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TRAPPEURS

DES NEIGES

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A U X É D I T I O N S M A G N A R D

d a n s la co l lec t ion " F a n t a s i a "

pour conter aux enfants qui ne savent pas encore lire . . . et pour les débutants

de 3 à 6 ans 7 à 10 ans

IL ETAIT MILLE ET UNE FOIS (René Guillot) Garçons et Filles

CHOCOLINE ET LE PRINTEMPS (Marie-Louise Vert) Garçons et Filles

LA PETITE ILE DE MONSIEUR TOUMINOU (Pulicani) Garçons et Filles.

EN QUESTIONNANT LA RIVIERE QUI... (Gilles Saint-Cérère) Garçons et Filles.

de 8 à 11 ans

CHAT SAUVAGE ET SAPIN BLEU (Lucette Chaine et Anne-Marie Vœltzel). Prix Fantasia 1959. Filles.

MYLORD ET LE SALTIMBANQUE (Elsie) Prix Fantasia 1955. Garçons et Filles.

FARFELUNE (Laurette Aldebert) Filles.

LES PATINS DE CRISTAL (André Baruc) Garçons et Filles

LES MERVEILLEUSES AVENTURES DE MONSIEUR LE VENT (Constant Hubert) Filles

SELMA DES NEIGES (Renée Manière) Filles

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ELSI E

TRAPPEURS DES NEIGES

Illustrations de l'auteur

M A G N A R d 122, Boulevard Saint-Germain - PARIS-VI°

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d a n s la co l lec t ion " Fantasia " de 12 à 15 ans

POUK ET SES LOUPS-GAROUS (Léonce Bourliaguet) Prix Enfance du Monde 1956. Garçons. LES COMPAGNONS DE L'ARC (Léonce Bourliaguet) Prix Fantasia 1958. Garçons. AU VENT DE FORTUNE (Michèle Massane) Prix Fantasia 1956. Garçons. KPO LA PANTHERE (René Guillot) Garçons et Filles SHRIMP LE CORSAIRE (René Guillot) Garçons CONTES DES MILLE ET UNE BETES (René Guillot) Garçons et Filles. MARAOUNA DU BAMBASSOU (René Guillot) Filles

LA BAGUE AUX YEUX DE CHAT (René Guillot) Filles LE MAITRE DES ELEPHANTS (René Guillot) Prix Fantasia 1960 - Garçons CASTANDOUR (Léonce Bourliaguet) Garçons et Filles LA MONTAGNE ENDORMIE (Léonce Bourliaguet) Garçons et Filles X. P. 15 EN FEU (Pierre Devaux) Garçons e t Filles TARO-SAN (Marie-Antoinette de Miollis) Garçons et Filles. L'ENFANT DU SILENCE (Madeleine Hivert) Filles

MARIELLE (Monique Déchaud-Pérouze) Filles

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

ⓒ 1960 by les Editions MAGNARD, PARIS

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A Joëlle MICAUD

qui a si souvent campé dans les forêts de France, je dédie ces aventures d'un jeune trappeur.

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CHAPITRE I

AU BORD DE LA « BELLE - JEANNETTE »

EGARDE ! s'écria tout à coup Jérôme en pointant le doigt vers une tache mouvante dans les

brumes mauves et bleues qui cernaient le rivage. Regarde ! des maisons, des Indiens !

Tony se recroquevilla dans sa robe trop légère, car cette fin d'août canadien annonçait déjà l'hiver, et tourna la tête avec

vivacité vers l'avant du bateau.

— Comme c'est beau ! dit-elle en battant des mains, mais où sommes-nous ?

— Nous sommes à Pointe-du-Roc, la dernière escale avant Terre-Verte, expliqua un jeune voyageur appuyé au bastin- gage à côté de Jérôme et qui semblait s'amuser de l'enthou- siasme de la petite fille.

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Car, par une heureuse disposition de sa nature, il n'était rien, vraiment rien, en quoi Tony n'eût pas trouvé quelque chose à admirer, fût-ce le sévère paysage canadien et les pauvres villages de bois qui défilaient devant elle depuis le départ de Sainte-Mélanie.

Le bateau s'arrêta donc à Pointe-du-Roc. A travers des

érables teintés de roux et des bouleaux à feuilles jaunes, Jérôme aperçut des tentes et des baraques de rondins pressées les unes contre les autres et, sur un ponton de bois servant de quai, des Indiens qui attendaient, debout au milieu d'une montagne de bagages.

— Où vont donc tous ces hommes ? demanda-t-il en se tournant machinalement vers son voisin.

— Ce sont des Indiens qui partent passer l'hiver sur les hautes terres, répondit celui-ci. Il vont très loin vers le nord, jusqu'aux grandes forêts situées entre les rivières Mistassini et Péribonka ; ils y piègent et capturent le gibier sauvage dont ils vendent les fourrures.

— Le Mistassini et ses rapides, les grandes forêts silen- cieuses sous la neige, les aventures du piégeage et de la chasse, pensa Jérôme en examinant les Indiens avec curiosité et envie.

Ils n'étaient pas vêtus autrement que les chasseurs cana- diens qui s'étaient embarqués en même temps que lui à Sainte-Mélanie ; mais ils différaient d'eux par leur peau tannée, leurs cheveux raides et noirs, la rapidité de leurs gestes et de leur langage et leurs yeux sombres, minces et brillants.

Ils s'installèrent avec des cris et des rires sur le pont du bateau en y casant tant bien que mal d'immenses piles d'objets hétéroclites, où Jérôme reconnut des sacs de farine, des

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caisses de thé, de sucre, des armes et des barils de poudre, des quartiers de viande séchée, des couvertures et des tentes roulées en boudin, et d'étranges pièges de fer et de bois comme il n'en avait jamais vu en France.

— Dans quel pays désolé s'en vont-ils donc, ces gens qui emportent de telles quantités de provisions et de matériel de toutes sortes ? se demandait le jeune garçon en considérant avec inquiétude son sac à dos à peine rempli et la petite valise plate de Tony qui constituaient leurs seules possessions en ce monde.

Après Pointe-du-Roc, la Belle-Jeannette fonça droit dans les brouillards et, deux heures durant, Jérôme ne perçut plus que le ronron monotone de son moteur et le bruissement de l'écume qui rayait un instant les eaux immobiles du lac Saint-Hilaire.

Puis, soudain, une terre plate et pâle et le ding-ding-dong des cloches lointaines surgirent hors des brumes.

Jérôme tendit l'oreille vers le grêle tintement qui, traver- sant le silence, la solitude et le froid du lac, semblait sortir du néant pour lui souhaiter la bienvenue.

— C'est sûrement Terre-Verte, se dit-il. Son cœur se mit à battre plus fort, Une sorte de joie mêlée

de regret l'envahissait. Il lui semblait que tout à coup la plus chère partie de sa vie tombait pour toujours dans le passé et que son arrivée à Terre-Verte allait marquer la fin de son enfance heureuse, le début d'une existenc où il serait presque un homme, pourvu de tâches dont il porterait seul la responsabilité.

De cela, certes, il se sentait fier ; mais il avait aussi un peu et malgré lui envie de pleurer, de retenir, ne fût-ce qu'un moment encore, son insouciance de naguère ; il se tourna vers

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sa sœur qui s'assoupissait contre l'épaule de son voisin et, pour dissiper son émotion, il allait lui crier dans l'oreille, avec sa gaminerie d'autrefois :

— Hou, hou ! Tony, réveille-toi, nous arrivons ! Mais, fatiguée par le long voyage, elle dormait si paisible-

ment que Jérôme passa doucement la main sur ses cheveux, en l'appelant du nom que leur mère lui donnait peu de temps encore auparavant :

— Tony, Tony, mon petit cœur, murmura-t-il, nous arri- vons à Terre-Verte.

Terre-Verte ! Il y avait presque deux mois qu'il l'attendait, exactement depuis ce jour ensoleillé de juillet où M. le maire d'Auribeau, un petit bourg de France, l'avait fait appeler pour lui dire avec bonté :

— Mon cher enfant, je n'ai pas voulu t'arracher plus tôt à ton recueillement ; mais voici trois semaines que nous avons enterré ta pauvre mère et il serait grand temps que nous décidions de ton avenir et de celui de ta petite sœur Tony. Ton père, qui est mort il y a près de dix ans, n'avait plus guère de famille, n'est-ce pas ? mais ta maman parlait parfois d'un frère...

— Oui : un frère aîné qui, comme elle, est né au Canada qu'il n'a jamais quitté ; elle n'avait plus de nouvelles de lui depuis sa jeunesse et ne savait pas ce qu'il était devenu.

— D'où était-il originaire ? — Comme maman, de Terre-Verte, sur le lac Saint-Hilaire,

dans le nord de province de Québec. — J'écrirai donc à la municipalité de ce village canadien,

qui me renseignera peut-être sur lui. Contre toute prévision, la lettre de M. le maire d'Auribeau

atteignit sans trop grand délai son destinataire : après une

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existence quelque peu vagabonde, celui-ci s'était retiré à Terre-Verte afin d'y gérer le comptoir d'une compagnie cana- dienne faisant le commerce des fourrures avec les trappeurs de la région.

La réponse fut directe, précise et sans mots superflus :

« Terre-Verte, 16 Juillet 19...,

« Monsieur le Maire,

« Votre lettre m'apprend que ma sœur Lucie, décédée en « juin dernier dans votre commune, laisse sans ressources ses « deux enfants mineurs, Jérôme et Tony, dont je suis mainte- « nant l'unique parent, et me demande si je veux bien me « charger d'eux.

« Je vous réponds ceci : « A quatorze et à douze ans, on peut travailler. Si Jérôme

« et Tony sont décidés à faire preuve de docilité et de cou- « rage, ils pourront me rendre quelques services, en échange « de quoi je prendrai soin d'eux jusqu'à leur majorité.

« Télégraphiez-moi votre accord et le leur et je vous enver- « rai la somme nécessaire avec tous les renseignements et « indications utiles pour leur voyage jusqu'à Terre-Verte.

« Croyez, Monsieur le Maire, etc., etc.

« G.-G. Gualbert. »

Il fallait donc quitter Auribeau, où Jérôme et Tony avaient vécu toute leur paisible enfance, et laisser à jamais derrière eux la vieille maison couverte de lierre dans laquelle leur mère était morte et la douceur de leur vallée natale, pour

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cette bourgade si petite qu'ils avaient en vain cherché son nom sur la carte du Canada.

Ils partirent au début d'août, pendant les journées dorées de la moisson, quand les papillons blancs dansaient avec indo- lence sur les épis de blé.

M. le maire les accompagna lui-même jusqu'au Havre, où ils s'embarquèrent sur un vapeur de la Blue Star Line qui mit douze jours à gagner Québec.

C'était le premier grand voyage de Jérôme et de Tony. A vrai dire, il se passa sans incident d'aucune sorte et même sans difficulté, car les Canadiens de la province de Québec sont de langue française et les indications envoyées par G. G. Gualbert étaient minutieusement précises.

D'ailleurs, peu de choses eussent embarrassé Jérôme : c'était un garçon de quatorze ans, petit pour son âge, mais solide et résolu, dont la curiosité et la témérité naturelles auraient trouvé quelque agrément à surmonter les pires obsta- cles, si sa mère, en mourant, n'avait mis Tony sous sa protec- tion.

Or, Tony, bien qu'elle ne manquât pas d'une sorte d'énergie faite de volonté optimiste et d'une gaieté toujours en éveil, était une enfant frêle et délicate, qui semblait en toute circons- tance chercher le réconfort d'une présence amie.

Depuis la mort de sa mère, ce soutien, ce réconfort, cette présence amie, c'était Jérôme.

— Frère, murmurait-elle parfois en lui prenant la main, frère.

Et ce seul geste, ce seul mot suffisaient à retenir Jérôme quand il lui prenait l'envie de partir à l'aventure sans souci de la petite fille aux légers cheveux blonds qui fixait sur lui ses yeux bleus si bienveillants et si doux.

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De Québec, c'est par le chemin de fer que l'on atteint Sainte- Mélanie, grand bourg commercial qui s'étale au sud du lac Saint-Hilaire.

Après avoir passé la nuit dans un hôtel que leur avait recommandé l'oncle Gualbert, Jérôme et Tony s'étaient embar- qués de grand matin sur la Belle-Jeannette, poussif vapeur à roues qui dessert les principales localités du lac et qui devait les déposer à Terre-Verte vers la fin de l'après-midi.

— Terre-Verte, Terre-Verte... répétait donc Jérôme en regardant avidement les maisonnettes brunes tapies autour d'un clocher de bois que les ombres du soir semblaient près d'engloutir.

Souvent, au cours de leur voyage, le frère et la sœur avaient imaginé leur arrivée à Terre-Verte et leur première rencontre avec l'oncle Gualbert ; Tony se voyait déjà sautant au cou de son oncle, entrant gravement dans la maison qui allait devenir la sienne et s'asseyant au coin de la cheminée en face de lui.

Soudain, elle tressaillit et glissa sa main dans celle de son frère : à côté d'eux, des éclats de voix railleurs jetaient leurs notes discordantes ; une chansonnette se répétait, passait de bouche en bouche qui, dans le jargon particulier aux Indiens montagnais, mélangeait au français des mots de leur idiome :

Hou, hou ! Niakaré, petit trappeur de rien du tout, A eu peur des ouapoushs, a eu peur des nikutsashs !

Hou, hou, Niakaré, Hou, hou !

Il faut dire qu'en langue indienne les ouapoushs et les nikutsashs sont des petits lapins et de jeunes écureuils, gibier

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fort méprisé par les rudes chasseurs de fourrures. Accuser quelqu'un d'avoir peur d'eux, c'est donc tout simplement le traiter de poltron.

Jérôme et Tony s'étaient retournés, surpris.

Accroupis à même le plancher du pont, les Indiens fre- donnaient d'un air de fausse insouciance, les dents serrées sur leurs pipes, et, de temps en temps, se poussaient du coude avec de grands rires qui semblaient ne s'adresser à personne.

Mais leurs yeux plissés de malice convergeaient avec tant d'insistance vers l'un de leurs compagnons de voyage que nul ne pouvait ignorer à qui ce couplet narquois était destiné.

C'était précisément au jeune homme qui avait si complai- eamment renseigné les deux enfants.

Jérôme l'examina plus attentivement : bien que de toute évidence il fût de race blanche, son accoutrement mêlait avec bizarrerie les vêtements habituels des trappeurs canadiens, veste de coutil, pantalon de grosse laine serré aux chevilles, gants de peau fourrés, et quelques-uns de ces accessoires orne- mentés que les Indiens ne portent plus guère qu'aux jours de fête : ceinture brodée de perles minuscules, foulard bariolé, bonnet en peau de renard dont l'épaisse queue ébouriffée se balance derrière la tête, mocassins souples montant jusque sous les genoux et fixés par des jarretières de couleurs vives.

Un vaste sac de cuir était passé en bandoulière sur son épaule ; à sa ceinture pendaient un jack-knife, sorte de cou- teau à lame forte, une hachette et une petite bourse.

Dans cette région au dur climat, peuplée surtout de pêcheurs et de trappeurs blancs, métis ou indiens, qui, sans souci d'élé- gance, se vêtent de la façon qui leur est la plus commode. personne n'eût certes pensé à s'étonner des étrangetés d'un

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tel attirail si la physionomie et l'attitude du jeune voyageur n'eussent démenti ce que ses armes et son habillement avaienl de brutal : ses traits réguliers et très fins, la douceur presque féminine de son expression, son teint pâle contrastaient avec la peau bronzée des Indiens qui l'entouraient et ses yeux clairs erraient un peu tristement, sans se poser, comme retenus par quelque rêve intérieur qui le préoccupait plus que les gens et les choses alentour.

Cependant, lorsqu'un Indien plus effronté que les autres le poussa en ricanant avec ironie :

— Niakaré, petit trappeur de rien du tout...

Niakaré serra les poings de colère, fit mine de sauter à la gorge de l'homme, puis s'arrêta, haussa les épaules comme lassé et, tournant le dos, affecta de suivre du regard les grandes spirales des vols d'engoulevents, qui tournoyaient autour du bateau en poussant des cris plaintifs.

Ce fut à ce moment que la sirène jeta son signal rauque : le vapeur ralentit son allure, vira et ses roues s'arrêtèrent progressivement.

— Terre-Verte ! cria un matelot en brandissant sa casquette.

Il sembla alors à Jérôme que tout tourbillonnait autour de lui : les Indiens ajustaient à leur tête la courroie frontale au moyen de laquelle ils maintenaient leur lourd chargement et, courbés sous le poids, ils se bousculaient du côté de la passerelle, tandis que, entre les passagers de la Belle-Jeannette et les femmes et les enfants venus les attendre sur le quai de Terre-Verte, s 'échangeaient des appels, de longs sifflements, des plaisanteries.

— Voilà les canoës dans lesquels les trappeurs vont remon- ter la rivière du Carcajou jusqu'aux terrains de chasse,

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expliqua une fois de plus le jeune garçon au bonnet de four- rure.

Jérôme se pencha par-dessus le bastingage : des canoës, qui étaient venus à la rencontre des trappeurs, se rangeaient autour du bateau tandis que leurs occupants hélaient les voyageurs à grands cris gutturaux et, pour attirer leur atten- tion, frappaient la coque de la Belle-Jeannette avec de longues perches ou des pagaies.

Ce spectacle pittoresque et joyeux amusait Jérôme et le faisait penser à de menus poissons frétillant autour d'un gros cétacé. Il s'y attardait, essayant de discerner, parmi les phrases indiennes, un mot anglais, un mot français qui le frappaient alors comme des amis reconnus au milieu d'une foule...

Soudain, un cri, oh ! un cri !

Jérôme se retourna tout d'une pièce, chercha instinctive- ment à ses côtés la petite main de Tony, ne la trouva pas et, inquiet, voulut se dégager de la foule qui le retenait captif. Mais il était tellement pressé par les cordages, les ballots encombrants, les gens qui gesticulaient sans lui prêter atten- tion qu'il ne put avancer.

— Tony, Tony ! cria-t-il.

Sa voix se perdit dans le brouhaha du débarquement. Tout à coup, il aperçut là-bas le visage effaré de sa sœur.

Elle avait été entraînée par la cohue et rejetée contre la passerelle que les matelots étaient en train de faire glisser du bateau au ponton.

Comme dans un mauvais rêve si rapide que rien ne peut en empêcher le déroulement, Jérôme la vit trébucher sur un amoncellement de caisses et de corbeilles, chanceler, battre

l'air de ses bras et disparaître... disparaître dans l'eau noire