Travail Histoire de l'art

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1 1. Introduction L’exposition de la Section d’Or qui se déroule à Paris en octobre 1912, à la Galerie de la Boétie est la plus emblématique réalisée par les artistes qu’on a appelé du « groupe de Puteaux ». Ce groupe d’artistes avait pour habitude de se retrouver à Puteaux, lieu de résidence des frères Duchamp mais aussi d’autres artistes. Ils apprécient se retrouver à cet endroit pour discuter entre eux mais aussi rencontrer de grands savants : la présence, notamment, du mathématicien Maurice Princet est attestée à de nombreuses reprises. 1 Ce groupe n’explore pas les voies du cubisme poursuivies par Braque et Picasso à la même époque. En effet, au moment où ces deux artistes suivaient les voies du collage, les artistes de Puteaux reprenaient les principes du cubisme analytique. 2 . Nombreux des exposants (Albert Gleizes, Jean Metzinger, Fernand Léger,…) présents lors de l’exposition à la Galerie de la Boétie constituèrent une grande partie des peintre qu’on a appelé les artistes de la salle 41. Cette salle cubiste faisait partie du Salon des Indépendants de 1911. C’est à la suite du « scandale » 3 provoqué par cette salle que les artistes concernés mais aussi de nombreux autres ont décidé de se regrouper pour former ce qu’on a appelé le « groupe de Puteaux ». Plus de 30 artistes sont présents lors de cette exposition avec presque 200 œuvres exposées. Parmi ces artistes nous avons remarqué la présence des trois frères Duchamp : Marcel Duchamp, Gaston Duchamp (plus connu sous le nom de Jacques Villon) et Raymond Duchamp-Villon. Leur présence est fondatrice et essentielle à la création de la Section d’or. C’est lors de cette exposition que Marcel Duchamp expose son très célèbre Nu descendant l’escalier n°2 « (fig.1) ». Cette œuvre avait été préalablement refusée par le Salon des Indépendants de 1912. Ce refus précipita les choses, ‘’motivant’’ les membres de cet autre groupe cubiste à présenter leur vision du cubisme. Marcel Duchamp déclara à la suite de cet événement vouloir : « réagir contre l’influence grandissante de la formule cubiste déjà classifiée » 4 . 1 Concernant la présence de Maurice Princet à Puteaux et son rôle dans la genèse de la Section d’ Or : OTTINGER (Didier), « Le secret de la Section d’Or. Maurice Princet au pays de la quatrième dimension », in DEBRAY Cécile et LUCBERT Françoise (dir.), La Section d’or 1912-1920-1925 : le cubisme écartelé, Paris, Cercle d’art, 2000, pp. 63- 67. 2 LAOUREUX Denis, Histoire de l’art du 20 e siècle : clés pour comprendre, Bruxelles, De Boeck, 2009, p.44. 3 Concernant ce « scandale » voir HABASQUE Guy, Le cubisme, Genève, Skira, 1959, p.91-101. 4 CABANNE Pierre, Le cubisme, Paris, Terrail, 2001, p.15.

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1. Introduction

L’exposition de la Section d’Or qui se déroule à Paris en octobre 1912, à la Galerie de la

Boétie est la plus emblématique réalisée par les artistes qu’on a appelé du « groupe de

Puteaux ».

Ce groupe d’artistes avait pour habitude de se retrouver à Puteaux, lieu de résidence des frères

Duchamp mais aussi d’autres artistes. Ils apprécient se retrouver à cet endroit pour discuter

entre eux mais aussi rencontrer de grands savants : la présence, notamment, du mathématicien

Maurice Princet est attestée à de nombreuses reprises.1

Ce groupe n’explore pas les voies du cubisme poursuivies par Braque et Picasso à la même

époque. En effet, au moment où ces deux artistes suivaient les voies du collage, les artistes de

Puteaux reprenaient les principes du cubisme analytique. 2 . Nombreux des exposants (Albert

Gleizes, Jean Metzinger, Fernand Léger,…) présents lors de l’exposition à la Galerie de la

Boétie constituèrent une grande partie des peintre qu’on a appelé les artistes de la salle 41.

Cette salle cubiste faisait partie du Salon des Indépendants de 1911. C’est à la suite du

« scandale » 3provoqué par cette salle que les artistes concernés mais aussi de nombreux

autres ont décidé de se regrouper pour former ce qu’on a appelé le « groupe de Puteaux ».

Plus de 30 artistes sont présents lors de cette exposition avec presque 200 œuvres exposées.

Parmi ces artistes nous avons remarqué la présence des trois frères Duchamp : Marcel

Duchamp, Gaston Duchamp (plus connu sous le nom de Jacques Villon) et Raymond

Duchamp-Villon. Leur présence est fondatrice et essentielle à la création de la Section d’or.

C’est lors de cette exposition que Marcel Duchamp expose son très célèbre Nu descendant

l’escalier n°2 « (fig.1) ». Cette œuvre avait été préalablement refusée par le Salon des

Indépendants de 1912. Ce refus précipita les choses, ‘’motivant’’ les membres de cet autre

groupe cubiste à présenter leur vision du cubisme. Marcel Duchamp déclara à la suite de cet

événement vouloir : « réagir contre l’influence grandissante de la formule cubiste déjà

classifiée »4.

1 Concernant la présence de Maurice Princet à Puteaux et son rôle dans la genèse de la Section d’ Or : OTTINGER

(Didier), « Le secret de la Section d’Or. Maurice Princet au pays de la quatrième dimension », in DEBRAY Cécile et LUCBERT Françoise (dir.), La Section d’or 1912-1920-1925 : le cubisme écartelé, Paris, Cercle d’art, 2000, pp. 63-67. 2 LAOUREUX Denis, Histoire de l’art du 20

e siècle : clés pour comprendre, Bruxelles, De Boeck, 2009, p.44.

3 Concernant ce « scandale » voir HABASQUE Guy, Le cubisme, Genève, Skira, 1959, p.91-101.

4 CABANNE Pierre, Le cubisme, Paris, Terrail, 2001, p.15.

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Mais l’importance de Marcel Duchamp et de ses frères ne s’arrêta pas à la présence de ce

tableau. Comme le souligne Cécile Debray : « Les frères Duchamp ont joué un rôle

considérable dans la genèse de la Section d’or, essentiellement à un niveau intellectuel »5.

Les réunions au Cercle de Puteaux mais aussi les savants qui y participent répondent à des

interrogations dans des domaines chers aux frères, notamment les mathématiques et la

géométrie. Cet intérêt tout particulier pour ces domaines concerna d’autres membres du

groupe notamment, Jean Metzinger qui éprouve comme eux un engouement pour ces

disciplines.

L’importance et la place de Marcel Duchamp dans l’histoire de l’art n’est généralement plus à

faire. L’exposition est souvent connue du fait de la présence du Nu descendant l’escalier n°2

« (fig.1) » mais c’est un autre frère Duchamp qui a aussi un rôle fondamental dans cette

exposition : Jacques Villon (pseudonyme de Gaston Duchamp). Cet artiste semble avoir été à

la base de cet événement tant au niveau de son organisation, qu’au niveau de nombreuses

aspirations théoriques.

Nous avons donc décidé de consacrer ce travail aux parcours artistiques des frères Duchamp

mais surtout à la place de l’exposition de la Section d’or dans leurs parcours respectifs. Nous

nous sommes interrogés sur la place du Jacques Villon dans la genèse de ce groupe.

Mais nous avons aussi voulu exposer les différentes influences de Marcel Duchamp et

Jacques Villon à l’époque de la Section d’or. Pour cela, notre choix s’est porté sur des

tableaux présents lors de l’exposition ou ayant été créés (ou préparés) dans la même année.

5 DEBRAY Cécile et LUCBERT Françoise (dir.), op.cit., p. 23.

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2. La place du Salon de la Section d’Or dans le parcours artistique des frères Duchamp

a. Les trois frères Duchamp : une famille d’artistes

Gaston Duchamp, Raymond Duchamp et enfin Marcel Duchamp naissent respectivement en

1875, 1876 et 1887. C’est une famille d’artiste comme le souligne Gabriel d’Aubarède dans

une interview à Jacques Villon : « Famille d’artistes, en effet, que celle des Duchamp […]

Son frère cadet fut le sculpteur Raymond Duchamp-Villon. Sa sœur Suzanne peignait

également. Et son autre frère, Marcel Duchamp […] fut l’un des fondateurs du Dadaïsme»6

Les deux ainés de la famille, Gaston Duchamp et Raymond Duchamp mènent rapidement une

carrière artistique et sont reconnus comme des artistes en vogue. Gaston, plus connu sous le

pseudonyme de Jacques Villon7, est un peintre et graveur de talent ; son autre frère est un

admirable sculpteur. Marcel Duchamp, le plus jeune des garçons Duchamp aura du mal au

début à se faire un nom au milieu de ses frères. 8

Raymond Duchamp (aussi connu sous le nom de Raymond Duchamp-Villon) s’oriente dans

une voie différente de celle prise par ses frères, en effet, il choisit la sculpture. Il expose,

également, lors de l’exposition de la Section d’Or à la galerie La Boétie. L’ensemble de ses

œuvres est rassemblé sous la mention Sculptures. Cette exposition marque son passage au

cubisme. Celui-ci se manifeste pour la première fois avec le Buste de Maggy (« fig.2 ») avec

lequel l’artiste montre ses premières tendances cubistes. C’est d’ailleurs à la même époque, en

1912, qu’il commence ses premières études sur son futur chef-d’œuvre Le Cheval (« fig.3 »).

Il multiplie donc les réflexions sur les mouvements et la cinétique comme le fera son frère

avec des tableaux datant de la même époque. 9

Cependant, Raymond décède brutalement

d’une septicémie en 1918 et laisse inachevés ses réflexions sur la sculpture, certains

n’hésitèrent pas à considérer sa mort comme une réelle catastrophe pour la sculpture 10

Les trois frères Duchamp sont sensibilisés très jeunes aux problèmes de compositions

graphiques mais aussi aux nombreuses réflexions d’ordre mathématique et géométrique. Cet

intérêt leur vient de leur grand-père, graveur, lui-même passionné par ce type de réflexion.11

Ces influences, Jacques Villon en parle en ces termes : « L’atmosphère de ‘’peinture’’ qu’il y

6 D’AUBARÈDE Gabriel, “Chez Jacques Villon”, in Jardin des Arts, Avril 1963, p.5.

7 La raison de ce pseudonyme sera évoquée plus bas.

8 CLAIR Jean, Sur Marcel Duchamp et la fin de l’art, Paris, Gallimard (coll. « Art et Artistes »), 2000, p.11-12.

9 DEBRAY Cécile et LUCBERT Françoise (dir.), op.cit., p. 149-151.

10 Repris de la notice biographique du catalogue : Sculptures de Duchamp-Villon, Paris, Galerie Louis Carré, 17-

30 Juillet 1963, p.5. 11

DEBRAY Cécile et LUCBERT Françoise (dir.), op.cit., p. 23.

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avait dans ma famille me semblait naturelle. […] Ma mère dessinait. Mon grand-père était

peintre-graveur. Il avait pour moi une influence de témoin. »12

Comme le souligne John Golding : « tout contribue à suggérer que ce sont eux qui

apportèrent ce tour scientifique aux discussions des peintres cubistes ».13

De nombreux questionnements et discussions à Puteaux entourent la création de ce groupe.

b. Jacques Villon – « Père fondateur » de la Section d’or.

Gaston Duchamp plus connu sous le pseudonyme de Jacques Villon, choisit ce nom en

référence au poète François Villon du 15ème

siècle. Gabriel d’Aubarède explique ce choix en

ces termes: « Nom véritable de Jacques Villon, qui choisit ce pseudonyme par amour du

poète des bohèmes, et aussi parce qu’il a toujours pensé qu’il existe des correspondances

intimes entre les arts et cet art suprême qu’est la poésie ».14

Une autre raison explique ce choix. Au début de sa carrière Gaston Duchamp était dessinateur

pour des journaux satiriques. Les sujets étant parfois un peu vulgaires et très caustiques, il

préféra prendre un pseudonyme afin de ne pas « compromettre » son nom, lui qui était issu

d’une famille bourgeoise. 15

On attribue généralement l’invention du nom, la « Section d’or » à Jacques Villon. En effet,

ce dernier multiplie les recherches et réflexions sur l’organisation de la toile, il lit et s’informe

sur ces différentes thématiques. Cet intérêt pour les mathématiques appliquées à la peinture

est ravivé par la traduction faite par Péladan du Codex Vaticanus (la version italienne du

Traité de la peinture de De Vinci) en 191016

.

Dans une interview accordée à Dora Vallier, Jacques Villon explique en ces termes son rôle

dans la genèse de la Section d’Or : « D’abord, ce titre [= la Section d’Or] j’en réclame la

paternité. […] J’ai lu le Traité de la peinture de Léonard, et j’ai vu l’importance qu’il donnait

à la section d’or ».17

12

VALLIER Dora, L’intérieur de l’art : entretiens avec Braque, Léger, Villon, Mirò, Brancusi (1956-1960), Paris, Seuil, 1982, p.108. 13

GOLDING John, Le cubisme, Paris, René Julliard, 1987, p.23. 14

D’AUBARÈDE Gabriel, op. cit., p. 5. 15

MARCADÉ Bernard, Marcel Duchamp : la vie à crédit, Paris, Flammarion (coll. « Grandes biographies »), 2007, p. 17. 16

DEBRAY Cécile et LUCBERT Françoise (dir), op.cit., p.66. 17

VALLIER Dora,op.cit.,p.118.

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c. Jacques Villon et Marcel Duchamp face aux Anciens

Jacques Villon semble avoir été fortement sensibilisé aux règles d’organisation de la peinture,

il fut donc naturellement séduit par les règles et théories présentées par de Vinci dans son

Traité de la peinture. Son intérêt ne s’arrête pas à la simple utilisation du nom.

Pour lui, c’est une manière de lier le cubisme à des sources très importantes, de le placer dans

l’héritage des grands maîtres. Cécile Debray n’hésite pas à résumer cela en ces termes :

« Réconcilier la tradition et le cubisme au sein de l’avant-garde forme l’enjeu essentiel de la

Section d’or de 1912 »18

.

Les artistes tentent d’imiter et d’appliquer les règles des Anciens tout en étant dans l’avant-

garde avec le cubisme. Jacques Villon dira lui-même : « Là où le cubisme déracine, dans le

même terrain la Section d’Or enracine. […] Les connaissances scientifiques que le cubisme

conteste en bloc deviennent la substance même de la Section d’Or. »19

Marcel Duchamp lui-même semblait s’inscrire dans cette idée : « Bien loin de la tabula rasa

des avant-gardes qui suppose une création ex-nihilo, c’est au contraire à un étrange rêve de

filiation inassouvie et nécessaire continuité de création ‘’qui roule d’âge en âge’’ auquel

s’abandonne Duchamp ».20

Ce regain d’intérêt pour les écrits de Léonard de Vinci correspond à une activité littéraire

riche à ce sujet à l’époque. Parmi ceux-ci, s’il ne fallait qu’en retenir un seul dans le cadre du

travail qui nous concerne aujourd’hui, nous choisirions, la traduction faite par Péladan en

1910. Celle-ci jouât un rôle essentiel dans la peinture de ces deux peintres :

« Du moins sait-on, de façon sûre, que les conversations du groupe de Puteaux tournaient

avec insistance autour du Traité de la peinture, que venait, en 1910, de traduire Péladan.

Duchamp [Marcel] dut bien, plus d’une fois, recueillir les éclats de ces discussions ».21

Le Nu descendant l’escalier (« fig.1 ») présent lors de l’exposition semble avoir des liens

avec ce traité. Jean Clair soutient que Marcel Duchamp n’aurait pas été influencé par les

futuristes italiens (comme beaucoup de gens le pensent) mais bien par les nombreuses

méditations proposées par de Vinci. En effet, ce dernier, avait tendance à envisager le corps

18

DEBRAY Cécile, LUCBERT Françoise (dir.), op.cit., p. 24. 19

VALLIER Dora, op. cit., p. 118-119. 20

CLAIR Jean, op.cit.,p.36. 21

Ibid., p. 137.

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humain comme une machine. Marcel Duchamp aurait, donc, voulu poursuivre une étude du

mouvement des corps-mêmes comme l’aurait proposé de Vinci. 22

23

Lors d’un entretien entre Pierre Cabanne et Marcel Duchamp, ce dernier révèle lui-même

l’origine de ce célébrissime tableau. C’est également pour lui l’occasion d’évoquer cette

notion de mouvement appliqué au corps : « Faire un nu différent du nu classique, couché,

debout et le mettre en mouvement. […] Dans le Nu descendant un escalier, j’ai voulu créer

une image statique du mouvement».24

Un autre tableau de Marcel Duchamp présent lors de cette exposition semble poursuivre cette

réflexion sur le mouvement et la vitesse : Le Roi et la Reine entourés de nus vites (« fig.4 ») 25

Jacques Villon semble penser la même chose comme il a pu le dire dans un entretien avec

Gabriel d’Aubarède :

« - Quel est donc votre but, votre principal souci ?

- Trouver une traduction plastique du mouvement…[…] Nous pensions, quant à nous, que

c’est le rythme, la décomposition des surface en plans colorés qui donne la vie».26

Le cubisme proposé par Marcel Duchamp mais aussi et surtout par son frère Jacques Villon

repose donc plutôt sur des sources occidentales, un point fort de cette forme de cubisme est,

selon nous, de justement pouvoir concilier tout le progrès de l’avant-garde en l’inscrivant

dans les nobles lignes de la tradition.27

d. Jacques Villon - sa peinture inspirée par Léonard de Vinci

Ce dernier chapitre sera consacré à la construction et l’organisation des toiles de Jacques

Villon. Pour cela, nous nous baserons sur une de ses œuvres présentes lors de l’exposition de

la Section d’Or mais aussi sur des toiles ayant été conçus à la même époque et pouvant donc

appartenir à cette « phase » de sa peinture. L’exposition de la Section d’Or marqua d’une

certaine manière le début de l’utilisation par Jacques Villon de nombreuses règles et

techniques découvertes au cours de ses recherches et rencontres à Puteaux. En effet, de

22

CLAIR Jean, op.cit., p.147. 23

Concernant les liens très étroits entre les peintures mais aussi autres formes d’art de Marcel Duchamp et les écrits de Léonard de Vinci nous conseillons vivement l’ouvrage suivant : CLAIR Jean, Sur Marcel Duchamp et la fin de l’art, Paris, Gallimard (coll. « Art et Artistes »), 2000, p. 135-157. 24

CABANNE Pierre, Marcel Duchamp – entretiens avec Pierre Cabanne, Paris, Belfond, 1967, p. 38. 25

MARCADÉ Bernard, op.cit., p.60. 26

D’AUBARÈDE Gabriel, op.cit., p.12.

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nombreuses toiles présentées quelques mois ou années après cette exposition reflètent ses

nouvelles aspirations.

Comme nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, dès 1910, Jacques Villon est intéressé par

les règles avancées par Léonard de Vinci dans son Traité de la peinture. Il reprend à ce

dernier l’idée de la perspective linéaire (= utilisation de la géométrie pour matérialiser

l’espace tel que le perçoit l’œil humain). Pour cela, il fait de nombreuses recherches sur la

répartition pyramidale de l’espace. 28

Villon reprend, ici, un principe cher à de Vinci : la

construction pyramidale. 29

Cette notion l’amènera à repenser sa toile en termes de pyramides

et surfaces pyramidales. Ces petites pyramides en se fondant les unes aux autres permettent au

peintre de repenser la question de la perspective. En effet, le sommet de chacune d’elle

s’achève d’un côté, dans l’œil du spectateur et de l’autre, dans le point de fuite. 30

La perspective est donc repensée selon les critères cubistes. C’était bien cela le but de Jacques

Villon quand il disait que « la Section d’or enracine. Pendant que l’un refuse la perspective,

l’autre se charge d’en découvrir les plus grands secrets ».31

Cette décomposition en surfaces pyramidales est déjà présente dans une des œuvres qu’il

présente en octobre 1912 à la Galerie la Boétie lors de la première exposition de la Section

d’or : La fillette au piano (« fig.5 »).

Enfin, la même année en 1912, Jacques Villon commence son étude pour soldats en marche

(« fig.6 »). Le fait qu’il propose une étude précédant l’œuvre en tant que telle montre qu’il

accorde beaucoup d’importance à la préparation d’une toile. Sa préparation consiste en de

nombreux calculs, dessins et autres mesures. Très fortement influencé par la notion de divine

proportion mais aussi et surtout pas la notion de section d’or comme le souligne Cécile

Debray : « l’exposition de la Section d’or forme dans l’œuvre de Villon l’amorce d’une

esthétique formelle scientifique reposant sur des calculs rigoureux et dont sont issues les

œuvres de l’année suivante ». 32

On comprend donc que l’exposition de la Section d’or et toutes les réflexions qui l’ont

entourées, jouèrent un rôle essentielle dans l’histoire de la peinture de Jacques Villon.

28

CABANNE Pierre, Le cubisme, Paris, Terrail, 2001, p.67. 29

Cette partie consacrée à la construction pyramidale se retrouve au paragraphe 201 du Traité de la peinture. 30

Vallier Dora, op.cit., p.94. 31

VALLIER Dora, op.cit., p.118 32

Debray Cécile et Lucbert Françoise (dir.), op.cit., p.271

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C’est donc en 1913 que le tableau Soldats en marche (« fig.7 ») est présenté. Jacques Villon

reprend les éléments qui l’influencent depuis plus d’un an. La surface subdivisée en tracés

régulateurs selon, notamment, la section d’or. Cette notion a pour but de présenter un rapport

idéal et d’avoir une sensation d’harmonie visuelle au sein de la toile. Les différentes petites

« facettes » du tableau sont disposées, à nouveau, selon un espace pyramidal afin de

construire un double point de fuite.

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3. Conclusion

Tout au long de ce travail, nous avons présenté un aspect de ce Salon qui nous paraissait

intéressant, celui consacré aux frères Duchamp. Nous voulions parler outre de Marcel

Duchamp des autres Duchamp, ceux que l’on ne connait pas toujours bien. Or, lors de ce

Salon, Marcel Duchamp eut un rôle important mais son frère Jacques Villon a, selon nous,

beaucoup plus influencé le déroulement et l’organisation de l’exposition à la Galerie La

Boétie. Il nous est donc apparu utile de présenter la personnalité et le rôle de cet autre

Duchamp.

De plus, au cours de nos recherches, nous avons été étonné de découvrir les sources de ces

peintres. Nous n’aurions pas pu imaginer que des peintres cubistes influencés par les

nombreuses avant-gardes qui traversent ce début du 20e siècle, puissent être influencés et

même fascinés par des artistes et scientifiques de la Renaissance allant jusqu’à appliquer des

concepts très anciens dans des tableaux datant des années 1910. Nous avons donc trouvé

intéressant de présenter la manière dont ces artistes ont réussi à joindre avant-garde et

tradition.

Enfin, l’idée que deux groupes cubistes puissent exister à la même époque nous a paru

étrange. Cela provenait du fait que les aspirations de ces deux groupes n’étaient pas identiques

et parfois fondamentalement opposées. Les contacts entre ces deux groupes étaient peu

fréquents.

Marcel Duchamp n’hésitera pas à dire de Picasso qu’il le voyait de loin. Cette expression

montre bien le fossé qui existait entre ces deux groupes. Deux groupes cubistes mais pourtant

très loin les uns des autres… 33

33

Cabanne Pierre, Marcel Duchamp – Entretiens avec Pierre Cabanne, Paris, Belfond, 1967, p.28.

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I. Bibliographie

A. Bibliographie générale

APOLLINAIRE (Guillaume), Médiations esthétiques : les peintres cubistes, Paris, Hermann,

1965.

CABANE (Pierre), Le cubisme, Paris, Terrail, 2001.

DAIX (Pierre), Journal du cubisme, Genève, Skira, 1982.

DEBRAY (Cécile), LUCBERT Françoise (dir.), La Section d’or 1912-1920-1925 : le cubisme

écartelé, Paris, Cercle d’art, 2000.

FRY (Edward), Le cubisme, Bruxelles, Connaissance, 19698.

GOLDING (John), Le cubisme, Paris, René Juilliard, 1987.

GLEIZES (Albert), La peinture et ses lois : ce qui devait ressortir du cubisme, Paris, essai

publié dans la Revue « La vie des Lettres et des Arts », 1924.

HABASQUE (Guy), Le cubisme : étude biographique et critique, Genève, Skira, 1959.

INDLEKOFER (Rudolf), Albert Gleizes et le cubisme, Basel, Basilius Presse, 1962.

JOHNSON (Stanley), Cubism et la Section d’or, Chicago, Klees/ Gustorf, 1991.

LAOUREUX (Denis), Histoire de l’art du 20e siècle : clés pour comprendre, Bruxelles, De

Boeck, 2009.

REYNAL (Maurice), Histoire de la peinture moderne, Genève, Skira, 1950.

SEVERRINI (Gino), Du cubisme au classicisme, Paris, Povolozky, 1921.

B. Bibliothèque spécialisée

- Ouvrages

CABANE (Pierre), Duchamp & Cie, Paris, Terrail, 1996.

CABANE (Pierre), Marcel Duchamp – entretiens avec Pierre Cabane, Paris, Belfond, 1967.

CASSOU (Jean), Jacques Villon: Master of graphic art : 1875 – 1963, New York, Clark &

Way, 1964.

CLAIR (Jean), Sur Marcel Duchamp et la fin de l’art, Paris, Gallimard (coll. « Art et

Artistes »), 2000.

DE VINCI (Léonard), Le traité de la peinture. Traduction par Péladan, Paris, Delagrave, 1921.

Page 11: Travail Histoire de l'art

11

GLEIZES (Albert), Tradition et cubisme, Paris, La Cible, 1927.

HOPKINS (David), Marcel Duchamp and Max Ernst : the bride shared, Oxford, Clarendon

Press, 1998.

MARCADÉ (Bernard), Marcel Duchamp : la vie à crédit, Paris, Flammarion (coll. «Grandes

Biographies»), 2007.

NAUMANN (Francis), Marcel Duchamp : l’art à l’ère de la reproduction mécanisée, Paris,

Editions Hazan, 1999.

SERS (Philippe), Duchamp confisqué, Marcel retrouvé, Paris, Editions Hazan (coll. « l’art en

travers »), 2009.

VALÉRY (Paul), Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, Paris, Gallimard, 1957.

VALLIER (Dora), L’intérieur de l’art : entretiens avec Braque, Léger, Villon, Mirò, Brancusi

(1956-1960), Paris, Seuil, 1982.

- Articles scientifiques

D’AUBARÈDE (Gabriel), « Chez Jacques Villon », in Jardin des Arts, Avril 1963, pp.3-12.

REVOL (Jean), « Braque et Villon, message vivant du cubisme (suite et fin) », La nouvelle

Revue Française, Août 1961, p. 524-527.

- Catalogues

Sculptures de Duchamp-Villon, Paris, Galerie Louis Carré, 17-30 Juillet 1963.

Jacques Villon, 1875-1963 peintre, dessinateur ; rétrospective, Paris, Galerie Schmit, 28

Avril – 8 Juillet 2004.

C. Les sources inédites

RENAUD (Geneviève), Le cubisme et les conditions politiques, économiques et sociales dans

lesquelles il s’est développé, Université Libre de Bruxelles, Faculté des sciences

politiques, section des relations internationales, mémoire de fin d’études, sous la dir. du

prof. Monsieur Devleeschouwer, 1982.

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II. Liste des descriptions matérielles

(fig.1) Marcel DUCHAMP (1887-1968), Nu descendant l’escalier n°2, 1912, huile sur toile,

146x89cm, non signé, non daté. (Philadelphie, The Philadelphia Museum of Art, collection

Arensberg).

(fig.2) Raymond Duchamp-Villon (1876-1918), Maggy, 1912, bronze, 72cm, non signé, non

daté. (Paris, Musée National d’art moderne).

(fig.3) Raymond Duchamp-Villon (1876-1918), Le Cheval, 1914, bronze, 44x44x26 cm, non

signé, non daté. (Paris, Musée National d’art moderne).

(fig.4) Marcel Duchamp (1887-1968), Le Roi et la Reine entourés de nus vites, 1912, huile sur

toile, 146,5x128,5cm, non signé, non daté. (Philadelphie, The Philadelphia Museum of Art,

collection Arensberg).

(fig.5) Jacques Villon (1875-1963), Fillette au piano, 1912, huile sur toile, 129,5x96,5cm,

signé au milieu à gauche et non daté. (New York, Museum of Modern Art).

(fig.6) Jacques Villon (1875-1963), étude pour soldats en marche, 1912, crayon et lavis

d’encre sur tirage photographique, 17,8x23,9cm, signé et daté en bas à droite. (Paris, Musée

National d’art moderne)

(fig.7) Jacques Villon (1875-1963), Soldats en marche, 1913, huile sur toile, 65x92cm, signé

et daté en bas à droite. (Paris, Musée National d’art moderne).

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III. Illustrations

(fig.1) Marcel Duchamp (1887-1968), Nu descendant un escalier n°2, 1912, huile sur toile,

(Philadelphie, The Philadelphia Museum of Art).

Reproduction extraite de : Naumann Francis, Marcel Duchamp : l’art à l’ère de la

reproduction mécanisée, Paris, Editions Hazan, 1999, p.43.

Page 14: Travail Histoire de l'art

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(fig.2) Raymond Duchamp-Villon (1876-1918), Maggy, 1912. (Paris, Musée National d’art

moderne).

Reproduction extraite de : © Centre Pompidou

Page 15: Travail Histoire de l'art

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(fig.3) Raymond Duchamp-Villon (1876-1918), Le Cheval, 1914, bronze. (Paris, Musée

National d’art moderne)

Reproduction extraite de : © Centre Pompidou

Page 16: Travail Histoire de l'art

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(fig.4) Marcel Duchamp (1887-1968), Le Roi et la Reine entourés de nus vites, 1912, huile sur

toile. (Philadelphie, The Philadelphia Museum of Art).

Reproduction extraite de: Hopkins David, Marcel Duchamp and Max Ernst : The bride

shared, Oxford, Clarendon Press, 1998, p.15.

Page 17: Travail Histoire de l'art

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(fig.5) Jacques Villon (1875-1963), Fillette au piano, 1912, huile sur toile. (New York,

Museum of Modern Art).

Reproduction extraite de : © 2013 Artists Rights Society, New York / ADAGP, Paris.

Page 18: Travail Histoire de l'art

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(fig.6) Jacques Villon (1875-1963), étude pour soldats en marche, 1912, crayon et lavis

d’encre sur tirage photographique. (Paris, Musée National d’art moderne)

Reproduction extraite de : © ADAGP – Musée National d’art moderne – centre Georges

Pompidou.

Page 19: Travail Histoire de l'art

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(fig.7) Jacques Villon (1875-1963), Soldats en marche, 1913, huile sur toile. (Paris, Musée

National d’art moderne).

Reproduction extraite de : © ADAGP – Musée National d’art moderne – Centre Georges

Pompidou.

Page 20: Travail Histoire de l'art

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IV. Table des matières

1. Introduction ..................................................................................................................................... 1

2. La place du Salon de la Section d’Or dans le parcours artistique des frères Duchamp................... 3

a. Les trois frères Duchamp : une famille d’artistes ....................................................................... 3

b. Jacques Villon – « Père fondateur » de la Section d’or. ............................................................. 4

c. Jacques Villon et Marcel Duchamp face aux Anciens ................................................................ 5

d. Jacques Villon - sa peinture inspirée par Léonard de Vinci ....................................................... 6

3. Conclusion ....................................................................................................................................... 9

I. Bibliographie ................................................................................................................................. 10

A. Bibliographie générale ................................................................................................................. 10

B. Bibliothèque spécialisée ................................................................................................................ 10

C. Les sources inédites ...................................................................................................................... 11

II. Liste des descriptions matérielles .................................................................................................. 12

III. Illustrations ................................................................................................................................ 13

IV. Table des matières ..................................................................................................................... 20