillé en ma fibre patriotique, je le sommede s’expliquer, comme sur le champ de bataille. Il me dit que de fait, illui semble que la poésie du pavillon belge est bien barricadée. Qu’elleest entourée d’une astucieuse stratégie allant notamment jusqu’àcoloniser des plus beaux, des plus forts que soi (pour paraphraserAlain Souchon, que Jarre admire beaucoup). Coloniser au sein dumonde de l’art, on s’entend. Il n’y a pas le feu. Par exemple : s’appro-prier les forces de jeunes guerriers issus de prestigieusescontrées/écuries, tels que James Beckett ou Adam Pendleton. Unesorte de rituel animiste, dans le fond, où l’on revêt la peau du lion pourposséder son rugissement.

- Ce Jean-Michel a de la répartie, me dis-je en mon for intérieur, unpeu bousculé par l’incidence de son argument. Et nous nous perdonsensuite dans un long débat quant à l’attitude à adopter en matière poé-tique. Faut-il utiliser les armes de l’adversaire, si adversaire il y aencore ? L’art peut-il raisonnablement s’affranchir d’un attirail

stratégique et communicatif dans le monde d’aujourd’hui, dès lors ques’il ne s’en muni pas, il est/serait englouti ?

Nous nous réconcilions de bon cœur en dégustant une glace, achetée àdeux cent mètres à peine de la place Saint-Marc. Nous souhaitonsencore faire un saut au Pavillon de la Nouvelle-Zélande et de Chypre,situés hors les murs (hors Giardini) avant la fin de l’après-midi.

Le pavillon de la Nouvelle-Zélande est –une fois n’est pas coutume–celui dont tout le monde parle. Et pour cause, en parlant de stratégie,l’artiste sélectionné, Simon Denny, a fait fort. Il a choisi d’exposerdans le hall de l’aéroport Marco Polo de Venise et dans une sallerichement décorée située ni plus ni moins que sur la place Saint-Marc.Immanquables.

Nous montons dans cette salle après avoir fini notre glace (pour infos,Jarre a pris deux boules de stracciatella, l’une sur l’autre, une lubieque j’ai mis sur le compte de sa légendaire excentricité). Et là nous dé-couvrons une spectaculaire exposition consacrée à la NSA, cettefameuse agence de renseignements américaine, et plus exactement à lastratégie de communication (et de recrutement) de cette agence «secrète », stratégie passant notamment par l’image, l’illustration, lasimulation, le jeu vidéo.Sur le plan formel, en l’occurrence sculptural, Simon Denny faitpreuve d’une virtuosité impressionnante. Nous marchons ici dans lestraces de Marck Leckey. Simon Denny utilise des imprimantes 3D,des machines pour découper le plexiglas, des lumières Leds, des im-pressions jet d’encre sur des supports promotionnels transformés enoutrageants ready-mades aidés. Passé la virtuosité formelle et sa ca-pacité à traiter un sujet d’actualité avec acuité, ce qui paraît le plus in-téressant chez Simon Denny est la façon dont il montre à quel pointnous ne faisons rien de la vérité, même si nous y avons accès.Puisqu’en somme, il y a peu de choses qui ont changé dans le mondeen dépit des révélations de Snowden. De façon concomitante, ilsouligne dans une espèce de fascinant jeu dangereux le magnétismequ’exerce sur l’homme toute propagande bien menée. Un goût, une at-traction que nous avons à être hypnotisés. Une passion pour le trompe-l’œil non trompé, mais se trompant bien volontiers.

Alors que les cloches du campanile résonnent sur la place Saint-Marc,annonçant dix-sept heures, nous nous empressons de quitter les lieux,tant pour nous extirper de ce qui ressemble finalement à une salle defumeurs d’opium que pour profiter de l’ultime heure d’ouverture dupavillon chypriote.

Les traits de Jean-Michel sont à présent un peu tirés. Je me force moi-même à faire cet ultime détour à l’heure où l’art perd pour moi de sonéclat. Mais bien nous en prend. Après un dédale de rues nous par-venons au pavillon chypriote, nation qui réitère son coup de force de2013, quoique plus modestement, par l’entremise de son représentantChristodoulos Panayiotou.

Nous montons un petit escalier. Deux jeunes femmes discutent inno-cemment. Nous supposons que l’une est l’étudiante italienne qui estde faction dans ce pavillon et que l’autre est son amie. La fin de lajournée aidant, elles doivent se détendre. Nous entrons dans une salle,sur la droite. Il y a un curieux sol en mosaïque qui a été construit par-dessus un sol déjà doté de carreaux. A peine avons-nous fait mine des’en approcher qu’une des deux filles vient vers nous et nous interditfermement d’aller plus loin. Nous pivotons donc et nous remarquonsune disposition de boîtes et de chaussures, au sol, et des peintures ab-straites, rouges et dorées, pareilles à des résurgences d’icônes, au mur.Dans une autre salle enfin, c’est une absurde fontaine électrique quenous apercevons, doublé d’un amoncellement de papiers découpés enfines bandelettes, emplissant tout un corridor adjacent.

Au travers de cette énigmatique quoique goguenarde dispositiond’objets, c’est un peu toute la situation vénitienne (pouvant être ex-trapolée à d’autres villes coincées entre le présent et le passé) qui estfinement caricaturée. Les chaussures sont-elles vraies ou fausses ?Sont-elles conçues et proposées à la vente par d’habiles artisans ouvendues à la sauvette, sous forme de contrefaçons, par des vendeurs il-légaux. Et quel est le sens de ces tableaux abstraits dorés, sinon d’êtrebêtement beaux (on y revient). Simplement dorés, finalement. Quant àdes sols que l’on ne peut fouler, c’est le débat sur l’ancien, son usage,sa sacralisation, sa possession qui ressurgit. Enfin, les papiers dé-coupés amoncelés dans les abords de la dernière salle ressemblent auxberges de la lagune, pleines d’herbes à moitié immergées…

Nous sortons juste à temps pour voir le soleil enluminer les dernièreshauteurs de quelques maisons du quartier. Dans les yeux de Jean-Michel, je vois que le temps qu’il était prêt à m’accorder s’est écoulé.Il ne me le dit pas, mais il est sur le point de se désincarner, de dis-paraître comme il est apparu, de retourner à son destin d’imagevirtuelle, à son destin de lasers, de stroboscopes et de synthés.

Je tâche de ne pas le montrer, mais je suis un peu ému. Jarre m’a im-pressionné. Total respect Jean-Michel. Merci pour cette belle journée.

Louis annecourt

Deux boules de stracciatella

Page 27: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 27

Page 28: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 28

Jacques André. On a toujours tendance àvouloir parler de son prénom et de sonnom au début d’un article. En fait, avecJacques André nous pourrions avoiraffaire à un duo. Un duo constitué deJacques & André, de Fischli & Weiss, deJekyll & Hyde, de Dupont & Dupond…Mais non… Il manquerait à chaque foisun petit quelque chose pour être exact.

Jacques André c’est un type dont on sesouvient de temps en temps (l’hommeavec sa casquette) et puis on l’oublie pen-dant un laps de temps plus ou moinslong. En ce moment, allez savoirpourquoi, tout le monde s’intéresse denouveau à lui. Il y a un peu d’agitationautour de son nom. Il a exposé à la Kun-sthalle de Vienne dans une exposition surle thème de la collection (à vrai dire,sans doute est-ce un peu facile de parlerde collection en regard de son œuvre dontle sujet est quelque part tout autre, maispassons). Il a fait une présentation auNICC à la fin du mois d’août. Et puissurtout, il vient d’exposer aux Etablisse-ments d’en face à Bruxelles, le meilleurcentre d’art de Belgique, si pas de lagalaxie. Alors, il est content. Mais en mêmetemps, cela ne lui fait ni chaud, ni froid.Cela lui fait tiède. Mais pas un tièdetriste. Un vrai tiède ambigu. Un tiède per-plexe (et plus j’y pense, plus je sens quece tiède est vraiment fameux : c’est lesigne que nous avons affaire à un grandphilosophe). A la piscine, on ne sait pasvraiment si l’eau est « bonne ». A-t-onbesoin d’être rafraîchi, ou a-t-on besoind’être réchauffé ? Est-ce qu’on se sentjeune, vieux, ou décrépi? Est-ce qu’on sesent seul ou abandonné? Ou alors, finale-ment, est ce que tout va bien, comme dis-ait Godard? La situation n’est peut-êtrepas si catastrophique.

Ah mais si! Nous plaisantons, mais la sit-uation nationale et internationale est toutde même grave. Nous allons y venir. Lepremier drame, sur le plan national toutd’abord, c’est que le bleu C131 A n’estpas le nom d’une couleur dont Cézannese serait servi pour peindre des ciels deProvence. Ce n’est pas non plus le nomdu bleu que Jacques & André aurait util-isé pour brosser sur toile des cieuxbelges. Non, le bleu C131A fait référenceà la carte bleue, au formulaire que vousdeviez remplir à la fin de chaque mois dechômage, en le ponctuant d’une signatureet d’éventuelles cases noircies signalantles journées de travail.

On a beaucoup glosé sur le fait queJacques André avait érigé sa paresse enun art. Il y a déjà eu des articles de pressepour relever le fait qu’il était depuis delongues années au chômage. Cet extraor-dinaire système du chômage belge. Or,voilà que ce système est mis à mal. Uneloi a été votée. Elle est entrée en vigueuren janvier 2015 et l’Etat belge a misJacques & André à la rue. Cela vient dese passer. On ne pouvait décemment paslaisser passer cet évènement qui estcomme un petit séisme en mer du Nord.Désormais, le chômage est limité dans letemps! En tout cas pour ceux qui n’ontjamais travaillé douze mois consécutifs àtemps plein, pour être exact. Un premiergroupe cible en somme, en attendant lesecond (il paraît au passage et comme parhasard que la mesure touche essentielle-ment des femmes, des belges d’origineétrangère et des artistes).

Ainsi Jacques André s’est trouvéprojeté hors de ce temps du chô-mage (comme il y a le temps descerises) qu’il avait savammentapprivoisé. Il s’était employé àappliquer à la lettre la maxime deGuy Debord : Ne travaillezjamais.

Le temps des cerises de Jacques Andréfut cependant exploité d’une façon trèsdésirante puisque, comme on le sait, undes talents de Jacques André est (fut?) sapassion des achats. Passion qu’il a suiviescrupuleusement pendant de longuesannées en écumant les librairies et dis-quaires de seconde main du centre-villeet en achetant des tas de choses: objets et

livres cultes, en passe d’être cultes, ayantle potentiel d’être cultes. Différentsstatuts. Beaucoup de désir en tout cas. Del’amour pour les choses. Et toute uneéconomie secrète. Un monde en soi.Avec des profils bien distincts! Des gensqui ont des personnalités. Un mondesous-marin. Une absolue autonomie.

Jacques André est en fait loin d’être leseul de son espèce, dans ce mondesouterrain-là. Son mérite est cependantd’avoir un pied dans ce monde-là et unautre dans ce monde-ci: le monde de l’artde Papy et Mammy. Il faudrait longue-ment parler de cet univers des librairiesde seconde main ! Il faudrait en parlertoute la nuit. Nous progressons dans ununivers borgésien, situé hors du temps.Quand les biens culturels ont touché lefond des océans, ils ne peuvent sombrerplus bas. Et là, dans le fond de la mer, iln’y a personne pour vous déranger. Il n’ya que vous pour voir ce qui brille et cequi brille moins. Ce qui s’oxyde, et ce quiest inoxydable. A certains moments, vouspouvez aussi lever vos yeux et contem-pler les miroitements du jour, par-delà lamasse d’eau qui vous sépare de lui. Etvous pouvez saisir les quelques informa-tions qui vous sont utiles et auxquellesvous restez évidemment très attentif,depuis les tréfonds bleutés où vousévoluez, à brasses lentes : quel est lebateau qui passe là haut? Quelle est sacouleur? Quels sont les poissons qu’onpêche et ceux qu’on rejette à la mer? Queveulent manger les hommes de bonnevolonté? Mais qu’est-ce qu’ils veulentmanger? De quoi veulent-ils se nourrirbon sang! C’est l’âme qu’il faut nourrir.Elle est à l’origine de l’appétit.

Jacques André a fait une exposition auxEtablissements d’en face en ce mois dejuin 2015 qui semble avoir les allures, aupremier abord, d’une exposition classiquede Jacques André. Elle est classique pourceux qui estiment qu’il travaille sur le« thème de la collection ». Jacques André

a reçu une belle somme d’argent pour laproduction de son exposition et il a toutdépensé. Tout simplement. Mais il n’apas fait cela n’importe comment. Loin delà. D’abord, le but était de « s’occuperl’esprit » (ce qui est en vérité le seul tra-vail qui vaille la peine). Le but étaitd’éviter de penser à la situation socio-économique de la Belgique, et à la sienneen particulier. Plus de revenus du chô-mage… Caramba, plus rien… Que faire?

– Ouvrons l’œil Dupont!– Oui, et le bon Dupond!– Est-ce qu’il faut aller aux vernissages?– Est-ce qu’il faut rester dans une limited’âge?– Est-ce qu’il faut pratiquer une certaine

nage?– Comment donc rester à la page?– Non, Dupont, je pense qu’être artisterevient à porter un chapeau melon!– Si vous le souhaitez, Jacques, un Bobest bon aussi.

Mais attention, c’est ici que cela devientintéressant, parce que le débat ne glissenullement vers l’épineuse question desavoir si oui ou non l’Etat belge a eu rai-son d’octroyer des revenus du chômage àune frange de sa population, et à sesartistes célébrés en particulier : JacquesAndré parmi d’autres – les ministressouhaitant quand même faire bonne fig-ure à Cannes, Venise, Avignon etc. Non,tout d’un coup, la perspective s’élargi etnous allons nous retrouver au-delà de laquestion du jugement, comme disait lebouddha. C’est l’affaire d’un instant.

Jacques André fait une exposition clas-sique. Cela consiste pour lui à achetertous les jours des livres dans des librairiesde seconde main pendant plusieurs moisde préparation, puis à les exposer sur desétagères Ikea bleues dans l’espaced’exposition. Il livre là le fruit de sestrouvailles. Tout serait a priori normal, si un premierdétail ne retenait votre attention: ce bleu.Ce bleu ciel qu’il a utilisé pour peindreles étagères. Quand vous allez au Brico,il y a un service formidable qui vous pro-pose de produire exactement la teinte quevous désirez obtenir par de savantsmélanges de pigments et de latex. Hoplà: c’est fait. Vous pouvez rentrer chezvous pour faire les retouches souhaitées.Par exemple: reprendre les bleus de cetableau de Cézanne du salon qui, à lalongue, vous agace. Parions que Jacques André a fait appel àce service du Brico pour peindre sesétagères Ikea (Ikea et Brico qui sont unpeu la Mecque de la classe moyenne, ladestination pour une vie bien meublée etdonc bien vécue). Il a cependant soumisun échantillon un peu particulier à

l’employé de service. Non pas unmorceau de papier peint ou une languettecolorée tirée d’un nuancier mais bien unecarte C131 A! Jacques André a peint sesétagères Ikea dans la couleur duchômage ! Le bleu Onem comme ill’appelle. Ha, ha!

Et pour ceux qui en doutaient encore, il afait une autre installation, dans son expo-sition des Etablissements d’en face àBruxelles, en bas, dans la seconde pièce.Pour une fois, il a demandé un bon grosstock de cartes bleues à l’employé dubureau du chômage. D’habitude, on nevous en donnait que trois à la fois, depeur que vous ayez votre stock pourpasser six ans aux Bahamas sans même

plus avoir la nécessité de retourner à laFGTB en chercher. Et il a tout déchiré.Jetées aux quatre vents les cartes bleues.Basta cosi! A ciao, bon dimanche. Maisalors, un très, très long dimanche…

Dans cette seconde salle, le sol est cou-vert de cartes bleues déchirées, et il y aaussi d’autres étagères et des sacs en tissupour transporter les livres, frappés dulogo des librairies de seconde main.Même les librairies de seconde main sesont mises à faire du branding avec lesmoyens du bord. Où va-t-on?

Pendant qu’on s’inquiète du sort du poètedont l’âme est pleine mais dont le ventreest vide (ce qui constitue finalement unmoindre problème, l’inverse étant pluscruel à vivre, mais tout de même), il vousest loisible de regarder par-dessus sonépaule, pour voir ce qu’il a acheté.

Il a acheté: Un livre sur Watteau dont la tranche estfrappée de ses dates de naissance et demort: 1684-1721 > The day is done.Deux exemplaires du livre de Nietzche:« Par-delà le bien et le mal » > Tout estdit. Quatre copies du livre de Freud : « Lemot d’esprit et son rapport àl’inconscient » > Je vous laisse juge.Des exemplaires du catalogue du pavil-lon belge de la biennale de Venise de2009 à… un euro > Et oui…Un disque de Can « I want more » > Sonpéché mignon. Quelques opuscules absolument ébourif-fants : « L’aliénation artistique » deMario Perniola, « La laideur se vend malou Comment rendre beaux les objetsnécessaires » de Raymond Loewy, la« Tradition du nouveau » de HaroldRosenberg > Où les titres sont parlants,comme au temps du cinéma muet.

Et on en passe…

Or…

1) Si cette exposition est classique (maisd’un classicisme appartenant à l’histoirede l’art de Jacques André, pas à celle dutout venant, soit une histoire de l’art ensoi, recoupant tous les courants possibles)dans le processus de création qu’ilengage ici et qui est fondamentalementtoujours le même…

2) Si ce classicisme s’exprime égalementdans quelques habitudes scénographiquesqu’il s’est appropriées ; habitudesmélangeant habilement la rigueur mini-maliste, la sérialité du pop art, le tongue-in-cheek de l’appropriationisme et uneforme de laisser-aller, touchant àl’esquisse échevelée de l’éternel étudianten art provocateur…

> L’exposition s’avère moins classiquedans ses profondeurs, dans son atmo-sphère. Il y a bien quelque chose de« nouveau »!

En fait, ce n’est pas le travail de JacquesAndré qui a changé, c’est le mondeautour de lui qui s’est modifié. C’est labanqueroute en Grèce. La classemoyenne européenne s’appauvrit. Lavague d’appauvrissement vient des paysdu Sud. Elle touche en ce momentl’Espagne et l’Italie, et la Belgique enreçoit maintenant l’écume.

On se rend compte de ces changementsau travers de l’œuvre de Jacques André,non pas parce qu’il « dénonce » cette sit-uation, mais parce qu’elle produit uneffet tragi-comique de « miroir ». A cetitre, Jacques André est un digne descen-dant d’Andy Warhol et de Coluche, his-toire d’imaginer le plus improbable desrejetons (des fois que ces deux-là auraientfrayé ensemble). Coluche a dit: « Je nesuis ni pour, ni contre, que du contraire ».Et Warhol a dit « Tout et tout le mondeest intéressant ».

Jacques André mime (ou plutôt reflète)non seulement la logique de l’économieactuelle mais plus encore la psychologiede cette économie et même sa physiolo-gie. Car avec l’argent, avec l’achat,l’envie, nous parlons évidemment delibido. Nous parlons de sexe. Où en est lasexualité européenne? La sexualité, dansun sens absolu, collectif, plus qu’indi-viduel. Et bien, on dirait qu’elle est unpeu en berne ! Ce n’est pas avec lesmesures d’abstinence, pardon d’austéritéque l’Europe semble parvenir à bander.Mais alors que faire? Du Viagra? Maiscela demande de l’adresse en terme detiming, car si on désire quand on tra-vaille, quand on a pas le temps de désirer,que fait-on? Et si on désire, mais qu’onn’a pas de travail, et qu’on a rien à semettre sous la dent? Cela nous fait unebelle jambe…

Bref, notre boussole intérieure, commedisent les psychologues, tourne fou. Onse sait plus où donner de la tête. On nesait plus trop qu’est ce qui a de la valeur,et qu’est ce qui n’en a pas. Et tout ça pro-duit un prodigieux brouhaha fait de pro-pos multiples, désordonnés, absurdes,intelligents, stupides, nul ne sait, queJacques André en bon employé du télé-graphe, se contente de transmettre, derelayer.

Yoann Van Parys

Bleu C131 a

Page 29: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2
Page 30: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 30

20.05.2015-18.10.2015

Il n’est pas rare qu’un projet urbain esti-val soit un alibi pour servir crûment depromoteur gratuit pour le tourisme etpour les petites affaires des commer-çants.En comparaison avec des projets de2015 très moyens et pauvres en contenucomme Beaufort aan zee et le Kunsten-festival à Watou, cette triennale qui res-suscite une tradition interrompue de1968/1971/1974 est un vrai soulagement.

A Bruges, ville fermée, conservatrice auniveau patrimonial, chaque jour inondéepar des milliers de touristes venus de par-tout dans le monde, la triennale constitueune première confrontation réussie, “dif-férée” avec la modernité. Les curateursTill-Holger Borchert et Michel Dewildeont réussi à mettre sur pied, avec unnombre réduit d’artistes, un projet quidéveloppe cette thèse: que se passerait-ilsi les 5 millions de touristes (par an) déci-daient soudain tous en même temps derester dans la douillette ville de Bruges.

Le contenu du logo, qui peut tout de suiteêtre considéré comme une sorte de state-ment, est très beau : le plan de Bruges auXVIe siècle ressemble fort à un œuf et lejeu de mots avec les lettre du mot Bruggevers l’anglais “urb- egg” parvient à tou-cher aujourd’hui de manière inventive lacorde sensible de cette ville.La triennale,qui est accessible gratuitement, se com-pose de 14 lieux extérieurs, bien répartisdans la ville, et permet de découvrir troisexpositions en intérieur dans lesquellessont creusées les caractéristiques d’unemétropole dans un contexte modernistelocal, actuel et récent. C’est un plaisir devisiter cette triennale, elle mène le visi-teur non seulement dans des lieux et descoins de la ville inconnus mais elle par-vient également à diriger la réflexion surdes problèmes mondiaux qui semblentêtre si éloignés de Bruges. Dans cetteville paisible, le collectif (O+A) attirel’attention sur les vibrations (peu) pré-sentes de la ville via des plates-formespour les visiteurs qui rendent les courantsauditifs sous-jacents de Bruges littérale-ment perceptibles. Avec des ballonsargentés technologiquement ingénieux eten forme d’yeux, (A+O) initie égalementlittéralement un parcours à travers deslieux pittoresques de Bruges que la pro-menade-ballon rehausse de légèresimpulsions auditives avec une palette desons subtils.

Ce qui fait la qualité de cette triennale,c’est son rythme, sa mesure humaine delieu en lieu et le soin avec lequel la sélec-tion est parvenue à un équilibre entre desartistes et des architectes de partout dansle monde. Grâce à son nombre restreintde participants, la triennale laisse aussidirectement beaucoup d’espace et demoyens pour réaliser des projets qui exer-cent un grand impact sur le lieu où ilssont installés et dans la force de tensionmentale et d’observation du visiteur.

Le Brugeois Daniel Dewaele essuie lesplâtres avec un conteneur rouge ouvert àla gare de Bruges qui sert de bureau demigration. C’est un point d’arrivée oùl’on peut remplir une liste de questionspour devenir un nouveau Brugeois mon-dial. A travers la méthode de l’interview,on apprend pas mal de choses des tou-ristes qui vivent presque d’une manièreinvolontairement romantique Brugesl’idyllique comme un tranquillisant forcé

contre l’agitation extrême des métropolesd’où ces touristes proviennent en général.

A la gare - le lieu de la modernité -Daniel Dewaele a imaginé un port urbaincomme un objet - un conteneur qui esttotalement au service des mouvementstotalement inaperçus des échanges inter-nationaux. Le badge rouge vif “Help, iam the 5.000.000 th inhabitant ofBruges” est comme un signe dans larégion flamande qui a échappé auxmégapoles, un cri d’alarme d’un “quefaire” si on en arrivait à cette situation.

Dans les trois lieux en intérieur, on traitede la grande ville et de ses conséquenceset ce qui est beau, c’est que les plansmodernes de Huib Hoste sur Bruges sontaussi visibles ici dans un dialogue avecune reconstitution de l’expo d’OswaldUngers “City Metaphors” où la ville sereflète dans une série de photos de géo-structures dans la nature. Des artistescontemporains, du Liban notammentcomme Ziad Antar, montrent des photoscinglantes de la ville “éternellement” enruine Beyrouth qui était autrefois lecentre économique du Moyen-Orient. Laconfrontation violente est pertinente entrel’attachement pour la conservation deBruges en tant qu’ancien centre financierde la fin du Moyen-Âge et Beyrouth entant que ville fière abandonnéeaujourd’hui à son triste sort. D’autresartistes parviennent à capter simplementet magnifiquement dans des photos lagrande ville chinoise entre autres, lagrande ville tout court, comme MichaelWolf et Xing Danwen qui le font avecverve. Il est aussi particulièrement intelli-gent d’utiliser le lieu de décision central,l’hôtel de ville de Bruges comme lieu deprésentation d’une série de maquettesutopiques comme celle de Liu Wei etBodys Isek, artiste congolais qui construitdes maquettes littéralement fantastiquesavec des matériaux pauvres.

L’harmonie entre les expos en intérieur etles interventions dans la ville et parfaiteet c’est un grande réussite au niveau ducommissariat.

Sur la très fréquentée Grand-Place,Vibeke Jensen installe le “1:1Connect:Diamondscope”- une tour-miroir incroyablement dentelée, où l’onpeut entrer et qui reflète ce qui l’entourede manière fragmentée comme un dia-mant étincelant. Une fois à l’intérieur(coloré de rouge) le visiteur peut s’instal-ler et regarder le sommet du beffroi quifait office de couronne sur laquelle lestouristes admirent sans pitié, comme desrois, la Bruges médiévale.

Vibeke Jensen parvient ici à s’attaquer àde nombreux sujets: à l’intérieur, on nepeut pas nous voir, mais on observecomme un voyeur les nombreux touristesen train de flâner, qui attendent ou nonune petite balade en calèche. C’est unetour étrange - une sorte de view-master,qui fonctionne comme une prothèse pourun regard et un comportement “autres”.C’est une oeuvre étrangère à la zone quifait réfléchir à la teneur touristique de cetendroit “photosensible”.

Cette oeuvre est une machine qui permetde prendre conscience des mécanismesqui nous poussent à nous approprier“quelque chose” visuellement et menta-lement pour des raisons mélancoliques etfaussement romantico-historiques. End’autres termes, cette oeuvre parle ausside l’abrutissement du touriste.

C’est une oeuvre qui crée tout de suiteune relation avec la réalisation en néonétincelant de Nathan Coley. Sur le Burgse dresse une construction avec le mes-sage “a place beyond belief” (“un lieu audelà de la foi). Le texte provient d’unecitoyenne ordinaire et anonyme qui aexprimé ces mots dix ans après le 11 sep-tembre, à proximité du monument com-mémoratif à New York. Cette bannièrelumineuse sur des échafaudages avec unethèse verbale scintillante se trouve exac-tement à l’opposé de l’hôtel de ville etparvient comme une rampe de projec-teurs à capter l’attention des politiciensqui prennent les décisions pour la ville etson avenir... Dans la cour intérieure deshalles on peut voir cinq mots étincelantsde Coley en petites lampes: belief, mind,land, wealth et life fonctionnent commedes slogans mais font aussi référence àl’Islam qui est publiquement très peuvisible dans cette ville blanche.

Le capitalisme universel, le choc du ser-vice anarchiste de taxis “uber” et Brugescomme l’un des centres belges desmeilleurs chocolatiers, voilà ce qui formele fantastique monument de RainerGanahl, entièrement réalisé en chocolat,où la bourse historique de Bruges a étéparfaitement reproduite dans la masse.

Voilà une oeuvre fragile, chargée et radi-calement éphémère, qui est totalementsujette au climat, au vandalisme et au“goût” des amateurs de chocolat, àlaquelle s’accrochent la mémoire colo-niale rouge sang et aujourd’hui encore laviolation des droits de l’homme et del’enfant. Le mot “uber” tourne mécani-quement sur un axe comme le faisaientautrefois si joliment des noms demarques “fortes” comme Mercedes ouMartini, ou comme Tintin surl’immeuble près de la fabrique odorantede chocolat qui se trouvait près de laGare du Midi à Bruxelles.

Moins subtile est “Masquerade”, critiquethéâtrale du système de valeurs dans lemarché de l’art, basé sur une croyance etune confiance irrationnelles en soi(conformes au reste de la vie écono-mique), du duo bruxellois Vermeir &Heiremans. En partant de leur loft àBruxelles transformé en œuvre d’art, ilsparviennent, via des actions mises enscène théâtralement, à étaler l’attributionde valeur à travers des films vidéo assezcomplexes. A nouveau au grand air, il estbon d’être confronté à l’intervention“Undercurrent” du collectif HeHe sur lesite Oud-Sint Jan.

Le simple basculement d’un pylône àhaute tension peint en rouge et blanc dansune portion des canaux, rehaussé de cré-pitements sonores, est en soi une perfor-mance audacieuse et , après le premier

choc visuel dans ce coin paisible deBruges, il attire l’attention sur l’énergienécessaire pour continuer à faire tournerla ville. C’est un véhicule de premier plansur le compte du collectif HeHe qui resteconnoté à la modernité et qui, même àl’époque actuelle où l’énergie est bonmarché, pose des questions brûlantes surl’approvisionnement en énergie dans etautour des mégapoles.

Le projet à vrai dire moins réussi artisti-quement “Cataract Gorge” de RomyAchituv fait clapoter une réplique d’unemaison à pignon typiquement brugeoisesur un plan d’eau à la Sasplein, à côtéd’une écluse symbolisant la connexionavec la mer du Nord - une évocation del’ensablement historique du Zwin qui asignifié au Moyen Âge le chant du cygneéconomique de Bruges autrefois prospèreau niveau international.

Le léger clapotis actionné mécanique-ment dans l’eau devient un peu plusvisible et sensible à travers une bouéemonumentale dans l’eau qui se balancede haut en bas... comme si une réellemenace planait dans l’air.

Avec “Canal Swimmer’’s Club” l’AtelierBow-Wow basé au Japon a réalisé unponton flottant qui permet d’avoir uneperception totalement différente de lanavigation intérieure touristique deBruges. Des pontons comme des embar-cadères servent ici de lieux de rencontresociale et quand on se promène sous unpetit pont, on est vraiment invité en tantque visiteur à nager dans les canaux.Celui qui parle ici de tourisme en revienttrempé et dupé; une nage rafraîchissantedevient un statement - un qui remonte à1971 lorsque feu l’artiste Roger Raveel alaissé flotter des cygnes en bois peint surles canaux très pollués. L’art de RogerRaveel, non au départ conçu comme unacte militant, a soudain marqué le débutd’une première prise de conscience poli-tico-écologique.

Studio Mumbai étonne avec “A bridgeby the Canal”, un pont latéral à l’allureorientale à côté de l’eau, avec des voletsrabattables, qui devient pour ainsi direune sorte de bateau-pont immobile et quidélimite un lieu entre le canal et la rue oùil fait bon se reposer statiquement dans etau milieu de la ville agitée. Ce sont toutesdes interventions simples, sans grandsornements et sans poursuite d’une valeurspectaculaire. Ce sont des véhicules par-faitement construits grâce auxquels onpeut tout simplement, (de préférence) enétant assis et détendu au soleil, réfléchirau luxe dans lequel nous les Belgesvivons - en profitant de ce luxe pour pou-voir vivre (encore) ensemble avec beau-coup d’”espaces intermédiaires”.

De monumentales constructions en boiscourent comme un fil rouge à traverscette Triennale céleste; c’est aussi le casde l’intervention du Japonais TadashiKawamata avec le sublime “Tree Huts inBruges” pour lequel il a réalisé une sériede cabanes perchées et inaccessibles dansles immenses arbres du béguinage pétri-fié par le temps et le silence.Ce sont des

cabanes dans les arbres mais aussi desnids d’oiseaux et des lieux de transitionsymboliques où l’âme de l’être humainpeut séjourner avant de s’envoler vers lessphères célestes définitives... Entre-temps, toutes les béguines de Bruges ontdisparu.

Soit dit en passant, cette réalisation deKawamata est, après entre autres lebéguinage de Courtrai (1989/90), le Mid-delheim à Anvers (2000)et Track à Gand(2012), l’une des plus gracieuses et poé-tiques de sa vaste carrière. Les rêves degosse de pouvoir passer d’une cabane àl’autre peuvent ici parfaitement être expé-rimentés avec le caractère provisoire del’idée élémentaire moins romantique depalissades où se cacher et survivre dansles banlieues des mégapoles... Le boisutilisé est du simple bois et tout commel’intervention puissante de Kawamatalors de “Track” au Dampoort gantois,tout chez cet artiste évoque formellementla mégapole asiatique.

Avec “Vertically Integrated Socialism”,Nicolas Grenier a lui aussi pris le loge-ment et l’architecture comme point dedépart pour tenir, à travers la vidéo, lamaquette et une unité modèle, des proposvisuellement forts sur la société capita-liste. Grâce à un court film d’introduc-tion, le public est initié à la société declasses que Nicolas Grenier “réconcilie”de manière révélatrice à travers lamaquette d’un bâtiment pyramidal imagi-naire où les “bénéficiaires du revenud’intégration” vivent à la base, suivis ver-ticalement par des appartements plus spa-cieux pour la classe moyenne plus aiséeet avec comme cerise sur le gâteau unpenthouse exclusif pour un euro-million-naire.

Il est rare de voir et de vivre dans uneseule installation un statement aussi fortet fondé sur l’égalité et l’inégalité maisaussi sur la solidarité. Rares sont lesœuvres d’art qui permettent aux gensd’expérimenter ce que la domination et lamobilité sociales signifient et qui font“sentir” une alternative réaliste de lamanière dont les riches pourraient veillerà ce que les laissez-pour-compte de lasociété puissent eux aussi profiter d’unlogement de base de qualité. Jamaisauparavant je n’ai vu une installation quireprésentent de manière si puissante lesystème économique/social sans êtrepamphlétaire ou doctorale.

Dans les environs, la Norvégienne AnneK. Senstad a réalisé sur le toit d’entrepôtsséculaires situés à côté de l’eau et duprincipal centre des visiteurs de la Trien-nale conçu avec des conteneurs, uneœuvre monumentale en néons jaunesavec le message évocateur et polysé-mique “GOLD GUIDES ME”. Quelleœuvre (!) , qui passe avec une lettre dedifférence de god à gold; c’est de celaqu’il a s’agi et qu’il s’agit toujours dansnotre monde où l’argent et la religioncontinuent de générer des tension et de laviolence brutale entre les individus et lesgroupes. Pendant la nuit, ce texte jaune orscintille dans l’eau de Bruges...

L’artiste chinois Song Dong parvient luiaussi à intégrer la religion dans son inter-vention très intrigante. “Wu Wei Er Wei”(Doing Nothing Nothing Doing) estconçu comme un jardin de rocailles chi-nois agrandi. Avec d’innombrablesfenêtres colorées récupérées des petitesmaisons chinoises détruites en masse,Song Dong a assemblé un jardin “amer”contre la façade de la robuste cathédraleSaint-Sauveur. A nouveau, quelle œuvre(!) avec des conclusions dialectiques ausujet de la conservation du patrimoine en

TRIENNALEBRUGGE2015

“The Passage Room” , Daniël Dewale

Page 31: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 31

Yannick Franck: There is always anelement of danger in your work, and isee some of your artworks as trapswhere the viewer is tricked into takingan active part -even though a lot ofpeople prefer to observe a prudent dis-tance with the work of art. Like thissculpture you invited people to mani-pulate, passing it from person to per-son in the audience, and that got alte-red by the acidity on people's hands,leading to the destruction of the sculp-ture on the long run. Could you tell memore about these techniques of yours?KG: I don’t like the process being calleda trap, because it is always with respect.The viewer is invited into the work, as aparticipant, as an active element, butnever against their will. I don’t like tothink of the work of art as material, noreven as aesthetic, but rather a site ofexchange, a talisman of transformation.The element of danger is needed to breakthe daily habit, to break the passive rela-tion we have with regards art. As soon asyou sense an element of risk your sensesawaken and you perceive so much more.In this way perception is shifted awayfrom something quotidian and domestictowards something transformative. Thedanger can be an unpleasant thought or aphysical risk or even a way of seeing thatfeels uncomfortable

YF: il y a toujours dans ton travailune certaine dangerosité, j’ai l’impres-sion que tes oeuvres sont des piègesdans lequel le spectateur se trouvecontraint de prendre part de manièreactive. Je me rappelle de cette sculp-ture que tu faisais passer de main àmain dans le public à l’occasion d’uneconférence, et qui était inévitablementaltérée par l’acidité des mains desgens, initiant un processus irréversiblequi amène à la destruction de l’œuvresur le long terme. Peux-tu m’expliquerplus avant ce procédé?

KG: Je n’aime pas que ce procédé soitappelé un « piège », car c’est toujoursavec respect. Le spectateur est invité ausein de l’œuvre en tant que participant,qu’élément actif, mais ce n’est jamaiscontre sa volonté. Je n’aime pas conce-voir l’œuvre d’art dans sa dimension

matérielle, ni même esthétique mais plu-tôt comme un lieu d’échange, un talis-man de transformation. La dangerositéest nécessaire pour briser la routine, larelation passive que nous avons avecl’art. Dès que l’on sent un élément derisque, nos sens se réveillent et noussommes à même de percevoir d’avantagede choses. De cette manière, la percep-tion est détournée de quelque chose dequotidien et de domestique à quelquechose de propice à la transformation. Ledanger peut provenir d’une pensée désa-gréable, d’un risque physique ou mêmed’une vision des choses qui nous sembledérangeante.

YF: Your production came through aradical twist after you’ve paid an iRaterrorist to place an actual bomb in anexhibition space. You had the feelingyou couldn’t go further on this highlycontroversial and provocative path?What are your current creativedrives?KG: I understood after exploding a bombin the Glasgow School of Art and havinga Dominatrix torture Jan Hoet for Sons-beek, that this kind of approach would

take me to a dead end. That was in 1999and since then I have seen so many artistswalk down that path and they all ended inthe same dead end so my fears were wellgrounded. Since then I have turned toother ways of shifting perception, otherways of creating risk and they all beginwith myself. It’s too easy to break openthe world around you and pointing to theproblem does not change the problem.Often it actually reinforces the problembecause it gets ticked off on the list ofproblems. I have shifted the attack tomyself, to understand that I am as guiltyas anybody else if I participate on theproblem. No artist can talk about the sys-tem ad claim to be innocent and not partof the system. No artist can talk about oursocial condition and claim to be innocentand unconditioned by social relations.

YF: Tes oeuvres ont pris un tournantassez radical depuis que tu as payé unterroriste de l’iRa pour poser unebombe et la faire exploser dans un lieud’exposition. avais-tu l’impressionqu’il n’était pas possible d’aller plusloin dans la provocation? Quels sonttes moteurs créatifs actuels?

KG: J’ai compris après avoir fait explo-ser cette bombe à l’Ecole d’Art de Glas-gow et avoir fait torturer Jan Hoet parune maîtresse dominatrice à Sonsbeekque ce type d’approche me conduiraitdans une impasse. C’était en 1999 etdepuis lors j’ai vu un grand nombred’artistes prendre ce chemin pour, effecti-vement, se retrouver dans des impasses,je me dis donc que ces peurs étaient légi-times. Depuis lors je me suis tourné versde nouvelles manières d’altérer la percep-tion, d’autres moyens de créer du risque.Ces stratégies me visent en premier lieu.Il est bien trop aisé de dénoncer et de nepas agir, ça ne change rien aux problèmesdu monde. Au contraire, ça renforce biensouvent les problèmes en questionpuisqu’on les considère alors commeréglés, on les raye de la liste. J’ai retournémes attaques contre moi-même, afin decomprendre que je suis aussi coupableque n’importe qui d’autre si je participede ces problèmes. Il n’y a pas d’artistesqui puissent parler du système tout en seconsidérant innocents et extérieurs àcelui-ci. Il n’y a pas d’artistes qui puis-sent dénoncer des problèmes sociaux etse considérer comme innocents, commenon-conditionnés par leurs rapportssociaux.

YF: Do you consider a work of art asan "active" thing, as opposed to anobject that is confined in a box anddoesn’t interfere with the usual courseof events?KG: Great works of art are very muchalive as you or me. Great works of artpossess not only material form but alsospirit. This is the reason why works of artseem to die. From one day to another, artseems to lose its strength and die. Thecaves of Lascaux are still alive after 17000 years, the Mona Lisa still alive 5centuries later. There are so many artistswhose work I loved and thought vitalwith life 10 years ago and then from oneday to another, they just died like cut flo-wers in a vase.

YF: est-ce que tu considères l’oeuvred’art comme une chose active, dans lesens qu’elle devrait être le contraired’un objet limité à son contexte et quin’interfère pas avec le cours «normal»des choses?KG: Les grandes œuvres sont aussivivantes que toi et moi. Les grandesoeuvres n’existent pas uniquement parleur aspect matériel, elles possèdent unaspect spirituel. C’est la raison pourlaquelle les œuvres d’art semblentaujourd’hui mourantes. Jour après jourl’art semble perdre de sa force ets’éteindre. Les grottes de Lascaux sonttoujours bien vivantes après 17.000 ans,Mona Lisa l’est toujours cinq siècles plustard. Il y a tellement d’artistes dont j’aiaimé le travail, des oeuvres que j’aiconsidérées comme vitales et vivantes ily a une dizaine d’années et qui d’un jourà l’autre sont mortes comme des fleursdans un vase.

YF: Could you tell me more aboutyour concept of Kapitalisman and theconception of the works you consideras such?KG: A lot of people like to blame themarket and money for all the problems ofart. Whilst I will not justify, condone orever support the market, it is not the pro-blem. The disease of our time is thatartists have given up their craft and havebecome lip servants to the whims oftaste. I blame the artists for bad shows,bad biennials and the imbalances of themarket because without the collaborationof artists the problem disappears. My

idea of Kapitalisman is to reinvigoratethe definition of art as something power-ful, something magickal. If art can becreated with spirit then it will breath spiritinto the galleries, biennials and art fairs.If art is dead its only because artists havegiven up living.

YF: Peux-tu m’expliquer le concept de« Capitalisman » dont tu m’as un jourparlé? Quelles sont les œuvres que tuconsidères comme telles?KG: Beaucoup de gens se plaisent à blâ-mer le marché et l’argent et à les considé-rer comme la source de tous problèmesde l’art. Sans pour autant justifier,condamner ou être partisan du marché, çan’est pas là que se trouve le problème. La maladie de notre temps est que lesartistes ont abandonné leur œuvre et sontdevenus les petits chevaliers servants dugoût. Je le blâme pour leurs mauvaisesexpositions, leurs mauvaises biennales etle déséquilibre qu’ils créent dans le mar-ché de l’art, puisque si les artistes refu-saient de jouer ce jeu, le problème dispa-raîtrait. L’idée d’un Capitalisman est deraviver la notion d’art comme quelquechose de puissant, de magique. Si l’art estcréé avec de l’esprit alors il peut diffusercet esprit dans les galeries, les biennaleset les foires. Si l’art se meurt c’est parceque les artistes renoncent au vivant.

YF: You are giving conferences aboutthe relation between Marcel Duchampand British occultist aleister Crowley,following researches that seem to haveinfluenced and inspired your radicalreconsideration of the usual perceptionof Duchamp among the art world.What are the great lines of yourresearch in this matter?

KG: I have reason to believe that MarcelDuchamp was one of the great unknownoccultists of the last century. He was dee-ply involved in Voodoun as well as theRose Croix fraternity, but art historyrefuses to see him as anything more orless than their safe cathartic fantasy. Thestrength of Duchamp derives from hisanimistic practices and has nothing to dowith how we read Conceptual Art.

YF: Tu donnes de nombreuses confé-rences à propos de la relation entreMarcel Duchamp et l’occultisteanglais aleister Crowley, à la suite derecherches qui semblent t’avoir beau-coup influencé et t’avoir poussé àremettre en question de manière radi-cale la perception habituelle deDuchamp, son image au sein dumonde de l’art. De quoi s’agit-il, dansles grandes lignes?KG: J’ai de bonnes raisons de croire queMarcel Duchamp a été l’un des grandsoccultistes insoupçonnés du siècle der-nier. Il était très impliqué dans le Vaudouet au sein de la fraternité Rosicrucienne,mais l’histoire de l’art refuse bien sou-vent de voir son oeuvre comme beaucoupplus que de simples fantaisies cathar-tiques et inoffensives. La force deDuchamp vient de ses pratiques ani-mistes et n’a rien à voir avec l’ArtConceptuel au sens ou nous le percevonshabituellement.

kendell Geers, sacred, Scarred, Scared

opposition avec l’effacement complet dela culture chinoise. Comme il doit êtrechoquant pour un artiste chinois de tra-vailler dans une réserve urbaine commeBruges l’intouchable en comparaisonavec son propre territoire qui est détruitavec compétence.

Comme dans son intervention à Bozar(en juillet-août), Song Dong parvient àcaractériser le noyau de son travail pardes matériaux avec des souvenirs ano-nymes, personnels qui sont ensuite vécusdans ses assemblages habiles et talen-tueux de manière exemplaire comme desnouvelles constructions, comme uneoeuvre d’art ambiguë, comme un signefort renvoyant à l’indignation et la mélan-colie. La Triennale de Bruges est spé-ciale parce qu’elle parvient à associerparfaitement un contenu de contempora-néité et les soupçons qui sont récemmentlatents dans nos contrées selon lesquelsnotre modèle de société fortement basésur la solidarité est unique - c’est uneuphémisme - et se maintient pour lemoment debout dans ce monde.

Sans tambour ni trompette et sans tomberdans des interventions journalistiques oumoralisatrices, ce projet réussit finale-ment (pour une fois) dans notre pays àsusciter une interrogation fondamentale

au sujet de la manière dont nos villesd’art “historiques” (et touristiques)comme on les appelle subissent uneimpulsion mercantile rusée basée sur laconservation et le conservatisme. Lemaintien de ce qui était constitue la stra-tégie nos villes dites d’art pour remettre àplus tard les défis de l’avenir et parfoisfaire comme si le passé était parfait etmerveilleux.

Statistiquement, les Flamands ne sont pasvolontiers disposés à accueillir et à tolérerce qui est autre, étranger, moderne...Nous aimons encore beaucoup utiliser lesPrimitifs flamands comme produitd’exportation numéro 1 et nous laissonslà une amnésie et une zone blanche quicraint la modernité. En l’espèce, àBruges, le beau Concertgebouw desarchitectes Paul & Hilde Robbrecht-Daem est à considérer comme uneapproche esseulée du temps où nous(devons apprendre) apprenons vraiment àvivre avec un monde qui tourne parfoisavec plus de dureté que ce que nous pen-sons et souhaitons. Cette triennale par-vient à transposer un concept excessifmais très lisible en un parcours maniable,conçu de manière économe, dans lequelplace est faite pour une réflexion en pro-fondeur sur les défis mondiaux de notreépoque. Et le fait que cela se passe juste-

ment à Bruges ne fait que plaider pourune ouverture en douceur des esprits deceux qui, là-bas, pilotent les politiquesculturelles et artistiques.

Il reste toutefois remarquablement para-doxal que ce projet fort se déroule juste-ment dans une petite ville blanche où l’onne peut voir que très peu, à l’exceptiondu personnel horéca bon marché et bienperceptible, de signes étrangers significa-tifs qui tendent vers un mélange intercul-turel et religieux. Dans une ville des pol-ders calme et sans industrie, la migrationest un mot/concept inexistant. Bruges vitdu tourisme et de forces de travail bonmarché dans un secteur qui sait, il estvrai, fournir massivement les touristes encatering...

La Triennale de Bruges est un must dansle contexte d’un été 2015 culturel belgemollasson; Bruges est en tant que villeune oasis de plaisir et de distraction, fina-lement pas si lointaine de Calais au nordde la France.

Luk Lambrecht

traduction estelle spoto

Kendell Geers: « si l’art se meurt, c’est parce que les artistesrenoncent au vivant ».

Page 32: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 32

En ce dernier samedi d’Août àBerlin, les tentations sont nom-breuses du côté des fraîchessalles d’expositions ou àl’ombre des grandes institutionsmuséales de la ville. Sous unsoleil accablant qui ignore la finde l’été toute proche, notrepromenade dans Kreuzbergnous mène au KünstlerhausBethanien où sont exposés lesactuels artistes résidents decette institution aux pro-grammes internationaux.Récemment inaugurée dans lemême mouvement que les tra-ditionnelles portes ouvertes desateliers de résidences, l’exposi-tion présente les réalisations ré-centes de cinq jeunes artistesoriginaires d’Israël, de Suède etde Norvège, du Portugal et duCambodge. Le spacieux showroom permet des accrochagesindividuels qui respirent oùchacun peut déployer un aspectde sa recherche en cours.

Dans le hall d’entrée donnantsur la rue, les grands tiragesphotographiques de BenyaminReich jouent avec ambigüité desa proximité avec la commu-nauté juive ultra orthodoxe ausein de laquelle il a grandi. Plusloin, l’accrochage photo d’unegrande précision de PatrikElgström construit des espacescomplexes à partir de vues ordi-naires des villes qu’il habite etparcourt : Göteborg ou, ici,Berlin. Il y utilise les élémentsurbains rencontrés, murs oucolonnes, comme des obstaclesabstraits, imposant au regarddes formes géométriques maisnon moins sensuelles agencéescomme d’étranges surfacesd’une grande richesse de tex-tures et de nuances, tout ceci ense limitant au noir et blanc et àun petit format d’impressionssur aluminium. Les trois moyens métrages deBodil Furu présentés sur lesdeux étages du lieu révèlent sonapproche personnelle du docu-mentaire où il aborde les prob-lématiques sociales etenvironnementales liées à descontextes géopolitiques claire-ment identifiés. Il s’agit deshabitants et travailleurs derégions minières de Chine oude République démocratique duCongo, victimes de la pollutionet de l’ouverture des marchés àl’international (« MistyClouds », 2011, « CodeMinier », 2013), ou, dans sadernière réalisation« Landscapes by the book »(2015), des effets que les inon-dations et projets de construc-tions hydroélectriques ont sur lepaysage norvégien. Les por-traits et entretiens réalisés alter-nent avec des mises en scènenourries de folklores et mytheslocaux. Certains choix formelsdiscrets et pourtant om-niprésents sèment des grainesd’étrangeté au cœur de ces réal-isations qui jouent pourtantavec des codes relativementconventionnels du documen-taire de création. Ce sont cesbords de l’image toujours trem-blants, hésitants, dus à unecaméra portée à la main, refu-

sant le confort d’un cadragefixe au trépied, et des choix degammes chromatiques très par-ticulières dont l’étalonnage ren-force les ambiancespoussiéreuses ou brumeuses deces lieux ; entre persistantematérialisation de la pollutionenvironnante et mise à distanceonirique de ces histoires quiparaissent comme autant defables nous contant l’Homme àtravers le paysage.

Nous continuons notre prome-nade torride vers le KunstWerke pour les derniers joursde l’exposition collective « Fireand Forget. On violence ». Surles différents étages de l’Institutd’art contemporain, les deuxcommissaires d’expositionEllen Blumenstein et DanielTyradellis articulent en quatregrands chapitres une vasteréflexion sur la frontière, la re-lation de fascination et derépulsion liée aux armes, lesrôles de la mémoire et dupardon, et le rapport direct oumédiatisé à l’acte de violence.Alors qu’une sélection de pho-tographies originales du IIIeReich issues de la collectionMartin Dammann/Archive ofModern Conflict rythment lesdifférentes étapes de ce par-cours d’exposition, plusieurspuissantes propositionsd’artistes nous interpellent. Refermant la première partieintitulée « Borders », la vidéo« Road Block at Gaza City,Netsareim Settlement BeachRoad » réalisée en février 2003et l’installation « The CountrySand Printer, 2014 » révèlent,avec des moyens très différents,l’absurdité du contrôle géo-graphique des frontières et desplans de répartition des nou-velles colonies d’habitation enterritoire occupé. Sans aucuncommentaire ajouté aumontage, les victimes de la fer-meture de routes à Gaza sontsobrement filmées par ArminLinke dans leur expédition quo-tidienne les faisant traverserdunes, bandes étroites de plageséventées et précaires aménage-ments de monticules de terreboueuse sur coins de routes bi-tumées. Non loin du petit moni-teur diffusant ces images, lagéante imprimante de sabledéveloppée par Roy Brand, OriScialom et Keren Yeela Golandessine et efface infiniment lescontours de la carte d’occupa-tion du territoire israélo-pales-tinien. Alors que lesbourrasques de poussières etd’embruns viennent remplir lecadre de l’image vidéo, effaçantles derniers repères visuels etcognitifs de cette situationgéopolitique absurde, les lignesqui se tracent continuellementdans l’épaisseur du sablesoulignent ensemble l’instabil-ité de cette situation, dans soninvraisemblable abstraction etsa trop cruelle réalité.

En entrant dans les salles suiv-antes, la mélodie s’échappantde la black box occupée par lavidéo de Pipilotti Rist « Ever isOver All » (1997) vient conta-

miner de façon douce-amère lesinstallations de Robbert &Frank (« Guns », 2014) ou deJota Castro (« Guantanamo »,2005) qui nous fait appréhenderà l’échelle réelle la taille d’unecellule pour deux prisonnierssous une température moyennede 40 degrés. Plus loin, un autredialogue dérangeant s’établitdans le face à face de deuxœuvres vidéo à la simplicitéredoutable : « Gesang derjünglinge » de Korpys/Löffler(2009) où l’on assiste à laséance de mise à l’essai d’unenouvelle arme d’électrochocdéveloppée pour la police, et« Juego Vivo » de JazminLopez (2008), où une courteboucle nous montre des enfantsjouant à la mort dans des taillis.Entre les sourires nerveux dujeu et le silence de la douleurréelle ou de la mort trop bienmimée, le basculement se faiten une fraction de seconde etnous laisse dans la pénible posi-tion d’observateur de cesvilains jeux ordinaires. Il faut aussi évoquer « BuckFever » (2012) du collectifNeozoon, une autre vidéo ad-mirablement efficace présentéeici. A partir d’une collection devidéos amateurs de chasse, unmontage alterné trahit lesmotifs émotionnels partagés parchacun des chasseurs avant,pendant et après avoir abattu unanimal sauvage ; paradoxalmélange d’admiration craintiveet de violent désir d’appropria-tion qui se conclut en une défla-gration jubilatoire ambigüe.

La soirée avance. En ce samedi29 Août, la foule s’amasse aucœur du Museuminsel, point dedépart de la « Longue nuit desmusées ». La 35e édition de cetévénement annuel donne accèsà plus de cent musées de la villequi ouvrent leurs portes et pro-posent diverses interventionsexceptionnelles à partir de 18het jusqu’à 2h du matin. Unebelle occasion de découvrir desinstitutions culturelles plusmarginales, ou simplement decommencer par reparcourir,

avec un plaisir nocturne toutparticulier, quelques unes descinq institutions de cette fantas-tique île des musées. Coiffant son extrémité nord, lemusée de Bode accueille notrepremière déambulation noc-turne. Parmi ses collections desculptures du Moyen Age et del’époque classique, nous avonsla belle surprise de plusieursperformances musicales quin’amenuisent en rien la magiedu lieu... Les improvisations àla contrebasse augmentée deJaspar Libuda puis les voix duchœur germano-espagnol deBerlin accompagnent nos pasqui ralentissent tout partic-ulièrement dans les salles del’exposition temporaire « TheLost Museum : The BerlinSculpture and PaintingsCollections 70 years AfterWorld War II ». Pour ce projetorchestré par Julien Chapuis,directeur de la collection dessculptures, les œuvres du muséedétruites ou endommagées lorsde la seconde guerre mondialeréapparaissent par le biais dereproductions photographiquesnoir et blanc à l’échelle réelleou de techniques de moulagesbasées sur les fragments subsis-tants. Etranges présences fan-tomatiques de ces toiles deBotticelli ou du Caravage, ir-rémédiablement perdues, dontles pâles reflets figurent encoreaux murs, parfois dans leurscadres originaux ayantironiquement survécus seuls,alors que l’incendie du bunkerde Friedrichshain en 1945faisait partir en fumée les chefsd’œuvres qui y étaient con-servés.

Quelques heures et quelquesœuvres plus loin, nous arpen-tons l’exposition « Photo-Poetics : An Anthology » à laDeutsche Bank KunstHalle. Lesvisiteurs encore nombreux, bienque sensiblement ralentis àcette heure avancée de la nuit,serpentent entre les cimaisesaccueillant les travaux de dixartistes jouant de l’image priseet reprise, rassemblés ici par

Jennifer Blessing, commissaireinvitée du Guggenheim de NewYork. Comme autant de réac-tions possibles à l’empire toutpuissant du digital, les imagesreprennent « corps », s’agen-cent dans des espaces réels auxcôtés d’autres objets auxquelselles mêlent leurs ombresportées pour donner forme àdes compositions destinées àêtre photographiées denouveau. Leur retour dansl’espace à deux dimensions del’image se fait chargé d’uneépaisseur particulière, d’unematière et d’une lumière propreà notre environnement physiquequotidien. Erica Baum joue d’une abstrac-tion feinte dans ses composi-tions réalisées à partird’ouvrages entrouverts. Usantd’un choix de focales savam-ment restreintes, des fragmentsd’images et de textes apparais-sent parmi les stries du tran-chant des pages qui lescontiennent. Les fragiles com-positions de Sara VanDerBeekattirent particulièrement notreœil déjà saturé de bien des im-pressions diurnes et nocturnes.Dans ses différentes dimen-sions, la présence du papier s’yfait sensuelle ; liée aux qualitéspropres des techniques, des im-pressions et de leurs modes deprésentation, mais aussi à laprégnance des reproductionsextraites de livres d’Histoire del’art souvent utilisées commematière première de son travail.Tout ceci et les subtils renvoisque l’artiste met en place versles réalités physiques et his-toriques qui sous-tendent sontravail participent à la construc-tion d’un riche univers, entreabstraction et contextualisationde l’image photographique.

Un bref repos bien mérité aprèsce long samedi d’Août chargéen émotions esthétiques et lesoleil se relève déjà, toujoursaussi ardent. Notre goût de lavariation nous pousserait plutôtvers quelques parcs ou clubs in-fatigables comme Berlin sait enoffrir, mais le hasard de nos pas

nous mène pourtant devantl’autre bâtiment de l’institutionBethanien. Au Kunstquartier,installé dans un ancien hôpitalnéogothique deMariennenplatz, on dit que tou-jours quelque chose se passe…En effet, nous y découvronsune exposition-performance encours, qui développe son scé-nario sur trois journées conséc-utives ouvrant elles-mêmes uncycle de trois parties échelon-nées jusqu’en 2016. Dans« Becoming Undone - Part I »,le duo d’artiste et de danseurWilhelm Groener investitl’espace immaculé de lachapelle. Une multitude deballes de ping-pong envahissentle sol, tour à tour soufflées pardes ventilateurs amovibles oubrossées par les grands balaiscontinuellement activés par lesdeux artistes. Baignés dans uneambiance ouateuse, diffusionsde fumigènes et bandes sonoresentêtantes, le côté hypnotiquede cette scène observée à laverticale depuis les balcons sus-pendus nous captive pendant untemps indéfini. Mais, serait-ce dû aux mouve-ments minimaux des per-formeurs ayant fait le choixvisible d’une non-danse avareen jeu scénique, ou serait-ce lafaute au trop plein d’impres-sions émotionnelles et rétini-ennes récentes, nos yeux seferment comme par magie, etbien malgré nous, la grisaille dela face cachée de nos paupièresvole le devant de la scène. Il s’yimprime fugacement, avant desombrer plus parfaitement dansnotre théâtre intime, les nuagesgazeux des œuvres parcourues ;brumes et poussières de Gaza,de Shanxi, feu aux poudres ensaison de chasse ouverte etombres spectrales d’œuvresparties en fumée.

Marion Tampon-Lajarriette,août 2015

•Kunstlerhaus BethanienShow room - KunstraumKreuzberg : Kottbusserstrasse 10,exposition 28/08/2015 –20/09/2015, entrée libre•KW Kunst-Werke Institute forContemporary Art, Auguststrasse69, D-10117 Berlin•Lange Nacht der Museen - Longuenuit des muséesh t tp : / /www. lange-nach t -de r -museen.de/•Bode museum, Am Kupfergraben,10117 Berlin« The Lost Museum : The Berlin

Sculpture and Paintings Collections70 years After World War II »19/03/2015 – 27/09/2015•Deutsche Bank KunstHalleUnter den Linden 13-15, 10117Berlin•Kunstquartier Bethanien – studio 1/Kapelle, Mariannenplatz 2, 109997Berlin•« Becoming Undone »PART I : 30 Aout – 6 septembre, 6-9pm, Kunstquartier Bethanien /Studio 1 (Chapel)PART II : Fevrier 2016, dans lecadre de « Open Spaces »,Tanzfabrik Berlin – WeddingPART III : Novembre 2016, UFER-STUDIOS Berlin / Studio 1

Dernier week-end de canicule à l’abri des sallesd’expo berlinoises

The Lost Museum. Reproductions de peintures de Guido Reni, Francisco de Zurbarán, Jusepe deRibera, Caravaggio et Petrus Christus et de sculptures de Michelangelo et Giulio Mazzoni. Toutes perdues depuis 1945. photo Marion Tampon-Lajarriette.

Page 33: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

26.09.2015 – 29.10.2015 26.09.2015 – 29.10.2015

14.11.2015 - 24.12.2015

Mike Bourscheid Serge Ecker

Claudia Passeri

ehe EHE INERTIA OF THE REAL

MANGIA MINA

www.centredart-dudelange.lu

Page 34: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

*Chronique 11Aldo Guillaume Turin

Antonioni, Patrick Modiano, François Huon,Pierre Martens, Jean-Georges Massart.

UN TEMPS SANS AGEAldo Guillaume Turin

A qui s’est rendu ces dernières semaines à l’exposi-tion Antonioni organisée de haute main par la Ciné-mathèque française, une double surprise était réser-vée. La mort du plus doué des cinéastes italiensremonte à juillet 2007, symbolisant mieux que toutecritique historique de la période durant laquelle il tra-vailla ce moment où la création filmique de la pénin-sule a été l’objet d’une catastrophe. Si l’on s’estassez tôt aperçu de l’approche extrêmement singu-lière qu’il a eu de la conscience moderne, ne peut-ondire en parallèle que n’existait plus sur ce territoiredes images qu’une tempête, aux prises autant avec larenommée des uns qu’avec les succès engrangés parles autres ? En rendant hommage à Antonioni, c’est àune sorte de biographie artistique que les initiateursde l’événement invitent le visiteur, et ce dernier, nul-lement pour une raison aussi commune qu’on le pen-serait, ne manque pas de noter que cet événement estd’une grande importance, d’une radicalité sanspareille, ce qui l’incline à en saisir davantage et avecplus d’acuité les arrière-plans, la donne ayant changécomme on sait au tournant des années soixante-dix,de façon brutale.

Il y a sans conteste eu omission de la part du mondedu spectacle en général à l’égard de ce qui fut latriste fin d’une Ecole. Les responsables ont gardé lesyeux fermés, élu d’autres routes et levé d’autrescartes : ils étaient loin d’’être émus par cette catas-trophe. Ils ont porté une faute très grave en se détour-nant sans vergogne d’un accident capital dont lesvictimes s’appelaient Visconti, Pasolini, Zurlini, Bel-lochio et, à une distance focale débordant le cadrepropre de l’époque où il a vécu, Michelangelo Anto-nioni. On ne l’ignore pas, mais l’a-t-on jamais ignoré?, ce milieu-là étant épris de l’écume que répandentau cœur de la société libérale les tours de piste festi-valiers, il n’a pas concédé au style cinématogra-phique italien d’après-guerre plus d’attention qu’auxfacétieux pugilats des Muets d’Hollywood et, per-dues dans un champ de décombres, ensemençant descendres, aux séquences empreintes de rêverie méta-physique émanant d’un Japon qui venait de subir unebrûlure ineffaçable, à l’issue du conflit l’ayantopposé à l’Amérique. Cette exposition, ce serait, àtravers le créateur d’un langage aussi inattendu,aussi nouveau que volontairement « naufragé », àl’origine de formes narratives coalescentes et enne-mies du psychologisme défendu par nombre degestes d’écriture depuis le XIXe siècle, ce serait doncun rendez-vous pris avec la mémoire. Avec aussi uneattitude neutralisante d’idées arrêtées, de rhétoriquescreuses, et avec tout un pan du cinéma, au miroir del’une de ses réussites les plus fortes, dans le fil del’âge du visuel commercialisable dont aujourd’huion constate qu’il n’est pas près d’expirer encore.

L’étonnement est une audace. Ici, il jaillit d’une ana-lyse interne du passé que ses sources réelles confron-tent à un passé du passé, quasi subliminal, qui àaucun prix ne surdéfinit le premier – qui à l’inversel’enveloppe et le mélancolise. Ainsi de ces affichesjadis le fleuron des vitrines à l’entrée des salles obs-cures, ainsi de ces extraits furtifs de copies corres-pondant aux si bien dites bandes de lancement. Sansoublier l’atmosphère de transcendance frelatée quel’on jugeait le meilleur émollient pour sonder lestêtes et les âmes livrées entre innocence et duplicitéaux jeux de la mise en scène. En contrepartie et enmême temps est offerte l’occasion de comprendre, àl’aide d’exemples venus du fonds Antonioni de Fer-rare, que le cinéaste permet d’analyser ces passésdémultipliés tels des signifiants, gages d’une véritéde pensée qu’il choisit pour sienne, au niveau non dela morale ou de la culture, mais, par refus de se sou-mettre aux pouvoirs dont le langage s’octroie la maî-trise, au niveau de la condition du héros dépressif,névrosé, que ses personnages représentent tour àtour. Voici alors qu’à l’étonnement que l’on ressent àplonger dans la fausse sérénité d’images produitespar un autrefois auquel de toutes manières onn’adhère plus, même si plaisamment captivantes ouérotiques, mystificatrices, se substituent le chocd’une expérience au présent, l’intuition soutenued’un Antonioni redivivus.

Contrairement à la mise en espace proposée par unmusée bruxellois lors d’un précédent rendez-vousposthume avec l’auteur, et qui avait des carences àcause de malheureuses erreurs de perspective, lamanifestation parisienne procède d’une approche nesouhaitant pas s’en tenir à la surface. DominiquePaïni, son commissaire, a voulu que soit dédiée àAntonioni une nef entière du bâtiment de la Cinéma-thèque : pas de chicanes, pas d’enclaves méditantes,quelque chose au contraire comme une jetée, un défià « la loi de la masse ». Scénarios annotés et photosintimes y enfoncent une pointe bienvenue, rassem-blés et dialoguant entre eux, échelonnés avec beau-coup de soin dans l’écrin transparent que constituel’unique table de présentation. Pour qu’il existe unedécouverte restant en éveil, ce meuble, central,monumental, fend le lieu de part en part. Il y a là desmagazines 1950 genre roman illustré, assurantl’intendance « pop », et quelques dessins qu’unenfant admiratif de Greta Garbo tirait de ses crayonsdans une excitation que plus tard il allait connaître àneuf derrière l’œilleton de la caméra. Qu’il allait par-tager aussi, parfois plus insistante, avec Chirico etd’autres artistes, ses contemporains, Rothko, Schna-bel, dont les toiles ici au mur créent un lien avec lahantise du vide urbain ou du désert qui caractériseAntonioni tout autant que le chromatisme violem-ment pigmentaire de ses dernières réalisations. Faceaux œuvres dominées par un noir et blanc fuligineux,de Chronique d’un amour à L’Eclipse, film commetraité au pinceau et à l’encre, les travaux de la finmarquent un net penchant pour les surfaces unies,intensément colorées, appelant à un trajet en elles quiferait l’économie de leurs différences et de leurspoussées de fièvre.

De tels rapprochements auraient pu paraître gratuits,mais non, ne nous trompons pas, ils ont un effetdéflagrateur, ils résonnent, au-delà, avec les tenta-tives plastiques du cinéaste dont plusieurs ont étéretenues pour la circonstance. Quel a été au juste leurrôle dans le destin de cet être de solitude ? On rap-porte qu’il pratiquait des mélanges de tons sur detout petits fragments de papier, qu’il agrandissaitensuite en utilisant un procédé analogique. Le résul-tat, ce sont les Montagnes enchantées. Se dérobant àune fonction attendue, comme de devenir une sortede base avant d’entreprendre de régler la question del’équilibre entre le rouge et le jaune, le vert etl’indigo une fois arrivé sur la séance de tournage, ceséchantillons, quasiment des émaux pour une parure,d’une lumière intensément diurne, une lumièred’aurore typique des régions du sud de l’Europe,recueillent des indices de perception secrète.L’expression d’une contrariété douée d’une gram-maire distincte s’y montre clairement. Et on sedemande si cette contrariété ne réfère pas, de façonparadoxale, aux cadrages si performants, si détec-tables, ailleurs, et ne les reborde pas d’une palpita-tion s’apprêtant à les envahir. Ces montagnes chif-fonnées de lumière nous disent la soif d’un horizonen mesure de combattre le déni sous lequel lecinéma, avide d’apports multiples, ordinaires ou pas,se trouve plus d’une fois en risque d’anéantir l’irré-ductible complexité du monde, en risque de réviserle vivant, de vouloir sa mise sous tutelle.

*

Mercredi 10 décembre, moment enfin de plaisir àapprendre les nouvelles à l’aide du câble : PatrickModiano reçoit le prix Nobel de littérature, à Stock-holm, où il prononce un discours qui dénombrequelques-uns des enjeux cruciaux de son écriture, enrelation avec son aspiration à établir un vrai contactavec l’espace et le temps, du moins si l’acte d’écrireen laisse supposer la nécessité. Stockholm et le fasteacadémique attaché à cette cérémonie, sans compterl’omniprésence des médias, tout ce qui en principeinterdit de rouler en roue libre. Et pourtant il n’yavait pour l’auteur se livrant à la lecture de son texte,et cela très visiblement, qu’un seul objectif à respec-ter et à atteindre, de l’ordre de l’échappée et non ducontrôle dû au rite social. En dépit des élémentscontradictoires que presque fatalement ce typed’exercice entraîne, il s’agissait ni plus ni moins que

d’attester que l’écrivain qu’il est n’a eu de cesse,dans des livres tous s’embranchant les uns sur lesautres, de se rapprocher des choses. Les ressentant.Les revitalisant si d’aventure rejetées à l’oubli. DansFleurs de ruine, il y a la phrase suivante : « A quoibon tâcher de résoudre des mystères insolubles etpoursuivre des fantômes, quand la vie était là, toutesimple sous le soleil ? » Il est des écrivains chez quiles modalités de saisie les conduit à révéler ce queeux-mêmes ignorent. Se rapprocher de la vie simple,dans le cas de Modiano, suppose qu’il aille à contre-courant du mouvement dont au départ il se soutient :abolir le désir d’étreindre la réalité, se jetant sur lesmots, dans celui de se donner à un vertige d’aban-don, source de connaissance. Le verbe maintenantapprofondit cette période de l’Histoire encore récenteoù le crime était universel, où se perdaient les identi-tés, et que seule peut rappeler la proximité, juste-ment, avec les mystères et les fantômes. LireModiano revient à marcher dans les pas dequelqu’un qui chuchote qu’il y a eu un phénomèneressemblant à une double entente dans le Paris del’Occupation, une zone grise de rencontres clandes-tines, avec des rues et des avenues où l’on était à lamerci d’une dénonciation, et où des inconnus cher-chaient leurs proies, armés d’un entêtement féroce. Ilaffirme à Stockholm que ce Paris oublié est sa « nuitoriginelle », son autobiographie passe par toute cetteanamnèse.

On a eu, un court instant, l’impression qu’il allait sesoustraire à l’assistance, soudain isolé là-haut, surl’estrade qu’il partageait avec d’autres nominés. Saparole a vaincu pour finir, et, toutes proportions sou-mises à un basculement, s’est emparée de l’oubli,ainsi que des acteurs de l’oubli, et des pièges consé-cutifs à l’usage de fausses confessions, de fauxrepentirs, de la part de certains d’entre eux. Onapprenait que l’esprit peut être menacé de séparationd’avec soi, qu’il se montre capable d’un renouvelle-ment dès lors qu’il se fie au souvenir.

L’auteur de Un pedigree sait de quelles ruses disposela tentation permanente de renoncer à se com-prendre, ce qui explique pourquoi les personnages deses fictions gagnent peu d’ampleur et jouissent depeu de grâce dans leur propre regard. Et pourquoil’exergue du plus récent livre de Modiano définitmieux que n’importe quel essai théorique le motifqui le magnétise depuis qu’il a commencé à s’entou-rer de fantômes : « Je ne puis pas donner la réalitédes faits, je n’en puis présenter que l’ombre. » Lavoix est de Stendhal, elle éclaire les choix du roman-cier élu, et amène à saisir qu’il était pour lui natureld’explorer les abysses auxquels nous renvoient tantde ses silhouettes de papier. Le lecteur aura été avertide l’extrême adresse requise pour que se déroule undéplacement d’angle de vue, quand on écrit.

*

Il y aura bientôt cinquante ans, des artistes, peintresou sculpteurs, performeurs ou installationnistes créè-rent une brèche dans le système admis en choisissantde donner accès à leurs travaux au cœur de sitesindustriels. Or, cette dynamique inédite ruinait lechamp de regard traditionnel, héritage d’Athènes etde Florence. Bien plus elle questionnait et à plusd’une reprise troublait-elle le public, d’autant quel’action ébauchée puis menée à terme ne se consti-tuait pas en satellite des galeries pourtant censéesouvrir toutes grandes leurs portes à l’aventurismemoderne. Du point de vue essentiel du souci animantles initiateurs du projet, se relayant bien ce ne fûtsous un étendard identique, une telle déterminationne pouvait se concevoir que si l’on s’intéressait véri-tablement au dit public. Considérant chaque per-sonne comme marquée par le fait d’être distincte desautres, porteuse de croyances et de questionnementsinaliénables en rapport avec sa charge d’existenceparticulière. C’était réagir à l’indifférenciationsociale et ethnique alors naissante. Dès cette époquese forgeait de par l’Europe et sur les rives opposéesde l’Atlantique l’idée de rencontres « off » qui,depuis, s’éloignant de leur version originale, ontdécidé de célébrer, à renfort de labels publicitaires

souvent grossiers, l’invention plurielle dont témoignela création d’aujourd’hui.

Le contexte a changé, de transgressif il est devenupromotionnel : les jugements des spécialistes de plusen plus enlisés dans le calcul stratégique et lesmanœuvres d’un marché de l’art qui exige de valoirun poids au moins égal à celui d’une importanteentreprise productive, voilà, en peu d’exemples, enrésumé, la composition structurelle à laquelle lescréateurs ont affaire désormais. Son retentissementest énorme. Ses desservants sont les press officers.Elle se substitue, forte de son appareil travesti d’unsavant clair-obscur, aux configurations antérieuresconnues. L’argent y ronronne au chaud, calé sur lesbas-fonds de la spéculation.

Du coup néanmoins un basculement se déclenche,retour de l’indécidable qui réémerge à chaque foisque les cordes du ring s’imposent et excluent, etmême pire : développent une fonction de filtrage. Achaque fois, autrement dit, qu’un ensemble coor-donné de fantasmes réclament de la part de tous lasubordination en prétextant de leur irrévocabilité –cela entraînant comme conséquence que des virtuali-tés indispensables à l’expression d’une rupture entrele moi et le statut qui lui est infligé s’arrachent défi-nitivement à l’attraction des besoins premiers, desassouvissements immédiats. Et, au-delà, à l’emprisedes idéologies culturelles. Ainsi des lieux reçoivent-ils à nouveau à présent des artistes, des lieux qui nesont pas des galeries et qui d’ailleurs ne les concur-rencent guère, car libres de leurs énoncés et de leursvaleurs. Que la situation se décante, certes encoremal assurée sur ses bases, beaucoup de ces lieux, àBerlin comme partout, le prouvent.

100 Titres est l’un d’eux, qui se trouve à Bruxelles.Cet espace dessinant une sorte de puzzle éclaté aubas d’un immeuble à étages accueillait, ce dernierprintemps, trois signatures.Celle de Pierre Martens, exposant ici faut-il dire desobjets, façonnés par lui, ou non, des volumesempreints d’une pensée parménidienne ? ou : desconstructions obéissant à un schéma supraterrestre ?Plutôt a-t-on envie de parler de solides finement dia-lectisés, de forme pure inquiétée par la matière. Cetteéponge domestique enduite de corindon, qui la revêtd’un scintillement charbonneux, est à la fois « litté-rale » et emblématique. Ce cône parfait s’échappe dumur où il est accroché et se mue en obstacle. Ce fais-ceau de barres droites évoque une arborescence rai-die après l’extinction d’une plantation en feu.

Les deux autres signatures, même par rien que lecontraste entre leurs matériaux, se penchent diverse-ment sur les voies empruntées par la perception,maintenant que les stéréotypes du passé, les catégo-ries et les fondamentaux symboliques reçus par lescollectivités humaines en héritage, subissent l’effetd’une retombée du sens qui fixe nos limites. Levacillement des logiques permettant d’interpréter leréel dans le but d’adhérer à lui au moyen de vocableset d’images achève aujourd’hui de tout à fait briserdes chaînes anciennes, mais ce sont nos certitudes etnos mythologies, nos controverses civilisées et nosmésententes maladives, les unes et les autres assimi-lées à du protoconceptuel, qu’il renverse. Ainsi Fran-çois Huon propose-t-il une approche du sigle de ral-liement de l’anarchie, longtemps un appel à larévolte : il le démultiplie sur des supports de boiscolorés, mais surtout il opère sur lui des découpes,avec pour résultat que le référent qu’il comporte sou-dain s’exempte. Quant à Jean-Georges Massart, dontl’œuvre entière, des décennies durant, a ému par sacapacité à ne pas restreindre ses recherches auxnormes d’une esthétique, on voyait de lui quelques-uns de ces entretoisements de végétaux naturels qui,flottant devant les yeux, rappellent les tracés choré-graphiés d’un lavis Song.

Page 34

Page 35: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Page 35

Rédaction: asbl Flux • Edit.resp.: Lino Polegato / Conception graphique, remerciements à Anne Truyers60 rue Paradis, 4000 Liège • Tél. : +32.4.253 24 65 • Fax : +32.4.252 85 16 • [email protected]• www.flux-news.be

A v e c l e s o u t i e n d e l a F é d é r a t i o n W a l l o n i e - B r u x e l l e s

>Belgique 2 ans: 20E • > Etranger 2 ans: 50E > N° de Compte: BE42 240-0016055-54Abonnez-vous !

Liège

BALFéronstrée, 86 4000 LIEGE32 (0) 4 221 89 11

Les BrasseursRue du pont, 26/284000, Liège01 - 31.10.2015RECIPROCITYTRIENNALE DE DESIGNFREDERIC RICHARD (BE)exposition individuelle

Grand CurtiusFéronstrée - 4000 LIEGE

>20/09: collection de la Space

Centre culturel des Chiroux8 Place des Carmes 4000 Liège T.04 222444517/09/2015 » 21/10/2015Exposition Tempo Color - Touspour tous

Les DrapiersRue Hors-Château 68,

4000 LiègeT :04 222 37 53SOFRA BY OBJECTSPROJECTSDans le cadre de RECIPROCITYDesign LiègeDu 1er oct. au 28 nov. 2015

MadMusée Parc d’Avroy à Liège T. 04 2223295 En rénovation

Espace 251 Nord251 rue Vivegnis 4000 LiègeT.: 04 2271095ART BERBÈRE, REGARDS SURUNE COLLECTIONVernissage 18.09.15 / 18h - 6pm

Galerie Flux60 rue Paradis, 4000 Liège, Tél. 04/253.24.65Le collectif Aperto jusqu’au3/10/2015Damien Hustinx:photos"Ready-womade" vernissage le24/10/2015-14/11/2015Fin nov.: Michel Leonardi peint.installation

Monos39 rue Henry Blès 4000 Liège04 2241600 >4/10: expo collective

Galerie de WégimontDomaine provincial deWégimont, 4630 Soumagne,T.:0477/389835samedi et dimanche de 14 à 18Hou sur RDVdu 3 octobre au 1er novembre2015 : Tomber du ciel (expo col-lective)

La Châtaigneraie Centre wallon d’Art cont.Chaussée de Ramioul, 19T.:04/2753330"Wetschmerz"LEONARDI/VAISER - vernissagele 18.09/2015

Nadja Vilenne5 rue Cd Marchand 4000 Liège Des cycles Hors-ChampMaurice Pirenne16.08 > 19.09. 2015

Centre culturel de Marchinplace de Grand Marchin T.: 085 41353381Du 11 octobre au 08 novembre2015

Exposition : Sébastien Plevoetset Jo Van Rijckeghempeinture - sculpture

Stavelot

Le Triangle BleuCour de l’Abbaye, 4970 Stavelot

080/864294

merc. au dim. de 14h à 18h30

Art sans conditionsLili Dujourie, Antoine Doyen, PeterDownsbrough , Lawrence Malstaf ,Mieke Teirlinck, Lefty Neumann , JulieBawin, Jacques CharlierCurateur, Jacques Charlier11 oct. – 27 déc.2015

Eupen

Ikob Musée d’Art contemporainEupenRotenberg 12 B, 4700 Eupen T. 087/560110 CATALYSTMarcel Berlanger 27.09.2015 — 13.12.2015

Luxembourg Belge

Centre d’art contemporain duLuxBP56 T.: 061/315761 Florenvil le Du 4 juil let au 27 septembre2015L'Envers du décor - supportsmultiples (Commissariat: D.Biernaux)

L’OrangerieCentre culturel de Bastogne58 rue du Vivier 6600 Bastogne061 216530

PAINTING CIRCUS, LaurentImpeduglia Du 12 septembre au11 octobre 2015

La Louvière

Centre de la Gravure et del’Image imprimée.10 rue des Amours, 7100La Louvière T.: 064

27872727/4 DU 3 OCTOBRE 2015 AU 7FÉVRIER 2016FRANÇOIS SCHUITEN -LUMIÈRES SUR LES CITÉS

Musée Ianchelevici21 Place Communale, 7100 La Louvière, T.: 064/28 25 30L'ombre mise en lumière. De

Cécile Douard à Bettina Rheims (Du 10/10/2015 au 17/01/2016)

Mariemont

Musée Royal de Mariemont 100 Chaussée de Mariemont,064 212193

Tournai

Maison de la cul ture de TournaiBd des Frères Rimbaut 7500Tournai T 069 253080CHRISTIAN ROLET ETL’ÉCRITURE5/09 au 24/10

Charleroi

Musée de la Photographie11 Av. Paul Pastur, 6032Charleroi T.: 071/435810 tousles jours:10/18h, sauf les lundis Stephan VanfleterenCHARLEROI 23.05 > 06.12.15Michel CouturierIL Y A PLUS DE FEUX QUED'ETOILES

B.P.S. 22Boulevard Solvay, 6000Charleroi T.064 225170 jeudi -dim. de 12H à 18HLES MONDES INVERSÉSART CONTEMPORAIN ET CUL-TURES POPULAIRES26.09.2015 - 31.01.2016

Mons

BAM (Beaux Art Mons)8 rue Neuve 065 40530628Parade Sauvage du 17/10/201510:00 au 24/01/2016 18:00Art etcontre-culture autour des sixties

KOMA4 rue des Gades, 7000 Mons. T.065/317982Julius Koch à travers l'EuropeDu 07/12/2014 au 31/12/2015

Namur

Maison de la Cul ture14 Av. Golinvaux, 5000 NamurT.081/229014, de 12H à 18H00,

Grand Hornu

MAC’s Musée des arts contem-porains Grand Hornu82 rue St Louise 065 652121Du 18 octobre 2015 au 17janvier 2016L'Homme, le Dragon et la Mort.La Gloire de saint GeorgesDavid Claerbout, GiuseppePenone, Angel Vergara Santiagoet Luc Tuymans.

Bruxelles

Aeroplast ics32 rue Blanche, 1060 BXLT.: 02/5372202

AES+F: THE TRILOGY PLUS11 Sept - 7 Nov

Argos 13 rue du Chantier, 1000 BXL T : + 02 229 00 03

Art@Marges Muséerue Haute 3121000 Bruxelles T.: 02 5110411Du nombril au cosmosautour de la collection abcd/Bruno Decharme25.09.15 – 24.01.16Vernissage : 24.09.15

Baronian2 rue Isidore Verheyden 1050 BXL T. :02 51292951Wang DuRéalité altéréeSeptember 11, 2015October 24, 2015

Botanique236 rue Royale, 1210 BXL,02/218 37 32XAVIER LUST - DESIGN STORIES

Vendredi 11.09.15 - Dimanche

01.11.15 MUSEUM

Bozar 23 rue Ravenstein, 1000 BXL

T.:02/507.84.8024 JUIN ’15 / 29 SEPT.’15MEKHITAR GARABEDIANUN BEL ÉTÉ QUAND MÊME

GALERIE FAIDER12 rue Faider 1060 Bruxelles Michael KravagnaRecent WorksExhibition: From 12 Septemberto 24 October 2015

Centrale for Contemporary Art44 Pl Ste Catherine02/2796444

Les Contemporains18 rue de la Croix 1050 BXLT: 02 640 57 05

Contretype1 Av de la Jonction 1060BXL02 5384220

Etablissements d’en Face32, rue Ravenstein -1000Bruxelles02/2194451ERAN SCHAERF05.09.15 - 11.10.15

Komplot295 avenue Van Volxemlaan,B-1190 Brussels

ANGER MANAGEMENTCurated by Benjamin Jaubert11/09/15 - 24/10/15

Greta Meertrue du Canal 13, 1000 BXL. T. 02/2191422ROBERT BARRY - WORKS 1962UNTIL PRESENTSEPTEMBER 11 - NOVEMBER14, 2015

ISELP31 BD de Waterloo, 1000 BXL 02 50480708.09 > 05.12.2015AGNÈS GEOFFRAYFAILURE FALLING FIGURE

Rodolphe Janssen35 rue de Livourne, 1050 BXLT.02/5380818CHRIS MARTIN11.09 > 17.10.15

La Galerie.be65 rue Vanderlinden, 1030 BXL 02 24599929/10-9/11: “Céramiques horspistes”

Maison d'Art Actuel desChartreux

Rue des Chartreux, 26-28 1000 Bruxelles 02/513.14.69Collectif VOID – ( Arnaud Eeck-hout & Mauro Vitturini )20.11.15 – 19.12.15

Meessen De Clercq2a Rue de l'Abbaye1000 BrusselsJosé María Sicil iaSeptember 11, 2015 - October31, 2015

Jan Mot190 rue Antoine Dansaert1000BXL 02 5141010

12/09 - 24/10Manon de Boer

Office d’Art Contemporain105, rue de Laken - 1000 BXL0 2 512.88.28

Rossi Contemporary Rivoli Building, ground floor #17, chaussée de Waterloo 6901180 Brussels T:0486 31 00 92Francois Jacob: 10/09-7/11/2015

Xavier Hufkens6 rue St Georges 1050 BXL02 6396738Louise BourgeoisLes têtes bleues et les femmesrouges11 September—31 October 2015

WIELS, Centre d'Art Contemp.Av. Van Volxemlaan 3541190 BXLtel +32 (0)2 340 00 50Stan Douglas : Interregnum09.10.2015 – 10.01.2016

Hasselt

Z33, Zuivelmarkt, Hasselt011/295960Jasper Rigole - 81 choses que jepensais avoir oubliées11.10 à 06.12.2015presentation yound design talentToegepast 2023.11.2015 à 06.03.2016

Antwerpen

M HKALeuvenstraat, 2000 Anvers,tél:03.2385960 1.08 - 18.10.2015LODGERS#3 Apparent Extent (Cologne)6ième étage

Micheline Szwajcer14, Verlaatstraat , 2000ANVERS. T:03/2371127DAN GRAHAM Sculpture or Pavi-l ion?12 September - 24 October

Zeno X gallery16 L. De Waelplaats 1603 2161626Patrick van CaeckenberghSeptember 9 - October 17, 2015

Gent

S.M.A.K.Stedeli jk Museum voor ActueleKunst Citadelpark, 9000 GentT.09/2211703 tous les jours10/18h Lil i DujourieFOLDS IN TIME - Plis du temps06.06 jusqu'à 11.10.2015

Galerie Tat jana PietersBurggravenlaan 40/ 2nd floor9000 Gent + 32 9 324 45 29

HAYLEY AVIVA SILVERMANwith Anna Betbeze & WillaNasatir15.11.2015 - 10.01.2016

FRANCE

Centre Wallonie-Bruxelles127/129, rue Saint-Martin,75004 Paris, T. 01 53 01 96 96Tous les jours: 11/18 h; sauf leslundis et jours fériés. L’ÂGE D’OR DE LA BANDE

DESSINÉE BELGEDU MERCREDI 17 JUIN AU DI-MANCHE 4 OCTOBRE 2015

49 Nord 6 Est - FRAC Lorraine1 bis rue des Trinitaires F-57000Metz T.: +33 (0)3 87 74 20 02 22 MAI - 04 OCT 2015 Tous les chemins mènent àSchengen

Palais de Tokyo13 Av Président Wilson 75116Paris +33147235401UGO RONDINONE : I ♥ JOHNGIORNOExposition21/10/2015 - 10/01/2016

Le Plateauangle de la rue des Alouettes+33 153198410VOL. XVI – Haris Epaminonda24.09–06.12.15

Luxembourg

Mudam LuxembourgMusée d’Art Mod. Grand-DucJean3, Park Dräi EechelenL-1499 Luxembourg +352 45 37 85-960EPPUR SI MUOVEART ET TECHNIQUE, UNESPACE PARTAGÉ09/07/2015 - 17/01/2016

Toxic Galerie2 rue de l’Eau 1449 Lux. +352 26202143

Casino Lux.Forum d’art cont.41, rue Notre Dame, 2240 Lux., T.352 22 50 45 tous les jours,sauf le mardi : — 3.5.201526.9.2015 — 3.1.2016THE ORACULAR ILLUSIONARTISTE: ELODIE LESOURDCURATEUR: KEVIN MUHLEN

Galerie Nei Li ichtrue Dominique Lang Dudelange T. 352 51612129220ehe Ehe26.09.2015 - 29.10.2015MIKE BOURSCHEIDVERNISSAGE LE 26.09.2015 À11:30

Galerie Dominique Langgare de DudelangeInertia Of The Real26.09.2015 - 29.10.2015SERGE ECKERVERNISSAGE LE 26.09.2015 À11:30

Hollande

Bonnefantenmuseum, Maastricht250 Av Céramique6221 Maastricht +31 433290190Bonnefantenmuseum presents: > 1 November 2015 : Aldo Rossi– The window of the poet

Agenda

Page 36: Trimestriel d’actualité d’art contemporai n : sept, oct ...Catherine Angeli. Expo d’Alexandre Christiaens à Namur. 11 A qui parle la performance artistique, un texte ... 2

Miroslav Tichy with hiscamera,

© Roman Buxbaum, 1987