Travail en prison

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  • SPINOSI & SUREAU SCP d'Avocat au Conseil d'Etat

    et la Cour de cassation 16 Boulevard Raspail

    75007 PARIS

    CONSEIL CONSTITUTIONNEL

    QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

    PREMIERES OBSERVATIONS

    Tendant faire constater que les dispositions de l'article 33 de la loi n 2009-1436 du 24 novembre 2009 portent atteinte aux droits et liberts garantis par la Constitution.

    POUR: Monsieur Johny MULLARD, actuellement incarcr sous le n1797 au centre pnitentiaire de Poitiers-Vivonne, Le champ des Grolles, Route D742, 86370 VIVONNE

    SCP SPINOSI & SUREAU

    Sur la question o0 2015-485

    2015-485 QPC - Reu au greffe du Conseil constitutionnel le 28 juillet 2015

  • DISCUSSION

    I. Par une dcision en date du 6 juillet 2015, le Conseil d'Etat a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalit pose l'appui de la requte de M. Johny MULLARD l'encontre la dcision de dclassement d'emploi prise son encontre le 30 janvier 2013 par le directeur du centre pnitentiaire de Poitiers-Vivonne.

    Cette question vise les dispositions de l'article 33 de la loi no 2009-1436 du 24 novembre 2009, lesquelles prvoient que:

    La participation des personnes dtenues aux activits professionnelles organzsees dans les tablissements pnitentiaires donne lieu l'tablissement d'un acte d'engagement par l'administration pnitentiaire. Cet acte, sign par le chef d'tablissement et la personne dtenue, nonce les droits et obligations professionnels de celle-ci ainsi que ses conditions de travail et sa rmunration.

    Il prcise notamment les modalits selon lesquelles la personne dtenue, dans les conditions adaptes sa situation et nonobstant l'absence de contrat de travail, bnficie des dispositions relatives l'insertion par l'activit conomique prvues aux articles L. 5132-1 L. 5132-17 du code du travail.

    Dans le cadre de l'application du prsent article, le chef d'tablissement s'assure que les mesures appropries sont prises afin de garantir l'galit de traitement en matire d'accs et de maintien l'activit professionnelle en faveur des personnes handicapes dtenues.

    II. Pour transmettre la question de constitutionnalit, le Conseil d'Etat a jug que:

    le moyen tir de ce [que ces dispositions} portent atteinte aux droits et liberts garantis par la Constitution, notamment au droit l'emploi, la libert syndicale, au droit de grve et au principe de participation

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  • des travailleurs, respectivement garantis par les alinas 5, 6, 7 et 8 du Prambule de la Constitution de 1946, soulve une question prsentant un caractre srieux .

    L'exposant entend prsenter les observations suivantes au soutien de cette question.

    III. Sur le contexte dans lequel s'inscrit la prsente question prioritaire de constitutionnalit

    Comme n'a pas manqu de le souligner l'ancien Contrleur gnral des lieux de privation de libert, Monsieur Jean-Marie Delarue, le travail des personnes dtenues dans les prisons franaises a des relents du X!Xe sicle 1

    Dans un cmmnuniqu faisant suite la dcision n2013-320/321 QPC rendue le 14 juin 2013 par le Conseil constitutionnel propos des dispositions prvoyant l'absence de contrat de travail pour les relations de travail des personnes dtenues, M. Delarue avait estim que :

    La dcision de ce jour donne l'occasion de poser la question de la compatibilit de l'organisation du travail carcral avec la justice sociale la plus vidente. ( . .)

    Le contrle gnral rpte ici, une fois de plus, son souhait que les rgles communes du travail soient appliques en prison avec des exceptions ncessaires au maintien de la finalit des tablissements pnitentiaires.

    Mais ces exceptions doivent rester limites. Quelle ncessit peut justifier l'ignorance des rgles de droit commun en matire d'hygine et de scurit, en matire de relations du travail, en matire de dure du travail ? Au nom de quels principes d'excution des peines maintenir un dispositif qui s'apparente davantage aux conditions de travail du premier ge qu' celle de la France de ce jour ?

    Car au fil de ses visites et de ses rencontres c'est bien cela qui a t constat:

    http://www.citazine.fr/article/le-travail-en-prison-un-luxe-mal-pay

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  • - des personnes continuant travailler, dans une cellule, 23 heures des "auxiliaires" du service gnral requis sept jours sur sept un responsable du travail refusant l'ventuelle venue d'une femme en atelier au motif qu'elle est en tat de grossesse des produits toxiques manipuls sans les quipements prvus des inspections du travail quasi-inexistantes ; l'absence d'indemnisations journalires en cas de maladie ....

    Au del de ces situations qu'autorise la rgle aujourd'hui applicable, c'est bien la radicale dissymtrie de la relation de travail entre la personne dtenue et son "employeur" qui constitue une anomalie profonde. (Production 1).

    De son ct, le Dfenseur des droits, Jacques Toubon, rappelait en 2013, dans un rapport sur son action auprs des personnes dtenues, que le cadre juridique actuellement applicable au travail carcral peut porter atteinte au principe d'galit, notamment en excluant toute application d'un cadre juridique aux relations professionnelles des personnes dtenues exerant en milieu pnitentiaire ; au droit syndical, au droit de grve et la ngociation collective, qui sont pourtant reconnus sous diffrentes formes en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne ou en Italie; et au principe de sauvegarde de la dignit de la personne humaine, notamment parce qu'il ne garantit pas une protection juridique suffisante et un accs aux droits fondamentaux reconnus chacun, et donc aux personnes dtenues par la Constitution tels que le droit au recours juridictionnel effectif (L'action du dfenseur des droits auprs des personnes dtenues. Bilan 200/2013 ,p. 48f

    A l'instar des organes de contrle prcits, nombreux sont les chercheurs, responsables politiques ou institutions s'accorder depuis des annes pour considrer que le travail carcral relve en France trs largement d'une zone de non-droit 3 .

    2 http :/ /www. defenseurdesdroits. fr/fr/publications/rapports/rapports-thematiques/bilan-de-laction-du-defenseur-des-droits-aupres-des 3 P. Auvergnon, Le travail pnitentiaire entre impratifs scuritaires et droit commun, Cahiers de la Justice, Dalloz, 2011/3, p. 183-197

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  • En prsentation d'un ouvrage collectif rcent, Philippe Auvergnon, directeur de recherche au CNRS et spcialiste franais du travail en prison, souligne en ce sens que de faon rcurrente, l'actualit rappelle la faiblesse, l'ineffectivit, pire, l'incertitude des droits du dtenu travailleurs. Un tel dni n'est plus possible. Les constats d'associations, les rapports du Contrleur gnral des lieux de privation de libert, la multiplication des contentieux rvlent et interrogent la situation franaise, singulirement au regard du cadre costitutionnel et des ngag m nts internationaux de la France 4.

    En 2013, plusieurs parlementaires dnonaient au Snat la situation d'inscurit juridique et de non droit qui caractrise le travail en dtention, Je snateur Francois Farta sin expliquant notamment qu' en 2009, la prcdente majorit n'avait pas t jusqu' instituer un contrat de travail, craignant la raction des entreprises ; l'acte d'engagement qu'elle avait prvu entre le dtenu et l'administration est encore inappliqu, l'accs au travail demeure soumis l'arbitraire de l'administration pnitentiaire. Le Contrleur gnral des lieux de privation de libert a souvent dnonc cette situation : salaires drisoires, rgles d'hygine et de scurit insuffisantes, machines vtustes ... L'inspection du travail ne' peut accder aux locaux, sauf sur invitation de l'administration ... [ .. .} Privation de libert ne signifie pas privation des droits. Les dtenus restent des citoyens, des

    h . 5 personnes umam s.

    Dix ans plutt dj, le snateur Paul oridant, affirmait dans un rapport d'information remis au Snat que le droit du travail en prison ne peut plus aujourd'hui se drouler dans des conditions exorbitantes du droit commun. Dans son rapport de juillet 1979 sur le travail pnitentiaire, Jean-Pierre Hoss notait dj que si l'on souhaite rapprocher la situation du dtenu de celle d'un travailleur de l'extrieur et faciliter aussi sa rinsertion sociale, il parat normal de lui permettre de passer un contrat de travail avec un employeur, comme cela est d'ailleurs possible pour le travailleur semi-libre . Le conseil conomique et social dans son rapport travail et prison)) de 1987 notait galement qu' il parat impossible de donner une qualification claire une relation de travail qui ne 4 Droit du travail en prison. D'un dni une reconnaissance, P. Auvergnon (dir.), Presse universitaire de Bordeaux, mai 2015. 5 Compte rendu analytique officiel du 3 avril 2013 :http://www.senat.fr/cra/s20 130403/s20130403 _3 .html#par _118

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  • reconnat ni employeur ni employ au sens du code du travail. Ainsi se trouve-t-on dans une zone de non-droit du travail dont les consquences apparaissent toutes ngatives : ni contrle, ni sanction des modalits de la rupture, ni garantie de salaire, ni expression collective ni enfin possibilit de recours au contentieux individuel . Un travail sans droit et sans contrat n'est pas un travail. Trop loign du rgime du travail 1 'extrieur, il ne peut prparer une future

    . . 6 reznsertzon.

    Quelques annes plus tard, c'tait au tour du Con 'eil conomique et social de plaider en faveur d'une amlioration notable des conditions des travailleurs dtenus, formulant des recommandations dont l'actualit et la ncessit demeurent intactes :

    D'une manire gnrale, il conviendrait de .fixer un cadre juridique adapt au travail des dtenus, prcisant leurs droits et obligations ainsi que les rgles applicables en matire de rmunration. Une introduction mesure du droit dans la relation de travail apparat souhaitable, travers la gnralisation d'un contrat d'engagement, comparable un contrat de travail et amnag en fonction des caractristiques du milieu carcral. Des garanties sociales lmentaires seraient attaches ce contrat d'engagement, comme la cotisation l'assurance chmage, la dlivrance systmatique d'un certificat de travail, le bnfice des indemnits journalires en cas d'accident du travail et de maladies professionnelles. (..) Une amlioration significative des conditions de rmunration apparat ncessaire au regard de la faiblesse des rmunrations actuelles, faiblesse qui rduit d'autant l'assiette d'indemnisation des victimes, tout en tenant compte de l'quilibre conomique fragile du travail en

    . 7 przson.

    C'est dans ce contexte de critiques la fois unanimes et partages sur les graves insuffisances du cadre juridique applicable au travail carcral que M. MULLARD entend saisir le Conseil constitutionnel de la prsente question prioritaire de constitutionnalit.

    6 Rapport d'information sur la mission de contrle sur le compte de commerce 904-11 de la Rgie Industrielle des Etablissements Pnitentiaires (RIEP), Snat, 19 juin 2002. 7 A vis sur les conditions de la rinsertion socioprofessionnelle des dtenus en France, La Documentation franaise, fvrier 2006.

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  • Cette question tend faire constater que les dispositions de l'article 33 de la loi n 2009-1436 du 24 novembre 2009 portent atteinte aux droits et liberts garantis par la Constitution en ce que le lgislateur a, d'une part, mconnu la comptence que lui confre l'article 34 de la Constitution et, ce faisant, affect les droits et liberts constitutionnels garantis et, d'autre patt, mconnu les droits constitutionnels prvus aux alinas 5, 6, 7, 8, 10 et 11 du Prambule de la Constitution de 1946, en les privant de toute garantie lgale, ainsi que le principe de sauvegarde de la dignit humaine et la libert contractuelle.

    Sur la mconnaissance par le lgislatetlr de sa comptence

    IV. Il y a lieu de rappeler d'emble que le vice d'incomptence ngative peut tre utilement invoqu l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalit ds lors qu' est affect un droit ou une libert que la Constitution garantit (Cons. constit., Dc. no 2010-5 QPC du 18juin 2010, SNC KIMBERLY CLARK [Incomptence ngative en matire fiscale]).

    Dans le cadre de la procdure de la question prioritaire de constitutionnalit (QPC), le Conseil constitutionnel estime que la mconnaissance par le lgislateur de sa propre comptence ne peut tre invoque l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalit que dans le cas o est affect un droit ou une libert que la Constitution garantit (dcision n2010-5 QPC du 18 juin 2010, cons. 3).

    Cet obstacle procdural est assez souplement envisag, charge pour le requrant de dmontrer en quoi l'imprcision de la loi affecte les droits et liberts constitutionnels, ce qui a permis au Conseil constitutionnel de censurer des dispositions lgislatives pour ce motif (v. par ex dcisions n2010-45 QPC du 6 octobre 2010 ; n2010-33 QPC du 22 septembre 2010 et n2011-139 QPC du 24 juin 2011).

    Il sera d'autant plus facilement surmont en ce qui concerne les dispositions lgislatives faisant l'objet de la prsente question qu'en ne dterminant pas les conditions dans lesquelles les personnes incarcres peuvent tre amenes travailler au cours de leur peine, le lgislateur a priv de garanties lgales les droits en principe reconnus

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  • tout travailleur, sur le fondement des textes constitutionnels et en particulier du Prambule de la Constitution de 1946.

    En effet, le Conseil constitutionnel a dj eu l'occasion de rappeler qu' il incombe au lgislateur, dans le cadre de la comptence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution pour dterminer les principes fondamentaux du droit du travail, d'assurer la mise en uvre des principes conomiques et sociaux du Prambule de la Constitution de 1946, tout en les conciliant avec les liberts constitutionnellement garanties)) (dcision n2001-455 DC prcite, cons. 46).

    S'agissant des travailleurs incarceres, le lgislateur a manifestement omis, ainsi qu'il sera plus amplement dmontr, de prvoir les conditions dans lesquelles, bien que privs de la libert d'aller et de venir, ils bnficient du droit d'obtenir un emploi, du droit d'adhrer un syndicat et de dfendre leurs droits par l'action syndicale, du droit de grve, du droit de ngociation collective et du droit d'obtenir la protection de la sant, de la scurit matrielle, du repos, des loisirs et des moyens convenables d'existence, droits garantis par les alinas 5, 6, 7, 8, 10 et 11 du Prambule de la Constitution de 1946.

    Il a en outre omis d'entourer le principe de respect de dignit humaine ainsi que la libert contractuelle des garanties lgales qui s'imposent.

    Ainsi, en dictant les dispositions litigieuses de l'article 33 de la loi no 2009-1436 du 24 novembre 2009, le lgislateur a incontestablement mconnu l'tendue de sa comptence en dlguant trop largement aux autorits d'application de la loi le soin de dterminer les rgles applicable au travail carcral, affectant notamment les droits garantis par les alinas 5, 6, 7, 8, 10 et 11 du Prambule de la Constitution de 1946, ainsi que le droit au respect de la dignit de la personne humaine et de la libert contractuelle.

    IV-1. En vertu de l'article 34 de la Constitution, en effet :

    La loifixe les rgles concernant :

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  • - les droits czvzques et les garanties fondamentales accordes aux citoyens pour l'exercice des liberts publiques ; (. . .) - la dtermination des crimes et dlits ainsi que les peines qui leur sont applicables ; la procdure pnale ; (. . .) La loi dtermine les principes fondamentaux: (. .. ) - du droit du travail, du droit syndical et de la scurit sociale.

    Sur ce fondement, le Conseil constitutionnel estime que, nonobstant l'incarcration, les personnes dtenues demeurent, l'exception de la libert d'aller et de venir, titulaires de l'intgralit des droits et liberts constitutionnellement garantis.

    Dans sa dcision n 2009-593 DC du 19 novembre 2009, il a ainsi affirm que l'excution des peines privatives de libert en matire correctionnelle et criminelle a t conue, non seulement pour protger la socit et assurer la punition du condamn, mais aussi pour favoriser l'amendement de celui-ci et prparer son ventuelle rinsertion ; qu'il appartient, ds lors, au lgislateur, comptent en application de l'article 34 de la Constitution pour fixer les rgles concernant le droit pnal et la procdure pnale, de dterminer les conditions et les modalits d'excution des peines privatives de libert dans le respect de la dignit de la personne (cons. 3).

    Il a en outre prcis qu'il appartient au lgislateur de garantir les droits et liberts des personnes dtenues dans les limites inhrentes aux contraintes de la dtention (cons. 4).

    Il en rsulte donc que les personnes incarcres demeurent sous la protection de la loi et que, 1' instar de ce qui prvaut pour les citoyens libres, le lgislateur ne peut priver de garantie lgale des exigences constitutionnelles ainsi que l'a encore rcemment rappel le Conseil constitutionnel (dcision n 2014-393 QPC du 25 avril 2014, cons. 5).

    En effet, comme l'affirmait le Prsident Canivet ds 2000 pour avoir perdu sa libert d'aller et de venir, la personne dtenue n 'en conserve pas moins toutes ses autres liberts. L'Etat de droit, que la hirarchie des normes assure sur le fondement de la Constitution, conserve le mme contenu et la mme force dans le milieu carcral que dans la socit libre, sans pouvoir tre amoindri ou dissoci. Les droits et

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  • garanties du dtenu, autres que sa libert d'aller et de vemr, ne peuvent donc recevoir de limitations que de la loi 8.

    Il est essentiel d'insister sur le fait que les personnes dtenues demeurent, aux termes des dcisions prcites du Conseil constitutionnel, titulaires de l'intgralit de ces droits. Si le lgislateur peut, dans la mise en uvre de ces droits, tenir compte des limites inhrentes aux contraintes de la dtention, en d'autres termes prvoir un rgime amnag de 1' exercice de ces droits, c'est lui et lui seul qu'apparient cette comptence.

    D ne peut donc dlguer au pouvoir rglementaire, et encore moin aux autorits administratives, le soin de dfinir les conditions et les modalits d'exercice de ces droits sans mconnatre Ja comptence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.

    C'est l le sens et l'esprit de la jurisprudence prcite du Conseil constitutionnel sur l'incomptence ngative.

    IV-2. En l'occurrence, en ne dterminant pas de manire suffisamment prcise les conditions dans lesquelles les personnes incarcres peuvent tre amenes travailler au cours de leur peine, le lgislateur est incontestablement rest en-de de sa comptence et a, ce faisant, manifestement affect les droits et liberts que la Constitution garantit.

    Il convient tout d'abord de souligner que la situation si souvent dnonce de non-droit 9 qui affecte le travail des personnes dtenues trouve son fondement dans les dispositions soumises au contrle du Conseil constitutionnel dans le cadre de la prsente question prioritaire de constitutionnalit.

    D'une part, en effet, par les dispositions litigieuses, le lgislateur a manifestement laiss au pouvoir excutif le soin de dfinir les

    Rapport sur l'amlioration du contrle extrieur des tablissements pnitentiaires, mars 2000, La Documentation franaise, p.65

    9 P. AUVERGNON, Le travail pnitentiaire entre impratifs scuritaires et droit commun, Cahiers de la Justice, Dalloz, 2011/3, p. 183-197.

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  • conditions dans lesquelles s'exercent les relations de travail des personnes dtenue de smte que les principales dispositions encadrant cette relation de travail sont de nature rglementaire (v. notamment les articles D. 432 et suivants du Code de procdure pnale).

    Plus encore, le pouvoir rglementaire tant lui aussi rest tr. imprec1s dans la dtermination des condition de travail des personne incarcre , un grand nombre d'aspects de cette relation de travail ne ont encadrs par aucune disposition de quelque nature que ce oit.

    Dans les observations qu'il prsenta devant le Conseil constitutionnel l'occasion de la question prioritaire de constitutionnalit n2013-320/321 QPC, le Dfenseur des droits regrettait ainsi que les textes ne prvoient pas de manire claire et prcise, les conditions d'accs 1 'activit professionnelle, la procdure de recrutement, les conditions d'exercice de l'activit professionnelle, les conditions d'interruption de cette activit, ainsi que les droits ouverts aux travailleurs dtenus (Production 2).

    En effet, comme le note Philippe Auvergnon, mme si des renvois prcis sont faits au Code du travail [ainsi de l'application des mesures relatives l'hygine et la scurit au travail (C. pr. pn. art. D. 1 09)], et plus gnralement au modle salarial [ainsi de la dure du travail (C. pr. pn., art. D. 1 08), des rmunrations (C. pr. pn. art. D. 1 02)}, le travail pnitentiaire re t rgi essentiellement par quelques dispositions du Code de procdure pnale 10

    Or, le laconisme des normes lgislatives et rglementaires relatives au travail des personnes dtenues conduit, de fait, remettre aux autorits charges de l'excution des lois et des rglements le soin de dfinir le cadre dans lequel doit s'inscrire cette relation de travail ainsi que le soulignait encore rcemment ce chercheur :

    ( .. .) le trs petit ensemble de dispositions d'origine lgale et rglementaire du Code de procdure pnale concernant le travail [permet} la violation de droits et liberts garantis tout travailleur. [il cr] le vide juridique et [renvoie}, de fait, l'administration en 10 P. AUVERGNON, La loi pnitentiaire du 24 novembre 2009 et le dtenu travailleur in Les droits de la personne dtenue, dir. S. BOUSSARD, Dalloz, Thmes et commentaires, juin 2013.

    Il

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  • charge l'diction des rgles du jeu via, au mieux, des circulaires et des d . Il notes e servzce.

    D'autre pa1t, le lgislateur a explicitement confi aux chefs des tablissements pnitentiaires, autorit charge de l'application des lois et des rglements, le soin de dterminer dans un contrat d'engagement les droits et les obligations des travailleurs incarcrs.

    En effet, le premier alina de l'article 33 de la loi n 2009-1436 du 24 novembre 2009 dite loi pnitentiaire prvoit que l'acte d'engagement tablit entre le chef d'tablissement et la personne dtenue doit noncer les droits et obligations professionnels de celle-ci ainsi que ses conditions de travail et sa rmunration.

    Or, le lgislateur n'a par ailleurs pas prcis de quels droits il est ici question, ni les conditions dans lesquels ces derniers trouvent s'exercer compte tenu des spcificits du milieu carcral.

    Et pour cause, il n'a ni au sein de cette disposition, ni au sein d'aucune autre, prvu les conditions dans lesquelles les droits et les liberts constitutionnellement garantis taient protgs dans le cadre des relations de travail des personnes dtenues.

    En effet, outre que la plupart des textes encadrant les relations de travail des personnes dtenues sont de nature rglementaire ou infra-rglementaire, le troisime alina de l'article 717-3 du Code de procdure pnale prvoit que les relations de travail des personnes dtenues ne font pas l'objet d'un contrat de travail, de sorte qu'elles ne bnficient pas de la protection du Code du travail.

    Or, ainsi que le soulignait le Dfenseur des droits devant le Conseil constitutionnel l'occasion de la question prioritaire de constitutionnalit n2013-320/321 QPC :

    En cartant expressment l'existence d'un contrat de travail, 1 'article 717-3 du code de procdure pnale a pour effet d'exclure les travailleurs privs de libert exerant une activit professionnelle au sein d'un tablissement pnitentiaire du bnfice des droits des Il P. AUVERGNON, Droit du travail et prison : le changement maintenant?, in Revue du droit du travail, Dalloz, 2013, p. 309.

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  • travailleurs protgs par la loi et les conventions internationales sans mettre en place de protection spcifique. >>

    En effet, il est constant que, en l'tat de la jurisprudence administrative, les personnes dtenues ne bnficient pas de la protection qui est celle des agents de la fonction publique ou d'autres professions statutaires.

    Ainsi, par exemple, le Conseil d'Etat a-t-il dj jug que les principes gnraux relatifs au travail ne trouvaient pas s'appliquer la relation de travail des personnes dtenues, au motif qu'elles ne bnficiaient pas d'un contrat de travail :

    L'observatoire international des prisons, section franaise, n'est fond soutenir ni que l'article D. 251-1 du code de procdure pnale, qui ne prvoit, qu' titre conservatoire, la privation de l'usage de certains matriels, porterait atteinte au droit de proprit, ni que le 7 de l'article D. 249-3 du mme code, qui rprime l'entrave au travail en prison, aurait pour objet de rglementer le droit de grve, ni enfin que les articles D. 2 51-1 D. 2 51-3, en prvoyant, en certaines circonstances et titre de sanction disciplinaire, la mise pied d'un emploi pour une dure maximum de huit jours, le dclassement de cet emploi, ou la suspension de son exercice durant la priode de mise en cellule disciplinaire, alors que l'article 720 du code de procdure pnale prvoit que les relations de travail des personnes incarcres ne font pas l'objet d'un contrat de travail, relverait des principes (ondan'lentaux du droit du travail (CE, 30 juillet 2003, n253973).

    Suite la dcision du Conseil constitutionnel du 14 juin 2013, certains commentateurs autoriss de la jurisprudence constitutionnelle ont ainsi regrett cette absence de dfinition, par le lgislateur, d'un rgime du travail en prison qui, venant pallier l'absence d'application du droit du travail, permettrait de garantir l'effectivit des droits et liberts constitutionnels compte tenu des spcificits et des contraintes

    'l' , 112 propres au mi 1eu carcera :

    En faisant une telle lecture dsincarne de 1 'article L. 713-3, le Conseil constitutionnel a omis de replacer cette disposition dans son

    12 Voir notamment les actes du colloque Droit du travail en prison. D'un dni une reconnaissance?, P. AUVERGNON (dir.), Presse Universitaire de Bordeaux, 2015.

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  • contexte. Comme cela est pourtant rappel dans le commentaire de la dcision, lors de son adoption en 1987 (paragraphe V de la loi n87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pnitentiaire), la disposition visait mettre un terme l'obligation de travail qui pesait sur les personnes dtenues. Il s'agissait alors de rendre le droit franais conforme la convention n29 de l'OIT sur le travail forc. Mais il tait galement question d'empcher qu'un lien direct puisse s'tablir entre les entreprises concessionnaires, par nature l'extrieur de l'tablissement pnitentiaire, et les dtenus qui travaillent l'intrieur de ce dernier. Or, lorsqu'il a adopt cette disposition excluant l'application du contrat de travail, le lgislateur n'a pas organis un rgime statutaire qui aurait suppl la non-application des rgles protectrices du code du travail. Autrement dit, il a nglig d'exercer sa comptence afin de garantir de manire satisfaisante 1 'exercice des droits et liberts garantis par la Constitution aux travailleurs dtenus. 13

    Dans la mme perspective, Philippe Auvergnon expliquait rcemment que:

    Au fond, la question de la qualification contractuelle de la relation de travail en prison ne se pose vritablement que depuis l'abolition de l'obligation de travail en 1987. On sait paradoxalement que c'est prcisment cette date qu'on a lgalis le principe selon lequel Les relations de travail des personnes incarcres ne font pas l'objet d'un contrat de travail. C'est donc au moment o l'engagement dans un travail en prison devient libre, qu'on dcide d'interdire de qualifier de contrat de travail la relation dveloppe, alors mme que les critres principaux d'existence d'un contrat de travail sont runis. Mais, on n'en reste pas l: on ne dit pas ce qu'est cette relation, on ne la nomme pas. On promeut du travail quasiment sans droits et, en tout cas, sans nom. S'agit-il d'une rsistance au dlitement du travail de la peine ou simplement du maintien du travail comme moyen de police interne ? En tout cas, on demeure dans une approche scuritaire dans laquelle ds lors que le dtenu est condamn, il est intra muros priv non seulement de sa libert d'aller et venir mais

    13 L. ISIDRO et S. SLAMA, La drobade du Conseil constitutionnel face l'ersatz de statut social du travailleur dtenu in Lettre Actualits Droits-Liberts du CREDOF, 25 juin 2013.

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  • potentiellement de l'ensemble de ses droits, dans le cas prcis des droits fondamentaux de toute personne en situation de travail. )) 14

    En effet, les rares droits et devoirs lis au travail qui sont dfinis dans le Code de procdure pnale le sont de facto par voie dcrtale de sorte que le lgislateur a, par les dispositions critiques, seulement fait obligation au pouvoir administratif de rappeler les droits et les obligations des personnes dtenues qu'il a lui-mme dfini.

    Le pouvoir rglementaire est ainsi venu prciser, l'articleR. 57-9-2 du Code de procdure pnale, ce qu'il convenait d'entendre par les droits et obligations qui devaient, aux termes de l'article 33 de la Loi du 24 novembre 2009, tre rappels dans l'acte d'engagement:

    Pralablement l'exercice d'une activit professionnelle par la personne dtenue, l'acte d'engagement, sign par le chef d'tablissement et la personne dtenue, prvoit notamment la description du poste de travail, le rgime de travail, les horaires de travail, les missions principales raliser et, le cas chant, les risques particuliers lis au poste.

    Il fixe la rmunration en indiquant la base horaire et les cotisations sociales affrentes.

    Toutefois, on le voit, cette disposition ne se rfre en ralit aucun droit ni aucune libert constitutionnellement garantis et se contente de prvoir que doit figurer sur l'acte d'engagement la description du poste de travail, le rgime de travail, les horaires de travail, les missions principales raliser, le cas chant, les risques particuliers lis au poste et la rmunration 15

    14 P. AUVERGNON, Travail en prison et droits des dtenues: questions d'hier et d'aujourd'hui in R. Eckert et J.-M. Tuffery-Andrieu (dir.), Le travail en prison. Mise en perspective d'une problmatique contemporaine, Presses Universitaires de Strasbourg, 2015,pp. 173-192.

    15 Sur les insuffisances de cet acte d'engagement, voir notamment : P. AUVERGNON, La loi pnitentiaire du 24 novembre 2009 et le dtenu travailleur in Les droits de la personne dtenue, dir. S. BOUSSARD, Dalloz, Thmes et commentaires, juin 2013

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  • Au surplus, le non encadrement des droits et liberts constitutionnellement garantis est d'autant plus prjudiciable que le lgislateur est galement rest imprcis sur la nature de l'acte d'engagement prvu au sein de la disposition conteste, sur ses effets et sur sa porte.

    Ainsi, l'Observatoire international des prisons soulignait encore rcemment, suite la dcision du Conseil constitutionnel du 14 juin 2013, que:

    En pratique, ce document [l'acte d'engagement] n'apporte aucune garantie, les personnes dtenues restant soumises aux desiderata de l'administration pnitentiaire ou des entreprises, notamment en termes d'horaires, de rmunrations, et parce que la moindre plainte les expose au risque de perdre leur emploi 16

    Le Contrleur gnral des lieux de privation de libert, Jean-Marie Delarue, soulignait lui aussi, suite cette mme dcision du Conseil constitutionnel, que :

    c'est bien la radicale dissymtrie de la relation de travail entre la personne dtenue et son employeur qui constitue une anomalie profonde. La premire bnficier, depuis la loi pnitentiaire de 2009, d'un acte d'engagement dcrivant ses obligations et sa rmunration. Qu'elle en mconnaisse la porte, et c'est le dclassement (licenciement) prononc par le chef d'tablissement sans procdure ( .. .), ni indemnit. Mais que l'employeur, lui, ignore le contenu de l'acte demeure sans consquence. Dans ces conditions, on ne doit pas s'tonner que, comme il l'a t dmontr dans le rapport annuel du contrle gnral de 2011, et dans de multiples rapports de visite, le volume de travail reste faible et que le montant de la rmunration soit le plus souvent infrieur ce qu'exige le Code de procdure pnale ))(Production 1).

    De plus, en pratique, les actes d'engagement ne respectent pas toujours les dispositions de l'article R. 57-9-2 du CPP, ne contenant pas de

    16 M. CRETENOT et N. FERRAN, Le travail pnitentiaire reste dans le "non-droit", in Dedans dehors, juin 2013, n 80, p. 4-5.

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  • description prcise du poste de travail et des missions principales effectuer ou de mentions sur les horaire de travail par exemple (Production 3).

    En outre, lorsque les tches raliser sont prcises, le Contrleur gnral des lieux de privation de libert a relev que certaines activits pouvaient tre ajoutes ou retranches celles figurant dans l'acte d'engagement sans que les personnes dtenues aient vraiment les moyens de sy opposer 17

    A dfaut d'encadrement lgislatif comme rglementaire suffisant, le conditions dans lesquels se drouJent les activits de travail au sein des tablissements pnitentiaires sont bien souvent laisses l'entire discrtion des chefs d'tablissement ce qui est source d'un grand arbitraire ainsi que le notait le Dfenseur des droits :

    Le sentiment de zone de non-droit et de vide juridique chez les travailleurs dtenus, voqu par le Conseil conomique et social est renforc par le fait qu'il existe au sein des tablissements pnitentiaires diverses pratiques mises en uvre la discrtion du directeur de l'tablissement pnitentiaire)).

    IV -3. A ce stade, il parat ncessaire de rappeler que de nombreux observateurs du travail pnitentiaire ont soulign que la reconnaissance des droits et liberts constitutionnels au profit des travailleurs incarcrs n'implique aucunement la ngation des spcificits du milieu carcral, le lgislateur pouvant parfaitement prendre en considration les contraintes propres la dtention dans la dtermination des modalits de leur exercice en prison.

    Philippe d'Auvergnon soulignait ainsi rcemment que :

    Il est souhaitable de ne pas rejeter en dehors du droit du travail certaines personnes en situation litigieuse sous prtexte qu'elles exerceraient soit une activit atypique, soit l'exerceraient de manire atypique, ce qui n'exclut pas, bien entendu, de tenir compte des

    17 N. BORVO, J.R. LECERF, Loi pnitentiaire : de la loi la ralit de la vie carcrale , rapport d'information n629 fait au nom de la commission des lois et de la commission pour le contrle de l'application des lois, Snat, 4 juillet 2012.

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  • particularits de leur situation pour ajuster les rgles applicables . Reconnatre la possibilit en prison d'une forme ou de formes diffrentes de contrat de travail ne conduit pas ncessairement nier les spcijis du cadre carcral et de la ralisation de la prestation de travail 18

    Dans la mme perspective, le con1Tleur gnral de lieux de privation de libert, Jean-Marie Delarue, expliquait que:

    Bien entendu, l'organisation du travail en prison doit se concilier avec les exigences de la scurit, quoi aspirent lgitimement les personnels et aussi nos concitoyens. Par consquent, il est vident que le droit des conflits du travail ou celui de la reprsentation des salaris ne peuvent tre transposs sans amnagement en dtention. Mais ces exceptions doivent rester limites. Quelle ncessit de scurit peut justifier l'ignorance des rgles de droit commun en matire d'hygine et de scurit, en matire de relations du travail, en matire de dure du travail ? Au nom de quels principes d'excution des peines maintenir un dispositif qui s'apparente davantage aux conditions de travail du premier ge industriel qu' celles de la France de ce jour ? Car, au fil de ses visites, c'est bien cela qui a t constat (Production 1).

    Toutefois, considrer mme que les droits et liberts constitutionnellement garantis doivent tre adapts aux spcificits et aux contraintes du milieu carcral, il n'en reste pas moins d'une part qu'un tel encadrement ne peut rsulter que de la volont du lgislateur et, d'autre part, qu'il ne peut en aucune manire conduire une ngation pure et simple des garanties qui doivent tre apportes l'exercice de ces droits et liberts.

    Car, en effet, ainsi que le soulignait si l'impratif de scurit au sein des tablissements pnitentiaires doit tre pris en compte, il est aujourd'hui mobilis l'appui d'une ngation des liberts collectives garanties par le Prambule de la Constitution de 1946 .

    18 P. AUVERGNON, Droit du travail et prison: le changement maintenant?, in Revue du droit du travail, Dalloz, 2013, p. 309

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  • En l'tat de la rglementation sur le travail en prison, le lgislateur est donc manifestement rest en de de sa comptence en laissant le soin l'autorit administrative de dterminer le contenu des droits et obligations d~s dtenus travailleurs et les modalits de leur exercice, ce qui est d'autant plus regrettable que les dispositions ici critiques s'inscrivent dans le cadre d'une loi dont le principal objectif tait de rehausser le cadre normatif qui rgit les tablissements pnitentiaires.

    En effet, comme le rappelait le rapporteur de la lo1 l'Assemble nationale, elle visait avant toute chose adapter le cadre juridique des prisons 1 'exigence juridique de respect de la hirarchie des normes

    19 L'expo des motifs de cette loi prsent par le

    gouvernement expliquait galement qu' il s 'agit de consacrer le principe selon lequel la personne dtenue conserve le bnfice de ses droits, conformment aux vux de 1 'Assemble nationale qui affirmait dans un rapport intitul La France face ses prisons qu'on ne peut imaginer qu'il y ait deux qualits de normes selon qu'il s'agit d'un citoyen libre ou d'un citoyen dtenu. La garantie des droits doit tre la mme, le dtenu n'tant priv que de sa libert d'aller et venir. ))

    Cette volont d'aligner, autant que faire se peut, les conditions de vie l'intrieur des prisons sur celles qui ont court l'extrieur aurait galement d concerner les conditions dans lesquelles les personnes dtenues peuvent tre amenes travailler au sein des tablissements pnitentiaires.

    Dans cette perspective, le Conseil conomique et social, dans un avis de 2006 relatif la rinsertion socioprofessionnelle des dtenus, avait dj mis des propositions visant rapfcrocher le statut du dtenu-travailleur du droit commun du travail)) 0, ce qui correspond en outre aux recommandations du Conseil de l'Europe qui, au sein des Rgl s pnitentiaires europelliles adoptes la mme anne, invitait les Etats membres rapprocher autant que possible 1 'organisation et les mthodes de travail dans les prisons [. . .} de celles rgissant un travail

    19 Rapport de l'Assemble nationale n1899 fait par M. Jean-Paul Garraud au nom de la commission des lois sur le projet de la Loi pnitentiaire (8 septembre 2009). 2 Conseil conomique et Social. Avis et Rapports sur les conditions de la rinsertion socioprofessionnelle des dtenus en France, 2006. P 176.

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  • analogue hors de la prison, afin de prparer les dtenus aux conditions de la vie professionnelle normale. 21

    Toutefois, malgr ces aspirations, le travail en prison est demeur, faute pour le lgislateur d'avoir prvu avec suffisamment de prcisions les conditions dans lesquels les personnes dtenues peuvent tre amenes travailler ainsi que leurs droits et liberts dans le cadre de leur relation de travail, un travail sans droit et sans contrat qui trop loign du rgime du travail 1 'extrieur, ne peut prparer une future rinsertion ainsi que le regrettait dj en 2001 le Snateur Loridane2

    Au regard de l'ensemble de ces lments, il est constant que le lgislateur est rest en de de la comptence qu'il dtient de l'article 34 de la Constitution et, ce faisant, a affect les droits et liberts constitutionnels des personnes dtenues.

    Sur la violation des droits constitutionnels garantis par les alinas 5, 6, 7, 8, 10 et 11 du Prambule de la Constitution de 1946

    V. Ainsi qu'il l'a t prcdemment rappel il incombe au lgislateur ( . .) d'assurer la mise en uvre des principes conomiques et sociaux du Prambule de la Constitution de 1946, tout en les conciliant avec les liberts constitutionnellement garanties (dcision n200 1-455 DC prcite, cons. 46).

    Or, il est constant que les droits constitutionnels prvus aux alinas 5, 6, 7, 8, 10 et 11 du Prambule de la Constitution de 1946 ne sont, s'agissant de la relation de travail dans laquelle les personnes dtenues peuvent se trouver engages, entours d'aucune garantie lgale.

    21 Recommandation Rec(2006)2 du Comit des Ministres aux Etats membres sur les Rgles pnitentiaires europennes, rgle n26.7.

    22 Rapport d'information n 330 (2001-2002) de M. Paul LORIDANT, fait au nom de la commission des finances, dpos le 19 juin 2002, p. 95

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  • Sur la violation des droits garantis par l'alina 5 du Prambule de la Constitution de 1946 :

    VI. L'alina 5 du Prambule de la Constitution de 1946 dispose que :

    Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut tre ls, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances.

    VI-l. S'agissant tout d'abord des conditions d'accs au travail en dtention des personnes incarcre, il convient de souligner que ce dernier souffre d'un encadrement juridique insuffisamment protecteur de sorte que le droit des personne dtenues obterur un emploi tel qu'il ressort de l'alina 5 du Prambule de la Constitution de 1946 est ncessairement mconnu.

    Le Conseil constitutionnel a dj eu l'occasion de juger que l'alina 5 du Prambule de la Constitution de 1946 peut tre invoqu dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalit (dcisions n2010-98 QPC du 4 fvrier 2011, cons. 4; n2011-139 QPC du 24 juin 2011, cons. 4; n 2012-232 QPC du 13 avri12012, cons. 4).

    Sur ce fondement et d'aprs une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, il revient au lgislateur de fixer les principes fondamentaux du droit du travail et, notamment, de poser des rgles propres assurer au mieux le droit pour chacun d'obtenir un emploi, tout en ouvrant le bnfice de ce droit au plus grand nombre d'intresss)). (dcisions no 98-401 DC du 10 juin 1998, cons. 26; no 99-423 DC du 13 janvier 2000, cons. 27 ; n 2006-545 DC du 28 dcembre 2006, cons. 12; n 2012-654 DC du 9 aot 2012, cons. 20)

    Conformment son souci constant de ne pas se substituer au lgislateur, le Conseil constitutionnel a dj eu l'occasion de rappeler qu'il ne dispose pas d'un pouvoir gnral d'apprciation et de dcision de mme nature que celui du Parlement )) et que, par consquence, il ne lui appartient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assign le lgislateur pouvait tre atteint par d'autres voies, ds lors que les modalits retenues par la loi dfre ne sont pas manifestement inappropries la finalit poursuivie )) (dcision n 2007-555 DC du 16 aot 2007, cons. 6).

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  • Il n'en reste pas moins que, pour se conformer l'obligation mise sa charge sur le fondement de l'article 34 de la Constitution et de l'alina 5 du Prambule de la Constitution de 1946, le lgislateur doit ncessairement prvoir des rgles susceptibles de garantir au mieux le droit pour chacun d'obtenir un emp]oj, ce qu'il n'a manifestement pas fait 'agi ant de conditions dans lesquelles les personnes dtenues peuvent accder un emploi au cours de leur peine.

    VI-2. En effet, dfaut de droit subjectif au travail, le personnes dtenues ne se voient reconnatre que Ja facult de solliciter une activit pro fe sionnelle aupres de l'administration pnitentiaire.

    Tel est bien le sens de l'article D. 432 du CPP qui dispose que les personnes dtenues, quelle que soit leur catgorie pnale, peuvent demander qu'illeur soit propos un travail.

    La procdure de recrutement n'est cependant rglemente par aucun texte de valeur lgislative ou rglementaire et peut donc beaucoup varier d'un tablissement un autre23

    Selon les lieux, la demande d'emploi de la personne dtenue est orale ou crite. Lorsqu'elle doit tre formalise par crit, cette demande peut tre formule en remplissant les rubriques d'un formulaire spcifique (niveau de formation, exprience professionnelle, motivation, etc.) Dans certains tablissements, un entretien est organis avec la personne dtenue. Mais le plus souvent ce n'est pas le cas.

    La demande est ensuite examine en commission pluridisciplinaire unique, hors de la prsence de la personne dtenue. Ainsi que le prvoit la circulaire du 18 juin 2012 relative aux modalits de fonctionnement de la commission pluridisciplinaire unique, ladite commission est comptente s'agissant de l'examen de la situation des personnes dtenues pralable aux dcisions de classement au travail ou la formation ainsi que, le cas chant, d'accs aux activits .

    23 P. AUVERGNON etC. GUILLEMAIN, Le travail pnitentiaire en question, La Documentation franaise, 2006, p. 67 et suiv.

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  • Compose du directeur de l'tablissement, du directeur fonctionnel des services pnitentiaires d'insertion et de probation (DFSPIP), du responsable du secteur de dtention de la personne dtenue dont la situation est examine ainsi que des reprsentants du service du travail, du service de la formation professionnelle et du service d'enseignement, cette commission n'a cependant qu'une fonction consultative, le chef d'tablissement ou son dlgataire [demeurant} au final seuls dcisionnaires ainsi que le rappelle la circulaire prcite.

    VI-3. De plus, les critres d'attribution d'un emploi une personne dtenue ne sont ni dfinis, ni mme seulement encadrs par une norme de rang lgislatif.

    Selon l'article D. 432-3 du CPP, le travail est procur aux dtenus compte tenu du rgime pnitentiaire auquel ceux-ci sont soumis, des ncessits de bon fonctionnement des tablissements ainsi que des possibilits locales d'emploi . Toujours selon ces dispositions, l'administration pnitentiaire doit, dans la mesure du possible )), choisir le travail du dtenu en fonction non seulement de ses capacits physiques et intellectuelles, mais encore de l'influence que ce travail peut exercer sur les perspectives de sa rinsertion )). En outre, il doit tre tenu compte de la situation familiale et de l'existence de parties civiles indemniser)).

    En pratique ce sont d'autres critres qui prvalent, davantage tourns vers la gestion de la dtention. S'y mlent des objectifs de maintien de 1' ordre, de prvention des vasions et de prservation des intrts des concessionnaires en vue de les fidliser.

    Les personnes condamnes ou poursuivies pour affaires de murs sont le plus souvent cartes des ateliers par crainte qu'elles ne fassent l'objet de brimades de nature crer des incidents et perturber la production. Les personnes prsentant une trop forte ou trop faible personnalit sont frquemment exclues des postes d'auxiliaires d'tage (distribution des repas et des produits achets en cantine), car ces postes du service gnral impliquent une grande libert de mouvement, des passages dans chaque cellule, le tout faisant craindre des trafics l'administration. Les dtenus ayant fait l'objet de sanctions disciplinaires pour violences sont galement exclus de ces

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  • postes, en vertu d'une note de la direction de l'administration pnitentiaire du 4 aot 2008 tout comme les dtenus particulirement signals en vertu d'une note du 31 juillet 2009.

    Un sociologue, auteur d'une thse sur la rduction des risques et la responsabilisation en prison publie en novembre 2009, a galement relev que lorsqu'il existe, dans un tablissement, une diffrenciation des rgimes de dtention (ouvert, semi-ouvert ou ferm), en fonction du degr de confiance accord aux personnes, celles soumises au rgime le plus strict, le rgime ferm, se trouvent le plus souvent sans emploi.

    Il faut y voir, selon le sociologue, l'effet d'une rputation ngative accole ce rgime ; Le calme requis en atelier contraste avec l'image des personnes qui y est associe . Et leur comportement est gnralement jug problmatique par le chef du service emploi qui les raye de la slection par anticipation des ractions de la personne sous la responsabilit de laquelle se trouvera le travailleur 24.

    A contrario, bnficier d'une bonne rputation auprs de personnels de surveillance semble favoriser l'obtention d'un emploi. plusieurs reprises, des responsables de btiment ont indiqu ce sociologue avoir plac leurs protgs . J'ai mon poulain, je l'ai mis auxi [auxiliaire d'tage] et il me le rend bien, explique l'un d'entre eux. L. et R. sont mes protgs, je leur ai trouv un travail au service

    , , 1 z 25 fi 1 t genera et z s sont reconnazssants , ormu e un au re.

    Deux juristes-chercheurs, Philippe Auvergnon et Caroline Guillemain ont rsum ces critres en critres ngatifs (risque d'vasion, personnalit, troubles psychiques, problme de dpendance l'alcool ou la drogue) et critres positifs (manque de ressources, bonne rputation, savoir-faire spcifique). Dans l'ensemble, peu ont voir avec les comptences professionnelles, les capacits physiques et intellectuelles ou encore de l'influence que le travail peut exercer sur les perspectives de sa rinsertion.

    24 G. CLIQUENOIS, La rduction des risques et la responsabilisation en tablissements franais pour peines , Thse de doctorat en sociologie sous la codirection de A Chauvenet (EHESS) et Y. Cartuvyels (FUSL), novembre 2009. 25 Ibid.

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  • Par ailleurs, le refus de l'administration pnitentiaire d'accorder un emploi une personne dtenue n'est encadr par aucune procdure formelle, pas plus que n'est impose la motivation de ce refus. Il peut certes arriver qu'une justification soit donne par l'administration mais la pratique varie alors une nouvelle fois d'un tablissement l'autre : on se contente ici d'informer oralement le dtenu, ailleurs le refus est motiv de faon crite.

    VI-4. En outre, Je refus de l'adminjstratjon pnitentiaire d octroyer un travail une personne dtenue est regard par le juge administratif comme une mesure d'ordre intrieur.

    Cette dcision ne peut donc pas tre conteste dans le cadre d'un recours contentieux sauf dans l'hypothse o elle met en cause des liberts ou droits fondamentaux des personnes dtenues.

    En effet, le Conseil d'Etat a estim que :

    eu gard sa nature et l'importance de ses effets sur la situation des dtenus, une dcision de dclassement d'emploi constitue un acte administratif susceptible de faire l'objet d'un recours pour excs de pouvoir ; qu'il en va autrement des refus opposs une demande d'emploi ainsi que des dcisions de classement, sous rserve que ne soient pas en cause des liberts et des droits fondamentaux des dtenus (CE, 14 dcembre 2007, Planchenault, n290420).

    Or, en pratique, trs rares sont les hypothses dans lesquelles la mise en cause d'une libert ou d'un droit fondamental sera retenue pour permettre de surmonter le principe de l'impossibilit de dfrer la censure du juge les dcisions refusant l'octroi d'un travail une personne dtenues.

    En effet, ni le droit la rinsertion des personnes dtenues (CE, ord. rf., 19 janvier 2005, Drouet, n 276562), ni le droit un emploi (CE, ord. rf, 28 fvrier 2001, Casanovas, n229163) ne sont regards comme des droits ou liberts fondamentaux par le juge administratif.

    De fait, et malgr une recherche jurisprudentielle exhaustive, aucune dcision du Conseil d'Etat ou des Cours administratives d'appel

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  • retenant la mise en cause d'une libert ou d'un droit fondamental pour permettre le contrle juridictionnel d'un refus d'octroi d'un emploi n'a pu tre trouve.

    Au demeurant, dans la mesure o le caractre ventuellement dfinitif du refus d'affectation n'est pas indiqu au demandeur, ce dernier n'osera que trs rarement demander des comptes l'administration et entrer en conflit avec elle par crainte de perdre toute chance d'obtenir ultrieurement un emploi.

    Le pouvoir confr l'administration de refuser l'accs un emploi une personne dtenue ne connat donc en pratique pas de limites ds lors qu'il chappe en droit et en pratique tout contrle juridictionnel.

    VI-5. Les personnes dtenues auxquelles l'administration accorde la po ibilit de travailler ne disposent pas davantage du droit de choisir l'emploi qui va leur tre confi, ni mme celui d'tre associes d'une manire ou d'une autre ce choix.

    C'est en effet la seule administration pnitentiaire que revient la dtennination de l'emploi propos (art. D. 432-3 du CPP).

    Certes, en pratique, rien n'interdit aux personnes dtenues d'mettre des souhaits ou des prfrences lorsqu'elles sollicitent un emploi. Mais comme le soulignent les juristes-chercheurs Philippe Auvergnon et Caroline Guillemain, de faon gnrale, il parat souvent difficile d'affirmer que le choix des prisonniers est effectivement pris en compte 26.

    Or, l'absence de procdure d'accs l'emploi, formalisant notamment une participation des personnes dtenues au choix du travail qui leur est propos, est indiscutablement en contradiction avec les Rgles pnitentiaires europennes qui prvoient que dans la mesure du possible, les dtenus doivent pouvoir choisir le type de travail qu'ils dsirent accomplir, sous rserve des limites inhrentes une slection

    26

    P. AUVERGNON etC. GUILLEMAIN, Le travail pnitentiaire en question, La Documentation franaise, 2006, p. 70.

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  • professionnelle approprie et des exigences du maintien du bon ordre et de la discipline (Rgle 26.6).

    VI-6. Enfin, l'intenuption temporaire ou dfinitive du travail de la per onne dtenue n'est pas entoure des garantie et d'un formalisme suffisants.

    Celle-ci peut intervenir l'initiative du chef d'tablissement, de l'entreprise prive le faisant travailler en prison, ou du fait du dtenu lui-mme.

    Le dclassement d'emploi peut tre directement prononc titre de sanction disciplinaire, de faon temporaire ou dfinitive, lorsque la personne dtenue s'est rendue coupable, au cours ou l'occasion de l'activit [de travail}, d'une des fautes rprimes par le code procdure pnale27 (art. R. 57-7-34 du CPP).

    Les textes prvoient galement que le chef d'tablissement peut, titre prventif et sans attendre la runion de la commission de discipline, dcider de suspendre 1 'exercice de 1 'activit professionnelle de [la} personne jusqu ' sa comparution devant la commission de discipline, si cette mesure est 1 'unique moyen de mettre fin la faute, de faire cesser le trouble occasionn au bon droulement des activits de travail ou d'assurer la scurit des personnes ou de l'tablissement>> (art. 57-7-22 du CPP).

    Lorsqu'il intervient titre de sanction disciplinaire, le dclassement est prononc au terme de la procdure disciplinaire prvue par les dispositions du code de procdure pnale (art. R. 57-7-5).

    La dcision de dclassement disciplinaire peut faire l'objet d'un recours devant le juge administratif mais ce dernier n'exerce sur cette sanction qu'un contrle restreint de l'erreur manifeste d'apprciation.

    Par ailleurs, une exception subsiste lorsque le dclassement est prononc titre prventif sur le fondement de l'article 57-7-22 prcit du CPP. Dans ce cas, il n'est pas considr comme susceptible de 27

    Art. R. 57-7-1, R. 57-7-2 et R. 57-7-3 du CPP.

    27

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  • recours devant le juge administratif (CAA Nantes, 29 mars 2012, n10NT02144; CAA Marseille, 3 fvrier 2011, n09MA01135).

    En dehors du cadre disciplinaire proprement dit, la suspension de l'activit professionnelle peut aussi tre prononce par le directeur d'tablissement pour rpondre des considrations de scurit ou de discipline gnrale, titre de mesure conservatoire ou comme rappel l'ordre28 . Cette possibilit peut tre expressment prvue dans le cadre d'un contrat de concession, en cas d'urgence lie l'exercice de ses missions ou d'inobservation de la rglementation en matire d'hygine et de scurit29 De fait, la direction de la prison ragit en rgle gnrale, un vnement tels qu'une agression, un mouvement collectif, une vasion ou encore par exemple en cas de dtrioration du climat interne. L'interruption temporaire de l'activit va le plus souvent concerner l'ensemble des dtenus-travailleurs de l'atelier, voire de l'tablissement, que ceux-ci aient ou non une part de responsabilit dans la situation 1' origine de la dcision.

    Indpendamment de toute question de scurit ou discipline, la suspension de l'activit de travail peut tre prononce lorsque l'administration se trouvera temporairement dans l'impossibilit d'assurer l'encadrement de dtenus-travailleurs (ex. grve des surveillants, absence du personnel d'encadrement de l'entreprise extrieure, ... ) ou dans l'impossibilit de fournir du travail (ex. dfaut de matires premires, problmes d'approvisionnement ou de fonctionnement des machines, pas de commandes, etc ... ).

    Comme le relve le Contrleur gnral des lieux de privation de libert dans son rapport d'activit pour l'anne 2011, les priodes chmes sont frquentes en prison et le travailleur class n'a aucune garantie d'une activit journalire. Les entreprises grant leur production a flux tendu, il arrive frquemment que les travailleurs soient appels au gr des fluctuations des charges des entreprises et soient donc soumis d'incessantes interruptions et reprises d'activit

    28

    P. AUVERGNON etC. GUILLEMAIN, Le travail pnitentiaire en question, La Documentation franaise, 2006.

    29

    Art. 10.4, Clauses et conditions gnrales d'emploi de dtenus par les entreprises concessionnaires du contrat de concession-type de l'administration pnitentiaire franaise.

    28

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  • . Le caractre alatoire de la production n'est pas la seule raison . Certains tablissements ont en outre pour pratique de classer plus de personnes que de postes de travail en ateliers afin de pouvoir rpondre aux commandes urgentes . Les personnes classes en surnombre servent >> alors de variables d'ajustement aux alas d'effectifs et de production .

    Lors d'un contrle ralis dans un centre de dtention, le CGLPL a ainsi relev, qu'au cours des mois de fvrier avril 2011, une moyenne quotidi n.ne de 52% des personnes classes a t effectiv ment appele au travail 30 en atelier.

    Les personnes dtenues travaillant en ateliers n'ont bien souvent aucune visibilit quant leur emploi du temps. D'un jour sur l'autre, elles ne savent pas si elles travailleront. Les personnes classes apprenn nt qu'elles sont appeles pour travailler le plus souvent la

    'Il l l d . . . 1 ' l' 31 vez, e pour e en emazn VOlre encore mozns ongtemps a avance

    Le tmoignage suivant, extrait d'un courrier reu par le Contrleur gnral illustre combien 1 'absence de visibilit et de certitude pour les personnes dtenues, rsultant du manque d'information et de l' ala permanent, est particulirement difficile vivre : A mon arrive en janvier, j'tais class aux ateliers pour travailler, mais j'y ai accd qu'aprs insistance du chef du btiment suite une grve de la faim. J'ai travaill 6 jours pour 60 euros et comme d'autres je n'ai plus t appel. Mes courriers sont rests lettres mortes. Mon insistance pour travailler n'a eu aucunes rponses, cependant tous les matins pendant un mois les jours de semaine, nous devions tre au garde vous en tenue 7 heures. Nous n'tions pas avertis du fait que nous travaillions ou pas et personne au niveau de l 'tablissement ne pouvait me donner avec certitude une date de reprise. Sans mandat, san parloirs, et sans le sou, j 'ai pt un plomb le 22 fvrier et j 'ai incendi La porte de ma cellule 32

    30 CGLPL, rapport d'activit 2011 , p 172.

    31 Ibid., p 173.

    32 Ibid. , p 174.

    29

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  • L'activit professionnelle peut aussi tre suspendue ou rompue en prsence de causes classiques de rupture des rapports de travail ( dmission , absence au travail, inaptitude, insuffisance professionnelle, etc.).

    S'agissant spcifiquement de la situation d'insuffisance professionnelle, l'article D. 432-4 du CPP dispose en ce sens que:

    Lorsque la personne dtenue s'avre incomptente pour l'excution d'une tche, cette dfaillance peut entraner le dclassement de cet emploi. Lorsque la personne dtenue ne s'adapte pas un emploi, elle peut faire l'objet d'une suspension, dont la dure ne peut excder cinq jours, afin qu'il soit procd une valuation de sa situation. A l'issue de cette valuation, elle fait l'objet soit d'une rintgration dans cet emploi, soit d'un dclassement de cet emploi en vertu de l'alina prcdent. .

    Dans les situations de rupture de la relation de travail l'initiative de l'administration, aucun formalisme spcifique n'est prvu par les dispositions du code de procdure pnale en dehors de celui prvu par les dispositions prcites de l'article D. 432-4 du CPP dans le seul cas d'un dclassement pour incomptence professionnelle.

    Les dispositions du code du travail relatives aux licenciements ne sont pas en effet applicables puisque les prestations de travail des personnes dtenues ne font pas l'objet d'un contrat de travail.

    La jurisprudence, qui admet que la dcision de dclassement peut faire l'objet d'un recours contentieux (CE, 14 dcembre 2007, Planchenault, n290420), impose cependant que la dcision de dclassement soit motive en application de la loi du 11 juillet 1979 et qu'elle soit prcde de la procdure contradictoire prvue par l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 (CAA Bordeaux, 12 fvrier 2008, n05BX01961 CAA Paris, 18 avril2008, n07PA01242).

    Nanmoins, les motifs du dclassement ne sont soumis qu' un contrle juridictionnel restreint de l'erreur manifeste d'apprciation (CE, 14 dcembre 2007, Planchenault, n290420) de sorte que l'annulation contentieuse d'un dclassement est, de facto, extrmement rare.

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  • La suspension temporaire de l'activit professionnelle de la personne dtenue ne semble pas, quant elle, susceptible d'tre attaque devant le juge administratif (cf. par analogie CAA Nantes, 29 mars 2012, n10NT02144 ; CAA Marseille, 3 fvrier 2011 , n09MA01135).

    En outre, la personne dtenue dclasses ne touche pas d'indemnits de licenciement.

    Au regard de l'ensemble de ces lments, il e t manifeste qu'en n'encadra11t pas les conditions dans lesquelles le per onnes dtenue peuvent accder un emploi au cours de leur peine, le lgislateur a omis de poser des rgles propres assurer au mieux le droit pour chaque personne dtenue d'obtenir un emploi, tout en ouvrant Je bnfice de ce droit au plus grand nombre d'intres 's tel qu'il est garanti par l'alina 5 du Prambule de 1946.

    Sur la violation des droits constitutionnels garantis par les alinas 6, 7 et 8 du Prambule de la Constitution de 1946 :

    VII. S'agissant ensuite de l'absence de protection des droits d'expression et de reprsentation collective des travailleurs incarcrs, il est manifeste que le lgislateur a priv de garantie lgale le droit d'adhrer un syndjcat et de dfendre ses droits par l'action syndicale, le droit de grve et le droit de ngociation coUective tels que garantis par les alinas 6, 7 et 8 du Prambule de la Constitution de 1946.

    VII-1. L'alina 6 du Prambule de la Constitution de 1946 dispose que:

    Tout homme peut dfendre ses droits et ses intrts par l'action syndicale et adhrer au syndicat de son choix.

    Le droit prvu par ces disposition est invocable au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalit ainsi qu'en a dj jug le Conseil constitutionnel (dcisions n2010-42 QPC du 7 octobre 2010, cons. 4 et 6 ; n 2010-68 QPC du 19 novembre 2010, cons. 6, 7 et 8).

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  • Il convient d'insister sur l'emploi, au sein de cet alina, de l'expression tout homine laquelle recoupe ncessairement les personnes dtenues qui travaillent en prison, sauf nier la part irrductible de dignit humaine.

    Comme le souligne en effet le Dfenseur des droits la formulation de ces dispositions n'oprant aucune diffrence entre les travailleurs, le constituant n'apparat pas avoir souhait tablir de distinction quant la porte de ces droits et semblait vouloir que tout travailleur bnficie de ces liberts collectives quel que soit le lieu d'excution de la prestation de travail)).

    Certes, les modalits concrtes d'exercice de ce droit l'engagement syndical peuvent faire l'objet d'amnagements, mais seul le lgislateur est comptent pour procder ces choix.

    De plus, si le lgislateur peut, par exemple, dfinir des critres de reprsentativit des organisations syndicales afin d'viter la dispersion de la reprsentation syndicale )) (dcision n 2010-42 QPC prcite, cons. 6) ou prvoir des conditions spcifiques d'exercice de ce droit pour certaines catgories de professionnels telles que les agents de la fonction publique (dcision n 2011-205 QPC du 9 dcembre 2011, cons. 6), il ne peut en aucune manire priver certaines personnes du bnfice mme de cette libe1t.

    Dans la dcision n 2011-205 QPC, le Conseil constitutionnel a ainsi censur l'article L. 311-2 du Code du travail de Nouvelle-Caldonie au motif que:

    les dispositions contestes soustraient ces agents des administrations publiques du bnfice des dispositions du code du travail de Nouvelle-Caldonie applicables aux relations collectives du travail ; que ni ces dispositions ni aucune loi du pays de Nouvelle-Caldonien 'assurent la mise en uvre, pour ces agents, de la libert syndicale et du principe de participation des travailleurs)) (Cons. 7).

    Il suit de l que le lgislateur ne peut pas s'abstenir de prvoir les modalits de mise en uvre du principe de reprsentation syndicale au profit de certaines catgories de travailleurs sans potier atteinte aux droits et liberts constitutionnellement garanti .

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  • VII-2. Par ailleurs et selon l'alina 7 du Prambule de la Constitution de 1946 le droit de grve s'exerce dans le cadre des lois qui le rglementent .

    Le Conseil constitutionnel n'a jamais t amen se prononcer, dans une de ses dcisions, sur l'invocabilit de ce droit constitutionnel dans le cadre de la procdure de la question prioritaire de constitutionnalit.

    Toutefois, comme le soulignait le commentaire de sa dcision n 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013 :

    il semblerait logique que la mconnaissance d'un tel droit puisse tre invoque dans le cadre d'une QPC. Compte tenu de sa rdaction, cet alina du Prambule de la Constitution de 1946 nonce en effet un droit ou une libert garanti par la Constitution la fois en ce qu'il fiXe la comptence du lgislateur pour dfinir les conditions encadrant l'exercice du droit de grve et en ce qu'il nonce un droit matriel constitutionnellement garanti.

    D'aprs une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, il revient au lgi Jateur de dterminer les titulaires et les modalits d exercice du droit de grve (n79-105 DC du 25 juillet 1979).

    En effet, le juge constitutionnel a dj eu l'occasion de relever qu'en dictant [le septime alina du Prambule de 1946] les constituants ont entendu marquer que le droit de grve est un principe de valeur constitutionnelle mais qu'il a des limites et ont habilit le lgislateur tracer celles-ci (dcision n2007-556 DC prcite, cons. 10. ; V. galement: dcision n 2010-91 QPC prcite, cons. 3).

    Dans ce cadre, il est loisible au lgislateur de dfinir les conditions d'exercice du droit de grve et de tracer la limite sparant les actes et les comportements qui constituent un exercice licite de ce droit des actes et comportements qui en constitueraient un usage abusif (dcisions n87-230 DC du 28 juillet 1987, cons. 7; n2012-650 du 15 mars 2012, cons. 6).

    Il lui est ainsi permis de confier des organisations syndicales des prrogatives particulires relatives au dclenchement de la grve (dcision n2007-556 DC prcite, cons. 13) ou de prvoir des

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  • modalits spcifiques de dclenchement (dcision n2012-650 prcite, cons. 7).

    Le Conseil constitutionnel considre que la loi peut mme aller jusqu ' l'interdiction du droit de grve aux agents dont la prsence est indispensable pour assurer le fonctionnement des lments du service (public) dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays)) (dcisions n79-105 DC du 25 juillet 1979, cons. 24 ; n86-217 DC du 18 septembre 1986, cons. 25 ; n87-230 DC prcite, cons. 26).

    Toutefois, cette possibilit offerte au lgislateur de restreindre l'exercice du droit de grve est conditionne une double exigence.

    D'une part, une limitation du droit de grve ne peut rsulter que de la volont du lgislateur ainsi qu'il ressort clairement des dcisions prcites du Conseil constitutionnel.

    De l'autre, le droit de grve ne peut tre limit et encadr que dans le but d'oprer la conciliation ncessaire entre la dfense des intrts professionnels, dont la grve est un moyen, et la sauvegarde de l'intrt gnral auquel/a grve peut tre de nature porter atteinte)) (dcision n2007-556 DC prcite cons. 10. ; V. galement dcisions n79-105 DC prcite, cons. 1 ; n 2010-91 QPC du 28 janvier 2011, cons. 3).

    Seul un principe d'une valeur quivalente au droit de grve, tel par exemple que le principe de continuit du service public (dcisions n79-105 DC prcite, cons. 1; n86-217 DC 18 septembre 1989, cons. 78 ; n87-230 DC prcite, cons. 7) ou celui de protection de la sant ou de la scurit des personnes et des biens (dcision n 80-117 DC du 22 juillet 1980, cons. 4), peut ainsi justifier que le lgislateur apporte une limitation l'exercice du droit de grve.

    Dans ces conditions, il est vident qu'il n'appartient qu' la loi, et non aux autorits d'application de la loi, de rguler juridiquement les modalits d'exercice du droit de grve et que cette limitation du droit de grve ne peut rpondre qu' un motif d'intrt gnral.

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  • VII-3. Enfin, le requrant entend galement critiquer l'imprcision de la loi en ce qu'elle mconnat directement l'alina 8 du Prambule de 1946 selon lequel (( tout travailleur participe, par l'intermdiaire de ses dlgus, la dtermination collective des conditions de travail ainsi qu' la gestion des entreprises.

    Ainsi qu'a dj eu l'occasion de le juger le Conseil constitutionnel, ce droit est invocable au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalit (Dcisions n2010-91 QPC prcite, cons. 3, 4 et 5).

    L encore, puisque ce texte s'adresse tout travailleur, quelles que soient les conditions juridiques qui encadrent son emploi, les personnes dtenues doivent tre regardes comme concernes et destinataires de cette libert de ngociation collective.

    Or, selon le Conseil constitutionnel, c'est au lgislateur qu'il revient de dterminer, dans le respect de cette disposition valeur constitutionnelle, les conditions et garanties de sa mise en uvre (dcisions n99-423 DC du 13 janvier 2000, cons. 28 ; n2005-514 du 28 avril 2005, cons. 25 ; n2004-494 du 29 avril 2004, cons. 7 ; n2006-545 prcite, cons. 4).

    Si le lgislateur peut tout fait prvoir diffrents niveaux de participation des travailleurs la dfinition de leurs conditions de travail (dcision n2004-494 prcite, cons. 8) et s'il peut galement prvoir des modalits spcifiques de mise en uvre de ce droit pour certaines catgories de travailleurs (dcision n2007 -556 prcite, cons. 13 ), il ne peut pas purement et simplement priver une catgorie de travailleur du bnfice de ce droit (dcision n2011-205 prcite, cons. 7)

    Le lgislateur est donc incontestablement tenu. sur le fondement de ces dispositions, de prvoir les modalits de ngociation collective applicable aux dtenus travailleurs.

    VII-4. Pour conclure, en l'espce, sur les trois griefs prcdemment voqus, il est constant que les personnes dtenues sont prives purement et simplement de l'intgralit de des droits constitutionnels protgs par les alinas 6, 7 et 8 du Prambule de la Constitution de 1946, ce qui ne saurait tre tolr par le Conseil constitutionnel.

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  • En effet, il faut relever que les personnes dtenues ne disposent d'aucun moyen d'expression collective au travail. Il n'y a en prison ni droit d'action collective, ni droit reprsentation collective. Le droit la ngociation collective n'y est ni reconnu, ni pratiqu.

    En l'absence de tout texte, on affirme en prison qu'il est interdit de se syndiquer. Le droit de grve, en tant que cessation concerte du travail y est galement exclu, bien qu'il n'existe pas de fondement juridique explicite cette interdiction. Les personnes dtenues ne peuvent pas participer un comit d'hygine, de scurit et des conditions de travail (CHSCT) inexistant en prison.

    Au contraire, toute dmarche de revendication collective de ses droits apparat prohibe, contraire 1' ordre de la prison, et peut ce titre tre rprime disciplinairement.

    L'articleR. 57-7-2 du code de procdure pnale dispose en ce sens que (( constitue une faute disciplinaire du deuxime degr le fait, pour une personne dtenue : (..) 7 De participer toute action collective de nature perturber l'ordre de l'tablissement(..).

    L'article 5. 57-7-3 prvoit quant lui que (( constitue une faute disciplinaire du troisime degr le fait, pour une personne dtenue : (..) 5 D'entraver ou de tenter d'entraver les activits de travail, de formation, culturelles, cultuelles ou de loisirs )).

    Un jugement rcent du tribunal administratif de Rennes pennet de prendre la mesure de ce que la rpression disciplinaire peut tre employe par l'administration pnitentiaire, avec l'assentiment du juge administratif, pour touffer toute expression des personnes dtenues sur leurs conditions de travail, quand bien mme cette expression se serait droule dans des conditions et selon des modalits qui ne faisaient natre aucun trouble l'ordre public et qu'elle a permis d'alerter l'administration sur l'existence de problmes que cette dernire a jug bon de rsoudre :

    "Considrant qu'il ressort des pices du dossier que M Vannouvong, dtenu au centre pnitentiaire de Rennes-Vezin, a, le 27 aot 2012 11 heures, remis au responsable du btiment une liasse de courriers similaires, signs respectivement par lui-mme et d'autres dtenus,

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  • qui mentionnaient l'absence de promenade travailleurs le week-end et le non-respect du code de procdure pnale concernant l'heure de promenade quotidienne pour tout dtenu ; qu'un compte rendu d'incident a t immdiatement tabli, en application de l'article R. 57-7-13 du code de procdure pnale;

    ( . .) que la circonstance que le requrant, dtenu dans la maison d'arrt nl, ait rdig et formul de manire respectueuse et calme et ne constitue pas, comme l'indique tort la dcision attaque, un ultimatum adress au directeur, n'te rien au fait que M Vannouvong a rdig et soumis la signature des autres dtenus une demande caractre revendicatif; que si les dispositions du code de procdure pnale permettaient chacun d'entre eux de soumettre une telle demande, l'organisation de cette dmarche, permise en partie par l'ascendant que le requrant exerait sur eux, constituait bien une action collective de nature perturber l'ordre de l'tablissement au sens des dispositions prcites ; que cette dcision ne porte pas au principe de libert d'expression rsultant de l'article 10 de la convention europenne de sauvegarde des droits de l'homme et des liberts fondamentales une atteinte disproportionne au but poursuivi de maintien de l'ordre de l'tablissement; que la circonstance que l'administration, prenant conscience du problme pratique que les horaires des dtenus travailleurs reprsentait pour l'exercice de leur droit promenade, ait immdiatement pourvu cette demande est sans incidence sur la circonstance que cette dmarche tait proscrite et contraire aux exigences du maintien de l'ordre dans l'tablissement (TA Rennes, 10 octobre 2014, n1205245).

    Comme l'a relev le sociologue G. Cliquennois, auteur d'une thse sur la gestion des risques en prison, les personnes plus revendicatrices, celles qui ont des conduites juges inopportunes, comme la contestation ou la revendication , seront ain i anctionnes Ear une absence de pro gres ion de carrire ou un dclassement 3.

    Autre sociologue ayant conduit des recherches sur le travail carcral, Fabrice Guilbaud rapporte une scne laquelle il a assist en maison centrale. Dans un atelier de confection de chiffons mnagers venant de

    33 G. CLIQUENOIS, La rduction des risques et la responsabilisation en tablissements franais pour peines , Thse de doctorat en sociologie sous la codirection de A. Chauvenet (EHESS) et Y. Cartuvyels (FUSL), novembre 2009.

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  • se mettre en place, les dtenus ont contest les tarifs et la cadence impose qu'ils ne parvenaient pas suivre.

    Des rapports d'incident disciplinaires ont t dresss l'encontre des deux dtenus ayant pris la parole et les intresss ont t dclasss. L'engagement d'une telle procdure fut justifi auprs du sociologue par le fait qu' il ne faut surtout pas cder dans ces cas-l parce que sinon on leur donne raison. ( ... ) Il ne faut surtout pas laisser faire. Parce qu'aprs ils croient qu'ils ont gagn et puis a peut devenir pareil en dtention, il faut se mfier. Il fallait galement y voir, selon le directeur adjoint, des revendications qui vont au-del du salaire. 1 ' . 1 d, . 34 a a p us a VOir avec a etentzon >J>

    Les dtenus ont donc ont t dclasss en commission de discipline.

    De mme, en octobre 2010, la Section franaise de l'Observatoire international des prisons (OIP-SF) relayait par exemple la situation d'un dtenu du centre pnitentiaire de Longuenesse dclass pour avoir refus d'obtemprer aux injonctions des membres du personnel de 1 'tablissement , persist dans le refus de travail et essay d'influencer d'autres dtenus du mme atelier . Il avait dclar, en atelier, vouloir bien travailler, mais pas pour 30 centimes de 1 'heure . Connu pour tre un trs bon lment, toujours assidu dans son travail, qui

  • Il convient de souligner que le litige dans le cadre duquel M. MULLARD a sollicit le renvoi de la prsente question prioritaire de constitutionnalit s'inscrit lui aussi dans un contexte de ngation des droits d'expression et de reprsentation des travailleurs dtenus.

    En effet, aux termes de la dcision attaque devant le juge administratif par le requrant, ce dernier a t dclass du poste de travail qu'il occupait car il lui t notamment reproch d'avoir fait valoir des revendications ( . .) sur ses conditions de travail qui peuvent s 'entendre sur le fond )) mais qui le maintiennent en tat de conflit constant avec 1 'administration et le prestataire priv au travaib).

    Le directeur du centre pnitentiaire de Poitiers-Vivonne a considr que ce comportement l' amne se poser, malgr lui, en un leader de contestation )), que les autres travailleurs pourraient se mler ou s'emparer de cette contestation et que ce risque de mouvement collectif)) est augment par le fort volume de population pnale aux ateliers et par la pnibilit relative de certaines missions )).

    Dj, dans un avis du 9 dcembre 198735 , le Con eil conomique et social avait recommand de donner des moyens d'expression aux travailleurs dtenus. A ce titre, il avait propos la cration de dlgus d'atelier )) ainsi que diverses mesures comme l'installation de botes rclamations )) dans tous les lieux de travail ou la mise en place d'une institution paritaire )) laquelle serait soumis tout diffrend ou toute contestation relatifs aux conditions de travail et de rmunration )) .

    Cet avis n'a jamais t suivi d'effet, en dpit de l'adoption par la France des rgles pnitentiaires europennes qui prcisent que les dtenus doivent avoir l'occasion de prsenter des requtes et des plaintes individuelles ou collectives au directeur de 1 'tablissement ou tout autre autorit comptente au cours de leur dtention )) (Rgle 70-1).

    35 Conseil conomique et social, Travail et prison , avis du 9 dcembre 1987, RPDP, 1989.

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    2015-485 QPC - Reu au greffe du Conseil constitutionnel le 28 juillet 2015

  • A l'occasion de la loi pnitentiaire du 24 novembre 2009, le lgislateur s'est content de prvoir que sous rserve du maintien du bon ordre et de la scurit de l'tablissement, les personnes dtenues sont consultes par l'administration pnitentiaire sur les activits qui leur sont proposes>>. Or, comme l'ont relev les auteurs d'un rapport parlementaire sur l'application de la loi pnitentiaire, publi en juillet 2012, ces dispositions prudentes n'ont reu qu'une application limite 36 . Et, de fait, elles ne permettent en rien aux personnes dtenues de bnficier d'un droit d'expression collective sur leurs conditions de travail.

    En l'tat actuel, ni l'article 33 de la Loi n 2009-1436 du 24 novembre 2009 dite Loi pnitentiaire, ni aucune autre disposition ne prvoit les conditions dans lesquels les travailleurs dtenus peuvent exercer leur droit l'engagement syndical, leur droit de grve et leur droit la ngociation collective.

    En pratique il revient donc aux autorits d'application de la loi de dterminer le champ d'application et les modalits d'exercice de ces droits et d'en faire ainsi, en l'absence de tout encadrement lgislatif, une application ingale ou arbitraire, voire de refuser aux personnes dtenues le bnfice pur et simple de ces droits.

    Or, comme le souligne le Professeur Philippe Auvergnon :

    tant que le travail va avec la peine, c'est--dire jusqu'en 1972, voire tant que juridiquement existe une obligation de travail, c'est--dire jusqu'en 1987, on peut d'une certaine faon estimer ((normal qu'il ne soit pas reconnu au condamn un droit de s'exprimer, de discuter de ses conditions de son travail. Ds lors que le travail est dtach de la peine et que le dtenu est libre de travailler ou non, de s'engager ou non dans une relation de travail, il parat logique qu'il puisse non seulement s'exprimer mais discuter ses conditions de travail, y compris par l'intermdiaire d'un reprsentant. 37

    36 N. BORVO-SEAT, J.-R. LECERF, Rapport d'information n629 (2011-2012), fait au nom de la commission des lois et de la commission pour le contrle de l'application des lois, sur l'application de la loi pnitentiaire n2009-1436 du 24 novembre 2009, Snat, 4 juillet 2012. 37 P. AUVERGNON, Travail en prison et droits des dtenues: questions d'hier et d'aujourd'hui in Le travail en prison, ... ?

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  • Au regard de l'ensemble de ces lments, le Conseil constitutionnel ne pomTa que sanctionner la violation, par le lgis la teur, du droit d'adhrer un syndicat et de dfendre ses droits par l'action syndicale, du droit de grve et du droit de ngociation collective tels que garantis par les alina 6, 7 et 8 du Prambule de la Constihttion de 1946.

    Sur la violation des droits constitutionnels garantis par les alinas 10 et 11 du Prambule de la Constitution de 1946:

    VIII. Enfin, s'agissant de la rmunration du travail laquelle les personnes dtenues peuvent prtendre, laquelle est largement insuffisante, comme des droits partiels la protection sociale et la protection de la sant dont elles bnficient, les dispositions faisant l'objet de la prsente question mconnaissent le droit d'obtenir la protection de la sant, de Ja curit matrielle, du repos, de loisirs et des moyens convenables d'existence, tel qu'il est garanti par les alinas 10 et 11 du Prambule de la Constitution de 1946.

    VIII-1. En effet, le requrant entend rappeler que, sur le fondement des alinas 10 et 11 du Prambule de la Constitution de 1946 :

    La Nation assure l'individu et la famille les conditions ncessaires leur dveloppement. ))

    Elle garantit tous, notamment l'enfant, la mre et aux vieux travailleurs, la protection de la sant, la scurit matrielle, le repos et les loisirs. Tout tre humain qui, en raison de son ge, de son tat physique ou mental, de la situation conomique, se trouve dans l'incapacit de travailler a le droit d'obtenir de la collectivit des moyens convenables d'existence. ))

    Le Conseil constitutionnel a dj eu l'occasion de rappeler, l'gard de ces dispositions constitutionnelles, qu'il incombe au lgislateur, comme l'autorit rglementaire, conformment leurs comptences respectives, de dterminer, dans le respect des principes poss par ces dispositions, les modalits concrtes de leur mise en uvre )) qu'il s'agisse de prestations d'assurance maladie, d'assurance vieillesse ou de prestations familiales.

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  • Il a notamment estim que l'exigence constitutionnelle rsultant de ces dispositions implique la mise en uvre d'une politique de solidarit nationale en faveur de la famille ; qu'il est cependant le loisible au lgislateur pour satisfaire cette exigence, de choisir les modalits d'aide aux familles qui lui paraissent appropries >> (dcision n97-393 DC du 18 dcembre 1997, cons. 33).

    Il a galement jug que cette exigence constitutionnelle implique la mise en uvre d'une politique de solidarit nationale en faveur des travailleurs retraits ; qu'il est cependant possible au lgislateur, pour satisfaire cette exigence, de choisir les modalits concrtes qui lui paraissent appropries >> (dcision n2003-483 DC du 14 aot 2003, cons. 7).

    Enfin le Conseil constitutionnel a estim qu'il rsulte tant des 1 Oe et 11 e alinas du Prambule de 1946 que du principe valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignit de la personne humaine contre toute forme de dgradation que la possibilit pour toute personne de disposer d'un logement dcent est un objectif de valeur constitutionnelle (dcisions n 94-359 DC du 19 janvier 1995, cons. 4 ; n 98-403 DC du 29 juillet 1998, cons. 4).

    Il rsulte de ces dispositions constitutionnelles et de la jurisprudence du juge constitutionnel qu'il appartient au lgislateur de dterminer les conditions dans lesquelles les personnes incarcres, nonobstant la privation de la libert d'aller et de venir qui les affecte, continuent de bnfi