Travail drc 3500 armement

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DRC3500 B Droit international de l’environnement Séminaire d’exposé juridique Automne 2014 AVIS CONSULTATIF DE LA COUR INTERNATIONAL DE JUSTICE SUR LA LICÉITÉ DE LA MENACE OU DE L’EMPLOI D’ARMES NUCLÉAIRES par David Leclair (6177629) Travail présenté à Me France Morrissette

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DRC3500 BDroit international de l’environnement

Séminaire d’exposé juridiqueAutomne 2014

AVIS CONSULTATIF DE LA COUR INTERNATIONAL DE JUSTICE SUR LA LICÉITÉ DE LA MENACE OU DE L’EMPLOI D’ARMES NUCLÉAIRES

parDavid Leclair

(6177629)

Travail présenté àMe France Morrissette

Université d’OttawaFaculté de droit

Section de Droit civil

8 décembre 2014

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I. Introduction

II. Développement

1. L’arme nucléaire

2. Historique2.1 Premières ententes sur l’arme nucléaire2.1.1 Accord de Québec2.1.2 Résolution 1653 du 24 novembre 19612.1.3 Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires

3. Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires3.1 Historique

3.2 Les trois piliers du traité3.2.1Non-prolifération3.2.2Désarmement3.2.3Le droit à l’utilisation pacifique de la technologie nucléaire

4. Avis consultatif sur la licéité de la menace où de l’emploi d’armes nucléaires de la CIJ4.1 Historique

4.2 Motifs4.2.2 Pacte international relatif aux droits civils et politiques et Convention pour la répression du génocide 4.2.3 Protection de l’environnement4.2.4 Droit relatif à l’emploi de la force lors de conflits armés

4.2.4.1 Charte de l’ONU4.2.4.2 Traités

4.2.4.2.1 Traité de Tlatelolco4.2.4.2.2 Traité de Rarotonga4.2.4.2.3 Traité de non-prolifération

4.2.4.3 Droit international coutumier4.2.4.4 Droit humanitaire4.2.4.5 Principe de neutralité

4.3 Conclusions de la CIJ

4.4 Dissidences4.4.1 Opinion dissidente de M. Schwebel, vice-président4.4.2 Opinion dissidente de M. Oda4.4.3 Opinion dissidente de M. Shahabuddeen4.4.4 Opinion dissidente de M. Weeramantry4.4.5 Opinion dissidente de M. Koroma4.4.6 Opinion dissidente de Mme Higgins

III. Conclusion

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I. Introduction

Depuis la nuit des temps, l’homme n’a cessé de démontrer son esprit créatif dans la

manufacture de divers outils pour assurer sa survie. Le savoir-faire de l’homme n’a

d’égal dans la nature que son imagination sans limites. L’avancement technologique

des hommes est une quête perpétuelle dans tout domaine et en matière de toute

chose. Malheureusement, autant cette intelligence des hommes peut servir aux fins les

plus nobles, autant cette dernière peut être mise à contribution des desseins les plus

dangereux. En effet, depuis que le monde est monde, l’homme à perpétuellement

chercher à développer le meilleur moyen de tuer l’homme, la guerre étant depuis

toujours une triste réalité. Cependant, à travers les siècles, certains grands penseurs se

sont penchés sur la question à savoir s’il pouvait être possible de réglementer le

déroulement des conflits armés, afin de minimiser la souffrance inutile collatérale à de

tels événements. Plusieurs grands politiciens à travers l’histoire ont tentés d’unir les

nations du monde afin de se mettre en accord sur les dispositions qui devraient

gouverner les actions des États qui sont parties à un conflit armé. Au fil des différentes

Conventions, et par l’horrible déroulement de deux guerres mondiales au cours d’une

seule génération, différents instruments furent mis en place afin d’édicter les lois et

coutumes de la guerre. Une grande partie de cette réglementation concerne l’emploi de

certaines armes. Il est en effet reconnu et accepté en droit coutumier international que

les moyens de nuire à l’ennemi ne sont pas illimités1. Depuis le début du 20e siècle, de

plus en plus d’importance fut accordé par les États aux relations internationales. Avec la

création de l’Organisation des Nations Unis (« ONU ») en 1945, les États ont pu

conclure différents traités afin de bannir certaines armes hautement dangereuses. Ce

1 Laws of War : Laws and Customs of War on Land (Hague II); 29 juillet 1899, 32 Stat. 1803;Treaty Series 403, article 22 (entrée en vigueur le 4 septembre 1900) . En ligne: The Avalon Project, http://avalon.law.yale.edu/

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fut le cas notamment avec les armes biologiques2 et chimiques3, entraînant des

résultats très encourageant4. Un débat fait encore rage cependant concernant les

armes nucléaires. D’un côté, il y a la volonté de plusieurs États à convenir du

désarmement complet des armes nucléaires, alors que de l’autre côté il ne semble

toujours pas y avoir d’intention de la part de tous les États à atteindre un tel objectif. Qui

plus est, le statut juridique même des armes nucléaires est toujours incertain; c’est un

abysse juridique composé d’ambiguïtés et totalement à la merci de la politique

internationale. Ce travail vise à approfondir la compréhension de l’état du droit

international concernant l’utilisation de l’arme nucléaire. Pour ce faire, l’avis consultatif

de la Cour internationale de justice (« La Cour ») sera analysé en profondeur. Par cet

exercice, il sera possible de déterminer quels sont les raisons qui ont menés la Cour à

atteindre la conclusion hautement controversée qu’elle a rendu, et parallèlement de

spéculer sur l’avenir de la licéité de l’arme nucléaire. La première partie expliquera

sommairement ce qu’est une arme nucléaire, suivi par un bref résumé de traités et

d’ententes pertinentes concernant l’arme nucléaire, puisque ces derniers sont

fréquemment soulevés par la Cour dans son avis consultatif. Puis finalement, la partie

principale de ce travail se concentrera entièrement au jugement de la Cour, incluant les

importantes opinions dissidentes.

2 Convention on the Prohibition of the Development, Production and Stockpiling of Bacteriological (Biological) and Toxin Weapons and on Their Destruction, 10 avril 1972, TIAS 8062 (entrée en vigueur le 26 mars 1975) En ligne : The Avalon Project, http://avalon.law.yale.edu/3 Convention on the Prohibition of the Development, Production, Stockpiling and Use of Chemical Weapons and on their Destruction, 13 janvier 1993, Numéro d’enregistrement 33757 (entrée en vigueur le 29 avril 1997). En ligne : United Nations Treaty Collection, https://treaties.un.org4

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II. Développement

1. L’arme nucléaire

De manière générale, une arme nucléaire est une arme qui fait usage de l’énergie

produite par la fission ou la fusion nucléaire. La plupart des modèles de bombes

nucléaires dans l’arsenal des États nucléaires utilisent une combinaison des deux afin

de créer une explosion encore plus puissante5. Ces dernières sont des bombes

thermonucléaires. La puissance de ces armes est sans pareil; une bombe

thermonucléaire de seulement une tonne peut détoner avec une force équivalente à un

million de tonnes de TNT6. Malgré qu’il existe toujours environ 22 000 bombes

nucléaires, dont 5 000 prêtes à être déployées en tout temps, et malgré plus de 2 000

essais nucléaires connus7, l’arme nucléaire n’a été utilisé militairement que deux fois

dans l’histoire, sur les villes japonaises d’Hiroshima et Nagasaki en août 1945 dans le

cadre de la Deuxième guerre mondiale.

2. Historique

2.1 Premières ententes sur l’arme nucléaire

Au fil du temps, plusieurs traités et ententes diverses ont été signés entre une plénitude

d’États concernant la possession et l’utilisation d’armes nucléaires. Certains ont une

valeur plus importante que d’autres, que ce soit du point de vu de l’intention des parties

au moment de négocier, ou par l’efficacité des dispositions adoptées. Il demeure

important toutefois, comme le fait remarquer la Cour dans son avis consultatif sur la

5 http://www.ucsusa.org/nuclear_weapons_and_global_security/solutions/us-nuclear-weapons/how-nuclear-weapons-work.html#.VGe3hMm9aSo (page consultée le 3 décembre 2014)6 http://www.foia.cia.gov/sites/default/files/document_conversions/89801/DOC_0000843187.pdf (page consultée le 3 décembre 2014)7 http://www.un.org/disarmament/WMD/Nuclear/ (page consultée le 3 décembre 2014)

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licéité de l’emploi de l’arme nucléaire, de garder une vue d’ensemble, de ne pas se

contenter de chaque instrument individuel.

2.1.1 Accord de Québec

La première entente concernant l’arme nucléaire survenue entre deux nations est

l’Accord de Québec, qui fut signé le 19 août 1943 dans la ville de Québec par Winston

Churchill et Theodore Roosevelt. Cette entente gouvernait le partenariat entre les États-

Unis et le Royaume-Uni qui naquit afin de maximiser les ressources des deux nations

dans la recherche et le développement de l’arme nucléaire. Cet accord comportait cinq

dispositions, dont trois d’importance particulière. Celles-ci prévoyaient (1) que les deux

nations ne pouvaient faire usage de l’arme nucléaire l’une contre l’autre, (2) que les

deux nations ne pouvaient faire usage de l’arme nucléaire contre un État tiers sans le

consentement mutuel des deux nations, et (3) que les deux nations s’engageaient à ne

pas fournir d’informations concernant les recherches et résultats issues du partenariat à

a État tiers sans le consentement mutuel des deux nations8.

2.1.2 Résolution 1653 du 24 novembre 1961

La résolution 1653 de l’Assemblé générale de l’ONU adoptée le 24 novembre 1961 est

une déclaration historique. En effet, c’est à travers cette résolution que la communauté

internationale exprima pour la première fois, et de façons expresse et claire, la volonté

que les armes nucléaires soient interdites, et que des mesures soient prises afin de

parvenir à un désarmement mondial complet9.

2.1.3 Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires

8 The Quebec Conference - Agreement Relating to Atomic Energy Department of the Army Files, signé le 19 août 1943. En ligne : The Avalon Project : http://avalon.law.yale.edu9Declaration on the prohibition of the use of nuclear and thermo-nuclear weapons, Assemblée Générale, A/RES/1653(XVI), 16e session, (24 novembre 1961)

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Le Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires est le fruit de près d’une décennie

de négociations entre les États-Unis et l’URSS dans les années 1950. Ce traité fut

adopté en 1963 et interdit les essais nucléaires dans l’atmosphère, l’espace extra-

atmosphérique ainsi que dans les océans et mers intérieures10. Ce traité permet

cependant les essais souterrains, puisqu’il était impossible de satisfaire à toutes les

parties concernant les modes de surveillances qui auraient été mis en place afin de

superviser les activités nucléaires sur la planète11.

3. Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires

3.1 Historique

Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires est un traité extrêmement

important en droit international nucléaire. Celui-ci fut ouvert aux États pour signature en

1968, et fut adopté en 1970. Alors qu’il était initialement prévu pour une durée de 25

ans, avec des rencontre quinquennales, le traité fut prolongé indéfiniment en 199512. À

ce jour, 190 nations sont parties au traité. L’importance de ce traité repose sur quelques

facteurs, notamment la reconnaissance des États dotés de l’arme nucléaire. Le traité en

reconnaît cinq : la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et L’URSS

(maintenant la Russie). Les conditions de reconnaissances stipulent qu’un État est

considéré comme étant doté de l’arme nucléaire selon le traité lorsque cet État à fait

détoner un engin nucléaire avant 1967. Pour cette raison, d’autres États possédant

l’arme nucléaire ne sont pas considérés comme l’étant selon le traité. Il s’agit de l’Inde,

le Pakistan, la Corée du Nord et Israël.

10 Nuclear Test Ban Treaty, 5 août 1963, Treaties and Other International Agreements Series #5433; General Records of the U.S. Government; Record Group 11; National Archives (entrée en vigueur le 10 octobre 1963). En ligne : http://disarmament.un.org/treaties/t/test_ban/text11 https://history.state.gov/milestones/1961-1968/limited-ban (page consultée le 3 décembre 2014)121968 Treaty on the Non-Proliferation of Nuclear Weapon, 1 juillet 1968, 729 UNTS 161 / [1973] ATS 3 / 7 ILM 8809 (entrée en vigueur le 5 mars 1970). En ligne : http://www.un.org/fr/disarmament/instruments/npt.shtml

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3.2 Les trois piliers du traité

3.2.1 Non-prolifération

Une partie importante de ce traité contient des modalités visant à prévenir la

prolifération d’armes nucléaires13. Les dispositions pertinentes incluent celles dans

lesquelles les États dotés de l’arme nucléaire s’engagent à ne pas fournir en fournir aux

États non dotés de cette arme, les États non-nucléaires quant à eux s’engagent à ne

pas tenter de se procurer d’armes nucléaires, et les États nucléaires s’engagent à ne

pas faire usage de l’arme nucléaire contre une nation non dotées d’une telle arme.

Malgré les déclarations des États nucléaires à cet effet, ils se réservent le droit de

reconsidérer cette position en cas d’attaque ou d’invasion par une nation non dotée de

l’arme nucléaire sur leur territoire, alors que cet ou ces États agissent en alliance avec

un État doté de l’arme nucléaire.

3.2.2 Désarmement

Le deuxième thème important du traité concerne la question du désarmement. Une

disposition en particulière est empreint d’une importance symbolique si importante

qu’elle fut même retenue par la Cour dans ses commentaires de son avis consultatif sur

la licéité de la menace ou l’emploi de l’arme nucléaire. Il s’agit de l’article VI, qui se lit

ainsi :

« Chacune des Parties au Traité s'engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace14. »

13 Ibid articles I et II14 Ibid article VI

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3.2.3 Le droit à l’utilisation pacifique de la technologie nucléaire

Le troisième point clef du traité concerne l’énergie atomique utilisée dans un contexte

pacifique15. Le traité reconnaît qu’un tel usage de l’énergie atomique est inhérent au

droit à la souveraineté des États. Le traité s’assure également que des mesures soient

mises en place afin de monitorer l’utilisation de l’énergie atomique par les États. Cette

surveillance est effectuée sous l’autorité de l’Agence internationale de l’énergie

atomique (« AIEA »).

4. Avis consultatif sur la licéité de la menace où de l’emploi d’armes nucléaires de la CIJ

4.2 Historique

Avant toute chose, il est important de différencier entre deux avis consultatifs rendus

par la Cour en 1996 adressant la question de la licéité de l’arme nucléaire. Le premier

avis fut demandé par l’Organisation mondiale de la santé (« OMS ») le 3 septembre

1993, et la question qui fut posée à la Cour se lit ainsi :

Compte tenu des effets des armes nucléaires sur la santé et l'environnement, leur utilisation par un État au cours d'une guerre ou d'un autre conflit armé constituerait-elle une violation de ses obligations au regard du droit international, y compris la Constitution de l'OMS16?

La décision fut rendue par la Cour le 8 juillet 1996 que l’OMS n’était pas compétente à

poser une telle question à la Cour, puisque après analyse, il fut établit que l’OMS

outrepassait son rôle selon l’article 96(2) de la Charte des Nations Unies, puisque la

question posée ne s’appliquait pas dans les activités de l’OMS17.

15 Ibid articles IV et V16 Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé, avis consultutatif, C.I. J. Recueil 1996, p. 66, para 117 Ibid para 31

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Parallèlement, une demande similaire fut adressée à la Cour par l’Assemblée générale

de l’ONU en décembre 1994. Cette demande fait suite à la résolution 49/75K adoptée le

15 décembre 1994, et dont le dernier paragraphe se lit ainsi :

[L’Assemblée générale] décide, conformément au paragraphe 1 de l'article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la Cour internationale de Justice de rendre dans les meilleurs délais un avis consultatif sur la question suivante: «Est-il permis en droit international de recourir à la menace ou à l'emploi d'armes nucléaires en toute circonstance18?

L’Assemblée demande donc à la Cour d’analyser l’état du droit international

à propos de la licéité de l’emploi, ou même de la menace d’employer, des

armes nucléaires. La Cour doit donc analyser l’ensemble du droit

international afin d’identifier non seulement si un aspect du droit international

s’applique aux armes nucléaires, mais également quel est l’état juridique des

armes nucléaires à travers ce droit. Les motifs analysés par la Cour sont les

prétentions dont lui ont fait part les États ayants déposés des plaidoyers, en

conformité avec les procédures de la Cour19.

18 Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226 para 1 [Avis]19 Ibid para 4

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4.3 Motifs

4.3.1 Pacte international relatif aux droits civils et politiques et Convention pour la répression du génocide

Le premier élément de droit qui est analysé par la Cour est le droit issu du Pacte

international relatif aux droits civils et politiques. Selon les États ayant soulevé ce point,

l’emploi de l’arme nucléaire ou la menace de l’emploi de cette dernière violerait le

premier paragraphe de l’article 6 du pacte, qui se lit ainsi : « Le droit à la vie est

inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être

arbitrairement privé de la vie20. » Certains États ont également plaidé en vertu de ce

pacte, seulement ils prétendent que celui-ci ne s’applique qu’en temps de paix, puisque

ce sont les lois en matières de conflits armés qui trouvent application lors d’une guerre.

À cela, la Cour précise que le pacte trouve application, hormis aux conditions prévues à

l’article 4 du même pacte, tant en temps de paix qu’en temps de guerre. Cependant,

elle précise du même fait qu’il faille évaluer la notion d’être « arbitrairement privé de la

vie » à la lumière du droit applicable lors d’un conflit armé21. La Cour précise que c’est

le droit applicable lors d’un conflit armé, et non les dispositions du pacte, qui sont

pertinentes afin de déterminer si un arme spécifique, en l’espèce les armes nucléaires,

est une arme ayant privée arbitrairement de la vie un individu.

Un second élément soulevé par certains États est que la Convention pour la prévention

et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 trouve application en

matière d’armes nucléaires. Selon ces États, l’arme nucléaire contreviendrait à cette

convention, puisque les armes nucléaires seraient des armes entrant intrinsèquement

20 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, Assemblé générale résolution 2200 A (XXI), (entrée en vigueur 23 mars 1976)21 Avis supra note 14 para 25

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en contravention de l’article 2 de cette même convention, qui définit le génocide comme

suis :

Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :

a) Meurtre de membres du groupe;

b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;

d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe;

e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe22.

La prétention de ces États est que l’arme nucléaire est une arme qui, tuant sans

discernement sur une échelle faramineuse, et donc qu’elle est par sa nature même

illicite dû à sa capacité destructrice ce qui se qualifierait comme d’un acte de génocide.

En vérité, la Cour est partiellement d’accord avec cette prétention. Elle admet que les

conséquences reconnues de l’arme nucléaire ont le potentiel d’éradiquer des groupes

ethniques, national, racial ou religieux. Elle ajoute néanmoins qu’il manque à cette

prétention pour l’accepter complètement un élément d’intentionnalité, c’est-à-dire que

les dommages subis par les groupes visés par cette convention doivent avoir été

commis de manière intentionnel, que l’attaquant visait délibérément un tel groupe afin

de l’éradiquer. Comme cette notion importante au crime de génocide est absente de la

nature de l’arme nucléaire, elle conclut que cela ne pourrait qu’être évalué au cas par

22 Convention pour la prévention et la répression du crime de genocide, 9 décembre 1948, Assemblée générale résolution 260 A (III), (entrée en vigueur 12 janvier 1951)

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cas aux situations en espèce23. La Cour veut ainsi dire que si l’arme nucléaire était

utilisé par un État dans l’intention d’éradiquer un des groupes visé par la Convention,

cette utilisation pourrait être reconnue illicite en vertu de la convention. Ici, la

Convention régirait l’usage de l’arme nucléaire en des cas précis, et non pas l’usage de

l’arme nucléaire en soit.

4.3.2 Protection de l’environnement

Plusieurs États ont soulevés des arguments pour l’illicéité de l’arme nucléaire en se

tournant vers le droit relatif à la protection de l’environnement. À cette fin, plusieurs

instruments diplomatiques ont été portés à l’attention de la Cour. Parmi ceux-ci, on

retrouve notamment le protocole additionnel 1 de 1977 aux Conventions de Genève de

1949, dont le 3e paragraphe de son article 35 stipule que «Il est interdit d'utiliser des

méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre

qu'ils causeront, des dommages étendus, durables et graves à l'environnement

naturel24, » l’article premier de la Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques

de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles,

qui prévoit :

Chaque État partie à la présente Convention s'engage à ne pas utiliser à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles des techniques de modification de l'environnement ayant des effets étendus, durables ou graves, en tant que moyens de causer des destructions, des dommages ou des préjudices à tout autre Etat partie25.

Sont également citées les déclarations de Stockholm de 1977 ainsi que de Rio de 1992.

La Cour retient principalement le principe 2 de la Déclaration de Rio :

23 Avis supra 14 para 2624 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977, RS 0.518.521, article 35 (entrée en vigueur 17 aout 1950)25 Convention sur l'interdiction d'utiliser des techniques de modification de l'environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles, 10 décembre 1976, RS 0.515.06, article 1, (entrée en vigueur le 5 août 1988)

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Conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, les États ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources selon leur politique d'environnement et de développement, et ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l'environnement dans d'autres États ou dans des zones ne relevant d'aucune juridiction nationale26.

Les États ayant la prétention contraire argumentent que ces traités ne sont pas

contraignants, ou bien que des réserves aillent été amenées à ces derniers, ou encore

que ce ne sont pas tous les États qui sont partie aux différents traités relatif à la

protection de l’environnement, et qu’ainsi ces derniers ne peuvent représenter la

volonté de la communauté internationale.

Concernant le débat à savoir si les divers traités pour la protection de l’environnement

trouvaient application en cas de conflit armé, la Cour trancha que cela n’était point la

question pertinente au litige, préférant aborder la question de manière à déterminer si,

en temps de guerre, les limitations apportées par les traités environnementaux sont

absolues27. En reconnaissant l’importance capitale de sauvegarder l’environnement, la

Cour affirme malgré tout que les différents outils de protection de l’environnement

n’interdisent pas spécifiquement l’utilisation d’armes atomiques lors de conflits armés.

Elle ajoute cependant que la protection de l’environnement est si importante que les

États doivent y accorder une considération majeure lorsqu’ils décident des actions à

entreprendre en cas de conflits.

4.3.3 Droit relatif à l’emploi de la force lors de conflits armés

Suite à son analyse, la Cour en vint à la conclusion qu’elle devrait se tourner vers le

droit relatif à l’emploi de la force lors de conflits armés. Plus précisément, la Cour se

26 Avis supra 14 para 2727 Ibid para 30

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tourne vers les dispositions pertinentes contenues au sein même de la Charte de

l’ONU, certains traités faisant expressément références à l’arme nucléaire, ainsi que les

principes de droit international coutumier et de droit humanitaire. La Cour prend bien

soin cependant de préciser qu’elle ne peut demeurer aveugle aux caractéristiques

particulières des armes nucléaires, principalement quant à l’ampleur de leur force

destructrice et du rayonnement produit par l’emploi de matériaux radioactifs au cœur

même de l’explosion28. Cette considération est ce qui distingue l’arme nucléaire de

toute autre arme de destruction massive.

4.3.3.1 Charte de l’ONU

Tout d’abord, la Cour se tourne vers la Charte de l’ONU afin d’y déceler des

dispositions pertinentes à la question de l’arme nucléaire. À ce propos, la Cour dénote

deux dispositions faisant références aux conflits armés. La première de ces dispositions

se trouve au quatrième paragraphe du second article, et se lit ainsi :

Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies29.

Cette disposition doit être prise en considération avec l’article 51 de la charte, qui

garantit le droit des États à la légitime défense de leur territoire :

Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l'exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n'affectent en rien le

28 Ibid para 35 et 3629 United Nations, Charter of the United Nations, 24 October 1945, 1 UNTS XVI, article 2. En ligne: http://www.un.org/en/documents/charter/

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pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de la manière qu'il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales30.

La combinaison de ces dispositions interdit donc les actes d’agressions non-

motivés, telle une invasion du territoire d’un État, mais permet à l’État victime

de l’acte d’agression de recourir aux forces armées afin de défendre

l’intégrité de son territoire. La Cour fait également remarquer qu’aucune arme

n’est spécifiquement mentionnée dans ces dernières dispositions, tant en

guise de permission qu’en interdiction. Quoique la Cour reconnaisse la

légitimité du droit à l’auto-défense d’une nation, elle rappelle que ce droit

n’est pas illimité puisqu’il est encadré de différents principes. Pour qu’une

riposte puisse constituer une action de défense légitime, il faut que cette

riposte soit proportionnée et nécessaire31. Alors que certains États ont

plaidés devant la Cour que le simple fait pour un État d’être en possession

d’une arme nucléaire consistait en soit à une menace illicite de recourir à la

force, la Cour écarta cette proposition, affirmant plutôt que pour être qualifié

de menace, il faut que l’État possède la bombe atomique dans le but précis

de s’en prendre à un autre État32.

30 ibid article 5131 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d'Amérique), fond, arrêt. C.I.J. Recueil 1986, p. 14.32 Avis supra note 14 para 48

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4.3.3.2 Traités

D’emblée, la Cour tient à rappeler qu’il n’existe aucune disposition en droit international,

que ce soit en droit coutumier ou conventionnel, qui autorise spécifiquement l’emploi

d’armes nucléaires33. Elle précise également que c’est le cas pour tout type d’armes.

Comme aucune arme n’est explicitement autorisée, la Cour doit donc scruter à travers

le droit international afin de trouver si l’arme nucléaire est interdite par les effets de

quelconque traité.

Certains États ont d’abord tenté de démontrer que les armes nucléaires pouvaient être

absorbées dans la catégorie des armes empoisonnées telles qu’interdites en vertu des

Conventions de la Haye et du Protocole de Genève. La Cour reconnaît qu’aucune

définition de ce qui constitue une arme empoisonnée n’est présente dans les

conventions, cependant elle ne peut accepter cet argument. La Cour refuse cette

prétention en signalant que la tendance des États en matière d’armes de destruction

massive est de les « déclarer illicites grâce à l’adoption d’instruments spécifiques34. »

Elle cite ainsi la Convention sur l’interdiction des armes biologiques de 1972 ainsi que la

Convention sur l’interdiction des armes chimiques de 1993 afin de supporter son point.

La Cour en vient à la conclusion logique que ces divers instruments ont été négociés en

ayant un objectif précis se basant sur des motifs clairement entendus par tous. La Cour

affirme qu’il ne peut donc être inféré que les conventions actuelles, puisqu’elles n’ont

pas été négociées afin de déclarer illicite l’arme nucléaire, ne peuvent trouver

application.

Suivant cela, la Cour s’est penchée sur les traités existant qui faisaient expressément

mention de l’arme nucléaire. Ainsi, elle a retenu trois traités multilatéraux visant à limiter

33 ibid para 5234 ibid para 57

Page 18: Travail drc 3500 armement

l’usage de l’arme atomique; le Traité de Tlatelolco, le Traité de Rarotonga et puis le

Traité de non-prolifération.

4.3.3.2.1 Traité de Tlatelolco

Le Traité de Tlatelolco de 1967 est un traité entre plusieurs États d’Amérique latine

visant à interdire la présence d’armes nucléaires sur le territoire délimité par le traité. Le

premier article du traité se lit comme suit :

Les Parties contractantes s'engagent à utiliser à des fins exclusivement pacifiques le matériel et les installations nucléaires soumis à leur juridiction, et à interdire et à empêcher sur leurs territoires respectifs :

a) L'essai, l'emploi, la fabrication, la production ou l'acquisition, par quelque moyen que ce soit, de toute arme nucléaire, pour leur propre compte, directement ou indirectement, pour le compte de tiers ou de toute autre manière, et

b) La réception, l'entreposage, l'installation, la mise en place ou la possession, sous quelque forme que ce soit, de toute arme nucléaire, directement ou indirectement, pour leur propre compte, par l'intermédiaire de tiers ou de toute autre manière35.

Un protocole additionnel fut ouverts aux États nucléaires afin d’interdire l’utilisation

d’armes nucléaires dans la région de l’Amérique latine couverte par le traité. Son article

3 est à ce sujet assez explicite :

Les gouvernements représentés par les plénipotentiaires sous- signés s'engagent en outre à ne recourir ni à l'emploi d'armes nucléaires ni à la menace de leur emploi contre les parties contractantes au traité visant l'interdiction des armes nucléaires en Amérique latine36.

Les cinq puissances nucléaires ont tous signées et ratifiées le traité, mais se sont tous

permis des déclarations concernant leur engagement à ce dernier. Bien qu’ils aient tous

formulés leur pensée en des termes différents, il demeure un thème commun aux

35 Treaty for the Prohibition of Nuclear Weapons in Latin America, 14 février 1967, 9068, (entrée en vigueur le 26 avril 1968). En ligne : United Nations Treaty Collection, https://treaties.un.org36 Avis supra note 14 para 59

Page 19: Travail drc 3500 armement

déclarations, à savoir que les puissances nucléaires s’engagent à respecter les termes

du traité tant qu’ils ne sont pas victime d’un acte d’agression quelconque par des États

ayant des armes nucléaires ou par des États alliés à ces derniers et dont l’acte

d’agression résulte d’une alliance37. Il est important de préciser qu’aucun des États

parties au traité ne s’est objecté aux déclarations des États nucléaires.

4.3.3.2.2 Traité de Rarotonga

Le second traité retenu par la Cour est le traité de Rarotonga du 6 août 1985. Ce

dernier établit une zone dénucléarisée dans le territoire du Pacifique Sud. Son article 3

interdit la possession, fabrication et acquisition d’armes nucléaires :

Chaque Partie s'engage :

a) A ne pas fabriquer ni acquérir d'une autre manière, posséder ou exercer un contrôle sur tout dispositif explosif nucléaire par quelque moyen et en quelque lieu que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la Zone dénucléarisée du Pacifique Sud;

b) A ne pas rechercher ni recevoir une aide quelconque pour la fabrication ou l'acquisition de tout dispositif explosif nucléaire;

c) A s'abstenir de tout acte visant à aider ou encourager la fabrication ou l'acquisition de tout dispositif explosif nucléaire par tout État quel qu'il soit.

Comme le fait remarquer la cour, ce traité se différencie du traité de Tlatelolco

principalement par l’omission de quelconque mention concernant l’utilisation en soit de

l’arme nucléaire. La Cour signale cependant que cela n’est pas nécessaire, puisque

l’interdiction de l’utilisation est une conséquence directe et logique de l’article 3 du

traité38. En d’autres mots, il est sans contredit admis que l’usage de l’arme nucléaire par

un État partie au traité est interdite, puisque pour pouvoir utiliser l’arme nucléaire il faut

être en sa possession. Tout comme le traité de Tlatelolco, un protocole additionnel

37 ibid para 59 a)38 Ibid para 59 b)

Page 20: Travail drc 3500 armement

ouvert aux États nucléaires, stipulant que ces derniers s’engagent à ne pas faire usage

d’armes nucléaires dans la zone dénucléarisé créée par le traité, a été signé et ratifié

par la Chine et la Russie, tandis qu’il a été signé et non ratifié par les trois autres États

nucléaires. Encore une fois, les cinq nations nucléaires ont déclarés que leur

engagement était conditionnel, et qu’ils se réservaient le droit de recourir à l’arme

nucléaire advenant certaine circonstances précises.

4.3.3.2.3 Traité de non-prolifération

La Cour bénéficie de la prorogation récente au moment de rendre son avis consultatif

du traité de non-prolifération. Lors de cette prorogation, les cinq États nucléaires ont

offert unilatéralement des garanties de sécurité aux États non dotés de l’arme nucléaire.

La principale garantie concerne l’usage de l’arme nucléaire; les cinq puissances

nucléaires garantissent à la communauté internationale qu’elles s’engagent à ne pas

faire usage de l’arme atomique sur des États non dotés d’armes nucléaires et qui sont

parties au traité. Bien évidemment, les États nucléaires ont énoncés une réserve à cet

engagement :

Toutefois ces États, hormis la Chine, ont formulé une exception concernant le cas d'une invasion ou de toute autre attaque menée ou soutenue contre eux, leur territoire, leurs forces armées ou leurs alliés, ou contre un État envers lequel ils auraient un engagement de sécurité, par un État non doté d'armes nucléaires, partie au traité sur la non-prolifération, en alliance ou en association avec un État doté d'armes nucléaires39.

En second lieu, les cinq puissances nucléaires étant également les cinq membres

permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, ils se sont tous engagés à saisir le

Conseil sans délai en cas d’une attaque avec une arme nucléaire contre un État non

39 Ibid para 59 c)

Page 21: Travail drc 3500 armement

doté de l’arme nucléaire afin de fournir l’assistance nécessaire en vertu de la Charte de

l’ONU.

À la lumière de tout ceci, la Cour doit maintenant soupeser les prétentions des deux

camps opposés sur la question de la licéité des armes nucléaires. D’un côté, les

défendeurs de l’illicéité des armes nucléaires affirment que les nombreux traités, en

particulier ceux retenus par la Cour, témoignent de la présence d’une norme juridique

émergente visant à limiter entièrement l’usage d’armes nucléaires. Au contraire, les

défendeurs de la licéité de telles armes considèrent quant à eux que ces traités

confirment la licéité des armes nucléaires par une reconnaissance de circonstances

d’utilisation possible par les États. Selon eux, le fait que les États n’aillent jamais

opposés d’objections aux réserves des États nucléaires à travers les différents traités

correspond à une acceptation tacite de leur part de la licéité de l’usage de l’arme

nucléaire dans des circonstances particulières, énoncées à travers les réserves des

déclarations des puissances nucléaires40.

La Cour convient que les différents instruments diplomatiques adoptés pour réduire

l’acquisition, la fabrication et la possession d’armes nucléaires sur l’échelle mondiale

sont indicatifs de ce que pourrait être la prochaine étape pour la communauté

internationale, soit l’interdiction pure et simple de l’arme nucléaire. Cependant, ce n’est

toujours pas le cas pour l’instant. En ce qui concerne les trois traités retenus

spécifiquement par elle, voici ce que la Cour en retient :

Il ressort de ces instruments:

a) qu'un certain nombre d'Etats se sont engagés à ne pas employer d'armes nucléaires dans certaines zones (Amérique latine, Pacifique Sud) ou contre certains autres Etats (Etats non dotés d'armes nucléaires parties au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires);

40 Ibid para 61

Page 22: Travail drc 3500 armement

b) que toutefois, même dans ce cadre, les Etats dotés d'armes nucléaires se sont réservé le droit de recourir à ces armes dans certaines circons- tances ;

c) que ces réserves n'ont suscité aucune objection de la part des parties aux traités de Tlatelolco ou de Rarotonga, ou de la part du Conseil de sécurité41.

Ces observations par la Cour l’amène une fois de plus à conclure à une intention de la

part de la communauté internationale d’atteindre le désarmement complet éventuel.

Mais se devant de respecter la règle de droit, la Cour admet qu’aucun traité

actuellement en vigueur ne vient déclarer comme illicite l’arme nucléaire42.

4.3.3.3 Droit international coutumier

La prochaine étape pour la Cour consistait en une analyse approfondie de l’état du droit

international coutumier afin de déceler si quelque règle particulière faisait mention de la

licéité de l’arme nucléaire. Comme il s’agit de droit international coutumier, la Cour doit

examiner s’il existe une pratique effective et une opinio juris de la part des États43.

D’un côté, les États soutenant l’illicéité des armes nucléaires soulignent qu’aucune

arme nucléaire n’a été utilisée dans un conflit armé depuis 1945, et que cela constitue

une opinio juris des États nucléaires. De l’autre côté, les États en faveur de la licéité se

réfèrent plutôt à la doctrine et la pratique de la dissuasion, et affirment que les États

nucléaires se sont toujours réservés le droit de faire usage des armes nucléaires dans

certaines circonstances, et que si ce ne fut jamais le cas, c’est qu’heureusement ces

circonstances ne se sont toujours pas présentées. La Cour constate que cette pratique

41 Ibid para 6242 Ibid para 6343 L’Opinio juris et la pratique effective des États est la première étape avant la création de droit international coutumier. L’opinio juris représente la perception par les États qu’un certain acte est licite ou illicite, et la pratique effective se réfère aux actions entreprises par les États.

Page 23: Travail drc 3500 armement

de la dissuasion était fort populaire durant la Guerre froide, et que certains États la

pratiquent encore. Face à une telle division des opinions étatiques sur cette question, la

Cour s’estime incapable de conclure à la présence d’une opinio juris44.

Les États en faveur de l’illicéité affirment que les nombreuses résolutions de

l’Assemblée générale de l’ONU qui clament constamment l’illicéité des armes

nucléaires, et ce depuis l’importante résolution 1653 de 1961, témoignent de la

présence d’une règle de droit international coutumier en faveur de l’illicéité des armes

nucléaires. Les États en faveur de la licéité des armes nucléaires eux rappellent que

ces résolutions ne sont pas contraignantes, et que par ailleurs elles ont été votées avec

plusieurs voix dissidentes. La Cour, quant à elle, rappelle que, bien que les résolutions

ne soient pas contraignantes, elles peuvent parfois avoir une valeur normative et

peuvent ainsi fournir des éléments de preuve pour établir l’existence d’une opinio juris.

La Cour reconnaît également que la présence de nombreuses résolutions déclarant que

les armes nucléaires devraient être interdites est fort révélatrice de l’opinion de la

communauté internationale, mais elle est également consciente du fait que ces

résolutions ont été votées avec un nombre non négligeable de voix contres. Elle

rappelle également que la fameuse résolution 1653 incluait également des références à

l’application du droit international coutumier à l’arme nucléaire. Cela indique, selon la

Cour, qu’il n’existait alors pas de règle de droit international coutumier par rapport à

l’arme nucléaire, puisque la résolution 1653 n’aurait pas eu à qualifier l’arme et ses

effets, elle aurait simplement pu se contenter de référer à la règle de droit international

coutumier applicable45.

44 Avis supra note 14 para 6745 Ibid para 72

Page 24: Travail drc 3500 armement

La Cour n’est pas aveugle, et réalise que les différents instruments diplomatiques

existant ainsi que les nombreuses plaidoiries des États en faveur de l’illicéité de l’arme

nucléaire n’est pas qu’une simple coïncidence, elle dénote une forte intention de la part

de la communauté internationale de parvenir à un désarmement nucléaire complet

éventuel. Elle constate également que le principal obstacle à la reconnaissance d’une

règle de droit international coutumier est la combinaison d’une opinio juris dans ses

premiers balbutiements, confrontée à la poursuite de la pratique de dissuasion par les

États46.

4.3.3.4 Droit humanitaire

La Cour n’ayant trouvé aucune solution dans le droit international coutumier, elle se

penche alors sur les lois et coutumes de la guerre, également appelé droit humanitaire.

Le droit humanitaire est le résultat du droit de la Haye, issue des conventions de la

Haye, dictant les règles de guerre sous l’aspect de la conduite des opérations et les

moyens possibles de nuire à l’ennemi, ainsi que le droit de Genève, issue des

conventions de Genève, qui traite de la protection des victimes de guerre47. Ces deux

droits ont été jumelés à travers les années pour ne former qu’un grand tout, soit le droit

humanitaire48. La conduite d’opérations militaires doit se conformer à plusieurs règles

juridiques, ce qui fait en sorte qu’un État est limité dans son choix d’action pour nuire à

l’ennemi49. À titre d’exemple de ce que sont les règles de droit humanitaire, il y a

l’interdiction d’utiliser certaines armes qui aggraveraient inutilement les souffrances des

46 Ibid para 7347 International Committee of the Red Cross (ICRC), Customary International Humanitarian Law , 2005, Volume I: Rules, page xxxi48 Ibid para 7549 Supra note 1 article 25

Page 25: Travail drc 3500 armement

hommes50, le traitement réservé aux hommes mis hors de combat51 ainsi que la

protection des civils par l’interdiction aux États d’attaquer des cibles civiles.

Effectivement, les États ne peuvent pas faire usage d’armes qui ne différencieraient pas

entre les combattants et la population civile. Une clause importante énoncée dans la

Convention de la Haye de 1899, appelée la clause de Martens52, et réaffirmée plus

récemment dans le protocole de 197753, précise que les civils bénéficient de la

protection des «principes de l’humanité, même lors de cas non prévus aux conventions.

Cette clause se retrouve dans le préambule de la Convention de la Haye de 1899 sur

les lois et coutumes de guerre :

En attendant qu'un code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties Contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par Elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique54.

La Cour vient préciser que le droit humanitaire est en fait régit par deux grands

principes. Le premier principe sert à protéger les populations civiles. Pour ce faire, une

distinction est faite entre les combattants et les non-combattants. Les États ne peuvent

pas attaquer des civils, et donc une arme qui serait dans l’impossibilité de différencier

entre civils et combattants de par son ampleur ne saurait être licite. Le second principe

50 ibid51 International Committee of the Red Cross (ICRC), Geneva Convention for the Amelioration of the Condition of the Wounded and Sick in Armed Forces in the Field (First Geneva Convention), 12 août 1949, 75 UNTS 31 (entrée en vigueur 21 octobre 1950)52 La Clause de Martens est une déclaration faite par M. Fyodor Fyodorovich Martens qui était l’ambassadeur russe dépêché à la Convention de Hague du 1899. Cette déclaration fut tellement appréciée par les membres de la Convention qu’ils ont décidé d’inclure les paroles de M. Martens dans le préambule de la Convention sur les lois de la guerre. Cette declaration fait maintenant partie du droit international coutumier.53 International Committee of the Red Cross (ICRC), Protocol Additional to the Geneva Conventions of 12 August 1949, and relating to the Protection of Victims of International Armed Conflicts (Protocol I), 8 June 1977, 1125 UNTS 354 Supra note 1

Page 26: Travail drc 3500 armement

concerne la protection des combattants. Selon ce principe, il est primordial de ne pas

causer de maux superflus aux combattants. Cela veut dire qu’il est interdit

d’occasionner des souffrances inutiles à des combattants, ce qui vient limiter l’usage de

certaines armes, même lorsqu’elles sont employées exclusivement contre des

combattants55.

La Cour rappelle ici également que le droit humanitaire est d’une importance

fondamentale, et que le droit des Conventions de la Haye et de Genève a bénéficié

d’un tel niveau d’adhésion de la part des États à travers le temps, qu’il est désormais

applicable à tous les États, peu importe qu’ils n’aient ni signés ni ratifiés aucun des

traités concernant ces droits de l’humanité56.

Une minorité d’États a soulevé que les Conventions de la Haye et Genève ne pouvaient

trouver application en ce qui concerne les armes nucléaires puisqu’elles précédaient

l’invention de ces dernières. Cependant, la majorité des États, et la Cour étant de cet

avis, estiment que cette logique irait à l’encontre même de l’esprit du droit humanitaire.

En effet, selon la Cour, le droit humanitaire s’applique en tout temps, à toutes formes de

guerre et à toutes formes d’arme, tant passées, présentes que futures. Les principes

fondamentaux du droit humanitaire étant de limiter et d’atténuer la cruauté et les

horreurs de la guerre, il est indubitable que les armes nucléaires soient régies par le

droit international humanitaire57.

4.3.3.5 Principe de neutralité

55 Avis supra note 14 para 7856 Ibid para 7957 Ibid para 87

Page 27: Travail drc 3500 armement

Puisque certains États ont soulevé la question lors de leurs exposés, la Cour se pencha

ensuite sur l’applicabilité du principe de neutralité. Ce principe vise la protection de

l’intégrité du territoire des États neutres. Ce principe est définit dans l’exposé du Nauru

dans le cadre de l’avis consultatif préalablement demandé à la Cour par l’OMS :

Dans sa portée classique, le principe de neutralité était destiné à prévenir l'incursion de forces belligérantes sur le territoire d'un État neutre, ou bien les attaques dirigées contre les personnes ou les navires d'États neutres […]Il est évident, cependant, que le principe de neutralité s'applique avec une force égale aux incursions transfrontières de forces armées et aux dommages transfrontières causés à un État neutre par l'utilisation d'une arme dans un État belligérant58.

La Cour est de l’avis présenté dans cet exposé, à savoir que le principe de neutralité

soit un principe de droit international coutumier et est donc applicable. Pour supporter

cet avis, la Cour rappelle le premier article de la convention V de la Haye de 1907,

concernant les Puissances neutres, qui stipule que « le territoire des Puissances

neutres est inviolable59 ». Comme il fut reconnu par la Cour que le droit de la Haye,

ayant évolué en droit humanitaire, faisait désormais partie du droit international

coutumier, cette disposition cimente le jus cogens60 de la neutralité des États neutres61.

4.4 Conclusions de la Cour

À la lumière de tous les motifs présentés à l’intérieur de son avis consultatif, la Cour se

prononce dans l’impossibilité de pouvoir conclure de manière définitive quel est l’état du

statut juridique des armes nucléaires. La Cour reconnaît que sur la base du droit

humanitaire, et considérant les caractéristiques uniques aux armes nucléaires,

58 C.I.J. Mémoires, Exposé écrit du Gouvernement de Nauru, page 26 (Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un Etat dans un conflit armé)59 Supra note 160 Le jus cogens est une norme de droit international reconnue par la communauté internationale comme étant inviolable.61 Avis supra note 14 para 89

Page 28: Travail drc 3500 armement

l’utilisation d’armes nucléaires seraient à première vue illicite. Cependant, elle considère

ne pas disposer des éléments suffisants pour pouvoir conclure avec certitude que

l’emploi d’armes nucléaires est licite ou illicite dans les conflits armés en toute

circonstance62.

La Cour se permet cependant quelques commentaires à la fin du jugement afin de

traiter de la question de la licéité et de l’illicéité de l’arme nucléaire dans son ensemble.

La Cour mentionne que le désarmement nucléaire complet serait l’objectif que la

communauté internationale devrait poursuivre. Elle rappelle ainsi l’article VI du traité de

non-prolifération, avec lequel les États parties au traité se sont engagés à poursuivre de

bonne foi des négociations visant le désarmement nucléaire de tous les États. La Cour

soulève que cet article ne constitue pas seulement une obligation de comportement,

mais bien une obligation de résultat. Elle ajoute que cela constitue une double

obligation, puisque la seule manière d’arriver au résultat d’un désarmement complet est

par l’adoption par les États d’un comportement déterminé, soit la poursuite de bonne foi

de négociations en vue d’un désarmement total.

La Cour rappelle que le seul moyen d’atteindre ce résultat passe par la coopération de

toute la communauté internationale. Elle rappelle également que le Conseil de sécurité

a réaffirmé la nécessité de tous les États de s’acquitter de leurs obligations aux termes

du traité de non-prolifération à travers sa résolution 984 de 1995.

4.5 Dissidences

En conclusion de son avis, la Cour répond à plusieurs questions en lien avec la

demande principale qui lui a été adressée par l’Assemblée générale. La question

62 Ibid para 95

Page 29: Travail drc 3500 armement

principale, à savoir si l’utilisation, ou la menace d’utilisation, de l’arme nucléaire était

licite, divisa gravement la Cour :

E. Par sept voix contre sept, par la voix prépondérante du Président,Il ressort des exigences susmentionnées que la menace ou l'emploi d'armes nucléaires serait généralement contraire aux règles du droit international applicable dans les conflits armés, et spécialement aux principes et règles du droit humanitaire;

Au vu de l'état actuel du droit international, ainsi que des éléments de fait dont elle dispose, la Cour ne peut cependant conclure de façon définitive que la menace ou l'emploi d'armes nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d'un État serait en cause.

Face à une telle division, les avis dissidents prennent d’autant plus d’importance qu’ils

n’étaient en fait qu’à une voix de trancher dans l’autre direction.

4.4.1 Opinion dissidente de M. Schwebel, vice-président

Dans son avis dissident, M. Schwebel expose une opinion dissidente à celle conclue

par la Cour, à savoir qu’elle ne saurait se prononcer avec certitude. M. Schwebel

s’oppose catégoriquement à ce que la Cour puisse en venir à une telle conclusion,

invoquant même que « Si elle devait en fin de compte en arriver là, elle aurait mieux fait

d'invoquer l'incontestable pouvoir discrétionnaire dont elle dispose de ne pas donner

d'avis du tout63. » Il initie son exposé par reconnaître qu’aucun traité actuel ne confère

un statut d’illicéité à l’arme nucléaire, pas plus que ne le font l’addition de tous les

traités pertinents. Il reconnaît également que l’existence même du traité de non-

prolifération dévoile une reconnaissance implicite par les États parties de la possibilité

de certaines situations particulières dans lesquelles l’usage d’armes nucléaires serait

licite. Il est d’avis également que le droit humanitaire peut trouver application, mais il en

63 C.I.J. Mémoires, Opinion dissidente de M. Schwebel, vice-président, page 322 (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996)

Page 30: Travail drc 3500 armement

convient que cela reste du cas par cas. Selon lui, l’arme nucléaire est licite dans

certaines circonstances, et il cite même un exemple historique dans lequel il considère

que sa menace d’utilisation fut souhaitable. Il réfère alors à la guerre du Golfe de 1991

opposants l’Irak à une coalition d’États alliés. Lors de cet épisode, l’Irak avait fait usage

d’armes chimiques et interdites, et laissait croire que cet usage pourrait se répéter

contre les forces alliés. À cet effet, la diplomatie américaine à laisser sous-entendre

qu’elle n’hésiterait pas à faire usage de tous moyens, incluant nucléaires, afin de

venger la mort de leurs troupes occasionnée par toutes armes chimiques64.

4.4.2 Opinion dissidente de M. Oda

M. Oda ouvre avec l’affirmation de sa position contre la décision de la Cour d’avoir

entendu la question. Tout comme M. Schwebel, il est d’avis que la Cour aurait dû faire

preuve de discrétion, puisqu’elle s’expose désormais, avec son jugement de peu de

valeur, à une certaine perte de crédibilité aux yeux de la communauté internationale65. Il

poursuit son objection à la décision de statuer sur la question de l’avis en sous-

entendant que l’Assemblé générale aurait tenté, de manière déguisé sous le couvert

d’un avis consultatif, de faire confirmer un axiome juridique66. Selon lui, cette tentative

d’ingérence de l’Assemblé dans la sphère juridique fait en sorte que la demande d’avis

ne correspondrait plus aux critères d’une demande d’avis consultatif tels qu’énoncés à

l’article 96 de la Charte des Nations-Unies67. Il poursuit ensuite en justifiant sa décision

se basant sur deux points en particulier; l’incertitude quant au sens des termes au sein

même de la demande d’avis, puis que la résolution adoptée par l’Assemblée générale

64 Ibid page 32465 C.I.J. Mémoires, Opinion dissidente de M. Oda, para 1 (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996)66 Ibid para 367 Supra note 25, article 96

Page 31: Travail drc 3500 armement

dans laquelle est fait la demande à la Cour était loin d’être une décision unanime de

l’Assemblée68. Il continue ensuite en réaffirmant sa forte opinion selon laquelle la Cour

aurait dû faire usage de son pouvoir discrétionnaire, pouvoir qui lui est d’ailleurs

consacré par son Statut à l’article 6569, et ainsi refuser de faire suite à la demande de

l’Assemblée générale pour des raisons « d’opportunité juridique70 ».

4.4.3 Opinion dissidente de M. Shahabuddeen

M. Shahabuddeen amorce son avis en récapitulant l’enjeu véritable de la demande. Il

dissèque ainsi la problématique opposant deux notions fondamentales du droit

international, soit le droit à tout peuple de se défendre en cas d’agression, et le besoin

élémentaire que cette défense n’entraîne pas de dommages irréversibles à l’espèce

humaine, voire même son extinction complète71. M. Shahabuddeen est également

opposé à l’idée que la Cour puisse avoir rendu un jugement qui ne répond aucunement

à la question qui lui fut demandé. Selon M. Shahabuddeen, la Cour disposait des

éléments nécessaires afin de pouvoir rendre un verdict tranchant la question « dans un

sens ou dans l'autre72. » Il se moque également à mots à peine voilés des

contradictions soulevées par la Cour dans ses conclusions. Il ironise également sur

l’évolution des armes qui pourrait amener la destruction des nations réglementant ces

mêmes armes :

Des armes nouvelles et plus meurtrières n'ont cessé de voir le jour, mais il ne s'en est trouvé aucune susceptible de compromettre l'existence des générations futures ou de menacer la survie de l'espèce humaine. Du moins jusqu'à ce jour. Cela pose-t-il un problème juridique? Je crois pouvoir répondre par

68 Supra note 60 para 4369 United Nations, Statute of the International Court of Justice, 18 avril 1946, article 65. En ligne: Cour Internationale de Justice, http://www.icj-cij.org70 Supra note 60 para 5271 C.I.J. Mémoires, Opinion dissidente de M. Shahabuddeen, page 375 (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996)72 Ibid page 376

Page 32: Travail drc 3500 armement

l'affirmative: en effet, quel que soit le statut juridique de l'individu en droit international, si l'humanité comme telle vient à être anéantie, les États disparaîtront et, avec eux, la base sur laquelle se fonde les droits et les obligations au sein de la communauté internationale73.

Il continue son opinion en se penchant sur la question à savoir si la Cour pouvait

déclarer illicite l’emploi de l’arme nucléaire en vertu du droit humanitaire. Il divise sa

réponse en analysant chacun des aspects de ce droit préalablement discuté.

Premièrement, il conclut que la Cour aurait pu déclarer illicite l’emploi de l’arme

nucléaire selon sa violation du principe de droit humanitaire en vertu duqeul les moyens

de nuire à l’ennemi ne sont pas illimités :

Les éléments dont dispose la Cour sont suffisants pour lui permettre de constater que l'emploi effectif d'armes nucléaires n'est pas acceptable aux yeux de la communauté internationale; à partir d'une telle constatation, il lui appartiendrait dans le cadre de sa mission judiciaire de conclure que de telles armes ne sont pas un «moyen de guerre» admissible au regard du droit74.

Il ajoute ensuite le principe des maux superflus75 ainsi que de la clause de Martens76

afin de clore sa plaidoirie sur ce qui selon lui constitue une erreur de la Cour de ne pas

avoir déclaré l’arme nucléaire illicite en vertu du droit humanitaire. Sa position est

réaffirmée à la fin de son avis dissident, lorsqu’il ironise encore une fois la décision de

la Cour d’avoir ainsi rendue une telle décision par rapport à une arme ayant le potentiel

d’anéantir l’humanité; « il semblerait à tout le moins curieux qu'une juridiction mondiale

se considérât tenue en droit de conclure qu'un Etat a le droit, fût-ce dans des

circonstances limitées, d'anéantir la planète77. »

73 Ibid page 38074 Ibid page 40275 Ibid page 40276 Ibid page 40577 Ibid page 425

Page 33: Travail drc 3500 armement

4.4.4 Opinion dissidente de M. Weeramantry

L’opinion dissidente de M. Weeramantry fait près de trois fois la longueur de l’avis

consultatif initiale. M. Weeramantry en a long à dire, ouvrant son opinion en expliquant

de manière concise quelle est sa dissidence :

Après avoir mûrement réfléchi, j'estime que l'emploi et la menace de l'emploi d'armes nucléaires sont illicites en toutes circonstances parce qu'ils sont incompatibles avec les principes fondamentaux du droit international et constituent la négation même des valeurs humanitaires sur lesquelles repose la structure du droit humanitaire; parce qu'ils sont contraires au droit conventionnel et en particulier au protocole de Genève de 1925 concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, et à l'article 23 a) du règlement de La Haye de 1907; parce qu'ils sont inconciliables avec le principe fondamental de la dignité et de la valeur de la personne humaine qui est à la base de l'ensemble du droit; et parce qu'ils portent atteinte à l'environnement au point de menacer toutes les formes de vie sur la planète78.

S’ensuit ensuite un exposé exhaustif traitant de l’importance historique de la demande

d’avis consultatif, puisqu’elle constitue une première concernant les armes nucléaires

du fait qu’il s’agit de la première demande d’avis consultatif entendue d’un tribunal

international79. N’étant pas du même avis que la Cour, et tenant une opinion forte à cet

égard, M. Weeramantry profite de la tribune qui lui est disponible pour décortiquer la

problématique en son entier, de par une description exhaustive de ce qu’est réellement

l’arme nucléaire80, en quoi consiste les principes du droit humanitaire81 et de la légitime

défense82 ainsi que de nombreuses explications des réalités du droit international et des

politiques intrinsèquement liées à ce droit. M. Weeramantry conclu son avis en 78 C.I.J. Mémoires, Opinion dissidente de M. Weeramantry, page 433 (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996)79 Ibid page 43880 Ibid page 45081 Ibid page 47682 Ibid page 514

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précisant qu’une décision incertaine telle que celle que la Cour venait de rendre enlevait

toute chance pratique qu’un progrès puisse être réalisé. Selon lui, même une décision

qui ne serait pas nécessairement respecté par les États concernés entraînenerait tout

de même une prise de conscience du reste de la communauté internationale83. Il réitère

également sa conviction que la Cour a fait erreur :

Comme je l'ai dit au début, je considère, après avoir mûrement réfléchi, que l'emploi et la menace d'emploi des armes nucléaires sont incompatibles avec le droit international et avec les fondements sur lesquels il repose. J'ai voulu dans la présente opinion exposer mes raisons de manière assez détaillée et préciser pourquoi l'utilisation ou la menace d'utilisation des armes nucléaires sont totalement interdites - sans réserve et en toutes circonstances - par le droit existant. Il m'est réconfortant de voir que ces conclusions juridiques s'accordent avec ce que je crois être les exigences de la morale et les intérêts de l'humanité84.

4.4.5 Opinion dissidente de M. Koroma

La dissidence de M. Koroma va dans le même sens que celle de M.Shahabuddeen et

Weeramantry :

J'approuve cette conclusion, sauf le mot ((généralement)). Tout bien considéré, mon opinion, fondée sur le droit existant et les éléments de preuve dont on dispose, est que l'emploi d'armes nucléaires serait illicite en toute circonstance au regard du droit international. Cet emploi constituerait à tout le moins une violation des principes et règles du droit international humanitaire et serait donc contraire à ce droit85

Dans l’ensemble, l’avis de M. Koroma est presque en tout point identique à celle de M.

Weeramantry, qui est une opinion grandement plus étoffée que celle de M. Koroma. Il

n’est donc pas nécessaire de s’attarder davantage à cet avis.

83 Ibid page 55084 Ibid page 55385 C.I.J. Mémoires, Opinion dissidente de M. Koroma, page 556 (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996)

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4.4.6 Opinion dissidente de Mme Higgins

L’opinion de Mme Higgins diffère de celle de ses collègues en ce qu’elle se concentre

en majeure partie sur sa position selon laquelle la Cour n’aurait pas dû conclure de

façon si évasive86, tandis que sa position sur la licéité ou l’illicéité de l’arme nucléaire

demeure ambiguë. D’un côté, elle énumère les différents dangers que peut causer

l’arme nucléaire, et ce faisant elle utilise un vocabulaire d’une certaine dramatique pour

mettre en évidence les terribles effets d’une telle arme, tout en se questionnant sur la

validité des conclusions de la Cour sur son interprétation des principes de droit

humanitaire, en particulier le principes limitant les maux superflus87. Elle essaie

néanmoins de démontrer que le recours aux armes nucléaires pourrait être licite lors de

certaines circonstances extrêmes88 tandis que sa conclusion laisse un tant soit peu

perplexe :

Il ne me semble pas que prononcer l'illicéité des armes nucléaires en toute circonstance ou donner les réponses que la Cour formule au paragraphe 2 E du dispositif soient les meilleurs moyens de protéger l'humanité contre ces souffrances indicibles que nous redoutons tous89.

Comme on peut le constater, son opinion semble se porter davantage vers un verdict

de licéité de l’arme nucléaire. Elle expose ses motifs à travers son avis de dissidence

concernant son opposition catégorique à la décision de rendre une décision incertaine,

mais elle ne convainc pas particulièrement en ce qui a trait à ses motifs qui la pousse à

conclure que l’illicéité de l’arme nucléaire n’est pas une voie envisageable.

86 C.I.J. Mémoires, Opinion dissidente de Mme. Higgins, page 370, (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996)87 Ibid page 36388 Ibid page 36589 Ibid page 371

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III. Conclusion

En ce qui a trait à la licéité de l’arme nucléaire, il est intéressant de constater à quel

point aucune réponse concrète ne semble exister. En effet, comme le démontre l’avis

de la Cour, la question dépasse de manière absurde le simple cadre juridique. Les

considérations que joue l’arme nucléaire dans les relations internationales semblent

être encore d’actualité, puisqu’il fut démontré que plusieurs États s’adonnent toujours à

la pratique de la dissuasion dans leurs rapports internationaux. De plus, le fait qu’une

question si importante divise les juges de la Cour à un point tel envoie le message aux

États que personne ne peut en arriver à une réponse définitive, et qu’en l’occurrence

cela nous ramène au statu quo. Malgré tout, il apparaît une volonté de plus en plus

sincère de la communauté internationale de procéder avec l’arme nucléaire à l’instar

des armes chimiques et biologiques. Effectivement, malgré que la Cour n’ait pas réussi

à conclure à la présence de règles de droit concernant la licéité dans l’état actuel du

droit international, la porte demeure ouverte pour l’avenir. Plusieurs avenues s’offrent

toujours à la communauté internationale, que ce soit par la création de droit coutumier

au fil des ans et des actes des États, ou encore mieux qu’une convention officiel ayant

pour seul et unique but la déclaration d’illicéité de l’arme nucléaire, et la création de

moyens adéquats de faire respecter cette obligation par tous les États. Évidemment,

l’arme nucléaire demeurant l’arme la plus puissante sur terre, et considérant les

quantités de stocks encore en existence, il est difficile de concevoir que des États

détenant de telles armes puissent être contraint par la seule volonté d’État plus

vulnérables dépourvus de tout armement nucléaire. Malgré tout, même les plus petits

actes de volonté peuvent mener aux plus grandes réalisations.

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Bibliographie

Documents de la CIJ

Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d'Amérique), fond, arrêt. C.I.J. Recueil 1986

C.I.J. Mémoires, Opinion dissidente de M. Koroma, page 556 (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996)

C.I.J. Mémoires, Opinion dissidente de M. Oda, para 1 (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996)

C.I.J. Mémoires, Opinion dissidente de M. Schwebel, vice-président, page 322 (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996)

C.I.J. Mémoires, Opinion dissidente de M. Shahabuddeen, page 375 (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996)

C.I.J. Mémoires, Opinion dissidente de M. Weeramantry, page 433 (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996)

C.I.J. Mémoires, Opinion dissidente de Mme. Higgins, page 370, (Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996)

Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226

Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé, avis consultatif, C.I. J. Recueil 1996, p. 66

Doctrine

International Committee of the Red Cross (ICRC), Customary International Humanitarian Law , 2005, Volume I: Rules, page xxxi

Traités internationaux

Convention on the Prohibition of the Development, Production and Stockpiling of Bacteriological (Biological) and Toxin Weapons and on Their Destruction, 10 avril 1972, TIAS 8062 (entrée en vigueur le 26 mars 1975) En ligne : The Avalon Project, http://avalon.law.yale.edu/

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The Quebec Conference - Agreement Relating to Atomic Energy Department of the Army Files, signé le 19 août 1943. En ligne : The Avalon Project : http://avalon.law.yale.edu

Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, Assemblé générale résolution 2200 A (XXI), (entrée en vigueur 23 mars 1976)

Convention pour la prévention et la répression du crime de genocide, 9 décembre 1948, Assemblée générale résolution 260 A (III), (entrée en vigueur 12 janvier 1951)

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Sources des Nations-Unis

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United Nations, Statute of the International Court of Justice, 18 avril 1946

Sources électroniques

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http://www.ucsusa.org/nuclear_weapons_and_global_security/solutions/us-nuclear-weapons/how-nuclear-weapons-work.html#.VGe3hMm9aSo (page consultée le 3 décembre 2014)

http://www.un.org/disarmament/WMD/Nuclear/

http://www.un.org/fr/disarmament/instruments/npt.shtml

https://history.state.gov/milestones/1961-1968/limited-ban